B. Le Togo : derrière la macrocéphalie - TEL (thèses
C'est Keta, dont le site, sujet à l'érosion littorale, se réduit depuis le début du
siècle .... la Côte-d'Ivoire : "L'examen des biographies administratives montre que
si la ...... n'y verrions-nous pas la justice apparaître, ainsi que l'injustice ? "
Socrate,.
part of the document
r)
Michel ROCHEFORT (Président)
A Anne, compagne de terrains et daventures,
Mais aussi de doutes et defforts.
Pour son aide dans le travail comme dans sa relativisation.
Remerciements
Que soient ici remerciés :
Gilles Sautter, l'initiateur.
Roland Pourtier qui a bien voulu assurer la direction de ces travaux avec respect et efficacité.
Jean-Paul Duchemin et Alain Morel dont la confiance et sa traduction matérielle me furent toujours renouvelées.
Jean-Claude Barbier pour la grande qualité de son accueil tant scientifique que matériel, et son soutien jamais démenti.
François Moriconi-Ebrard, avec qui nous avons pu conjuguer amitié, travail et encouragements. Sans son uvre considérable, mise à ma disposition, le travail statistique et cartographique à l'échelle de l'Afrique de l'ouest n'aurait pas été possible.
Alain Dubresson et Emile Lebris, pour leur bienveillance et leur confiance.
Une telle entreprise, avec sept terrains répartis sur trois pays est une longue suite de rencontres, d'aides et de collaborations ; et, par delà l'Orstom, de nombreuses personnes méritent toute ma reconnaissance.
Ainsi au Togo : Amona Kossi et Yaovi Alodzissodé qui m'accompagnèrent sur le terrain et dont la sympathie, le dévouement et la connaissance des lieux firent de deux séjours Badou des expériences inoubliables ; Benoît Antheaume et Yves Marguerat, dont l'hospitalité dépassa le cadre scientifique ; Michelle Pasteur, Jean-Louis Lierdeman et Komlan Odjih qui chacun à leur manière ont aidé ces travaux.
Au Ghana : Godwin Djietror, Patrick Nelson Asare, Gérard Marciniak, Docteur N'Krumah, Docteur Benning.
Au Niger : Jean-Claude Bruneau, qui m'a chaleureusement acceuilli et avec qui a été réalisée l'étude de l'armature urbaine du pays ; Sidikou Arouna Hamidou, qui a guidé mes premiers pas sur le continent. Je tiens également à souligner la collaboration active sur le terrain de Abdou Bontianti, Ibrahim Djibo, Arouna Mounkaila, Mahamane Mansour Moutari, Moussa Niameize, Abdou Nouhou, Mahamadou Oumarou et Aliman Tanko, étudiants en maîtrise de géographie à lUniversité de Niamey.
Notons que les Administrations centrales ou locales, parfois décourageantes, sont aussi riches de personnalités, de compétences et de gentillesse à l'image de Abalo Dontema (Technicien Supérieur Géomètre à la préfecture d'Atakpamé), de Francis Kingsley Nyarko (Planning officer, Kadjebi) et Awuru Kudozia (District administrative officer, Kadjebi) ou encore du très désabusé chef de poste administratif de Torodi.
Enfin, je pense aux citadines et citadins enquêtés, au contact si enrichissant, souvent patients et accueillants malgré mon impuissance à résoudre en quoi que ce soit leurs problèmes. Avec l'espoir de pouvoir leur être ici un porte-parole objectif.
Note sur les financements
Les enquêtes et relevés de terrains nécessaires à cette étude ont été réalisés à Torodi (premiers travaux en 1985), Keïta et Tamaské en décembre 1991 et janvier 1992, avec lappui logistique de lOrstom comme chercheur associé et grâce à lobtention de deux bourses dites « Aires Culturelles » du Ministère de lEnseignement suipérieur.
Introduction
"Où est le commencement de nos actes ? Notre destin, quand nous voulons l'isoler,
ressemble à ces plantes qu'il est impossible d'arracher avec toutes leurs racines"
François Mauriac,
Thérèse Desqueyroux.
"J'irai reconnaître les pays contemporains, j'irai parcourir toute la géographie du globe,
et saluer courtoisement chaque ville grande et petite et ses travailleurs"
Walt Whitman,
Feuille d'herbe.
"Et j'ai toujours eu, en ce qui me concerne, une sorte de préférence pour les zones
de civilisation française où l'on pouvait garder un dialogue, où l'on se connaissait,
où, lorsque l'on se parle, on peut situer ceux qui sont originaires du coin à travers les générations,
puis ceux qui sont venus plus récemment et sont parfaitement répertoriés, intégrés,
dont on connaît le nom mais aussi le prénom. Il y a une relation humaine directe
qui donne aux affaires que vous avez à traiter une toute autre signification,
un tout autre contenu humain que dans les villes plus importantes"
François Mitterrand,
Allocution prononcée aux
premières assises des petites villes de France,
"Du moins l'Afrique noire, avec sa variété extraordinaire de milieux naturels,
de sociétés, de systèmes de production et d'encadrements,
n'est-elle sans doute pas un mauvais observatoire."
Gilles Sautter,
La recherche géographique française,
Pourquoi s'intéresser aux petites villes ?
Pour ce qui est de mes motivations et de mon itinéraire, plutôt que de m'étendre longuement, la combinaison des quatre citations en épigraphe résume assez bien, au-delà du non analysable ici, la quête d'aventure, de découverte et de sécurité qui peuvent amener à un tel objet d'étude.
Il est plus intéressant de cerner les enjeux qui font des petites villes un thème digne d'intérêt pour un travail scientifique :
C'est dans la petite ville que se crée la ville par le bas, sans base citadine préalable. On doit donc pouvoir y observer l'émergence de l'urbain et y éclairer certains ressorts du phénomène extraordinaire qu'est l'urbanisation.
Les petites villes sont les organismes de base des armatures et des réseaux urbains. Elles permettent à ces réseaux de se connecter aux économies et aux territoires locaux. Il doit donc être possible d'y saisir en partie la logique d'un système urbain par rapport au substrat économique.
Les petites villes correspondent autant à un lieu qu'à un moment, celui du basculement possible d'un établissement humain vers lurbain et ses marchés. Cela en fait donc un observatoire privilégié des acteurs qui, pour des raisons éventuellement opposées, voient des opportunités dans un milieu ruralo-urbain dont le devenir ou la conservation sont en jeu. Chacun peut espérer participer à une évolution ou à une stagnation, sans quaucune ne soit jamais garantie. Devenir citadin de petite ville est un pari !
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Les réalités africaines contemporaines et leurs paradoxes rendent la compréhension de lobjet petite ville urgente et passionnante. La croissance urbaine y est extraordinairement forte, mais la crise urbaine y est particulièrement aiguë, et se traduit par un rétrécissement de l'écart ville-campagne (Jamal et Weeks, 1988 ; Pourtier, 1991), ce que souligne avec force la récente étude des perspectives à long terme en Afrique de lOuest menée sous la direction de J.-M. Cour (Snerch, 1994). Lexode métropolitain semble ne plus être un phénomène marginal et la multi-implantation des unités familiales, réparties sur différents types dorganismes géographiques, devient une modalité dominante des pratiques spatiales africaines (Chaléard et Dubresson, 1989). Autant de tendances qui contribuent à affecter aux petites villes une signification particulière, et lon peut s'interroger avec H. Nicolaï : "Représenteront-elles une forme spécifiquement africaine du développement urbain ? " (1987, p. 485). De plus, suivant D. Requier-Desjardins (1991), Il nous semble que l'Afrique sub-saharienne, qui apparaît comme la grande oubliée du développement, est un terrain privilégié pour faire émerger ce type d'interrogation [La ville est-elle un facteur de développement ?].
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Dans un contexte de crise, les petites villes peuvent apparaître comme des refuges ou des niches pour des citadins sinistrés, mais aussi pour tous ceux qui se penchent sur le développement et qui voient dans ces organismes une panacée en tant qu'établissements humains intermédiaires ancrés dans le local. D'autant que deux des thèmes majeurs des politiques africaines contemporaines - le développement autocentré et la rétention des populations qui aspirent à la vie citadine - passent par le réseau de ces petits organismes urbains. Tout en restant sceptique vis-à-vis de ces idéalisations de la petite ville, nous ne pouvons que souscrire à cet avertissement : "Il y a dans la réhabilitation des petites villes et des villes moyennes, maintenues au contact des campagnes, un espoir qu'il serait dangereux de décevoir" (de Maximy, 1987, p. 371). Pour ne pas courir ce risque il est donc impératif de savoir précisément comment elles fonctionnent et à quoi elles servent !
Une approche d'«écologie urbaine» comparative
Parce que la problématique est de science sociale, parce que l'objet est spatial, parce que le chercheur est géographe : l'espace restera au cur de notre démarche, en tant que support d'un système, en tant que projection au sol de sa réalité sociale, en tant qu'ensemble de formes produites par lui, mais aussi en tant qu'enjeu fondamental pour les acteurs internes et externes qui interviennent sur la scène locale. Cette profession de foi géographique n'exclut évidemment pas l'adoption parallèle d'une démarche anthropologique attentive, tant dans les enquêtes, que dans les entretiens et la collecte de biographies. Le primat est alors accordé aux pratiques, et à leurs transcriptions spatiales, les représentations ne nous intéressant que comme facteurs explicatifs. En fait, cest une approche d«écologie urbaine» qui simpose à nous pour appréhender un milieu complexe.
Nous suivons en cela Rémy et Voye (1992) lorsqu'ils nous entraînent vers une nouvelle définition de la ville : "Ces trois modalités d'intégration de l'espace [aux systèmes social, culturel et de la personnalité] s'articulant entre elles donnent lieu à des effets de milieu et donc d'interdépendance qui n'existent et ne peuvent se comprendre qu'à travers leurs connexions spatiales. Ceci nous amène à affirmer le statut explicatif de l'espace et à récuser l'idée qu'il ne serait qu'une simple projection au sol d'une réalité sociale se constituant en toute indépendance vis-à-vis de lui. Les compositions spatiales sont plus qu'un reflet ou qu'un effet de surface ; elles sont un déterminant dont on ne peut interpréter tout le poids qu'en le saisissant dans ses liens avec les autres dimensions" (p. 168). Ce qui ne nous empêche pas d'adhérer à la mise en garde de M. Roncayolo : "Le dispositif écologique n'est pas un acteur social, même collectif ; ce qui n'implique pas une totale neutralité ; le dispositif intervient comme une matrice et comme enjeu, au moins. Quant à l'institution et la communauté, en faire l'acteur collectif, global, consensuel d'une ville quelque peu «anthropomorphisée» comporte les risques de mal identifier les acteurs réels, leurs rivalités ou leurs divisions" (Roncayolo, 1990, p. 20.)
Parce que les petites villes ouest-africaines sont très variées, tant du point de vue des dynamiques, des fonctions, des héritages, des principes de localisation, que de celui des environnements géographiques et culturels, il convenait d'adopter une démarche comparative, reposant sur des études de cas qui permettent d'intégrer les principales variables. Il était donc impératif de travailler en aire francophone et anglophone, mais aussi de choisir des villes dans différentes zones écologiques, correspondant à des histoires, à des mises en valeur agricole et à des économies totalement différentes. Il a donc fallu aller des espaces pastoraux du Sahel nigérien aux cacaoyères ghanéenne et togolaise, en passant par de petites vallées surpeuplées dans un contexte de désertification, et par le centre dune région de colonisation agricole au cur du Togo. Les situations frontalières, d'étape routière et à la grande périphérie d'une métropole ont également présidé au choix des sept petites villes : Keïta, Tamaské et Torodi au Niger ; Anié et Badou au Togo ; Jasikan et Kadjebi au Ghana. Un écueil n'a cependant pas pu être évité : la relative surreprésentation des positions frontalières au sein de notre échantillon, il s'agit toutefois d'une variable dont il est assez facile d'isoler les conséquences.
Parce quil n'est de systèmes en sciences sociales qu'ouverts, l'objet urbain ne saurait être appréhendé comme une "enclave". La tentation étant bien plus forte lorsque lobjet est petit. Aussi les aspects externes seront nécessairement pris en compte avec les relations villes/campagnes dans une acception large et rénovée. Cest-à-dire pas seulement cantonnée aux études de l'encadrement par les services urbains, de la fonction de collecte et de redistribution des biens, et des flux migratoires ; mais qui prenne en compte la dimension politique (notamment la question des "investissements politiques" des notables en direction de la ville ou au contraire vers la campagne en provenance de son centre, c'est-à-dire la question du contrôle des institutions locales) et la dynamique économique, en s'intéressant à la direction des investissements et à celle des innovations.
Parce que la réalité fonctionnelle des petites villes ne peut être saisie que dans la compréhension des réseaux urbains nationaux et sous-continentaux ; parce que les approches fonctionnalistes et historico-fonctionnalistes ne rendent plus compte de la dynamique contemporaine des armatures urbaines dAfrique noire ; parce que de nouveaux outils sont à notre disposition (base de données harmonisées), il nous est apparu évident de travailler sur la place des petites villes dans les armatures urbaines contemporaines. La compréhension du support fonctionnel du semis des petites villes passe dés lors par une nouvelle interprétation de la dynamique des réseaux urbains dans leur ensemble.
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L'ambition est donc avouée, il s'agit, à partir de cas ouest-africains, d'identifier un éventuel système socio-spatial propre à la petite ville sub-saharienne et de situer sa fonction dans le dispositif spatial des économies contemporaines. Dans un tout autre contexte, la France des années 70, J.-P. Laborie a déjà montré qu"Affirmer l'individualisation des petites villes dans l'articulation à l'espace du mode de production ne revient pas à reconnaître un espace hors des stratégies dominantes ni même avancer que cet espace est le théâtre d'enjeux secondaires. Au contraire, c'est indiquer comment en fonction de l'évolution récente du mode de production, les conditions produites dans un type d'espace peuvent être mises à profit par une nouvelle division spatiale du travail" (Laborie, 1979, p. 8).
Cette volonté dappréhender globalement une réalité urbaine est d'ailleurs encouragée par des maîtres de la discipline : "Deux regards complémentaires restent indispensables, sans qu'ils révèlent pour autant des mécanismes de nature différente : la ville peut être considérée comme un tout, dans ses relations avec le territoire qui l'environne et d'autres villes ; elle se définit comme un point ou un lieu privilégié. La ville révèle aussi, à travers ses paysages, une structure, un aménagement, des divisions internes. Distinction classique. Mais le fondement de la société urbaine, des idéologies qui supportent, justifient ou modèlent la ville, des représentations de ceux qui l'habitent ou la fréquentent ne peut être saisi qu'au-delà de cette coupure, dans l'articulation entre l'intérieur et l'extérieur." (Roncayolo, 1990, p. 34). Par ailleurs, P. George, lorsqu'il appelle à une étude systématique des petites villes (1968) estime que "la classification fonctionnelle est statique et seulement signalétique", il préconise donc en complément trois approches : la première concerne la dynamique propre à chaque situation ; la seconde concerne les formes de l'urbanisation et les équipements ; et la troisième concerne le mode et le niveau de l'existence des populations urbaines (p. 745).
Notre ambition est apparemment démesurée pour une thèse, mais elle est rendue possible par létat actuel de la recherche urbaine sur lAfrique sub-saharienne. De nombreux apports individuels, collectifs et institutionnels sont aujourdhui disponibles sur les processus spatiaux et sociaux dont les villes secondaires sont le champ, sur le rôle et la nature des relations quelles entretiennent avec la campagne et lensemble du système urbain, sur le pouvoir local urbain et les potentialités de gestion urbaine décentralisée. De plus ces apports sont le fait de géographes, de sociologues, de juristes, durbanistes, dhistoriens et déconomistes ; quil sagisse de monographies ou détudes comparatives thématiques, ils séclairent parfois mutuellement. Le travail danalyse bibliographique nest donc pas ici le simple préalable à nos recherches de terrains et à nos analyses ; la masse de travaux systématiquement dépouillés constitue aussi une source importante et abondante, permettant de repérer certains processus ou disoler leur contexte démergence. Pour certains thèmes, les hypothèses et les interprétations sappuiront sur des études réalisées en Afrique centrale (démographie) ou en Afrique orientale et australe (dynamique sociale).
Par ailleurs, la mise à notre disposition dune base de données harmonisées sur les agglomérations ouest-africaines depuis les années 50, constituait une fantastique opportunité pour une analyse dynamique des semis de petites villes et des armatures urbaines. Enfin, le soutien logistique, matériel et scientifique de lOrstom a rendu possible notre projet de travail sur sept terrains différents répartis dans trois pays, qui a nécessité également le soutien bienveillant et ponctuel de lInstitut de Géographie Alpine et du Laboratoire de Géographie et de Sociologie Africaines.
Nous avons donc bénéficié de la conjonction de différentes opportunités, qui constituaient un moment privilégié pour létude des petites villes ouest-africaines.
Deux projets, Deux questions, Deux parties :
Dune part, mesurer et interpréter le développement et la variété du «phénomène petite ville», et dautre part, isoler léventuelle spécificité d'un milieu propre aux petites agglomérations.
Derrière ces deux projets, qui mettent en jeux des échelles différentes, il ny a quun seul objectif, celui de tester la pertinence dune catégorie petite ville, non encore réellement définie, mais qui semble émerger de nombreuses observations.
En fait, deux axes problématiques et la série de questionnements qu'ils engendrent traversent ces deux projets. Outre : Comment se constituent et évoluent les armatures urbaines par le bas ? et Y a t-il une spécificité spatiale et sociale des petites villes ? , se posent les questions suivantes :
Quel est le bilan des relations entre les petites villes et leurs arrière-pays ?
Y a t-il une réelle autonomie des acteurs locaux ?
Lobjectif de départ [lidentification éventuelle dun système et dun milieu] passait donc par des travaux qui se situent à des échelles différentes : échelles sous-continentale et nationale pour les semis et les réseaux, échelle régionale pour les relations villes/campagnes et échelle locale pour le système interne de la petite ville. Aussi est-il apparu évident et logique denchaîner ces analyses successives de la petite à la grande échelle autour de deux grandes parties, lune consacrée à létude des petites villes dans leurs relations externes, et lautre consacrée à la réalité interne de ces organismes. Ceci en posant en permanence les deux questions transversales, et donc sans recourir à des exposés monographiques.
Une définition dimensionnelle de la petite ville, sans a priori
Les petits centres sont souvent qualifiés de pseudo ou de semi-urbains par la recherche qui ne retrouve pas en eux les attributs de lurbanité. Se pose donc la question des critères d'identification d'une catégorie regroupant les centres urbains élémentaires.
Plutôt qu'une définition fonctionnelle des petites villes, qui surreprésenterait les centres administratifs, nous préférons une définition dimensionnelle des agglomérations. La prise en compte du seul critère de la masse de population permet de réunir des centres qui ont trois caractéristiques principales :
- Ils juxtaposent des couches ou classes sociales déjà fortement différenciées, mais les relations entre personnes y gardent un caractère direct.
- Ils constituent le premier niveau authentiquement urbain bien distinct du système villageois, mais le dernier échelon en contact direct avec la campagne et la vie rurale. (d'après Sautter, 1978).
- Ils ont des besoins d'équipements, de planification, d'entretien, de coordination, en deux mots, de gestion urbaine. Ces besoins simposent et sont progressivement reconnus par ladministration et ses services techniques.
Devant la difficulté de définir le seuil fonctionnel ou dimensionnel du passage à l'urbain, différents chercheurs proposent d'ailleurs de retenir directement comme critères de définition, des caractéristiques et des processus liés au fonctionnement interne. Pour Chaléard, Dembele et Dubresson qui s'intéressent en 1990 aux petites villes de Côte-d'Ivoire, il s'agit d'"indicateurs" relevant de la dynamique foncière, immobilière et urbanistique (p.14). M. Santos (1971 a) préfère utiliser des critères socio-économiques pour définir les «villes embryonnaires» du Tiers-Monde. Dans tous les cas, le risque est de substituer un modèle à la définition, et donc d'exclure les cas atypiques et les variations au modèle.
Nous faisons correspondre à cette définition dimensionnelle le seuil inférieur de 5 000 habitants et le seuil supérieur de 20 000 habitants. Le premier a été récemment franchi par une localité de notre échantillon, Torodi. Franchissement qui s'est accompagné de la constitution d'une petite agglomération avec un village suburbain, de l'apparition du travail salarié, d'un plan d'urbanisme et d'une dotation en équipement. A l'inverse, Anié, en s'approchant du seuil supérieur de la catégorie (vraisemblablement franchit en 1992), voit la connaissance directe de tous les habitants souffrir de plus en plus d'exceptions. Dans un autre domaine, la mise en place d'une navette en autocar pour l'acheminement des travailleurs citadins vers le complexe sucrier suburbain est un indicateur du passage progressif dans la catégorie des villes moyennes.
Notre définition est donc plus large que celles de certains instituts statistiques,
L'Institut National de la Statistique et de l'Analyse Économique (INSAE) du Bénin, considère comme ville tout chef-lieu de district "ayant au recensement un effectif de 10 000 habitants ou plus et ayant au moins quatre des infrastructures suivantes : PTT, Perception, Trésor Public, Agence bancaire, adduction d'eau, électricité, Centre de santé, Collège d'Enseignement Secondaire cycle long", soit 23 villes en 1986, alors que les 84 chefs-lieux de district issus de la réforme de l'administration territoriale de 1978, sont considérés par l'administration comme des communes urbaines.
La Direction de la Statistique du Ministère de l'Intérieur Ivoirien dans son exploitation des résultats provisoires du Recensement Général de la Population et de l'Habitat de 1988, considère comme ville : "les agglomérations de plus de 5 000 habitants dont au moins 50 % des chefs de ménage ont une activité non-agricole et non-artisanale". Elle identifie ainsi 68 villes, soit seulement deux de plus qu'en 1975.
ou de certains chercheurs qui combinent dimensions et indicateurs dinfrastructures d'encadrement, ou encore, dimension et part des actifs hors du secteur agricole.
F. Dureau dans son étude sur la Côte-d'Ivoire estime, après avoir observé la distribution des centres de peuplement selon leur taille, qu'est urbaine "toute agglomération de plus de 5 000 habitants équipée d'un marché, de boutiques modernes, d'un centre de santé et d'une maternité" (1987, p. 186).
Yves Marguerat pour le Togo (1985, p. 12) rejette la définition officielle de la ville, qui ne retient que les vingt et un chef-lieu de préfecture, et propose d'utiliser conjointement le seuil minimal de 2 500 habitants agglomérés et de 50 % de la population active hors du secteur primaire. Il identifie ainsi 28 villes, mais doit finalement prendre en compte le centre d'Anié dans ses analyses prospectives (p. 147).
Notre but est d'englober des agglomérations dont la morphologie architecturale et économique n'est à priori pas encore urbaine, mais qui par leur taille et leur dynamique constituent un milieu qui doit être comparé à celui des petites villes de même taille déjà avérées. Le retour à une "définition dimensionnelle primaire" est un préalable à la définition complexe d'une catégorie sans à priori fonctionnaliste.
Nous retenons donc la leçon de P. George concernant l'étude des petites villes françaises : "A priori, aucune exclusive fonctionnelle ne doit être portée. L'existence de la ville est un fait qui s'exprime en surface, en volume bâti, en nombre d'habitants. C'est en second lieu, une réalité sociale, c'est-à-dire un groupement auquel ses habitants ont conscience d'appartenir. La fonction principale, y compris celle de domination rurale et d'exploitation agricole, ou le groupement de fonctions, ne doivent intervenir qu'au niveau de l'élaboration des classifications." Il revendique donc une définition dimensionnelle, "condition fondamentale d'une confrontation utile des observations collationnées à l'échelle universelle", mais il ajoute : "un seuil ou une fourchette statistique ne sauraient suffire à fournir cette «dimension». On proposera, en revanche, un gabarit superficiel et un mode d'existence approprié. La petite ville est le groupement dense d'habitations à l'intérieur duquel tous les déplacements, y compris fonctionnels, se font à pied, dont les limites peuvent être atteintes, d'un point quelconque de la surface bâtie, en moins de vingt minutes de marche, et où le recours aux transports publics ne concerne que les relations avec l'extérieur." (1968, p. 745).
C'est en fait la seule définition de base qui permette de poser la question suivante : Pourquoi dans le contexte ouest-africain contemporain des hommes et des femmes se groupent-ils ou restent-ils groupés dans de petites agglomérations ?
Livre premier : Le phénomène petite ville en expansion à travers l'Afrique de l'ouest
I. Des familles et des générations de petites villes
Introduction : Les recensements et leurs traitements statistiques et cartographiques
Sources et méthodes
Cette étude repose sur l'exploitation exhaustive de toutes les données disponibles et exploitables sur le nombre d'habitants des localités des pays d'Afrique de l'ouest, collectées rassemblées et harmonisées pour la base de données GEOPOLIS. Excepté pour le Ghana, où des recensements ont été effectués régulièrement depuis le début du siècle, la première vague de véritables recensements modernes dans cette région ne date que des années 1970. Une seconde série de recensements a été effectuée entre 1984 et 1988, sauf au Togo. Les données antérieures à 1970 sont approximatives, mais cependant suffisantes pour connaître la population des localités de 5 000 habitants ou plus, qui étaient à l'époque peu nombreuses en dehors du Ghana.
Les localités correspondent à des agglomérations physiques. Lorsqu'il est possible de distinguer la population agglomérée de la population totale de la localité, c'est seulement la première qui a été retenue. C'est le cas pour la Côte-d'Ivoire, le Niger, le Mali et le Liberia ; partiellement pour le Togo, le Ghana et la Mauritanie ; mais pas pour le Burkina Faso.
Lorsque le bâti s'étend de manière continue sur plusieurs localités, celles-ci sont réunies statistiquement en une seule agglomération. Ainsi, au Togo, l'agglomération d'Atakpamé englobe la ville centre et les deux bourgs suburbains de Hihéatro et Agbonou. Au sein de notre échantillon, Torodi est une petite ville nigérienne à laquelle est agglomérée le village suburbain de Pingona. A l'inverse, quelques localités n'apparaissent pas dans les statistiques, alors qu'avec l'apport d'un village coalescent, elles constitueraient des agglomérations de la taille d'une petite ville. Ce type d'agglomérations est assez rare et quelques unes ont été prises en compte lorsque la connaissance du terrain a permis de les identifier, c'est le cas du bourg de Tomégbé, voisin de Badou, qui dépassa les 5 000 habitants en 1970 avec la localité agglomérée d'Akloa.
Par ailleurs, la prise en compte des agglomérations effectives fait disparaître certaines localités passant pour des "petites villes" en raison de leur nombre d'habitants. Deux cas de figure se présentent. Le premier est le plus rare, il s'agit de la constitution de conurbation. Le second cas de figure est le plus fréquent, il s'agit de l'extension d'une grande ville par englobement de centres périurbains qui constituent alors sa banlieue.
Les cas de conurbation affectant des petites villes sont donc peu nombreux, cependant au sein de notre échantillon une telle agglomération est en voie de constitution réunissant la petite ville ghanéenne de Jasikan et le bourg d'Okadjakrom. D'autres exemples nous sont donnés autour d'un complexe minier ghanéen (Tarkwa-Abosso) ou, entre Lomé et Kpalimé, avec deux petites localités (Kévé et Assahoun) qui sont désormais coalescentes et méritent d'être regroupées pour ne constituer quune agglomération assimilable à une petite ville. Pour les cas d'englobement dans le tissu métropolitain, citons à titre d'exemple : Lamordé aux portes de Niamey, ou le port ghanéen de Téma, happé dès 1960 par la capitale Accra.
Afin de rendre les chiffres comparables, le nombre d'habitants de toutes les localités a été interpolé sur la base du taux de variation annuel moyen observé entre deux recensements, pour les années multiples de 5 (1955, 1960, etc.). En l'absence de données suffisantes, certains chiffres ont été extrapolés ou rétropolés, à condition que la période séparant cette estimation du recensement ne dépasse pas deux années. On ne connaît donc pas le nombre d'habitants des localités du Togo en 1955 et 1985, du Liberia en 1955 et de la Mauritanie en 1985.
L'état des sources disponibles est résumé dans le tableau ci-dessous. Les chiffres indiquent l'année des recensements de la population. Les dates en gras renvoient à des données utilisables : recensements (r) ou estimations officielles (e) et non officielles (n), enquêtes démographiques (d), recensements administratifs (a). Les dates en italique renvoient à des données inutilisables car introuvables ou pas encore disponibles au moment de létude.
Données disponibles et couverture de l'Afrique de l'ouest
État date des recensements
1) Les États pris systématiquement en compte
Mauritanie 1955(a) 1961(p) 1976(r) 1988(r)
Mali 1955(a) 1966(n) 1976(r) 1987(r)
Niger 1956(a) 1962(a) 1977(r) 1988(r)
Burkina Faso 1955(a) 1961(d) 1975(r) 1985(r)
Togo 1959(r) 1970(r) 1981(r)
Ghana 1948(r) 1960(r) 1970(r) 1984(r)
Côte-d'Ivoire 1955(a) 1965(r) 1975(r) 1988(r)
Liberia 1956(e) 1962(r) 1974(r) 1984(r)
2) Les États partiellement pris en compte
Gambie 1951(r) 1963(r) 1973(r) 1983(r)
Guinée Bissau 1950(r) 1960(r) 1970 et 79(r) 1991(r)
Cap-Vert 1950(r) 1960(r) 1970 et 80(r) 1990(r)
Bénin 1955(a) 1961(d) 1979(r) 1992(r)
3) Les États non pris en compte
Sierra-Leone 1947(e) 1963(r) 1974(r) 1985(r)
Nigeria 1952(r) 1963(r) 1973(annulé) 1991(r)
Sénégal 1955(e) 1964(e) 1976(r) 1988(r)
Guinée 1958(a) 1967 e) 1972(r) 1983 r)
Tab. 1
Pour l'étude cartographique et dynamique qui nécessitait des données homogènes sur une longue période, seuls huit pays qui offrent des bornes censitaires suffisamment éloignées ont été retenus. Cinq (Niger, Côte-d'Ivoire, Ghana, Mali, Burkina Faso) ont fait l'objet d'une couverture de 1955 à 1985, deux autres de 60 à 80 (Liberia, Togo) et le dernier (Mauritanie) de 1955 à 1975. Trois petits pays (Gambie, Guinée Bissau et Cap Vert) n'ont pas été retenus dans la cartographie compte tenu de l'inexistence d'une véritable armature urbaine nationale et de leur position relative au Sénégal (enclave ou bordure), pour lequel nous ne disposons pas de données.
Un état des lieux en 1980 permet par contre de disposer de 9 pays, en admettant que la seule série complète pour le Bénin (recensement de 1979) soit assimilable à cette date, et sans prendre en compte les nouveaux centres apparus en Mauritanie depuis 1976.
Les études statistiques dynamiques, et notamment l'étude des cohortes de petites villes, prennent en compte le plus grand nombre de pays possible (jusqu'à 10) selon la date initiale retenue.
Le Nigeria a été exclu de l'étude pour différentes raisons : manque de fiabilité des données statistiques et notamment urbaines ; spécificité de l'armature urbaine (réseau précolonial, taille des métropoles, fonctionnement administratif de type fédéral) ; poids écrasant dans le sous-continent qui efface statistiquement les autres dynamiques urbaines ; et enfin impossibilité matérielle de se livrer à ce travail démesuré dans le cadre de cette étude.
Le Sénégal, le Sierra-Leone et la Guinée n'ont pu être intégrés dans l'étude car les données disponibles à différentes dates ne prennent en compte que les définitions officielles restrictives. Au Sénégal par exemple, les statistiques n'isolent que les "communes", donc les seules héritières de l'armature urbaine coloniale. Une étude générale réalisée sur l'ensemble des petites villes du pays (Mainet, 1988 et 1991), ainsi qu'une étude régionale (Kane, 1989) permettent seulement d'évaluer leur poids global dans la population urbaine à un moment donné.
Le biais statistique
Une sous représentation des petites villes dans nombre d'études est introduite par la non prise en compte de nombreux centres secondaires qui ne relèvent pas de la définition officielle (qui ne prend en compte que le réseau des centres administratifs pour 8 des 12 pays étudiés), et donc dans la catégorie urbaine des documents statistiques.
Ainsi Guingnido Gaye (1992) critique la définition officielle béninoise en rappelant "qu'il n'est pas rare de trouver des communes rurales qui présentent un caractère urbain plus prononcé que le chef-lieu de district", mais il se range finalement à la définition plus restrictive encore de l'INSAE. Ces problèmes de définition poussent d'ailleurs Chaléard, Dembele et Dubresson (1990) à s'interroger : Villes, villages et recensement de Côte-d'Ivoire ; Qui est fou ? Ils montrent comment différentes définitions peuvent aboutir à des analyses opposées de l'évolution du semis urbain de la part de deux grandes administrations, celle ayant en charge les Statistiques (Direction de la Statistique) et celle ayant en charge les Grands travaux et l'aménagement urbain, (Direction et Contrôle des Grands Travaux). La première combine critère de taille (5 000 hab.) et de non ruralité (50% d'actifs hors du secteur primaire au minimum), la seconde ne retient que le critère administratif et englobe tous les chefs-lieux de sous-préfecture et les communes avec leur population non agglomérée. Notons qu'au sein de cette administration les urbanistes se distinguent des aménageurs en ne retenant comme critère que le seuil minimal de 4 000 habitants réellement agglomérés. Le résultat est que les statisticiens enregistrent une part de la population urbanisée dans le pays inférieure à 40 %, le nombre de villes n'ayant quasiment pas augmenté depuis 1975, alors que les aménageurs et les urbanistes observent une très forte croissance du nombre de petites villes qui participe à tirer l'ensemble de la population urbaine au dessus de la barre des 40 %. Par contre, les critères retenus font que pour les planificateurs le semis de petites villes n'est que le strict reflet de l'encadrement régulier du territoire administratif dans sa maille la plus fine, alors que le semis des urbanistes laisse apparaître des aires d'émergence de nouvelles agglomérations opposées à des aires sans dynamisme urbain de base (centre et nord-est).
En fait, ce problème de définition et de sources se pose dans la plupart des États africains (Preston S.H., 1988 cité par P.O. Pedersen, 1990). Rappelons qu'au Sénégal, Touba (40 000 hab. au minimum en 1988), la très importante cité de la confrérie mouride, n'est pas officiellement comptabilisée dans les centres urbains, de même qu'à une échelle plus modeste, le centre d'Anié au Togo avec ses 20 000 hab. n'est toujours pas considéré comme une ville dans les documents statistiques et scientifiques (Marguerat, 1985).
Outre ce problème général de définitions et de catégories statistiques, certaines approximations et inexactitudes sont liées à la globalisation des données dans certains recensements et à leur amélioration progressive. Le problème se pose pour les localités dont la population non agglomérée représente une part significative du total. Ce sont donc surtout des petites villes de régions d'habitat dispersé, et notamment des centres comme Badou, pour lesquels une dispersion secondaire de l'habitat s'est effectuée à partir de quelques villages en accompagnant un front pionnier. Les chiffres de population enregistrés dans la base de données peuvent d'abord correspondre à la totalité de la population de la localité, puis correspondre à la seule population agglomérée, les taux de croissance calculés ne reflètent donc pas la réalité. Ces approximations dans les données et les estimations disparaissent à partir de la date du premier recensement où il est possible d'isoler les agglomérations (1970 pour le Togo). Jusque-là, les chiffres de population sont surestimés et les taux de croissance sous-estimés. Cela doit être pris en compte dans l'analyse, ce qui n'est pas toujours le cas.
A. Loin du centre, l'émergence de nouveaux milieux urbains
"Obligatoirement, à une certaine distance des grands centres, surgit la petite ville"
Fernand Braudel,
Civilisation matérielle, économie et capitalisme :
Les structures du quotidien.
1- Le poids croissant du groupe des petites villes
a) Une vague d'émergence de petites villes
Sur lensemble de lAfrique de louest, un constat simpose : les petites villes de 5 000 à 20 000 habitants prolifèrent. Entre 1960 et 1980, pour dix pays (Burkina Faso, Côte-dIvoire, Ghana, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Togo, Guinée Bissau, Gambie), qui illustrent la variété des milieux et des histoires régionales, leur nombre est passé de moins de 200 (182) à près de 500 (470), tandis que 54 étaient promues dans les catégories supérieures. Ce sont donc 342 nouvelles petites villes qui ont émergé durant cette période. Elles regroupent une proportion sans cesse croissante de la population : les citadins de petites villes passent en vingt ans de près de 1,5 à environ 4 millions d'individus, leur part dans lensemble de la population passant de 5,8 à 8,6 %.
Fig. 1
Malgré le fait que des petites villes quittent régulièrement leur catégorie pour nourrir celles des villes plus grandes, leur part dans lensemble de la population urbaine régresse de plus en plus lentement (passant de 45 % à 36 % entre 60 et 70, puis à 34% en 1980). De plus elles assurent le renouvellement urbain par le bas, par intégration de nouveaux centres.
Fig. 2
Phénomène remarquable : l'accélération de la croissance des petites villes dans un contexte de légère régression de la croissance urbaine (qui passe d'une moyenne annuelle de 6,9 % à 6,4 %), et tandis que celle des villes moyennes, grandes et primatiales tend à diminuer.
En effet, durant la décennie 60, la population des petites villes croît au rythme annuel de 4,3 %, alors que la catégorie des villes moyennes et grandes est gonflée par l'émergence de nombreux centres qui amènent un taux de croissance annuel très élevé de 9,5 %. Les 8 % de la catégorie des villes primatiales sont tout aussi remarquables, dans la mesure où ils ne reposent que sur les dix nouvelles capitales nationales, qui se développent alors en tant que métropoles.
La décennie 70 voit la forte croissance des 10 capitales ralentir légèrement en perdant un peu plus de 1 % sur le taux de croissance annuel moyen. Dans le même temps, on observe un net ralentissement de la croissance de la catégorie des villes moyennes et grandes, déjà bien dotée en nombre d'agglomérations (40) et moins prompte à accueillir de nouvelles localités (pour arriver à 68 villes en 1980, leur nombre a cru au rythme de 5,4 % par an, contre plus de 11 % sur la décennie précédente, où leur nombre était passé de 14 à 40).
En revanche, le dynamisme de la catégorie des petites villes s'accroît avec un quasi doublement de ses effectifs, qui passent de 269 unités à 471, alors qu'ils étaient de 182 en 1960 (Fig. 3). Cela se traduit par un accroissement annuel moyen du nombre de localités en augmentation (5,8 %). Accroissement moyen qui dépasse dorénavant celui des villes moyennes et grandes. Cela se traduit également par l'augmentation de la part des petites villes dans le nombre total d'agglomérations (de 84 à 86 %), alors que cette part avait régressé durant la décennie précédente (de 88 à 84 %).
Fig. 3
C'est donc une vague d'émergence de petites villes qui explique l'accélération de la croissance de leur catégorie, qui, rappelons-le, subit l'évasion des plus dynamiques. En effet, en rythme annuel moyen, le croît passe, dune décennie à lautre, d'un peu plus de 4 % à près de 6 %.
Évidemment ces tendances gomment des réalités nationales contrastées. Ainsi, la régression de la croissance urbaine durant la décennie 70 ne semble toucher que certains pays côtiers dont les rythmes sétablissent pourtant à des niveaux très différents : Ghana, Côte-d'Ivoire et Togo ; tandis que la plupart des pays soudano-sahéliens voit leur croissance augmenter. Mais les clivages ne respectent pas tous cette césure écologique et économique. En effet, le phénomène, conforme à la décennie précédente mais inverse à la tendance générale, d'accélération de la croissance des villes moyennes, affecte aussi bien le Mali et la Mauritanie, que le Togo et le Liberia. Par contre, le Burkina Faso, la Côte-d'Ivoire et le Ghana présentent une catégorie "petite ville" plus dynamique que les autres, dans des contextes de ralentissement de la croissance urbaine pour les deux derniers, ou au contraire d'expansion pour le premier.
Enfin, précisons que le poids réel des citadins de petites villes dans l'ensemble de la population est variable d'un pays à l'autre : il dépend à la fois de l'ancienneté et de l'ampleur du fait urbain, mais aussi de la taille du pays. Il sera faible, mais en augmentation rapide si l'urbanisation est encore marginale (Niger : 3 ; 2 et 4 % en 1960, 1970 et 1980 ; Burkina Faso : 1 ; 2 et 9 % ; Mali : 3 ; 3 et 6 %), et il sera fort si l'urbanisation est ancienne, généralisée et répartie sur une armature hiérarchisée (Ghana : 12 ; 10 et 12 %), ou au contraire si l'urbanisation est récente dans un petit pays où tous les centres secondaires sont encore petits (Togo : 8 ; 19 et 17 % ; Liberia : 5 ; 9 et 9 %), enfin, il sera moyen si une armature de villes secondaires est en cours de constitution dans un contexte de forte croissance urbaine (Côte-d'Ivoire : 6 ; 6 et 7 %).
b) Des tendances confirmées par les évolutions contemporaines
Les lacunes et les disparités dans les données disponibles récentes concernant un grand nombre de pays d'Afrique de l'ouest ne permettent pas une harmonisation au-delà de 1980. La seule possibilité d'évaluation des tendances postérieures à cette date réside dans l'observation des évolutions nationales des pays qui ont réalisé et communiqué une série de recensements dont le dernier date au moins de la fin des années 80. En Afrique de l'ouest, hors Nigeria, cinq pays sont dans ce cas, le Mali (recensements en 1966 ; 76 et 87), la Côte-d'Ivoire (65 ; 75 et 88), le Niger (62 ; 77 et 88) et le Sénégal (64 ; 76 et 88).
Partout la croissance urbaine diminue (de 6 à 5,1 % d'un recensement à l'autre au Sénégal ; de 8,6 % à 7,4 % au Niger ; de 10,1 à 6,1 % en Côte-d'Ivoire ; de 10,3 à 4,5 % au Mali). Partout, celle de la capitale diminue également, pour s'établir à un niveau inférieur à celui de la croissance urbaine (de 6 à 4,2 % au Sénégal ; de 11,5 à 5,2 % au Niger ; de 10,8 à 5,6 % en Côte-d'Ivoire ; de 10,5 à 4,2 % au Mali), qui repose donc majoritairement sur les villes secondaires.
La tendance générale des années 70 est donc confirmée. Cependant, si le groupe des petites villes s'est incontestablement renforcé en nombre (de 40 à 84 unités au Sénégal ; de 25 à 52 au Niger ; de 56 à 111 en Côte-d'Ivoire et de 44 à 69 au Mali), il souffre de la constitution d'une armature de villes moyennes à partir de la base qu'il constitue. C'est particulièrement le cas pour les quelques pays ici considérés, ainsi, le Niger, la Côte-d'Ivoire et le Mali, voient le taux de croissance annuel moyen de leur catégorie "petite ville" durant leur dernière période inter-censitaire s'établir respectivement à 7 %, 4,5 % et 1,9 %, soit à des taux inférieurs à ceux de la période précédente et à celui de la croissance urbaine globale, sauf pour le Niger. Gageons que ce phénomène s'estompera dans les années 90, avec la poursuite du gonflement du groupe des petites villes et l'accès beaucoup plus sélectif au groupe déjà fourni des villes moyennes. Ce qui se passe déjà depuis la fin des années 70, pour des pays plus urbanisés comme le Ghana, et vraisemblablement le Sénégal (Mainet, 1988 et 1991).
D'autres parties du continent offrent d'ailleurs des évolutions de ce type. Dès 1988, une étude sur Le développement des villes en Ouganda de 1970 à 1980 portait en sous titre : Changement politique, déclin d'une capitale nationale et expansion des petites villes (Mugabi, 1988). En Tanzanie (Holm, 1992, p. 240), sur 10 ans, du recensement de 1978 à celui de 1988, la croissance moyenne de la capitale, Dar es Salam, est de 4,7 %, tandis que celle des "villes intermédiaires" est de 6,4 % pour les plus petites (de 5 à 10 000 hab.), et de 7 % pour les plus grandes (10 à 35 000 hab.), les cinq chefs-lieux de région (35 à 175 000 hab.) croissent pour leur part au rythme annuel de 5,6 %.
2- Les rythmes de croissance des petites villes
a) Une tendance derrière des trajectoires urbaines variées
Des dynamiques contrastées
Un premier constat s'impose : les petites villes connaissent une vaste gamme d'évolution, de la régression à la traversée fulgurante de la catégorie, en passant par la stagnation ou la croissance lente, régulière ou graduelle, on observe même des cas pour lesquels alternent phases de régression et de croissance.
Pour les cas de régression, outre les spectaculaires disparitions de camps sur les plantations libériennes et quelques cas de villes minières "fantômes" comme Bibiani au Ghana, le Mali et le Burkina Faso offrent quelques exemples, citons Tenenkan sur le Moyen-Niger ou Villy Sandogo dans la province burkinabé de Boulkiemde. Ces deux pays offrent également le plus grand nombre de cas de stagnation, citons : Sabou, Bogandé, Imasgo, Kolologho, Tenkodogo et Koupéla pour le Burkina Faso, et Macina et Niafunké au Mali. Mais les pays côtiers fournissent aussi quelques cas de régression (Rubino en Côte-d'Ivoire) et de nombreux cas de stagnation, notamment au Ghana.
A l'inverse, les traversées fulgurantes de la catégorie, relèvent de quelques cas particuliers, comme la nouvelle capitale ivoirienne Yamoussoukro ou mauritanienne Nouakchott, ou encore comme les cités minières d'Arlit au Niger et de Camp IV au Liberia et le terminal minier mauritanien de Nouadhibou (Tireka, 1986). Mais si ces itinéraires sont exceptionnels, les fortes croissances qui permettent à des petites villes de se hisser rapidement dans la catégorie des villes moyennes sont nombreuses, citons par exemple Banfora (Ouattara, 1981 ; Hartog, 1983 ; Ganne, 1988 ; Goislard, 1991) et Ouahigouya (Ganne, 1986, 87 et 88) au Burkina Faso, Abengourou et Soubré en Côte-d'Ivoire et Koutiala (Bertrand, 1990) au Mali.
Les cas de croissance lente ou moyenne mais régulière sont également légion et peuvent être illustrés par Rosso et Atar (d'Hont, 1986 ; Kamara et alii, 1988) en Mauritanie, Koulikoro et Bougouni (Bertrand, 1990) au Mali, Odienné (Cotten, 1969), Ferkessedougou, Dabou ou Bouna (Boutillier, 1993) en Côte-d'Ivoire (Dureau, 1987, p. 242-243), et Fada N'Gourma (Ganne, 1988, 89 et 91) et Tenkodogo au Burkina Faso.
Pour les cas d'évolutions irrégulières, Dire et Goudam au Mali se "réveillent" vers 1965, après être restées au stade élémentaire de l'urbain. Bingerville en Côte-d'Ivoire se met à croître vers 1975, après avoir stagné au cur de la catégorie petite ville. Une telle évolution a également marqué la cité ghanéenne de Nsawam, centre de collecte du cacao, elle végétait dans les années 30 et 40, avant d'être emportée par la dynamique métropolitaine voisine au cours de la décennie suivante, puis de connaître à nouveau une stagnation relative de ses effectifs au stade de ville moyenne. Bandiagara en pays dogon connaît quand à elle, une décroissance de ses effectifs depuis 1975, faisant suite à une lente ascension parmi les petites villes. Enfin la cité mauritanienne de Tidjikja (d'Hont, 1986) a connu un parcours heurté à un niveau urbain élémentaire. Deuxième ville du territoire mauritanien en 1955 avec 6 000 hab., elle a d'abord régressé, avant de connaître une très légère croissance depuis les années 60, dans le même temps, elle a rétrogradé à la dixième place de l'armature urbaine nationale naissante.
Des cohortes de petites villes de plus en plus stables
Par-delà ces constats empiriques, il faut maintenant s'interroger sur le poids relatif des différentes modalités d'évolution. Pour cela, livrons-nous à l'observation du devenir de l'ensemble des cohortes de petites villes à cinq années d'intervalle, par le biais de matrices de transition.
Celles-ci se présentent sous la forme de tableaux sur lesquels la première ligne correspond au nombre de petites villes à une date donnée et les lignes suivantes correspondent à la distribution ultérieure des villes du groupe initial. Il est donc possible de suivre de cinq ans en cinq ans le devenir de tout le groupe de villes qui appartenait à la même catégorie à une date donnée.
Exemple : Sur les 94 petites villes que comptaient huit pays ouest-africains en 1955 (Tab.2b), 50 sont restées petites trente ans après, et 44 sont devenues des villes moyennes, dont 5 dépassent les 80 000 hab. Les 94 petites villes de 1955 étaient constituées de 76 localités de moins de 10 000 hab. et de 18 localités entre 10 et 20 000 hab. (Tab 2a) Parmi ces dernières, seules deux sont toujours dans la même catégorie en 1985.
Ainsi, ce sont cinq générations successives de petites villes (celle de 1955 ; 60 ; 65 ; 70 et 75) que nous pouvons suivre jusquen 1985.
Tab. 2a et 2b : Le devenir des petites villes de 1955
Tab. 3a et b : Le devenir des petites villes de 1965
Tab. 4 a et b : Le devenir des petites villes de 1975
Une réalité concerne la dynamique de l'ensemble des cohortes de petits centres urbains, il s'agit de la propension des deux tiers d'entre eux à rester dans cette catégorie de taille plus de vingt ans (Tab. 2b, 3b, 4b).
On peut donc parler du caractère généralement stable des petites villes, dont la plupart n'ont qu'un dynamisme fort restreint. En effet, les villes de plus de 40 000 hab. issues depuis moins de vingt ans du groupe des petites villes sont assez rares : 9 cas, soit 10 %, issus de la classe 1955 ; 10 cas (5 %) de 1960, et encore 10 cas (4 %) pour 1965.
La stagnation ou le manque de dynamisme démographique affecte davantage le groupe le plus fourni, celui des toutes petites villes (5 à 10 000 hab.). Au bout de 10 ans, 61; 66; 67; 74 et 72 % des villes de moins de 10 000 hab. des cohortes successives (1955; 60; 65; 70 et 75), n'ont pas franchi ce seuil ; au bout de vingt ans, et pour les trois premières cohortes, ce sont encore 34; 47 et 48 % des effectifs qui sont dans ce cas. Par contre, dans le groupe des villes de 10 à 20 000 hab., et pour les mêmes périodes, on enregistre des taux de stagnation à 10 ans de 50; 37; 52; 64 et 59 %, et à 20 ans de 22; 32 et 31 %, (pour lanalyse par sous-catégorie de petites villes, voir les parties «a» des tableaux ci dessus).
Remarquons que les générations successives de petites villes sont de plus en plus nombreuses, mais aussi de plus en plus stables, c'est-à-dire de moins en moins fécondes en villes moyennes et grandes. Cependant cette évolution constante est très peu rapide, elle n'est d'ailleurs pas avérée en valeurs absolues, puisque ce sont toujours plus de petites agglomérations qui deviennent des villes moyennes. De plus la stabilité était déjà la caractéristique de la majorité des petites villes de 1955, dont plus de la moitié l'était encore trente ans après.
On peut donc affirmer que depuis la fin des années 50, la catégorie petite ville fonctionne comme un piège et un filtre à petites agglomérations, attirant de plus en plus de localités, pour n'en laisser échapper que peu dans les niveaux supérieurs de la hiérarchie urbaine.
b) Les cités déchues
Parmi les figures de petites villes stagnantes, on trouve d'anciennes cités qui ont occupé des positions importantes dans les armatures urbaines coloniales ou précoloniales. Celles-ci sont de plusieurs types, et il convient de s'interroger sur la part réelle qu'elles prennent dans le phénomène de stagnation relative qui affecte un grand nombre de centres de la catégorie.
Les "ports"
Ce type de "cités déchues" est le plus représenté dans la catégorie : des ports commerciaux, premiers points d'ancrage des intérêts économiques et politiques européens (quelques exemples d'ouest en est sur le golfe de Guinée : Grand Lahou, El Mina, Keta, Aného, Grand Popo ), voisinent avec certains ports d'un autre rivage, celui du Sahel (Say au Niger, Dia et Djenné dans le Macina malien), ainsi qu'avec quelques cités précoloniales secondaires (Notsé capitale historique du pays éwé togolais ou Bouna, Odienné, Salaga, Yendi, Bassar, Sansané-Mango : étapes caravanières et commerciales entre la côte et les «ports» sahéliens).
Les centres évoqués ont tous la particularité de se maintenir dans la catégorie des petites villes par une stagnation relative de leurs effectifs. C'est Keta, dont le site, sujet à l'érosion littorale, se réduit depuis le début du siècle, qui offre le cas de stagnation le plus évident. Sa population fluctue entre 11 000 et 17 000 hab. au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, après avoir atteint les 10 000 en 1921. Dia et Djenné passent de 5 000 hab. au début du siècle (Gallais, 1984, p. 147) à respectivement 5 200 et 12 200 en 1987. Aného atteint juste les 15 000 hab. en 1981, après avoir été la première capitale togolaise à la fin du siècle dernier (de 1887 à 1897), tandis que Notsé forte de 10 000 hab. la suit de peu dans l'armature urbaine togolaise. El Mina et Bassar se hissent péniblement dans la catégorie des agglomérations de plus de 15 000 hab. en 1984 et 1981, alors que Bouna et Sansané-Mango se situent un peu en-dessous de ce seuil, respectivement en 1988 et 1981. Say et Salaga, avec respectivement un peu plus de 6 000 résidants en 1987 et environ 10 000 en 1984, retrouvent une taille urbaine après presque un siècle d'éclipse. Grand Lahou est sur le point de faire de même avec ses presque 5 000 hab. en 1988, seuil juste franchi par Grand Popo en 1979. C'est parmi les cités commerçantes précoloniales de la savane ivoirienne, ghanéenne et béninoise (Fig. 11) que des cas de légère promotion contemporaine apparaissent, qu'il s'agisse de Odienné, de Yendi ou de Djougou qui dépassent les 20 000 habitants au cours des années 80.
Les centres de traite et d'encadrement administratif coloniaux
Les centres choisis comme relais par l'administration coloniale et l'économie de traite ont incontestablement subi une banalisation de leurs fonctions d'encadrement et de collecte. Le devenir des premières capitales coloniales recensées par Y. Marguerat (1991, p. 401-402) pourrait laisser penser que la destinée de petite ville est majoritaire parmi les places coloniales. En effet, 25 des 41 anciennes capitales du continent noir végètent dans la catégorie des petites villes voire des bourgs, mais l'auteur précise qu'il s'agit alors de capitales éphémères retombées dans l'anonymat dès la période coloniale.
Plus généralement, il faut rappeler avec G. Sautter (1981) que si les centres coloniaux ont pu constituer un réseau hiérarchisé, "les deux niveaux (trois dans les plus vastes États) n'étaient représentés que par les centres dont les plus importants avaient au plus la taille de petites villes, tandis que les plus modestes étaient loin de mériter ce nom" (p. 412). La comparaison de la carte des nombreux comptoirs et factoreries de Côte-d'Ivoire en 1930 (Fig. 4), avec celle de la très chétive armature urbaine de l'époque (Fig. 40, Dureau, 1987) est à ce titre éloquente.
Fig. 4
(Dureau, 1987)
Les villes coloniales sont-elles alors si nombreuses à stagner dans la catégorie des petites villes ?
En fait non, la plupart des villes coloniales sont aujourd'hui des villes importantes, même si leur position régresse dans l'armature urbaine. Citons le cas de Kaédi (Koïta, 1989), première ville mauritanienne en 1955 avec moins de 10 000 hab., qui dégringole à la troisième place de la hiérarchie urbaine en trente ans, alors que sa population, gonflée par la sédentarisation de nombreux nomades, a été multipliée par quatre !
Par contre, des points d'ancrage secondaires de l'administration coloniale et par conséquent du commerce de traite et des missions, accèdent depuis deux ou trois décennies à une taille urbaine élémentaire.
Prenons l'exemple sénégalais : nombre d'«escales» fluviales ou ferroviaires figurent actuellement dans la catégorie des petites villes (Galaup, 1991). Certaines doivent cette position dans l'armature urbaine à la très faible progression de leurs effectifs, comme Mékhé ou Bambey dont les populations passent respectivement de 5 600 et 6 200 hab. en 1955 à 12 200 et 17 000 hab. en 1988, d'autres la doivent à un passage récent dans la catégorie, puis à la relative stagnation de leurs effectifs, citons Matam, Linguère et Podor dont les populations se situaient entre 1 500 et 3 500 hab. en 1955 pour avoisiner les 10 000 en 1988, après avoir franchi le seuil des 5 000 dans les années 60. Podor, ancienne petite escale fluviale légèrement à l'écart de la route principale, est d'ailleurs la plus stagnante des petites villes précitées, puisque ses effectifs sont quasiment stables d'un recensement à l'autre (1976 et 1988), aux alentours de 7 000 hab. Cette évolution contraste avec celle de deux centres voisins (Kane, 1989), une autre «escale», Dagana, et un centre agro-industriel récent qui lui est périphérique, Richard Toll (Le Roy, 1991). Ce dernier est actuellement une ville moyenne (30 000 hab. en 1988), tandis que Dagana connaît une croissance lente, qui lui permet de figurer encore dans la catégorie des petites villes, avec 16 000 hab. en 1988. Notons que toutes les localités évoquées correspondent à des centres commerciaux et administratifs élémentaires dans le dispositif colonial, la quasi-totalité des «escales», considérées comme des villes avant 1960, a rejoint les catégories des villes moyennes ou grandes, malgré la perte ou la banalisation de leurs fonctions originelles.
c) Le déterminisme administratif en recul
Longtemps, le fait administratif est apparu comme déterminant dans la genèse de la ville ouest-africaine et dans sa dynamique ultérieure. Les fonctions commerciales, dans le cadre de l'économie de traite, et les fonctions sociales, scolaires et sanitaires se sont greffées sur le dispositif lâche de quadrillage du territoire de l'administration coloniale. Ceci est particulièrement vrai pour l'empire colonial français, alors que les colonies britanniques étaient organisées selon un schéma beaucoup plus diffus, mais il est vrai, sur un substrat urbain plus développé, tant au Ghana qu'au Nigeria.
Le statut administratif au cur de l'urbanité, est une réalité qui s'est maintenue au delà de la première décennie postcoloniale, avec un double mouvement, celui de l'extraordinaire promotion des capitales nationales et celui de la diffusion de l'encadrement administratif. Cette diffusion de l'encadrement administratif, s'accompagne pour les centres élus d'une dotation en équipements et en infrastructures (qui sont autant de formes urbaines) et de l'arrivée d'un groupe de fonctionnaires que la théorie économique traduit en emplois de base. La masse salariale issue de la fonction publique peut y avoir un poids économique déterminant.
Durant cette phase, les promotions administratives ne font pas que s'abattre sur quelques bourgs et chefs-lieux de canton, elles viennent parfois à la rencontre d'un dynamisme démographique et/ou économique devenu évident. Il est alors beaucoup plus difficile d'identifier le poids réel de l'administration dans la genèse urbaine. Même les centres sans statut particulier, s'ils croissent de manière importante, accueillent quelques services scolaires, sanitaires et policiers et voient donc leur croissance soutenue par un apport de fonctionnaires.
Constatant la croissance de nombreux centres du delta intérieur du Niger durant les décennies 60 et 70, J. Gallais lie ce phénomène au "développement considérable, excessif de la fonction publique depuis vingt années en Afrique occidentale et dont on trouverait difficilement des exemples comparables" (1983, p. 220). Selon lui, et pour le Mali, chaque fonctionnaire agrège 20 à 30 personnes, parents ou dépendants économiques. La fonction de chef-lieu d'arrondissement -Konna et Sofara étudié par O.M. Ba (1981) par exemple- avec ses 30 à 50 fonctionnaires correspond donc à un croît de 500 à 1 000 habitants ; celle d'un modeste chef lieu de cercle (Ténenkou et Djenné) à un croît de 2 000 à 3 000 habitants. "Tout se passe comme si chacun des niveaux administratifs conférait à la bourgade ou à la petite ville choisie un apport de population relativement fixe" (p. 220).
Cette tentative, pour intéressante qu'elle soit, est hasardeuse dans la mesure où tous les fonctionnaires n'ont pas tous la même capacité à engendrer des emplois domestiques par opposition aux emplois de base qu'ils occupent. Les fonctionnaires qui dirigent les antennes de base de l'administration et des services publics ont bien évidemment des revenus moins importants et donc une capacité d'achat, d'investissement, d'emploi et d'épargne inférieure à celle de leurs collègues mieux placés dans la hiérarchie. Par ailleurs, si un centre offre un accès aisé aux services publics, des opportunités de pluriactivité familiale et que le coût de la vie y est bas, un fonctionnaire accueillera des parents en plus grand nombre que dans un centre moins bien doté ou moins accueillant. Enfin des fonctionnaires, en l'absence de bourgeoisie locale, peuvent se faire entrepreneurs et créer des emplois qui existeraient déjà dans un autre milieu socio-économique. Aussi le multiplicateur à appliquer à chaque fonctionnaire pour obtenir le nombre de citadins supplémentaires est certainement inférieur pour les villes au développement spontané dont la reconnaissance administrative est réduite et tardive. Mais des effets de seuil existent et un apport, même limité, de fonctionnaires peut constituer un marché d'appoint pour des activités commerciales, artisanales ou de service qui peuvent ainsi se développer.
Pour important qu'il soit, le statut administratif rend de moins en moins compte des dynamiques urbaines de base. C'est ce que remarquent Dureau (1987, p. 267), Chaléard et Dubresson (1989) pour la Côte-d'Ivoire : "L'examen des biographies administratives montre que si la fonction a bien joué un rôle fondamental dans l'émergence de l'armature urbaine ivoirienne («la sous-préfecture crée la ville»), son poids varie dans le temps et dans l'espace. L'administration demeure certes un facteur essentiel, mais pas unique, de l'urbanisation du nord, mais ses effets ont diminué au sud où l'érection en sous-préfecture ne constitue plus un discriminant explicatif du peuplement des petites localités" (p. 281). Constat similaire pour A. Galaup (1991) qui remarque qu'au Sénégal, la fonction administrative n'est pas un support de la croissance des «villages-centres», souvent plus dynamiques que leurs sous-préfectures (p. 201).
Ce sont donc d'autres facteurs explicatifs qu'il faut trouver ou combiner à celui-ci, pour expliquer l'accession à la catégorie des petites villes de centres non encore reconnus par l'administration et dans lesquels, par conséquent, les formes urbaines de référence sont absentes.
Le contexte postcolonial est aussi celui de l'émergence de frontières nationales, de la constitution de grandes métropoles et du développement du trafic routier, autant d'éléments éminemment géographiques qui offrent des opportunités à certains établissements humains selon leur nouvelle localisation relative.
Par ailleurs, la dynamique rurale environnante est un facteur de différenciation des bourgs potentiellement déterminant pour leur décollage. Ceci n'est d'ailleurs pas nouveau et a été relevé dans le contexte malgache des années 1960 par P. Le Bourdiec (1971). Il reconnaît l'influence du développement agricole sur la croissance des 19 petites villes qu'il a identifiées (population entre 7 500 et 25 000 hab.), la moitié d'entre elles (situées sur les foyers périphériques de développement agricole) croît ainsi beaucoup plus vite que l'ensemble de la population urbaine, tandis que l'autre moitié connaît une croissance faible.
La compréhension des facteurs contemporains de l'urbanisation par le bas nécessite donc de corréler la dynamique du semis des petites villes à toute une série de faits géographiques, qui peuvent constituer des principes de localisation générateurs de fonctions urbaines.
3- Le Bénin : vers un réseau pyramidal qui intègre toutes les générations de villes ?
Avant de passer à la confrontation systématique du semis de petites villes avec différents faits géographiques, nous souhaitons évoquer le cas béninois. Il montre comment nombre de cités précoloniales (capitales royales et cités-palais ou premiers points d'ancrage côtiers du commerce européen), et de centres d'encadrement coloniaux ont finalement pris place dans le réseau urbain contemporain après avoir parfois subi des crises importantes. Par ailleurs, le cas du Bénin nous offre l'évolution d'un réseau urbain colonial embryonnaire et macrocéphale vers un réseau pyramidal, en passant par une situation de "macrobicéphalie" (Fig. 5).
Fig. 5 : L'évolution du profil "rang/taille" du Bénin
En 1947, Porto Novo domine nettement (30 000 hab.) deux villes secondaires, Cotonou et Abomey (20 000 et 17 000 hab.). Huit ans plus tard, la promotion de Cotonou, qui gagne près de 10 000 habitants, contraste avec la stagnation des deux autres villes importantes et de la petite ville de Parakou, point de rupture de charge au terminus de la voie ferrée. La nouvelle situation de bicéphalisme se développe à la fin des années 50, où, seule parmi les villes importantes, l'ancienne cité d'Abomey stagne, à l'image de la plupart des centres administratifs secondaires, dont certaines anciennes villes précoloniales déchues, telles Djougou au nord et Ouidah au sud.
Fig. 6 : Héritages et semis urbain au sud du Bénin
(Mondjannagni, 1982)
Au cours des années 60 et 70, le réseau urbain béninois est d'abord marqué par l'ascension au rang de métropole de Cotonou, devenue la vraie capitale économique et politique du pays et dont la croissance moyenne annuelle est supérieure à 8 %. Cependant, de grandes cités d'origine précoloniale, avec une croissance beaucoup plus faible, se sont maintenues comme grandes villes à l'échelle du pays, c'est le cas de Porto-Novo et d'Abomey. Rares sont les cités précoloniales qui n'ont pas pu se maintenir dans l'armature urbaine, que se soit par un vif redressement après une décadence importante, comme Djougou, ou après une stagnation à un niveau réduit de population urbaine, comme Ouidah et Kouandé. En fait le semis dense, notamment dans le sud (Mondjannagni, 1977 et 1982), de petites cités précoloniales se retrouve dans le semis actuel des petites villes (Fig. 6), dont la plupart a cru durant les années 70 : Nikki, Pobé, Kétou, Kandi, Allada, Dassa Zoumé ; les cas de stagnation à un niveau élémentaire de population sont rares : Grand Popo et Ifangni. Parallèlement, les centres d'encadrement administratifs et commerciaux coloniaux ou postcoloniaux se sont également imposés parmi les villes secondaires, avec notamment l'exceptionnelle croissance de Parakou, devenue troisième ville du pays. Parmi les villes moyennes Bohicon, qui exploite sa situation de carrefour à quelques kilomètres d'Abomey, est également un centre de cette génération, mais la plupart de ceux-ci se retrouvent dans la catégorie des petites villes dynamiques, citons les marchés frontaliers de Malanville, Athiémé et Comé, les centres régionaux de Natitingou et Lokossa ou encore l'étape routière de Savalou et ferroviaire de Savé. Seule Cové, quatrième ville du pays en 1961, connaît une inquiétante stagnation de ses effectifs et rétrograde en neuvième position dans l'armature urbaine (Fig. 8).
Peut-on néanmoins parler de réseau urbain hiérarchisé sur l'ensemble du territoire ? Il semble que celui ci soit encore lacunaire, notamment dans le nord du pays. Les provinces septentrionales sont les moins densément peuplées, et les moins urbanisées. Aussi, le S.E.R.H.A.U., dans son Atlas cartographique de la région nord du Bénin, constate qu'il existe "un déséquilibre important dans la hiérarchie urbaine, dans la répartition spatiale des villes et dans la desserte des localités", pour conclure "qu'il n'existe pas réellement une armature urbaine régionale, mais un ensemble de réseaux hétérogènes qui fonctionnent de manière plus ou moins indépendante." (1992, p. 32). Pour nuancer ce jugement, nous devons souligner que, malgré les contrastes réels avec les provinces littorales, il est difficile de considérer la province du Zou comme partie intégrante d'une vaste "Région Nord du Bénin", dans la mesure où son principal bassin de peuplement, autour des centres de Savé, Savalou et Dassa-Zoumé, est aussi proche du littoral et de la métropole nationale que de Parakou ; de plus, la cité précoloniale de ce bassin, Dassa-Zoumé, est historiquement située aux marges de l'aire littorale, sans lien direct avec les routes commerciales qui traversaient le nord savanien. Il n'en demeure pas moins vrai que la prise en compte des réalités géographiques et de la forme spatiale de l'armature urbaine permet de constater que l'existence d'un organisme urbain qui émerge comme métropole régionale ne suffit pas à structurer un véritable réseau urbain régional dans un contexte de faible densité et de bassins de peuplement dispersés et mal reliés entre eux.
Fig. 7 : L'armature urbaine du Bénin septentrional
(SERHAU, 1990)
Les enseignements du cas béninois sont donc nombreux. Ils montrent qu'après une période de transition durant laquelle les hiérarchies héritées sont mises à mal (Fig. 7), un double phénomène de sélection et d'émergence, permet l'établissement d'un véritable réseau urbain à partir d'un semis plus dense et mieux hiérarchisé. Dans ce contexte, les cas de décadence sont peu nombreux, par contre les positions évoluent et les rétrogradations sont fréquentes tandis que des promotions sont remarquables. Le cas de Parakou et de sa croissance très rapide, durant les deux premières décennies du Dahomey puis du Bénin indépendant, réhabilite la position de point de rupture de charge dans l'économie urbaine de l'Afrique de l'ouest postcoloniale.
Fig. 8 : Évolution des positions au sommet de l'armature urbaine béninoise
Lévolution béninoise permet de s'interroger sur la thèse du court-circuitage invoquée à juste titre pour les exemples plus classiques de réseaux urbains évoluant vers la macrocéphalie (Sénégal, Côte-d'Ivoire), mais qui ne rend pas compte de la croissance de villes secondaires "court-circuitées", telles que Louga ou Saint Louis au Sénégal, Dimbokro en Côte-d'Ivoire ou Koforidua au Ghana.
Si les villes coloniales principales dont les fonctions sont en crise restent ou deviennent des villes moyennes, en revanche, les embryons urbains précoloniaux et coloniaux béninois peuvent toujours faire partie de la catégorie des petites villes tout en connaissant une certaine croissance. Cela accentue le caractère hétérogène de cette catégorie étoffée par l'apparition de centres plus récents.
La figure de la ville déchue reste donc tout à fait exceptionnelle en Afrique de l'ouest et il est bon de se rappeler avec Marcel Roncayolo (1990, p. 20) "que la ville dépasse généralement par son souffle le temps des modes de production, même si elle en porte l'empreinte ; encore mieux les conjonctures, même si elle doit affronter des cycles de gloire ou de misère". Il faut également tenir compte, selon son expression, de "l'inertie du semis urbain" liée à la capacité de "résistance plus ou moins longue et victorieuse d'une société localisée" (p. 66).
L'explication de la modestie de la croissance de nombreuses petites villes une fois qu'elles ont acquis cette taille, se trouve donc ailleurs que dans le court-circuitage d'anciens centres d'encadrement.
B. L'hétérogénéité des petites villes
1- Grands contrastes régionaux et familles de petites villes
La cartographie systématique du semis de petites villes -tous les cinq ans de 1955 à 1985- et sa mise en rapport avec des phénomènes géographiques, nous permettent danalyser les modalités de la densification du semis. Certains faits de localisation peuvent être isolés et certains héritages soulignés. Ainsi émergent des générations et des familles de petites villes.
a) Les regroupements, les axes
La simple observation de lévolution du semis laisse apparaître des regroupements et des différences structurelles entre pays ou régions :
- un semis dense dès le début des années 60, dans les parties méridionales du Togo et du Ghana notamment (Fig. 9),
- des regroupements sur des axes qui perdurent (Littoral ghanéen et togolais, fleuve Sénégal et Niger) ou qui seffacent (Du nord ivoirien à Tombouctou et du centre-est ghanéen au centre-nord togolais : Fig. 9), au profit dautres (route nord-sud au Togo, route ouest-est au sud de la Mauritanie : Fig. 10),
- des nébuleuses qui apparaissent et se renforcent durant la période, au Burkina Faso, en pays mossi et dans le sud-ouest autour de Bobo Dioulasso, et au centre ouest ghanéen (Fig. 10),
- des trames plus ou moins denses qui se mettent en place sur la quasi totalité des espaces ouest africains.
Il faut bien sûr invoquer :
- les héritages précoloniaux : formations politiques et économiques (pays ashanti, mossi
), axes commerciaux (Fig. 10) ("routes de la cola" notamment, et "ports" du Sahel) ;
- les héritages coloniaux : avec notamment le développement des plantations et le privilège accordé aux axes littoraux et ferroviaires ;
- la tendance postcoloniale au renforcement de la trame administrative, et au développement du trafic routier.
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Fig. 9 :
Petites villes, littoral, fleuves et chemin de fer en 1960
Fig 10 :
Petites villes et frontières politiques en 1980
Des facteurs de concentration sous-jacents
D'anciens axes commerciaux apparaissent nettement (contours orange) en 1960.
En 1980, émergent des nébuleuses de petites villes apparues (marron) ou densifiées (bleu) pendant la période, ainsi que des axes routiers nationaux (vert). Deux éléments naturels (mauve) sont également soulignés par le semis urbain : l'axe de la vallée du Niger au Mali, et le contact forêt-savane avec un léger décalage vers le sud forestier.
Fig. 11 :
Routes, ressources et places commerciales ouest-africaines à la fin du XIXe siècle
(Atlas Historique de lAfrique, 1985)
b) Milieux et petites villes
Les grands contrastes de milieux et de mise en valeur agricole jouent également un rôle : à petite échelle lopposition désert/Sahel et lopposition savane/milieu forestier. Cette dernière est d'ailleurs bien nette en Côte-dIvoire (Chaléard et Dubresson, 1989) où le contact entre ces domaines est également souligné par une série de petites villes qui redessinent un "V" baoulé.
Cependant, au sein dune même entité écologique, les différences de milieu ne peuvent expliquer des évolutions divergentes. C'est le cas pour la partie sahélienne du Mali où J. Gallais (1988), lorsqu'il s'intéresse aux conséquences migratoires de la sécheresse, note des évolutions urbaines contrastées. La plupart des grandes et moyennes villes (Segou, Mopti, Gao, Tombouctou, mais pas Kayes) ont fonctionné comme refuge avec une croissance soutenue au cours des années 70 et 80. Les petits centres urbains ont pu jouer le même rôle (Nioro) voire même, pour de tout petits centres, fonctionner comme "niche de repli" et émerger comme petite ville, c'est le cas notamment de plusieurs localités du Gourma sinistré autour de Gao : Gossi, Tonka, Gourma Rharous, Badji Gourma, Bourem, Ansongo et Ménaka ; dans le même temps, le Moyen-Niger, voit la plupart des petites villes, solidaires de leur environnement, stagner ou perdre une partie de leurs effectifs (Djenné), même si quelques-unes émergent (Konna, Sofara
).
L'exploitation du milieu tropical humide sous forme de plantations, ou celle des richesses naturelles locales sous la forme de mines, peut également générer des agglomérations. Le semis urbain du Liberia, avec d'une part les plantations d'hévéa de Firestone et de la bourgeoisie américano-libérienne, et d'autre part les mines, dont la plus importante est celle de la LAMCO (Liberian-American Minerals C° Joint Venture) sur les flancs du mont Nimba, est celui qui fait la part la plus belle à des organismes qui s'apparentent davantage à des camps qu'à des villes (Salles, 1979 ; Marguerat, 1985). Ainsi mis à part les centres principaux (Harbel pour les plantations Firestone ; Yekepa et Camp IV pour la LAMCO), les autres sites voient leur population fluctuer et surtout relever de différentes entités selon les recensements ; des plantations de plusieurs milliers d'habitants disparaissent ("Firestone Div. 10, 44, 45" ; "Goodrich Plantation") tandis que d'autres apparaissent ("Cocopa plantation"), de même pour des concessions minières sur les sites de Mano River, Bongo Mine et Bomi Hill. Ce phénomène reste marginal dans les autres pays d'Afrique de l'ouest, tandis qu'il est fondamental dans la constitution de l'armature urbaine libérienne, pays forestier sous-peuplé, où les centres secondaires liés à une fonction d'encadrement des campagnes (des plantations) sont rares. Ils doivent plutôt leur fortune à une position frontalière (Zorzor, Kolahun, Voinjama, Saniquellie, Ganta) ou de carrefour (Zwedru, Tappita, Kakata, Gbarnga).
Mais quelles que soient leurs origines -écologique, historique ou économique-, de grandes différences structurelles se maintiennent, notamment dans larchitecture des armatures urbaines. Depuis 1970, le nombre des petites villes ivoiriennes ne constitue que 73 à 80 % des centres urbains du pays, alors que celles du Ghana représentent plus de 85 %, celles du Togo et du Burkina, plus de 90 %, enfin celles du Niger, du Mali et du Liberia se situent autour de 80%.
2- Une génération fonctionnelle spécifique
Nous avons vu que la catégorie des petites villes est traversée par des localités en pleine expansion, tandis que d'autres s'y attardent ou s'y installent. En fait, il est possible de distinguer des générations de petites villes. Ces générations sont constituées de différents types selon les localisations relatives aux éléments structurants de l'espace. Cette typologie n'est évidemment qu'un moyen d'isoler des facteurs dominants, mais elle n'exclut pas les combinaisons qui sont bien souvent la règle, notamment avec la nature du milieu rural environnant qui sera abordé dans la partie suivante. Rappelons la mise en garde de Catherine Coquery-Vidrovitch (1993) lorsqu'elle tente d'établir une typologie historique des villes africaines précoloniales : "il est bien évident que toutes les villes africaines sont des hybrides et que ces hybrides se sont parfois constitués sur une très longue durée. Plus qu'une typologie, tout au plus pourrait-on proposer une chronologie de l'urbanisation africaine, tout en gardant bien en l'esprit qu'un tel schéma est nécessairement réducteur." (p. 45)
a) Les étapes routières
Il semble bien qu'au cours des années 1960 et 1970, la localisation sur un axe routier devient un facteur majeur démergence dune nouvelle génération de centres (Fig. 10). Les routes Abidjan-Yamoussoukro et Abidjan-Man via Gagnoa sont ainsi redessinées par le semis des petites villes de 1980.
Si nombre de nouvelles petites villes profitent de lexistence de la route, toutes ne sont pas des étapes ou des carrefours. Par exemple, le long de la nouvelle route de lUnité au sud de la Mauritanie, ségrènent nombre de petits centres commerciaux qui fonctionnent comme refuges pour populations sinistrées (Dhont, 1986). Qui plus est, les routes principales sont bien souvent greffées sur un ou plusieurs autres éléments structurants de l'espace qui peuvent aussi engendrer des fonctions urbaines contemporaines (frontière), ou qui constituent des héritages non négligeables (chemin-de-fer, littoral, fleuve).
Une étude systématique (F.W. Young, 1989) réalisée sur les pays côtiers d'Afrique de l'ouest (Bénin, Togo, Ghana, Côte-d'Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinée, Guinée Bissau) confirme ce qui pour nous est une évidence cartographique et géographique, que nous approfondirons pour les trois cas nationaux traités dans la seconde partie de ce livre premier. Cette étude, basée sur l'exploitation des données portées sur la carte Michelin sur l'Afrique du nord et de l'ouest, montre que la densité du réseau routier et son taux de revêtement, sont des variables qui jouent positivement pour expliquer la densité du semis de petites villes, ainsi que celui des villes moyennes (Tab. 7). Ces variables sont d'ailleurs étroitement corrélées à la densité de population, et le taux de revêtement est utilisé par l'auteur comme un indicateur de développement des régions subnationales qui servent de cadre à l'étude (43 pour 8 pays).
Tab. 7
(Young, 1989)
b) Les centres frontaliers
Durant la même période, et particulièrement après 1970, la proximité dune frontière d'État (Fig. 10), rend compte de la localisation de toute une série de petites villes, centres douaniers et commerciaux. A ce titre, toutes les frontières n'ont pas la même valeur, les frontières monétaires, qui correspondent aux anciennes limites inter-impériales, sont davantage génératrices de petites villes. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas nouveau, voir l'émergence à la fin du siècle dernier d'une double place commerciale de part et d'autre de la Volta : Kete l'allemande et Krachi l'anglaise, cités frontalières, jumelles et rivales (voir II-C-2).
Fig. 12
(Igué, 1989)
J.O. Igué, qui s'intéresse aux espaces frontaliers en Afrique de l'ouest, définit un certain nombre d'«enclaves frontalières» (1989) et oppose les «espaces frontaliers alternatifs» et «à faible dynamisme» (1995) aux «périphéries nationales». Celles-ci sont presque toutes situées aux frontières monétaires (Fig. 12), c'est-à-dire au pourtour de la «zone franc», au contact avec les Etats aux monnaies non convertibles : Nigeria, Ghana, Liberia, Guinée, Gambie, Guinée Bissau et Sierra Leone.
Sur ces espaces «frontaliers actifs», les «périphéries nationales» émergent lorsque les échanges commerciaux sont particulièrement intenses et que leur animation est assurée par des populations vivant à cheval sur les frontières, ces espaces sont alors le siège de nombreuses villes souvent petites, parfois jumelles, mais actives et en croissance. Selon l'auteur ces «périphéries nationales» sont de véritables enclaves qui simposent par leur rôle économique et social aux «Etats-Nations» limitrophes (1995, p. 58), elles "réalisent ce que les négociations inter-étatiques et les projets n'ont pu bâtir" (1989, p. 605), c'est-à-dire, l'intégration des politiques économiques de la sous-région. Il s'agit là d'un phénomène structurel qui devrait s'inscrire dans la durée, comme le souligne J.-P. Raison. Pour lui, "les activités de frontière, informelles plus que véritablement clandestines, ont toutes chances de rester un des traits majeurs de l'activité nouvelle de l'Afrique" (1993, p. 17). Cependant l'auteur estime que ces activités sont également évolutives et instables. En effet, elles apparaissent très sensibles à "l'évolution des situations dans les Etats bordiers", qui modifient la nature et le sens des flux, ainsi qu'"à l'état des routes et aux variations locales de la répression des fraudes" qui peuvent déplacer les nuds majeurs du commerce. Autant de facteurs qui "nuisent à une véritable structuration régionale".
De telles approches se focalisent donc essentiellement sur l'existence de réseaux marchands parallèles et clandestins organisés à partir dun semis de places centrales frontalières. E. Grégoire (1996) parle ainsi de maillage en filet pour qualifier le réseau urbain transfrontalier nigéro-nigérian. Limportance des aires ainsi identifiées ne doit pas faire oublier que le fait frontalier participe également à l'émergence de petites villes isolées dans des espaces moins actifs et structurés. C'est le cas notamment pour les marges maliennes (également frontière monétaire au sein de lespace francophone) au contact du Burkina Faso, de la Côte-d'Ivoire et de la Mauritanie.
c) Les satellites
La localisation relative au reste de larmature urbaine (Fig. 13 et 14) joue de manière différente selon les périodes, les régions et la taille des villes. Au début de la décennie 60, certaines grandes villes fonctionnent comme repoussoir pour les petits centres, c'est le cas de Ouagadougou et Bamako, et, dans une moindre mesure, d'Accra, Abidjan et Monrovia. Cest également le cas de villes moyennes comme Bouaké et Bobo Dioulasso. Dans le même temps, certaines grandes villes sont déjà accompagnées de satellites et constituent progressivement de véritables nébuleuses : Kumasi, Lomé. Elles sont rejointes en cela au cours des années 70 et 80, par quelques grandes villes (Accra, Abidjan et dans une moindre mesure Bamako), et villes moyennes comme Koudougou au Burkina Faso, coeur dune véritable nébuleuse urbaine depuis 1980, alors que la capitale, Ouagadougou à lest nagrège des centres périphériques quà partir de la fin des années 80. Seule la capitale mauritanienne, Nouakchott, continue à dominer un «désert urbain» périphérique. L'étude de F.W. Young (1989) montre de manière générale que pour l'ensemble des pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, la proximité d'une métropole est un élément stimulant pour le semis de petites villes, mais inhibant pour celui des villes moyennes, par contre, la proximité d'un «centre provincial» est une source de stérilité pour la trame de petites villes (Tab. 7).
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Fig. 13 :
Armature urbaine en 1960
Fig. 14 :
Armature urbaine en 1980
C. Vers une génération spontanée de centres ruraux ?
1- Comment isoler le phénomène ?
Le constat de la multiplication des petites villes, basée en partie sur des créations spontanées qui répondent à de nouveaux besoins locaux, n'est pas nouveau ; il figure en bonne place dans l'ouvrage sur les villes du Tiers Monde de M. Santos publié en 1971. Déjà, il s'accompagnait de la définition des «villes locales» : "organismes urbains répondant aux nécessités primaires et immédiates des populations locales" (p. 352). La même année, l'auteur, dans son ouvrage sur Le métier de géographe en pays sous-développés, utilisait également le qualificatif d'«embryonnaire» pour définir le bas des armatures urbaines dans le cadre d'une classification en quatre groupes. Ces villes embryonnaires regroupaient aussi bien des centres coloniaux externes que des "villes naissantes" et des "embryons urbains". Autrement dit le type fonctionnel des villes locales est hétérogène, s'il peut relever d'une création spontanée liée à la satisfaction du bassin demandeur environnant, il peut aussi correspondre à un ancrage local de centres externes ou de centres qui exploitent par ailleurs une position d'échelle régionale ou interrégionale.
Au Burkina Faso, nombre de petites agglomérations dépassent le seuil des 5 000 habitants au dernier recensement de 1985. Derrière les 13 villes officielles, 120 centres ont en fait acquis une taille urbaine minimale, contre 63 en 1975. A l'ouest de Tenkodogo, en pays bissa, à la limite du pays mossi, deux localités voisines font partie des nouvelles petites villes. Il s'agit d'un petit centre rural, Niaogho, et d'une place commerciale située sur l'ancienne route de la cola, Beghedo (Faure, 1993). L'élite commerçante de cette dernière est aujourd'hui reconvertie dans le négoce d'une production locale recherchée, l'oignon. Mais les commerçants de Beghedo tendent à intégrer toute la filière de production de cette culture spéculative, ils se font producteurs et entrent en conflit avec la cité voisine de Niaogho et ses élites, détentrices du terroir, mais dépendantes économiquement des commerçants, usuriers à l'occasion. Le conflit s'est étendu à la question politique avec l'enjeu du statut de chef-lieu d'arrondissement que les centres se disputaient, et que chacun a fini par obtenir. On voit avec cet exemple que des genèses différentes n'empêchent pas deux localités d'émerger simultanément et d'être concurrentes en tant que centres locaux dans un contexte agricole dynamique.
Le milieu rural peut donc générer des centres locaux, soit par réappropriation de centres externes soit par l'émergence de petites villes à partir du réseau de bourgs. Madagascar, par son histoire urbaine, offre un bon observatoire extérieur à notre aire d'étude. La plupart des centres, y compris à l'échelle locale, sont d'origine extérieure, créés par la monarchie Hova ou plus tard par l'administration coloniale. Cependant dès les années 60, les observateurs notent un enracinement de ce semis de base. R. Gendarme, cité par Santos (1971, p.34), voit se développer "une quarantaine de petites villes très bien adaptées à l'économie rurale prédominante". P. Le Bourdiec précise en 1971 que les 48 chefs-lieux de district qui n'ont pas été élevés au rang de commune urbaine "prennent racine". Dans une discussion concernant l'évolution de la fin des années 70, il estime que le mouvement d'enracinement se poursuit dans le cadre du recul de l'État et que l'on assiste en fait à la mutation de nombreux centres en «villes authentiques». Le phénomène est interprété différemment par G. Rossi (cité par Y. Marguerat, 1982, p. 22) qui parle de désurbanisation en constatant la mort lente de nombreux centres urbains qui redeviennent de «gros villages».
Avec ces exemples, on voit les difficultés à isoler le phénomène du développement des petites villes sur fond de mutation de la demande rurale. En effet, il peut procéder de l'émergence de gros bourgs dans lesquels les observateurs ne perçoivent pas l'urbanité, ou de la «naturalisation» de centres exogènes.
Dans ce contexte, quels indicateurs utiliser pour identifier les ressorts locaux de l'urbanisation par le bas ? La richesse paysanne ? Oui, mais le cas d'une infortune paysanne structurelle ou conjoncturelle peut également créer une «demande» en ville locale. Ce fut le cas dans le Sahel des années 70 et 80 aux prises avec la sécheresse, où nombre de petites localités servirent de «niches de repli» (D'Hont, 1986 ; Gallais, 1988). De plus, la richesse paysanne peut se traduire par une urbanisation sociologique et architecturale des campagnes, sans urbanisation physique et agglomération. Phénomène déjà décrit dans les années 50 par J.-L. Boutillier (1960) dans la région ivoirienne de plantation de Bongouanou, puis confirmé trente ans plus tard par Chaléard et Dubresson (1989), mais qui est commun à de nombreuses régions de plantation dès cette époque, comme le Litimé et le pays Buem autour de Badou, Jasikan et Kadjebi que nous avons étudiés.
Au-delà des réserves sur un tel indicateur, nous ne disposons pas de données quantitatives harmonisées permettant de cartographier la richesse rurale. A défaut, les densités rurales apparaissent comme un indicateur intéressant à corréler avec le semis urbain de base.
2- L'adéquation croissante entre le semis de petites villes et les densités rurales
Concernant le cas ivoirien, J.-L. Chaléard et A. Dubresson, utilisent également l'indicateur des densités rurales, à défaut d'études sur la répartition spatiale des revenus, pour conclure que "l'un des ressorts de l'urbanisation ivoirienne est l'osmose entre les dynamismes ruraux et urbains", cela après avoir observé que "le dynamisme démographique et économique du milieu rural forestier bénéficie plus aux villes petites et moyennes (qu'il s'agisse de leur nombre ou de leur croissance) qu'aux grands centres urbains, avec toutefois de fortes disparités internes à l'aire forestière" (1989, p. 280).
Au delà des cas de densification récente, de fortes densités rurales correspondent souvent à d'anciennes formations politiques ou d'anciennes aires d'activités commerciales denses, promptes à faire renaître ou entretenir un réseau urbain ancien (Pays mossi du Burkina Faso, yoruba du Nigeria, ashanti du Ghana, haoussa du Niger et du Nigeria, marka du Mali, fon du Bénin), ou à en générer un sans tradition (Pays ibo du Nigeria, bamiléké du Cameroun, mina et ouatchi du Togo). Il peut alors s'agir d'une armature hiérarchisée (Yoruba, Ashanti, Ibo, Haoussa, Fon) ou d'un semis de petites villes d'où émergent une ou plusieurs villes moyennes ou grande (Mossi, Marka, Bamiléké) ou encore d'une nébuleuse de centres élémentaires (Ouatchi, Mina). C'est aussi ce que révèle l'étude prospective dirigée par J.-M. Cour (1994) lorsqu'elle mesure la "tension de marché" ("intensité du signal émis par les villes en direction de l'espace rural"). La cartographie de cet indicateur de la connexion des espaces ruraux au marché indique une forte corrélation avec la densité du peuplement rural : "plus une zone est «exposée» au marché plus sa densité de population est élevée. A l'échelle ouest-africaine, cette relation permet beaucoup mieux d'expliquer les fortes variations de densité de peuplement que les critères agro-écologiques" (Snerch, 1994 ; p. 15)
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Fig. 15 et 16 :
Petites villes et densité rurales en 1960 et 1975
Un net renforcement des corrélations
Les relations entre semis de petites villes et densités rurales se renforcent nettement entre 1960 et 1975.
En 1960 elles ne sont étroites que pour les parties méridionales du Ghana et du Togo, ainsi que pour les régions arides du Sahel septentrional et du Sahara, ou forestière du sud-ouest ivoirien et du sud-est libérien.
En 1975, les corrélations se généralisent : les fortes densités du plateau mossi se traduisent par un semis dense ; la partie amont du Niger malien est devenue un axe de petits centres urbains ; les régions ivoiriennes de plantations, dont les densités rurales se sont fortement accrues, connaissent un renforcement de leur armature de petites villes.
Il faut souligner que pour la plupart des aires culturelles urbanisées de la zone forestière, le développement urbain contemporain a pour base un développement agricole qui repose sur l'adoption de cultures de rente : cacao pour les Ashanti et les Yoruba, palmier à huile pour les Ibo, café arabica pour les Bamiléké. A partir de là, les modalités du développement urbain dépendent des héritages (centralisation politique et urbaine ashanti, nébuleuse urbaine yoruba) et des comportements (aptitude au commerce des Ibo, esprit entreprenant et lien au milieu d'origine des Bamiléké). Le dénominateur n'est toutefois pas commun à toutes les formations sociales denses et urbanisées, en effet, quelques cas dans la zone forestière (Fon, Mina, Ouatchi) et surtout les cas savaniens et soudaniens ne relèvent pas de cette adoption contemporaine des cultures de rente. Pour ces régions, c'est seulement la densité rurale et le dynamisme commerçant de certains groupes qui expliquent la permanence ou le développement du fait urbain.
Prenons le cas des villes Marka dans le delta intérieur du Niger (Gallais, 1984, p. 143). Ce groupe commerçant hétérogène domine un ensemble de petits centres urbains qui constituent aujourd'hui un véritable réseau régional autour des centres de Mopti et de San. La tradition urbaine marka remonte à l'empire du Ghana avec le centre de Dia. Un processus d'essaimage de cette bourgeoisie permet à la fois le développement de petits centres cosmopolites, sortes d'embryons urbains, et l'émergence de nouvelles places centrales qui prennent le relais des précédentes. Ainsi de l'empire du Ghana à l'empire colonial français, en passant par celui du Mali, les villes de Dia, de Djenné et de Mopti se sont succédé comme capitales régionales sans jamais s'éclipser totalement. Outre cette chaîne historique de centres, il est intéressant de constater l'émergence de nombreuses petites villes dans cette aire culturelle, citons : Konna, Sofara, Diafarabé, Ténenkou, Macina
Il s'agit là de gros villages commerçants cosmopolites remarqués dès le début du siècle par les colonisateurs et dont certains ont acquis une taille urbaine dès les années cinquante ou soixante et stagnent depuis à la limite inférieure de la catégorie des petites villes. Elles répondent ainsi au modèle urbain traditionnel de ces villes marka, dont l'une des caractéristiques selon J. Gallais (1984, p. 148) est de "s'épanouir durablement entre 5 000 et 10 000 habitants", il précise qu'il a fallu les conditions politiques récentes pour que la dernière née des «métropoles» locales dépasse cet ordre de grandeur.
A la base de cette "civilisation urbanisante", il y a le commerçant marka, dont l'activité s'intègre dans les réseaux internationaux, mais ne néglige pas la mise en place d'un réseau ramifié et hiérarchisé de marchés locaux. "L'économie marchande aux deux niveaux -continental et régional- fortement intégrés, et un certain capitalisme urbain sont à l'uvre depuis plusieurs siècles dans cette Afrique du Moyen-Niger." (p. 158). De plus, cette société ouverte par sa nature professionnelle, a su, avec l'adoption de l'Islam, créer des cités accueillantes et cosmopolites qui sont autant de germes urbains, puisque "la préoccupation de faciliter l'installation et l'activité de toutes les colonies étrangères, parce que l'enrichissement de la ville en dépend, se retrouve dans les centres-marchés plus modestes" (p.149). La dimension commerciale du groupe marka s'est même développée au cours du vingtième siècle malgré l'intermède européen et libanais. En effet, avec la disparition du commerce saharien, et donc de la fonction de transit en direction de Tombouctou, les négociants maures se sont effacés de la direction du commerce du Moyen Niger. Les Marka dominent désormais sans partage une activité commerciale où l'exportation du poisson, l'approvisionnement régional et le contrôle des échanges internes se sont presque totalement substitués au transit des produits d'origine forestière dans un sens, et du sel dans l'autre.
3- Des germes urbains potentiels dans le semis régulier des marchés
Partant d'une interrogation sur le dynamisme rural et l'urbanisation, nous nous sommes orientés vers les dynamismes commerciaux locaux et régionaux. L'imbrication entre ces deux termes -dynamisme rural et dynamisme commercial- semble permanente, malgré les différentes tentatives étatiques de contrôle des échanges agricoles. Le développement actuel des cultures vivrières commerciales, particulièrement spectaculaire en Côte-d'Ivoire, offre une illustration des relations systèmiques qu'entretiennent les dispositifs commerciaux avec les dynamiques urbaines et agricoles. Ainsi J.-L. Chaléard remarque "Dans les régions éloignées des grands centres urbains, le développement des ventes [de produits vivriers] a été rendu possible par la mise en place rapide d'un système de commercialisation fondé, entre autres, sur l'existence de gros marchés de collecte, nés spontanément, et sur la présence de transporteurs, héritages de traditions anciennes, dans les villes du Nord, ou résultat de multiplicité des flux dans le Sud" (1996, p. 611).
Avec l'imbrication des dynamismes ruraux et commerciaux, nous touchons en fait un trait particulier des "régions d'économie primaire" dont parle M. Rochefort (1990), et qui "possèdent chacune un réseau de ville particulier, dont les caractéristiques sont issues de celles de la base économique." (p. 226).
Concernant la forme de ces réseaux urbains régionaux en "économie primaire", différents auteurs s'accordent pour estimer que "dans un monde à prédominance rurale : il faut une trame serrée de lieux centraux pour que tous puissent y avoir accès, mais leur hiérarchisation n'est pas nécessaire" (Claval, 1981). Dans le cadre du Tiers-Monde, M. Santos (1971, p. 183 et 184) estime que c'est dans les petites villes que la population pauvre trouve les services urbains qui lui sont accessibles, il n'y a donc pas pour elle de réseau urbain hiérarchisé, seule la bourgeoisie, peu nombreuse, a accès à une hiérarchie de services. Une telle analyse se focalise sur les notions de services et de polarisation, négligeant momentanément les dynamiques productives internes à la sphère urbaine. Elle permet d'isoler la question des fonctions, et pour les petites villes, celle des relations avec l'arrière pays.
Une étude récente sur «les villages-centres» du bassin arachidier sénégalais (Galaup, 1991), révèle les ressorts contemporains de l'émergence de nombreuses petites villes. Une réorganisation administrative (introduite en 1972) et commerciale promeut de nombreux villages en "villages-centres" de "communautés rurales" (317 pour l'ensemble du Sénégal). Cela se traduit par la diffusion d'équipements, d'infrastructures et d'antennes de services publics d'encadrement du développement. Un réseau de micro places centrales se met donc en place qui va bénéficier de la systématisation du marché hebdomadaire qui remplace définitivement le système de traite. Il faut noter que quelques localités étaient déjà héritières d'une certaine centralité, en marge du système colonial. Il s'agit des bourgs du Sine Saloum qui rassemblaient quelques milliers d'habitants au début du siècle, et qui servirent de centres de collecte élémentaire de l'arachide. Situés à l'amont des compagnies de traite basées le long de la voie ferrée, ces petits centres étaient tenus par le commerce libanais.
Parmi les villages-centres, et donc au sein du réseau de bourgs-marchés d'essence rurale, émergent de nombreuses petites villes, qui rattrapent d'anciennes communes voisines («escales» et centres administratifs coloniaux). Cela correspond d'ailleurs à l'accomplissement du projet initial qui souhaitait lier, centralité, développement urbain de base et développement local, et qui projetait l'émergence de quelques dizaines de villages-centres dans une catégorie urbaine élémentaire jusqu'alors occupée par quelques communes.
Les facteurs qui expliquent ces émergences sont nombreux, mais ils n'opèrent pas tous au même niveau de sélection. Il semble que la nature même des villages-centres en fait des organismes particulièrement adaptés aux besoins du monde rural du Bassin arachidier, cela par l'offre de services et d'infrastructures commerciales qu'ils proposent et qui sont en partie réappropriés par ce monde rural. En effet, l'économie agricole du Bassin arachidier connaît une crise profonde qui se traduit par une mutation et une diversification des productions, l'arachide ne disparaît pas, mais sa culture est plus systématiquement complétée par celle du mil, par le maraîchage et par l'élevage. Ce sont ces productions qui ont permis de rétablir à la campagne le double flux des échanges que la suppression de la traite avait tari. C'est par le réseau des villages-centres que s'effectue l'encadrement technique, commercial et organisationnel de cette économie en mutation. Cependant, une sélection sopère au sein de ce réseau de villages-centres et de marchés ; une partie seulement connaît une croissance importante, qui lui permet de s'élever dans la catégorie des petites villes. C'est là qu'intervient une seconde série de facteurs, qui ne relèvent plus seulement des évolutions économiques locales. Il s'agit notamment, selon A. Galaup, de la position relative aux axes routiers. Le fait d'être au bord d'une route, et plus particulièrement en position de carrefour, est un facteur de dynamisme. Une telle position facilite linsertion de la localité dans les réseaux déchanges, et elle correspond souvent à un meilleur équipement en infrastructures et en services urbains, qui sont des éléments attractifs pour les populations rurales. L'auteur relève aussi comme facteur stimulant : la proximité de la frontière gambienne, celle de la frontière économico-écologique entre la zone sylvo-pastorale et le bassin arachidier, et enfin le dynamisme des commerçants locaux qui peut venir s'ajouter comme facteur secondaire. Les différents facteurs évoqués viennent tous jouer sur l'importance du marché, en lui offrant de plus ou moins grandes possibilités d'accroître son ou ses bassins ; et c'est bien sur le marché, principal pilier de la vie économique de ces localités, que repose la hiérarchisation des «villages-centres» (p. 205).
Le cas du pays marka, déjà évoqué, nous permet de retracer une forme d'urbanisation par le bas, également liée aux dynamismes ruralo-commerçants des marchés. En effet, le Moyen-Niger, fécond en petites villes, est d'abord marqué par un réseau dense de marchés ruraux qui sont les "antennes tendues par le commerce urbain pour capter, à son profit et au profit de l'économie continentale qu'il représente, l'économie locale." (Gallais, 1984, p. 160). Nombre de ces marchés, développés au début du siècle, ont été entravés ou même supprimés par le pouvoir colonial, jusque dans les années 30, avant d'être encouragés et parfois relayés par des fonctions administratives. Parallèlement, la révolution contemporaine des transports, en facilitant la circulation des biens et des vendeurs, a participé à la diffusion du fait commercial sous la forme du gros marché hebdomadaire, dont l'armature s'est renforcée. Ce mouvement s'est accompagné de l'émergence de petites villes au sein de cette armature. Petites villes aux potentialités de croissance somme toute limitées, et dont la fonction de marché rural est la base économique, éventuellement renforcée par un rôle administratif.
Dans un tout autre contexte, les marchés ruraux du sud-est togolais, étudiés par E. Le Bris (1984), nous montrent comment la fonction commerciale peut être à la base d'un réseau dense de petites villes et de bourgs peu hiérarchisés. Ces places, comme les filières qui les animent, sont en fait dominées par la métropole voisine et ses acteurs économiques. L'auteur analyse comment la réorganisation du commerce dans cette région a modifié la hiérarchie des nombreuses places de marchés, dont les principes de localisation sont davantage en rapport avec les axes routiers que pendant la période de traite (p. 70) durant laquelle les voies d'eau dominaient. Cependant, il remarque que la hiérarchie des marchés périodiques ne se décalque pas exactement sur la hiérarchie démographique des localités (p. 71). Il faut donc conclure à l'intervention de facteurs secondaires pour différencier les dynamismes urbains de base à partir du réseau de marchés ruraux périodiques.
Conclusion : Héritages et transition urbaine
Nous avons constaté que la multiplication des petites villes s'accompagnait de leur diversification croissante. En effet, cohabitent dans cette catégorie, des générations et des familles de centres qui se distinguent par leurs fonctions, leurs origines et leurs dynamiques, et dont certains continuent leur croissance pour constituer des villes moyennes. Aussi, nous sommes conduits à nous poser la question de la pertinence du schéma macrocéphale pour expliquer les dynamiques urbaines en cours depuis la décennie 1980. En effet, ce schéma explique la multiplication des organismes "semi-urbains" de base ("poussière de petites villes"), comme la seule forme urbaine autorisée par la croissance des métropoles qui se nourrissent d'un court-circuitage des villes secondaires et d'une diffusion des fonctions d'encadrement élémentaires (Marguerat, 1978 et 1982). Cette analyse s'inspire donc de l'approche historique des réseaux urbains qui insiste sur la perte des fonctions d'étape de certaines villes secondaires avec les progrès des communications. F. Braudel (1985) résume ainsi le processus : "Que la circulation, sans même modifier ses routes préférentielles, précipite son allure, des relais sautent, cessent de servir et dépérissent." (p. 444), il ajoute : "le mouvement général de la vie économique seul est responsable, il épuise les points secondaires des réseaux urbains au bénéfice des essentiels" (p. 445).
Si l'évolution d'un certain nombre de centres secondaires coloniaux accrédite incontestablement l'idée d'une déchéance fonctionnelle -citons notamment les études réalisées sur les centres de Louga (Sar, 1973) ou Saint Louis (Bonnardel, 1986 et 1992) au Sénégal et de Dimbokro en Côte-d'Ivoire (Bertoncello, 1988 ; Brédeloup, 1989)-, elle se traduit rarement par une décadence démographique et ces cités sont finalement peu nombreuses dans la catégorie des petites villes, si ce n'est certaines "escales" fluviales, quelques gares et certains postes administratifs qui n'ont jamais pu être considérés comme de véritables villes durant la période coloniale.
Le schéma évolutionniste de la tendance à la macrocéphalie des réseaux urbains d'Afrique noire n'explique donc pas la diversité des organismes urbains de base, ni la persistance de la croissance démographique de nombre d'entre eux qui quittent la catégorie des petites villes, ni enfin le contraste qui existe entre leur fonctionnement et celui des villes moyennes dans le cadre des réseaux urbains régionaux.
Dans ces conditions on peut se demander si la phase contemporaine d'évolution des armatures urbaines ne correspond pas à la mise en place transitoire d'un réseau urbain arrivant à maturité. C'est-à-dire d'un réseau urbain qui, à la différence de l'embryon colonial, repose sur des villes, sur des métropoles et sur une population urbaine nettement plus nombreuses et donc moins superficielles ; et dont le fonctionnement est adapté aux sociétés africaines postcoloniales et au contexte de crise économique aiguë qu'elles traversent. Pour nombre de centres secondaires cela pourrait vouloir dire que les activités internes de production et de services, ainsi que de nouvelles fonctions, apparemment moins urbanisantes que les précédentes sur le plan morphologique, ont pris le relais. Cette hypothèse ne rejette pas l'approche historique, bien au contraire, mais elle postule que les fonctionnements contemporains ne peuvent être appréhendés avec les outils conceptuels élaborés dans un autre contexte. Yves Marguerat, dont la contribution à l'élaboration du schéma macrocéphale fut déterminante, estimait d'ailleurs dès 1978, que, "quand apparaissent des distorsions à ce schéma général, comme de fortes capitales régionales (Cameroun, Ghana...), cela signifie qu'entrent en jeu d'autres forces sociales (économiques ou politiques). C'est pourquoi", remarquait-il, "l'étude des réseaux urbains se révèle un instrument privilégié d'analyse de la société." (p. 173).
Un réseau embryonnaire de villes embryonnaires, puis une période contemporaine de transition urbaine
Les "villes embryonnaires" qui constituaient la trame coloniale initiale ont connu des fortunes diverses. C'est néanmoins parmi elles qu'il faut chercher le haut des armatures urbaines contemporaines, dont la ville primatiale qui apparaît souvent hypertrophiée. Par contre, les petites villes sont des organismes hétérogènes et en pleine expansion.
Cette évolution morphologique des armatures urbaines semble en contradiction avec l'évolution fonctionnelle, pourtant elle est conforme à une loi qui régit l'évolution des systèmes urbains (Moriconi-Ebrard, 1993). Cette loi permet d'intégrer ce qui jusqu'à présent relevait de l'anormalité, c'est-à-dire l'hypertrophie apparente de nombreuses métropoles nationales, ou au contraire la polycéphalie de certains systèmes urbains. Elle postule en effet que la notion de métropole au niveau national est constituée par l'ensemble des grandes villes séparées des suivantes par le hiatus le plus important dans la distribution en fonction du rang et de la taille. Pour l'Afrique de l'ouest, seuls le Burkina Faso (Ouagadougou et Bobo Dioulasso) et le Cap-Vert (Praia et Mindelo) présenteraient une population métropolitaine supérieure à la population primatiale, car constituée par les habitants de plusieurs villes ; le Bénin (Cotonou et Porto Novo), le Ghana (Accra et Kumasi) et le Nigeria (Lagos et Ibadan) échappent de peu, ou depuis peu, à cette situation. A partir de cette définition, la loi lie la taille de l'organisme supérieur (la métropole) à celle de l'ensemble du système urbain selon la fonction simplifiée suivante : Pm = Pu0,815.
Ainsi, il devient normal que la forme d'un système urbain évolue considérablement avec l'augmentation de ses dimensions. La petite taille d'un pays et la jeunesse d'un système urbain, seraient deux facteurs pouvant expliquer qu'un système urbain se confonde presque avec son ensemble métropolitain. Dès lors les termes d'hypertrophie et de macrocéphalie ne peuvent plus servir qu'à décrire un état temporaire, mais normal et non pas pathologique, du système urbain. Cette loi nous intéresse ici très directement, car elle décrit également l'évolution de l'ensemble des petites villes dans le système. Celles-ci, peu nombreuses, sont les seules à accompagner la métropole dans les premiers développements du système urbain. A ce stade, elles constituent des embryons potentiels de métropoles régionales ; leur nombre croît ensuite très rapidement en même temps que se différencie le plus vaste ensemble des villes secondaires. Il s'agit là d'une phase de transition urbaine, dans laquelle semble largement engagée l'Afrique de l'ouest, et qui précède une phase de relative stabilité du système. Schématiquement la phase de transition urbaine intervient lorsque la métropole nationale, apparemment hypertrophiée, domine quelques villes secondaires, certaines ont alors déjà une taille de ville moyenne, ce sont celles qui ont une position de métropole régionale, d'autres toutes petites constituent le semis de base en pleine densification.
Dans le cas de l'Afrique de l'ouest, le semis de base est constitué de certaines anciennes cités qui stagnent car leurs potentialités métropolitaines se sont évanouies avec l'évolution des transports ou du système administratif, ou encore en fonction des dynamiques rurales locales. Ce semis est constitué également de petits centres locaux aux potentialités d'expansion futures variées. La perte de fonctions ne se traduit pas toujours par une perte de population car des dynamiques internes et des dynamiques commerciales informelles sont à l'uvre et doivent être appréhendées. On peut donc parler d'une catégorie polygénique, récemment renforcée par l'émergence dimportants marchés ruraux. Ceux-ci accompagnent et organisent les mutations des économies locales et la promotion de la commercialisation de produits dorigine rurale en direction des marchés de consommation africains du sous-continent. Cependant, les nouveaux centres élus cumulent presque systématiquement cette fonction de marché avec un avantage de position, lié aux principaux éléments structurants de l'espace économique : route, frontière, métropole.
Une description plus approfondie des réseaux urbains nationaux, qui intègre la dimension fonctionnelle, permet leur décomposition en sub-réseaux de villes de terroir, de villes commerciales et de centres administratifs. La même ville peut relever de plusieurs catégories fonctionnelles par superpositions successives ou simultanées, produisant des agencements mouvants. Concernant l'histoire des villes européennes, P. Claval (1981, p. 67) souligne déjà que théorie des lieux centraux et modèle mercantiliste (réseau des centres de collecte pour l'exportation) ne sont pas exclusifs dans la mesure où ils naissent de besoins différents. M. Roncayolo (1990, p. 56) se défie également des exclusives en rappelant la part de subjectivité dans la thèse de Henri Pirenne sur les villes médiévales, qui attribue la reprise de l'activité commerciale à la demande locale des seigneurs, rentiers du sol, plus qu'à la fixation dans les villes de marchands itinérants.
Parallèlement aux sub-réseaux fonctionnels, il est également possible d'identifier des réseaux régionaux qui s'organisent à partir d'une métropole régionale. Reprenant le cas camerounais (Cotten et Marguerat, 1976 ; Dongmo, 1981 ; Champaud, 1983 ; Frenay, 1987), et s'appuyant surtout sur le cas zaïrois, H. Nicolaï (1987, p. 481), constate qu'à défaut de réseaux nationaux simples et bien hiérarchisés, on rencontre des systèmes régionaux plus proches des modèles théoriques.
L'étude dynamique de la place des petites villes dans les armatures et les réseaux de trois pays aux histoires urbaines très contrastées s'impose maintenant pour nous permettre d'aller plus loin dans la compréhension du rôle contemporain des organismes urbains de base.
II. La place des petites villes dans la constitution des armatures nationales
L'objectif de cette partie est d'isoler les spécificités morphologiques et dynamiques de trois armatures urbaines nationales réparties sur deux aires écologiques (sahélienne et tropicale humide côtière) et sur deux aires politico-culturelles (anglophone et francophone), pour s'interroger sur le rôle respectif des spécificités culturelles et des histoires économiques, politiques et administratives.
Concernant ce dernier point, précisons que l'évolution des systèmes d'administration territoriale s'effectue toujours sous un double mouvement, le premier, que nous aborderons systématiquement ici, concerne la carte administrative proprement dite, avec les modifications de frontières et les créations d'entités et de chefs-lieux ; le second, que nous aborderons dans le second livre avec la question du pouvoir et de la gestion urbaine, concerne l'organigramme et la distribution des compétences, des prérogatives et des moyens entre les différents échelons administratifs.
Parmi les trois pays que nous avons retenus pour cette étude, deux -le Ghana et le Togo- ont déjà fait l'objet d'études historiques et fonctionnalistes de leurs réseaux urbains (Ghana : Benneh G. et Dickson K.B., 1988 ; Dickson K.B., 1969 ; Grove D. et Huszar L., 1964 ; Marguerat Y., 1975, 1978 et 1988. Togo : Marguerat Y., 1985 ; Nyassogbo G.K. 1984, 1990 a et b.). Il ne s'agit donc pas, pour ces deux États, de renouveler de telles analyses, mais plutôt de s'interroger sur la place des petites villes dans les spécificités de leurs urbanisations respectives.
A. Le Niger : déséquilibres et hétérogénéité d'un réseau récent
La base de ce chapitre est constituée par un article : "Villes nigériennes. L'émergence d'une armature urbaine nationale en pays sahélien.", réalisé en collaboration avec Jean-Claude Bruneau et François Moriconi-Ebrard, à paraître dans un numéro spécial Niger de la Revue de Géographie Alpine.
Le présent travail constitue la première approche géographique globale de la question. Il est directement fondé sur la compilation et le traitement de trois recensements généraux réalisés au Niger en 1956, en 1977 et en 1988. Nous avons disposé aussi des résultats du recensement de 1962.
Note sur les recensements Au total donc quatre recensements. Les deux premiers (1956, Territoire du Niger, Afrique occidentale française ; 1962, République du Niger) sont qualifiés d'administratifs, tandis que les deux suivants sont appelés : Recensement Général de la Population de la République du Niger. Les résultats sont suffisamment fiables pour mener une étude à l'échelle nationale. A noter que les données de 1988 sont issues du Répertoire National des Villages du Niger sous sa forme de document informatique non publié et disponible au Bureau Central du Recensement. A la différence du répertoire publié, ce document permet d'isoler la population réellement agglomérée pour chacune des localités.
La population urbaine du pays a fait l'objet de définitions variées selon l'époque et les circonstances, mais généralement liées au statut administratif. On a écarté ici ce critère, pour les raisons exposées en introduction. Compte tenu des ruptures observées dans la distribution des villes pour l'ensemble des recensements, on retiendra ici comme urbains les centres ayant une population agglomérée d'au moins 4 500 habitants (plutôt que 5 000). Seront appelées "petites villes" les centres ayant entre 4 500 et 25 000 habitants. Au-dessus de ce chiffre, et jusqu'à 120 000 habitants, on parlera de "villes moyennes" que l'on englobera dans la catégorie des "grandes villes". Si l'on excepte la capitale Niamey (et encore, à partir du recensement de 1977 seulement), aucune agglomération ne peut prétendre à la qualité de "métropole". On présentera d'abord une image d'ensemble de l'armature urbaine actuelle du pays, avant de rendre compte de son évolution passée à travers les données des trois enquêtes démographiques, et en tirant divers éléments d'explication de sources bibliographiques comme de l'expérience directe du terrain.
1- Une image de l'armature urbaine contemporaine
La répartition actuelle des villes au sein de l'espace nigérien exprime d'emblée un total déséquilibre, qui est aussi celui des potentialités bioclimatiques, de la répartition des hommes et des activités agro-pastorales. C'est en effet au sud de la limite des cultures sous pluie (soit à peu près l'isohyète de 350 mm) que se cantonne la bande de territoire "utile" du pays : soit 1 200 km de long, des confins du Burkina au lac Tchad (en suivant la frontière du Bénin, et surtout celle du Nigeria), et en moyenne 250 km de profondeur. En 1988, cette bande méridionale sahélienne rassemble 96 % de la population rurale, sur 20 % du territoire national ; sa densité rurale moyenne est de 24 hab/km2, contre 0,25 hab/km2 pour la zone saharienne du nord. Quoi d'étonnant, à priori, à ce que ce Sahel nigérien possède la même année 90 % de tous les citadins ? On y trouve la capitale Niamey (près de 400 000 hab.), cinq villes moyennes sur sept (dont Zinder et Maradi, qui toutes deux dépassent 100 000 hab.), et 47 petites villes sur 52. A y regarder de plus près, certes, on constate que le taux d'urbanisation est deux fois plus élevé au nord qu'au sud : 33 % (et même 52 % pour le seul département d'Agadez) contre 16 %, cette proportion étant assez proche de la moyenne nationale puisque, globalement, un Nigérien sur six vit en milieu urbain. La sururbanisation du nord n'est un paradoxe qu'en apparence, puisque dans le désert la population rurale est par définition presque absente, et qu'elle se concentre de plus en plus autour des points d'eau. Cela ne change rien de toute façon à la prééminence écrasante des villes du sud.
Sur la carte modélisée (Fig. 19), la localisation des villes paraît obéir à plusieurs principes. Globalement, elle est plutôt linéaire : on reconnaît au sud-ouest l'axe du fleuve Niger, au sud et au sud-est celui de la grand-route qui relie Niamey à Nguigmi (sur le lac Tchad), au centre et au nord celui de la "route de l'uranium" qui relie la précédente à Arlit. Cette dernière (comme sa jumelle Akokane) a une localisation atypique, liée à son activité minière. Ce cas mis à part, la capitale et toutes les villes moyennes font figure d'étapes sur un des axes précités : Niamey et Dosso sur le fleuve ; Birni N'Konni, Maradi et Zinder sur la route du sud ; Tahoua et Agadez sur la route du Sahara. C'est aussi le cas d'un certain nombre de petites villes, marchés ruraux jalonnant les itinéraires, tandis que d'autres se disposent plutôt en nébuleuses, sur une profondeur de 100 à 150 km à partir des axes principaux. Une variante de ce système est représentée par les petites villes satellites, que l'on trouve notamment autour de Niamey, de Maradi, de Zinder, de Tahoua et même d'Agadez.
Fig. 19
Étant donnés la configuration du pays et son enclavement complet, le phénomène de frontière joue lui aussi un rôle éminent dans la localisation des villes. Mais à l'exception peut-être des confins du Bénin (avec Gaya), ce rôle n'apparaît décisif que dans le cas de la très longue frontière nigériane : contrairement aux autres, elle existe depuis l'époque coloniale, et sépare deux États d'importance fort inégale, et aux systèmes économiques et monétaires bien différents, mais somme toute complémentaires ; elle tranche aussi dans le vif l'aire de peuplement haoussa, monde pluriséculaire de paysans mais aussi de commerçants et de citadins. A partir de la grand-route sahélienne, une dizaine d'axes bitumés se dirigent vers le Nigeria, c'est-à-dire vers les métropoles géantes des régions littorales, via d'autres grandes villes bien plus proches, Kano, presque deux fois millionnaire, Sokoto ou Zaria, comparables à Niamey, etc. Autant de routes vers le sud, autant de postes-frontières devenus des villes, côté nigérien : c'est le cas de Dan Issa, de Matamèye ou de Magaria, sans compter les villes de la grand-route elle-même, qui n'est nulle part à plus de 100 km de la frontière, et la longe parfois de beaucoup plus près, à Birni N'Konni ou à Diffa par exemple.
Fig. 20 : Types de villes nigériennes
L'armature urbaine du Niger semble donc finalement résulter de l'articulation de plusieurs familles de villes, celle du fleuve, celle de la route, celle de la frontière, sans compter les cités minières ou les simples centres ruraux, chaque ville pouvant d'ailleurs participer à la fois de plusieurs catégories. Il est également possible d'identifier un véritable réseau urbain hiérarchisé en pays haoussa nigérien. Celui-ci étant méridional dans le cadre national, frontalier et traversé par "la route de l'unité", on peut penser qu'il est logique, indépendamment du fait culturel, que de nombreux types de villes secondaires y soient représentés ; mais deux éléments, du côté nigérien, donnent à penser que cette vaste région ethnique transnationale constitue un milieu spécifiquement urbanisant. D'une part, de grandes villes (Maradi et Zinder, elles-mêmes dominées par Kano, Katsina et Sokoto, grandes villes haoussa du Nigeria septentrional avec lesquelles elles sont en relation) dominent l'armature régionale (constituée de 32 des 60 villes nigériennes en 1988), et d'autre part, l'on y trouve plus de la moitié des simples centres d'encadrement ruraux du pays (8 sur 13 en 1988), qui ne doivent pas leur vocation urbaine aux avantages de localisation précités.
La composition et l'agencement de l'armature urbaine nigérienne, plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, est en fait l'héritage d'une longue histoire, qu'il importe à présent de reconstituer dans ses grandes lignes.
2- Trois phases pour une genèse complexe
a) A l'aube de l'indépendance : sur fond de villes très anciennes, le paradoxe d'une armature urbaine embryonnaire
En 1956, à la fin du temps colonial, le Niger est un pays très peu urbanisé : les citadins, au nombre de 100 000, n'y représentent que 3,6 % de la population totale. La carte de l'armature urbaine (Fig. 21) se résume à onze localités, d'ailleurs fort discrètes : la capitale, Niamey, n'a que 23 000 âmes, et seulement trois autres villes, Zinder, Tahoua et Maradi, dépassent les 10 000 habitants. A l'exception d'Agadez, toutes sont situées dans la frange agricole méridionale ; huit sont en pays haoussa, au long ou à proximité (sauf Tahoua et Filingué) de la route qui suit la frontière du Nigeria, alors sous domination britannique.
Si l'on considère l'histoire, une telle situation peut sembler paradoxale. La colonie française du Niger est en effet située au coeur même des contrées sahéliennes, où la tradition urbaine est une des plus anciennes de l'Afrique noire. Les villes sont nées ici du grand commerce qui reliait, à travers le Sahara, le Maghreb et l'Egypte aux grands États de la région : le Sonrhaï (le long du fleuve Niger) et le Kanem (autour du lac Tchad), attestés dès le VIIème siècle, et plus tard les cités-Etats haoussa, entre les deux empires en déclin. C'est peut-être au Xème siècle que fut fondée Agadez, dans l'Aïr, plaque tournante des routes transsahariennes bientôt placée sous la protection d'un puissant sultanat touareg. Au XVème siècle, alors que renaît lÉtat sonrhaï à Gao, que le Borno ressuscite l'ancien Kanem, et que les États haoussa sont au faîte de leur puissance, le fait urbain est ici à son apogée. Des caravanes relient Kano et les autres villes de la région au littoral méditerranéen, via Tombouctou, Agadez ou le Djado, et les relations se développent aussi avec les cités du pays yorouba et du littoral du Golfe de Guinée. Centres économiques, culturels et religieux, les villes du Sahel sont en plein essor démographique ; une architecture originale s'y développe et des structures politiques et sociales de plus en plus complexes s'y mettent en place. Agadez, par exemple, est au XVIème siècle une ville fortifiée incluant vingt quartiers et un faubourg extra-muros, avec de nombreuses maisons à étage et peut-être 50 000 habitants, Haoussa du Gobir et du Katsina, Sonrhai, Touareg, Arabes, etc. Peu de villes en revanche en pays djerma, dans la vallée du fleuve Niger : des guerres locales incessantes en détournent le grand commerce, facteur essentiel de lurbanisation.
Le XVllème et le XVlllème siècles vont voir le maintien de la riche civilisation urbaine du monde haoussa (qui prend le relais de l'empire de Gao détruit par les Marocains), mais dans le même temps l'activité des comptoirs européens du littoral atlantique détourne progressivement vers ce dernier les courants d'échanges internationaux, condamnant à terme la première génération des villes du Sahel. Un regain intervient pourtant au début du XIXème siècle, avec la guerre sainte d'Ousman dan Fodio et de Mohammed Bello : nouvelles fondations urbaines (dont Sokoto), mais aussi, par exemple, essor de Maradi où s'est réfugiée la dynastie haoussa chassée de Katsina. Dans le nord, Agadez a perdu son ancienne splendeur : en 1850, l'explorateur Barth y trouvera surtout des ruines et une impression d'abandon, jusque dans le palais du sultan. A l'époque, on note en revanche au centre-est l'essor de Zinder, capitale de lÉtat du Damagaram, dont le sultan opposera une vive résistance à la conquête française, à la fin du siècle. Citons aussi les villes de Tessaoua et de Birni N'Konni en pays haoussa, et dans l'ouest la ville de Say qui est, sur la rive droite du fleuve, un marché et un centre religieux fort important, mais dont le déclin sera spectaculaire et très rapide : de 30 000 habitants vers 1850, sa population sera tombée à quelques centaines en 1902.
Ce déclin relatif des villes anciennes, qu'il ait été lent ou rapide, va se trouver confirmé, par la structuration économique de l'espace nigérien, constitué aux marges des territoires des principales formations politiques précoloniales. La période coloniale voit en effet l'émergence d'une seconde génération de centres urbains, nés des impératifs militaires et politiques de la conquête, puis confortés par la nouvelle organisation administrative du pays. Celle-ci est mise en place en 1910 : partition du territoire en seize cercles (dont quatre unitaires) et 27 subdivisions ayant chacun son chef-lieu, et création d'un certain nombre de postes administratifs (ils seront 13 à la fin de la période en 1961). Tantôt reprenants des villes précoloniales (comme à Zinder, à Maradi, à Tahoua ou à Agadez), tantôt implantés en des sites nouveaux (comme à Niamey, Tillaberi ou Filingué), ces chefs-lieux deviendront des centres d'échange dans le cadre d'une économie coloniale essentiellement agricole. La plupart sont situés dans la "bande utile" méridionale où se développe notamment la culture de l'arachide, et c'est ce que confirme a contrario le cas d'Agadez, la plus ancienne et la plus prestigieuse des villes d'autrefois : après l'écrasement de la révolte sénoussite de Kaocen, la vieille cité saharienne achève de se vider de ses habitants en 1921, et il lui faudra trente ans pour faire à nouveau figure de centre urbain. Zinder elle-même, malgré sa localisation méridionale, souffre déjà d'un problème aigu de ravitaillement en eau. Aux yeux du colonisateur, elle a de plus le désavantage d'être soumise à l'influence des villes et du réseau de communications du Nigeria britannique tout proche. Coupée de son avant pays, elle perdra donc assez vite son rôle de chef-lieu de la Colonie, même si l'économie arachidière lui garantit une certaine prospérité.
Fig. 21 :
Le fait essentiel est l'ascension, d'ailleurs assez progressive, de Niamey, poste fondé par les Français en 1901 et devenu, après une brève éclipse, chef-lieu définitif du Territoire du Niger en 1926. La cité, riveraine du grand fleuve, est bien plus tournée que Zinder vers le reste de l'A.O.F., et notamment vers les ports dAbidjan et de Cotonou, ce qui se traduira par des projets de liaisons ferroviaires jamais totalement abouties. Niamey ne compte encore que 2 500 habitants en 1932, mais elle va connaître un développement important après la Grande crise et plus encore après la Seconde guerre mondiale. C'est au début des années 50 quelle rattrape puis dépasse Tahoua et Zinder : au moment de l'indépendance, elle regroupera à elle seule plus du tiers de la modeste population citadine du Niger. Car à l'exception (somme toute tardive) de la capitale, la croissance démographique globale des centres urbains aura été ici assez faible (guère supérieure au solde naturel), et tous restent de petites villes en 1956. En fait, le système colonial aura tout à la fois anéanti les fondements politiques et économiques traditionnels de la puissance urbaine, et instauré une paix permettant aux populations de s'installer et de vivre en toute sécurité en milieu rural. L'enclavement du Niger, son faible peuplement, le caractère fort traditionnel de ses sociétés rurales (et citadines) ont évidemment entravé eux aussi le déclenchement du processus d'urbanisation "moderne" qui affectait, à la même époque, bien d'autres territoires africains. Le contexte allait beaucoup changer après 1960, comme on va le voir.
b) Au plus fort du boom de l'uranium : Niamey et le désert nigérien"
Le recensement de 1977 révèle une situation de l'armature urbaine nigérienne bien différente de celle de 1956. On compte désormais 565 000 citadins, soit 11 % de la population totale du pays, et le nombre des villes (29) a presque triplé en deux décennies. Le taux moyen de croissance de la population citadine, 8,7 % par an, a été au cours de cette période un des plus élevés de toute l'Afrique tropicale. Avec dix à vingt ans de décalage par rapport aux États riverains du Golfe de Guinée, l'explosion urbaine a fini par atteindre le Niger, qui reste pourtant un pays globalement sous-urbanisé à l'échelle du Monde, et même du continent noir. Dans l'espace national, la grand-route qui longe la frontière méridionale s'affirme comme l'axe vecteur essentiel de l'urbanisation (8 des 11 villes de 1956 étaient "routières", elles sont toujours plus de la moitié en 1977, 16 sur 29). A l'ouest, le fleuve commence à jouer un rôle similaire en accueillant 5 villes sur ses berges, contre la seule Niamey 11 ans plus tôt, et lon voit par ailleurs apparaître ici et là quelques localités secondaires en périphérie des villes principales (Say pour Niamey, Tibiri pour Maradi et Mirria pour Zinder). Un centre nouveau sur quatre, cependant, est né en plein milieu rural, et cela est vrai surtout dans l'aire ethnoculturelle haoussa. Une certaine diffusion spatiale du fait urbain paraît ainsi s'amorcer, même si, à considérer la carte (Fig. 21) et les chiffres, le contraste est frappant entre Niamey et ce qu'on est tenté d'appeler (sans jeu de mots) le désert nigérien.
Tab. 8 et Fig. 22 :
Poids relatif des catégories de villes nigériennes
Par rapport à la situation de 1956, et comme l'illustre le graphique de la répartition "rang-taille" (Fig. 26), le changement statistique le plus significatif est en effet d'ordre structurel. La part des petites villes dans l'effectif urbain total a chuté de moitié, passant de 77 % à 36 %, alors même que leur nombre grimpait de 10 à 25 entre 1956 et 1977. Une catégorie intermédiaire est apparue, celle des villes moyennes (de 25 000 à 60 000 hab.) : on y retrouve Zinder et Maradi dont la croissance a été très forte (autour de 7 % par an), ainsi que Tahoua qui semble désormais à la traîne. Surtout, la macrocéphalie du système s'affirme avec vigueur, puisque Niamey regroupe désormais 225 000 habitants, soit 40 % de tous les citadins. La population de la capitale a été multipliée par dix, ce qui correspond à une croissance de 11,5 % par an en moyenne au long de ces deux décennies. Le tableau est certes classique, s'agissant d'un pays africain, mais on peut se demander à quelles causes spécifiques attribuer ici ce brusque démarrage du processus d'urbanisation.
Le premier facteur, chronologiquement et par ordre d'importance, tient (comme déjà au début du temps colonial) à la réorganisation administrative qui a suivi l'indépendance. La réforme de 1964 a redécoupé le pays en sept départements, eux-mêmes subdivisés en arrondissements (il y en aura finalement 36) et en cantons ruraux. Les chefs-lieux des départements (préfectures) correspondent logiquement aux villes principales, Niamey, Zinder, Maradi, Tahoua et Agadez, auxquelles s'ajoutent les localités plus modestes de Dosso à l'ouest, et de Diffa, créée pour la circonstance à l'extrême sud-est du Niger. Chacune de ces villes, dont les six premières sont érigées en commune entre 1966 et 1972, a reçu un ensemble de services et d'équipements (hôpital et lycée notamment) correspondant à son ressort territorial. On a fait de même, à un niveau inférieur (avec notamment la création systématique dun CEG), pour les chefs-lieux d'arrondissements (sous-préfectures), redonnant vie parfois à des centres traditionnels comme Say, Tessaoua ou N'guigmi, mais favorisant plus souvent de simples bourgs ruraux, subitement assimilés pour la circonstance à des centres urbains.
Cette promotion, et ce rôle nouveau, ont évidemment contribué au renforcement d'un exode rural, jusqu'alors bien modeste, et en partie détourné vers les grandes villes du Nigeria septentrional ou vers les ports des pays littoraux. Les nouveaux chefs-lieux se comportent désormais comme autant de relais d'une migration qui s'oriente vers les villes moyennes et vers Niamey. A cet égard, la diffusion (même limitée) de l'enseignement dans les campagnes apparaît comme un des éléments moteurs du processus, facilité aussi par la mise en place d'un réseau routier moderne et performant. Mais l'origine de l'exode doit être recherchée dans la crise structurelle qui affecte le monde rural nigérien : défrichements, raccourcissement des jachères et surpâturage provoquent l'érosion des sols et l'avancée du désert, et globalement la production vivrière ne parvient pas à suivre la progression démographique. Cette crise va s'aggraver encore lors de la grande sécheresse qui frappe les pays du Sahel en 1973-74, et dont Niamey est ici la principale "bénéficiaire" : en une seule saison, la capitale ne voit-elle pas affluer alors quelque 16 000 nouveaux citadins ? La fonction d'accueil des réfugiés de la sécheresse explique sans doute aussi, en partie, l'émergence des villes moyennes au cours de la période.
Un autre facteur déterminant est le développement, à la même époque, de l'exploitation de l'uranium, découvert quelques années plus tôt sur les marges occidentales de l'Aïr. Créée en 1971 en plein désert, la ville minière d'Arlit va constituer (avec l'agglomération jumelle d'Akokane qui verra le jour un peu plus tard) l'élément le plus spectaculaire de la troisième génération des villes nigériennes. Bâtie pour accueillir 5 000 habitants, elle en compte déjà près de 10 000 en 1977. Surtout, la manne de l'uranium procure à lÉtat nigérien de très substantiels revenus, utilisés notamment au développement du réseau routier, et à la construction de nouveaux équipements et services collectifs de toutes sortes dans la capitale et dans les différents chefs-lieux, d'un bout à l'autre du territoire national. L'effet "urbanisant" très rapide de cette nouvelle prospérité se trouve dans une certaine mesure conforté par l'essor, depuis 1960, des industries fournissant le marché local ou tentant de valoriser les ressources agricoles : on trouve une cinquantaine de ces entreprises en 1977, installées pour la plupart à Niamey et (très secondairement) à Maradi, avec quelques implantations ponctuelles à Zinder ; Tillabéri ; Dosso ; Malbaza (ville nouvelle de moins de 5 000 habitants autour dune cimenterie), Madaoua ; Matamèye et Magaria (où les huileries eurent une existence éphèmère au cours de la décennie 70, laissant place à de fantastiques friches industrielles).
c) Les évolutions récentes : crise économique et rééquilibrage du processus d'urbanisation
L'image de larmature urbaine du Niger en 1988 exprime à la fois la continuité et une certaine rupture par rapport à la situation de 1977. Continuité sans doute, puisque le décor planté de longue date n'a pas fondamentalement changé, et que les tendances observées naguère sont, dans l'ensemble confirmées. Avec un croît annuel moyen qui a un peu fléchi (7,4 %), la population citadine nationale a plus que doublé, pour atteindre 1 240 000 habitants : 17 % des Nigériens vivent désormais dans les villes, soit un taux encore assez faible pour le continent noir. Le fait nouveau est que, contre toute attente (ou en dépit des idées reçues), la macrocéphalie tend à s'estomper : Niamey, que l'on s'attendait à voir quasi millionnaire à l'horizon 1990, n'a "que" 392 000 habitants en 1988. Ceci équivaut à 32 % du total des citadins (contre 40 % onze ans plus tôt), soit depuis 1977 un taux d'accroissement annuel de 5,2 %, inférieur de plus de moitié à celui de la période précédente. En revanche, il y a désormais ici 60 centres urbains (contre 29 précédemment), dont 52 sont des petites villes et sept des villes moyennes, en plus de la capitale. S'ajoutant à Zinder, Maradi et Tahoua, les agglomérations d'Agadez, Arlit, Birni N'Konni et Dosso accèdent à ce dernier groupe en franchissant la barre des 25 000 habitants. Le croît démographique annuel de ces villes moyennes a atteint 10,7 % par an depuis onze ans (mais 6,8 % seulement pour les trois principales). Aussi les effectifs cumulés de cette catégorie (inexistante, rappelons le, en 1956) sont-ils passés, entre 1977 et 1988, de 24 % à 34 % de la population urbaine totale.
Fig. 23
C'est d'ailleurs la "promotion" de quatre agglomérations qui explique que le poids relatif des petites villes n'ait pas augmenté : 35 % des citadins en 1988, contre 36 % précédemment. La stagnation n'est qu'apparente puisque le nombre des petits centres est passé de 25 à 52, et que le croît démographique global du groupe a grimpé de 4,8 % à 7 % par an, de la période 1956-1977 à la suivante. A cette catégorie appartient logiquement la trentaine de centres qui apparaissent pour la première fois : sans cette floraison soudaine, le tassement d'ensemble de la croissance de la population citadine aurait été beaucoup plus marqué, puisque 23 des 26 centres urbains, ou (initialement) semi-urbains, dont on peut suivre l'évolution démographique depuis 1956, ont vu leur croît annuel fléchir nettement entre 1977 et 1988. Quant à cette quatrième génération de villes nigériennes, et à l'exception de quelques créations ponctuelles dans le nord désertique et dans l'extrême sud-est, elle se répartit assez équitablement entre la région haoussa d'une part, la région du fleuve de l'autre (Fig. 23). Perdus au fond des campagnes ou jalonnant les axes majeurs (comme Abalak située sur la route entre Tahoua et Agadez, ce poste administratif est devenu la 36e sous-préfecture du pays en 1992, peu de temps après avoir atteint les 5 000 habitants mais aussi après que ses ressortissants aient été impliqués dans les tragiques événements de Tchin-Tabaradem), tout proches parfois d'une ville plus importante (c'est le cas de Kollo, Karma et Torodi autour de la capitale ou Madarounfa à proximité de Maradi), anciens bourgs pour la plupart ou plus rarement chefs-lieux créés de toutes pièces (comme Aguié, Guidan-Roumji, et récemment Tchirozérine), les centres élémentaires forment ici de nos jours la trame essentielle du phénomène urbain.
3- Le renouvellement par le bas : l'organisé et le spontané
On est donc en présence d'un renouvellement par le bas de l'ensemble du système, et le recensement de 1988 n'en révèle sans doute que les prémices. A l'origine du processus, on retrouve la greffe administrative, qui date, comme on sait, des lendemains de l'indépendance, mais qui continue de produire ses effets. Ce n'est pas un hasard si 38 petites villes sur 52 ont un rôle d'encadrement territorial qui va de celui de chef-lieu de département (dans le cas de Diffa et, depuis 1987, de Tillaberi) à celui de chef-lieu de canton, le rôle de chef-lieu d'arrondissement étant de loin le plus fréquent. Du reste, 33 des 36 sous-préfectures du Niger sont statistiquement des centres urbains en 1988, selon les critères adoptés dans ce travail. La même année, la population moyenne d'un arrondissement (celle que "commande" chaque chef-lieu) est de l'ordre de 200 000 habitants. Ce sont en grande majorité des ruraux, et en ce sens les petites villes jouent le rôle de lieux centraux qui encadrent les terroirs environnants, par leurs institutions et par leurs services, mais aussi parce qu'y sont basés la plupart des multiples projets de développement opérant au Niger. Notons en outre la présence dans la liste de 1988 des trois "communes rurales" de Tibiri, Tamaské et Matankari, dont la population dépasse ou approche les 10 000 habitants, et dont la promotion administrative relative (elles ne sont pas devenues des sous-préfectures pour autant) a cette fois suivi, au lieu de la précéder, la mutation du rural à l'urbain. Par ce système de convergence, 11 des 13 petites villes qui ne doivent leur taille urbaine qu'à leurs fonctions d'encadrement du monde rural, sont des centres administratifs : outre les 3 nouvelles "communes rurales", 8 (Keïta, Tchintabaradem, Ouallam, Bouza, Dakoro, Tanout, Filingué et Illéla) sont des sous-préfectures promues en 1964, une (Baleyara) est poste administratif depuis 1971 ; en fait, seules Ibohamane et Dargol émergent comme simples centres ruraux sans aide, ni reconnaissance administrative. Celle-ci est envisagée, si lon en croit le très ambitieux projet de redécoupage administratif présenté par le Haut Commissariat à la réforme administrative et à la décentralisation en mars 1996, à lissue des travaux de «la commission spéciale chargée de réfléchir sur le redécoupage administratif». Ce redécoupage prévoit la création de très nombreuses collectivités territoriales emboitées en trois niveaux (14 régions ; 55 départements ; 774 communes, dont 156 urbaines) au sein desquels vient sintercaler un niveau de déconcentration (155 arrondissements). La multiplication des mailles et le principe de non cumul des fonctions de chef-lieu aboutiraient à la promotion de très nombreuses agglomérations et à la rétrogradation de quelques unes (Diffa par exemple qui se verrait supplantée par NGuigmi comme chef-lieu de région). Ce projet est présenté comme indissolublement lié à la décentralisation qui est déjà inscrite dans la loi et qui fait lobjet dengagements officiels pris par lEtat dans les accords de paix avec la rébellion et dans les conventions avec les bailleurs de fonds internationaux. Le nouveau dispositif institutionnel et territorial a cependant peu de chances dêtre effectivement mis en place à court terme compte tenu du contexte politique et économique. (voir Livre second II A b)
Fig. 24
Fig. 25
Fig. 26
La corrélation paraît évidente, en général, entre la localisation des petites villes (notamment les plus récentes) et les zones de fortes densités rurales (Fig. 25), ou celles qui ont connu l'accroissement démographique le plus fort au cours de la dernière décennie. On trouve dans la première catégorie les arrondissements les plus méridionaux des départements de Tahoua, de Maradi et de Zinder, où les densités rurales élevées (plus de 40 hab/km2 en général, parfois plus de 100) s'expliquent par des facteurs à la fois naturels et historiques, puisque nous sommes ici en plein pays haoussa.
Dans la deuxième catégorie se range la région du fleuve, du moins au sud de Niamey ; au nord de la capitale en effet, l'émergence de divers petits centres vient en contrepoint d'une certaine stagnation démographique des milieux ruraux. Il en va de même au long de la route de l'uranium, comme aux abords du lac Tchad, tandis que l'essentiel du nord saharien demeure vide d'hommes, et de villes. Cette zone mise à part, le semis urbain se diffuse et se densifie partout, prenant l'allure d'une galaxie étirée tout au long de la "bande utile" méridionale. Concurremment avec les villes moyennes, ces petites villes imbriquées en milieu villageois fixent à l'évidence une part décisive d'un exode rural qu'alimente toujours la crise profonde des campagnes. Les flux reçus par la capitale s'en trouvent diminués d'autant. Divers indices témoignent même d'un début d'inversion de l'exode, du haut vers le bas de la pyramide urbaine, ce qui ne peut évidemment que contribuer au renforcement relatif des petits centres, et à leur multiplication.
Ainsi le rééquilibrage contemporain de l'armature urbaine nigérienne, que traduit fort bien l'évolution de la distribution "rang-taille" au cours de la période (Fig. 26), résulte moins d'une action concertée des pouvoirs publics que de la récession économique qui frappe brutalement le pays depuis le début des années 80.
La chute des cours de l'uranium, la contraction des investissements et celle de l'aide internationale, ont considérablement réduit l'activité économique moderne du Niger, et par là même les revenus d'un État qui se trouve désormais en cessation de paiement. On comprend que le temps des "villes nouvelles" semble révolu : la dernière, Akokane, date de 1978, et ce n'est pas le charbon d'Anou Araghène qui est responsable de l'essor récent de Tchirozérine, pas plus que le phosphate d'Aneker ne soutient le développement bien ralenti de Tahoua. Fondée sur l'exploitation artisanale de l'or, la fortune (toute relative) de Dogona, sur la frontière burkinabé, est l'exception qui confirme la règle. Même si les chiffres n'en rendent pas toujours bien compte (le fort accroissement moyen d'Arlit et Akokane, par exemple, est hérité des dernières années fastes de l'uranium), les effets de la crise ont été particulièrement sévères dans les cités minières du nord et dans la capitale, qui concentraient l'essentiel d'un emploi industriel maintenant en pleine déconfiture. Le commerce officiel et les services ont subi la même contraction, et c'est finalement le monde urbain "moderne" dans son ensemble qui a perdu de son attrait tandis quune informalisation généralisée de léconomie se fait sentir (Lecompte, 1994). Quoique plus nombreuses qu'avant, les villes moyennes échelonnées le long de la grand-route semblent tirer moins de dynamisme désormais de leur fonction administrative, comme de leur rôle de carrefour régional. Cest le trafic international (légal ou non) qui apparaît à Birni N'Konni et ailleurs comme la principale source d'enrichissement. E Grégoire (1996) révèle dailleurs que certaines cités peuvent relever simultanément
- dun maillage en filet, que structure notamment le marché parallèle des changes de part et dautre de la frontière avec le Nigeria, et qui implique toute une série de localités de tailles contrastées (Maradi, Zinder, Birnin-Konni, Diffa, Gaya, Dan Issa, Madarounfa, Magaria) ;
- dun maillage en toile daraignée à partir de Niamey pour la lucrative filière des matériaux de construction qui relie des métropoles nationales (Abidjan, Kano, Sokoto, Tamanrasset) et implique secondairement quelques villes de lintérieur comme point de rupture de charge (Arlit) ou comme des places découlement des produits dans des succursales contrôlées par les importateurs (Dosso, Tahoua, Tillabery, Maradi) ;
- dun maillage en chapelet pour le non moins lucratif négoce des cigarettes qui de Cotonou au sud libyen draine dans son sillage quantité de produits depuis lembargo décrété en 1992 par le Conseil de sécurité de lONU. La réactivation de routes commerciales sud-nord profite ainsi du côté nigérien aux cités de Gaya, Agadez, Bilma et Dirkou. Il sagit dune petite bouffée doxygène (sic) pour une ville comme Agadez qui souffre durement du ralentissement de lactivité, notamment touristique, et du transit depuis le déclenchement en 1991 des hostillités entre forces armées nigériennes et groupes armés touaregs.
Ainsi, le fléchissement relatif mais général de la croissance urbaine accompagne une mutation économique structurelle profonde qui voit se substituer partiellement différentes activités informelles ou parallèles à léconomie urbaine rentière de la décennie 70. De là aussi et surtout la fixation partielle des flux migratoires par un semis de petites villes ou de gros bourgs associant urbanité et ruralité, et qui ménagent à leurs habitants une gamme variée de petites activités fondées sur leur rôle de marché rural, d'étape routière, voire de postes-frontière, tout en assurant l'encadrement de terroirs qui restent, en dépit ou à cause de la crise, la base économique primordiale du pays.
B. Le Togo : derrière la macrocéphalie
Plusieurs éléments peuvent décourager une utilisation des données du recensement électoral de 1992 dans le cadre d'une analyse de l'armature urbaine togolaise. Tout d'abord les données que nous avons pu recueillir auprès du CENETI sont incomplètes, le nombre d'électeurs de toute une série de localités ne nous a pas été communiqué. Ensuite les données concernent exclusivement les électeurs, autrement dit la population adulte, elles nécessitent donc une extrapolation pour obtenir une estimation sur le nombre de résidants. Cette estimation est obtenue par l'application d'un multiplicateur proche de 2,2 au nombre d'électeurs de la localité (sur les indications de Y. Marguerat) : 2,1 pour les localités dans lesquelles les hommes sont surreprésentés (Sex Ratio >102) ; 2,2 pour Lomé et lorsque le S.R. est proche de 100 ; et 2,3 si les femmes adultes sont surreprésentées (S.R.