La simulation en chimie au sein du projet Microméga®
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La simulation en chimie au sein du projet Microméga®
Jean-François Le Maréchal HYPERLINK "mailto:lemarech@ens-lyon.fr" lemarech@ens-lyon.fr
Karine Bécu-Robinault, ; HYPERLINK "mailto:karine.robinault@inrp.fr" karine.robinault@inrp.fr
UMR ICAR, groupe COAST (CNRS, université Lumière-Lyon 2, ENS Lyon, INRP, ENS-LSH)
Aster 43, 2006, 81-108
Cet article analyse du point de vue de la modélisation un projet de recherche et de développement ayant mis au point, réalisé et évalué un grand nombre de simulateurs en chimie. La relation avec les modèles enseignés et non enseignés est discutée, et une classification en termes de catégories dobjets de savoir perceptibles, reconstruits et théoriques est proposée. Des simulateurs de chaque type sont décrits, analysés et discutés du point de vue de la modélisation et de la représentation des connaissances. Cet article sadresse à des chercheurs intéressés par la simulation à des fins pédagogiques, spécialement au niveau du lycée, et à des formateurs denseignants pour quils y trouvent une façon de sapproprier et dutiliser des simulateurs dans lenseignement de la chimie.
Limportance de la modélisation dans lenseignement scientifique a été décrite à de nombreuses reprises (Martinand, 1992 ; Gilbert, 1993 ; Tiberghien 1994). Elle est souvent traduite par le fait que les modèles sont des produits de lactivité scientifique, permettant aux scientifiques de dépasser la simple description des faits, de mettre en relation la perception des phénomènes et le recours aux formalismes théoriques. Ils constituent un outil privilégié pour véhiculer les idées scientifiques entre chercheurs, ou entre lenseignant et ses élèves, pour rendre compte, interpréter, ou prévoir les phénomènes. Leur apprentissage reste un enjeu majeur de lenseignement, même si les élèves les laissent coexister avec leurs intuitions initiales (Scott, 1992). Les élèves sont rarement disposés à remplacer leurs propres modèles par ceux, plus théoriques (par exemple celui du gaz parfait), proposés par la science (Chi et al., 1994), car certains changements de modèles demandent des transformations ontologiques se traduisant par de profondes et coûteuses reconceptualisations. Létude des modèles, incluant celle de leurs limites, doit être prise en charge pendant lenseignement puisque les élèves sont rarement familiers avec les modèles scientifiques et leurs représentations métaphoriques (Duit, 1991). Des outils tels que les logiciels de simulations permettent aux élèves de faire fonctionner ce type de connaissances et constituent à ce titre des atouts précieux.
Les novices utilisent fréquemment les traits de surface (notamment la couleur, la forme et les aspects dynamiques) des différentes représentations qui leur sont données à voir lors de lenseignement pour essayer de construire une compréhension des phénomènes chimiques. Ils éprouvent des difficultés à franchir les frontières de ces différentes représentations et, plus encore, à les mettre en relation pour donner du sens aux traits de surface sur lesquels sont fondés leurs raisonnements (Harrison & Treagust, 2000 ; Kozma, 2003). Les représentations produites en laboratoire par les instruments (pH-mètre, conductimètre) néchappent pas à cette constatation (Kelly & Crawford, 1996). Les logiciels de simulation, par la représentation synchrone dévènements pertinents en relation et par la multiplicité des types de représentations possibles, constituent un outil de choix pour aider à vaincre ces difficultés liées à lutilisation exclusive des traits de surface.
En chimie, différents types de modèles sont utilisés dans lenseignement. Ils sont dits analogiques quand ils se réfèrent à des représentations concrètes, abstraites ou mixtes dobjets scientifiques et de théories en usage dans les manuels scolaires (Harrison & Treagust, 2000). Pendant plus dun siècle, lenseignement de la chimie et des modèles analogiques a utilisé papiers et crayons, craies et tableaux et, plus récemment, lécran (Habraken, 2004).
Un groupe denseignants coordonné par un chercheur en didactique sest posé la question de savoir sil était possible de créer des situations denseignement de la chimie à partir de simulations sur les ordinateurs accessibles dans les établissements scolaires. Lobjet de cet article est de décrire les aspects didactiques liés à la réalisation et à lanalyse des outils de modélisation et de simulation de ce projet. Un point de vue sur la simulation va être fourni ainsi quun cadre théorique pour cette présentation. Les différentes catégories de simulateurs produits seront décrites ; certains simulateurs ont donné lieu à des travaux de recherche dont les résultats seront rappelés brièvement. Dautres ont fait lobjet dévaluations pédagogiques lors de leur utilisation en classe. Cet article se propose également de décrire la conception dun ensemble intégré de simulateurs. La pertinence de certains simulateurs, pour lapprentissage des modèles en chimie, a été montrée par des recherches qui sont évoquées. Pour cela, le contexte du travail va présenter les contraintes initiales et les choix qui ont prévalu à ce projet. Les principaux simulateurs développés au cours du projet sont ensuite décrits et analysés par type de connaissances mises en jeu.
1. Contexte
En 1999, à lorigine de ce projet, il nexistait pas densemble cohérent de simulateurs dédiés à lenseignement de la chimie au niveau du lycée. Des outils de simulation avaient fait leur apparition sur le marché et sur la toile mais les seuls qui couvraient un large domaine de connaissances étaient conçus pour lenseignement supérieur (simultit®, pour les titrages acide-base, doxydoréduction, par conductimétrie, fut certainement un des plus utilisés dès les années 90). Concernant lenseignement secondaire, les outils se présentaient sous forme isolée et ne traitaient que dun petit nombre de domaines. Lappropriation de ces outils, tant du point de vue de leur fonctionnement que de leurs objectifs, posait un problème important dinvestissement personnel, tant pour lenseignant que pour les élèves. Par ailleurs, la mise en cohérence avec le reste de lenseignement (cours, travaux pratiques (TP), exercices) restait souvent un obstacle. Le projet Micromega® sest attaqué à ces difficultés en cherchant à élaborer, à loccasion de la réforme des programmes scolaires entamée en septembre 2000 en classe de seconde, un ensemble « livre élève + livre du professeur + cédérom » avec des simulateurs, des vidéos et un cours doté dun moteur de recherche. Ce projet sinscrivait dans la demande du texte du bulletin officiel de lÉducation nationale (BO) stipulant que des activités associées à des technologies de linformation et de la communication appliquées à lenseignement (TICE) devaient être proposées ponctuellement aux élèves. Le présent article limite son analyse aux simulations de chimie de ce large projet financé par les éditions Hatier.
Le choix du support cédérom et non dun site Internet a été guidé par la difficulté technique des utilisateurs (dans les lycées et au domicile) à disposer, au début du projet, de possibilités de téléchargements suffisamment performantes. Cest également la garantie, pour lenseignant prescripteur dun travail utilisant ces TICE, davoir la maîtrise du contenu didactique dont lélève dispose. En effet, un site web, évolutif par nature, noffre pas cet avantage. Sept ans après, ce choix devrait être à nouveau débattu, ne serait-ce que parce que les pratiques enseignantes, tout comme laccessibilité de la toile, ont évolué.
Le choix des simulations à créer a été guidé par la possibilité de manipuler des modèles, objets de lapprentissage, pour interpréter des évènements devenant dès lors simulables. Pour certains évènements chimiques, des vidéos de quelques dizaines de secondes ont parfois été préférées, pour permettre à lélève de visualiser la scène réelle dans les meilleures conditions possibles. Pour dautres évènements, des modèles permettant de réaliser des simulations ont été utilisés. Leur description et leur analyse font partie de lobjet de cet article.
Le choix de laccompagnement des logiciels de simulations a été guidé par les possibilités dutilisation visées par ce projet : en classe sous la conduite de lenseignant au sein dun cours, ou en classe sous la conduite de lélève au sein dune séance dexercices ou de TP, ou enfin à la maison suite à la prescription ou non du professeur, pour réviser, approfondir ou rattraper un enseignement. Chaque logiciel de simulation a donc été accompagné :
- dun exercice tutorial appelé « Prise en main » guidant concrètement lutilisateur de linterface ;
- dexercices corrigés mettant en jeu le simulateur ;
- dune analyse dans le livre du professeur ;
- de renvois pertinents depuis le manuel de lélève ou le cours implanté dans le cédérom.
Un site avec un forum de questions/réponses a également servi dappui pour les élèves et les enseignants. De facto, il a surtout été utilisé par les élèves et essentiellement pour demander de laide dans les formes les plus classiques de lutilisation des éléments du projet Micromega®, à savoir les exercices du manuel donnés à faire à la maison par le professeur.
De dimension variable au cours du projet, léquipe qui a réalisé les livres et les cédéroms était constituée, par exemple en terminale, de 38 personnes (informaticiens, chercheurs, auteurs pour la plupart des enseignants du niveau concerné éditeurs, photographes, cinéastes, iconographes, dessinateurs
). Les contraintes du rythme dinstallation des nouveaux programmes ont imposé que chaque année soient produits les livres pour lélève, le professeur, et les cédéroms. Dans le cas de la terminale, cela correspond à 6 ouvrages couvrant la chimie, la physique, lenseignement de spécialité ainsi quun cédérom élève et un cédérom professeur contenant lensemble de ces éléments. Ce rythme soutenu de production a conduit à réaliser les simulateurs suite à lanalyse du savoir à enseigner en relation avec les conceptions des élèves, et à en évaluer certains a posteriori après leur commercialisation définitive.
2. Cadre théorique
2.1. Contraintes que doit respecter une simulation
Longtemps cantonnée au domaine de la recherche en physique, la simulation est apparue dans lenseignement universitaire avant de trouver sa place dans les lycées, au domicile, sur Internet, etc. La simulation a depuis longtemps été reconnue comme permettant de montrer des expériences dangereuses, difficiles à réaliser, coûteuses, ou pour palier un manque déquipement (Milner & Wildberger, 1974). Cest le cas dans cet article avec notamment létude de la conductimétrie ou de la spectrophotométrie, mais nous allons principalement utiliser la simulation pour illustrer le fonctionnement dun modèle et ainsi en modifier lintroduction pédagogique. Des disciplines éloignées de la physique mais disposant de modèles, comme léconomie, y ont également recours.
La simulation (en physique) renvoie principalement à deux catégories de logiciels (Beaufils, Durey, Journeaux, 1997a ; 1997b ; de Jong & Van Jooligen, 1998) : les logiciels de simulation dun phénomène ou dun appareillage. Un tel classement devient bancal pour décrire les outils de simulation en chimie qui, fréquemment, impliquent des relations entre les mondes microscopique et macroscopique. À la fin de notre présentation théorique, nous proposerons un autre type de classement qui sera utilisé dans la suite de larticle.
La simulation nécessite la mise en uvre de deux couches fondamentalement différentes de gestion de la connaissance.
La plus profonde correspond au traitement des calculs réalisés par lunité centrale de lordinateur. Elle nécessite, pour celui qui lélabore, un traitement calculatoire des connaissances relatives au domaine simulé. Cette couche est transparente pour lutilisateur et la question de savoir jusquà quel point celui-ci doit être informé de son contenu est source de débat. Cette question ne sera pas abordée dans cet article.
La seconde gère laffichage à lécran des différentes représentations des connaissances mises en jeu. Elle rend ostensible le traitement de la couche profonde dans laquelle les résultats des calculs sont présents au sein de variables informatiques parfois très codées. Nous lavons considérée dun point de vue sémiotique proche de Duval (1995). Les registres sémiotiques utilisés dans cette couche sont notamment : le langage naturel, même si les termes utilisés sont peu courants (molécules, spectrophotomètre, etc.), le registre symbolique avec les formules et les équations chimiques, les représentations iconiques comme les schémas de molécule ou dappareil, et les graphes. Lhypothèse dapprentissage de Duval, initialement introduite pour les mathématiques, sest montrée également pertinente pour lapprentissage des sciences expérimentales (Bécu-Robinault, 1997). Lutilisation de chaque registre nécessite la mise en oeuvre de connaissances spécifiques, de même que la coordination de ces différents registres. Ainsi, nous partageons avec Duval lhypothèse que lapprentissage dun concept est lié à lutilisation et à la coordination des registres sémiotiques quil met en jeu.
2.2. Gestion des connaissances par lutilisateur
Cette étude adopte un point de vue constructiviste (Tobin, 1993 ; Staver, 1998) et nous allons donc nous intéresser à décrire les connaissances en tant que rapport à des objets de savoirs institutionnels que les individus doivent développer pour eux-mêmes. Lutilisation du point de vue dit de la modélisation (Tiberghien, 1994 ; Bécu-Robinault, 1997), pour décrire à la fois la science et le fonctionnement des élèves sur la base des liens entre différents niveaux de connaissances (par exemple théoriques ou expérimentales), sest révélé pertinente. Cette approche permet de rendre compte de lécart entre le fonctionnement de lélève et celui de la physique, et fournit ainsi un bon indicateur de lapprentissage.
En chimie, il est essentiel de prendre en compte la description des objets et des évènements au niveau microscopique si lon souhaite aider les élèves à se construire un modèle explicatif. Les deux points de vue généralement utilisés en didactique considèrent soit lapprentissage de la chimie comme la mise en relation dun monde macroscopique, dun monde microscopique et dun mode symbolique (Jonhstone, 1993), soit, en ladaptant, le point de vue de la modélisation (Le Maréchal, 1999). Ce dernier reprend une approche voisine de celle décrite précédemment pour le fonctionnement de la physique. Il considère que, dans le niveau théorique, certaines connaissances ont un statut dobjet, comme les atomes, les molécules ou les ions notamment. Nous considérons ces objets comme appartenant à un monde dit reconstruit (figure 1).
Constater quun mélange de liquide change progressivement de couleur est dordre perceptif. Décrire cet évènement en termes dions, de molécules, de chocs entre particules, consiste à se placer dans le monde reconstruit. Des liens entre mondes perceptible et reconstruit doivent pour cela être établis. Lutilisation de théories, modèles ou grandeurs permet de prévoir comment évoluent les objets reconstruits, et donc ceux du monde réels.
Sur la base de cette catégorisation des connaissances, des interprétations de difficultés délèves ont pu être proposées (Gandillet et al., 2003), des séquences denseignement ont ainsi été validées (Roux & Le Maréchal, 2003b). Cette catégorisation a également permis une meilleure compréhension de la relation entre le texte et limage dans lapprentissage à laide de films scientifiques (Pekdag & Le Maréchal, 2006). Dans ces travaux, comme dans la plupart de ceux qui adoptent le point de vue de la modélisation, lapprentissage est décrit par la mise en relation de connaissances qui sont soit du même monde, soit de mondes distincts, que ces relations soient correctes ou non du point de vue du savoir savant.
Figure1. Représentation des différents mondes perceptible, reconstruit et théorique permettant de catégoriser les connaissances mises en jeu en chimie par le savoir savant ou par les apprenants
EMBED ChemDraw.Document.6.0
Les chimistes sont friands de représentations matérielles comme les modèles moléculaires, quils soient constitués dobjets (boules et bâtons, pâte à modeler et allumettes), ou représentés en deux dimensions dans les livres. Ces modèles, qui rendent ostensibles les objets reconstruits, ont petit à petit été représentés sur les écrans dordinateur où ils ont pu sanimer et représenter ainsi des évènements reconstruits. Les connaissances afférentes à ces représentations possèdent certains attributs du monde perceptible, alors que dautres relèvent du monde reconstruit, au sens où ces représentations sont soumises aux mêmes lois que celles des objets reconstruits (rupture de liaisons chimiques en relation avec lénergie du système, vitesse de déplacement en relation avec un paramètre de température). Il sest révélé pertinent, pour décrire lapprentissage, denrichir la figure 1 en considérant un monde simulé, isomorphe des mondes perceptible et reconstruit ; un tel monde est constitué dobjets simulés, dévènements simulés et de leurs propriétés (figure 2). Une telle représentation des connaissances a permis notamment de mettre en évidence le type de connaissances utilisées par les élèves et le rôle du simulateur (Roux & Le Maréchal, 2003b).
Figure 2. Les différents mondes perceptible, simulé, reconstruit et théorique permettant de décrire lactivité de lélève dans une situation mettant en jeu une simulation dévènements chimiques
EMBED ChemDraw.Document.6.0
2.3. Hypothèse dapprentissage
Nous formulons les hypothèses, maintenant largement partagées, que lapprentissage dune science consiste pour un apprenant à établir des relations entre différents mondes, et à coordonner les différents registres sémiotiques permettant de représenter les connaissances en jeu. Notre cadre théorique permet de préciser si ces relations sont établies au sein dun même monde, ou entre mondes différents. Ces hypothèses sont à la base de la construction de logiciels de simulation qui vont permettre de créer les conditions favorables à larticulation des nombreuses connaissances devant être simultanément introduites lors de lenseignement de nouveaux modèles en chimie.
3. Analyse des simulations
De nombreux logiciels de simulations ont été développés dans le cadre du projet Microméga® et un des objets du présent article est de les décrire en adoptant le point de vue de la modélisation exposé ci-dessus. Certains mettent en relation le monde simulé avec les seuls mondes perceptible ou reconstruit, dautres mettent également en jeu le monde théorique, voire les différents mondes. Cette approche est en adéquation avec nos hypothèses dapprentissage, et permet à lenseignant qui se les approprie de prendre conscience des difficultés des élèves et donc de les prévoir.
3.1. Simulation et monde perceptible
Les logiciels qui permettent dafficher à lécran des éléments simulés du seul monde perceptible concernent lintroduction de la chimie de laboratoire. La manipulation virtuelle dobjets perceptibles rencontrés en TP, essentiellement la verrerie, est possible grâce au simulateur montage chimie.
Montrer lenvironnement dans lequel le chimiste travaille fut un souci des concepteurs des programmes du début de lannée de seconde. Un simulateur de montages expérimentaux de filtration, de distillation, dextraction à la vapeur
permet de mettre en uvre les connaissances relatives à ce type dactivités. Une liste de 13 pièces de verrerie (colonne à distiller, condenseur, ballon, entonnoir de filtration
) constituant des objets perceptibles est virtuellement à disposition à gauche de lécran ; leur activation, un par un, les font apparaître (figure 3). Lutilisateur peut les assembler jusquà constituer un montage expérimental de chimie. Seule la couche de représentation est utilisée par ce logiciel et aucune modélisation nintervient. Lobjectif dun tel simulateur est la familiarisation avec le matériel, tant du point de vue de son utilisation que du vocabulaire associé. De telles connaissances semblent élémentaires mais ne sont pas toujours acquises par les étudiants même avancés dans leurs études universitaires. Le langage naturel et les représentations iconiques, seuls registres utilisés, sont activés soit lorsque lutilisateur clique sur un bouton à gauche de lécran, soit lorsque le montage est correct et que son nom saffiche sous la mention « nom du montage actuel » en haut à droite. Lélève peut explorer librement le simulateur, ou se laisser guider par lénoncé dun exercice dont le texte saffiche en bas à droite de lécran.
Figure 3. Simulateur montage Chimie. Niveau seconde.
Lexercice dont le texte apparaît à droite demande que soit réalisé un entraînement à la vapeur, construit à gauche par lutilisateur (Garcia, 2000).
3.2. Simulation et monde reconstruit
Montrer aux élèves des objets reconstruits tels que des atomes ou des molécules est une nécessité reconnue. Leurs représentations ne sont pas uniques et dépendent du modèle dans lequel on se place (modèle de Lewis ou modèle quantique). Les simulateurs peuvent fournir des représentations dans les différents modèles.
( Modèle quantique de latome
Dès la classe de seconde, les élèves doivent construire la notion datome en relation avec des connaissances aussi délicates que la structure électronique, en particulier à partir des représentations qui leur sont fournies par le professeur ou par les livres scolaires. Selon Justi et Gilbert (2001), les enseignants utilisent fréquemment des modèles hybrides peu pertinents pour lapprentissage. Parmi les représentations de latome utilisées dans lenseignement, Budde et al. (2002) en relèvent trois (modèle en couche, modèle planétaire et modèle probabiliste, figure 4) auxquels ils ajoutent celui de lelectronium. Ce dernier, qui constitue la contribution de ces auteurs, représente latome comme un liquide continu en dénonçant les deux premières représentations et en discutant la difficulté du modèle probabiliste. Au lieu de chercher à améliorer la compréhension du modèle quantique de latome en remplaçant les difficultés du modèle probabiliste par celui de lelectronium, nous avons cherché à lever certains obstacles liés à la représentation probabiliste.
Figure 4. Différents modèles denseignement de latome (daprès Budde et al., 2002)
Dans le cadre de lenseignement français, le modèle introduit en seconde présente latome comme un noyau entouré délectrons. Le noyau est constitué de protons et de neutrons, notions incontournables pour introduire lélément chimique et lisotopie. Les électrons sont présentés comme constituant le cortège électronique, répartis en couches K, L et M. Les ordres de grandeurs du noyau et de latome doivent être donnés.
Nous avons estimé indispensable que la représentation choisie permette de confronter lélève à la notion la plus difficile, qui nest pas la structure du noyau pour laquelle les représentations des manuels sont satisfaisantes à ce niveau denseignement, mais celle du nuage électronique. Ainsi, au regard des difficultés répertoriées des élèves, nous avons retenu les idées de structuration en couche, de probabilité de présence (et non de trajectoire), et de dimension par rapport au noyau (Harrison & Treagust, 2000 ; Budde et al., 2002).
Le simulateur e-couche a été conçu pour permettre, à partir dune représentation à deux dimensions, dévoquer des notions qui sont généralement présentées séparément et que lélève a du mal à articuler. Nous avons choisi de représenter la partie radiale R(r) des orbitales s occupées à létat fondamental en fonction de la distance r au noyau, telle quelle est fournie par la relation de Slater (Jean & Volatron, 2003) :
EMBED Equation.3
Cette relation est travaillée dans la couche profonde du simulateur pour latome que lutilisateur souhaite avoir à lécran. Les représentations qui en découlent (figure 5) sont représentées à différentes échelles, en visualisant éventuellement de façon séparée les différentes couches électroniques. Ce travail est réalisé par la deuxième couche du logiciel et permet dobtenir une image en relativement bon accord avec le savoir que les chimistes théoriciens manipulent. Lélève peut se promener dans la classification périodique au sein de laquelle la comparaison des attributs des atomes est possible.
La simulation de latome est donc possible grâce à un modèle (celui de Slater). Il sagit dun exemple qui naurait pu être classé comme phénomène ou comme appareillage, selon la classification des simulations discutée précédemment (Beaufils, Durey & Journeaux, 1997a ; 1997b ; de Jong & Van Jooligen, 1998).
Figure 5. Représentation de latome de bore par le simulateur e-couche. Niveau seconde
Les points ici en gris (mais en couleur sur lécran) correspondent aux positions probables dun des électrons de la couche L (2s2 2p1) et les points noirs à celles des électrons de la couche K (1s2). Le noyau de latome de dimension 10 6 nm na même pas la taille dun pixel de lécran et nest donc pas représenté (Garcia, 2000).
De telles exploitations du modèle quantique de latome doivent contribuer à éviter que ce dernier « semble exempt de suivre certaines lois de la physique (comme celle de lélectrostatique) » dans les représentations des élèves (Taber, 2001). Il est prévisible quune représentation correcte de latome sera susceptible de diminuer limpact dune telle pratique. Par ailleurs, Harrison et Treagust (2000) ont noté que les représentations des élèves présentent souvent de nombreuses incohérences : gros noyau (pour y loger tous ses protons et ses neutrons) entouré délectrons (ou dun nuage délectrons) sans trace de ce qui pourrait représenter une quelconque structure (énergétique ou spatiale). Le danger tient à ce que ce type de représentation perdure dans les études : il a en effet été montré que la définition des orbitales atomiques et la nature de leur description mathématique par les étudiants est toujours source derreurs à luniversité (Tsaparlis, 1997).
La représentation choisie pour le simulateur e-couche, utilisable dès la classe de seconde, peut continuer à être utilisée à luniversité pour introduire la classification périodique en relation avec les propriétés des atomes. Elle nest pas porteuse dambiguïté sur les ordres de grandeur respectifs du noyau et de latome et doit permettre aux utilisateurs darticuler les notions délicates de nuage et de couches électroniques dans le respect dun modèle probabiliste.
( Modèle de Lewis des molécules
Parmi les deux seules descriptions de la liaison chimique, modèle des orbitales moléculaires et modèle de Lewis, seul ce dernier est introduit dans lenseignement secondaire. Dès la classe de seconde quelques molécules (dont CH4) doivent être représentées. Au sein du projet Microméga®, le logiciel Lewis permet à lélève de construire des molécules simples (jusquà 8 atomes), de les voir correctement représentées en haut à gauche de lécran (avec ou sans les doublets non partagés en haut à droite, figure 6), et de les voir dans lespace grâce à une animation qui permet la rotation aléatoire de la molécule en jeu (en bas à gauche).
Des représentations statique et dynamique dobjets reconstruits comme les molécules nécessitent de disposer de différents modèles et de conventions pour les construire. Un modèle de la liaison chimique (ici Lewis) permet de contrôler que la molécule construite par lutilisateur est acceptable. La règle de loctet est utilisée pour déterminer le nombre délectrons non partagés, et un modèle de dynamique moléculaire permet de déterminer autour de quelle(s) liaison(s) les différents fragments de la molécule peuvent tourner. Ces modèles fonctionnent au niveau profond de calcul du logiciel. Au niveau des représentations, dautres informations issues des modèles de la chimie sont nécessaires, comme la façon de représenter les atomes et les doublets délectrons.
Le passage de la représentation de Lewis (avec ou sans les doublets non partagés) à la représentation spatiale, dite de Cram, nest pas trivial. Il est du même type que celui que Duval (1995) caractérise comme étant la coordination dun registre sémiotique à un autre. La présentation simultanée de ces représentations sur un même écran est donc susceptible daider à la construction des connaissances.
Les possibilités offertes à lélève de se créer des images mentales en trois dimensions, grâce à lutilisation de logiciels de représentation, et de voir la façon dont les atomes sont liés entre eux, ont été reconnues par Casanova (cité par Ealy, 1999) comme favorisant lapprentissage. Cest le développement de lintelligence spatiale des élèves qui est en jeu avec de telle représentations spatiales, incluant la mémoire visuelle, limagination visuelle, et les capacités à traiter linformation visio-spatiale (Habraken, 2004). Tous les attributs des boules des boîtes de modèles moléculaires (couleur des boules, liaisons compactes/éclatées, valence des atomes transposées au boules voir la fenêtre en bas à gauche, figure 6) sont implémentés dans le logiciel avec, en outre, un contrôle de ladéquation des molécules construites avec le savoir enseigné.
Figure 6. Fenêtre du simulateur Lewis dans le cas où une molécule de méthanol CH3OH est représentée. Niveau seconde (Garcia, 2000)
3.3. Simulation et monde théorique
Le simulateur Lavoisier est conçu pour faire travailler les élèves de façon interactive sur les notions de stoechiométrie et davancement dune réaction. Une équation chimique doit être écrite par lutilisateur. Les quantités de matière des réactifs (et éventuellement des produits) doivent être également fournies à linterface. Lanimation montre sous forme dhistogramme dynamique lévolution des quantités de matière en fonction de lavancement de la réaction (figure 7). Les mondes perceptible et reconstruit ne sont pas représentés. Il sagit dun travail sur la stchiométrie et sur lavancement dune réaction chimique, donc mettant en uvre le seul niveau théorique, par lintermédiaire dun tableau davancement, outil dont les avantages et les limites ont été discutés (Le Maréchal et al., 2004c).
La couche de calcul dun tel simulateur utilise certains éléments du modèle de la réaction chimique, tels que les concepts de stchiométrie et de conservation de la quantité de matière. Elle renseigne la couche de représentation qui apparaît comme convertissant une représentation symbolique (N2 + 3H2 ( 2NH3) en une représentation iconique dynamique (le tableau).
Figure 7. Équation chimique et tableau davancement pendant lanimation. Niveau seconde (Garcia, 2000).
La notion dévolution dune réaction chimique, symbolisée par la seule flèche (, prend vie avec lanimation du tableau. Ce dernier est donc susceptible daider les élèves à sapproprier le traitement quantitatif des bilans de réactions chimiques. En effet, ils comprennent difficilement que la quantité de matière totale change au cours dune réaction (Kousathana & Tsaparlis, 2002). Par exemple sur la figure 7, la quantité totale (3 mol) présente à létat initial nest plus que 1, 75 mol à linstant figé sur la figure, et vaut 1, 67 mol à létat final. Il apparaît également que la réaction a lieu même si les quantités de matière initiales (ici 1, 0 et 2, 0) diffèrent des nombres stchiométriques (1 et 3). Le tableau montre également que le réactif initialement le plus abondant (ici N2) est en fait limitant. La dynamique de la simulation en fait apparaître la raison : il disparaît plus vite que lautre réactif.
3.4. Simulation articulant mondes perceptible et théorique
Lutilisation du niveau théorique est nécessaire dès quil faut articuler des grandeurs. Le caractère relationnel de celles-ci impose que leur apprentissage fasse intervenir un ensemble de connaissances théoriques ainsi que les situations de référence sans lesquelles elles ne peuvent prendre sens (Vergnaud, 1990 ; Lemeignan & Weil-Barais, 1993). Il est peu fréquent, en chimie, de mettre en relation les mondes perceptible et théorique sans faire appel au monde reconstruit. Dans le cas dune simulation, ce dernier peut être remplacé par le monde simulé. Il en résulte une diminution de la surcharge cognitive (Chandler & Sweller, 1991) qui peut être mise à profit pour étudier les titrages, ou découvrir différents instruments (pH-mètre, conductimètre
).
( Titrages
Des logiciels permettant de simuler des titrages ont été développés dès les années 1980, par exemple avec Simultit®. Dans le projet Microméga®, il a été nécessaire de réaliser un développement comparable, limité aux connaissances listées dans le programme et respectant les conditions dintelligibilité et de plausibilité de Hewson (1981, 1982). Les connaissances mises en jeu dans les simulations de titrages se limitent à quelques réactions chimiques que lélève choisit par lintermédiaire du réactif à titrer (ion fer(II), acide oxalique, peroxyde dhydrogène, diiode, ion nitrite ou ion thiosulfate) dans le cas de la simulation de titrages par oxydoréduction en première S.
Des connaissances identiques à celles utilisées pour le simulateur Lavoisier®, liées à la réactions chimique, sont activées dans la couche de calcul, mais la couche de représentation est au service de représentations fort différentes (figure 8). Le suivi en temps réel de la composition du système étudié apparaît, au choix, sous forme graphique (en haut à droite de lécran) ou dans un tableau de valeurs (à la place du graphe, à la demande de lutilisateur). La réflexion sur lobjet central de létude (la réaction chimique) devient possible avant que lélève ne soit capable de réaliser de fastidieux calculs davancement. Lévènement chimique simulé, constitué de la coloration de la solution à léquivalence, intervient au même moment que la rupture des pentes du graphe et informe lutilisateur sur le monde reconstruit, ce qui ne peut être possible avec un titrage réel.
Figure 8. Simulateur dosage colorimétrique. Niveau première (Garcia, 2001)
Comme cela a été précédemment expliqué, différentes représentations reliées au titrage sont présentées simultanément :
- les objets et les évènements simulés, à gauche de lécran, évoquant les objets et évènements perceptibles qui constituent la base du travail de lélève en TP ;
- les grandeurs qui permettent aux élèves de mettre en relation les mondes perceptible et reconstruit avec le monde théorique, et leurs valeurs numériques choisies pour la simulation ;
- la représentation graphique des quantités de matière, cest-à-dire une représentation des quantités dobjets présents dans le système chimique ;
- et, pour les simulateurs utilisés en terminale S, les représentations du pH et des autres grandeurs.
Ce qui est donné à voir ou à paramétrer permet donc dactiver lessentiel des connaissances à mettre en oeuvre sur le sujet et, de ce fait, est susceptible den favoriser lapprentissage.
( Découverte dun instrument
Au niveau de la classe de terminale, lenseignement de lusage dun instrument de mesure, tel quun spectrophotomètre, nécessite la découverte de manipulations dobjets perceptibles (cellules de mesure, instrument lui-même) en relation avec tout un système de connaissances théoriques (absorption de la lumière, relation entre les grandeurs absorbance et concentration en chromophore). Le point de vue retenu pour le développement dun tel logiciel de simulation fut lié aux recommandations des programmes qui orientent lenseignement vers la compréhension de la réaction chimique (Le Maréchal, 2004) et non vers un quelconque développement technologique.
La simulation dun spectrophotomètre sest limitée, par lintermédiaire de représentations appropriées, à rendre ostensibles les seules grandeurs avec lesquelles lélève doit construire des connaissances sur la vitesse dune réaction chimique : absorbance, largeur de cellule, concentration, longueur donde et pH. Dautres grandeurs familières en spectrophotométrie : nombre donde, énergie notamment napparaissent pas avec ce simulateur puisquil nest pas nécessaire de les faire intervenir au regard du programme de la classe de terminale S. Lélève peut choisir la solution à étudier (parmi 14 solutions colorées), sa concentration dans la gamme 10 6 10 1 mol.L 1, la dimension de la cuve danalyse et le pH dans le cas dun indicateur coloré. Une fois choisie lexpérience à réaliser mesure de labsorbance en fonction de la longueur donde (il sagit de spectre A = f(Ã)), ou en fonction de la concentration (par exemple pour effectuer un étalonnage ou utiliser la loi de Beer-Lambert respectivement) l élève peut voir le spectrophotomètre simulé en action (figure 9).
Une fois que l élève a paramétré la simulation en choisissant le système coloré à étudier et sa concentration, quatre évènements se déroulent simultanément sur linterface : le déplacement dun curseur sur un axe de longueurs donde en haut à droite de lécran (laxe est matérialisé par une double bande aux couleur de larc-en-ciel), la valeur de labsorbance A en haut à gauche, le tracé du spectre correspondant en bas à gauche, et la traversée par la lumière incidente et transmise de la cellule contenant la solution colorée en haut à gauche. Cet ensemble synchrone dévènements, représentés à laide de différents registres sémiotiques, est censé permettre à lélève darticuler des connaissances relatives aux concepts en jeu dans les situations utilisant la spectroscopie électronique. La couche de représentation du logiciel simule simultanément des objets perceptibles en relation avec le monde théorique, pour mettre lélève dans les conditions de créer des relations qui, selon nos hypothèses, sont sources dapprentissage.
Figure 9. Simulation dun spectrophotomètre enregistrant le spectre dune solution de permanganate de potassium. Niveau terminale S (Garcia, 2002)
Pour réaliser un tel simulateur, il a fallu déterminer, dans la plage de longueur donde considérée (400 800 nm), la valeur des coefficients dabsorption molaire des différentes espèces que lon souhaitait rendre disponibles avec linterface. La loi de Beer-Lambert supposée vérifiée dans le domaine de concentration autorisé permet de reconstituer tous les spectres possibles.
( Expériences de laboratoire
La réalisation dexpériences de laboratoire, telles que la préparation de solutions ou le suivi de la cinétique destérifications ou dhydrolyses, met en jeu des objets perceptibles (le matériel de laboratoire et les produits chimiques en jeu) et des grandeurs. Leur simulation a été réalisée grâce aux logiciels Minilabo® et Estérification® respectivement. À chaque fois, une représentation du matériel de laboratoire et des menus déroulants permettant de déterminer les produits chimiques et leur concentration, les volumes
sont proposés.
Dans le cas de Minilabo, il sagit de simuler la préparation de solutions de concentration et de volume à partir de produits chimiques solides ou en solution, et du matériel usuel de laboratoire. Les grandeurs en jeu sont donc la concentration, le volume et la quantité de matière, pour lesquelles les difficultés dapprentissages ont été rapportées (Furio et al., 2000 ; Gandillet et al., 2003 ; Gandillet & Le Maréchal, 2003). En permettant de multiplier les situations de préparation de solutions, le simulateur doit participer à réduire ces difficultés. Il entraîne en outre lélève à se familiariser avec les techniques de dissolution et de dilution (utilisation du matériel et des calculs de concentration).
Dans le cas dEstérification, il sagit de simuler : les réactions dun alcool avec un acide ou un anhydride dacide carboxylique, dhydrolyse acide ou basique dun ester, avec ou sans catalyseur, à différentes températures, et avec ou sans distillation du produit le plus volatile. Les quantités de matière dans les conditions initiales et la classe de lalcool sont également laissées au choix de lutilisateur. Le logiciel de simulation donne accès, sous forme dun graphe ou dun tableau, à la quantité de matière dun ou de plusieurs constituants du système chimique en fonction du temps. Les connaissances de base sur la cinétique chimique, en particulier les facteurs cinétiques, sont mises en jeu dans cette simulation, ainsi que celles relevant de lavancement dune réaction chimique et du bilan de matière. Les limitations dune telle simulation sont liées à labsence de loi générale permettant de prévoir la vitesse de réaction dune réaction chimique quelconque. Cette difficulté a été contournée en considérant quelques données expérimentales généralisées, au moyen de lois approximatives, à lensemble des situations autorisées par le simulateur.
3.5. Simulation articulant mondes reconstruit et théorique
Les simulations qui représentent simultanément des objets ou des évènements reconstruits avec des grandeurs et des lois, sont particulièrement adaptées pour des études quantitatives de représentations de molécules et/ou de représentation chimique. Le programme de terminale S suggère un tel travail en relation avec un développement, du point de vue microscopique, de la cinétique chimique. Les notions de chocs efficaces ou inefficaces, de facteurs cinétiques (concentration ou température), en relation avec lévolution temporelle de lavancement chimique sont considérées au sein du simulateur Équilibre dynamique.
( Équilibre dynamique
La simulation est basée sur lanimation dun nombre limité à 1 000 entités A, B, C et D en haut à gauche de lécran, reliées par léquation chimique A + B = C + D. Chaque entité est représentée par un petit disque coloré dont les déplacements sont gérés par les lois de la cinétique des gaz. Les chocs sont considérés élastiques et la réaction athermique. La transformation A + B ( C + D, supposée être un acte élémentaire, est contrôlée par le pourcentage defficacité des chocs A/B fixés entre 0 et 100 % par lutilisateur, en haut à droite de lécran (figure 10). La transformation inverse C + D ( A + B est traitée simultanément, indépendamment, et de la même manière. En plus de lanimation, linterface actualise en permanence les nombres de A, de B, de C et de D restant à linstant t et, aux choix de lutilisateur, le graphe ou le tableau de valeurs correspondant (en bas à gauche). De plus, en option, le rapport des quantités n(C).n(D)/n(A).n(B) est affiché. Il est égal à ce qui est défini comme quotient Qr de la réaction simulée et il correspond au Qr thermodynamique dune réaction chimique (Le Maréchal, 2004).
Figure 10. Simulateur Équilibre dynamique. Niveau terminale (Garcia, 2002)
La couche de calcul dun tel logiciel est soumise à rude épreuve. Les coordonnées dun grand nombre de particules doivent être gérées en temps réel afin de détecter celles qui entrent en collision. Il sagit de relier deux modèles distincts de la réaction chimique, lun au niveau macroscopique (avancement, stchiométrie) peu différent de ce que Lavoisier a proposé à la fin du xviiie siècle, et lautre au niveau statistique (théorie des collisions élaborée au xxe siècle). Grâce à cette richesse, la couche de représentation peut proposer une variété de représentations des données : lanimation, le tableau donnant le bilan de matière à la date courante, le graphe et le tableau des quantités de matière en fonction du temps.
Les experts sont capables de connecter les multiples représentations dun système complexe et de coordonner leurs caractéristiques pour supporter leurs discours (Kozma, 2003). Les étudiants doivent peu à peu acquérir cette faculté. Les aider à réaliser ce type de connections est un défi important à relever pour une utilisation effective des multiples représentations et une amélioration de la compréhension scientifique (Kozma & Russell, 1997).
Des travaux de recherche spécifiques à lutilisation de ce simulateur ont permis de mettre en uvre des situations dapprentissage au cours desquelles ces connections avaient lieu (Roux & Le Maréchal, 2003a). Quatre binômes délèves ont été filmés pendant toute la durée dune séquence denseignement (en classe de terminale) et les comptes rendus de lensemble de la classe ont confirmé les analyses effectuées sur les 8 élèves. Les données recueillies ont montré que les élèves avaient une certaine aisance à évoquer une réaction chimique en utilisant les couleurs et lanimation, et quils mettaient en uvre la correspondance entre les chocs efficaces et lavancement de la réaction. Les paramètres influençant le sens dévolution du système chimique (constante déquilibre et conditions initiales du système) ont été introduits dans une activité. Lutilisation de la simulation sest révélée être un puissant outil de création dun modèle mental pertinent chez les élèves qui ont ainsi pu donner du sens à des notions délicates comme le temps de demi-réaction ou les facteurs cinétiques. À la suite dune telle recherche, lefficacité de lapprentissage de la modélisation (estimée par la quantité de relations entre connaissances établies par les élèves) dune telle séquence denseignement a également été confirmée par quelques enseignants utilisateurs sur plusieurs années. Lutilisation de ce type de simulateur est une aide pour lutter contre une conception telle que « la vitesse de la réaction dans le sens direct augmente une fois que la réaction a commencé » (Hackling & Garnett, 1985).
3.6. Simulation articulant mondes perceptible, reconstruit et théorique
Le lien entre les niveaux reconstruit et théorique peut aussi déboucher sur une compréhension du monde perceptible. Les logiciels de simulations se doivent de prendre en compte ce lien, par exemple en présentant simultanément différentes caractéristiques dun même évènement, aux niveaux perceptible et reconstruit. Le choix de changer de modèle est une liberté que se donnent les scientifiques et on fait lhypothèse quelle est favorable pour lapprentissage.
Cet entraînement à larticulation de différents niveaux dinterprétation a été implémenté dans le projet avec des simulations du gaz parfait (logiciel Avogadro®), du comportement de systèmes électrochimiques (logiciel Pile et électrolyseur®) ou détude des aspects thermiques des réactions chimiques (logiciel Calorimétrie®).
( Le gaz parfait
La simulation au niveau microscopique dun gaz parfait relève du même principe que celui du simulateur Équilibre dynamique® décrit ci-dessus, mais les particules simulées ne se transforment pas lors de choc. Le modèle du gaz parfait linterdit. De plus, au lieu de quatre entités chimiques, seules deux sont représentées, correspondant à N2 et O2 dans les proportions de lair. Les grandeurs détat p, V, n et T sont accessibles, paramétrables et en relation avec des représentations dobjets perceptibles (piston, réserve dair ou de vide, thermomètre). De nombreuses activités utilisant ce simulateur ont été réalisées en classe ou décrites (Le Maréchal et al., 2004a, 2004b).
( Piles et électrolyseurs
Les piles et les électrolyseurs au programme de terminale S permettent détudier certains aspects des réactions chimiques doxydoréduction, en particulier la notion de transformation spontanée ou forcée prise en charge par le simulateur. Les difficultés sur le déplacement des porteurs de charges (Garnett & Treagust, 1992) sont gérées par des représentations au niveau microscopique.
Le modèle manipulé dans la couche de calcul se limite à mettre en uvre la relation entre la charge, lintensité et le temps, en relation avec lavancement de la réaction électrochimique considérée (loi de Faraday). La couche de représentation est en revanche plus complexe à mettre en uvre puisque la représentation doit faire apparaître le bon nombre délectrons pour chaque molécule ou ion impliqué dans les réactions, aux électrodes notamment. Linterface permet dafficher, au choix, une situation de pile ou délectrolyse mettant en jeu deux électrodes, daluminium, de cuivre, de fer, de graphite ou de zinc, plongeant dans une solution contenant les ions correspondants. Les utilisateurs décident de la nature des électrodes et de la concentration des ions. Dans le cas dune pile débitant à courant constant jusquà lépuisement du réactif limitant : (i) le comportement dun objet perceptible (pile ou électrolyseur) est représenté par la diminution/augmentation de volume dune électrode consommée/produite, la coloration/décoloration progressive dune solution est représentée, (ii) le comportement reconstruit en terme dions, de molécules et délectrons est également représenté par une animation montrant leur déplacement, (iii) et du point de vue théorique, lintensité du courant débité et la concentration des ions sont affichés à chaque instant.
Un tel simulateur rend possible une description des porteurs de charge permettant de limiter les raisonnements linéaires (Viennot, 1993), lanimation mettant en évidence la simultanéité des évènements. Il permet également le travail quantitatif délicat de lélectrochimiste mettant en uvre les relations chimie/électrocinétique entre la stchiométrie de la réaction associée à la transformation électrochimique, le courant mesuré et la charge électrique.
( Calorimétrie
Les notions de chaleur, de température et dénergie sont considérées avec le simulateur Calorimétrie©, principalement dans le cas des combustions dhydrocarbures et dalcools. Elles sont reconnues comme sources de difficultés pour les élèves qui considèrent que ces différentes grandeurs sont équivalentes (Wiser & Carey, 1983). Cela peut les empêcher de résoudre des problèmes simples correspondant à des situations de la vie de tous les jours (Harrison et al., 1999).
Une réaction (exothermique) parmi huit peut être choisie sur linterface. Elle peut être représentée avec un registre graphique soit par quelques modèles moléculaires, avec autant de molécules que la stchiométrie le requiert, soit avec un registre symbolique par des quantités de matière en des proportions non nécessairement stchiométriques. Pour chacun de ces registres, une représentation énergétique du système est proposée.
Dans le cas du modèle moléculaire, lénergie dun tel système chimique est présentée sous forme dun histogramme graduée en 10 18 J dont la valeur varie à chaque fois quune liaison est rompue ou formée lors dune animation. Celle-ci reflète la méthode habituelle de détermination dune chaleur de réaction au moyen des énergies de liaison. Ces dernières sont également affichées sur lécran. Cette partie de linterface constitue une relation entre le monde reconstruit et le monde théorique.
Une autre partie de linterface nécessite une définition molaire des conditions initiales et représente le système chimique et son milieu extérieur équipés chacun dun thermomètre et dune échelle dénergie. Lévolution qualitative de lun et de lautre, suivant que le système chimique a été défini comme isolé ou non, met en jeu les grandeurs chaleur, température, énergie et quantité de matière. Il sagit cette fois dune relation entre les mondes perceptible et théorique.
Trois études de cas délèves filmés au long dune séquence denseignement en première S, confirmées par lanalyse des comptes rendus de deux classes, ont montré que les élèves travaillant avec le logiciel Calorimétrie© construisent des connaissances reconnues comme difficiles à mettre en uvre (El Bilani & Le Maréchal, 2005 ; 2006). Par exemple, à partir des notions dénergie et de liaison chimique encore floue pour les élèves, la notion dénergie de liaison peut être définie par les élèves eux-mêmes avec parfois une remarquable précision. Ils constatent également à quelles conditions la température dun système chimique peut augmenter alors que son énergie reste constante. La couche de calcul de ce logiciel gère un modèle constitué à la fois du calcul de lavancement ¾ d une réaction (d enthalpie de référence "rH°), et le calcul de la chaleur Q susceptible d être échangée (Q = "rH). Grâce à la couche de représentation utilisant deux registres sémiotiques importants en chimie, les élèves construisent des connaissances en relation avec ces modèles.
4. Discussion
La description des simulateurs développés au cours des cinq années du projet montre que lorganisation des connaissances, leur représentation et leur mise en uvre ont pu respecter les hypothèses dapprentissage, malgré la grande variété des situations modélisées. Lorsque lobjet dapprentissage est un objet perceptible (comme un montage de chimie) ou reconstruit (comme un atome ou une molécule), les principales connaissances a priori connexes à cet objet sont représentées sur lécran et lutilisateur peut agir sur la représentation de lune delles et voir leffet produit sur lobjet. Quand un évènement perceptible (comme un titrage ou la réalisation dun spectre) ou reconstruit (comme la modélisation moléculaire dune réaction chimique) est au cur de lapprentissage, le modèle sous-jacent à lévènement peut être interrogé par lutilisateur qui a accès à différentes variables (espèces chimiques, concentration, température) et plusieurs représentations de lévènement (graphe, animation, changement de couleur) sont simultanément mises en uvre. Les conditions sur la mise en relation de différents niveaux de connaissances (Tiberghien, 1994 ; Le Maréchal 1999 ; Bécu-Robinault, 2004) et sur leur représentation (Duval, 1995) sont réunies pour que lapprentissage ait lieu. Le pari effectué à lorigine du projet de disposer dun ensemble cohérent de simulateurs a donc été tenu.
Il ne faut pourtant pas tout attendre des logiciels de simulations. Un frein à lapprentissage peut émerger si le modèle apparaît trop réel, incitant lélève naïf à ne pas aller au-delà de ce qui lui est présenté (Harrison & Treagust, 2000). Il faut donc veiller à conserver une multiplicité de modèles et un atome doit être tout à la fois représentable par un symbole, une boule ou un noyau entouré dun nuage délectrons par exemple. Lensemble des simulateurs, avec e-couche et Lewis par exemple, respecte cette multiplicité de représentations indispensables à lapprentissage. Un autre inconvénient dune large utilisation de logiciels de simulation en classe a été décrit par Ealy (1999) : il en résulte dune faible prise de notes pendant ce type dactivité, même si le taux de participation des élèves est fort. Cela a conduit, dans son étude, à une faible performance aux évaluations traditionnelles de fin de trimestre. Il est suggéré quun enseignement pour lequel les discours sont remplacés par une abondance de graphiques et de représentations soit évalué par des exercices autres que ceux nécessitant lacquisition de procédures algorithmiques.
Laptitude à la modélisation ne sapprend pas comme du contenu. Il faut de la pratique sur une longue période (Harrison & Treagust, 2000). Un cédérom plaçant lélève en situation dautonomie est donc un atout supplémentaire pour lélève qui souhaite progresser à son rythme. De plus, cest lopportunité de travailler avec des exercices dun style différent de ceux des manuels scolaires, en mettant en jeu des simulations. Daprès Niaz (2001), les problèmes proposés dans les manuels scolaires ne sont pas suffisants pour exploiter le potentiel des élèves à réaliser des changements conceptuels progressifs.
5. Conclusion
Lobjectif de cet article était de décrire, sur la base de quelques hypothèses dapprentissage, limplémentation de modèles dans des simulations. Ces hypothèses relevaient dune catégorisation homogène des connaissances selon leur lien avec les mondes perceptible, reconstruit et théorique. Nous avons pu décrire cette élaboration en considérant une couche de calcul qui faisait fonctionner les modèles, et une couche de représentation qui empruntait à différents registres sémiotiques. La force pédagogique de la manipulation des modèles grâce aux simulations est susceptible de conduire à des restructurations profondes de la connaissance allant bien au-delà de leur simple accrétion. Linterrogation des modèles par les élèves au cours de situations favorisant la création de modèles mentaux doit permettre à la modélisation de devenir une manière de penser et pas seulement une façon savante de nommer les objets du monde matériel. Même si les anciennes conceptions sont toujours présentes, les simulations peuvent donner aux modèles enseignés un champ plus large dutilisation. Bien que les simulations étudiées laissent beaucoup dautonomie aux élèves, il ne faut pas perdre de vue que les modèles mis en uvre par les simulateurs ont un côté arbitraire qui doit être débattu. Cet aspect de lintroduction de ce type doutil majeur pour la construction scientifique reste complètement à la charge de lenseignant. Il en est de même pour faire comprendre la nécessité dutiliser de multiples modèles pour interpréter les phénomènes étudiés.
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Ce projet, qui propose depuis septembre 2000 une collection de manuels scolaires associés à des cédéroms contenant une panoplie de simulateurs couvrant tous les domaines de la physique et de la chimie enseignée au lycée, est aujourdhui connu dans la totalité des lycées français. Le taux dutilisation des cédéroms est hétérogène, 75% des enseignants interrogés déclarant ne jamais lutiliser, dautres nutilisent que les simulateurs les plus classiques (simulateurs de titrage). La plupart des utilisateurs occasionnels ou réguliers étant satisfaits, il y a lieu de penser que les enseignants manquent de formation et dinformation pour adopter une telle pratique.
Dans cette expression, a0 est le rayon de Bohr, Z* la charge effective à laquelle est soumise un électron donné, n le numéro de la couche (nombre quantique principal) et N le coefficient de normalisation.
Les textes des activités proposées aux apprenants sont disponibles sur Internet : 3456OPQz{|§«¬ÙÚÛóôõF G P ^ _ ` q$-µóåóÜÒÜÅܵŤÅÜÒÜÅÜŤÅÜ
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3hEeCJOJQJ\^JaJ HYPERLINK "http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/physique/sesames/outils_terminale.html" http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/physique/sesames/outils_terminale.html (consulté le 4 septembre 2006).
Disponible sur Internet : HYPERLINK "http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/physique/sesames/" http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/physique/sesames/ (consulté le 4 septembre 2006).
Jean-François Lemaréchal & Karine Bécu-Robinault
La simulation en chimie au sein du projet Microméga©
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