Troisième partie - HAL-SHS
Ensuite, à propos du texte fondateur (rendre accessibles les ?uvres capitales de
...... Laissons parler le Maire de Nice à ce sujet : « Je souhaiterais jeter un regard
avec vous ...... Notre démarche théorique d'éclatement de la notion, couplée à
nos ...... Grâce au logiciel que l'on a aujourd'hui, qui est devenu depuis quelques
...
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isation. Et si la notion avait pris un sens trop étroit au fil des études nationales regroupant lensemble des pratiques culturelles ?
A une échelle danalyse plus réduite une pratique culturelle et a fortiori un équipement culturel des changements dans la composition sociale des publics apparaissent plus clairement. Contre-exemple de la démocratisation culturelle, lart lyrique est un terrain denquête de première importance. Par des entretiens au sein de maisons dopéras, nous tenterons de mettre au jour des phénomènes locaux de démocratisation, pour réinvestir la notion, dans un sens plus large.]
à Ariane, à Naxos
« Lart est toujours destiné à des spectateurs, des auditeurs ou des lecteurs. Lart nexiste pas sans le public mais cela ne veut pas dire que lart existe pour le public. Le public est là pour lart. Il est important que lart obtienne le public dont il a besoin mais vouloir que tout le monde soccupe dart est un souhait irréalisable »
Eric Antonis, directeur dAnvers,
Ville européenne de la culture 1993
Chaleureux remerciements à Mélodie, Renaud, Catherine P., Agnès pour leur accueil dun ou plusieurs soirs lors du « tour de France lyrique »;
merci aux collègues de DEA (Avignon, 2003-2004), apprentis-chercheurs dont les questionnements ont servi pour chacun de thérapie scientifique collective ;
et surtout sincères remerciements à Marie-Hélène Poggi pour ses justes conseils et sa disponibilité.
Table des matières
TM \o "1-3"
Introduction RENVOIPAGE _Toc82942259 \h 9
Méthodologie RENVOIPAGE _Toc82942260 \h 15
Première partie La fréquentation des équipements culturels :
des fondations en mouvements RENVOIPAGE _Toc82942261 \h 17
Chapitre premier Le mono-thème de la démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser RENVOIPAGE _Toc82942262 \h 20
Section 1. Une mission fondatrice RENVOIPAGE _Toc82942263 \h 20
Section 2. Une inaccessible étoile RENVOIPAGE _Toc82942264 \h 25
Section 3. Réflexions autour dun mot : vers une remise en cause de la notion même de démocratisation RENVOIPAGE _Toc82942265 \h 31
Chapitre 2 Les pratiquants : du Public aux publics RENVOIPAGE _Toc82942266 \h 38
Section 1. Majuscule vs minuscule RENVOIPAGE _Toc82942267 \h 38
Section 2. Singulier vs pluriel RENVOIPAGE _Toc82942268 \h 39
Chapitre 3 A la marge de la démocratisation : lart lyrique RENVOIPAGE _Toc82942269 \h 41
Section 1. Economie : un ogre financier RENVOIPAGE _Toc82942270 \h 41
Section 2. Publics : vers une connaissance scientifique RENVOIPAGE _Toc82942271 \h 45
Section 3. Politique : la décentralisation lyrique RENVOIPAGE _Toc82942272 \h 46
Deuxième partie La fréquentation des Opéras :
des phénomènes évolutifs locaux RENVOIPAGE _Toc82942273 \h 59
Chapitre premier Au cur de la matière RENVOIPAGE _Toc82942274 \h 61
Section 1. Echelle « pratiques culturelles » RENVOIPAGE _Toc82942275 \h 62
Section 2. Echelle « pratique art lyrique » RENVOIPAGE _Toc82942276 \h 63
Section 3. Echelle « équipement lyrique » RENVOIPAGE _Toc82942277 \h 69
Chapitre 2 Entre quantité et qualité RENVOIPAGE _Toc82942278 \h 86
Section 1. La démocratisation du recrutement social RENVOIPAGE _Toc82942279 \h 87
Section 2. Des phénomènes évolutifs locaux RENVOIPAGE _Toc82942280 \h 88
Section 3. Une grille danalyse ouverte RENVOIPAGE _Toc82942281 \h 91
Chapitre 3 Applications RENVOIPAGE _Toc82942282 \h 93
Section 1. Identités locales RENVOIPAGE _Toc82942283 \h 94
Section 2. Défis particuliers RENVOIPAGE _Toc82942284 \h 98
Section 3. Handicaps socio-classiques vs socio-latents RENVOIPAGE _Toc82942285 \h 109
Troisième partie Au-delà de la démocratisation RENVOIPAGE _Toc82942286 \h 113
Chapitre premier Lart lyrique : de multiples obstacles RENVOIPAGE _Toc82942287 \h 116
Section 1. Rendre accessibles
à qui ? RENVOIPAGE _Toc82942288 \h 116
Section 2. Lopéra : réservé à une élite ? RENVOIPAGE _Toc82942289 \h 117
Section 3. Le capital de temps disponible RENVOIPAGE _Toc82942290 \h 119
Chapitre 2 Evolutions ou démocratisation ? RENVOIPAGE _Toc82942291 \h 123
Section 1. Beaucoup dévolutions, peu de démocratisation RENVOIPAGE _Toc82942292 \h 124
Section 2. Une galaxie de phénomènes évolutifs locaux RENVOIPAGE _Toc82942293 \h 125
Section 3. Tentative de réinvestissement RENVOIPAGE _Toc82942294 \h 126
Chapitre 3 Une démocratisation en chambre ? RENVOIPAGE _Toc82942295 \h 133
Section 1. Un voyage au cur de la galaxie démocratisation RENVOIPAGE _Toc82942296 \h 134
Section 2. Lart lyrique se démocratise RENVOIPAGE _Toc82942297 \h 138
Section 3. A lécoute du terrain RENVOIPAGE _Toc82942298 \h 142
Epilogue RENVOIPAGE _Toc82942299 \h 146
Bibliographie RENVOIPAGE _Toc82942300 \h 151
Liste des tableaux et schémas RENVOIPAGE _Toc82942301 \h 156
Annexes RENVOIPAGE _Toc82942302 \h 157
Introduction
« U
ne folie devenue ordinaire. Opéra : un genre musical de plus en plus populaire.
Après avoir passé neuf ans à démocratiser un art jugé élitiste, Hugues Gall, patron du grand établissement de Paris, quitte la scène. En pouvant se targuer davoir rajeuni nettement le public de Garnier et Bastille [
].
A loccasion du départ de M. Hugues Gall de la direction de lOpéra national de Paris, établissement public regroupant les deux salles lyriques parisiennes Garnier et Bastille, un quotidien régional à large diffusion revient sur les neuf années daction de lhomme qui a tiré sa révérence la veille.
Larticle évoque le contexte entourant la nomination de M Gall par le ministre de la culture de lépoque, Jacques Toubon, pour ensuite développer la mission que le nouveau directeur sest donnée à son arrivée, en guise de pari pour lavenir : « Jai voulu donner un peu de sens à cet épithète « national » qui fait partie de la raison sociale de lOpéra national de Paris. [
] Cette maison nest pas seulement lOpéra des Parisiens mais celui de tous les Français, parce que cest lEtat, et donc lensemble des contribuables, de toutes les régions, qui contribuent à son financement. »
Deux mandats plus tard (un premier de six ans, suivi dun second de trois ans), le Suisse Hugues Gall peut partir la tête haute, le pari relevé, la mission accomplie, comme en témoigne louverture de larticle, cité en haut de la page. Et la journaliste de conclure : « En montrant que lart lyrique était accessible à un très large public, il [Hugues Gall] a de toute évidence contribué à son rayonnement. Et nest peut-être pas étranger à cet engouement quil suscite sur les routes des festivals. »
Au-delà du mérite personnel -dû certainement au travail de toute une équipe- cest le résultat qui nous intéresse ici. Sur une très courte période (9 ans) au regard de lhistoire plusieurs fois centenaire de lOpéra en Occident, le public de cet art semble avoir subi de profondes évolutions, du moins à Paris.
Issus de la coupure de presse, deux mots retiennent notre attention : démocratiser et rajeuni. Dans la succession des spectateurs sur les sièges de lOpéra national de Paris, deux phénomènes sont apparus, mesurés par des enquêtes de fréquentation : une démocratisation et un rajeunissement. Comment ces évolutions ont-elles été mesurées ? Sur base de quels critères ?
Pour le rajeunissement, on peut supposer, sans prendre trop de risques, que la variable « âge » des spectateurs a permis de dresser cette évolution, remarquable pour une pratique culturelle associée dans les représentations mentales à un public âgé et vieillissant. Mais pour la démocratisation ? Quelle(s) variables ont-elles été utilisées ? Autrement : comment mesurer la démocratisation dune pratique culturelle ? Que recouvre ce mot ? Et si le rajeunissement faisait partie de lobjectif de démocratiser ? Un public rajeuni, nest-ce pas un pari pour lavenir, le résultat même partiel- dune démocratisation en marche ? Une plus grande accessibilité de la part dun groupe de spectateurs -les jeunes- à la pratique lyrique ?
Ensuite, les questions senchaînent : mis à part le rajeunissement, quelles sont les autres évolutions constatées au sein de la masse des personnes qui assistent à une représentation lyrique au Palais Garnier et à lOpéra Bastille ? Enfin : que dire de la situation des autres établissements lyriques français ? Leur fréquentation évolue-t-elle également ? Si oui, dans quel sens ? Quelles sont les évolutions repérées ? Au final, pour lensemble des maisons dopéras françaises, peut-on parler de démocratisation de cet art « réputé élitiste », comme le souligne la journaliste ?
De toutes les pratiques culturelles dont on mesure systématiquement lévolution de la fréquentation, lart lyrique est la plus élitiste : depuis plus de trente ans, la proportion de Français de plus de 15 ans qui sont allés au cours des douze derniers mois à lopéra sélève à
3%.
Pourtant, derrière cette stabilité de façade, semble se cacher toute une série dévolutions, comme en témoigne lexemple parisien. Certes, le nombre de « pratiquants » de lart lyrique reste stable, mais que dire de leur composition socio-culturelle ? Toujours des « bourgeois », que des « personnes âgées », nanties de surcroît ?
La connaissance de la fréquentation des institutions lyriques est passée récemment dun système de représentations (de ce quon croyait être le public de lopéra), à une connaissance scientifique (des différents publics de lopéra). Dans ce contexte, il est intéressant de multiplier les observations.
Des enquêtes de fréquentation, menées auprès de réseaux de maisons dopéras de tout lHexagone, fournissent des résultats surprenants à cet égard. Oui, le public de lart lyrique évolue, loin de limage figée quon a pu jusquà très récemment sen faire. Une multitude de phénomènes apparaît : accroissement de la fréquentation ; intensification par les publics en place ; renouvellement ; fidélisation ; appropriation par les étudiants ; élargissement géographique
.
Reste à répondre à la question suivante : les résultats permettent-ils de parler de démocratisation ? A ce niveau, le mot « démocratisation » nest que très rarement employé, ou alors pour évoquer précisément labsence de « démocratisation » de la pratique. Beaucoup dévolutions, peu de démocratisation... Ce constat se doit dêtre analysé plus en profondeur.
Ainsi, la pratique « art lyrique » sest fortement ouverte aux inactifs (étudiants et retraités) ces dernières années. Mais on pourrait aussi imaginer, par exemple, que la pratique « jazz » connaisse un engouement féminin dans les années à venir. Ces deux évolutions -féminisation, appropriation par les inactifs- ne sont-ils pas de la démocratisation ? Dans le sens où elles constituent une plus grande pratique par des groupes homogènes de publics (les femmes, les inactifs), caractérisés par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s) (le genre féminin, linactivité professionnelle), alors quon assiste parallèlement à une hausse générale de la fréquentation au sein de ces pratiques (le jazz, lart lyrique) ? Nous le pensons.
Se faisant, notre proposition élargit la définition institutionnelle de la notion de démocratisation culturelle. Politique fondatrice du ministère de la culture en France, elle semble fonctionner sur une acception étroite, intimement associée aux catégories socio-professionnelles (CSP) de rattachement des publics de la culture. Aujourdhui, au sein de linstitution quelle a fait naître, la politique de « démocratisation culturelle » est discutée, jusquà cette proposition dabandon du terme, car « porteur depuis les origines de trop de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes. »
Face à ce constat -ce péril ?- nous nous sommes donné comme objectif de réinvestir la notion de démocratisation. Dans un sens plus large, qui engloberait toute une série dévolutions constatées au sein de la composition sociale des pratiquants de lart lyrique.
Léchelle danalyse choisie est volontairement petite, cest-à-dire localisée au sein déquipements lyriques choisis. Face aux faibles résultats des enquêtes regroupant lensemble des pratiques culturelles (3% de Français vont à lopéra sur un an), alors que les enquêtes des réseaux de théâtres lyriques donnent à voir des évolutions majeures dans la composition sociale des publics de lart lyrique, lintérêt réside maintenant à passer à une échelle encore plus réduite, à savoir celle dun équipement culturel. A évolution constante de la composition sociale du public, la taille encore plus réduite de la population de base devrait faire apparaître plus nettement des phénomènes douverture à de nouvelles catégories de publics. Notre cheminement un voyage- se passe au cur de la matière première que sont les publics dopéras, là où ils assistent aux représentations lyriques, au cur également de la notion de démocratisation culturelle, dans les profondeurs de ses diverses acceptions.
Après avoir justifié nos choix méthodologiques, le cheminement intellectuel qui vous est proposé passe par la mise au jour de phénomènes évolutifs locaux, évolutions basées sur des critères sociaux tels que lâge (rajeunissement vs vieillissement), le lieu de résidence (élargissement géographique vs ancrage local)
mais aussi la CSP de rattachement. Appliqués au sein de notre enquête de terrain, les phénomènes évolutifs locaux permettent de recenser les identités locales, ainsi que les défis particuliers, auxquels sont confrontés les équipements lyriques, mettant de la sorte en évidence des situations et préoccupations différenciées dans la « vie » dune maison dopéras. Lensemble forme la deuxième étape de notre voyage (La fréquentation des équipements culturels : des phénomènes évolutifs locaux).
Le troisième partie du parcours proposé (Au-delà de la démocratisation) consiste à rapporter notre proposition dacception large de la notion de « démocratisation » aux phénomènes évolutifs locaux que nous avons mis au jour au cours de nos entretiens. En définitive, il sagit de considérer ces phénomènes évolutifs locaux comme autant de phénomènes de démocratisation ; autant de facettes de la galaxie démocratisation.
A lheure où les obstacles à la fréquentation lyrique sont multiples, et dont le principal dentre-eux nest plus lappartenance à telle ou telle catégorie socio-professionnelle de rattachement, mais le capital de temps disponible en dehors du travail.
Pour lart lyrique, une nouvelle distorsion de pratique se creuse entre ceux qui disposent de temps en dehors de leur travail (ou qui ne travaillent pas), et ceux qui nen disposent que de très peu, supplantant de la sorte la distorsion « classique » de pratique entre les personnes aux faibles niveaux de revenus et de diplôme, et celles appartenant aux CSP élevées.
Au final, pourra-t-on enfin dire que lart lyrique se démocratise, au sens où nous lentendons ?
Fonds de commerce des études quantitatives de fréquentation, la politique de démocratisation de la culture est discutée, et cela dès ses origines. Un retour historique permet de le montrer. Au niveau du public -matière première de ce type détudes- les réflexions actuelles ont fait glisser la terminologie vers un emploi au pluriel : les publics. Démocratisation et publics : deux fondations en mouvements.
Quant à lart lyrique, pratique élitiste, plus corollée au niveau de revenus quau niveau de diplôme, lieu dostentation, symbole du prestige national, gouffre à subventions, il est le contre-exemple par excellence de la démocratisation. Et donc un terrain denquêtes de première importance, situé à la marge de la politique de démocratisation culturelle. Qui plus est, un terrain denquêtes lui aussi en mouvements, avec une phase de décentralisation lyrique -des opéras nationaux en régions- en marche.
Cest ce que nous allons voir dans une première partie, étape liminaire de ce voyage au cur de la galaxie démocratisation.
Méthodologie
Nos réflexions se sont élaborées à partir de recherches documentaires sur létat de la question des publics de lart lyrique.
A partir de ces lectures et de données issues denquêtes statistiques récentes, réalisées par des réseaux de salles lyriques (Réunion des Théâtres Lyriques de France, Chambre professionnelle des directeurs dopéras) et auprès détablissements particuliers (Opéra de Paris, Marseille, Nancy, Toulouse, Avignon), nous nous sommes orienté vers une démarche de recherche qualitative.
Par des dentretiens menés auprès de quelques institutions lyriques françaises, la recherche se propose (1) danalyser lévolution de la composition sociale des pratiquants de lart lyrique, (2) de mettre au jour des phénomènes évolutifs locaux, (3) de rapporter ces phénomènes à la mission de démocratisation culturelle, notamment pour alimenter les débats, passés et actuels, qui entourent cette notion.
Nos entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de responsables de « services des publics » dopéras.
Nous avons retenu quatre établissements lyriques :
Opéra national du Rhin ;
Opéra national de Lyon ;
Opéra de Marseille ;
Opéra de Nice.
Non strictement représentatif, un tel échantillon se base sur un choix raisonné :
sur le plan géographique : explorer les opéras en régions dans le contexte de la décentralisation lyrique ; ne pas se cantonner à une région particulière de France ; tester des régions frontalières (Strasbourg, Nice) ;
sur le plan institutionnel : choisir deux opéras labellisés « nationaux » et deux autres, pour linstant en marge du processus de décentralisation lyrique;
sur le plan démographique : préférer les grosses structures en termes de fréquentation et de moyens en ressources humaines, écarter les petites et moyennes institutions (comme Toulon et Avignon pour la région PACA).
En outre, létude de quatre salles lyriques situées « en province » répond au retard pris par rapport à lOpéra de Paris au niveau de la connaissance scientifique, à léchelle dun établissement lyrique, de la fréquentation des salles.
Suivant léquipement, le service interrogé se nomme « service relations avec le public » (Lyon), « service jeune public » (Rhin), « service action culturelle » (Marseille), « service animation culturelle et sociale » (Nice).
Ces différents services, de tailles différentes, ont un point commun : ils mettent en place des actions envers des publics ciblés. Au cur de laction, ils sont attentifs à lévolution de la fréquentation de léquipement.
Il sont en fait lembryon des futurs « services des publics », mis en place au sein déquipements culturels relevant dautres secteurs, mais encore inexistants pour lart lyrique au niveau régional. Présents notamment au niveau des équipements culturels sous la tutelle du ministère de la culture (Louvres, Pompidou, Villette, BPI, Cité des Sciences et de lIndustrie, Opéra de Paris,
), ces services utilisent les enquêtes de publics au service de la définition daction ciblées. La décentralisation lyrique va les voir se développer au niveau régional.
La grille dentretien a été élaborée notamment à la suite dun « entretien préparatoire » auprès de la direction de lOpéra-Théâtre dAvignon (27 novembre 2003), elle a ensuite été testée auprès du « service animation » de ce même équipement (17 février 2004).
A partir dune consigne initiale laissant linterviewé parler de son action au sein de linstitution lyrique, un discours se construit autour des représentations : enjeux de laction, évolution des publics, notion de démocratisation.
En outre, nos questions se basent sur une série dindicateurs de phénomènes évolutifs locaux, dont la liste, non-exhaustive, est contenue dans une grille danalyse théorique ouverte, construction méthodologique inédite, fruit de nos réflexions sur la (in)capacité de certaines enquêtes à mettre au jour les évolutions actuelles dans la fréquentation de lart lyrique (voir deuxième partie).
A noter que lentretien tel qui nous intéresse a un usage exploratoire, les hypothèses qui nous occupent nétant quincomplètement formulées. Les discours construits et recueillis serviront de base de travail pour dautres enquêtes, quantitatives et qualitatives.
Première partieLa fréquentation des équipements culturels :des fondations en mouvements
Q
uiconque entend sintéresser à la fréquentation dun équipement culturel -ou dune sortie culturelle- est confronté dans la construction de ses recherches à deux matériaux de base :
la masse de personnes qui fréquentent le lieu : visiteur dun musée, spectateur dune représentation théâtrale, auditeur dun concert pop, lecteur douvrages empruntés
;
la masse de données récoltées à la suite des investigations, dont lanalyse fera émerger un discours.
Ces deux piliers sont traversés par des réflexions de fond : ce sont des fondations en mouvements.
Par quel terme désigner lensemble des « fréquentants » dun équipement culturel ? Public ? Prenons acte. Mais au singulier ou au pluriel ? Au-delà des réflexions terminologiques, cest la conception du matériel danalyse qui est en jeu. Où lon se rend compte que, loin dêtre une masse stable, lensemble des personnes qui investissent un lieu culturel se décompose en plusieurs sous-ensembles, dont les frontières sont mouvantes, y compris au sein dun même « fréquentant » (chapitre 2. Les pratiquants : du Public aux publics). Il est entendu que cette multiplicité est un élément influençant lanalyse des résultats denquêtes de fréquentation.
Justement : que mesure-t-on dans ces enquêtes de fréquentation ? Et que dire des données récoltées ? Très souvent, un discours sur la (non)-démocratisation de laccès à la culture constitue le fonds de commerce détudes quantitatives portant sur des variables socio-démographiques classiques. Dès lors, il est intéressant de voir pourquoi, en France, ce thème sest imposé dans le champ daction culturelle, au point de concentrer vers lui la majorité des travaux en ce domaine.
Daucuns nous poseront, avec pertinence, la question suivante : pourquoi un travail supplémentaire centré sur la démocratisation culturelle? Parce que précisément, beaucoup (trop ?) de recherches ont pris ce thème comme base danalyse, un travail de fond sur la notion elle-même est souhaitable. Il sagit ici dun méta-discours, dune réflexion sur et à propos du mono-thème de la démocratisation. Qui, par un rappel historique, englobe la prise en considération du statut qui lui revient, notamment au regard de son échec maintes fois avancé. Un méta-discours qui comporte également une réflexion sur les acceptions du mot. Au final, qui en montre ses limites, pour tenter de dessiner les perspectives davenir dune politique plus que quarantenaire aujourdhui (chapitre premier. Le mono-thème de la démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser).
Avec laide de quels outils va-t-on entamer ce « voyage au cur de la galaxie démocratisation » ? Une pratique culturelle nous est apparue dune grande utilité : lart lyrique.
Tout dabord parce que lOpéra est un domaine où la matière première -les publics- non seulement évoluent, mais commencent à être connus scientifiquement.
Ensuite, parce que lOpéra est pour certains « un bruit qui coûte cher ». Largument économique est maintes fois brandi pour classer cette pratique, taxée « délitiste », comme le contre-exemple par excellence de la démocratisation culturelle. Beaucoup dargent pour peu de gens, en somme.
Enfin, la politique actuelle de décentralisation lyrique -des Opéras nationaux en régions- comporte une mission de « découverte de lart lyrique à de nouveaux publics ». Démocratiser reste dactualité. Et la pratique « art lyrique » se trouve ainsi également au cur de mutations importantes (chapitre 3. A la marge de la démocratisation : lart lyrique).
Chapitre premier Le mono-thème de la démocratisation culturelle :un passage obligé, à dépasser
Le thème de la démocratisation culturelle est un passage obligé, parce que cette politique fait partie intégrante du ministère de la culture, de son installation à nos jours.
Objectif universel, il connaît une déclinaison française particulière, qui constitue une proposition ambitieuse conditionnée par les réalités matérielles du moment. A sa création, le nouveau ministère se trouve en concurrence avec dautres institutions ministérielles, vis-à-vis desquelles une démarcation théorique- simpose (section 1).
Confrontée aux premiers résultats, ou plutôt ses non-résultats, la politique ne sera pas pour autant délégitimée. Malgré le sentiment déchec, lobjectif de démocratisation de laccès à la culture ne sera jamais abandonné. Mais peut-on se débarrasser aussi facilement de ce qui ressemble plus à une croyance quà un objectif réaliste (section 2) ?
Aujourdhui, on peut aller plus loin dans la réflexion. Des tentatives de dépassement sont amorcées. Le mono-thème souffre de limites, vers son abandon (section 3) ?
Section 1. Une mission fondatrice
Le décret du 24 juillet 1959 porte sur les fonds baptismaux un « ministère chargé des affaires culturelles », dont la charge revient à André Malraux et dont la mission est définie en ces termes : « rendre accessibles les uvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience au patrimoine culturel; favoriser la création des uvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ».
En l'espace de trois ans, l'ambition théorique va prendre la forme. C'est durant cette courte période qu'est inventée une politique culturelle. Les orientations choisies sont capitales; elles conditionneront le développement futur de la politique culturelle, et alimentent toujours les débats actuels.
Ses caractéristiques consistent en une différenciation nette face aux institutions en place (I), et en particulier le Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports (II). Au final, on constate qu'une ambition générale et universelle -démocratiser l'accès à la culture- prend une forme bien particulière en France. Nous en résumerons les caractères principaux (III).
I. Une nécessaire autonomie
A l'installation du nouveau ministère, plusieurs institutions gouvernementales sont déjà en charge de matières culturelles. Pour justifier dun budget propre, André Malraux doit composer avec les ministères existants concurrents, et si possible définir une voie d'action indépendante. Cela passera notamment par la politique de définition et dimplantation des Maisons de la culture, « cathédrales des temps modernes », nous y reviendrons.
Avant de poursuivre notre parcours au cur de la naissance de linstitution ministérielle culturelle française, notons que ce processus de nécessaire démarcation d'une nouvelle institution concurrente, face aux institutions existantes, trouve un exemple tout récent en Allemagne fédérale, dans la mise en place de la Fondation fédérale pour la culture, alors que la politique culturelle doutre-Rhin est principalement exercée par les instances fédérées : Länder et les communes.
Ainsi, à son installation, le ministère Malraux provoque des ruptures, à la fois administratives et idéologiques, envers :
- le secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts qu'il remplace ;
- l'Education nationale, lieu de la pédagogie ;
- le Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports, en charge de l'Education populaire.
Pour se démarquer de lEducation nationale, le nouveau ministère prend parti : la pédagogie, l'apprentissage et la formation ne seront pas les moyens préconisés pour permettre à tous de s'approprier l'art. Malraux soutient l'idée d'une confrontation directe avec les uvres artistiques, lidée dun choc révélateur.
Laissons parler Malraux :
« L'Education nationale enseigne : ce que nous avons à faire, c'est de rendre présent. (...) Il appartient à l'Université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ces pièces de les faire aimer. (...) La connaissance est à l'Université, l'amour, peut-être, est à nous. »
Hors du cadre scolaire, la formation s'exerce à travers l'Education populaire, notamment par le biais d'équipements déjà bien implantés sur le territoire français : les MJC Maisons des jeunes et de la culture.
C'est vis-à-vis de cet héritage que la position du ministère naissant sera capitale. Va-t-il faire tabula rasa ?
II. Une différenciation croissante face à lEducation populaire
L'Education populaire, en matière culturelle, ce sont à la fois des associations diverses et variées, regroupées en fédérations (tels que la Fédération catholique du théâtre amateur, lUnion française des uvres laïques d'éducation artistique, des fédérations de ciné-clubs,...), mais aussi les Maisons des jeunes et de la culture. Créées dans le contexte de la Libération, elles ont pour but, comme le résume Philippe Urfalino, « d'épurer de toute propagande politique le legs de l'ex-Commissariat général à la jeunesse du gouvernement de Vichy, tout en encourageant le développement de mouvements laïques de la jeunesse. »
Avant 1959, tout ce dispositif dépend du Haut-commissariat à la jeunesse et aux sports.
Mais cette année-là, un décret précise que « les éléments et services chargés des activités culturelles de Jeunesse et sports » reviennent de fait au nouveau ministère des affaires culturelles.
Les transferts de services font l'objet de négociations, lesquelles reflètent la position du nouveau ministère quant à lhéritage de l'Education populaire. En l'espace de deux ans, la différentiation avec l'Education populaire se fera croissante, et elle culminera dans la dernière mouture des Maisons de la culture, fer de lance de la politique Malraux.
A. Intégration de l'héritage (1959)
Un protocole d'accord répartit, en mai 1959, les associations d'Education populaire entre les deux institutions, Jeunesse et sports et Affaires culturelles. Certaines seront sous double tutelle, dautres sous la responsabilité d'une des deux administrations. A ce stade, le Cabinet Malraux ne semble pas satisfait par l'accord, il voudrait détenir plus d'associations sous sa responsabilité.
Quant aux MJC, le Cabinet Malraux voudrait voir leur appellation écourtée en MJ -pour Maisons des jeunes- en raison du public qu'elles ciblent, et en prévision de la création des MC -Maisons de la culture, destinées à toutes les tranches d'âge.
B. Différentiation sans rupture (1961)
Dès 1960, Pierre Moinot est chargé par André Malraux de dessiner les contours des futures Maisons de la culture (MC), en prévision de lintégration de leur financement dans le IVe Plan. Il s'ensuit une définition exhaustive du financement, de l'architecture, de la direction et de la programmation des « cathédrales des temps modernes ».
Les MC seront le lieu de la confrontation directe entre l'art et le public, excluant, aux dépends de l'Education populaire et de l'Education nationale, tout intermédiaire pédagogique.
Le projet dressé par Pierre Moinot prévoit deux autres modèles d'équipements plus modestes, qui travailleraient en coordination avec les structures existantes, dont les MJC. « Ces trois types de maisons paraissent pour l'instant, ajoutées aux MJC, pouvoir satisfaire, séparées ou groupées, à des besoins de collectivités très différentes, et peuvent en tout cas constituer les éléments de base d'une action que l'expérience ne manquera pas d'enrichir ».
C. Rupture fondamentale (1962)
Passé le vote du budget du IVe Plan, le projet des Maisons de la culture peut être mis en uvre... avec seulement un tiers du financement demandé. Le successeur de Pierre Moinot à la tête de la direction de lAction culturelle, Emile Biasini va, au regard de la coupure budgétaire, ramener le nombre de types d'équipements prévus (pour rappel trois par Pierre Moinot) à un seul, qui devra se différencier très clairement des MJC. Dans leur seconde mouture, les futures Maisons de la cultures sont des lieux d'excellence artistiques,fermant ainsi la porte aux associations locales d'amateurs par ex.
Ainsi, « dans la compétition avec le Haut-commissariat à la jeunesse et aux sports, l'évolution va de la tentative d'annexion de l'héritage de l'Education populaire, à la différenciation croissante avec les MJC. (...) Le Cabinet regrette l'annexion ratée des fédérations d'associations; Pierre Moinot veut souligner une différence, tout en maintenant des passerelles dans l'espoir d'une intégration future; Emile Biasini édifie des frontières ».
III. Une étoile est née
Au terme de ce parcours constitutif du thème de la démocratisation culturelle en France, qui va de la création officielle d'une nouvelle institution (1959) jusqu'à la première définition de sa politique (1962), résumons les caractéristiques données au nouveau projet, ambitieux, liée à la mise en place de la IVe République :
A. Institution nouvelle
Remplie d'une mission théorique de démocratisation de l'accès à la culture, le nouveau ministère chargé des affaires culturelles n'arrive pas en terrain vierge.
En pratique, il doit composer avec les administrations en place, en particulier celles en charge de l'éducation, à lécole (éducation nationale) et dans la vie (éducation populaire).
B. Excellence et efficacité
Pour arriver à démocratiser l'accès à la culture, le Cabinet Malraux compte sur les propriétés intrinsèques de l'offre artistique, non sur la formation de la demande (par une quelconque éducation ou un apprentissage des pratiques artistiques).
Le peuple mérite le meilleur; il doit être confronté à l'excellence artistique. La mise en présence entre la haute culture et le public aboutit de facto à une révélation. C'est cette voie qui doit être explorée, car elle est efficace.
C. Acte de foi
Cette vision a le mérite, non seulement, on l'a vu, d'établir des frontières avec les institutions déjà en place, mais surtout de reposer sur une croyance : la capacité des uvres de qualité à se faire comprendre à tous les hommes, quelles que soient leur éducation et condition sociale. Véritable choc esthétique, la démocratisation est une mission, elle repose sur la foi dans l'art et le salut des hommes par la révélation qu'elle propose.
Section 2. Une inaccessible étoile
Fortement affirmée au début des années 60, la mission de démocratisation culturelle se trouve immédiatement, dans son application, confrontée aux premiers résultats. Lépreuve de feu de mai 1968, même si elle amènera lidée déchec, ne donnera pas loccasion dune remise en cause définitive de lobjectif intrinsèque du ministère de la culture. Plus, on peut constater que le thème de la démocratisation culturelle a toujours fait partie intégrante, jusquà aujourdhui encore, des ambitions du ministère (I).
Parallèlement, lidée déchec de la politique de démocratisation ou en tout cas de la difficulté du chemin à accomplir- va également traverser lhistoire de la politique culturelle française. Plus quun échec certain, nous pensons quil faut parler dun certain échec (II).
Dans ce contexte, pourquoi navoir jamais fait tabula rasa dune mission qui serait trop ambitieuse ? Comment a-t-on pu concilier le paradoxe entre un objectif, clairement exprimé, et son non-résultat, clairement affiché ? Nous sommes convaincu que des éléments de réponses se trouvent dans une réflexion sur le statut accordé à lobjectif de démocratisation. Telle létoile du berger : inaccessible, elle montre pourtant un cap juste (III).
I. Un fil rouge dans lhistoire du ministère
Reprenons le cours de lhistoire à partir de la formulation politique du « projet Malraux », en 1962. Par deux bonds dans lhistoire, de dix ans chacun, nous analyserons ici deux développements du projet initial.
En 1972, le projet verra une première expansion que lon peut qualifier dinterne : la remaniement de la politique de démocratisation par le Cabinet Duhamel (A).
Le second développement, sous le règne de Jack Lang, sera plus brutal avec lidéal de Malraux. Lexpansion est ici externe au projet. Sans être disqualifié, le thème de la démocratisation va être intégré dans un projet plus large (B). Et aujourdhui encore, le thème reste dactualité (C).
Mai 1968
La politique culturelle va, confrontée aux revendications de mai 68, être atteinte dans ses principes, sans perdre d'un seul coup sa légitimité : le bûcher lui sera épargné. Dénoncée, la démocratisation n'est pas délégitimée.
Philippe Urfalino précise la nature de la dénonciation: « Des statistiques de fréquentation des institutions artistiques, l'on déduisit que rendre plus facilement accessibles les uvres artistiques par une politique de prix bas, par des aménagements d'horaires comme par l'augmentation de l'offre, ne pouvait diminuer les inégalités culturelles. On en vint même éventuellement à l'estimer nocive ou condamnable. Nocive quand il fut affirmé qu'elle risquait d'accroître les inégalités qu'elle voulait dissiper; condamnable quand on devina derrière le souci égalitaire de ses militants, l'imposition d'une culture particulière prétendant être universelle (...) ».
Réunis en comité permanent, les directeurs de Maisons de la culture, des centres dramatiques et des troupes permanentes, expriment leurs doutes, en mai 1968, quant à l'efficacité de la politique de démocratisation : « Jusqu'à ces derniers temps, la culture en France n'était guère mise en cause, par les non-cultivés, que sous la forme d'une indifférence dont les cultivés, à leur tour, se souciaient peu. (...) En fait, la coupure ne cessait de s'aggraver entre les uns et les autres, entre les exclus et nous tous, (...) D'un seul coup, la révolte des étudiants et la grève des ouvriers sont venus projeter (...) un éclairage particulièrement brutal. (...) La coupure culturelle est profonde, (...) Il y a d'un côté le public, notre public, et peu importe qu'il soit, selon les cas, actuel ou potentiel, (...) et il y a, de l'autre, un non-public : une immensité humaine composée de tous ceux qui n'ont encore aucun accès ni aucune chance d'accéder prochainement au phénomène culturel (...) ».
Installé en décembre 1971 par le premier ministre Jacques Chaban-Delmas, Jacques Duhamel remanie la politique culturelle. Il prend acte de l'existence d'un non-public, qui rassemble les exclus de la (haute) culture.
En outre, deux nouveaux types d'équipements sont envisagés, enlevant le privilège aux Maisons de la culture :
- des centres d'animation culturelle (CAC), moins onéreux et implantés dans des villes moyennes ;
- des équipements polyvalents, à vocation sportive, éducative et socioculturelle, encore moins onéreux pour le ministère et implantés dans des petites villes.
Ces dernières structures bénéficient d'un financement croisé
interministériel (Jeunesse et sport et Culture). Les frontières institutionnelles originelles s'estompent
On ne doit pas pour autant conclure à l'émergence d'une philosophie d'action qui serait en rupture totale avec la politique originelle de Malraux. En effet :
1° Les Maisons de la culture restent un instrument de l'action ministérielle, de nouvelles constructions sont annoncées ;
2° La démocratisation de l'accès à la culture guide toujours les choix politiques: Duhamel garde le cap fixé par Malraux.
Dix ans plus tard, l'alternance politique de 1981 verra naître une nouvelle « étoile » : la foi en la reprise économique par le développement culturel évincera l'idéal de Malraux comme principale justification de l'intervention culturelle. Une nouvelle ère culturelle, enfant de lalternance politique, commence : lère Lang. C'est ce que nous allons voir maintenant.
Lère Lang
Au début des années 1980, en pleine campagne électorale pour lélection présidentielle, un certain Jack Lang est nommé délégué national pour la culture par le parti socialiste (PS). Face aux dangers naissants, et en particulier l'impérialisme culturel américain, M. J. Lang va se poser en protecteur.
Economique et militaire, l'impérialisme américain a aussi une dimension culturelle. Via des biens culturels industrialisés, où le profit est la règle, un certain way of life est diffusé, qui arrose médiatiquement toute la planète.
Chargé par François Mitterrand de rapprocher les artistes du PS, Jack Lang est, pendant les deux années avant les élections qui amèneront le parti au pouvoir, l'un des protagonistes les plus actifs de l'anti-impérialisme américain. A noter que cette période est caractérisée par une crise économique latente.
La victoire électorale de François Mitterrand en 1981 provoque l'alternance politique tant attendue par les socialistes. La politique culturelle va bénéficier d'une nouvelle impulsion. Jack Lang, nouveau ministre de la culture, obtient un doublement du budget de la culture. Deux fois plus de moyens pour la démocratisation? Pas vraiment. La nouvelle justification de l'intervention culturelle de l'Etat se trouve dans le slogan « économie et culture, même combat », lancé par Lang en 1982 à Mexico.
En phase avec les foudres préélectorales lancées contre le péril américain, le discours socialiste en matière culturelle propose de justifier la dépense publique vers un secteur professionnel -les industries culturelles- en raison de son impact sur l'économie française, particulièrement mal en point au tournant des années 1980. Cest la philosophie du « développement culturel ». Cette légitimation par l'économie est acceptée par les artistes car elle s'accompagne d'un doublement du budget culturel.
Mais elle a pour conséquence d'évincer le thème de la démocratisation comme finalité principale d'action. Désormais, la foi en une solution culturelle globale face aux périls économiques et sociaux complète le mono-thème de démocratisation, tout en intégrant ce dernier dans un projet plus large.
Une étoile est née, plus imposante que la précédente, autour de laquelle laction du ministère de la culture gravit.
Une politique incontournable
Dans la succession rapide des ministres de la culture depuis la fin de lère Lang, aucun dentre-eux ne renoncera aux ambitions initiales de démocratisation. Le projet faisant désormais « partie des meubles ».
Retenons, à titre dexemple, quau début de lannée 2004, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, annonce la mise en place de « quatre initiatives pour favoriser laccès de tous aux richesses culturelles de la nation ». Les voici ici résumées :
Le Passeport pour la France
sera remis à chaque Français dans lannée de ses 18 ans. Sous la forme dun livret, valable toute sa vie, il lui offre une visite gratuite dans chacun des monuments, domaines et musées nationaux. Une sorte de « droit de visite » par chaque citoyen des richesses culturelles de la nation. Cette initiative sadressera aux 800.000 jeunes qui atteignent lâge de 18 ans, elle sera renouvelée chaque année.
Le Pique-Nique de la Fraternité
se déroulera dans toutes les communes de France qui le souhaiteront, le 26 août 2004, date de lanniversaire de la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen de 1789. Organisée dans le cadre dun site remarquable, dune place, dune avenue fermée à la circulation, ou dun jardin les sites et jardins nationaux seront ouverts gratuitement au public cette initiative aura pour vocation à réunir le plus grand nombre autour dun repas, où la diversité du patrimoine culinaire sera mis à lhonneur. Chaque commune de France fera alors vivre pleinement les valeurs de Liberté, Egalité, Fraternité.
Lexposition « France »
sera présentée dans 8 villes sur lensemble du territoire. Inaugurée à la fin de lannée 2004 à Reims, elle sera ensuite accueillie à Toulon, Mulhouse, Le Havre, Annecy, Montauban, Tours et Quimper. Cette exposition, produite par la Réunion des musées nationaux, et dont le commissariat a été confié à Michel Colardelle, est destinée à dresser un portrait généreux de la France dans sa diversité, dans la multiplicité de ses enracinements.
Le Panthéon
devra, enfin, devenir un véritable mémorial de la France, de son histoire et de son peuple. Cest pourquoi le ministère lancera, courant août 2004, un vaste projet de valorisation du monument, pour y faire vivre lhistoire de France et celle de ses grands hommes. La crypte et la nef seront remises en lumière. Le programme de restauration de lédifice sera achevé. Le drapeau de la République flottera en permanence sur le fronton de lédifice.
II. Un échec
relatif
Les résultats de la politique de démocratisation culturelle font lobjet dun débat aussi incontournable que la politique elle-même. Résultats
ou plutôt non-résultats, autrement dit son « inéluctable échec ».
Linstauration du ministère saccompagne détudes quantitatives sur la fréquentation des équipements culturels. Dès 1968, alors que les statistiques donnaient à voir les limites dune politique de développement de loffre culturelle, le « cri » des directeurs de Maisons de la culture faisait apparaître la notion de « non-public » et de « coupure culturelle » entre celui-ci et « le public, notre public, actuel ou potentiel ».
Avec encore plus de recul, après la publication de quatre ouvrages de synthèse sur les pratiques culturelles des Français, à huit années dintervalle chacun, la distinction culturelle ne sest pas résorbée ; elle sest enracinée. Voyons lavis réservé du directeur de ces enquêtes statistiques effectuées par le ministère de la culture : « La politique de loffre na pas créé, de manière significative, de nouveaux publics. Si la fréquentation globale a explosé, ce sont les mêmes qui en profitent (
) Plus de 40 % de la population sont des exclus culturels ».
Pourtant léchec nest pas total. Aujourdhui, après quarante ans de politique de démocratisation culturelle, « faire un bilan de la politique culturelle en portant un jugement sur lambition fondatrice du ministère des affaires culturelles créé en 1959 (
) est une entreprise redoutable, tant il est difficile de se défaire dun sentiment contradictoire. (
) Il apparaît en effet aujourdhui parfaitement légitime de considérer que lobjectif dAndré Malraux de doter la France dun réseau déquipements culturels est pour lessentiel atteint. (
) En même temps, les résultats denquêtes sont là pour rappeler que les inégalités daccès aux équipements culturels nont pas connus de réduction significative, dans un contexte générale favorable (augmentation du pouvoir dachat, progrès considérables de la scolarisation
). Après leuphorie des années 80 (
) lillusion sest dissipée. »
La politique de loffre est un succès, contrairement au travail autour de la demande. Mais quelle est lobjectif le plus important ? Où est la finalité ? Loffre culturelle ne doit-elle pas être considérée, non comme une fin en soi, mais comme un moyen pour augmenter la demande culturelle? Le développement de pratiques culturelles par les publics socialement plus réticents (caractérisé par des faibles niveaux de diplômes et de revenus) nest-il pas la finalité de laction culturelle, après le développement de loffre ? Or, cest ce but ultime qui pêche
Dès lors, comment a-t-on pu supporter un tel constat déchec, apparu dans les premières du ministère, et récurrent depuis lors ?
Des éléments de réponse sont à chercher dans la légitimité même accordée à la mission de démocratisation culturelle.
III. Létoile du berger
On ne peut pas reprocher au « projet » politique de Malraux dêtre ambitieux. La question est ailleurs. Les ambitions ont-elles été pensées comme réalistes ou utopistes ? En dautres termes, le « projet » na-t-il pas plutôt le statut dune croyance, dun acte de foi, fût-il réalisable ? Pour sécarter de termes à connotation religieuse, on pourrait parler dun mirage, pour son caractère à la fois visible, mais inaccessible.
Cette inaccessibilité -ou impossibilité- fut dailleurs dénoncée tout au long de lhistoire de la politique culturelle française : « la dénonciation de la démocratisation comme illusion fait en quelque sorte partie intégrante de son histoire ».
Ajoutons maintenant à la réflexion le thème de léchec dune politique ambitieuse. La considérer comme réalisable prendre lillusion pour une vérité- revient à prendre en compte tout échec comme une remise en cause. Un constat déchec voudrait quon y renonce, pour passer à quelque chose dautre, de moins ambitieux par exemple.
Cette situation ne semble pas correspondre à notre cas étudié. Au contraire, la démocratisation culturelle a toujours guidé et guide toujours- les actions développées par le ministère de la culture, avec autant dambition.
Nous sommes donc dans un autre cas de figure. Celui où notre illusion est considérée comme telle, cest-à-dire non réalisable, du moins totalement. Perçue comme un objectif juste et nécessaire, la démocratisation montre une orientation juste des actions. Dans ce cas de figure, tout échec ne remet pas en cause directement la finalité. Certes, il indique que la route est encore longue, mais invite à persévérer.
Telle linaccessible étoile, qui éclaire et guide le berger, lequel continue de suivre le chemin tracé.
Section 3. Réflexions autour dun mot : vers une remise en cause de la notion même de démocratisation
Nous venons de voir comment le projet fondateur du ministère de la culture sest ancré dans lhistoire dudit ministère, au point que nous lui accordons le statut de thème récurrent, de mono-thème. Un premier débat est apparu sur la faisabilité du projet, sur sa capacité de réalisation. La mission de démocratisation culturelle se trouve déjà, par ce fait, affaiblie, fragilisée.
A partir de ce premier élément de discussion, apparu à la fin de années 60, il nous semble intéressant de continuer la réflexion inhérente au projet de démocratisation culturelle, en particulier à partir déléments récents, sur ses objectifs, ses acceptions et son statut actuel, au tournant du 21e siècle. Au final, ce faisceau déléments problématiques portent un coup dur à la notion de démocratisation, jusquà son abandon ?
I. Un travail de réécriture ?
Dans un article de synthèse, Olivier Donnat revient, pour le compte du ministère de la culture, sur plus de 40 ans de politique culturelle française menée sous le fanion de la démocratisation culturelle.
Avant den venir au texte fondateur de linstitution, lauteur nous invite par commencer à lever un malentendu: « Le terme de démocratisation ne faisait pas partie du vocabulaire de Malraux ; sil est présent dans nombre de discours de ses proches collaborateurs, on nen trouve, à notre connaissance, nulle trace ni dans ses écrits, ni dans ses grands discours sur la politique culturelle. » Malraux naurait pas parlé de « démocratisation » ? Des propos qui étonnent, pour une notion qui, en France, est automatiquement associée à la création du ministère, par Malraux.
Ensuite, à propos du texte fondateur (rendre accessibles les uvres capitales de lHumanité
), la réflexion de lauteur lamène à considérer que « Tout laisse penser que le terme « accessibles » doit être pris dans le sens de « disponibles », si on veut être fidèle au sens que lui donnait Malraux. Dailleurs, si ce dernier puisque le texte du décret de 1959 a probablement été écrit de sa main- avait utilisé ce terme à la place de celui d« accessibles », il aurait été probablement plus en phase avec ce quétait vraiment sa vision de laction des pouvoirs publics en matière culturelle, et le bilan serait aujourdhui beaucoup plus facile à faire car il serait sans conteste très largement positif ».
En rentrant dans la « vision » que Malraux avait de son action, en considérant son « vocabulaire », Olivier Donnat opère un travail de relecture, voire de réécriture de lhistoire du ministère de la culture. A quelle fin ? Nous verrons que plus loin, la solution quil préconise à propos du projet de démocratisation culturelle est radicale, surtout lorsquon sait quelle émane du ministère lui-même.
Cest dans le chemin ouvert par cette préconisation que nos recherches vont sinscrirent, et que notre enquête sur la fréquentation de lart lyrique sappuyera.
Mais dautres éléments fragilisateurs alimentent notre réflexion sur la démocratisation culturelle, en particulier les différentes acceptions du mot.
II. Polysémie
Un ouvrage récent recueille des témoignages et expériences institutionnelles sur la fréquentation des équipements culturels, dans le cadre dun séminaire mis en place par le ministère de la culture. Il fait suite à un compte-rendu sur le même thème, abordé quelques années auparavant.
La conclusion revient au sociologue Jean-Claude Passeron, qui entame une réflexion sur les acceptions de la notion de « démocratisation » dans le domaine culturel : « Il est difficile de sentendre sur lusage sociologique du concept de « démocratisation » qui a été employé successivement depuis les années 50 dans au moins quatre sens différents ». Nous résumons ici les quatre sens évoqués par Passeron :
1° le nombre
Croissance numérique, en volume, qui correspond à une augmentation des flux de pratiquants. Comme dans le cas de la « démocratisation » de la population universitaire ;
2° linégalité sociale
Sont ici considérés des sous-groupes de pratiquants, dont les volumes et variations sont mesurés. Une « démocratisation » correspond ici à une diminution des écarts de pratiques entre différentes catégories de pratiquants ;
3° les probabilités daccès selon les catégories
Ici, une vision diachronique, englobant les différences intergénérationnelles est privilégiée. Il sagit de considérer les chances pour les « descendants » de changer de catégorie en fonction de leur poids dans la population totale. On se rapproche de la perception que les individus ont de ce qui se passe dans leur environnement proche. Contrairement à une certaine probabilité objective, qui serait le résultat dun déterminisme dun destin de classe, lespérance subjective est ici mise en avant ;
4° « démocratisation » dun rapport social
Il sagit de la diminution de lautorité dimposition que possède sur son partenaire le bénéficiaire de la dissymétrie dans une interaction. On touche ici à la formation de la demande culturelle, renvoyant aux effets pédagogiques de lapprentissage, lenseignement et la familiarisation. Cette « démocratisation » est rarement ou faiblement corrélée avec la démocratisation du recrutement social dune institution ;
La réflexion menée par Jean-Claude Passeron trouve un écho identique dans un article de Sylvie Octobre, chargée détudes au Département des études et de la prospective (DEP) du ministère de la culture, laquelle, avant de développer un « exercice » théorique de décomposition de la notion de démocratisation, précise ceci : « Exercice utile, sinon nécessaire, tant sont multiples et contradictoires les usages du terme de démocratisation et les conclusions tirées de la lecture danalyses chiffrées ».
Sa « proposition de cadre interprétatif » servira, elle aussi, de base utile à nos recherches (voir Chapitre 2. Entre quantité et qualité). A ce stade, retenons déjà que lauteur opère un choix sur lusage du terme : elle va construire sa théorie sur un exemple illustrant la démocratisation du recrutement social, mettant en scène deux catégories de population, lune socialement favorisée, lautre moins favorisée. Il est entendu que le critère social discriminant utilisé est le rattachement aux professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) telles que lINSEE les définit. Nos recherches sinterrogent aussi sur la possibilité délargir la palette de critères sociaux à prendre en compte pour mesure la démocratisation du recrutement social dune pratique culturelle.
Mais retenons déjà la multiplicité des acceptions dune notion vieillissante, qui semble contenir plus de développements quà ses débuts, bien quon continue à vouloir cantonner son cadre de réflexions autour de sa raison première, définie dans les années 1960, dans la filiation des études bourdieusiennes. Nous ne nous attarderons pas longtemps ici sur luvre de Pierre Bourdieu. Retenons le rôle de la distinction et de lhéritage sociaux dans les pratiques culturelles, source dun fossé entre une culture « légitimée » par certains groupes sociaux, tandis que dautres groupes sociaux restent en marge de laccès à la (haute) culture. Selon Bourdieu, la culture semble apparaître comme étant pour certains, et pas pour dautres.
III. In memoriam ?
En tenant compte des éléments de réflexions avancés jusquici, depuis la question du statut même de la politique de démocratisation, en passant par un travail de relecture historique des premiers moments où elle a vu le jour, mais aussi en considérant la multiplicité de ses acceptions, dont une seule celle du recrutement social fondé sur les PCS- semble simposer pour notre objet général détudes (la fréquentation des équipements culturels), quelles hypothèses peut-on avancer, aujourdhui, pour continuer à vivre avec la notion ?
Nous pouvons en effet supposer que, ayant traversé lhistoire du ministère dont elle est la raison fondatrice, sétant en quelque sorte institutionnalisée, personne au ministère de la culture nest prêt de labandonner. Et bien non
Cette déduction ne couvre pas la réalité actuelle. Au contraire, certaines voix officielles se montrent prêtes à battre en brèche le sacro-saint mono-thème.
Ainsi, dans un article déjà cité, Olivier Donnat va au bout de la réflexion, en se demandant quelle position adopter aujourdhui face à une politique de démocratisation culturelle presque cinquantenaire, avec les développements que lon connaît.
Trois hypothèses sont avancées :
1° abandonner sans complexe la mission fondatrice :
« On peut être tenté tout dabord de « jeter le bébé avec leau du bain » et considérer que le projet de démocratisation de la culture relevait, certes, dune noble ambition, mais quil était totalement irréaliste car trop ignorant des mécanismes sociaux produisant le « désir de culture ». Pourquoi, après tout, même si une telle proposition put être difficilement tenable par un ministre, ne pas prendre acte de limpuissance de laction culturelle à remédier aux inégalités sociales entravant laccès aux équipements culturels et accepter de tourner la page en privilégiant sans culpabilité les objectifs de la politique culturelle relatifs à loffre (soutien à la création, entretien du patrimoine
) ?
2° accorder plus de moyens financiers :
« On peut être tenté, à linverse, den « revenir à lesprit des pionniers », cest à dire mettre en avant lobjectif de démocratisation en réclamant de « vrais » moyens. Car cest bien là un des paradoxes de la politique culturelle française : si la place de lobjectif de démocratisation a souvent été prépondérante au niveau des discours, les crédits mobilisés nont jamais été à la hauteur des ambitions affichées. (
) Choisir une telle orientation est bien entendu difficile impossible diront beaucoup- car cela implique un redéploiement des moyens financiers, sauf à imaginer un doublement du budget consacré à la culture, comme cela avait été le cas en 1982, et quune telle opération ne peut que heurter des habitudes acquises et réduire les « marges budgétaires artistiques » à un moment où les milieux concernés attendent au contraire leur augmentation. »
3° abandonner le terme :
« Enfin, on peut être tenté par une véritable refondation en abandonnant le terme de « démocratisation » sans renoncer à toute ambition en matière délargissement des publics de la culture. Sans succomber aux charmes du paradoxe, on peut même aller jusquà défendre lidée suivante : abandonner lusage du terme de « démocratisation », porteur depuis les origines de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes, constitue aujourdhui une des conditions dune meilleure efficacité des actions menées en direction des publics.
Cela tout dabord permettrait déviter les amalgames et les confusions possibles : laugmentation de la fréquentation des équipements, la conquête de nouveaux publics et la fidélisation des publics en place par exemple ne sont pas des objectifs équivalents ou complémentaires, mais différents ; ils demandent par conséquent à être explicitement distingués et réclament la mise en uvre de stratégies spécifiques.
Abandonner le terme de « démocratisation » et définir des objectifs plus précis, portant sur des populations précisément ciblées, peut par conséquent aider à séparer les finalités relatives à loffre culturelle et celles relatives au public, et à déchirer lépais écran de fumée qui souvent recouvre les objectifs réellement poursuivis, rendant difficile toute véritable évaluation. »
Terminer ce voyage au cur de la démocratisation culturelle par une considération aussi forte sur son statut actuel nest pas innocent. En effet, la troisième hypothèse qui vient dêtre évoquée, celle qui est retenue par lauteur, contient une démarche particulièrement intéressante pour la construction de notre problématique de recherches, à partir de la question suivante : lart lyrique sest-il démocratisé ?
Lidée vient dêtre évoquée, pour des raisons quon pourrait qualifier de « realpolitik », mais aussi de meilleure efficacité, dabandonner le terme de démocratisation, pour laisser place à une multitude dobjectifs ciblés. Certains sont nommés (augmentation de la fréquentation, élargissement, fidélisation), dautres sont à définir. Derrière « létoile » se cache une galaxie de phénomènes, en écho à louvrage de M. McLuhan.
Cest à ce travail déclatement de la notion fondatrice du ministère de la culture que nous nous attellerons, pour tenter de cerner au mieux les évolutions à luvre dans la fréquentations des salles lyriques en France.
Mais avant cela, par convenance terminologique, il nous faut évoquer ensemble un autre pilier fondateur de la fréquentation des équipements culturels : la notion de public. La mise au point sera rapide. (chapitre 2).
Ensuite, nous justifierons en quoi notre terrain détudes lart lyrique- est particulièrement intéressant, pour des raisons structurelles et conjoncturelles, au regard des deux notions abordées plus haut : la démocratisation de ses publics (chapitre 3).
Chapitre 2 Les pratiquants : du Public aux publics
Ce chapitre vise à établir une convention, plus terminologique que sémantique. Il ne prend pas un parti radical, mais permet dinscrire nos recherches dans les considérations actuelles les plus justes et précises dans la manière de nommer lensemble des personnes qui fréquentent un équipement culturel, qui sadonnent à une pratique culturelle, qui décident dune sortie culturelle : Public, public ou publics ?
Section 1. Majuscule vs minuscule
Dans une enquête récente, ciblée sur la fréquentation des maisons dopéras en France, Gérard Doublet propose de mettre fin à lusage du « Public », saffichant avec une majuscule.
En premier lieu, pour des raisons de non-représentativité de cette notion :
« Le Public serait lensemble des spectateurs fidèles, abonnés, passionnés qui auraient des exigences en matière de programmation. Des connaisseurs et des clients fidèles, ceux qui sexpriment lors des rencontres organisées à leur intention par les Opéras, ceux qui se manifestent au cours des représentations, qui sifflent une soprano, hurlent leur déception à légard dun metteur en scène ou éclatent en applaudissements prolongés pour exprimer leur enthousiasme. Le vrai Public idéalisé se définit par son caractère entier. Il ne fait pas les choses à moitié, car il se sent un peu propriétaire de sa scène, de son théâtre et parfois de son fauteuil. Il connaît les choix de la programmation, les juge et les sanctionne si nécessaire, en renonçant à sabonner. (
) Le Public ferait le succès ou la ruine dun spectacle.
Ce Public nest pas constitué de spectateurs amateurs occasionnels, mais de passionnés, experts, abonnés depuis de nombreuses années. Il ne pourrait au mieux représenter quune partie de 30 à 40% des spectateurs réguliers dune maison dOpéra. Il nest ni descriptif dun type, ni représentatif de lensemble des publics, dans la diversité de leurs pratiques. (
) Enfin, il devrait exister autant de vrai(s) Public(s) que de maisons dopéras. Cette contradiction (singulier/pluriel) finit dépuiser le mythe. » (p.6-7)
Ensuite, par souci de démocratie culturelle entre les pratiques culturelles :
« La notion de Public au singulier avec une majuscule provoque notre interrogation sur ce qui distinguerait ce public-là des publics dautres genres de spectacles. La notion exigeante de Public risque denfermer toute étude socio-pratique dans une démarche conceptuelle de différentiation dun Public à légard dautres Publics, dune pratique culturelle par rapport à dautres pratiques culturelles. » (p.5)
Section 2. Singulier vs pluriel
Gérard Doublet poursuit la réflexion, autour maintenant de laxe du nombre : public ou publics ?
« Nous avons choisi de nous rattacher à la notion de publics lyriques au pluriel. Le spectateur dopéras est pluriel dans sa singularité : amateur de théâtre, de concerts
de musique classique, de jazz, de blues, de rock, de pop
.dexpositions dart, de photos. (
)
La notion de publics au pluriel offre un autre avantage, celui de permettre de tenter une généalogie du goût lyrique en particulier et du goût en général. (
) Un spectateur connaît dans sa carrière plusieurs phases qui lui font gravir (ou descendre) les degrés de découverte du genre lyrique, de la première fois à lapprentissage, de la démarche cognitive ou académique à la pratique régulière, enfin celui de lexpertise du grand amateur assidu du genre. A linverse, les jeunes abandonnent la pratique lorsquils rentrent dans la vie active. Des amateurs de disques lyriques ne vont pas nécessairement à lOpéra. Les plus âgés se contenteront des opéras à la télévision. Des hyperactifs dans leur fonction en entreprise et amateurs lyriques ne prennent plus le loisir de fréquenter une maison dopéras. » (p.5)
Une même personne une même unité comptable de fréquentation- comprend en lui-même plusieurs publics, successivement dans le temps du moins, dans la construction de sa carrière ou généalogie. Mais il semble aussi que très rapidement, une même personne passe dun public à un autre, différent. Laissons parler le sociologue Jean-Claude Passeron :
« Le » public traditionnellement conçu au singulier comme lensemble homogène et unitaire des lecteurs, auditeurs, spectateurs dune uvre ou dun spectacle nest plus guère quun fantasme dauteur ou déditeur, élaboration érudite dun procédé discursif de conteur populaire face à son public dun soir. (
) Entendu au singulier, le public na dautre réalité sociologique que comptable. (
) Si lon scrute de plus près la réception dune même oeuvre par un spectateur ou un lecteur unique, on constate presque toujours dans la communication artistique la scissiparité de ce récepteur individuel en plusieurs publics quil superpose, alterne ou combine différemment par la permutation incessante de ses « horizons dattente ».
Chapitre 3 A la marge de la démocratisation : lart lyrique
Pourquoi avoir choisi la pratique « opéra » pour une exploration au cur de la démocratisation culturelle ? Pour au moins trois raisons :
1° Pratique élitiste, plus corrolée au niveau de revenus quau niveau de diplôme, lieu dostentation, symbole du prestige national, gouffre à subventions, lopéra est le contre-exemple par excellence de la démocratisation.
2° Cependant, lart lyrique voit ses publics évoluer. Des études récentes en attestent. Lintérêt des enquêtes de fréquentation réside dans le fait quelles ont provoquer un renversement dans la connaissance des publics dopéras : dune vision subjective, presque instinctive, on est passé récemment à une connaissance scientifique.
3° Enfin, lEtat ayant perçu cette évolution, il a décidé de laccompagner. Le paysage lyrique français connaît une phase de décentralisation lyrique, avec lattribution du label « national » à certaines alles lyriques de région (Lyon, 1996 ; Rhin, 1997 ; Bordeaux, 2000 ; Montpellier, 2002). Nous verrons ce que signifie, concrètement, ces engagements.
Section 1. Economie : un ogre financier
« De tous les spectacles vivants, lopéra est celui dont loffre est la plus rare, la plus coûteuse, la plus déficitaire et la demande la plus étroite. »
Réaliste, cette affirmation sonne comme un slogan pour les défenseurs dun rationalisme économique dans le champ culturel. Cest vrai, lart lyrique coût cher, très cher. Et saccapare la part la plus importante du budget étatique consacrée au spectacle vivant. (I)
Mais qui voudrait voir le rideau se fermer définitivement sur cette pratique ? Assurément pas lEtat. Réunion des arts et de lexcellence nationale, lopéra symbolise le prestige étatique et national. (II)
Enfin, raisonner uniquement en termes financiers est limitatif face aux enjeux qui sont à luvre au sein de cette pratique artistique. (III)
I. La part du lion
Lart lyrique se taille la part du lion des subventions accordées par le ministère de la culture, hors de la manne commune destinée au spectacle vivant. Ce tableau reprend des données officielles pour lannée 2001.
Il prend en considération les trois secteurs artistiques majeurs du spectacle vivant -lopéra, le théâtre et la danse- en reprenant, pour chaque secteur, les institutions dont le fonctionnement financier est majoritairement assuré part lEtat.
Tableau 1. Financement de lEtat (ministère de la culture) selon les pratiques culturelles
PratiqueEtablissements « nationaux »Subvention du ministère de la culture
(millions deuros)Art lyrique2
(Garnier et Bastille)87Théâtre5
(Comédie, Chaillot,
Colline, Odéon,
Strasbourg)54,4Danse18
(compagnies labellisées)46,7
Source : DEP, 2001
A noter que pour la pratique qui nous concerne, lart lyrique, la création et la diffusion artistique est présente en régions via une vingtaine dinstitutions lyriques dont 4 en région PACA. Mais lEtat nintervient que pour une part insignifiante dans leurs budgets. Ces salles lyriques sont essentiellement subventionnées par les villes. La politique de décentralisation lyrique ne modifie pas de manière substantielle lintervention financière étatique en régions, mais réunit toutes les collectivités territoriales (villes, départements, régions, Etat) autour du projet (voir Section 3. Politique : la décentralisation lyrique).
II. Un attribut régalien
Le constat que nous venons de faire, sur le fort coût en subventions de lart lyrique, en comparaison aux autres secteurs du spectacle vivant, trouve une explication dans le lien intime qui le lie à lEtat : lOpéra est « lincarnation privilégiée du prestige culturel national ». Lieu dostentation privée, lopéra incarnerait aussi une certaine ostentation de la « chose publique ».
Le même auteur précise sa pensée : « [Lopéra] consacre chaque année, par le poids écrasant de ses subventions, la primauté effective dune forme dexpression artistique largement tricentenaire. (
) Sa survie économique (
) dépend donc étroitement du comportement régalien quadoptent à son égard les représentants successifs du pouvoir politique. Il ny a pas de remise en cause de la place de choix quoccupe lopéra dans nos politiques culturelles. (
) Le nouvel Opéra Bastille le réaffirme avec plus de conviction que jamais. »
Le mot est lâché : « Bastille ». Comment concevoir la construction dune nouvelle salle dopéra, à Paris, lorsquon connaît précisément le coût exorbitant, en investissement et en fonctionnement, dune salle lyrique ? A Paris, qui dispose déjà du Palais Garnier... Enfant de lalternance socialiste de 1981, le projet de lOpéra Bastille sinscrit dans la politique de Grands Travaux qui anime alors le ministère de la culture depuis quelques années (la Pyramide du Louvres, le Parc de la Villette,
). Se voulant populaire, lOpéra Bastille sera construit, jusquà son ouverture en 1990 (quelques mois après le bicentenaire de la Révolution française, symbole populaire fort).
Nous ne reviendrons pas sur les débats et soubresauts entourant ce projet. Laspect financier nous intéresse : comment avoir fait passer lidée de la construction dun second « gouffre à subventions » dans la capitale française ? Le ministère des finances se mêle de lhistoire dès le milieu des années 1970. Partant du constat que « lart lyrique, forme dart naturellement coûteuse, trouve au Palais Garnier toutes les conditions pour cumuler la démocratisation minimale et la dépense maximale, le pourcentage de recettes le plus faible malgré le prix des places la plus élevée », lalternative est la suivante : soit construire un nouvel opéra, soit fermer lancien.
Dans ce contexte, « il semble que le gouvernement socialiste [de 1981] ait préféré « mettre le prix » car la représentation dopéra représente encore aujourdhui un des symboles le plus éclatant et le plus visible du niveau culturel dune époque. »
III. Retombées diverses
Certes, lopéra a un coût. Mais il faut aussi penser en termes de retombées. Ces retombées sont-elles uniquement mesurables en unités sonnantes et trébuchantes ? Une relativisation simpose, et cest Bernard Foccroulle, directeur actuel de la Monnaie (Bruxelles), qui nous la suggère.
« Lannulation des Festivals dAvignon, Aix-en-Provence, Marseille, Montpellier, La Rochelle, et bien dautres encore, a suscité cet été des remous considérables et occupé la « une » de la plupart des journaux européens. Cest loccasion de rappeler que si la culture a un coût, elle a aussi également une contre-partie, bien plus importante. A Aix, les retombées économiques du Festival sur la ville et la région dépassent les 15 millions deuros, trois fois le montant des subventions publiques. (
) Outre les retombées économiques et sociales de la culture, on peut également étudier les conséquences dune vie culturelle sur limage dune ville ou dune région. (
) Une maison dopéras coûte relativement cher : a-t-on fait le compte de ce quelle rend à lEtat directement sous formes de taxes, et indirectement par le biais de retombées diverses, bien plus difficiles à cerner ? Ainsi, la présence dune maison dopéras de bon niveau est lun des critères retenus par les grandes entreprises cherchant un lieu dimplantation. (
)
Faut-il impérativement jauger limmatériel à laune du matériel ? La gratuité de lacte artistique en constitue une dimension fondamentale. Si des artistes ont créé les cathédrales, orné les villes, dessiné des jardins, décoré des objets usuels, diverti des mécènes, lessentiel de leur création transcende la part matérielle quon peut y distinguer. Cest la dimension immatérielle, la gratuité du beau, linutilité du beau, qui fonde leur valeur profonde. (
) Vouloir mesurer et quantifier cette part de la culture naurait aucun sens. (
) Nous devrions dailleurs bannir de notre vocabulaire le terme de « consommation culturelle » : il y a une opposition irréductible entre les deux termes ! Ce qui est consommé disparaît. On consomme de lélectricité, un verre de bière, un poulet frites (
). »
Dans notre domaine détudes, des enquêtes récentes prennent en compte la multiplicité des facteurs à considérer pour essayer de parler en termes de retombées, sil le faut.
Section 2. Publics : vers une connaissance scientifique
Une mutation essentielle sest opérée dans la connaissance des publics de lart lyrique : « Jusquà de récentes enquêtes, on ignorait tout de la foule anonyme qui peuple les théâtres dopéras depuis plusieurs décennies. »
Limage dEpinal du public dopéra prévalait : « Du public dopéra, on a retenu jusquà aujourdhui quelques traits saillants (
) En dautres termes, on a transposé sur le public daujourdhui les réalités, bien connues et abondamment commentées, du XIXe siècle ». Et plus précisément : « On sest contenté jusquici de retenir du public dopéras limage dune minorité dorée, mondaine, instigatrice dun rituel organisé à travers la régularité de la pratique et dont lostentation serait une composante essentielle. »
Lenquête menée au début des années 1990 dans le domaine lyrique par Frédérique Patureau, que nous venons de laisser parler, constitue une première de la part du ministère de la culture, pourtant habitué à mener des enquêtes statistiques dès son institution au début des années 50. « Ce dernier type denquête [caractéristiques socio-démographiques et modes de consommation] na jamais été entrepris de façon systématique, au regard, sans doute, de létroitesse de loffre et de la demande dans ce domaine [de lart lyrique]. » Quid de lenjeu économique ?
Elle annonce le début dune série dautres enquêtes, à Paris et en régions, sur la fréquentation des maisons dopéras. Malheureusement, peu denquêtes sont comparables, et cest la un problème récurrent : « La comparaison des publics dopéra en France est une tâche particulièrement délicate [
de par
] labsence de perspective comparée. » Lauteur entend souligner linutilité, dans une perspective comparée, de la généralisation du modèle des « profils-types » qui résument le travail empirique, et dont les données brutes sont en général inaccessibles.
Nous verrons dans le deuxième chapitre, que les enquêtes récentes se sont multipliées, lesquelles nous servirons de base quantitative de travail pour lélaboration de notre protocole de recherches, au niveau local, au sein des quatre salles lyriques retenues.
Section 3. Politique : la décentralisation lyrique
Un trait caractéristique de lHistoire française réside dans sa tradition dEtat centralisé, porté par le jacobinisme durant la période révolutionnaire. LEmpire verra certes la création des départements, mais le lien avec la capitale reste très fort ; les collectivités locales ont peu dinitiative. Paris et le désert français
Ce nest quau cours de la seconde moitié du XXe siècle que des évolutions seront constatées vers une plus grande autonomie des collectivités territoriales, évolutions contenues dans les lois « Defferre » de décentralisation de 1982 et, tout récemment, dans lacte II de la décentralisation, porté par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
Dans le domaine culturel, le ministère « chargé des affaires culturelles » prend à cur la question du développement des équipements culturels en régions. On connaîtra ainsi une phase de décentralisation théâtrale, sous limpulsion de Jeanne Laurent, de décentralisation musicale, avec la création des orchestres régionaux, phase à laquelle le nom de Marcel Landowski est étroitement associé.
Depuis le début des années 1990, il est question de la décentralisation lyrique. Non pas quil nexiste pas dinstitutions lyriques en régions. Mais il sagit, de la part du ministère de la culture, de réunir autour dune maison dopéras particulière toutes les collectivités territoriales concernées, et de se mettre daccord sur des orientations politiques et des pistes de travail pour assurer la vitalité et le développement de lOpéra en question.
A ce jour, quatre opéras de région sont labellisés « nationaux » (I). Un autre est en préfiguration : il est intéressant de voir les points sur lesquels lEtat attend que lOpéra travaille, en contrepartie du renforcement de son engagement financier (II). Enfin, en pratique, quelles actions sont mises en place ? Et ne voit-on pas ailleurs, dans dautres structures ne bénéficiant pas (encore) du label « national », des actions similaires se développer (III) ? Nos entretiens apportent ici un éclairage.
Un carré national en région
Depuis 1996, des conventions quinquennales ont été signées avec quatre institutions lyriques régionales, à commencer par lOpéra, désormais « national », de Lyon.
A. Lyon
Deuxième opéra de France après lOpéra de Paris (établissement public qui regroupe loffre lyrique du Palais Garnier et de lOpéra Bastille), premier opéra à bénéficier du label « national », lOpéra de Lyon signe une convention pour cinq ans avec le ministère de la culture et le maire de Lyon. Officiellement et juridiquement, lOpéra national de Lyon existe depuis le 1er janvier 1997.
Laide financière étatique passe de 3,6 à 5,21 millions deuros sur cinq ans, soit une augmentation de 50%. Dans le budget total, lintervention financière de lEtat sélevait à 13,5% à la signature de la convention, ce qui, en comparaison avec dautres opéras, est déjà importante, comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau 2. Subventions de lEtat accordées aux théâtres lyriques de la Réunion des Théâtres lyriques de France
Théâtre lyriqueSubvention de lEtat
(millions deuros)Avignon0,36Bordeaux0,79Lyon2,49Marseille0.82Metz0,45Montpellier0,66Nancy0,33Nantes0,42Nice0,60Opéra du Rhin1,69Rouen0,50Toulouse1,02Tours0,57
source : RTLF/ Ministère de la culture (DEP)
B. Opéra du Rhin
La convention est signée le 29 novembre 1997 entre lEtat, la région Alsace et le syndicat intercommunal de lOpéra du Rhin. En tant que syndicat intercommunal, l'Opéra national du Rhin voit sa gestion assurée conjointement par les trois villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Chacune a sa propre activité créatrice : lOpéra à Strasbourg, lAtelier du Rhin (centre de formation lyrique et dramatique) à Colmar et le Ballet de l'Opéra national du Rhin à Mulhouse.
LOpéra du Rhin était celui, qui, après Lyon, recevait déjà une manne financière étatique importante.
Comme pour lOpéra de Lyon, cest au 1er janvier de lannée civile suivante -ici en 1998- que létablissement est devenu officiellement « national ».
Bordeaux
Contrat quinquennal bipartite ville et Etat- dans le cas de lOpéra de Bordeaux, signé le 4 octobre 2000. En passe à des difficultés budgétaires récurrentes, qui avait contraint lOpéra à produire moins de spectacles, la ville de Bordeaux, principal bailleur de fonds, se réjouit de laccord.
Laide financière de lEtat, qui représentait 12 % du budget total de la structure, augmentera, comme dans la cas de Lyon, de 50% en cinq ans.
C. Montpellier
Petit dernier à être labellisé « national », pour la région Languedoc-Roussillon, lOpéra de Montpellier a réussi à réunir la ville, le département (Hérault), la région et lEtat autour de son projet de développement. La convention, signée le 21 février 2002. Du côté de lEtat, même augmentation : +50% sur cinq ans.
Un protocole de préfiguration : Lorraine
Que demande-t-on de plus à un Opéra « national » par rapport à un autre Opéra de région ? Sur quelles actions portent les conventions ? Quel est le cahier des charges ?
Il est annoncé que la prochaine institution lyrique à obtenir le label « national » sera lOpéra de Lorraine, regroupant, comme cela sest fait pour lOpéra du Rhin, les structures de plusieurs villes : ici Nancy et Metz.
Pour le 5e opéra national, lEtat semble prendre plus de temps : lOpéra de Lorraine passera dabord par une phase de « préfiguration ». Un accord dans ce sens a été conclu en février 2003. La lecture du protocole daccord nous donne quelques indications théoriques sur les projets attendus en contrepartie des nouveaux moyens accordés :
« En application du contrat de plan 2000-2006, lEtat, la région Loraine et les villes de Nancy et de Metz ont conclu, le 27 février 2003, un protocole visant à mettre en place un pôle symphonique, lyrique et chorégraphique en Lorraine.
Ce grand projet, porteur dambitions pour le rayonnement de la vie musicale et chorégraphique de la région, recouvre, outre le développement de lorchestre national de Lorraine et du Centre chorégraphique national Ballet de Lorraine, la perspective de mettre en place une maison lyrique de premier plan dans le cadre dune convention de préfiguration dopéra national. (
)
Au cours de la période 2003-2005, lOpéra national de Lorraine en préfiguration sattachera à mettre en uvre son projet artistique autour du répertoire du XXe siècle, de la création contemporaine et du répertoire baroque. Il développera des activités de diffusion en région, déducation artistique et daction culturelle propres à sensibiliser à lart lyrique de nouveaux publics, et mettra en place un dispositif original de formation et dinsertion professionnelle, notamment dans le cadre dune collaboration avec le ballet de lOpéra-théâtre. »
En pratique
Indications sur le répertoire, avec priorité sur le XXe siècle, formation et insertion professionnelle, décentralisation. Autant de priorités pour lEtat dans le cadre de la décentralisation lyrique. Mais aussi démocratisation de la pratique ?
Il sagit en tout cas de « sensibiliser, via des actions diverses, lart lyrique à de nouveaux publics. ». En pratique, on observe de facto, dans les institutions lyriques labellisées « nationales » et la plupart des autres en régions, non labellisées, la mise en place dactions en direction des publics. Au sein des maisons dopéras, des départements spécifiques sont créés à cet effet.
Notre échantillon comporte deux Opéras « nationaux » et deux autres. En leur sein, les services interrogés se nomment :
« service Relation avec le public » (Lyon) ;
« service Jeune public » (Rhin) ;
« service Action culturelle » (Marseille) ;
« service Animation culturelle et sociale » (Nice).
Avant de faire un point sur les actions que lon retrouve au sein de ces temples lyriques, réfutons tout de suite lidée, comme nous venons de le laisser entendre, que ces actions sont le privilège des seuls Opéras nationaux, conformément à leur cahier des charges. Il semble que le besoin de présenter lart lyrique à tous soit dune certaine manière naturel :
« P.J. : Le fait que lOpéra du Rhin bénéficie du label « national » favorise-t-il ce type dactions, douverture vers lextérieur, de partenariats, de mise en place de dynamiques ?
H.P. : Oui, parce que ça fait partie du cahier de charges dun Opéra national. Il y a des moyens. Je ne fais pas les comptes, mais ça fait partie de la « charte ».
Mais il y a dautres opéras qui font des actions et qui ne sont pas nationaux. Toulouse nest pas national, mais ils ont un service pédagogique très développé. »
(extrait de lentretien Strasbourg)
Et pratique, tous les établissements lyriques développent des programmes dactions en direction de publics ciblés. Dès lors, pourquoi ne pas parler de « mission de service public », entendu comme la prise en charge par des institutions publiques, de la défaillance de certains mécanismes sociaux, comme la transmission générationnelle dune pratique ? Deux extraits nous le suggèrent :
« P.J. : Quels sont les buts de cette action ?
G.S. : Cela renvoie aux trois axes : faire découvrir une culture différente aux jeunes de nos jours, leur montrer que Marseille a toujours eu une position importante dOpéra populaire. A une certaine époque, cétaient les parents et grands-parents qui amenaient leurs enfants et petits-enfants à lopéra, pour leur faire découvrir cet art. Cest tombé un peu en désuétude. Cest pourquoi nous, mission de service public, avons pris la relève pour les amener à découvrir lopéra. »
(extrait de lentretien Marseille)
« H.P. : Ecoutez, cest pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine dannées maintenant, est intervenue au moment où on sest rendu compte que les salles se vidaient, quil y avait une tradition de lopéra ici, quon héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on sest rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. Donc objectif, si vous voulez
la première chose, regardez, cest ça là-haut [en désignant une petite affiche, 15x15 cm, écrite en blanc sur fond noir : « Ringard ? bourge ? élitiste ? toujours plein ? trop cher ? Mon il, moi, jy vais ! LOpéra du Rhin »]. Cest un tract qui a été édité avec la volonté de lutter contre tous les préjugés. On a fait une enquête pour savoir ce quon pensait de lopéra. Et voilà ce qui en est ressorti. »
(extrait de lentretien Strasbourg)
Sur le fond, les actions déployées sont très diversifiées : elles prennent place dans un environnement particulier à chaque Opéra, elles répondent à des besoins qui leur sont particuliers. Au sein dun même Opéra, elles sont multiples, et visent des publics ciblés, selon les strates scolaires :
« A.J.-P. : Moi je pense que ce nest pas une grosse action quil faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. »
(extrait de lentretien Nice)
« P-H. A. : Les scolaires -par « scolaires », on entend les primaires et les collégiens- sont conviés à un spectacle qui leur est réservé, un après-midi pendant le temps scolaire. Les lycéens sont des jeunes qui vont venir pendant les soirées tout-public. »
(extrait de lentretien Lyon)
Diversifiées également par le lieu où elles sinscrivent : au sein de lOpéra, mais aussi :
à lécole
« A. J.-P. : Dans le prochain [opéra], qui sappellera, sous réserve, Le Chemin des abeilles, le livret a été écrit avec les enfants de deux classes de ZEP, deux classes défavorisées de louest de Nice. Ce sont des enfants de CM1, ils ont commencé à travailler là-dessus lan dernier, en mai, quand ils étaient en CE2. Donc ce scénario, ce livret, avec Sugeeta Fribourg. Cest fait avec beaucoup de difficultés quand même de leur part, mais elle venait en stage pendant huit jours tous les mois, et ça a fait un travail extraordinaire, parce que les enfants ont fait un bond en français, en expression, en réflexion parce que souvent, cest comme pour la télé, on regarde puis on absorbe sans se poser de questions. Là, ils ont réfléchi et ont créé certes quelque chose de pauvre- mais on essaye au fur et à mesure de les accompagner, denrichir leur vocabulaire. »
(extrait de lentretien Nice)
sur les campus universitaires
« P.J. : Ny a-t-il pas une politique plus globale qui concernent les étudiants ? Au niveau tarifaire, au niveau des abonnements, qui inciteraient à les faire venir ?
G.S. : Concernant les étudiants, on mène une action en étroite collaboration avec la Caisse des dépôts et consignation, qui sappelle « Campus en Musique », qui permet à des étudiants de la Faculté Marseille II (Médecine, Sciences) de découvrir lOrchestre philharmonique de Marseille. Nous donnons deux concerts dans deux sites universitaires. Ensuite, les étudiants sont invités à venir à lopéra pour découvrir la musique dans le cadre dune générale de concert. Et là, ça fonctionne très bien : nous avons eu la semaine dernière 1400 jeunes. »
(extrait de lentretien Marseille)
« H.P. : Maintenant, pour le « quidam moyen », cestà-dire létudiant en droit, bio, siences po, il ny a pas de raison a priori daller voir ces étudiants
je veux dire de raison directement liée à lactivité de lopéra. Il faut leur faire découvrir lopéra de manière empirique. Pour ça, on va trouver une technique : on fait comme les fauves qui vont manger leurs proies là où les animaux vont boire. Nous, on va les chercher là où ils vont manger. On va dans des restaurants universitaires pour passer des moments déchanges avec les étudiants. On sinstalle, et souvent, pour motiver les troupes et entrer en contact, on organise un jeu avec possibilité de gagner des places. Ainsi, on va offrir 100 places pour la générale. Il fallait quils fassent la démarche daller chercher la place dans un autre endroit, et on en a quand même eu 90 sur les 100 qui sont venus. Ce qui est énorme. »
(extrait de lentretien Strasbourg)
Parfois, les actions sont rattachées à de grands événements nationaux, avec la tentative de faire franchir, de cette manière, les portes de lopéra à de nouveaux publics :
« P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A loccasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. Sil ny avait pas la queue à lentrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. Cest un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin dêtre expliqué, présenté. Cest déjà une première démarche de faire venir les gens, même sils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que cest un lieu qui est accessible, qui a du sens. »
(extrait de lentretien Lyon)
« A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait quil y ait des gens qui circulent.
P.J. : Il y a une programmation particulière à lOpéra de Nice ce jour-là ?
A.J.-P. : Oui, pas toute la journée, mais presque.
P.J. : Qui consiste en de lart lyrique ou pas ?
A.J.-P. : Pas forcément : concerts, churs denfants, même un petit peu de jazz. Pourquoi pas, mais ça se passe dans le lieu de lopéra. On sait faire aussi autre chose. »
(extrait de lentretien Nice)
Même pour la représentation lyrique, des possibilités de lieux et de moments différents existent :
« A.J.-P. : Les deux classes qui ont écrit le livret vont aussi participer sur scène. Les classes qui sont dans la salle auront des chants communs avec la scène, et ne seront donc plus seulement en tant que spectateurs, mais acteurs aussi.
A.J.-P. : On a un public scolaire pour les répétitions (pré-générales et autres), mais il vient aux pré-générales ; il ne vient pas aux représentations. »
(extrait de lentretien Nice)
Dans tous les cas, linstitution fait des sacrifices pour offrir aux jeunes invités les meilleurs conditions de placement et de tarif :
« H.P. : On a des places de 5,5 euros avec cette « Carte culture » et cette carte « Atout voir ». Ensuite, on a ce que nous appelons les tarifs scolaires, qui sont en fait des tarifs pour les groupes scolaires au tarif à lunité de 11 euros. Tarifs qui sont encore « discountés » par rapport aux 50 %. Ce sont des places de catégories 2 et 3, des bonnes places, qui valent plus que deux fois 11 euros ; qui valent 30 ou 40 euros. Cest un effort supplémentaire quon fait pour proposer des places tout à fait correctes à des tarifs « défiant toute concurrence ».
(extrait de lentretien Rhin)
« L.V. : Ce sont donc chaque année 3000 jeunes qui sont placés dans les meilleures conditions possible, avec des places de 1ère catégorie, pour linstant au parterre. Cest un effort énorme. »
(extrait de lentretien Lyon)
Les actions sont imaginées. Comme pour les innovations technologiques, elles bénéficient donc dans un premier temps dune exclusivité, dun avantage comparatif. Ensuite elles sont souvent copiées par ailleurs, par un phénomène de mimétisme, dautant plus important que certains ouvrages ou réseaux commencent à compiler les actions, pour en faire partager lexpérience.
Exemple, le « ramassage-opéra », avec des bus sillonnant les campagnes environnantes pour recueillir, sur le parcours, des spectateurs du jour. Action développée à Lyon et Strasbourg.
« H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce quon appelle les « abonnés-bus ». Cest vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement souvent des vieilles personnes, qui nont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire dassister à une représentation. »
(extrait de lentretien Rhin)
« L.V. : On a fait le test sur des spectacles de danse. Sur le trajet du TGV Méditerranée actuel. On avait arrosé sur Avignon, Nîmes, Aix-en-Provence, Montpellier et Marseille. En se concentrant sur les étudiants en Ecoles de danse, Conservatoires,
avec un tarif groupé « bus+spectacle » à 20-25 euros, ce qui est vraiment pas cher. Ce qui na pas marché
Cest une clientèle jeune, qui na pas forcément largent en plus, très sollicitée et qui a du mal à se projeter aussi. Et si, sur place, on na pas de relais hyper-motivé pour « faire de retap », ça marche pas. »
(extrait de lentretien Rhin)
Enfin, relevons dautres caractéristiques communes :
1° Pour nos quatre établissements lyriques, les actions sont menées à partir de la production dopéra, à partir du matériel à leur disposition, en création au sein des Opéras. Illustration à lOpéra du Rhin :
« H.P. : Je vais revenir quand même au principe de base. Après, cest quon essaye de travailler chaque fois avec les capacités des gens, avec les possibilités des gens daborder lopéra, qui ne sont pas automatiquement la musique à la base, même sil faut y venir à un moment ou à un autre ; on fait de lopéra, donc à un moment ou à un autre, on en a besoin mais ça peut être un professeur dart plastique. Les arts plastiques sont mis à contribution dans des projets : construction de décors, confection de costumes
On a la chance dans cet opéra de fabriquer une production du début à la fin. Et souvent, jai lhabitude de donner la plaquette. Pour moi, cest déjà un instrument pédagogique déjà. On commence souvent par la fin de la plaquette en disant : « Ecoutez, on est près de 250 à se décarcasser pour que ça marche ». Et dans ces 250, il y a évidemment des chanteurs, mais il y a derrière
P.J. :
des musiciens
H .P. :
des musiciens, des gens qui vont créer des décors, des gens qui vont construire les décors : menuisier, serrurier, métallier
P.J. : Cest vrai que cest toujours impressionnant de voir le nombre de personne qui travaillent dans un opéra.
H.P. : Et ça, ce nest pas le cas de tous les opéras. Cest une chance quon a. Parce quil y a des opéras qui sont incapables parce quils nont pas des ateliers- de faire de la production. Donc ça, pour nous, cest une chance aussi de pouvoir accrocher les gens par ce biais-là. »
(extrait de lentretien Rhin)
2° Dans trois témoignages (Lyon, Marseille et Nice), lOpéra apparaît comme une carte facile à vendre auprès des jeunes, ce qui facilite un certain travail dacculturation :
« P.J. : Le meilleur résultat nest-t-il pas, non seulement de donner lenvie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de lopéra ?
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis quils reviennent. Bien quau début, ils appréhendaient cette expérience. »
P.J. : Vous disiez que lOpéra est populaire
G.S. : Cest quà lorigine, lopéra est populaire ; lart lyrique est un art populaire, qui sest embourgeoisé dune certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce nest pas le cas de lOpéra de Marseille, où est ouvert à tous. Cest vrai que quand on prend lOpéra de Monte-Carle, cest réservé à une élite. Et cest dans limaginaire que lopéra est un lieu réservé, inaccessible. Et cest ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à lOpéra, cest pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et cest chez eux.
P.J. : Ils sapproprient ce lieu
G.S. : Oui, facilement, malgré les a priori de départ. »
(extrait de lentretien Marseille)
Deux phénomènes se rejoignent ici : lacculturation et lappropriation. Hors de linstitution scolaire, il sagit pour les enfants qui assistent à une activité au sein dune maison dopéras, de « faire leur » des techniques, procédés, et des connaissances. La diversité des activités proposées, la compétence de ceux qui les animent, mais aussi la multiplicité des approches que proposent lOpéra, facilite ce processus dacculturation : ils sapproprient lOpéra.
On ne pourrait terminer ce tour dhorizon sans évoquer lambition de tous ces programmes dactions, et plus particulièrement leur portée dans le temps. Parcourant toutes les strates dâges, from the cradle to the grave, les actions visent le long terme, la succession et lempilement de processus dacculturation différents selon le moment de la vie.
« L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, cest le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros [
]
Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusquà 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à lopéra [
] Face à ce constat, le plus simple aujourdhui, cest de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes dâge. Après, on a un autre angle dattaque, cest de faire venir ces gens-là. »
(extrait de lentretien Lyon)
« G.S. : Ce nest donc pas une action de « saupoudrage », où on se dit quon fait venir les jeunes parce que ça fait bien pour la presse qui va en parler. Non. Laction a lieu sur de long terme, sur une année scolaire, où on pénètre réellement lopéra, et on découvre un lieu de travail.
[
]
P.J. : Pas de problème à long terme ?
G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour lavenir. »
(extrait de lentretien Marseille)
Cette présentation des actions mise en place en direction des publics au sein de quatre Opéras répartis sur le territoire français nest pas exhaustive. Ici, le but nest pas de dresser un catalogue des initiatives locales dans ce domaine. Une telle liste ne serait dailleurs jamais achevée.
Recueillir ces informations constitue une technique volontairement choisie, un moyen de progresser dans nos recherches.
Sur la forme, vis-à-vis de linterviewé, lui poser des questions sur ce quil fait, sur ses actes concrets, permet dinstaller ensuite plus facilement un dialogue sur le contexte entourant ces actions.
Ainsi, sur le fond, tenter de percevoir quels sont les buts des programmes dactions développés au sein des salles lyriques, comprendre en quoi les programmes répondent à des besoins ressentis en termes de fréquentation, sinterroger sur les résultats constatés, approcher les défis à venir
sont autant de questions qui mettent au jour des situations très différenciées dune institution lyrique à lautre.
Cest dans ces différences, au cur de ces situations contrastées, prenant racines dans les histoires sociales des équipements lyriques, que se trouvent des évolutions dans la fréquentation de lart lyrique. Là où les thèmes des publics et de la démocratisation culturelle se rejoignent.
Voyons, dans un deuxième temps, quels phénomènes évolutifs locaux sont apparus au cours de notre tour de France lyrique, et surtout comment nous avons fait pour les faire surgir à la lumière de la connaissance.
Deuxième partieLa fréquentation des Opéras :des phénomènes évolutifs locaux
C
omment mesurer les évolutions en marche dans la fréquentation dune pratique culturelle ? Les techniques de recherches sont multiples et variées. Plus que dans laxe quantitatif-qualitatif, cest dans la taille de léchantillon, le niveau danalyse choisi et les questions posées que se trouve cette diversité. Ainsi, étudier les publics dune pratique culturelle passe notamment par une nécessaire prise en compte de réflexions :
léchelle danalyse privilégiée ;
les questions sur lesquelles portent lanalyse.
Enquêtes reprenant tous les équipements culturels, enquêtes associant plusieurs équipements, enquêtes privilégiant un équipement bien particulier
les recherches peuvent seffectuer à plusieurs échelons. Léchelle danalyse choisie conditionne les résultats. Nous verrons que dans certains cas, des enquêtes sont incapables de déceler certaines évolutions. Des indices et hypothèse plaideront, pour nos recherches, envers une échelle danalyse locale (chapitre premier. Au cur de la matière)
Vient ensuite une réflexion sur les questions du questionnaire, de la grille ou du protocole denquête. A ce niveau, tenir compte de la seule démocratisation du recrutement social, fondée sur lappartenance une catégorie socio-professionnelle, est limitatif. Dans le prolongement de travaux menés au sein du ministère de la culture, visant à élargir la palette dévolutions qui sont susceptibles dêtre constatées, nous construirons notre propre grille danalyse des résultats.
Au-delà du mono-thème de la démocratisation, notre grille danalyse propose déclater la notion en plusieurs phénomènes distincts qui reflètent nombre dévolutions possibles à léchelle de la fréquentation dun équipement culturel lyrique dans notre cas. La liste de phénomènes évolutifs locaux nest pas fermée a priori ; notre grille danalyse est ouverte (chapitre 2. Entre quantité et qualité).
Appliqué à notre terrain détudes, notre outil méthodologique a fonctionné dans sa vocation initiale, conformément à nos attentes, en mettant au jour des situations, passées et futures, différenciées. Autant de micro-évolutions qui traversent actuellement la fréquentation des équipements lyriques (chapitre 3. Applications).
Chapitre premier Au cur de la matière
Les résultats issus denquêtes de fréquentation sont fortement dépendant de léchelle danalyse à laquelle ils se raccrochent. Que peut-on mesurer par des enquêtes englobant plusieurs équipements culturels, de pratiques culturelles différentes ? Et au sein dun équipement bien précis ?
Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous avons pris comme modèle épistémologique la recherche en physique en physique nucléaire plus précisément : rechercher encore plus petit que ce que nous connaissons déjà, plonger au cur de la matière et ses atomes. Il sagit danalyser une notion -la démocratisation- à la loupe, au microscope. Et tendre vers une échelle danalyse petite, locale.
Nous sommes parti dun indice et dune hypothèse :
lindice : les résultats denquêtes regroupant lensemble des pratiques culturelles nous donnent une tendance sur la pratique « art lyrique », celle de la stagnation du nombre de ses pratiquants (section 1). Mais des enquêtes effectuées au niveau de la seule pratique « art lyrique », donc moins globalisantes, mettent au jour plus de changements dans lévolution de la composition des publics (section 2) ;
lhypothèse : en passant maintenant à une échelle danalyse encore plus réduite un équipement culturel- de nouveaux phénomènes, plus précis comme la constitution dun public de célibataires, ou dun public « séniors actifs »- seront mis au jour. Ce qui était latent -présent mais invisible- apparaît au grand jour (section 3). Pour une meilleure connaissance : « Scientia Vincere Tenebras ».
Section 1. Echelle « pratiques culturelles »
Pour la pratique « opéra », que nous livrent les données « officielles »? Cest-à-dire les résultats des enquêtes effectuées par le ministère de la culture au bout de 8 ans, auprès des Français de plus de 15 ans ? Deux questions sont systématiquement abordées :
1° la fréquentation déquipements culturels au cours de lannée précédente;
2° la fréquentation déquipements culturels au cours de la vie.
Nous naborderons pas ici les questions entourant la pertinence dun tel outil de mesure (sur les pratiques déclarées et non réelles, sur le sens que donnent les enquêtés aux questions posées et leur construction dun profil personnel, par leur parole donnée). Nous renvoyons à lautocritique que le ministère saccorde à certains moments, mais aussi à dautres ouvrages qui contiennent une démarche épistémologique.
Tableau 3. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours des 12 derniers mois (en %)
1973198119891997
à lopéra3233
à un concert rock ou jazz6101316
au zoo302322/
source : DEP
Lanalyse tient ici en une phrase : peu de popularité et grande stabilité pour la pratique art lyrique, alors que certaines pratiques culturelles voir le nombre dadeptes augmenter, tandis que dautres sérodent au fil des années. En règle générale, la stabilité est de rigueur.
Tableau 4. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours de la vie (en %)
19891997
un opéra1819
un concert jazz1818
un concert de musique classique2829
un spectacle de danse (non folklorique)2432
une représentation théâtrale4557
un cirque7277
un musée7477
une projection cinématographique8895
Source : DEP
Même constat de peu de pratiquants et de stabilité- pour la fréquentation dun opéra au cours de la vie des Français. Mais avec une « popularité » aussi étroite que pour les concerts de jazz. Pratique élitiste le jazz ? Dautres pratiques sont culturellement plus ancrées : la sortie au cirque, la visite au musée, la séance de cinéma. Sans que lon puisse pour autant savancer sur la régularité de ces pratiques.
Section 2. Echelle « pratique art lyrique »
Passons à maintenant à des enquêtes prenant une échelle de mesure plus réduite : la pratique culturelle.
Sources ministérielles
Toujours du côté du ministère de la culture, dautres chiffres nous donnent des indications de fréquentation, non plus en termes de pourcentages, mais en termes de volumes. Loccasion de continuer notre comparaison avec les autres pratiques du spectacle vivant.
Tableau 5. Opéras, théâtres nationaux et compagnies chorégraphiques labellisées : nombre de spectacles, nombre de représentations, nombre de spectateurs
2000/2001levers de rideau :
opéras et balletsnombre de spectacles nombre de spectateurs Maisons dopéras (20)1225/1.501.416Paris : Garnier et Bastille34034710.91018 autres membres de la RTLF885/790.506Théâtres nationaux (5)2073122794.500Centres chorégraphiques nationaux (18)66301031.415.0
source : DEP
Ajoutons tout de suite que sont comptabilisés ici presque tous les équipements lyriques, tandis que pour le théâtre et la danse, seuls les équipements « nationaux » sont repris.
Ces données nous donnent des indications de grandeurs. Ainsi, presque autant de spectateurs pour les maisons dopéras que pour les centres chorégraphiques, avec une demande lyrique qui se divise en deux belles parts égales : Paris, avec ses deux salles regroupées sous létablissement « Opéra de Paris », et les salles de province.
En ajoutant une donnée, le nombre de levers de rideaux, on voit que les salles lyriques accueillent plus de publics par représentation : 4 fois plus que pour le théâtre, 5,4 fois plus que pour la danse. Cela sexplique certes par les capacités daccueil (jauges) très importantes des Opéras (Bastille : 2700, Marseille : 1836, Strasbourg : 1143, Nice, 1005), mais avant tout par les taux de remplissage très élevés pour lart lyrique : 98% à Paris, 82% en province (chiffres de 2000).
Il est par ailleurs intéressant de constater que le nombre de représentations par spectacle diverge, de 10 pour lart lyrique, 17 pour le théâtre, 64 pour la danse. Il faut savoir que dans le spectacle vivant, chaque représentation est déficitaire, doù des contraintes en termes de multiplication des levers de rideaux. Cest là une grande différence avec les produits de consommation issus des industries culturelles, où les économies déchelle jouent à fond pour la production en série. Dans ce contexte, les représentations dopéras, extrêmement déficitaires, sont limitées.
Données des réseaux
Deux enquêtes, récentes, vont nous permettre daller encore plus en profondeur dans la connaissance scientifique des publics de lart lyrique :
Enquête des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des théâtres lyriques
Réalisée durant lannée 2000, à la demande de la Chambre professionnelle des directeurs dopéras (CPDO), lenquête comprend plusieurs supports dinvestigations :
un livre blanc : envoyé à tous les membres du réseau, il a pour but davoir une image descriptive des Opéras, théâtres daccueil et festivals lyriques. Le taux de retour est de 78% (29 sur 37) ;
trois guides dentretiens semi-directifs : menés auprès des responsables dinstitutions lyriques, des gestionnaires de ces mêmes institutions, des acteurs externes intervenant dans le financement (collectivités) ;
un questionnaire de fréquentation adressé aux spectateurs de trois institutions lyriques retenues pour leur représentativité (Avignon, Toulouse, Nancy), avec un retour de 3004 questionnaires au total.
Enquête sur les publics des Opéras de la Réunions des théâtres lyriques de France (RTLF)
Autre réseau, autre enquête, aussi récente puisquelle a été menée en 2001. Confiée à Gérard Doublet, conseiller en communication et marketing culturel, lenquête comprend plusieurs étapes :
une phase qualitative auprès des publics adultes et jeunes de quatre opéras, sous la forme de huit tables rondes à Nancy, Montpellier, Caen, Bordeaux ;
une enquête téléphonique « pilote » auprès dun échantillon représentatif de 600 spectateurs de ces quatre Opéras, pour préparer un questionnaire national ;
un questionnaire national diffusé auprès des publics des vingt membres du réseau RTLF, à raison de 2000 questionnaires par Opéras en moyenne. Taux de retour de 11,5%, avec 10,5% de questionnaires exploitables.
Voyons ensemble le recoupement de quelques résultats choisis, issus de ces deux enquêtes centrées sur la pratique « art lyrique ». Battant en brèche lidée dun public de lopéra figé, les données récentes font apparaître des évolutions dans la composition et les modalités de fréquentation des publics de lart lyrique.
Trois phénomènes évolutifs sont présentées ici, liées à lâge, le sexe et la situation professionnelle des publics.
A. Rajeunissement
Tableau 6. Publics dopéras : âge moyen
ÂGE MOYENenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)4747,5
En 1980, lâge moyen était de 65 ans (source RTLF). Les deux enquêtes nous indiquent que la moyenne d'âge a fortement baissé en vingt ans.
Pour être plus précis, considérons certaines classes dâges :
moins de 25 ans : 12% de la fréquentation, ce qui signifie un recouvrement de 75% de la classe dâge (source INSEE)
25-49 ans : 37% des spectateurs, d'où un recouvrement de 86%
plus de 55 ans : 44% des spectateurs, soit 133% de recouvrement.
Selon Gérard Doublet (enquête CPDO), un des défis majeurs à relever est de fidéliser les publics jeunes qui ont été progressivement attirés vers les maisons dopéras grâce à des politiques efficaces de tarification et de formules flexibles. Défi crucial au moment ou ces publics entrent dans la vie active, ce qui signifie quils perdent et les avantages (tarifaires et de flexibilité) et le temps à consacrer à lopéra.
Pour Gérard Doublet, « ils ont 28 à 35 ans aujourdhui, ils constitueront le cur des publics de référence dans 10 ans. Ils forment un « nouveau public tendance ». Tendance parce lon observe et mesure chez lui des comportements nouveaux, mais dont il est difficile de prévoir lévolution à terme et surtout si cette tendance va se stabiliser dans des comportements, des attitudes et des modes de consommation durables. Ils « consomment » lopéra avec moins de conformisme social, plus de « décontraction » et de « légèreté » que les générations précédentes. (
) Il peut se libérer plus facilement de la contrainte de labonnement car son statut social nest pas en jeu, son mimétisme à légard des habitudes des publics réguliers et assidus est faible, voire inexistant. Sa spécificité est dinventer en quelque sorte de nouvelles pratiques de spectateurs dopéras. »
B. Féminisation
Tableau 7. Publics dopéras : proportion de femmes
% DE FEMMESenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)59%63%
Deuxième évolution perçue : la proportion de plus en plus importante de femmes dans les publics dopéras. Non par défection des hommes, mais par la plus forte proportion féminine dans les nouveaux spectateurs. Ce phénomène peut être analysé de deux façons complémentaires :
« Cette réalité que constitue la forte composante féminine jeune du public est avérée dans lensemble des maisons dopéras. Elle sexplique dabord par la proportion importante parmi les spectateurs des femmes exerçant des professions intellectuelles intermédiaires et denseignantes. On constate aussi la prépondérance des jeunes files et des jeunes femmes parmi le jeune public de moins de 25 ans. »
C. Appropriation par les inactifs
LOpéra devient le lieu des « inactifs ». Reste à préciser ce que lon entend par la catégorie « inactifs ».
Pour linstitut national de la statistique (INSEE), qui reprend une définition du Bureau international du travail, sont considérées comme « inactives » les personnes en âge de travailler (15-65 ans), mais qui ne travaillent pas et ne recherchent pas un emploi quelles aient ou non travaillé auparavant : étudiants, retraités, femmes au foyer
Les chômeurs ne font pas partie de cet ensemble, car ils sont censés désirer travailler, rechercher un emploi.
Dans notre définition de la catégorie « inactifs », nous incluons les « demandeurs demploi » (chômeurs). Au final, ce terme, tel que nous lentendons, regroupe ici en réalité trois catégories principales de publics, pas encore ou plus intégrée dans la vie active, professionnellement parlant : les étudiants, les chômeurs, et les retraités.
Tableau 8. Publics dopéras : proportion dinactifs
% DINACTIFSenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)42%
dont étudiants : 14%31%
dont retraités : 17%
étudiants : 10%
sans profession : 4%
Le temps comme principal obstacle à la fréquentation de lart lyrique. En effet, cette pratique culturelle est exigeante -temporellement parlant- en plusieurs points :
1° labonnement est une formule contraignante où lon sengage sur toute lannée ;
2° la réservation, hors abonnement, prend du temps (au guichet) et est compliquée (par correspondance). Sur ce point, les possibilités de télé-réservation ergonomique, par linternet, est salvatrice ;
3° la sortie à lOpéra nécessite une préparation (livre, CD) et une information culturelle pas disponible immédiatement et facilement.
Dans la conclusion de lanalyse de ses résultats, Gérard Doublet relève ici un deuxième défi pour les institutions lyriques, à côté de celui évoqué plus haut de fidélisation des 28-35 ans :
« La question du renouvellement du public ne concerne pas les seules catégories des jeunes spectateurs potentiels, dautant plus que des dispositifs ont été mis en place dans la plupart des maisons dopéras pour leur faciliter laccès. Leffort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs des classes dâge et sociales intermédiaires. »
Un exemple daction envers ces spectateurs prioritaires on rejoint la notion de discrimination positive- des spectacles en forme courte présentés à lheure de la sortie des bureaux, entre 18 et 19h.
On rajoutera, pour conclure nous aussi provisoirement, que pour les plus de 35 ans, le taux de découverte « naturel » de lopéra est de 2% des spectateurs. De plus, les spectateurs en général considèrent que le frein daccès à lopéra est davantage psychologique que financier et culturel, doù un besoin de sensibilisation, à des moments choisis.
Section 3. Echelle « équipement lyrique »
Après avoir considérer la pratique culturelle « art lyrique », passons désormais à une échelle danalyse encore plus fine, toujours forts de la conviction qui nous anime de pénétrer en profondeur dans les évolutions qui animent la fréquentation de ce secteur.
Des enquêtes récentes prenant comme cadre de recherches une institution lyrique particulière font apparaître des phénomènes évolutifs -locaux- que lon va ici, pour des questions de clarté du raisonnement, classer en trois catégories :
des évolutions qui font écho à celles constatées au niveau des enquêtes regroupant plusieurs institutions lyriques ;
des phénomènes mettant au jour des disparités entre les situations auxquelles sont confrontées les équipements lyriques :
des phénomènes évolutifs locaux inattendus, véritables découvertes, qui plaident pour la poursuite des recherches à cette échelle danalyse.
Echos
Une enquête menée au sein de lOpéra de Paris renforce les données citées dans la section précédente : elles donnent du crédit supplémentaire aux évolutions qui traversent la fréquentation des Opéras en France.
Le rajeunissement, la féminisation et la forte proportion de publics sans profession -avec toujours en son sein 1/3 détudiants- se trouvent également à luvre au sein dun établissement particulier ici lOpéra de Paris.
Tableau 9. Rajeunissement, féminisation et appropriation par les inactifs dans les institutions lyriques françaises
Opéra de Paris
(1999) RTLF
(2001)CPDO
(2000)âge45 ans47 ans47,5 anssexe60% de femmes59% de femmes63 % de femmes« inactifs »30%
dont étudiants : 12%42%
dont étudiants : 14% 31%
dont étudiants : 10%
Disparités
Lorsquon a la chance de disposer de plusieurs enquêtes, menées dans la même période récente, qui offrent des possibilités de comparaison, et qui portent sur des temples lyriques particuliers, des différences saffichent dans leurs masses de pratiquants. Considérons la variable « lieu de résidence » :
Tableau 10. Origine géographique des spectateurs dopéras : Paris, Nancy, Toulouse, Avignon
RESIDENCE (%)Opéra de Paris
(1999)Nancy+ Toulouse + Avignon (2000)Avignon
(2000)ville433720agglomération402110région123255autres régions
et étranger5915TOTAL100%100%100%
Devant lanalyse de tels résultats montrant des situations clairement différenciées, on se doit de formuler au moins deux hypothèses.
La première est de se dire que selon linstitution lyrique, les publics viennent de plus ou moins loin, pour des raisons strictement inhérentes à loffre lyrique : attractivité du programme, flexibilité des réservations
La seconde est de prendre en compte toute une série de variables externes, qui enrichissent l'analyse des données : taille de la ville, situation de la ville par rapport aux limites administratives
Dans notre exemple, la première hypothèse nous ferait dire que lOpéra dAvignon rayonne sur toute la région (PACA), en plus quil réussit à attirer un public dautres régions et de létranger, du moins plus que les institutions (Nancy, Toulouse et Paris). Et que le mérite de cette attractivité géographique plus large réside dans la qualité de loffre lyrique avignonnaise.
Cependant, il faut considérer dautres éléments pour avoir une vision plus juste de la réalité. Comme par exemple le faut quAvignon soit la plus petite ville française à disposer dun Opéra. Le public de lagglomération et a fortiori régional ne vient pas de si loin que cela.
De plus, située aux confins du Rhône et de la Durance, la Cité papale se trouve à la limite administrative de trois départements (Vaucluse 84, Bouches-du-Rhône 13, Gard 30) et de deux régions (Provence-Alpes-Côte dAzur et Languedoc-Roussillon). La proportion qui paraît importante (15%), en comparaison aux autres Opéras, de publics provenant de régions et pays voisins se trouve ici relativisée.
Considérons maintenant un autre exemple didactique. Une enquête effectuée au sein de lOpéra de Marseille en 1990 affiche des résultats pouvant être mis en comparaison avec des données de lOpéra de Paris en 1988 (Palais Garnier).
Parmi les spectateurs, pour la variable « niveau de diplôme », la proportion de bac+3 est de 60% à Paris, 41,7% à Marseille.
Dans ce cas de figure, on pourrait conclure simplement à ce que les publics lyriques marseillais ont un moins haut niveau de diplôme. Mais il faut aussi tenir compte dun autre élément : les populations de référence, parisienne et marseillaise, à lesquelles les deux enquêtes renvoient, sont très différentes du point de vue de cette variable. Dans notre cas, plus fortement diplômée à Paris que dans la Cité phocéenne.
Ainsi, toute institution lyrique et cela vaut pour nimporte quel équipement culturel- se trouve insérée dans un contexte local particulier. Nous avons montré un exemple de contexte géographique ; le contexte historique est également très important. Lhistoire sociale des équipements culturels doivent trouver une place importante dans les analyses et enquêtes sur leurs fréquentations. Ce qui rend difficile -illusoire ?- toute comparaison, du moins facile et rapide, entre les équipements culturels, à cette échelle danalyse.
Les quatre établissements lyriques retenus pour notre enquête sinscrivent donc dans des contextes qui leur sont propres. De plus, située à des centaines de kilomètres de distance, certains dans des régions frontalières (Strasbourg, Nice), dautres en concurrence avec une offre lyrique dense (Marseille), ou encore dont la présence architecturale au cur de la ville est remarquée (Lyon), ils présentent une grande diversité d'histoires sociales. Embarquons pour un tour de France lyrique.
Strasbourg : jeunesse et volontarisme
« LOpéra national du Rhin, qui a fêté au cours de la saison dernière son trentième anniversaire, est une institution majeure pour la vie culturelle de la région. Grâce à lui, trois villes partenaires, Strasbourg, Mulhouse et Colmar sont ouvertes et accueillantes à lart lyrique, dans toutes ses acceptions et sa prodigieuse diversité. A lOpéra, au Ballet, aux Jeunes Voix du Rhin, tous les talents sont mobilisés pour aller à la rencontre du public. La saison 2003-2004 en apporte une démonstration éclatante. Elle marque également lentrée en fonction de Nicholas Snowman, nouveau directeur général de lOpéra national du Rhin. Quil soit le bienvenu ! Il sait combien le public de lOpéra national du Rhin est exigeant. Nous savons quil saura consacrer tout son talent et toutes ses compétences à en faire un lieu de découverte, démotions et de rayonnement encore plus intenses. »
LOpéra national du Rhin (2003)
D
epuis trente années, l'Opéra national du Rhin propose à son public d'aficionados et de néophytes des programmations alliant originalité et éclectisme.
Structure unique en France, l'Opéra national du Rhin est né de la volonté des trois villes alsaciennes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse qui décidèrent, en 1972, d'unir leurs moyens et leurs forces en créant une structure à la mesure de leurs ambitions : un opéra d'envergure internationale afin de préserver et d'élargir la vie lyrique de la région.
Des années de travail passionné ont construit la réputation de la Maison. Tout en demeurant farouchement attachée à ses racines régionales et européennes, elle s'est imposée comme une institution incontournable de la vie lyrique française et internationale. Ses efforts ont été récompensés, en novembre 1997, par l'obtention du label « Opéra national ».
En tant que syndicat intercommunal, l'Opéra national du Rhin voit sa gestion assurée conjointement par les trois villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Chacune a sa propre activité créatrice : lOpéra à Strasbourg, lAtelier du Rhin (centre de formation lyrique et dramatique) à Colmar et le Ballet de l'Opéra national du Rhin à Mulhouse.
Par ailleurs, l'Opéra national du Rhin, n'ayant pas d'orchestre propre, travaille en étroite collaboration avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et l'Orchestre Symphonique de Mulhouse qui assurent les productions lyriques et chorégraphiques.
L'Opéra national du Rhin mène également une politique de coproductions avec les plus grands festivals, théâtres et opéras internationaux. Trieste et aussi Salzbourg ont accueilli le spectacle Don Carlos, donné en 1997 en Alsace. En mai et octobre 1998, l'Opéra national du Rhin et le Festival de Schwetzingen ont présenté conjointement le Don Giovanni et Die Zauberflöte de Mozart. Une étroite collaboration a été menée avec le Welsh National Opera, avec le Festival de Savonlinna, où lOpéra national du Rhin a présenté Der Freischütz de Weber dans une mise en scène de André Engel et Dialogues des carmélites mis en scène par Marthe Keller, sous la direction de Jan Latham-Koenig; ce dernier opéra a également été présenté en version de concert aux PROMS de Londres. Puis suivirent des coproductions avec le Maggio Musicale de Florence, ou encore lOpéra de Monte-Carlo et la Monnaie de Bruxelles et bientôt de Boston et San Diego Opera.
C'est cette somme de compétences et de volontés qui attire chaque année un public fidèle, curieux et exigeant mais également un public jeune et désireux de découvrir un art réputé difficile d'accès. LOpéra peut compter sur 20% de public de moins de 26 ans.
B. Lyon : tradition lyrique et création contemporaine
« Rien ne se laisse deviner de cette ville, lorsquon la traverse rapidement par les grands axes autoroutiers. Cette cité qui senracine dans un passé romain vieux de deux mille ans, qui a su garder les traces de son rôle capital à la Renaissance, cette cité soyeuse où le fleuve et la rivière se jettent dans les bras lun de lautre est une surprise énigmatique [
] Lyon sait étrangement jeter des ponts entre les siècles, créer des rencontres inattendues entre les styles, entre les uvres, entre les artistes. »
LOpéra national de Lyon (2003)
D
epuis plus de trois siècles, Lyon abrite un opéra, et depuis 1993, l'immense verrière qui coiffe le nouveau bâtiment, maintenu à l'emplacement des théâtres de Soufflot (1756) puis de Chenavard et Pollet (1831), constitue un repère au cur de la cité, sur la presquîle, entre le Rhône et la Saône.
Mais le lien entre le passé et le présent ne se manifeste pas uniquement par cette construction architecturale : le deuxième opéra de France après Paris nous donne à voir et entendre, pour sa saison 2003/2004, quatre siècles dopéra : de lOrféo de Monteverdi (1607) à la création de Les Nègres de Michaël Levinas (2004).
Si Paul Camerlo, nommé directeur de lOpéra à la fin des années cinquante, tente dapporter un souffle nouveau, en particulier par des créations mondiales, il a fallu attendre Louis Erlo, en 1969, pour que lOpéra prenne un « coup de jeune ». Porté par la politique de décentralisation musicale de Landowski et Malraux, Erlo se dégage peu à peu du répertoire traditionnel, peu susceptible dattirer un nouveau public dans les fauteuils de velours rouge de lOpéra
Il propose alors une programmation très large, où toutes les époques, tous les styles, tous les compositeurs trouvent leur place. Il opte pour une distribution homogène sans vedettariat et crée de nombreuses mises en scène qui renouvellent le regard lyonnais voire français- sur le théâtre lyrique.
Posant des jalons pour lavenir, il fonde en 1973 lOpéra Studio destiné à la formation de jeunes chanteurs, et signe, en 1976, un accord de coopération avec lOpéra du Rhin, début dune politique de coproduction poursuivie aujourdhui avec dautres opéras régionaux et avec des théâtres étrangers.
A partir de 1980, Jean-Pierre Brossmann, associé à Louis Erlo pour diriger lOpéra de Lyon, a particulièrement développé une politique discographique et audiovisuelle (voir encadré).
Sous la direction actuelle de Serge Dorny, lOpéra de Lyon peut compter, notamment, sur un nouveau lieu de diffusion plus intimiste, de rencontres entre les gens et les genres : lAmphithéâtre de lOpéra (200 places).
C. Marseille : Renouveau et mixité
« Marseille est une ville « populaire ». Mot splendide, car à double entente, qui veut dire à la fois engouement et mélange. Longtemps pour moi, lOpéra de Marseille porta lemblème de cette mixité qui le mit au rang glorieux et presque unique dOpéra Populaire. Et de me souvenir de ces soirées où les noms les plus célèbres du music-hall, de la littérature, de laristocratie ou de la bourgeoisie fraternisaient avec celles que lon appelait alors les dames poissonnières et qui, chargées de bijoux et denfants, occupaient avec passion les meilleures rangs du parterre. »
LOpéra de Marseille (2003)
C
omme Nice -si lon fait exception de la danse et de la célébrité des Ballets Roland Petit, installé dans la cité portuaire- Marseille est essentiellement vouée au théâtre lyrique. Et ceci depuis longtemps, puisque la ville bénéficia, dès 1683, de loctroi dun privilège pour un opéra.
Lactuel Opéra de Marseille a été édifié sur lemplacement de lancien Grand Théâtre, qui avait brûlé après cent trente ans dune brillante existence. Inauguré en 1787, son activité avait été marquée par de nombreuses Premières de versions françaises (celle de Aïda, en 1877, par exemple), et par la venue des célébrités du chant de lépoque. Dautres lieux recevaient également, à la fin du XIXe siècle, des spectacles lyriques , et la vie musicale était foisonnante.
Grâce à ses directeurs successifs, lOpéra de Marseille a connu dans les trente dernières années un fort développement et pris un rôle dimportance parmi les grandes scènes de province.
Déjà entre 1961 et 1965, sous la direction de Louis Ducreux, que la période faste fut inaugurée. Enfant du pays, le metteur en scène, par la suite internationalement reconnu, dépoussiéra la conception de lart lyrique à Marseille. Il proposa à un public peu à peu réconcilié avec lopéra des mises en scène novatrices et de très grande qualité, stimulantes pour le public, comme pour les artistes.
Aujourdhui, linstitution est dans une phase de changements importants. Sous la nouvelle direction générale de Renée Auphan, lOpéra de Marseille est, avec celui de Lille récemment réouvert au public, le deuxième opéra français à avoir une direction féminine.
Par ailleurs, les « Ballets Roland Petit » sont devenus « Ballet national de Marseille » avec Marie-Claude Pietragalia. Mais cette dernière vient de quitter la maison
Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, sexprime en ces termes dans la brochure de la nouvelle saison : « La saison 2003-2004 confirme la poursuite du renouveau de cette vénérable institution. Nouvelles productions et co-productions, interprètes prestigieux, chefs réputés, metteurs en scène de renommée internationale y aborderont tous les genres et toutes les époques. [
] Les nouvelles orientations permettront à lOpéra de Marseille de retrouver sa place parmi les grandes scènes lyriques européennes. [
] Mais il est important que lOpéra souvre à de nouveaux publics en poursuivant son programme pédagogique en direction du jeune public, en allant sur les campus universitaires et en développant une action en milieu hospitalier. »
D. Nice : prestige et réformes
« Ville quasi frontalière, Nice a découvert lopéra par lItalie, au début du XIXe siècle. Le répertoire et les interprètes sont alors essentiellement italiens, et lOpéra, inauguré en 1830, est bâti sur le modèle du San Carlo de Naples en plus modeste. En 1855, lorsque le bâtiment actuel est édifié, cest sur les plans de larchitecte français François Aune, revus dailleurs par Charles Garnier. Et si on linaugure avec Aïda de Verdi, on fait, cependant, dès 1887, le choix de créer une troupe permanente française, qui chantera toutes les uvres en français
Aléas de lhistoire ! »
LOpéra de Nice (2003)
J
usquà la Seconde Guerre mondiale, et grâce au mécénat dont la French Riviera comprit bien vite les atouts, la vie musicale niçoise est partout. Sous la direction artistique de Ferdinand Aymé, de 1950 à 1982, et à sa suite, de Pierre Médecin, lOpéra de Nice poursuit une politique de prestige, ayant pour « habituée » Montserrat Caballé, par exemple.
Le rayonnement de lOpéra de Nice dépasse les frontières régionales, par la qualité des spectacles, mais aussi par les possibilités techniques offertes par le Grand Auditorium d'Acropolis - grandeur du plateau, acoustique - et par la beauté du théâtre de l'Opéra.
Chaque saison, une centaine de représentations de très grande qualité est au programme. L'accent est mis sur les grands airs d'opéra et les classiques du répertoire.
LOrchestre Philharmonique de Nice, avec ses quelque 100 musiciens, est jugé comme l'un des meilleurs orchestres de province : on lui doit déjà plusieurs enregistrements de disques.
Actuellement dirigé par le metteur en scène belge Paul-Emile Fourny, linstitution réforme sa politique artistique, vers plus dambition et de collaboration. Laissons parler le Maire de Nice à ce sujet : « Je souhaiterais jeter un regard avec vous sur le bilan de la saison 2002-2003, marquée du sceau des changements mis en uvre, à ma demande, par Paul-Emile Fourny qui sest impliqué avec autant defficacité que de passion dans les responsabilités de Directeur Général de lOpéra que je lui ai confiées. [
] Nous saluerons, si vous le voulez bien, sa décision daugmenter le nombre des productions et des représentations, et de délocaliser vers le Palais Nikaïa des uvres qui drainent un large public [
] Carmen, que 12000 personnes auront applaudi en juin, en est lexemple. [
] Je suis, en ce qui me concerne, particulièrement sensible au souci de restaurer, à lOpéra de Nice, lune de ses missions essentielles : la découverte duvres inédites et lémergence de nouveaux talents. De longue date, aucune création navait été mise à laffiche. En dix mois, nous avons présenté [3 créations dont une mondiale]. Autre motif de satisfaction : linstauration dun abonnement transversal entre lOpéra et le Théâtre national de Nice. [
] Il nous faut enfin souligner la vitalité des activités socio-culturelles qui font, elles aussi, la part belle à la création. [
] Ces résultats tangibles, la dimension national et internationale que Paul-Emile Fourny est parvenu, en une seule saison, à donner à lOpéra de Nice, ainsi quen attestent des demandes de coproductions émanant de la France et de lEurope entière, mont convaincu de le confirmer dans ses fonctions de Directeur Général. »
Découvertes ?
Le modèle de la recherche en physique nucléaire nous a plongé dans les profondeurs de la fréquentation non seulement dune pratique culturelle particulière lart lyrique- mais plus, nous a confronté aux résultats que lon pouvait apercevoir à des échelles danalyse de plus en plus fines.
Le constat de disparités locales nous confortent dans lhypothèse de phénomènes locaux qui restent encore à découvrir. Une évolution relevée au sein de lOpéra de Paris, résonne comme un indice sur cette possibilité que nous prenons comme réelle de découvertes locales quant aux publics de lart lyrique.
Lindice parisien concerne le critère géographique dorigine des spectateurs. Des enquêtes ont montré la progression dun public « hyper-local » pour lOpéra Bastille. Originaire certes de Paris, ce public se caractérise par sa proximité immédiate de léquipement culturel, dans les rues et quartiers voisins.
Si l'on résume :
au vu de la réelle évolution des publics de lart lyrique, perçue à léchelle danalyse de la pratique culturelle,
convaincus de lexistence, à l'échelle d'un équipement culturel, de mico-évolutions similaires à celles mises au jour au sein d'équipements lyriques aux histoires sociales différenciées,
prenant comme hypothèse que d'autres évolutions de ce type existent et nattendent quà être mesurées, il nous importe de continuer notre sondage au cur de la matière que représente les publics dopéras.
Pour une analyse la plus exhaustive possible -afin daugmenter les chances de remonter à la lumière de la connaissance des phénomènes invisibles- il nous faut disposer dune grille danalyse complète, prenant en considération un maximum de critères sociaux discriminants. Cest à ce travail qui nous nous sommes attelé, pour mener à bien nos recherches à une échelle danalyse locale.
Chapitre 2Entre quantité et qualité
Comment mesurer lévolution de la fréquentation des équipements culturels ? Quels critères choisir pour percevoir les changements ? Comment interpréter les résultats ?
Répondre à ces questions participe à la formation des limites méthodologiques de lenquête. Nous nous les sommes posé dentrée. Pour les publics de lart lyrique, ne faut-il considérer uniquement que leur appartenance à telle ou telle catégorie socioprofessionnelle (CSP), avec éventuellement les variables « niveau de revenus » et « niveau de diplôme », les trois étant intimement liées chez un même sujet?
Pour lenquête qui nous concerne, nous avons souhaité disposer dune base théorique solide, embrassant le plus possible de variables discriminantes, pour une meilleure perception des évolutions à luvre dans ce domaine. Cette base théorique de travail, il nous a fallu la construire.
Nous sommes parti dune réflexion menée au niveau ministériel, intéressante dans la forme, limitative sur le fond (section 1). Notre grille danalyse sappuie sur ce travail, en y ajoutant dautres éléments de fond sur les variables discriminantes utilisées- afin dobtenir un modèle plus exhaustif et ouvert (section 2) qui sera intégré dans notre enquête menée au sein de quatre établissements lyriques (section 3).
Section 1. La démocratisation du recrutement social
Comment mesurer la démocratisation ? Posée demblée, cette question comporte des risques de réduction de la question de lévolution des publics à la seule question du recrutement social des pratiquants, sur la base des CSP. Ce qui arrive ici :
« Appuyons-nous, par souci de clarté, sur le cas le plus fréquemment désigné sous le terme de démocratisation : la démocratisation du recrutement social des visiteurs/spectateurs. »
Sur base de quelle caractéristique sociale Sylvie Octobre considère-t-elle dans sa « proposition de cadre interprétatif » mesurer la démocratisation du recrutement social des publics ? La réponse nous est donnée rapidement. Elle conforte les travaux du ministère de la culture, centré sur lappartenance à la trilogie de critères sociaux : CSP + niveau de revenus + niveau de diplôme :
« Soit une catégorie de population A, socialement favorisée, qui a au temps t un niveau de participation à une activité culturelle supérieur à celui de la catégorie B, moins favorisée. Quels sont les différents cas possibles dévolution au temps t+n ? »
Décevante de notre point de vue sur le fond, la démarche devient intéressante sur la forme. En effet, tout le travail de Sylvie Octobre va être dessayer de dépasser lutilisation du seul terme « démocratisation » pour lanalyse des résultats dévolutions entre les deux catégories de population définies théoriquement. Ainsi, la chargée détudes va définir cinq phénomènes que les résultats denquêtes peuvent donner à voir, pour éviter dêtre enfermée dans le mono-thème de la démocratisation culturelle.
1° Elitisation. Cela paraît évident pour ce premier phénomène, définit comme le cas contraire de la démocratisation. Lélitisation de la pratique correspond à une augmentation de la pratique dans le groupe A couplée à une stagnation ou un recul dans le groupe B. Un exemple nous est donné par les concerts de musique classique : ils ont vu le taux de pénétration chez les cadres supérieurs et les professions libérales passer de 22% à 27%, tandis que celui des employés stagnait autour de 7% (évolution entre 1973 et 1997).
2° Banalisation. Nous partageons avec lauteur quil est aussi plus éclairant, juste et précis de parler de banalisation de la pratique lorsquon constate une augmentation des taux de pénétration dans les mêmes proportions dans les deux groupes. On pourrait aussi parler de massification, comme ça a été le cas, entre les années 1970 et 1980, de lélévation des taux déquipements et découte quotidienne de la télévision, pour lensemble des foyers français.
3° Popularisation. Autre cas, symétrique du premier (popularisation), à savoir laugmentation de la pratique dans le groupe « moins favorisé » avec stagnation ou recul dans le groupe « favorisé ». Exemple de la situation actuelle en Amérique du Nord (mais aussi en Europe) en matière de pratiques audiovisuelles.
4° Renouvellement générationnel. Que dire en cas de stagnation quantitative de la fréquentation ? De nouveaux pratiquants sont venus remplacer dans les mêmes proportions les décédés et « abandonnistes ». Lauteur y voit donc à luvre un renouvellement générationnel naturel. Mais les nouveaux arrivants sont-ils du même cru que les anciens ? Cette question nest pas posée. On pourrait très bien avoir plus de « moins favorisés » que de « favorisés » qui intègrent une pratique, toujours sans accroissement de la fréquentation... Cest un cas limite.
5° Désaffection. Ici, le critère quantitatif (évolution du nombre de pratiquants) prévaut. Il est analysé demblée, avant tout autre critère sur la qualité (CSP, revenus, diplôme) des nouveaux-arrivants. Dans ce cas précis, le nombre de visteurs/spectateurs est en recul.
Section 2. Des phénomènes évolutifs locaux
Que retenir de cette proposition ? Deux choses.
Tout dabord la démarche : de décomposer le phénomène « démocratisation » en plusieurs autres.
Ensuite le point de départ, dans cette recherche de phénomènes évolutifs, qui consiste à se poser dabord la question de la quantité (combien ?), ensuite amener la question de la qualité (qui ?).
Nous proposons de décomposer lanalyse de lévolution de la fréquentation dun équipement culturel en deux grandes étapes, passages obligés pour une bonne observation.
Dans un premier temps, il sagit de se poser un questionnement quantitatif, sur le nombre dentrées mesurées au sein de léquipement. Trois cas de figures se présentent : la « masse de fréquentants » peut être en diminution, stable ou en augmentation. Pour les deux premières hypothèses, nous renvoyons à lanalyse de Sylvie Octobre : désaffection (diminution) et renouvellement naturel (stabilité).
Dans le cadre de notre enquête, nous nous situons dans le troisième cas, à savoir une augmentation quantitative, lenjeux étant danalyser ensuite les caractéristiques sociales des pratiquants responsables des entrées supplémentaires, pour ramener les constatations à la notion de démocratisation. Nous partons aussi du principe, comme le fait Sylvie Octobre, quon ne peut commencer à parler de démocratisation que devant cette situation daugmentation quantitative.
Ainsi, dans un second temps, sintéresse-t-on à la qualité de cette masse nouvelle de publics. Mais ici, à la différence du travail théorique de Sylvie Octobre, lanalyse souvre à dautres critères que la « trilogie ministérielle » CSP+revenus+diplôme. Nous avons utilisé une palette élargie de critères sociaux discriminants, sans en exclure a priori.
Schéma 1. Grille danalyse théorique servant létude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels
Des critères sociaux (en gras) déterminent des phénomènes évolutifs locaux (en majuscules). Tout part de laccroissement de la fréquentation, condition pour pouvoir éventuellement parler de démocratisation de la pratique. Cet accroissement pouvant être le résultat dune plus grande pratique par les publics en place (intensification interne) ou par larrivée de nouveaux publics (primo-arrivants).
RAJEUNISSEMENT
âge ?
VIELLISSEMENT
autre critère ?
FEMINISATION
genre ?
INTENSIFICATION INTERNE MASCULINISATION
ACCROISSEMENT situation familiale ?
RENOUVELLEMENT ACCELERE APPROPRIATION PAR LES INACTIFS
(primo-arrivants)
activité ?
APPROPRIATION PAR LES ACTIFS
ANCRAGE LOCAL
autre critère ?
résidence ?
ELARGISSEMENT GEOGRAPHIQUE
Section 3. Une grille danalyse ouverte
Lintérêt de ce schéma danalyse est double.
Tout dabord, la multiplicité des critères sociaux discriminants utilisés permet la prise en compte de toute une série de phénomènes évolutifs qui, à une échelle locale, sont susceptibles dêtre mesurés.
Ensuite, le schéma est ouvert. Dautres groupes homogènes de publics, caractérisés par une certaine caractéristique sociale commune, peuvent y trouver place.
Nous avons intégré cette grille danalyse dans deux thèmes de notre grille dentretien (voir annexe 1):
les enjeux, en terme dévolutions possibles de la fréquentation, des actions menées en direction des publics ;
la situation et les évolutions, passées, récentes et souhaitées, des publics au sein de lOpéra concerné.
Les phénomènes évolutifs qui apparaissent sur notre grille danalyse ont joué le rôle dindicateurs, relevés ou proposés. Mais nous étions attentif à toute autre évolution à luvre au sein de létablissement lyrique. Ainsi, un critère non-prévu, lhandicap (moteur, visuel, auditif...), a fait son apparition dans des entretiens. Lattention envers le public handicapé constitue un défi important dans tous nos Opéras (voir plus bas Section 3. Handicaps socio-classiques).
Dans le cheminement intellectuel à fournir, on vient de le voir, tout commence par une question quantitative, portant sur le nombre dentrées. Laccroissement est un phénomène daugmentation de la fréquentation mesuré par le nombre dentrées délivrées aux caisses. Il est parfois appelé élargissement démographique.
A lorigine de laccroissement de la fréquentation, on peut trouver deux phénomènes : le renouvellement accéléré des publics et lintensification de la pratique par les publics en place. Cest donc immédiatement après que se pose une question qualitative.
Lintensification interne, mesurée au sein dun équipement, correspond à un phénomène daugmentation de la régularité de la pratique par les publics qui fréquentent déjà léquipement.
Au contraire, si laugmentation quantitative est imputable à larrivée de nouveaux publics, on parlera de renouvellement accéléré : le processus de renouvellement, générationnel, semballe. Il y a plus de nouveaux pratiquants que de personnes qui abandonnent la pratique. Il sensuit une augmentation du nombre dentrée due à des primo-arrivants au sein de cette pratique. Ces derniers sont soit des néophytes, consommateurs par ailleurs dautres pratiques culturelles (public potentiel) ou non (non-public). Mais il peut aussi sagir de personnes qui fréquentent dautres équipements culturels au sein de cette pratique (nous les nommons polypratiquants).
Lappropriation par les inactifs est un phénomène évolutif que nous avons souhaité intégrer, car il est mesuré par ailleurs dans dautres équipements culturels. Mais on pourrait imaginer des phénomènes dappropriation encore plus ciblés, comme lappropriation étudiante.
Chapitre 3 Applications
Appliquée à la question de lévolution de la fréquentation dun établissement lyrique, notre grille danalyse met au jour, avec une logique intéressante, les phénomènes à luvre dans la relation entre lart lyrique et ses publics.
En se concentrant dans un premier temps sur les évolutions passées, on voit se construire des situations présentes différenciées dune maison dopéras à lautre (section 1).
En posant ensuite la question des défis -toujours en termes de publics- en passe dêtre relevés et en relevant les besoins futurs, on voit se confirmer la formation didentités locales et de niveaux différenciés de développement des salles lyriques (section 2).
Enfin, un phénomène évolutif local particulier -lattention envers les publics handicapés- nous ouvre les yeux sur la question plus large de laccessibilité de lart lyrique (section 3).
Section 1. Identités locales
Dans le prolongement de la réflexion entamée sur les histoires culturelles des institutions, corollée à leur ancrage local, lors de notre tour de France lyrique (voir II. Disparités), nos entretiens ont permis, sur base des indicateurs repris dans la grille danalyse, de mesurer les évolutions passées des publics, qui conditionnent le présent des équipements.
Opéra national du Rhin
Accroissement. Dans le passé récent, lOpéra du Rhin a été confronté à une situation quelque peu embarrassante, à savoir la désaffection de ses spectateurs :
« H.P. : Ecoutez, cest pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine dannées maintenant, est intervenue au moment où on sest rendu compte que les salles se vidaient, quil y avait une tradition de lopéra ici, quon héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on sest rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. »
Le travail accompli par ce département paye aujourdhui : on constate un accroissement « global énorme et constant » de la fréquentation, nous affirme-t-on du côté de la billetterie.
Rajeunissement. Après cet évolution quantitative, relevons un phénomène qualitatif. Heureusement, lOpéra du Rhin a su pallier la déficience de renouvellement naturel de ses publics. En effet, la caractéristique particulière de lOpéra du Rhin réside dans sa proportion actuelle de moins de 26 ans. Une connaissance basée sur lintuition naurait pas pu déceler avec précision cette évolution radicale. Vu de l extérieur, lOpéra du Rhin est un Opéra comme un autre, sauf que
« H.P. : Vingt pour cent [de jeunes], ça ne sinvente pas dun jour à lautre. Cest tout un travail de fond, qui va être de toute manière poursuivi. »
Opéra national de Lyon
Ancrage local. De la difficulté dattirer des publics éloignés, alors que la ville de Lyon a une situation géographique centrale, et est située au carrefour daxes de communication -routiers et ferroviaires- importants. On se rend compte que dans le domaine du lyrique, la demande ne suit pas automatiquement loffre. A lopposé dune grande loi apprise par les polytechniciens : loffre de routes crée la demande de circulation.
« L.V. : Lautre caractéristique majeure, cest quon est un opéra national, avec des spectacles denvergure internationale. Par contre, en termes de public, cest presque le contraire. [
] On a un public qui est avant tout originaire du Département du Rhône, globalement de la Région Rhône-Alpes, et le public de « létranger » (hors Département et Région) est très marginal. »
Appropriation par les inactifs. Au sein des publics, la formation dune classe dâge creuse entre 35 et 50 ans, à savoir les jeunes actifs professionnellement, par ailleurs souvent jeunes parents, mais aussi les sujets en pleine maturité professionnelle, est une donnée inquiétante. Il semble que le problème en termes dâge des publics -qui conditionne son renouvellement- ne concerne pas les seuls jeunes et étudiants (-de 26 ans).
« L.V. : Le gros problème de lopéra, cest que le public est assez âgé. On sait quon a un grand déficit de public dans la tranche dâge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusquà 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à lopéra. Cest une classe dâge sous-représentée par rapport à la population globale. [
]
P.J. : Sur le public actuel de lOpéra de Lyon, vous disiez quil est assez âgé. Mais y a-t-il dautres caractéristiques que vous pouvez dégager ?
L.V. : En moyenne, il est à la fois dans les tranches dâge supérieures, et quand même très présent chez les moins de 30 ans. »
III . Opéra de Marseille
Ancrage local. Ville ouverte vers la mer Méditerranée, entourée de tous côtés de montagnes, monts et collines, Marseille vit sa vie de ville de manière indépendante. LOpéra y subit la concurrence dautres structures lyriques proches : Avignon, Toulon, sans parler des festivals.
« G.S. : Jai fait tirer quelque chose, mais il ny a pas détudes, à ma connaissance, de faite sur le public de lOpéra de Marseille. Par rapport à lorigine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% dailleurs. »
Opéra « populaire » ? Mais dun côté, Marseille peu compter sur des spectateurs fervents, habitués à une offre lyrique dense où la voix tient une place très importante. Pendant lété, le festival lyrique dAix-en-Provence et les Chorégies dOrange assure la continuité des saisons dOpéras. « On dit » que lOpéra de Marseille est « populaire », cest une étiquette qui le suit.
« G.S. : Marseille, cest un public de classe moyenne, classe supérieure, de professions libérales
G.S. : [
] Marseille a toujours eu une position importante dOpéra populaire [
]
P.J. : Vous disiez que lOpéra est populaire
G.S. : Cest quà lorigine, lopéra est populaire ; lart lyrique est un art populaire, qui sest embourgeoisé dune certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce nest pas le cas de lOpéra de Marseille, où est ouvert à tous. Cest vrai que quand on prend lOpéra de Monte-Carle, cest réservé à une élite. »
Opéra de Nice
Public âgé. Ville des retraités, Nice concentre une proportion importante de personnes « dun certain âge », attirées le climat particulier, notamment la douceur de lhiver. Au sein de lOpéra de Nice, situé à plus de 1000 km de celui de Strasbourg, cette même proportion se distingue nettement dans la structure dâge des publics, contrastant avec la situation observée à lOpéra du Rhin :
« P.J. : Pour parler du public actuel de lOpéra de Nice, le connaît-on ? A-t-on des données ? De grandes tendances ?
A.J.-P. : Assez âgé, relativement âgé, nanti, abonné sur lannée. »
Public attaché. Abonné sur lannée, fidèle, attaché au lieu et à la sortie, comme cela se faisait « avant ».
« P.J. : LOpéra de Nice, cest une situation un peu particulière en France ?
A.J.-P. : A Nice, le public est assez âgé et il a ses habitudes. Faut pas changer de fauteuil ! Je me souviens dune fois où quelquun ma dit que son fauteuil était plat, et que étant tapissier : « Est-ce que je peux venir le rembourrer ? » Voilà. Abonné sur le même fauteuil depuis je ne sais pas combien dannées, et que comme cest son fauteuil, il y mettrait un peu de crin, et quil ne ferais pas payer le crin. Bien sûr, mais on ne peut pas accepter ce genre de choses quand même. »
V. Une caractéristique commune : où sont les actifs ?
Ce constat, de lémergence dune classe dâge creuse entre 35 et 50 ans, constaté à lOpéra de Lyon, était également une des préoccupations de lOpéra national du Rhin, où la responsable de la billetterie nous la confirmé. Etait...car entre-temps, ces « actifs », souvent (jeunes) parents sont revenus, par le biais de leurs enfants. D'où le résultat que l'on connaît à Strasbourg (20% de moins de 26 ans fréquentent lOpéra).
A Lyon, dautres stratégies sont à luvre, pour ce qui constitue un défi à relever dans les années à venir.
Même écho du côté de Nice. Cette situation constitue un défi à relever pour lavenir. (voir plus bas Section 2. Défis particuliers)
« A. J.-P. : Je suis tout à fait daccord [sur la classe 35-50 ans]. Ce nest pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »
(extrait de lentretien Nice)
Sur ce dernier point, cette émergence dune classe creuse 35-50 ans, mesurée au sein de nos équipements lyriques, est confirmée par lenquête de la RTLF :
« La question du renouvellement du public ne concerne pas les seuls catégories des jeunes spectateurs potentiel, dautant plus que des dispositifs ont été mis en place dans la plupart des maisons dopéras pour leur faciliter laccès. Leffort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs des classes dâge et sociales intermédiaire. »
Par contre, en 1981, la situation était tout autre. Des résultats diamétralement opposés nous sont donnés par lenquête « Pratiques culturelles de Français ». En 1981, « les amateurs dopéras sont, semble-t-il, plus fréquemment âgés de 25 à 59 ans. », peut-on lire.
Cette enquête nationale, englobant lensemble des pratiques et sorties culturelles, à laquelle nous avons fait allusion plus haut pour montrer une grande stabilité dans leurs résultats et dont une certaine inopérativité dans la mesure des micro-changements à loeuvre- nous sert ici pour décerner une grande évolution dans la fréquentation de lart lyrique.
Section 2. Défis particuliers
Après ce coup dans le rétroviseur, projetons-nous dans lavenir. Nous venons de relever les évolutions passées et les situations actuelles des scènes lyriques. Mais quels sont les prochains objectifs dans lévolution de leurs publics ? Quels défis les institutions lyriques doivent-elles relever pour assurer un optimum dans leurs fréquentations ?
Le tableau ci-dessous reprend les phénomènes évolutifs locaux que nous avons mis en évidence de manière théorique. Fonctionnant comme indicateurs, ils montrent les objectifs, résolus (1), en cours de réalisation (2) et à accomplir (3) au sein de nos quatre équipements lyriques. Au final, il permet de mettre en évidence des situations différenciées, et donne à voir une cartographie de lévolution des publics dopéras.
Schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau danalyse local, des situations et préoccupations différenciées
PHENOMENES EVOLUTIFS LOCAUXaccroissementintensificationprimo-arrivantsfidélisationrajeunissementvieillissementStrasbourg(2)(2)(2)(1)Lyon*(2) (3)(2)(2)Marseille(2)(2)(3)(2) (3)Nice(2)(3)féminisationmasculinisationretour des « actifs »appropriation par célibatairesancrage localélargissement géographiqueStrasbourg(1)(1) (2)Lyon(2)(3)Marseille(3)(3)Nice(2)
Objectifs résolus (1), en cours de réalisation (2) et à accomplir (3) au sein des quatre équipements lyriques étudiés.
Lastérisque (*) renvoie à des situations où le phénomène dévolution rencontre des contraintes en tant quobjectif.
I. Accroissement
Opéra national du Rhin. Lobjectif quantitatif est ici en cours : laccroissement de la fréquentation est en marche.
« P.J. : Et finalement, quel est le but ? Si on résume un peu tout ça, vous venez de dire « être en proie avec le spectacle vivant ». Mais si on parle en termes de fréquentation, cest peut-être daccroître la fréquentation ?
H.P. : Oui, et préparer le public de demain. Faut pas rêver, sur une classe de trente élèves, sil y en a trois qui continuent à venir régulièrement, on est content, sil y en a dix qui viennent sporadiquement, on est très content, et sil y a les trente qui demandent à revenir, cest la fête au village ! Et figurez-vous quil y a des choses qui se passent comme ça... »
Opéra de Marseille. Peu de recul pour linstant pour savoir si les actions mises en place en direction des publics a provoqué laugmentation du nombre de spectateurs, bien que ce défi est évidemment dactualité.
« P.J. : Est-ce que ça se traduit en termes de fréquentation ?
G.S. : Pour linstant non. Nous accueillons des jeunes de la primaire à luniversité (lIUFM), mais nous navons pas assez de recul pour savoir si notre politique se traduit déjà en termes de fréquentation. »
Opéra national de Lyon et Opéra de Nice.* Lastérisque précise ici lévocation déléments matériels qui interviennent comme frein à lidée de laccroissement du nombre dentrées comme objectif.
Argument financier du côté de Lyon :
« P.J. : Le but est de faire venir plus de monde à lopéra ?
L.V. : Le problème est que si on veut faire venir plus de monde, il faut avoir plus de représentations. Et ça, avec le budget dun opéra comme celui de Lyon, cest pas vraiment possible. Chaque représentation supplémentaire est déficitaire. »
Contrainte physique du côté de Nice (qui dispose de la plus petite salle de nos quatre salles lyriques étudiées) :
« P.J. : Y a-t-il une politique, une volonté, daccrocher certaines catégories de personnes ? Ou alors lOpéra de Nice est satisfait de son public actuel
A.J.-P. : LOpéra est petit : 1000 places, dont une centaine aveugles
Et cest plein. Les ouvrages lyriques, cest complètement plein. Pour pas mal de gens, cest presque impossible davoir une place en dehors des abonnements. Pour les concerts, il y a quand même un peu plus de places disponibles que pour lopéra. »
Primo-arrivants et fidélisation
Objectifs complémentaires : faire franchir pour la première fois les portes de lOpéra par des personnes qui ny ont jamais mis les pieds, et faire en sorte que ces mêmes personnes reviennent. Le premier contact avec lOpéra ne passe pas obligatoirement par la participation à un spectacle dopéra. Tous les moyens sont bons pour faire découvrir, faire connaître, laisser apprivoiser le lieu, laisser sacculturer. Présenter lOpéra à des primo-arrivants passe donc parfois par des moyens détournés.
Opéra national du Rhin. Ces deux objectifs sont intimement liés à lOpéra du Rhin, dans la stratégie déployée envers les publics.
« H.P. : On travaille aussi avec des sections scénographiques, notamment à lEcole des arts décoratifs. Ou encore une section didactique, qui est en train de constituer une valise pédagogique autour de la construction des décors à lOpéra du Rhin. Ils découvrent, eux, lopéra, à travers la construction dun objet dans le cadre de leur formation professionnelle. Ils se destinent à créer des objets didactiques. Pour la plupart, ces étudiants ne sont jamais venus à lopéra. La démarche est double : ils vont produire quelque chose pour l opéra, et en même temps, ils découvrent lopéra.
P.J. : Finalement, un des objectifs est de faire venir, pour la première fois, des personnes qui nétaient jamais venues
H.P. : Ou de maintenir aussi une habitude quils ont prises. Si cest faire un coup comme ça, cest bien, mais
P.J. : Derrière, il y a aussi peut-être la fidélisation ?
H.P. : Voilà. Lidée, cest que les jeunes aient envie de revenir, quil y aient des projets qui se montent aussi avec les meneurs de projets, et quon arrive comme ça à renouveler la chose. « Je suis allé à lOpéra, jai vu Traviata, voilà ». Si cest la seule expérience de lopéra, cest bien, cest toujours mieux que rien, mais cest quand même mieux de dire quil y a autre chose que Traviata. »
Opéra national de Lyon. Objectifs également liés -faire découvrir et continuer à faire venir- à lOpéra de Lyon. Une stratégie qui vise le jeune public, mais aussi dautres primo-arrivants potentiels :
« L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, cest le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros, quelle que soit la catégorie de place que lon attribue, dans le respect dun certain quota sur lannée. [
]
L.V. : On sintéresse notamment aux nouveaux-arrivants dans la ville de Lyon. En général, ce sont des gens assez jeunes, de jeunes professionnels, actifs.
P.H. A. : Il sagit dun fichier quon achète à la Poste, qui nous livre les adresses de tous les gens qui viennent darriver dans une zone quon définit. Ca représente environ 10000 personnes sur lannée, à qui on fait une proposition de venir à lOpéra. »
Mais ici, la découverte de lopéra, bien quen cours à travers les actions mises en place, semble rencontrer un besoin plus pressant, qui signifie que le chemin est encore long :
« P.J. : Y a-t-il dautres besoins pressants au niveau des publics ? Un public à accrocher ?
L.V. : [
] Cet opéra avait un gros problème dû à son architecture : le bâtiment donne vraiment limpression dêtre fermé, pas très convivial du fait de la couleur, de larchitecture intérieure, et fermé sur lui-même. On essaye den faire un bâtiment ouvert sur lextérieur.
Cest notamment lobjet dune sorte de grande « Journée portes ouvertes » quon a fait au mois de mai, pour faire venir le « tout-public », pour leur faire découvrir le bâtiment et ce quon y propose. Ca a donné lobjet aussi à louverture dun bar, sous la billetterie, qui a marché pendant tout lété. Cette opération-là va être reconduite.
P.H. A. : On a proposé tous les jours des concerts gratuits.
[
]
P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A loccasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. Sil ny avait pas la queue à lentrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. Cest un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin dêtre expliqué, présenté. Cest déjà une première démarche de faire venir les gens, même sils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que cest un lieu qui est accessible, qui a du sens. »
Opéra de Marseille. Objectif également couplé à Marseille.
« P.J. : Le meilleur résultat nest-t-il pas, non seulement de donner lenvie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de lopéra.
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis quils reviennent. Bien quau début, ils appréhendaient cette expérience. »
Avec cette réserve, évoquée plus haut, que les actions ne se traduisent pas encore en termes de fréquentation. On peut en déduire que la fidélisation de ces nouveaux-arrivants nest pas encore effective. Mais on ne garde pas espoir de revoir ces jeunes bien plus tard :
« G.S. : Les étudiants, ça commence, surtout pour les concerts symphoniques
P.J. :
suite à « Campus en Musique » ?
G.S. : Je ne sais pas sil y a un effet « Campus en Musique », mais il y des jeunes qui viennent pour des concerts symphoniques et pour certains opéras en fonction de la programmation.
[
]
G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour lavenir. »
Opéra de Nice. Autre cas de figure possible : être encore plus réservé sur les possibilités de retour des primo-arrivants. Ce qui nempêche bien entendu pas de mener une action forte envers les jeunes, dans un but peut-être plus large que uniquement quantitatif, en termes de fréquentation :
« P.J. : De manière plus générale, quels sont les buts de ces actions. On a parlé de faire participer les enfants. Mais par rapport à lOpéra, au lieu, au bâtiment, à la fréquentation : est-ce de les faire venir par eux-mêmes, plus tard.
A.J.-P. : Je ne sais pas. Bien sûr, lobjectif officiel est de faire découvrir lopéra pour quils deviennent spectateurs plus tard. Honnêtement, jy crois pas tellement. Puis je pense que tout est élément de découverte, de culture. Cest leur culture, cest leur patrimoine. Et ça, on tient vraiment à le faire découvrir. Après, si ça marche, tant mieux, et si ça marche moins, cest pas grave. Mais il y a une petite graine qui est plantée. Sil y a suffisamment darrosage
»
Un point de vue intéressant consiste à introduire un argument financier dans le débat des primo-arrivants :
« P.J. : Les villes qui ont un opéra ; elles le subventionnent fortement ; cest une charge
A.J.-P. :
une charge énorme, et comment
P.J. : En sachant que ce sont les citoyens de la ville qui en ont, au final, la charge...
A.J.-P. :
tout à fait. Ils payent la plus grosse part
P.J. :
mais ils nen profitent pas beaucoup
A.J.-P. :
ils nosent pas ou ny pensent pas
P.J. :
alors que ce sont des lieux qui sont forts, qui sont grands, qui sont
A.J.-P. :
magiques. Il faut le dire. Cest un lieu qui fait partie de notre patrimoine. Cet opéra, il est beau on ira le visiter tout à lheure- il a été refait à lextérieur et va être refait à lintérieur. Cest quand même à visiter à la limite, presque comme un musée. Cest quand même notre patrimoine.
P.J. : Egalement au niveau des arts, de leurs combinaisons.
A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait quil y ait des gens qui circulent. »
Rajeunissement
Opéra national du Rhin. Le rajeunissement des publics, tant espéré ailleurs, sest déjà effectué au sein de la scène strasbourgeoise (voir supra)
Opéra national de Lyon. Le rajeunissement est ici un défi actuel :
« P.J. : Peut-on parler de stratégie à long terme ?
L.V. : Le gros problème de lopéra, cest que le public est assez âgé. On sait quon a un grand déficit de public dans la tranche dâge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusquà 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à lopéra. Cest une classe dâge sous-représentée par rapport à la population globale. On a beaucoup plus de retraités et de « seniors-actifs » (au-delà de 50-55 ans, et encore actifs). »
Défi en cours de réalisation, par le biais de plusieurs « angles dattaque » :
« L.V. : Face à ce constat, le plus simple aujourdhui, cest de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes dâge. Après, on a un autre angle dattaque, cest de faire venir ces gens-là.
[
]
On a un autre angle dattaque pour ces gens qui finalement sont, pour certains, des parents. On peut considérer, pour certains, quils ont des enfants déjà indépendants. Cette charge financière qui disparaît permet de faire une démarche dachat sur quelque chose qui napparaît pas comme essentiel : les spectacles.
[
]
On a une démarche envers les familles, avec des tarifs pour les familles. On a, cette année, une formule dabonnement qui sadresse aux moins de 16 ans : ladulte achète un abonnement, le jeune bénéficie du même abonnement pour la moitié du prix. On a déjà une décote de 30% (abonnement), en plus 50% là-dessus (offre famille), ça fait plus ou moins 70%. »
Dans une stratégie analogue à celle utilisée à lOpéra du Rhin, où le retour des « actifs », 35-50 ans, sest effectué par le biais de leurs enfants :
« P.J. : Ou alors faire venir les parents avec les enfants ?
L.V. : Cest quelque chose qui a été mis en place lannée dernière : une dizaine dateliers sur lensemble de lannée. Le principe est de prendre en charge les enfants pendant 2-3 heures par des ateliers, pendant que leurs parents assistent à un spectacle dans la grande salle. Latelier ludique et didactique- permet aux enfants de préparer un petit spectacle quils présenteront à leurs parents. Cest les former à ce quest lopéra, cest quest la danse, dune façon intéressante.
Et en parallèle, on a aussi la programmation dun spectacle pour enfants. »
Opéra de Marseille et Opéra de Nice. Une priorité a été fixée dans ces deux maisons dopéras : cibler les publics jeunes et étudiants.
« P.J. : LOpéra de Marseille est-il satisfait de son public actuel ?
G.S. : Il souhaiterait rajeunir le public ; cest une politique de la maison, qui permet de cibler surtout les jeunes et étudiants. »
(extrait de lentretien Marseille)
« A. J.-P. : [
] Cette année, Paul-Emile Fourny [directeur] voulait privilégier le public étudiant. »
(extrait de lentretien Nice)
Retour des « actifs »
Opéra nationaux du Rhin et de Lyon. Nous venons de voir quau sein de ces deux scènes lyriques, le retour des jeunes actifs professionnellement parlant- de la classe dâge 35-50 ans fait partie de la stratégie de rajeunissement des publics, et que plusieurs actions sont mises en place pour faire revenir ces catégories de publics. Qui ont le pouvoir dachat nécessaire, mais pas le temps.
Nous avons vu quà Strasbourg, ce retour est déjà opéré, et qu'à Lyon, cela constitue un besoin actuel.
Opéra de Nice. Le même angle dattaque -faire venir les parents via leurs enfants- est déployé à Nice :
« P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.
A.J.-P. : Qui na pas le temps ?
P.J. : Qui na pas le temps
Donc ils ont une classe dâge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles dattaque ».
A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et cest pas mal. Il y a des concerts du chur denfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public ». Je suis tout à fait daccord [sur la classe 35-50 ans]. Ce nest pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »
Opéra de Marseille. Marseille mène également une politique de conservation des spectateurs qui quittent la vie détudiant pour rentrer dans la vie active.
« P.J. : Pas dautres défis ?
G.S. : Pour linstant, cest surtout une politique en direction des jeunes qui rentrent dans la vie active. »
Elargissement géographique
Opéra national du Rhin et Opéra de Nice. Deux équipements frontaliers.
Léquipement lyrique strasbourgeois, situé à la frontière allemande, pas si éloigné que ça de la frontière suisse, accueille une proportion détrangers, principalement Allemands et Suisses, comprise entre 10 et 15 %. Attirer les publics français environnants reste un défi, quune politique comme celle des « abonnés-bus » tente de relever.
« P.J. : Pour la suite, y a-t-il des défis pressants ? Vous parliez des centres sociaux, donc finalement de certaines catégories sur lesquelles il faut se concentrer. Dautres catégories également ? Dautres groupes homogènes ? Comme par exemple le public qui habite relativement loin ?
H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce quon appelle les « abonnés-bus ». Cest vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement souvent des vieilles personnes, qui nont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire...
P.J. : Donc un public qui vient de loin, qui ne serait peut-être pas venu sans cette opération.
H.P. : Tout à fait. Cest une vraie politique. Cest donner la possibilité pratique aux gens de venir à lopéra. »
Paradoxalement, à Nice, ce ne sont pas les Italiens, proches, qui compose la majorité des étrangers - lOpéra de Monte-Carlo est encore plus proche de la frontière italienne. Pour 1 Italien, ce sont près de 10 Anglais qui viennent assister à une représentation lyrique niçoise. Des Anglais de passage, touristes, ou installés sur place, à lannée ou en résidence secondaire.
Opéra national de Lyon. Nous avons vu plus haut le paradoxe géographique lyonnais : bien que bénéficiant d'une situation centrale par rapport aux axes de communication routiers et ferroviaires, lOpéra de Lyon a du mal à attirer des publics éloignés.
Opéra de Marseille. Les spectateurs de lOpéra phocéen sont majoritairement marseillais.
« P.J. : Jen reviens à la fréquentation : peu de données sur le public de lOpéra de Marseille
G.S. : Jai fait tirer quelque chose, mais il ny a pas détudes, à ma connaissance, de faite sur le public de lOpéra de Marseille. Par rapport à lorigine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% dailleurs. »
Doù cet appel, teinté dhumour, mais qui prend en compte également la situation géographique particulière de la Région Provence-Alpes-Côte dAzur, où loffre lyrique est dense, en et hors-saison.
« P.J. : Et faire venir un public plus éloigné ?
G.S. : Oui, ça ferait plaisir quil y ait des Parisiens qui viennent voir les spectacles.
P.J. : Peut-être pas de si loin
de la Région PACA déjà
G.S. : De la Région, il y en a. Mais cest vrai quil y a un Opéra en Avignon, il y a un Opéra à Toulon, des Festivals à Aix-en-Provence et à Orange
»
Section 3. Handicaps socio-classiques vs socio-latents
Les établissements lyriques interrogés développent des actions envers des publics ciblés, à qui il revient, avec des moyens humains et financiers, de faire découvrir, d'attirer, de fidéliser
à lOpéra.
Une interrogation sest manifestée au cours de nos entretiens : quelles démarches sont mises en uvre envers les publics handicapés ? A un moment donné de notre société où cette question traverse tous les secteurs publics : lieux publics, études, travail
2003, année européenne de la personne handicapée... Une des priorités présidentielles, avec notamment la lutte contre le cancer.
Cette interrogation est survenue spontanément durant le premier entretien mené à lOpéra du Rhin. Cela montre par ailleurs que lentretien semi-directif, comme technique denquête, est un dialogue en construction, plus quune simple série de questions à poser.
Ainsi, cette problématique, à laquelle tous les établissements lyriques sont confrontés, est devenu un fil rouge. Car il permet, en arrière-plan, de poser une question essentielle : de quel(s) handicap(s) parle-t-on ?
Des établissement lyriques confrontés aux publics handicapés
Opéra de Nice
A lOpéra de Nice, pour des raisons de normes techniques et de sécurité, un handicapé moteur ne peut pas assister à un spectacle. Tout au plus assistera-t-il à une répétition. Mais cela va changer après la rénovation prévue de la salle :
« P.J. : Y a-t-il une ouverture aux personnes handicapées ?
A.J.-P. : On na pas eu douverture au public handicapé lan dernier. [
]
P.J. : Mais un handicapé moteur peut-il rentrer à lOpéra de Nice avec son fauteuil ?
A.J.-P. : Non, lOpéra de Nice est un opéra tout à fait vieux, 1885, qui est hors-normes actuelles. On peut mettre à la limite vraiment en calculant bien- trois fauteuils, pour une répétition, pas pour un spectacle, parce quil faut les faire passer par le monte-charge qui est derrière la scène. Et quand larrière-scène est encombrée de décors, etc, cest fichu, on ne peut pas. Et trois fauteuils, cest vraiment le maximum, parce que si il y a le feu, on ne pourrait pas les sortir
»
Opéra national du Rhin
Autre cas de figure possible, également en dehors de la soirée lyrique proprement dite. Un travail peut être mené « à côté », en intégrant des publics handicapés ici des enfants sourds et malentendants- dans les actions pédagogiques :
« P.J. : Ainsi, on élargit la palette des spectateurs, on souvre à dautres catégories, qui navaient pas la possibilité
H.P. : Exactement.
P.J. : Les handicapés peut-être ?
H.P. : Oui, les sourds par exemple. En tous cas, On a travaillé avec des enfants qui ont des difficultés auditives profondes. »
Opéra de Marseille
A Marseille, lOpéra est accessible aux handicapés pour les représentations lyriques, ce qui a le mérite dêtre clair :
« P.J. : Le public handicapé a-t-il accès à lopéra ?
G.S. : Tout à fait. »
Opéra national de Lyon
La scène lyrique lyonnaise, récemment rénovée, a prévu un système spécial damplification des sons. Hors de la représentation dopéra, des enfants handicapés participent aux actions pédagogiques :
« P.J. : Travaillez-vous avec les personnes handicapées ?
P.H. A. : Il y a des actions qui sont menées par Hélène Sauvez, et on a aussi 8 places qui sont réservées dans la salle pour les handicapés en fauteuil [handicapés moteurs], 1er série moitié prix (40 euros). Avec également ce tarif pour laccompagnateur. Cest une démarche envers eux, mais qui na pas beaucoup de succès. Il y a quelques habitués, qui viennent souvent. Lannée dernière, la durée des spectacles était un frein. On a aussi des places réservées aux non-voyants dans la salle. Il y a aussi un système qui permet damplifier les sons.
P.J. : Avant, ces personnes-là, étaient refoulées des salles dopéras. Et maintenant, ils ont accès aux salles.
P.H. A. : Il y a un accueil particulier.
L.V. : Et pour les enfants, les demandes de structures scolaires ou associatives bénéficient dune étude privilégiée pour assister à des spectacles scolaires pendant le temps scolaire. Et on a, sur la quasi-totalité des spectacles scolaires, des écoles denfants handicapés. »
Une palette dhandicaps socialement reconnue
Au-delà des modalités de prise en considération des publics handicapés au sein des institutions lyriques (pour la représentation proprement dite, pour les répétitions, pour les actions pédagogiques), qui renvoient souvent à des contraintes techniques, la question posée « Le public handicapé a-t-il accès à lopéra ? » a renvoyé automatiquement, chez la personne interviewée, aux handicaps socialement reconnus par tous :
les handicapés « moteurs » ;
les sourds et malentendants ;
les non-voyant ;
les handicapés « mentaux ».
Ces handicaps, socio-classiques, ont une visibilité et une attention sociale immédiate. Ils donnent droit à des cartes spéciales, pour lesquels des statuts particuliers sont prévus. Au sein dune pratique culturelle, aborder la question de laccès des personnes handicapées appelle directement des réponses en phase avec ces handicaps socio-classiques.
Mais laccès à lart lyrique ne comporte-t-il pas dautres barrières, au-delà de ces handicaps « classiques » ?
Des handicaps socio-latents
Manque de connaissances musicales, barrière psychologique face au lieu dopéra, maigres revenus financiers
Autant dobstacles à la représentation lyrique.
Autant dobstacles que la représentation lyrique active, par ses propriétés et exigences intrinsèques : la difficulté du répertoire, la complexité daccès à linformation, le besoin dexpériences renouvelées
Présents au sein de chacun, ces handicaps sont socialement latents, car activé par une situation bien précise. Dans dautres domaines, il pourrait sagir, par exemple, du manque de condition physique pénalisant la course spontanée entre amis, de la faible maîtrise de la langue anglaise interrompant la discussion avec un anglophone, ou encore du non-apprentissage de la conduite dune moto qui faut décliner linvitation dun collègue motard à une randonnée. Autant de situations particulières où surgissent des barrières, où sactivent des handicaps, pour disparaîtrent aussitôt que la situation ne se présente plus. Nous qualifierons ces handicaps de socio-latents. Ils bénéficient certes dune moindre visibilité sociale générale, contrairement aux handicaps socio-classiques.
Pour revenir à lart lyrique, et dans une volonté dun meilleur accès pour tous à la pratique, ces handicaps socio-latents sont autant dobstacles à faire sauter, pour lesquels des actions peuvent être menées. Ces handicaps sont des données à prendre en compte demblée pour la question du renouvellement des publics. Dautant quils concernent la majorité dentre-nous : ceux qui ne sont pas déclarés (ou reconnus) comme « handicapés » par la société.
Démocratiser lart lyrique renvoie à cette palette élargie dhandicaps, socio-classiques et socio-latents. Tous les « handicapés » sont concernés par la mission fondatrice du ministère de la culture : « rendre accessibles les uvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français [
]».
Face aux handicaps socio-classiques, il convient de mettre en place des solutions daccueil confortable, pour ne plus refuser laccès à cette catégorie de publics potentiels, à qui notre société reconnaît désormais bien heureusement le droit de participer comme tout un chacun aux activités culturelles.
Mais pour les autres handicapés de lart lyrique, dont les handicaps socio-latents sactivent quand se pose la question dune soirée à lOpéra, la même exigence douverture à ces catégories bien précises (les non-initiés au répertoire, les non-avertis musicalement, les non-habitués à une tenue de soirée
) sapplique. Dans quelle mesure la résorption de ces handicaps contribue-t-elle à la question de la démocratisation de cette pratique? Peut-on parler de démocratisation devant un constat douverture à une catégorie de publics, qui, alors quelle ne fréquentait pas les salles lyriques, quel que soit le motif, ou handicap, fait désormais partie de ses pratiquants ?
Léclairage des entretiens nous permet de faire un retour sur la mission fondatrice du ministère de la culture. A laube du troisième millénaire, après plus de quarante ans de débats et de réflexions autour des buts et de la légitimité de la démocratisation culturelle en France.
Troisième partieAu-delà de la démocratisation
L
es étudiants de Sciences politiques à la loupe, par une enquête publiée aux éditions de Sciences po. Le fait mérite dêtre souligné. Une institution réputée fermée, inaccessible pour certains, parle delle-même, ou plutôt de ses « clients » qui, chaque année, viennent « consommer » ses cours. Mais quelles sont les caractéristiques sociales de ces étudiants ? Et quelles sont les évolutions à souligner?
Cest sur ces questions que louvrage, paru en 2004, fait le point. Sur lorigine du recrutement social de ces étudiants délite, sur les tendances qui parcourent linstitution aujourdhui. Résultats : des évolutions, mais pas de démocratisation. Car Sciences po « reste un établissement socialement discriminant dont les étudiants sont majoritairement issus des classes sociales favorisées, voire très favorisées. [
] Néanmoins, on constate une évolution dans le sens dune féminisation des promotions. Avec 56% de femmes actuellement. »
Le même type de constatation évolution mais pas de démocratisation- peut être fait dans un autre domaine, plus « culturel » : la fréquentation des musées. Car pour ce second exemple, depuis les années cinquante, on constate un accroissement numérique du nombre dentrées dans les musées, sans que lon puisse savancer sur le terrain de la diversification du recrutement social comprenez de la catégorie socio-professionnelle (CSP) de rattachement- des arpenteurs de musées en France.
Laccroissement du nombre dentrées renvoie à des phénomènes comme une plus grande pratique, par les visiteurs en place (intensification), ou par des pratiquants dautres pratiques culturelles (cumul).
Mais que dire de lorigine géographique des visiteurs ? Ne viennent-ils pas de plus loin quauparavant ? Et quid de leur situation familiale ? Les couples, mariés, pacsés ou autres, ne fréquentent-ils pas plus les musées actuellement ? Et pourquoi pas avec leurs éventuels enfants ?
Ces deux exemples on pourrait en trouver dautres- mettent en lumière la limite du spectre danalyse mono-centré sur les CSP. Dautres évolutions que la « démocratisation » traversent la masse de « fréquentants » dune institution, quelle soit culturelle ou non. Les obstacles qui limitent laccès à une pratique ne sont pas uniquement des barrières de classes sociales, de niveaux de diplôme et de revenus.
A ce titre, lart lyrique est un terrain hautement intéressant : les obstacles y sont multiples. Et la barrière de classe (appartenir à telle ou telle CSP) ne semble plus être lobstacle principal à la soirée lyrique. Précisément, un des grands défis pour lavenir de cette pratique culturelle consiste en la conservation et le retour des élites intellectuelles et financières qui, par manque de temps, ont déserté les salles lyriques (chapitre premier. Lart lyrique : de multiples obstacles).
Ensuite, plus que de répondre à la question « LOpéra se démocratise-t-il ? », le terrain lyrique nous permet plus facilement de poser la suivante : « Quentend-on par démocratisation ? ». Notre démarche théorique déclatement de la notion, couplée à nos recherches pratiques (entretiens) au sein déquipements lyriques sélectionnés, apporte ici un éclairage fort plaidant pour une plus grande acception de la notion de « démocratisation culturelle », face aux périls auxquels elle se trouve actuellement confrontée. (chapitre 2. Evolutions ou démocratisation ?)
Enfin, nous tenterons daller plus loin dans la réflexion, en ayant une analyse critique sur le chemin que nous aurons parcouru, sur les résultats avancés. Car au final, en tentant de réinvestir une notion qui paraissait limitative, par un élargissement de son champ dacceptions, ne fait-on pas que déplacer les limites un peu plus loin ? A moins que dautres limites napparaissent ? Mais lesquelles ? Le troisième chapitre (Une démocratisation en chambre ?) ouvre des pistes de réflexions. Il permet dinsérer les présentes recherches dans un champ dinvestigations plus large, et, au final, douvrir de nouveaux questionnements.
Chapitre premierLart lyrique : de multiples obstacles
La question de laccessibilité à lart lyrique renvoie à une multitude de freins, barrières et obstacles. Lobjet nest pas ici den dresser un recensement exhaustif ; ce serait certainement une illusion car, notamment, des facteurs psychologiques individuels jouent à coup sûr dans la non-pratique de lart lyrique.
Dans ce chapitre, nous voudrions montrer comment, précisément, la question de laccessibilité et des obstacles à la fréquentation lyrique est facilement évacuée, alors quun diagnostic national récent fait état de besoins précis, ciblés, et inattendus. Où lon constate que, pour une pratique réputée bourgeoise, un des défis pressants, à laube du troisième millénaire, est de conserver ses élites financières et intellectuelles.
Section 1. Rendre accessibles
à qui ?
La première façon dévacuer la question des freins qui sont à luvre quand surgit lhypothèse dune soirée à lOpéra est de répondre aux désirs daccès des personnes handicapées. Ces désirs sont dailleurs socialement légitimés. Leur résolution fait lobjet, dans les maisons dopéras, de toute une série de mesures (sièges réservés, amplification sonore
).
En réalité, ces handicaps ne sont que larbre qui cache la forêt : de multiples autres raisons et situations interviennent comme des handicaps pour des personnes non-reconnues comme « handicapées » par la société. Nous avons illustré cette ambiguïté par les réponses de nos entretiens (voir deuxième partie, section 3. Handicaps socio-classiques et socio-latents).
Un autre exemple nous est apparu dans le magazine mensuel dinformations dune collectivité locale.
Larticle qui nous intéresse est titré « LOpéra dAvignon plus accessible ». Lappel du titre nous a renvoyé automatiquement vers la phrase emblématique du projet de démocratisation culturelle en France, tel quil a été formulé à la création du « ministère chargé des affaires culturelles » : « Le nouveau ministère se donne comme objet de rendre accessibles les uvres capitales de lHumanité, et dabord de France, au plus grand nombre possible de Français. »
Notre sang na fait quun tour, nos yeux se sont immédiatement dirigés vers le corps du texte : lOpéra-Théâtre dAvignon et des Pays du Vaucluse aurait donc mis en place une ou des action(s) dans le sens dune plus grande démocratisation de la sortie lyrique. Sur quoi porte la « plus grande accessibilité » ? La photo est on ne peut plus claire : elle montre une personne en chaise roulante qui gravit un plan incliné, pour (logiquement) se hisser au niveau de la salle de représentation
Larticle nous indique que quelques places sont désormais « accessibles » aux handicapés moteurs.
Nous ne critiquons pas ici laction -louable et légitime- citée en exemple. Mais ny a-t-il pas dautres handicaps à la sortie dopéra, autant dobstacles qui demanderaient la mise en place dactions politiquement et socialement fortes ? Ne passe-t-on pas à côté de lessentiel ?
Section 2. Lopéra : réservé à une élite ?
Dautres handicaps que les handicaps socio-classiques... Oui, mais lesquels ? Il semble que le premier dentre-eux concerne lappartenance à dautres catégories sociales que la CSP « supérieure » (cadres et professions intellectuelles supérieures).
Lopéra est en effet réputé « bourgeois », « réservé à une élite ». Lappartenance à des catégories socioprofessionnelles inférieures (agriculteurs, artisans, commerçants, ouvriers, employés, professions intermédiaires) semble être un frein -au moins psychologique- à la fréquentation dune maison dopéras.
Cest en tout cas ce qui sest toujours dit, du temps où la représentation mentale du public dopéras primait sur la connaissance scientifique de ses publics (voir première partie, section 2. Publics : vers une connaissance scientifique).
Cest également le parti pris, à léchelle de toutes les pratiques culturelles, par le ministère de la culture, en phase avec les thèses bourdieusiennes, mais aussi lesprit de mai 1968 (voir première partie, section 2. Une inaccessible étoile).
Mais cest aussi le fonds de commerce de quantité de travaux de recherches dans le domaine des pratiques culturelles.
TABLEAU 11. Les catégories socio-professionnelles (CSP) telles que définies par lINSEE depuis 1982
Ces catégories se fondent sur/et indiquent des niveaux de diplôme et de revenus.
1agriculteurs2artisans, commerçants et chefs dentreprise3cadres et professions intellectuelles supérieures4professions intermédaires5employés6ouvriers
Aujourdhui, peut-on transposer cette réduction dune question majeure (la démocratisation culturelle) à un diagnostic limitatif (un problème dappartenance à une classe définie par lINSEE)?
Il semble que non, que la question des CSP agit, de la même façon que pour le thème des handicaps socio-classiques, comme un expédiant facile à la question de laccessibilité à lart lyrique. Des résultats denquêtes montrent que lenjeu ne se situe plus, à notre époque, au seul niveau des CSP. Et ce sont les publics eux-mêmes qui le disent.
Lenquête de la RTLF, réalisée au sein de 20 maisons dopéras dont celles de Paris (Garnier et Bastille), comporte un volet qualitatif, avec notamment une question sur « lidée daccessibilité » que se font les publics en place par rapport à lart lyrique.
A la question « LOpéra est-il réservé à une élite intellectuelle et sociale ? », les réponses sont négatives à 64%, positives à 21%. Le solde (15%) est sans avis. Selon les strates dâges, ce sont les 25-34 ans, les « nouveaux publics dopéras », qui sont les moins réservés : 69% dentre-eux ne trouvent pas que lopéra est réservé à une élite. Autre donnée : les abonnés assidus, qui constituent le cur des publics les plus fidèles, ne semblent pas vouloir conforter une situation de privilège dune élite, situation quils pourraient vouloir voir durer. Parmi eux, 68% répondent également par la négative.
La question du privilège dopéra à des personnes avec un certain statut social (niveaux élevés de diplômes et de revenus) ne semble plus dactualité. A une époque où les inactifs (principalement retraités et étudiants) composent, suivant les enquêtes, entre 30 et 40 % des spectateurs lyriques, les principaux freins à la sortie lyrique sont ailleurs.
Section 3. Le capital de temps disponible
Toujours dans la même enquête denvergure nationale menée par la RTLF, après le diagnostic des publics actuels de lart lyrique, vient le moment des préconisations à apporter à la fréquentation. Cest loccasion de faire le point sur les défis pressants qui concernent les maisons dopéras en France.
Fait important : ces préconisations ne sont pas fondées sur les CSP, classes sociales discriminées par les facteurs économique (niveau de revenus) et intellectuel (niveau de diplôme). Lenjeu se situe ailleurs. Aujourdhui, plus que les capitaux économiques et intellectuels, un autre capital se révèle être discriminant pour laccès à lart lyrique : celui du temps disponible en dehors de celui consacré au travail.
Ainsi, pour Gérard Doublet, le défi majeur à relever est dattirer les « actifs », professionnellement parlant, à une époque où, pour plus de 40%, les salles sont occupées par des « inactifs », retraités et étudiants.
Ce défi recouvre à la fois :
les jeunes actifs, qui rentrent dans la vie professionnelle. Il sagit de fidéliser les publics jeunes qui ont été progressivement attirés vers les maisons dopéras grâce à des formules flexibles et des politiques efficaces de tarification. Défi crucial au moment ou ces publics entrent dans la vie active, ce qui signifie quils perdent et les avantages (tarifaires et de flexibilité) et le temps à consacrer à lopéra.
les autres spectateurs potentiels actifs, qui, alors quils étaient étudiants, nont pas été sensibilisés ou initiés via les actions -récentes- mises en place par les établissements lyriques en direction des étudiants.
En résumé : « Leffort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs, des classes dâge et sociales intermédiaires. »
Ici, un changement majeur est intervenu ces dernières décennies. Traditionnellement, les pratiques culturelles étaient le fait des catégories de population au capital intellectuel élevé, plus quau capital économique élevé. La pratique culturelle « art lyrique » faisait figure dexception, puisque précisément, elle était plus corrolée au niveau de revenus quau niveau de diplôme. De nos jours, on constate un retour en force des professions intellectuelles supérieures (enseignement supérieur) et intermédiaires (enseignement secondaire), ainsi que diverses autres catégories de fonctionnaires. Les publics dopéras sont à 56% des employés du secteur public, à 34 % du secteur privé, auxquels il fait ajouter 10% de dirigeants dentreprises et de professions libérales. Pour rappel, ces pourcentages concernent une part de 58 % de publics « actifs », les 42 autres pour cent étant des « inactifs ».
Les revenus des employés de la fonction publique sont moins élevés que ceux du secteur privé, et a fortiori de ceux des dirigeants dentreprises et des professions libérales. A quel facteur imputer cette désaffection des actifs aux revenus élevés ? Au sein des pratiques culturelles, lart lyrique nest plus lexception : la capital intellectuel supplante le capital économique.
Pour comprendre ce revirement de situation, il faut, à notre avis, introduire une donnée supplémentaire : le facteur temps. A côté des capitaux économiques et intellectuels, bases de la construction du modèle des CSP, un capital apparaît comme essentiel dans la discrimination daccès à lart lyrique: le capital de temps disponible en dehors du travail.
Le temps comme principal obstacle à la représentation lyrique. Temps de réservation, temps de préparation sur luvre et la musique, temps de la soirée elle-même. Alors que certains « actifs » ont les moyens financiers de se payer la sortie dopéra (et les frais afférents, de garde des enfants, de bouche
), ils ne viennent plus, faute de temps :
« La facilité daccès aux spectacles dopéras et aux événements culturels est inégale selon les catégories sociales. Elle discrimine les spectateurs non plus sur les seuls critères économiques et culturels, mais sur celui du temps disponible. »
Nos entretiens illustrent cette constatation. Ici, à lOpéra de Nice, où après avoir pris acte de la moindre fréquentation des « actifs », certaines actions sont mises en place :
« P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.
A.J.-P. : Qui na pas le temps ?
P.J. : Qui na pas le temps
Donc ils ont une classe dâge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles dattaque ».
A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et cest pas mal. Il y a des concerts du chur denfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public . Je suis tout à fait daccord [sur la classe 35-50 ans]. Ce nest pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »
(extrait de lentretien Nice)
Et la réduction du temps de travail ? Et les 35 heures ? Chacun sait quelle ne concerne pas certaines catégories de travailleurs, les cadres en premier lieu, qui ont vu, dans un mouvement inverse, leur temps de travail effectif augmenter, sans compter sur des pressions supplémentaires en termes dobjectifs (commerciaux et autres), qui se traduisent par du stress supplémentaire.
« Le renouvellement du public par de nouvelles jeunes « élites » dentreprise nest pas assuré, car elles sont trop occupées par leur travail. Les anciennes élites ne travaillaient pas au sens où lentend la société post-industrielle contemporaine. Il serait dommage et imprudent de se résigner à attendre lâge de la retraite de ces jeunes cadres pour les compter parmi les nouveaux spectateurs dopéras. »
Le capital de temps disponible agit ici comme un handicap socio-latent à la sortie lyrique. Ce manque de temps de loisir, pour une sortie culturelle en demande beaucoup, nest pas un handicap dans labsolu ; il est précisément activé par la sortie lyrique chez une telle personne, à un moment donné.
*
* *
Riche en arts quil mobilise, lart lyrique est une pratique culturelle riche dobstacles à sa fréquentation.
A ce sujet, la problématique daccès des personnes handicapés est symptomatique. Par cet exemple, nous avons voulu montrer que tous les handicaps ne sont pas forcément visibles, que même si cest « à la mode » ou « politiquement correct », mais surtout légitime de soccuper de ces catégories de spectateurs potentiels, des problèmes de fond, des handicaps socio-latents (parmi lesquels le capital de temps disponible en dehors du travail) restent à la marge du processus de laccessibilité pour tous à lart lyrique.
Dautre part, les dires des publics dopéras et les enjeux pressants quant à la fréquentation des salles lyriques battent en brèche le modèle des CSP basé sur le diptyque capital économique + capital intellectuel. Pour les publics de lart lyrique, ce modèle seffondre par lintroduction du facteur « temps » -un capital de temps disponible pour les loisirs. Analyser les résultats denquêtes uniquement par la lorgnette des CSP se trouve être ainsi un enjeu dépassé, ou du moins limitatif, bien quil continue à monopoliser lessentiel des travaux.
Dautres exemples plaideront certainement pour la prise en compte de facteurs supplémentaires comme obstacles à la sortie lyrique. Situons-nous maintenant sur le plan de laction : de la lutte contre les freins daccès à lOpéra. Face à léclatement des causes de la non-pratique, comment nommer le remède ? Comment nommer lobjectif de « rendre accessible au plus grand nombre possible » lart lyrique ? En sachant que, par tradition, démocratiser la culture renvoie uniquement à un discours sur la distorsion de pratiques entre les CSP
Chapitre 2Evolutions ou démocratisation ?
Nos réflexions sont un cheminement ; elles constituent un parcours, avec comme point de départ les antécédents de la notion de « démocratisation culturelle » telle quelle sest érigée en raison dEtat en France. Avec ensuite la pratique culturelle « art lyrique » comme moyen hautement approprié dinterroger les fondements de la notion.
Il est maintenant intéressant de voir en quoi le cheminement parcouru les hypothèses testées et les résultats dégagés- permet un retour critique sur ce qui est devenu une politique culturelle inévitable.
Ces résultats sont des éléments de recherche et des notions construites (phénomènes évolutifs locaux, grille danalyse de la fréquentation dun équipement culturel, handicaps socio-latents, capital de temps disponible pour les loisirs
) ayant une valeur scientifique en tant que tels. Mais, faisant en quelque sorte dune pierre, deux coups, ils peuvent nous servir à construire une proposition sur ce « passage obligé, à dépasser » quest le mono-thème de la démocratisation culturelle (voir première partie, chapitre premier. La démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser)
Section 1. Beaucoup dévolutions, peu de démocratisation
Partons dun exemple éclairant : le discours construit à partir de lanalyse de résultats dune lenquête réalisée par lOpéra de Paris en 1999.
Depuis 1997, année darrivée du Suisse Hugues Gall à la tête de létablissement public regroupant les deux salles lyriques parisiennes Garnier et Bastille, un Observatoire des publics mesure de façon systématique, par des suivis automatiques ainsi que par des enquêtes ponctuelles, lévolution de la fréquentation.
En termes dévolutions (vs situation) des publics, les résultats de 1999 font apparaître toute une série de phénomènes :
accroissement
du nombre dentrées délivrées aux caisses ;
rajeunissement
la proportion des moins de 40 ans passe de 31% (1991) à 38% (1999) ;
renouvellement
20% de primo-arrivants annuellement depuis 2 ans, notamment grâce à la possibilité de réservation par internet ;
élargissement géographique national et international
ancrage local
par la constitution dun public « hyper-local », de proximité.
Intervient une constatation basée sur les CSP :
« Les spectateurs de lOpéra de Paris continuent de provenir majoritairement des catégories supérieures et intermédiaires, et se recrutent dabord parmi les personnes ayant fait des études supérieures »
Cest sur ce constat dune non-évolution au niveau des CSP que va reposer la conclusion :
« Ces résultats invitent à relativiser les progrès enregistrés et soulignent la diversité des éléments à mettre en uvre dans le cadre dune politique visant à agir sur la composition socioculturelle du public. »
Dès lors, quel statut donner aux autres évolutions (accroissement, rajeunissement
) constatées plus haut ? Des évolutions « de seconde zone », inintéressantes en tant que telles, tant que lappartenance des publics aux CSP ne bougent pas ? Alors quelles montrent des changements majeurs dans lhistoire de lart lyrique, pourquoi les relativiser par le fait quau niveau des catégories socio-profesionnelles de rattachement, peu dévolutions sont, jusquà présent, constatées ?
Dans la formule composition socioculturelle des publics, il semble quun critère discriminant la CSP- prime sur les autres. Cela est-il justifié ? Dans quelle mesure ?
Section 2. Une galaxie de phénomènes évolutifs locaux
Quentend-on par « composition socioculturelle » ?
Dans la phase de préparation dune enquête de fréquentation dun équipement culturel, quelles sont les questions qui vont être posées à la personne qui, dévouée, joue le jeu et prend le temps de se dévoiler modestement ? Plus précisément, quels items vont lui être proposés pour définir sa « composition socio-culturelle » ? Sur base de quelles caractéristiques sociales les personnes interrogées seront-elles définies, « triées », classées ?
Pour notre enquête, nous avons pris le parti de ne privilégier aucune caractéristique sociale discriminante, et surtout de ne pas donner plus dimportance au facteur CSP. Au contraire, lintégrer, sur un pied dégalité, à un ensemble plus vaste de caractéristiques sociales : âge, sexe, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale, handicap
(voir schéma 1. Grille danalyse théorique servant létude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels). Cette liste est ouverte (voir deuxième partie, section 3. Une grille danalyse ouverte)
Son intérêt réside dans ce que les variables (caractéristiques sociales) servent à constituer des groupes socialement homogènes (les 26 ans, les célibataires, les femmes
). Dans un second temps, en analysant les variations quantitatives de ces groupes (flux), on définit un ensemble dévolutions quil est possible, à léchelle dun équipement culturel (voir supra Chapitre 3. Au cur de la matière), de mesurer : ce sont les phénomènes évolutifs locaux (rajeunissement, appropriation par les étudiants, ancrage local
)
Et la démocratisation là-dedans ? Notre proposition évince-t-elle ce phénomène, tel quil est définit institutionnellement, cest-à-dire sur base des CSP ?
On pourrait répondre par laffirmative, dans la mesure où nous ne proposons pas le critère « CSP » dans notre grille danalyse théorique.
On pourrait aussi tenter de réinvestire la notion, en élargissant son acception, tout en intégrant la définition basée sur les CSP. Pour éviter le seul renvoi à la CSP comme critère social discriminant.
Nous avons privilégié la seconde branche de lalternative.
Section 3. Tentative de réinvestissement
Dans les thèmes abordés au cours des entretiens, nous avons introduit une hypothèse, qui, dans la logique du cheminement que représente lentretien semi-directif, vient en bout de course.
1. Une hypothèse forte
Pour rappel, les différentes étapes de notre grille dentretien (voir annexe 1) permettent la construction progressive dun discours, en trois étapes :
1° laisser parler linterviewé sur le contenu des actions mises en place en direction des publics de son institution lyrique ;
2° questionner les buts associés à ces actions, en termes de fréquentation. A ce stade, relever et proposer les phénomènes évolutifs locaux, agissant comme indicateurs : accroître, fidéliser, faire venir des primo-arrivants, faire venir de nouvelles catégories, par rapport à lâge, le genre, le lieu de résidence, lactivité ou la non-activité professionnelle, la situation familiale
(voir deuxième partie, chapitre 3. Applications)
3° utiliser les mêmes indicateurs pour repérer, chronologiquement, les objectifs résolus, en cours de réalisation et qui restent à accomplir dans lévolution de la fréquentation. (voir schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau danalyse local, des situations et préoccupations différenciées)
Après ces trois étapes, nous avons voulu in fine tester lhypothèse suivante : comprendre sous le terme de « démocratisation » un ensemble dobjectifs cités précédemment, couplés à des caractéristiques sociales diverses et variées.
Lhypothèse de travail se formule ainsi :
« Certains phénomènes observés au niveau de lévolution de la composition sociale du public dun équipement culturel peuvent être qualifiés de démocratisation, car ils correspondent, parallèlement à une hausse de la fréquentation, à une plus grande pratique de lopéra par des primo-arrivants dune catégorie homogène de publics, cest-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s). »
Par caractéristiques sociales, nous entendons celles utilisées pour notre grille danalyse théorique : CSP, niveau détudes, niveau de revenus mais aussi âge, genre, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale
(la liste est ouverte).
2. Des espérances
Située dans les débats actuels sur la politique de démocratisation culturelle, cette hypothèse est le contre-pied dune proposition émanant du directeur de la publication « Les pratiques culturelles des Français », outil statistique officiel du ministère de la culture, lequel directeur proposait, devant la difficulté de tirer un bilan positif de quarante ans de politique de démocratisation culturelle en France :
« Abandonner lusage du terme de « démocratisation », porteur depuis les origines de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes, constitue aujourdhui une des conditions dune meilleure efficacité des actions menées en direction des publics.[
] Abandonner le terme de « démocratisation » et définir des objectifs plus précis, portant sur des populations précisément ciblées, peut par conséquent aider à séparer les finalités relatives à loffre culturelle et celles relatives au public, et à déchirer lépais écran de fumée qui souvent recouvre les objectifs réellement poursuivis, rendant difficile toute véritable évaluation. »
Autrement dit un enterrement de première classe pour la mission fondatrice du ministère de la culture. (voir supra III. In memoriam ?)
A linstar dOlivier Donnat, nous avons perçu -nos entretiens le montrent- la multiplicité des objectifs, « précis », « ciblés » quand il sagit de mener une action envers les publics dune pratique culturelle. Mais, à contre-courant de sa proposition « dabandon », nous voulons, au contraire, tester lhypothèse dun réinvestissement de la notion, en lélargissant à dautres caractéristiques socio-culturelles que la seule appartenance à telle ou telle CSP.
Pour pouvoir dépasser lidée de léchec de la politique culturelle au niveau national.
Mais aussi pour éviter des bilans aussi tristes que celui évoqué plus haut à lOpéra de Paris par exemple, où, alors que des évolutions majeures traversent la fréquentation, le bilan final est pessimiste, car sous le seul regard des CSP, les publics de cet établissement ne varient pas beaucoup (voir supra Section 3. Beaucoup dévolutions, peu de démocratisation).
3. Des résultats
Confirmer lhypothèse dune acception plus large du terme « démocratisation » est un des objets de nos recherches. Nous sommes arrivé à mieux cerner les enjeux contemporains qui affectent la fréquentation de lart lyrique, en prenant un angle dattaque local -le seul à notre avis convainquant- et en proposant une grille danalyse se voulant la plus complète possible.
Néanmoins, pourquoi ne pas tester, dans la foulée, une hypothèse sur la mission de démocratisation -un passage obligé- en sachant que les résultats sont à considérer, pour cette hypothèse et à ce stade, comme des éclairages, réels, mais limitatifs dans leur portée ?
Léclairage qui confirme le plus notre « sentiment » de la possibilité dun usage terminologique plus élargi de la notion de démocratisation culturelle, conformément à notre hypothèse de travail, nous vient dun témoignage à lOpéra national du Rhin :
« P.J. : Vous avez parlé de « renouvellement », que les actions ont permis de « renouveler » la fréquentation de lopéra. Quelles avaient été mises en place suite au constat que les salles lyriques se vidaient. Peut-on parler de « démocratisation » ?
H.P. : Oui, carrément. Tout à fait, et je pense que cest particulièrement le cas en Alsace. Dabord grâce à la politique tarifaire, qui est vraiment exceptionnelle. Lopéra ici, ce nest vraiment pas cher. Je constate que cest un public, je vous lai dit, assez populaire, au sens large.
P.J. : Par le fait davoir fait venir, par exemple, les jeunes en plus grand nombre quauparavant, peut-on dire que lopéra sest démocratisé ?
H.P. : Bien sûr, absolument. Je ne vais pas vous dire le contraire, où voulez-vous en venir ?
P.J. : On raisonne parfois seulement à partir des classes sociales, comme par exemple « la grande bourgeoisie », et que lopéra sest « popularisé ».
H.P. : Quand je parle de public populaire, jentends un public extrêmement varié. Ce nest pas le « bas peuple », la « France den bas ». Quand je dis populaire, cest populaire au sens large, cest-à-dire quon a des gens qui ont des sous, qui vont à lopéra, qui sont amateurs dopéra, ou qui ne sont pas amateurs dopéra, mais qui vont pour la place ; et dautres personnes qui, automatiquement, ne seraient pas allés à lopéra, mais qui y vont. »
Pour une personne de terrain, auprès de publics à sensibiliser à lart lyrique, la notion de public « populaire » est entendue ici dans un « sens large ». Cest à dire au-delà- du seul critère des CSP (« France den bas »). Dans un sens large, cest-à-dire associant des publics « extrêmement variés ».
Souvrir à des catégories homogènes de publics, avec des caractéristiques sociales diverses (des amateurs, des résidents éloignés
linterviewé nexclut aucune caractéristique) revient à démocratiser lart lyrique.
Cette volonté de ne pas se concentrer uniquement sur des publics issus de CSP « moins favorisées » se retrouve dans la politique de lOpéra de Marseille :
« P.J. : LOpéra est-il un art qui sest démocratisé ?
G.S. : Nous essayons de la démocratiser au maximum. On ne fait pas de programmation spécifique « jeune public » ; les jeunes viennent découvrir la programmation classique de lopéra, et pour eux, cest une programmation tout à fait accessible. Ils travaillent sur Le Vaisseau fantôme, Carmen. Et par notre politique tarifaire, lopéra est accessible au plus grand nombre : de 8 à 50 euros la place. [
]
G.S. : Notre politique est de toucher tous les jeunes, quils soient issus des quartiers favorisés ou défavorisés, décoles privées ou publiques. [
]
G.S. : Il y a des tarifs préférentiels pour le jeune public et pour les personnes âgées. Donc on essaye vraiment douvrir lopéra au plus grand nombre.
P.J. : Le meilleur résultat nest-t-il pas, non seulement de donner lenvie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de lopéra.
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis quils reviennent. Bien quau début, ils appréhendaient cette expérience.
La maison affiche lambition de démocratiser « au maximum », reprenant ainsi le superlatif de la définition officielle (voir le décret fondateur du ministère chargé des affaires culturelles) de « rendre accessibles au plus grand nombre possible (
) ».
Sur le fond, cette ambition concerne toutes les CSP, « des quartiers favorisés ou défavorisés ». Les enfants « favorisés » ont aussi droit à la découverte de lart lyrique, ce qui ne semble plus automatique aujourdhui pour cette catégorie de jeunes.
Mais, à Marseille, la politique vise aussi dautres groupes homogènes de publics. Par exemple un groupe caractérisé par lâge : les personnes âgées.
Lassociation « publics issus des CSP supérieures = pratique de lopéra » éclate aussi à lOpéra national de Lyon, où « démocratiser » renvoie à dautres caractéristiques sociales : par exemple la connaissance musicale (ou non). Le fait quun groupe de publics caractérisé par un moindre attachement à la musique classique est désormais présent aux représentations lyriques, cela aussi, cest de la « démocratisation » :
« P.J. : Finalement, peut-on parler de « démocratisation » ?
L.V. : Cest une question qui nest pas évidente, car je vais donner mon avis, tu vas donner le tiens, et une troisième personne aura encore un avis différent là-dessus. On peut parler de « démocratisation », dans le sens où lopéra est accessible aujourdhui à des gens qui ne sont pas forcément très fortunés, qui ne sont pas forcément « fan » de musique classique ou contemporaine, avec des offres tarifaires qui sont intéressantes, et qui rendent lopéra attractif à toutes les bourses. Et puis, avec des uvres qui sont accessibles. Chaque année, on a une uvre qui est plus accessible que les autres.
Ce témoignage fait écho à celui relevé à lOpéra du Rhin, où les salles sont constituées de publics extrêmement variés, quune certaine politique, que lon peut appeler « démocratisation », a pour but de les y faire venir.
Enfin, le témoignage relevé à lOpéra de Nice nous mène à un constat identique, celui de la démocratisation de lart lyrique, avec la fin dun certain privilège de classe, et donc des CSP comme seule catégorie pertinente dans lanalyse de lévolution de la fréquentation lyrique :
« P.J. : Je voudrais venir au thème de la démocratisation culturelle. Cest un grand mot en France, qui fait partie dune politique fondatrice du Ministère de la culture. Peut-on parler de démocratisation à lopéra ?
A.J.-P. : Je pense. Ce nest plus réservé à une certaine classe sociale, médecins, enfin les professions libérales. Je pense quil y a quand même dautres personnes qui viennent, parce quils aiment la musique, parce quils ne sont pas obligés de venir en « nud pap » et en robe longue. Ils ont compris ça. Je pense que de ce point de vue-là, ça a quand même changé. Bon, les gens shabillent quand même
Cette plus grande ouverture à une multitude de catégories de publics (reste à voir lesquelles) ne vient pas uniquement de linstitution ; elle peut être le résultat dun changement dans la relation entre lopéra et les gens, notamment en termes dimage. Cette évolution aboutit à la venue dun public « plus large », sociologiquement varié :
« A.J.-P. : Je crois que les gens sont peut-être plus ouverts actuellement à lidée de lopéra, des concerts. Ils savent que ça existent. Ca fait plus partie de leur vie. Je ne dirais pas quil y viendront plus facilement. Il y a la télé aussi, on sembête pas, on est tranquille à la maison avec un ptit whisky et cest bon
Et enfin, je pense que les gens ont plus conscience, ont plus intégré
dans leur subconscient et dans leur conscience aussi, il y a quelque chose qui se passe
Ils sont plus ouverts.
A.J.-P. : Cest sûr que lopéra à la télé, ça aussi, ça fait du bien. Moi je pense que ce nest pas une grosse action quil faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. Il y a des émissions culturelles, on en parle de plus en plus dans la rue. Enfin donc je pense que cest quand même plus ouvert. [...] Cest un public
plus large.
Limage renvoyée par les institutions lyriques change. Notamment après une première « sortie » à lopéra. Démocratiser renvoie aussi aux représentations qui animent lart lyrique, en particulier sa réputation dinaccessibilité :
« P.J. : Quand on dit que « les jeunes viennent », est-ce de la démocratisation ?
G.S. : Oui, cest de leur montrer que lopéra est accessible. Cest permettre au plus grand nombre davoir accès à ce lieu. Cest de ne pas être là avec des images figées, « lopéra réservé à une élite », la crainte ensuite dy accéder, la peur de franchir la porte. [
]
G.S. : Et cest dans limaginaire que lopéra est un lieu réservé, inaccessible. Et cest ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à lOpéra, cest pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et cest chez eux.
(extrait de lentretien Marseille)
Dans ce changement dimage des Opéras, le bouche-à-oreille semble jouer fortement. Il démultiplie les possibilités de cette extrême variété de publics qui se retrouvent ensemble dans les salles lyriques, dans un mouvement que lon pourrait qualifier de démocratisation indirecte :
« A.J.-P. : Ceci dit, il y a quand même du renouvellement : entre amis, « tiens pourquoi pas un abonnement à lopéra », si on sy prend assez tôt. [
] Et je pense que par lintermédiaire des enfants, il y a un peu de ça quand même. Il y a des prof de lycées qui sinvestissent, qui ne sont pas prof de musique, mais prof de français, dhistoire, etc. Ils sinvestissent dans la découverte par les enfants des opéras, qui les amènent. Daccord, ils en profitent de lopéra, ils sont contents, ils aiment ça. Très bien, mais les enfants pendant ce temps-là, les jeunes, les étudiants viennent aussi. Les parents quand même viennent aussi.
P.J. : Le plus grand acquis, cest
A.J.-P. :
de faire parler. De faire parler les enfants de manière à ce quils amènent les parents à franchir cette porte. Parce que au fond, ils ny avaient jamais pensé. Une forme de curiosité. Ecoutez, il y a des tas de gens qui navaient jamais pensé à venir à lopéra. Des gens de 35-40 ans, qui ont fait leurs études de pharmacies, qui sont pharmaciens, et : « Ah oui, tiens, pourquoi pas lopéra ? ». Et moi, je recrute dans le bus. Je passe pas mal de temps dans le bus, et javoue que même comme ça, je dis que lopéra, cest sympa,
En fait, cest la communication qui fait tout. Cest parler et faire parler qui fait que les gens viennent.
(extrait de lentretien Nice)
Chapitre 3Une démocratisation en chambre ?
Notre hypothèse -un pari ?- du réinvestissement de la notion de démocratisation par un champ dacceptions élargi, contient une réflexion épistémologique, au-delà des résultats qui viennent dêtre exposés, lesquels confortent lhypothèse proposée.
La démocratisation a ses limites que la raison ne connaît pas. Par le raisonnement, nous avons proposé de reculer les barrières dacception de la notion. Diverses motivations peuvent être avancées : obtenir une meilleure analyse des résultats denquêtes de fréquentation au niveau dun équipement culturel, dresser un bilan de politique culturelle générale plus optimiste que ceux qui existent actuellement
Mais jusquoù peut-on aller dans lélargissement de la notion ? Nous nous sommes arrêté à un point quil nous semble à la fois raisonnable, crédible et efficace (section 1. Un voyage au cur de la galaxie démocratisation).
Nous avons privilégié cette exploration. Nous aurions pu explorer dautres pistes, comme celle des moyens à utiliser (Comment démocratiser ?). Sont-ce des pistes productives ? Couplée à la réflexion, nos recherches de terrain ont confirmé notre parti pris -et notre prise de risques- par des résultats défendables (section 2. Lart lyrique se démocratise).
Enfin, nous sommes persuadé que la poursuite des réflexions passe par :
1° une grande importance accordée au terrain denquête, à un niveau local danalyse ;
2° une ouverture de la problématique sur les liens qui unissent lart lyrique à ses publics, au-delà de la question de la démocratisation culturelle ;
3° une attention particulière à la politique actuelle de décentralisation lyrique, qui amènent les maisons dopéras en régions à se rapprocher de ses publics, pour mieux les connaître, mieux les servir, et continuer à les faire rêver (section 3. A lécoute du terrain).
Section 1. Un voyage au cur de la galaxie démocratisation
1. Voyage au centre de la terre
Nous avons privilégié une démarche comparable à celle utilisée en physique nucléaire, en choisissant un niveau danalyse local (un établissement lyrique) plutôt quune échelle plus grande (la pratique art lyrique, ou lensemble des pratiques culturelles). Il sagit de récolter des données au sein dune maison dopéras, de privilégier ainsi le particulier à lagrégation de résultats. Aller vers linfiniment petit, tels les atomes et les molécules. (voir deuxième partie, chapitre premier. Au cur de la matière).
Nous pourrions également, pour reprendre le titre dun roman de Jules Vernes, parler de « voyage au centre de la terre » -en plus de 80 jours bien sûr. Rentrer dans les profondeurs dune notion (la démocratisation), en disséquer son histoire particulière en France, comprendre ses acceptions, être confronté aux bilans de politique culturelle. Ensuite proposer de se réapproprier la notion, pour in fine répondre à la question : « Lopéra se démocratise-t-il ?»
2. Une histoire avec fin
Pour ce faire, notre proposition consiste à élargir le champs dacceptions du mot, dans des limites quils nous semblent raisonnables. Il ne sagissait pas de se lancer dans une « histoire sans fin », comme peut lêtre aussi la recherche en physique nucléaire (vers linfiniment petit), mais de déplacer les barrières dacception de la démocratisation culturelle un peu plus loin, en saidant dune palette élargie de critères sociaux discriminants. Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend divers phénomènes dévolutions basés sur des critères sociaux (âge, lieu de résidence,
), en plus du critère « CSP » qui définit le sens « classique », « étroit », de la notion.
Raisonnable, cette démarche sappuie sur des critères defficacité et de crédibilité. En effet, en passant par la constitution dune grille danalyse propre (voir schéma 1. Grille danalyse théorique servant létude
), on aboutit, dans la confrontation au terrain, à des résultats apportant des réponses aux trois questions qui motivent nos recherches :
1° Le public de lopéra évolue-t-il ? ;
2° Si oui, comment ? ;
3° Peut-on parler, au regard de ces évolutions, de démocratisation ?
Nous allons détailler ces réponses dans la deuxième section de ce chapitre (Lart lyrique se démocratise), mais avant cela, un dernier paragraphe, accompagné dun schéma, nous permet maintenant de visualiser la forme de la galaxie démocratisation, qui est notre proposition de réinvestissement de la notion.
3. La galaxie démocratisation
« Je considère la galaxie comme une constellations dévénements, comme une mosaïque de perceptions et d observations données ».
Ainsi parlait un spécialiste canadien des sciences de linformation et de la communication, Marshal MacLuhan, à propos des phénomènes qui caractérisent lhistoire de la communication, des matériaux (culture orale, culture scribale) aux médiations techniques à luvre dans ce domaine (notamment limprimerie typographique et les nouvelles technologies).
La comparaison à une « galaxie » se justifie, selon lauteur, par la multitude (constellation) de phénomènes qui se sont succédé, qui existent et interagissent ensemble. Au final, tous ces « événements », « perceptions », « observations » constituent un « tout » qui apporte une explication à la communication des débuts à nos jours.
Nous avons repris à notre compte cette « analogie céleste », car elle sapplique, dans le même esprit, à notre nouvelle conception de la « démocratisation culturelle ».
En effet, notre définition recouvre divers phénomènes évolutifs (voir deuxième partie, section 2. Des phénomènes évolutifs locaux) obtenus à partir de critères sociaux discriminants (âge, lieu de résidence,
). Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend dailleurs le phénomène de démocratisation au sens « classique », « étroit » de la notion, basé sur le rattachement des publics à leur catégorie socio-professionnelle (CSP) de référence.
Le schéma proposé est ouvert. Dautres phénomènes évolutifs relèvent également de la démocratisation, pour autant quils correspondent, conformément à notre hypothèse de travail, à une plus grande pratique de lopéra par des primo-arrivants dune catégorie homogène de publics, cest-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), parallèlement à un accroissement de la fréquentation.
Schéma 3. La galaxie démocratisation
Notre acception de la démocratisation culturelle recouvre divers phénomènes évolutifs obtenus à partir de critères sociaux discriminants (âge, lieu de résidence,
). Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend dailleurs le phénomène de démocratisation au sens « classique », « étroit » de la notion, basé sur le rattachement des publics à leur catégorie socio-professionnelle (CSP) de référence.
Le schéma proposé est ouvert à dautres phénomènes évolutifs qui relèvent également de la démocratisation (« autre critère ? »), pour autant quils correspondent, conformément à notre hypothèse de travail, à une plus grande pratique de lopéra par des primo-arrivants dune catégorie homogène de publics, cest-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), parallèlement à un accroissement de la fréquentation.
RAJEUNISSEMENT VIEILLISSEMENT
ANCRAGE LOCAL âge ? APPROPRIATION PAR LES INACTIFS
résidence ? activité ?
ELARGISSEMENT GEOGRAPHIQUE APPROPRIATION PAR LES ACTIFS
DEMOCRATISATION
FEMINISATION
autre critère ? genre ?
(situation familiale
) MASCULINISATION
CSP ?
DEMOCRATISATION (ou absence de)
AU SENS CLASSIQUE, ETROIT
Section 2. Lart lyrique se démocratise
Pour caractériser notre méthode de recherche, il nous faut parler de deux étapes, alliant théorie et pratique :
1° la construction dun outil méthodologique inédit, propre à nos réflexions (1.Une notion à la loupe);
2° lapplication de cet outil aux données rassemblées par nos entretiens au sein des quatre maisons dopéras sélectionnées dans notre échantillon (2. Le terrain de lart lyrique).
Au final, on peut parler dune certaine démocratisation -telle que nous lentendons- dans la pratique culturelle « art lyrique » (3. Une démocratisation en marche).
1. Une notion à la loupe
Dans lexploration au cur de la notion de « démocratisation culturelle », notre construction théorique est partie dun manque : la difficulté de parler de démocratisation de lart lyrique, alors que les publics des opéras étaient traversés par de profondes évolutions (rajeunissement, féminisation,
). Ou encore lincapacité de certaines enquêtes à mettre au jour les évolutions actuelles dans la fréquentation de lart lyrique (voir deuxième partie).
Répertorier ces évolutions, que nous avons appelées phénomènes évolutifs locaux, et prendre le parti de les faire correspondre à de la démocratisation, de sorte que la démocratisation se retrouve in fine composée de plusieurs évolutions possibles (élargissement géographique, appropriation par les inactifs
), autant de facettes quelle laisse voir, autant détoiles qui compose sa galaxie, autant de (sous-) objectifs ciblés
Pour rappel, cette démarche qui consiste à éclater une notion unique en plusieurs sous-phénomènes composites sappuie sur la forme dun travail émanant du ministère de la culture, bien que sur le fond, la logique est opposée.
Le travail que nous venons de mentionner est également intéressant pour une seconde raison : il propose un « discours sur ce qui est dit » à propos de la démocratisation culturelle ; un méta-discours. Cest ce débat que nous avons voulu approfondir (Quentend-on par démocratisation ? Que recouvre cette notion ?) plutôt quun discours que lon retrouve inévitablement dans toute étude sur la démocratisation : celui des moyens à mettre en uvre pour (tenter de) démocratiser.
A ce sujet, une multitude de « solutions » sont avancées, autant de recettes à appliquer. Mais les solutions sont-elles universelles ? Chaque maison dopéra nest-elle pas particulière dans son histoire, ses publics et les moyens dont elle dispose ? Les contextes différenciés tiennent ici un rôle majeur, mettant un coup darrêt à la tentative de donner des leçons de démocratisation.
2. Le terrain de lart lyrique
Armé de notre construction méthodologique, ou « cadre interprétatif » pour reprendre lexpression de Sylvie Octobre (voir schéma 1. Grille danalyse théorique servant
), nous avons utilisé les divers phénomènes évolutifs locaux comme indicateurs pour notre grille dentretiens. Volontairement, le niveau danalyse local a été privilégié, les entretiens ayant été menés auprès détablissements lyriques.
Il sagit de dépasser la seule réflexion théorique, pour aller sur le terrain, là où les évolutions se passent, où des données sont à récolter, où lobservation et le questionnement trouvent leur matière première. Loin de rester au niveau du (méta-) discours. La confrontation au terrain ici celui de lart lyrique au sein de maisons dopéras- est essentielle à nos yeux. Pas de démocratisation en chambre, mais lexpérience du terrain !
Nous avons intégré cette grille danalyse dans deux thèmes de notre grille dentretien (voir annexe 1):
les enjeux, en terme dévolutions possibles de la fréquentation, des actions menées en direction des publics ;
la situation et les évolutions, passées, récentes et souhaitées, des publics au sein de lOpéra concerné.
Les phénomènes évolutifs qui apparaissent sur notre grille danalyse ont joué le rôle dindicateurs, relevés ou proposés. Mais nous étions attentif à toute autre évolution à luvre au sein de létablissement lyrique.
3. Une démocratisation en marche
Forte dun modèle théorique, lapplication au terrain a livré des données que nous avons exposées tout au long de cette présentation. Couplées aux statistiques existantes sur les publics de lart lyrique en France, lensemble nous permet maintenant de revenir, de façon synthétique, sur le cheminement intellectuel qui sous-tend nos recherches, en apportant des éléments de réponse.
Le public de lopéra évolue-t-il ?
Oui.
Contrairement aux idées reçues et à limage dun public figé.
Les enquêtes quantitatives de fréquentation ont remplacé les représentations mentales, non-fondées scientifiquement (voir première partie, section 2. Publics : vers une connaissance scientifique). Partiellement comparables dans leurs résultats, ces enquêtes ont récemment fait leur apparition sur la scène lyrique française. De plus, des données existent à différents niveaux danalyse :
local : Marseille (1990), Paris (1999), Avignon (2000), Nancy (2000), Toulouse (2000) ;
national, pratique « art lyrique » : enquête CPDO (2000), enquête RTLF (2001) ;
national, ensemble des pratiques culturelles : Donnat/DEP (1973, 1981, 1989, 1997)
Ces enquêtes mettent au jour des évolutions qui ont traversé ces dernières années les publics de lart lyrique. Publics ? Au pluriel ? Assurément. Loin de se cantonner à une certaine catégorie de public (ou Public ?) les plus fidèles, les abonnés
- ces enquêtes prennent en compte lensemble des personnes qui passent par la billetterie des équipements lyriques. Ce qui recouvre des catégories différenciées de spectateurs. Plus, au sein dun même « pratiquant », les habitudes de sorties lyriques évoluent dans le temps (voir première partie, chapitre 2. Pratiquants : du Public au publics).
Reste à détailler ce que recouvre ce constat dévolution(s) dans les publics de lart lyrique.
Si oui, comment ?
Pour livrer des résultats relevant des réseaux lyriques (RTLF, CPDO), trois phénomènes évolutifs sont à retenir (voir deuxième partie, chapitre premier. Au cur de la matière) :
le rajeunissement des publics (de 18 ans en lespace de 20 ans);
sa féminisation (près de 60% de femmes) ;
lappropriation par les inactifs (entre 30 et 40%, dont 1/3 détudiants).
Ensuite, à une échelle danalyse plus réduite celle dun équipement lyrique- des phénomènes évolutifs locaux apparaissent, quils aient été constatés dans le passé, quils soient en cours, ou quils soient espérés par les établissements lyriques :
accroissement de la fréquentation ;
présence de primo-arrivants ;
fidélisation ;
retour des actifs ;
élargissement géographique ou a contrario ancrage local (comme à Paris).
La différence dapparition dans le temps de ces évolutions certaines sont espérées- permettent de dresser des situations différenciées entre les établissements lyriques (voir tableau 12. La fréquentation des équipements lyriques : à une niveau local danalyse, des situations et préoccupations différenciées).
Peut-on parler, au regard de ces évolutions, de démocratisation ?
Nous le proposons. Au sens que notre construction théorique le défend, et telle quelle a été vérifiée par les affirmations recueillies au cours de nos entretiens (voir supra, chapitre 2. Evolutions ou démocratisation ?).
Notre « tentative de réinvestissement » propose, dans lanalyse de résultats denquête de fréquentation menées auprès déquipements culturels (ici lyriques), de constater une « démocratisation » dès lors que, parallèlement à une hausse de la fréquentation, une plus grande pratique de lopéra par des primo-arrivants dune catégorie homogène de publics, cest-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), est constatée.
La liste des caractéristiques sociales entrant en ligne de compte nest pas a priori limitée, du moins pas uniquement au critère « CSP de référence ». Ce qui constitue une motivation essentielle de notre démarche, face au constat répété de labsence de démocratisation de lart lyrique, alors que de profondes évolutions traversent la composition des publics de cette pratique culturelle.
Dans lensemble de cette démarche, cest le terrain qui a parlé, celui des équipements lyriques fréquentés, et des données recueillies. Et cest notamment vers une raison pratique -une meilleure analyse des résultats denquêtes de fréquentation- que notre proposition est orientée. Pour de nouveaux développements, pour explorer de nouvelles pistes de réflexion, pour aller plus loin dans la logique dune connaissance efficace et crédible, nous sommes persuadé que cest encore et toujours le terrain que nous devrons écouter.
Section 3. A lécoute du terrain
En guise de conclusion, nous reprenons ici quelques recommandations qui nous apparaissent comme essentielles pour approfondir ces présentes recherches, et les insérer dans un champ plus large dinvestigations.
1. Continuer à privilégier une échelle danalyse locale
Nous avons constaté facilement la faible aide des enquêtes nationales regroupant lensemble des pratiques culturelles. A léchelle de la seule pratique « art lyrique », certaines évolutions commençaient à se dégager. Plus, au niveau dune maison dopéras, les évolutions -des phénomènes évolutifs locaux- sont constatés aisément (voir 2e partie, chapitre premier. Au cur de la matière).
Tellement aisément, quau final, des différences dévolutions et de situations fondamentales apparaissent entre les théâtres lyriques. Devant ce constat, il faut donner tout son sens au contexte dans lequel est inséré chaque institution lyrique :
« Il reste à se demander quels pourraient être les grands chantiers que les sciences sociales sont aujourdhui à même de mettre à jour à propos des offres et des pratiques lyriques. On ne peut quappeler de nos vux le développement détudes sociographiques portant sur les théâtres lyriques en activité, en faisant une fois pour toutes le constat de la stérilité détudes nationales qui confondent, à partir de catégories problématiques, des pratiques réalisées en des contextes culturels très variables. Complétées et enrichies par lobservation des interactions qui construisent lhistoire de chaque scène lyrique, de telles études sont de nature à révéler le jeu social et culturel qui est à leur principe. »
Attacher de limportance à « lhistoire de chaque scène lyrique », qui sont insérées dans des « contextes culturels très variables », exige de dépasser les propos contenus dans des livres tels que « Hauts lieux musicaux dEurope », mentionnant, pour un lieu choisi, les grands noms qui y sont attachés (les directeurs, les artistes célèbres
), les événements (incendies, reconstruction
) ou encore les spécificités techniques de la salle (plans à lappui).
Ainsi, pour lOpéra de Marseille, tout reste à faire :
« Sil nest pas possible de se référer à une histoire sociale de lOpéra de Marseille, cest parce que lhistoire institutionnelle -qui est à lhistoire événementielle ce que lhistoire culturelle est à lhistoire sociale- a absorbé lessentiel des efforts danalyse [
] Pour les sciences sociales, lhistoire des théâtres lyriques ne peut que passer par lanalyse comparée de leur existence culturelle [
] »
2. Aller au-delà de la démocratisation : la revalorisation du spectateur
Nous avons pris le parti dapprofondir la notion de démocratisation culturelle, avec lart lyrique comme un terrain hautement intéressant dans cette démarche. Nous sommes arrivé à des résultats pratiques qui concernent lanalyse de groupes de publics, dont les flux servent de données.
Comme pour lanalyse des lieux lyriques, toujours avec cette volonté daller au plus près, au plus local, au plus précis et particulier, le spectateur, au singulier, mérite de lattention de la part des sciences sociales. Inscrit dans une démarche individuelle, le spectateur qui assiste à un événement lyrique le fait avec son passé, son histoire, ses aspirations et son humeur. En renouvelant lexpérience, sa carrière de spectateur senrichit ou en tout cas évolue.
Nous rejoignons ici aussi une proposition du sociologue de la culture précédemment cité :
« Enfin, dans le contexte actuel qui voit se délier les relations entre arts savants et positons sociales dominantes, il convient dobserver de près lévolution, dans les décennies qui viennent, de la place, du rôle et du statut accordés aux scènes lyriques. Dans une telle perspective, il serait un peu court de ne sintéresser quaux mouvements de « démocratisation » qui affectent la fréquentation des salles lyriques. Il sagit moins de se demander qui fréquentent ces salles que de comprendre comment se tissent des liens culturels entre une offre, exotique à bien des égards, et des spectateurs ordinaires peu préparés à une telle confrontation. »
3. Suivre la politique culturelle consacrée à lart lyrique
Nous ne saurions mener à bien ces recherches sans être très attentif à la politique culturelle déployée pour le secteur de lart lyrique, aux niveaux locaux, régionaux et national. Ces politiques conditionnent non seulement lexistence des institutions lyriques, mais aussi leur politiques internes, notamment envers les publics.
A léchelle dune ville, le directeur de létablissement lyrique tient compte des orientations voulues par la collectivité locale qui est le principal financeur de linstitution. Marseille veut travailler avec les hôpitaux, Nice veut « attaquer » les étudiants, Lyon souhaite faire profiter les habitants des quartiers proches de son Opéra
Au niveaux régional et national, la phase de décentralisation lyrique (voir première partie, section 3. Politique : la décentralisation lyrique) réunit lEtat, les régions, les départements et les villes autour de la définition dun opéra labellisé « national » en région. Si possible un par région (Lyon pour la région Rhône-Alpes, Montpellier pour la région Languedoc-Roussillon, Bordeaux pour la région Aquitaine). En région Alsace, trois pôles ont été regroupés : Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Cest cette formule qui sera retenue en Lorraine, pour le futur opéra « national » alliant les forces vives lyriques de Metz et Nancy.
Mais dans la majorité des régions, le choix nest pas encore fixé, comme en Provence-Alpes-Côte dAzur (PACA). Une région où coexistent quatre établissements lyriques (Avignon, Marseille, Nice et Toulon), en plus des deux festivals estivaux denvergure internationale : le Festival lyrique dAix-en-Provence et les Chorégies dOrange.
Plus quun engagement financier plus conséquent de la part de lEtat et des collectivités locales autres que la ville, un opéra « national », cest avant tout un cahier des charges, avec des recommandations de politique culturelle. Dont des incidences sur la politique à mener envers les publics. De là proviennent également les mutations auxquelles sont confrontées les institutions lyriques dans leurs relations entre lart lyrique et ses publics.
Epilogue
« L
exigence de la diversité. Raymond Duffaut, conseiller artistique de lOpéra-Théâtre dAvignon, vient de fêter ses 30 ans à la tête de la maison. Il sest gentiment prêter au jeu des questions/reponses, à laube dune saison riche en creations diverses.
Le Dauphiné libéré : LOpéra semble bénéficier depuis quelques années dun rajeunissement du public. A quoi attribuez-vous ce phénomène ?
Raymond Duffaut : « Dans le domaine lyrique, le rajeunissement est important. Depuis les vingt dernières années, le genre a bien changé, notamment du point de vue esthétique, de la mise en lumière, de la mise en scène -depuis que Chereau sest mêlé du genre- mais surtout les artistes sont devenus crédibles, physiquement en cohérence avec leur rôle. Par ailleurs, nous menons une forte politique dinitiation. Invitation du public aux répétitions générales, des modules de 20 jeunes scolarisés, un travail dinsertion auprès dun public qui peut assister à la totalité de la création et des répétitions. Cest un travail fondamental. »
Le Dauphiné libéré : Vous parlez volontiers dun programme pluriel : opéra, mais aussi opérette, danse, concerts et théâtre. Cest important pour vous cette diversité ?
Raymond Duffaut : « [
] Le fait quun nouveau public passe la porte de lOpéra-Théâtre pour du théâtre ou tout autre spectacle, ça permet de casser limage intimidante de lOpéra. » [
]
La Dauphiné libéré : Comment doser les risques dune programmation de qualité, sans faire fuir les amateurs moins éclairés ?
Raymond Duffaut : « La fréquentation augmente : avec près de 100.000 spectateurs, plus que le nombre dhabitants de cette ville [
].
Nous avions entamé ce voyage par une coupure de presse, sur les évolutions qui ont traversé la fréquentation de lOpéra national de Paris sous le mandat directorial de Hugues Gall (1995-2004). Cest avec un autre article, issu du même quotidien régional à large diffusion que nous souhaitons laisser notre plume se reposer, du moins provisoirement, avant de nouvelles investigations de terrain sur les relations entre lart lyrique et ses publics. Loccasion de revenir, en forme de bilan provisoire, et en sept points, sur les acquis de la présente recherche.
Les publics de lart lyrique ont subi ces vingt dernières années un triangle dévolutions
Rajeunissement (18 ans en lespace de 20 ans), féminisation (plus de 60% de femmes) et appropriation par les inactifs (entre 30 et 40% des spectateurs, dont 1/3 détudiants) sont les trois évolutions majeures constatées par des enquêtes de fréquentation menées auprès des réseaux déquipements lyriques français.
Enquêtes : des résultats comparables
Ces enquêtes, récentes, offrent lavantage de la comparabilité dans leurs données brutes. Ainsi, en comparant leurs résultats avec dautres enquêtes de fréquentation, menées auprès détablissements lyriques particuliers (Avignon, Marseille, Nancy, Paris, Toulouse), deux situations voient le jour :
soit les évolutions font écho à celles constatées dans toute la France (ainsi le rajeunissement, la féminisation et lappropriation par les inactifs se retrouvent, dans les mêmes proportions, au sein du seul établissement de lOpéra de Paris)
soit les évolutions sont différentes selon les maisons dopéras (par exemple lorigine géographique des spectateurs)
Fréquentation : des phénomènes évolutifs locaux
A léchelle danalyse locale, cest-à-dire celle dun équipement lyrique particulier, les changements dans lévolution de la fréquentation sont rapides et diversifiés. Construits à partir de critères sociaux discriminants, ces phénomènes évolutifs locaux (voir schéma 1. p. 90) se nomment :
rajeunissement vs vieillissement (âge)
féminisation vs masculinisation (genre)
appropriation par les inactifs vs appropriation par les actifs (activité professionnelle)
ancrage local vs élargissement géographique (résidence)
Opéras : des situations et préoccupations différenciées
Repérés au sein de plusieurs équipements lyriques (comme Strasbourg, Lyon, Marseille et Nice pour notre sélection), les phénomènes évolutifs locaux se retrouvent à divers moments dans lévolution des publics des maisons dopéras. Ce sont des objectifs :
résolus ;
ou/et en cours de réalisation ;
ou/et qui restent à accomplir.
De même que chaque salle lyrique sinscrit dans un contexte historique et social qui lui est propre, chacune dentre-elles connaît une situation et des préoccupations différenciées quant à lévolution de ses publics. Repris sous la forme dun tableau comparatif (voir schéma 2. p.95), les phénomènes évolutifs locaux permettent de dresser une cartographie des évolutions différenciées affectant les maisons dopéras quant à leur fréquentation.
Publics : des groupes homogènes
« Le » public dune institution culturelle entendez lensemble des personnes qui la fréquentent- se divise en autant de sous-groupes quil existe de critères sociaux pouvant les discriminer : les 26 ans, les hommes, les couples mariés, ceux qui habitent à plus de 10 km, les spectateurs qui amènent leurs enfants avec eux
Autant de groupes homogènes de publics, cest-à-dire caractérisés par une ou des caractéristique(s) sociale(s) identique(s).
En termes dévolution de la fréquentation, ce sont précisément les flux de ces divers groupes homogènes qui sont à la base des phénomènes évolutifs locaux. Ainsi, lorsque le groupe « femmes » assiste de plus en plus que le groupe « hommes » aux représentations lyriques, on parle de féminisation.
La démocratisation culturelle comme une plus grande pratique de lart lyrique par des primo-arrivants dun groupe homogène de publics, parallèlement à un accroissement de la fréquentation.
Revenons à lexemple de la féminisation. Nous avons vu que cest une évolution qui affecte les publics de lart lyrique. Si plus de femmes fréquentent les maisons dopéras, alors quelles ne le faisaient pas avant, nest-ce pas en quelque sorte de la démocratisation entendu comme lobjectif de « rendre accessible au plus grand nombre possible
lart lyrique » ? Nous le proposons, pour autant que la pratique culturelle connaisse effectivement, au niveau de sa fréquentation globale, un accroissement du nombre de ses « pratiquants ». Après un premier objectif de quantité à vérifier (nombre de visiteurs ou de spectateurs), il sagit de sintéresser à la qualité de ces primo-arrivants. Si un groupe homogène de publics monte en force, cela signifie que, dune certaine manière, la pratique culturelle lui est plus accessible.
Au final, lensemble des phénomènes évolutifs locaux sont autant de phénomènes de démocratisation, autant détoiles qui composent la galaxie démocratisation (voir schéma 3. p.137).
Pour avoir repéré, au sein des équipements lyriques choisis pour notre enquête bon nombre de phénomènes évolutifs locaux, nous pouvons affirmer que lart lyrique sest démocratisé et se démocratise encore.
Maintenant, dans le discours danalyse des résultats denquêtes de fréquentation, formulons le vux de ne plus avoir peur dutiliser le mot « démocratisation » dans lacception, large, que nous proposons. Ainsi, si nous nous étions permis de changer le titre de lentretien journalistique qui ouvre lépilogue, nous aurions certainement titré, à la place de « Lexigence de la diversité » : « Une démocratisation en marche ».
En effet, les passages de larticle que nous avons relevés nous indiquent que :
1° la fréquentation augmente (objectif quantitatif) ;
2° de nouveaux spectateurs franchissent les portes de lOpéra (primo-arrivants) ;
3° ceux-ci font baisser la moyenne dage (rajeunissement).
Pour nous, il sagit bien dun phénomène évolutif qui rempli les conditions précédemment citées pour pouvoir ressortir de la démocratisation culturelle.
Art lyrique : de multiples obstacles
Sur le terrain de laction, démocratiser lart lyrique demande de supprimer tous les obstacles qui empêchent la pratique lyrique. Inutiles de recenser ceux-ci de manière exhaustive.
Nos entretiens nous ont alerté sur une situation particulière. Certains obstacles font lobjet de toute lattention de la part des « services des publics » des salles lyriques : les obstacles que rencontrent les personnes reconnues comme « handicapées » par la société. Ainsi, trois handicapés moteurs peuvent passer par le monte-charges de lOpéra de Nice, un système damplification sonore a fait son apparition à lOpéra de Lyon, les sourds bénéficient dactions particulières à Strasbourg, tandis quune rampe daccès à plan incliné a été posée à Avignon.
Mais à côté de ces handicaps, que nous avons qualifiés de socio-classiques, subsistent une multitude dautres obstacles, que lévocation dune sortie lyrique active : manque de connaissances musicales, manque dargent, manque de temps
Dans une volonté dun meilleur accès pour tous à la pratique lyrique, ces handicaps socio-latents sont autant dobstacles à faire sauter, pour lesquels des actions peuvent être menées. Ces handicaps sont des données à prendre en compte demblée pour la question du renouvellement des publics. Dautant quils concernent la majorité dentre-nous : ceux qui ne sont pas déclarés (ou reconnus) comme « handicapés » par la société.
Enfin, parmi ces handicaps socio-latents, le manque de temps en dehors de celui consacré au travail semble être devenu lobstacle majeur à la fréquentation lyrique, fréquentation composée de 30 à 40 % dinactifs, professionnellement parlant.
Faire revenir à lOpéra les personnes au faible capital de temps disponible en dehors du travail constitue le défi actuel auquel sont confrontées les institutions lyriques. La distorsion de pratique lyrique entre groupes homogènes de publics ne se fonde plus principalement sur la catégorie socioprofessionnelle de rattachement, définie par le diptyque capital économique (niveau de revenus) + capital intellectuel (niveau de diplôme).
Naguère, « démocratiser lart lyrique » signifiait faire venir les catégories de publics aux faibles niveaux de revenus et de diplômes (les publics des CSP peu élevées).
Maintenant, il faut faire revenir à lOpéra les groupes homogènes de publics au faible capital de temps que leur laisse leur travail. Et cela aussi, cest un grand défi
de démocratisation.
Bibliographie
Ouvrages
De la méthodologie
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Des disciplines
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Autres
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LUHAN (Marshal Mac), La Galaxie Gutenberg : la genèse de lhomme typographique / traduit de langlais par Jean Paré, Montréal, HMH, 1967, 427 p.
MUXET (Anne), Les étudiants de Sciences Po : leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques, Paris, Editions de Sciences Po, 2004
Documents inédits
BAUCHE (Anne-Charlotte), Opéra-Bastille, opéra populaire ? ou la tentative de démocratisation de lart lyrique, 107 p. Mém. DESS : Pol. cult. : IEP Grenoble, 1990
GIARDINI (Brice), Culture lyrique et jeune public : « lexpérience marseillaise », 141 p. Mém. DESS : Stratégies du développement culturel : Avignon : 2002
STAGNARO François, Quels publics pour lopéra ? Une réflexion illustrée par un stage à lOpéra national de Lyon, 89 p. Mém. DESS : Université de Bourgogne : 1999
Liste des tableaux et schémas
Tableau 1. Financement de lEtat (ministère de la culture) selon les pratiques culturelles--------------------------------------------------------------------------------- p.42
Tableau 2. Subventions de lEtat accordées aux théâtres lyriques de la Réunion des Théâtres lyriques de France------------------------------------------------------------- p.48
Tableau 3. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours des 12 derniers mois (en %)
----------------------------------------------------------------------------- p.62
Tableau 4. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours de la vie (en %)
--------------------------------------------------------------------------------------- p.63
Tableau 5. Opéras, théâtres nationaux et compagnies chorégraphiques labellisées : nombre de spectacles, nombre de représentations, nombre de spectateurs--------- p.64
Tableau 6. Publics dopéras : âge moyen---------------------------------------------- p.66
Tableau 7. Publics dopéras : proportion de femmes--------------------------------- p.67
Tableau 8. Publics dopéras : proportion dinactifs------------------------------------ p.68
Tableau 9. Rajeunissement, féminisation et appropriation par les inactifs dans les institutions lyriques françaises---------------------------------------------------------- p.70
Tableau 10. Origine géographique des spectateurs dopéras : Paris, Nancy, Toulouse, Avignon--------------------------------------------------------------------------------- p.70-71
Tableau 11. Les catégories socio-professionnelles (CSP) telles que définies par lINSEE depuis 1982---------------------------------------------------------------------------- p.118
Schéma 1. Grille danalyse théorique servant létude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels--------------------------------------------- p. 90
Schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau danalyse local, des situations et préoccupations différenciées-------------------------------------------- p.99
Schéma 3. La galaxie démocratisation---------------------------------------------- p.137
Annexes
Annexe 1 : Entretiens avec des Responsables de services des publics au sein dopéras - grille dentretien----------------------------------------------------------- p. 159
Annexe 2 : Entretien avec M. Hervé Petit, responsable du service « Jeune public » de lOpéra du Rhin --------------------------------------------------------------------- p. 162
Annexe 3 : Entretien avec MM. Laurent Vieille et Pierre-Henri Alquier, co-responsables du service « Relation avec le public » de lOpéra de Lyon------------- p. 169
Annexe 4 : Entretien avec M. Guillaume Schmitt, responsable du service « Action culturelle et sociale » de lOpéra de Marseille------------------------------------------ p. 177
Annexe 5 : Entretien avec Mme Anne Jouy-Pignard, responsable du service « Animation culturelle et sociale » de lOpéra de Nice--------------------------------- p. 182
ANNEXE 1 : Entretiens avec des Responsables de services des publics au sein dopéras - grille dentretien
[re] = relance
Consigne initiale
« LOpéra de
[préciser] dispose dun service
[dénomination précise], dont vous êtes le responsable. Le service met en place différentes actions avec différents publics de lOpéra de
Pouvez-vous, brièvement, citez ces différentes actions ?
[prendre note, quelques mots par action]
[Pour la rapidité du tour dhorizon, prévoir des relances du type :]
[re] Donc une première action qui consiste à
[préciser]
[re] Et ensuite ?
Les enjeux de lactionhypothèse 1
Quel est le but de ces actions ? [reprendre une par une si nécessaire]
[re] : accroître la fréquentation de lOpéra de
?
[re] : fidéliser les publics en place ?
[re] : accueillir, pour une première fois, de nouveaux spectateurs ?
[re] : fidéliser ces nouveaux publics ?
[re] : faire venir de nouvelles catégories ? par rapport à lâge, le genre, le lieu de résidence, lactivité ou la non-activité professionnelle, la situation familiale ?
[re] : faire en sorte que des catégories sociales moins représentées soient plus présentes ?
Les publics de cette institution lyrique
situation(1) - évolutions passées(2) - évolutions récentes(3) - défis futurs (4)hypothèse 1
(1) Que peut-on dire de la composition actuelle du public de lOpéra de
?
[composition du public, non ses goûts, habitudes, comportements]
[orienter la discussion vers des catégories sociales, non par ex. sur le fait quil y ait x% dabonnés)
(2) Le public daujourdhui est-il différent de celui davant ?
[rester dans les catégories sociales, non par ex. sur le fait quil soit plus informé, plus bruyant,
]
(3) LOpéra de
mesure-t-il lévolution de ses publics ?
[si OUI] Depuis quand ? Comment ? Avez-vous connaissance de résultats récents ?
[si NON] Selon vous, peut-on observer des changements récents (dans la composition du public) ?
[re] : de nouvelles catégories de public ont-elles fait leur apparition / se sont renforcées ?
[Ces changements sont-ils liés au statut de « national » accordé à lOpéra de
[Lyon et Rhin] ?
(4) LOpéra de
est-il satisfait de la composition de son public actuel ?
[à nouveau, parler de la composition du public, non par ex. du taux de fréquentation]
[re] : Au-delà des actions que vous menez actuellement, quels sont les prochains défis ?
[re] : Sur quelle(s) catégorie(s) doit-on concentrer les efforts ?
[re] : Quelles actions ciblées seraient les bienvenues ?
[re] : Quel(s) type(s) de publics devraient-on inviter à découvrir lopéra ?
La notion de démocratisationhypothèse 2
[à la suite de lévocation par linterviewé dun phénomène dévolution du public]
Peut-on parler de « démocratisation » pour lévolution que vous venez de mentionner ?
[re] : Pour vous, quels objectifs peut-on mettre derrière lexpression «démocratisation culturelle» ?
Peut-on parler de démocratisation quand on observe un accroissement des entrées, par le fait que de nouvelles personnes franchissent pour la première fois les portes de lOpéra?
[re] : Si cest « oui, mais pas nimporte quelles personnes », demandez de précisez leurs caractéristiques sociales (PCS ? revenus ? diplôme ? âge ? genre ? résidence ? activité ? situation familiale ?)
Hypothèse1
indicateurs
Au-delà du constat de non-démocratisation, effectué au niveau national par la fréquentation de lensemble des équipements culturels de toutes les disciplines, la question de la situation et de lévolution, passée et future, de la composition des publics au sein dun équipement culturel rend compte dune multitude de phénomènes.
Le bilan national français de la politique de démocratisation de la culture, portant sur un ensemble de pratiques culturelles lissées pour les besoins de la statistique, met au jour une inégalité dans le recrutement social des pratiquants.
Les résultats font apparaître une non-évolution de la composition sociale des pratiquants de la culture, alors quune classe stagnante de non-public, socialement typée, ne fréquentent pas les équipements culturels.
Par composition sociale, on retient ici une trilogie de critères : PCS - niveau détudes niveau de revenus. Renvoyée à ces trois critères, la démocratisation culturelle prend un sens étroit.
A plus petite échelle, au niveau dune pratique culturelle, lanalyse est plus fine.
Les résultats dune enquête nationale au sein dune pratique culturelle lart lyrique montre que parler de démocratisation dans le sens étroit évoqué plus haut ne permet pas de rendre compte de lensemble des évolutions à luvre quant aux publics de lopéra.
Une multitude de phénomènes sont observables :
laccroissement de la fréquentation
lintensification par les publics en place
la présence de primo-arrivants / le renouvellement du public
la fidélisation des primo-arrivants
Certaines évolutions renvoient à des critères sociaux mesurables, autres que la trilogie, tels que :
lâge : rajeunissement vs vieillissement
le genre : féminisation vs masculinisation
linactivité professionnelle : appropriation par les inactifs (retraités / étudiants / chômeurs)
Dautres résultats et réflexions montrent que la liste est ouverte, et donc à compléter :
la situation familiale : appropriation par les célibataires / les couples
le lieu de résidence : ancrage local (voire hyper-local), ouverture au public international
Et si justement, en passant à une échelle encore plus réduite, à savoir au niveau dune institution lyrique, ces phénomènes, ou dautres, apparaîtraient plus clairement. Quils cesseraient dêtre non-observés, marginaux, car fondus, à une échelle danalyse plus grande, dans des enquêtes globalisantes ? Deux raisons le laissent penser.
Premièrement, la taille plus réduite de la population de base servant aux enquêtes locales permet, comme on la vu en se déplaçant du niveau des pratiques au niveau dune pratique, que certaines évolutions dans la composition des publics soient plus apparentes.
Deuxièmement, chaque maison dopéra ayant une histoire culturelle particulière, on pourrait supposer quelle mobilise des publics bien particuliers, avec des évolutions particulières.
Hypothèse 2
indicateurs
Dans quelle mesure peut-on, au regard des phénomènes observés localement, parler de démocratisation ?
Certains phénomènes observés au niveau de lévolution de la composition sociale du public dun équipement culturel peuvent être qualifiés de démocratisation, car ils correspondent, parallèlement à une hausse de la fréquentation, à une plus grande pratique de lopéra par des primo-arrivants dune catégorie homogène de publics, cest-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s).
accroissement de la fréquentation
+ qui est dû à larrivée de primo-arrivants (renouvellement)
+ par des personnes dune catégorie socialement définie par une caractéristique sociale identique suivante : PCS, niveau détudes, niveau de revenus mais aussi âge, genre, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale,
(plus dautres à découvrir ?)
ANNEXE 2 : Entretien avec M. Hervé Petit, responsable du service « Jeune public » de lOpéra du Rhin
Opéra de Strasbourg, lundi 8 mars 2004, 14h30-15h30
Hervé Petit : En fait, lOpéra national du Rhin fédère trois villes (Strasbourg, Mulhouse et Colmar), et existe depuis maintenant 31 ans. Je sais pas si vous savez déjà ça
Pierre Jamar : Oui, jai déjà un peu défriché le terrain. Jai préparé quelques questions à vous poser. LOpéra du Rhin dispose dun service « Jeune public », dont vous êtes le responsable. Le service met en place différentes actions avec différents publics de lOpéra du Rhin. Pouvez-vous me citez ces différentes actions ? Sans rentrer dans les détails, ce serait intéressant davoir une sorte de panel des actions.
H.P. : Je vous explique le principe de base, principe qui figure dans notre plaquette : jusquà présent, on se base sur
Jusquà présent, car le département « jeune public » va être restructuré, il y a des choses nouvelles qui vont se faire, choses nouvelles qui seront là quand la personne qui va être nommée sera en place. Ce sera certainement le développement de projets artistiques assez ambitieux avec des jeunes, pour des jeunes. Des choses qui nexistaient pas vraiment, en tout cas pas initiées pas lOpéra jusquà présent.
Lidée, cest que les personnes, les interlocuteurs
Je ne vais pas dire les enseignants parce que ce ne sont pas exclusivement des enseignants ; je suis arrivé ici, bien que pas révolutionnaire mais aussi pour apporter des choses. On travaillait beaucoup avec les collèges, avec les lycées, et javais envie de travailler aussi avec les primaires, avec les maternelles, cest-à-dire commencer vraiment très jeune. Mon passé dinstituteur a facilité les choses, je connaissais un petit peu le milieu, je connaissais des gens aussi. Après, on fait aussi à la base avec des gens quon connaît
P.J. : Donc plutôt des plus petits ?
H.P. : Oui, plutôt des plus petits. Mais le département jeune public, aujourdhui, met en place des actions de 3 jusquà presque 30 ans.
P.J. : Avec les étudiants
H.P. : Avec les étudiants aussi. Evidemment, on agit pas de la même manière, même si le principe de base, cest que, à un moment ou à un autre, les jeunes pour prendre le terme générique- soient en proie avec ce quon fabrique, nous, cest-à-dire du spectacle vivant. Voilà.
P.J. : Et finalement, quel est le but ? Si on résume un peu tout ça, vous venez de dire « être en proie avec le spectacle vivant ». Mais si on parle en termes de fréquentation, cest peut-être daccroître la fréquentation ?
H.P. : Oui, et préparer le public de demain. Faut pas rêver, sur une classe de trente élèves, sil y en a trois qui continuent à venir régulièrement, on est content, sil y en a dix qui viennent sporadiquement, on est très content, et sil y a les trente qui demandent à revenir, cest la fête au village ! Et figurez-vous quil y a des choses qui se passent comme ça...
Je vais revenir quand même au principe de base. Après, cest quon essaye de travailler chaque fois avec les capacités des gens, avec les possibilités des gens daborder lopéra, qui ne sont pas automatiquement la musique à la base, même sil faut y venir à un moment ou à un autre ; on fait de lopéra, donc à un moment ou à un autre, on en a besoin mais ça peut être un professeur dart plastique. Les arts plastiques sont mis à contribution dans des projets : construction de décors, confection de costumes
On a la chance dans cet opéra de fabriquer une production du début à la fin. Et souvent, jai lhabitude de donner la plaquette. Pour moi, cest déjà un instrument pédagogique déjà. On commence souvent par la fin de la plaquette en disant : « Ecoutez, on est près de 250 à se décarcasser pour que ça marche ». Et dans ces 250, il y a évidemment des chanteurs, mais il y a derrière
P.J. :
des musiciens
H .P. :
des musiciens, des gens qui vont créer des décors, des gens qui vont construire les décors : menuisier, serrurier, métallier
P.J. : Cest vrai que cest toujours impressionnant de voir le nombre de personnes qui travaillent dans un opéra.
H.P. : Et ça, ce nest pas le cas de tous les opéras. Cest une chance quon a. Parce quil y a des opéra qui sont incapables parce quils nont pas des ateliers- de faire de la production. Donc ça, pour nous, cest une chance aussi de pouvoir accrocher les gens par ce biais-là. A la fin, ils vont arriver quand même
cest toujours important de savoir que quand on crée un opéra, parce quils vont travailler -ou aborder lopéra- sur une production, quils vont venir voir ça, cest important, aussi
Cest important quils viennent voir le spectacle, pas pour remplir une salle parce quune place quon vend aujourdhui au tarif scolaire de 11 euros, on peut la vendre plus que deux fois le double
On pourra revenir sur la politique tarifaire, mais déjà
Alors 50% de réduction pour les moins de 26 ans, cest la politique tarifaire de base. Ensuite, on a là-dessus encore de tarifs spéciaux qui sont proposés aux détenteurs de « Cartes culture », et de cartes « Atout voir », qui sont des cartes, je pense, assez spécifiques à lAlsace.
P.J. : Jen ai entendu parler
H.P. : On a des places de 5,5 euros avec cette « Carte culture » et cette carte « Atout voir ». Ensuite, on a ce que nous appelons les tarifs scolaires, qui sont en fait des tarifs pour les groupes scolaires au tarif à lunité de 11 euros. Tarifs qui sont encore « discountés » par rapport aux 50 %. Ce sont des places de catégories 2 et 3, des bonnes places, qui valent plus que deux fois 11 euros ; qui valent 30 ou 40 euros. Ces un effort supplémentaire quon fait pour proposer des places tout à fait correctes à des tarifs « défiant toute concurrence ».
P.J. : Finalement, un des objectifs est de faire venir, pour la première fois, des personnes qui nétaient jamais venues
H.P. : Ou de maintenir aussi une habitude quils ont prises. Si cest faire un coup comme ça, cest bien, mais
P.J. : Derrière, il y a aussi peut-être la fidélisation ?
H.P. : Voilà. Lidée, cest que les jeunes aient envie de revenir, quil y aient des projets qui se montent aussi avec les meneurs de projets, et quon arrive comme ça à renouveler la chose. « Je suis allé à lOpéra, jai vu Traviata, voilà ». Si cest la seule expérience de lopéra, cest bien, cest toujours mieux que rien, mais cest quand même mieux de dire quil y a autre chose que Traviata. Cest quand même intéressant de dire quon fait du ballet ; cest un des aspects de lopéra et de la vie de lopéra.
P.J. : Javais une question sur le public actuel de lOpéra de Strasbourg. Finalement, si on prend la composition du public actuel, entre jeunes-moins jeunes, homme-femmes, y a-t-il des caractéristiques un peu particulières ?
H.P. : Je sais pas, on na pas de statistiques à ce niveau-là, mais on arrive à près de 20% de jeunes, cest-à-dire de moins de 26 ans. Ce qui est énorme.
P.J. : Et en termes de catégories sociales ?
H.P. : Cest peut-être un peu plus délicat. Dautant plus que dans une classe [scolaire], si vous voulez, vous avez des classes qui sont très bigarrées. On ne sait jamais bien. Dans certains établissements, vous avez des publics extrêmement mélangés, du point de vue des origines sociales. Je crois pas quon ait des statistiques à ce niveau-là, car ça obligerait à faire une enquête
P.J. : Je parlais au niveau général, de tout le public.
H.P. : Au niveau de tout le public, je pense que cest un public qui est relativement populaire, au sens large du terme. Cest-à-dire quon a effectivement des gens qui ont des sous, et qui viennent à lopéra dans la tradition de lopéra, mais on a aussi un public de classes moyennes. Faudrait peut-être en discuter avec Catherine Grasser (responsable de la billetterie). On ira la voir tout à lheure. Peut-être quelle a des choses plus tangibles. Moi je nai peut-être pas tous les éléments non plus, elle doit certainement être pressée de demandes dans ce sens-là.
P.J. : Oui, il y a des choses intéressantes à voir. Concernant la fréquentation de lopéra, si je prend le cas dAvignon, on sait que 70% des spectateurs viennent de lextérieur de la Ville et de lAgglomération, sachant quAvignon est aux confins de plusieurs Départements et de deux Régions. Il y a, au niveau dun opéra, des évolutions intéressantes à constater. Peut-être que le public a fort changé ? Le public davant était peut-être plus différent ?
H.P. : Quentendez-vous par « avant » ? Avant quoi ?
P.J. : Quand je dis « avant », je veux dire « il y a très longtemps ».
H.P. : Ecoutez, cest pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine dannées maintenant, est intervenue au moment où on sest rendu compte que les salles se vidaient, quil y avait une tradition de lopéra ici, quon héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on sest rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. Donc objectif, si vous voulez
la première chose, regardez, cest ça là-haut [en désignant une petite affiche, 15x15 cm, écrite en blanc sur fond noir : « Ringard ? bourge ? élitiste ? toujours plein ? trop cher ? Mon il, moi, jy vais ! LOpéra du Rhin »]. Cest un tract qui a été édité avec la volonté de lutter contre tous les préjugés. On a fait une enquête pour savoir ce quon pensait de lopéra. Et voilà ce qui en est ressorti.
P.J. : LOpéra mesure-t-il, au jour le jour, sa fréquentation, par un suivi de billetterie par exemple ?
H.P. : Peut-être pas au jour le jour, mais oui, on fait des statistiques. Je vous présenterai tout à lheure à Catherine Grasser.
P.J. : Le département « jeune public » existe déjà depuis 10-12 ans, cest ça ?
H.P. : Il y a eu une vraie politique: aller au devant des gens, aller voir les professeurs et engendrer des collaborations.
P.J. Donc beaucoup dévolutions ?
H.P. : Cest clair. Vingt pour cent [de jeunes], ça ne sinvente pas dun jour à lautre. Cest tout un travail de fond, qui va être de toute manière poursuivi. On va continuer à travailler, notamment avec les enseignants, parce quils sont à la base du jeune public, parce que cest peut-être plus facile aussi de travailler avec une classe sur un projet. De manière individuelle, cest toujours un petit peu plus difficile. Ce qui est intéressant pour une classe, cest de la faire sortir de son milieu, pour pouvoir étudier des choses par le biais de la découverte de lart lyrique.
P.J. : Souvent, les classes sont invitées à aller visiter des musées
H.P. : Pas automatiquement. Les musées, cest pareil ! Ils ont vraiment une politique en direction des jeunes.
P.J. : A-t-on en projet délargir laction actuelle, centrée sur les jeunes publics, à dautres groupes structurés, par exemple les associations ou le troisième âge ?
H.P. : Tout à fait. Mais ça se fait de manière ponctuelle. Pour linstant, on a pas mal de choses à goupiller avec les jeunes, en sachant quon essaye aussi de diversifier les actions, cest-à-dire dessayer de sortir uniquement de ce principe de travail avec les écoles. Jai essayé dinitier des collaborations avec des centres socio-culturels, qui permettent de toucher un autre public que celui des écoles. La réaction de ces jeunes est différente.
Prenons maintenant lexemple dune chorale qui touche aussi bien les jeunes que les adultes: on va se retrouver à la fois avec des adultes et des enfants. Cest une mixité, un mélange intéressant.
P.J. : Pour la suite, y a-t-il des défis pressants ? Vous parliez des centres sociaux, donc finalement de certaines catégories sur lesquelles il faut se concentrer. Dautres catégories également ? Dautres groupes homogènes ? Comme par exemple le public qui habite relativement loin ?
H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce quon appelle les « abonnés-bus ». Cest vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement souvent des vieilles personnes, qui nont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire...
P.J. : Donc un public qui vient de loin, qui ne serait peut-être pas venu sans cette opération.
H.P. : Tout à fait. Cest une vraie politique. Cest donner la possibilité pratique aux gens de venir à lopéra.
P.J. : On touche là un public potentiel, qui ne serait pas venu pour cause de contrainte matérielle.
H.P. : Tout à fait. On a parlé des étudiants. Avec eux, cest un peu difficile de constituer des groupes, exception faite des étudiants qui sont dans des écoles, dans des domaines plus spécifiques. Exemple : lEcole des arts décoratifs à Strasbourg. Ce matin, on avait 20-25 élèves qui sont venus faire une visite
enfin pas vraiment une visite
de lopéra. Ils sont venus avec un professeur qui travaille avec eux sur « la couleur ». Le professeur, peintre dune grande sensibilité, a proposé de commencer par faire une étude dans la salle : ils sont venus avec leur craies grasses, leurs crayons,... faire des croquis, des dessins. Cest une première démarche.
Ensuite, il y a une démarche en route : un projet de grande fresque, que je souhaiterais voir se réaliser avec tous les étudiants. Cest un exemple de projet très pratique, qui comprend une corrélation très facile à faire entre le travail des ateliers de peinture et le travail de ces étudiants avec la couleur.
On travaille aussi avec des sections scénographiques, notamment à lEcole des arts décoratifs. Ou encore une section didactique, qui est en train de constituer une valise pédagogique autour de la construction des décors à lOpéra du Rhin. Ils découvrent, eux, lopéra, à travers la construction dun objet dans le cadre de leur formation professionnelle. Ils se destinent à créer des objets didactiques. Pour la plupart, ces étudiants ne sont jamais venus à lopéra. La démarche est double : ils vont produire quelque chose pour l opéra, et en même temps, ils découvrent lopéra.
Ensuite, à lUniversité Marc Bloch, on a des étudiants en études théâtrales. Le responsable de cette section a souhaité travailler avec lopéra. Cette année, on a imaginé quils viendraient voir trois spectacles et une pièce de ballet, quon leur fasse visiter les locaux, quon leur fasse rencontrer un metteur en scène, quon leur fasse visiter lexpo qui est à côté. Ce sont là des choses très particulières.
Maintenant, pour le « quidam moyen », cestà-dire létudiant en droit, bio, siences po, il ny a pas de raison a priori daller voir ces étudiants
je veux dire de raison directement liée à lactivité de lopéra. Il faut leur faire découvrir lopéra de manière empirique. Pour ça, on va trouver une technique : on fait comme les fauves qui vont manger leurs proies là où les animaux vont boire. Nous, on va les chercher là où ils vont manger. On va dans des restaurants universitaires pour passer des moments déchanges avec les étudiants. On sinstalle, et souvent, pour motiver les troupes et entrer en contact, on organise un jeu avec possibilité de gagner des places. Ainsi, on va offrir 100 places pour la générale. Il fallait quils fassent la démarche daller chercher la place dans un autre endroit, et on en a quand même eu 90 sur les 100 qui sont venus. Ce qui est énorme. Quand on donne des places aux gens, ils les jettent parfois à la poubelle. Si ça les intéresse pas, ça ne les intéresse pas. Cétait également le fruit de notre discussion. Jai répété plusieurs fois la même chose : « Cest un opéra de
opéra romantique qui raconte ceci
qui
etc... Est-ce que vous êtes déjà venu à lopéra ? Que pensez-vous de lopéra
». Ensuite, il y avait vraiment un moment intéressant, au sortir du restaurant, où on sest retrouvé en groupe très restreint. En résumé, il faut vraiment aller chercher les gens. Cest une vraie démarche.
Ensuite, concernant le ballet, il y a des répétitions publiques à lUniversité. Ca permet à des étudiants daller assister à une répétition ou démonstration de danse. Au début, on allait chercher les gens. Maintenant, on affiche systématiquement complet. Ce sont des dynamiques sur lesquelles on rebondi. Une fois que le feu est allumé, on lentretient. Cest-à-dire quon y va pas une fois comme ça, pour faire dans le symbolique ; on offre des possibilités daccrocher la dynamique, il faut après lentretenir.
P.J. : Le fait que lOpéra du Rhin bénéficie du label « national » favorise-t-il ce type dactions, douverture vers lextérieur, de partenariats, de mise en place de dynamiques ?
H.P. : Oui, parce que ça fait partie du cahier de charges dun Opéra national. Il y a des moyens. Je ne fais pas les comptes, mais ça fait partie de la « charte ».
Mais il y a dautres opéras qui font des actions et qui ne sont pas nationaux. Toulouse nest pas national, mais ils ont un service pédagogique très développé.
P.J. : Vous avez parlé de « renouvellement », que les actions ont permis de « renouveler » la fréquentation de lopéra. Quelles avaient été mises en place suite au constat que les salles lyriques se vidaient. Peut-on parler de « démocratisation » ?
H.P. : Oui, carrément. Tout à fait, et je pense que cest particulièrement le cas en Alsace. Dabord grâce à la politique tarifaire, qui est vraiment exceptionnelle. Lopéra ici, ce nest vraiment pas cher. Je constate que cest un public, je vous lai dit, assez populaire, au sens large.
P.J. : Par le fait davoir fait venir, par exemple, les jeunes en plus grand nombre quauparavant, peut-on dire que lopéra sest démocratisé ?
H.P. : Bien sûr, absolument. Je ne vais pas vous dire le contraire, où voulez-vous en venir ?
P.J. : On raisonne parfois seulement à partir des classes sociales, comme par exemple « la grande bourgeoisie », et que lopéra sest « popularisé ».
H.P. : Quand je parle de public populaire, jentends un public extrêmement varié. Ce nest pas le « bas peuple », la « France den bas ». Quand je dis populaire, cest populaire au sens large, cest-à-dire quon a des gens qui ont des sous, qui vont à lopéra, qui sont amateurs dopéra, ou qui ne sont pas amateurs dopéra, mais qui vont pour la place ; et dautres personnes qui, automatiquement, ne seraient pas allés à lopéra, mais qui y vont.
P.J. : Parce quils ont vu le tract ?
H.P. : Parce quaussi, ils ont fait leurs calculs, et qui se rendent compte que par un abonnement, le prix du spectacle ne coûte pas très cher. Je vous parle en termes de généralités. En discuter avec Catherine Grasser serait vraiment intéressant.
P.J. : Ainsi, on élargit la palette des spectateurs, on souvre à dautres catégories, qui navaient pas la possibilité
H.P. : Exactement.
P.J. : Les handicapés peut-être ?
H.P. : Oui, les sourds par exemple. En tous cas, On a travaillé avec des enfants qui ont des difficultés auditives profondes.
ANNEXE 3 : Entretien avec MM. Laurent Vieille et Pierre-Henri Alquier, co-responsables du service « Relation avec le public » de lOpéra de Lyon
Opéra de Lyon, mardi 16 mars 2004, 14h45-16h00
Pierre Jamar : Quelles sont, à lOpéra de Lyon les différentes actions mises en place en direction du public ?
Laurent Vieille : A lOpéra de Lyon, on a différents programmes. Un premier sappelle « Lycéens à lOpéra », financé et mis en place par la Région Rhône-Alpes, et qui concerne 3000 lycéens chaque année. Ils viennent assister à une représentation dopéra ou de ballet, gratuitement. Pour les groupes qui sont accompagnés par les professeurs, ces derniers sont préparés par une action pédagogique. On a une personne, Hélène Sauvez, qui soccupe de cette action pédagogique, qui les reçoit en une fois dans le cadre dune conférence pédagogique, avec des maîtres duvres de lOpéra.
Pierre-Henri Alquier : Cest une journée entière, sur un aspect musicologique, un aspect « mise en scène », un aspect historique. Par exemple sur la danse, il sagira de replacer le ballet qui sera joué dans lhistoire de la danse. On se concentre ensuite autour du chorégraphe et de ses influences. Ensuite, on rencontre le chorégraphe, on rencontre son costumier, ou quelquun qui va travailler sur la production.
L.V. : Ce sont donc chaque année 3000 jeunes qui sont placés dans les meilleures conditions possible, avec des places de 1ère catégorie, pour linstant au parterre. Cest un effort énorme.
A côté de cela, on a tout un tas de représentations scolaires : 14000 scolaires.
P-H. A. : Les scolaires -par « scolaires », on entend les primaires et les collégiens- sont conviés à un spectacle qui leur est réservé, un après-midi pendant le temps scolaire. Les lycéens sont des jeunes qui vont venir pendant les soirées tout-public. Car un des buts recherchés par le projet est de mélanger les jeunes dans un public lambda. On leur montre quils ont aussi leur place parmi ce public. Cest aussi une façon de montrer au public lambda que les jeunes ont leur place à lopéra. Cest une espèce de transversalité.
Ces spectacles-là sont préparés par les enseignants à lissue également dune conférence pédagogique, qui est organisée en partenariat avec lIUFM. Ce sont des enseignants en musique et des musiciens intervenants qui préparent les enseignants. Ces préparations pédagogiques sont parfois suivies de formations dans les écoles, avec des musiciens ou danseurs-intervenants. Ce sont souvent des projets qui sinscrivent dans le cadre de « classes APAC » (classe à projet artistique et culturel).
L.V. : Ces scolaires sont payantes (5 euros) et les enseignants ne payent pas.
P.J. : En dehors du public scolaire, y a-t-il des actions envers dautres publics ?
L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, cest le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros, quelle que soit la catégorie de place que lon attribue, dans le respect dun certain quota sur lannée.
P.J. Avec plus de demandes que de places disponibles ?
L.V. : Il y a énormément de demandes. Près de 6000 personnes cette année.
P.J. : Peut-on parler de stratégie à long terme ?
L.V. : Le gros problème de lopéra, cest que le public est assez âgé. On sait quon a un grand déficit de public dans la tranche dâge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusquà 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à lopéra. Cest une classe dâge sous-représentée par rapport à la population globale. On a beaucoup plus de retraités et de « seniors-actifs » (au-delà de 50-55 ans, et encore actifs).
Face à ce constat, le plus simple aujourdhui, cest de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes dâge. Après, on a un autre angle dattaque, cest de faire venir ces gens-là. On travaille un peu au coup par coup. On sintéresse notamment aux nouveaux-arrivants dans la ville de Lyon. En général, ce sont des gens assez jeunes, de jeunes professionnels, actifs.
P.H. A. : Il sagit dun fichier quon achète à la Poste, qui nous livre les adresses de tous les gens qui viennent darriver dans une zone quon définit. Ca représente environ 10000 personnes sur lannée, à qui on fait une proposition de venir à lOpéra.
L.V. : On a un autre angle dattaque pour ces gens qui finalement sont, pour certains, des parents. On peut considérer, pour certains, quils ont des enfants déjà indépendants. Cette charge financière qui disparaît permet de faire une démarche dachat sur quelque chose qui napparaît pas comme essentiel : les spectacles.
On a une démarche envers les familles, avec des tarifs pour les familles. On a, cette année, une formule dabonnement qui sadresse aux moins de 16 ans : ladulte achète un abonnement, le jeune bénéficie du même abonnement pour la moitié du prix. On a déjà une décote de 30% (abonnement), en plus 50% là-dessus (offre famille), ça fait plus ou moins 70%.
P.J. : Ou alors faire venir les parents avec les enfants ?
L.V. : Cest quelque chose qui a été mis en place lannée dernière : une dizaine dateliers sur lensemble de lannée. Le principe est de prendre en charge les enfants pendant 2-3 heures par des ateliers, pendant que leurs parents assistent à un spectacle dans la grande salle. Latelier ludique et didactique- permet aux enfants de préparer un petit spectacle quils présenteront à leurs parents. Cest les former à ce quest lopéra, cest quest la danse, dune façon intéressante.
Et en parallèle, on a aussi la programmation dun spectacle pour enfants.
P.J. : Le but est de faire venir plus de monde à lopéra ?
L.V. : Le problème est que si on veut faire venir plus de monde, il faut avoir plus de représentations. Et ça, avec le budget dun opéra comme celui de Lyon, cest pas vraiment possible. Chaque représentation supplémentaire est déficitaire.
P.H. A. : On fera lannée prochaine des séries un peu plus longues sur des spectacles quon sait très attendus.
P.J. Finalement, le but est de faire découvrir lopéra, faire venir pour la première fois des gens qui ny sont jamais venus, que ce soit les jeunes ou les autres ?
P.H. A. : Cest évident.
P.J. Evident
L.V. : Cest une bonne question sur laquelle on nest même pas tous daccord en interne. Le fait de faire venir quelquun qui nest jamais venu à lopéra, qui ne connaît rien à la musique classique, ce nest pas évident. Il faut le faire sur une uvre assez « accessible ». Eviter que quelquun qui na jamais mis les pieds dans un opéra, vienne assister à un spectacle qui le rebute à vie. Ce qui est possible
P.H. A. : De toute façon, on a une offre de spectacles, et on ne peut pas interdire, aux gens qui veulent « goûter », lentrée à un spectacle qui a priori nous semble difficile pour lui. On a un rôle de conseil. Les gens de la location sont là pour conseiller les gens. Mais on interdit pas.
L.V. : Cette année, on a même pas vraiment une uvre très accessible. Il y a eu Fidelio, et même Fidelio cest pas si simple. Et il y a un élément sur lequel on a pas de prise : la mise en scène.
P.J. : Sur le public actuel de lOpéra de Lyon, vous disiez quil est assez âgé. Mais y a-t-il dautres caractéristiques que vous pouvez dégager ?
L.V. : En moyenne, il est à la fois dans les tranches dâge supérieures, et quand même très présent chez les moins de 30 ans.
Lautre caractéristique majeure, cest quon est un opéra national, avec des spectacles denvergure internationale. Par contre, en termes de public, cest presque le contraire.
P.J. : Cest à dire ?
L.V. : On a un public qui est avant tout originaire du Département du Rhône, globalement de la Région Rhône-Alpes, et le public de « létranger » (hors Département et Région) est très marginal.
P.J. : Y a-t-il aussi un public très local ?
L.V. : De toute la grande ceinture du Grand Lyon. Il constitue la grosse majorité du public.
P.J. : Un public féminin ?
L.V. : En opéra, il est toujours plus féminin quen danse. En général, les femmes sont génératrices dachats, en danse ou en opéra.
P.J. : Elles achètent pour toute la famille
L.V. : Cest ça, oui.
P.J. : Le public de maintenant est-il fort différent davant ?
L.V. : Avant quand ?
P.J. : Je dirais « il y a assez longtemps ».
L.V. : Je ne suis pas depuis assez longtemps dans ce milieu pour pouvoir répondre à cette question. Mais, je pense quil est clair quil y a vraiment une grande évolution par rapport à il y a 10-15 ans. A lépoque, la majeure partie du public était constituée dabonnés, comme cest encore le cas à Genève, comme cétait encore le cas au Théâtre des Célestins il y a 3-4 ans. Et là les abonnés ont été mis dehors, pour ne plus quon donne systématiquement les nouvelles places aux abonnés qui étaient là depuis 20 ou 40 ans. Ce qui se fait à Lyon depuis beaucoup plus longtemps.
P.J. : LOpéra de Lyon mesure-t-il régulièrement lévolution de ses publics ? Y a-t-il des enquêtes régulières ? Un suivi de billetterie ?
P.H. A. : Un suivi de billetterie, oui.
L.V. : Des enquêtes statistiques, on a commencé à en faire il y a deux ans. Grâce au logiciel que lon a aujourdhui, qui est devenu depuis quelques semaines vraiment performant, on va pouvoir sortir des statistiques. Tant quon a pas un outil comme celui-là, cest extrêmement difficile à faire. Aujourdhui, on a la possibilité de le faire.
P.J. : Pas de contrats de recherche ?
L.V. : Il y a eu une étude effectuée par IPSOS il y 3-4 ans. Mais ce genre détudes est toujours très générique, pas très fine.
P.J. : Quels sont les résultats fournis par le logiciel de suivi de la fréquentation ?
L.V. : On est en train de travailler là-dessus. Un travail danalyse sur les deux saisons précédentes est en cours. Dans létat actuel des choses, cest trop tôt de donner des informations précises. On a des grandes impressions, des tendances
P.J. : Le public évolue ou pas ?
L.V. : Au niveau des jeunes, au niveau des abonnés aussi. En fonction des formules dabonnements quon propose, en fonction des avantages quon donne, on gagne ou on perd très vite des abonnés
Lannée dernière, on en a perdu beaucoup très vite. En raison de laugmentation tarifaire, en raison de moins de souplesse, de programmation différente. A cause de formules trop rigides. Cela représente environ 1000-1200 abonnés qui se sont détournés vers les formules de billetterie, ou qui ne sont plus venus.
Les paramètres sont toujours tellement globaux quil est très difficile de dire : « On a pris une décision, on a perdu tant dabonnés ».
P.J. : Vous disiez que lOpéra de Lyon a du mal à attirer un public lointain, plus éloigné
L.V. : Le public le plus présent est celui de Rhône-Alpes, Lyon et ses alentours, puis de Grenoble. Cest évident quavec les infrastructures routières -on est à 1h15 de Grenoble, à 3/4h de Bourg-en-Bresse- cest facile de venir passer une soirée à lOpéra de Lyon.
Ensuite, on a la Drôme, ensuite seulement la Savoie et la Haute-Savoie, et en queue de peloton lArdèche.
P.J. : LOpéra du Rhin a mis en place des circuits de bus pour un « ramassage-opéra », qui passait par tous les villages aux alentours.
L.V. : On a fait le test sur des spectacles de danse. Sur le trajet du TGV Méditerranée actuel. On avait arrosé sur Avignon, Nîmes, Aix-en-Provence, Montpellier et Marseille. En se concentrant sur les étudiants en Ecoles de danse, Conservatoires,
avec un tarif groupé « bus+spectacle » à 20-25 euros, ce qui est vraiment pas cher. Ce qui na pas marché
Cest une clientèle jeune, qui na pas forcément largent en plus, très sollicitée et qui a du mal à se projeter aussi. Et si, sur place, on a pas de relais hyper-motivé pour « faire de retap », ça marche pas.
P.J. : Y a-t-il dautres besoins pressants au niveau des publics ? Un public à accrocher ?
L.V. : Il y a une action qui a été engagée par la nouvelle direction. Cet opéra avait un gros problème dû à son architecture : le bâtiment donne vraiment limpression dêtre fermé, pas très convivial du fait de la couleur, de larchitecture intérieure, et fermé sur lui-même. On essaye den faire un bâtiment ouvert sur lextérieur.
Cest notamment lobjet dune sorte de grande « Journée portes ouvertes » quon a fait au mois de mai, pour faire venir le « tout-public », pour leur faire découvrir le bâtiment et ce quon y propose. Ca a donné lobjet aussi à louverture dun bar, sous la billetterie, qui a marché pendant tout lété. Cette opération-là va être reconduite.
P.H. A. : On a proposé tous les jours des concerts gratuits.
L.V. : Une chose dont on na pas parlé : on a animé, pendant trois années de suite, des présentations de la saison dans toute la région. Il sagissait dune vidéoconférence. Lintérêt est de susciter lenvie. On sest rendu compte que ça a eu beaucoup du mal à décoller la première année : les journalistes ne sy intéressaient pas du tout, le public nont plus. Mais cest devenu très intéressant maintenant : 100-150 personnes à chaque réunion.
P.J. : Quentendez-vous par « faire venir le tout-public » ?
L.V. : Le non-public aussi ! Cest-à-dire faire venir les Lyonnais, les gens des alentours, des grandes villes.
P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A loccasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. Sil ny avait pas la queue à lentrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. Cest un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin dêtre expliqué, présenté. Cest déjà une première démarche de faire venir les gens, même sils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que cest un lieu qui est accessible, qui a du sens.
Lautre intérêt est de présenter les métiers de lopéra. Il y a un tas de corps de métiers qui sont assez obscurs pour les gens ; les gens ne savent pas ce quon fait. Il y a souvent des réflexions qui sous-entendent quun spectacle, ça se monte tout seul. Il y a une espèce dincompréhension. Ils ne comprennent pas quon doit répéter pendant un mois par exemple pour aboutir à un spectacle. Faire entrer les gens, leur montrer dans quelles conditions les gens travaillent, leur montrer quels sont les corps de métiers, leur montrer quun spectacle, ce sont des heures de répétitions, des décors qui se construisent, etc. Cest expliquer, faire comprendre, toucher du doigt lintérêt du spectacle vivant.
On leur explique aussi la philosophie du travail, à quoi sert lopéra. Sans être philosophe, mais cest important que les gens comprennent que venir à lopéra, ça a encore du sens aujourdhui. On peut faire des mises en scènes intéressantes qui donnent du sens à la vie. Cest une démarche humaniste.
P.J. : Finalement, peut-on parler de « démocratisation » ?
L.V. : Cest une question qui nest pas évidente, car je vais donner mon avis, tu vas donner le tiens, et une troisième personne aura encore un avis différent là-dessus. On peut parler de « démocratisation », dans le sens où lopéra est accessible aujourdhui à des gens qui ne sont pas forcément très fortunés, qui ne sont pas forcément « fan » de musique classique ou contemporaine, avec des offres tarifaires qui sont intéressantes, et qui rendent lopéra attractif à toutes les bourses. Et puis, avec des uvres qui sont accessibles. Chaque année, on a une uvre qui est plus accessible que les autres.
P.J. : Démocratiser renvoie au « coût » ?
L.V. : Sachant que nous, on ne peut faire plus defforts au niveau du coût. On a des places à 5 euros, des places à 8 euros, donc cest vraiment accessible à tous.
Maintenant, il ne faut pas aller trop loin non plus. On a un peu tendance dans le milieu de lopéra à penser quon peut remplir les salles avec des gens qui nont ni les moyens, ni la connaissance, ni lattrait de la musique classique.
P.J. : Lopéra, ça demande une « initiation »
.
L.V. : Cest à peu près ça, oui. Autant venir une fois pour découvrir le genre, cest faisable, cest assez facile. Autant pour apprécier lopéra, pour venir régulièrement, ça demande un apprentissage qui est long et quil est préférable de faire par étapes. Jai fait moi-même lexpérience, quand jétais plus jeune, daller tout de suite voir une uvre de Wagner : je suis parti...
P.H. A. : Cest vrai que ça demande un apprentissage et un investissement personnel.
L.V. : Une chose sur laquelle on peut sappuyer, cest que dans le cinéma ou la publicité, on utilise beaucoup la musique classique. On a un grand nombre de spectateurs potentiels qui ont été formés à la musique classique par ça, et uniquement par ça. Cest-à-dire que pour eux, cest la mélodie. Lopéra, ce nest pas que la mélodie. Donc les faire venir sur une uvre facile au niveau musical, et après les faire venir sur quelque chose de plus compliqué.
P.H. A. : Parce que lopéra est un spectacle total. Parfois, on vend les spectacles sur un metteur en scène vraiment très célèbre dont on connaît le travail. Mais on les vend plutôt sur la musique, alors que cest un spectacle total, que cest aussi de la danse, des costumes.
L.V. : Lannée prochaine, on aura La Flûte. Le problème avec un opéra comme La Flûte enchantée, cest que tout le monde veut le voir.
P.J. : De la même façon que tous les metteurs en scène veulent la mettre en scène
L.V. : Et là, en partie, cest une uvre exceptionnelle pour faire venir un nouveau public. Qui est complètement néophyte. On ne peut pas réserver des salles que pour le nouveau public, comme il ne faut pas réserver toutes les salles aux gens qui adorent lopéra, et qui viennent voir La Flûte parce quils connaissent le répertoire. Il y a assez loccasion de voir La Flûte enchantée partout.
P.H. A. : Cest pour ça quon la met dans une formule dabonnement réservée, et dans une seule, qui est labonnement « opéras ». On a une autre formule dans laquelle on va la vendre, mais en priorité de réservation. Finalement, ça revient presque à réserver de la place pour des gens qui viendraient lécouter une fois.
P.J. : Ce nest plus ici une question dargent. Cest de se dire quon veut faire venir des personnes qui ne sont jamais venues.
L.V. : Cest pour ça que pour un spectacle comme ça, dans nos prévisions, on se doute que laspect financier ne sera pas un obstacle. Parce que si on veut voir un seul opéra dans sa vie, celui-là sera a priori dans les cinq quon choisira.
P.J. : Travaillez-vous avec les personnes handicapées ?
P.H. A. : Il y a des actions qui sont menées par Hélène Sauvez, et on a aussi 8 places qui sont réservées dans la salle pour les handicapés en fauteuil [handicapés moteurs], 1er série moitié prix (40 euros). Avec également ce tarif pour laccompagnateur. Cest une démarche envers eux, mais qui na pas beaucoup de succès. Il y a quelques habitués, qui viennent souvent. Lannée dernière, la durée des spectacles était un frein. On a aussi des places réservées aux non-voyants dans la salle. Il y a aussi un système qui permet damplifier les sons.
P.J. : Avant, ces personnes-là, étaient refoulées des salles dopéras. Et maintenant, ils ont accès aux salles.
P.H. A. : Il y a un accueil particulier.
L.V. : Et pour les enfants, les demandes de structures scolaires ou associatives bénéficient dune étude privilégiée pour assister à des spectacles scolaires pendant le temps scolaire. Et on a, sur la quasi-totalité des spectacles scolaires, des écoles denfants handicapés.
ANNEXE 4 : Entretien avec M. Guillaume Schmitt, responsable du service « Action culturelle et sociale » de lOpéra de Marseille
Opéra de Marseille, mercredi 24 mars 2004, 14h35-15h30
Pierre Jamar : M. Schmitt, vous êtes responsable du service « Action culturelle et sociale » de lOpéra de Marseille. Cest un poste que vous avez créé ici ?
Guillaume Schmitt : En 1998, un nouveau Directeur arrive à lOpéra de Marseille, et il souhaite développer un programme pour le jeune public. Il ma proposé de prendre en charge le développement de ce programme, et cest ensemble que nous avons monté un programme qui correspond un peu à « Dix mois décole et dopéra » à Paris.
Cest un programme qui sarticule autour de trois axes : laxe culturel, professionnel et social.
Laxe culturel, cest permettre à des jeunes de découvrir un opéra, un ouvrage lyrique, en les invitant à participer à des générales, sur lesquelles ils travaillent.
Laxe social, cest monter la cohésion du groupe, les 350 personnes qui travaillent à lopéra, qui travaillent ensemble pour créer un opéra.
Laxe professionnel, cest la découverte des différents corps de métiers 40 corps de métiers différents- dans le cadre de 10 ateliers-découvertes : 2 concerts, un dorchestre et de churs, latelier technique, latelier couture,
Les établissements sont choisis en début dannée scolaire. Il y a un projet qui part par courrier électronique aux établissements scolaires de lInspection académique du Rectorat. Les établissements intéressés montent un projet par rapport au dossier que nous avons communiqué en amont aux instances de lInspection académique. Ces projets sont ensuite étudiés par une commission interne Education nationale. Deuxième commission : Opéra de Marseille+Académie. Cette année, nous avons eu 8 établissements scolaires.
P.J. : Quels sont les buts de cette action ?
G.S. : Cela renvoie aux trois axes : faire découvrir une culture différente aux jeunes de nos jours, leur montrer que Marseille a toujours eu une position importante dOpéra populaire. A une certaine époque, cétaient les parents et grands-parents qui amenaient leurs enfants et petits-enfants à lopéra, pour leur faire découvrir cet art. Cest tombé un peu en désuétude. Cest pourquoi nous, mission de service public, avons pris la relève pour les amener à découvrir lopéra.
P.J. : Est-ce que ça se traduit en termes de fréquentation ?
G.S. : Pour linstant non. Nous accueillons des jeunes de la primaire à luniversité (lIUFM), mais nous navons pas assez de recul pour savoir si notre politique se traduit déjà en termes de fréquentation.
P.J. : Ny a-t-il pas une politique plus globale qui concernent les étudiants ? Au niveau tarifaire, au niveau des abonnements, qui inciteraient à les faire venir.
G.S. : Concernant les étudiants, on mène une action en étroite collaboration avec la Caisse des dépôts et consignation, qui sappelle « Campus en Musique », qui permet à des étudiants de la Faculté Marseille II (Médecine, Sciences) de découvrir lOrchestre philharmonique de Marseille. Nous donnons deux concerts dans deux sites universitaires. Ensuite, les étudiants sont invités à venir à lopéra pour découvrir la musique dans le cadre dune générale de concert. Et là, ça fonctionne très bien : nous avons eu la semaine dernière 1400 jeunes.
P.J. : Gratuitement ?
G.S. : Oui, gratuitement. Ils sétaient intéressés à notre politique, avaient demandé des brochures, et certains sont venus ensuite pour assister à des spectacles.
P.J. : Pour approfondir la notion de « service public », que vous avez mentionnée dans le sens dune correction dun déséquilibre par rapport aux nouvelles générations, ny a-t-il pas également un déséquilibre au niveau social, qui demanderait à ce quon amène à lopéra certaines catégories sociales qui ny sont pas présentes ? Ou damener un public plus éloigné ?
G.S. : Notre politique est de toucher tous les jeunes, quils soient issus des quartiers favorisés ou défavorisés, décoles privées ou publiques. Ne pas laissez sur le carreau les jeunes dits « favorisés » parce quils sont dans des écoles privées, sinon il y a une pénurie de culture dans les écoles privées. Et ce nest pas parce que les parents ont de largent quils ont automatiquement accès à la culture.
Mais cest vrai quil y a un axe qui est plus fort sur des quartiers défavorisés, comme les collèges ou établissements situés en Zone déducation prioritaire (ZEP). Cette année, nous travaillons avec des une section de jeunes en grande difficulté scolaire et familiale. Lessentiel, cest de permettre louverture au plus grand nombre de lopéra. Mais ce nest pas un aspect aussi clairement défini comme à lOpéra de Paris, où le programme dactions ne concerne que le public défavorisé.
P.J. : Si jai bien compris, avec les établissements scolaires, il sagit dun partenariat sur le long terme, sur toute lannée
G.S. : Sur toute lannée scolaire. Les jeunes viennent un fois par mois à lopéra. Et en fin dannée, il y a une Soirée de Gala à lopéra, au cours de laquelle ils présentent leurs ouvrages quils ont créés. Soit ils montent une chorégraphie, avec une de nos danseuses-étoiles, ou une mise en scène. Ce nest donc pas une action de « saupoudrage », où on se dit quon fait venir les jeunes parce que ça fait bien pour la presse qui va en parler. Non. Laction a lieu sur de long terme, sur une année scolaire, où on pénètre réellement lopéra, et on découvre un lieu de travail.
P.J. : Connaît-on le public de lopéra de Marseille ? A-t-il des caractéristiques un peu particulières ?
G.S. : Marseille, cest un public de classe moyenne, classe supérieure, de professions libérales
P.J. : Est-ce mesuré statistiquement ?
G.S. : Il ny a pas de statistiques. On va peut-être mettre en place un système de suivi de billetterie, où on demandera la catégorie socio-professionnelle des clients.
P.J. : Si on sattache à dautres critères que la catégorie socio-professionnelle, bien que très intéressante. Je pense par exemple au genre (M/F), le lieu de résidence
G.S. :
lâge
Le lieu de résidence, ce serait prioritairement Marseille, pour plus de 90%.
P.J. : LOpéra de Marseille est-il satisfait de son public actuel ?
G.S. : Il souhaiterait rajeunir le public ; cest une politique de la maison, qui permet de cibler surtout les jeunes et étudiants.
P.J. : Pas dautres défis ? Par exemple faire venir un public plus éloigné ?
G.S. : Pour linstant, cest surtout une politique en direction des jeunes qui rentrent dans la vie active. Oui, ça ferait plaisir quil y ait des Parisiens qui viennent voir les spectacles.
P.J. : Peut-être pas de si loin
de la Région PACA déjà
G.S. : De la Région, il y en a. Mais cest vrai quil y a un Opéra en Avignon, il y a un Opéra à Toulon, des Festivals à Aix-en-Provence et à Orange
P.J. : Beaucoup (trop) « dinactifs », retraités ou étudiants ?
G.S. : Les étudiants, ça commence, surtout pour les concerts symphoniques
P.J. :
suite à « Campus en Musique » ?
G.S. : Je ne sais pas sil y a un effet « Campus en Musique », mais il y des jeunes qui viennent pour des concerts symphoniques et pour certains opéras en fonction de la programmation. Il y a des tarifs préférentiels pour le jeune public et pour les personnes âgées.
Donc on essaye vraiment douvrir lopéra au plus grand nombre.
P.J. : Pas de problème à long terme ?
G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour lavenir.
P.J. : Le meilleur résultat nest-t-il pas, non seulement de donner lenvie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de lopéra.
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis quils reviennent. Bien quau début, ils appréhendaient cette expérience.
P.J. : Vous disiez que lOpéra est populaire
G.S. : Cest quà lorigine, lopéra est populaire ; lart lyrique est un art populaire, qui sest embourgeoisé dune certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce nest pas le cas de lOpéra de Marseille, où est ouvert à tous. Cest vrai que quand on prend lOpéra de Monte-Carle, cest réservé à une élite. Et cest dans limaginaire que lopéra est un lieu réservé, inaccessible. Et cest ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à lOpéra, cest pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et cest chez eux.
P.J. : Ils sapproprient ce lieu
G.S. : Oui, facilement, malgré les a priori de départ.
P.J. : Jen reviens à la fréquentation : peu de données sur le public de lOpéra de Marseille
G.S. : Jai fait tirer quelque chose, mais il ny a pas détudes, à ma connaissance, de faite sur le public de lOpéra de Marseille. Par rapport à lorigine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% dailleurs.
P.J. : LOpéra est-il un art qui sest démocratisé ?
G.S. : Nous essayons de la démocratiser au maximum. On ne fait pas de programmation spécifique « jeune public » ; les jeunes viennent découvrir la programmation classique de lopéra, et pour eux, cest une programmation tout à fait accessible. Ils travaillent sur Le Vaisseau fantôme, Carmen. Et par notre politique tarifaire, lopéra est accessible au plus grand nombre : de 8 à 50 euros la place.
P.J. : Quand on dit que « les jeunes viennent », est-ce de la démocratisation ?
G.S. : Oui, cest de leur montrer que lopéra est accessible. Cest permettre au plus grand nombre davoir accès à ce lieu. Cest de ne pas être là avec des images figées, « lopéra réservé à une élite », la crainte ensuite dy accéder, la peur de franchir la porte.
P.J. : Le public handicapé a-t-il accès à lopéra ?
G.S. : Tout à fait.
P.J. : Vous travaillez avec des hôpitaux ?
G.S. : On travaille avec des personnes hospitalisées, avec des services de gériatrie. Très peu dassociations soccupent des personnes âgées. Nous donnons des concerts avec des artistes de lOpéra de Marseille (trois lannée dernière). Et ça se passe très très bien.
P.J. : Constate-t-on une augmentation des ventes de places ?
G.S. : Cela dépend des ouvrages. Mais lOpéra de Marseille remplit bien ses salles.
P.J. : Donc finalement le problème nest pas quantitatif
G.S. : De toute manière lopéra ; je pense que cest une carte facile à vendre
Nous avons une jauge de 1832 places.
P.J. : Je voudrais revenir à un des problèmes du public de lopéra : le renouvellement. En termes dâge, cest peut-être un public vieillissant ? Le but des actions menées ici est de faire découvrir lopéra aux jeunes. Le service ne voudrait-il pas aller plus loin ? Je ne suis bien entendu pas là en tant que directeur du service, qui donnerait ici des indications, mais ne faudrait-il pas travailler pour que les jeunes, par eux-mêmes, viennent à lopéra, éventuellement accompagnés de leurs parents ?
G.S. : Nous avons une action avec le Conseil général : « Latitude 13 ». Ce sont des chéquiers de tickets dentrée à des spectacles vivants : des chèques pour venir pour 2 euros à lopéra, au théâtre, au cinéma, ainsi que des chèques-accompagnateurs, qui leur permet de venir avec un ou deux parents. Cest très intéressant
P.J. : Je suis davis
G.S. : Les inviter eux-mêmes à faire la démarche.
P.J. : Vous êtes seul à animer « lAction culturelle »
G.S. : Je suis aidé par un chorégraphe, un assistant mise en scène, un pianiste et un professeur de danse. Et tous les personnels de la maison dopéra sinvestissent dans le cadre des ateliers-découvertes.
ANNEXE 4 : Entretien avec Mme Anne Jouy-Pignard, responsable du service « Animation culturelle et sociale » de lOpéra de Nice
Opéra de Nice, jeudi 25 mars 2004, 9h40-10h45
Pierre Jamar : LOpéra de Nice travaille, pour ce qui concerne votre service, autour dopéras pour enfants, cest bien ça ?
Anne Jouy-Pignard : Il se trouve que pour le moment, jai en préparation deux opéras pour enfants (Le Petit ramoneur, de Benjamin Britten et Brundibar) réalisés avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignation. Ces deux opéras avaient été montés il y a un et deux ans, mais beaucoup denfants ne lavaient pas vu. Beaucoup denseignants dont on avait pas retenu la demande, parce que évidemment, il ny avait plus de places. Donc on sest dit quon allait les reprogrammer tous les deux cette année. Chacun choisit le sien. Et ça nous permettra, lan prochain, toujours avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, de monter un autre ouvrage, une production, une création mondiale.
Dans le prochain, qui sappellera, sous réserve, Le Chemin des abeilles, le livret a été écrit avec les enfants de deux classes de ZEP, deux classes défavorisées de louest de Nice. Ce sont des enfants de CM1, ils ont commencé à travailler là-dessus lan dernier, en mai, quand ils étaient en CE2. Donc ce scénario, ce livret, avec Sugeeta Fribourg. Cest fait avec beaucoup de difficultés quand même de leur part, mais elle venait en stage pendant huit jours tous les mois, et ça a fait un travail extraordinaire, parce que les enfants ont fait un bond en français, en expression, en réflexion parce que souvent, cest comme pour la télé, on regarde puis on absorbe sans se poser de questions. Là, ils ont réfléchi et ont créé certes quelque chose de pauvre- mais on essaye au fur et à mesure de les accompagner, denrichir leur vocabulaire. Sugeeta est passée derrière quand même, elle prenait les réflexions des enfants, le travail des enfants, et elle a enfin fait un livret qui se tient. On a un compositeur, Pierre Thilloy. Le tout, on devrait lavoir en septembre. A ce moment-là, je pense que je vais demander à toutes les classes qui vont participer à cet opéra dimaginer les décors : des maquettes plates, mais avec les dimensions de la scène. On avait déjà fait lexpérience il y a quelques temps, avec Hansel et Graetel, et ça a donné des choses absolument merveilleuses, surtout avec les maternelles. Les décors avaient été directement reproduits à léchelle par les gens de la Diacosmie (latelier de production des décors). Ca, on ne pouvait pas le faire faire par les enfants, parce quon ne pouvait pas utiliser de peintures, de toxines. Mais les enfants ont vraiment retrouvé leurs décors.
P.J. : Les enfants vont-ils eux mêmes participer à la représentation de lopéra, en tant quacteurs ?
A.J.-P. : Les deux classes qui ont écrit le livret vont aussi participer sur scène. Les classes qui sont dans la salle auront des chants communs avec la scène, et ne seront donc plus seulement en tant que spectateurs, mais acteurs aussi. On donne aux enseignants une cassette, une partition, quelques fois, dans certains cas, des étudiants de lIUFM viennent dans les classes pour les aider, mais le principe cest que lenseignant retrousse ses manches et travaille, soit actif. Le côté décoration, ils sont toujours daccord de faire des affiches
Tout ce qui est plastique, ça marche toujours. Mais tout ce qui est musical, cest plus difficile. Ca marche.
P.J. : De manière plus générale, quels sont les buts de ces actions. On a parlé de faire participer les enfants. Mais par rapport à lOpéra, au lieu, au bâtiment, à la fréquentation : est-ce de les faire venir par eux-mêmes, plus tard.
A.J.-P. : Je ne sais pas. Bien sûr, lobjectif officiel est de faire découvrir lopéra pour quils deviennent spectateurs plus tard. Honnêtement, jy crois pas tellement. Puis je pense que tout est élément de découverte, de culture. Cest leur culture, cest leur patrimoine. Et ça, on tient vraiment à le faire découvrir. Après, si ça marche, tant mieux, et si ça marche moins, cest pas grave. Mais il y a une petite graine qui est plantée. Sil y a suffisamment darrosage
P.J. : Travaillez-vous avec des jeunes « plus âgés » ?
A.J.-P. : On a parlé des 5-10 ans. Demain, jai deux concerts de chur, avec plutôt les 10-15 ans : les grands de primaire et les collèges. Après, il y a des pré-générales pour les lycées et les étudiants. Dons il y a quand même une continuité. Pour les étudiants, la Caisse des dépôts et consignations revient sur le tapis parce quelle soutient les concerts « Campus en Musique », qui est une « appellation contrôlée ». Il y en a à Marseille aussi.
P. J. : Y a-t-il des offres tarifaires particulières, pour les étudiants par exemple ?
A.J.-P. : Ca, je ne men occupe pas trop, cest pas mon domaine, moi, cest tout ce qui est gratuit !
P. J. : Sachant quon leur apporte la musique sur le campus, essaye-t-on de les faire venir à lOpéra ?
A.J.-P. : Je crois quil y a des prix
il y a 10% évidemment pour les étudiants, mais cest pas grand chose. Mais à côté de ça, il faut dire aussi quil ny a pas que des places à 150 euros
il y a la paradis, avec des places absolument pas cher. Donc là ça va.
P.J. : Pas de places debout, comme dans les maisons opéras de tradition germanique ?
A.J.-P. : Si, il y a une rangée de places debout avec une petite estrade, mais cest juste une rangée. Avec, en revanche, pas mal de places assises devant, ce qui est un peu gênant, mais il y a latmosphère
Jy ai été lorsque jétais étudiante, cétait très familial. Et je pense, mais jen suis pas sûr, le jour-même du concert, sil reste des places, elles sont bradées à 50%. Pour les concerts et les ballets, je pense.
P.J. : Pour parler du public actuel de lOpéra de Nice, le connaît-on ? A-t-on des données ? De grandes tendances ?
A.J.-P. : Assez âgé, relativement âgé, nanti, abonné sur lannée.
P.J. : Cest un public local ?
A.J.-P. : Oui, mais ça va jusquen Italie. Evidemment, il y a Monte-Carle, avec une grosse demande sur un certain nombre de choses, et puis des Ballets superbes. Mais sinon, il y a quand même des gens qui viennent dautres pays.
P.J. : Et vers louest, du côté de Cannes ?
A.J.-P. : Après, cest Toulon, cest loin. Cannes bien sûr.
P.J. : Vous êtes là depuis 1992. Remarque-t-on des évolutions ?
A.J.-P. : Je remonterais plus loin. Je me souviens de lépoque où [Pierre] Médecin était directeur artistique ici [à partir de 1982], et cest vrai quil a réussi à constituer un public pour Wagner. Ce qui était pas évident, car on est plus italien ici. Tout ce qui est italien, ça marche. Avant Paul-Emile Fourny [le directeur actuel], on a eu un Italien. Donc il a vraiment « balancé » beaucoup douvrages italiens. Paul-Emile Fourny a lair de vouloir faire des choses différentes, qui ne plaisent pas forcément au public, qui boude un petit peu, une première fois, mais cest bien, il faut bouger.
P.J. : Y a-t-il une ouverture aux personnes handicapées ?
A.J.-P. : On na pas eu douverture au public handicapé lan dernier. Cette année, Paul-Emile Fourny voulait privilégier le public étudiant.
P.J. : Mais un handicapé moteur peut-il rentrer à lOpéra de Nice avec son fauteuil ?
A.J.-P. : Non, lOpéra de Nice est un opéra tout à fait vieux, 1885, qui est hors-normes actuelles. On peut mettre à la limite vraiment en calculant bien- trois fauteuils, pour une répétition, pas pour un spectacle, parce quil faut les faire passer par le monte-charge qui est derrière la scène. et quand larrière-scène est encombrée de décors, etc, cest fichu, on ne peut pas. Et trois fauteuils, cest vraiment le maximum, parce que si il y a le feu, on ne pourrait pas les sortir
P.J. : Je prends lexemple de lOpéra du Rhin, exemple qui ma impressionné. Sur trente ans, il y a eu une grande évolutions au niveau du public, et principalement des jeunes : 20% de moins de 26 ans actuellement.
A.J.-P. : A oui ?
P.J. : Avec par exemple des scolaires qui assistent aux représentations dopéras. Jétais à Strasbourg il y a deux semaines, et pour la représentation de Hans Heiling, les premier rangs de plusieurs balcons était occupés par des enfants
A.J.-P. : On a un public scolaire pour les répétitions (pré-générales et autres), mais il vient aux pré-générales ; il ne vient pas aux représentations. Pour les pré-générales, ce qui est intéressant, cest quon demande parfois au metteur en scène de venir sexpliquer un petit peu sur la mise en scène quil a voulu faire, sur les décors quil a choisis avec les décorateurs.
P.J. : Vous êtes seule à animer le service ?
A.J.-P. : Oui, seule dans ma bulle ! Pour le moment.
P.J. : Le service va sélargir ?
A.J.-P. : Si ladministration veut créer des postes, si la ville veut créer des postes, sil y a une véritable volonté, là, cest possible.
P.J. : Au niveau de la billetterie, y a-t-il un suivi régulier ? Des statistiques ? Des enquêtes ?
A.J.-P. : Je pense quil doit y avoir eu des enquêtes. Mais je ne suis pas vraiment au courant. Je vous amènerai tout à lheure à la billetterie.
P.J. : Y a-t-il une politique, une volonté, daccrocher certaines catégories de personnes ? Ou alors lOpéra de Nice est satisfait de son public actuel
A.J.-P. : LOpéra est petit : 1000 places, dont une centaine aveugles
Et cest plein. Les ouvrages lyriques, cest complètement plein. Pour pas mal de gens, cest presque impossible davoir une place en dehors des abonnements. Pour les concerts, il y a quand même un peu plus de places disponibles que pour lopéra.
P.J. : LOpéra de Nice, cest une situation un peu particulière en France ?
A.J.-P. : En termes géographiques ?
P.J. : Au niveau du contact entre le public et les uvres, lattachement au lieu,
A.J.-P. : A Nice, le public est assez âgé et il a ses habitudes. Faut pas changer de fauteuil ! Je me souviens dune fois où quelquun ma dit que son fauteuil était plat, et que étant tapissier : « Est-ce que je peux venir le rembourrer ? » Voilà. Abonné sur le même fauteuil depuis je ne sais pas combien dannées, et que comme cest son fauteuil, il y mettrait un peu de crin, et quil ne ferais pas payer le crin. Bien sûr, mais on ne peut pas accepter ce genre de choses quand même. Ceci dit, il y a quand même du renouvellement : entre amis, « tiens pourquoi pas un abonnement à lopéra », si on sy prend assez tôt.
P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.
A.J.-P. : Qui na pas le temps ?
P.J. : Qui na pas le temps
Donc ils ont une classe dâge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles dattaque ».
A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et cest pas mal. Il y a des concerts du chur denfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public ».
Je suis tout à fait daccord [sur la classe 35-50 ans]. Ce nest pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs.
P.J. : Je voudrais venir au thème de la démocratisation culturelle. Cest un grand mot en France, qui fait partie dune politique fondatrice du Ministère de la culture. Peut-on parler de démocratisation à lopéra ?
A.J.-P. : Je pense. Ce nest plus réservé à une certaine classe sociale, médecins, enfin les professions libérales. Je pense quil y a quand même dautres personnes qui viennent, parce quils aiment la musique, parce quils ne sont pas obligés de venir en « nud pap » et en robe longue. Ils ont compris ça. Je pense que de ce point de vue-là, ça a quand même changé. Bon, les gens shabillent quand même
P.J. : Tenue de soirée
A.J.-P. : Non, même pas tenue de soirée. Ou alors peut-être pour les Premières, cest plus sélect quand même. Mais sinon, il y a quand même des tas de gens qui ont compris quils peuvent venir après leur travail. Cest un public
plus large. Et je pense que par lintermédiaire des enfants, il y a un peu de ça quand même. Il y a des prof de lycées qui sinvestissent, qui ne sont pas prof de musique, mais prof de français, dhistoire, etc. Ils sinvestissent dans la découverte par les enfants des opéras, qui les amènent. Daccord, ils en profitent de lopéra, ils sont contents, ils aiment ça. Très bien, mais les enfants pendant ce temps-là, les jeunes, les étudiants viennent aussi. Les parents quand même viennent aussi.
P.J. : Le plus grand acquis, cest
A.J.-P. :
de faire parler. De faire parler les enfants de manière à ce quils amènent les parents à franchir cette porte. Parce que au fond, ils ny avaient jamais pensé. Une forme de curiosité. Ecoutez, il y a des tas de gens qui navaient jamais pensé à venir à lopéra. Des gens de 35-40 ans, qui ont fait leurs études de pharmacies, qui sont pharmaciens, et : « Ah oui, tiens, pourquoi pas lopéra ? ». Et moi, je recrute dans le bus. Je passe pas mal de temps dans le bus, et javoue que même comme ça, je dis que lopéra, cest sympa,
En fait, cest la communication qui fait tout. Cest parler et faire parler qui fait que les gens viennent.
P.J. : Les villes qui ont un opéra ; elles le subventionnent fortement ; cest une charge
A.J.-P. :
une charge énorme, et comment
P.J. : En sachant que ce sont les citoyens de la ville qui en ont, au final, la charge...
A.J.-P. :
tout à fait. Ils payent la plus grosse part
P.J. :
mais ils nen profitent pas beaucoup
A.J.-P. :
ils nosent pas ou ny pensent pas
P.J. :
alors que ce sont des lieux qui sont forts, qui sont grands, qui sont
A.J.-P. :
magiques. Il faut le dire. Cest un lieu qui fait partie de notre patrimoine. Cet opéra, il est beau on ira le visiter tout à lheure- il a été refait à lextérieur et va être refait à lintérieur. Cest quand même à visiter à la limite, presque comme un musée. Cest quand même notre patrimoine.
P.J. : Egalement au niveau des arts, de leurs combinaisons.
A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait quil y ait des gens qui circulent.
P.J. : Il y a une programmation particulière à lOpéra de Nice ce jour-là ?
A.J.-P. : Oui, pas toute la journée, mais presque.
P.J. : Qui consiste en de lart lyrique ou pas ?
A.J.-P. : Pas forcément : concerts, churs denfants, même un petit peu de jazz. Pourquoi pas, mais ça se passe dans le lieu de lopéra. On sait faire aussi autre chose.
P.J. : Quand on creuse un peu la littérature sur lopéra, on parle, pour les années 1970, dun creux en termes de fréquentation, que les salles se vidaient, etc. Jai limpression quon a plus ce problème actuellement. Est-ce que la fréquentation continue à augmenter ?
A.J.-P. : Moi, je pense. On peut peut-être regarder à la billetterie.
P.J. : Je pense que cest une question importante, pas uniquement pour justifier lintercention économique
car lopéra mobilise toute une équipe, ça concerne beaucoup de monde.
A.J.-P. : Je crois que les gens sont peut-être plus ouverts actuellement à lidée de lopéra, des concerts. Ils savent que ça existent. Ca fait plus partie de leur vie. Je ne dirais pas quil y viendront plus facilement. Il y a la télé aussi, on sembête pas, on est tranquille à la maison avec un ptit whisky et cest bon
Et enfin, je pense que les gens ont plus conscience, ont plus intégré
dans leur subconscient et dans leur conscience aussi, il y a quelque chose qui se passe
Ils sont plus ouverts.
A.J.-P. : Cest sûr que lopéra à la télé, ça aussi, ça fait du bien. Moi je pense que ce nest pas une grosse action quil faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. Il y a des émissions culturelles, on en parle de plus en plus dans la rue. Enfin donc je pense que cest quand même plus ouvert.
P.J. : Un des objectifs nest-il pas de faire franchir, pour le première fois, les portes de lopéra ? De capter un public potentiel ?
A.J.-P. : Cest pour ça que je pense quand même que mon travail va dans le bon sens, peut amener sa petite goutte deau
P.J. : Cela fait plus de dix ans que le service fonctionne. Votre travail a-t-il un peu bouleverser léquipe ?
A.J.-P. : Les équipes changent beaucoup ; il y a les contractuels, il y a des étrangers
Paul-Emile, non, cest un Français
Il est belge, menfin, cest un Français.
P.J. : Tous les Belges sont français ?
A.J.-P. : Oui, oui, cest ça exactement. Mais enfin, tout change, et cest pas toujours facile davoir une continuité.
P.J. : Vous avez créé le service ?
A.J.-P. : Moi, je suis professeur de musique à lorigine. Jai fait cinq ans denseignement. Cétait au moment où, en France, on a créé les interventions de musiciens dans les écoles. Je mes suis dit que ce serait plus intéressant que je sois là. Donc jai donné ma démission à lEducation nationale et je mes suis engouffrée dans cette brèche, intéressante dailleurs, mais la présentation dinstruments, au bout dun moment,
Alors jai fait autre chose. Il y avait les JMF (Jeunesses musicales françaises), pour qui jai travaillé pendant 19 ans. Il y avait les présentations et les concerts JMF. Après javais fait de lhistoire de lart, donc histoire de la musique et histoire de lart : on a fait des montages musicaux
Et puis après, jétais au Conservatoire, pour organiser les concerts des élèves du Conservatoire. Parce que là, il y avait un gros travail faire. Il y a ceux qui sont comme ça avant un concert, qui tremblent, qui sont verts et tombent dans les pommes. Et puis il y a ceux qui sont à laise. Avec un certain nombre de prof, on na vraiment organisé pas mal de concerts. Javais la gestion générale, la coordination des concerts. Et puis après je suis venue ici. Et finalement je fais la même chose, toujours dans la musique, toujours dans le droit fils de léducation, et là, je fais venir des écoles, jessaye de faire les enseignants. Ils ont quelques fois leur fiche pédagogique. Tout de façon, les enfants ont toujours une fiche de présentation. Je ne dis plus « pédagogique », étant donné que je ne suis plus dans lenseignement. On dit « fiche de présentation », parce que cest une présentation de ce que vous allez voir. Donc on en entend parler à lécole. Je donne toujours une feuille, donc les parents peuvent la voir. Cest une sorte de réseau, de web ; on essaye de faire en sorte que tout le monde soit dedans.
P.J. : Cela se passe toujours directement entre vous et les enseignants ? Ou cela passe par lInspection académique ?
A.J.-P. : Oh oui, bien sûr, ils [lInspection académique] sont au courant. Alors, on est daccord, et après, cest moi qui fait avec les enseignants. Il faut vraiment quils soient dans le coup. Cela se passe toujours avec laccord de lInspection académique. Toujours.
Pilichowsky, « Une folie devenue ordinaire » in : Le Dauphiné libéré, 26/07/04
Donnat, Les pratiques culturelles des Français, Paris, 1973 ;1981 ;1989 ;1997.
CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques : synthèse, Paris, 2000, 199 p. + annexes
DOUBLET/RTLF, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » p.9-20 in Modern & Contemporary France, 02/2003, p. 11
Léopold Ier, roi des Belges (1831-1865)
Ministère de la culture et de la communication, Présentation de la politique en faveur de la musique, 12 juin 2003, p. 47
Urfalino, Linvention de la politique culturelle, 1996
Jamar, Kulturstiftung des Bundes, Mittel der Zuständigkeitsordnung [La Fondation fédérale allemande pour la culture. De lordre dans le partage des compétences], 2003
déclaration au Sénat, 8 décembre 1959
Urfalino, op. cit., p.72-73
décret du 3 février 1959
Urfalino, op. cit., p.64-65
Moinot, Exposé sur les Maisons de la culture, devant le groupe de travail « Action culturelle », mai 1960
Moinot, Action culturelle, an I, octobre 1962
Urfalino, op. cit., p.99
Urfalino, op. cit., p.222
déclaration de Villeurbanne, 25 mai 1968
Urfalino, op. cit., p.247
Aillagon, discours et communiqués, 19 janvier 2004
Urfalino, op. cit., p. 15, p. 24
déclaration de Villeurbanne, 25 mai 1968
Donnat, Les pratiques culturelles des Français, 1973, 1981, 1989, 1997
Donnat in GUERRIN (Michel), ROUX (Emmanuel de), « La politique de lélitisme pour tous dans limpasse », Le Monde, 04/05/02, p. 31
Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003, p.2
Donnat, op. cit., p. 4
Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003
décret du 24 juillet 1959
Donnat, op. cit., p. 3
loc. cit.
Tolila, Donnat (dir.), Le(s) public(s) de la culture, Paris, 2003, 390 p.
Octobre, Donnat (dir.), Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes, Paris, ministère de la Culture et de la Communication, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif. » in Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes, Paris, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
voir par exemple Bourdieu, Darbel, Lamour de lart, Paris, 1969
Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003
« Je considère la galaxie comme une constellations dévénements, comme une mosaïque de perceptions et dobservations données ». Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg : la genèse de lhomme typographique, Montréal, 1967.
Doublet, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
Passeron, « Consommation et réception de la culture : la démocratisation des publics » in Le(s) public(s) de la culture / sous la dir. de Paul Tolila et dOlivier Donnat, Paris, 2003, 390 p.
Patureau, Les pratiquants de lart lyrique aujourdhui, Paris, 1991, 39 p. (Rapports de la recherche, Ministère de la Culture)
Patureau, « Le défi opéra » p.313-322 in : Les malheurs dOrphée / sous la direction de R. Wangermée, Bruxelles/Liège, 1990, p.314
loc. cit.
Bauché, Opéra-Bastille, opéra populaire ? ou la tentative de démocratisation de lart lyrique, 107 p. Mém. DESS : Pol. cult. : IEP Grenoble, 1990
Rapport de linspecteur des Finances François Bloch-Laine sur lOpéra de Paris, 1976
Bauché, op. cit., p. 27
Foccroulle, Le Prix de la culture, 2003, www.opera-europa.org/pub/oeuvres_3c.html
voir par ex. CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques, Paris, 2000, 199 p
Pedler, « LOpéra de Marseille et ses publics » p. 65-69 in : Marseille XXe siècle : un destin culturel / sous la dir. de Mireille Guillet et Claude Galli, Marseille, 1995, 303 p.
Patureau, op. cit., p. IV
Patureau, loc. cit.
Pedler, op. cit., p. 65
Le Monde, 21 mars 1996
Le Monde, 26 novembre 1997
Le Monde, 17 octobre 2000
Le Monde, 22 février 2002
Ministère de la culture et de la communication, Présentation de la politique en faveur de la musique, 12 juin 2003, p. 47
Voir, dans un domaine très proche : Association française des orchestres, Laction éducatives des orchestres, Paris, 2003
« du berceau à la tombe », Shakespeare
« Par les sciences, les ténèbres sont vaincus » (devise de lUniversité libre de Bruxelles)
Donnat (dir.), Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, 2003
Ethis, Pour une po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture : le spectateur imaginé, Paris, 2004
CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques : synthèse, Paris, 2000, 199 p. + annexes
Doublet, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
Doublet, op. cit., p.29-40
Doublet, op. cit., p.13-14
A lOpéra de Paris, la réservation par internet, ouverte depuis 1997, est utilisée par 78% de primo-arrivants au sein de cet établissement.
Doublet, op. cit., p. 46
Roussel, « La diversification des publics à lOpéra national de Paris » p. 55-63 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes / sous la dir. dOlivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
Pedler, 01/02/1990, portant sur 412 spectateurs
« Le mot du Président » par Robert Grossmann, brochure de présentation de la saison 2003-2004.
Pfeffer, Hauts lieux musicaux dEurope, Paris, 1990, p. 131
Renée Auphan, directrice générale, éditorial de la brochure de saison 2003-2004
Pfeffer, op. cit., Paris, 1990, p. 137
LOpéra de Lille, réouvert en 2004, est dirigé par Caroline Sonrier
Pfeffer, op. cit., p. 137
Brochure de présentation de la saison 2003-2004
Roussel, « LObservatoire des publics à lOpéra National de Paris : caractéristiques de la programmation et évolution des profils » in : Les public(s) de la culture / sous la direction dOlivier Donnat et de Paul Tolila, Paris, 2003, 393 p. + cédérom
LINSEE a définit 6 CSP principales : agriculteurs / artisans, commerçants et chefs dentreprise/ cadres et professions intellectuelles supérieures / professions intermédiaires / employés / ouvriers. Voir aussi le tableau 13.
Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif » p. 21-25 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes / sous la dir. dOlivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
Attention que lauteur semble confondre quantité et proportions. Les taux de pénétrations passant respectivement de 10% à 15% et de 5% à 10% pour les groupes A et B, doù une augmentation différenciée : de +50% pour le groupe A et de +100% pour le groupe B.
Nous avons en effet remarqué la limite de cette démarche par des résultats denquêtes au sein de la pratique « art lyrique » mettant au jour des phénomènes tels que le rajeunissement et la féminisation. Ils sont intervenus comme indices dans notre réflexion.
Phénomène observé par ailleurs dans la fréquentation de la Bibliothèque nationale de France.
Doublet, Opéra. Nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, p. 46
Muxet, Les étudiants de Sciences Po : leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques, Paris, 2004
voir par exemple lanalyse de Nathalie Heinich, dans Sociologie de lart, Paris, La Découverte, 122 p. (Repères), à propos du doublement de la fréquentation (entrées vendues) des musées entre 1960 et 1978 : « Deux interprétations soffrent au sociologue (
) : soit il sagit dune démocratisation du public (
) ; soit il sagit dune intensification de la pratique par les mêmes catégories sociales. (
)Vérification faite, ces deux explications ont leur part de vérité, la seconde étant toutefois plus déterminante : le monde des musées ne sest que marginalement démocratisé ; il sest plutôt modernisé, répondant mieux à la demande ou contribuant à la créer de ses publics habituels. » p. 51-52
« Avignon actualité », édité par la Mairie dAvignon
Doublet, Opéra : Nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
Doublet, op. cit., p. 46
Doublet, op. cit., p. 43
Doublet, op. cit., p. 42
Roussel, « La diversification des publics à lOpéra national de Paris » p. 55-63 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes / sous la dir. dOlivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001
Roussel, op. cit., p. 62
Donnat, Les pratiques culturelles des Français, Paris, La documentation française, 1973-1981-1989-1997
Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » p.9-20 in Modern & Contemporary France, 02/2003
« The Neverending Story », film fantastique ouest-allemand de Wolfgang Petersen, 1984
Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg : la genèse de lhomme typographique, Montréal, 1967.
Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif » p. 21-25 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats denquêtes / sous la dir. dOlivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
En effet, la chargée détudes sattache dans sa « proposition de cadre interprétatif », à mettre au jour des phénomènes qui, bien quaffectant lévolution de la fréquentation dun équipement culturel, ne peuvent relever, selon elle, de la démocratisation culturelle : élitisation, banalisation, popularisation, renouvellement générationnel, désaffection.
Chambre professionnelle des Directeurs dOpéras
Réunion des Théâtres lyriques de France
Pedler, Entendre lopéra : une sociologie du théâtre lyrique, Paris, 2003, p. 162
Pfeffer, Hauts lieux musicaux dEurope, Paris, 1990,
Pedler, « LOpéra de Marseille et ses publics » p. 65-69 in : Marseille XXe siècle : un destin culturel / sous la dir. de Mireille Guillet et Claude Galli, Marseille, Via Valeriano, 1995, p. 65
Pedler, Entendre lopéra : une sociologie du théâtre lyrique, Paris, 2003, p. 163
Constant, « Lexigence de la diversité » in : Le Dauphiné libéré, édition dAvignon, 06/09/04
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INCORPORER Excel.Sheet.8
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Les jeunes et l'Opéra national du Rhin
Notre objectif :
vous aider à sensibiliser le public jeune à lart lyrique et à la danse.
Les règles du jeu :
Enseignants, animateurs, associations détudiants, à partir de nos productions, vous imaginez un projet. Nous soutenons votre travail et facilitons votre venue au spectacle.
Des sujets vous inspirent ?
La musique, le livret, un personnage, une chorégraphie, le contexte historique et artistique dun opéra ou dun ballet, la mise en scène ou la conception des décors et des costumes
À vous de jouer !
Montez un spectacle, une comédie musicale, détournez des airs dopéra, réécrivez un livret, créez une chorégraphie, une vidéo, réalisez une affiche, organisez une exposition,... Nous vous proposons, pour enrichir votre travail, de la documentation écrite et audiovisuelle, des visites du théâtre, des ateliers, des rencontres avec des artistes. Nous vous proposons également dassister à des répétitions, de mettre en place des interventions dans votre établissement, et même de vous apporter les conseils de nos professionnels, tout en tenant compte des contraintes liées au fonctionnement de notre maison.
Alors, laventure que vous imaginerez, permettra à ces jeunes « nouveaux initiés » dapprécier en connaisseurs, les spectacles de lOpéra national du Rhin avec, en plus, des tarifs préférentiels!
(extrait de la brochure saison 2003-2004)
L'Orchestre de l'Opéra
Créé ex nihilo en 1983, associant jeunes instrumentistes et chefs de pupitres chevronnés, très rapidement invité dans les festivals et sollicité par les maisons de disques, l'orchestre alterne répertoire et création, lyrique et symphonique. Premier directeur musical, John Eliot Gardiner avait façonné l'ensemble au baroque, au classique et à l'opéra-comique français (Offenbach, Chabrier, Messager) mais aussi à Weber, Berlioz et Debussy ; Kent Nagano a mis l'accent, de 1988 à 1998, sur les cent années qui nous précèdent - Prokofiev, Busoni et Martinu comme Puccini, Strauss et Schoenberg, Messiaen ou Adams ; Louis Langrée est directeur musical de l'orchestre de 1998 à septembre 2000. Iván Fischer lui a succédé.
Politique audiovisuelle
Avec la conviction que le lyrique n'a d'avenir que dans l'élargissement du répertoire (explorer plutôt qu'exploiter), du public et de la diffusion, l'Opéra de Lyon fait de l'audiovisuel, avec obstination et passion, non un agrément, mais un paramètre important de son projet artistique maintenant l'équilibre entre l'instantané et la pérennité. Ont été édités (CD audio et vidéo, vidéocassettes, DVD,...) et souvent primés, une quarantaine d'opéras, dont douze en première mondiale, plusieurs ballets, des récitals et des programmes symphoniques.