Td corrigé Troisième partie - HAL-SHS pdf

Troisième partie - HAL-SHS

Ensuite, à propos du texte fondateur (rendre accessibles les ?uvres capitales de ...... Laissons parler le Maire de Nice à ce sujet : « Je souhaiterais jeter un regard avec vous ...... Notre démarche théorique d'éclatement de la notion, couplée à nos ...... Grâce au logiciel que l'on a aujourd'hui, qui est devenu depuis quelques  ...




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isation. Et si la notion avait pris un sens trop étroit au fil des études nationales regroupant l’ensemble des pratiques culturelles ?
A une échelle d’analyse plus réduite – une pratique culturelle et a fortiori un équipement culturel – des changements dans la composition sociale des publics apparaissent plus clairement. Contre-exemple de la démocratisation culturelle, l’art lyrique est un terrain d’enquête de première importance. Par des entretiens au sein de maisons d’opéras, nous tenterons de mettre au jour des phénomènes locaux de démocratisation, pour réinvestir la notion, dans un sens plus large.]




à Ariane, à Naxos






« L’art est toujours destiné à des spectateurs, des auditeurs ou des lecteurs. L’art n’existe pas sans le public mais cela ne veut pas dire que l’art existe pour le public. Le public est là pour l’art. Il est important que l’art obtienne le public dont il a besoin mais vouloir que tout le monde s’occupe d’art est un souhait irréalisable »

Eric Antonis, directeur d’Anvers,
Ville européenne de la culture 1993











Chaleureux remerciements à Mélodie, Renaud, Catherine P., Agnès pour leur accueil d’un ou plusieurs soirs lors du « tour de France lyrique »;

merci aux collègues de DEA (Avignon, 2003-2004), apprentis-chercheurs dont les questionnements ont servi pour chacun de thérapie scientifique collective ;

et surtout sincères remerciements à Marie-Hélène Poggi pour ses justes conseils et sa disponibilité.

Table des matières


 TM \o "1-3" 
Introduction  RENVOIPAGE _Toc82942259 \h 9
Méthodologie  RENVOIPAGE _Toc82942260 \h 15
Première partie La fréquentation des équipements culturels :
des fondations en mouvements  RENVOIPAGE _Toc82942261 \h 17
Chapitre premier  Le mono-thème de la démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser  RENVOIPAGE _Toc82942262 \h 20
Section 1. Une mission fondatrice  RENVOIPAGE _Toc82942263 \h 20
Section 2. Une inaccessible étoile  RENVOIPAGE _Toc82942264 \h 25
Section 3. Réflexions autour d’un mot : vers une remise en cause de la notion même de démocratisation  RENVOIPAGE _Toc82942265 \h 31
Chapitre 2 Les pratiquants : du Public aux publics  RENVOIPAGE _Toc82942266 \h 38
Section 1. Majuscule vs minuscule  RENVOIPAGE _Toc82942267 \h 38
Section 2. Singulier vs pluriel  RENVOIPAGE _Toc82942268 \h 39
Chapitre 3 A la marge de la démocratisation : l’art lyrique  RENVOIPAGE _Toc82942269 \h 41
Section 1. Economie : un ogre financier  RENVOIPAGE _Toc82942270 \h 41
Section 2. Publics : vers une connaissance scientifique  RENVOIPAGE _Toc82942271 \h 45
Section 3. Politique : la décentralisation lyrique  RENVOIPAGE _Toc82942272 \h 46
Deuxième partie La fréquentation des Opéras :
des phénomènes évolutifs locaux  RENVOIPAGE _Toc82942273 \h 59
Chapitre premier Au cœur de la matière  RENVOIPAGE _Toc82942274 \h 61
Section 1. Echelle « pratiques culturelles »  RENVOIPAGE _Toc82942275 \h 62
Section 2. Echelle « pratique art lyrique »  RENVOIPAGE _Toc82942276 \h 63
Section 3. Echelle « équipement lyrique »  RENVOIPAGE _Toc82942277 \h 69
Chapitre 2 Entre quantité et qualité  RENVOIPAGE _Toc82942278 \h 86
Section 1. La démocratisation du recrutement social  RENVOIPAGE _Toc82942279 \h 87
Section 2. Des phénomènes évolutifs locaux  RENVOIPAGE _Toc82942280 \h 88
Section 3. Une grille d’analyse ouverte  RENVOIPAGE _Toc82942281 \h 91
Chapitre 3 Applications  RENVOIPAGE _Toc82942282 \h 93
Section 1. Identités locales  RENVOIPAGE _Toc82942283 \h 94
Section 2. Défis particuliers  RENVOIPAGE _Toc82942284 \h 98
Section 3. Handicaps socio-classiques vs socio-latents  RENVOIPAGE _Toc82942285 \h 109

Troisième partie Au-delà de la démocratisation  RENVOIPAGE _Toc82942286 \h 113
Chapitre premier L’art lyrique : de multiples obstacles  RENVOIPAGE _Toc82942287 \h 116
Section 1. Rendre accessibles… à qui ?  RENVOIPAGE _Toc82942288 \h 116
Section 2. L’opéra : réservé à une élite ?  RENVOIPAGE _Toc82942289 \h 117
Section 3. Le capital de temps disponible  RENVOIPAGE _Toc82942290 \h 119
Chapitre 2 Evolutions ou démocratisation ?  RENVOIPAGE _Toc82942291 \h 123
Section 1. Beaucoup d’évolutions, peu de démocratisation  RENVOIPAGE _Toc82942292 \h 124
Section 2. Une galaxie de phénomènes évolutifs locaux  RENVOIPAGE _Toc82942293 \h 125
Section 3. Tentative de réinvestissement  RENVOIPAGE _Toc82942294 \h 126
Chapitre 3 Une démocratisation en chambre ?  RENVOIPAGE _Toc82942295 \h 133
Section 1. Un voyage au cœur de la galaxie démocratisation  RENVOIPAGE _Toc82942296 \h 134
Section 2. L’art lyrique se démocratise  RENVOIPAGE _Toc82942297 \h 138
Section 3. A l’écoute du terrain  RENVOIPAGE _Toc82942298 \h 142
Epilogue  RENVOIPAGE _Toc82942299 \h 146
Bibliographie  RENVOIPAGE _Toc82942300 \h 151
Liste des tableaux et schémas  RENVOIPAGE _Toc82942301 \h 156
Annexes  RENVOIPAGE _Toc82942302 \h 157









Introduction











« U
ne folie devenue ordinaire. Opéra : un genre musical de plus en plus populaire.
Après avoir passé neuf ans à démocratiser un art jugé élitiste, Hugues Gall, patron du grand établissement de Paris, quitte la scène. En pouvant se targuer d’avoir rajeuni nettement le public de Garnier et Bastille […].

A l’occasion du départ de M. Hugues Gall de la direction de l’Opéra national de Paris, établissement public regroupant les deux salles lyriques parisiennes Garnier et Bastille, un quotidien régional à large diffusion revient sur les neuf années d’action de l’homme qui a tiré sa révérence la veille.
L’article évoque le contexte entourant la nomination de M Gall par le ministre de la culture de l’époque, Jacques Toubon, pour ensuite développer la mission que le nouveau directeur s’est donnée à son arrivée, en guise de pari pour l’avenir : « J’ai voulu donner un peu de sens à cet épithète « national » qui fait partie de la raison sociale de l’Opéra national de Paris. […] Cette maison n’est pas seulement l’Opéra des Parisiens mais celui de tous les Français, parce que c’est l’Etat, et donc l’ensemble des contribuables, de toutes les régions, qui contribuent à son financement. »
Deux mandats plus tard (un premier de six ans, suivi d’un second de trois ans), le Suisse Hugues Gall peut partir la tête haute, le pari relevé, la mission accomplie, comme en témoigne l’ouverture de l’article, cité en haut de la page. Et la journaliste de conclure : « En montrant que l’art lyrique était accessible à un très large public, il [Hugues Gall] a de toute évidence contribué à son rayonnement. Et n’est peut-être pas étranger à cet engouement qu’il suscite sur les routes des festivals. »

Au-delà du mérite personnel -dû certainement au travail de toute une équipe- c’est le résultat qui nous intéresse ici. Sur une très courte période (9 ans) au regard de l’histoire plusieurs fois centenaire de l’Opéra en Occident, le public de cet art semble avoir subi de profondes évolutions, du moins à Paris.
Issus de la coupure de presse, deux mots retiennent notre attention : démocratiser et rajeuni. Dans la succession des spectateurs sur les sièges de l’Opéra national de Paris, deux phénomènes sont apparus, mesurés par des enquêtes de fréquentation : une démocratisation et un rajeunissement. Comment ces évolutions ont-elles été mesurées ? Sur base de quels critères ?
Pour le rajeunissement, on peut supposer, sans prendre trop de risques, que la variable « âge » des spectateurs a permis de dresser cette évolution, remarquable pour une pratique culturelle associée dans les représentations mentales à un public âgé et vieillissant. Mais pour la démocratisation ? Quelle(s) variables ont-elles été utilisées ? Autrement : comment mesurer la démocratisation d’une pratique culturelle ? Que recouvre ce mot ? Et si le rajeunissement faisait partie de l’objectif de démocratiser ? Un public rajeuni, n’est-ce pas un pari pour l’avenir, le résultat –même partiel- d’une démocratisation en marche ? Une plus grande accessibilité de la part d’un groupe de spectateurs -les jeunes- à la pratique lyrique ?
Ensuite, les questions s’enchaînent : mis à part le rajeunissement, quelles sont les autres évolutions constatées au sein de la masse des personnes qui assistent à une représentation lyrique au Palais Garnier et à l’Opéra Bastille ? Enfin : que dire de la situation des autres établissements lyriques français ? Leur fréquentation évolue-t-elle également ? Si oui, dans quel sens ? Quelles sont les évolutions repérées ? Au final, pour l’ensemble des maisons d’opéras françaises, peut-on parler de démocratisation de cet art « réputé élitiste », comme le souligne la journaliste ?

De toutes les pratiques culturelles dont on mesure systématiquement l’évolution de la fréquentation, l’art lyrique est la plus élitiste : depuis plus de trente ans, la proportion de Français de plus de 15 ans qui sont allés au cours des douze derniers mois à l’opéra s’élève à… 3%.
Pourtant, derrière cette stabilité de façade, semble se cacher toute une série d’évolutions, comme en témoigne l’exemple parisien. Certes, le nombre de « pratiquants » de l’art lyrique reste stable, mais que dire de leur composition socio-culturelle ? Toujours des « bourgeois », que des « personnes âgées », nanties de surcroît ?

La connaissance de la fréquentation des institutions lyriques est passée récemment d’un système de représentations (de ce qu’on croyait être le public de l’opéra), à une connaissance scientifique (des différents publics de l’opéra). Dans ce contexte, il est intéressant de multiplier les observations.
Des enquêtes de fréquentation, menées auprès de réseaux de maisons d’opéras de tout l’Hexagone, fournissent des résultats surprenants à cet égard. Oui, le public de l’art lyrique évolue, loin de l’image figée qu’on a pu jusqu’à très récemment s’en faire. Une multitude de phénomènes apparaît : accroissement de la fréquentation ; intensification par les publics en place ; renouvellement ; fidélisation ; appropriation par les étudiants ; élargissement géographique….
Reste à répondre à la question suivante : les résultats permettent-ils de parler de démocratisation ? A ce niveau, le mot « démocratisation » n’est que très rarement employé, ou alors pour évoquer précisément l’absence de « démocratisation » de la pratique. Beaucoup d’évolutions, peu de démocratisation... Ce constat se doit d’être analysé plus en profondeur.
Ainsi, la pratique « art lyrique » s’est fortement ouverte aux inactifs (étudiants et retraités) ces dernières années. Mais on pourrait aussi imaginer, par exemple, que la pratique « jazz » connaisse un engouement féminin dans les années à venir. Ces deux évolutions -féminisation, appropriation par les inactifs- ne sont-ils pas de la démocratisation ? Dans le sens où elles constituent une plus grande pratique par des groupes homogènes de publics (les femmes, les inactifs), caractérisés par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s) (le genre féminin, l’inactivité professionnelle), alors qu’on assiste parallèlement à une hausse générale de la fréquentation au sein de ces pratiques (le jazz, l’art lyrique) ? Nous le pensons.
Se faisant, notre proposition élargit la définition institutionnelle de la notion de démocratisation culturelle. Politique fondatrice du ministère de la culture en France, elle semble fonctionner sur une acception étroite, intimement associée aux catégories socio-professionnelles (CSP) de rattachement des publics de la culture. Aujourd’hui, au sein de l’institution qu’elle a fait naître, la politique de « démocratisation culturelle » est discutée, jusqu’à cette proposition d’abandon du terme, car « porteur depuis les origines de trop de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes. »

Face à ce constat -ce péril ?- nous nous sommes donné comme objectif de réinvestir la notion de démocratisation. Dans un sens plus large, qui engloberait toute une série d’évolutions constatées au sein de la composition sociale des pratiquants de l’art lyrique.

L’échelle d’analyse choisie est volontairement petite, c’est-à-dire localisée au sein d’équipements lyriques choisis. Face aux faibles résultats des enquêtes regroupant l’ensemble des pratiques culturelles (3% de Français vont à l’opéra sur un an), alors que les enquêtes des réseaux de théâtres lyriques donnent à voir des évolutions majeures dans la composition sociale des publics de l’art lyrique, l’intérêt réside maintenant à passer à une échelle encore plus réduite, à savoir celle d’un équipement culturel. A évolution constante de la composition sociale du public, la taille encore plus réduite de la population de base devrait faire apparaître plus nettement des phénomènes d’ouverture à de nouvelles catégories de publics. Notre cheminement –un voyage- se passe au cœur de la matière première que sont les publics d’opéras, là où ils assistent aux représentations lyriques, au cœur également de la notion de démocratisation culturelle, dans les profondeurs de ses diverses acceptions.
Après avoir justifié nos choix méthodologiques, le cheminement intellectuel qui vous est proposé passe par la mise au jour de phénomènes évolutifs locaux, évolutions basées sur des critères sociaux tels que l’âge (rajeunissement vs vieillissement), le lieu de résidence (élargissement géographique vs ancrage local)… mais aussi la CSP de rattachement. Appliqués au sein de notre enquête de terrain, les phénomènes évolutifs locaux permettent de recenser les identités locales, ainsi que les défis particuliers, auxquels sont confrontés les équipements lyriques, mettant de la sorte en évidence des situations et préoccupations différenciées dans la « vie » d’une maison d’opéras. L’ensemble forme la deuxième étape de notre voyage (La fréquentation des équipements culturels : des phénomènes évolutifs locaux).

Le troisième partie du parcours proposé (Au-delà de la démocratisation) consiste à rapporter notre proposition d’acception large de la notion de « démocratisation » aux phénomènes évolutifs locaux que nous avons mis au jour au cours de nos entretiens. En définitive, il s’agit de considérer ces phénomènes évolutifs locaux comme autant de phénomènes de démocratisation ; autant de facettes de la galaxie démocratisation.
A l’heure où les obstacles à la fréquentation lyrique sont multiples, et dont le principal d’entre-eux n’est plus l’appartenance à telle ou telle catégorie socio-professionnelle de rattachement, mais le capital de temps disponible en dehors du travail.
Pour l’art lyrique, une nouvelle distorsion de pratique se creuse entre ceux qui disposent de temps en dehors de leur travail (ou qui ne travaillent pas), et ceux qui n’en disposent que de très peu, supplantant de la sorte la distorsion « classique » de pratique entre les personnes aux faibles niveaux de revenus et de diplôme, et celles appartenant aux CSP élevées.
Au final, pourra-t-on enfin dire que l’art lyrique se démocratise, au sens où nous l’entendons ? 

Fonds de commerce des études quantitatives de fréquentation, la politique de démocratisation de la culture est discutée, et cela dès ses origines. Un retour historique permet de le montrer. Au niveau du public -matière première de ce type d’études- les réflexions actuelles ont fait glisser la terminologie vers un emploi au pluriel : les publics. Démocratisation et publics : deux fondations en mouvements.
Quant à l’art lyrique, pratique élitiste, plus corollée au niveau de revenus qu’au niveau de diplôme, lieu d’ostentation, symbole du prestige national, gouffre à subventions, il est le contre-exemple par excellence de la démocratisation. Et donc un terrain d’enquêtes de première importance, situé à la marge de la politique de démocratisation culturelle. Qui plus est, un terrain d’enquêtes lui aussi en mouvements, avec une phase de décentralisation lyrique -des opéras nationaux en régions- en marche.
C’est ce que nous allons voir dans une première partie, étape liminaire de ce voyage au cœur de la galaxie démocratisation.







Méthodologie


Nos réflexions se sont élaborées à partir de recherches documentaires sur l’état de la question des publics de l’art lyrique.
A partir de ces lectures et de données issues d’enquêtes statistiques récentes, réalisées par des réseaux de salles lyriques (Réunion des Théâtres Lyriques de France, Chambre professionnelle des directeurs d’opéras) et auprès d’établissements particuliers (Opéra de Paris, Marseille, Nancy, Toulouse, Avignon), nous nous sommes orienté vers une démarche de recherche qualitative.

Par des d’entretiens menés auprès de quelques institutions lyriques françaises, la recherche se propose (1) d’analyser l’évolution de la composition sociale des pratiquants de l’art lyrique, (2) de mettre au jour des phénomènes évolutifs locaux, (3) de rapporter ces phénomènes à la mission de démocratisation culturelle, notamment pour alimenter les débats, passés et actuels, qui entourent cette notion.
Nos entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de responsables de « services des publics » d’opéras.
Nous avons retenu quatre établissements lyriques :
Opéra national du Rhin ;
Opéra national de Lyon ;
Opéra de Marseille ;
Opéra de Nice.

Non strictement représentatif, un tel échantillon se base sur un choix raisonné :
sur le plan géographique : explorer les opéras en régions dans le contexte de la décentralisation lyrique ; ne pas se cantonner à une région particulière de France ; tester des régions frontalières (Strasbourg, Nice) ;
sur le plan institutionnel : choisir deux opéras labellisés « nationaux » et deux autres, pour l’instant en marge du processus de décentralisation lyrique;
sur le plan démographique : préférer les grosses structures en termes de fréquentation et de moyens en ressources humaines, écarter les petites et moyennes institutions (comme Toulon et Avignon pour la région PACA).

En outre, l’étude de quatre salles lyriques situées « en province » répond au retard pris par rapport à l’Opéra de Paris au niveau de la connaissance scientifique, à l’échelle d’un établissement lyrique, de la fréquentation des salles.

Suivant l’équipement, le service interrogé se nomme « service relations avec le public » (Lyon), « service jeune public » (Rhin), « service action culturelle » (Marseille), « service animation culturelle et sociale » (Nice).
Ces différents services, de tailles différentes, ont un point commun : ils mettent en place des actions envers des publics ciblés. Au cœur de l’action, ils sont attentifs à l’évolution de la fréquentation de l’équipement.
Il sont en fait l’embryon des futurs « services des publics », mis en place au sein d’équipements culturels relevant d’autres secteurs, mais encore inexistants pour l’art lyrique au niveau régional. Présents notamment au niveau des équipements culturels sous la tutelle du ministère de la culture (Louvres, Pompidou, Villette, BPI, Cité des Sciences et de l’Industrie, Opéra de Paris,…), ces services utilisent les enquêtes de publics au service de la définition d’action ciblées. La décentralisation lyrique va les voir se développer au niveau régional.

La grille d’entretien a été élaborée notamment à la suite d’un « entretien préparatoire » auprès de la direction de l’Opéra-Théâtre d’Avignon (27 novembre 2003), elle a ensuite été testée auprès du « service animation » de ce même équipement (17 février 2004).
A partir d’une consigne initiale laissant l’interviewé parler de son action au sein de l’institution lyrique, un discours se construit autour des représentations : enjeux de l’action, évolution des publics, notion de démocratisation.
En outre, nos questions se basent sur une série d’indicateurs de phénomènes évolutifs locaux, dont la liste, non-exhaustive, est contenue dans une grille d’analyse théorique ouverte, construction méthodologique inédite, fruit de nos réflexions sur la (in)capacité de certaines enquêtes à mettre au jour les évolutions actuelles dans la fréquentation de l’art lyrique (voir deuxième partie).

A noter que l’entretien tel qui nous intéresse a un usage exploratoire, les hypothèses qui nous occupent n’étant qu’incomplètement formulées. Les discours construits et recueillis serviront de base de travail pour d’autres enquêtes, quantitatives et qualitatives.





Première partie La fréquentation des équipements culturels : des fondations en mouvements










Q
uiconque entend s’intéresser à la fréquentation d’un équipement culturel -ou d’une sortie culturelle- est confronté dans la construction de ses recherches à deux matériaux de base :

la masse de personnes qui fréquentent le lieu : visiteur d’un musée, spectateur d’une représentation théâtrale, auditeur d’un concert pop, lecteur d’ouvrages empruntés… ;
la masse de données récoltées à la suite des investigations, dont l’analyse fera émerger un discours.

Ces deux piliers sont traversés par des réflexions de fond : ce sont des fondations en mouvements.

Par quel terme désigner l’ensemble des « fréquentants » d’un équipement culturel ? Public ? Prenons acte. Mais au singulier ou au pluriel ? Au-delà des réflexions terminologiques, c’est la conception du matériel d’analyse qui est en jeu. Où l’on se rend compte que, loin d’être une masse stable, l’ensemble des personnes qui investissent un lieu culturel se décompose en plusieurs sous-ensembles, dont les frontières sont mouvantes, y compris au sein d’un même « fréquentant » (chapitre 2. Les pratiquants : du Public aux publics). Il est entendu que cette multiplicité est un élément influençant l’analyse des résultats d’enquêtes de fréquentation.

Justement : que mesure-t-on dans ces enquêtes de fréquentation ? Et que dire des données récoltées ? Très souvent, un discours sur la (non)-démocratisation de l’accès à la culture constitue le fonds de commerce d’études quantitatives portant sur des variables socio-démographiques classiques. Dès lors, il est intéressant de voir pourquoi, en France, ce thème s’est imposé dans le champ d’action culturelle, au point de concentrer vers lui la majorité des travaux en ce domaine.
D’aucuns nous poseront, avec pertinence, la question suivante : pourquoi un travail supplémentaire centré sur la démocratisation culturelle? Parce que précisément, beaucoup (trop ?) de recherches ont pris ce thème comme base d’analyse, un travail de fond sur la notion elle-même est souhaitable. Il s’agit ici d’un méta-discours, d’une réflexion sur et à propos du mono-thème de la démocratisation. Qui, par un rappel historique, englobe la prise en considération du statut qui lui revient, notamment au regard de son échec maintes fois avancé. Un méta-discours qui comporte également une réflexion sur les acceptions du mot. Au final, qui en montre ses limites, pour tenter de dessiner les perspectives d’avenir d’une politique plus que quarantenaire aujourd’hui (chapitre premier. Le mono-thème de la démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser).

Avec l’aide de quels outils va-t-on entamer ce « voyage au cœur de la galaxie démocratisation » ? Une pratique culturelle nous est apparue d’une grande utilité : l’art lyrique.
Tout d’abord parce que l’Opéra est un domaine où la matière première -les publics- non seulement évoluent, mais commencent à être connus scientifiquement.
Ensuite, parce que l’Opéra est pour certains « un bruit qui coûte cher ». L’argument économique est maintes fois brandi pour classer cette pratique, taxée « d’élitiste », comme le contre-exemple par excellence de la démocratisation culturelle. Beaucoup d’argent pour peu de gens, en somme.
Enfin, la politique actuelle de décentralisation lyrique -des Opéras nationaux en régions- comporte une mission de « découverte de l’art lyrique à de nouveaux publics ». Démocratiser reste d’actualité. Et la pratique « art lyrique » se trouve ainsi également au cœur de mutations importantes (chapitre 3. A la marge de la démocratisation : l’art lyrique).

Chapitre premier  Le mono-thème de la démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser


Le thème de la démocratisation culturelle est un passage obligé, parce que cette politique fait partie intégrante du ministère de la culture, de son installation à nos jours.

Objectif universel, il connaît une déclinaison française particulière, qui constitue une proposition ambitieuse conditionnée par les réalités matérielles du moment. A sa création, le nouveau ministère se trouve en concurrence avec d’autres institutions ministérielles, vis-à-vis desquelles une démarcation –théorique- s’impose (section 1).
Confrontée aux premiers résultats, ou plutôt ses non-résultats, la politique ne sera pas pour autant délégitimée. Malgré le sentiment d’échec, l’objectif de démocratisation de l’accès à la culture ne sera jamais abandonné. Mais peut-on se débarrasser aussi facilement de ce qui ressemble plus à une croyance qu’à un objectif réaliste (section 2) ?
Aujourd’hui, on peut aller plus loin dans la réflexion. Des tentatives de dépassement sont amorcées. Le mono-thème souffre de limites, vers son abandon (section 3) ?

Section 1. Une mission fondatrice

Le décret du 24 juillet 1959 porte sur les fonds baptismaux un « ministère chargé des affaires culturelles », dont la charge revient à André Malraux et dont la mission est définie en ces termes : « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience au patrimoine culturel; favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ».
En l'espace de trois ans, l'ambition théorique va prendre la forme. C'est durant cette courte période qu'est inventée une politique culturelle. Les orientations choisies sont capitales; elles conditionneront le développement futur de la politique culturelle, et alimentent toujours les débats actuels.
Ses caractéristiques consistent en une différenciation nette face aux institutions en place (I), et en particulier le Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports (II). Au final, on constate qu'une ambition générale et universelle -démocratiser l'accès à la culture- prend une forme bien particulière en France. Nous en résumerons les caractères principaux (III).

I. Une nécessaire autonomie

A l'installation du nouveau ministère, plusieurs institutions gouvernementales sont déjà en charge de matières culturelles. Pour justifier d’un budget propre, André Malraux doit composer avec les ministères existants concurrents, et si possible définir une voie d'action indépendante. Cela passera notamment par la politique de définition et d’implantation des Maisons de la culture, « cathédrales des temps modernes », nous y reviendrons.
Avant de poursuivre notre parcours au cœur de la naissance de l’institution ministérielle culturelle française, notons que ce processus de nécessaire démarcation d'une nouvelle institution concurrente, face aux institutions existantes, trouve un exemple tout récent en Allemagne fédérale, dans la mise en place de la Fondation fédérale pour la culture, alors que la politique culturelle d’outre-Rhin est principalement exercée par les instances fédérées : Länder et les communes.
Ainsi, à son installation, le ministère Malraux provoque des ruptures, à la fois administratives et idéologiques, envers :
- le secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts qu'il remplace ;
- l'Education nationale, lieu de la pédagogie ;
- le Haut-Commissariat à la jeunesse et aux sports, en charge de l'Education populaire.
Pour se démarquer de l’Education nationale, le nouveau ministère prend parti : la pédagogie, l'apprentissage et la formation ne seront pas les moyens préconisés pour permettre à tous de s'approprier l'art. Malraux soutient l'idée d'une confrontation directe avec les œuvres artistiques, l’idée d’un choc révélateur.

Laissons parler Malraux :
« L'Education nationale enseigne : ce que nous avons à faire, c'est de rendre présent. (...) Il appartient à l'Université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ces pièces de les faire aimer. (...) La connaissance est à l'Université, l'amour, peut-être, est à nous. » 
Hors du cadre scolaire, la formation s'exerce à travers l'Education populaire, notamment par le biais d'équipements déjà bien implantés sur le territoire français : les MJC –Maisons des jeunes et de la culture.
C'est vis-à-vis de cet héritage que la position du ministère naissant sera capitale. Va-t-il faire tabula rasa ?

II. Une différenciation croissante face à l’Education populaire

L'Education populaire, en matière culturelle, ce sont à la fois des associations diverses et variées, regroupées en fédérations (tels que la Fédération catholique du théâtre amateur, l’Union française des œuvres laïques d'éducation artistique, des fédérations de ciné-clubs,...), mais aussi les Maisons des jeunes et de la culture. Créées dans le contexte de la Libération, elles ont pour but, comme le résume Philippe Urfalino, « d'épurer de toute propagande politique le legs de l'ex-Commissariat général à la jeunesse du gouvernement de Vichy, tout en encourageant le développement de mouvements laïques de la jeunesse. »
Avant 1959, tout ce dispositif dépend du Haut-commissariat à la jeunesse et aux sports.
Mais cette année-là, un décret précise que « les éléments et services chargés des activités culturelles de Jeunesse et sports » reviennent de fait au nouveau ministère des affaires culturelles.
Les transferts de services font l'objet de négociations, lesquelles reflètent la position du nouveau ministère quant à l’héritage de l'Education populaire. En l'espace de deux ans, la différentiation avec l'Education populaire se fera croissante, et elle culminera dans la dernière mouture des Maisons de la culture, fer de lance de la politique Malraux.
A. Intégration de l'héritage (1959)
Un protocole d'accord répartit, en mai 1959, les associations d'Education populaire entre les deux institutions, Jeunesse et sports et Affaires culturelles. Certaines seront sous double tutelle, d’autres sous la responsabilité d'une des deux administrations. A ce stade, le Cabinet Malraux ne semble pas satisfait par l'accord, il voudrait détenir plus d'associations sous sa responsabilité.
Quant aux MJC, le Cabinet Malraux voudrait voir leur appellation écourtée en MJ -pour Maisons des jeunes- en raison du public qu'elles ciblent, et en prévision de la création des MC -Maisons de la culture, destinées à toutes les tranches d'âge.

B. Différentiation sans rupture (1961)
Dès 1960, Pierre Moinot est chargé par André Malraux de dessiner les contours des futures Maisons de la culture (MC), en prévision de l’intégration de leur financement dans le IVe Plan. Il s'ensuit une définition exhaustive du financement, de l'architecture, de la direction et de la programmation des « cathédrales des temps modernes ».
Les MC seront le lieu de la confrontation directe entre l'art et le public, excluant, aux dépends de l'Education populaire et de l'Education nationale, tout intermédiaire pédagogique.
Le projet dressé par Pierre Moinot prévoit deux autres modèles d'équipements plus modestes, qui travailleraient en coordination avec les structures existantes, dont les MJC. « Ces trois types de maisons paraissent pour l'instant, ajoutées aux MJC, pouvoir satisfaire, séparées ou groupées, à des besoins de collectivités très différentes, et peuvent en tout cas constituer les éléments de base d'une action que l'expérience ne manquera pas d'enrichir ».

C. Rupture fondamentale (1962)
Passé le vote du budget du IVe Plan, le projet des Maisons de la culture peut être mis en œuvre... avec seulement un tiers du financement demandé. Le successeur de Pierre Moinot à la tête de la direction de l’Action culturelle, Emile Biasini va, au regard de la coupure budgétaire, ramener le nombre de types d'équipements prévus (pour rappel trois par Pierre Moinot) à un seul, qui devra se différencier très clairement des MJC. Dans leur seconde mouture, les futures Maisons de la cultures sont des lieux d'excellence artistiques,fermant ainsi la porte aux associations locales d'amateurs par ex.

Ainsi, « dans la compétition avec le Haut-commissariat à la jeunesse et aux sports, l'évolution va de la tentative d'annexion de l'héritage de l'Education populaire, à la différenciation croissante avec les MJC. (...) Le Cabinet regrette l'annexion ratée des fédérations d'associations; Pierre Moinot veut souligner une différence, tout en maintenant des passerelles dans l'espoir d'une intégration future; Emile Biasini édifie des frontières ».

III. Une étoile est née

Au terme de ce parcours constitutif du thème de la démocratisation culturelle en France, qui va de la création officielle d'une nouvelle institution (1959) jusqu'à la première définition de sa politique (1962), résumons les caractéristiques données au nouveau projet, ambitieux, liée à la mise en place de la IVe République  :

A. Institution nouvelle
Remplie d'une mission théorique de démocratisation de l'accès à la culture, le nouveau ministère chargé des affaires culturelles n'arrive pas en terrain vierge.
En pratique, il doit composer avec les administrations en place, en particulier celles en charge de l'éducation, à l’école (éducation nationale) et dans la vie (éducation populaire).

B. Excellence et efficacité
Pour arriver à démocratiser l'accès à la culture, le Cabinet Malraux compte sur les propriétés intrinsèques de l'offre artistique, non sur la formation de la demande (par une quelconque éducation ou un apprentissage des pratiques artistiques).
Le peuple mérite le meilleur; il doit être confronté à l'excellence artistique. La mise en présence entre la haute culture et le public aboutit de facto à une révélation. C'est cette voie qui doit être explorée, car elle est efficace.

C. Acte de foi
Cette vision a le mérite, non seulement, on l'a vu, d'établir des frontières avec les institutions déjà en place, mais surtout de reposer sur une croyance : la capacité des œuvres de qualité à se faire comprendre à tous les hommes, quelles que soient leur éducation et condition sociale. Véritable choc esthétique, la démocratisation est une mission, elle repose sur la foi dans l'art et le salut des hommes par la révélation qu'elle propose.


Section 2. Une inaccessible étoile

Fortement affirmée au début des années 60, la mission de démocratisation culturelle se trouve immédiatement, dans son application, confrontée aux premiers résultats. L’épreuve de feu de mai 1968, même si elle amènera l’idée d’échec, ne donnera pas l’occasion d’une remise en cause définitive de l’objectif intrinsèque du ministère de la culture. Plus, on peut constater que le thème de la démocratisation culturelle a toujours fait partie intégrante, jusqu’à aujourd’hui encore, des ambitions du ministère (I).
Parallèlement, l’idée d’échec de la politique de démocratisation –ou en tout cas de la difficulté du chemin à accomplir- va également traverser l’histoire de la politique culturelle française. Plus qu’un échec certain, nous pensons qu’il faut parler d’un certain échec (II).
Dans ce contexte, pourquoi n’avoir jamais fait tabula rasa d’une mission qui serait trop ambitieuse ? Comment a-t-on pu concilier le paradoxe entre un objectif, clairement exprimé, et son non-résultat, clairement affiché ? Nous sommes convaincu que des éléments de réponses se trouvent dans une réflexion sur le statut accordé à l’objectif de démocratisation. Telle l’étoile du berger : inaccessible, elle montre pourtant un cap juste (III).

I. Un fil rouge dans l’histoire du ministère

Reprenons le cours de l’histoire à partir de la formulation politique du « projet Malraux », en 1962. Par deux bonds dans l’histoire, de dix ans chacun, nous analyserons ici deux développements du projet initial.
En 1972, le projet verra une première expansion que l’on peut qualifier d’interne : la remaniement de la politique de démocratisation par le Cabinet Duhamel (A).
Le second développement, sous le règne de Jack Lang, sera plus brutal avec l’idéal de Malraux. L’expansion est ici externe au projet. Sans être disqualifié, le thème de la démocratisation va être intégré dans un projet plus large (B). Et aujourd’hui encore, le thème reste d’actualité (C).
Mai 1968
La politique culturelle va, confrontée aux revendications de mai 68, être atteinte dans ses principes, sans perdre d'un seul coup sa légitimité : le bûcher lui sera épargné. Dénoncée, la démocratisation n'est pas délégitimée.
Philippe Urfalino précise la nature de la dénonciation: « Des statistiques de fréquentation des institutions artistiques, l'on déduisit que rendre plus facilement accessibles les œuvres artistiques par une politique de prix bas, par des aménagements d'horaires comme par l'augmentation de l'offre, ne pouvait diminuer les inégalités culturelles. On en vint même éventuellement à l'estimer nocive ou condamnable. Nocive quand il fut affirmé qu'elle risquait d'accroître les inégalités qu'elle voulait dissiper; condamnable quand on devina derrière le souci égalitaire de ses militants, l'imposition d'une culture particulière prétendant être universelle (...) ».
Réunis en comité permanent, les directeurs de Maisons de la culture, des centres dramatiques et des troupes permanentes, expriment leurs doutes, en mai 1968, quant à l'efficacité de la politique de démocratisation : « Jusqu'à ces derniers temps, la culture en France n'était guère mise en cause, par les non-cultivés, que sous la forme d'une indifférence dont les cultivés, à leur tour, se souciaient peu. (...) En fait, la coupure ne cessait de s'aggraver entre les uns et les autres, entre les exclus et nous tous, (...) D'un seul coup, la révolte des étudiants et la grève des ouvriers sont venus projeter (...) un éclairage particulièrement brutal. (...) La coupure culturelle est profonde, (...) Il y a d'un côté le public, notre public, et peu importe qu'il soit, selon les cas, actuel ou potentiel, (...) et il y a, de l'autre, un non-public : une immensité humaine composée de tous ceux qui n'ont encore aucun accès ni aucune chance d'accéder prochainement au phénomène culturel (...) ».
Installé en décembre 1971 par le premier ministre Jacques Chaban-Delmas, Jacques Duhamel remanie la politique culturelle. Il prend acte de l'existence d'un non-public, qui rassemble les exclus de la (haute) culture.
En outre, deux nouveaux types d'équipements sont envisagés, enlevant le privilège aux Maisons de la culture :
- des centres d'animation culturelle (CAC), moins onéreux et implantés dans des villes moyennes ;
- des équipements polyvalents, à vocation sportive, éducative et socioculturelle, encore moins onéreux pour le ministère et implantés dans des petites villes.
Ces dernières structures bénéficient d'un financement croisé… interministériel (Jeunesse et sport et Culture). Les frontières institutionnelles originelles s'estompent…

On ne doit pas pour autant conclure à l'émergence d'une philosophie d'action qui serait en rupture totale avec la politique originelle de Malraux. En effet :
1° Les Maisons de la culture restent un instrument de l'action ministérielle, de nouvelles constructions sont annoncées ;
2° La démocratisation de l'accès à la culture guide toujours les choix politiques: Duhamel garde le cap fixé par Malraux.

Dix ans plus tard, l'alternance politique de 1981 verra naître une nouvelle « étoile » : la foi en la reprise économique par le développement culturel évincera l'idéal de Malraux comme principale justification de l'intervention culturelle. Une nouvelle ère culturelle, enfant de l’alternance politique, commence : l’ère Lang. C'est ce que nous allons voir maintenant.

L’ère Lang
Au début des années 1980, en pleine campagne électorale pour l’élection présidentielle, un certain Jack Lang est nommé délégué national pour la culture par le parti socialiste (PS). Face aux dangers naissants, et en particulier l'impérialisme culturel américain, M. J. Lang va se poser en protecteur.
Economique et militaire, l'impérialisme américain a aussi une dimension culturelle. Via des biens culturels industrialisés, où le profit est la règle, un certain way of life est diffusé, qui arrose médiatiquement toute la planète.
Chargé par François Mitterrand de rapprocher les artistes du PS, Jack Lang est, pendant les deux années avant les élections qui amèneront le parti au pouvoir, l'un des protagonistes les plus actifs de l'anti-impérialisme américain. A noter que cette période est caractérisée par une crise économique latente.
La victoire électorale de François Mitterrand en 1981 provoque l'alternance politique tant attendue par les socialistes. La politique culturelle va bénéficier d'une nouvelle impulsion. Jack Lang, nouveau ministre de la culture, obtient un doublement du budget de la culture. Deux fois plus de moyens pour la démocratisation? Pas vraiment. La nouvelle justification de l'intervention culturelle de l'Etat se trouve dans le slogan « économie et culture, même combat », lancé par Lang en 1982 à Mexico.
En phase avec les foudres préélectorales lancées contre le péril américain, le discours socialiste en matière culturelle propose de justifier la dépense publique vers un secteur professionnel -les industries culturelles- en raison de son impact sur l'économie française, particulièrement mal en point au tournant des années 1980. C’est la philosophie du « développement culturel ». Cette légitimation par l'économie est acceptée par les artistes car elle s'accompagne d'un doublement du budget culturel.
Mais elle a pour conséquence d'évincer le thème de la démocratisation comme finalité principale d'action. Désormais, la foi en une solution culturelle globale face aux périls économiques et sociaux complète le mono-thème de démocratisation, tout en intégrant ce dernier dans un projet plus large.
Une étoile est née, plus imposante que la précédente, autour de laquelle l’action du ministère de la culture gravit.

Une politique incontournable
Dans la succession rapide des ministres de la culture depuis la fin de l’ère Lang, aucun d’entre-eux ne renoncera aux ambitions initiales de démocratisation. Le projet faisant désormais « partie des meubles ».
Retenons, à titre d’exemple, qu’au début de l’année 2004, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, annonce la mise en place de « quatre initiatives pour favoriser l’accès de tous aux richesses culturelles de la nation ». Les voici ici résumées :
Le Passeport pour la France…
…sera remis à chaque Français dans l’année de ses 18 ans. Sous la forme d’un livret, valable toute sa vie, il lui offre une visite gratuite dans chacun des monuments, domaines et musées nationaux. Une sorte de « droit de visite » par chaque citoyen des richesses culturelles de la nation. Cette initiative s’adressera aux 800.000 jeunes qui atteignent l’âge de 18 ans, elle sera renouvelée chaque année.
Le Pique-Nique de la Fraternité…
…se déroulera dans toutes les communes de France qui le souhaiteront, le 26 août 2004, date de l’anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Organisée dans le cadre d’un site remarquable, d’une place, d’une avenue fermée à la circulation, ou d’un jardin – les sites et jardins nationaux seront ouverts gratuitement au public – cette initiative aura pour vocation à réunir le plus grand nombre autour d’un repas, où la diversité du patrimoine culinaire sera mis à l’honneur. Chaque commune de France fera alors vivre pleinement les valeurs de Liberté, Egalité, Fraternité.
L’exposition « France »…
…sera présentée dans 8 villes sur l’ensemble du territoire. Inaugurée à la fin de l’année 2004 à Reims, elle sera ensuite accueillie à Toulon, Mulhouse, Le Havre, Annecy, Montauban, Tours et Quimper. Cette exposition, produite par la Réunion des musées nationaux, et dont le commissariat a été confié à Michel Colardelle, est destinée à dresser un portrait généreux de la France dans sa diversité, dans la multiplicité de ses enracinements.
Le Panthéon…
…devra, enfin, devenir un véritable mémorial de la France, de son histoire et de son peuple. C’est pourquoi le ministère lancera, courant août 2004, un vaste projet de valorisation du monument, pour y faire vivre l’histoire de France et celle de ses grands hommes. La crypte et la nef seront remises en lumière. Le programme de restauration de l’édifice sera achevé. Le drapeau de la République flottera en permanence sur le fronton de l’édifice.

II. Un échec… relatif

Les résultats de la politique de démocratisation culturelle font l’objet d’un débat aussi incontournable que la politique elle-même. Résultats… ou plutôt non-résultats, autrement dit son « inéluctable échec ».
L’instauration du ministère s’accompagne d’études quantitatives sur la fréquentation des équipements culturels. Dès 1968, alors que les statistiques donnaient à voir les limites d’une politique de développement de l’offre culturelle, le « cri » des directeurs de Maisons de la culture faisait apparaître la notion de « non-public » et de « coupure culturelle » entre celui-ci et « le public, notre public, actuel ou potentiel ».
Avec encore plus de recul, après la publication de quatre ouvrages de synthèse sur les pratiques culturelles des Français, à huit années d’intervalle chacun, la distinction culturelle ne s’est pas résorbée ; elle s’est enracinée. Voyons l’avis réservé du directeur de ces enquêtes statistiques effectuées par le ministère de la culture : « La politique de l’offre n’a pas créé, de manière significative, de nouveaux publics. Si la fréquentation globale a explosé, ce sont les mêmes qui en profitent (…) Plus de 40 % de la population sont des exclus culturels ».
Pourtant l’échec n’est pas total. Aujourd’hui, après quarante ans de politique de démocratisation culturelle, « faire un bilan de la politique culturelle en portant un jugement sur l’ambition fondatrice du ministère des affaires culturelles créé en 1959 (…) est une entreprise redoutable, tant il est difficile de se défaire d’un sentiment contradictoire. (…) Il apparaît en effet aujourd’hui parfaitement légitime de considérer que l’objectif d’André Malraux de doter la France d’un réseau d’équipements culturels est pour l’essentiel atteint. (…) En même temps, les résultats d’enquêtes sont là pour rappeler que les inégalités d’accès aux équipements culturels n’ont pas connus de réduction significative, dans un contexte générale favorable (augmentation du pouvoir d’achat, progrès considérables de la scolarisation…). Après l’euphorie des années 80 (…) l’illusion s’est dissipée. »

La politique de l’offre est un succès, contrairement au travail autour de la demande. Mais quelle est l’objectif le plus important ? Où est la finalité ? L’offre culturelle ne doit-elle pas être considérée, non comme une fin en soi, mais comme un moyen pour augmenter la demande culturelle? Le développement de pratiques culturelles par les publics socialement plus réticents (caractérisé par des faibles niveaux de diplômes et de revenus) n’est-il pas la finalité de l’action culturelle, après le développement de l’offre ? Or, c’est ce but ultime qui pêche… Dès lors, comment a-t-on pu supporter un tel constat d’échec, apparu dans les premières du ministère, et récurrent depuis lors ?

Des éléments de réponse sont à chercher dans la légitimité même accordée à la mission de démocratisation culturelle.

III. L’étoile du berger

On ne peut pas reprocher au « projet » politique de Malraux d’être ambitieux. La question est ailleurs. Les ambitions ont-elles été pensées comme réalistes ou utopistes ? En d’autres termes, le « projet » n’a-t-il pas plutôt le statut d’une croyance, d’un acte de foi, fût-il réalisable ? Pour s’écarter de termes à connotation religieuse, on pourrait parler d’un mirage, pour son caractère à la fois visible, mais inaccessible.
Cette inaccessibilité -ou impossibilité- fut d’ailleurs dénoncée tout au long de l’histoire de la politique culturelle française : « la dénonciation de la démocratisation comme illusion fait en quelque sorte partie intégrante de son histoire ».
Ajoutons maintenant à la réflexion le thème de l’échec d’une politique ambitieuse. La considérer comme réalisable –prendre l’illusion pour une vérité- revient à prendre en compte tout échec comme une remise en cause. Un constat d’échec voudrait qu’on y renonce, pour passer à quelque chose d’autre, de moins ambitieux par exemple.
Cette situation ne semble pas correspondre à notre cas étudié. Au contraire, la démocratisation culturelle a toujours guidé –et guide toujours- les actions développées par le ministère de la culture, avec autant d’ambition.
Nous sommes donc dans un autre cas de figure. Celui où notre illusion est considérée comme telle, c’est-à-dire non réalisable, du moins totalement. Perçue comme un objectif juste et nécessaire, la démocratisation montre une orientation juste des actions. Dans ce cas de figure, tout échec ne remet pas en cause directement la finalité. Certes, il indique que la route est encore longue, mais invite à persévérer.
Telle l’inaccessible étoile, qui éclaire et guide le berger, lequel continue de suivre le chemin tracé.



Section 3. Réflexions autour d’un mot : vers une remise en cause de la notion même de démocratisation

Nous venons de voir comment le projet fondateur du ministère de la culture s’est ancré dans l’histoire dudit ministère, au point que nous lui accordons le statut de thème récurrent, de mono-thème. Un premier débat est apparu sur la faisabilité du projet, sur sa capacité de réalisation. La mission de démocratisation culturelle se trouve déjà, par ce fait, affaiblie, fragilisée.
A partir de ce premier élément de discussion, apparu à la fin de années 60, il nous semble intéressant de continuer la réflexion inhérente au projet de démocratisation culturelle, en particulier à partir d’éléments récents, sur ses objectifs, ses acceptions et son statut actuel, au tournant du 21e siècle. Au final, ce faisceau d’éléments problématiques portent un coup dur à la notion de démocratisation, jusqu’à son abandon ?





I. Un travail de réécriture ?

Dans un article de synthèse, Olivier Donnat revient, pour le compte du ministère de la culture, sur plus de 40 ans de politique culturelle française menée sous le fanion de la démocratisation culturelle.
Avant d’en venir au texte fondateur de l’institution, l’auteur nous invite par commencer à lever un malentendu: « Le terme de démocratisation ne faisait pas partie du vocabulaire de Malraux ; s’il est présent dans nombre de discours de ses proches collaborateurs, on n’en trouve, à notre connaissance, nulle trace ni dans ses écrits, ni dans ses grands discours sur la politique culturelle. » Malraux n’aurait pas parlé de « démocratisation » ? Des propos qui étonnent, pour une notion qui, en France, est automatiquement associée à la création du ministère, par Malraux.
Ensuite, à propos du texte fondateur (rendre accessibles les œuvres capitales de l’Humanité…), la réflexion de l’auteur l’amène à considérer que « Tout laisse penser que le terme « accessibles » doit être pris dans le sens de « disponibles », si on veut être fidèle au sens que lui donnait Malraux. D’ailleurs, si ce dernier –puisque le texte du décret de 1959 a probablement été écrit de sa main- avait utilisé ce terme à la place de celui d’« accessibles », il aurait été probablement plus en phase avec ce qu’était vraiment sa vision de l’action des pouvoirs publics en matière culturelle, et le bilan serait aujourd’hui beaucoup plus facile à faire car il serait sans conteste très largement positif ».
En rentrant dans la « vision » que Malraux avait de son action, en considérant son « vocabulaire », Olivier Donnat opère un travail de relecture, voire de réécriture de l’histoire du ministère de la culture. A quelle fin ? Nous verrons que plus loin, la solution qu’il préconise à propos du projet de démocratisation culturelle est radicale, surtout lorsqu’on sait qu’elle émane du ministère lui-même.
C’est dans le chemin ouvert par cette préconisation que nos recherches vont s’inscrirent, et que notre enquête sur la fréquentation de l’art lyrique s’appuyera.
Mais d’autres éléments fragilisateurs alimentent notre réflexion sur la démocratisation culturelle, en particulier les différentes acceptions du mot.



II. Polysémie

Un ouvrage récent recueille des témoignages et expériences institutionnelles sur la fréquentation des équipements culturels, dans le cadre d’un séminaire mis en place par le ministère de la culture. Il fait suite à un compte-rendu sur le même thème, abordé quelques années auparavant.
La conclusion revient au sociologue Jean-Claude Passeron, qui entame une réflexion sur les acceptions de la notion de « démocratisation » dans le domaine culturel : « Il est difficile de s’entendre sur l’usage sociologique du concept de « démocratisation » qui a été employé successivement depuis les années 50 dans au moins quatre sens différents ». Nous résumons ici les quatre sens évoqués par Passeron :

1° le nombre 
Croissance numérique, en volume, qui correspond à une augmentation des flux de pratiquants. Comme dans le cas de la « démocratisation » de la population universitaire ;
2° l’inégalité sociale 
Sont ici considérés des sous-groupes de pratiquants, dont les volumes et variations sont mesurés. Une « démocratisation » correspond ici à une diminution des écarts de pratiques entre différentes catégories de pratiquants ;
3° les probabilités d’accès selon les catégories 
Ici, une vision diachronique, englobant les différences intergénérationnelles est privilégiée. Il s’agit de considérer les chances pour les « descendants » de changer de catégorie en fonction de leur poids dans la population totale. On se rapproche de la perception que les individus ont de ce qui se passe dans leur environnement proche. Contrairement à une certaine probabilité objective, qui serait le résultat d’un déterminisme d’un destin de classe, l’espérance subjective est ici mise en avant ;
4° « démocratisation » d’un rapport social
Il s’agit de la diminution de l’autorité d’imposition que possède sur son partenaire le bénéficiaire de la dissymétrie dans une interaction. On touche ici à la formation de la demande culturelle, renvoyant aux effets pédagogiques de l’apprentissage, l’enseignement et la familiarisation. Cette « démocratisation » est rarement ou faiblement corrélée avec la démocratisation du recrutement social d’une institution ;

La réflexion menée par Jean-Claude Passeron trouve un écho identique dans un article de Sylvie Octobre, chargée d’études au Département des études et de la prospective (DEP) du ministère de la culture, laquelle, avant de développer un « exercice » théorique de décomposition de la notion de démocratisation, précise ceci : « Exercice utile, sinon nécessaire, tant sont multiples et contradictoires les usages du terme de démocratisation et les conclusions tirées de la lecture d’analyses chiffrées ».
Sa « proposition de cadre interprétatif » servira, elle aussi, de base utile à nos recherches (voir Chapitre 2. Entre quantité et qualité). A ce stade, retenons déjà que l’auteur opère un choix sur l’usage du terme : elle va construire sa théorie sur un exemple illustrant la démocratisation du recrutement social, mettant en scène deux catégories de population, l’une socialement favorisée, l’autre moins favorisée. Il est entendu que le critère social discriminant utilisé est le rattachement aux professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) telles que l’INSEE les définit. Nos recherches s’interrogent aussi sur la possibilité d’élargir la palette de critères sociaux à prendre en compte pour mesure la démocratisation du recrutement social d’une pratique culturelle.

Mais retenons déjà la multiplicité des acceptions d’une notion vieillissante, qui semble contenir plus de développements qu’à ses débuts, bien qu’on continue à vouloir cantonner son cadre de réflexions autour de sa raison première, définie dans les années 1960, dans la filiation des études bourdieusiennes. Nous ne nous attarderons pas longtemps ici sur l’œuvre de Pierre Bourdieu. Retenons le rôle de la distinction et de l’héritage sociaux dans les pratiques culturelles, source d’un fossé entre une culture « légitimée » par certains groupes sociaux, tandis que d’autres groupes sociaux restent en marge de l’accès à la (haute) culture. Selon Bourdieu, la culture semble apparaître comme étant pour certains, et pas pour d’autres.

III. In memoriam ?

En tenant compte des éléments de réflexions avancés jusqu’ici, depuis la question du statut même de la politique de démocratisation, en passant par un travail de relecture historique des premiers moments où elle a vu le jour, mais aussi en considérant la multiplicité de ses acceptions, dont une seule –celle du recrutement social fondé sur les PCS- semble s’imposer pour notre objet général d’études (la fréquentation des équipements culturels), quelles hypothèses peut-on avancer, aujourd’hui, pour continuer à vivre avec la notion ?
Nous pouvons en effet supposer que, ayant traversé l’histoire du ministère dont elle est la raison fondatrice, s’étant en quelque sorte institutionnalisée, personne au ministère de la culture n’est prêt de l’abandonner. Et bien non… Cette déduction ne couvre pas la réalité actuelle. Au contraire, certaines voix officielles se montrent prêtes à battre en brèche le sacro-saint mono-thème.
Ainsi, dans un article déjà cité, Olivier Donnat va au bout de la réflexion, en se demandant quelle position adopter aujourd’hui face à une politique de démocratisation culturelle presque cinquantenaire, avec les développements que l’on connaît.
Trois hypothèses sont avancées :

1° abandonner sans complexe la mission fondatrice :
« On peut être tenté tout d’abord de « jeter le bébé avec l’eau du bain » et considérer que le projet de démocratisation de la culture relevait, certes, d’une noble ambition, mais qu’il était totalement irréaliste car trop ignorant des mécanismes sociaux produisant le « désir de culture ». Pourquoi, après tout, même si une telle proposition put être difficilement tenable par un ministre, ne pas prendre acte de l’impuissance de l’action culturelle à remédier aux inégalités sociales entravant l’accès aux équipements culturels et accepter de tourner la page en privilégiant sans culpabilité les objectifs de la politique culturelle relatifs à l’offre (soutien à la création, entretien du patrimoine…) ?

2° accorder plus de moyens financiers :
« On peut être tenté, à l’inverse, d’en « revenir à l’esprit des pionniers », c’est à dire mettre en avant l’objectif de démocratisation en réclamant de « vrais » moyens. Car c’est bien là un des paradoxes de la politique culturelle française : si la place de l’objectif de démocratisation a souvent été prépondérante au niveau des discours, les crédits mobilisés n’ont jamais été à la hauteur des ambitions affichées. (…) Choisir une telle orientation est bien entendu difficile –impossible diront beaucoup- car cela implique un redéploiement des moyens financiers, sauf à imaginer un doublement du budget consacré à la culture, comme cela avait été le cas en 1982, et qu’une telle opération ne peut que heurter des habitudes acquises et réduire les « marges budgétaires artistiques » à un moment où les milieux concernés attendent au contraire leur augmentation. »

3° abandonner le terme :
« Enfin, on peut être tenté par une véritable refondation en abandonnant le terme de « démocratisation » sans renoncer à toute ambition en matière d’élargissement des publics de la culture. Sans succomber aux charmes du paradoxe, on peut même aller jusqu’à défendre l’idée suivante : abandonner l’usage du terme de « démocratisation », porteur depuis les origines de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes, constitue aujourd’hui une des conditions d’une meilleure efficacité des actions menées en direction des publics. 
Cela tout d’abord permettrait d’éviter les amalgames et les confusions possibles : l’augmentation de la fréquentation des équipements, la conquête de nouveaux publics et la fidélisation des publics en place par exemple ne sont pas des objectifs équivalents ou complémentaires, mais différents ; ils demandent par conséquent à être explicitement distingués et réclament la mise en œuvre de stratégies spécifiques.
Abandonner le terme de « démocratisation » et définir des objectifs plus précis, portant sur des populations précisément ciblées, peut par conséquent aider à séparer les finalités relatives à l’offre culturelle et celles relatives au public, et à déchirer l’épais écran de fumée qui souvent recouvre les objectifs réellement poursuivis, rendant difficile toute véritable évaluation. »

Terminer ce voyage au cœur de la démocratisation culturelle par une considération aussi forte sur son statut actuel n’est pas innocent. En effet, la troisième hypothèse qui vient d’être évoquée, celle qui est retenue par l’auteur, contient une démarche particulièrement intéressante pour la construction de notre problématique de recherches, à partir de la question suivante : l’art lyrique s’est-il démocratisé ?
L’idée vient d’être évoquée, pour des raisons qu’on pourrait qualifier de « realpolitik », mais aussi de meilleure efficacité, d’abandonner le terme de démocratisation, pour laisser place à une multitude d’objectifs ciblés. Certains sont nommés (augmentation de la fréquentation, élargissement, fidélisation), d’autres sont à définir. Derrière « l’étoile » se cache une galaxie de phénomènes, en écho à l’ouvrage de M. McLuhan.
C’est à ce travail d’éclatement de la notion fondatrice du ministère de la culture que nous nous attellerons, pour tenter de cerner au mieux les évolutions à l’œuvre dans la fréquentations des salles lyriques en France.

Mais avant cela, par convenance terminologique, il nous faut évoquer ensemble un autre pilier fondateur de la fréquentation des équipements culturels : la notion de public. La mise au point sera rapide. (chapitre 2).
Ensuite, nous justifierons en quoi notre terrain d’études –l’art lyrique- est particulièrement intéressant, pour des raisons structurelles et conjoncturelles, au regard des deux notions abordées plus haut : la démocratisation de ses publics (chapitre 3).

Chapitre 2 Les pratiquants : du Public aux publics


Ce chapitre vise à établir une convention, plus terminologique que sémantique. Il ne prend pas un parti radical, mais permet d’inscrire nos recherches dans les considérations actuelles les plus justes et précises dans la manière de nommer l’ensemble des personnes qui fréquentent un équipement culturel, qui s’adonnent à une pratique culturelle, qui décident d’une sortie culturelle : Public, public ou publics ?

Section 1. Majuscule vs minuscule

Dans une enquête récente, ciblée sur la fréquentation des maisons d’opéras en France, Gérard Doublet propose de mettre fin à l’usage du « Public », s’affichant avec une majuscule.

En premier lieu, pour des raisons de non-représentativité de cette notion :
« Le Public serait l’ensemble des spectateurs fidèles, abonnés, passionnés qui auraient des exigences en matière de programmation. Des connaisseurs et des clients fidèles, ceux qui s’expriment lors des rencontres organisées à leur intention par les Opéras, ceux qui se manifestent au cours des représentations, qui sifflent une soprano, hurlent leur déception à l’égard d’un metteur en scène ou éclatent en applaudissements prolongés pour exprimer leur enthousiasme. Le vrai Public idéalisé se définit par son caractère entier. Il ne fait pas les choses à moitié, car il se sent un peu propriétaire de sa scène, de son théâtre et parfois de son fauteuil. Il connaît les choix de la programmation, les juge et les sanctionne si nécessaire, en renonçant à s’abonner. (…) Le Public ferait le succès ou la ruine d’un spectacle.
Ce Public n’est pas constitué de spectateurs amateurs occasionnels, mais de passionnés, experts, abonnés depuis de nombreuses années. Il ne pourrait au mieux représenter qu’une partie de 30 à 40% des spectateurs réguliers d’une maison d’Opéra. Il n’est ni descriptif d’un type, ni représentatif de l’ensemble des publics, dans la diversité de leurs pratiques. (…) Enfin, il devrait exister autant de vrai(s) Public(s) que de maisons d’opéras. Cette contradiction (singulier/pluriel) finit d’épuiser le mythe. » (p.6-7)

Ensuite, par souci de démocratie culturelle entre les pratiques culturelles :
« La notion de Public au singulier avec une majuscule provoque notre interrogation sur ce qui distinguerait ce public-là des publics d’autres genres de spectacles. La notion exigeante de Public risque d’enfermer toute étude socio-pratique dans une démarche conceptuelle de différentiation d’un Public à l’égard d’autres Publics, d’une pratique culturelle par rapport à d’autres pratiques culturelles. » (p.5)


Section 2. Singulier vs pluriel

Gérard Doublet poursuit la réflexion, autour maintenant de l’axe du nombre : public ou publics ?
« Nous avons choisi de nous rattacher à la notion de publics lyriques au pluriel. Le spectateur d’opéras est pluriel dans sa singularité : amateur de théâtre, de concerts…de musique classique, de jazz, de blues, de rock, de pop….d’expositions d’art, de photos. (…) 
La notion de publics au pluriel offre un autre avantage, celui de permettre de tenter une généalogie du goût lyrique en particulier et du goût en général. (…) Un spectateur connaît dans sa carrière plusieurs phases qui lui font gravir (ou descendre) les degrés de découverte du genre lyrique, de la première fois à l’apprentissage, de la démarche cognitive ou académique à la pratique régulière, enfin celui de l’expertise du grand amateur assidu du genre. A l’inverse, les jeunes abandonnent la pratique lorsqu’ils rentrent dans la vie active. Des amateurs de disques lyriques ne vont pas nécessairement à l’Opéra. Les plus âgés se contenteront des opéras à la télévision. Des hyperactifs dans leur fonction en entreprise et amateurs lyriques ne prennent plus le loisir de fréquenter une maison d’opéras. » (p.5)

Une même personne –une même unité comptable de fréquentation- comprend en lui-même plusieurs publics, successivement dans le temps du moins, dans la construction de sa carrière ou généalogie. Mais il semble aussi que très rapidement, une même personne passe d’un public à un autre, différent. Laissons parler le sociologue Jean-Claude Passeron :
« Le » public traditionnellement conçu au singulier comme l’ensemble homogène et unitaire des lecteurs, auditeurs, spectateurs d’une œuvre ou d’un spectacle n’est plus guère qu’un fantasme d’auteur ou d’éditeur, élaboration érudite d’un procédé discursif de conteur populaire face à son public d’un soir. (…) Entendu au singulier, le public n’a d’autre réalité sociologique que comptable. (…) Si l’on scrute de plus près la réception d’une même oeuvre par un spectateur ou un lecteur unique, on constate presque toujours dans la communication artistique la scissiparité de ce récepteur individuel en plusieurs publics qu’il superpose, alterne ou combine différemment par la permutation incessante de ses « horizons d’attente ».

Chapitre 3 A la marge de la démocratisation : l’art lyrique

Pourquoi avoir choisi la pratique « opéra » pour une exploration au cœur de la démocratisation culturelle ? Pour au moins trois raisons :

1° Pratique élitiste, plus corrolée au niveau de revenus qu’au niveau de diplôme, lieu d’ostentation, symbole du prestige national, gouffre à subventions, l’opéra est le contre-exemple par excellence de la démocratisation.
2° Cependant, l’art lyrique voit ses publics évoluer. Des études récentes en attestent. L’intérêt des enquêtes de fréquentation réside dans le fait qu’elles ont provoquer un renversement dans la connaissance des publics d’opéras : d’une vision subjective, presque instinctive, on est passé récemment à une connaissance scientifique.
3° Enfin, l’Etat ayant perçu cette évolution, il a décidé de l’accompagner. Le paysage lyrique français connaît une phase de décentralisation lyrique, avec l’attribution du label « national » à certaines alles lyriques de région (Lyon, 1996 ; Rhin, 1997 ; Bordeaux, 2000 ; Montpellier, 2002). Nous verrons ce que signifie, concrètement, ces engagements.


Section 1. Economie : un ogre financier

«  De tous les spectacles vivants, l’opéra est celui dont l’offre est la plus rare, la plus coûteuse, la plus déficitaire et la demande la plus étroite. »
Réaliste, cette affirmation sonne comme un slogan pour les défenseurs d’un rationalisme économique dans le champ culturel. C’est vrai, l’art lyrique coût cher, très cher. Et s’accapare la part la plus importante du budget étatique consacrée au spectacle vivant. (I)
Mais qui voudrait voir le rideau se fermer définitivement sur cette pratique ? Assurément pas l’Etat. Réunion des arts et de l’excellence nationale, l’opéra symbolise le prestige étatique et national. (II)
Enfin, raisonner uniquement en termes financiers est limitatif face aux enjeux qui sont à l’œuvre au sein de cette pratique artistique. (III)

I. La part du lion

L’art lyrique se taille la part du lion des subventions accordées par le ministère de la culture, hors de la manne commune destinée au spectacle vivant. Ce tableau reprend des données officielles pour l’année 2001.
Il prend en considération les trois secteurs artistiques majeurs du spectacle vivant -l’opéra, le théâtre et la danse- en reprenant, pour chaque secteur, les institutions dont le fonctionnement financier est majoritairement assuré part l’Etat.


Tableau 1. Financement de l’Etat (ministère de la culture) selon les pratiques culturelles

PratiqueEtablissements « nationaux »Subvention du ministère de la culture
(millions d’euros)Art lyrique2
(Garnier et Bastille)87Théâtre5
(Comédie, Chaillot,
Colline, Odéon,
Strasbourg)54,4Danse18
(compagnies labellisées)46,7

Source : DEP, 2001


A noter que pour la pratique qui nous concerne, l’art lyrique, la création et la diffusion artistique est présente en régions via une vingtaine d’institutions lyriques –dont 4 en région PACA. Mais l’Etat n’intervient que pour une part insignifiante dans leurs budgets. Ces salles lyriques sont essentiellement subventionnées par les villes. La politique de décentralisation lyrique ne modifie pas de manière substantielle l’intervention financière étatique en régions, mais réunit toutes les collectivités territoriales (villes, départements, régions, Etat) autour du projet (voir Section 3. Politique : la décentralisation lyrique).

II. Un attribut régalien

Le constat que nous venons de faire, sur le fort coût en subventions de l’art lyrique, en comparaison aux autres secteurs du spectacle vivant, trouve une explication dans le lien intime qui le lie à l’Etat : l’Opéra est « l’incarnation privilégiée du prestige culturel national ». Lieu d’ostentation privée, l’opéra incarnerait aussi une certaine ostentation de la « chose publique ».
Le même auteur précise sa pensée : « [L’opéra] consacre chaque année, par le poids écrasant de ses subventions, la primauté effective d’une forme d’expression artistique largement tricentenaire. (…) Sa survie économique (…) dépend donc étroitement du comportement régalien qu’adoptent à son égard les représentants successifs du pouvoir politique. Il n’y a pas de remise en cause de la place de choix qu’occupe l’opéra dans nos politiques culturelles. (…) Le nouvel Opéra Bastille le réaffirme avec plus de conviction que jamais. »
Le mot est lâché : « Bastille ». Comment concevoir la construction d’une nouvelle salle d’opéra, à Paris, lorsqu’on connaît précisément le coût exorbitant, en investissement et en fonctionnement, d’une salle lyrique ? A Paris, qui dispose déjà du Palais Garnier... Enfant de l’alternance socialiste de 1981, le projet de l’Opéra Bastille s’inscrit dans la politique de Grands Travaux qui anime alors le ministère de la culture depuis quelques années (la Pyramide du Louvres, le Parc de la Villette, …). Se voulant populaire, l’Opéra Bastille sera construit, jusqu’à son ouverture en 1990 (quelques mois après le bicentenaire de la Révolution française, symbole populaire fort).
Nous ne reviendrons pas sur les débats et soubresauts entourant ce projet. L’aspect financier nous intéresse : comment avoir fait passer l’idée de la construction d’un second « gouffre à subventions » dans la capitale française ? Le ministère des finances se mêle de l’histoire dès le milieu des années 1970. Partant du constat que « l’art lyrique, forme d’art naturellement coûteuse, trouve au Palais Garnier toutes les conditions pour cumuler la démocratisation minimale et la dépense maximale, le pourcentage de recettes le plus faible malgré le prix des places la plus élevée », l’alternative est la suivante : soit construire un nouvel opéra, soit fermer l’ancien.
Dans ce contexte, « il semble que le gouvernement socialiste [de 1981] ait préféré « mettre le prix » car la représentation d’opéra représente encore aujourd’hui un des symboles le plus éclatant et le plus visible du niveau culturel d’une époque. »

III. Retombées diverses

Certes, l’opéra a un coût. Mais il faut aussi penser en termes de retombées. Ces retombées sont-elles uniquement mesurables en unités sonnantes et trébuchantes ? Une relativisation s’impose, et c’est Bernard Foccroulle, directeur actuel de la Monnaie (Bruxelles), qui nous la suggère.
« L’annulation des Festivals d’Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, Montpellier, La Rochelle, et bien d’autres encore, a suscité cet été des remous considérables et occupé la « une » de la plupart des journaux européens. C’est l’occasion de rappeler que si la culture a un coût, elle a aussi également une contre-partie, bien plus importante. A Aix, les retombées économiques du Festival sur la ville et la région dépassent les 15 millions d’euros, trois fois le montant des subventions publiques. (…) Outre les retombées économiques et sociales de la culture, on peut également étudier les conséquences d’une vie culturelle sur l’image d’une ville ou d’une région. (…) Une maison d’opéras coûte relativement cher : a-t-on fait le compte de ce qu’elle rend à l’Etat directement sous formes de taxes, et indirectement par le biais de retombées diverses, bien plus difficiles à cerner ? Ainsi, la présence d’une maison d’opéras de bon niveau est l’un des critères retenus par les grandes entreprises cherchant un lieu d’implantation. (…)
Faut-il impérativement jauger l’immatériel à l’aune du matériel ? La gratuité de l’acte artistique en constitue une dimension fondamentale. Si des artistes ont créé les cathédrales, orné les villes, dessiné des jardins, décoré des objets usuels, diverti des mécènes, l’essentiel de leur création transcende la part matérielle qu’on peut y distinguer. C’est la dimension immatérielle, la gratuité du beau, l’inutilité du beau, qui fonde leur valeur profonde. (…) Vouloir mesurer et quantifier cette part de la culture n’aurait aucun sens. (…) Nous devrions d’ailleurs bannir de notre vocabulaire le terme de « consommation culturelle » : il y a une opposition irréductible entre les deux termes ! Ce qui est consommé disparaît. On consomme de l’électricité, un verre de bière, un poulet frites (…). »

Dans notre domaine d’études, des enquêtes récentes prennent en compte la multiplicité des facteurs à considérer pour essayer de parler en termes de retombées, s’il le faut.


Section 2. Publics : vers une connaissance scientifique

Une mutation essentielle s’est opérée dans la connaissance des publics de l’art lyrique : « Jusqu’à de récentes enquêtes, on ignorait tout de la foule anonyme qui peuple les théâtres d’opéras depuis plusieurs décennies. »
L’image d’Epinal du public d’opéra prévalait : « Du public d’opéra, on a retenu jusqu’à aujourd’hui quelques traits saillants (…) En d’autres termes, on a transposé sur le public d’aujourd’hui les réalités, bien connues et abondamment commentées, du XIXe siècle ». Et plus précisément : « On s’est contenté jusqu’ici de retenir du public d’opéras l’image d’une minorité dorée, mondaine, instigatrice d’un rituel organisé à travers la régularité de la pratique et dont l’ostentation serait une composante essentielle. »

L’enquête menée au début des années 1990 dans le domaine lyrique par Frédérique Patureau, que nous venons de laisser parler, constitue une première de la part du ministère de la culture, pourtant habitué à mener des enquêtes statistiques dès son institution au début des années 50. « Ce dernier type d’enquête [caractéristiques socio-démographiques et modes de consommation] n’a jamais été entrepris de façon systématique, au regard, sans doute, de l’étroitesse de l’offre et de la demande dans ce domaine [de l’art lyrique]. » Quid de l’enjeu économique ?

Elle annonce le début d’une série d’autres enquêtes, à Paris et en régions, sur la fréquentation des maisons d’opéras. Malheureusement, peu d’enquêtes sont comparables, et c’est la un problème récurrent : « La comparaison des publics d’opéra en France est une tâche particulièrement délicate […de par…] l’absence de perspective comparée. » L’auteur entend souligner l’inutilité, dans une perspective comparée, de la généralisation du modèle des « profils-types » qui résument le travail empirique, et dont les données brutes sont en général inaccessibles.

Nous verrons dans le deuxième chapitre, que les enquêtes récentes se sont multipliées, lesquelles nous servirons de base quantitative de travail pour l’élaboration de notre protocole de recherches, au niveau local, au sein des quatre salles lyriques retenues.


Section 3. Politique : la décentralisation lyrique

Un trait caractéristique de l’Histoire française réside dans sa tradition d’Etat centralisé, porté par le jacobinisme durant la période révolutionnaire. L’Empire verra certes la création des départements, mais le lien avec la capitale reste très fort ; les collectivités locales ont peu d’initiative. Paris et le désert français…
Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle que des évolutions seront constatées vers une plus grande autonomie des collectivités territoriales, évolutions contenues dans les lois « Defferre » de décentralisation de 1982 et, tout récemment, dans l’acte II de la décentralisation, porté par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
Dans le domaine culturel, le ministère « chargé des affaires culturelles » prend à cœur la question du développement des équipements culturels en régions. On connaîtra ainsi une phase de décentralisation théâtrale, sous l’impulsion de Jeanne Laurent, de décentralisation musicale, avec la création des orchestres régionaux, phase à laquelle le nom de Marcel Landowski est étroitement associé.
Depuis le début des années 1990, il est question de la décentralisation lyrique. Non pas qu’il n’existe pas d’institutions lyriques en régions. Mais il s’agit, de la part du ministère de la culture, de réunir autour d’une maison d’opéras particulière toutes les collectivités territoriales concernées, et de se mettre d’accord sur des orientations politiques et des pistes de travail pour assurer la vitalité et le développement de l’Opéra en question.

A ce jour, quatre opéras de région sont labellisés « nationaux » (I). Un autre est en préfiguration : il est intéressant de voir les points sur lesquels l’Etat attend que l’Opéra travaille, en contrepartie du renforcement de son engagement financier (II). Enfin, en pratique, quelles actions sont mises en place ? Et ne voit-on pas ailleurs, dans d’autres structures ne bénéficiant pas (encore) du label « national », des actions similaires se développer (III) ? Nos entretiens apportent ici un éclairage. 


Un carré national en région 

Depuis 1996, des conventions quinquennales ont été signées avec quatre institutions lyriques régionales, à commencer par l’Opéra, désormais « national », de Lyon.

A. Lyon
Deuxième opéra de France après l’Opéra de Paris (établissement public qui regroupe l’offre lyrique du Palais Garnier et de l’Opéra Bastille), premier opéra à bénéficier du label « national », l’Opéra de Lyon signe une convention pour cinq ans avec le ministère de la culture et le maire de Lyon. Officiellement et juridiquement, l’Opéra national de Lyon existe depuis le 1er janvier 1997.
L’aide financière étatique passe de 3,6 à 5,21 millions d’euros sur cinq ans, soit une augmentation de 50%. Dans le budget total, l’intervention financière de l’Etat s’élevait à 13,5% à la signature de la convention, ce qui, en comparaison avec d’autres opéras, est déjà importante, comme le montre le tableau ci-dessous.


Tableau 2. Subventions de l’Etat accordées aux théâtres lyriques de la Réunion des Théâtres lyriques de France

Théâtre lyriqueSubvention de l’Etat
(millions d’euros)Avignon0,36Bordeaux0,79Lyon2,49Marseille0.82Metz0,45Montpellier0,66Nancy0,33Nantes0,42Nice0,60Opéra du Rhin1,69Rouen0,50Toulouse1,02Tours0,57
source : RTLF/ Ministère de la culture (DEP)

B. Opéra du Rhin
La convention est signée le 29 novembre 1997 entre l’Etat, la région Alsace et le syndicat intercommunal de l’Opéra du Rhin. En tant que syndicat intercommunal, l'Opéra national du Rhin voit sa gestion assurée conjointement par les trois villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Chacune a sa propre activité créatrice : l’Opéra à Strasbourg, l’Atelier du Rhin (centre de formation lyrique et dramatique) à Colmar et le Ballet de l'Opéra national du Rhin à Mulhouse.
L’Opéra du Rhin était celui, qui, après Lyon, recevait déjà une manne financière étatique importante.
Comme pour l’Opéra de Lyon, c’est au 1er janvier de l’année civile suivante -ici en 1998- que l’établissement est devenu officiellement « national ».

Bordeaux
Contrat quinquennal bipartite –ville et Etat- dans le cas de l’Opéra de Bordeaux, signé le 4 octobre 2000. En passe à des difficultés budgétaires récurrentes, qui avait contraint l’Opéra à produire moins de spectacles, la ville de Bordeaux, principal bailleur de fonds, se réjouit de l’accord.
L’aide financière de l’Etat, qui représentait 12 % du budget total de la structure, augmentera, comme dans la cas de Lyon, de 50% en cinq ans.

C. Montpellier
Petit dernier à être labellisé « national », pour la région Languedoc-Roussillon, l’Opéra de Montpellier a réussi à réunir la ville, le département (Hérault), la région et l’Etat autour de son projet de développement. La convention, signée le 21 février 2002. Du côté de l’Etat, même augmentation : +50% sur cinq ans.


Un protocole de préfiguration : Lorraine

Que demande-t-on de plus à un Opéra « national » par rapport à un autre Opéra de région ? Sur quelles actions portent les conventions ? Quel est le cahier des charges ?
Il est annoncé que la prochaine institution lyrique à obtenir le label « national » sera l’Opéra de Lorraine, regroupant, comme cela s’est fait pour l’Opéra du Rhin, les structures de plusieurs villes : ici Nancy et Metz.
Pour le 5e opéra national, l’Etat semble prendre plus de temps : l’Opéra de Lorraine passera d’abord par une phase de « préfiguration ». Un accord dans ce sens a été conclu en février 2003. La lecture du protocole d’accord nous donne quelques indications théoriques sur les projets attendus en contrepartie des nouveaux moyens accordés :
« En application du contrat de plan 2000-2006, l’Etat, la région Loraine et les villes de Nancy et de Metz ont conclu, le 27 février 2003, un protocole visant à mettre en place un pôle symphonique, lyrique et chorégraphique en Lorraine.
Ce grand projet, porteur d’ambitions pour le rayonnement de la vie musicale et chorégraphique de la région, recouvre, outre le développement de l’orchestre national de Lorraine et du Centre chorégraphique national –Ballet de Lorraine, la perspective de mettre en place une maison lyrique de premier plan dans le cadre d’une convention de préfiguration d’opéra national. (…)
Au cours de la période 2003-2005, l’Opéra national de Lorraine en préfiguration s’attachera à mettre en œuvre son projet artistique autour du répertoire du XXe siècle, de la création contemporaine et du répertoire baroque. Il développera des activités de diffusion en région, d’éducation artistique et d’action culturelle propres à sensibiliser à l’art lyrique de nouveaux publics, et mettra en place un dispositif original de formation et d’insertion professionnelle, notamment dans le cadre d’une collaboration avec le ballet de l’Opéra-théâtre. »

En pratique…

Indications sur le répertoire, avec priorité sur le XXe siècle, formation et insertion professionnelle, décentralisation. Autant de priorités pour l’Etat dans le cadre de la décentralisation lyrique. Mais aussi démocratisation de la pratique ?
Il s’agit en tout cas de « sensibiliser, via des actions diverses, l’art lyrique à de nouveaux publics. ». En pratique, on observe de facto, dans les institutions lyriques labellisées « nationales » et la plupart des autres en régions, non labellisées, la mise en place d’actions en direction des publics. Au sein des maisons d’opéras, des départements spécifiques sont créés à cet effet.

Notre échantillon comporte deux Opéras « nationaux » et deux autres. En leur sein, les services interrogés se nomment :
« service Relation avec le public » (Lyon) ;
« service Jeune public » (Rhin) ;
« service Action culturelle » (Marseille) ;
« service Animation culturelle et sociale » (Nice).

Avant de faire un point sur les actions que l’on retrouve au sein de ces temples lyriques, réfutons tout de suite l’idée, comme nous venons de le laisser entendre, que ces actions sont le privilège des seuls Opéras nationaux, conformément à leur cahier des charges. Il semble que le besoin de présenter l’art lyrique à tous soit d’une certaine manière naturel :

« P.J. : Le fait que l’Opéra du Rhin bénéficie du label « national » favorise-t-il ce type d’actions, d’ouverture vers l’extérieur, de partenariats, de mise en place de dynamiques ?
H.P. : Oui, parce que ça fait partie du cahier de charges d’un Opéra national. Il y a des moyens. Je ne fais pas les comptes, mais ça fait partie de la « charte ».
Mais il y a d’autres opéras qui font des actions et qui ne sont pas nationaux. Toulouse n’est pas national, mais ils ont un service pédagogique très développé. »
(extrait de l’entretien Strasbourg)

Et pratique, tous les établissements lyriques développent des programmes d’actions en direction de publics ciblés. Dès lors, pourquoi ne pas parler de « mission de service public », entendu comme la prise en charge par des institutions publiques, de la défaillance de certains mécanismes sociaux, comme la transmission générationnelle d’une pratique ? Deux extraits nous le suggèrent :

« P.J. : Quels sont les buts de cette action ?
G.S. : Cela renvoie aux trois axes : faire découvrir une culture différente aux jeunes de nos jours, leur montrer que Marseille a toujours eu une position importante d’Opéra populaire. A une certaine époque, c’étaient les parents et grands-parents qui amenaient leurs enfants et petits-enfants à l’opéra, pour leur faire découvrir cet art. C’est tombé un peu en désuétude. C’est pourquoi nous, mission de service public, avons pris la relève pour les amener à découvrir l’opéra. »
(extrait de l’entretien Marseille)

« H.P. : Ecoutez, c’est pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine d’années maintenant, est intervenue au moment où on s’est rendu compte que les salles se vidaient, qu’il y avait une tradition de l’opéra ici, qu’on héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on s’est rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. Donc objectif, si vous voulez… la première chose, regardez, c’est ça là-haut [en désignant une petite affiche, 15x15 cm, écrite en blanc sur fond noir : « Ringard ? bourge ? élitiste ? toujours plein ? trop cher ? Mon œil, moi, j’y vais ! L’Opéra du Rhin »]. C’est un tract qui a été édité avec la volonté de lutter contre tous les préjugés. On a fait une enquête pour savoir ce qu’on pensait de l’opéra. Et voilà ce qui en est ressorti. »
(extrait de l’entretien Strasbourg)


Sur le fond, les actions déployées sont très diversifiées : elles prennent place dans un environnement particulier à chaque Opéra, elles répondent à des besoins qui leur sont particuliers. Au sein d’un même Opéra, elles sont multiples, et visent des publics ciblés, selon les strates scolaires :

« A.J.-P. : Moi je pense que ce n’est pas une grosse action qu’il faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. »
(extrait de l’entretien Nice)
« P-H. A. : Les scolaires -par « scolaires », on entend les primaires et les collégiens- sont conviés à un spectacle qui leur est réservé, un après-midi pendant le temps scolaire. Les lycéens sont des jeunes qui vont venir pendant les soirées tout-public. »
(extrait de l’entretien Lyon)

Diversifiées également par le lieu où elles s’inscrivent : au sein de l’Opéra, mais aussi :
à l’école
« A. J.-P. : Dans le prochain [opéra], qui s’appellera, sous réserve, Le Chemin des abeilles, le livret a été écrit avec les enfants de deux classes de ZEP, deux classes défavorisées de l’ouest de Nice. Ce sont des enfants de CM1, ils ont commencé à travailler là-dessus l’an dernier, en mai, quand ils étaient en CE2. Donc ce scénario, ce livret, avec Sugeeta Fribourg. C’est fait avec beaucoup de difficultés quand même de leur part, mais elle venait en stage pendant huit jours tous les mois, et ça a fait un travail extraordinaire, parce que les enfants ont fait un bond en français, en expression, en réflexion –parce que souvent, c’est comme pour la télé, on regarde puis on absorbe sans se poser de questions. Là, ils ont réfléchi et ont créé –certes quelque chose de pauvre- mais on essaye au fur et à mesure de les accompagner, d’enrichir leur vocabulaire. »
(extrait de l’entretien Nice)

sur les campus universitaires
« P.J. : N’y a-t-il pas une politique plus globale qui concernent les étudiants ? Au niveau tarifaire, au niveau des abonnements, qui inciteraient à les faire venir ?
G.S. : Concernant les étudiants, on mène une action en étroite collaboration avec la Caisse des dépôts et consignation, qui s’appelle « Campus en Musique », qui permet à des étudiants de la Faculté Marseille II (Médecine, Sciences) de découvrir l’Orchestre philharmonique de Marseille. Nous donnons deux concerts dans deux sites universitaires. Ensuite, les étudiants sont invités à venir à l’opéra pour découvrir la musique dans le cadre d’une générale de concert. Et là, ça fonctionne très bien : nous avons eu la semaine dernière 1400 jeunes. »
(extrait de l’entretien Marseille)

« H.P. : Maintenant, pour le « quidam moyen », c’est–à-dire l’étudiant en droit, bio, siences po, il n’y a pas de raison a priori d’aller voir ces étudiants… je veux dire de raison directement liée à l’activité de l’opéra. Il faut leur faire découvrir l’opéra de manière empirique. Pour ça, on va trouver une technique : on fait comme les fauves qui vont manger leurs proies là où les animaux vont boire. Nous, on va les chercher là où ils vont manger. On va dans des restaurants universitaires pour passer des moments d’échanges avec les étudiants. On s’installe, et souvent, pour motiver les troupes et entrer en contact, on organise un jeu avec possibilité de gagner des places. Ainsi, on va offrir 100 places pour la générale. Il fallait qu’ils fassent la démarche d’aller chercher la place dans un autre endroit, et on en a quand même eu 90 sur les 100 qui sont venus. Ce qui est énorme. »
(extrait de l’entretien Strasbourg)


Parfois, les actions sont rattachées à de grands événements nationaux, avec la tentative de faire franchir, de cette manière, les portes de l’opéra à de nouveaux publics :

« P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A l’occasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. S’il n’y avait pas la queue à l’entrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. C’est un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin d’être expliqué, présenté. C’est déjà une première démarche de faire venir les gens, même s’ils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que c’est un lieu qui est accessible, qui a du sens. »
(extrait de l’entretien Lyon)

« A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait qu’il y ait des gens qui circulent.
P.J. : Il y a une programmation particulière à l’Opéra de Nice ce jour-là ?
A.J.-P. : Oui, pas toute la journée, mais presque.
P.J. : Qui consiste en de l’art lyrique ou pas ?
A.J.-P. : Pas forcément : concerts, chœurs d’enfants, même un petit peu de jazz. Pourquoi pas, mais ça se passe dans le lieu de l’opéra. On sait faire aussi autre chose. »
(extrait de l’entretien Nice)


Même pour la représentation lyrique, des possibilités de lieux et de moments différents existent :

« A.J.-P. : Les deux classes qui ont écrit le livret vont aussi participer sur scène. Les classes qui sont dans la salle auront des chants communs avec la scène, et ne seront donc plus seulement en tant que spectateurs, mais acteurs aussi.
A.J.-P. : On a un public scolaire pour les répétitions (pré-générales et autres), mais il vient aux pré-générales ; il ne vient pas aux représentations. »
(extrait de l’entretien Nice)

Dans tous les cas, l’institution fait des sacrifices pour offrir aux jeunes invités les meilleurs conditions de placement et de tarif :

« H.P. : On a des places de 5,5 euros avec cette « Carte culture » et cette carte « Atout voir ». Ensuite, on a ce que nous appelons les tarifs scolaires, qui sont en fait des tarifs pour les groupes scolaires au tarif à l’unité de 11 euros. Tarifs qui sont encore « discountés » par rapport aux 50 %. Ce sont des places de catégories 2 et 3, des bonnes places, qui valent plus que deux fois 11 euros ; qui valent 30 ou 40 euros. C’est un effort supplémentaire qu’on fait pour proposer des places tout à fait correctes à des tarifs « défiant toute concurrence ».
(extrait de l’entretien Rhin)
« L.V. : Ce sont donc chaque année 3000 jeunes qui sont placés dans les meilleures conditions possible, avec des places de 1ère catégorie, pour l’instant au parterre. C’est un effort énorme. »
(extrait de l’entretien Lyon)

Les actions sont imaginées. Comme pour les innovations technologiques, elles bénéficient donc dans un premier temps d’une exclusivité, d’un avantage comparatif. Ensuite elles sont souvent copiées par ailleurs, par un phénomène de mimétisme, d’autant plus important que certains ouvrages ou réseaux commencent à compiler les actions, pour en faire partager l’expérience.
Exemple, le « ramassage-opéra », avec des bus sillonnant les campagnes environnantes pour recueillir, sur le parcours, des spectateurs du jour. Action développée à Lyon et Strasbourg.

« H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce qu’on appelle les « abonnés-bus ». C’est vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement –souvent des vieilles personnes, qui n’ont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire d’assister à une représentation. »
(extrait de l’entretien Rhin)

« L.V. : On a fait le test sur des spectacles de danse. Sur le trajet du TGV Méditerranée actuel. On avait arrosé sur Avignon, Nîmes, Aix-en-Provence, Montpellier et Marseille. En se concentrant sur les étudiants en Ecoles de danse, Conservatoires,… avec un tarif groupé « bus+spectacle » à 20-25 euros, ce qui est vraiment pas cher. Ce qui n’a pas marché… C’est une clientèle jeune, qui n’a pas forcément l’argent en plus, très sollicitée et qui a du mal à se projeter aussi. Et si, sur place, on n’a pas de relais hyper-motivé pour « faire de retap’ », ça marche pas. »
(extrait de l’entretien Rhin)

Enfin, relevons d’autres caractéristiques communes :
1° Pour nos quatre établissements lyriques, les actions sont menées à partir de la production d’opéra, à partir du matériel à leur disposition, en création au sein des Opéras. Illustration à l’Opéra du Rhin :
« H.P. : Je vais revenir quand même au principe de base. Après, c’est qu’on essaye de travailler chaque fois avec les capacités des gens, avec les possibilités des gens d’aborder l’opéra, qui ne sont pas automatiquement la musique – à la base, même s’il faut y venir à un moment ou à un autre ; on fait de l’opéra, donc à un moment ou à un autre, on en a besoin – mais ça peut être un professeur d’art plastique. Les arts plastiques sont mis à contribution dans des projets : construction de décors, confection de costumes… On a la chance dans cet opéra de fabriquer une production du début à la fin. Et souvent, j’ai l’habitude de donner la plaquette. Pour moi, c’est déjà un instrument pédagogique déjà. On commence souvent par la fin de la plaquette en disant : « Ecoutez, on est près de 250 à se décarcasser pour que ça marche ». Et dans ces 250, il y a évidemment des chanteurs, mais il y a derrière…
P.J. : …des musiciens…
H .P. : …des musiciens, des gens qui vont créer des décors, des gens qui vont construire les décors : menuisier, serrurier, métallier…
P.J. : C’est vrai que c’est toujours impressionnant de voir le nombre de personne qui travaillent dans un opéra.
H.P. : Et ça, ce n’est pas le cas de tous les opéras. C’est une chance qu’on a. Parce qu’il y a des opéras qui sont incapables –parce qu’ils n’ont pas des ateliers- de faire de la production. Donc ça, pour nous, c’est une chance aussi de pouvoir accrocher les gens par ce biais-là. »
(extrait de l’entretien Rhin)


2° Dans trois témoignages (Lyon, Marseille et Nice), l’Opéra apparaît comme une carte facile à vendre auprès des jeunes, ce qui facilite un certain travail d’acculturation :

« P.J. : Le meilleur résultat n’est-t-il pas, non seulement de donner l’envie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de l’opéra ?
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis qu’ils reviennent. Bien qu’au début, ils appréhendaient cette expérience. »
P.J. : Vous disiez que l’Opéra est populaire…
G.S. : C’est qu’à l’origine, l’opéra est populaire ; l’art lyrique est un art populaire, qui s’est embourgeoisé d’une certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce n’est pas le cas de l’Opéra de Marseille, où est ouvert à tous. C’est vrai que quand on prend l’Opéra de Monte-Carle, c’est réservé à une élite. Et c’est dans l’imaginaire que l’opéra est un lieu réservé, inaccessible. Et c’est ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à l’Opéra, c’est pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et c’est chez eux.
P.J. : Ils s’approprient ce lieu…
G.S. : Oui, facilement, malgré les a priori de départ. »
(extrait de l’entretien Marseille)

Deux phénomènes se rejoignent ici : l’acculturation et l’appropriation. Hors de l’institution scolaire, il s’agit pour les enfants qui assistent à une activité au sein d’une maison d’opéras, de « faire leur » des techniques, procédés, et des connaissances. La diversité des activités proposées, la compétence de ceux qui les animent, mais aussi la multiplicité des approches que proposent l’Opéra, facilite ce processus d’acculturation : ils s’approprient l’Opéra.


On ne pourrait terminer ce tour d’horizon sans évoquer l’ambition de tous ces programmes d’actions, et plus particulièrement leur portée dans le temps. Parcourant toutes les strates d’âges, from the cradle to the grave, les actions visent le long terme, la succession et l’empilement de processus d’acculturation différents selon le moment de la vie.

« L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, c’est le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros […]
Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusqu’à 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à l’opéra […] Face à ce constat, le plus simple aujourd’hui, c’est de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes d’âge. Après, on a un autre angle d’attaque, c’est de faire venir ces gens-là. »
(extrait de l’entretien Lyon)

« G.S. : Ce n’est donc pas une action de « saupoudrage », où on se dit qu’on fait venir les jeunes parce que ça fait bien pour la presse qui va en parler. Non. L’action a lieu sur de long terme, sur une année scolaire, où on pénètre réellement l’opéra, et on découvre un lieu de travail.
[…]
P.J. : Pas de problème à long terme ?
G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour l’avenir. »
(extrait de l’entretien Marseille)


Cette présentation des actions mise en place en direction des publics au sein de quatre Opéras répartis sur le territoire français n’est pas exhaustive. Ici, le but n’est pas de dresser un catalogue des initiatives locales dans ce domaine. Une telle liste ne serait d’ailleurs jamais achevée.
Recueillir ces informations constitue une technique volontairement choisie, un moyen de progresser dans nos recherches.
Sur la forme, vis-à-vis de l’interviewé, lui poser des questions sur ce qu’il fait, sur ses actes concrets, permet d’installer ensuite plus facilement un dialogue sur le contexte entourant ces actions.
Ainsi, sur le fond, tenter de percevoir quels sont les buts des programmes d’actions développés au sein des salles lyriques, comprendre en quoi les programmes répondent à des besoins ressentis en termes de fréquentation, s’interroger sur les résultats constatés, approcher les défis à venir… sont autant de questions qui mettent au jour des situations très différenciées d’une institution lyrique à l’autre.
C’est dans ces différences, au cœur de ces situations contrastées, prenant racines dans les histoires sociales des équipements lyriques, que se trouvent des évolutions dans la fréquentation de l’art lyrique. Là où les thèmes des publics et de la démocratisation culturelle se rejoignent.

Voyons, dans un deuxième temps, quels phénomènes évolutifs locaux sont apparus au cours de notre tour de France lyrique, et surtout comment nous avons fait pour les faire surgir à la lumière de la connaissance.





Deuxième partie La fréquentation des Opéras : des phénomènes évolutifs locaux

C
omment mesurer les évolutions en marche dans la fréquentation d’une pratique culturelle ? Les techniques de recherches sont multiples et variées. Plus que dans l’axe quantitatif-qualitatif, c’est dans la taille de l’échantillon, le niveau d’analyse choisi et les questions posées que se trouve cette diversité. Ainsi, étudier les publics d’une pratique culturelle passe notamment par une nécessaire prise en compte de réflexions :
l’échelle d’analyse privilégiée ;
les questions sur lesquelles portent l’analyse.

Enquêtes reprenant tous les équipements culturels, enquêtes associant plusieurs équipements, enquêtes privilégiant un équipement bien particulier… les recherches peuvent s’effectuer à plusieurs échelons. L’échelle d’analyse choisie conditionne les résultats. Nous verrons que dans certains cas, des enquêtes sont incapables de déceler certaines évolutions. Des indices et hypothèse plaideront, pour nos recherches, envers une échelle d’analyse locale (chapitre premier. Au cœur de la matière)

Vient ensuite une réflexion sur les questions du questionnaire, de la grille ou du protocole d’enquête. A ce niveau, tenir compte de la seule démocratisation du recrutement social, fondée sur l’appartenance une catégorie socio-professionnelle, est limitatif. Dans le prolongement de travaux menés au sein du ministère de la culture, visant à élargir la palette d’évolutions qui sont susceptibles d’être constatées, nous construirons notre propre grille d’analyse des résultats.
Au-delà du mono-thème de la démocratisation, notre grille d’analyse propose d’éclater la notion en plusieurs phénomènes distincts qui reflètent nombre d’évolutions possibles à l’échelle de la fréquentation d’un équipement culturel –lyrique dans notre cas. La liste de phénomènes évolutifs locaux n’est pas fermée a priori ; notre grille d’analyse est ouverte (chapitre 2. Entre quantité et qualité).

Appliqué à notre terrain d’études, notre outil méthodologique a fonctionné dans sa vocation initiale, conformément à nos attentes, en mettant au jour des situations, passées et futures, différenciées. Autant de micro-évolutions qui traversent actuellement la fréquentation des équipements lyriques (chapitre 3. Applications).

Chapitre premier Au cœur de la matière




Les résultats issus d’enquêtes de fréquentation sont fortement dépendant de l’échelle d’analyse à laquelle ils se raccrochent. Que peut-on mesurer par des enquêtes englobant plusieurs équipements culturels, de pratiques culturelles différentes ? Et au sein d’un équipement bien précis ?
Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous avons pris comme modèle épistémologique la recherche en physique –en physique nucléaire plus précisément : rechercher encore plus petit que ce que nous connaissons déjà, plonger au cœur de la matière et ses atomes. Il s’agit d’analyser une notion -la démocratisation- à la loupe, au microscope. Et tendre vers une échelle d’analyse petite, locale.

Nous sommes parti d’un indice et d’une hypothèse :
l’indice : les résultats d’enquêtes regroupant l’ensemble des pratiques culturelles nous donnent une tendance sur la pratique « art lyrique », celle de la stagnation du nombre de ses pratiquants (section 1). Mais des enquêtes effectuées au niveau de la seule pratique « art lyrique », donc moins globalisantes, mettent au jour plus de changements dans l’évolution de la composition des publics (section 2) ;
l’hypothèse : en passant maintenant à une échelle d’analyse encore plus réduite –un équipement culturel- de nouveaux phénomènes, plus précis –comme la constitution d’un public de célibataires, ou d’un public « séniors actifs »- seront mis au jour. Ce qui était latent -présent mais invisible- apparaît au grand jour (section 3). Pour une meilleure connaissance : « Scientia Vincere Tenebras ».


Section 1. Echelle « pratiques culturelles »

Pour la pratique « opéra », que nous livrent les données « officielles »? C’est-à-dire les résultats des enquêtes effectuées par le ministère de la culture au bout de 8 ans, auprès des Français de plus de 15 ans ? Deux questions sont systématiquement abordées :
1° la fréquentation d’équipements culturels au cours de l’année précédente;
2° la fréquentation d’équipements culturels au cours de la vie.

Nous n’aborderons pas ici les questions entourant la pertinence d’un tel outil de mesure (sur les pratiques déclarées et non réelles, sur le sens que donnent les enquêtés aux questions posées et leur construction d’un profil personnel, par leur parole donnée). Nous renvoyons à l’autocritique que le ministère s’accorde à certains moments, mais aussi à d’autres ouvrages qui contiennent une démarche épistémologique.


Tableau 3. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours des 12 derniers mois (en %) …

1973198119891997… à l’opéra3233… à un concert rock ou jazz6101316… au zoo302322/
source : DEP


L’analyse tient ici en une phrase : peu de popularité et grande stabilité pour la pratique art lyrique, alors que certaines pratiques culturelles voir le nombre d’adeptes augmenter, tandis que d’autres s’érodent au fil des années. En règle générale, la stabilité est de rigueur.




Tableau 4. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours de la vie (en %)…

19891997… un opéra1819… un concert jazz1818… un concert de musique classique2829… un spectacle de danse (non folklorique)2432… une représentation théâtrale4557… un cirque7277… un musée7477…une projection cinématographique8895
Source : DEP

Même constat –de peu de pratiquants et de stabilité- pour la fréquentation d’un opéra au cours de la vie des Français. Mais avec une « popularité » aussi étroite que pour les concerts de jazz. Pratique élitiste le jazz ? D’autres pratiques sont culturellement plus ancrées : la sortie au cirque, la visite au musée, la séance de cinéma. Sans que l’on puisse pour autant s’avancer sur la régularité de ces pratiques.


Section 2. Echelle « pratique art lyrique »

Passons à maintenant à des enquêtes prenant une échelle de mesure plus réduite : la pratique culturelle.

Sources ministérielles

Toujours du côté du ministère de la culture, d’autres chiffres nous donnent des indications de fréquentation, non plus en termes de pourcentages, mais en termes de volumes. L’occasion de continuer notre comparaison avec les autres pratiques du spectacle vivant.



Tableau 5. Opéras, théâtres nationaux et compagnies chorégraphiques labellisées : nombre de spectacles, nombre de représentations, nombre de spectateurs

2000/2001levers de rideau :
opéras et balletsnombre de spectacles nombre de spectateurs Maisons d’opéras (20)1225/1.501.416Paris : Garnier et Bastille34034710.91018 autres membres de la RTLF885/790.506Théâtres nationaux (5)2073122794.500Centres chorégraphiques nationaux (18)66301031.415.0
source : DEP


Ajoutons tout de suite que sont comptabilisés ici presque tous les équipements lyriques, tandis que pour le théâtre et la danse, seuls les équipements « nationaux » sont repris.
Ces données nous donnent des indications de grandeurs. Ainsi, presque autant de spectateurs pour les maisons d’opéras que pour les centres chorégraphiques, avec une demande lyrique qui se divise en deux belles parts égales : Paris, avec ses deux salles regroupées sous l’établissement « Opéra de Paris », et les salles de province.
En ajoutant une donnée, le nombre de levers de rideaux, on voit que les salles lyriques accueillent plus de publics par représentation : 4 fois plus que pour le théâtre, 5,4 fois plus que pour la danse. Cela s’explique certes par les capacités d’accueil (jauges) très importantes des Opéras (Bastille : 2700, Marseille : 1836, Strasbourg : 1143, Nice, 1005), mais avant tout par les taux de remplissage très élevés pour l’art lyrique : 98% à Paris, 82% en province (chiffres de 2000).
Il est par ailleurs intéressant de constater que le nombre de représentations par spectacle diverge, de 10 pour l’art lyrique, 17 pour le théâtre, 64 pour la danse. Il faut savoir que dans le spectacle vivant, chaque représentation est déficitaire, d’où des contraintes en termes de multiplication des levers de rideaux. C’est là une grande différence avec les produits de consommation issus des industries culturelles, où les économies d’échelle jouent à fond pour la production en série. Dans ce contexte, les représentations d’opéras, extrêmement déficitaires, sont limitées.



Données des réseaux

Deux enquêtes, récentes, vont nous permettre d’aller encore plus en profondeur dans la connaissance scientifique des publics de l’art lyrique :


Enquête des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des théâtres lyriques
Réalisée durant l’année 2000, à la demande de la Chambre professionnelle des directeurs d’opéras (CPDO), l’enquête comprend plusieurs supports d’investigations :
un livre blanc : envoyé à tous les membres du réseau, il a pour but d’avoir une image descriptive des Opéras, théâtres d’accueil et festivals lyriques. Le taux de retour est de 78% (29 sur 37) ;
trois guides d’entretiens semi-directifs : menés auprès des responsables d’institutions lyriques, des gestionnaires de ces mêmes institutions, des acteurs externes intervenant dans le financement (collectivités) ;
un questionnaire de fréquentation adressé aux spectateurs de trois institutions lyriques retenues pour leur représentativité (Avignon, Toulouse, Nancy), avec un retour de 3004 questionnaires au total.

Enquête sur les publics des Opéras de la Réunions des théâtres lyriques de France (RTLF)
Autre réseau, autre enquête, aussi récente puisqu’elle a été menée en 2001. Confiée à Gérard Doublet, conseiller en communication et marketing culturel, l’enquête comprend plusieurs étapes :
une phase qualitative auprès des publics adultes et jeunes de quatre opéras, sous la forme de huit tables rondes à Nancy, Montpellier, Caen, Bordeaux ;
une enquête téléphonique « pilote » auprès d’un échantillon représentatif de 600 spectateurs de ces quatre Opéras, pour préparer un questionnaire national ;
un questionnaire national diffusé auprès des publics des vingt membres du réseau RTLF, à raison de 2000 questionnaires par Opéras en moyenne. Taux de retour de 11,5%, avec 10,5% de questionnaires exploitables.


Voyons ensemble le recoupement de quelques résultats choisis, issus de ces deux enquêtes centrées sur la pratique « art lyrique ». Battant en brèche l’idée d’un public de l’opéra figé, les données récentes font apparaître des évolutions dans la composition et les modalités de fréquentation des publics de l’art lyrique. 
Trois phénomènes évolutifs sont présentées ici, liées à l’âge, le sexe et la situation professionnelle des publics.

A. Rajeunissement


Tableau 6. Publics d’opéras : âge moyen

ÂGE MOYENenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)4747,5

En 1980, l’âge moyen était de 65 ans (source RTLF). Les deux enquêtes nous indiquent que la moyenne d'âge a fortement baissé en vingt ans.
Pour être plus précis, considérons certaines classes d’âges :
moins de 25 ans : 12% de la fréquentation, ce qui signifie un recouvrement de 75% de la classe d’âge (source INSEE)
25-49 ans : 37% des spectateurs, d'où un recouvrement de 86%
plus de 55 ans : 44% des spectateurs, soit 133% de recouvrement.

Selon Gérard Doublet (enquête CPDO), un des défis majeurs à relever est de fidéliser les publics jeunes qui ont été progressivement attirés vers les maisons d’opéras grâce à des politiques efficaces de tarification et de formules flexibles. Défi crucial au moment ou ces publics entrent dans la vie active, ce qui signifie qu’ils perdent et les avantages (tarifaires et de flexibilité) et le temps à consacrer à l’opéra.
Pour Gérard Doublet, « ils ont 28 à 35 ans aujourd’hui, ils constitueront le cœur des publics de référence dans 10 ans. Ils forment un « nouveau public tendance ». Tendance parce l’on observe et mesure chez lui des comportements nouveaux, mais dont il est difficile de prévoir l’évolution à terme et surtout si cette tendance va se stabiliser dans des comportements, des attitudes et des modes de consommation durables. Ils « consomment » l’opéra avec moins de conformisme social, plus de « décontraction » et de « légèreté » que les générations précédentes. (…) Il peut se libérer plus facilement de la contrainte de l’abonnement car son statut social n’est pas en jeu, son mimétisme à l’égard des habitudes des publics réguliers et assidus est faible, voire inexistant. Sa spécificité est d’inventer en quelque sorte de nouvelles pratiques de spectateurs d’opéras. »

B. Féminisation


Tableau 7. Publics d’opéras : proportion de femmes

% DE FEMMESenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)59%63%

Deuxième évolution perçue : la proportion de plus en plus importante de femmes dans les publics d’opéras. Non par défection des hommes, mais par la plus forte proportion féminine dans les nouveaux spectateurs. Ce phénomène peut être analysé de deux façons complémentaires :
« Cette réalité que constitue la forte composante féminine jeune du public est avérée dans l’ensemble des maisons d’opéras. Elle s’explique d’abord par la proportion importante parmi les spectateurs des femmes exerçant des professions intellectuelles intermédiaires et d’enseignantes. On constate aussi la prépondérance des jeunes files et des jeunes femmes parmi le jeune public de moins de 25 ans. »

C. Appropriation par les inactifs

L’Opéra devient le lieu des « inactifs ». Reste à préciser ce que l’on entend par la catégorie « inactifs ».
Pour l’institut national de la statistique (INSEE), qui reprend une définition du Bureau international du travail, sont considérées comme « inactives » les personnes en âge de travailler (15-65 ans), mais qui ne travaillent pas et ne recherchent pas un emploi qu’elles aient ou non travaillé auparavant : étudiants, retraités, femmes au foyer… Les chômeurs ne font pas partie de cet ensemble, car ils sont censés désirer travailler, rechercher un emploi.
Dans notre définition de la catégorie « inactifs », nous incluons les « demandeurs d’emploi » (chômeurs). Au final, ce terme, tel que nous l’entendons, regroupe ici en réalité trois catégories principales de publics, pas encore ou plus intégrée dans la vie active, professionnellement parlant : les étudiants, les chômeurs, et les retraités.


Tableau 8. Publics d’opéras : proportion d’inactifs

% D’INACTIFSenquête RTLF (2001)enquête CPDO (2000)42%

dont étudiants : 14%31%
dont retraités : 17%
étudiants : 10%
sans profession : 4%


Le temps comme principal obstacle à la fréquentation de l’art lyrique. En effet, cette pratique culturelle est exigeante -temporellement parlant- en plusieurs points :

1° l’abonnement est une formule contraignante où l’on s’engage sur toute l’année ;
2° la réservation, hors abonnement, prend du temps (au guichet) et est compliquée (par correspondance). Sur ce point, les possibilités de télé-réservation ergonomique, par l’internet, est salvatrice ;
3° la sortie à l’Opéra nécessite une préparation (livre, CD) et une information culturelle pas disponible immédiatement et facilement.

Dans la conclusion de l’analyse de ses résultats, Gérard Doublet relève ici un deuxième défi pour les institutions lyriques, à côté de celui évoqué plus haut de fidélisation des 28-35 ans :
« La question du renouvellement du public ne concerne pas les seules catégories des jeunes spectateurs potentiels, d’autant plus que des dispositifs ont été mis en place dans la plupart des maisons d’opéras pour leur faciliter l’accès. L’effort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs des classes d’âge et sociales intermédiaires. »

Un exemple d’action envers ces spectateurs prioritaires –on rejoint la notion de discrimination positive- des spectacles en forme courte présentés à l’heure de la sortie des bureaux, entre 18 et 19h.
On rajoutera, pour conclure nous aussi provisoirement, que pour les plus de 35 ans, le taux de découverte « naturel » de l’opéra est de 2% des spectateurs. De plus, les spectateurs en général considèrent que le frein d’accès à l’opéra est d’avantage psychologique que financier et culturel, d’où un besoin de sensibilisation, à des moments choisis.


Section 3. Echelle « équipement lyrique »

Après avoir considérer la pratique culturelle « art lyrique », passons désormais à une échelle d’analyse encore plus fine, toujours forts de la conviction qui nous anime de pénétrer en profondeur dans les évolutions qui animent la fréquentation de ce secteur.
Des enquêtes récentes prenant comme cadre de recherches une institution lyrique particulière font apparaître des phénomènes évolutifs -locaux- que l’on va ici, pour des questions de clarté du raisonnement, classer en trois catégories :
des évolutions qui font écho à celles constatées au niveau des enquêtes regroupant plusieurs institutions lyriques ;
des phénomènes mettant au jour des disparités entre les situations auxquelles sont confrontées les équipements lyriques :
des phénomènes évolutifs locaux inattendus, véritables découvertes, qui plaident pour la poursuite des recherches à cette échelle d’analyse.
Echos

Une enquête menée au sein de l’Opéra de Paris renforce les données citées dans la section précédente : elles donnent du crédit supplémentaire aux évolutions qui traversent la fréquentation des Opéras en France.
Le rajeunissement, la féminisation et la forte proportion de publics sans profession -avec toujours en son sein 1/3 d’étudiants- se trouvent également à l’œuvre au sein d’un établissement particulier –ici l’Opéra de Paris.


Tableau 9. Rajeunissement, féminisation et appropriation par les inactifs dans les institutions lyriques françaises

Opéra de Paris
(1999) RTLF
(2001)CPDO
(2000)âge45 ans47 ans47,5 anssexe60% de femmes59% de femmes63 % de femmes« inactifs »30%
dont étudiants : 12%42%
dont étudiants : 14% 31%
dont étudiants : 10%

Disparités

Lorsqu’on a la chance de disposer de plusieurs enquêtes, menées dans la même période récente, qui offrent des possibilités de comparaison, et qui portent sur des temples lyriques particuliers, des différences s’affichent dans leurs masses de pratiquants. Considérons la variable « lieu de résidence » :


Tableau 10. Origine géographique des spectateurs d’opéras : Paris, Nancy, Toulouse, Avignon

RESIDENCE (%)Opéra de Paris
(1999)Nancy+ Toulouse + Avignon (2000)Avignon
(2000)ville433720agglomération402110région123255autres régions
et étranger5915TOTAL100%100%100%






Devant l’analyse de tels résultats montrant des situations clairement différenciées, on se doit de formuler au moins deux hypothèses.
La première est de se dire que selon l’institution lyrique, les publics viennent de plus ou moins loin, pour des raisons strictement inhérentes à l’offre lyrique : attractivité du programme, flexibilité des réservations…
La seconde est de prendre en compte toute une série de variables externes, qui enrichissent l'analyse des données : taille de la ville, situation de la ville par rapport aux limites administratives…

Dans notre exemple, la première hypothèse nous ferait dire que l’Opéra d’Avignon rayonne sur toute la région (PACA), en plus qu’il réussit à attirer un public d’autres régions et de l’étranger, du moins plus que les institutions (Nancy, Toulouse et Paris). Et que le mérite de cette attractivité géographique plus large réside dans la qualité de l’offre lyrique avignonnaise.
Cependant, il faut considérer d’autres éléments pour avoir une vision plus juste de la réalité. Comme par exemple le faut qu’Avignon soit la plus petite ville française à disposer d’un Opéra. Le public de l’agglomération et a fortiori régional ne vient pas de si loin que cela.
De plus, située aux confins du Rhône et de la Durance, la Cité papale se trouve à la limite administrative de trois départements (Vaucluse 84, Bouches-du-Rhône 13, Gard 30) et de deux régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon). La proportion qui paraît importante (15%), en comparaison aux autres Opéras, de publics provenant de régions et pays voisins se trouve ici relativisée.


Considérons maintenant un autre exemple didactique. Une enquête effectuée au sein de l’Opéra de Marseille en 1990 affiche des résultats pouvant être mis en comparaison avec des données de l’Opéra de Paris en 1988 (Palais Garnier).
Parmi les spectateurs, pour la variable « niveau de diplôme », la proportion de bac+3 est de 60% à Paris, 41,7% à Marseille.
Dans ce cas de figure, on pourrait conclure simplement à ce que les publics lyriques marseillais ont un moins haut niveau de diplôme. Mais il faut aussi tenir compte d’un autre élément : les populations de référence, parisienne et marseillaise, à lesquelles les deux enquêtes renvoient, sont très différentes du point de vue de cette variable. Dans notre cas, plus fortement diplômée à Paris que dans la Cité phocéenne.


Ainsi, toute institution lyrique –et cela vaut pour n’importe quel équipement culturel- se trouve insérée dans un contexte local particulier. Nous avons montré un exemple de contexte géographique ; le contexte historique est également très important. L’histoire sociale des équipements culturels doivent trouver une place importante dans les analyses et enquêtes sur leurs fréquentations. Ce qui rend difficile -illusoire ?- toute comparaison, du moins facile et rapide, entre les équipements culturels, à cette échelle d’analyse.

Les quatre établissements lyriques retenus pour notre enquête s’inscrivent donc dans des contextes qui leur sont propres. De plus, située à des centaines de kilomètres de distance, certains dans des régions frontalières (Strasbourg, Nice), d’autres en concurrence avec une offre lyrique dense (Marseille), ou encore dont la présence architecturale au cœur de la ville est remarquée (Lyon), ils présentent une grande diversité d'histoires sociales. Embarquons pour un tour de France lyrique.


Strasbourg : jeunesse et volontarisme


« L’Opéra national du Rhin, qui a fêté au cours de la saison dernière son trentième anniversaire, est une institution majeure pour la vie culturelle de la région. Grâce à lui, trois villes partenaires, Strasbourg, Mulhouse et Colmar sont ouvertes et accueillantes à l’art lyrique, dans toutes ses acceptions et sa prodigieuse diversité. A l’Opéra, au Ballet, aux Jeunes Voix du Rhin, tous les talents sont mobilisés pour aller à la rencontre du public. La saison 2003-2004 en apporte une démonstration éclatante. Elle marque également l’entrée en fonction de Nicholas Snowman, nouveau directeur général de l’Opéra national du Rhin. Qu’il soit le bienvenu ! Il sait combien le public de l’Opéra national du Rhin est exigeant. Nous savons qu’il saura consacrer tout son talent et toutes ses compétences à en faire un lieu de découverte, d’émotions et de rayonnement encore plus intenses. »












L’Opéra national du Rhin (2003)

D
epuis trente années, l'Opéra national du Rhin propose à son public d'aficionados et de néophytes des programmations alliant originalité et éclectisme.
Structure unique en France, l'Opéra national du Rhin est né de la volonté des trois villes alsaciennes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse qui décidèrent, en 1972, d'unir leurs moyens et leurs forces en créant une structure à la mesure de leurs ambitions : un opéra d'envergure internationale afin de préserver et d'élargir la vie lyrique de la région.

Des années de travail passionné ont construit la réputation de la Maison. Tout en demeurant farouchement attachée à ses racines régionales et européennes, elle s'est imposée comme une institution incontournable de la vie lyrique française et internationale. Ses efforts ont été récompensés, en novembre 1997, par l'obtention du label « Opéra national ».
En tant que syndicat intercommunal, l'Opéra national du Rhin voit sa gestion assurée conjointement par les trois villes de Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Chacune a sa propre activité créatrice : l’Opéra à Strasbourg, l’Atelier du Rhin (centre de formation lyrique et dramatique) à Colmar et le Ballet de l'Opéra national du Rhin à Mulhouse.
Par ailleurs, l'Opéra national du Rhin, n'ayant pas d'orchestre propre, travaille en étroite collaboration avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et l'Orchestre Symphonique de Mulhouse qui assurent les productions lyriques et chorégraphiques.

L'Opéra national du Rhin mène également une politique de coproductions avec les plus grands festivals, théâtres et opéras internationaux. Trieste et aussi Salzbourg ont accueilli le spectacle Don Carlos, donné en 1997 en Alsace. En mai et octobre 1998, l'Opéra national du Rhin et le Festival de Schwetzingen ont présenté conjointement le Don Giovanni et Die Zauberflöte de Mozart. Une étroite collaboration a été menée avec le Welsh National Opera, avec le Festival de Savonlinna, où l’Opéra national du Rhin a présenté Der Freischütz de Weber dans une mise en scène de André Engel et Dialogues des carmélites mis en scène par Marthe Keller, sous la direction de Jan Latham-Koenig; ce dernier opéra a également été présenté en version de concert aux PROMS de Londres. Puis suivirent des coproductions avec le Maggio Musicale de Florence, ou encore l’Opéra de Monte-Carlo et la Monnaie de Bruxelles et bientôt de Boston et San Diego Opera.


C'est cette somme de compétences et de volontés qui attire chaque année un public fidèle, curieux et exigeant mais également un public jeune et désireux de découvrir un art réputé difficile d'accès. L’Opéra peut compter sur 20% de public de moins de 26 ans.


B. Lyon : tradition lyrique et création contemporaine



« Rien ne se laisse deviner de cette ville, lorsqu’on la traverse rapidement par les grands axes autoroutiers. Cette cité qui s’enracine dans un passé romain vieux de deux mille ans, qui a su garder les traces de son rôle capital à la Renaissance, cette cité soyeuse où le fleuve et la rivière se jettent dans les bras l’un de l’autre est une surprise énigmatique […] Lyon sait étrangement jeter des ponts entre les siècles, créer des rencontres inattendues entre les styles, entre les œuvres, entre les artistes. »









L’Opéra national de Lyon (2003)

D
epuis plus de trois siècles, Lyon abrite un opéra, et depuis 1993, l'immense verrière qui coiffe le nouveau bâtiment, maintenu à l'emplacement des théâtres de Soufflot (1756) puis de Chenavard et Pollet (1831), constitue un repère au cœur de la cité, sur la presqu’île, entre le Rhône et la Saône.
Mais le lien entre le passé et le présent ne se manifeste pas uniquement par cette construction architecturale : le deuxième opéra de France après Paris nous donne à voir et entendre, pour sa saison 2003/2004, quatre siècles d’opéra : de l’Orféo de Monteverdi (1607) à la création de Les Nègres de Michaël Levinas (2004).
Si Paul Camerlo, nommé directeur de l’Opéra à la fin des années cinquante, tente d’apporter un souffle nouveau, en particulier par des créations mondiales, il a fallu attendre Louis Erlo, en 1969, pour que l’Opéra prenne un « coup de jeune ». Porté par la politique de décentralisation musicale de Landowski et Malraux, Erlo se dégage peu à peu du répertoire traditionnel, peu susceptible d’attirer un nouveau public dans les fauteuils de velours rouge de l’Opéra… Il propose alors une programmation très large, où toutes les époques, tous les styles, tous les compositeurs trouvent leur place. Il opte pour une distribution homogène sans vedettariat et crée de nombreuses mises en scène qui renouvellent le regard lyonnais –voire français- sur le théâtre lyrique.
Posant des jalons pour l’avenir, il fonde en 1973 l’Opéra Studio destiné à la formation de jeunes chanteurs, et signe, en 1976, un accord de coopération avec l’Opéra du Rhin, début d’une politique de coproduction poursuivie aujourd’hui avec d’autres opéras régionaux et avec des théâtres étrangers.
A partir de 1980, Jean-Pierre Brossmann, associé à Louis Erlo pour diriger l’Opéra de Lyon, a particulièrement développé une politique discographique et audiovisuelle (voir encadré).
Sous la direction actuelle de Serge Dorny, l’Opéra de Lyon peut compter, notamment, sur un nouveau lieu de diffusion plus intimiste, de rencontres entre les gens et les genres : l’Amphithéâtre de l’Opéra (200 places).



C. Marseille : Renouveau et mixité


« Marseille est une ville « populaire ». Mot splendide, car à double entente, qui veut dire à la fois engouement et mélange. Longtemps pour moi, l’Opéra de Marseille porta l’emblème de cette mixité qui le mit au rang glorieux et presque unique d’Opéra Populaire. Et de me souvenir de ces soirées où les noms les plus célèbres du music-hall, de la littérature, de l’aristocratie ou de la bourgeoisie fraternisaient avec celles que l’on appelait alors les dames poissonnières et qui, chargées de bijoux et d’enfants, occupaient avec passion les meilleures rangs du parterre. »














L’Opéra de Marseille (2003)

C
omme Nice -si l’on fait exception de la danse et de la célébrité des Ballets Roland Petit, installé dans la cité portuaire- Marseille est essentiellement vouée au théâtre lyrique. Et ceci depuis longtemps, puisque la ville bénéficia, dès 1683, de l’octroi d’un privilège pour un opéra.
L’actuel Opéra de Marseille a été édifié sur l’emplacement de l’ancien Grand Théâtre, qui avait brûlé après cent trente ans d’une brillante existence. Inauguré en 1787, son activité avait été marquée par de nombreuses Premières de versions françaises (celle de Aïda, en 1877, par exemple), et par la venue des célébrités du chant de l’époque. D’autres lieux recevaient également, à la fin du XIXe siècle, des spectacles lyriques , et la vie musicale était foisonnante.
Grâce à ses directeurs successifs, l’Opéra de Marseille a connu dans les trente dernières années un fort développement et pris un rôle d’importance parmi les grandes scènes de province.
Déjà entre 1961 et 1965, sous la direction de Louis Ducreux, que la période faste fut inaugurée. Enfant du pays, le metteur en scène, par la suite internationalement reconnu, dépoussiéra la conception de l’art lyrique à Marseille. Il proposa à un public peu à peu réconcilié avec l’opéra des mises en scène novatrices et de très grande qualité, stimulantes pour le public, comme pour les artistes.

Aujourd’hui, l’institution est dans une phase de changements importants. Sous la nouvelle direction générale de Renée Auphan, l’Opéra de Marseille est, avec celui de Lille récemment réouvert au public, le deuxième opéra français à avoir une direction féminine.
Par ailleurs, les « Ballets Roland Petit » sont devenus « Ballet national de Marseille » avec Marie-Claude Pietragalia. Mais cette dernière vient de quitter la maison…
Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, s’exprime en ces termes dans la brochure de la nouvelle saison : « La saison 2003-2004 confirme la poursuite du renouveau de cette vénérable institution. Nouvelles productions et co-productions, interprètes prestigieux, chefs réputés, metteurs en scène de renommée internationale y aborderont tous les genres et toutes les époques. […] Les nouvelles orientations permettront à l’Opéra de Marseille de retrouver sa place parmi les grandes scènes lyriques européennes. […] Mais il est important que l’Opéra s’ouvre à de nouveaux publics en poursuivant son programme pédagogique en direction du jeune public, en allant sur les campus universitaires et en développant une action en milieu hospitalier. »
D. Nice : prestige et réformes



« Ville quasi frontalière, Nice a découvert l’opéra par l’Italie, au début du XIXe siècle. Le répertoire et les interprètes sont alors essentiellement italiens, et l’Opéra, inauguré en 1830, est bâti sur le modèle du San Carlo de Naples – en plus modeste. En 1855, lorsque le bâtiment actuel est édifié, c’est sur les plans de l’architecte français François Aune, revus d’ailleurs par Charles Garnier. Et si on l’inaugure avec Aïda de Verdi, on fait, cependant, dès 1887, le choix de créer une troupe permanente française, qui chantera toutes les œuvres en français… Aléas de l’histoire ! »












L’Opéra de Nice (2003)

J
usqu’à la Seconde Guerre mondiale, et grâce au mécénat dont la French Riviera comprit bien vite les atouts, la vie musicale niçoise est partout. Sous la direction artistique de Ferdinand Aymé, de 1950 à 1982, et à sa suite, de Pierre Médecin, l’Opéra de Nice poursuit une politique de prestige, ayant pour « habituée » Montserrat Caballé, par exemple.
Le rayonnement de l’Opéra de Nice dépasse les frontières régionales, par la qualité des spectacles, mais aussi par les possibilités techniques offertes par le Grand Auditorium d'Acropolis - grandeur du plateau, acoustique - et par la beauté du théâtre de l'Opéra.
Chaque saison, une centaine de représentations de très grande qualité est au programme. L'accent est mis sur les grands airs d'opéra et les classiques du répertoire.
L’Orchestre Philharmonique de Nice, avec ses quelque 100 musiciens, est jugé comme l'un des meilleurs orchestres de province : on lui doit déjà plusieurs enregistrements de disques.

Actuellement dirigé par le metteur en scène belge Paul-Emile Fourny, l’institution réforme sa politique artistique, vers plus d’ambition et de collaboration. Laissons parler le Maire de Nice à ce sujet : « Je souhaiterais jeter un regard avec vous sur le bilan de la saison 2002-2003, marquée du sceau des changements mis en œuvre, à ma demande, par Paul-Emile Fourny qui s’est impliqué avec autant d’efficacité que de passion dans les responsabilités de Directeur Général de l’Opéra que je lui ai confiées. […] Nous saluerons, si vous le voulez bien, sa décision d’augmenter le nombre des productions et des représentations, et de délocaliser vers le Palais Nikaïa des œuvres qui drainent un large public […] Carmen, que 12000 personnes auront applaudi en juin, en est l’exemple. […] Je suis, en ce qui me concerne, particulièrement sensible au souci de restaurer, à l’Opéra de Nice, l’une de ses missions essentielles : la découverte d’œuvres inédites et l’émergence de nouveaux talents. De longue date, aucune création n’avait été mise à l’affiche. En dix mois, nous avons présenté [3 créations dont une mondiale]. Autre motif de satisfaction : l’instauration d’un abonnement transversal entre l’Opéra et le Théâtre national de Nice. […] Il nous faut enfin souligner la vitalité des activités socio-culturelles qui font, elles aussi, la part belle à la création. […] Ces résultats tangibles, la dimension national et internationale que Paul-Emile Fourny est parvenu, en une seule saison, à donner à l’Opéra de Nice, ainsi qu’en attestent des demandes de coproductions émanant de la France et de l’Europe entière, m’ont convaincu de le confirmer dans ses fonctions de Directeur Général. » 
Découvertes ?

Le modèle de la recherche en physique nucléaire nous a plongé dans les profondeurs de la fréquentation non seulement d’une pratique culturelle particulière –l’art lyrique- mais plus, nous a confronté aux résultats que l’on pouvait apercevoir à des échelles d’analyse de plus en plus fines.
Le constat de disparités locales nous confortent dans l’hypothèse de phénomènes locaux qui restent encore à découvrir. Une évolution relevée au sein de l’Opéra de Paris, résonne comme un indice sur cette possibilité que nous prenons comme réelle de découvertes locales quant aux publics de l’art lyrique.

L’indice parisien concerne le critère géographique d’origine des spectateurs. Des enquêtes ont montré la progression d’un public « hyper-local » pour l’Opéra Bastille. Originaire certes de Paris, ce public se caractérise par sa proximité immédiate de l’équipement culturel, dans les rues et quartiers voisins.


Si l'on résume :

au vu de la réelle évolution des publics de l’art lyrique, perçue à l’échelle d’analyse de la pratique culturelle,
convaincus de l’existence, à l'échelle d'un équipement culturel, de mico-évolutions similaires à celles mises au jour au sein d'équipements lyriques aux histoires sociales différenciées,
prenant comme hypothèse que d'autres évolutions de ce type existent et n’attendent qu’à être mesurées, il nous importe de continuer notre sondage au cœur de la matière que représente les publics d’opéras.

Pour une analyse la plus exhaustive possible -afin d’augmenter les chances de remonter à la lumière de la connaissance des phénomènes invisibles- il nous faut disposer d’une grille d’analyse complète, prenant en considération un maximum de critères sociaux discriminants. C’est à ce travail qui nous nous sommes attelé, pour mener à bien nos recherches à une échelle d’analyse locale.
Chapitre 2 Entre quantité et qualité






Comment mesurer l’évolution de la fréquentation des équipements culturels ? Quels critères choisir pour percevoir les changements ? Comment interpréter les résultats ?
Répondre à ces questions participe à la formation des limites méthodologiques de l’enquête. Nous nous les sommes posé d’entrée. Pour les publics de l’art lyrique, ne faut-il considérer uniquement que leur appartenance à telle ou telle catégorie socioprofessionnelle (CSP), avec éventuellement les variables « niveau de revenus » et « niveau de diplôme », les trois étant intimement liées chez un même sujet?
Pour l’enquête qui nous concerne, nous avons souhaité disposer d’une base théorique solide, embrassant le plus possible de variables discriminantes, pour une meilleure perception des évolutions à l’œuvre dans ce domaine. Cette base théorique de travail, il nous a fallu la construire.
Nous sommes parti d’une réflexion menée au niveau ministériel, intéressante dans la forme, limitative sur le fond (section 1). Notre grille d’analyse s’appuie sur ce travail, en y ajoutant d’autres éléments de fond –sur les variables discriminantes utilisées- afin d’obtenir un modèle plus exhaustif et ouvert (section 2) qui sera intégré dans notre enquête menée au sein de quatre établissements lyriques (section 3).


Section 1. La démocratisation du recrutement social

Comment mesurer la démocratisation ? Posée d’emblée, cette question comporte des risques de réduction de la question de l’évolution des publics à la seule question du recrutement social des pratiquants, sur la base des CSP. Ce qui arrive ici :
« Appuyons-nous, par souci de clarté, sur le cas le plus fréquemment désigné sous le terme de démocratisation : la démocratisation du recrutement social des visiteurs/spectateurs. »

Sur base de quelle caractéristique sociale Sylvie Octobre considère-t-elle dans sa « proposition de cadre interprétatif » mesurer la démocratisation du recrutement social des publics ? La réponse nous est donnée rapidement. Elle conforte les travaux du ministère de la culture, centré sur l’appartenance à la trilogie de critères sociaux : CSP + niveau de revenus + niveau de diplôme :
« Soit une catégorie de population A, socialement favorisée, qui a au temps t un niveau de participation à une activité culturelle supérieur à celui de la catégorie B, moins favorisée. Quels sont les différents cas possibles d’évolution au temps t+n ? »

Décevante de notre point de vue sur le fond, la démarche devient intéressante sur la forme. En effet, tout le travail de Sylvie Octobre va être d’essayer de dépasser l’utilisation du seul terme « démocratisation » pour l’analyse des résultats d’évolutions entre les deux catégories de population définies théoriquement. Ainsi, la chargée d’études va définir cinq phénomènes que les résultats d’enquêtes peuvent donner à voir, pour éviter d’être enfermée dans le mono-thème de la démocratisation culturelle.

1° Elitisation. Cela paraît évident pour ce premier phénomène, définit comme le cas contraire de la démocratisation. L’élitisation de la pratique correspond à une augmentation de la pratique dans le groupe A couplée à une stagnation ou un recul dans le groupe B. Un exemple nous est donné par les concerts de musique classique : ils ont vu le taux de pénétration chez les cadres supérieurs et les professions libérales passer de 22% à 27%, tandis que celui des employés stagnait autour de 7% (évolution entre 1973 et 1997).

2° Banalisation. Nous partageons avec l’auteur qu’il est aussi plus éclairant, juste et précis de parler de banalisation de la pratique lorsqu’on constate une augmentation des taux de pénétration dans les mêmes proportions dans les deux groupes. On pourrait aussi parler de massification, comme ça a été le cas, entre les années 1970 et 1980, de l’élévation des taux d’équipements et d’écoute quotidienne de la télévision, pour l’ensemble des foyers français.

3° Popularisation. Autre cas, symétrique du premier (popularisation), à savoir l’augmentation de la pratique dans le groupe « moins favorisé » avec stagnation ou recul dans le groupe « favorisé ». Exemple de la situation actuelle en Amérique du Nord (mais aussi en Europe) en matière de pratiques audiovisuelles.

4° Renouvellement générationnel. Que dire en cas de stagnation quantitative de la fréquentation ? De nouveaux pratiquants sont venus remplacer dans les mêmes proportions les décédés et « abandonnistes ». L’auteur y voit donc à l’œuvre un renouvellement générationnel naturel. Mais les nouveaux arrivants sont-ils du même cru que les anciens ? Cette question n’est pas posée. On pourrait très bien avoir plus de « moins favorisés » que de « favorisés » qui intègrent une pratique, toujours sans accroissement de la fréquentation... C’est un cas limite.

5° Désaffection. Ici, le critère quantitatif (évolution du nombre de pratiquants) prévaut. Il est analysé d’emblée, avant tout autre critère sur la qualité (CSP, revenus, diplôme) des nouveaux-arrivants. Dans ce cas précis, le nombre de visteurs/spectateurs est en recul.


Section 2. Des phénomènes évolutifs locaux

Que retenir de cette proposition ? Deux choses.
Tout d’abord la démarche : de décomposer le phénomène « démocratisation » en plusieurs autres.
Ensuite le point de départ, dans cette recherche de phénomènes évolutifs, qui consiste à se poser d’abord la question de la quantité (combien ?), ensuite amener la question de la qualité (qui ?).

Nous proposons de décomposer l’analyse de l’évolution de la fréquentation d’un équipement culturel en deux grandes étapes, passages obligés pour une bonne observation.
Dans un premier temps, il s’agit de se poser un questionnement quantitatif, sur le nombre d’entrées mesurées au sein de l’équipement. Trois cas de figures se présentent : la « masse de fréquentants » peut être en diminution, stable ou en augmentation. Pour les deux premières hypothèses, nous renvoyons à l’analyse de Sylvie Octobre : désaffection (diminution) et renouvellement naturel (stabilité).
Dans le cadre de notre enquête, nous nous situons dans le troisième cas, à savoir une augmentation quantitative, l’enjeux étant d’analyser ensuite les caractéristiques sociales des pratiquants responsables des entrées supplémentaires, pour ramener les constatations à la notion de démocratisation. Nous partons aussi du principe, comme le fait Sylvie Octobre, qu’on ne peut commencer à parler de démocratisation que devant cette situation d’augmentation quantitative.
Ainsi, dans un second temps, s’intéresse-t-on à la qualité de cette masse nouvelle de publics. Mais ici, à la différence du travail théorique de Sylvie Octobre, l’analyse s’ouvre à d’autres critères que la « trilogie ministérielle » CSP+revenus+diplôme. Nous avons utilisé une palette élargie de critères sociaux discriminants, sans en exclure a priori.


Schéma 1. Grille d’analyse théorique servant l’étude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels
Des critères sociaux (en gras) déterminent des phénomènes évolutifs locaux (en majuscules). Tout part de l’accroissement de la fréquentation, condition pour pouvoir éventuellement parler de démocratisation de la pratique. Cet accroissement pouvant être le résultat d’une plus grande pratique par les publics en place (intensification interne) ou par l’arrivée de nouveaux publics (primo-arrivants).

RAJEUNISSEMENT

âge ?

VIELLISSEMENT
autre critère ?


 FEMINISATION

 genre ?

INTENSIFICATION INTERNE MASCULINISATION

ACCROISSEMENT situation familiale ?


RENOUVELLEMENT ACCELERE APPROPRIATION PAR LES INACTIFS
 (primo-arrivants)
activité ?

APPROPRIATION PAR LES ACTIFS

ANCRAGE LOCAL
 autre critère ?
résidence ?

ELARGISSEMENT GEOGRAPHIQUE
Section 3. Une grille d’analyse ouverte

L’intérêt de ce schéma d’analyse est double.
Tout d’abord, la multiplicité des critères sociaux discriminants utilisés permet la prise en compte de toute une série de phénomènes évolutifs qui, à une échelle locale, sont susceptibles d’être mesurés. 
Ensuite, le schéma est ouvert. D’autres groupes homogènes de publics, caractérisés par une certaine caractéristique sociale commune, peuvent y trouver place.
Nous avons intégré cette grille d’analyse dans deux thèmes de notre grille d’entretien (voir annexe 1):
les enjeux, en terme d’évolutions possibles de la fréquentation, des actions menées en direction des publics ;
la situation et les évolutions, passées, récentes et souhaitées, des publics au sein de l’Opéra concerné.
Les phénomènes évolutifs qui apparaissent sur notre grille d’analyse ont joué le rôle d’indicateurs, relevés ou proposés. Mais nous étions attentif à toute autre évolution à l’œuvre au sein de l’établissement lyrique. Ainsi, un critère non-prévu, l’handicap (moteur, visuel, auditif...), a fait son apparition dans des entretiens. L’attention envers le public handicapé constitue un défi important dans tous nos Opéras (voir plus bas Section 3. Handicaps socio-classiques).

Dans le cheminement intellectuel à fournir, on vient de le voir, tout commence par une question quantitative, portant sur le nombre d’entrées. L’accroissement est un phénomène d’augmentation de la fréquentation mesuré par le nombre d’entrées délivrées aux caisses. Il est parfois appelé élargissement démographique.
A l’origine de l’accroissement de la fréquentation, on peut trouver deux phénomènes : le renouvellement accéléré des publics et l’intensification de la pratique par les publics en place. C’est donc immédiatement après que se pose une question qualitative.
L’intensification interne, mesurée au sein d’un équipement, correspond à un phénomène d’augmentation de la régularité de la pratique par les publics qui fréquentent déjà l’équipement.
Au contraire, si l’augmentation quantitative est imputable à l’arrivée de nouveaux publics, on parlera de renouvellement accéléré : le processus de renouvellement, générationnel, s’emballe. Il y a plus de nouveaux pratiquants que de personnes qui abandonnent la pratique. Il s’ensuit une augmentation du nombre d’entrée due à des primo-arrivants au sein de cette pratique. Ces derniers sont soit des néophytes, consommateurs par ailleurs d’autres pratiques culturelles (public potentiel) ou non (non-public). Mais il peut aussi s’agir de personnes qui fréquentent d’autres équipements culturels au sein de cette pratique (nous les nommons polypratiquants).
L’appropriation par les inactifs est un phénomène évolutif que nous avons souhaité intégrer, car il est mesuré par ailleurs dans d’autres équipements culturels. Mais on pourrait imaginer des phénomènes d’appropriation encore plus ciblés, comme l’appropriation étudiante.

Chapitre 3 Applications






Appliquée à la question de l’évolution de la fréquentation d’un établissement lyrique, notre grille d’analyse met au jour, avec une logique intéressante, les phénomènes à l’œuvre dans la relation entre l’art lyrique et ses publics.
En se concentrant dans un premier temps sur les évolutions passées, on voit se construire des situations présentes différenciées d’une maison d’opéras à l’autre (section 1).
En posant ensuite la question des défis -toujours en termes de publics- en passe d’être relevés et en relevant les besoins futurs, on voit se confirmer la formation d’identités locales et de niveaux différenciés de développement des salles lyriques (section 2).
Enfin, un phénomène évolutif local particulier -l’attention envers les publics handicapés- nous ouvre les yeux sur la question plus large de l’accessibilité de l’art lyrique (section 3).


Section 1. Identités locales

Dans le prolongement de la réflexion entamée sur les histoires culturelles des institutions, corollée à leur ancrage local, lors de notre tour de France lyrique (voir II. Disparités), nos entretiens ont permis, sur base des indicateurs repris dans la grille d’analyse, de mesurer les évolutions passées des publics, qui conditionnent le présent des équipements.

Opéra national du Rhin

Accroissement. Dans le passé récent, l’Opéra du Rhin a été confronté à une situation quelque peu embarrassante, à savoir la désaffection de ses spectateurs :

« H.P. : Ecoutez, c’est pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine d’années maintenant, est intervenue au moment où on s’est rendu compte que les salles se vidaient, qu’il y avait une tradition de l’opéra ici, qu’on héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on s’est rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. »

Le travail accompli par ce département paye aujourd’hui : on constate un accroissement « global énorme et constant » de la fréquentation, nous affirme-t-on du côté de la billetterie.


Rajeunissement. Après cet évolution quantitative, relevons un phénomène qualitatif. Heureusement, l’Opéra du Rhin a su pallier la déficience de renouvellement naturel de ses publics. En effet, la caractéristique particulière de l’Opéra du Rhin réside dans sa proportion actuelle de moins de 26 ans. Une connaissance basée sur l’intuition n’aurait pas pu déceler avec précision cette évolution radicale. Vu de l’ extérieur, l’Opéra du Rhin est un Opéra comme un autre, sauf que…

« H.P. : Vingt pour cent [de jeunes], ça ne s’invente pas d’un jour à l’autre. C’est tout un travail de fond, qui va être de toute manière poursuivi. » 


Opéra national de Lyon

Ancrage local. De la difficulté d’attirer des publics éloignés, alors que la ville de Lyon a une situation géographique centrale, et est située au carrefour d’axes de communication -routiers et ferroviaires- importants. On se rend compte que dans le domaine du lyrique, la demande ne suit pas automatiquement l’offre. A l’opposé d’une grande loi apprise par les polytechniciens : l’offre de routes crée la demande de circulation.

« L.V. : L’autre caractéristique majeure, c’est qu’on est un opéra national, avec des spectacles d’envergure internationale. Par contre, en termes de public, c’est presque le contraire. […] On a un public qui est avant tout originaire du Département du Rhône, globalement de la Région Rhône-Alpes, et le public de « l’étranger » (hors Département et Région) est très marginal. »

Appropriation par les inactifs. Au sein des publics, la formation d’une classe d’âge creuse entre 35 et 50 ans, à savoir les jeunes actifs professionnellement, par ailleurs souvent jeunes parents, mais aussi les sujets en pleine maturité professionnelle, est une donnée inquiétante. Il semble que le problème en termes d’âge des publics -qui conditionne son renouvellement- ne concerne pas les seuls jeunes et étudiants (-de 26 ans).

« L.V. : Le gros problème de l’opéra, c’est que le public est assez âgé. On sait qu’on a un grand déficit de public dans la tranche d’âge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusqu’à 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à l’opéra. C’est une classe d’âge sous-représentée par rapport à la population globale. […]
P.J. : Sur le public actuel de l’Opéra de Lyon, vous disiez qu’il est assez âgé. Mais y a-t-il d’autres caractéristiques que vous pouvez dégager ?
L.V. : En moyenne, il est à la fois dans les tranches d’âge supérieures, et quand même très présent chez les moins de 30 ans. »



III . Opéra de Marseille

Ancrage local. Ville ouverte vers la mer Méditerranée, entourée de tous côtés de montagnes, monts et collines, Marseille vit sa vie de ville de manière indépendante. L’Opéra y subit la concurrence d’autres structures lyriques proches : Avignon, Toulon, sans parler des festivals.

« G.S. : J’ai fait tirer quelque chose, mais il n’y a pas d’études, à ma connaissance, de faite sur le public de l’Opéra de Marseille. Par rapport à l’origine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% d’ailleurs. »

Opéra « populaire » ? Mais d’un côté, Marseille peu compter sur des spectateurs fervents, habitués à une offre lyrique dense où la voix tient une place très importante. Pendant l’été, le festival lyrique d’Aix-en-Provence et les Chorégies d’Orange assure la continuité des saisons d’Opéras. « On dit » que l’Opéra de Marseille est « populaire », c’est une étiquette qui le suit.

« G.S. : Marseille, c’est un public de classe moyenne, classe supérieure, de professions libérales…
G.S. : […] Marseille a toujours eu une position importante d’Opéra populaire […]
P.J. : Vous disiez que l’Opéra est populaire…
G.S. : C’est qu’à l’origine, l’opéra est populaire ; l’art lyrique est un art populaire, qui s’est embourgeoisé d’une certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce n’est pas le cas de l’Opéra de Marseille, où est ouvert à tous. C’est vrai que quand on prend l’Opéra de Monte-Carle, c’est réservé à une élite. »


Opéra de Nice

Public âgé. Ville des retraités, Nice concentre une proportion importante de personnes « d’un certain âge », attirées le climat particulier, notamment la douceur de l’hiver. Au sein de l’Opéra de Nice, situé à plus de 1000 km de celui de Strasbourg, cette même proportion se distingue nettement dans la structure d’âge des publics, contrastant avec la situation observée à l’Opéra du Rhin :

« P.J. : Pour parler du public actuel de l’Opéra de Nice, le connaît-on ? A-t-on des données ? De grandes tendances ?
A.J.-P. : Assez âgé, relativement âgé, nanti, abonné sur l’année. »


Public attaché. Abonné sur l’année, fidèle, attaché au lieu et à la sortie, comme cela se faisait « avant ».

« P.J. : L’Opéra de Nice, c’est une situation un peu particulière en France ?
A.J.-P. : A Nice, le public est assez âgé et il a ses habitudes. Faut pas changer de fauteuil ! Je me souviens d’une fois où quelqu’un m’a dit que son fauteuil était plat, et que étant tapissier : « Est-ce que je peux venir le rembourrer ? » Voilà. Abonné sur le même fauteuil depuis je ne sais pas combien d’années, et que comme c’est son fauteuil, il y mettrait un peu de crin, et qu’il ne ferais pas payer le crin. Bien sûr, mais on ne peut pas accepter ce genre de choses quand même. »


V. Une caractéristique commune : où sont les actifs ?

Ce constat, de l’émergence d’une classe d’âge creuse entre 35 et 50 ans, constaté à l’Opéra de Lyon, était également une des préoccupations de l’Opéra national du Rhin, où la responsable de la billetterie nous l’a confirmé. Etait...car entre-temps, ces « actifs », souvent (jeunes) parents sont revenus, par le biais de leurs enfants. D'où le résultat que l'on connaît à Strasbourg (20% de moins de 26 ans fréquentent l’Opéra).

A Lyon, d’autres stratégies sont à l’œuvre, pour ce qui constitue un défi à relever dans les années à venir.
Même écho du côté de Nice. Cette situation constitue un défi à relever pour l’avenir. (voir plus bas Section 2. Défis particuliers)

« A. J.-P. : Je suis tout à fait d’accord [sur la classe 35-50 ans]. Ce n’est pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »
(extrait de l’entretien Nice)

Sur ce dernier point, cette émergence d’une classe creuse 35-50 ans, mesurée au sein de nos équipements lyriques, est confirmée par l’enquête de la RTLF :
« La question du renouvellement du public ne concerne pas les seuls catégories des jeunes spectateurs potentiel, d’autant plus que des dispositifs ont été mis en place dans la plupart des maisons d’opéras pour leur faciliter l’accès. L’effort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs des classes d’âge et sociales intermédiaire. »

Par contre, en 1981, la situation était tout autre. Des résultats diamétralement opposés nous sont donnés par l’enquête « Pratiques culturelles de Français ». En 1981, « les amateurs d’opéras sont, semble-t-il, plus fréquemment âgés de 25 à 59 ans. », peut-on lire.
Cette enquête nationale, englobant l’ensemble des pratiques et sorties culturelles, à laquelle nous avons fait allusion plus haut pour montrer une grande stabilité dans leurs résultats –et dont une certaine inopérativité dans la mesure des micro-changements à l’oeuvre- nous sert ici pour décerner une grande évolution dans la fréquentation de l’art lyrique.


Section 2. Défis particuliers

Après ce coup dans le rétroviseur, projetons-nous dans l’avenir. Nous venons de relever les évolutions passées et les situations actuelles des scènes lyriques. Mais quels sont les prochains objectifs dans l’évolution de leurs publics ? Quels défis les institutions lyriques doivent-elles relever pour assurer un optimum dans leurs fréquentations ?
Le tableau ci-dessous reprend les phénomènes évolutifs locaux que nous avons mis en évidence de manière théorique. Fonctionnant comme indicateurs, ils montrent les objectifs, résolus (1), en cours de réalisation (2) et à accomplir (3) au sein de nos quatre équipements lyriques. Au final, il permet de mettre en évidence des situations différenciées, et donne à voir une cartographie de l’évolution des publics d’opéras.




Schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau d’analyse local, des situations et préoccupations différenciées

PHENOMENES EVOLUTIFS LOCAUXaccroissementintensificationprimo-arrivantsfidélisationrajeunissementvieillissementStrasbourg(2)(2)(2)(1)Lyon*(2) (3)(2)(2)Marseille(2)(2)(3)(2) (3)Nice(2)(3)féminisationmasculinisationretour des « actifs »appropriation par célibatairesancrage localélargissement géographiqueStrasbourg(1)(1) (2)Lyon(2)(3)Marseille(3)(3)Nice(2)
Objectifs résolus (1), en cours de réalisation (2) et à accomplir (3) au sein des quatre équipements lyriques étudiés.
L’astérisque (*) renvoie à des situations où le phénomène d’évolution rencontre des contraintes en tant qu’objectif.

I. Accroissement


Opéra national du Rhin. L’objectif quantitatif est ici en cours : l’accroissement de la fréquentation est en marche.

« P.J. : Et finalement, quel est le but ? Si on résume un peu tout ça, vous venez de dire « être en proie avec le spectacle vivant ». Mais si on parle en termes de fréquentation, c’est peut-être d’accroître la fréquentation ?
H.P. : Oui, et préparer le public de demain. Faut pas rêver, sur une classe de trente élèves, s’il y en a trois qui continuent à venir régulièrement, on est content, s’il y en a dix qui viennent sporadiquement, on est très content, et s’il y a les trente qui demandent à revenir, c’est la fête au village ! Et figurez-vous qu’il y a des choses qui se passent comme ça... »


Opéra de Marseille. Peu de recul pour l’instant pour savoir si les actions mises en place en direction des publics a provoqué l’augmentation du nombre de spectateurs, bien que ce défi est évidemment d’actualité.

« P.J. : Est-ce que ça se traduit en termes de fréquentation ?
G.S. : Pour l’instant non. Nous accueillons des jeunes de la primaire à l’université (l’IUFM), mais nous n’avons pas assez de recul pour savoir si notre politique se traduit déjà en termes de fréquentation. »


Opéra national de Lyon et Opéra de Nice.* L’astérisque précise ici l’évocation d’éléments matériels qui interviennent comme frein à l’idée de l’accroissement du nombre d’entrées comme objectif.
Argument financier du côté de Lyon :

« P.J. : Le but est de faire venir plus de monde à l’opéra ?
L.V. : Le problème est que si on veut faire venir plus de monde, il faut avoir plus de représentations. Et ça, avec le budget d’un opéra comme celui de Lyon, c’est pas vraiment possible. Chaque représentation supplémentaire est déficitaire. »

Contrainte physique du côté de Nice (qui dispose de la plus petite salle de nos quatre salles lyriques étudiées) :

« P.J. : Y a-t-il une politique, une volonté, d’accrocher certaines catégories de personnes ? Ou alors l’Opéra de Nice est satisfait de son public actuel…
A.J.-P. : L’Opéra est petit : 1000 places, dont une centaine aveugles… Et c’est plein. Les ouvrages lyriques, c’est complètement plein. Pour pas mal de gens, c’est presque impossible d’avoir une place en dehors des abonnements. Pour les concerts, il y a quand même un peu plus de places disponibles que pour l’opéra. »


Primo-arrivants et fidélisation

Objectifs complémentaires : faire franchir pour la première fois les portes de l’Opéra par des personnes qui n’y ont jamais mis les pieds, et faire en sorte que ces mêmes personnes reviennent. Le premier contact avec l’Opéra ne passe pas obligatoirement par la participation à un spectacle d’opéra. Tous les moyens sont bons pour faire découvrir, faire connaître, laisser apprivoiser le lieu, laisser s’acculturer. Présenter l’Opéra à des primo-arrivants passe donc parfois par des moyens détournés.


Opéra national du Rhin. Ces deux objectifs sont intimement liés à l’Opéra du Rhin, dans la stratégie déployée envers les publics.

« H.P. : On travaille aussi avec des sections scénographiques, notamment à l’Ecole des arts décoratifs. Ou encore une section didactique, qui est en train de constituer une valise pédagogique autour de la construction des décors à l’Opéra du Rhin. Ils découvrent, eux, l’opéra, à travers la construction d’un objet dans le cadre de leur formation professionnelle. Ils se destinent à créer des objets didactiques. Pour la plupart, ces étudiants ne sont jamais venus à l’opéra. La démarche est double : ils vont produire quelque chose pour l ‘opéra, et en même temps, ils découvrent l’opéra.
P.J. : Finalement, un des objectifs est de faire venir, pour la première fois, des personnes qui n’étaient jamais venues…
H.P. : Ou de maintenir aussi une habitude qu’ils ont prises. Si c’est faire un coup comme ça, c’est bien, mais…
P.J. : Derrière, il y a aussi peut-être la fidélisation ?
H.P. : Voilà. L’idée, c’est que les jeunes aient envie de revenir, qu’il y aient des projets qui se montent aussi avec les meneurs de projets, et qu’on arrive comme ça à renouveler la chose. « Je suis allé à l’Opéra, j’ai vu Traviata, voilà ». Si c’est la seule expérience de l’opéra, c’est bien, c’est toujours mieux que rien, mais c’est quand même mieux de dire qu’il y a autre chose que Traviata. »


Opéra national de Lyon. Objectifs également liés -faire découvrir et continuer à faire venir- à l’Opéra de Lyon. Une stratégie qui vise le jeune public, mais aussi d’autres primo-arrivants potentiels :

« L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, c’est le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros, quelle que soit la catégorie de place que l’on attribue, dans le respect d’un certain quota sur l’année. […]
L.V. : On s’intéresse notamment aux nouveaux-arrivants dans la ville de Lyon. En général, ce sont des gens assez jeunes, de jeunes professionnels, actifs.
P.H. A. : Il s’agit d’un fichier qu’on achète à la Poste, qui nous livre les adresses de tous les gens qui viennent d’arriver dans une zone qu’on définit. Ca représente environ 10000 personnes sur l’année, à qui on fait une proposition de venir à l’Opéra. »


Mais ici, la découverte de l’opéra, bien qu’en cours à travers les actions mises en place, semble rencontrer un besoin plus pressant, qui signifie que le chemin est encore long :

« P.J. : Y a-t-il d’autres besoins pressants au niveau des publics ? Un public à accrocher ?
L.V. : […] Cet opéra avait un gros problème dû à son architecture : le bâtiment donne vraiment l’impression d’être fermé, pas très convivial du fait de la couleur, de l’architecture intérieure, et fermé sur lui-même. On essaye d’en faire un bâtiment ouvert sur l’extérieur.
C’est notamment l’objet d’une sorte de grande « Journée portes ouvertes » qu’on a fait au mois de mai, pour faire venir le « tout-public », pour leur faire découvrir le bâtiment et ce qu’on y propose. Ca a donné l’objet aussi à l’ouverture d’un bar, sous la billetterie, qui a marché pendant tout l’été. Cette opération-là va être reconduite.
P.H. A. : On a proposé tous les jours des concerts gratuits.
[…]
P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A l’occasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. S’il n’y avait pas la queue à l’entrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. C’est un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin d’être expliqué, présenté. C’est déjà une première démarche de faire venir les gens, même s’ils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que c’est un lieu qui est accessible, qui a du sens. »


Opéra de Marseille. Objectif également couplé à Marseille.

« P.J. : Le meilleur résultat n’est-t-il pas, non seulement de donner l’envie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de l’opéra.
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis qu’ils reviennent. Bien qu’au début, ils appréhendaient cette expérience. »

Avec cette réserve, évoquée plus haut, que les actions ne se traduisent pas encore en termes de fréquentation. On peut en déduire que la fidélisation de ces nouveaux-arrivants n’est pas encore effective. Mais on ne garde pas espoir de revoir ces jeunes bien plus tard :

« G.S. : Les étudiants, ça commence, surtout pour les concerts symphoniques…
P.J. : …suite à « Campus en Musique » ?
G.S. : Je ne sais pas s’il y a un effet « Campus en Musique », mais il y des jeunes qui viennent pour des concerts symphoniques et pour certains opéras en fonction de la programmation.
[…]
G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour l’avenir. »


Opéra de Nice. Autre cas de figure possible : être encore plus réservé sur les possibilités de retour des primo-arrivants. Ce qui n’empêche bien entendu pas de mener une action forte envers les jeunes, dans un but peut-être plus large que uniquement quantitatif, en termes de fréquentation :

« P.J. : De manière plus générale, quels sont les buts de ces actions. On a parlé de faire participer les enfants. Mais par rapport à l’Opéra, au lieu, au bâtiment, à la fréquentation : est-ce de les faire venir par eux-mêmes, plus tard.
A.J.-P. : Je ne sais pas. Bien sûr, l’objectif officiel est de faire découvrir l’opéra pour qu’ils deviennent spectateurs plus tard. Honnêtement, j’y crois pas tellement. Puis je pense que tout est élément de découverte, de culture. C’est leur culture, c’est leur patrimoine. Et ça, on tient vraiment à le faire découvrir. Après, si ça marche, tant mieux, et si ça marche moins, c’est pas grave. Mais il y a une petite graine qui est plantée. S’il y a suffisamment d’arrosage… »

Un point de vue intéressant consiste à introduire un argument financier dans le débat des primo-arrivants :

« P.J. : Les villes qui ont un opéra ; elles le subventionnent fortement ; c’est une charge…
A.J.-P. : …une charge énorme, et comment…
P.J. : En sachant que ce sont les citoyens de la ville qui en ont, au final, la charge...
A.J.-P. : …tout à fait. Ils payent la plus grosse part…
P.J. : …mais ils n’en profitent pas beaucoup…
A.J.-P. : …ils n’osent pas ou n’y pensent pas…
P.J. : … alors que ce sont des lieux qui sont forts, qui sont grands, qui sont…
A.J.-P. :…magiques. Il faut le dire. C’est un lieu qui fait partie de notre patrimoine. Cet opéra, il est beau –on ira le visiter tout à l’heure- il a été refait à l’extérieur et va être refait à l’intérieur. C’est quand même à visiter à la limite, presque comme un musée. C’est quand même notre patrimoine.
P.J. : Egalement au niveau des arts, de leurs combinaisons.
A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait qu’il y ait des gens qui circulent. »


Rajeunissement

Opéra national du Rhin. Le rajeunissement des publics, tant espéré ailleurs, s’est déjà effectué au sein de la scène strasbourgeoise (voir supra)


Opéra national de Lyon. Le rajeunissement est ici un défi actuel :

« P.J. : Peut-on parler de stratégie à long terme ?
L.V. : Le gros problème de l’opéra, c’est que le public est assez âgé. On sait qu’on a un grand déficit de public dans la tranche d’âge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusqu’à 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à l’opéra. C’est une classe d’âge sous-représentée par rapport à la population globale. On a beaucoup plus de retraités et de « seniors-actifs » (au-delà de 50-55 ans, et encore actifs). »

Défi en cours de réalisation, par le biais de plusieurs « angles d’attaque » :

« L.V. : Face à ce constat, le plus simple aujourd’hui, c’est de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes d’âge. Après, on a un autre angle d’attaque, c’est de faire venir ces gens-là.
[…]
On a un autre angle d’attaque pour ces gens qui finalement sont, pour certains, des parents. On peut considérer, pour certains, qu’ils ont des enfants déjà indépendants. Cette charge financière qui disparaît permet de faire une démarche d’achat sur quelque chose qui n’apparaît pas comme essentiel : les spectacles.
[…]
On a une démarche envers les familles, avec des tarifs pour les familles. On a, cette année, une formule d’abonnement qui s’adresse aux moins de 16 ans : l’adulte achète un abonnement, le jeune bénéficie du même abonnement pour la moitié du prix. On a déjà une décote de 30% (abonnement), en plus 50% là-dessus (offre famille), ça fait plus ou moins 70%. »


Dans une stratégie analogue à celle utilisée à l’Opéra du Rhin, où le retour des « actifs », 35-50 ans, s’est effectué par le biais de leurs enfants :

« P.J. : Ou alors faire venir les parents avec les enfants ?
L.V. : C’est quelque chose qui a été mis en place l’année dernière : une dizaine d’ateliers sur l’ensemble de l’année. Le principe est de prendre en charge les enfants pendant 2-3 heures par des ateliers, pendant que leurs parents assistent à un spectacle dans la grande salle. L’atelier –ludique et didactique- permet aux enfants de préparer un petit spectacle qu’ils présenteront à leurs parents. C’est les former à ce qu’est l’opéra, c’est qu’est la danse, d’une façon intéressante.
Et en parallèle, on a aussi la programmation d’un spectacle pour enfants. »


Opéra de Marseille et Opéra de Nice. Une priorité a été fixée dans ces deux maisons d’opéras : cibler les publics jeunes et étudiants.

« P.J. : L’Opéra de Marseille est-il satisfait de son public actuel ?
G.S. : Il souhaiterait rajeunir le public ; c’est une politique de la maison, qui permet de cibler surtout les jeunes et étudiants. »
(extrait de l’entretien Marseille)

« A. J.-P. : […] Cette année, Paul-Emile Fourny [directeur] voulait privilégier le public étudiant. »
(extrait de l’entretien Nice)


Retour des « actifs »

Opéra nationaux du Rhin et de Lyon. Nous venons de voir qu’au sein de ces deux scènes lyriques, le retour des jeunes actifs –professionnellement parlant- de la classe d’âge 35-50 ans fait partie de la stratégie de rajeunissement des publics, et que plusieurs actions sont mises en place pour faire revenir ces catégories de publics. Qui ont le pouvoir d’achat nécessaire, mais pas le temps.
Nous avons vu qu’à Strasbourg, ce retour est déjà opéré, et qu'à Lyon, cela constitue un besoin actuel.


Opéra de Nice. Le même angle d’attaque -faire venir les parents via leurs enfants- est déployé à Nice :

« P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.
A.J.-P. : Qui n’a pas le temps ?
P.J. : Qui n’a pas le temps… Donc ils ont une classe d’âge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles d’attaque ».
A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et c’est pas mal. Il y a des concerts du chœur d’enfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public ». Je suis tout à fait d’accord [sur la classe 35-50 ans]. Ce n’est pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »


Opéra de Marseille. Marseille mène également une politique de conservation des spectateurs qui quittent la vie d’étudiant pour rentrer dans la vie active.

« P.J. : Pas d’autres défis ?
G.S. : Pour l’instant, c’est surtout une politique en direction des jeunes qui rentrent dans la vie active. »


Elargissement géographique

Opéra national du Rhin et Opéra de Nice. Deux équipements frontaliers.
L’équipement lyrique strasbourgeois, situé à la frontière allemande, pas si éloigné que ça de la frontière suisse, accueille une proportion d’étrangers, principalement Allemands et Suisses, comprise entre 10 et 15 %. Attirer les publics français environnants reste un défi, qu’une politique comme celle des « abonnés-bus » tente de relever.

« P.J. : Pour la suite, y a-t-il des défis pressants ? Vous parliez des centres sociaux, donc finalement de certaines catégories sur lesquelles il faut se concentrer. D’autres catégories également ? D’autres groupes homogènes ? Comme par exemple le public qui habite relativement loin ?
H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce qu’on appelle les « abonnés-bus ». C’est vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement –souvent des vieilles personnes, qui n’ont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire...
P.J. : Donc un public qui vient de loin, qui ne serait peut-être pas venu sans cette opération.
H.P. : Tout à fait. C’est une vraie politique. C’est donner la possibilité pratique aux gens de venir à l’opéra. »


Paradoxalement, à Nice, ce ne sont pas les Italiens, proches, qui compose la majorité des étrangers - l’Opéra de Monte-Carlo est encore plus proche de la frontière italienne. Pour 1 Italien, ce sont près de 10 Anglais qui viennent assister à une représentation lyrique niçoise. Des Anglais de passage, touristes, ou installés sur place, à l’année ou en résidence secondaire.


Opéra national de Lyon. Nous avons vu plus haut le paradoxe géographique lyonnais : bien que bénéficiant d'une situation centrale par rapport aux axes de communication routiers et ferroviaires, l’Opéra de Lyon a du mal à attirer des publics éloignés.


Opéra de Marseille. Les spectateurs de l’Opéra phocéen sont majoritairement marseillais.

« P.J. : J’en reviens à la fréquentation : peu de données sur le public de l’Opéra de Marseille…
G.S. : J’ai fait tirer quelque chose, mais il n’y a pas d’études, à ma connaissance, de faite sur le public de l’Opéra de Marseille. Par rapport à l’origine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% d’ailleurs. »

D’où cet appel, teinté d’humour, mais qui prend en compte également la situation géographique particulière de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, où l’offre lyrique est dense, en et hors-saison.

« P.J. : Et faire venir un public plus éloigné ?
G.S. : Oui, ça ferait plaisir qu’il y ait des Parisiens qui viennent voir les spectacles.
P.J. : Peut-être pas de si loin… de la Région PACA déjà…
G.S. : De la Région, il y en a. Mais c’est vrai qu’il y a un Opéra en Avignon, il y a un Opéra à Toulon, des Festivals à Aix-en-Provence et à Orange… »


Section 3. Handicaps socio-classiques vs socio-latents

Les établissements lyriques interrogés développent des actions envers des publics ciblés, à qui il revient, avec des moyens humains et financiers, de faire découvrir, d'attirer, de fidéliser… à l’Opéra.
Une interrogation s’est manifestée au cours de nos entretiens : quelles démarches sont mises en œuvre envers les publics handicapés ? A un moment donné de notre société où cette question traverse tous les secteurs publics : lieux publics, études, travail… 2003, année européenne de la personne handicapée... Une des priorités présidentielles, avec notamment la lutte contre le cancer.
Cette interrogation est survenue spontanément durant le premier entretien mené à l’Opéra du Rhin. Cela montre par ailleurs que l’entretien semi-directif, comme technique d’enquête, est un dialogue en construction, plus qu’une simple série de questions à poser.
Ainsi, cette problématique, à laquelle tous les établissements lyriques sont confrontés, est devenu un fil rouge. Car il permet, en arrière-plan, de poser une question essentielle : de quel(s) handicap(s) parle-t-on ?

Des établissement lyriques confrontés aux publics handicapés

Opéra de Nice

A l’Opéra de Nice, pour des raisons de normes techniques et de sécurité, un handicapé moteur ne peut pas assister à un spectacle. Tout au plus assistera-t-il à une répétition. Mais cela va changer après la rénovation prévue de la salle :

« P.J. : Y a-t-il une ouverture aux personnes handicapées ?
A.J.-P. : On n’a pas eu d’ouverture au public handicapé l’an dernier. […]
P.J. : Mais un handicapé moteur peut-il rentrer à l’Opéra de Nice avec son fauteuil ?
A.J.-P. : Non, l’Opéra de Nice est un opéra tout à fait vieux, 1885, qui est hors-normes actuelles. On peut mettre à la limite –vraiment en calculant bien- trois fauteuils, pour une répétition, pas pour un spectacle, parce qu’il faut les faire passer par le monte-charge qui est derrière la scène. Et quand l’arrière-scène est encombrée de décors, etc, c’est fichu, on ne peut pas. Et trois fauteuils, c’est vraiment le maximum, parce que si il y a le feu, on ne pourrait pas les sortir… »

Opéra national du Rhin

Autre cas de figure possible, également en dehors de la soirée lyrique proprement dite. Un travail peut être mené « à côté », en intégrant des publics handicapés –ici des enfants sourds et malentendants- dans les actions pédagogiques :

« P.J. : Ainsi, on élargit la palette des spectateurs, on s’ouvre à d’autres catégories, qui n’avaient pas la possibilité…
H.P. : Exactement.
P.J. : Les handicapés peut-être ?
H.P. : Oui, les sourds par exemple. En tous cas, On a travaillé avec des enfants qui ont des difficultés auditives profondes. »

Opéra de Marseille

A Marseille, l’Opéra est accessible aux handicapés pour les représentations lyriques, ce qui a le mérite d’être clair :

« P.J. : Le public handicapé a-t-il accès à l’opéra ?
G.S. : Tout à fait. »

Opéra national de Lyon

La scène lyrique lyonnaise, récemment rénovée, a prévu un système spécial d’amplification des sons. Hors de la représentation d’opéra, des enfants handicapés participent aux actions pédagogiques :

« P.J. : Travaillez-vous avec les personnes handicapées ?
P.H. A. : Il y a des actions qui sont menées par Hélène Sauvez, et on a aussi 8 places qui sont réservées dans la salle pour les handicapés en fauteuil [handicapés moteurs], 1er série moitié prix (40 euros). Avec également ce tarif pour l’accompagnateur. C’est une démarche envers eux, mais qui n’a pas beaucoup de succès. Il y a quelques habitués, qui viennent souvent. L’année dernière, la durée des spectacles était un frein. On a aussi des places réservées aux non-voyants dans la salle. Il y a aussi un système qui permet d’amplifier les sons.
P.J. : Avant, ces personnes-là, étaient refoulées des salles d’opéras. Et maintenant, ils ont accès aux salles.
P.H. A. : Il y a un accueil particulier.
L.V. : Et pour les enfants, les demandes de structures scolaires ou associatives bénéficient d’une étude privilégiée pour assister à des spectacles scolaires pendant le temps scolaire. Et on a, sur la quasi-totalité des spectacles scolaires, des écoles d’enfants handicapés. »

Une palette d’handicaps socialement reconnue

Au-delà des modalités de prise en considération des publics handicapés au sein des institutions lyriques (pour la représentation proprement dite, pour les répétitions, pour les actions pédagogiques), qui renvoient souvent à des contraintes techniques, la question posée « Le public handicapé a-t-il accès à l’opéra ? » a renvoyé automatiquement, chez la personne interviewée, aux handicaps socialement reconnus par tous :
les handicapés « moteurs » ;
les sourds et malentendants ;
les non-voyant ;
les handicapés « mentaux ».

Ces handicaps, socio-classiques, ont une visibilité et une attention sociale immédiate. Ils donnent droit à des cartes spéciales, pour lesquels des statuts particuliers sont prévus. Au sein d’une pratique culturelle, aborder la question de l’accès des personnes handicapées appelle directement des réponses en phase avec ces handicaps socio-classiques.

Mais l’accès à l’art lyrique ne comporte-t-il pas d’autres barrières, au-delà de ces handicaps « classiques » ?

Des handicaps socio-latents

Manque de connaissances musicales, barrière psychologique face au lieu d’opéra, maigres revenus financiers… Autant d’obstacles à la représentation lyrique.
Autant d’obstacles que la représentation lyrique active, par ses propriétés et exigences intrinsèques : la difficulté du répertoire, la complexité d’accès à l’information, le besoin d’expériences renouvelées…
Présents au sein de chacun, ces handicaps sont socialement latents, car activé par une situation bien précise. Dans d’autres domaines, il pourrait s’agir, par exemple, du manque de condition physique pénalisant la course spontanée entre amis, de la faible maîtrise de la langue anglaise interrompant la discussion avec un anglophone, ou encore du non-apprentissage de la conduite d’une moto qui faut décliner l’invitation d’un collègue motard à une randonnée. Autant de situations particulières où surgissent des barrières, où s’activent des handicaps, pour disparaîtrent aussitôt que la situation ne se présente plus. Nous qualifierons ces handicaps de socio-latents. Ils bénéficient certes d’une moindre visibilité sociale générale, contrairement aux handicaps socio-classiques.

Pour revenir à l’art lyrique, et dans une volonté d’un meilleur accès pour tous à la pratique, ces handicaps socio-latents sont autant d’obstacles à faire sauter, pour lesquels des actions peuvent être menées. Ces handicaps sont des données à prendre en compte d’emblée pour la question du renouvellement des publics. D’autant qu’ils concernent la majorité d’entre-nous : ceux qui ne sont pas déclarés (ou reconnus) comme « handicapés » par la société.

Démocratiser l’art lyrique renvoie à cette palette élargie d’handicaps, socio-classiques et socio-latents. Tous les « handicapés » sont concernés par la mission fondatrice du ministère de la culture : « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français […]».

Face aux handicaps socio-classiques, il convient de mettre en place des solutions d’accueil confortable, pour ne plus refuser l’accès à cette catégorie de publics potentiels, à qui notre société reconnaît désormais bien heureusement le droit de participer comme tout un chacun aux activités culturelles.
Mais pour les autres handicapés de l’art lyrique, dont les handicaps socio-latents s’activent quand se pose la question d’une soirée à l’Opéra, la même exigence d’ouverture à ces catégories bien précises (les non-initiés au répertoire, les non-avertis musicalement, les non-habitués à une tenue de soirée…) s’applique. Dans quelle mesure la résorption de ces handicaps contribue-t-elle à la question de la démocratisation de cette pratique? Peut-on parler de démocratisation devant un constat d’ouverture à une catégorie de publics, qui, alors qu’elle ne fréquentait pas les salles lyriques, quel que soit le motif, ou handicap, fait désormais partie de ses pratiquants ?
L’éclairage des entretiens nous permet de faire un retour sur la mission fondatrice du ministère de la culture. A l’aube du troisième millénaire, après plus de quarante ans de débats et de réflexions autour des buts et de la légitimité de la démocratisation culturelle en France.



Troisième partie Au-delà de la démocratisation





L
es étudiants de Sciences politiques à la loupe, par une enquête publiée aux éditions de Sciences po’. Le fait mérite d’être souligné. Une institution réputée fermée, inaccessible pour certains, parle d’elle-même, ou plutôt de ses « clients » qui, chaque année, viennent « consommer » ses cours. Mais quelles sont les caractéristiques sociales de ces étudiants ? Et quelles sont les évolutions à souligner?
C’est sur ces questions que l’ouvrage, paru en 2004, fait le point. Sur l’origine du recrutement social de ces étudiants d’élite, sur les tendances qui parcourent l’institution aujourd’hui. Résultats : des évolutions, mais pas de démocratisation. Car Sciences po’ « reste un établissement socialement discriminant dont les étudiants sont majoritairement issus des classes sociales favorisées, voire très favorisées. […] Néanmoins, on constate une évolution dans le sens d’une féminisation des promotions. Avec 56% de femmes actuellement. »

Le même type de constatation –évolution mais pas de démocratisation- peut être fait dans un autre domaine, plus « culturel » : la fréquentation des musées. Car pour ce second exemple, depuis les années cinquante, on constate un accroissement numérique du nombre d’entrées dans les musées, sans que l’on puisse s’avancer sur le terrain de la diversification du recrutement social –comprenez de la catégorie socio-professionnelle (CSP) de rattachement- des arpenteurs de musées en France.
L’accroissement du nombre d’entrées renvoie à des phénomènes comme une plus grande pratique, par les visiteurs en place (intensification), ou par des pratiquants d’autres pratiques culturelles (cumul).
Mais que dire de l’origine géographique des visiteurs ? Ne viennent-ils pas de plus loin qu’auparavant ? Et quid de leur situation familiale ? Les couples, mariés, pacsés ou autres, ne fréquentent-ils pas plus les musées actuellement ? Et pourquoi pas avec leurs éventuels enfants ?

Ces deux exemples –on pourrait en trouver d’autres- mettent en lumière la limite du spectre d’analyse mono-centré sur les CSP. D’autres évolutions que la « démocratisation » traversent la masse de « fréquentants » d’une institution, qu’elle soit culturelle ou non. Les obstacles qui limitent l’accès à une pratique ne sont pas uniquement des barrières de classes sociales, de niveaux de diplôme et de revenus.

A ce titre, l’art lyrique est un terrain hautement intéressant : les obstacles y sont multiples. Et la barrière de classe (appartenir à telle ou telle CSP) ne semble plus être l’obstacle principal à la soirée lyrique. Précisément, un des grands défis pour l’avenir de cette pratique culturelle consiste en la conservation et le retour des élites intellectuelles et financières qui, par manque de temps, ont déserté les salles lyriques (chapitre premier. L’art lyrique : de multiples obstacles).
Ensuite, plus que de répondre à la question « L’Opéra se démocratise-t-il ? », le terrain lyrique nous permet plus facilement de poser la suivante : « Qu’entend-on par démocratisation ? ».  Notre démarche théorique d’éclatement de la notion, couplée à nos recherches pratiques (entretiens) au sein d’équipements lyriques sélectionnés, apporte ici un éclairage fort plaidant pour une plus grande acception de la notion de « démocratisation culturelle », face aux périls auxquels elle se trouve actuellement confrontée. (chapitre 2. Evolutions ou démocratisation ?)
Enfin, nous tenterons d’aller plus loin dans la réflexion, en ayant une analyse critique sur le chemin que nous aurons parcouru, sur les résultats avancés. Car au final, en tentant de réinvestir une notion qui paraissait limitative, par un élargissement de son champ d’acceptions, ne fait-on pas que déplacer les limites un peu plus loin ? A moins que d’autres limites n’apparaissent ? Mais lesquelles ? Le troisième chapitre (Une démocratisation en chambre ?) ouvre des pistes de réflexions. Il permet d’insérer les présentes recherches dans un champ d’investigations plus large, et, au final, d’ouvrir de nouveaux questionnements.

Chapitre premier L’art lyrique : de multiples obstacles



La question de l’accessibilité à l’art lyrique renvoie à une multitude de freins, barrières et obstacles. L’objet n’est pas ici d’en dresser un recensement exhaustif ; ce serait certainement une illusion car, notamment, des facteurs psychologiques individuels jouent à coup sûr dans la non-pratique de l’art lyrique.
Dans ce chapitre, nous voudrions montrer comment, précisément, la question de l’accessibilité et des obstacles à la fréquentation lyrique est facilement évacuée, alors qu’un diagnostic national récent fait état de besoins précis, ciblés, et inattendus. Où l’on constate que, pour une pratique réputée bourgeoise, un des défis pressants, à l’aube du troisième millénaire, est de conserver ses élites financières et intellectuelles.


Section 1. Rendre accessibles… à qui ?


La première façon d’évacuer la question des freins qui sont à l’œuvre quand surgit l’hypothèse d’une soirée à l’Opéra est de répondre aux désirs d’accès des personnes handicapées. Ces désirs sont d’ailleurs socialement légitimés. Leur résolution fait l’objet, dans les maisons d’opéras, de toute une série de mesures (sièges réservés, amplification sonore…).
En réalité, ces handicaps ne sont que l’arbre qui cache la forêt : de multiples autres raisons et situations interviennent comme des handicaps pour des personnes non-reconnues comme « handicapées » par la société. Nous avons illustré cette ambiguïté par les réponses de nos entretiens (voir deuxième partie, section 3. Handicaps socio-classiques et socio-latents).

Un autre exemple nous est apparu dans le magazine mensuel d’informations d’une collectivité locale.
L’article qui nous intéresse est titré « L’Opéra d’Avignon plus accessible ». L’appel du titre nous a renvoyé automatiquement vers la phrase emblématique du projet de démocratisation culturelle en France, tel qu’il a été formulé à la création du « ministère chargé des affaires culturelles » : « Le nouveau ministère se donne comme objet de rendre accessibles les œuvres capitales de l’Humanité, et d’abord de France, au plus grand nombre possible de Français. »
Notre sang n’a fait qu’un tour, nos yeux se sont immédiatement dirigés vers le corps du texte : l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays du Vaucluse aurait donc mis en place une ou des action(s) dans le sens d’une plus grande démocratisation de la sortie lyrique. Sur quoi porte la « plus grande accessibilité » ? La photo est on ne peut plus claire : elle montre une personne en chaise roulante qui gravit un plan incliné, pour (logiquement) se hisser au niveau de la salle de représentation… L’article nous indique que quelques places sont désormais « accessibles » aux handicapés moteurs.

Nous ne critiquons pas ici l’action -louable et légitime- citée en exemple. Mais n’y a-t-il pas d’autres handicaps à la sortie d’opéra, autant d’obstacles qui demanderaient la mise en place d’actions politiquement et socialement fortes ? Ne passe-t-on pas à côté de l’essentiel ?


Section 2. L’opéra : réservé à une élite ?


D’autres handicaps que les handicaps socio-classiques... Oui, mais lesquels ? Il semble que le premier d’entre-eux concerne l’appartenance à d’autres catégories sociales que la CSP « supérieure » (cadres et professions intellectuelles supérieures).
L’opéra est en effet réputé « bourgeois », « réservé à une élite ». L’appartenance à des catégories socioprofessionnelles inférieures (agriculteurs, artisans, commerçants, ouvriers, employés, professions intermédiaires) semble être un frein -au moins psychologique- à la fréquentation d’une maison d’opéras.
C’est en tout cas ce qui s’est toujours dit, du temps où la représentation mentale du public d’opéras primait sur la connaissance scientifique de ses publics (voir première partie, section 2. Publics : vers une connaissance scientifique).
C’est également le parti pris, à l’échelle de toutes les pratiques culturelles, par le ministère de la culture, en phase avec les thèses bourdieusiennes, mais aussi “l’esprit” de mai 1968 (voir première partie, section 2. Une inaccessible étoile).
Mais c’est aussi le fonds de commerce de quantité de travaux de recherches dans le domaine des pratiques culturelles.



TABLEAU 11. Les catégories socio-professionnelles (CSP) telles que définies par l’INSEE depuis 1982
Ces catégories se fondent sur/et indiquent des niveaux de diplôme et de revenus.

1agriculteurs2artisans, commerçants et chefs d’entreprise3cadres et professions intellectuelles supérieures4professions intermédaires5employés6ouvriers


Aujourd’hui, peut-on transposer cette réduction d’une question majeure (la démocratisation culturelle) à un diagnostic limitatif (un problème d’appartenance à une classe définie par l’INSEE)?
Il semble que non, que la question des CSP agit, de la même façon que pour le thème des handicaps socio-classiques, comme un expédiant facile à la question de l’accessibilité à l’art lyrique. Des résultats d’enquêtes montrent que l’enjeu ne se situe plus, à notre époque, au seul niveau des CSP. Et ce sont les publics eux-mêmes qui le disent.

L’enquête de la RTLF, réalisée au sein de 20 maisons d’opéras dont celles de Paris (Garnier et Bastille), comporte un volet qualitatif, avec notamment une question sur « l’idée d’accessibilité » que se font les publics en place par rapport à l’art lyrique.
A la question « L’Opéra est-il réservé à une élite intellectuelle et sociale ? », les réponses sont négatives à 64%, positives à 21%. Le solde (15%) est sans avis. Selon les strates d’âges, ce sont les 25-34 ans, les « nouveaux publics d’opéras », qui sont les moins réservés : 69% d’entre-eux ne trouvent pas que l’opéra est réservé à une élite. Autre donnée : les abonnés assidus, qui constituent le cœur des publics les plus fidèles, ne semblent pas vouloir conforter une situation de privilège d’une élite, situation qu’ils pourraient vouloir voir durer. Parmi eux, 68% répondent également par la négative.

La question du privilège d’opéra à des personnes avec un certain statut social (niveaux élevés de diplômes et de revenus) ne semble plus d’actualité. A une époque où les inactifs (principalement retraités et étudiants) composent, suivant les enquêtes, entre 30 et 40 % des spectateurs lyriques, les principaux freins à la sortie lyrique sont ailleurs.


Section 3. Le capital de temps disponible


Toujours dans la même enquête d’envergure nationale menée par la RTLF, après le diagnostic des publics actuels de l’art lyrique, vient le moment des préconisations à apporter à la fréquentation. C’est l’occasion de faire le point sur les défis pressants qui concernent les maisons d’opéras en France.
Fait important : ces préconisations ne sont pas fondées sur les CSP, classes sociales discriminées par les facteurs économique (niveau de revenus) et intellectuel (niveau de diplôme). L’enjeu se situe ailleurs. Aujourd’hui, plus que les capitaux économiques et intellectuels, un autre capital se révèle être discriminant pour l’accès à l’art lyrique : celui du temps disponible en dehors de celui consacré au travail.

Ainsi, pour Gérard Doublet, le défi majeur à relever est d’attirer les « actifs », professionnellement parlant, à une époque où, pour plus de 40%, les salles sont occupées par des « inactifs », retraités et étudiants.
Ce défi recouvre à la fois :
les jeunes actifs, qui rentrent dans la vie professionnelle. Il s’agit de fidéliser les publics jeunes qui ont été progressivement attirés vers les maisons d’opéras grâce à des formules flexibles et des politiques efficaces de tarification. Défi crucial au moment ou ces publics entrent dans la vie active, ce qui signifie qu’ils perdent et les avantages (tarifaires et de flexibilité) et le temps à consacrer à l’opéra.
les autres spectateurs potentiels actifs, qui, alors qu’ils étaient étudiants, n’ont pas été sensibilisés ou initiés via les actions -récentes- mises en place par les établissements lyriques en direction des étudiants.
En résumé : « L’effort devrait donc porter prioritairement vers des catégories de spectateurs potentiels actifs, des classes d’âge et sociales intermédiaires. »

Ici, un changement majeur est intervenu ces dernières décennies. Traditionnellement, les pratiques culturelles étaient le fait des catégories de population au capital intellectuel élevé, plus qu’au capital économique élevé. La pratique culturelle « art lyrique » faisait figure d’exception, puisque précisément, elle était plus corrolée au niveau de revenus qu’au niveau de diplôme. De nos jours, on constate un retour en force des professions intellectuelles supérieures (enseignement supérieur) et intermédiaires (enseignement secondaire), ainsi que diverses autres catégories de fonctionnaires. Les publics d’opéras sont à 56% des employés du secteur public, à 34 % du secteur privé, auxquels il fait ajouter 10% de dirigeants d’entreprises et de professions libérales. Pour rappel, ces pourcentages concernent une part de 58 % de publics « actifs », les 42 autres pour cent étant des « inactifs ».
Les revenus des employés de la fonction publique sont moins élevés que ceux du secteur privé, et a fortiori de ceux des dirigeants d’entreprises et des professions libérales. A quel facteur imputer cette désaffection des actifs aux revenus élevés ? Au sein des pratiques culturelles, l’art lyrique n’est plus l’exception : la capital intellectuel supplante le capital économique.

Pour comprendre ce revirement de situation, il faut, à notre avis, introduire une donnée supplémentaire : le facteur temps. A côté des capitaux économiques et intellectuels, bases de la construction du modèle des CSP, un capital apparaît comme essentiel dans la discrimination d’accès à l’art lyrique: le capital de temps disponible en dehors du travail.
Le temps comme principal obstacle à la représentation lyrique. Temps de réservation, temps de préparation sur l’œuvre et la musique, temps de la soirée elle-même. Alors que certains « actifs » ont les moyens financiers de se payer la sortie d’opéra (et les frais afférents, de garde des enfants, de bouche…), ils ne viennent plus, faute de temps :
« La facilité d’accès aux spectacles d’opéras et aux événements culturels est inégale selon les catégories sociales. Elle discrimine les spectateurs non plus sur les seuls critères économiques et culturels, mais sur celui du temps disponible. »
Nos entretiens illustrent cette constatation. Ici, à l’Opéra de Nice, où après avoir pris acte de la moindre fréquentation des « actifs », certaines actions sont mises en place :

« P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.
A.J.-P. : Qui n’a pas le temps ?
P.J. : Qui n’a pas le temps… Donc ils ont une classe d’âge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles d’attaque ».
A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et c’est pas mal. Il y a des concerts du chœur d’enfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public . Je suis tout à fait d’accord [sur la classe 35-50 ans]. Ce n’est pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs. »
(extrait de l’entretien Nice)

Et la réduction du temps de travail ? Et les 35 heures ? Chacun sait qu’elle ne concerne pas certaines catégories de travailleurs, les cadres en premier lieu, qui ont vu, dans un mouvement inverse, leur temps de travail effectif augmenter, sans compter sur des pressions supplémentaires en termes d’objectifs (commerciaux et autres), qui se traduisent par du stress supplémentaire.
« Le renouvellement du public par de nouvelles jeunes « élites » d’entreprise n’est pas assuré, car elles sont trop occupées par leur travail. Les anciennes élites ne travaillaient pas au sens où l’entend la société post-industrielle contemporaine. Il serait dommage et imprudent de se résigner à attendre l’âge de la retraite de ces jeunes cadres pour les compter parmi les nouveaux spectateurs d’opéras. »

Le capital de temps disponible agit ici comme un handicap socio-latent à la sortie lyrique. Ce manque de temps de loisir, pour une sortie culturelle en demande beaucoup, n’est pas un handicap dans l’absolu ; il est précisément activé par la sortie lyrique chez une telle personne, à un moment donné.

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Riche en arts qu’il mobilise, l’art lyrique est une pratique culturelle riche d’obstacles à sa fréquentation.

A ce sujet, la problématique d’accès des personnes handicapés est symptomatique. Par cet exemple, nous avons voulu montrer que tous les handicaps ne sont pas forcément visibles, que même si c’est « à la mode » ou « politiquement correct », mais surtout légitime de s’occuper de ces catégories de spectateurs potentiels, des problèmes de fond, des handicaps socio-latents (parmi lesquels le capital de temps disponible en dehors du travail) restent à la marge du processus de l’accessibilité pour tous à l’art lyrique.

D’autre part, les dires des publics d’opéras et les enjeux pressants quant à la fréquentation des salles lyriques battent en brèche le modèle des CSP basé sur le diptyque capital économique + capital intellectuel. Pour les publics de l’art lyrique, ce modèle s’effondre par l’introduction du facteur « temps » -un capital de temps disponible pour les loisirs. Analyser les résultats d’enquêtes uniquement par la lorgnette des CSP se trouve être ainsi un enjeu dépassé, ou du moins limitatif, bien qu’il continue à monopoliser l’essentiel des travaux.

D’autres exemples plaideront certainement pour la prise en compte de facteurs supplémentaires comme obstacles à la sortie lyrique. Situons-nous maintenant sur le plan de l’action : de la lutte contre les freins d’accès à l’Opéra. Face à l’éclatement des causes de la non-pratique, comment nommer le remède ? Comment nommer l’objectif de « rendre accessible au plus grand nombre possible » l’art lyrique ? En sachant que, par tradition, démocratiser la culture renvoie uniquement à un discours sur la distorsion de pratiques entre les CSP…
Chapitre 2 Evolutions ou démocratisation ?







Nos réflexions sont un cheminement ; elles constituent un parcours, avec comme point de départ les antécédents de la notion de « démocratisation culturelle » telle qu’elle s’est érigée en raison d’Etat en France. Avec ensuite la pratique culturelle « art lyrique » comme moyen hautement approprié d’interroger les fondements de la notion.
Il est maintenant intéressant de voir en quoi le cheminement parcouru –les hypothèses testées et les résultats dégagés- permet un retour critique sur ce qui est devenu une politique culturelle inévitable.
Ces résultats sont des éléments de recherche et des notions construites (phénomènes évolutifs locaux, grille d’analyse de la fréquentation d’un équipement culturel, handicaps socio-latents, capital de temps disponible pour les loisirs…) ayant une valeur scientifique en tant que tels. Mais, faisant en quelque sorte d’une pierre, deux coups, ils peuvent nous servir à construire une proposition sur ce « passage obligé, à dépasser » qu’est le mono-thème de la démocratisation culturelle (voir première partie, chapitre premier. La démocratisation culturelle : un passage obligé, à dépasser)


Section 1. Beaucoup d’évolutions, peu de démocratisation


Partons d’un exemple éclairant : le discours construit à partir de l’analyse de résultats d’une l’enquête réalisée par l’Opéra de Paris en 1999.
Depuis 1997, année d’arrivée du Suisse Hugues Gall à la tête de l’établissement public regroupant les deux salles lyriques parisiennes Garnier et Bastille, un Observatoire des publics mesure de façon systématique, par des suivis automatiques ainsi que par des enquêtes ponctuelles, l’évolution de la fréquentation.
En termes d’évolutions (vs situation) des publics, les résultats de 1999 font apparaître toute une série de phénomènes :

accroissement
du nombre d’entrées délivrées aux caisses ;


rajeunissement
la proportion des moins de 40 ans passe de 31% (1991) à 38% (1999) ;


renouvellement
20% de primo-arrivants annuellement depuis 2 ans, notamment grâce à la possibilité de réservation par internet ;


élargissement géographique national et international


ancrage local
par la constitution d’un public « hyper-local », de proximité.





Intervient une constatation basée sur les CSP :
« Les spectateurs de l’Opéra de Paris continuent de provenir majoritairement des catégories supérieures et intermédiaires, et se recrutent d’abord parmi les personnes ayant fait des études supérieures »
C’est sur ce constat d’une non-évolution au niveau des CSP que va reposer la conclusion :
« Ces résultats invitent à relativiser les progrès enregistrés et soulignent la diversité des éléments à mettre en œuvre dans le cadre d’une politique visant à agir sur la composition socioculturelle du public. » 

Dès lors, quel statut donner aux autres évolutions (accroissement, rajeunissement…) constatées plus haut ? Des évolutions « de seconde zone », inintéressantes en tant que telles, tant que l’appartenance des publics aux CSP ne bougent pas ? Alors qu’elles montrent des changements majeurs dans l’histoire de l’art lyrique, pourquoi les relativiser par le fait qu’au niveau des catégories socio-profesionnelles de rattachement, peu d’évolutions sont, jusqu’à présent, constatées ?
Dans la formule composition socioculturelle des publics, il semble qu’un critère discriminant –la CSP- prime sur les autres. Cela est-il justifié ? Dans quelle mesure ?


Section 2. Une galaxie de phénomènes évolutifs locaux

Qu’entend-on par « composition socioculturelle » ?
Dans la phase de préparation d’une enquête de fréquentation d’un équipement culturel, quelles sont les questions qui vont être posées à la personne qui, dévouée, joue le jeu et prend le temps de se dévoiler modestement ? Plus précisément, quels items vont lui être proposés pour définir sa « composition socio-culturelle » ? Sur base de quelles caractéristiques sociales les personnes interrogées seront-elles définies, « triées », classées ?
Pour notre enquête, nous avons pris le parti de ne privilégier aucune caractéristique sociale discriminante, et surtout de ne pas donner plus d’importance au facteur CSP. Au contraire, l’intégrer, sur un pied d’égalité, à un ensemble plus vaste de caractéristiques sociales : âge, sexe, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale, handicap… (voir schéma 1. Grille d’analyse théorique servant l’étude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels). Cette liste est ouverte (voir deuxième partie, section 3. Une grille d’analyse ouverte)
Son intérêt réside dans ce que les variables (caractéristiques sociales) servent à constituer des groupes socialement homogènes (les –26 ans, les célibataires, les femmes…). Dans un second temps, en analysant les variations quantitatives de ces groupes (flux), on définit un ensemble d’évolutions qu’il est possible, à l’échelle d’un équipement culturel (voir supra Chapitre 3. Au cœur de la matière), de mesurer : ce sont les phénomènes évolutifs locaux (rajeunissement, appropriation par les étudiants, ancrage local…)

Et la démocratisation là-dedans ? Notre proposition évince-t-elle ce phénomène, tel qu’il est définit institutionnellement, c’est-à-dire sur base des CSP ?
On pourrait répondre par l’affirmative, dans la mesure où nous ne proposons pas le critère « CSP » dans notre grille d’analyse théorique.
On pourrait aussi tenter de réinvestire la notion, en élargissant son acception, tout en intégrant la définition basée sur les CSP. Pour éviter le seul renvoi à la CSP comme critère social discriminant.
Nous avons privilégié la seconde branche de l’alternative.


Section 3. Tentative de réinvestissement

Dans les thèmes abordés au cours des entretiens, nous avons introduit une hypothèse, qui, dans la logique du cheminement que représente l’entretien semi-directif, vient en bout de course.

1. Une hypothèse forte

Pour rappel, les différentes étapes de notre grille d’entretien (voir annexe 1) permettent la construction progressive d’un discours, en trois étapes :
1° laisser parler l’interviewé sur le contenu des actions mises en place en direction des publics de son institution lyrique ;
2° questionner les buts associés à ces actions, en termes de fréquentation. A ce stade, relever et proposer les phénomènes évolutifs locaux, agissant comme indicateurs : accroître, fidéliser, faire venir des primo-arrivants, faire venir de nouvelles catégories, par rapport à l’âge, le genre, le lieu de résidence, l’activité ou la non-activité professionnelle, la situation familiale… (voir deuxième partie, chapitre 3. Applications)
3° utiliser les mêmes indicateurs pour repérer, chronologiquement, les objectifs résolus, en cours de réalisation et qui restent à accomplir dans l’évolution de la fréquentation. (voir schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau d’analyse local, des situations et préoccupations différenciées)

Après ces trois étapes, nous avons voulu in fine tester l’hypothèse suivante : comprendre sous le terme de « démocratisation » un ensemble d’objectifs cités précédemment, couplés à des caractéristiques sociales diverses et variées.
L’hypothèse de travail se formule ainsi :
« Certains phénomènes observés au niveau de l’évolution de la composition sociale du public d’un équipement culturel peuvent être qualifiés de démocratisation, car ils correspondent, parallèlement à une hausse de la fréquentation, à une plus grande pratique de l’opéra par des primo-arrivants d’une catégorie homogène de publics, c’est-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s). »
Par caractéristiques sociales, nous entendons celles utilisées pour notre grille d’analyse théorique : CSP, niveau d’études, niveau de revenus mais aussi âge, genre, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale… (la liste est ouverte).

2. Des espérances

Située dans les débats actuels sur la politique de démocratisation culturelle, cette hypothèse est le contre-pied d’une proposition émanant du directeur de la publication « Les pratiques culturelles des Français », outil statistique officiel du ministère de la culture, lequel directeur proposait, devant la difficulté de tirer un bilan positif de quarante ans de politique de démocratisation culturelle en France :
« Abandonner l’usage du terme de « démocratisation », porteur depuis les origines de dimensions contradictoires et devenu trop grandiloquent pour une période où les politiques ont appris à être modestes, constitue aujourd’hui une des conditions d’une meilleure efficacité des actions menées en direction des publics.[…] Abandonner le terme de « démocratisation » et définir des objectifs plus précis, portant sur des populations précisément ciblées, peut par conséquent aider à séparer les finalités relatives à l’offre culturelle et celles relatives au public, et à déchirer l’épais écran de fumée qui souvent recouvre les objectifs réellement poursuivis, rendant difficile toute véritable évaluation. »
Autrement dit un enterrement de première classe pour la mission fondatrice du ministère de la culture. (voir supra III. In memoriam ?)

A l’instar d’Olivier Donnat, nous avons perçu -nos entretiens le montrent- la multiplicité des objectifs, « précis », « ciblés » quand il s’agit de mener une action envers les publics d’une pratique culturelle. Mais, à contre-courant de sa proposition « d’abandon », nous voulons, au contraire, tester l’hypothèse d’un réinvestissement de la notion, en l’élargissant à d’autres caractéristiques socio-culturelles que la seule appartenance à telle ou telle CSP.
Pour pouvoir dépasser l’idée de l’échec de la politique culturelle au niveau national.
Mais aussi pour éviter des bilans aussi tristes que celui évoqué plus haut à l’Opéra de Paris par exemple, où, alors que des évolutions majeures traversent la fréquentation, le bilan final est pessimiste, car sous le seul regard des CSP, les publics de cet établissement ne varient pas beaucoup (voir supra Section 3. Beaucoup d’évolutions, peu de démocratisation).

3. Des résultats

Confirmer l’hypothèse d’une acception plus large du terme « démocratisation » est un des objets de nos recherches. Nous sommes arrivé à mieux cerner les enjeux contemporains qui affectent la fréquentation de l’art lyrique, en prenant un angle d’attaque local -le seul à notre avis convainquant- et en proposant une grille d’analyse se voulant la plus complète possible.
Néanmoins, pourquoi ne pas tester, dans la foulée, une hypothèse sur la mission de démocratisation -un passage obligé- en sachant que les résultats sont à considérer, pour cette hypothèse et à ce stade, comme des éclairages, réels, mais limitatifs dans leur portée ?

L’éclairage qui confirme le plus notre « sentiment » de la possibilité d’un usage terminologique plus élargi de la notion de démocratisation culturelle, conformément à notre hypothèse de travail, nous vient d’un témoignage à l’Opéra national du Rhin :

« P.J. : Vous avez parlé de « renouvellement », que les actions ont permis de « renouveler » la fréquentation de l’opéra. Qu’elles avaient été mises en place suite au constat que les salles lyriques se vidaient. Peut-on parler de « démocratisation » ?
H.P. : Oui, carrément. Tout à fait, et je pense que c’est particulièrement le cas en Alsace. D’abord grâce à la politique tarifaire, qui est vraiment exceptionnelle. L’opéra ici, ce n’est vraiment pas cher. Je constate que c’est un public, je vous l’ai dit, assez populaire, au sens large.
P.J. : Par le fait d’avoir fait venir, par exemple, les jeunes en plus grand nombre qu’auparavant, peut-on dire que l’opéra s’est démocratisé ?
H.P. : Bien sûr, absolument. Je ne vais pas vous dire le contraire, où voulez-vous en venir ?
P.J. : On raisonne parfois seulement à partir des classes sociales, comme par exemple « la grande bourgeoisie », et que l’opéra s’est « popularisé ».
H.P. : Quand je parle de public populaire, j’entends un public extrêmement varié. Ce n’est pas le « bas peuple », la  « France d’en bas ». Quand je dis populaire, c’est populaire au sens large, c’est-à-dire qu’on a des gens qui ont des sous, qui vont à l’opéra, qui sont amateurs d’opéra, ou qui ne sont pas amateurs d’opéra, mais qui vont pour la place ; et d’autres personnes qui, automatiquement, ne seraient pas allés à l’opéra, mais qui y vont. »

Pour une personne de terrain, auprès de publics à sensibiliser à l’art lyrique, la notion de public « populaire » est entendue ici dans un « sens large ». C’est à dire au-delà- du seul critère des CSP (« France d’en bas »). Dans un sens large, c’est-à-dire associant des publics « extrêmement variés ».
S’ouvrir à des catégories homogènes de publics, avec des caractéristiques sociales diverses (des amateurs, des résidents éloignés… l’interviewé n’exclut aucune caractéristique) revient à démocratiser l’art lyrique.


Cette volonté de ne pas se concentrer uniquement sur des publics issus de CSP « moins favorisées » se retrouve dans la politique de l’Opéra de Marseille :

« P.J. : L’Opéra est-il un art qui s’est démocratisé ?
G.S. : Nous essayons de la démocratiser au maximum. On ne fait pas de programmation spécifique « jeune public » ; les jeunes viennent découvrir la programmation classique de l’opéra, et pour eux, c’est une programmation tout à fait accessible. Ils travaillent sur Le Vaisseau fantôme, Carmen. Et par notre politique tarifaire, l’opéra est accessible au plus grand nombre : de 8 à 50 euros la place. […]
G.S. : Notre politique est de toucher tous les jeunes, qu’ils soient issus des quartiers favorisés ou défavorisés, d’écoles privées ou publiques. […]
G.S. : Il y a des tarifs préférentiels pour le jeune public et pour les personnes âgées. Donc on essaye vraiment d’ouvrir l’opéra au plus grand nombre.
P.J. : Le meilleur résultat n’est-t-il pas, non seulement de donner l’envie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de l’opéra.
G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis qu’ils reviennent. Bien qu’au début, ils appréhendaient cette expérience.

La maison affiche l’ambition de démocratiser « au maximum », reprenant ainsi le superlatif de la définition officielle (voir le décret fondateur du ministère chargé des affaires culturelles) de « rendre accessibles au plus grand nombre possible (…) ».
Sur le fond, cette ambition concerne toutes les CSP, « des quartiers favorisés ou défavorisés ». Les enfants « favorisés » ont aussi droit à la découverte de l’art lyrique, ce qui ne semble plus automatique aujourd’hui pour cette catégorie de jeunes.
Mais, à Marseille, la politique vise aussi d’autres groupes homogènes de publics. Par exemple un groupe caractérisé par l’âge : les personnes âgées.


L’association « publics issus des CSP supérieures = pratique de l’opéra » éclate aussi à l’Opéra national de Lyon, où « démocratiser » renvoie à d’autres caractéristiques sociales : par exemple la connaissance musicale (ou non). Le fait qu’un groupe de publics caractérisé par un moindre attachement à la musique classique est désormais présent aux représentations lyriques, cela aussi, c’est de la « démocratisation » :

« P.J. : Finalement, peut-on parler de « démocratisation » ?
L.V. : C’est une question qui n’est pas évidente, car je vais donner mon avis, tu vas donner le tiens, et une troisième personne aura encore un avis différent là-dessus. On peut parler de « démocratisation », dans le sens où l’opéra est accessible aujourd’hui à des gens qui ne sont pas forcément très fortunés, qui ne sont pas forcément « fan » de musique classique ou contemporaine, avec des offres tarifaires qui sont intéressantes, et qui rendent l’opéra attractif à toutes les bourses. Et puis, avec des œuvres qui sont accessibles. Chaque année, on a une œuvre qui est plus accessible que les autres.

Ce témoignage fait écho à celui relevé à l’Opéra du Rhin, où les salles sont constituées de publics extrêmement variés, qu’une certaine politique, que l’on peut appeler « démocratisation », a pour but de les y faire venir.


Enfin, le témoignage relevé à l’Opéra de Nice nous mène à un constat identique, celui de la démocratisation de l’art lyrique, avec la fin d’un certain privilège de classe, et donc des CSP comme seule catégorie pertinente dans l’analyse de l’évolution de la fréquentation lyrique :

« P.J. : Je voudrais venir au thème de la démocratisation culturelle. C’est un grand mot en France, qui fait partie d’une politique fondatrice du Ministère de la culture. Peut-on parler de démocratisation à l’opéra ?
A.J.-P. : Je pense. Ce n’est plus réservé à une certaine classe sociale, médecins, enfin les professions libérales. Je pense qu’il y a quand même d’autres personnes qui viennent, parce qu’ils aiment la musique, parce qu’ils ne sont pas obligés de venir en « nœud pap’ » et en robe longue. Ils ont compris ça. Je pense que de ce point de vue-là, ça a quand même changé. Bon, les gens s’habillent quand même…

Cette plus grande ouverture à une multitude de catégories de publics (reste à voir lesquelles) ne vient pas uniquement de l’institution ; elle peut être le résultat d’un changement dans la relation entre l’opéra et les gens, notamment en termes d’image. Cette évolution aboutit à la venue d’un public « plus large », sociologiquement varié :

« A.J.-P. : Je crois que les gens sont peut-être plus ouverts actuellement à l’idée de l’opéra, des concerts. Ils savent que ça existent. Ca fait plus partie de leur vie. Je ne dirais pas qu’il y viendront plus facilement. Il y a la télé aussi, on s’embête pas, on est tranquille à la maison avec un p’tit whisky et c’est bon… Et enfin, je pense que les gens ont plus conscience, ont plus intégré…dans leur subconscient et dans leur conscience aussi, il y a quelque chose qui se passe… Ils sont plus ouverts.
A.J.-P. : C’est sûr que l’opéra à la télé, ça aussi, ça fait du bien. Moi je pense que ce n’est pas une grosse action qu’il faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. Il y a des émissions culturelles, on en parle de plus en plus dans la rue. Enfin donc je pense que c’est quand même plus ouvert. [...] C’est un public…plus large.


L’image renvoyée par les institutions lyriques change. Notamment après une première « sortie » à l’opéra. Démocratiser renvoie aussi aux représentations qui animent l’art lyrique, en particulier sa réputation d’inaccessibilité :

« P.J. : Quand on dit que « les jeunes viennent », est-ce de la démocratisation ?
G.S. : Oui, c’est de leur montrer que l’opéra est accessible. C’est permettre au plus grand nombre d’avoir accès à ce lieu. C’est de ne pas être là avec des images figées, « l’opéra réservé à une élite », la crainte ensuite d’y accéder, la peur de franchir la porte. […]
G.S. : Et c’est dans l’imaginaire que l’opéra est un lieu réservé, inaccessible. Et c’est ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à l’Opéra, c’est pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et c’est chez eux.
(extrait de l’entretien Marseille)


Dans ce changement d’image des Opéras, le bouche-à-oreille semble jouer fortement. Il démultiplie les possibilités de cette extrême variété de publics qui se retrouvent ensemble dans les salles lyriques, dans un mouvement que l’on pourrait qualifier de démocratisation indirecte :

« A.J.-P. : Ceci dit, il y a quand même du renouvellement : entre amis, « tiens pourquoi pas un abonnement à l’opéra », si on s’y prend assez tôt. […] Et je pense que par l’intermédiaire des enfants, il y a un peu de ça quand même. Il y a des prof’ de lycées qui s’investissent, qui ne sont pas prof’ de musique, mais prof’ de français, d’histoire, etc. Ils s’investissent dans la découverte par les enfants des opéras, qui les amènent. D’accord, ils en profitent de l’opéra, ils sont contents, ils aiment ça. Très bien, mais les enfants pendant ce temps-là, les jeunes, les étudiants viennent aussi. Les parents quand même viennent aussi.
P.J. : Le plus grand acquis, c’est…
A.J.-P. : … de faire parler. De faire parler les enfants de manière à ce qu’ils amènent les parents à franchir cette porte. Parce que au fond, ils n’y avaient jamais pensé. Une forme de curiosité. Ecoutez, il y a des tas de gens qui n’avaient jamais pensé à venir à l’opéra. Des gens de 35-40 ans, qui ont fait leurs études de pharmacies, qui sont pharmaciens, et : « Ah oui, tiens, pourquoi pas l’opéra ? ». Et moi, je recrute dans le bus. Je passe pas mal de temps dans le bus, et j’avoue que même comme ça, je dis que l’opéra, c’est sympa,… En fait, c’est la communication qui fait tout. C’est parler et faire parler qui fait que les gens viennent.
(extrait de l’entretien Nice)
Chapitre 3 Une démocratisation en chambre ?


Notre hypothèse -un pari ?- du réinvestissement de la notion de démocratisation par un champ d’acceptions élargi, contient une réflexion épistémologique, au-delà des résultats qui viennent d’être exposés, lesquels confortent l’hypothèse proposée.
La démocratisation a ses limites que la raison ne connaît pas. Par le raisonnement, nous avons proposé de reculer les barrières d’acception de la notion. Diverses motivations peuvent être avancées : obtenir une meilleure analyse des résultats d’enquêtes de fréquentation au niveau d’un équipement culturel, dresser un bilan de politique culturelle générale plus optimiste que ceux qui existent actuellement… Mais jusqu’où peut-on aller dans l’élargissement de la notion ? Nous nous sommes arrêté à un point qu’il nous semble à la fois raisonnable, crédible et efficace (section 1. Un voyage au cœur de la galaxie démocratisation).
Nous avons privilégié cette exploration. Nous aurions pu explorer d’autres pistes, comme celle des moyens à utiliser (Comment démocratiser ?). Sont-ce des pistes productives ? Couplée à la réflexion, nos recherches de terrain ont confirmé notre parti pris -et notre prise de risques- par des résultats défendables (section 2. L’art lyrique se démocratise).
Enfin, nous sommes persuadé que la poursuite des réflexions passe par :
1° une grande importance accordée au terrain d’enquête, à un niveau local d’analyse ;
2° une ouverture de la problématique sur les liens qui unissent l’art lyrique à ses publics, au-delà de la question de la démocratisation culturelle ;
3° une attention particulière à la politique actuelle de décentralisation lyrique, qui amènent les maisons d’opéras en régions à se rapprocher de ses publics, pour mieux les connaître, mieux les servir, et continuer à les faire rêver (section 3. A l’écoute du terrain).



Section 1. Un voyage au cœur de la galaxie démocratisation

1. Voyage au centre de la terre

Nous avons privilégié une démarche comparable à celle utilisée en physique nucléaire, en choisissant un niveau d’analyse local (un établissement lyrique) plutôt qu’une échelle plus grande (la pratique art lyrique, ou l’ensemble des pratiques culturelles). Il s’agit de récolter des données au sein d’une maison d’opéras, de privilégier ainsi le particulier à l’agrégation de résultats. Aller vers l’infiniment petit, tels les atomes et les molécules. (voir deuxième partie, chapitre premier. Au cœur de la matière).
Nous pourrions également, pour reprendre le titre d’un roman de Jules Vernes, parler de « voyage au centre de la terre » -en plus de 80 jours bien sûr. Rentrer dans les profondeurs d’une notion (la démocratisation), en disséquer son histoire particulière en France, comprendre ses acceptions, être confronté aux bilans de politique culturelle. Ensuite proposer de se réapproprier la notion, pour in fine répondre à la question : « L’opéra se démocratise-t-il ?»

2. Une histoire avec fin

Pour ce faire, notre proposition consiste à élargir le champs d’acceptions du mot, dans des limites qu’ils nous semblent raisonnables. Il ne s’agissait pas de se lancer dans une « histoire sans fin », comme peut l’être aussi la recherche en physique nucléaire (vers l’infiniment petit), mais de déplacer les barrières d’acception de la démocratisation culturelle un peu plus loin, en s’aidant d’une palette élargie de critères sociaux discriminants. Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend divers phénomènes d’évolutions basés sur des critères sociaux (âge, lieu de résidence, …), en plus du critère « CSP » qui définit le sens « classique », « étroit », de la notion.
Raisonnable, cette démarche s’appuie sur des critères d’efficacité et de crédibilité. En effet, en passant par la constitution d’une grille d’analyse propre (voir schéma 1. Grille d’analyse théorique servant l’étude…), on aboutit, dans la confrontation au terrain, à des résultats apportant des réponses aux trois questions qui motivent nos recherches :
1° Le public de l’opéra évolue-t-il ? ;
2° Si oui, comment ? ;
3° Peut-on parler, au regard de ces évolutions, de démocratisation ?
Nous allons détailler ces réponses dans la deuxième section de ce chapitre (L’art lyrique se démocratise), mais avant cela, un dernier paragraphe, accompagné d’un schéma, nous permet maintenant de visualiser la forme de la galaxie démocratisation, qui est notre proposition de réinvestissement de la notion.

3. La galaxie démocratisation

« Je considère la galaxie comme une constellations d’événements, comme une mosaïque de perceptions et d’ observations données ».
Ainsi parlait un spécialiste canadien des sciences de l’information et de la communication, Marshal MacLuhan, à propos des phénomènes qui caractérisent l’histoire de la communication, des matériaux (culture orale, culture scribale) aux médiations techniques à l’œuvre dans ce domaine (notamment l’imprimerie typographique et les nouvelles technologies).
La comparaison à une « galaxie » se justifie, selon l’auteur, par la multitude (constellation) de phénomènes qui se sont succédé, qui existent et interagissent ensemble. Au final, tous ces « événements », « perceptions », « observations » constituent un « tout » qui apporte une explication à la communication des débuts à nos jours.

Nous avons repris à notre compte cette « analogie céleste », car elle s’applique, dans le même esprit, à notre nouvelle conception de la « démocratisation culturelle ».
En effet, notre définition recouvre divers phénomènes évolutifs (voir deuxième partie, section 2. Des phénomènes évolutifs locaux) obtenus à partir de critères sociaux discriminants (âge, lieu de résidence, …). Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend d’ailleurs le phénomène de démocratisation au sens « classique », « étroit » de la notion, basé sur le rattachement des publics à leur catégorie socio-professionnelle (CSP) de référence.
Le schéma proposé est ouvert. D’autres phénomènes évolutifs relèvent également de la démocratisation, pour autant qu’ils correspondent, conformément à notre hypothèse de travail, à une plus grande pratique de l’opéra par des primo-arrivants d’une catégorie homogène de publics, c’est-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), parallèlement à un accroissement de la fréquentation.

Schéma 3. La galaxie démocratisation
Notre acception de la démocratisation culturelle recouvre divers phénomènes évolutifs obtenus à partir de critères sociaux discriminants (âge, lieu de résidence, …). Un sens « large » de la « démocratisation culturelle » est ainsi défini, qui comprend d’ailleurs le phénomène de démocratisation au sens « classique », « étroit » de la notion, basé sur le rattachement des publics à leur catégorie socio-professionnelle (CSP) de référence.
Le schéma proposé est ouvert à d’autres phénomènes évolutifs qui relèvent également de la démocratisation (« autre critère ? »), pour autant qu’ils correspondent, conformément à notre hypothèse de travail, à une plus grande pratique de l’opéra par des primo-arrivants d’une catégorie homogène de publics, c’est-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), parallèlement à un accroissement de la fréquentation. 
RAJEUNISSEMENT VIEILLISSEMENT


ANCRAGE LOCAL âge ? APPROPRIATION PAR LES INACTIFS

 résidence ? activité ?

ELARGISSEMENT GEOGRAPHIQUE APPROPRIATION PAR LES ACTIFS

DEMOCRATISATION

FEMINISATION

autre critère ? genre ?
(situation familiale…) MASCULINISATION
CSP ?


DEMOCRATISATION (ou absence de)
AU SENS CLASSIQUE, ETROIT
Section 2. L’art lyrique se démocratise

Pour caractériser notre méthode de recherche, il nous faut parler de deux étapes, alliant théorie et pratique :

1° la construction d’un outil méthodologique inédit, propre à nos réflexions (1.Une notion à la loupe);
2° l’application de cet outil aux données rassemblées par nos entretiens au sein des quatre maisons d’opéras sélectionnées dans notre échantillon (2. Le terrain de l’art lyrique).

Au final, on peut parler d’une certaine démocratisation -telle que nous l’entendons- dans la pratique culturelle « art lyrique » (3. Une démocratisation en marche).

1. Une notion à la loupe

Dans l’exploration au cœur de la notion de « démocratisation culturelle », notre construction théorique est partie d’un manque : la difficulté de parler de démocratisation de l’art lyrique, alors que les publics des opéras étaient traversés par de profondes évolutions (rajeunissement, féminisation,…). Ou encore l’incapacité de certaines enquêtes à mettre au jour les évolutions actuelles dans la fréquentation de l’art lyrique (voir deuxième partie).
Répertorier ces évolutions, que nous avons appelées phénomènes évolutifs locaux, et prendre le parti de les faire correspondre à de la démocratisation, de sorte que la démocratisation se retrouve in fine composée de plusieurs évolutions possibles (élargissement géographique, appropriation par les inactifs…), autant de facettes qu’elle laisse voir, autant d’étoiles qui compose sa galaxie, autant de (sous-) objectifs ciblés…
Pour rappel, cette démarche qui consiste à éclater une notion unique en plusieurs sous-phénomènes composites s’appuie sur la forme d’un travail émanant du ministère de la culture, bien que sur le fond, la logique est opposée.
Le travail que nous venons de mentionner est également intéressant pour une seconde raison : il propose un « discours sur ce qui est dit » à propos de la démocratisation culturelle ; un méta-discours. C’est ce débat que nous avons voulu approfondir (Qu’entend-on par démocratisation ? Que recouvre cette notion ?) plutôt qu’un discours que l’on retrouve inévitablement dans toute étude sur la démocratisation : celui des moyens à mettre en œuvre pour (tenter de) démocratiser.
A ce sujet, une multitude de « solutions » sont avancées, autant de recettes à appliquer. Mais les solutions sont-elles universelles ? Chaque maison d’opéra n’est-elle pas particulière dans son histoire, ses publics et les moyens dont elle dispose ? Les contextes différenciés tiennent ici un rôle majeur, mettant un coup d’arrêt à la tentative de donner des leçons de démocratisation.

2. Le terrain de l’art lyrique

Armé de notre construction méthodologique, ou « cadre interprétatif » pour reprendre l’expression de Sylvie Octobre (voir schéma 1. Grille d’analyse théorique servant…), nous avons utilisé les divers phénomènes évolutifs locaux comme indicateurs pour notre grille d’entretiens. Volontairement, le niveau d’analyse local a été privilégié, les entretiens ayant été menés auprès d’établissements lyriques.
Il s’agit de dépasser la seule réflexion théorique, pour aller sur le terrain, là où les évolutions se passent, où des données sont à récolter, où l’observation et le questionnement trouvent leur matière première. Loin de rester au niveau du (méta-) discours. La confrontation au terrain –ici celui de l’art lyrique au sein de maisons d’opéras- est essentielle à nos yeux. Pas de démocratisation en chambre, mais l’expérience du terrain !
Nous avons intégré cette grille d’analyse dans deux thèmes de notre grille d’entretien (voir annexe 1):
les enjeux, en terme d’évolutions possibles de la fréquentation, des actions menées en direction des publics ;
la situation et les évolutions, passées, récentes et souhaitées, des publics au sein de l’Opéra concerné.
Les phénomènes évolutifs qui apparaissent sur notre grille d’analyse ont joué le rôle d’indicateurs, relevés ou proposés. Mais nous étions attentif à toute autre évolution à l’œuvre au sein de l’établissement lyrique.

3. Une démocratisation en marche

Forte d’un modèle théorique, l’application au terrain a livré des données que nous avons exposées tout au long de cette présentation. Couplées aux statistiques existantes sur les publics de l’art lyrique en France, l’ensemble nous permet maintenant de revenir, de façon synthétique, sur le cheminement intellectuel qui sous-tend nos recherches, en apportant des éléments de réponse.

Le public de l’opéra évolue-t-il ?
Oui.
Contrairement aux idées reçues et à l’image d’un public figé.
Les enquêtes quantitatives de fréquentation ont remplacé les représentations mentales, non-fondées scientifiquement (voir première partie, section 2. Publics : vers une connaissance scientifique). Partiellement comparables dans leurs résultats, ces enquêtes ont récemment fait leur apparition sur la scène lyrique française. De plus, des données existent à différents niveaux d’analyse :
local : Marseille (1990), Paris (1999), Avignon (2000), Nancy (2000), Toulouse (2000) ;
national, pratique « art lyrique » : enquête CPDO (2000), enquête RTLF (2001) ;
national, ensemble des pratiques culturelles : Donnat/DEP (1973, 1981, 1989, 1997)
Ces enquêtes mettent au jour des évolutions qui ont traversé ces dernières années les publics de l’art lyrique. Publics ? Au pluriel ? Assurément. Loin de se cantonner à une certaine catégorie de public (ou Public ?) –les plus fidèles, les abonnés…- ces enquêtes prennent en compte l’ensemble des personnes qui passent par la billetterie des équipements lyriques. Ce qui recouvre des catégories différenciées de spectateurs. Plus, au sein d’un même « pratiquant », les habitudes de sorties lyriques évoluent dans le temps (voir première partie, chapitre 2. Pratiquants : du Public au publics).
Reste à détailler ce que recouvre ce constat d’évolution(s) dans les publics de l’art lyrique.

Si oui, comment ?
Pour livrer des résultats relevant des réseaux lyriques (RTLF, CPDO), trois phénomènes évolutifs sont à retenir (voir deuxième partie, chapitre premier. Au cœur de la matière) :
le rajeunissement des publics (de 18 ans en l’espace de 20 ans);
sa féminisation (près de 60% de femmes) ;
l’appropriation par les inactifs (entre 30 et 40%, dont 1/3 d’étudiants).

Ensuite, à une échelle d’analyse plus réduite –celle d’un équipement lyrique- des phénomènes évolutifs locaux apparaissent, qu’ils aient été constatés dans le passé, qu’ils soient en cours, ou qu’ils soient espérés par les établissements lyriques :
accroissement de la fréquentation ;
présence de primo-arrivants ;
fidélisation ;
retour des actifs ;
élargissement géographique ou a contrario ancrage local (comme à Paris).
La différence d’apparition dans le temps de ces évolutions –certaines sont espérées- permettent de dresser des situations différenciées entre les établissements lyriques (voir tableau 12. La fréquentation des équipements lyriques : à une niveau local d’analyse, des situations et préoccupations différenciées).

Peut-on parler, au regard de ces évolutions, de démocratisation ?
Nous le proposons. Au sens que notre construction théorique le défend, et telle qu’elle a été vérifiée par les affirmations recueillies au cours de nos entretiens (voir supra, chapitre 2. Evolutions ou démocratisation ?).
Notre « tentative de réinvestissement » propose, dans l’analyse de résultats d’enquête de fréquentation menées auprès d’équipements culturels (ici lyriques), de constater une « démocratisation » dès lors que, parallèlement à une hausse de la fréquentation, une plus grande pratique de l’opéra par des primo-arrivants d’une catégorie homogène de publics, c’est-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s), est constatée.
La liste des caractéristiques sociales entrant en ligne de compte n’est pas a priori limitée, du moins pas uniquement au critère « CSP de référence ». Ce qui constitue une motivation essentielle de notre démarche, face au constat répété de l’absence de démocratisation de l’art lyrique, alors que de profondes évolutions traversent la composition des publics de cette pratique culturelle.

Dans l’ensemble de cette démarche, c’est le terrain qui a parlé, celui des équipements lyriques fréquentés, et des données recueillies. Et c’est notamment vers une raison pratique -une meilleure analyse des résultats d’enquêtes de fréquentation- que notre proposition est orientée. Pour de nouveaux développements, pour explorer de nouvelles pistes de réflexion, pour aller plus loin dans la logique d’une connaissance efficace et crédible, nous sommes persuadé que c’est encore et toujours le terrain que nous devrons écouter.


Section 3. A l’écoute du terrain

En guise de conclusion, nous reprenons ici quelques recommandations qui nous apparaissent comme essentielles pour approfondir ces présentes recherches, et les insérer dans un champ plus large d’investigations.

1. Continuer à privilégier une échelle d’analyse locale

Nous avons constaté facilement la faible aide des enquêtes nationales regroupant l’ensemble des pratiques culturelles. A l’échelle de la seule pratique « art lyrique », certaines évolutions commençaient à se dégager. Plus, au niveau d’une maison d’opéras, les évolutions -des phénomènes évolutifs locaux- sont constatés aisément (voir 2e partie, chapitre premier. Au cœur de la matière).
Tellement aisément, qu’au final, des différences d’évolutions et de situations fondamentales apparaissent entre les théâtres lyriques. Devant ce constat, il faut donner tout son sens au contexte dans lequel est inséré chaque institution lyrique :
« Il reste à se demander quels pourraient être les grands chantiers que les sciences sociales sont aujourd’hui à même de mettre à jour à propos des offres et des pratiques lyriques. On ne peut qu’appeler de nos vœux le développement d’études sociographiques portant sur les théâtres lyriques en activité, en faisant une fois pour toutes le constat de la stérilité d’études nationales qui confondent, à partir de catégories problématiques, des pratiques réalisées en des contextes culturels très variables. Complétées et enrichies par l’observation des interactions qui construisent l’histoire de chaque scène lyrique, de telles études sont de nature à révéler le jeu social et culturel qui est à leur principe. »

Attacher de l’importance à « l’histoire de chaque scène lyrique », qui sont insérées dans des « contextes culturels très variables », exige de dépasser les propos contenus dans des livres tels que « Hauts lieux musicaux d’Europe », mentionnant, pour un lieu choisi, les grands noms qui y sont attachés (les directeurs, les artistes célèbres…), les événements (incendies, reconstruction…) ou encore les spécificités techniques de la salle (plans à l’appui).
Ainsi, pour l’Opéra de Marseille, tout reste à faire :
« S’il n’est pas possible de se référer à une histoire sociale de l’Opéra de Marseille, c’est parce que l’histoire institutionnelle -qui est à l’histoire événementielle ce que l’histoire culturelle est à l’histoire sociale- a absorbé l’essentiel des efforts d’analyse […] Pour les sciences sociales, l’histoire des théâtres lyriques ne peut que passer par l’analyse comparée de leur existence culturelle […] »

2. Aller au-delà de la démocratisation : la revalorisation du spectateur

Nous avons pris le parti d’approfondir la notion de démocratisation culturelle, avec l’art lyrique comme un terrain hautement intéressant dans cette démarche. Nous sommes arrivé à des résultats pratiques qui concernent l’analyse de groupes de publics, dont les flux servent de données.
Comme pour l’analyse des lieux lyriques, toujours avec cette volonté d’aller au plus près, au plus local, au plus précis et particulier, le spectateur, au singulier, mérite de l’attention de la part des sciences sociales. Inscrit dans une démarche individuelle, le spectateur qui assiste à un événement lyrique le fait avec son passé, son histoire, ses aspirations et son humeur. En renouvelant l’expérience, sa carrière de spectateur s’enrichit –ou en tout cas évolue.
Nous rejoignons ici aussi une proposition du sociologue de la culture précédemment cité :
« Enfin, dans le contexte actuel qui voit se délier les relations entre arts savants et positons sociales dominantes, il convient d’observer de près l’évolution, dans les décennies qui viennent, de la place, du rôle et du statut accordés aux scènes lyriques. Dans une telle perspective, il serait un peu court de ne s’intéresser qu’aux mouvements de « démocratisation » qui affectent la fréquentation des salles lyriques. Il s’agit moins de se demander qui fréquentent ces salles que de comprendre comment se tissent des liens culturels entre une offre, exotique à bien des égards, et des spectateurs ordinaires peu préparés à une telle confrontation. »

3. Suivre la politique culturelle consacrée à l’art lyrique 

Nous ne saurions mener à bien ces recherches sans être très attentif à la politique culturelle déployée pour le secteur de l’art lyrique, aux niveaux locaux, régionaux et national. Ces politiques conditionnent non seulement l’existence des institutions lyriques, mais aussi leur politiques internes, notamment envers les publics.
A l’échelle d’une ville, le directeur de l’établissement lyrique tient compte des orientations voulues par la collectivité locale qui est le principal financeur de l’institution. Marseille veut travailler avec les hôpitaux, Nice veut « attaquer » les étudiants, Lyon souhaite faire profiter les habitants des quartiers proches de son Opéra…
Au niveaux régional et national, la phase de décentralisation lyrique (voir première partie, section 3. Politique : la décentralisation lyrique) réunit l’Etat, les régions, les départements et les villes autour de la définition d’un opéra labellisé « national » en région. Si possible un par région (Lyon pour la région Rhône-Alpes, Montpellier pour la région Languedoc-Roussillon, Bordeaux pour la région Aquitaine). En région Alsace, trois pôles ont été regroupés : Strasbourg, Colmar et Mulhouse. C’est cette formule qui sera retenue en Lorraine, pour le futur opéra « national » alliant les forces vives lyriques de Metz et Nancy.
Mais dans la majorité des régions, le choix n’est pas encore fixé, comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Une région où coexistent quatre établissements lyriques (Avignon, Marseille, Nice et Toulon), en plus des deux festivals estivaux d’envergure internationale : le Festival lyrique d’Aix-en-Provence et les Chorégies d’Orange.

Plus qu’un engagement financier plus conséquent de la part de l’Etat et des collectivités locales autres que la ville, un opéra « national », c’est avant tout un cahier des charges, avec des recommandations de politique culturelle. Dont des incidences sur la politique à mener envers les publics. De là proviennent également les mutations auxquelles sont confrontées les institutions lyriques dans leurs relations entre l’art lyrique et ses publics.







Epilogue










« L
’exigence de la diversité. Raymond Duffaut, conseiller artistique de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, vient de fêter ses 30 ans à la tête de la maison. Il s’est gentiment prêter au jeu des questions/reponses, à l’aube d’une saison riche en creations diverses.
Le Dauphiné libéré : L’Opéra semble bénéficier depuis quelques années d’un rajeunissement du public. A quoi attribuez-vous ce phénomène ?
Raymond Duffaut : « Dans le domaine lyrique, le rajeunissement est important. Depuis les vingt dernières années, le genre a bien changé, notamment du point de vue esthétique, de la mise en lumière, de la mise en scène -depuis que Chereau s’est mêlé du genre- mais surtout les artistes sont devenus crédibles, physiquement en cohérence avec leur rôle. Par ailleurs, nous menons une forte politique d’initiation. Invitation du public aux répétitions générales, des modules de 20 jeunes scolarisés, un travail d’insertion auprès d’un public qui peut assister à la totalité de la création et des répétitions. C’est un travail fondamental. »
Le Dauphiné libéré : Vous parlez volontiers d’un programme pluriel : opéra, mais aussi opérette, danse, concerts et théâtre. C’est important pour vous cette diversité ?
Raymond Duffaut : « […] Le fait qu’un nouveau public passe la porte de l’Opéra-Théâtre pour du théâtre ou tout autre spectacle, ça permet de casser l’image intimidante de l’Opéra. » […]
La Dauphiné libéré : Comment doser les risques d’une programmation de qualité, sans faire fuir les amateurs moins éclairés ?
Raymond Duffaut : « La fréquentation augmente : avec près de 100.000 spectateurs, plus que le nombre d’habitants de cette ville […].













Nous avions entamé ce voyage par une coupure de presse, sur les évolutions qui ont traversé la fréquentation de l’Opéra national de Paris sous le mandat directorial de Hugues Gall (1995-2004). C’est avec un autre article, issu du même quotidien régional à large diffusion que nous souhaitons laisser notre plume se reposer, du moins provisoirement, avant de nouvelles investigations de terrain sur les relations entre l’art lyrique et ses publics. L’occasion de revenir, en forme de bilan provisoire, et en sept points, sur les acquis de la présente recherche.


Les publics de l’art lyrique ont subi ces vingt dernières années un triangle d’évolutions
Rajeunissement (18 ans en l’espace de 20 ans), féminisation (plus de 60% de femmes) et appropriation par les inactifs (entre 30 et 40% des spectateurs, dont 1/3 d’étudiants) sont les trois évolutions majeures constatées par des enquêtes de fréquentation menées auprès des réseaux d’équipements lyriques français.


Enquêtes : des résultats comparables
Ces enquêtes, récentes, offrent l’avantage de la comparabilité dans leurs données brutes. Ainsi, en comparant leurs résultats avec d’autres enquêtes de fréquentation, menées auprès d’établissements lyriques particuliers (Avignon, Marseille, Nancy, Paris, Toulouse), deux situations voient le jour :
soit les évolutions font écho à celles constatées dans toute la France (ainsi le rajeunissement, la féminisation et l’appropriation par les inactifs se retrouvent, dans les mêmes proportions, au sein du seul établissement de l’Opéra de Paris)
soit les évolutions sont différentes selon les maisons d’opéras (par exemple l’origine géographique des spectateurs)
Fréquentation : des phénomènes évolutifs locaux
A l’échelle d’analyse locale, c’est-à-dire celle d’un équipement lyrique particulier, les changements dans l’évolution de la fréquentation sont rapides et diversifiés. Construits à partir de critères sociaux discriminants, ces phénomènes évolutifs locaux (voir schéma 1. p. 90) se nomment :
rajeunissement vs vieillissement (âge)
féminisation vs masculinisation (genre)
appropriation par les inactifs vs appropriation par les actifs (activité professionnelle)
ancrage local vs élargissement géographique (résidence)
…

Opéras : des situations et préoccupations différenciées
Repérés au sein de plusieurs équipements lyriques (comme Strasbourg, Lyon, Marseille et Nice pour notre sélection), les phénomènes évolutifs locaux se retrouvent à divers moments dans l’évolution des publics des maisons d’opéras. Ce sont des objectifs :
résolus ;
ou/et en cours de réalisation ;
ou/et qui restent à accomplir.
De même que chaque salle lyrique s’inscrit dans un contexte historique et social qui lui est propre, chacune d’entre-elles connaît une situation et des préoccupations différenciées quant à l’évolution de ses publics. Repris sous la forme d’un tableau comparatif (voir schéma 2. p.95), les phénomènes évolutifs locaux permettent de dresser une cartographie des évolutions différenciées affectant les maisons d’opéras quant à leur fréquentation.

Publics : des groupes homogènes
« Le » public d’une institution culturelle –entendez l’ensemble des personnes qui la fréquentent- se divise en autant de sous-groupes qu’il existe de critères sociaux pouvant les discriminer : les –26 ans, les hommes, les couples mariés, ceux qui habitent à plus de 10 km, les spectateurs qui amènent leurs enfants avec eux… Autant de groupes homogènes de publics, c’est-à-dire caractérisés par une ou des caractéristique(s) sociale(s) identique(s).
En termes d’évolution de la fréquentation, ce sont précisément les flux de ces divers groupes homogènes qui sont à la base des phénomènes évolutifs locaux. Ainsi, lorsque le groupe « femmes » assiste de plus en plus que le groupe « hommes » aux représentations lyriques, on parle de féminisation.


La démocratisation culturelle comme une plus grande pratique de l’art lyrique par des primo-arrivants d’un groupe homogène de publics, parallèlement à un accroissement de la fréquentation.
Revenons à l’exemple de la féminisation. Nous avons vu que c’est une évolution qui affecte les publics de l’art lyrique. Si plus de femmes fréquentent les maisons d’opéras, alors qu’elles ne le faisaient pas avant, n’est-ce pas en quelque sorte de la démocratisation –entendu comme l’objectif de « rendre accessible au plus grand nombre possible… l’art lyrique » ? Nous le proposons, pour autant que la pratique culturelle connaisse effectivement, au niveau de sa fréquentation globale, un accroissement du nombre de ses « pratiquants ». Après un premier objectif de quantité à vérifier (nombre de visiteurs ou de spectateurs), il s’agit de s’intéresser à la qualité de ces primo-arrivants. Si un groupe homogène de publics monte en force, cela signifie que, d’une certaine manière, la pratique culturelle lui est plus accessible.
Au final, l’ensemble des phénomènes évolutifs locaux sont autant de phénomènes de démocratisation, autant d’étoiles qui composent la galaxie démocratisation (voir schéma 3. p.137).

Pour avoir repéré, au sein des équipements lyriques choisis pour notre enquête bon nombre de phénomènes évolutifs locaux, nous pouvons affirmer que l’art lyrique s’est démocratisé et se démocratise encore.

Maintenant, dans le discours d’analyse des résultats d’enquêtes de fréquentation, formulons le vœux de ne plus avoir peur d’utiliser le mot « démocratisation » dans l’acception, large, que nous proposons. Ainsi, si nous nous étions permis de changer le titre de l’entretien journalistique qui ouvre l’épilogue, nous aurions certainement titré, à la place de « L’exigence de la diversité » : « Une démocratisation en marche ».
En effet, les passages de l’article que nous avons relevés nous indiquent que :
1° la fréquentation augmente (objectif quantitatif) ;
2° de nouveaux spectateurs franchissent les portes de l’Opéra (primo-arrivants) ;
3° ceux-ci font baisser la moyenne d’age (rajeunissement).
Pour nous, il s’agit bien d’un phénomène évolutif qui rempli les conditions précédemment citées pour pouvoir ressortir de la démocratisation culturelle.








Art lyrique : de multiples obstacles
Sur le terrain de l’action, démocratiser l’art lyrique demande de supprimer tous les obstacles qui empêchent la pratique lyrique. Inutiles de recenser ceux-ci de manière exhaustive.
Nos entretiens nous ont alerté sur une situation particulière. Certains obstacles font l’objet de toute l’attention de la part des « services des publics » des salles lyriques : les obstacles que rencontrent les personnes reconnues comme « handicapées » par la société. Ainsi, trois handicapés moteurs peuvent passer par le monte-charges de l’Opéra de Nice, un système d’amplification sonore a fait son apparition à l’Opéra de Lyon, les sourds bénéficient d’actions particulières à Strasbourg, tandis qu’une rampe d’accès à plan incliné a été posée à Avignon.
Mais à côté de ces handicaps, que nous avons qualifiés de socio-classiques, subsistent une multitude d’autres obstacles, que l’évocation d’une sortie lyrique active : manque de connaissances musicales, manque d’argent, manque de temps… Dans une volonté d’un meilleur accès pour tous à la pratique lyrique, ces handicaps socio-latents sont autant d’obstacles à faire sauter, pour lesquels des actions peuvent être menées. Ces handicaps sont des données à prendre en compte d’emblée pour la question du renouvellement des publics. D’autant qu’ils concernent la majorité d’entre-nous : ceux qui ne sont pas déclarés (ou reconnus) comme « handicapés » par la société.

Enfin, parmi ces handicaps socio-latents, le manque de temps en dehors de celui consacré au travail semble être devenu l’obstacle majeur à la fréquentation lyrique, fréquentation composée de 30 à 40 % d’inactifs, professionnellement parlant.
Faire revenir à l’Opéra les personnes au faible capital de temps disponible en dehors du travail constitue le défi actuel auquel sont confrontées les institutions lyriques. La distorsion de pratique lyrique entre groupes homogènes de publics ne se fonde plus principalement sur la catégorie socioprofessionnelle de rattachement, définie par le diptyque capital économique (niveau de revenus) + capital intellectuel (niveau de diplôme).
Naguère, « démocratiser l’art lyrique » signifiait faire venir les catégories de publics aux faibles niveaux de revenus et de diplômes (les publics des CSP peu élevées).
Maintenant, il faut faire revenir à l’Opéra les groupes homogènes de publics au faible capital de temps que leur laisse leur travail. Et cela aussi, c’est un grand défi… de démocratisation.
Bibliographie


Ouvrages

De la méthodologie

BEAUD (Stéphane), WEBER (Florence), Guide de l’enquête de terrain, 2e éd., Paris, La Découverte, 2003, 356 p. (Guides Repères)
BLANCHET (Alain), GOTMAN (Anne), L’enquête et ses méthodes : l’entretien / sous la direction de François de Singly, Paris, Nathan, 1992, 135 p.
DEPELTEAU (François), La démarche d’une recherche en sciences humaines : de la question de départ à la communication des résultats, Bruxelles / Canada, De Boeck Université / Presses de l’Université de Laval, 2000, 417p. (Méthodes en sciences sociales)


Des disciplines

BENHAMOU (Françoise), Economie de la culture, Paris, La Découverte, 2003, 124 p. (Repères)
CAUNE (Jean), Culture et communication : convergences théoriques et lieux de médiation, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1995, 135 p., (La communication en plus)
HEINICH (Nathalie), Sociologie de l’art, Paris, La Découverte, 122 p. (Repères)
MOUCHTOURIS (Antigone), Sociologie du public dans le champ culturel et artistique, Paris, L’Harmattan, 2003, 130 p, (Logiques sociales)


Des pratiques musicales

HENNION (Antoine), MAISONNEUVE (Sophie), GOMART (Emilie) (col.), Figures de l’amateur : formes, objets, pratiques de l’amour de la musique aujourd’hui, Paris, La Documentation française, 2000, 281 p., (Questions de Culture,  Ministère de la culture et de la communication, DEP)



De l’opéra, son histoire et ses problématiques actuelles

BOVIER-LAPIERRE (Bernard), Opéras : faut-il fermer les maisons de plaisir ?, Nancy, PUN, 1988, 170 p.
CHABERT (Chantal), La fin de l’art lyrique en province ?, Paris, L’Harmattan, 2001, 336 p. (Logiques sociales)
PEDLER (Emmanuel), Entendre l’opéra : une sociologie du théâtre lyrique, Paris, L’Harmattan, 2003, 186 p. (Logiques sociales, Musiques et champ social)
ROBERT (Frédéric), L’opéra et l’opéra-comique, Paris, PUF, 1981, 127 p., (Que sais-je ?)
SAINT PULGENT (Maryvonne de), Le syndrome de l’opéra, Paris, Robert Laffont, 1991, 359 p. (Accords)
COSTER (Michel de), « Le statut socio-économique de l’opéra » p. 89-103 in : Les malheurs d’Orphée / sous la direction de Robert Wangermée, Bruxelles/Liège, Ed. Pierre Mardaga, 1990, 427 p. (Création et communication)
DAHAN (Eric), « L’opéra sur un air de crise : interview de Hugues GALL, directeur de l’Opéra de Paris » in : Libération, 28/10/97, p. 33-34
DUPUIS (Xavier), « La gestion des institutions musicales ou comment gérer l’ingérable » p. 25-59 in : Les malheurs d’Orphée / sous la direction de Robert Wangermée, Bruxelles/Liège, Ed. Pierre Mardaga, 1990, 427 p.
PATUREAU (Frédérique), « Le défi opéra » p.313-322 in : Les malheurs d’Orphée / sous la direction de Robert Wangermée, Bruxelles/Liège, Ed. Pierre Mardaga, 1990, 427 p. (Création et communication)


De la démocratisation culturelle

DONNAT (Olivier), Les pratiques culturelles des Français, Paris, La documentation française, 1973-1981-1989-1997
POIRRIER (Philippe), Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles : France XIX-XXe siècles, Paris, La documentation française, 1999, 224 p.
POIRRIER (Philippe), L’Etat et la culture en France au XXe siècle, Paris, Librairie générale française, 2000, 250 p.
URFALINO (Philippe), L’invention de la politique culturelle, Paris, La documentation française, 1996, 361p.
AILLAGON (Jean-Jacques), « Quatre initiatives pour favoriser l’accès de tous aux richesses culturelles de la nation » p. 1 in Discours et communiqués, 19 janvier 2004, www.culture.gouv.fr
DONNAT (Olivier), « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » p.9-20 in Modern & Contemporary France, 02/2003
DONNAT (Olivier), « Les catégories socioprofessionnelles : un outil encore efficace… » p. 27-35 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, La Documentation française, ministère de la Culture et de la Communication, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
GUERRIN (Michel), ROUX (Emmanuel de), « La politique de l’élitisme pour tous dans l’impasse » in : Le Monde, 04/05/02, p. 31
OCTOBRE (Sylvie), « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif » p. 21-25 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, La Documentation française, ministère de la Culture et de la Communication, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
PASSERON (Jean-Claude), « Consommation et réception de la culture : la démocratisation des publics » in Le(s) public(s) de la culture / sous la dir. de Paul Tolila et d’Olivier Donnat, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 390 p.


De la démocratisation à l’opéra

CONSTANT (Anne), « L’exigence de la diversité » in : Le Dauphiné libéré, édition d’Avignon, 06/09/04, p. 5
DARD (Jean-Jacques), « Ils font leurs gammes avec l’orchestre national de Lyon » in : Le Dauphiné libéré : Ardèche méridionale, 31/10/03, p. 2
JACOB (Fabienne), « Opéra, c’est classe » in : Le Monde de l’éducation, décembre 1998, p. 56-57
PILICHOWSKI Hélène, « Une folie devenue ordinaire » in : Le Dauphiné libéré, 26/07/04, 4e de couverture
SAINT-CYR (Sylvie), « Les jeunes publics à l’opéra : l’influence des actions menées en direction des jeunes sur l’institution lyrique et ses publics » in : Les public(s) de la culture / sous la direction d’Olivier Donnat et de Paul Tolila, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 393 p. + cédérom


Des enquêtes en sociologie de l’art et sémiotique

Regards croisés sur les pratiques culturelles / sous la direction d’Olivier Donnat, Paris, La Documentation française, 2003, 348 p., (Questions de Culture,  Ministère de la culture et de la communication, DEP)
FLOCH (Jean-Marie), Sémiotique, marketing et communication : sous les signes, les stratégies, Paris, PUF, 1990, 233 p.

Des résultats d’enquêtes sur l’art lyrique

CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques : synthèse, CPDO, 1999, 8 p.
DOUBLET (Gérard), Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, BDT Editions, 2003, 47 p.
PATUREAU Frédérique, Les pratiquants de l’art lyrique aujourd’hui, Paris, Ed. de la Maison de l’Homme, 1991, 39 p. (Rapports de la recherche, Ministère de la Culture)
DOUBLET (Gérard), « Opéra : nouveau public, nouvelles pratiques » in : Les public(s) de la culture / sous la direction d’Olivier Donnat et de Paul Tolila, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 393 p. + cédérom
PEDLER (Emmanuel), « L’Opéra de Marseille et ses publics » p. 65-69 in : Marseille XXe siècle : un destin culturel / sous la dir. de Mireille Guillet et Claude Galli, Marseille, Via Valeriano, 1995, 303 p.
ROUSSEL (Françoise), « La diversification des publics à l’Opéra national de Paris » p. 55-63 in :  Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, La Documentation française, ministère de la Culture et de la Communication, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
ROUSSEL (Françoise), « L’Observatoire des publics à l’Opéra National de Paris : caractéristiques de la programmation et évolution des profils » in : Les public(s) de la culture / sous la direction d’Olivier Donnat et de Paul Tolila, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, 393 p. + cédérom

Autres

BOURDIEU (Pierre), DARBEL (Alain), SCHNAPPER (D.), L’Amour de l’art : les musées d’art contemporain et leur public, Paris, Editions de Minuit, 1966
LUHAN (Marshal Mac), La Galaxie Gutenberg : la genèse de l’homme typographique / traduit de l’anglais par Jean Paré, Montréal, HMH, 1967, 427 p.
MUXET (Anne), Les étudiants de Sciences Po : leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques, Paris, Editions de Sciences Po, 2004


Documents inédits

BAUCHE (Anne-Charlotte), Opéra-Bastille, opéra populaire ? ou la tentative de démocratisation de l’art lyrique, 107 p. Mém. DESS : Pol. cult. : IEP Grenoble, 1990
GIARDINI (Brice), Culture lyrique et jeune public : « l’expérience marseillaise », 141 p. Mém. DESS : Stratégies du développement culturel : Avignon : 2002
STAGNARO François, Quels publics pour l’opéra ? Une réflexion illustrée par un stage à l’Opéra national de Lyon, 89 p. Mém. DESS : Université de Bourgogne : 1999

Liste des tableaux et schémas



Tableau 1. Financement de l’Etat (ministère de la culture) selon les pratiques culturelles--------------------------------------------------------------------------------- p.42
Tableau 2. Subventions de l’Etat accordées aux théâtres lyriques de la Réunion des Théâtres lyriques de France------------------------------------------------------------- p.48
Tableau 3. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours des 12 derniers mois (en %)…----------------------------------------------------------------------------- p.62
Tableau 4. Proportion de Français de + de 15 ans qui sont allés au cours de la vie (en %)…--------------------------------------------------------------------------------------- p.63
Tableau 5. Opéras, théâtres nationaux et compagnies chorégraphiques labellisées : nombre de spectacles, nombre de représentations, nombre de spectateurs--------- p.64
Tableau 6. Publics d’opéras : âge moyen---------------------------------------------- p.66
Tableau 7. Publics d’opéras : proportion de femmes--------------------------------- p.67
Tableau 8. Publics d’opéras : proportion d’inactifs------------------------------------ p.68
Tableau 9. Rajeunissement, féminisation et appropriation par les inactifs dans les institutions lyriques françaises---------------------------------------------------------- p.70
Tableau 10. Origine géographique des spectateurs d’opéras : Paris, Nancy, Toulouse, Avignon--------------------------------------------------------------------------------- p.70-71
Tableau 11. Les catégories socio-professionnelles (CSP) telles que définies par l’INSEE depuis 1982---------------------------------------------------------------------------- p.118


Schéma 1. Grille d’analyse théorique servant l’étude des évolutions dans la fréquentation des équipements culturels--------------------------------------------- p. 90
Schéma 2. La fréquentation des équipements lyriques : à un niveau d’analyse local, des situations et préoccupations différenciées-------------------------------------------- p.99
Schéma 3. La galaxie démocratisation---------------------------------------------- p.137



Annexes



Annexe 1 : Entretiens avec des Responsables de services des publics au sein d’opéras - grille d’entretien----------------------------------------------------------- p. 159

Annexe 2 : Entretien avec M. Hervé Petit, responsable du service « Jeune public » de l’Opéra du Rhin --------------------------------------------------------------------- p. 162

Annexe 3 : Entretien avec MM. Laurent Vieille et Pierre-Henri Alquier, co-responsables du service « Relation avec le public » de l’Opéra de Lyon------------- p. 169

Annexe 4 : Entretien avec M. Guillaume Schmitt, responsable du service « Action culturelle et sociale » de l’Opéra de Marseille------------------------------------------ p. 177

Annexe 5 : Entretien avec Mme Anne Jouy-Pignard, responsable du service « Animation culturelle et sociale » de l’Opéra de Nice--------------------------------- p. 182

ANNEXE 1 : Entretiens avec des Responsables de services des publics au sein d’opéras - grille d’entretien



[re] = relance

Consigne initiale

« L’Opéra de… [préciser] dispose d’un service… [dénomination précise], dont vous êtes le responsable. Le service met en place différentes actions avec différents publics de l’Opéra de… Pouvez-vous, brièvement, citez ces différentes actions ?

[prendre note, quelques mots par action]
[Pour la rapidité du tour d’horizon, prévoir des relances du type :]
[re]  Donc une première action qui consiste à … [préciser]
[re]  Et ensuite ?


Les enjeux de l’actionhypothèse 1

Quel est le but de ces actions ? [reprendre une par une si nécessaire]

[re] : accroître la fréquentation de l’Opéra de… ?
[re] : fidéliser les publics en place ?
[re] : accueillir, pour une première fois, de nouveaux spectateurs ?
[re] : fidéliser ces nouveaux publics ?
[re] : faire venir de nouvelles catégories ? par rapport à l’âge, le genre, le lieu de résidence, l’activité ou la non-activité professionnelle, la situation familiale ?
[re] : faire en sorte que des catégories sociales moins représentées soient plus présentes ?






Les publics de cette institution lyrique 
situation(1) - évolutions passées(2) - évolutions récentes(3) - défis futurs (4)hypothèse 1
(1) Que peut-on dire de la composition actuelle du public de l’Opéra de… ?
[composition du public, non ses goûts, habitudes, comportements]
[orienter la discussion vers des catégories sociales, non par ex. sur le fait qu’il y ait x% d’abonnés)

(2) Le public d’aujourd’hui est-il différent de celui d’avant ?
[rester dans les catégories sociales, non par ex. sur le fait qu’il soit plus informé, plus bruyant, …]

(3) L’Opéra de… mesure-t-il l’évolution de ses publics ?
[si OUI] Depuis quand ? Comment ? Avez-vous connaissance de résultats récents ?
[si NON] Selon vous, peut-on observer des changements récents (dans la composition du public) ?
[re] : de nouvelles catégories de public ont-elles fait leur apparition / se sont renforcées ?
[Ces changements sont-ils liés au statut de « national » accordé à l’Opéra de… [Lyon et Rhin] ?

(4) L’Opéra de… est-il satisfait de la composition de son public actuel ?
[à nouveau, parler de la composition du public, non par ex. du taux de fréquentation]

[re] : Au-delà des actions que vous menez actuellement, quels sont les prochains défis ?
[re] : Sur quelle(s) catégorie(s) doit-on concentrer les efforts ?
[re] : Quelles actions ciblées seraient les bienvenues ?
[re] : Quel(s) type(s) de publics devraient-on inviter à découvrir l’opéra ?

La notion de démocratisationhypothèse 2
[à la suite de l’évocation par l’interviewé d’un phénomène d’évolution du public]
Peut-on parler de « démocratisation » pour l’évolution que vous venez de mentionner ?
[re] :  Pour vous, quels objectifs peut-on mettre derrière l’expression «démocratisation culturelle» ?

Peut-on parler de démocratisation quand on observe un accroissement des entrées, par le fait que de nouvelles personnes franchissent pour la première fois les portes de l’Opéra?
[re] : Si c’est « oui, mais pas n’importe quelles personnes », demandez de précisez leurs caractéristiques sociales (PCS ? revenus ? diplôme ? âge ? genre ? résidence ? activité ? situation familiale ?)

Hypothèse1












indicateurs
Au-delà du constat de non-démocratisation, effectué au niveau national par la fréquentation de l’ensemble des équipements culturels de toutes les disciplines, la question de la situation et de l’évolution, passée et future, de la composition des publics au sein d’un équipement culturel rend compte d’une multitude de phénomènes.

Le bilan national français de la politique de démocratisation de la culture, portant sur un ensemble de pratiques culturelles lissées pour les besoins de la statistique, met au jour une inégalité dans le recrutement social des pratiquants.
Les résultats font apparaître une non-évolution de la composition sociale des pratiquants de la culture, alors qu’une classe stagnante de non-public, socialement typée, ne fréquentent pas les équipements culturels.
Par composition sociale, on retient ici une trilogie de critères : PCS - niveau d’études – niveau de revenus. Renvoyée à ces trois critères, la démocratisation culturelle prend un sens étroit.

A plus petite échelle, au niveau d’une pratique culturelle, l’analyse est plus fine.
Les résultats d’une enquête nationale au sein d’une pratique culturelle – l’art lyrique – montre que parler de démocratisation dans le sens étroit évoqué plus haut ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des évolutions à l’œuvre quant aux publics de l’opéra.

Une multitude de phénomènes sont observables :
l’accroissement de la fréquentation
l’intensification par les publics en place
la présence de primo-arrivants / le renouvellement du public
la fidélisation des primo-arrivants
…
Certaines évolutions renvoient à des critères sociaux mesurables, autres que la trilogie, tels que :
l’âge : rajeunissement vs vieillissement
le genre : féminisation vs masculinisation
l’inactivité professionnelle : appropriation par les inactifs (retraités / étudiants / chômeurs)
D’autres résultats et réflexions montrent que la liste est ouverte, et donc à compléter :
la situation familiale : appropriation par les célibataires / les couples
le lieu de résidence : ancrage local (voire hyper-local), ouverture au public international
…

Et si justement, en passant à une échelle encore plus réduite, à savoir au niveau d’une institution lyrique, ces phénomènes, ou d’autres, apparaîtraient plus clairement. Qu’ils cesseraient d’être non-observés, marginaux, car fondus, à une échelle d’analyse plus grande, dans des enquêtes globalisantes ? Deux raisons le laissent penser.
Premièrement, la taille plus réduite de la population de base servant aux enquêtes – locales – permet, comme on l’a vu en se déplaçant du niveau des pratiques au niveau d’une pratique, que certaines évolutions dans la composition des publics soient plus apparentes.
Deuxièmement, chaque maison d’opéra ayant une histoire culturelle particulière, on pourrait supposer qu’elle mobilise des publics bien particuliers, avec des évolutions particulières.


Hypothèse 2




indicateurs
Dans quelle mesure peut-on, au regard des phénomènes observés localement, parler de démocratisation ?
Certains phénomènes observés au niveau de l’évolution de la composition sociale du public d’un équipement culturel peuvent être qualifiés de démocratisation, car ils correspondent, parallèlement à une hausse de la fréquentation, à une plus grande pratique de l’opéra par des primo-arrivants d’une catégorie homogène de publics, c’est-à-dire caractérisée par une ou plusieurs caractéristique(s) sociale(s) identique(s).

accroissement de la fréquentation
+ qui est dû à l’arrivée de primo-arrivants (renouvellement)
+ par des personnes d’une catégorie socialement définie par une caractéristique sociale identique suivante : PCS, niveau d’études, niveau de revenus mais aussi âge, genre, lieu de résidence, (in)activité professionnelle, situation familiale, … (plus d’autres à découvrir ?)
ANNEXE 2 : Entretien avec M. Hervé Petit, responsable du service « Jeune public » de l’Opéra du Rhin
Opéra de Strasbourg, lundi 8 mars 2004, 14h30-15h30

Hervé Petit :  En fait, l’Opéra national du Rhin fédère trois villes (Strasbourg, Mulhouse et Colmar), et existe depuis maintenant 31 ans. Je sais pas si vous savez déjà ça… 

Pierre Jamar : Oui, j’ai déjà un peu défriché le terrain. J’ai préparé quelques questions à vous poser. L’Opéra du Rhin dispose d’un service « Jeune public », dont vous êtes le responsable. Le service met en place différentes actions avec différents publics de l’Opéra du Rhin. Pouvez-vous me citez ces différentes actions ? Sans rentrer dans les détails, ce serait intéressant d’avoir une sorte de panel des actions.

H.P. : Je vous explique le principe de base, principe qui figure dans notre plaquette : jusqu’à présent, on se base sur… Jusqu’à présent, car le département « jeune public » va être restructuré, il y a des choses nouvelles qui vont se faire, choses nouvelles qui seront là quand la personne qui va être nommée sera en place. Ce sera certainement le développement de projets artistiques assez ambitieux avec des jeunes, pour des jeunes. Des choses qui n’existaient pas vraiment, en tout cas pas initiées pas l’Opéra jusqu’à présent.
L’idée, c’est que les personnes, les interlocuteurs… Je ne vais pas dire les enseignants parce que ce ne sont pas exclusivement des enseignants ; je suis arrivé ici, bien que pas révolutionnaire mais aussi pour apporter des choses. On travaillait beaucoup avec les collèges, avec les lycées, et j’avais envie de travailler aussi avec les primaires, avec les maternelles, c’est-à-dire commencer vraiment très jeune. Mon passé d’instituteur a facilité les choses, je connaissais un petit peu le milieu, je connaissais des gens aussi. Après, on fait aussi à la base avec des gens qu’on connaît…

P.J. : Donc plutôt des plus petits ?

H.P. : Oui, plutôt des plus petits. Mais le département jeune public, aujourd’hui, met en place des actions de 3 jusqu’à presque 30 ans.

P.J. : Avec les étudiants…

H.P. : Avec les étudiants aussi. Evidemment, on agit pas de la même manière, même si le principe de base, c’est que, à un moment ou à un autre, les jeunes –pour prendre le terme générique- soient en proie avec ce qu’on fabrique, nous, c’est-à-dire du spectacle vivant. Voilà.

P.J. : Et finalement, quel est le but ? Si on résume un peu tout ça, vous venez de dire « être en proie avec le spectacle vivant ». Mais si on parle en termes de fréquentation, c’est peut-être d’accroître la fréquentation ?

H.P. : Oui, et préparer le public de demain. Faut pas rêver, sur une classe de trente élèves, s’il y en a trois qui continuent à venir régulièrement, on est content, s’il y en a dix qui viennent sporadiquement, on est très content, et s’il y a les trente qui demandent à revenir, c’est la fête au village ! Et figurez-vous qu’il y a des choses qui se passent comme ça...
Je vais revenir quand même au principe de base. Après, c’est qu’on essaye de travailler chaque fois avec les capacités des gens, avec les possibilités des gens d’aborder l’opéra, qui ne sont pas automatiquement la musique – à la base, même s’il faut y venir à un moment ou à un autre ; on fait de l’opéra, donc à un moment ou à un autre, on en a besoin – mais ça peut être un professeur d’art plastique. Les arts plastiques sont mis à contribution dans des projets : construction de décors, confection de costumes… On a la chance dans cet opéra de fabriquer une production du début à la fin. Et souvent, j’ai l’habitude de donner la plaquette. Pour moi, c’est déjà un instrument pédagogique déjà. On commence souvent par la fin de la plaquette en disant : « Ecoutez, on est près de 250 à se décarcasser pour que ça marche ». Et dans ces 250, il y a évidemment des chanteurs, mais il y a derrière…

P.J. : …des musiciens…

H .P. : …des musiciens, des gens qui vont créer des décors, des gens qui vont construire les décors : menuisier, serrurier, métallier…

P.J. : C’est vrai que c’est toujours impressionnant de voir le nombre de personnes qui travaillent dans un opéra.

H.P. : Et ça, ce n’est pas le cas de tous les opéras. C’est une chance qu’on a. Parce qu’il y a des opéra qui sont incapables –parce qu’ils n’ont pas des ateliers- de faire de la production. Donc ça, pour nous, c’est une chance aussi de pouvoir accrocher les gens par ce biais-là. A la fin, ils vont arriver quand même… c’est toujours important de savoir que quand on crée un opéra, parce qu’ils vont travailler -ou aborder l’opéra- sur une production, qu’ils vont venir voir –ça, c’est important, aussi… C’est important qu’ils viennent voir le spectacle, pas pour remplir une salle –parce qu’une place qu’on vend aujourd’hui au tarif scolaire de 11 euros, on peut la vendre plus que deux fois le double… On pourra revenir sur la politique tarifaire, mais déjà… Alors 50% de réduction pour les moins de 26 ans, c’est la politique tarifaire de base. Ensuite, on a là-dessus encore de tarifs spéciaux qui sont proposés aux détenteurs de « Cartes culture », et de cartes « Atout voir », qui sont des cartes, je pense, assez spécifiques à l’Alsace.

P.J. : J’en ai entendu parler…

H.P. : On a des places de 5,5 euros avec cette « Carte culture » et cette carte « Atout voir ». Ensuite, on a ce que nous appelons les tarifs scolaires, qui sont en fait des tarifs pour les groupes scolaires au tarif à l’unité de 11 euros. Tarifs qui sont encore « discountés » par rapport aux 50 %. Ce sont des places de catégories 2 et 3, des bonnes places, qui valent plus que deux fois 11 euros ; qui valent 30 ou 40 euros. C’es un effort supplémentaire qu’on fait pour proposer des places tout à fait correctes à des tarifs « défiant toute concurrence ».

P.J. : Finalement, un des objectifs est de faire venir, pour la première fois, des personnes qui n’étaient jamais venues…

H.P. : Ou de maintenir aussi une habitude qu’ils ont prises. Si c’est faire un coup comme ça, c’est bien, mais…

P.J. : Derrière, il y a aussi peut-être la fidélisation ?

H.P. : Voilà. L’idée, c’est que les jeunes aient envie de revenir, qu’il y aient des projets qui se montent aussi avec les meneurs de projets, et qu’on arrive comme ça à renouveler la chose. « Je suis allé à l’Opéra, j’ai vu Traviata, voilà ». Si c’est la seule expérience de l’opéra, c’est bien, c’est toujours mieux que rien, mais c’est quand même mieux de dire qu’il y a autre chose que Traviata. C’est quand même intéressant de dire qu’on fait du ballet ; c’est un des aspects de l’opéra et de la vie de l’opéra.

P.J. : J’avais une question sur le public actuel de l’Opéra de Strasbourg. Finalement, si on prend la composition du public actuel, entre jeunes-moins jeunes, homme-femmes, y a-t-il des caractéristiques un peu particulières ?

H.P. : Je sais pas, on n’a pas de statistiques à ce niveau-là, mais on arrive à près de 20% de jeunes, c’est-à-dire de moins de 26 ans. Ce qui est énorme.

P.J. : Et en termes de catégories sociales ?

H.P. : C’est peut-être un peu plus délicat. D’autant plus que dans une classe [scolaire], si vous voulez, vous avez des classes qui sont très bigarrées. On ne sait jamais bien. Dans certains établissements, vous avez des publics extrêmement mélangés, du point de vue des origines sociales. Je crois pas qu’on ait des statistiques à ce niveau-là, car ça obligerait à faire une enquête…

P.J. : Je parlais au niveau général, de tout le public.

H.P. : Au niveau de tout le public, je pense que c’est un public qui est relativement populaire, au sens large du terme. C’est-à-dire qu’on a effectivement des gens qui ont des sous, et qui viennent à l’opéra dans la tradition de l’opéra, mais on a aussi un public de classes moyennes. Faudrait peut-être en discuter avec Catherine Grasser (responsable de la billetterie). On ira la voir tout à l’heure. Peut-être qu’elle a des choses plus tangibles. Moi je n’ai peut-être pas tous les éléments non plus, elle doit certainement être pressée de demandes dans ce sens-là.

P.J. : Oui, il y a des choses intéressantes à voir. Concernant la fréquentation de l’opéra, si je prend le cas d’Avignon, on sait que 70% des spectateurs viennent de l’extérieur de la Ville et de l’Agglomération, sachant qu’Avignon est aux confins de plusieurs Départements et de deux Régions. Il y a, au niveau d’un opéra, des évolutions intéressantes à constater. Peut-être que le public a fort changé ? Le public d’avant était peut-être plus différent ?

H.P. : Qu’entendez-vous par « avant » ? Avant quoi ?

P.J. : Quand je dis « avant », je veux dire « il y a très longtemps ».

H.P. : Ecoutez, c’est pas difficile. La création de ce département « jeune public », il y a une douzaine d’années maintenant, est intervenue au moment où on s’est rendu compte que les salles se vidaient, qu’il y avait une tradition de l’opéra ici, qu’on héritait presque des sièges de ses parents. Il y avait une vraie tradition qui est, on peut le dire, une tradition assez bourgeoise. Et on s’est rendu compte que ça se vidait. Plus de jeunes. Donc objectif, si vous voulez… la première chose, regardez, c’est ça là-haut [en désignant une petite affiche, 15x15 cm, écrite en blanc sur fond noir : « Ringard ? bourge ? élitiste ? toujours plein ? trop cher ? Mon œil, moi, j’y vais ! L’Opéra du Rhin »]. C’est un tract qui a été édité avec la volonté de lutter contre tous les préjugés. On a fait une enquête pour savoir ce qu’on pensait de l’opéra. Et voilà ce qui en est ressorti.

P.J. : L’Opéra mesure-t-il, au jour le jour, sa fréquentation, par un suivi de billetterie par exemple ?

H.P. : Peut-être pas au jour le jour, mais oui, on fait des statistiques. Je vous présenterai tout à l’heure à Catherine Grasser.

P.J. : Le département « jeune public » existe déjà depuis 10-12 ans, c’est ça ?

H.P. : Il y a eu une vraie politique: aller au devant des gens, aller voir les professeurs et engendrer des collaborations.

P.J. Donc beaucoup d’évolutions ?

H.P. : C’est clair. Vingt pour cent [de jeunes], ça ne s’invente pas d’un jour à l’autre. C’est tout un travail de fond, qui va être de toute manière poursuivi. On va continuer à travailler, notamment avec les enseignants, parce qu’ils sont à la base du jeune public, parce que c’est peut-être plus facile aussi de travailler avec une classe sur un projet. De manière individuelle, c’est toujours un petit peu plus difficile. Ce qui est intéressant pour une classe, c’est de la faire sortir de son milieu, pour pouvoir étudier des choses par le biais de la découverte de l’art lyrique.

P.J. : Souvent, les classes sont invitées à aller visiter des musées…

H.P. : Pas automatiquement. Les musées, c’est pareil ! Ils ont vraiment une politique en direction des jeunes.

P.J. : A-t-on en projet d’élargir l’action actuelle, centrée sur les jeunes publics, à d’autres groupes structurés, par exemple les associations ou le troisième âge ?

H.P. : Tout à fait. Mais ça se fait de manière ponctuelle. Pour l’instant, on a pas mal de choses à goupiller avec les jeunes, en sachant qu’on essaye aussi de diversifier les actions, c’est-à-dire d’essayer de sortir uniquement de ce principe de travail avec les écoles. J’ai essayé d’initier des collaborations avec des centres socio-culturels, qui permettent de toucher un autre public que celui des écoles. La réaction de ces jeunes est différente.
Prenons maintenant l’exemple d’une chorale qui touche aussi bien les jeunes que les adultes: on va se retrouver à la fois avec des adultes et des enfants. C’est une mixité, un mélange intéressant.

P.J. : Pour la suite, y a-t-il des défis pressants ? Vous parliez des centres sociaux, donc finalement de certaines catégories sur lesquelles il faut se concentrer. D’autres catégories également ? D’autres groupes homogènes ? Comme par exemple le public qui habite relativement loin ?

H.P. : Sur ce dernier point, on a développé une vraie politique: ce qu’on appelle les « abonnés-bus ». C’est vraiment une expérience unique, il me semble, en France. On organise des bus qui vont chercher les gens chez eux, dans les villages. Pour les matinées, le samedi après-midi ou le dimanche. Ce qui permet à des gens qui ont des problèmes de déplacement –souvent des vieilles personnes, qui n’ont pas le permis de conduire ou qui ne peuvent plus conduire...

P.J. : Donc un public qui vient de loin, qui ne serait peut-être pas venu sans cette opération.

H.P. : Tout à fait. C’est une vraie politique. C’est donner la possibilité pratique aux gens de venir à l’opéra.

P.J. : On touche là un public potentiel, qui ne serait pas venu pour cause de contrainte matérielle.

H.P. : Tout à fait. On a parlé des étudiants. Avec eux, c’est un peu difficile de constituer des groupes, exception faite des étudiants qui sont dans des écoles, dans des domaines plus spécifiques. Exemple : l’Ecole des arts décoratifs à Strasbourg. Ce matin, on avait 20-25 élèves qui sont venus faire une visite… enfin pas vraiment une visite… de l’opéra. Ils sont venus avec un professeur qui travaille avec eux sur « la couleur ». Le professeur, peintre d’une grande sensibilité, a proposé de commencer par faire une étude dans la salle : ils sont venus avec leur craies grasses, leurs crayons,... faire des croquis, des dessins. C’est une première démarche.
Ensuite, il y a une démarche en route : un projet de grande fresque, que je souhaiterais voir se réaliser avec tous les étudiants. C’est un exemple de projet très pratique, qui comprend une corrélation très facile à faire entre le travail des ateliers de peinture et le travail de ces étudiants avec la couleur.
On travaille aussi avec des sections scénographiques, notamment à l’Ecole des arts décoratifs. Ou encore une section didactique, qui est en train de constituer une valise pédagogique autour de la construction des décors à l’Opéra du Rhin. Ils découvrent, eux, l’opéra, à travers la construction d’un objet dans le cadre de leur formation professionnelle. Ils se destinent à créer des objets didactiques. Pour la plupart, ces étudiants ne sont jamais venus à l’opéra. La démarche est double : ils vont produire quelque chose pour l ‘opéra, et en même temps, ils découvrent l’opéra.
Ensuite, à l’Université Marc Bloch, on a des étudiants en études théâtrales. Le responsable de cette section a souhaité travailler avec l’opéra. Cette année, on a imaginé qu’ils viendraient voir trois spectacles et une pièce de ballet, qu’on leur fasse visiter les locaux, qu’on leur fasse rencontrer un metteur en scène, qu’on leur fasse visiter l’expo qui est à côté. Ce sont là des choses très particulières.
Maintenant, pour le « quidam moyen », c’est–à-dire l’étudiant en droit, bio, siences po, il n’y a pas de raison a priori d’aller voir ces étudiants… je veux dire de raison directement liée à l’activité de l’opéra. Il faut leur faire découvrir l’opéra de manière empirique. Pour ça, on va trouver une technique : on fait comme les fauves qui vont manger leurs proies là où les animaux vont boire. Nous, on va les chercher là où ils vont manger. On va dans des restaurants universitaires pour passer des moments d’échanges avec les étudiants. On s’installe, et souvent, pour motiver les troupes et entrer en contact, on organise un jeu avec possibilité de gagner des places. Ainsi, on va offrir 100 places pour la générale. Il fallait qu’ils fassent la démarche d’aller chercher la place dans un autre endroit, et on en a quand même eu 90 sur les 100 qui sont venus. Ce qui est énorme. Quand on donne des places aux gens, ils les jettent parfois à la poubelle. Si ça les intéresse pas, ça ne les intéresse pas. C’était également le fruit de notre discussion. J’ai répété plusieurs fois la même chose : « C’est un opéra de… opéra romantique qui raconte ceci…qui…etc... Est-ce que vous êtes déjà venu à l’opéra ? Que pensez-vous de l’opéra… ». Ensuite, il y avait vraiment un moment intéressant, au sortir du restaurant, où on s’est retrouvé en groupe très restreint. En résumé, il faut vraiment aller chercher les gens. C’est une vraie démarche.
Ensuite, concernant le ballet, il y a des répétitions publiques à l’Université. Ca permet à des étudiants d’aller assister à une répétition ou démonstration de danse. Au début, on allait chercher les gens. Maintenant, on affiche systématiquement complet. Ce sont des dynamiques sur lesquelles on rebondi. Une fois que le feu est allumé, on l’entretient. C’est-à-dire qu’on y va pas une fois comme ça, pour faire dans le symbolique ; on offre des possibilités d’accrocher la dynamique, il faut après l’entretenir.

P.J. : Le fait que l’Opéra du Rhin bénéficie du label « national » favorise-t-il ce type d’actions, d’ouverture vers l’extérieur, de partenariats, de mise en place de dynamiques ?

H.P. : Oui, parce que ça fait partie du cahier de charges d’un Opéra national. Il y a des moyens. Je ne fais pas les comptes, mais ça fait partie de la « charte ».
Mais il y a d’autres opéras qui font des actions et qui ne sont pas nationaux. Toulouse n’est pas national, mais ils ont un service pédagogique très développé.

P.J. : Vous avez parlé de « renouvellement », que les actions ont permis de « renouveler » la fréquentation de l’opéra. Qu’elles avaient été mises en place suite au constat que les salles lyriques se vidaient. Peut-on parler de « démocratisation » ?

H.P. : Oui, carrément. Tout à fait, et je pense que c’est particulièrement le cas en Alsace. D’abord grâce à la politique tarifaire, qui est vraiment exceptionnelle. L’opéra ici, ce n’est vraiment pas cher. Je constate que c’est un public, je vous l’ai dit, assez populaire, au sens large.

P.J. : Par le fait d’avoir fait venir, par exemple, les jeunes en plus grand nombre qu’auparavant, peut-on dire que l’opéra s’est démocratisé ?

H.P. : Bien sûr, absolument. Je ne vais pas vous dire le contraire, où voulez-vous en venir ?

P.J. : On raisonne parfois seulement à partir des classes sociales, comme par exemple « la grande bourgeoisie », et que l’opéra s’est « popularisé ».

H.P. : Quand je parle de public populaire, j’entends un public extrêmement varié. Ce n’est pas le « bas peuple », la  « France d’en bas ». Quand je dis populaire, c’est populaire au sens large, c’est-à-dire qu’on a des gens qui ont des sous, qui vont à l’opéra, qui sont amateurs d’opéra, ou qui ne sont pas amateurs d’opéra, mais qui vont pour la place ; et d’autres personnes qui, automatiquement, ne seraient pas allés à l’opéra, mais qui y vont.

P.J. : Parce qu’ils ont vu le tract ?

H.P. : Parce qu’aussi, ils ont fait leurs calculs, et qui se rendent compte que par un abonnement, le prix du spectacle ne coûte pas très cher. Je vous parle en termes de généralités. En discuter avec Catherine Grasser serait vraiment intéressant.

P.J. : Ainsi, on élargit la palette des spectateurs, on s’ouvre à d’autres catégories, qui n’avaient pas la possibilité…

H.P. : Exactement.

P.J. : Les handicapés peut-être ?

H.P. : Oui, les sourds par exemple. En tous cas, On a travaillé avec des enfants qui ont des difficultés auditives profondes.

ANNEXE 3 : Entretien avec MM. Laurent Vieille et Pierre-Henri Alquier, co-responsables du service « Relation avec le public » de l’Opéra de Lyon
Opéra de Lyon, mardi 16 mars 2004, 14h45-16h00

Pierre Jamar : Quelles sont, à l’Opéra de Lyon les différentes actions mises en place en direction du public ?

Laurent Vieille : A l’Opéra de Lyon, on a différents programmes. Un premier s’appelle « Lycéens à l’Opéra », financé et mis en place par la Région Rhône-Alpes, et qui concerne 3000 lycéens chaque année. Ils viennent assister à une représentation d’opéra ou de ballet, gratuitement. Pour les groupes qui sont accompagnés par les professeurs, ces derniers sont préparés par une action pédagogique. On a une personne, Hélène Sauvez, qui s’occupe de cette action pédagogique, qui les reçoit en une fois dans le cadre d’une conférence pédagogique, avec des maîtres d’œuvres de l’Opéra.

Pierre-Henri Alquier : C’est une journée entière, sur un aspect musicologique, un aspect « mise en scène », un aspect historique. Par exemple sur la danse, il s’agira de replacer le ballet qui sera joué dans l’histoire de la danse. On se concentre ensuite autour du chorégraphe et de ses influences. Ensuite, on rencontre le chorégraphe, on rencontre son costumier, ou quelqu’un qui va travailler sur la production.

L.V. : Ce sont donc chaque année 3000 jeunes qui sont placés dans les meilleures conditions possible, avec des places de 1ère catégorie, pour l’instant au parterre. C’est un effort énorme.
A côté de cela, on a tout un tas de représentations scolaires : 14000 scolaires.

P-H. A. : Les scolaires -par « scolaires », on entend les primaires et les collégiens- sont conviés à un spectacle qui leur est réservé, un après-midi pendant le temps scolaire. Les lycéens sont des jeunes qui vont venir pendant les soirées tout-public. Car un des buts recherchés par le projet est de mélanger les jeunes dans un public lambda. On leur montre qu’ils ont aussi leur place parmi ce public. C’est aussi une façon de montrer au public lambda que les jeunes ont leur place à l’opéra. C’est une espèce de transversalité.
Ces spectacles-là sont préparés par les enseignants à l’issue également d’une conférence pédagogique, qui est organisée en partenariat avec l’IUFM. Ce sont des enseignants en musique et des musiciens intervenants qui préparent les enseignants. Ces préparations pédagogiques sont parfois suivies de formations dans les écoles, avec des musiciens ou danseurs-intervenants. Ce sont souvent des projets qui s’inscrivent dans le cadre de « classes APAC » (classe à projet artistique et culturel).

L.V. : Ces scolaires sont payantes (5 euros) et les enseignants ne payent pas. 

P.J. : En dehors du public scolaire, y a-t-il des actions envers d’autres publics ?

L.V. : La grosse priorité, depuis quelques années, c’est le jeune public. Une fois que celui-ci a bénéficié de ces différents programmes, il faut continuer à les faire venir. Donc on les intéresse en leur proposant des places à 8 euros, quelle que soit la catégorie de place que l’on attribue, dans le respect d’un certain quota sur l’année.

P.J. Avec plus de demandes que de places disponibles ?

L.V. : Il y a énormément de demandes. Près de 6000 personnes cette année.

P.J. : Peut-on parler de stratégie à long terme ?

L.V. : Le gros problème de l’opéra, c’est que le public est assez âgé. On sait qu’on a un grand déficit de public dans la tranche d’âge 35-50. Quand les jeunes ne bénéficient plus de tarifs spécifiques, au-delà de 28 ans, et jusqu’à 40-45 ans, ce sont des gens qui ne viennent pas beaucoup à l’opéra. C’est une classe d’âge sous-représentée par rapport à la population globale. On a beaucoup plus de retraités et de « seniors-actifs » (au-delà de 50-55 ans, et encore actifs).
Face à ce constat, le plus simple aujourd’hui, c’est de former les plus jeunes, qui petit à petit vont se déplacer dans les classes d’âge. Après, on a un autre angle d’attaque, c’est de faire venir ces gens-là. On travaille un peu au coup par coup. On s’intéresse notamment aux nouveaux-arrivants dans la ville de Lyon. En général, ce sont des gens assez jeunes, de jeunes professionnels, actifs.

P.H. A. : Il s’agit d’un fichier qu’on achète à la Poste, qui nous livre les adresses de tous les gens qui viennent d’arriver dans une zone qu’on définit. Ca représente environ 10000 personnes sur l’année, à qui on fait une proposition de venir à l’Opéra.

L.V. : On a un autre angle d’attaque pour ces gens qui finalement sont, pour certains, des parents. On peut considérer, pour certains, qu’ils ont des enfants déjà indépendants. Cette charge financière qui disparaît permet de faire une démarche d’achat sur quelque chose qui n’apparaît pas comme essentiel : les spectacles.
On a une démarche envers les familles, avec des tarifs pour les familles. On a, cette année, une formule d’abonnement qui s’adresse aux moins de 16 ans : l’adulte achète un abonnement, le jeune bénéficie du même abonnement pour la moitié du prix. On a déjà une décote de 30% (abonnement), en plus 50% là-dessus (offre famille), ça fait plus ou moins 70%.

P.J. : Ou alors faire venir les parents avec les enfants ?

L.V. : C’est quelque chose qui a été mis en place l’année dernière : une dizaine d’ateliers sur l’ensemble de l’année. Le principe est de prendre en charge les enfants pendant 2-3 heures par des ateliers, pendant que leurs parents assistent à un spectacle dans la grande salle. L’atelier –ludique et didactique- permet aux enfants de préparer un petit spectacle qu’ils présenteront à leurs parents. C’est les former à ce qu’est l’opéra, c’est qu’est la danse, d’une façon intéressante.
Et en parallèle, on a aussi la programmation d’un spectacle pour enfants.

P.J. : Le but est de faire venir plus de monde à l’opéra ?

L.V. : Le problème est que si on veut faire venir plus de monde, il faut avoir plus de représentations. Et ça, avec le budget d’un opéra comme celui de Lyon, c’est pas vraiment possible. Chaque représentation supplémentaire est déficitaire.

P.H. A. : On fera l’année prochaine des séries un peu plus longues sur des spectacles qu’on sait très attendus.

P.J. Finalement, le but est de faire découvrir l’opéra, faire venir pour la première fois des gens qui n’y sont jamais venus, que ce soit les jeunes ou les autres ?

P.H. A. : C’est évident.

P.J. Evident…

L.V. : C’est une bonne question sur laquelle on n’est même pas tous d’accord en interne. Le fait de faire venir quelqu’un qui n’est jamais venu à l’opéra, qui ne connaît rien à la musique classique, ce n’est pas évident. Il faut le faire sur une œuvre assez « accessible ». Eviter que quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds dans un opéra, vienne assister à un spectacle qui le rebute à vie. Ce qui est possible…

P.H. A. : De toute façon, on a une offre de spectacles, et on ne peut pas interdire, aux gens qui veulent « goûter », l’entrée à un spectacle qui a priori nous semble difficile pour lui. On a un rôle de conseil. Les gens de la location sont là pour conseiller les gens. Mais on interdit pas.

L.V. : Cette année, on a même pas vraiment une œuvre très accessible. Il y a eu Fidelio, et même Fidelio c’est pas si simple. Et il y a un élément sur lequel on a pas de prise : la mise en scène.

P.J. : Sur le public actuel de l’Opéra de Lyon, vous disiez qu’il est assez âgé. Mais y a-t-il d’autres caractéristiques que vous pouvez dégager ?

L.V. : En moyenne, il est à la fois dans les tranches d’âge supérieures, et quand même très présent chez les moins de 30 ans.
L’autre caractéristique majeure, c’est qu’on est un opéra national, avec des spectacles d’envergure internationale. Par contre, en termes de public, c’est presque le contraire.

P.J. : C’est à dire ?

L.V. : On a un public qui est avant tout originaire du Département du Rhône, globalement de la Région Rhône-Alpes, et le public de « l’étranger » (hors Département et Région) est très marginal.

P.J. : Y a-t-il aussi un public très local ?

L.V. : De toute la grande ceinture du Grand Lyon. Il constitue la grosse majorité du public.

P.J. : Un public féminin ?

L.V. : En opéra, il est toujours plus féminin qu’en danse. En général, les femmes sont génératrices d’achats, en danse ou en opéra.

P.J. : Elles achètent pour toute la famille…

L.V. : C’est ça, oui.

P.J. : Le public de maintenant est-il fort différent d’avant ?

L.V. : Avant quand ?

P.J. : Je dirais « il y a assez longtemps ».

L.V. : Je ne suis pas depuis assez longtemps dans ce milieu pour pouvoir répondre à cette question. Mais, je pense qu’il est clair qu’il y a vraiment une grande évolution par rapport à il y a 10-15 ans. A l’époque, la majeure partie du public était constituée d’abonnés, comme c’est encore le cas à Genève, comme c’était encore le cas au Théâtre des Célestins il y a 3-4 ans. Et là les abonnés ont été mis dehors, pour ne plus qu’on donne systématiquement les nouvelles places aux abonnés qui étaient là depuis 20 ou 40 ans. Ce qui se fait à Lyon depuis beaucoup plus longtemps.

P.J. : L’Opéra de Lyon mesure-t-il régulièrement l’évolution de ses publics ? Y a-t-il des enquêtes régulières ? Un suivi de billetterie ?

P.H. A. : Un suivi de billetterie, oui.

L.V. : Des enquêtes statistiques, on a commencé à en faire il y a deux ans. Grâce au logiciel que l’on a aujourd’hui, qui est devenu depuis quelques semaines vraiment performant, on va pouvoir sortir des statistiques. Tant qu’on a pas un outil comme celui-là, c’est extrêmement difficile à faire. Aujourd’hui, on a la possibilité de le faire.

P.J. : Pas de contrats de recherche ?

L.V. : Il y a eu une étude effectuée par IPSOS il y 3-4 ans. Mais ce genre d’études est toujours très générique, pas très fine.

P.J. : Quels sont les résultats fournis par le logiciel de suivi de la fréquentation ?

L.V. : On est en train de travailler là-dessus. Un travail d’analyse sur les deux saisons précédentes est en cours. Dans l’état actuel des choses, c’est trop tôt de donner des informations précises. On a des grandes impressions, des tendances…

P.J. : Le public évolue ou pas ?

L.V. : Au niveau des jeunes, au niveau des abonnés aussi. En fonction des formules d’abonnements qu’on propose, en fonction des avantages qu’on donne, on gagne ou on perd très vite des abonnés… L’année dernière, on en a perdu beaucoup très vite. En raison de l’augmentation tarifaire, en raison de moins de souplesse, de programmation différente. A cause de formules trop rigides. Cela représente environ 1000-1200 abonnés qui se sont détournés vers les formules de billetterie, ou qui ne sont plus venus.
Les paramètres sont toujours tellement globaux qu’il est très difficile de dire : « On a pris une décision, on a perdu tant d’abonnés ».

P.J. : Vous disiez que l’Opéra de Lyon a du mal à attirer un public lointain, plus éloigné…

L.V. : Le public le plus présent est celui de Rhône-Alpes, Lyon et ses alentours, puis de Grenoble. C’est évident qu’avec les infrastructures routières -on est à 1h15 de Grenoble, à 3/4h de Bourg-en-Bresse- c’est facile de venir passer une soirée à l’Opéra de Lyon.
Ensuite, on a la Drôme, ensuite seulement la Savoie et la Haute-Savoie, et en queue de peloton l’Ardèche.

P.J. : L’Opéra du Rhin a mis en place des circuits de bus pour un « ramassage-opéra », qui passait par tous les villages aux alentours.

L.V. : On a fait le test sur des spectacles de danse. Sur le trajet du TGV Méditerranée actuel. On avait arrosé sur Avignon, Nîmes, Aix-en-Provence, Montpellier et Marseille. En se concentrant sur les étudiants en Ecoles de danse, Conservatoires,… avec un tarif groupé « bus+spectacle » à 20-25 euros, ce qui est vraiment pas cher. Ce qui n’a pas marché… C’est une clientèle jeune, qui n’a pas forcément l’argent en plus, très sollicitée et qui a du mal à se projeter aussi. Et si, sur place, on a pas de relais hyper-motivé pour « faire de retap’ », ça marche pas.

P.J. : Y a-t-il d’autres besoins pressants au niveau des publics ? Un public à accrocher ?

L.V. : Il y a une action qui a été engagée par la nouvelle direction. Cet opéra avait un gros problème dû à son architecture : le bâtiment donne vraiment l’impression d’être fermé, pas très convivial du fait de la couleur, de l’architecture intérieure, et fermé sur lui-même. On essaye d’en faire un bâtiment ouvert sur l’extérieur.
C’est notamment l’objet d’une sorte de grande « Journée portes ouvertes » qu’on a fait au mois de mai, pour faire venir le « tout-public », pour leur faire découvrir le bâtiment et ce qu’on y propose. Ca a donné l’objet aussi à l’ouverture d’un bar, sous la billetterie, qui a marché pendant tout l’été. Cette opération-là va être reconduite.

P.H. A. : On a proposé tous les jours des concerts gratuits.

L.V. : Une chose dont on n’a pas parlé : on a animé, pendant trois années de suite, des présentations de la saison dans toute la région. Il s’agissait d’une vidéoconférence. L’intérêt est de susciter l’envie. On s’est rendu compte que ça a eu beaucoup du mal à décoller la première année : les journalistes ne s’y intéressaient pas du tout, le public n’ont plus. Mais c’est devenu très intéressant maintenant : 100-150 personnes à chaque réunion.

P.J. : Qu’entendez-vous par « faire venir le tout-public » ?

L.V. : Le non-public aussi ! C’est-à-dire faire venir les Lyonnais, les gens des alentours, des grandes villes.

P.H. A. : Il y a une grande demande des gens, qui ne fréquentent pas le lieu pour venir voir les spectacles, mais qui souhaite le découvrir. A l’occasion des « Journées du patrimoine » par exemple, on reçoit entre 7000 et 9000 personnes. S’il n’y avait pas la queue à l’entrée, on aurait encore 2000 personnes de plus. C’est un bâtiment qui intrigue, et qui a besoin d’être expliqué, présenté. C’est déjà une première démarche de faire venir les gens, même s’ils ne voient pas de spectacle : les décomplexer par rapport au lieu, leur montrer que c’est un lieu qui est accessible, qui a du sens.
L’autre intérêt est de présenter les métiers de l’opéra. Il y a un tas de corps de métiers qui sont assez obscurs pour les gens ; les gens ne savent pas ce qu’on fait. Il y a souvent des réflexions qui sous-entendent qu’un spectacle, ça se monte tout seul. Il y a une espèce d’incompréhension. Ils ne comprennent pas qu’on doit répéter pendant un mois par exemple pour aboutir à un spectacle. Faire entrer les gens, leur montrer dans quelles conditions les gens travaillent, leur montrer quels sont les corps de métiers, leur montrer qu’un spectacle, ce sont des heures de répétitions, des décors qui se construisent, etc. C’est expliquer, faire comprendre, toucher du doigt l’intérêt du spectacle vivant.
On leur explique aussi la philosophie du travail, à quoi sert l’opéra. Sans être philosophe, mais c’est important que les gens comprennent que venir à l’opéra, ça a encore du sens aujourd’hui. On peut faire des mises en scènes intéressantes qui donnent du sens à la vie. C’est une démarche humaniste.

P.J. : Finalement, peut-on parler de « démocratisation » ?

L.V. : C’est une question qui n’est pas évidente, car je vais donner mon avis, tu vas donner le tiens, et une troisième personne aura encore un avis différent là-dessus. On peut parler de « démocratisation », dans le sens où l’opéra est accessible aujourd’hui à des gens qui ne sont pas forcément très fortunés, qui ne sont pas forcément « fan » de musique classique ou contemporaine, avec des offres tarifaires qui sont intéressantes, et qui rendent l’opéra attractif à toutes les bourses. Et puis, avec des œuvres qui sont accessibles. Chaque année, on a une œuvre qui est plus accessible que les autres.

P.J. : Démocratiser renvoie au « coût » ?

L.V. : Sachant que nous, on ne peut faire plus d’efforts au niveau du coût. On a des places à 5 euros, des places à 8 euros, donc c’est vraiment accessible à tous.
Maintenant, il ne faut pas aller trop loin non plus. On a un peu tendance dans le milieu de l’opéra à penser qu’on peut remplir les salles avec des gens qui n’ont ni les moyens, ni la connaissance, ni l’attrait de la musique classique.

P.J. : L’opéra, ça demande une « initiation »….

L.V. : C’est à peu près ça, oui. Autant venir une fois pour découvrir le genre, c’est faisable, c’est assez facile. Autant pour apprécier l’opéra, pour venir régulièrement, ça demande un apprentissage qui est long et qu’il est préférable de faire par étapes. J’ai fait moi-même l’expérience, quand j’étais plus jeune, d’aller tout de suite voir une œuvre de Wagner : je suis parti...

P.H. A. : C’est vrai que ça demande un apprentissage et un investissement personnel.

L.V. : Une chose sur laquelle on peut s’appuyer, c’est que dans le cinéma ou la publicité, on utilise beaucoup la musique classique. On a un grand nombre de spectateurs potentiels qui ont été formés à la musique classique par ça, et uniquement par ça. C’est-à-dire que pour eux, c’est la mélodie. L’opéra, ce n’est pas que la mélodie. Donc les faire venir sur une œuvre facile au niveau musical, et après les faire venir sur quelque chose de plus compliqué.

P.H. A. : Parce que l’opéra est un spectacle total. Parfois, on vend les spectacles sur un metteur en scène vraiment très célèbre dont on connaît le travail. Mais on les vend plutôt sur la musique, alors que c’est un spectacle total, que c’est aussi de la danse, des costumes.

L.V. : L’année prochaine, on aura La Flûte. Le problème avec un opéra comme La Flûte enchantée, c’est que tout le monde veut le voir.

P.J. : De la même façon que tous les metteurs en scène veulent la mettre en scène…

L.V. : Et là, en partie, c’est une œuvre exceptionnelle pour faire venir un nouveau public. Qui est complètement néophyte. On ne peut pas réserver des salles que pour le nouveau public, comme il ne faut pas réserver toutes les salles aux gens qui adorent l’opéra, et qui viennent voir La Flûte parce qu’ils connaissent le répertoire. Il y a assez l’occasion de voir La Flûte enchantée partout.

P.H. A. : C’est pour ça qu’on la met dans une formule d’abonnement réservée, et dans une seule, qui est l’abonnement « opéras ». On a une autre formule dans laquelle on va la vendre, mais en priorité de réservation. Finalement, ça revient presque à réserver de la place pour des gens qui viendraient l’écouter une fois.

P.J. : Ce n’est plus ici une question d’argent. C’est de se dire qu’on veut faire venir des personnes qui ne sont jamais venues.

L.V. : C’est pour ça que pour un spectacle comme ça, dans nos prévisions, on se doute que l’aspect financier ne sera pas un obstacle. Parce que si on veut voir un seul opéra dans sa vie, celui-là sera a priori dans les cinq qu’on choisira.

P.J. : Travaillez-vous avec les personnes handicapées ?

P.H. A. : Il y a des actions qui sont menées par Hélène Sauvez, et on a aussi 8 places qui sont réservées dans la salle pour les handicapés en fauteuil [handicapés moteurs], 1er série moitié prix (40 euros). Avec également ce tarif pour l’accompagnateur. C’est une démarche envers eux, mais qui n’a pas beaucoup de succès. Il y a quelques habitués, qui viennent souvent. L’année dernière, la durée des spectacles était un frein. On a aussi des places réservées aux non-voyants dans la salle. Il y a aussi un système qui permet d’amplifier les sons.

P.J. : Avant, ces personnes-là, étaient refoulées des salles d’opéras. Et maintenant, ils ont accès aux salles.

P.H. A. : Il y a un accueil particulier.

L.V. : Et pour les enfants, les demandes de structures scolaires ou associatives bénéficient d’une étude privilégiée pour assister à des spectacles scolaires pendant le temps scolaire. Et on a, sur la quasi-totalité des spectacles scolaires, des écoles d’enfants handicapés.

ANNEXE 4 : Entretien avec M. Guillaume Schmitt, responsable du service « Action culturelle et sociale » de l’Opéra de Marseille
Opéra de Marseille, mercredi 24 mars 2004, 14h35-15h30


Pierre Jamar : M. Schmitt, vous êtes responsable du service « Action culturelle et sociale » de l’Opéra de Marseille. C’est un poste que vous avez créé ici ?

Guillaume Schmitt : En 1998, un nouveau Directeur arrive à l’Opéra de Marseille, et il souhaite développer un programme pour le jeune public. Il m’a proposé de prendre en charge le développement de ce programme, et c’est ensemble que nous avons monté un programme qui correspond un peu à « Dix mois d’école et d’opéra » à Paris.
C’est un programme qui s’articule autour de trois axes : l’axe culturel, professionnel et social.
L’axe culturel, c’est permettre à des jeunes de découvrir un opéra, un ouvrage lyrique, en les invitant à participer à des générales, sur lesquelles ils travaillent.
L’axe social, c’est monter la cohésion du groupe, les 350 personnes qui travaillent à l’opéra, qui travaillent ensemble pour créer un opéra.
L’axe professionnel, c’est la découverte des différents corps de métiers –40 corps de métiers différents- dans le cadre de 10 ateliers-découvertes : 2 concerts, un d’orchestre et de chœurs, l’atelier technique, l’atelier couture, …
Les établissements sont choisis en début d’année scolaire. Il y a un projet qui part par courrier électronique aux établissements scolaires de l’Inspection académique du Rectorat. Les établissements intéressés montent un projet par rapport au dossier que nous avons communiqué en amont aux instances de l’Inspection académique. Ces projets sont ensuite étudiés par une commission interne Education nationale. Deuxième commission : Opéra de Marseille+Académie. Cette année, nous avons eu 8 établissements scolaires.

P.J. : Quels sont les buts de cette action ?

G.S. : Cela renvoie aux trois axes : faire découvrir une culture différente aux jeunes de nos jours, leur montrer que Marseille a toujours eu une position importante d’Opéra populaire. A une certaine époque, c’étaient les parents et grands-parents qui amenaient leurs enfants et petits-enfants à l’opéra, pour leur faire découvrir cet art. C’est tombé un peu en désuétude. C’est pourquoi nous, mission de service public, avons pris la relève pour les amener à découvrir l’opéra.

P.J. : Est-ce que ça se traduit en termes de fréquentation ?

G.S. : Pour l’instant non. Nous accueillons des jeunes de la primaire à l’université (l’IUFM), mais nous n’avons pas assez de recul pour savoir si notre politique se traduit déjà en termes de fréquentation.

P.J. : N’y a-t-il pas une politique plus globale qui concernent les étudiants ? Au niveau tarifaire, au niveau des abonnements, qui inciteraient à les faire venir.

G.S. : Concernant les étudiants, on mène une action en étroite collaboration avec la Caisse des dépôts et consignation, qui s’appelle « Campus en Musique », qui permet à des étudiants de la Faculté Marseille II (Médecine, Sciences) de découvrir l’Orchestre philharmonique de Marseille. Nous donnons deux concerts dans deux sites universitaires. Ensuite, les étudiants sont invités à venir à l’opéra pour découvrir la musique dans le cadre d’une générale de concert. Et là, ça fonctionne très bien : nous avons eu la semaine dernière 1400 jeunes.

P.J. : Gratuitement ?

G.S. : Oui, gratuitement. Ils s’étaient intéressés à notre politique, avaient demandé des brochures, et certains sont venus ensuite pour assister à des spectacles.

P.J. : Pour approfondir la notion de « service public », que vous avez mentionnée dans le sens d’une correction d’un déséquilibre par rapport aux nouvelles générations, n’y a-t-il pas également un déséquilibre au niveau social, qui demanderait à ce qu’on amène à l’opéra certaines catégories sociales qui n’y sont pas présentes ? Ou d’amener un public plus éloigné ?

G.S. : Notre politique est de toucher tous les jeunes, qu’ils soient issus des quartiers favorisés ou défavorisés, d’écoles privées ou publiques. Ne pas laissez sur le carreau les jeunes dits « favorisés » parce qu’ils sont dans des écoles privées, sinon il y a une pénurie de culture dans les écoles privées. Et ce n’est pas parce que les parents ont de l’argent qu’ils ont automatiquement accès à la culture.
Mais c’est vrai qu’il y a un axe qui est plus fort sur des quartiers défavorisés, comme les collèges ou établissements situés en Zone d’éducation prioritaire (ZEP). Cette année, nous travaillons avec des une section de jeunes en grande difficulté scolaire et familiale. L’essentiel, c’est de permettre l’ouverture au plus grand nombre de l’opéra. Mais ce n’est pas un aspect aussi clairement défini comme à l’Opéra de Paris, où le programme d’actions ne concerne que le public défavorisé.

P.J. : Si j’ai bien compris, avec les établissements scolaires, il s’agit d’un partenariat sur le long terme, sur toute l’année…

G.S. : Sur toute l’année scolaire. Les jeunes viennent un fois par mois à l’opéra. Et en fin d’année, il y a une Soirée de Gala à l’opéra, au cours de laquelle ils présentent leurs ouvrages qu’ils ont créés. Soit ils montent une chorégraphie, avec une de nos danseuses-étoiles, ou une mise en scène. Ce n’est donc pas une action de « saupoudrage », où on se dit qu’on fait venir les jeunes parce que ça fait bien pour la presse qui va en parler. Non. L’action a lieu sur de long terme, sur une année scolaire, où on pénètre réellement l’opéra, et on découvre un lieu de travail.

P.J. : Connaît-on le public de l’opéra de Marseille ? A-t-il des caractéristiques un peu particulières ?

G.S. : Marseille, c’est un public de classe moyenne, classe supérieure, de professions libérales…

P.J. : Est-ce mesuré statistiquement ?

G.S. : Il n’y a pas de statistiques. On va peut-être mettre en place un système de suivi de billetterie, où on demandera la catégorie socio-professionnelle des clients.

P.J. : Si on s’attache à d’autres critères que la catégorie socio-professionnelle, bien que très intéressante. Je pense par exemple au genre (M/F), le lieu de résidence…

G.S. : …l’âge… Le lieu de résidence, ce serait prioritairement Marseille, pour plus de 90%.

P.J. : L’Opéra de Marseille est-il satisfait de son public actuel ?

G.S. : Il souhaiterait rajeunir le public ; c’est une politique de la maison, qui permet de cibler surtout les jeunes et étudiants.

P.J. : Pas d’autres défis ? Par exemple faire venir un public plus éloigné ?

G.S. : Pour l’instant, c’est surtout une politique en direction des jeunes qui rentrent dans la vie active. Oui, ça ferait plaisir qu’il y ait des Parisiens qui viennent voir les spectacles.

P.J. : Peut-être pas de si loin… de la Région PACA déjà…

G.S. : De la Région, il y en a. Mais c’est vrai qu’il y a un Opéra en Avignon, il y a un Opéra à Toulon, des Festivals à Aix-en-Provence et à Orange…

P.J. : Beaucoup (trop) « d’inactifs », retraités ou étudiants ? 

G.S. : Les étudiants, ça commence, surtout pour les concerts symphoniques…

P.J. : …suite à « Campus en Musique » ?

G.S. : Je ne sais pas s’il y a un effet « Campus en Musique », mais il y des jeunes qui viennent pour des concerts symphoniques et pour certains opéras en fonction de la programmation. Il y a des tarifs préférentiels pour le jeune public et pour les personnes âgées.
Donc on essaye vraiment d’ouvrir l’opéra au plus grand nombre.

P.J. : Pas de problème à long terme ?

G.S. : Nous menons les actions pour faire venir, dans le futur, le maximum possible de jeunes. Nous semons pour l’avenir.

P.J. : Le meilleur résultat n’est-t-il pas, non seulement de donner l’envie, de faire découvrir, mais aussi de faire franchir, pour la première fois, les portes de l’opéra.

G.S. : Tout à fait, que ça les marque à vie, et puis qu’ils reviennent. Bien qu’au début, ils appréhendaient cette expérience.

P.J. : Vous disiez que l’Opéra est populaire…

G.S. : C’est qu’à l’origine, l’opéra est populaire ; l’art lyrique est un art populaire, qui s’est embourgeoisé d’une certaine manière, et qui est devenu réservé à une élite. Ce n’est pas le cas de l’Opéra de Marseille, où est ouvert à tous. C’est vrai que quand on prend l’Opéra de Monte-Carle, c’est réservé à une élite. Et c’est dans l’imaginaire que l’opéra est un lieu réservé, inaccessible. Et c’est ce que les jeunes nous disent, au début. Par contre, à la fin de leur parcours à l’Opéra, c’est pour eux un lieu qui se fond à leurs valeurs, et c’est chez eux.

P.J. : Ils s’approprient ce lieu…

G.S. : Oui, facilement, malgré les a priori de départ.

P.J. : J’en reviens à la fréquentation : peu de données sur le public de l’Opéra de Marseille…

G.S. : J’ai fait tirer quelque chose, mais il n’y a pas d’études, à ma connaissance, de faite sur le public de l’Opéra de Marseille. Par rapport à l’origine géographique : 60% de Marseille, 28% des Bouches-du-Rhône hors Marseille, 10% d’ailleurs.

P.J. : L’Opéra est-il un art qui s’est démocratisé ?

G.S. : Nous essayons de la démocratiser au maximum. On ne fait pas de programmation spécifique « jeune public » ; les jeunes viennent découvrir la programmation classique de l’opéra, et pour eux, c’est une programmation tout à fait accessible. Ils travaillent sur Le Vaisseau fantôme, Carmen. Et par notre politique tarifaire, l’opéra est accessible au plus grand nombre : de 8 à 50 euros la place.

P.J. : Quand on dit que « les jeunes viennent », est-ce de la démocratisation ?

G.S. : Oui, c’est de leur montrer que l’opéra est accessible. C’est permettre au plus grand nombre d’avoir accès à ce lieu. C’est de ne pas être là avec des images figées, « l’opéra réservé à une élite », la crainte ensuite d’y accéder, la peur de franchir la porte.

P.J. : Le public handicapé a-t-il accès à l’opéra ?

G.S. : Tout à fait.

P.J. : Vous travaillez avec des hôpitaux ?

G.S. : On travaille avec des personnes hospitalisées, avec des services de gériatrie. Très peu d’associations s’occupent des personnes âgées. Nous donnons des concerts avec des artistes de l’Opéra de Marseille (trois l’année dernière). Et ça se passe très très bien.

P.J. : Constate-t-on une augmentation des ventes de places ?

G.S. : Cela dépend des ouvrages. Mais l’Opéra de Marseille remplit bien ses salles.

P.J. : Donc finalement le problème n’est pas quantitatif…

G.S. : De toute manière l’opéra ; je pense que c’est une carte facile à vendre… Nous avons une jauge de 1832 places.

P.J. : Je voudrais revenir à un des problèmes du public de l’opéra : le renouvellement. En termes d’âge, c’est peut-être un public vieillissant ? Le but des actions menées ici est de faire découvrir l’opéra aux jeunes. Le service ne voudrait-il pas aller plus loin ? Je ne suis bien entendu pas là en tant que directeur du service, qui donnerait ici des indications, mais ne faudrait-il pas travailler pour que les jeunes, par eux-mêmes, viennent à l’opéra, éventuellement accompagnés de leurs parents ?

G.S. : Nous avons une action avec le Conseil général : « Latitude 13 ». Ce sont des chéquiers de tickets d’entrée à des spectacles vivants : des chèques pour venir pour 2 euros à l’opéra, au théâtre, au cinéma, ainsi que des chèques-accompagnateurs, qui leur permet de venir avec un ou deux parents. C’est très intéressant…

P.J. : Je suis d’avis…

G.S. : Les inviter eux-mêmes à faire la démarche.

P.J. : Vous êtes seul à animer « l’Action culturelle »

G.S. : Je suis aidé par un chorégraphe, un assistant mise en scène, un pianiste et un professeur de danse. Et tous les personnels de la maison d’opéra s’investissent dans le cadre des ateliers-découvertes.
ANNEXE 4 : Entretien avec Mme Anne Jouy-Pignard, responsable du service « Animation culturelle et sociale » de l’Opéra de Nice
Opéra de Nice, jeudi 25 mars 2004, 9h40-10h45


Pierre Jamar : L’Opéra de Nice travaille, pour ce qui concerne votre service, autour d’opéras pour enfants, c’est bien ça ?

Anne Jouy-Pignard : Il se trouve que pour le moment, j’ai en préparation deux opéras pour enfants (Le Petit ramoneur, de Benjamin Britten et Brundibar) réalisés avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignation. Ces deux opéras avaient été montés il y a un et deux ans, mais beaucoup d’enfants ne l’avaient pas vu. Beaucoup d’enseignants dont on avait pas retenu la demande, parce que évidemment, il n’y avait plus de places. Donc on s’est dit qu’on allait les reprogrammer tous les deux cette année. Chacun choisit le sien. Et ça nous permettra, l’an prochain, toujours avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations, de monter un autre ouvrage, une production, une création mondiale.
Dans le prochain, qui s’appellera, sous réserve, Le Chemin des abeilles, le livret a été écrit avec les enfants de deux classes de ZEP, deux classes défavorisées de l’ouest de Nice. Ce sont des enfants de CM1, ils ont commencé à travailler là-dessus l’an dernier, en mai, quand ils étaient en CE2. Donc ce scénario, ce livret, avec Sugeeta Fribourg. C’est fait avec beaucoup de difficultés quand même de leur part, mais elle venait en stage pendant huit jours tous les mois, et ça a fait un travail extraordinaire, parce que les enfants ont fait un bond en français, en expression, en réflexion –parce que souvent, c’est comme pour la télé, on regarde puis on absorbe sans se poser de questions. Là, ils ont réfléchi et ont créé –certes quelque chose de pauvre- mais on essaye au fur et à mesure de les accompagner, d’enrichir leur vocabulaire. Sugeeta est passée derrière quand même, elle prenait les réflexions des enfants, le travail des enfants, et elle a enfin fait un livret qui se tient. On a un compositeur, Pierre Thilloy. Le tout, on devrait l’avoir en septembre. A ce moment-là, je pense que je vais demander à toutes les classes qui vont participer à cet opéra d’imaginer les décors : des maquettes plates, mais avec les dimensions de la scène. On avait déjà fait l’expérience il y a quelques temps, avec Hansel et Graetel, et ça a donné des choses absolument merveilleuses, surtout avec les maternelles. Les décors avaient été directement reproduits à l’échelle par les gens de la Diacosmie (l’atelier de production des décors). Ca, on ne pouvait pas le faire faire par les enfants, parce qu’on ne pouvait pas utiliser de peintures, de toxines. Mais les enfants ont vraiment retrouvé leurs décors.

P.J. : Les enfants vont-ils eux mêmes participer à la représentation de l’opéra, en tant qu’acteurs ?

A.J.-P. : Les deux classes qui ont écrit le livret vont aussi participer sur scène. Les classes qui sont dans la salle auront des chants communs avec la scène, et ne seront donc plus seulement en tant que spectateurs, mais acteurs aussi. On donne aux enseignants une cassette, une partition, quelques fois, dans certains cas, des étudiants de l’IUFM viennent dans les classes pour les aider, mais le principe c’est que l’enseignant retrousse ses manches et travaille, soit actif. Le côté décoration, ils sont toujours d’accord de faire des affiches… Tout ce qui est plastique, ça marche toujours. Mais tout ce qui est musical, c’est plus difficile. Ca marche.

P.J. : De manière plus générale, quels sont les buts de ces actions. On a parlé de faire participer les enfants. Mais par rapport à l’Opéra, au lieu, au bâtiment, à la fréquentation : est-ce de les faire venir par eux-mêmes, plus tard.

A.J.-P. : Je ne sais pas. Bien sûr, l’objectif officiel est de faire découvrir l’opéra pour qu’ils deviennent spectateurs plus tard. Honnêtement, j’y crois pas tellement. Puis je pense que tout est élément de découverte, de culture. C’est leur culture, c’est leur patrimoine. Et ça, on tient vraiment à le faire découvrir. Après, si ça marche, tant mieux, et si ça marche moins, c’est pas grave. Mais il y a une petite graine qui est plantée. S’il y a suffisamment d’arrosage…

P.J. : Travaillez-vous avec des jeunes « plus âgés » ?

A.J.-P. : On a parlé des 5-10 ans. Demain, j’ai deux concerts de chœur, avec plutôt les 10-15 ans : les grands de primaire et les collèges. Après, il y a des pré-générales pour les lycées et les étudiants. Dons il y a quand même une continuité. Pour les étudiants, la Caisse des dépôts et consignations revient sur le tapis parce qu’elle soutient les concerts « Campus en Musique », qui est une « appellation contrôlée ». Il y en a à Marseille aussi.

P. J. : Y a-t-il des offres tarifaires particulières, pour les étudiants par exemple ?

A.J.-P. : Ca, je ne m’en occupe pas trop, c’est pas mon domaine, moi, c’est tout ce qui est gratuit !

P. J. : Sachant qu’on leur apporte la musique sur le campus, essaye-t-on de les faire venir à l’Opéra ?

A.J.-P. : Je crois qu’il y a des prix… il y a 10% évidemment pour les étudiants, mais c’est pas grand chose. Mais à côté de ça, il faut dire aussi qu’il n’y a pas que des places à 150 euros… il y a la paradis, avec des places absolument pas cher. Donc là ça va.

P.J. : Pas de places debout, comme dans les maisons opéras de tradition germanique ?

A.J.-P. : Si, il y a une rangée de places debout avec une petite estrade, mais c’est juste une rangée. Avec, en revanche, pas mal de places assises devant, ce qui est un peu gênant, mais il y a l’atmosphère… J’y ai été lorsque j’étais étudiante, c’était très familial. Et je pense, mais j’en suis pas sûr, le jour-même du concert, s’il reste des places, elles sont bradées à 50%. Pour les concerts et les ballets, je pense. 

P.J. : Pour parler du public actuel de l’Opéra de Nice, le connaît-on ? A-t-on des données ? De grandes tendances ?

A.J.-P. : Assez âgé, relativement âgé, nanti, abonné sur l’année.

P.J. : C’est un public local ?

A.J.-P. : Oui, mais ça va jusqu’en Italie. Evidemment, il y a Monte-Carle, avec une grosse demande sur un certain nombre de choses, et puis des Ballets superbes. Mais sinon, il y a quand même des gens qui viennent d’autres pays.

P.J. : Et vers l’ouest, du côté de Cannes ?

A.J.-P. : Après, c’est Toulon, c’est loin. Cannes bien sûr.

P.J. : Vous êtes là depuis 1992. Remarque-t-on des évolutions ?

A.J.-P. : Je remonterais plus loin. Je me souviens de l’époque où [Pierre] Médecin était directeur artistique ici [à partir de 1982], et c’est vrai qu’il a réussi à constituer un public pour Wagner. Ce qui était pas évident, car on est plus italien ici. Tout ce qui est italien, ça marche. Avant Paul-Emile Fourny [le directeur actuel], on a eu un Italien. Donc il a vraiment « balancé » beaucoup d’ouvrages italiens. Paul-Emile Fourny a l’air de vouloir faire des choses différentes, qui ne plaisent pas forcément au public, qui boude un petit peu, une première fois, mais c’est bien, il faut bouger.

P.J. : Y a-t-il une ouverture aux personnes handicapées ?

A.J.-P. : On n’a pas eu d’ouverture au public handicapé l’an dernier. Cette année, Paul-Emile Fourny voulait privilégier le public étudiant.

P.J. : Mais un handicapé moteur peut-il rentrer à l’Opéra de Nice avec son fauteuil ?

A.J.-P. : Non, l’Opéra de Nice est un opéra tout à fait vieux, 1885, qui est hors-normes actuelles. On peut mettre à la limite –vraiment en calculant bien- trois fauteuils, pour une répétition, pas pour un spectacle, parce qu’il faut les faire passer par le monte-charge qui est derrière la scène. et quand l’arrière-scène est encombrée de décors, etc, c’est fichu, on ne peut pas. Et trois fauteuils, c’est vraiment le maximum, parce que si il y a le feu, on ne pourrait pas les sortir…

P.J. : Je prends l’exemple de l’Opéra du Rhin, exemple qui m’a impressionné. Sur trente ans, il y a eu une grande évolutions au niveau du public, et principalement des jeunes : 20% de moins de 26 ans actuellement.

A.J.-P. : A oui ?

P.J. : Avec par exemple des scolaires qui assistent aux représentations d’opéras. J’étais à Strasbourg il y a deux semaines, et pour la représentation de Hans Heiling, les premier rangs de plusieurs balcons était occupés par des enfants…

A.J.-P. : On a un public scolaire pour les répétitions (pré-générales et autres), mais il vient aux pré-générales ; il ne vient pas aux représentations. Pour les pré-générales, ce qui est intéressant, c’est qu’on demande parfois au metteur en scène de venir s’expliquer un petit peu sur la mise en scène qu’il a voulu faire, sur les décors qu’il a choisis avec les décorateurs.

P.J. : Vous êtes seule à animer le service ?

A.J.-P. : Oui, seule dans ma bulle ! Pour le moment.

P.J. : Le service va s’élargir ?

A.J.-P. : Si l’administration veut créer des postes, si la ville veut créer des postes, s’il y a une véritable volonté, là, c’est possible.

P.J. : Au niveau de la billetterie, y a-t-il un suivi régulier ? Des statistiques ? Des enquêtes ?

A.J.-P. : Je pense qu’il doit y avoir eu des enquêtes. Mais je ne suis pas vraiment au courant. Je vous amènerai tout à l’heure à la billetterie.

P.J. : Y a-t-il une politique, une volonté, d’accrocher certaines catégories de personnes ? Ou alors l’Opéra de Nice est satisfait de son public actuel…

A.J.-P. : L’Opéra est petit : 1000 places, dont une centaine aveugles… Et c’est plein. Les ouvrages lyriques, c’est complètement plein. Pour pas mal de gens, c’est presque impossible d’avoir une place en dehors des abonnements. Pour les concerts, il y a quand même un peu plus de places disponibles que pour l’opéra.

P.J. : L’Opéra de Nice, c’est une situation un peu particulière en France ?

A.J.-P. : En termes géographiques ?

P.J. : Au niveau du contact entre le public et les œuvres, l’attachement au lieu,…

A.J.-P. : A Nice, le public est assez âgé et il a ses habitudes. Faut pas changer de fauteuil ! Je me souviens d’une fois où quelqu’un m’a dit que son fauteuil était plat, et que étant tapissier : « Est-ce que je peux venir le rembourrer ? » Voilà. Abonné sur le même fauteuil depuis je ne sais pas combien d’années, et que comme c’est son fauteuil, il y mettrait un peu de crin, et qu’il ne ferais pas payer le crin. Bien sûr, mais on ne peut pas accepter ce genre de choses quand même. Ceci dit, il y a quand même du renouvellement : entre amis, « tiens pourquoi pas un abonnement à l’opéra », si on s’y prend assez tôt.

P.J. : A Strasbourg et à Lyon, les deux opéras ont un même problème avec la population active, 35-50 ans.

A.J.-P. : Qui n’a pas le temps ?

P.J. : Qui n’a pas le temps… Donc ils ont une classe d’âge vraiment creuse. Face à ce constat, ils mettent en place quelques actions. A Lyon par exemple, ils essayent de faire venir ces parents par leurs enfants, avec différents « angles d’attaque ».

A.J.-P. : On essaye aussi. Le dimanche matin, on a quelques représentations qui sont gratuites pour les enfants de moins de 12 ans, 8 euros pour les autres : les Matinées musicales. Les enfants peuvent venir avec leur famille, et c’est pas mal. Il y a des concerts du chœur d’enfants, gratuits pour tout le monde. Là aussi, il y a du « tout-public ».
Je suis tout à fait d’accord [sur la classe 35-50 ans]. Ce n’est pas facile, parce que ce sont des gens qui ont des enfants jeunes, qui travaillent certainement beaucoup par ailleurs.

P.J. : Je voudrais venir au thème de la démocratisation culturelle. C’est un grand mot en France, qui fait partie d’une politique fondatrice du Ministère de la culture. Peut-on parler de démocratisation à l’opéra ?

A.J.-P. : Je pense. Ce n’est plus réservé à une certaine classe sociale, médecins, enfin les professions libérales. Je pense qu’il y a quand même d’autres personnes qui viennent, parce qu’ils aiment la musique, parce qu’ils ne sont pas obligés de venir en « nœud pap’ » et en robe longue. Ils ont compris ça. Je pense que de ce point de vue-là, ça a quand même changé. Bon, les gens s’habillent quand même…

P.J. : Tenue de soirée…

A.J.-P. : Non, même pas tenue de soirée. Ou alors peut-être pour les Premières, c’est plus sélect’ quand même. Mais sinon, il y a quand même des tas de gens qui ont compris qu’ils peuvent venir après leur travail. C’est un public…plus large. Et je pense que par l’intermédiaire des enfants, il y a un peu de ça quand même. Il y a des prof’ de lycées qui s’investissent, qui ne sont pas prof’ de musique, mais prof’ de français, d’histoire, etc. Ils s’investissent dans la découverte par les enfants des opéras, qui les amènent. D’accord, ils en profitent de l’opéra, ils sont contents, ils aiment ça. Très bien, mais les enfants pendant ce temps-là, les jeunes, les étudiants viennent aussi. Les parents quand même viennent aussi.

P.J. : Le plus grand acquis, c’est…

A.J.-P. : … de faire parler. De faire parler les enfants de manière à ce qu’ils amènent les parents à franchir cette porte. Parce que au fond, ils n’y avaient jamais pensé. Une forme de curiosité. Ecoutez, il y a des tas de gens qui n’avaient jamais pensé à venir à l’opéra. Des gens de 35-40 ans, qui ont fait leurs études de pharmacies, qui sont pharmaciens, et : « Ah oui, tiens, pourquoi pas l’opéra ? ». Et moi, je recrute dans le bus. Je passe pas mal de temps dans le bus, et j’avoue que même comme ça, je dis que l’opéra, c’est sympa,… En fait, c’est la communication qui fait tout. C’est parler et faire parler qui fait que les gens viennent.

P.J. : Les villes qui ont un opéra ; elles le subventionnent fortement ; c’est une charge…

A.J.-P. : …une charge énorme, et comment…

P.J. : En sachant que ce sont les citoyens de la ville qui en ont, au final, la charge...

A.J.-P. : …tout à fait. Ils payent la plus grosse part…

P.J. : …mais ils n’en profitent pas beaucoup…

A.J.-P. : …ils n’osent pas ou n’y pensent pas…

P.J. : … alors que ce sont des lieux qui sont forts, qui sont grands, qui sont…

A.J.-P. :…magiques. Il faut le dire. C’est un lieu qui fait partie de notre patrimoine. Cet opéra, il est beau –on ira le visiter tout à l’heure- il a été refait à l’extérieur et va être refait à l’intérieur. C’est quand même à visiter à la limite, presque comme un musée. C’est quand même notre patrimoine.

P.J. : Egalement au niveau des arts, de leurs combinaisons.

A.J.-P. : Tout à fait. Et je pense que la Fête de la Musique, le 21 juin, a fait qu’il y ait des gens qui circulent.

P.J. : Il y a une programmation particulière à l’Opéra de Nice ce jour-là ?

A.J.-P. : Oui, pas toute la journée, mais presque.

P.J. : Qui consiste en de l’art lyrique ou pas ?

A.J.-P. : Pas forcément : concerts, chœurs d’enfants, même un petit peu de jazz. Pourquoi pas, mais ça se passe dans le lieu de l’opéra. On sait faire aussi autre chose.

P.J. : Quand on creuse un peu la littérature sur l’opéra, on parle, pour les années 1970, d’un creux en termes de fréquentation, que les salles se vidaient, etc. J’ai l’impression qu’on a plus ce problème actuellement. Est-ce que la fréquentation continue à augmenter ?

A.J.-P. : Moi, je pense. On peut peut-être regarder à la billetterie.

P.J. : Je pense que c’est une question importante, pas uniquement pour justifier l’intercention économique… car l’opéra mobilise toute une équipe, ça concerne beaucoup de monde.

A.J.-P. : Je crois que les gens sont peut-être plus ouverts actuellement à l’idée de l’opéra, des concerts. Ils savent que ça existent. Ca fait plus partie de leur vie. Je ne dirais pas qu’il y viendront plus facilement. Il y a la télé aussi, on s’embête pas, on est tranquille à la maison avec un p’tit whisky et c’est bon… Et enfin, je pense que les gens ont plus conscience, ont plus intégré…dans leur subconscient et dans leur conscience aussi, il y a quelque chose qui se passe… Ils sont plus ouverts.

A.J.-P. : C’est sûr que l’opéra à la télé, ça aussi, ça fait du bien. Moi je pense que ce n’est pas une grosse action qu’il faut faire, ce sont plein de petites choses comme ça. Il y a des émissions culturelles, on en parle de plus en plus dans la rue. Enfin donc je pense que c’est quand même plus ouvert.

P.J. : Un des objectifs n’est-il pas de faire franchir, pour le première fois, les portes de l’opéra ? De capter un public potentiel ? 

A.J.-P. : C’est pour ça que je pense quand même que mon travail va dans le bon sens, peut amener sa petite goutte d’eau…

P.J. : Cela fait plus de dix ans que le service fonctionne. Votre travail a-t-il un peu bouleverser l’équipe ?

A.J.-P. : Les équipes changent beaucoup ; il y a les contractuels, il y a des étrangers…Paul-Emile, non, c’est un Français… Il est belge, m’enfin, c’est un Français.

P.J. : Tous les Belges sont français ?

A.J.-P. : Oui, oui, c’est ça exactement. Mais enfin, tout change, et c’est pas toujours facile d’avoir une continuité.

P.J. : Vous avez créé le service ?

A.J.-P. : Moi, je suis professeur de musique à l’origine. J’ai fait cinq ans d’enseignement. C’était au moment où, en France, on a créé les interventions de musiciens dans les écoles. Je mes suis dit que ce serait plus intéressant que je sois là. Donc j’ai donné ma démission à l’Education nationale et je mes suis engouffrée dans cette brèche, intéressante d’ailleurs, mais la présentation d’instruments, au bout d’un moment,… Alors j’ai fait autre chose. Il y avait les JMF (Jeunesses musicales françaises), pour qui j’ai travaillé pendant 19 ans. Il y avait les présentations et les concerts JMF. Après j’avais fait de l’histoire de l’art, donc histoire de la musique et histoire de l’art : on a fait des montages musicaux… Et puis après, j’étais au Conservatoire, pour organiser les concerts des élèves du Conservatoire. Parce que là, il y avait un gros travail faire. Il y a ceux qui sont comme ça avant un concert, qui tremblent, qui sont verts et tombent dans les pommes. Et puis il y a ceux qui sont à l’aise. Avec un certain nombre de prof’, on n’a vraiment organisé pas mal de concerts. J’avais la gestion générale, la coordination des concerts. Et puis après je suis venue ici. Et finalement je fais la même chose, toujours dans la musique, toujours dans le droit fils de l’éducation, et là, je fais venir des écoles, j’essaye de faire les enseignants. Ils ont quelques fois leur fiche pédagogique. Tout de façon, les enfants ont toujours une fiche de présentation. Je ne dis plus « pédagogique », étant donné que je ne suis plus dans l’enseignement. On dit « fiche de présentation », parce que c’est une présentation de ce que vous allez voir. Donc on en entend parler à l’école. Je donne toujours une feuille, donc les parents peuvent la voir. C’est une sorte de réseau, de web ; on essaye de faire en sorte que tout le monde soit dedans.

P.J. : Cela se passe toujours directement entre vous et les enseignants ? Ou cela passe par l’Inspection académique ?

A.J.-P. : Oh oui, bien sûr, ils [l’Inspection académique] sont au courant. Alors, on est d’accord, et après, c’est moi qui fait avec les enseignants. Il faut vraiment qu’ils soient dans le coup. Cela se passe toujours avec l’accord de l’Inspection académique. Toujours.
 Pilichowsky, « Une folie devenue ordinaire » in : Le Dauphiné libéré, 26/07/04
 Donnat, Les pratiques culturelles des Français, Paris, 1973 ;1981 ;1989 ;1997.
 CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques : synthèse, Paris, 2000, 199 p. + annexes
DOUBLET/RTLF, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
 Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » p.9-20 in Modern & Contemporary France, 02/2003, p. 11
 Léopold Ier, roi des Belges (1831-1865)
 Ministère de la culture et de la communication, Présentation de la politique en faveur de la musique, 12 juin 2003, p. 47
 Urfalino, L’invention de la politique culturelle, 1996
 Jamar, Kulturstiftung des Bundes, Mittel der Zuständigkeitsordnung [La Fondation fédérale allemande pour la culture. De l’ordre dans le partage des compétences], 2003
 déclaration au Sénat, 8 décembre 1959
 Urfalino, op. cit., p.72-73
 décret du 3 février 1959
 Urfalino, op. cit., p.64-65
 Moinot, Exposé sur les Maisons de la culture, devant le groupe de travail « Action culturelle », mai 1960
 Moinot, Action culturelle, an I, octobre 1962
 Urfalino, op. cit., p.99
 Urfalino, op. cit., p.222
 déclaration de Villeurbanne, 25 mai 1968
 Urfalino, op. cit., p.247
 Aillagon, discours et communiqués, 19 janvier 2004
 Urfalino, op. cit., p. 15, p. 24
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 Donnat, Les pratiques culturelles des Français, 1973, 1981, 1989, 1997
 Donnat in GUERRIN (Michel), ROUX (Emmanuel de), « La politique de l’élitisme pour tous dans l’impasse », Le Monde, 04/05/02, p. 31
 Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003, p.2

 Donnat, op. cit., p. 4
 Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003
 décret du 24 juillet 1959
 Donnat, op. cit., p. 3
 loc. cit.
 Tolila, Donnat (dir.), Le(s) public(s) de la culture, Paris, 2003, 390 p.
 Octobre, Donnat (dir.), Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes, Paris, ministère de la Culture et de la Communication, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
 Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif. » in Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes, Paris, 2001, 261 p. (Travaux du DEP)
 voir par exemple Bourdieu, Darbel, L’amour de l’art, Paris, 1969
 Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » in Modern & Contemporary France, 02/2003
 « Je considère la galaxie comme une constellations d’événements, comme une mosaïque de perceptions et d’observations données ». Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg : la genèse de l’homme typographique, Montréal, 1967.
 Doublet, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
 Passeron, « Consommation et réception de la culture : la démocratisation des publics » in Le(s) public(s) de la culture / sous la dir. de Paul Tolila et d’Olivier Donnat, Paris, 2003, 390 p.
 Patureau, Les pratiquants de l’art lyrique aujourd’hui, Paris, 1991, 39 p. (Rapports de la recherche, Ministère de la Culture)
 Patureau, « Le défi opéra » p.313-322 in : Les malheurs d’Orphée / sous la direction de R. Wangermée, Bruxelles/Liège, 1990, p.314
 loc. cit.
 Bauché, Opéra-Bastille, opéra populaire ? ou la tentative de démocratisation de l’art lyrique, 107 p. Mém. DESS : Pol. cult. : IEP Grenoble, 1990
 Rapport de l’inspecteur des Finances François Bloch-Laine sur l’Opéra de Paris, 1976
 Bauché, op. cit., p. 27
 Foccroulle, Le Prix de la culture, 2003, www.opera-europa.org/pub/oeuvres_3c.html
 voir par ex. CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques, Paris, 2000, 199 p
 Pedler, « L’Opéra de Marseille et ses publics » p. 65-69 in : Marseille XXe siècle : un destin culturel / sous la dir. de Mireille Guillet et Claude Galli, Marseille, 1995, 303 p.
 Patureau, op. cit., p. IV
 Patureau, loc. cit.
 Pedler, op. cit., p. 65
 Le Monde, 21 mars 1996
 Le Monde, 26 novembre 1997
 Le Monde, 17 octobre 2000
 Le Monde, 22 février 2002
 Ministère de la culture et de la communication, Présentation de la politique en faveur de la musique, 12 juin 2003, p. 47
 Voir, dans un domaine très proche : Association française des orchestres, L’action éducatives des orchestres, Paris, 2003
 « du berceau à la tombe », Shakespeare
 « Par les sciences, les ténèbres sont vaincus » (devise de l’Université libre de Bruxelles)
 Donnat (dir.), Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, 2003
 Ethis, Pour une po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture : le spectateur imaginé, Paris, 2004
 CPDO, Etudes des coûts et des retombées directes, indirectes et qualitatives des Théâtres lyriques : synthèse, Paris, 2000, 199 p. + annexes
 Doublet, Opéra : nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
 Doublet, op. cit., p.29-40
 Doublet, op. cit., p.13-14
 A l’Opéra de Paris, la réservation par internet, ouverte depuis 1997, est utilisée par 78% de primo-arrivants au sein de cet établissement.
 Doublet, op. cit., p. 46
 Roussel, « La diversification des publics à l’Opéra national de Paris » p. 55-63 in :  Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
 Pedler, 01/02/1990, portant sur 412 spectateurs
 « Le mot du Président » par Robert Grossmann, brochure de présentation de la saison 2003-2004.
 Pfeffer, Hauts lieux musicaux d’Europe, Paris, 1990, p. 131
 Renée Auphan, directrice générale, éditorial de la brochure de saison 2003-2004
 Pfeffer, op. cit., Paris, 1990, p. 137
 L’Opéra de Lille, réouvert en 2004, est dirigé par Caroline Sonrier
 Pfeffer, op. cit., p. 137
 Brochure de présentation de la saison 2003-2004
 Roussel, « L’Observatoire des publics à l’Opéra National de Paris : caractéristiques de la programmation et évolution des profils » in : Les public(s) de la culture / sous la direction d’Olivier Donnat et de Paul Tolila, Paris, 2003, 393 p. + cédérom
 L’INSEE a définit 6 CSP principales : agriculteurs / artisans, commerçants et chefs d’entreprise/ cadres et professions intellectuelles supérieures / professions intermédiaires / employés / ouvriers. Voir aussi le tableau 13.
 Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif » p. 21-25 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
 Attention que l’auteur semble confondre quantité et proportions. Les taux de pénétrations passant respectivement de 10% à 15% et de 5% à 10% pour les groupes A et B, d’où une augmentation différenciée : de +50% pour le groupe A et de +100% pour le groupe B.
 Nous avons en effet remarqué la limite de cette démarche par des résultats d’enquêtes au sein de la pratique « art lyrique » mettant au jour des phénomènes tels que le rajeunissement et la féminisation. Ils sont intervenus comme indices dans notre réflexion.
 Phénomène observé par ailleurs dans la fréquentation de la Bibliothèque nationale de France.
 Doublet, Opéra. Nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, p. 46
 Muxet, Les étudiants de Sciences Po : leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques, Paris, 2004
 voir par exemple l’analyse de Nathalie Heinich, dans Sociologie de l’art, Paris, La Découverte, 122 p. (Repères), à propos du doublement de la fréquentation (entrées vendues) des musées entre 1960 et 1978 : « Deux interprétations s’offrent au sociologue (…) : soit il s’agit d’une démocratisation du public (…) ; soit il s’agit d’une intensification de la pratique par les mêmes catégories sociales. (…)Vérification faite, ces deux explications ont leur part de vérité, la seconde étant toutefois plus déterminante : le monde des musées ne s’est que marginalement démocratisé ; il s’est plutôt modernisé, répondant mieux à la demande – ou contribuant à la créer – de ses publics habituels. » p. 51-52
 « Avignon actualité », édité par la Mairie d’Avignon
 Doublet, Opéra : Nouveaux publics, nouvelles pratiques, Paris, 2003, 47 p.
 Doublet, op. cit., p. 46
 Doublet, op. cit., p. 43
 Doublet, op. cit., p. 42
 Roussel, « La diversification des publics à l’Opéra national de Paris » p. 55-63 in :  Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001
 Roussel, op. cit., p. 62
 Donnat, Les pratiques culturelles des Français, Paris, La documentation française, 1973-1981-1989-1997
 Donnat, « La question de la démocratisation dans la politique culturelle française » p.9-20 in Modern & Contemporary France, 02/2003
 « The Neverending Story », film fantastique ouest-allemand de Wolfgang Petersen, 1984
 Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg : la genèse de l’homme typographique, Montréal, 1967.
 Octobre, « Comment mesurer la démocratisation ? Proposition de cadre interprétatif » p. 21-25 in : Les publics des équipements culturels : méthodes et résultats d’enquêtes / sous la dir. d’Olivier Donnat et de Sylvie Octobre, Paris, 2001, 261 p.
 En effet, la chargée d’études s’attache dans sa « proposition de cadre interprétatif », à mettre au jour des phénomènes qui, bien qu’affectant l’évolution de la fréquentation d’un équipement culturel, ne peuvent relever, selon elle, de la démocratisation culturelle : élitisation, banalisation, popularisation, renouvellement générationnel, désaffection.
 Chambre professionnelle des Directeurs d’Opéras
 Réunion des Théâtres lyriques de France
 Pedler, Entendre l’opéra : une sociologie du théâtre lyrique, Paris, 2003, p. 162
 Pfeffer, Hauts lieux musicaux d’Europe, Paris, 1990,
 Pedler, « L’Opéra de Marseille et ses publics » p. 65-69 in : Marseille XXe siècle : un destin culturel / sous la dir. de Mireille Guillet et Claude Galli, Marseille, Via Valeriano, 1995, p. 65
 Pedler, Entendre l’opéra : une sociologie du théâtre lyrique, Paris, 2003, p. 163
 Constant, « L’exigence de la diversité » in : Le Dauphiné libéré, édition d’Avignon, 06/09/04

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Les jeunes et l'Opéra national du Rhin
Notre objectif :
vous aider à sensibiliser le public jeune à l’art lyrique et à la danse.
Les règles du jeu :
Enseignants, animateurs, associations d’étudiants, à partir de nos productions, vous imaginez un projet. Nous soutenons votre travail et facilitons votre venue au spectacle.
Des sujets vous inspirent ?
La musique, le livret, un personnage, une chorégraphie, le contexte historique et artistique d’un opéra ou d’un ballet, la mise en scène ou la conception des décors et des costumes…
À vous de jouer !
Montez un spectacle, une comédie musicale, détournez des airs d’opéra, réécrivez un livret, créez une chorégraphie, une vidéo, réalisez une affiche, organisez une exposition,... Nous vous proposons, pour enrichir votre travail, de la documentation écrite et audiovisuelle, des visites du théâtre, des ateliers, des rencontres avec des artistes. Nous vous proposons également d’assister à des répétitions, de mettre en place des interventions dans votre établissement, et même de vous apporter les conseils de nos professionnels, tout en tenant compte des contraintes liées au fonctionnement de notre maison.
Alors, l’aventure que vous imaginerez, permettra à ces jeunes « nouveaux initiés » d’apprécier en connaisseurs, les spectacles de l’Opéra national du Rhin avec, en plus, des tarifs préférentiels!
(extrait de la brochure saison 2003-2004)

L'Orchestre de l'Opéra
Créé ex nihilo en 1983, associant jeunes instrumentistes et chefs de pupitres chevronnés, très rapidement invité dans les festivals et sollicité par les maisons de disques, l'orchestre alterne répertoire et création, lyrique et symphonique. Premier directeur musical, John Eliot Gardiner avait façonné l'ensemble au baroque, au classique et à l'opéra-comique français (Offenbach, Chabrier, Messager) mais aussi à Weber, Berlioz et Debussy ; Kent Nagano a mis l'accent, de 1988 à 1998, sur les cent années qui nous précèdent - Prokofiev, Busoni et Martinu comme Puccini, Strauss et Schoenberg, Messiaen ou Adams ; Louis Langrée est directeur musical de l'orchestre de 1998 à septembre 2000. Iván Fischer lui a succédé.

Politique audiovisuelle
Avec la conviction que le lyrique n'a d'avenir que dans l'élargissement du répertoire (explorer plutôt qu'exploiter), du public et de la diffusion, l'Opéra de Lyon fait de l'audiovisuel, avec obstination et passion, non un agrément, mais un paramètre important de son projet artistique maintenant l'équilibre entre l'instantané et la pérennité. Ont été édités (CD audio et vidéo, vidéocassettes, DVD,...) et souvent primés, une quarantaine d'opéras, dont douze en première mondiale, plusieurs ballets, des récitals et des programmes symphoniques.