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La physique quantique ou l'entraînement de la pensée ... - Hal-SHS

Volumes horaires globaux : CM : 15 h, TD : 15 h, soutien : 2 h ... Elle permet de poser les bases de l'étude de la propagation d'une onde ..... quantique, mécanique des matrices, équation de Schrödinger, relation de de Broglie, diffraction ..... Les questions ouvertes en physique corpusculaire. ..... Dualité temps ? fréquence.




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élaboration de la mécanique quantique, ainsi, d'ailleurs, que dans les développements ultérieurs de la physique du domaine quantique, la mise au jour de relations mathématiques a permis à la connaissance physique de pénétrer dans le monde atomique et subatomique qui échappait à la connaissance sensible. Ces relations se sont avérées correspondre à des traits physiques caractéristiques des phénomènes quantiques. Longtemps le statut épistémologique de ces relations a fait problème, immergé dans les considérations “physico-philosophiques” sur l'“interprétation”. Le cas n'est pourtant pas si radicalement nouveau, si l'on se rappelle de phases précédentes de l'utilisation de grandeurs mathématiques comme “outil de pensée” pour la théorie physique, par exemple en mécanique classique, en électromagnétisme, en thermodynamique. Les justifications de cette utilisation étaient liées à diverses “interprétations” de la portée physique des relations mathématiques. A tout bien considérer, il n'en va pas autrement avec la formulation apparemment abstraite de la mécanique quantique. Si tel est bien le cas, le problème de l'interprétation est ramené au statut épistémologique des grandeurs quantiques servant à décrire les systèmes physiques. Or, précisément, la compréhension actuelle de la physique quantique amène naturellement à considérer les grandeurs théoriques, sous leur forme mathématique, comme des représentations “directes” des systèmes physiques dans le domaine quantique. Il reste à évaluer ce que cela entraîne comme changements (et simplifications) sur les problèmes d'interprétation.



1. Introduction.

1.1. Je dois commencer par donner une définition de ce que j'entends par «entraînement de la pensée physique par les formes mathématiques », d'une manière générale. A partir du moment où un «outil mathématique» est choisi ou inventé pour exprimer un concept physique (par exemple, les fluxions ou les différentielles pour exprimer les grandeurs physiques de la mécanique classique), il se produit un effet d'entraînement de cet «outil» sur la connaissance des objets auxquels on l'applique : c'est ainsi que la physique toute entière s'est peu à peu constituée par la description analytique (celle du calcul différentiel et intégral), autour de principes physiques propres à chaque domaine de phénomènes. Généralement, cet effet de la mise en forme mathématique, analytique en l'occurrence, est conçu parallèlement à une conceptualisation physique : il y a un accord selon notre intuition, notre intellection, entre la formalisation mathématique et notre pensée des grandeurs physiques, c'est-à-dire ce que nous concevons comme le contenu physique de ces grandeurs. On peut dire que, dès que la théorie a trouvé sa formulation, la forme même donne le contenu, qu'elle comprend, puisqu'elle a été constituée pour exprimer ce contenu physique.
Cela est vrai depuis l'introduction de l'analyse (au sens du calcul différentiel et intégral) en physique avec la mécanique classique, qui n'a pu s'étendre aux systèmes matériels les plus divers, des solides aux fluides et aux corps célestes, que grâce à cet usage de l'analyse, en particulier des équations aux dérivées partielles. D'Alembert faisait déjà remarquer au xviii è siècle, en créant les conditions du traitement analytique de l'hydrodynamique et de la physique des milieux continus, que «c'est avec le secours seul de ces calculs qu'il est permis de pénétrer dans les Fluides, qui sont constitués d'atomes innombrables, et dont «le mécanisme intérieur (…) [est] si peu analogue à celui des corps solides que nous touchons et sujet à des lois toutes différentes». Sans cette mathématisation leurs propriétés nous demeureraient cachées. Il nous semble rétrospectivement, que cet accord s'effectue sans problème, harmonieusement, mais l'histoire effective en est plus compliquée. Le point matériel, le temps instantané, entités singulières, et l'élément différentiel, qui exprime la continuité, n'ont pas été de découverte ni d'assimilation immédiates.
La physique quantique a semblé à ses fondateurs et à leurs contemporains, et nous semble souvent encore, rompre avec ce qui est généralement pensé comme caractéristique de la physique (du moins jusqu'à elle), à savoir que l'expression formelle (ou mathématisée, c'est-à-dire considérée sous sa forme mathématique) et le contenu conceptuel et physique vont de pair. La simple évocation de quelques exemples relativement bien connus, pris dans la physique pré-quantique mais parmi les plus abstraits quant à la formalisation, feront voir ce dont il s'agit. Un premier est le principe de moindre action depuis sa formulation hamiltonienne en termes de calcul variationnel, qui donne immédiatement les équations du mouvement ou d'évolution, en mécanique, en électromagnétisme, en théorie de la relativité restreinte et générale. Un second exemple est la condition de covariance de la relativité restreinte utilisée pour exprimer la bonne forme du lagrangien d'un type d'interaction donné (la première mise en œuvre de cette condition est due à Poincaré, en 1905, pour modifier la loi newtonienne de l'attraction gravitationnelle afin de la rendre relativiste au sens restreint).
Un autre encore est la manière par laquelle Einstein est entré dans la voie de la solution au problème de la relativité générale, en considérant, d'une part, le principe d'équivalence entre un champ gravitationnel homogène et un mouvement uniformément accéléré et, d'autre part, le principe de relativité généralisé à tous les mouvements. Travaillant avec la formulation de l'espace-temps de Minkowski à quatre dimensions, il abandonna (provisoirement) la signification physique des coordonnées et des distances, des temps et des durées, pour laisser libre cours au traitement mathématique, suivant sa logique propre, sans limitations de caractère physique pour les grandeurs (les distances n'avaient plus à être euclidiennes et rigides, les durées n'avaient plus à «couler uniformément» comme le voulait Newton). Il obtint à la fin les équations de la relativité générale et, avec elles, la nouvelle signification physique des grandeurs, qui portaient, dans leur forme mathématique, la métrique non euclidienne donnée par les champs de gravitation.
Je me propose, dans ce qui suit, de développer la thèse suivante : la physique quantique, dans son développement jusqu'à ses problèmes d'interprétation, peut être également considérée, de manière analogue aux exemples que nous venons d'évoquer, comme un cas d'entraînement de la pensée physique par la forme mathématique. Cet aspect, d'une manière générale, n'est pas pris en considération dans les débats sur l'interprétation de la mécanique quantique. Si pourtant, on l'envisageait de cette manière, tout en respectant ses particularités propres (car il présente des différences avec les trois situations rappelées plus haut), il se pourrait bien que les termes du débat sur l'interprétation s'en trouvent substantiellement modifiés.

1.2. Faisons maintenant, en contrepoint à ce qui précède, une autre remarque, cette fois-ci sur la manière par laquelle les physiciens d'aujourd'hui conçoivent et se représentent, «intuitivement» pour ainsi dire, les systèmes physiques dont ils traitent.
Si l'on demande à un physicien quantique d'aujourd'hui comment il décrit les systèmes quantiques avec lesquels il travaille, et comment il pense ces systèmes, il répondra immédiatement dans les termes de la théorie quantique, dans les termes de son «formalisme», comme on dit, qui sont ceux de la mécanique quantique (prolongée dans la théorie quantique des champs). Il parlera de ce système (atomes, particules, rayonnement…) tel qu'il est décrit de manière théorique par son vecteur d'état, défini sur un «espace de Hilbert», et déterminé par les variables dynamiques, qui sont représentées par des opérateurs hermitiques agissant sur ce vecteur d'état. Nous reviendrons plus loin sur ces représentations pour des cas de phénomènes, très éloignés des représentations intuitives et classiques, qui ont été mis récemment en évidence du point de vue expérimental (condensation de Bose, refroidissement d'un atome, diffraction d'un électron ou photon unique, etc.). Il suffit pour l'instant de penser à un système quantique quelconque, atome, noyau, particule élémentaire : les physiciens pensent les systèmes quantiques à travers leur représentation théorique, dite «formelle», et, en vérité, ils n'ont pas d'autre moyen de les penser.
Ils les pensent, certes, en fonction des phénomènes par lesquels ces systèmes se manifestent, décrits à l'aide des variables dynamiques (par exemple, le spin (J) et l'une de ses trois composantes dans l'espace (Jz). Le choix d'un ensemble approprié de ces dernières s'exprime en termes de «préparation», qui doit s'entendre comme préparation d'une base d'«états propres» servant à la représentation de l'état du système (la fonction d'état comme une somme vectorielle formée sur ces états de base). On peut choisir une autre préparation du système par un autre ensemble de variables dynamiques, par exemple, le spin et une autre de ses composantes (Jz), «incompatible» avec la première (leurs opérateurs ne commutent pas, et leurs valeurs propres sont soumises à des inégalités de Heisenberg).
Les physiciens sont habiles à jouer avec ces descriptions théoriques, d'où ils déduisent des propriétés des phénomènes, qu'ils s'attendent à observer  : ils s'y attendent parce qu'ils ont pensé le système physique (quantique) étudié selon sa représentation théorique. Du moins, ils l'ont pensé ainsi jusqu'à ce point. Ils ont pensé les caractéristiques des phénomènes, connus ou prédits, comme étant données par les grandeurs théoriques prises sous leur forme mathématique même. Jusqu'ici, tout pourrait sembler clair : les grandeurs physiques au sens «réel» (ou propre) seraient celles-là mêmes de la théorie : vecteur ou fonction d'état, variables-opérateurs (qu'on appelle communément «observables», selon une tradition qui remonte aux premiers travaux de Heisenberg). En particulier, que le vecteur d'état qui sert à décrire jusqu'à ce stade le système soit une superposition linéaire cohérente des états de base ne constitue pas un empêchement à le concevoir de fait comme une entité physique (ou, plus exactement, comme décrivant une telle entité). Que tous les phénomènes possibles prédits en prenant à la lettre cette considération soient effectivement avérés (nous en reparlerons), cela devrait plutôt conforter cette manière de voir, qui correspond à la pensée «spontanée» du physicien. Du moins à sa «pensée spontanée» quand il en reste à la représentation théorique du système physique qu'il étudie.
Cependant, les choses paraissent moins simples quand on passe de la description théorique au compte-rendu des expériences. Lorsque le physicien d'aujourd'hui vient à rendre compte des caractères ou des propriétés d'un système quantique dans sa relation à l'expérience, on constate couramment une espèce de dissociation dans sa pensée quant à la manière effective dont il conçoit la représentation des systèmes physiques quantiques. D'un coté, il continue de parler et de raisonner en termes des grandeurs quantiques (fonction d'état et matrice densité, variables dynamiques-opérateurs) qui décrivent, dans la théorie, le système considéré ; mais, d'un autre coté, quand il rend compte de la réponse expérimentale de l'appareillage, qui fournit des observations sur les grandeurs classiques correspondant aux états de base de la préparation, il tend à considérer que les grandeurs et les états physiques qui décrivent le système sont ces grandeurs classiques et ces états de base eux-mêmes, exhibant certes des traits non classiques, spécifiquement quantiques, mais d'une manière seulement indirecte et statistique (même s'il s'agit de systèmes individuels).
La réponse de l'expérience est exprimée en termes de probabilités pour un état, «état» signifiant ici un état propre de l'«équation d'état», c'est-à-dire l'une des projections sur la base préparée de la superposition linéaire, cette dernière était l'état considéré par la pensée théorique (l'état quantique dont il était question précédemment). Il est sous-entendu généralement par là qu'une grandeur physique et un état physique sont, nécessairement représentés par des fonctions numériques, et ne sauraient l'être par un opérateur abstrait et une superposition linéaire de fonctions définie sur un espace de Hilbert. Ces derniers auront, dès lors, toutes les apparences de n'être que des fictions mathématiques. Dans cette perspective, la description théorique d'un état quantique ne serait pas une description physique, mais une fiction mathématique intermédiaire, «purement formelle», seuls les états projetés, directement accessibles à la mesure, et correspondant à des grandeurs classiques, pouvant être considérés comme physiques.
Considérons encore que certaines des grandeurs «observables», exprimées comme des grandeurs classiques (par exemple, la position et l'impulsion), et donc comme des fonctions à valeurs numériques, sont liées entre elles par des relations d'inégalité de Heisenberg (dites, selon l'usage, «d'incertitude») ; elles diffèrent des «variables dynamiques» de la description théorique en termes quantiques (opérateurs linéaires hermitiques agissant sur les fonctions d'état au sens quantique), qui obéissent, quant à elles, aux relations quantiques de non-commutation. Ce sont, pourtant, ces propriétés (formelles) de non-commutation des grandeurs quantiques qui gouvernent la propriété (pensée comme non-propriété) des grandeurs classiques correspondantes d'obéir aux inégalités de Heisenberg.
En quelque sorte, en passant au stade de la prise en compte de l'expérience, il semble que l'idée de description physique par la théorie quantique, au moyen de ses grandeurs spécifiques, abandonne le terrain au profit d'une description physique en termes de variables ou grandeurs classiques. Et cependant, la signification physique de ces grandeurs, quant au système quantique étudié, se voit elle-même modifiée par rapport au sens courant de telles grandeurs, puisqu'elles ne peuvent plus être tenues pour des propriétés que le système possèderait indépendamment de la mesure.
On se trouve alors devant la situation suivante, plutôt paradoxale du point de vue conceptuel : les vraies grandeurs physiques seraient les grandeurs classiques (directement mesurables), mais elles ne désigneraient plus des propriétés ou attributs physiques qu'aurait le système, tandis que les grandeurs quantiques (celles de la théorie) ne seraient pas physiques mais seulement mathématiques, tout en exprimant les propriétés effectives du système.

1.3. En réalité, si l'on observe comment la physique quantique s'est progressivement établie, depuis l'hypothèse de la quantification des échanges d'énergie par Planck, jusqu'à l'élaboration de la mécanique quantique, ainsi, d'ailleurs, que dans les développements ultérieurs de la physique du domaine quantique, on constate que la mise au jour de relations mathématiques a permis à la connaissance physique de pénétrer dans le monde atomique et subatomique qui échappait à la connaissance sensible. Ces relations se sont avérées correspondre à des traits physiques caractéristiques des phénomènes quantiques. Or, le statut épistémologique de ces relations a longtemps fait problème, immergé dans les considérations «physico-philosophiques» sur l'«interprétation».
Le cas n'est pourtant pas si radicalement nouveau, si l'on se rappelle de phases précédentes de l'utilisation de grandeurs mathématiques comme «outil de pensée» pour la théorie physique, par exemple en mécanique classique (voir la réflexion citée plus haut de d'Alembert sur l'hydrodynamique), en électromagnétisme, en thermodynamique. Les justifications de cette utilisation étaient liées à diverses «interprétations» de la portée physique des relations mathématiques. A tout bien considérer, il n'en va pas autrement avec la formulation apparemment abstraite de la mécanique quantique. Si tel est bien le cas, le problème de l'interprétation est ramené pour l'essentiel au statut épistémologique des grandeurs quantiques servant à décrire les systèmes physiques. Or, précisément, la compréhension actuelle de la physique quantique amène de façon naturelle à considérer les grandeurs théoriques, sous leur forme mathématique, comme des représentations «directes» des systèmes physiques dans le domaine quantique. Reste ensuite à évaluer ce que cela entraîne comme changements (et simplifications) sur les problèmes d'interprétation.


2. Exploration probabiliste et construction quantique

Il est possible de distinguer, dans l'histoire de l'établissement de la mécanique quantique, si l'on considère la méthodologie des approches qui en ont été faites, trois étapes significatives.
La première étape, sur laquelle nous nous arrêterons quelque peu dans cette section, est celle de l'exploration des caractères spécifiques (irréductibles) des phénomènes atomiques et quantiques. La seconde étape est celle de la constitution de la mécanique quantique, marquée notamment par les recherches d'Erwin Schrödinger, de Werner Heisenberg, Max Born et Pascual Jordan, de Paul Adrien Maurice Dirac. Nous y reviendrons plus en détail dans la section suivante : ces travaux font très clairement voir comment le travail sur la formalisation mathématique adaptée à la physique quantique a eu un effet direct sur la connaissance physique. La troisième étape est celle des «interprétations» proposées en vue de parvenir à l'intelligibilité des phénomènes et de la théorie, et de la consolidation des formulations, accompagnée des développements «dynamiques» ultérieurs de la théorie quantique.
Revenons sur la première étape, qui va de 1900 à 1925, commençant avec l'hypothèse du quantum d'action de Planck et se terminant avec la mise en évidence de la propriété d'indiscernabilité des particules quantiques identiques. Elle s'est effectuée sous le signe de l'exploration probabiliste, les probabilités étant utilisées comme moyen de la connaissance du domaine atomique, qui échappe à l'appréhension sensible directe, permettant par ailleurs de maintenir l'emploi des éléments conceptuels et théoriques de la physique classique. Cette approche probabiliste fut empruntée au départ à la mécanique statistique et s'avéra féconde. Que l'utilisation des probabilités ait été adéquate pour connaître les phénomènes atomiques et du rayonnement, cela est assez naturel si l'on considère l'immensité du nombre d'Avogadro ( molécules par molécule-gramme), qui est une mesure de la distance entre le macroscopique à échelle humaine, qui est à la portée de l'expérience sensible, et le microscopique atomique, qui lui échappe, mais qui constitue le premier.
Le premier pas fut accompli par les travaux de Max Planck sur le rayonnement thermique (du corps noir, à l'équilibre entre émission et absorption), qui aboutirent à la publication de son article de décembre 1900, dans lequel il formulait l'hypothèse des quanta d'énergie dans l'émission et l'absobrtion de rayonnement par la matière (). La démarche de Planck s'inspirait des travaux de Ludwig Boltzmann sur les gaz, selon une «analogie formelle», ou «mathématique» (pour employer une expression fréquemment employée par Henri Poincaré), qui portait sur la distribution, au lieu de molécules, de l'intensité du rayonnement selon les énergies échangées dans ces processus, et emportées, ou restituées, par un rayonnement qui était toujours pensé comme étant continu, et conforme à la théorie électromagnétique de Maxwell.
Les valeurs des énergies étaient artificiellement (ou, si l'on veut, de manière purement mathématique) réparties en intervalles, conçus de la même manière que les cellules élémentaires de volume considérées par Boltzmann pour les gaz. Les probabilités des configurations (des intensités de rayonnement par intervalle d'énergie échangée) étaient alors obtenues par une simple analyse combinatoire. Pour parvenir à la loi expérimentale observée avec le rayonnement du corps noir, Planck modifia, sur une base qui était donc totalement empirique, les nombres de configurations, les réduisant, par le remplacement des nombres d'arrangements (où l'ordre importe) par des combinaisons (où il n'est pas pris en compte). Cette réduction du nombre des configurations avait pour conséquence l'imposition de la condition de discontinuité mentionnée ; mais elle n'en constituait pas (à l'époque) une explication, et elle n'en indiquait pas plus la nature, du point de vue physique.
D'ailleurs, Planck ne considérait cette discontinuité que pour les échanges d'énergie entre la matière atomique et le rayonnement, non pour l'énergie elle-même de ce dernier (qu'il pensait continue, selon la théorie électromagnétique de Maxwell). Il attendait, de fait, une explication ultérieure «naturelle», c'est-à-dire qui permettrait de rester dans le cas des théories physiques admises (électromagnétisme, thermodynamique, mécanique). Tout en concevant son hypothèse des quanta d'énergie comme une propriété très importante, voire fondamentale, il n'imaginait certes pas qu'elle correspondrait à un changement théorique radical (et, comme on le sait, il lui faudrait plus de douze ans pour l'admettre comme telle).
Le pas suivant (rétrospectivement) fut accompli par Einstein lorsqu'il mit au point, dès 1903, un outil théorique relativement simple mais qui, dans ses mains, allait devenir un instrument d'exploration particulièrement efficace des phénomènes atomiques et radiatifs. En 1903, Einstein le proposa en rapport à la thermodynamique considérée en général et à la loi de Boltzmann donnant l'entropie en fonction de la probabilité (). Dans cette relation, la probabilité (W) n'était affectée que d'une définition mathématique (celle d'une analyse combinatoire sur les états occupés parmi les états possibles). Einstein considérait qu'une interprétation physique de la probabilité était nécessaire, et proposa la suivante : la probabilité d'un état pour un système physique (thermodynamique) exprime la fréquence avec laquelle ce système se trouve au cours du temps dans l'état considéré. Remarquons que, dans cette définition, la probabilité a une signification purement statistique, et cette conception de la signification physique de la probabilité serait une constante dans la pensée d'Einstein, aussi bien concernant la première théorie quantique que la mécanique quantique qui lui fit suite.
Avec cette définition de la probabilité d'un état, qui en faisait une valeur moyenne, Einstein introduisait tout naturellement une autre notion et grandeur de portée physique, la fluctuation de la fréquence d'état autour de la valeur moyenne : toute distribution de fréquences pour un phénomène physique admet, en effet, des fluctuations autour de la valeur moyenne. Cette fluctuation constitua, dès lors, précisément, l'outil théorique évoqué ci-dessus et dont, dès ce travail de 1903, il envisageait qu'il puisse être appliqué aux atomes et au rayonnement. Cet outil théorique était, par construction, de nature physique, et non plus seulement mathématique, et visait à révéler des propriétés physiques relatives aux systèmes physiques auxquelles il était appliqué. Ces sont de telles propriétés qu'Einstein put mettre en évidence, donnant par là tout sa portée physique au quantum d'action de Planck.
Notons ici un aspect fondamental, qui distingue très nettement l'une de l'autre la contribution d'Einstein et celle de Planck. Planck utilisait dans son calcul des probabilités considérées seulement sous leur aspect mathématique (l'analyse combinatoire), et la justification de son hypothèse de la discontinuité des échanges d'énergie ne faisait appel qu'à un simple intermédiaire mathématique, la substitution de combinaisons à des arrangements. Rien ne disait a priori que ce mode de comptage correspondait à une propriété physique (ce n'est que bien plus tard qu'il apparut dû à une «statistique» particulière, celle des «bosons», pour des particules ou éléments indiscernables). Au contraire, en interprétant physiquement une grandeur mathématique (la probabilité comme fréquence d'un état) figurant dans une loi considérée comme physique (une loi de caractère fondamental et principiel, car il l'appelait «principe de Boltzmann»), et en exprimant la conséquence de cette interprétation par la définition d'une grandeur corrélée, directement testable physiquement, la fluctuation, Einstein s'installait d'emblée dans la physique. Les grandeurs considérées, exprimées au moyen des mathématiques (le calcul des probabilités), étaient directement porteuses d'un contenu physique.
Alors que Planck ne pouvait garantir la signification de ses résultats du point de vue physique, Einstein pouvait la suivre pas à pas pour ce qui concernait les siens propres. La différence entre les deux provient de leurs pensées respectives du rapport entre les grandeurs mathématiques employées et les grandeurs physiques qui se rapportent aux phénomènes.
Il serait possible de faire ici un parallèle avec une différence semblable entre les travaux sur l'électrodynamique et la relativité du mouvement effectués, à la même époque, respectivement par Hendryk A. Lorentz et Einstein. Là où Lorentz effectuait une transformation intermédiaire purement mathématique de la variable temporelle (par la définition du «temps local»), Einstein se plaçait d'emblée dans une situation pleinement physique en imposant aux coordonnées d'espace aussi bien qu'au temps d'être définies physiquement, par leur soumission à deux «principes physiques», celui de relativité et celui de la constance de la vitesse de la lumière (dans le vide, indépendamment du mouvement de sa source), ce qui lui fournissait immédiatement des coordonnées et un temps transformés pourvus de leur signification physique : les distances et les durées correspondantes étaient donc directement physiques, sans nécessiter, pour l'être, aucun «supplément d'interprétation».
A y bien réfléchir, la transposition au rayonnement du traitement de la mécanique statistique pour les atomes, effectuée par Planck sur un mode analogique et par tâtonnements, demandait, pour être assise physiquement, que ce qui servait de principe à l'analogie, à savoir la probabilité, fonction mathématique, soit affecté d'une signification physique phénoménale dans ce nouveau domaine d'application. Les probabilités, dès lors, permettraient d'établir entre les atomes de la mécanique et le rayonnement de l'électromagnétisme une véritable «analogie formelle», dans le sens mentionné plus haut d'une parenté profonde de structure. De fait, elles permettraient d'exprimer tout ce qui pouvait l'être (ou quasiment) des caractères des phénomènes quantiques à l'aide des concepts et grandeurs de la physique classique des corpuscules et des ondes.
C'est cette mise au jour des propriétés (physiques) du nouveau domaine quantique désormais en voie de constitution qui fut effectuée au long des pas ultérieurs de cette première période. Les plus importants sont relativement connus, et je n'en ferai que quelques brèves évocations, choisies parmi les plus significatives dans la perspective choisie. Ce fut, tout d'abord, le travail d'Einstein de 1905 «Sur un point de vue heuristique concernant la nature de la lumière», connu communément comme «l'explication théorique de l'effet photoélectrique», mais dont la portée allait bien au-delà de ce seul cas particulier, puisqu'il s'agissait de la quantification de l'énergie du rayonnement lui-même, qu'il proposait comme une propriété fondamentale de la lumière et du rayonnement électromagnétique en général. Einstein fut ensuite amené à considérer, en 1906, sur la base d'un calcul de fluctuations pour l'énergie du rayonnement (dans la suite de son idée de 1903, qu'il avait déjà appliquée aux atomes avec le succès que l'on sait), que la validité de la théorie classique trouvait sa limite avec les problèmes de rayonnement, et estimait que cette théorie devrait être remplacée par une autre, dont la première serait la limite pour le domaine connu (macroscopique).
En 1907, Einstein, encore, étendit aux propriétés atomiques la quantification des états d'énergie, et parvenait à résoudre de cette manière le problème des chaleurs spécifiques et de leur comportement aux basses températures, qui ne suivait pas la théorie classique. En 1909, par un calcul de fluctuation sur le comportemmaent statistique du rayonnement, il montra la présence de termes corpusculaires coexistant avec les termes ondulatoires, contradictoire avec la théorie électromagnétique classique de la lumière. Ce n'était pas encore la dualité ondulatoire-corpusculaire, mais c'était indéniablement un trait qui la préparait.
Une mention particulière doit être faite ici d'un travail de Paul Ehrenfest en 1911, passé pratiquement inaperçu sur le moment, concernant les distributions de probabilité dans le travail théorique de Planck sur le rayonnement du corps noir : Ehrenfest mettait, en fait, le doigt sur la particularité des statistiques quantiques. On doit aussi faire état des exposés et des dicussions du Premier Conseil Solvay, réuni à Bruxelles en octobre 1911 et portant sur La théorie du rayonnement et les quanta, qui fut l'occasion d'une première «mise à plat» des caractères propres au nouveau domaine quantique. Quelques semaines plus tard, Poincaré, qui venait tout juste d'y prendre connaissance de ces problèmes, concluait, au terme d'un calcul théorique indépendant, que la loi de Planck du rayonnement, conforme aux données d'expérience et aux phénomènes, était incompatible avec la théorie électromagnétique fondée sur des équations différentielles, ce qui excluait, selon l'expression de Poincaré, «la possibilité de représenter les phénomènes par des équations différentielles». La précision de cette formulation, la généralité de cette conclusion, indiquaient déjà ce qui apparaitrait à l'évidence avec la formulation de la mécanique ondulatoire et de la mécanique quantique, et qui constituerait leur difficulté épistémologique fondamentale.
Le modèle de l'atome de Niels Bohr aux niveaux quantifiés voyait le jour en 1913, précisé peu après par les considérations relativistes d'Arnold Sommerfeld. En 1916, Einstein établissait dans une première synthèse de la théorie des quanta, dite «semi-classique», que le rayonnement possède aussi une impulsion, liée à sa longueur d'onde, c'est-à-dire que le rayonnement, tout en étant ondulatoire, possède un caractère corpusculaire, ce qui implique sa constitution en forme d'entités individuelles, les quanta de rayonnement conçus non pas comme des grains d'énergie seulement, mais comme des corpuscules au sens plein, et pourtant selon une modalité non classique. Leur coté non classique résidait en ce qu'ils sont aussi ondulatoires, et cette double propriété était contradictoire tant pour la mécanique que pour l'électromagnétisme, qui ne pouvaient constituer désormais, pour le domaine quantique, que des approximations.
L'expérience de diffusion de «particules» de rayonnement électromagnétique (baptisées peu après «photons»), des rayons X (de courte longueur d'onde et pénétrants), sur des électrons atomiques, réalisée par Arthur H. Compton, en 1923, confirma expérimentalement l'impulsion du rayonnement dans les interactions de ce dernier sur des électrons (le bilan d'énergie-impulsion étant établi en prenant les caractéristiques corpusculaires du rayonnement). Puis Bothe et Geiger mirent en évidence, dans leurs expériences réalisées en 1925, une corrélation entre les angles d'émission du rayonnement diffusé et de l'électron sortant, ce qui prouvait, en fait, le caractère individuel de l'interaction corpusculaire de photons sur des électrons atomiques. Ce résulat infirmait la prédiction purement statistique de la théorie de Niels Bohr, Hendrik Anton Kramer et John Clarke Slater, qui tentait d'éviter la quantification de l'impulsion du rayonnement, et confirmait au contraire la prévision d'Einstein. Einstein, qui demanderait toute sa vie à la théorie quantique de rendre compte du comportement de systèmes quantiques individuels.
Les travaux effectués entre 1923 et 1925 par Louis de Broglie, Satyendra Nath Bose et Einstein, apportèrent des éléments conceptuels qui appelaient directement au renouvellement théorique : l'extension, proposée par Louis de Broglie, de la dualité onde-corpuscule considérée pour le rayonnement électromagnétique à tous les corpuscules de matière tels que les électrons et les atomes, confirmée peu après par les expériences de diffraction d'électrons, était directement liée à une caractéristique qui transcendait la distinction entre la matière et le rayonnement, à savoir l'indiscernabilité des «particules» ou «systèmes» quantiques identiques. Cette dernière fut identifiée à partir de la mise en évidence de deux types de comportements probabilistes ou statistiques non-classiques des sytèmes quantiques (contraires à la théorie statistique classique de Boltzmann et de Gibbs), par Bose et Einstein d'un coté, par Pauli, Fermi et Dirac de l'autre, entre 1924 et 1926. L'indiscernabilité des «particules» (ou systèmes) identiques est en fait à la racine du comportement spécifique des systèmes quantiques, et l'on peut considérer, rétrospectivement, qu'elle constitue une de leurs caractéristiques, (et même, vous allons y revenir, une de leurs propriétés) les plus fondamentales. C'est d'ailleurs elle qui se trouvait, en fait, au soubassement du comptage hétérodoxe de configurations effectué par Planck en 1900.
Ce résultat remarquable, qui couronne cette période, précéda de très près l'élaboration de la mécanique quantique, qui l'incorpora dans la formulation de la «fonction d'onde» ou «fonction d'état» représentative d'un système. Si ce caractère, directement inscrit dans la forme des probabilités qui interviennent en physique quantique, s'avéra fondamental du point de vue de la formalisation théorique, c'est, bien entendu, parce qu'il est ancré dans les phénomènes physiques eux-mêmes du domaine quantique. Il indique donc une propriété physique de ces systèmes. Mais quelle propriété exprimable directement ?. Devait-on y voir une propriété statistique des ensembles de systèmes quantiques, ou une propriété physique de systèmes quantiques conçus individuellement, dans le sens de porter un certain type de corrélation possible avec d'autres systèmes semblables, exprimable statistiquement. Cela n'était pas encore précisé. Einstein avait lui-même utilisé le terme de «corrélation», pour indiquer la restriction de ces distributions de probabilités par rapport aux statistiques ordinaires (et il l'emploierait encore, au fur et à mesure du dévoilement des propriétés quantiques dans cet ordre).
Mais les questions suscitées par le nouveau concept d'«indiscernabilité de systèmes identiques» ne se posaient pas alors directement en termes d'individualité ou non des systèmes. On concevait assurément, même si c'était de manière contre-intuitive, l'indiscernabilité comme correspondant à des propriétés des systèmes quantiques, exprimées de manière probabiliste, mais sans qu'il fusse spécifié si ces systèmes pouvaient être considérés individuellement ou non. Implicitement, ils devaient pouvoir l'être, mais la question ne serait posée qu'avec les problèmes d'interprétation de la mécanique quantique. Les probabilités, à ce stade, étaient encore un moyen heuristique de mettre en évidence des propriétés des systèmes quantiques abordés sous l'angle statistique, dans une perspective semblable à la mécanique statistique ordinaire, bien que les différences de propriétés constatées fussent un indice des limitations de cette dernière. La mécanique ondulatoire et la mécanique quantique, en incorporant toutes deux la définition non classique de probabilités conçues selon l'approche statistique, devaient cristalliser cette opposition sous-jacente, grosse de tous les problèmes de l'interprétation physique du formalisme théorique, et dont la pierre de touche devait être la question de la description théorique des systèmes individuels.



3. La force contraignante du formalisme et des faits d'expérience. Des relations mathématiques en perte de leurs interprétations physiques courantes

Les recherches qui ont conduit à la mécanique ondulatoire et à la mécanique quantique dans les années 1925-1926 ont toutes été marquées par la place importante faite à la formalisation par le biais de grandeurs abstraites, dont le comportement mathématique fournissait des relations et des contraintes qui, rapportées aux conditions de l'expérience, correspondaient aux particularités des phénomènes observés. Les approches proposées pouvaient être très diverses sous le rapport de la pensée physique «intuitive» et du travail théorique sur le formalisme mathématique, plus axées sur la première avec Schrödinger (comme, dans les travaux précédents, avec Einstein, Bohr ou de Broglie), ou sur le second, avec Heisenberg, Born, Jordan et Dirac : le résultat fut, dans un cas comme dans l'autre, que le travail formel menait au-delà de la vision physique, jusqu'à perdre celle-ci de vue, obligeant à lui substituer des règles d'interprétation pour raccorder les entités formelles aux effets des phénomènes donnés dans l'expérience.
Si nous voulions retracer le parcours d'Erwin Schrödinger, nous constaterions comment, parti d'une pensée de l'onde physique, mais se fondant sur une approche hamiltonienne, qui imposa la rigueur d'un travail sur la forme (faisant fond sur la théorie des milieux continus et des problèmes de valeurs propres), il aboutit à formuler une équation d'onde associée au système physique considéré (l'atome d'hydrogène) ; mais ce fut pour se rendre compte assez vite que si la forme de l'équation était bien celle d'une onde, ce qu'elle décrivait ne pouvait pas en être une : il fallait interpréter tout autrement la «fonction d'onde», yð. L'intuition physique initiale avait guidé le choix de la formalisation théorique, mais les exigences propres à cette dernière avaient entraîné la description physique sur un autre chemin que celui initialement prévu. La forme mathématique, étant donné les conditions du problème posé (et les données expérimentales à respecter), a bien entraîné ici la pensée physique dans ce qu'elle ne pouvait initialement concevoir. Au terme, la «fonction d'onde» yð était comprise comme une «amplitude de probabilité», qui désignait une nouvelle sorte d'entité physique ou (pour l'interprétation dominante), d'algorithme opératoire.
Les travaux sur la mécanique quantique proprement dite par l'approche en termes de «grandeurs observables», dûs à Born, Heisenberg et Jordan, avaient d'emblée pris, de leur coté, la voie d'une construction formelle d'où les images intuitives étaient bannies, les seules entités admises étant les amplitudes de transition dans les interactions matière-rayonnement, c'est-à-dire d'un niveau atomique à un autre. Cette approche aboutit, comme on sait, à la mécanique des matrices, ou mécanique quantique, pour la formulation de laquelle le choix du formalisme hamiltonien fut également décisif. Elle constitue un autre exemple d'entraînement (volontaire cette fois, mais c'est qu'il eut lieu à Göttingen, haut-lieu des mathématiques) de la pensée physique par le travail d'un formalisme qui découlait du choix de certaines grandeurs comme variables dynamiques.
Les recherches de Dirac sont plus exemplaires encore à cet égard, et nous nous y arrêterons un peu plus longtemps (encore que brièvement), en raison notamment de l'intérêt de sa pensée de l'extension de la notion de nombre à des grandeurs non commutatives et permettant de traiter les diverses sortes de grandeurs, classiques et quantiques, «sur un pied d'égalité».
La direction de son travail en physique fut immédiatement marquée par une pensée de la forme mathématique, ce qui tenait à sa propre tournure d'esprit et à sa formation intellectuelle. Ses premiers intérêts le portèrent vers la théorie de la relativité, qu'il dominait (il était élève d'Eddington), vers l'électrodynamique et la tentative de théorie unitaire (avec la gravitation) de Hermann Weyl, vers l'atrophysique sous l'influence de Edward Arthur Milne, et il fut amené à la physique quantique par Ralph Fowler. La géométrie tenait une place importante dans sa pensée, non seulement à cause de la théorie de la relativité (espace de Minkowski, espaces physiques à plus de trois dimensions), mais aussi par son coté intuitif, avec la géométrie projective. Cette tendance le porta, quand il effectua ses travaux sur la mécanique quantique, à ne pas s'en tenir aux relations algébriques (notamment de non commutation), mais à tenter de les comprendre, du moins au début, d'une manière plus intuitive, géométrique.
Ses deux premiers travaux publiés sur la physique quantique, de 1924 et 1925, portaient respectivement sur la «balance détaillée» à propos des équilibres thermodynamiques entre la matière et le rayonnement traités par la physique statistique (où il tenait compte des résultats obtenus peu de temps auparavant par Wolgang Pauli, Einstein et Ehrenfest), et sur l'«invariance adiabatique» des intégrales quantiques. Dans le second travail, il reprenait le problème du principe adiabatique en théorie quantique, abordé précédemment par Bohr dans la perspective, selon les termes de ce dernier, «d'élucider et de développer des méthodes formelles pour établir les états stationnaires». Ce problème avait à voir avec la quantification de l'oscillateur harmonique ainsi qu'avec la détermination des poids statistiques des états stationnaires d'un système atomique donné. Dirac le traita par la méthode hamiltonienne : à partir d'un principe fondamental, il obtenait des équations dont la solution faisait appel à des conditions clairement définies.
Mon propos n'est pas de suivre dans tout leur détail les recherches de Dirac en physique atomique et quantique. Je voudrais seulement évoquer la manière dont il aborda les grandeurs non commutatives, dès que celles-ci furent proposées par Heisenberg à partir du calcul des amplitudes de transition entre les niveaux de l'atome d'hydrogène (ensuite reconnues par Max Born comme possédant les propriétés mathématiques des matrices) : dans le produit de ces grandeurs deux à deux, l'ordre importe : AB `" BA. Dirac se rendit compte que la différence des produits de Heisenberg correspondaient, au facteur numérique près (), à des crochets de Poisson de la mécanique classique, comme ceux qui interviennent dans l'équation de Jacobi donnant la loi de variation avec le temps d'une variable dynamique H : , avec 
Il entreprit d'écrire les équations de la mécanique quantique dans le cadre hamiltonien, en remplaçant, dans l'esprit du principe de correspondance, les crochets de Poisson de la mécanique classique par les différences des «produits de Heisenberg». Il nota toutefois, ce faisant, que «La correspondance entre les théories quantique et classique ne réside pas tant dans leur accord à la limite pour  qu'en ce que les opérations mathematiques sur les deux théories obéissent dans de nombreux cas aux mêmes lois». C'était, en fait, cette propriété mathématique, structurelle, qui le guidait, plutôt qu'un accord d'ordre numérique, de portée limitée, selon ses propres termes.
Son chemin se trouvait dès lors tracé : formuler les équations de la mécanique quantique comme les correspondants des équations de la mécanique classique exprimées à l'aide des crochets de Poisson. Les équations qu'il obtint de cette manière avaient la même structure formelle que les équations classiques correspondantes : à un produit de deux grandeurs classiques correspondait un produit de deux grandeurs quantiques. Il rechercha alors comment il fallait transformer les opérations mathématiques de la théorie classique pour que les équations prennent la même forme. La non commutation de la multiplication l'amena à formuler les règles d'un nouveau calcul, celui d'une «algèbre quantique». Il interpréta ensuite les quantités ou grandeurs de cette algèbre comme une autre sorte de nombres, différents des nombres ordinaires (les «nombres-c», c pour «classiques» ou «commutants»), et les appela les «nombres-q» (q pour quantiques).
Assurément, Dirac fut aidé dans ces réflexions par son aptitude à manier le calcul symbolique de Grassmann considéré par la géométrie ; il put formuler la différenciation d'une variable quantique dynamique par rapport à un paramètre, en termes d'opérations algébriques. Il trouva que les variables quantiques, figurant dans les équations fondamentales de la mécanique quantique considérées dans le cadre hamiltonien, étaient précisément les grandeurs x, y, etc. utilisées par Heisenberg, si l'on définissait le commutateur des grandeurs quantiques x et y, soit , par la relation : . Il obtenait ainsi l'équation d'évolution pour une variable x (q, p) : , qui est l'équation fondamentale de la mécanique quantique.
La différence essentielle entre les variables classiques et quantiques était la non commutation des secondes, les autres caractères des deux genres de variables étant, par ailleurs, les mêmes : c'est pourquoi Dirac voyait dans les secondes un autre type de nombres, ce qui lui permettait de traiter les variables classiques et quantiques sur un pied d'égalité. Il devait dire plus tard, à propos de ses première idées que nous venons d'évoquer : «I suppose that it was the main point in my early work, that I did appreciate that there would be a close analogy between the q-numbers and ordinary numbers». Cette expression résume effectivement bien ce qui était en jeu, si l'on donne à «close analogy», analogie étroite, le sens des analogies formelles invoquées par Poincaré et par William Thomson, et rappelé plus haut.
Un trait d'originalité du travail de Dirac par rapport à d'autres allant dans la même direction fut d'avoir recherché une base commune aux formulations des grandeurs quantiques et classiques, au lieu de s'en tenir à la constatation d'une formule inédite. Ce trait est particulièrement significatif sur la nature de la pensée physique dans sa construction d'une domaine nouveau, car il éclaire le sens profond du travail sur les propriétés formelles, comme moyen de dépasser les limitations du domaine physique connu (d'où l'importance de la référence à une certain type de «correspondance» entre l'ancienne théorie et la nouvelle). Ce dépassement se constitue, dans le cas considéré, en se basant sur un cadre de pensée théorique suffisamment fort pour être considéré comme acquis (la formulation hamiltonienne), par l'extension de sens d'un certain type de grandeur de façon à recouvrir le nouveau territoire. Cette extension consiste en une nouvelle façon de concevoir et représenter les grandeurs et met, à vrai dire, en jeu une nouvelle rationalité de la pensée des grandeurs. Du moins, la voie empruntée par le travail de Dirac semble-t-elle indiquer ou suggérer une telle possibilité.
Cependant, le schème théorique de Dirac (les équations de la mécanique quantique exprimées en termes de nombres-q) souffrait, comme l'on sait, d'une caractéristique particulière, à savoir que les solutions de ces équations, obtenues par des opérations symboliques simples, ne pouvaient pas être confrontées directement aux données expérimentales. Il fallait déduire, des équations en nombres-q, les équations correspondantes en nombres-c. Autrement dit, en termes plus familiers, il fallait passer des variables dynamiques quantiques aux variables classiques correspondantes, perdant, pour ainsi dire, le bénéfice du «saut de pensée» entrevu. Ce qui nous conduit, du point de vue des développements historiques des idées sur la mécanique quantique, au problème de l'interprétation. Dirac, bien qu'il fût parvenu à penser les sytèmes quantiques selon un symbolisme accordé à leur signification, par une extension de sens des nombres (que l'on peut voir aussi comme une extension de sens des grandeurs physiques à celles du formalisme quantique, au-delà de fonctions numériques, selon «un pied d'égalité», «on an equal footing», c'est-à-dire un égal droit à une signification physique), se conforma finalement à l'interprétation opérationaliste «de Copenhague».


4. Signification physique des relations théoriques.

Le fait nouvau qui s'est produit depuis la période d'élaboration de la théorie par ses fondateurs, et qui émerge des leçons de la troisième période de notre découpage, c'est que le succès de la mécanique quantique, qui est le succès de son formalisme même, justifie de la considérer, malgré son caractère abstrait et loin de l'expérience immédiate, comme une théorie au sens propre (une théorie physique) des phénomènes et des systèmes physiques qu'elle sert à décrire. C'est, en effet, par cette théorie que ces phénomènes et ces systèmes sont pensés, et les réserves que l'interprétation initiale voulait formuler par rapport à cette vue, en croyant devoir rappeler que la description doit toujours faire appel aux conditions et aux effets de l'expérience, n'apparaissent nullement justifiées aujourd'hui. Si elles sont parfois évoquées, cela paraît davantage comme un effet rhétorique que comme une injonction ou une nécessité méthodologique ou épistémologique.
Au nom de ces contraintes sur le sens des concepts, il était interdit, par exemple, de parler de description de systèmes individuels, puisque la mise en évidence de leur individualité demandait, pensait-on, une opération de comptage par interaction qui perturberait l'état du système, et ne permettrait pas, dès lors, d'étudier ses propriétés quantiques. Cependant, les progrès techniques effectués dans la définition de faisceaux de systèmes («particules») quantiques permettent de leur donner une définition temporelle très précise et d'en obtenir de très faibles intensités, de telle sorte que l'on construit aujourd'hui des faisceaux raréfiés définis dans le temps tels qu'une seule «particule» à la fois traverse l'appareillage par lequel on met en évidence ses propriétés quantiques. Le «comptage» est, dans ce cas, indirect et ne perturbe pas le système quantique. C'est ainsi, par exemple, que Claude Cohen-Tannoudji et ses collaborateurs du laboratoire Kastler-Brossel de l'Ecole Normale Supérieure à Paris ont pu décrire récemment l'interaction d'un atome individuel avec le champ électrique dans lequel il se trouve plongé.
D'une manière générale, il est aujourd'hui possible de parvenir à la connaissance de propriétés d'un système quantique individuel sans détruire son caractère quantique en le perturbant, ces propriétés se révélant de manière indirecte et statistique par des expériences répétées. Les expériences sur des systèmes quantiques se faisaient et se font toujours de manière statistique ; on conçoit cependant aujourd'hui que ce sont des systèmes individuels qui sont décrits de la sorte (parce qu'on les fabrique ainsi), et qu'une expérience de diffraction de particules quantiques, par exemple, possède un sens physique pour une particule quantique individuelle, même si ses caractères sont connus par un nombre N d'expériences identiques, dont le résultat équivaut à celui d'une seule expérience effectuée comme naguère avec N «particules» ou systèmes. C'était déjà ce que pensait Dirac en 1930, lorsqu'il écrivait que dans une expérience à deux fentes de diffraction un photon interfère avec lui-même.
La connaissance théorique et pratique des systèmes quantiques en optique quantique et atomique a conduit, de nos jours, à considérer de manière explicite et directe deux genres extrêmes d'états ou de systèmes sous le rapport du «comptage», c'est-à-dire du nombre d'invidualités qu'ils comportent. Ce sont, d'une part, les systèmes individuels comme le photon, l'électron, le neutron, ou l'atome, qui manifestent leur caractère quantique dans leur singularité même, et, d'autre part, les systèmes hautement collectifs, formés par un nombre considérable, pouvant être arbitrairement élevé, de systèmes individuels identiques indiscernables et occupant le même état physique, tels que les condensats de Bose-Einstein observés depuis 1995.
De tels phénomènes, dans ces deux ordres, ne furent considérés pendant longtemps que comme des caractères curieux du formalisme, que l'on n'était pas tenu de prendre au pied de la lettre, d'autant qu'ils paraissaient relever de conditions d'observation trop idéales pour être réalisées. On comprend bien ce que veut dire Claude Cohen-Tannoudji, à propos de phénomènes de ce genre, quand il en parle comme de «la connaissance expérimentale» du domaine quantique : seule la réalisation effective, en laboratoire, de ces phénomènes nous assure qu'ils existent physiquement, quand ils n'avaient jusqu'alors qu'une existence théorique et hypothétique. Il est vrai que si, les conditions pour les produire étant réunies, ils ne se manifestaient pas, ce serait un échec pour la théorie, la mécanique quantique ; aussi puissante et cohérente celle-ci fût-elle par ailleurs pour la description des faits quantiques, elle n'avait pas encore été testée pour ce domaine particulier. Il s'agit donc bien d'une connaissance expérimentale, portant sur les traits les plus caractéristiques et les plus «élémentaires» des systèmes quantiques et des grandeurs qui permettent de les décrire.
Or cette connaissance expérimentale se confond, de fait, quant à son contenu, avec les prédictions mêmes de la théorie. Avec la mise en évidence de ces phénomènes qui sont, du point de vue conceptuel, comme l'essence de la mécanique quantique, on touche directement, pour ainsi dire, le sens physique de ces grandeurs elles-mêmes (fonction d'état, variables dynamiques), pourtant si différentes par leur forme des grandeurs habituelles directement «observables». Elles pouvaient auparavant être accessibles à l'intuition en imaginant des «expériences de pensée», par lesquelles on traduit en phénomènes possibles les relations entre les grandeurs d'un formalisme théorique, explorant ainsi leur signification physique. Or, elles le sont, désormais, par des expériences-types rendues effectives, qui donnent une réponse venue de l'extérieur : par contrecoup, ces expériences nous livrent un contenu physique concret pour ces grandeurs. On conçoit alors mieux qu'elles soient autres que simplement formelles et mathématiques, qu'une «manière de parler», qu'elles soient proprement physiques.
On peut, me semble-t-il, proposer, à partir de ces faits nouveaux (bien que déjà inscrits dans la théorie), qu'à travers eux se manifeste à nous, de manière individuelle, une «réalité», quelle qu'elle soit, qui nous vient de la nature (en grec, «physis») extérieure à la pensée, aux sens et aux instruments d'observation (mais, bien sûr, captée par eux). Et encore, que notre mode d'accès à cette réalité, ou à ces phénomènes, est expérimental (par le moyen d'expériences), et en même temps théorique, puisque c'est à travers la médiation (symbolique) de la théorie quantique et de ses concepts que ces phénomènes (ou cette réalité), sont décrits et compris. Or, cela ne diffère pas de ce que nous pouvons dire de la connaissance en général, et de ce que l'on pouvait déjà en dire avant même que la mécanique quantique n'ait fait son apparition.
Et, cependant, les physiciens répondent rarement d'une manière aussi nette si on les interroge sur ce qu'est la «réalité physique» à propos de telles expériences. Ils demeurent souvent dans l'ambiguïté quant à ce qui est physique à proprement parler : est-ce le résultat de l'expérience exprimé dans les concepts classiques qui décrivent les appareils ? ou, au contraire, est-ce le système quantique tel qu'il est étudié dans l'expérience, exprimé dans les termes du «formalisme», comme on dit, mais en fait de la théorie (physique) et de ses grandeurs ?
Cette ambiguïté, dont nous avons parlé en commençant, est, à mon sens, reliée de fait à ce que, lorsque nous considérons ce genre de phénomènes, nous nous trouvons à la jonction de deux «réalités», dans le sens physique du terme. L'une est la réalité du monde maacroscopique ou classique de nos appareils d'observation. L'autre est la «réalité quantique», ou le «monde quantique», qui se révèle à nous à travers des processus physiques qui sont portés, généralement par des cascades d'effets, au niveau du monde macroscopique, celui de notre expérience commune et des concepts classiques. Bien entendu ces deux mondes n'en font qu'un, car c'est ainsi que nous en faisons l'expérience, et l'idée de l'unité du réel est au soubassement de nos conceptions physiques et scientifiques d'une manière générale. Cependant notre représentation en est, jusqu'à nouvel ordre, duale (partagée entre le classique et le quantique), et nous ne savons pas comment la réunifier, sinon de manière locale et partielle. On peut cependant admettre que, sous cette dualité de représentations, se tiennent deux niveaux distincts d'organisation de la matière, comme il en existe dans d'autres domaines, et que les concepts les plus pertinents ou adéquats pour les décrire sont ceux de leurs représentations théoriques respectives.
Le problème d'«interprétation», épistémologique, et même philosophique, qui se pose alors à nous, est celui de la communication entre ces deux mondes, ces deux niveaux, ces deux représentations. Nous savons bien qu'ils communiquent, mais nous ne savons pas exactement comment. Je ne fais ici que mentionner deux aspects physiques de ce problème de communication et d'interaction, qui requièrent encore d'être totalement élucidés : celui de la «décohérence» (passage du quantique au classique par cascades d'interactions), et celui de la «mesure» (soumission d'un système quantique à sa réduction aux conditions de la description d'un système classique).
Par rapport à cette situation, on peut se demander comment il aura été possible de parvenir à une représentation (au sens d'une description explicative) des systèmes quantiques, considérés dans leur «monde quantique» propre, avec leurs caractéristiques (heurtant le sens commun) pour rendre compte des phénomènes quantiques spécifiques, et très souvent en en faisant la prédiction à l'avance, souvent bien longtemps avant que l'on ait pu disposer de la possibilité expérimentale d'observer ces phénomènes. La réponse en est, me semble-t-il, dans l'entraînement de la pensée physique par la formalisation mathématique dont nous avons parlé.
Le travail d'élaboration de la théorie quantique tel que nous l'avons évoqué, en insistant sur cet effet d'entraînement, nous aura fait comprendre comment la connaissance du «niveau profond» ne pouvait être donnée par une simple utilisation des concepts et des théories classiques valables pour le niveau plus accessible : l'emploi des probabilités (elle-mêmes outil mathématique, mais de portée relativement limitée) avait montré l'existence de ce niveau et la nécessité de l'explorer. Mais le nouveau qui s'y révélait ne pouvait être connu et rendu intelligible qu'en allant au-delà du savoir acquis, et l'utilisation d'outils de pensée mathématiques (d'un genre relativement inhabituel en l'occurrence) s'avéra une fois encore constituer le moyen privilégié de la physique pour son propre dépassement. C'est que les mathématiques expriment les relations profondes et de structure qui lient des éléments, et permettent par là de formuler d'une manière très exacte des grandeurs qui portent le lien intime des phénomènes. Ce qui, bien entendu, n'est pas donné a priori, et nécessite tout un travail de création conceptuelle et théorique, puis la patiente mise à l'épreuve dans l'expérience.


5. La mathématisation et les principes Physiques
.
La conclusion que je tirerai de ces considérations est double.
1. D'une part, la voie suivie par les fondateurs de la mécanique quantique, fut, par des approches différentes pour chacun d'eux, de se laisser guider par les indications d'une «analogie formelle» (dans un sens structurel) avec les relations fondamentales de la mécanique classique dans son expression hamiltonienne. En cela, les physiciens quantiques ne faisaient que suivre, d'une certaine manière, les traces (c'est-à-dire la pensée et la pratique) de leurs prédécesseurs qui édifièrent les grandes théories de la physique classique, puisque la forme lagrangienne-hamiltonienne se tenait à l'horizon de l'ensemble de la physique théorique, de la mécanique à l'électromagnétisme et même à la thermodynamique, à la dynamique relativiste au sens restreint et à la théorie de la relativité générale. Cependant, ces théories «classiques» (nous l'entendons ici au sens de «non quantiques») avaient été obtenues par des voies qui faisaient intervenir des grandeurs plus ordinaires (coordonnées, vitesses, etc.) que les variables hamiltoniennes plus abstraites. Mais l'important reste qu'il ait été possible de les exprimer sous la forme hamiltonienne, plus compacte et générale.
On peut alors voir le travail principal d'élaboration de la mécanique quantique (y compris sous sa forme de mécanique ondulatoire) comme ayant suivi, en fait, le chemin suivant : en se basant sur le formalisme hamiltonien, mais sans garder la même signification physique, ni la même forme mathématique particulière aux variables dynamiques de ce formalisme.
Cela n'est pas sans nous rappeler la manière, évoquée dans l'introduction, dont Einstein avait élaboré la théorie de la relativité générale : gardant les conditions d'invariance et de covariance exprimées en termes de coordonnées d'espace-temps, mais retirant à ces dernières leur signification physique antérieure (liée à des distances euclidiennes et à des unités uniformes de durées). Leur nouvelle forme, acquise au terme de l'élaboration théorique guidée par les rapports mathématiques des grandeurs, avec la métrique variable en chaque point donnée par les champs de gravitation en ce point, donnait alors à ces grandeurs leur nouveau contenu physique, en permettant en même temps de concevoir que l'espace physique puisse être non euclidien d'une manière aussi «naturelle» qu'on le concevait auparavant comme euclidien.
La différence entre l'élaboration de la mécanique quantique et celle de la relativité générale, à cet égard, c'est que le contenu physique, pour la première, ne paraissait pas directemment donnée par la forme théorique (mathématique) des grandeurs. Celle-ci paraissait trop abstraite et ne pas correspondre aux grandeurs physiques auxquelles l'on était habitués, comme fonctions à valeurs numériques figurant dans des équations différentielles et pouvant correspondre à des résultats de mesures directes. On inventa des règles supplémentaires d'interprétation entre le formalisme théorique et les grandeurs (numériques) données par la mesure, à la conception desquelles l'on était habitués, et supposées être les grandeurs véritablement physiques, pour éviter de prendre les grandeurs et variables théoriques pour la description physique elle-même.
Une autre différence avec le cas de la relativité générale, ou de toute autre théorie physique «classique», réside dans la nature des principes de la mécanique quantique. Dans les autres théories, les principes physiques sont des énoncés porteurs d'un contenu physique qui détermine le caractère physique des grandeurs que ce principe relie entre elles, et dont la théorie exprime les relations (sous la forme d'équations). Avec la mécanique quantique, les principes énoncés étaient (et restent encore) d'une nature différente, puisqu'ils portent sur la définition mathématique des variables théoriques «dynamiques», et édictent leur lien indirect avec les résultats d'expérience (par les règles d'interprétation).
Pour que la mécanique quantique soit une théorie physique sur un mode semblable aux autres théories physiques (sans être aucunement, pour cela, réduite à une théorie classique, mais en préservant pleinement, au contraire, la spécificité des phénomènes quantiques), il faudrait qu'elle énonce en premier un principe physique (ou plusieurs, mais en petit nombre) porteur(s) d'un contenu physique. Ce principe devrait apparaître comme une propriété généralisée des phénomènes quantiques, susceptible de déterminer le contenu physique des grandeurs entre lesquels ce principe établit des relations. Les grandeurs admises comme physiques se trouveraient par là définies dans ces relations mêmes, qui expriment les propriétés physiques des systèmes quantiques, ces dernières étant données dans l'expérience.
Données dans l'expérience : mais cela ce ne veut pas nécessairement dire données de façon directe dans les actes de mesure. Il est possible de concevoir aussi bien qu'elles puissent être données de manière indirecte, comme le sont d'ailleurs tant d'autres grandeurs physiques de forme complexe en physique classique, des différentielles aux tenseurs et aux matrices. Avec cette acception, la théorie physique qu'est la mécanique quantique, même sous sa forme générale de théorie-cadre indépendante d'une dynamique particulière, pourrait avoir pour grandeurs physiques porteuses de contenus physiques rapportés aux phénomènes quantiques, les «variables dynamiques» elles-mêmes, exprimées comme opérateurs (et communément, mais malheureusement, dénommées «observables»). La première de ces grandeurs, déterminée par les autres, dont elle exprime la synthèse en représentant directement l'état physique du système quantique considéré, serait évidemment la fonction d'état (ou «fonction d'onde», yð), exprimée comme une superposition linéaire de ses états fondamentaux en cohérence de phase, qui constituent une base relative aux variables dynamiques choisies par la «préparation».
Sans nous appesantir sur ce point, traité par ailleurs, on conviendra que le choix, par Dirac, de l'«analogie formelle» pour la mécanique quantique à travers l'expression hamiltonienne des relations entre les variables dynamiques aura été très heureux, par sa fécondité quant aux résultats obtenus, mais aussi, nous pouvons mieux le comprendre aujourd'hui, par sa signification du point de vue théorique. Il a permis de discerner les caractéristiques des systèmes quantiques les plus spécifiques, les plus «impensables» dans tout autre schème conceptuel et théorique. Il a permis de les dévoiler, de les concevoir, de les penser.
La forme mathématique des grandeurs par lesquelles sont décrits les systèmes quantiques s'est, en effet, révélée si adéquate qu'elle a permis de prévoir des comportements aussi nouveaux et à première vue «étranges» que la non-séparabilité quantique, l'interférence d'un système individuel avec lui-même, l'interaction d'un atome individuel avec le champ électromagnétique dans lequel il se trouve, la condensation de Bose-Einstein, le principe d'exclusion, qui gouverne l'organisation atomique de la matière (et les propriétés des éléments chimiques) et jusqu'à l'organisation de certaines étoiles (naines blanches et étoiles à neutrons), les (éventuelles) oscillations de neutrinos, les interférences de mésons neutres, etc.… Et sans parler de la possibilité, grâce à cette forme, de construire une théorie quantique des champs d'interaction de la matière (encore en élaboration du point de vue fondamental, mais qui a connu des succès partiels remarquables).
Il résulte de tout ceci qu'il est difficile désormais de récuser que la représentation théorique des systèmes quantiques par la fonction d'état et par les variables-opérateurs de la mécanique quantique puisse être vue comme une représentation physique dans le sens le plus direct qu'il se puisse, le terme «direct» n'excluant pas un degré élevé d'abstraction. Le caractère «direct» d'une telle représentation doit être rapporté, en vérité, à sa plus grande immédiateté pour l'entendement, quelque soit son degré d'abstraction, bien plutôt qu'à sa proximité des résultats d'expérience, le caractère physique étant, quant à lui, rapporté au contenu de connaissance de cette représentation relativement aux phénomènes.
En quelque sorte, la mathématisation (ou construction mathématisée) de la physique quantique, justifiée par les propriétés des concepts et des grandeurs, adéquatement définis, qui permettent de caractériser cette dernière, s'est faite principe d'explication pour cette théorie physique.
En ceci, elle ne fait que s'inscrire dans la lignée de l'histoire de la constitution de la théorie physique dans tous ses domaines, depuis ses premières mises en forme «analytiques» par le calcul différentiel et intégral. Dans tous les cas, cette mathématisation n'était légitimée que dans la mesure où les grandeurs et les principes correspondant à la spécificité des phénomènes physiques se voyaient exactement formulés. Ce «principe d'explication» rend compte de manière à la fois analytique et synthétique des relations les plus précises entre les concepts et les grandeurs qui tissent les propriétés du monde physique et expriment son unité sous-jacente.

2. Le second élément de ma conclusion concerne, précisément, le principe physique «manquant» à la mécanique quantique au sens propre. Il faut ici préciser ce que peut vouloir dire «principe physique manquant». Il est «manquant» dans la mesure où il n'est pas énoncé dans la théorie, ce qui ne veut pas dire qu'il soit absent des propriétés que nous connaissons du domaine quantique. Simplement, il n'a pas été choisi ou énoncé explicitement comme principe. Quel serait donc ce principe, ou le meilleur candidat à ce titre ?
On notera, tout d'abord, que les théories dynamiques particulières constituées dans le cadre conceptuel et formel de la mécanique quantique (par exemple, les théories quantiques de champs) sont, elles, formulées d'une manière très semblable aux autres théories physiques (non quantiques), mais dans l'«espace abstrait» de leur définition (dans le cadre de la mécanique quantique) : elles admettent des principes fondamentaux qui sont en général des principes de symétrie, déterminant des lois d'invariance et de transformation des grandeurs, ces grandeurs obéissant au formalisme quantique.
Il faudra discuter autre part du caractère, soit abstrait, formel et indirect, de ces grandeurs (les «nombres quantiques» au sens général), soit physique et direct, dans l'expression de contenus physiques. C'est un fait que les physiciens travaillant sur les théories et les expériences de ce domaine ne se demandent même pas si ce ne sont là que des grandeurs ou des relations indirectes. Ils se les donnent comme décrivant étroitement, et même très «concrètement», les systèmes physiques considérés. Et, d'ailleurs, ils n'ont pas d'autre moyen pour décrire les systèmes physiques et les phénomènes associés que ces grandeurs réputées «formelles». Il ne disposent, pour ces descriptions, ni d'analogue ni de correspondant classique. Leur caractère physique propre leur apparaît résulter des principes (de symétrie et d'invariance) de la théorie.
Quant à la mécanique quantique au sens strict, on ne saurait dire qu'elle manque de propriétés générales qui puissent tenir le rôle de «principes physiques fondamentaux», à considérer les «propriétés» mentionnées précédemment. Parmi toutes ces propriétés, qui s'impliquent les unes les autres (et qui tiennent, quant à leur expression formelle, au «principe de superposition»), on serait plutôt en peine d'établir laquelle est plus fondamentale que les autres, dans le sens où celle qui le serait exprimerait de la manière la plus générale et la plus complète possible la spécificité quantique, qui la rend irréductible à la physique classique. Le principe de superposition lui-même devrait apparaître comme une traduction mathématique des relations impliquées par cette propriété.
Or, parmi tous les traits caractéristiques les plus frappants de la mécanique quantique, il en est un qui parait plus remarquable que tous les autres, quand on compare la mécanique quantique et la mécanique classique. Prenons la loi de Newton de la gravitation, ou même simplement l'équation dynamique de la mécanique classique : elles s'appliquent à des grandeurs relatives à des corps (ou systèmes matériels) qui restent par ailleurs totalement extérieurs à la description théorique : un point matériel, la Lune ou la Terre, sont toujours discernables de tout autre corps, fût-il le plus semblable, qui se trouverait dans le même état physique. Considérons, au contraire, l'équation d'état en mécanique quantique : elle comporte l'identité même du système physique décrit, puisqu'elle le déclare indiscernable de tout autre système identique se trouvant dans un même état physique. Cette propriété est inhérente à tout système physique descriptible par la mécanique quantique, et peut être considérée comme une propriété (physique) de nature tout à fait générale pour de tels systèmes, c'est-à-dire caractéristique du domaine, ou du monde, quantique.
Pour ces raisons, il me semble légitime de proposer que la propriété physique la plus fondamentale des systèmes quantiques, le principe physique quantique fondamental, est l'indiscernabilité des «particules» (ou systèmes) identiques. Elle implique les deux possibilités, pour la fonction d'état représentative des systèmes de plusieurs «particules» de ce type se trouvant dans le même état physique, si l'on permute celles-ci deux à deux, de la symétrie (comportement «statistique», ou probabiliste, de Bose-Einstein) ou de l'antisymétrie (comportement «statistique», ou probabiliste, de Fermi-Dirac). L'indiscernabilité des particules quantiques identiques entraîne l'identification de celles-ci avec l'état dans lequel elles se trouvent, décrit par la théorie, c'est-à-dire l'adéquation exacte entre l'objet physique (dans ses propriétés considérées) et sa description théorique.

3. J'avais annoncé deux éléments de conclusion. Mais un troisième vient immédiatement à s'imposer. Si l'on admet ce qui précède, le problème de l'«interprétation» de la mécanique quantique n'est plus essentiellement, désormais, un problème philosophique sur la réalité physique ou non, mais un problème seulement épistémologique et physique sur la nature exacte de la relation entre le monde quantique, décrit par la mécanique quantique considérée comme une théorie physique au sens plein, comprenant des principes et des grandeurs physiques appropriés, et le monde macroscopique de notre expérience, décrit par les théories physiques «classiques».
Les termes du débat quantique traditionnel apparaissent dès lors archaïques par rapport à la connaissance effective que donne la physique quantique ; son domaine est en fin de compte bien plus étroitement cerné par ses représentations théoriques que le domaine «macroscopique» lui-même ne l'est par les théories de la physique classique. Et, en tout cas, il l'est assurément beaucoup plus que ce que la conception «orthodoxe» laissait entendre avec son interprétation observationaliste, qui limitait a priori la connaissance possible du «réel». A cette interprétation «philosophique» nous pouvons substituer une évaluation épistémologique de la portée physique de l'utilisation appropriée de l'outil mathématique, dont l'histoire même de l'élaboration de la mécanique quantique nous indique la direction et le bien-fondé.


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Resumo. Argumentamos la idea según la cual, desde la hipotesis de la cuantificación de los cambios de energia por Planck hasta la elaboración de la mecanica cuantica, bien como en los desarollos posteriores de la fisica en la area cuantica, la colocación en evidencia de relaciones matemáticas ha permitido al conocimiento fisico penetrar en el mundo atomico y subatomico escapando al conocimiento sensible. Estas relaciones revelarónse correspondiendo a trazos fisicos característicos de los fenomenas cuanticos. Por mucho tiempo, el estatuto epistemologico de esas relationes fué considerado problemático, sendo imerso en las consideraciones «fisico-filosóficas» concerniendo a la «interpretación». El caso no es, sin embargo, radicalmente nuevo, si se recuerda en fases anteriores de la utilización de magnitudes matematicas como «hierramientas de pensamiento» para la teoria fisica, por ejemplo en mecanica clássica, en electromagnetismo, en termodinámica. Las justificaciones de esa utilización estavan ligadas con varias «interpretaciones» del alcanzo fisico de las relaciones matemáticas. Todo bien considerado, la situación no es diferente con la formulación aparentemente abstrata de la mecanica cuantica. Si eso es el caso, el problema de la interpretación esta voltado al estatuto épistémologico de las magnitudes cuanticas que sirben para describir los sistemas fisicos. Ora, precisamente, la compreension actual de la fisica cuantica lleva naturalmente a considerar las magnitudes teóricas, con su forma matemática, como representaciones «directas» de los systemas fisicos en la area cuantica. Quedanos evaluar lo que eso supone como mudanzas (y simplificaciones) a respecto de los problemas de interpretación.

Résumé. On développe l'idée selon laquelle, depuis l'hypothèse de la quantification des échanges d'énergie par Planck, jusqu'à l'élaboration de la mécanique quantique, ainsi, d'ailleurs, que dans les développements ultérieurs de la physique du domaine quantique, la mise au jour de relations mathématiques a permis à la connaissance physique de pénétrer dans le monde atomique et subatomique qui échappait à l'appréhension sensible. Ces relations se sont avérées correspondre à des traits physiques caractéristiques des phénomènes quantiques. Longtemps le statut épistémologique de ces relations a fait problème, immergé dans les considérations «physico-philosophiques» sur l'«interprétation». Le cas n'est pourtant pas si radicalement nouveau, si l'on se rappelle de phases précédentes de l'utilisation de grandeurs mathématiques comme «outil de pensée» pour la théorie physique, par exemple en mécanique classique, en électromagnétisme, en thermodynamique. Les justifications de cette utilisation étaient liées à diverses «interprétations» de la portée physique des relations mathématiques. A tout bien considérer, il n'en va pas autrement avec la formulation apparemment abstraite de la mécanique quantique. Si tel est bien le cas, le problème de l'interprétation est ramené au statut épistémologique des grandeurs quantiques servant à décrire les systèmes physiques. Or, précisément, la compréhension actuelle de la physique quantique amène naturellement à considérer les grandeurs théoriques, sous leur forme mathématique, comme des représentations «directes» des systèmes physiques dans le domaine quantique. Il reste à évaluer ce que cela entraîne comme changements (et simplifications) sur les problèmes d'interprétation.


Abstract. Quantum physics or the drift of physical thought by mathematical forms. In this work, we develop the idea according to which, since Planck's hypothesis of the quantification of energy exchanges, up to the elaboration of quantum mechanics and also to further developments of the physics of the quantum domain, the discovery of mathematical relationships has allowed physical knowledge to penetrate inside the atomic and subatomic worlds that lay outside the reach of sensitive apprehension. These relationships have proven to correspond to physical features that are characteristic of quantum phenomena. The epistemological status of these relationships has been considered as problematic for a long time, and was immersed in «physico-philosophical» considerations on the «interpretation». Nevertheless the case was not so radically new, if one reminds preceding phases of the utilization of mathematical quantities as a «tool of thought» for the physical theory, for example in classical mechanics, in electromagnetism, in thermodynamics, and in general relativity. Justifications of this utilization were linked to various «interpretations» of the physical scope of mathematical relationships. All well considered, it might not be different with the apparently abstract formulation of quantum mechanics. If this is true, the problem of the interpretation is brought to the epistemological status of the quantum magnitudes that serve to describe physical systems. Now, precisely, the present understanding of quantum physics naturally leads to consider theoretical magnitudes, under their mathematical form, as «direct» representations of physical systems in the quantum domain. It remains to evaluate which kinds of changes (and of simplifications) on the problems of interpretation this would entail.


Contenu
1. Introduction.
2. Exploration probabiliste et construction quantique.
3. La force contraignante du formalisme et des faits d'expérience. (Des relations mathématiques en perte de leurs interprétations physiques courantes)
4. La signification physique des relations théoriques
6. La mathématisation et les principes physiques.
Références bibliographiques.


* équipe REHSEIS (UMR 7596), CNRS et Université Paris 7-Denis Diderot,
Centre Javelot, 2 Place Jussieu, F-75251 Paris-Cedex-05.
Courrier électronique : paty@paris7.jussieu.fr

 D'Alembert [1752], Préface ; voir Paty [2001].
 Poincaré [1905b] ; voir Paty [1996].
 Planck [1900b], précédée de Planck [1900a] ; voir Jammer [1966], Kuhn [1978].
 Boltzmann [1896-1898].
 Poincaré [1905a], chap. 1 et 5 ; voir Paty [à paraître, b].
 Voir, p. ex., Jammer [1966], Kuhn [1978].
 Einstein [1903].
 Voir Darrigol [1990], Paty [1988 ; à paraître, a].
 Lorentz [1904], Einstein [1905c] ; voir Paty [1993a].
 Voir Paty [1993a], chapitres 2 et 3.
 Paty [1993a], chapitre 4.
 Poincaré [1905a], chap. 1 et 5 ; voir Paty [à paraître, b].
 Einstein [1905b]. Voir Paty [1988], chap. 3 ; Darrigol [1990], Paty [à paraître, a].
 En particulier dans la mise en évidence des mouvements moléculaires par Jean Perrin, qui vérifia les prédictions de la théorie d'Einstein (Einstein [1905a] ; voir Paty [1988] , chap 3).
 Einstein [1906] ; voir Jammer [1966], Paty [à paraître, a].
 Einstein [1907, 1909]  ; voir Jammer [1966], Paty [à paraître, a].
 Einstein [1912] ; voir Paty [à paraître, a].
 Ehrenfest [1912], Natanson [1912], Kastler [1983], Paty [1988], Darrigol [1988, 1991].
 de Broglie, M. & Langevin [1912].
 Poincaré [1911, 1912] ; voir Paty [2000b].
 Einstein [1916].
 Bohr, Kramers & Slater [1924], Bothe& Geiger [1924, 1925], Einstein [1926]. Voir Paty [à paraître, a].
 Bose [1924 a et b], Einstein [1924, 1925 a et b].
 Albert Einstein, lettre à Erwin Schrödinger, 28 février 1925 (Archives Einstein). Voir Paty [à paraître, a].
 Sur l'importance du concept de probabilité et sa relation à une théorie à venir des quanta, je veux signaler ici les conceptions de Paul Langevin, esquissées dès 1913, et poursuivies après l'éélaboration de la mécanique quantique (Langevin [1913, 1934] ; voir Paty [1988, 2000b]).
 Schrödinger [1926]. Voir Kragh [1982], Bitbol & Darrigol [1993], Paty [1993].
 L'«interprétation probabiliste» de la fonction d'onde de la mécanique ondulatoire ou du vecteur d'état de la mécanique quantique est dû à Max Born, qui la formula en 1926 (Born [1926a, 1927]). L'équivalence des deux «mécaniques», ondulatoire et quantique, fut montrée en 1926 par Schrödinger (voir le mémoire dans Schrödinger [1926]).
 En part., Heisenberg [1925], Born [1926a et b], Born & Jordan [1925], Born, Heisenberg & Jordan [1926], Jordan [1926].
 Bohr [1923], Dirac [1925a] ; voir Mehra et Rechenberg [1982], vol. 4, p. 97.
 Je renvoie, pour le sens profond du travail de Dirac, au beau livre d'Olivier Darrigol sur l'analogie classique dans la théorie quantique (Darrigol [1992]).
 Heisenberg [1925], Born [1926].
 Dirac [1925a], p. 649. Dans l'original : «The correspondence between the quantum and classical theories lies not so much in the limiting agreement when  as in the fact that the mathematical operations on the two theories obey in many cases the same laws»
 Dirac [1925b].
 Dirac [1926a], p. 562. Voir aussi Dirac [1926b].
 Dirac [1925b], p. 647-648.
 Dirac, cité dans Mehra et Rechenberg [1982], vol. 4, p. 162-163. Ces auteurs indiquent l'inspiration exercée sur Dirac par la géométrie projective dans l'expression des lois mathématiques des nombres-q.
 Sur cette question, voir Paty [2001b].
 Cohen-Tannoudji, Cl. [1996], et Claude Cohen-Tannoudji, Conférence à la Rencontre de la Société Française de Physique, Physique et interrogations fondamentales : Le siècle des quanta, Bibliothèque Nationale de France, Paris, 15 nov. 2000.
 Dirac [1930].
 Cornell & Wiemann [1998].
 Claude Cohen-Tannoudji, Conférence du 15 nov. 2000, mentionnée plus haut.
 Voir Paty [1994a].
 Je ne puis m'étendre ici sur ces points, examinés dans plusieurs publications récentes déjà citées, en particulier Paty [2000c].
 Voir Paty [2001a].
 Voir Paty [1999, 2000a, c ; à paraître, c et d].
 Sur la notion de grandeur physique, voir Paty [1998c, 2001a].
 Voir Paty [1994b].
 Voir Paty [2001b].
 Il faut tenir compte de la «seconde quantification», qui transforme les fonctions d'état de la mécanique quantique en opérateurs agissant sur de telles fonctions. On s'est élevé, ce faisant, d'un degré dans l'abstraction du «formalisme» : l'objet précédent est devenu opération.
 L'objet identique ainsi caractérisé est en relation d'équivalence (au sens mathématique) avec un autre, modulo certaines caractéristiques qui pourraient les différencier dans une connaissance plus approfondie (exprimées par d'autres nombres quantiques non pris en compte dans la théorie, comme ceux des symétries dynamiques). Voir Paty [2000d].
 Voir une esquisse d'approche épistémologique de ce problème dans Paty [2000c].

Michel Paty La physique quantique ou l'entraînement … par les formes mathématiques