Td corrigé la politique du logement en france (1945-1970) - TEL (thèses pdf

la politique du logement en france (1945-1970) - TEL (thèses

La Société du mont Pèlerin qui, fondée en 1947 à l'initiative de Friedrich Hayek, ...... M.L. - Vous avez raison, les discussions à ce sujet sont incessantes mais, ...... Section 2 L'impérialisme de l'économie néoclassique .... on ne pouvait guère le considérer comme faisant toujours partie du camp de la synthèse néoclassique.




part of the document










Jean-Claude CROIZÉ


POLITIQUE ET CONFIGURATION DU LOGEMENT EN FRANCE
(1900-1980)












Volume III


NAISSANCE D'UNE POLITIQUE (1947-1953)
ET
TRAITEMENT DE LA QUESTION DES LOYERS (1945-1980)














SOMMAIRE




Introduction ……………………………………………………………………………… p. 3


1) NAISSANCE D'UNE POLITIQUE (1947-1953) ………………………………….. p. 6

11. La reconstruction immobilière : évidence et problèmes ………………….. p. 6

"La guerre est venue ajouter ses ruines……………………………………. p. 6
Le préalable de l'urbanisme ……………………………………………… p. 10
Les entreprises et la capacité de production …………………………….. p. 19

12. La reconstruction de l'État, ou comment l'urgence s'entend en France .. p. 27

La « logique » de la reconstruction française …………………………… p. 27
Les forces armées, ou les priorités de l'Empire …………………………. p. 36
Regard sur le budget de l'année 1947 et les développements ultérieurs … p. 43
La chute d'un État impérial ……………………………………………… p. 54

13. La proclamation de la politique du logement ……………………………. p. 61

Une journée particulière au Conseil de la République …………………... p. 61
Le « besoin », une notion pleine d'avenir mais discutable ………………. p. 69

14. Dimensions et consistance de la politique du logement …………………. p. 78

De la connaissance de la situation à la fixation des normes ……………... p. 79
Plan d'action ……………………………………………………………… p. 93


2) LES LOYERS ET L'HABITAT EXISTANT …………………………………... p. 100

21. L’évolution des loyers telle qu’on l’observe ……………………………. p. 100

22. Enjeux et acteurs : éléments de problématique ……………………...... p. 112

Les acteurs ……………………………………………………………… p. 114
La question des loyers et la structure de la politique du logement …….. p. 123

La loi du 1er septembre 1948 …………………………………………... p. 130

Genèse et contenu de la loi du 1er septembre 1948 …………………… p. 133
Dispositions « techniques » ……………………………………………. p. 140


24. L’évolution ultérieure du régime des loyers …………………………… p. 146

Le temps de la guerre (1949-1962) …………………………………….. p. 146
Les années 1960 : le temps de la « remise en ordre » ? ……………….. p. 155
Éléments pour un bilan ………………………………………………... p. 165

25. L’amélioration de l’existant ……………………………………………… p. 170

L’action du Fonds National d’Amélioration de l’Habitat (FNAH) ……. p. 170
À la recherche d'une voie efficace ……………………………………... p. 177

26. Ajuster la répartition : réquisition, échange, allocation de logement … p. 186

Des réquisitions aux incitations à l'échange …………………………… p. 187
L’allocation de logement …………………………………………….... p. 194



3) CONCLUSION …………………………………………………………………... p. 202

Introduction


Trente années de dérive, de palinodies et d'impérities ont fini par conférer à la question du logement un caractère pressant et très visible, encore accentué par des destructions de guerre qui, heureusement, ont épargné le plus gros du patrimoine de l’habitat. Rétrospectivement, c'est en tout cas sur cette base que la critique formule ses appréciations concernant l'après-guerre. On professe qu'il a fallu opérer dans l'urgence et on conclut inévitablement que l'impréparation explique nombre des insuffisances qui peuvent être constatées. On a là une représentation qui a certes le mérite d'être opératoire, mais qui s'avère fort commode pour les acteurs, dont elle excuse par avance les éventuels manquements. Une pareille vision n'en est pas moins fragile. Elle paraît en effet souffrir d'une déficience de bases réelles sur au moins deux points essentiels.

En premier lieu, comment parler d'impréparation quand on connaît la consistance des réflexions conduites entre les deux guerres et quand tout s'accorde pour montrer que de 1941 à 1945 les travaux théoriques se sont poursuivis aussi bien à l'université que dans l'administration et au sein des corporations ? Faudrait-il considérer tout cet acquis, et l'exemple de pays voisins ou comparables, qu'on observe attentivement, comme exempts d'efficacité ? N'en viendrait-on pas alors à nier le rôle de la réflexion et de l'expérimentation, voire même la capacité opératoire des politiques publiques ?

En second lieu, comment invoquer l'urgence quand on voit la reconstruction immobilière ne démarrer vraiment qu'après 1949 et s'étaler sur plus de quinze ans ? Il faut croire qu'il y avait plus pressant, que la reconstruction de l'État, la reconstitution de ses forces armées et le maintien de son Empire primaient sur l'attention accordée à des habitants qui, somme toute, pouvaient encore patienter, se serrer ou se terrer.

On peut dater la naissance d'une politique du logement par deux repères majeurs : la réforme des HBM de 1947, et le lancement sur grande échelle d'un programme de logements « économiques » soutenus par l’État, qui coïncide, en 1953, avec l'entrée dans le second Plan de modernisation et d'équipement, ou "plan Hirsch" (1953-1957). Du premier Plan, ou "Plan Monnet" (1946-1952), on sait suffisamment qu'il n'a pas été orienté en faveur du logement. C'est néanmoins durant ce septennat que le gouvernement assume pour l’essentiel, et pour la première fois en France, la conception d'une politique du logement en tant qu'ensemble de mesures articulées entre elles. De la réforme des HBM (1947-1950) à l'institution du système des primes et prêts spéciaux du Crédit Foncier (1950) en passant par la loi sur les loyers et ses décrets d’application (1948-1949), on voit émerger les dispositifs de fond qui vont constituer le cadre d'une intervention active. Seules sortent des limites de l'épure, sans s'en écarter beaucoup, la loi sur l'urbanisme, qui date de 1943, la création du Fonds national d’amélioration de l’habitat (FNAH), qui se fait en 1945, et le décret organisant la participation des employeurs à l'effort de construction, qui est publié en 1953. L'essentiel est acquis dès 1950, et les deux années de prolongement du Plan Monnet constituent une période de transition où, si l'action reste pour une part en attente, le cadre qui l'autorisera est déjà en place.

Associant une modernisation des infrastructures qui est loin de ce qu’on attendrait, un parc de logements qui souffre de multiples déficiences aussi bien quantitatives que qualitatives, et un régime des loyers qui tourne à l’ineptie, l’héritage de l’entre-deux-guerres peut apparaître inextricable. La période de Vichy laisse néanmoins derrière elle deux éléments sur lesquels il sera possible de prendre appui : une loi d’urbanisme taillée par et pour les services de l’État, et une administration en mesure d’en assurer la mise en œuvre, en attendant de se saisir de la construction. Tout en confirmant ces acquis, la Libération apporte à son tour sa contribution, notamment à travers la nationalisation de l’essentiel du crédit, qui met la quasi-totalité des moyens financiers à la disposition du seul acteur susceptible d’assurer la relance de la construction. Émerge ainsi une configuration qui rend la conception et l’exécution d’une politique du logement non seulement possible mais nécessaire, au sens où, au moins pour un temps, seul un projet d’État est susceptible de sortir le logement français de son marasme. Outre ce qu’on peut redouter d’un projet administré depuis Paris – son uniformité et, contradictoirement, ses à peu près –, l’aspect le plus incertain des perspectives qui s’ouvrent tient à la place que le gouvernement attribuera au logement dans la hiérarchie des objectifs d’un État appauvri qui s’emploie à reconstruire sa souveraineté. Or, à cet égard, si la paix paraît revenue en Europe, le contexte qui se développe dans l’Empire est de nature à susciter des urgences propres à consommer les disponibilités financières, et donc à faire différer ou minorer l'effort de construction. Une des rares choses qui peut passer pour acquise est que la production du logement participera du projet d’industrialisation du pays, au double sens que les réalisations devront servir les implantations d’usines et que la construction elle-même devra s’industrialiser.

Mais, avant que le rêve de construire se traduise en réalités, encore faudra-t-il avoir statué sur la question des loyers. La seconde guerre, l’Occupation puis l’immédiat après-guerre ont donné lieu à une nouvelle glissade qui a ramené les taux d’effort moyens des ménages entre 1% et 3%, un niveau inouï qu’on ne retrouve guère qu’en Italie ou… en Union Soviétique. Si la contribution des ménages devait rester aussi modique, cela impliquerait que les constructions locatives soient réalisées comme une pure œuvre de bienfaisance publique, sans espoir de retour du capital. Or, si l’on est disposé à consentir des facilités qui pourront s’inspirer des programmes d’intervention de l’entre-deux-guerres, en premier lieu la loi Loucheur, on reste attaché au principe de prêts remboursables et on entend que les facilités faites au locatif sous gestion publique ne viennent pas décourager totalement l’accession à la propriété, même chez les gens modestes. Faute qu’on puisse comprimer les prix du logement neuf à un niveau proche de ce qui prévaut dans les locations populaires du parc privé, une condition préalable à tout essor de la production consiste donc en une revalorisation des loyers. C’est ce qui sera engagé, difficilement et après deux années de tergiversations, par le vote de la loi du 1er septembre 1948.

Le présent volume est consacré à deux aspects : la naissance de la politique du logement et la revalorisation des loyers.

Sur le second point, le souci directeur est d'accorder l'attention nécessaire à un processus central, en ce sens que sa réalisation conditionne le succès des autres dimensions de l'action, notamment ce qui concerne la stimulation de la construction neuve. Des tendances qui ont été à l'œuvre durant trente années ont conduit à une impasse, et il faudra sensiblement autant de temps pour s'extraire de l'ornière. La seule considération de la durée du redressement laisse comprendre qu'il ne s'est sans doute pas agi d'un processus linéaire, et qu'il faut au contraire s'attendre à des variations dans le rythme et la nature des mesures qui ont paru opportunes au fil des conjonctures successives.

Sur le premier point, l’objet sera de remettre en scène le dispositif de la politique du logement dans son expression initiale, et en le resituant dans les circonstances où il émerge à la fin des années 1940. On doit remarquer que nombre de mesures ont été différées, que ce soit au niveau de leur adoption ou de leur mise en œuvre, et, si ce qui concerne les loyers se traduit immédiatement dans les faits, force est de constater que, de la réforme des financements HBM de 1947 au milieu des années 1950, la dynamique de la construction tarde à se manifester. S’interrogeant sur ce retard de la construction française que la critique tend à imputer à la priorité accordée aux infrastructures, on se gardera de borner le regard à la sphère de la construction et de l’aménagement. Dans le cas d’un État où les moyens financiers sont étroitement centralisés et contrôlés par les instances gouvernementales, il importe en effet de revenir à la répartition globale des allocations de moyens pour discerner les vraies priorités du moment. Entreprise ici pour la période de la Reconstruction, avec une attention particulière à l’année 1947, cette démarche conduit à concevoir que, loin de correspondre à des équipements physiques propices à la vie civile, les infrastructures prioritaires sont celles d’un État impérial, en premier lieu les trois armes (Terre, Mer, Air) d’une institution militaire qu’on remet en urgence sur le pied de guerre. Dans ce moment re-fondateur, l’aisance des moyens accordés à la reconstitution des arsenaux ou à une industrie de l’aviation qui ne sait qu’en faire a pour contrepartie les limites de ce qui est consacré à l’équipement civil, sans rien dire de la maigreur de ce qui est alloué au logement.

On entend qu’une telle lecture n’a rien d’usuel en matière de commentaires sur la question du logement et, au regard de l’histoire générale du pays, on peut ajouter qu’elle met en évidence la persistance d’un projet inadapté à la modernité, en ce sens qu’il est décalé par rapport aux réalités du temps, particulièrement dans un pays dont le caractère impérial sur le plan économique – sa capacité à exporter des capitaux – a été ruiné par la « victoire » de 1918. Ces vues globales sur la République des illusions n’en sont pas moins indispensables si on veut éclairer la nature réelle des contraintes qui vont peser sur un objet d’investissement lourd comme le logement, au moins jusqu’en 1962. Des contraintes qui ne s’exercent pas, en tout cas pas au même degré, chez les grands voisins européens, et qui paraissent seules de nature à rendre compte du retard initial de la construction française, puis des insuffisances qui marquent durablement les logements nouveaux.

1) NAISSANCE D'UNE POLITIQUE (1947-1953)



11. La reconstruction immobilière : évidence et problèmes.


"La guerre est venue ajouter ses ruines…"

La fin de l'année 1944 et l'année 1945 sont encore pleinement occupées par la guerre en Europe et ses conséquences : effort militaire d'un État qui se reconstitue et qui doit retrouver sa place dans le concert des vainqueurs, secours humanitaires, mouvements de réfugiés, retour des prisonniers et des déportés. Lorsque les canons se taisent, il reste à déminer, à déblayer… et à prendre la mesure de destructions qui affectent aussi bien les immeubles de toutes natures que les infrastructures. On ne reviendra pas ici sur les vagues successives des opérations militaires, qui ont conféré aux destructions une géographie sensiblement différente de celle de 1918. Mais, tant en raison de son importance vis-à-vis de la théorie de "l'urgence" que des aléas qu'elle révèle, on ne peut esquiver la discussion concernant l'évaluation quantitative des logements "détruits ou endommagés", selon l'expression qui prévaut à l'époque.

À cet égard, les données statistiques proviennent toute de la même source : l'État, qui chiffre les dommages à partir des demandes d'indemnisation qu'il reçoit. Dans un monde d'où la copropriété est encore à peu près absente, les demandes correspondent à des immeubles. C'est une première cause d'incertitude, car un immeuble urbain, ou même une ferme, abrite souvent plusieurs fonctions, ce qui rend aléatoire la discrimination entre le domaine de l'habitation et le reste du bâti. À cette difficulté s'en ajoute immédiatement une seconde, car un immeuble "touché" s'inscrit dans une gradation qui caractérise des situations nettement différentes :
- "détruit" ou "rasé" : seules subsistent des substructures ou des éléments de structure;
- endommagé gravement : réparable ou non dans une équation économique acceptable, présentant souvent des périls, et sans doute inutilisable en l'état;
- "endommagé" : réparable, et vraisemblablement habitable en tout ou en partie dans l'attente de travaux.
Si les deux catégories extrêmes ne laissent guère de place à l'interprétation, il en va autrement de la catégorie médiane, et on imagine sans peine que des variations locales aient affecté l'évaluation de la gravité des dommages.

À ces incertitudes purement techniques s'en ajoutent d'autres, typiques d'une procédure déclarative :
- des immeubles touchés à plusieurs reprises ont pu, dans un premier temps, être comptabilisés en double ou en triple, sans qu'il y ait pour autant une démarche abusive des propriétaires, mais simplement une demande renouvelée;
- dans les villes où les cadastres et les actes notariaux avaient disparu dans la fumée des incendies, des propriétaires ont pu être tentés de présenter des dossiers exagérant les dimensions ou les qualités de leurs biens.

Certes, on voit des représentants de l'État dénoncer ici ou là des demandes abusives. Un exemple tardif (1966) en est donné par un rapport d'inspection générale qui récuse une demande concernant la reconstruction à neuf d'une maison dans un village alpin. L'objet en cause était effectivement effondré, mais il n'était pas avéré que cela résultât d'un fait de guerre et, en tout état de cause, il s'agissait d'une simple grange déjà abandonnée à son destin avant 1939. Tous ces éléments, dont on devine qu'ils étaient bien connus sur place, n'avaient pas empêché les autorités locales de contresigner les documents.

Au fil du temps, il est vraisemblable que les demandes d'indemnisation ont été soumises à des investigations de plus en plus attentives. Mais rien ne dit que cela ait constitué une attitude constante de l'État, notamment en 1945-1946 quand une administration sollicitée par toutes sortes d'urgences devait de surcroît assurer le recensement des dégâts. Dans la mesure où on imaginait une nouvelle fois que « l'Allemagne paierait », il y a même lieu de penser que d'éventuelles exagérations n'aient pas, dans un premier temps, été considérées comme un péché bien grave de la part des pétitionnaires. Comme le rappelle opportunément Danièle Voldman :

"La Commission du Coût de l'Occupation fut créée le 21 octobre 1944. Destiné à calculer le montant des réparations que la France pouvait exiger de l'Allemagne vaincue, cet organisme avait d'abord pour modèle la Commission des Réparations instituée par l'article 233 du Traité de Versailles."

Et, en conséquence :

"Les chiffres, fiables dans leur ensemble, obéissent néanmoins à la logique de vainqueurs persuadés de leur bon droit."

Dans ces conditions, les estimations de 1944-1946 doivent être regardées avec prudence, et il n'y a pas à s'étonner que circulent, au gré des indications retenues par les auteurs, des "données" qui peuvent laisser des impressions assez différenciées.

Au milieu de ces fluctuations statistiques, Danièle Voldman retient un bilan global de 2,36 millions d'immeubles sinistrés, dont 1,9 million d'immeubles endommagés et 460 000 immeubles détruits. On ne saurait toutefois la suivre lorsqu'elle juge qu'à des réserves secondaires près, les différents bilans dont elle a eu connaissance sont "similaires". En effet, les totalisations qu'on peut effectuer à partir du tableau de synthèse qu'elle a constitué aboutissent toutes à des résultats notablement inférieurs : 1,685 millions d'immeubles détruits ou endommagés pour la Commission du Coût de l'Occupation, 1,87 million pour une estimation du MRU, 1,685 million à nouveau pour les "notes et études des 1946". L'écart qui se constate alors entre ces dommages "privés" et le bilan global paraît trop considérable pour s'expliquer par un jeu sur les édifices publics.

En fait, l'estimation des dommages privés contenue dans les "notes et études de 1946" est celle qui est généralement retenue. Elle inclut 253 000 immeubles agricoles et 196 500 immeubles industriels et commerciaux, ce qui laisse une masse de 1,236 million d'immeubles d'habitation, dont 310 000 détruits et 926 000 endommagés. Compte tenu de la nature des immeubles constituant le parc de logements, dont on a rappelé la typologie dans la partie précédente, on peut s'attendre à une moyenne de l'ordre de 1,5 logement par immeuble, ce qui, à 310 000 immeubles ferait correspondre 450 000 à 480 000 logements détruits. Cette évaluation en logements – et non plus en immeubles – autorise un recoupement avec le projet et les réalisations de la Reconstruction. En ce qui concerne le projet, on peut s'en remettre à André Prothin, qui écrivait dans une note du 6 juin 1952 :

"Le nombre de logements entièrement sinistrés a été évalué à 500 000. On peut supposer que pour des considérations diverses (regroupement de sinistrés, application de l'abattement de vétusté, etc.), le nombre de logements qui seront, en définitive, reconstruits, peut , en gros, être estimé à 450 000."

La pertinence de la remarque d'André Prothin concernant les propriétaires qui ne reconstruiront pas ne saurait faire de doute. En revanche, son évaluation brute des destructions est sans doute encore un peu excessive. En effet, la reconstitution d'une série continue des réalisations financées au titre de la reconstruction de 1945 à 1967, date de l'extinction de la rubrique dans les statistiques de la construction neuve, donne en tout et pour tout un total de 380 000 logements reconstruits. Dans une matière aussi lourdement lestée d'incertitudes, c'est sans doute encore cette estimation des logements effectivement reconstruits qui donne la mesure la plus probante des dégâts. Elle tend à conforter une hypothèse qui situe les destructions autour de 400 000 à 450 000 logements, ce qui se recoupe assez bien avec la mention de 310 000 immeubles.

Force est alors de constater que les destructions ne sont pas aussi considérables qu'on pourrait le croire : elles ne pèsent pas plus que la neutralisation de cinq années de production au rythme moyen de 1919-1939, c'est-à-dire moins que cet effet invisible qui résulte de l'arrêt de la construction de 1940 à 1946. Sans doute les dommages sont-ils plus importants que ceux de 1914-1918 – 300 000 immeubles de toutes natures détruits et 440 000 endommagés – mais il faut souligner que 400 à 450 000 logements détruits ne représentent que 3 à 3,5% du parc de 12,7 millions de logements qu'on dénombre au recensement de 1946. Les dévastations revêtent une allure saisissante au Havre ou à Saint-Malo mais, à considérer l'ensemble du paysage de l'hexagone, on est bien loin de la vision d'apocalypse que livrait André Prothin dans un article publié dans en 1946 dans L'Architecture d'aujourd'hui :

"[…] il est indispensable, avant toute chose, de brosser, même à larges traits, le tableau de nos cités en ruines, de nos usines dévastées, de nos ouvrages détruits, de nos ports et de nos gares anéantis.
C'est bien en effet sur une France crucifiée que nos urbanistes doivent maintenant se pencher avec une affectueuse sollicitude comme sur une grande blessée qui revient de loin, de très loin […]"

Même s'il faut faire la part du lyrisme, on ne peut que s'interroger sur cette attitude, très prégnante dans l'immédiat après-guerre, mais jamais disparue par la suite, qui consiste à présenter les problèmes que rencontrent le pays et ses habitants comme des conséquences directes du conflit mondial. Calcul déjà évoqué de « vainqueur » dans la perspective de « réparations », c'est-à-dire d'un tribut qu'on entend lever sur « l'ennemi » ? Construction mentale tendant à transférer sur la « fatalité » ou sur « l'agresseur » les responsabilités des groupes dirigeants dans tel ou tel aspect désastreux de leur gestion ? Contre-vérité manifeste en tout cas en ce qui concerne la situation globale du logement : dans ce domaine, la "crucifixion" de la France était un fait acquis avant qu'on reparte en guerre, et le second conflit mondial a constitué seulement un facteur aggravant. C'est ce que dit, avec une remarquable justesse de ton, la voix du commentateur dans le film de Prévert et Kosma intitulé "Maisons d'Aubervilliers" : La guerre est venue ajouter ses ruines à celles du passé.

Il se démontre ainsi que la voix du poète peut être plus exacte que celle de l'administrateur. A la décharge d'André Prothin, on doit toutefois reconnaître qu'il revient à une mesure plus juste quand il élabore un programme de construction. Dans la note précitée de 1952, on a vu qu'il estimait à 450 000 le nombre de logements à reconstruire. Mais, parallèlement, il évaluait entre 550 000 et 800 000 le nombre de logements qu'il faudrait construire dans un plan quinquennal de première urgence pour suppléer aux taudis urbains et arracher les familles aux hôtels meublés. D'autres textes de la même époque font état de 480 000 logements nécessaires pour remplacer les taudis à détruire d'urgence.

Les destructions constituant un problème somme toute limité dans le paysage globalement déprimant du logement français, on ne peut que ressentir comme paradoxale la lenteur avec laquelle s'effectue une reconstruction qui ne bat son plein qu'au mitan des années 1950 et qui s'étire jusqu'aux années 1960.

Logements achevés au titre de la Reconstruction

1945-481949-521953-571958-621963-67Total16 300107 900172 60074 1008 600379 500 Source : annuaires INSEE et ministère de la Construction

Ce décollage retardé n'est cependant pas chose nouvelle en France : le même phénomène s'observait déjà après 1918. Le parallélisme ne livre certes pas, en soi, une explication causale; mais il suggère un attentisme qui, en première lecture, pourrait être imputé à l'espérance de "réparations" et serait donc le fait de la politique de l'État. Dans le second après-guerre, l'hypothèse prend d'autant plus de force que l'envol s'amorce en 1949-1950, c'est-à-dire à un moment où, ayant accepté l'aide Marshall, on a renoncé aux "réparations" pour s'orienter vers une réconciliation obligée avec l'ennemi d'antan.

Une autre source d'attentisme peut résulter de l'attitude des propriétaires-bailleurs, qui tiennent nombre d'immeubles dans les centres-villes. La conjugaison des abattements pour vétusté affectant les dédommagements et de l'amélioration générale de l'équipement des immeubles neufs les conduisaient généralement à compléter les indemnités reçues par une mise de fonds propres ou empruntés. Or, les locataires sinistrés n'étaient pas dénués de droits : la loi sur les loyers du 1er septembre 1948 avait mis un terme aux incertitudes en stipulant dans son article 70 que les baux avaient été simplement "suspendus" par les faits de guerre et qu'ils reprendraient leur cours dès que "la réinstallation aura[it] été possible", clause qui s'appliquait aux locataires eux-mêmes mais aussi à leurs ayants droit bénéficiaires des prorogations et du maintien dans les lieux. Cette perspective avait pour effet de maintenir le bail dans le contexte de loyers "taxés" où le produit financier net de la propriété locative s'affaiblissait au point de devenir nul ou négatif, et elle ne devait donc pas incliner les propriétaires à précipiter l'investissement. On est d'autant plus fondé à prêter aux propriétaires une attitude d'attente que leur aisance s'était substantiellement réduite en quarante ans et que le crédit, un produit devenu rare, était orienté en priorité vers les infrastructures par le plan d'État ou, pour ce qui restait disponible, vers les opérations rentables et les bonnes fortunes, conformément aux usages du métier de la banque.

Les revalorisations des loyers prévues par la loi de 1948 et effectives à partir de 1949 ont certainement constitué un premier stimulant pour les propriétaires, quoique de portée limitée en raison des niveaux qu'elles permettaient d'atteindre. Par la suite, l'usure de locataires lassés d'attendre, la distanciation progressive avec l'habitat antérieur et le report partiel sur les tout nouveaux logements HLM ou primés ont sans doute fait le reste. Sur la toile de fond d'un changement global de problématique impliquant les relations internationales, notamment les relations avec l'Allemagne, la considération des rapports locatifs livre ainsi une représentation qui rendrait assez bien compte du rythme languissant de la reconstruction immobilière en France. Ces éléments n'ont toutefois pas été, beaucoup s'en faut, les seuls facteurs de retard.


Le préalable de l'urbanisme.

Quoiqu'il fût traversé de différences consistantes tenant au statut – locataire, propriétaire-bailleur, propriétaire-occupant –, le point de vue général des sinistrés était sans doute assez simple : voir déblayer les ruines et réparer ce qui pouvait l'être, recevoir les indemnités promises par les ordonnances des 10 avril et 8 septembre 1945, reconstituer enfin leur équipement ménager, leur capital ou leur logis. Dans l'article précité de l'automne 1946, André Prothin paraît faire droit à ces préoccupations de base :

"Des centaines de milliers de Français, après avoir tout perdu, ont passé les deux derniers hivers sans chauffage, dans des abris plus que précaires, dans des baraquements en bois vert ou entre des murs branlants. Ils ne peuvent plus, ils ne veulent plus attendre : la mortalité infantile est trop forte; nos sanas, ceux qui nous restent, n'ont jamais été si combles."

Et de poursuivre en intimant à "l'urbaniste français de 1946" d'être "objectif, efficace, rapide et humain", d'en finir avec les "discussions byzantines", les "querelles de chapelle", etc., bref, de tout faire pour déboucher rapidement sur des projets exécutables.

L'urgence est volontiers proclamée, et l'ordonnance du 10 avril 1945 va manifestement dans le bon sens en assouplissant les conditions des avances de l'État pour les travaux de réparation. Mais en matière de reconstruction à neuf les résultats sont loin de correspondre aux intentions affichées. C'est que, dans ce domaine, on reste tributaire des dispositions de la grande loi sur l'urbanisme du 15 juin 1943, dont la genèse et la figure générale ont été présentées dans la première partie, mais dont il convient maintenant de rappeler les dispositions spécifiques aux projets d'aménagement impliquant des reconstructions. Consacré aux "dispositions spéciales aux communes sinistrées, le titre V de la loi du 15 juin 1943 commence de façon relativement innocente. Il s'applique à tous les genres de sinistres : "guerre", "incendie", "inondation" ou "tout autre cataclysme" (article 61). Il prescrit que toute commune "totalement ou partiellement détruite" devra "quel que soit le chiffre de sa population" se doter d'un "projet de reconstruction". Dans le cas où la commune dispose d'un "plan d'aménagement", approuvé ou en cours d'élaboration, il est stipulé que le projet de reconstruction doit être confié à l'homme de l'art qui est déjà à l'œuvre dans la commune (articles 62 et 63). Là où aucun "plan d'aménagement" n'est en cours, le maire doit désigner un professionnel agréé par le Délégué Général à l'Équipement National (puis par le MRU). Ce professionnel est invité à faire vite : dans les trois mois qui suivent sa désignation, il doit présenter aux autorités de l’État son projet de reconstruction, dûment complété par un plan d'alignement et un plan de nivellement (article 65). Comme cela arrive souvent en droit – in caude venenum – c'est à la fin que se trouve le poison : jusqu'à l'approbation du projet de reconstruction, "aucune construction, même d'abris provisoires, ne peut être édifiée sans l'autorisation du préfet" (article 66).

D'une certaine manière, cette dernière disposition s'impose d'elle-même, car son absence reviendrait à vider de sa signification la prescription du plan d'aménagement. On doit d'ailleurs reconnaître que l'inconvénient qui peut en résulter pour les sinistrés reste minime si les délais d'approbation sont effectivement brefs. Mais la stipulation prend une toute autre signification si le temps de mise au point se prolonge. Quelque 20 à 28 mois après la dernière grande vague de destructions (selon qu'on se trouve dans la Manche ou en Alsace), et plusieurs années après les autres, on comprend l'appel d'André Prothin à passer rapidement à l'acte. On le comprend d'autant plus qu'au regard des exigences de la loi, les statistiques dont le directeur général de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction fait lui-même état ne sont pas des plus convaincantes :

"[À l'automne 1946,] sur 1813 communes françaises particulièrement sinistrées, 320 ont un plan d'aménagement et de reconstruction définitivement approuvé après enquête publique, 601 ont un plan pris en considération [et] le plan des 892 autres en sera au même point avant la fin de l'année."

L'entrain dont fait preuve André Prothin se trouve rétrospectivement tempéré par la lecture des onze récits situés qui scandent l'ouvrage de Danièle Voldman. Dans les huit cas où la date d'approbation "définitive" du plan est très nettement identifiée, Gien est doté d'un plan d'aménagement et de reconstruction (PAR) dès la fin de 1940, mais, pour le reste, les dates s'échelonnent de la fin de 1947 (3 cas) à 1948 (2 cas) et 1949 (2 cas). L'étalement dans le temps ne s'explique pas par l'importance physique du chantier à entreprendre : le PAR de la seule commune rurale de l'échantillon, Chemillé-sur-Indrois, n'est approuvé qu'en 1949. Il faut également souligner que l'approbation « définitive » ne signifie pas que le projet est réellement stabilisé : celui de Gien est modifié à partir de 1946, et celui de Saint-Dié, à partir de 1949.

En fait, à l'image de ce qui se produira plus tard avec les POS initiés par la loi d'orientation foncière de 1967, la pièce centrale qui devait déclencher les indemnisations et les reconstructions immobilières a été longue à mettre au point et fréquemment remaniée, laissant comme réalité courante un entre-deux où l'administration avait la latitude de débloquer les situations au coup par coup. Cette perception est confirmée par un sondage dans les archives de l'État concernant 276 communes qui ont fait l'objet d'un PAR.


Dossiers concernant les projets d'aménagement et de reconstruction
Sondage sur les dates d'extinction

1941-431944-461947-491950-521953-60>1960Total sondéARDENNES_2213232565CALVADOS_55511430LOIRE ATLANTIQUE__11226LOIRET3__121218MANCHE__14151636MOSELLE_28720845BAS RHIN__8912635HAUT RHIN__2412624VOSGES_1225717TOTAL31042439286276 Sources : AN, extraits des versements 790426, 800268, 810142, 810181, 810664 et 820474.

Compte tenu de la lourdeur qu'imposerait une investigation exhaustive sur un corpus potentiel de quelque 1600 à 1800 dossiers, on a retenu ici une approche reposant sur un sondage dans les répertoires des 2519 cartons d’archives de la série des projets d’aménagement et plans d’urbanisme. On a sélectionné neuf départements, et on a retenu l’ensemble des PAR qui étaient mentionnés dans chacun d’entre eux. Compte tenu de la taille de la "population" qui est sondée, un échantillon aléatoire qui couvre 15% à 20% des PAR devrait suffire à donner une indication fiable concernant les dates d'extinction des procédures. Il s'ajoute qu'on a pris la précaution d'un début de "stratification" en associant :
- des départements de régions éloignées (est et ouest),
- des départements comportant des destructions anciennes (Ardennes, Loiret) et d'autres où celles-ci sont récentes (Haut-Rhin).

La présentation adoptée pour le tableau ne doit pas faire illusion. Pour les quatre premières colonnes, on a considéré des périodes fines (trois ans), parce que cela concerne le moment où les procédures opérationnelles prévues par la loi de 1943 auraient laissé penser que les questions d'urbanisme se trouvent réglées. En conséquence, il faut les regrouper deux à deux pour pouvoir les comparer terme à terme avec les colonnes suivantes. En fait, ce qu'on aperçoit au niveau des 276 PAR, c'est que les dates d'extinction des dossiers se répartissent en un flux à peu près continu de 1953 au milieu des années 1960. Dans le détail, chaque département revêt une figure particulière, sans qu'on puisse distinguer une structure de répartition qui serait liée à des tropismes régionaux ou à la date des destructions.

On discerne bien un peu de précocité là où les destructions sont les plus anciennes, le Loiret par exemple, mais on constate surtout que seuls 20% des dossiers sont clos avant 1950. En sens inverse, il est frappant de voir que les pièces concernant les PAR ou même la simple fixation de "périmètres de reconstruction" se prolongent jusqu'après 1960 dans 31% des cas. Modifications à l'initiative de l'État ? Contentieux consistant et durable avec les populations locales ou les collectivités qui les représentent ? "Arbitrages" plus limités ? Ou encore simple suivi de dossier ? Les investigations effectuées à ce jour ne permettent pas de trancher, mais il est d'ores et déjà clair que l'affaire des PAR ne peut pas être vue comme une procédure qui se serait réglée rapidement, avec un enchaînement mécanique des tâches – périmètre, projet, exécution – comme le laisserait entendre la lettre de la loi du 15 juin 1943. Il faut au contraire concevoir que le premier établissement des projets a été long à venir et que, par la suite, des difficultés et des accidents de parcours ont persisté jusqu'à la terminaison effective de la reconstruction des immeubles.

Comment rendre compte de ces langueurs, alors que la reconstruction immobilière répond à une aspiration générale et patente, et que les témoignages d'époque issus du milieu de la conception laissent l'impression d'une activité fébrile, seulement contrariée par le manque de moyens ? On reviendra plus loin sur ce manque de moyens si souvent allégué, en faisant remarquer qu'il est le fruit d'une politique globale des autorités de la République. Sous cet angle de vue, les valeurs se renversent : le caractère instrumental de l'urbanisme s'éclaire d'une lumière crue et ses lenteurs même peuvent servir un projet d'ensemble qui est axé sur des préoccupations d'un autre ordre.

Arrêtons-nous pour le moment aux caractères internes du processus. Les architectes-urbanistes dépêchés par l'État aux quatre coins du territoire sont pour l'essentiel des parisiens, chose évidente puisque les commandes se gèrent à Paris, et qui durera aussi longtemps qu'il en ira ainsi. Ils sont aussi un peu pharisiens, c'est-à-dire imbus de leurs certitudes. Sur les sites des désastres, beaucoup d'entre eux ne font que de brèves apparitions, pour en prendre la mesure ou pour présenter enfin aux édiles "la" solution dûment estampillée à Paris. Ils sont absents des enquêtes publiques et, pour recevoir les doléances et avis des sinistrés, ils se font représenter ou s'en remettent, îlot par îlot, à des architectes d'opération. Un cas emblématique est celui d'Auguste Perret, qui ne se rend "que rarement au Havre", où il est représenté par Jacques Tournant : le maître est si âgé (70 ans), et le Havre est si loin… Dans ces conditions, les dessins qu'on jette sur le papier ne peuvent que traduire des desseins de bureau. Ces figures à l'élégance décharnée s'usent rapidement lorsqu'elles sont parachutées dans le monde des vivants – ou, en l'occurrence, des survivants. On bute sur des pesanteurs, on se heurte à des oppositions : d'où le cortège des projets, des périmètres, des adaptations, des reprises, des modifications, etc., à l'occasion surinfecté par l'agitation des affaires au sein du microcosme des concepteurs, comme en témoigne l'escapade de Le Corbusier à SaintDié.

La diversité des réalisations – à l'échelle de l'ensemble de la reconstruction et, souvent, à l'intérieur même d'une ville reconstruite – montre qu'il n'y a pas eu de "style MRU" en matière d'architecture. La présence dominante des toitures, un recours à des matériaux de terroir qui est loin d'être résiduel (du grès rose de Saint-Dié au granit de Saint-Malo en passant par la pierre de Caen), tout indique qu'on n'est pas encore à l'ère où le béton régnera sans partage, même si ce matériau s'impose progressivement dans les planchers et dans tout ou partie des structures porteuses. La seule exigence générale de la commande est de produire des logements salubres, durables et équipés en fluides : pareille prescription laisse de l'espace pour de multiples variations stylistiques et constructives.

En revanche, le projet d'urbanisme est clairement assujetti à des principes directeurs issus du mouvement moderne et substantiellement prescrits par la loi du 15 juin 1943.

Tout d'abord, et dans le prolongement des "projets d'aménagement, d'embellissement et d'extension" (PAEE) de la loi de 1919, l'objet de la procédure est un plan intéressant l'ensemble de la ville, intégrant l'assainissement et la modernisation des réseaux urbains, et prévoyant des perspectives de croissance. L'optique générale qui se définit ainsi est évidemment liée aux préoccupations du Commissariat Général du Plan. Elle empiète sur les prérogatives du ministère de l'Intérieur, ce qui constitue une première source de difficultés. Elle invite à réviser la situation des éléments qui structurent l'espace urbain : édifices édilitaires et grands équipements. Parce qu'ils ont été copieusement bombardés, les ponts (et les têtes de pont), les gares et les ports constituent des objets de prédilection, dont on réexamine la consistance et la position spatiale. C'est une triple cause de pesanteur, car cela introduit à des discussions ardues, alourdit les redistributions parcellaires et, pour finir, pose la question de savoir qui paie quoi. Ce dernier aspect est particulièrement lisible dans le cas des déplacements de gares ferroviaires, qui imposent généralement un nouveau tracé des lignes. Loin d'admettre qu'il s'agit d'une modernisation qu'elle aurait à assumer, la SNCF, à l'instar du citoyen de base mais avec plus de moyens pour se faire entendre, tend à refuser ce qu'elle considère comme une servitude d'urbanisme pour en rejeter le coût sur les financements généraux de la reconstruction. D'un autre côté, une fois le projet entendu et financé, le lancement absorbe des capacités de production qui, sinon, auraient pu être employées au mieux-être des sinistrés. Avec la liberté de point de vue qu'autorise une distance physique et temporelle suffisante, la critique excuse facilement un ou deux hivers de plus dans les baraquements quand les infrastructures au profit desquelles on a sacrifié se sont avérées aussi utiles que le barrage de Génissiat. Mais le choix prioritaire en faveur des infrastructures lourdes est autrement discutable quand il se fait au profit d'une énorme porte océane dévolue aux transatlantiques et au trafic colonial, qu'on construit au moment où l'avion va supplanter le paquebot et où les relations avec les "colonies" vont se distendre : la stratégie retenue pour Le Havre suffit à rappeler que la faculté d'anticipation des appareils publics n'est pas sans faille.

Ensuite, on procède sur la base d'un zonage, exercice désormais imposé par la loi du 15 juin 1943, et chose relativement nouvelle en France en tant que pratique effective. Les buts poursuivis ne peuvent que paraître louables, puisqu'il s'agit tout à la fois d'établir les habitations dans des secteurs calmes, de mettre les activités de production à portée des voies et terminaux de transport qui leur sont utiles, et de réserver des espaces de développement pour l'avenir. Mais, partant d'héritages qui sont partout des tissus mixtes où s'entremêlent les fonctions, cela entraîne une masse de remaniements parcellaires d'une gestion fort lourde, avec la création de "périmètres de compensation" pour réinsérer les droits fonciers des évincés. Dans les villes comme dans les villages, l'étendue et la complexité des remembrements empoisonneront durablement les relations entre les urbanistes et les sinistrés.

Enfin on saisit l'occasion de réviser les voiries, une préoccupation connexe étant de régler, au moins dans les secteurs remis à neuf, un problème resté pendant à la suite de l'entre-deux-guerres : l'assainissement et les réseaux de fluides, fondements d'une modernité en matière d'hygiène et de commodités de l'habitat. Sans doute ne professe-t-on pas l'enthousiasme militant de Le Corbusier ou de Giedion à l'endroit des park-ways, et on ne condamne pas la rue aussi radicalement qu'ils le font en écrivant, l'un, que "le mot rue symbolise à notre époque la désordre circulatoire", et l'autre, que "l'abolition de la rue corridor" constitue une des dimensions d'une nécessaire "rénovation urbaine". Mais on partage l'affirmation de Le Corbusier selon laquelle "l'automobile, phénomène entièrement neuf dans l'histoire des villes et perturbateur total, réclame des aménagements adéquats". Et on est décidé à faire place au "perturbateur", comme en témoigne la position qu'adopte André Prothin dans l'article précité de l'automne 1946 :

"Les voies réservées à la grande circulation, en ville, et de ville à ville, seront donc spécialisées par genre de locomotion : automobiles rapides et poids lourds, et doublées éventuellement de pistes ombragées pour les voitures hippomobiles et les bicyclettes."

On compte ainsi remédier à un gaspillage d'énergie, "les plus lents gênant les plus rapides" tout en éliminant "un risque permanent d'accident". Il n'y a donc pas à s'étonner que Danièle Voldman retrouve "l'élargissement et la rectification du tracé des rues anciennes" comme "un des principes fondamentaux de l'urbanisme préconisé par les urbanistes du MRU". Cela constitue partout, dans les villages comme dans les villes, la toute première application de "la mobilisation du foncier à des fins collectives", dont se réjouit par ailleurs Bruno Vayssière. Il est confondant de voir que ni l'un ni l'autre de ces auteurs des années 1990 n'évoque l'usage tout-automobile auquel sont destinées ces nouvelles conquêtes collectives : cela peut laisser entendre qu'il s'agit d'une œuvre de salubrité sociale alors que, on ne le sait que trop aujourd'hui, ce choix délibéré se trouve à la source de nuisances et d'incivilités tout à fait notoires. Cela étant, il ne fait pas de doute pour les urbanistes du MRU qu'il faut rendre les villes traversables, les têtes de pont fluides et les centres accessibles, ce dernier point constituant assurément une commodité pour les dignitaires qui siègent dans les centres ainsi que, croit-on, une assurance de chalandise pour les commerçants qui y tiennent boutique et qui, dans une certaine tradition électorale, font l'opinion municipale. Comme dans tout mouvement d'engouement pour des vues nouvelles, il y eut quelques dérapages, dont un exemple fameux est donné par l'avenue de 80 mètres de large que Perret conçut pour relier l'hôtel de ville du Havre au front de mer :

"[Cette avenue] a très vite vu péricliter les commerces qui y étaient installés. Les piétons ont cessé de fréquenter cette voie trop large, empruntée par des voitures allant à vive allure et battue par de méchants vents venus de l'ouest."

Ces principes directeurs – plan d'ensemble, zonage, refonte des voiries –, devaient permettre aux urbanistes d'apporter "l'ordre et l'harmonie" et de combattre "le gaspillage, l'ambiance inhumaine et la misère" pour reprendre les termes d'André Prothin dans son article de l'automne 1946. Reprenant des thèmes chers à Le Corbusier, il poursuit en stigmatisant "le gaspillage des heures perdues par l'employé et l'ouvrier dans les transports en commun qui relient, mal d'ailleurs, les lieux de travail et les pavillons dans nos banlieues; le gaspillage des kilomètres de conduites de toutes natures établies pour desservir ces mêmes pavillons". Comme le note Danièle Voldman à propos de Dunkerque : "les destructions donnaient une occasion inespérée de réaliser des projets anciens sans cesse différés".

Dans d'autres régions d'Europe, où les destructions physiques étaient encore plus radicales et coïncidaient avec une rupture dans le régime politique et social, on a pu imaginer d'aller au bout du projet. C'est ainsi que face à l'état dans lequel le bombardement de février 1945 avait laissé la ville de Dresde, des urbanistes de ce qui était alors l'Ostzone ont pu envisager de liquider définitivement l'héritage féodalo-bourgeois de la capitale des princes de Saxe, et d'établir à sa place un ordre nouveau à base de barres, de tours et d'espaces verts. Finalement, la pure nouveauté ne fut retenue que pour une extension. On procéda à une première reconstruction dans un esprit qui n'est pas sans parenté avec Le Havre de Perret, tout en préservant les ruines des édifices les plus significatifs, qui furent réparés, pour ce qui pouvait l'être, et, pour le reste, peu à peu reconstruits à l'identique.

En France, les dégâts étaient plus limités, même dans les villes les plus touchées. D'une certaine manière, les destructions étaient insuffisantes pour autoriser les rêves les plus fous, une insuffisance qu'il faut certes comprendre au plan physique mais aussi, et surtout, au niveau du statut de la propriété. C'est parce qu'il a fallu composer avec l'existant, au double sens du contexte physique et des rapports sociaux, que l'allure générale des reconstructions apparaît rétrospectivement si raisonnable. La logique des élargissements de voirie et, de façon plus générale, de l'accroissement des emprises publiques avait néanmoins pour résultat la réduction de la surface disponible pour la construction privée, notamment de logements. La conséquence était limpide. On reconstruirait en collectif, avec des immeubles d'autant plus considérables qu'on les adornerait d'espaces verts, conformément à la nouvelle doctrine. C'est ainsi que naquit un acronyme demeuré fameux : les ISAI, désignant des "immeubles sans affectation individuelle", où on offrait des appartements aux propriétaires sinistrés en contrepartie de la valeur de leur indemnité et de l'abandon de leurs droits de propriété initiaux. Ces immeubles pouvaient se situer sur les lieux du désastre ou, si on manquait d'espace, dans des "quartiers de compensation" un peu plus éloignés. Conçue pour être exemplaire, la construction des ISAI a démarré dès 1946-1947 et a donné lieu à toutes sortes d'expériences concernant les matériaux ou les procédés constructifs, souvent accompagnée d'une esthétique idoine. En dépit du caractère pressant des besoins et de la qualité des équipements dont ils bénéficiaient, les ISAI n'ont généralement pas suscité l'enthousiasme. Les sinistrés leur reprochaient, selon les cas, leur site d'implantation, leur esthétique, le caractère sonore de leurs planchers de béton et, pour couronner le tout, l'exiguïté des appartements qu'ils se voyaient attribuer en contrepartie de la valeur de maisons frappées d'abattements pour vétusté. Les locataires, de leur côté, trouvaient les loyers bien chers.

Peu motivés par les constructions d'esprit nouveau, locataires et propriétaires se retrouvaient pour s'indigner quand les tracés de voirie imposaient la destruction d'immeubles qui tenaient encore debout. En fait les habitants de tous statuts ont manifesté un attachement à l'état antérieur de leurs quartiers et à leurs villes "si belles auparavant". On peut ne voir là qu'une nostalgie ridicule, qu'on imputera par exemple à la frilosité traditionnelle des commerçants à l'égard du changement, ou encore au conservatisme borné des propriétaires. D'ailleurs, des sinistrés qui avaient de la culture politique ne manquaient pas de faire valoir le caractère "inviolable et sacré" de la propriété inscrit dans la Déclarations de Droits de l'Homme de 1789 pour contester, lors des enquêtes publiques, des expropriations dont ils ne concevaient pas la nécessité. Mais, en défendant bec et ongles la largeur des voies, le parcellaire ancien, etc., ils défendaient aussi une forme urbaine et un habitat qui, on l'a souligné dans la première partie, étaient essentiellement constitués de maisons et de tout petits collectifs, avec des cours et des jardins privatifs, des annexes, etc. Un "détail" que la culture et la constitution mentale des architectes-urbanistes ne leur permettaient souvent pas de percevoir, mais qui créait entre eux et les indigènes de leurs terres de mission un rapport d'étrangeté propre à entretenir les incompréhensions, les frictions et, finalement, les résistances.

Parallèlement au jeu des intérêts économiques et monétaires, au débat sur les architectures régionales et à la défense des vieilles pierres (ou de ce qu'il en restait), c'est aussi à cette divergence essentielle sur la forme urbaine -ville de maisons ou ville d'immeubles lourds- qu'on doit attribuer une part des "difficultés" maintes fois évoquées à propos de la confection des plans d'aménagement et de reconstruction. Telle est en tout cas la lecture qui se dégage de façon réitérée des onze "récits situés" que livre Danièle Voldman. Incidemment, il apparaît clairement que l'initiative des troubles revient aux missi dominici de l'État et à leur volonté d'imposer aux villes une morphologie nouvelle.


Les entreprises et la capacité de production.

Un autre motif de nature à justifier les retards de la reconstruction ressortit aux idées qui courent concernant l'état des capacités productives du bâtiment. Il est en effet habituel de présenter la situation du bâtiment et des travaux publics en 1945 comme celle d'un pays ravagé et pillé. On peut citer comme un exemple typique de cette attitude la rétrospective "Il était une fois l'habitat", où les auteurs donnent la mesure de la situation en faisant état de "12 000 camions utilisés pour le transports des matériaux [qui se trouvent] réquisitionnés ou détruits" et de "50% des 12 000 bétonnières [en service dans le pays] également détruites". Mais la valeur démonstrative de telles indications est singulièrement limitée. D'une part, il convient de faire la différence entre les matériels "réquisitionnés" et les matériels "détruits", car on peut quand même espérer le retour des premiers, au moins à moyen terme. D'autre part, on ne saurait réduire l'équipement des entreprises aux camions et aux bétonnières, même si de tels matériels sont d'un usage courant. Enfin et en tout état de cause, il ne s'agit pas là d'un capital lourd dont la reconstitution serait propre à demander des années.

Il n'est guère contestable qu'on a beaucoup manqué de camions en 1944-1945, au plus fort des réquisitions militaires, et le problème a pu prendre ponctuellement un tour aigu. On se trouve cependant dans un secteur qui, à l'instar de l'armement ou de l'aviation, a poursuivi une activité non-négligeable de 1940 à 1944. Dans ces conditions, l'état global de l'équipement ne saurait être complètement alarmant. L'exposé des motifs de l'ordonnance du 16 janvier 1945 concernant le BTP est d'ailleurs beaucoup plus nuancé :

"Les réductions imposées à notre parc de matériel ont atteint inégalement les entreprises : (…) celles qui, sous l'occupation, ont collaboré le plus largement aux travaux militaires (…) ont le mieux conservé leur matériel d'origine, quand elles ne l'ont pas vu s'accroître par des réquisitions ou des fabrications prioritaires."

Les dommages subis par le secteur du BTP sont évalués officiellement à 4,3 milliards de francs de 1939. Encore faut-il préciser que seuls 2,3 milliards recouvrent des pertes sèches affectant le matériel ou l'immobilier, le reste se répartissant entre des "réquisitions" dont l'origine n'est pas précisée (1,4 milliard) et le défaut d'entretien (0,6 milliard). Cette estimation de 4,3 milliards de francs de 1939 correspond à 98 milliards de francs de 1956. Elle peut être utilement comparée à l'évaluation du capital fixe reproductible du BTP que Dubois, Carré et Malinvaud fixent à 2 240 milliards de francs de 1956 pour l'année 1949 : elle en représente à peine 4,4%. Cette mince proportion est éminemment démonstrative si on admet qu'en 1949 le capital productif du BTP est largement reconstitué, et plus encore si on professe qu'il ne l'est pas. En tout état de cause, la question des dommages subis par le capital productif n'apparaît pas comme déterminante : l'observation qui s'impose ici rejoint celle qu'on a déjà faite à propos du parc de logements considéré dans son ensemble.

Elle est encore moins déterminante si on rappelle que le BTP – et tout particulièrement le bâtiment –, constitue un secteur "léger" où une mise de capital déterminée entraîne une valeur ajoutée considérable. De 1949 à 1966, la valeur ajoutée du BTP tourne autour de 3,5 fois la valeur du capital fixe reproductible (3,7 fois en 1949, 3,0 fois en 1966), ce qui laisse augurer d'un chiffre d'affaires quatre à six fois supérieur au capital fixe, à l'inverse de ce qui prévaut par exemple dans la production d'électricité, où la valeur ajoutée est cinq à dix fois inférieure au capital fixe reproductible. Corrélativement, le passif des bilans des entreprises de BTP fait apparaître usuellement une faible capacité de financement propre. Effectuant une analyse des bilans de société de l'année 1967 par secteur d'activité, l'INSEE donne seulement 30% de capitaux permanents pour le BTP (19% de capitaux propres et 11% d'emprunts à moyen et long terme). La contrepartie en est que le passif – c'est-à-dire le financement de l'entreprise – repose pour 70% sur le crédit à court terme (découverts bancaires, crédit fournisseurs, dette sociale, etc.), un record qui n'est dépassé que par le secteur de l'armement et de l'aéronautique (77%). Or, les économies de guerre et, souvent par continuité, celles d'après-guerre ont tendance à reposer sur l'inflation et la dévalorisation de la monnaie, ce qui a pour effet de ruiner le crédit. C'est typiquement le cas de la France de 1945-1948, et on peut gager qu'il y avait là pour le bâtiment un problème autrement plus épineux que la seule question de l'équipement de production, à laquelle les surplus du génie militaire des armées victorieuses allaient d'ailleurs rapidement apporter une solution au moins partielle.

Tout compte fait, les difficultés du bâtiment dans l'immédiat après-guerre doivent sans doute se comprendre dans des termes assez comparables à ceux qu'emploie Philippe Mioche à propos de la sidérurgie. Après avoir noté que la capacité de production n'avait été réduite que d'un million de tonnes, il poursuit :

"La production de 1945 ne représente qu'un quart de celle de l'avant-guerre, mais les pénuries expliquent cet effondrement plus que les destructions. On manque de tout : énergie, matières premières, moyens de transport, main d'œuvre et rapidement trésorerie car il faut payer des salariés présents sans pouvoir produire."

Dans le domaine du BTP, le tableau mérite toutefois d'être nuancé. L'énergie n'est pas directement déterminante et on a déjà dit que, pour ce qui est du camionnage, la fin des réquisitions militaires et les surplus des armées devaient assez vite apporter des solutions. Il reste que cette industrie d'assemblage souffre de la désorganisation générale des échanges et que, outre les problèmes de trésorerie, deux goulots d'étranglement peuvent étouffer sa production  : les matériaux et la main-d'œuvre. Enfin un problème spécifique du BTP tient au fait qu'une partie du secteur est sous le coup de procédures d'épuration en raison d'une collaboration active avec l'occupant.

Dans le domaine des matériaux, le redressement est assez rapide. L'industrie du ciment livrait 4,3 millions de tonnes en 1929 et 5,2 millions de tonnes en 1938. Cette performance est largement dépassée dès 1948, avec 7,4 millions de tonnes. De même, la production de plâtre, de briques, de pierres, d'ardoises, etc. se situe dès 1948 au-dessus du niveau de 1938, avec parfois des écarts impressionnants, comme l'accroissement de 62% qu'on observe dans le plâtre.

Sous l'angle de la main-d'œuvre, on ne part pas non plus de rien. Danièle Voldman rappelle qu'à l'été 1944 le BTP occupait tout de même 600 000 personnes. Avec le retour des prisonniers et des "personnes déplacées", comme on dit aujourd'hui, puis avec les démobilisations, on peut imaginer que les effectifs reviennent aux environs de 700 ou 800 000 actifs. Ils atteignent 1,05 million en 1949, 1,26 million en 1952, et progressent par l'effet d'une croissance régulière jusqu'à 1,9 million en 1968, niveau auquel ils se maintiendront jusqu'en 1980 et qui témoigne d'une très grande période d'activité du BTP.

Bien que le niveau auquel on se situe dès l'immédiat après-guerre soit historiquement élevé, l'idée générale est que cela ne suffit pas aux besoins urgents de la reconstruction. Danièle Voldman a pu retrouver une déclaration de Raoul Dautry, datée de septembre 1945, selon laquelle "sans prisonniers et sans migrants, tout programme de reconstruction française est illusoire". En fait, les orientations stratégiques retenues par l'État se décomposent en deux mouvements successifs articulés autour du plan Marshall, ainsi qu'on a déjà eu l'occasion de le souligner dans un article destiné au catalogue de l'exposition "Reconstructions et modernisation" :

"[Peu avant de quitter le MRU], dans une lettre du 18 janvier 1946 adressée au secrétaire général des affaires allemandes et autrichiennes, le ministre Raoul Dautry écrit notamment : « J'espère que les travaux de reconstruction de l'Allemagne se limiteront pour un temps au strict minimum et que le matériel, les matériaux et les travailleurs spécialisés seront, dans toute la mesure du possible, dirigés vers la France ». En fait, il espère disposer avant l'été de 1 750 000 prisonniers, dont 1 400 000 seraient affectés à la reconstruction et au déminage (d'autres textes réclament « 1 à 2 millions d'hommes pendant 5 à 10 ans »). Comme le nombre de militaires allemands tombés aux mains des armées françaises est modeste (125 000 hommes), cela suppose la continuation de transferts consistants de la part des alliés. Ou plutôt la reprise des transferts, car ceux-ci sont interrompus depuis le 11 octobre 1945, le commandement américain ayant été alarmé par les rapports de la Croix Rouge Internationale sur l'état sanitaire des prisonniers confiés à la France. La réalité du problème n'est d'ailleurs pas méconnue dans la presse nationale. En témoigne par exemple un article de J. Fauvet paru dans Le Monde des 30 septembre/1er octobre 1945 sous le titre : « Un prisonnier, même allemand, est un être humain »."

Sous la conduite de la direction du Déminage, créée le 21 janvier 1945 et confiée à Raymond Aubrac, 38 000 de ces prisonniers s'affairent encore en juin 1946 à l'opération la plus dangereuse de la reconstruction (contre 51 000 affectés aux "travaux"). Ils sont accompagnés de quelques milliers de salariés alléchés par la perspective de salaires doublés. Ce mode d'emploi des prisonniers est plus que discutable, et il est évidemment contraire aux dispositions de la Convention de Genève de 1929 dont la France, "mère des arts, des armes et des lois", bref de la civilisation, est naturellement signataire. Le gouvernement sauve les apparences en négociant une exception (en raison de "l'ampleur de la tâche") auprès de la Conférence constitutive des Nations-Unies de 1945 et, argument de substitution, en faisant valoir que les prisonniers ainsi mobilisés sont tous des volontaires.

Tout compté, la manière française de penser à la fois le problème des prisonniers et celui de la main-d'œuvre de la reconstruction n'a pas paru convenable aux parrains de la future OTAN :

"Les transferts ne reprirent pas. On ne dépassa jamais les 700 000 prisonniers et, sous l'amicale pression des alliés, il fallut, dans la perspective du Plan Marshall, se résoudre en 1947 à leur proposer le retour au pays, chemin que prirent 90% d'entre eux. Dés lors, il ne restait plus rien du projet qui consistait à faire reconstruire la France par voie de réquisition.
On sut aussitôt ce qu'il fallait faire en matière de main d'œuvre. Dans une conférence de presse du 15 janvier 1948, Madame Poinsot-Chapuis, Ministre de la Santé, en appela à 3 millions d'immigrés (« avec leurs enfants »), et l'on se mit sur le champ en devoir de recruter en Europe du Sud et en Afrique du Nord."

Ce tournant stratégique a un double effet. D'une part, il met foncièrement en cause une première idée des procédés techniques de la reconstruction, qu'on avait pu former en se fondant sur le principe d'une main-d'œuvre abondante et quasi-gratuite. D'autre part, il oblige à renouveler les termes dans lesquels on pose la question de la force de travail qui sera mobilisée.

C'est en relation avec un projet initial reposant sur l'abondance de la main-d'œuvre que dès novembre 1944, alors que la bataille d'Alsace est à peine engagée, on voit le MRU préparer un plan de réquisitions à opérer en Allemagne. Le MRU réclame alors un million de tonnes d'acier, deux millions de tonnes de ciment, mais aussi cinq millions de tonnes de briques, quatre millions de mètres cubes de moellons, etc. : on ne saurait mieux dire que le projet consiste pour l'essentiel à reconstruire "en traditionnel". Cette orientation d'origine ne manquera pas de susciter des appréciations diverses. Elle ne trouvera sans doute pas beaucoup de grâce auprès de l'opinion dominante de la fin du siècle, qui y verra volontiers une trace attardée d'un conservatisme que, dans le domaine technique, on prête abusivement au régime de Vichy. Mais on doit noter que les discussions d'experts sur les matériaux et le genre de technologie qu'il est le plus opportun de mettre en œuvre dans la construction se prolongent encore. La connaissance des réalisations du bâtiment jusqu'à nos jours témoigne en effet de la persistance et même du caractère dominant des techniques qui ressortissent au "traditionnel amélioré" – une adaptation progressive plutôt qu'une révolution. D'un autre côté, dans les villes et villages détruits par la guerre, l'expression des sinistrés a manifestement pesé dans ce sens. Il est arrivé que leur opiniâtreté rencontre des remarques de bon sens émanant de certaines fractions de la technostructure. C'est ainsi que, après l'antienne qui veut que "de toute manière une règle absolue reste à respecter : satisfaire nos besoins en évitant d'avoir recours à l'importation", on peut lire dans un important rapport de l'Inspection générale de l'économie nationale daté du 1er mars 1947 :

"Il serait également nécessaire qu'[on] admît davantage l'utilisation sur le plan local des matériaux locaux.
Ceci aurait pour effet d'éviter des déplacements souvent incompréhensibles de matériaux lourds d'une région à l'autre et permettrait d'accélérer la construction d'habitations d'un type adapté à chaque région sans gêner la reconstruction."

En dépit de la portée de ces remarques, le caractère lancinant du problème de la main-d'œuvre, encore aggravé par les guerres extérieures, confère à partir de 1948 une importance décuplée aux perspectives que peuvent offrir des procédés de construction dont on promet qu'ils seront économes en travail. Tout l'espoir se porte en ce sens : la "modernisation" du bâtiment est vue au MRU puis chez ses successeurs comme un impératif que le ministère a la charge de concrétiser.

Économiser la main-d'œuvre n'empêche toutefois pas d'avoir à l'importer et donc à la loger. Un second aspect problématique, tout aussi récurrent que celui des techniques, concerne par suite en conséquence le logement des travailleurs étrangers qu'on fait venir via l'Office National de l'Immigration (ONI), tant au profit du bâtiment que d'autres secteurs d'activité. Après les cantonnements de l'ONCOR créés par Raoul Dautry en septembre 1945, qui laissent un médiocre souvenir, on change de registre en prenant en compte l'immigration dans l'évaluation des besoins de logements. Cette dimension qui paraît aller de soi puisqu'on réclame une immigration familiale donne lieu à une rubrique finale, une sorte d'addendum, dans une note du 6 juin 1952 où André Prothin procède à l'évaluation des besoins de logements dans la perspective du Deuxième Plan :

"Enfin, l'immigration des travailleurs nord-africains et des travailleurs étrangers doit normalement être prévue pour faire face, notamment, aux besoins de l'industrie du bâtiment (les seuls nord-africains résidant dans les départements métropolitains sont actuellement estimés au nombre de 350 000, dont plus de 240 000 seraient entrés depuis la fin de 1947)."

Ajoutant sobrement que "le problème se pose également pour tous les Français rapatriés à la suite d'événements internationaux, notamment d'Orient et d'Extrême Orient", André Prothin conclut en intégrant à un projet de programme annuel de 295 000 logements une ligne dotée de 30 000 logements au titre des "déplacements de population et immigration".

En 1956, la question du logement des travailleurs nord-africains se retrouve au cœur des "cas spéciaux" que Guy Houist étudie dans la dernière partie de son rapport au Conseil Économique sur "Le logement des travailleurs de faibles revenus". Rappelant que le ministre du Travail voit là un "douloureux problème", Guy Houist poursuit :

"Les contrôleurs sociaux de la main-d'œuvre Nord-Africaine en métropole s'attachent à obtenir des employeurs par un effort de persuasion persévérant qu'ils créent des cantonnements d'entreprise ou inter-entreprises […]"

Le pendule est alors revenu à son point de départ : les "cantonnements". Il est vrai que dans le souci de désamorcer ou en tout cas de réduire les tensions en Afrique du Nord, l'enjeu consiste cette fois à faire venir des hommes seuls. On aura l'occasion de revenir plus loin sur le logement des familles immigrées et sur ces "cas spéciaux" que constituent les célibataires. Au point où en sont nos remarques sur le logement des immigrés, on retiendra l'impression d'une durable oscillation entre "cantonnement" et "logement familial" : cela constitue en tout cas un utile balisage de la question.

La relance du bâtiment a été marquée par les difficultés du temps et toutes sortes d'hésitations stratégiques. Pour autant, on ne saurait conclure ces réflexions sur les entreprises et le secteur productif dans l'immédiat après-guerre sans évoquer la rapidité avec laquelle l'activité s'est redressée. On retrouve dès 1947 le niveau de 1938 et, dans la période 1946-1949, la comparaison des indices d'activité de l'industrie avec ou sans le BTP montre que ce dernier est en pointe et tire l'activité globale, situation qui ne se reproduira par la suite qu'entre 1964 et 1967.

Indices de la production industrielle (en volume; base 100 : 1952)

193819461947194819491950Industrie, BTP compris 695767778488Industrie hors BTP725464758388 Source : INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 399.

La situation du BTP relativement à la moyenne des industries, qui était défavorable avant guerre, s'inverse dans l'immédiat après guerre. Cette observation conduit à comprendre sous un angle nouveau l'allusion récurrente aux pénuries et aux manques de tous ordres. Si on s'en plaint tant, c'est précisément parce qu'on est confronté à une demande solvable considérable et que le train des affaires est reparti à bonne allure, avec ou sans prisonniers. Pareille assertion peut paraître contradictoire avec la lenteur qui, on l'a déjà évoqué, affecte la reconstruction des logements. Aussi importe-t-il de rappeler ici deux caractères majeurs du monde du BTP : sa complexité et sa souplesse. Complexité, parce qu'il n'y a pas grand-chose de commun entre un artisan plâtrier ou plombier-zingueur et une grande entreprise de travaux publics. Souplesse, parce que dans un ensemble léger en capital où nombre de métiers restent voisins, beaucoup d'entreprises ont l'aptitude à se reporter d'un marché sur un autre, notamment entre génie civil et maçonnerie. Dans ses conditions, la combinaison d'une asthénie durable de la production de logements et d'une réelle prospérité du BTP peut se comprendre dès lors que les capacités de production ont été absorbées par trois genres d'activité.

Tout d'abord, la remise en état des logements simplement endommagés, qui s'ajoute au flux habituel des interventions sur l'existant (26 à 27% du chiffre d'affaires du bâtiment, hors sinistres de guerre, dans les années 1952-1954). Cette pratique, qui a constitué un débouché pour les artisans et les PME, et qui répondait à l'attente de la majorité des sinistrés, représente la presque totalité de l'activité du bâtiment concernant les logements définitifs jusqu'en 1947. Au terme de cet effort une grande partie des logements simplement endommagés avait été remise d'aplomb : des sources diverses situent la proportion de logements définitivement réparés au 31 décembre 1947 entre 50 et 80%.

Ensuite, la reconstruction à neuf des établissements de production, des édifices publics, etc., ou les constructions nouvelles y afférant, toutes choses qui sont jugées prioritaires. Les bâtiments neufs destinés à l'industrie, au commerce et aux transports absorbent encore 21% de l'activité du bâtiment en 1952, mais seulement 16% en 1954, un ordre de grandeur qui se maintiendra par la suite.

Enfin, priorité des priorités, la reconstruction, la modernisation et l'extension des infrastructures. De ce préalable, les monographies qui scandent l'ouvrage de Danièle Voldman donnent une idée territorialisée, tant pour les grands ports (Lorient, Saint-Nazaire, Le Havre, Dunkerque), où il y a fort à terrasser et à bétonner, que pour les gares et les voies ferrées (Lorient, Saint-Nazaire, Orléans,…), tous éléments urbains auxquels s'ajoutent les ouvrages de rase campagne tels que les barrages, les écluses, les ponts, etc.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de voir Dominique Barjot affirmer que "les entreprises de travaux publics tirèrent donc un plus grand profit de la reprise de l'après-guerre que celles du bâtiment". Partant de cette première assise de prospérité, beaucoup d'entreprises de travaux publics effectueront des retours ou des percées dans le bâtiment au milieu des années 1950, quand la production du logement décollera effectivement (Campenon-Bernard, Dumez, Coignet, Grands Travaux de l'Est) et certaines s'y spécialiseront entièrement, comme la Société Auxiliaire d'Entreprises Électriques et de Travaux Publics, qui deviendra la SAE (ultérieurement Eiffage, puis Vinci). À voir cette courte série de noms, on devine que l'arrivée des entreprises de travaux publics dans le bâtiment n'a pas été étrangère au renouveau des techniques de gros œuvre.



12. La reconstruction de l'État, ou comment l'urgence s'entend en France.


La « logique » de la reconstruction française.

Les procédures de reconstruction se jouent à plusieurs niveaux : reconstitution des équipements mobiliers, reconstruction des immeubles dans le domaine public (domaine civil et militaire de l'État, domaine des collectivités), dans celui du secteur productif et du commerce ou dans celui de l'habitat, reconstruction des infrastructures ou des superstructures physiques, sans oublier, choses essentielles, la reconstruction des appareils (institutions, organisations publiques et privées) et la reconstruction morale. De l'importance de ces derniers aspects et, par suite, de la propagande, la France de 1940-1950 offre, comme sa sœur ennemie d'outre-Rhin et les autres nations belligérantes, une illustration saisissante. On a là un objet majeur de l'activisme des appareils dirigeants, qu'il s'agisse de la "restauration nationale" de Vichy, à la fois fondamentaliste, bureaucratique et à prétention moderniste, ou de la restauration de la "souveraineté nationale", qui sert d'étendard après 1944 et dont on s'accorde généralement à considérer qu'elle présente des aspects plus ouverts, notamment parce que l'autonomie de la Nation et de l'État qui l'incarne passe alors au premier plan des préoccupations. Cela étant, les régimes successifs sont confrontés à des problèmes du même ordre au niveau de la vitalité économique : les reconstructions physiques et la relance des capacités de production. A cet égard, la Libération a foncièrement modifié les contraintes, et on admet communément qu'elle a donné lieu à un renouvellement de la problématique. La logique dans laquelle on s'engage avec le Plan Monnet procède d'une double priorité : primauté des infrastructures et primauté de secteurs réputés de base.

D'une part, il appartient à une logique mainte fois professée qu'on commence la reconstruction par les infrastructures, comprises au sens d'un ensemble d'objets qui ressortissent aux travaux publics puisque ce qui est explicité se cantonne à la matérialité. Le principe retenu s'applique aux opérations immobilières, et particulièrement à l'habitat. On ne construit pas un immeuble avant d'avoir réalisé les fondations, et on ne fait pas les fondations si les réseaux publics sur lesquels on va se brancher ne sont pas en place. Il en va des secteurs dévastés comme des quartiers nouveaux : les interventions concernent d'abord les VRD. Et, quand on sait l'état des villes françaises en 1939, qu'on a rappelé dans la première partie, il ne fait pas de doute qu'on trouve là une occasion de rattraper un retard en remettant "à niveau" les villes et les villages reconstruits. Loin de s'en tenir au simple renouvellement de ce qui a été brisé par la guerre, on admet de façon relativement naturelle que la réfection prenne la forme d'une reprise générale des réseaux souterrains et de surface d'une agglomération, quitte à ce que cela accroisse sensiblement l'étendue et la complexité de l'opération, c'est-à-dire sa durée et son coût.

D'autre part, il y a la logique des six secteurs de base qui sont censés, plus que d'autres, être indispensables à la relance de l'économie : houillères, électricité, sidérurgie, ciment, transports intérieurs et machines agricoles. Là encore, le caractère préalable, et donc le bien-fondé de la pensée planificatrice, paraissent aller de soi : comment envisager la reconstruction de l'habitat dans un pays qui n'a pas d'énergie, qui manque de ciment, dont les transports sont déficients et dont la population est affamée ? La reconstruction se mue en une refondation impliquant le rattrapage d'un retard industriel imputable aussi bien à la situation d'avant-guerre qu'à la gestion de l'hexagone dans la période de l'Occupation. Tant qu'à remettre à neuf, on fera au mieux, c'est-à-dire en mieux. Dès 1946, on mettra en œuvre un plan d'équipement et de modernisation. Ce choix aura pour conséquence d'exiger pour chaque réalisation des moyens plus élevés qu'un simple rétablissement de ce qui préexistait.

Pareil accroissement de la pression des prélèvements au profit de l'investissement est rarement populaire, et il risque d'être particulièrement mal reçu par une population qui a placé de grands espoirs dans la Libération, après avoir subi toutes sortes de pertes et avoir vu son niveau de vie s'étioler par suite de la crise, de la guerre, de la défaite et de l'Occupation. Mais devrait-on se laisser ébranler par des considérations subjectives sur l'état d'esprit des troupes ? Ne tergiversons pas. Dans le territoire d'un État dont l'autorité se reconstitue, on doit savoir « gérer » ce qu'il est convenu d'appeler « l'opinion publique » en régulant la presse et en usant des moyens de conviction les plus modernes (cinéma, radio, …). Le gouvernement d'union nationale qui s'installe en 1944 dispose de plus de relais d'influence dans les différentes forces vives du pays, qu'à l'instar de Maurice Thorez, on invitera à "retrousser [leurs] manches". Si cela ne suffisait pas ou si l'union sacrée venait à se rompre, on poursuivrait par d'autres moyens, comme le montre l'esprit d'initiative du ministre SFIO de l'Intérieur Jules Moch, créant les Compagnies Républicaines de Sécurité en réponse aux grandes grèves de l'automne 1947. Derrière l'évidence intellectuelle de la logique du sacrifice immédiat au profit d'un avenir radieux, cette antienne des planistes, se cache une autre évidence : le caractère nécessaire d'une autorité qui impose le sacrifice par les voies douces de la propagande, de la conviction, de la discussion, de la confession, etc., ou s'il le faut, par le recours à la force.

Considérer l'hypothèse que le chant du progrès ait pu aller de pair avec un regain d'autoritarisme constitue une attitude courante dans le jugement sur Vichy : on résout alors la contradiction en soutenant, non sans raison, qu'il ne s'agissait pas d'un « vrai » progrès, mais d'un projet soutenu par une idéologie globalement rétrograde et mensongère. Il est plus désagréable de laisser entrevoir que la même ambivalence ait pu se maintenir à la Libération, même à un moindre degré. On aura l'occasion d'y revenir plus loin, sous différents aspects qui vont du sens qu'il convient de donner aux « contraintes » de la reconstruction d'un État impérial à la discussion des pratiques de l’État en matière de logement et d'urbanisme. Conformément à la lecture qui se dégageait de l’approche des questions d’urbanisme à la fin de notre première partie, il est notable que, dans le dernier quart du vingtième siècle, l'analyse et la critique s'orientent nettement vers la mise en évidence des continuités entre Vichy, ce qui l'a précédé, et ce qui l'a suivi.

C'est à Robert O. Paxton qu'on doit la première prise de position marquante en ce sens. Son ouvrage de référence, La France de Vichy, est publié en 1972 et traduit en français dès 1973. Concernant l'appareil de l'État et la gestion de l'économie, il montre que le régime de Vichy s'est nourri d'idées et de ralliements, y compris venant de la gauche, et, quand il passe au bilan, il consacre plus de la moitié de sa conclusion à souligner les continuités avec l'après-guerre, en dépit des apparentes ruptures sur lesquelles s'est appuyée la reconstruction d'une conscience française :

"Avec le recul du temps et dans une optique sociale, au-delà des hommes eux-mêmes, on s'aperçoit qu'il y a probablement continuité beaucoup plus que rupture entre Vichy et les gouvernements qui lui succèdent."

En témoigne, par exemple, l'approche de Richard Kuisel qui discerne en matière de politique économique une continuité interventionniste de la part de l'État entre le Front Populaire, Vichy et le Gouvernement Provisoire. Sur cette question du dirigisme, du planisme et, d’une façon générale, d’une autorité accrue de l'État, il est des évidences que les études savantes tendent à laisser hors champ, mais qu'on ne devrait pas perdre de vue. On a déjà eu l’occasion de rappeler que, lorsque Pierre Laval occupe la Présidence du Conseil en 1935, il se fait accorder les pleins pouvoirs au nom de la défense du franc, ce qui lui permet de gouverner par décrets-lois. Et il faut souligner que, de 1940 à 1970, les destinées de la France sont présidées pendant un peu plus de la moitié du temps par deux militaires de haut rang, des personnages pour qui l’autorité du chef appartient à la culture professionnelle et dont, de surcroît, l'arrivée aux affaires se fait dans des conditions qui n’ont rien de constitutionnel (1940, 1944, 1958), pour ne pas dire par un coup d'état. Les accents maurrassiens, paternalistes ou vieille France des grands chefs qui font office de figure de proue à Vichy ne doivent pas tromper. Sitôt qu’on déchire le voile des discours pour observer les forces réelles, on aperçoit qu’ils s’entourent d’une élite administrative moderniste à laquelle, chose nouvelle, ils ouvrent les portes des carrières politiques, comme le note sèchement R.O. Paxton en constatant que la moitié des ministres du premier gouvernement Pétain sont des « techniciens » qui se substituent aux notables traditionnels issus de l’élection :

"Les hommes qui, en tenant le haut du pavé dans les ministères, contrôlaient dans l’ombre le gouvernement, sont maintenant eux-mêmes au pouvoir."

Ce qui s'affirme avec Pétain ne s'interrompt pas sous de Gaulle. Les deux épisodes du règne du Général sont marqués par la création de l'ENA, puis par la montée en puissance de ses diplômés. La conséquence se voit dans le dernier quart du 20ème siècle, où les postes politiques de premier rang se partagent pour l'essentiel entre énarques de gauche et énarques de droite, deux populations également aptes à passer de l'administration à la politique, quand ce n'est pas de l'administration de l'État à celle des affaires. Outre les nationalisations d'entreprises, qui vont et viennent selon le moment, la transition des grands commis vers les affaires de toute nature est largement facilitée par le poids de ce qui est sous gestion publique en France, poids dont témoigne, certes, la part que la propriété publique prend dans le capital des entreprises, mais aussi, plus globalement, le contrôle des flux courants que révèle le niveau des prélèvements obligatoires. Leur apparente polyvalence gestionnaire repose sur la financiarisation de l'économie, dont ils ne peuvent être que des agents actifs, puisque c'est sous cet angle qu'on voit l'économie depuis leur nid d'origine qu'est l'appareil de l'État. De leur formation, de leurs expériences de jeunesse (le stage de préfecture comme rituel d'entrée dans la vie active), de leur première ascension dans les appareils, on peut être assuré que ces femmes et ces hommes conservent des marques indélébiles : le sens de l'intrigue, sans doute, mais aussi celui de la primauté de l'État, de son autorité, et de ses traditions coloniales-impériales. Qu'ils s'installent dans un bureau ministériel, à la tête d'une mutuelle d'assurances ou d'un conglomérat industriel et financier, ils se comporteront comme des vecteurs du dirigisme d'État et du centralisme financier. C'est précisément sous cet angle que la percée des grands commis qui est lisible depuis les années 1930 constitue un phénomène qu'on ne peut pas laisser hors champ lorsqu'on aborde les politiques mises en œuvre à la Libération sous l'étendard de la modernisation.

Cela éclaire tout d'abord une manière ou des comportements qui ne sont pas exactement conformes aux principes fondateurs de la république bourgeoise tels qu'ils ont été établis en France. Ainsi qu’on l’a vu en étudiant l’évolution législative qui débouche sur la loi d’urbanisme de 1943, une plaque sensible correspond au statut de la propriété, domaine où se creuse un écart croissant entre les principes constitutionnels et les prérogatives réelles de l’administration. C'est ce décalage que pointent des propriétaires sinistrés qui ont de la culture politique lorsque, protestant contre les mesures d'urbanisme, ils en appellent à l'article XVII de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 qui proclame le caractère "inviolable et sacré" de la propriété. La discussion d'une politique ne peut toutefois pas se borner à sa manière ni même à son caractère constitutionnel ou non. De surcroît il n'entre pas dans notre propos de considérer comme une valeur éternelle l'expression qui a été donnée en 1789 au principe de propriété, fût-elle confirmée par la traduction qu'en ont donnée les rédacteurs du Code civil.

Revenant à l'appréciation des années qui suivent la Libération, force est de constater l'hégémonie d'une vulgate affirmant en substance que les options alors mises en œuvre ont été pour l'essentiel pertinentes et qu'elles ont efficacement constitué le socle de ce qu'on a plus tard désigné comme les « Trente Glorieuses ». Mais peut-on dire avec tant d’assurance que la politique concrétisée par le Plan Monnet constituait une réponse réellement raisonnable à la situation ? Était-elle si cohérente et si sensée ? Ou plutôt, quel sens doit-on lui donner réellement ? Sur ces différents points, la connaissance des résultats et l'effet rétrospectif devraient conduire à rectifier des opinions établies qui, en fait, ne sont que des opinions héritées des acteurs dominants du moment.

Un premier argument apparemment fondamental en faveur du primat accordé aux "secteurs de base" – pas de transports de pondéreux, pas de reconstruction immobilière – se fissure dès qu'on imagine que, faute de reconstruire des logements, il a fallu transporter des centaines de milliers de baraquements. Quant à celui du manque de matériaux, il n'est guère conforme à l'impression que laisse le rapide redressement de la production qu'on a déjà évoqué, et il ne résiste pas dès lors qu'on rappelle que le pays a vécu sous perfusion jusqu'en 1952. Le Plan Monnet n'a pu être réalisé que grâce à l'aide extérieure. Dans ce contexte, d'autres équilibres auraient pu être trouvés… si on les avait cherchés, c'est-à-dire si on était parti de l'idée que les conditions de vie de la population représentaient une priorité, plutôt qu'une finalité lointaine.

Examinant ensuite les résultats, on ne manque pas de rester stupéfié par l'efficacité de la modernisation dans certains domaines. Considérons par exemple les houillères, qui constituent un des six secteurs de base. Devenues Charbonnages de France, les entreprises d'exploitation sont entrées dans le secteur nationalisé, qui recevra 74% des investissements du Plan Monnet. Aussi bien par leur objet que par leur statut, les houillères se situent donc au cœur des priorités industrielles. Elles sont vues de surcroît comme l'instrument par excellence de l'indépendance énergétique, un axe stratégique de l'indépendance nationale qu'on entend réaffirmer. Mis hors d'usage lors de la retraite allemande, leur équipement fait l'objet de tous les soins : il est entièrement remis à neuf. Les combustibles minéraux solides reçoivent encore 6 à 7% de l'investissement national en 1949 et 1950, soit 3 à 4 fois plus que les industries des matériaux de construction, et nettement plus que le logement (4,2 à 4,5%). En conséquence, ce poids lourd de l'économie nationale est substantiellement reconstitué en 1952. Il pèse alors 15,3% du capital fixe reproductible de l'ensemble des branches industrielles, où il vient au troisième rang derrière l'électricité et les industries mécaniques et électriques. Malgré quoi, les objectifs du plan (62, puis 60 millions de tonnes) ne sont pas atteints : la production de 1950 n'est que de 52 millions de tonnes, soit un peu moins qu'en 1929. Les résultats sont encore plus médiocres en matière de productivité : après remise à neuf la production par homme-jour est seulement de 1207 kg, contre 1238 en 1938. Tant sous l'angle des quantités produites que de ce qu'on pouvait attendre de la modernisation, il faut bien constater que les bénéfices n'ont pas été à la hauteur des sacrifices consentis. La faiblesse des résultats en termes de productivité est confirmée par étude de l'INSEE publiée en 1965. Pour une base 100 en 1896, la productivité du secteur des combustibles minéraux solides se tient à 177 en 1962, ce qui l’installe au tout dernier rang des progrès de productivité, très loin derrière l'électricité (1460) ou le caoutchouc (1370), mais aussi à bonne distance de l'agriculture (665). Un véritable gâchis!

Les résultats obtenus dans la sidérurgie sont plus encourageants. La production d'acier de 1938 – il est vrai modeste : 6,1 millions de tonnes – est rattrapée dès 1947 et on parvient à 8,6 millions de tonnes en 1950. Cela reste inférieur d'un million de tonnes à la performance de 1929, mais l'inquiétude est ailleurs. Bien que cette production ne soit pas très élevée, la France est condamnée (déjà) à exporter 1,7 million de tonnes d'acier brut, parce que

"[…] l'industrie de transformation, déjà si faible avant-guerre, a été négligée par le plan, et qu'elle serait incapable d'absorber davantage d'acier; la création des grandes unités de laminage continu sera le remède apporté à cette faiblesse dans les années suivantes."

En termes moins euphémistiques, on voit apparaître ici que le plan Monnet a fait de la France un fournisseur d'acier brut pour des industries développées, d'abord sous la forme de lingots, puis, après l’application d’un « remède », sous la forme de demi-produits. Une posture d'industrie sous-développée, suspendue aux commandes de la Ruhr, et qui trouvera son apothéose dans la construction du canal de la Moselle, une médication finale dont le coût aura été plus évident que l'utilité. Il s'ajoute que les progrès de productivité ne sont pas non plus particulièrement satisfaisants. Sur la base 100 en 1896, le niveau de productivité de 1962 est seulement de 327, ce qui classe la sidérurgie vers le bas du tableau.

Ce bref bilan des résultats obtenus dans deux des "secteurs de base" suffit à introduire un doute sur la pertinence de la stratégie industrielle des planificateurs de 1945-1946 ainsi que sur la gestion des affaires économiques par les grands corps de l'État. On se sent moins convaincu du caractère incontournable des priorités qui ont été proclamées, et encore moins du point jusqu'auquel on a poussé les sacrifices en leur faveur. Dès lors que les résultats sont discutables se pose une double question : les masses financières douloureusement dégagées à cet effet ont-elles été utilisées judicieusement ? Était-il indispensable de consacrer autant de moyens à ces "urgences"-là alors que les sinistrés attendaient ? Des questionnements de cet ordre alimentent des appréciations nuancées sur le Plan Monnet, telle celle d'Ambrosi et Tacel :

"Les commissaires se trouvaient devant trois impératifs : renouveler et améliorer l'équipement, répondre à une demande accrue de biens de consommation et reconstruire les immeubles détruits; devant l'impossibilité de mener la lutte sur trois fronts il sacrifièrent les deux derniers points, pour s'attacher avant tout à l'équipement de base; il n'est pas étonnant dans ces conditions que le secteur nationalisé ait reçu la plus grosse part des crédits votés par le Parlement, en particulier le secteur de l'énergie; au contraire l'effort était faible en faveur de l'industrie de transformation et de l'agriculture."

Trente-quatre ans plus tard, Danièle Voldman ne dit pas autre chose :

"En définitive, la modestie des dépenses pour la reconstruction s'explique autant par l'insuffisance des ressources que par les grandes orientations du Plan. Malgré la volonté politique de moderniser les villes grâce à la reconstruction, l'argent est allé ailleurs. L'opinion publique dut admettre la contradiction et accepter de payer dans sa vie de tous les jours, le prix de la modernisation économique."

On peut ajouter, comme on l'a fait un peu plus haut, des considérations sur la manière, sur le centralisme étatique ou sur le rôle des "grands corps" dans l'économie, toutes choses exorbitantes dans un pays que son régime prétend inscrire dans le champ des démocraties et des économies marchandes. De ce point de vue, ce qui vaut pour l’économie en général vaut également pour les projets de reconstruction immobilière. Danièle Voldman souligne à maintes reprises la tentation autoritaire qui affecte l'administration dans ses rapports avec les sinistrés, une tentation qui devient à l'occasion une pratique, et qui se fonde alors sur le monopole du financement que détient l'administration.

Mais là n'est peut-être pas l'essentiel de la discussion. Un des caractères remarquables des approches du Plan Monnet qu'on vient d'évoquer est de cantonner le regard à la planification dans ses œuvres civiles. Il faut dire que les documents de l'État concernant l'habitat et les conditions de vie ne livrent guère de références aux questions militaires jusqu'au moment où les développements de la "guerre froide" et le conflit en Corée – des événements qui, pour la France, se confondent avec la phase aiguë de l'effort militaire en Indochine – viennent d'une certaine manière légitimer les entreprises de réarmement, ou du moins les rendre plus présentables. Concomitamment, en prenant argument de l’évidence des destructions ou de la répartition des investissements, les diverses lectures tendent limiter l’horizon au territoire métropolitain, ce qui revient à faire bon marché d’un aspect consubstantiel à l'État français, consistant à assurer également le gouvernement d'un Empire, mué en "Union Française" en 1946.

Or, évoquer l’Empire ramène au problème de la force armée propre à en maintenir le règne. Dès lors que l’on conçoit la Reconstruction comme étant celle de l’État et non pas seulement celle d’infrastructures physiques, on ne peut éviter de s’inquiéter des choix qui ont trait à la reconstitution de la « grande muette », c'està-dire de l’institution nucléaire. Affaire centrale, puisque "c'est la guerre qui [donne] au découpage par nationalités et à l'autorité étatique sa prééminence écrasante". Affaire centrale encore, puisqu’il y va de la capacité à maintenir la stabilité de l'Empire tout comme, de manière plus générale, à retrouver sa place dans le concert des grandes puissances et à justifier, le moment venu, un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU. Affaire centrale enfin, car elle promet d’être à la fois coûteuse et de longue haleine.

De l'armée, cette institution triomphante de 1918, il ne restait en effet plus grand-chose à la suite des clauses de l'armistice de 1940 interdisant littéralement l'arme blindée et l'aviation, de la destruction ou du sabordage de la marine, de la dissolution de l’armée de Vichy sur l’ordre de Hitler en novembre 1942, et, pour couronner le tout, de l'éclatement du corps des officiers entre ceux qui sont restés fidèles au Maréchal et ceux, peu nombreux, qui ont rejoint le camp des futurs vainqueurs. Sans doute, après la courte épopée de la brigade très coloniale qui résistait à Bir Hakeim (1942), des divisions terrestres ont été reconstituées dans l’Empire et réarmées par les alliés en vue de la campagne d'Italie puis des débarquements en France. On hérite donc en 1944 d'un embryon d'arme blindée et d'un début d'infanterie motorisée. Les effectifs des troupes terrestres pourront rapidement gonfler grâce à une mobilisation qui se fait au fur et à mesure de la reconquête du territoire métropolitain, mais sans qu'on dispose de l'équipement d'une armée moderne. De ce point de vue, c’est une reconstruction à peu près complète qui s'impose et, dans le processus de consolidation d'un État impérial qui se refait, il y a là une urgence qui ne se discute guère.

Cela rend inévitable que la répartition des trop rares moyens disponibles entre la reconstruction militaire et la reconstruction civile ait représenté un problème lancinant de l'après-guerre, de même que la détermination des objets propres de l'une et de l'autre ou la manière dont on peut les articuler entre elles. La question paraissant incontournable, on ne peut que s'étonner de voir les commentaires sur la reconstruction et l'économie française des années 1945-1950 lui accorder si peu de place : pas un mot dans les ouvrages de portée générale comme celui d'Ambrosi et Tacel ou celui de Carré, Dubois et Malinvaud. La situation n'est guère meilleure dans les publications plus récentes dédiées à l’urbanisme et à la construction : pas un mot dans l'ouvrage de Vayssière et, dans l'ouvrage de Voldman, juste quelques phrases concernant notamment la priorité du militaire dans l'économie de guerre de l'année 1945. Au fond, un parcours dans la littérature laisse le sentiment que la pression des « besoins » des armées s’est brusquement évanouie dès la seconde moitié de 1945.

Il faut croire que la place de l’institution militaire est tellement admise qu'elle reste implicite, hors du champ de la discussion; ou encore que la division des tâches intellectuelles entre spécialistes du civil et spécialistes du militaire a pour conséquence de cantonner les uns et les autres dans leur domaine respectif. Effet de la prudence scientifique, ou simplement de l'habitude, on admet d’emblée qu’on ne peut être compétent sur tout. En matière de recherche sur la société, les deux mondes sont tellement séparés que, pour ceux qui fréquentent les affaires civiles, la connaissance – ou la simple compréhension – des sources concernant le domaine militaire reste souvent un problème, et inversement pour les autres. Il faut s’extraire de sa sphère corporative, et revenir à une conscience citoyenne, pour concevoir où le bât blesse dans ce fonctionnement si bien huilé. Comme toujours, la division du travail des uns permet aux autres de régner. L’ensemble des champs de recherche visant la société se trouve peu ou prou instrumentalisé par le nouveau genre de pouvoir total qu’on voit émerger au vingtième siècle, et cela ne peut pas rester sans conséquence sur les travaux qui s’y développent.

Dans la circonstance qui nous occupe, l’ignorance dans laquelle on tient un des versants de la question est d’autant plus dommageable que l’examen attentif des faits montre combien la place accordée à l’institution militaire et à l’appareil de production qui lui est lié a joué dès l’origine un rôle essentiel dans l’équation économique de la Reconstruction. Dès lors, fallait-il s’en tenir aux interprétations convenues, et laisser dans l’ombre cette face cachée des processus qui s’enclenchent à la Libération et se prolongent durablement par la suite ? Refusant de céder à cette facilité, on a au contraire pris le parti de faire place à cette contrainte oubliée qui nous paraît constituer le maillon manquant des lectures concernant le retard puis la pauvreté persistante de la construction française de logements dans les années 1950 et 1960.

En s’attachant exclusivement à la période qui voit par ailleurs la naissance d’un politique du logement, on développera successivement :
un commentaire sur l’emprise de l’institution militaire dans la France de la Libération, et les choix qui sont alors faits à son égard ;
un commentaire sur les implications financières de la reconstitution des armées puis de la conduite de la guerre ;
un commentaire final sur le caractère décalé que pouvait revêtir la défense acharnée d’un Empire de la part d’un État qui, d’impérial, n’avait plus que les signes.

En empruntant des chemins ne sont pas balisés, on s’efforcera seulement de resituer des ordres de grandeur, des emboîtements et des effets systémiques qu'il paraît inacceptable de laisser dans l'ombre. On prendra le risque de dire des choses imparfaites pour éviter de tomber dans ce qui serait une parfaite incongruité en perdant de vue une contrainte essentielle du jeu. On ne fera toutefois pas œuvre entièrement nouvelle : on trouve tout de même de brèves mentions du poids des questions militaires à diverses étapes de la politique du logement dans l'ouvrage de Louis Houdeville.


Les forces armées, ou les priorités de l'Empire.

En abordant les questions militaires, on doit tout d’abord faire remarquer à quel point la configuration française de 1945 est particulière. Les « vrais » vainqueurs (Grande-Bretagne, États-Unis, URSS) sont dotés d'une puissance militaire surdéveloppée : leur problème réside dans la gestion des surplus et dans la reconversion des industries militaires. Les vaincus (Japon, Allemagne, Autriche, Hongrie,…) ont à supporter le poids plus ou moins rude des armées d'occupation mais ils ne connaissent pas, et pour cause, les affres du réarmement. Il n'y a peut-être que l'Italie, la sœur latine, pour se trouver dans une situation assez comparable à celle de la France. Mais l'Italie n'a pas d'Empire – les lambeaux qu'elle détenait se sont évaporés avec la guerre – et elle n'a jamais fait figure de « grande puissance », ce qui relativise la question du réarmement. Ces aspects géo-politiques doivent être croisés avec une gradation des situations selon l’importance des destructions subies par les territoires centraux ou "métropolitains" des diverses puissances : de rien (Etats-Unis) à des dégâts énormes (URSS, Allemagne). Sans entrer plus avant dans les données techniques, on fait ainsi ressortir la position singulière de la France au lendemain de la guerre : une « grande puissance » dont le territoire métropolitain a été assez sérieusement atteint, dont les forces armées sont à reconstruire et qui doit se préparer à défendre un Empire éclaté sur les cinq continents. Au total, une gageure. Mais, n'est-il pas vrai qu’impossible n'est pas français, selon la formule d'un Corse qui avait réussi à Paris ?

Avec un Gouvernement provisoire placé sous la férule d'un militaire, avec une armée dont la refondation puise largement dans l'Empire, l'État français renaissant ne peut ignorer ni sa dimension extra-européenne, ni ce que cela implique en matière de défense. La reconstruction d'une armée puissante est sans doute une urgence admise par tous les personnels dirigeants de l'après-guerre, les modalités seules pouvant donner lieu à discussion. Cela constitue en tout cas un point de doctrine fondamental pour le général de Gaulle : "La défense nationale, c'est la première raison d'être de l'État". Corrélativement s'impose la renaissance d'un outil de production et d'un système de transport qui permette au moins d'alimenter les arsenaux. On a là des termes qui donnent une signification concrète aux slogans concernant le recouvrement et la garantie de la "souveraineté nationale", si souvent mise en avant à l'époque.

La France du 8 mai 1945 dispose d'une force armée dont les effectifs ont considérablement grossi. L’historiographie militaire fait état d'un total de 1,7 million de combattants à cette date, ce qui permet de mesurer le chemin parcouru depuis les maigres "Bataillons de la France Libre" (BFL) de 1942. Corrélativement, les dépenses militaires absorbent en 1945 près de 40% du budget de l'État renaissant, et l'étendue des réquisitions immobilières opérées à Paris par les seules armées françaises rend compte du degré de militarisation du pays :

"Le ministère de la Guerre a réquisitionné dans Paris, entre le 25 août 1944 et le 31 juillet 1945, 87 immeubles en totalité, 13 immeubles en partie, 5 villas ou pavillons, 100 appartements à usage de bureau, 6 boutiques, 1 usine, 36 garages et 77 locaux divers; en banlieue, les réquisitions ont porté sur 19 immeubles en totalité, 4 immeubles en partie, 12 villas, 13 appartements à usage de bureau, 7 usines, 8 terrains, 19 garages et 14 locaux divers, au total 421 immeubles, sans compter 56 restaurants.

D'autre part, sur 15 059 locaux à usage d'habitation, réquisitionnés à Paris et en banlieue, à la date du 1er août 1945 pour les services publics, 3271 étaient utilisés par l'armée de terre.

Il est juste de reconnaître qu'au cours des mois suivants, un certain nombre de ces réquisitions ont été levées; à la fin de l'année 1945, les réquisitions maintenues portaient encore sur 73 immeubles, 17 villas et 65 appartements à Paris et dans la banlieue. […]

Le ministère de la Marine ne s'est pas moins étendu. La cour relève, en effet, qu'il n'occupait pas moins de 66 immeubles en 1945. Un effort de compression qui intervint alors ne réussit pas à faire tomber ce chiffre à moins de 44 immeubles loués ou réquisitionnés pour un loyer de 14 millions environ, sans tenir compte des immeubles domaniaux.

Le ministère de l'Air n'est pas demeuré en reste. En dehors de l'hôtel du boulevard Victor, il occupait en juillet 1945 à peu près 200 immeubles à Paris et en banlieue. A la fin de 1945, ce chiffre était tombé à cent, et il était encore de 46 au moment du vote du budget en mars 1946. […]

L'état-major de la Défense nationale se trouvait encore, à la fin de l'année 1945, à l'hôtel Continental, rue de Castiglione. Ce bâtiment de cinq étages, occupant une superficie de 5 600 mètres carrés, comporte outre les vastes et somptueux salons de réception du rez-de-chaussée où étaient installés les cantines d'officiers et de sous-officiers et un dortoir pour le poste de garde, 432 pièces dont 242, seulement, étaient utilisées comme bureaux, les autres servant au logement des officiers et sous-officiers travaillant dans les services, ou aux officiers de passage.
L'effectif de l'état-major s'élevait, pour le personnel administratif, à 233 personnes dont quarante-cinq A.F.A.T., compte non tenu de 74 chauffeurs de voitures, 66 plombiers et mécaniciens et du personnel hôtelier assurant le service des chambres et de la salle à manger.
Il résulte des renseignements fournis que chaque agent disposait de 100 mètres carrés de surface utile." 

Sur une pareille lancée, il est bien naturel que le ministère de la Production Industrielle "occupe plus de 70 immeubles". À cette aune, le ministère de l'Économie Nationale, avec 26 immeubles seulement, fait figure de parent pauvre. Il ne pèse guère plus que la propagande, puisque "le ministère de l'Information a réparti ses services dans 14 immeubles". Face à cette inflation, les organes de l'État qui sont au service de la population occupent une position fort modeste : "le Ravitaillement a loué 9 immeubles et 21 appartements précédemment occupés par des particuliers"; quant à "la Reconstruction et l'Urbanisme", ce dernier né de la famille dispose en tout et pour tout "de 24 appartements particuliers".

Vues dans leur ensemble, les pratiques immobilières des nouvelles autorités, en particulier des militaires, ne peuvent qu’aggraver les difficultés endémiques du logement dans la capitale. En passant, elles donnent également l'occasion de mesurer la différence entre ceux qui procèdent par occupation et ceux qui, plus civilement, recourent à la location. Et elles soulignent l'esprit relativement spartiate que Raoul Dautry a imposé au MRU, un esprit qui s'illustrera durablement dans les bâtiments préfabriqués qui abriteront le ministère au Quai de Passy pendant quatre décennies, avant qu’il ne gagne brusquement les hauteurs de la Grande Arche et de la tour Pascal.

Mais l'appétit de ceux qui saisissent en se prévalant de l'urgence, de la guerre et, surtout, de la force, ne s'arrête pas à l'immobilier. Faute de réussir à maîtriser le nombre de véhicules de toutes natures détenus par les militaires, souvent à la suite de réquisitions, le gouvernement se résoudra tardivement, en 1947, à prendre par décret des mesures qui tendent à rétablir un minimum d'ordre :

"L'opinion s'est émue depuis la libération de l'importance excessive des parcs automobiles militaires et notamment du nombre de véhicules légers en circulation.
Le comité central d'enquête a jugé possible une réduction importante du nombre de voitures actuellement à la disposition de l'armée (…)
Entre la libération et le 1er janvier 1947, 52 893 véhicules de liaison ont été remis par l'armée à leurs propriétaires ou à l'administration des domaines et, depuis le 1er janvier 1947, l'administration des domaines a reçu des départements militaires 3 635 véhicules de tourisme; le parc des armées en véhicules de liaison s'élève néanmoins encore à 12 753 véhicules dont 4 961, suivant l'avis du comité interministériel, doivent être considérés comme non-indispensables et mis en vente par les domaines."

Dans le même mouvement, les militaires sont sommés de remettre également aux domaines 357 motos et 3 448 véhicules utilitaires. Il est piquant de constater que l'armée de l'Air, très minoritaire en effectifs et pas spécialement vouée par son objet aux mouvements terrestres, bénéficie de plus de la moitié des véhicules dont on réclame le retour. L'armée de l'Air avait donc beaucoup plus de voitures de tourisme que d'avions mais – n'est-ce pas ? – il faut bien se donner les moyens de rejoindre les aérodromes, et commencer sa reconstruction avec ce qu'on a sous la main.

Sans doute pourrait-on soutenir à bon droit que, dans la tourmente de l'automne 1947, les aspects immobiliers et touristiques du comportement des armées, et l'exemple que donnent leurs chefs, appartiennent au registre de l'anecdote. Mais ces éléments ne sont pas pour autant dénués de signification : à preuve, le niveau auquel on prend des mesures tendant à limiter les excès. Il est consubstantiel à la guerre que les peuples, et sans doute aussi leurs représentants, se trouvent explicitement mis sous l'empire de la force. Et, plus de deux ans après un apparent retour à la paix, on voit qu'au cœur même de l'hexagone métropolitain, on n'est pas encore sorti d'une situation où la force impose sa loi. Pourtant, les dirigeants de l'indépendance retrouvée semblent avoir eu très tôt conscience de la nécessité de réduire l'emprise de l'ordre militaire sur la nation, comme en témoigne cet extrait d'une allocution radio-diffusée du général de Gaulle peu après la capitulation allemande :

"Dès l'instant où les armées cessent d'être la raison d'être ultime des nations, c'est la capacité de vivre, de travailler, de produire qui devient aussitôt la condition la plus impérieuse de l'indépendance et de l'influence du pays."

Si nettement proclamé qu’il soit, le retour à une vie purement civile sera démenti par seize années de guerre outre-mer, des "événements" encore à venir et qui échappent sans doute à la capacité de prévision des hommes qui se disputent le pouvoir. Indépendamment de telles perspectives, il reste que la réorganisation des armées dans le cadre de la reconstruction de la souveraineté nationale ne va pas sans poser problème. À aucun point de vue – état et moral de la population, infrastructures et appareil productif, richesse nationale – la situation ne se prête à un effort conséquent de réarmement. Sans même évoquer les années 1945 et 1946, les exportations de 1947 et 1948 ne couvrent que 40% des importations. Le pays survit en liquidant ses stocks d'or, laissés intacts par la retraite allemande, et, pour le reste, sous perfusion de ses grands alliés. Bien qu'il puise largement par l'emprunt dans les disponibilités d'épargne qui subsistent, l'État est confronté à des déficits considérables en 1946 et 1947, années où sa trésorerie est alimentée par des avances de la Banque de France. Le rite de l'annualité du budget est rompu. Suite à un usage adopté dans l'urgence en 1945, le budget est voté par trimestre, et cette habitude se maintient jusqu'en 1948. Il en résulte que tout peut être discuté à tout moment, que toute décision est sujette à révision et que ce qui est accordé un jour peut être repris un peu plus tard, ainsi qu'on va le souligner en observant de plus près les aléas de l'année 1947. Cette atmosphère d'incertitude affecte aussi bien les développements civils que militaires. A voir les choses sous cet angle, on est loin des glorieuses certitudes du Plan et il apparaît que si celles-ci ont pu se concrétiser, c'est après négociation avec les grands alliés, notamment les États-Unis. D'une certaine manière, la politique de la "souveraineté nationale" retrouvée se joue au jour le jour… à Washington autant qu’à Paris.

Pour ce qui concerne l'institution militaire, il est entendu que la tendance est tout d'abord au dés-armement. Le Comité Français de Libération Nationale avait planché en 1943 sur le projet d'une armée de terre forte de 36 divisions. À la mi-1945, on envisage encore 21 divisions, mais, six mois plus tard, on n'en prévoit plus que 14. C'en est trop, ou plutôt pas assez, pour le général de Gaulle : la réduction drastique du projet d'armée nouvelle constitue un des motifs de son départ brusqué en janvier 1946. Si l'armée de terre maigrit, il faut préciser qu'on escompte encore une arme aérienne de 170 000 hommes alignant 2 000 avions de combat. Quant à la Marine, on retiendra en 1948, après de nombreuses tergiversations, un programme correspondant à une flotte de 400 000 tonnes.

Quand l'objectif à fixer pour le format des différentes armées émerge lentement d'un débat laborieux, reste la question du contenu. Tirant de sévères leçons de la Seconde Guerre mondiale, on se prononce pour une arme aérienne axée sur la propulsion à réaction, pour une marine dont la moitié serait dévolue à l'aéronavale et pour une armée de terre substantiellement orientée vers les blindés. Or, à la fin des combats en Europe, les armées françaises se trouvent "dans une situation matérielle dramatique : un matériel d'origine américaine usé, accompagné d'un échantillonnage hétéroclite d'origine nationale, britannique ou allemande" ; à quoi s'ajoutent, en guise de piment, quelques livraisons d'origine soviétique, dans l'aviation par exemple. Bref, une armée de bric et de broc. Le déficit qualitatif est visible partout, et il est de surcroît quantitatif dans la marine, réduite à peu de choses, principalement des corvettes offertes par sa Gracieuse Majesté.

Remise sur pied comme une force d'appoint, la France est dépenaillée. À l’encontre d’une pente spontanée qui incline au dés-armement, c'est le ré-armement qui s'impose comme une urgente nécessité après 1945, même dans la perspective d'une force armée relativement mesurée. Et il va de soi que, dans le souci de l'autonomie et de l'indépendance qui caractérise une « grande puissance », les productions qui y sont afférentes doivent s'effectuer sur le sol national, avec des techniques nationales. En ce sens, l'institution militaire ne peut qu'agréer aux priorités du Plan Monnet. Simplement, elle fait valoir que pour réaffirmer la puissance française, il lui faut un septième secteur de base, l'armement, qui en représente en fait trois à lui tout seul : l'armement aérien, l'armement naval et l'armement terrestre, sans compter les développements qu'on souhaite à terme relativement rapproché en matière de fusées et d'arme atomique. Vu sous cet angle, le Plan Monnet, qu'on juge habituellement si défavorable à la consommation civile, apparaît comme une sorte de plus petit commun dénominateur à deux exigences contradictoires. Arbitrage dont on pourra dire, au choix, qu'il réservait judicieusement l'avenir au milieu des tensions, ou bien qu'il était voué à déplaire de tous côtés par sa médiocrité même.

Soigneusement et patiemment poli du point de vue technique, appuyé sur les leçons les plus récentes des batailles, ancré dans le traumatisme de 1940 et de l'Occupation, l'argument de l'institution militaire ne manque pas de pouvoir de conviction ni, pour tout dire en un mot, de « grandeur ». Il laisse néanmoins de côté une question sous-jacente : ce qui aurait été sensé pour la France dans le monde de 1850 ou de 1900 l'est-il encore en 1945? La question, fondamentale, de la crédibilité du projet a dû tarauder plus d'un politique dans l'après-guerre. On devine les réponses qu'on produit pour contrebattre les doutes : « voyez l'exemple de la Grande-Bretagne »; d'ailleurs « la » France est « éternelle », et elle a « une mission ». Et puis il y a l'Empire, où il va falloir se battre, justement, parce qu'on ne peut pas « abdiquer ». Sous le coup des contraintes, c'est-à-dire des nouvelles conditions du jeu, tant mondiales qu'intérieures, qui liquident sans retour le mythe de la grande puissance impériale dont il est l'expression, le projet de ré-armement fera l'objet d'inflexions multiples. Les porte-avions ne seront que "d'escorte" et les trois unités dont on disposera en 1950 auront été louées ou rachetées d'occasion à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. L'aviation embarquée sera d'abord d'origine anglaise, puis américaine, et sans doute pas du meilleur modèle, etc. Mais, avec un mélange de désillusions et de succès, le projet n'en perdurera pas moins, comme on le sait.

Un cas emblématique est celui de l'aviation. On ne part pas de rien. La France était une grande puissance aéronautique jusqu'en 1940 et, de 1941 à 1944 la production s'est poursuivie puisque "l'Allemagne [a reçu] de la France 3 606 appareils et plus de 11 000 moteurs". Certes, l'équipement a souffert des conséquences d'un certain nombre de démontages, de sabotages ou de bombardements. Mais il reste à la fin août 1944 quelque 37 000 cadres et ouvriers qui savent travailler et qui ne demandent qu'à le faire. En plein accord avec de Gaulle, son ministre de l'Air Charles Tillon, naguère chef des FTP, lance le mot d'ordre de "100 000 emplois dans l'aviation". Et c'est exactement ce qu'on fait : on est à 96 811 emplois dès novembre 1945. Le premier objet est la production militaire, avec un plan de plus de 4 000 avions. On fabrique d'abord ce qu'on maîtrise le mieux, des avions "allemands" et des modèles français d'avant 1940. Un peu démodée, pas vraiment finie (il manque des équipements), quantitativement inférieure aux résultats escomptés, cette opération de transition est sévèrement mise en cause au début de 1946. Mais, simultanément, on se prépare à lancer une production de conception française dans le domaine de pointe de la propulsion à réaction, en collationnant ce qu'on en savait avant 1940 et ce qu'on a pu glaner de technique allemande. Un prototype vole en novembre 1946. Cela ouvre l'ère des "avions-casseroles", marquée par des pertes considérables du côté des pilotes d'essai, car on ne comble pas en quelques mois un fossé qui s'est creusé pendant six ou sept ans dans un domaine essentiellement expérimental. Il s'ensuit un flottement. En attendant des jours meilleurs, les personnels qu'on a rassemblés dans les industries de l'air sont occupés à des tâches "de reconversion" qui vont de la production de moteurs de camion à celle de carrosseries de trolleybus, sans qu'on puisse affirmer, évidemment, que le potentiel productif des équipes d'avionneurs soit utilisé au mieux dans ces différents champs d'action.

"En novembre 1946, l'État-Major modifie partiellement [son] programme pour mettre en application les directives communiquées au mois d'août par le Comité de Défense nationale, qui assignent comme tâche prioritaire à l'armée de l'Air la protection des territoires d'outre-mer. Avec cette fois 1 475 avions, les responsables aériens demandent l'accroissement des unités de police coloniale et l'accélération de la mise au point du MD315 « Flamant », outil de cette politique. Cet appareil simple et robuste, dont il a été commandé une soixantaine d'exemplaires dès juillet marque le retour du constructeur Marcel Bloch, désormais Dassault, sur la scène de l'aéronautique. Dans ce programme modifié, les NC211 « Cormoran » doivent plus que jamais fournir l'ossature des unités de transport, pivot essentiel des nouvelles activités de l'armée de l'Air. Les missions de sécurité restent dévolues aux appareils à réaction dans le cadre d'une force internationale, ce « grand système d'alliance militaire que l'État-Major général Air appelle de tous ses vœux »."

Comme l'Air est transparent! Dans un contexte sectoriel où on ne barguigne pas sur les moyens, et qui constitue donc le symétrique parfait de la reconstruction de l'habitat, perpétuellement affrontée aux "difficultés", aux raretés, etc., quatre affirmations significatives et étayées sur des faits forment le fond de cette courte citation :

1. Après un solide gâchis initial, on réduit la voilure à la fin de 1946 : c'est l’aspect qui correspond à l'idée, toute relative, de dés-armement.
2. Cela étant, les forces qui sont au pouvoir persistent dans l'équation issue de la guerre et de la Résistance, équation dont étaient porteuses toutes les parties associées au Gouvernement Provisoire de de Gaulle, y compris les communistes : priorité à la reconstruction de l'armée, pilier de l'État.
3. La première reconstruction effective d'une industrie aérienne militaire proprement nationale se fait au profit de la coloniale (la protection des territoires extérieurs de l'Empire) et c'est dans ce domaine que Dassault se refait une jeunesse.
4. Toutefois, le projet d'ensemble est dominé par l'ambition de détenir une aviation stratégique propre, qui est indispensable pour assurer la sécurité du centre de l'Empire. À cet égard, les développements politiques qu'induit le jeu des « vrais » Grands prend la France de vitesse. La « guerre froide » arrive trop tôt, alors que le chasseur à réaction de conception française n'est pas encore prêt. Il faut donc s'en remettre, ou plutôt se soumettre, au grand système d'alliance. Et on assure pour un moment la sécurité en s'équipant auprès des alliés, en l'occurrence la Grande-Bretagne, sans doute rendue prudente par la pénible expérience de 1940-1943, mais décidément pragmatique et fort peu revancharde.

La vocation coloniale des premiers temps de la reconstruction militaire n'est pas spécifique à l'aviation. Elle concerne également les fabricants de blindés, qui se souviennent avec émotion de "cette époque bénie où l'imagination et l'enthousiasme n'étaient freinés par aucune considération financière ou administrative". En attendant les AMX – lointains descendants des chars Renault qui sortiront des ateliers de l'État – et les EBR de Panhard, cette dernière firme fournit dès 1945 une version améliorée d'un engin à roues d'avant 1939, à raison de 200 exemplaires "qui furent surtout utilisés outre-mer".

La Marine, de son côté, est intrinsèquement liée à l'outre-mer, puisqu'elle est destinée à régner sur les étendues océaniques. Elle apporte donc sa contribution aux opérations lointaines en assurant la présence permanente d'un porte-avions dans les eaux indochinoises à partir du moment où elle dispose de trois unités de ce type (1951). Entre-temps, on a engagé, dès 1947, puis abandonné en 1949, la construction de ce qui devait être le troisième porte-avions français – le premier de fabrication nationale – et qui deviendra plus tard le Clémenceau (1960). Dans l'immédiat, on lui substitue la livraison d'un navire d'occasion par les USA, qui est rebaptisé Lafayette. Affaire fort onéreuse, la reconstruction de la Marine et sa dotation en unités majeures ont été constamment sujets à hésitations et revirements, alors que la matière en cause s'y prête mal. Mais il faut dire que les responsables de la "Royale" paraissaient demander tout à la fois un équipement stratégique moderne et des engins surannés, le musée et l'action, le beurre et l'argent du beurre, ce qui faisait beaucoup eu égard aux conditions de l'époque. Ainsi les travaux du cuirassé Jean Bart avaient-ils été tout d'abord jugés prioritaires. Ils sont "différés" en janvier 1946, c'est-à-dire au moment où le général de Gaulle part bouder à Colombey-les-deux-Églises. Lorsque Pierre Mendès-France annonce la décision aux députés de la majorité gouvernementale, il suscite une réaction aussi vive que significative de la part du député communiste André Marty, l'ancien « mutin de la Mer Noire » :

"Une telle mesure aggraverait la dépendance de la flotte française vis-à-vis des États-Unis […] « Vous voulez priver la France d'un navire de guerre; vous n'en avez pas le droit! » s'écrie [André Marty]. « La France est une grande puissance. Vous allez réduire à la famine les ouvriers des arsenaux »."

À quoi Pierre Mendès-France aurait répliqué :

« Le travail ne manque pas en France. Des tâches plus urgentes […] attendent ces ouvriers. »

Le débat sur la problématique de la reconstruction se trouve résumé dans ce bref dialogue. D'un côté, le souci de la Grandeur, associé à un certain style de défense de l'emploi et du potentiel de production. De l'autre, une mise en discussion des priorités qu'il convient effectivement de retenir dans une optique où on met en balance les aspects civils et les aspects militaires. On ne peut en effet pas perdre de vue que dans une situation où les « besoins » pressent de toutes parts, l'allocation de main-d'œuvre et de moyens consacrée à une reconstruction militaire articulée à la protection de l'Empire aurait pu trouver d’utiles emplois dans d'autres registres.


Regard sur le budget de l'année 1947 et les développements ultérieurs.

L'examen des dotations budgétaires de 1947 apporte un éclairage significatif sur le poids de ce qui est respectivement accordé à la reconstruction civile et à la reconstruction militaire. Cette année 1947 constitue un repère révélateur à un double titre. D'une part, même si on réprime avec violence le soulèvement de Madagascar et si la guerre d'Indochine s'éveille, l'orientation globale est encore au dés-armement : les armes se sont tues sur le continent européen depuis déjà deux hivers, et la guerre froide n'est pas encore installée. D'autre part, les finances de l'État connaissent une crise grave qui oblige à préciser les choix. Un gouvernement apparemment tenu par des civils depuis 1946 va-t-il mettre sous le boisseau les programmes de la reconstruction militaire ?

Il n'en est rien. Les budgets "extraordinaires" et leurs annexes, qui couvrent l'essentiel des dépenses de reconstruction et d'équipement sont votés le 14 août et publiés le lendemain au journal officiel. Pour ce qui concerne la reconstruction civile, il s'agit des sommes destinées aux sinistrés, aux bâtiments provisoires et à la reconstitution des voiries et réseaux publics. Les opérations de reconstruction propres aux différents ministères ne sont pas prises en compte dans ces postes, et viendraient s'imputer en supplément. Pour les armées, les crédits votés le 14 août s'ajoutent aux dotations des "budgets ordinaires" de décembre 1946 et mars 1947, principalement destinés à couvrir le fonctionnement.

On doit reconnaître qu'en bornant l'approche aux "budgets extraordinaires", on ne pourra pas donner une évaluation exhaustive des fonds qu'il est prévu de consacrer à la reconstruction et à l'équipement, puisqu'on méconnaît ce qui a été inclus dans les "budgets ordinaires" des différents ministères, une impasse qui affecte aussi bien des affaires militaires que civiles. En ces temps de gestion troublée, le passage par les "budgets extraordinaires" présente toutefois l'avantage de donner un accès clair et commode à des masses financières significatives. Ces budgets ont certes été votés tardivement mais, contrairement aux "budgets ordinaires", toujours trimestriels, ils l'ont été en une fois et en état "définitif". Ultime péripétie sur laquelle on reviendra plus loin, les budgets en question n’ont été "définitifs"… que pendant un peu moins de deux mois !

Les budgets d'investissement militaire sont fixés par deux lois du 14 août, la loi n°47-1499, qui porte sur le "budget extraordinaire" et le "budget annexe", et la loi n°47-1500, qui apporte immédiatement un complément. Les dépenses de reconstitution et d'équipement atteignent un total de 46,6 milliards de francs en termes d'autorisations de paiement et de 74,1 milliards de francs en termes d'autorisations de programme. Un financement spécifique est prévu pour le "budget annexe" : il s'agit presque uniquement d'avances du Trésor. Bref, on est à découvert…

Investissements militaires
Budgets "extraordinaire" et "annexe" de 1947
(en milliards de francs courants)

AUTORISATIONS DE PAIEMENT (1)AUTORISATIONS DE PROGRAMME (2)Budget extraordi-naireBudget annexeLoi
47-1500TotalBudget extraordi-naireBudget annexeTotalAIR13.82.81.217.823.46.930.3FRANCE D'OUTRE-MER1.5__1.53.3_3.3GUERRE7.1_7.114.211.5_11.5MARINE8.61.41.411.419.94.224.1PRÉSIDENCE du GOUVERNEMENT0.3__0.30.5_0.5DIVERS (3)_1.4_1.4_4.44.4TOTAL31.35.69.746.658.615.574.1Source  : JO du 15 août 1947, p. 8022 à 8027.
Notes  :
(1) et (2) Les autorisations de paiement correspondent aux budgets disponibles pour l’année en cours, et les autorisations de programme à des engagements sur des opérations pluri-annuelles dont le solde devra être mis à disposition lors des budgets suivants.
(3) Installations de fabrication, service des essences, service des poudres.


Le tableau ci-dessus fait apparaître ce qu'il en a coûté d'avoir l'ambition de reconstruire en priorité une marine de guerre et une aviation dignes d'une grande puissance. Avec respectivement 40,8% et 32,5%, ces deux secteurs absorbent ensemble près des trois quarts des autorisations de programme bénéficiant aux armées, et 63% des autorisations de paiement immédiates. Pour l'armée de l'Air, 35,3% des autorisations de programme vont aux achats de "matériels de série", 20,5% aux programmes d'étude et de recherche et 8,3% aux télécommunications. Pour la Marine, 25,7% des autorisations de programme reviennent à l'aéronautique navale et aux "engins spéciaux", et 27,4% aux "constructions neuves" de navires. Outre cet effort de recherche et d'équipement manifestement ciblé sur des forces d'intervention, on constate une considérable activité de reconstruction immobilière. En effet, 34,4% des autorisations de programme de l'aviation vont aux bases aériennes et à l'équipement au sol (acquisitions immobilières, travaux, équipement et outillage), de même que près de 40% des crédits de la Marine, 72% de ceux de la Guerre (dont un milliard pour la gendarmerie), 66% de ceux de la France d'Outre-Mer (le reste étant destiné à la "constitution de nouvelles unités motorisées") et la quasi-totalité de ceux de la Présidence du Conseil ou de la ligne "divers". Au total, cela représente plus de 34 milliards accordés à la reconstruction immobilière et aux équipements qui y sont liés.

Il ne suffit toutefois pas de reconstruire, d'équiper et d'étudier les engins du futur. Il faut également remettre à niveau les stocks de munitions. Tel est l'objet auquel sont dévolus les deux tiers des dotations de la loi n°47-1500, dont on rappelle qu'elle est financée par de la cavalerie, et c'est pourquoi le poids de la Guerre (les forces terrestres) y est si élevé. Il est probable que cette soudaine fringale de matières explosives et de divers équipements destinés aux personnels ("campement", "habillement") est liée aux interventions dans l'Empire. C'est en tout cas ce que suggère une rubrique de 450 millions justifiée par le "recomplètement des approvisionnements et dotations, à la suite des prélèvements faits pour le corps expéditionnaire d'Extrême-Orient" : la somme est relativement modique, mais la destination est claire.

Face à cet effort militaire et à ces promesses de gloires lointaines, que pèse la reconstruction civile ? Après avoir prévu 3,3 milliards d'autorisations de programme au profit de la radiodiffusion (article 4), 2,5 milliards pour la reconstitution de la flotte de commerce (article 2) et une douzaine de milliards sur trois ans pour abonder les financements de la modernisation rurale, la loi n°47-1501 annule par son article 5 les dispositions antérieures du budget de 1947 concernant les "dommages de guerre et dépenses de reconstruction", en y substituant une dotation de 134 milliards au titre des autorisations de programme et de 127,5 milliards au titre des autorisations de paiement. Ces sommes sont présentées comme des allocations de moyens définitives et globales. Il est en effet expressément prévu que "les indemnités afférentes aux reconstitutions qui seront financées au moyen du produit des emprunts émis par les groupements de sinistrés […] s'imputeront sur [ces] autorisations d'engagement et de paiement [...]". En d'autres termes, l'État interdit que des initiatives territoriales et décentralisées viennent augmenter l'effort de reconstruction civile, et les groupements qui réussissent à lancer un emprunt s'assurent seulement, en collectant eux-mêmes les moyens, une priorité dans l'attribution des fonds. Comme il est courant en France, l'initiative des collectivités territoriales est étroitement encadrée par l'État, à l'action duquel elle peut à la rigueur se substituer, mais sans débordement. Il ne serait en effet pas acceptable que la capacité d'emprunt des collectivités vienne concurrencer celle de l'État, et éventuellement réorienter l'emploi de l'épargne nationale vers des finalités qui ne seraient pas celles du gouvernement.

Dans sa sagesse, celui-ci répartit les crédits liés aux dommages de guerre et à la reconstruction comme il est indiqué dans le tableau résumé qu'on trouvera à la page suivante. La structure même du tableau souligne deux aspects qui, pour être contradictoires, n'en sont pas moins caractéristiques des décisions de l'État dans cette période : la continuité et la fragilité. La continuité, car en entrant dans le détail des intitulés, on aperçoit que l'existence de deux rubriques, mineures il est vrai puisqu'elles correspondent aux lignes I.4 et II.2, est fondée sur des actes de Vichy validés à la Libération. Et la fragilité, parce qu'il est proprement extraordinaire de voir valider le 14 août 1947 des autorisations de paiement accordées pour… 1946. Quant au contenu, il appelle nombre d'observations qui confirment les réflexions qu'on a faites plus haut sur le processus de la reconstruction. Afin d'éviter les erreurs d'interprétation liées à l'illusion monétaire, il importe de resituer la dégringolade du franc, qui perd environ le tiers de son pouvoir d'achat entre 1946 et 1947 : en conséquence, 127 milliards de 1947 valent à peu près autant que 86 milliards de 1946, et 134 milliards de 1947 valent moins que 118 milliards de 1946.

Cela étant, on voit tout d'abord que les travaux "préliminaires" – déminage, déblaiement – constituent encore en 1947 un objet de préoccupation important. Les travaux concernant la voirie et les réseaux prennent progressivement le relais, mais la mise en place des crédits se fait lentement, comme le montre le décalage entre les autorisations de programme et les crédits de paiement pour 1947. On constate ensuite, lorsqu'on somme les deux années 1946 et 1947, que le poste le plus important correspond aux abris provisoires et aux réparations d'urgence. Cela traduit un effort initial qui était substantiellement lié aux conditions de survie des sinistrés et des réfugiés. Mais, dès 1947, les indemnités prévues pour les "immeubles de toute nature" prennent le pas sur les autres rubriques.

Comme le financement des Associations syndicales de reconstruction (ASR), qui représente le plus gros de l'habitation, est prévu par ailleurs (ligne II.5), on comprend que ces immeubles "de toute nature" correspondent pour l'essentiel à de l'immobilier à vocation économique : production, commerce, etc. Ce point de vue est confirmé par la montée parallèle des financements destinés aux équipements (y compris le cheptel des exploitations rurales), qui passent au troisième rang des dépenses.


Autorisations d'engagement et de paiement accordées au titre de la reconstruction et de la réparation des dommages de guerre (année 1947, en millions de francs)

NATURE DES DÉPENSESAUTORISATIONS D'ENGAGEMENTAUTORISATIONS DE PAIEMENTTranche 1946
Autorisations
validéesTranche 1947
Autorisations accordéesTranche 1946
Autorisations
validéesTranche 1947
Autorisations accordées§ 1er. Indemnités directement payées aux sinistrés.1° Indemnités pour reconstruction des immeubles de toute nature.12 00041 30012 00035 9502° Indemnités pour reconstitution des meubles d'usage courant ou familial.13 0008 15013 0008 1503° Indemnités pour reconstitution de biens autres que ceux visés aux 1° et 2° : cheptel, matériel agricole, industriel, commercial, etc.7 00019 5007 00021 7504° Allocations d'attente300300Totaux pour le paragraphe 1er32 00069 25032 00066 150§ 2ème. Dépenses imputées sur comptes spéciaux du trésor1° Travaux de voirie et de réseaux d'assainissement et de distributions d'eau de gaz ou d'électricité4 0009 6004 0006 2002° Acquisitions ou expropriations de terrains6001 1206008003°Travaux préliminaires à la reconstruction10 0006 5008 0006 4004° Constructions et aménagements provisoires et réparations urgentes exécutées d'office48 20038 70034 00035 1005° Constructions d'immeubles d'habitation par l'État ou des associations syndicales de reconstruction23 0005 5007 50010 0006 ° Construction expérimentale d'immeubles d'habitation1 5001 000Totaux pour le paragraphe 2ème85 80062 92054 10059 500§ 3ème Participation de la France à la reconstruction des territoires d'outre-mer (…)1 8001 800Totaux 117 800133 97086 100127 450Source : Journal officiel, 15 août 1947, p. 8028.

Enfin, et corrélativement, l'effort cumulé de 1946 et 1947 concernant la reconstruction d'habitations est réduit à la portion congrue. Les autorisations de programme accordées au titre de 1946 pour les immeubles d'État et ceux des ASR ne sont traduites en crédits de paiement qu'avec une lente parcimonie. D'un autre côté, même en tenant compte des "immeubles expérimentaux" (ligne II.6), les autorisations nouvelles au titre de 1947 représentent tout juste 5,3% du total de 134 milliards. À l'exception du mobilier, en faveur duquel on poursuit un effort non négligeable (ligne 1.2), tout ce qui concerne l'habitat, des VRD aux immeubles à reconstruire, est clairement différé. Sinistrés et réfugiés se terreront durablement dans des baraques ou des immeubles qui étaient déjà indignes avant guerre et qui sont désormais rapetassés par des "réparations d'urgence". Il faudra faire preuve de prudence en allumant le gaz ou l'électricité…

Sous ces trois aspects, on retrouve sans surprise la « logique » du Plan Monnet, et on peut mesurer avec quelle vigueur elle s'est affirmée de 1946 à 1947. C'est sans doute à ce moment que la reconstruction de l'habitat français prend son allure traînante qui en fera un véritable calvaire pour les sinistrés. Proprement désolantes, les années 1945-1947 débouchent à l'hiver sur des rations de pain encore plus maigres que celles de l'Occupation, et donnent sens aux grandes grèves de l'automne 1947, bien au-delà des lectures partisanes. Comme le dit avec beaucoup de retenue Danièle Voldman, on a là "deux années et demi de tâtonnements où l'État a cherché à concilier une politique coûteuse sur le plan économique et social avec une dramatique absence de moyens et des contraintes multiples". Une attitude de gouvernement qui a le cynisme pour corollaire : "L'État essayait de persuader l'opinion qu'il cherchait des remèdes".

Pour les tenants de la « Raison » planiste, de « l'effort », etc., ce besoin de manipuler l'opinion n'est qu'un péché véniel, un moment regrettable mais transitoire : la fin justifie les moyens. Il faut sans doute un esprit soupçonneux et malintentionné pour avoir la malignité de s'interroger. Néanmoins, quand on emploie de tels moyens, quand on prend de telles habitudes, est-il si aisé de s'en défaire ? Rejoignons, si on veut, ceux qui érigent l'amoralité en modèle de comportement, et admettons que la manie de manipuler l'opinion ne constitue qu'une péripétie secondaire. Mais revenons aussitôt au fond de la question, ces "contraintes multiples" que Danièle Voldman évoque dans un euphémisme lapidaire. La répartition de la pénurie qu'organise le Plan Monnet est-elle le fruit de la « Raison », ou bien s'impose-t-elle en raison des choix de l'Empire, comme la rançon d'un projet de « grande puissance » ? Dans le premier cas, ce serait effectivement un impératif, douloureux mais sensé. Dans le second cas, on est en présence d'un projet politique pour la France, un projet parmi d'autres, par essence discutable, qui pourrait traduire seulement l'aveuglement des dirigeants et qui ne « justifierait » dès lors aucunement les sacrifices imposés au peuple, ni ceux dont on soutient publiquement la nécessité, ni ceux auxquels on entraîne sans le dire.

Bornons-nous pour l'instant aux faits qui sont sous nos yeux. Dans l'année 1947, à l'étiage des investissements militaires, les autorisations de programme et les crédits de paiement des seuls budgets extraordinaire et annexe de la seule armée de l'Air sont équivalents à ce qui est prévu au titre de 1946 et 1947 pour la reconstruction des habitations. Les autorisations de programme de l'ensemble des armées (74,1 milliards pour 1947) sont supérieures à ce qui est alloué au relèvement de l'économie (60,8 milliards en 1947) et d'un ordre de grandeur comparable à ce qui est prévu pour l'ensemble de l'économie au titre de 1946 et 1947 (79,8 milliards en nominal, environ 92 milliards en francs de 1947). Les armées équivalentes à l'ensemble de l'économie? On ne peut que regretter de ne pas disposer de mesures sur les prélèvements des castes guerrières aux temps féodaux, prélèvements qui finiraient peut-être par paraître légers au regard de ce dont est capable le régime de l'après-guerre. Où est le règne de la « Raison » ? Où sont les priorités réelles du Plan ? Toutes choses sans doute aussi peu commentées dans les médias que ne l'est aujourd'hui le vote du budget de l'État, qui représente pourtant un acte majeur dans les démocraties. Les données qui contraignent à s'interroger n'ont probablement guère circulé au sein des populations, tout occupées qu'elles étaient par les problèmes de ravitaillement et, pour les fractions sinistrées, engluées dans les méandres du nouvel urbanisme.

Il s'est cependant produit des rencontres inopinées, des moments où le voile s'est déchiré, des situations où ceux qui, de sujets de la démocratie, avaient été transformés en objets de gestion administrative ont brusquement été mis face aux choix qu'on avait faits pour eux. Dans le flot de protestations qui s'expriment quand le premier jet du projet d’aménagement et de reconstruction de Lorient est soumis à enquête publique en juillet 1946, on peut remarquer une contestation particulièrement ciblée et vigoureuse qui vise un projet de gendarmerie prévoyant 1500 m2 en centre-ville pour vingt gendarmes. Cette affaire ubuesque mettait soudainement le menu peuple des baraquements provisoires en face des vraies priorités : dès qu'il s'agissait de l'armée, les mensurations changeaient d'échelle, et aucun emplacement n'était assez bon. Voilà des choses qui prospèrent mieux dans l'ombre, ou derrière le paravent des appareils bureaucratiques. À Lorient, venues par mégarde en pleine lumière, elles ont suscité un cri éperdu : "On ne va quand même pas nous donner plus de gendarmes qu'il n'y a d'habitants !".

Qu'on se rassure, la séparation entre le civil – objet de l'opinion, éventuellement de débat – et le militaire – affaire de chefs opérant dans le cadre du secret-défense – a été dans l'ensemble bien tenue, du moins jusqu'à ce qu'on appelle les enfants du peuple à jouer les soldats de l'Empire, ce qui devait conduire, comme il est d'usage, à nombre de retours en cercueil. La même coupure affecte encore aujourd'hui la sphère de la critique. Ainsi qu'on l'a déjà évoqué, il est généralement entendu que les commentaires sur la reconstruction et ses « contraintes » restent cantonnés au domaine civil. Mais lorsqu'on a aperçu les masses de moyens alloués respectivement au militaire et au civil, on ne peut plus raisonner de cette manière. Il ne s'agit pas ici de discuter finement les pourcentages, les plus et les moins, etc. Un tel pinaillage serait d'autant plus malvenu que, comme on l'a précisé, les crédits qui ont été identifiés ne sont pas exhaustifs. Il suffit de considérer les masses en cause pour se convaincre que la principale « contrainte » de la Reconstruction a résidé, dès l'origine et tout au long du processus, dans l'effet de bascule qu'impliquait la répartition des moyens entre les secteurs civil et militaire. C'est à l'évidence parce qu'elles résultent d'un même arbitrage que les données civiles et militaires qu'on a exploitées ont été publiées le même jour, et dans des pages du journal officiel qui se suivent. C'est encore pour le même motif que le décret n°47-1957 du 9 octobre 1947, qui annonce une révision drastique, porte simultanément "interdiction d'engagement de dépenses sur le budget de la reconstruction et sur le budget extraordinaire". Le rapport préalable justifie ces mesures conservatoires en deux courtes phrases qui conditionnent la reprise des prélèvements par l'assainissement de l'économie :

"Il serait vain de poursuivre dans l'immédiat des objectifs manifestement au-dessus des moyens du pays. Au contraire, le rétablissement de l'équilibre des prix et des salaires, celui de la confiance dans la monnaie, permettront ultérieurement de reprendre le rythme des travaux engagés indispensables pour assurer la reconstruction et l'équipement du pays."

Il ne semble pas qu'à la suite de ce revirement un nouvel arbitrage "définitif" entre les domaines civil et militaire ait été rendu explicite durant l'année 1947. Les recherches entreprises n'ont en tout cas pas permis d'en retrouver la trace. En revanche, la consultation du journal officiel du 28 décembre 1947 permet de jeter un dernier regard sur cette année mouvementée. On y publie en effet la gestion des reports de crédit de 1946 sur 1947, avec l'état des crédits 1946 annulés et des compensations accordées pour 1947. Ce travail à la marge, dont la date de publication paraît indiquer qu'il s'est réalisé en grande partie ex post, sanctionne toutes sortes de modifications de détail, qui touchent à l'occasion les contenus, mais qui correspondent pour l'essentiel à un changement de présentation. On se cantonnera ici à évoquer brièvement quelques aspects significatifs.

Avec 8,3 milliards de crédits alloués contre 9,6 milliards de crédits annulés, les budgets militaires, ordinaire et extraordinaire, sont écornés au passage de 1,3 milliard en francs courants, et de 7 milliards de 1947 en pouvoir d'achat. Les investissements reportés dans l'Outre-Mer sont diminués de moitié, ce qui reste (0,4 milliard) étant sans doute destiné à l'Indochine. L'énorme budget résiduel de l'armement concernant globalement les trois armes, il est difficile de se faire une idée du sort dévolu à chacune d'elles. On retient néanmoins l'impression que nombre de projets d'études et de développement ont été sacrifiés au profit d'achats immédiats de munitions et de matériels. L'Air sauve un milliard, employé pour 91% à des achats de matériels et de munitions, et pour 9% seulement à des études; la Marine, 0,9 milliard, dont 41% pour les matériels de l'aéronautique navale. Les forces terrestres se taillent la part du lion avec 5,8 milliards, dont un peu plus de 60% vont aux armements et aux munitions, y compris une "dotation excédant les besoins normaux". La gendarmerie préserve (en valeur nominale) un modeste report de 0,1 milliard.
Gestion des reliquats de crédits de 1946
(en milliards de francs)

Crédits annulésCrédits reportésValeur nominale 1946Valeur 1947 (1)Valeur nominale 1947 Budget militaire 9.615.38.3 Reconstruction13.020.813.0Ministères civils
(y compris opérations de reconstruction rattachées)14.122.540.6Total36.758.661.9Source : JO du 28 décembre 1947, p. 12 499 à 12 508.
(1) Déflateur : indice INSEE des prix de détail base 100 en 1938; niveau de 1946 : 645; niveau de 1947 : 1030.

Le paysage est plus stable du côté du budget de la reconstruction et de l'équipement, entendu au sens du tableau qu'on a commenté plus haut. Les 13 milliards en suspens sont intégralement reconduits (en valeur nominale, c'est-à-dire avec une perte de pouvoir d'achat de près de 8 milliards de francs de 1947). Et, en dépit des malheurs du temps, les reconductions se font de façon très favorable en ce qui concerne les ministères civils. Alors que les crédits restés en suspens se montaient à 14,1 milliards au titre des budgets ordinaires et des budgets de reconstruction et d'équipement qui y sont directement rattachés, la dotation reconduite s'élève à 40,6 milliards, ce qui représente un accroissement de pouvoir d'achat de plus de 18 milliards de francs de 1947. En fait, l'analyse de détail montre que les différents ministères se voient maintenir peu ou prou leur allocation (toujours en valeur nominale) à l'exception de deux cas : le MRU qui "économise" 0,2 milliard sur les dépenses de regroupement de ses services centraux et, en sens contraire, le ministère des Travaux Publics et des Transports dont la dotation est accrue de 26,8 milliards. Cette soudaine richesse des Transports correspond entièrement à la démultiplication d'un poste dont on semble avoir tout à coup conçu l'impérieuse nécessité : la reconstitution de la "flotte de commerce et de pêche". Malgré tout l'intérêt qu'on peut porter à la pêche, il y a lieu de supposer que l'effort est destiné à la flotte de transport.

Au total, le report se fait avec une augmentation nominale considérable, mais la variation beaucoup plus modeste qu'on observe en termes de pouvoir d'achat atteste bien qu'on est en présence d'une reconduction en termes réels. La combinaison de la reconduction de la plupart des budgets en termes nominaux et d'une inflation forte crée un espace pour un redéploiement à la marge :
- réduction et érosion des dotations militaires, avec un recentrage sur les acquisitions de matériels et de moyens immédiatement opérationnels;
- érosion des dotations destinées aux reconstitutions civiles, à l'exception des transports maritimes, qui sont considérablement renforcés.
La lecture qui paraît dès lors s'imposer tient en deux propositions : une armée qu'on remet en position de combat, quitte à sacrifier le développement des engins du futur, et, puisqu'il s'agit de combats lointains, une reconstruction civile qu'on oriente de façon accélérée vers la flotte de transport. Les ravages de la guerre d'Indochine viennent d'atteindre la métropole.

De cette guerre, Louis Houdeville avance, sans dater les quotités monétaires, qu'elle "coûtera au budget de l'État quelque 3 000 milliards, soit l'équivalent de l'aide Marshall". Dans une communication de 1995, Jacques Aben donne un graphique, apparemment construit en francs courants, où on voit les dépenses de la guerre d'Indochine croître régulièrement d'environ 30 milliards en 1946 à environ 130 milliards en 1949, puis de façon accélérée pour atteindre 320 milliards en 1951, ce qui laisse augurer d'un cumul de l'ordre de 850 milliards à cette date. Les développements de la guerre ne sont par ailleurs pas étrangers au fait que l'on incorpore aux armées 224 000 à 231 000 hommes du contingent de 1948 à 1952, alors qu'on s'était contenté de 182 000 en 1946. Ils sont également à l'origine d'un retour à une situation où le budget est obéré par une contrainte militaire forte, comme le montre le tableau suivant.

Budget de l'État (1948-1954)
Poids respectif des dépenses militaires et d'une sélection de ministères

1948194919501951195219531954Budget total
(Milliards de francs courants)992.11204.92358.72913.73656.43801.03702.4Finances (%)20.925.349.542.437.336.133.4Éducation nationale (%)10.611.16.67.17.07.17.9Intérieur, justice, 1er ministre (%)12.58.33.83.73.33.33.8Logement, urbanisme (%)1.11.00.60.50.40.40.4Transports et trav. publics (%)9.812.110.99.58.18.79.7Dépenses militaires (%)28.526.017.627.734.533.932.3 Source : INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 616.

Une difficulté d’approche tient au fait que les dépenses de reconstruction ne sont pas immédiatement lisibles dans la présentation qui a été retenue par l'INSEE. Elles sont logées pour partie au ministère des Transports, au ministère de l'Intérieur (jusqu'en 1949, pour les fonds destinés aux collectivités territoriales) et surtout au ministère des Finances, qui assure à partir de 1950 la gestion d’une Caisse Autonome de la Reconstruction (CAREC) dont les dotations se tiennent entre 300 à 700 milliards de francs par an. Malgré quoi on peut constater que dans la période 1952-1954, c'est-à-dire quand la reconstruction de l'habitat atteint enfin son rythme de croisière, le poids des dépenses militaires s'établit au même niveau que l'ensemble des dépenses du ministère des Finances, et excède donc très nettement la part du budget des Finances et des Travaux Publics qui est susceptible de revenir à la reconstruction de l'habitat ou, plus largement, à la reconstruction civile. Voilà qui, plus que toute autre considération, est de nature à expliquer que le rythme de croisière annuel de la reconstruction des logements n’atteigne pas même le dixième de ce qu’il faudra relever, promettant ainsi à nombre de sinistrés, dix ans après les destructions, de nouvelles et longues années d’attente. Corrélativement, il ne sera pas difficile aux représentants des appareils de faire valoir la « pauvreté » de l’État et les « limites budgétaires » pour excuser l’insuffisance des moyens disponibles pour la reconstitution de l’habitat. En effet, le solde d'exécution du budget, qui avait frisé l'équilibre en 1950, retombe dans les abysses, avec des déficits de 700 milliards de francs en 1952 et 1953, cependant que la charge de la dette passe de 43 milliards en 1950 à 171 milliards en 1954.

"De 1951 à 1954", écrivent Ambrosi et Tacel, "la guerre fut financée en partie par des crédits américains, qui couvrirent 40% des dépenses, mais elle fut malgré tout une charge lourde pour le budget et détourna une partie des investissements."

On ne saurait mieux dire que les dépenses militaires étaient venues une nouvelle fois peser sur les disponibilités d'investissement de la nation, tant en matière de reconstruction que de développement civil en général. "Une nouvelle fois", parce que c'est une guerre nouvelle qu'on conduit dans des conditions profondément changées, en jouant maintenant le rôle d'agent d'un "vrai" Grand sur un théâtre secondaire. Mais en parfaite continuité avec une pression qui ne s'est guère interrompue depuis quarante ans et qui, en tout cas, ne s'est pas relâchée depuis vingt ans. En remontant les années, on trouvera en effet, successivement, le temps où la reconstruction des armées a été prioritaire, le temps où on a contribué à l'effort de guerre de l'occupant et, enfin, le temps où on a préparé l'affrontement de 1939-1940 :

"Le réarmement apparaît dès 1934 comme une contrainte absolue. Amplifié de manière décisive par le Front Populaire, l'effort de guerre s'intensifie fin 1937 une fois le patronat rassuré par le départ des socialistes […]. Si l'on a sacrifié « le beurre », les biens de consommations aux canons en Allemagne, c'est le secteur social, logement notamment, qui paie en France son tribut à la défense : « des HBM ou des canons » ?"

Apparemment, la configuration des années 1950 n'a rien de commun avec celle de la fin des années 1930, puisqu’on se résout désormais à conduire la guerre tout en assumant des programmes de reconstruction, d'extension et de modernisation de l'habitat. Quand on entrera dans le détail de la matière, on aura toutefois le loisir de constater qu'il y a à nouveau eu un tribut, qui a pris cette fois la forme d’un durable déficit quantitatif et qualitatif des logements construits.


La chute d'un État impérial.

Un des aspects les plus surprenants des guerres que les gouvernements français assument tardivement en vue de maintenir l’Empire correspond au fait que le pays avait depuis longtemps perdu un des caractères essentiels qui fondent les impérialismes du vingtième siècle. En connaissance de cette réalité qui paraît avoir échappé aux élites dirigeantes, les combats qui vont longuement obérer la capacité d’investissement national apparaissent d’autant plus décalés, comme hors du temps.

Un parcours dans les premières théories critiques l’impérialisme moderne – celles qui se font jour au début du vingtième siècle, et à notre connaissance les seules qui s’essaient à une vue globale – met en évidence deux aspects complémentaires qui caractérisent le phénomène dans ses dimensions nouvelles :

- une poussée de forces vives, un débordement d'hommes et de moyens qui conduit à assujettir – et non comme en d'autres temps à annexer – des territoires qui peuvent être lointains et qui, sous des régimes divers (colonie, protectorat, comptoir,…) restent étrangers à l'espace métropolitain, notamment du point de vue des droits civiques;

- une concentration du capital financier qui prend le pas sur l'ensemble de l'économie productive, la domine et l'oriente, dans la métropole comme à l'extérieur, de sorte que les maîtres du système sont de plus en plus éloignés de la formation directe de la valeur, ce qui crée tôt ou tard un terrain pour l'exercice de la dialectique du maître et de l'esclave chère à Hegel.

Hors le fait, lourd de conséquence, qu'elle ne brille pas par un débordement démographique, la France de 1900 constitue typiquement un état impérial. Ses possessions extérieures sont considérables. Elles viennent de s'accroître de l'Indochine, la "perle de l'Empire". L'emprise géographique ne fait que s'étendre entre les deux guerres. On se partage avec les Anglais les possessions africaines de l'Allemagne, ainsi que les intérêts allemands dans le Golfe persique, qui donneront à la France un pied dans le pétrole en même temps qu'une de ses premières sociétés d'économie mixte (la Compagnie Française des Pétroles, bien connue à travers les stations Total). Au prix d'une vraie guerre et de quelques escapades militaires, on assoit sa suprématie au Maroc et on s'impose en Syrie.

D'un autre côté, en dépit d'un flux substantiel d'inventivité technique, le capitalisme français s'illustre plus par la puissance de ses banques que par celle de ses groupes industriels. L'extraordinaire échafaudage paperassier qu'est la banque moderne est précisément le fruit de… la monnaie-papier, qui fait irruption au 17ème siècle. Initialement installé au service de l'État, pour les besoins de l'État et dans des conditions qui, comme le rappelle J. K. Galbraith, ne sont "pas de nature à commander une terreur sacrée", le système bancaire est centralisé par nature, du moins quand il est doté de l'institution de contrôle qu'est la banque centrale. Cela lui a valu l'opposition farouche de nombre d'agrariens ou de démocrates ruralistes, tel Jefferson qui rêvait en 1815 "de brûler les statuts de toutes les banques présentes et à venir, ainsi que tous leurs billets". Si la jeune république américaine prit le parti de se passer de banque centrale de 1832 à 1871, ce ne fut plus jamais le cas en France après que Bonaparte eut imposé en 1800 la création de la Banque de France, en vue de subvenir aux besoins de ses entreprises guerrières par un moyen plus présentable que les assignats. On a hérité des ambitions napoléoniennes le pivot des grandes affaires bancaires du 19ème siècle, des Delessert au Crédit Lyonnais de Henri Germain, cependant que l'appareil financier public et para-public, toujours étroitement centralisé, se diversifiait progressivement : Caisse des Dépôts et Consignations (1816), Crédit National, Crédit Agricole, Crédit Foncier de France, etc.

Pour donner une idée de la posture de la "haute banque" autour de 1900, arrêtons-nous un instant à l'institution qui est liée à notre domaine de préoccupation : le Crédit Foncier. Si le Foncier "recherche d'abord la clientèle des couches moyennes de province" pour placer ses emprunts, son rôle dans la canalisation de l'épargne vers des objectifs centraux n'est pas contestable. Le flux de crédits profite d'abord à l'agglomération de Paris (84% des prêts vont au département de la Seine en 1859) puis, de façon plus diffuse, à l'ensemble des grandes villes (72 à 75% des prêts de 1920 à 1940 sont destinés à des "propriétaires urbains"). Autre aspect du centralisme : comme toutes les grandes banques, le Foncier emploie une partie de ses disponibilités (jusqu'à 92% à certaines périodes) à la souscription des emprunts d'État, et ne se prive pas d'intervenir en bourse. La liaison avec l'Empire se lit à travers les "prêts maritimes" pour l'armement des navires de commerce, et surtout à travers l'existence à partir de 1881 d'une filiale algérienne, qui étend son activité à tout le maghreb après 1920. Si l'engagement reste quantitativement modeste, il assure entre les deux guerres "un rendement élevé".

Enfin le Foncier n'est nullement absent des grandes affaires du monde. Il escompte du papier à Londres, mais aussi pour la Banque Russe et Française, ou la Banque Générale d'Égypte, ce qui est "très rémunérateur". Après s'être sorti avec de bons profits de la faillite du Khédive d'Égypte (1866-1882), le Foncier s'intéresse aux finances de l'Empire Ottoman (la "Sublime Porte") et n'est pas absent des affaires russes : il prend la tête d'un syndicat qui « lève » 500 millions au profit de la Russie en 1891. Beaucoup plus que les marges gagnées sur les prêts immobiliers, les rémunérations élevées qui se font sur ces interventions extérieures (dans l'Empire et surtout hors de l'Empire) constituent le levier qui autorise le Foncier à mettre ses "disponibilités" au service des emprunts de l'État français pour un coût modeste, tout en conservant une profitabilité globale appréciable. Et voilà comment les miracles de l'économie financière permettent de mettre la « périphérie » au service du « centre ».

L'exemple de l'activisme, pour une part inattendu, du Crédit Foncier montre comment le capital financier fonctionne à l'articulation des affaires d'État, des affaires de l'Empire et des affaires du monde. Apparue en pleine lumière au tournant de 1900 – une Belle Époque, décidément –, la machinerie financière n'a cessé de monter en puissance au cours du vingtième siècle, et, comme la conscience critique s'incline facilement devant les puissants du moment, beaucoup restent aujourd'hui encore subjugués par les mystères de la haute finance, les aventures de ses golden boys, etc. Même si la façon d'être au monde qui caractérise ce milieu a montré depuis un siècle sa vitalité et sa redoutable efficacité, en Europe d'abord, puis en Amérique et en d'autres lieux, il importe de dessiller le regard qu'on porte sur les institutions financières mondialisées – ces "tigres en papier", aurait pu dire Mao Tse-Toung –, et de concevoir que les rouages comme les acteurs centraux du système son loin d'être des génies, si ce n'est sous l'espèce de génies malfaisants sitôt que l'occasion leur en est donnée. Toujours distant vis-à-vis des affaires de banque, et fort d'une riche expérience de gouvernement, l'économiste John Kenneth Galbraith émet un jugement sans appel sur les acteurs de la finance : "tout porte à croire que la fréquentation prolongée de l'argent développe le pharisaïsme, l'ineptie politique et la propension à adopter un style pompeux et déplaisant".

Dès lors qu’on associe le capital financier et une institution militaire gardienne de l'Empire, on devine le style de contenu qu'il faut donner aux perspectives d'une « grande puissance ». Si déplaisant que ce soit, il faut bien se faire à l'idée que c'est dans ce moule là que se sont formés nombre de dirigeants de la France de l'après-guerre. À commencer par le général de Gaulle, l'exilé qui remet le pied en terre française… à Brazzaville, et qui maintiendra en Afrique des "réseaux" bien connus; à continuer par François Mitterrand, « jeune ministre » des Anciens Combattants, puis des Colonies, ou Edgar Faure, tout affairé aux questions du Maroc et de la Tunisie, sans oublier Georges Pompidou, issu de la rue d'Ulm et de la haute finance privée, etc. Quelle qu'ait été leur clairvoyance, et à l'occasion leur courage, quelque leçon qu'ils aient tirée de la « sombre » période de 1940-44, on conçoit qu'ils aient été portés à raisonner comme avant. Certes, la reconstruction et d'une façon générale le second après-guerre, au moins jusqu'en 1970, mettent l'accent sur le rattrapage industriel. Certes, il y a les nationalisations, l'expérience de la planification (avec ici ou là des outrances et des naïvetés, sur lesquels on reviendra plus loin pour ce qui est de l'industrialisation), mais l'objectif de la souveraineté retrouvée – c'est-à-dire ce qui donne un sens à tout le reste – n'est-il pas de remettre la France à sa place d’avant et, par accessoire, de reprendre les équipées françaises dans le monde ?

Précisément, par l'effet d'une "vision militariste de la guerre", un des mythes hérités de la période d'avant tient dans l’idée que la France est sortie victorieuse de la Première Guerre mondiale. Or, à vrai dire, l'État impérial français sort de l'épreuve exsangue, dans la position du boxeur KO-debout. Il ne voit d'autre issue que de réclamer des réparations énormes "qui ont quelque peu contribué (et beaucoup selon l'opinion de l'époque) à l'effondrement [de la monnaie] qui se produisit en Allemagne". Avec l'occupation de la Ruhr, qui accentue le retour d'un nationalisme revanchard en Allemagne, les initiatives de l'État français achèvent de créer le terrain de la Seconde Guerre mondiale, qui, elle, lui sera fatale.

Le fait que l'État impérial français soit sorti exsangue de la Première Guerre mondiale n'est certes pas inscrit dans les apparences, les fastes ou les défilés militaires. Il est néanmoins patent dans les comptes de la fortune nationale que présentent les statisticiens de l’INSEE Divisia Dupin et Roy, et qui sont résumés dans le tableau de la page suivante. Sur la base d'une hausse des prix courants correspondant à une multiplication par 230, ces auteurs concluent à une quasi-stabilité de la fortune nationale pendant quarante ans. On ne s'attardera ici ni à la merveilleuse perduration de la valeur du stock d'or national ni aux mouvements internes : recul relatif de la propriété foncière et immobilière, montée de l'industrie, du commerce, des transports et des transmissions. En revanche, on focalisera l'attention sur ce qui constitue le fondement même d'un « centre » impérial : les "droits nets sur l'étranger", c'est-à-dire l'excédent des droits en capital détenus par les Français sur l'étranger, par rapport à ce que l'étranger détient sur la France. Cette excroissance qui qualifie un état impérial autonome représentait 15% de la fortune « intérieure » en 1913. Elle disparaît sans retour entre 1914 et 1918, à la fois en raison des paiements de fournitures aux amis et alliés (la fête des militaires a duré trop longtemps) et du choix inopportun que les notables de la République avait fait en fréquentant assidûment la cour du Tsar de Russie (l'affaire des fonds russes, qui étaient justement destinés à contrer l'influence allemande). Cette amputation discrète, qui passe par des mouvements de papiers financiers, est quantitativement plus importante que les très visibles pertes de guerre, qui sont évaluées pour leur part à 34 milliards de francs-or. Au total, la perte est de 75 milliards, ce qui fait que les trois quarts de ce qu'on présume avoir été gagné en une génération a été perdu en quatre ans. Même si la mesure réelle des pertes n'a pas été immédiatement claire et consciente, on comprend la rapacité des représentants français dans les négociations de Versailles et celles qui suivirent.

La fortune nationale française en 1913 et 1954
(en milliards de francs courants)

Estimation Colson
1913Estim. Dupin, Divisia, Roy
1954Coefficient multiplicateurAgriculture83.512 000* 150Propriété bâtie8417 300* 205Industrie, commerce25.513 500* 530Transports, transmissions4017 100* 426Défense nationale72 000* 300Divers biens meubles et immeubles113 000* 272Numéraire-or102 000* 200Droits nets des français sur l'étranger41_* 0 (!!!)Fortune nationale totale30267 000* 223Source : DIVISIA (François), DUPIN (Jean), ROY (René), À la recherche du franc perdu, vol. 3 : "Fortune de la France", Hommes et mondes, Paris, 1954.

Les destructions de 1940-45 et l'exploitation du pays pendant la "collaboration" portent le coup de grâce avec un passif total estimé à 61 milliards de francs-or, sans compter, là encore, quelques dettes aux fournisseurs de 1939-1940 ou de 1944-1945. Preuve d'une dégradation continue depuis le conflit de 1870-18 71, à l'issue duquel l'État français avait assumé à la fois le paiement des réparations et sa reconstruction, la reconstruction civile et militaire d'après 1945 ne se fait pas de façon autonome, mais repose au contraire sur un concours extérieur, essentiellement américain. On passe ainsi du statut de centre impérial autonome à celui de centre impérial secondaire. Pour employer un américanisme qui est de circonstance, les développements français sont désormais under control, et, soit dit en passant, cela vaut peut-être mieux pour la paix du monde. Quant aux droits nets des français sur l'extérieur, il n'en sera plus question. Lorsque les gouvernements gaullistes, dans les années 1960, rachètent une modeste part des réserves d’or de Fort Knox en vendant des dollars, ils le font en mobilisant la contrepartie monétaire des investissements américains sur le territoire national : on prend de grands airs et on se donne l'apparence de faire comme avant, mais ce n'est plus qu'une simple rodomontade.

En dehors des aspects financiers, il est une seconde dimension, mieux connue, par laquelle la Première Guerre mondiale représente une catastrophe pour un pays à démographie lente : des pertes humaines considérables, qui traduisent la splendide générosité avec laquelle l'institution militaire de l'époque a commandé les assauts et "usé l'ennemi". À l'heure du bilan, malgré les gains territoriaux – le retour dans le giron national des départements d'Alsace-Moselle – la population nationale s'avère inférieure en 1921 à ce qu'elle était en 1911, ainsi qu’on l’a rappelé dans le première partie. La faible natalité des années 1930 n'arrange rien et fait de la France un pays qui, jusqu'aux années 1970, ne peut plus soutenir une expansion sans recourir à l'immigration. Sur le plan militaire, la pauvreté en hommes sape les bases quantitatives d'une armée d'infanterie. Un prélèvement en hommes qui devient de plus en plus difficilement supportable et les circonstances de 1940-1944 conduisent à une mobilisation croissante des peuples de l'Empire, ce qui ne va pas sans conséquences, comme on le verra très vite à Sétif, en Algérie. Plus fâcheux encore, la longue absence des Français en Indochine crée l'espace où s'institue, sous la houlette de Ho Chi Minh, un gouvernement national vietnamien… hors de contrôle.

Au fond, ne subsistaient plus en 1945 que les signes de l'État impérial : les institutions (armée, banque) et les territoires assujettis. Encore les grandes banques étaient-elles nationalisées, ce qui ne facilitait pas les relations avec leurs consœurs occidentales, encore l'armée dépendait-elle de plus fort qu'elle pour les fournitures et la technique, cependant que les territoires n'étaient pas tous sous contrôle, comme le montre le cas de l'Indochine. On s'accroche aux signes plus qu'on ne s'attache aux réalités de fond, comme le général de Gaulle le reconnaît sans ambages, beaucoup plus tard, dans des propos tenus à Jacques Foccart : "Je suis sur une scène de théâtre, et je fais semblant d'y croire, je fais croire […] que la France est un grand pays". En procédant de cette manière, les dirigeants qui ont reconstruit l'État se sont trompés d'époque. Esquivant la nécessaire réévaluation de la position du pays, cultivant une vision périmée de son statut, ils ont retardé le redressement moral et économique en dévoyant une grande partie de l'effort vers des finalités à tous égards contre-productives. Les ambitions de la « grande nation », l'arrogance de la « grande puissance » (on ne transige pas sur l'Empire, etc.) étaient en tel décalage avec l'état réel de la France et l'évolution du monde qu'elles ont provoqué – et provoquent encore, dans des langues autres que le français – des réactions qui vont de l'ironie à l'irritation en passant par la franche hilarité.

La faute la plus voyante, la partie émergée de l'iceberg, correspond aux seize ans de guerre qu'on assume, la paix revenue en Europe, de 1946 à 1962, au détriment des populations hexagonales et, plus encore, des peuples des « théâtres d'opération ». Quand le temps aura gommé les passions, effacé les dévotions et atténué les aveuglements, il n'y aura sans doute plus guère de dirigeants de cette époque à qui on songera à dresser un piédestal ni même à attribuer un nom de rue, de place, ou d'aéroport. Oublieux de l'avertissement du chroniqueur et conseiller du Prince qu'était Philippe de Commynes, "on doit bien craindre de se mettre au hasard d'une bataille, qui n'y est contraint", ils justifient plutôt le jugement sans appel qu'il émet un peu plus loin :

"[…] me semble que Dieu ne peut envoyer un païs plus grande playe qu'un prince peu entendu, car de là procèdent tous autres maux. Premièrement en vient divisions et guerre; car il met toujours en main d'autruy son autorité […] et de cette division procède la famine et la mortalité, et les autres maux qui dépendent de la guerre. Or regardez donc si les sujets d'un prince ne doivent pas bien douloir, quand ils voient ses enfants mal nourris et entre mains de gens mal conditionnés."

A quoi fait écho, cinq siècles plus tard, la sentence de Jacques Fauvet :

"La Quatrième République n'aura su ni éviter, ni arrêter, ni gagner la Guerre d'Indochine. Elle en souffrira comme d'un cancer rongeant ses finances, sa politique étrangère, ses cadres, son armée. Elle en périra."

Faut-il ajouter que la catastrophe algérienne rongera tout autant les finances et la moralité des cadres, et qu'elle mettra la "démocratie française" à la merci d'un putsch militaire, d'un golpe échafaudé par un quarteron de généraux, dans la plus pure tradition latino-américaine ? Faut-il insister sur le fait que, quarante ans plus tard, on est loin d'en avoir pansé les "playes", d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée ?

En fait, après le choc de 1914-1918 et ses monuments aux morts trop grands pour les villages, les secousses et les incertitudes de la crise économique, la débâcle de 1940-1944 et son cortège de passions, y compris les plus malignes, bref, après trente ans de malheurs, la population hexagonale n'était guère disposée à de nouvelles aventures du complexe militaro-financier à la française. Tout au plus pouvait-elle les tolérer, avec l'égoïsme des peuples des « grandes nations », pour autant qu'elles coûtaient peu. Dès lors qu'elles impliquaient des sacrifices visibles en hommes et sur les conditions de vie, la guerre d'Indochine puis les « opérations de maintien de l'ordre » en Algérie ne pouvaient que susciter la défiance et le rejet. Elles n'ont duré et imposé leur marque à la vie de l'hexagone que dans la mesure où on a pratiqué une anti-démocratie en évitant soigneusement de poser au peuple la question de leur pertinence. N'en déplaise aux coloniaux, les hommes comme les « intérêts », la fin des conflits n'a pas été vécue comme des « abandons », mais comme autant de soulagements. C'est en tout cas le souvenir très vif que laissent une enfance et une adolescence passées à l'époque dans une petite ville de l'ouest. Lassée des « devoirs » et des « missions », la France dérogeait, comme on dit dans l'aristocratie pour les filles qui se mésallient, et le pays profond disait adieu à l'Empire sans beaucoup de façons. Cela laisse entendre que sur cette affaire majeure, la France "profonde", qu'on vilipende si facilement à Paris et qu'on méprise royalement dans la haute administration, était finalement plus pertinente que le gratin des dirigeants représentant le complexe militaro-financier qui dominait le pays.



13. La proclamation de la politique du logement.


Contradictoirement, ce contexte où se creusait à nouveau un fossé entre l’action gouvernementale et le point de vue populaire sur ce qu’il était bon d’entreprendre a pu laisser entrouvert un espace qui a permis à des hommes déterminés d’introduire un projet de développement de la construction propre à susciter l’espoir en répondant à des attentes longtemps déçues. D’une façon qu’on peut trouver surprenante dans un moment où le réarmement et la guerre s’installent durablement au premier plan des préoccupations de l’État, mais qui s’inscrit dans la suite nécessaire de la loi sur les loyers et n’est pas sans rapport avec la philosophie de l’aide Marshall, c’est en effet à la fin de 1949 que le projet d’une politique du logement qui ouvre soudain de larges perspectives fait l’objet d’une reconnaissance publique par les instances dirigeantes du pays. Ce qu’on peut désigner comme l’avènement de la politique du logement se produit au Palais du Luxembourg, et donne lieu à une mémorable séance du Conseil de la République qui se déroule le 29 novembre.

Après avoir évoqué le contexte et le contenu de cette journée très particulière, on discutera une notion qui a joué, dès l’origine et durablement, un rôle déterminant dans l’évaluation des objectifs à atteindre : le « besoin » de logement.



Une journée particulière au Conseil de la République.

Automne 1949. La reconstruction des logements est tout juste commencée : seulement 17% des dépenses qui seront nécessaires sont engagées au 1er janvier 1950. Il existe certainement, dans les appareils, des tendances qui souhaiteraient voir la mise en place d'un Second Plan dont les orientations seraient très similaires au premier, et c'est sans doute en ce sens qu'il convient de lire le report du terme du Plan Monnet de 1950 à 1952. L'excuse des infrastructures n'est toutefois plus aussi convaincante qu'en 1945-1946, et on peut imaginer que le gouvernement se soucie de passer enfin à la reconstitution de l'habitat. Dans ce moment où presque tout est encore à faire, le gouvernement se projette brusquement beaucoup plus loin. Il reconnaît que la reconstruction ne représente pas l'enjeu principal de la question du logement en France et que l'effort à engager est d'un tout autre ordre de grandeur.

On peut s'interroger sur les origines de ce soudain élargissement de la perspective. Une première lecture s'appuie sur le fait que la situation économique s'améliore et que le desserrement des contraintes laisse de la marge pour penser des projets nouveaux. Le budget de l'État est dans une phase d'assainissement. Parallèlement, la balance commerciale se redresse rapidement. Le taux de couverture des importations par les exportations passe de 65% en 1948 à 85% en 1949, et il atteindra 101% en 1950. On peut voir dans ces premiers résultats les fruits de l'option civile, ou relativement civile, qui s'est affirmée à travers les hésitations de 1946-1947, au grand dam des tenants d'une conception avant tout militariste de la reconstruction. En se bornant ainsi à considérer les éléments internes à la France, on serait conduit à l'idée qu'un premier redressement obtenu sui generis a ensuite permis de voir plus large, bref que l'organisation dont le pays a été doté dans l'après-guerre a fait preuve de son efficacité. On rejoindrait alors les laudateurs de l'ordonnancement linéaire des phases de la reconstruction et les thuriféraires de l'originalité du Plan français, quitte à verser une larme discrète à propos des tensions sociales qu'il a fallu assumer.

Si on ajoute qu'on a en même temps poursuivi un effort militaire considérable, et même repris le chemin de la guerre, le bilan paraîtra miraculeux. Un peu trop, peut-être, ce qui ouvre la voie à une lecture axée sur les facteurs externes. En fait, on sait suffisamment que l'assainissement économique qu'on vient d'évoquer est substantiellement lié à l'aide Marshall, que la France a acceptée dès 1948. Comme on l'a vu, c'est aussi ce qui permet d'atténuer l'effort propre des Français pour la guerre d'Indochine, au moins dans un premier temps. Enfin, comme le rappelle opportunément Danièle Voldman, l'aide américaine est venue pour une part alimenter directement les premières mesures effectives de construction des logements nouveaux en contribuant au financement des primes à la construction et des HLM en 1950 et 1951. Tout compté, la compréhension qui paraît s'imposer revient à dire que le tournant de 1948-1950 est lourdement imputable à l'intervention américaine. Celle-ci en constitue pour le moins une clause permissive, et sans doute un peu plus, conformément à une doctrine générale du développement que les dirigeants américains exprimaient au même moment. Concevant à la manière de Big Brother que "la guerre, c'est la paix", mesurant avec l'inquiétude qu'on leur connaît le poids du vote communiste en France, les responsables américains ont pu s'intéresser à un effort en faveur du logement populaire dans le but de réduire les tensions sociales françaises et de faciliter l'acceptation des opérations d'Extrême-Orient, qu'ils agréaient dans le même mouvement au titre de la répartition des tâches aux frontières du Nouvel Empire.

Il ne faudrait toutefois pas imaginer, comme on le fait souvent, que l'impulsion extérieure cesse quand les procédures Marshall s'effacent. Même si elle ne prend plus la forme de dotations budgétaires, elle se prolonge durablement à travers les relations que le gouvernement, et plus particulièrement le ministère de la Construction entretiennent avec le Comité de l'habitat de la Commission Économique pour l'Europe que l'ONU a installée à Genève. Le champ d'activité de ce Comité ne se limite pas à des discussions de principe. Il inclut la publication régulière de résultats comparés sur la situation de l'habitat qui vont longuement constituer une véritable honte pour la France, membre permanent du Conseil de Sécurité et donc dignitaire de l'ONU. Il comprend aussi des cycles d'étude et l'élaboration d'une foule de suggestions techniques dont on retrouve la trace, entre autres, dans les archives léguées par Louis Trintignac, ancien chef de bureau à la direction de l'aménagement du territoire. En ouvrant le seul article AT 180, on découvre par exemple les études suivantes : "La politique de rénovation dans ses rapports avec les plans d'urbanisme" (1960), "Marche à suivre pour établir et exécuter un plan de rénovation" (1961), "Enquêtes et recherches à effectuer avant l'établissement d'un plan de rénovation urbaine; politique de relogement et problèmes de réinstallation" (1961), "Enquête pilote sur le prix de la construction" (1961), etc. Les titres et la date des pièces suggèrent une interaction étroite avec la politique de rénovation urbaine, qui en était alors en France à ces balbutiements, et qui était effectivement du ressort de la Direction de l'aménagement du territoire.

Ces procédures d'influence par des conclaves de toutes natures constituent une manière typique du Nouvel Empire, qui revêt une allure de condominium partagé entre le « centre » et des puissances secondaires. Issus d'une colonie émancipée, les nouveaux maîtres du système répugnent par tradition historique aux prises en main directes dans les territoires extérieurs, et plus encore dans les puissances secondaires qu'ils se sont inféodées. Si on revient au tournant de 1948-1950 qui donne naissance à la politique du logement, et pour autant que la lecture qu'on développe ici soit fondée, il faut donc qu'il y ait eu en France des porteurs de l'idée d'une refonte complète de la problématique. Ce sont eux, ou du moins plusieurs de leurs représentants politiques majeurs, qu'on voit s'exprimer dans l'arène parlementaire le 29 novembre 1949. Les documents qui permettent de rendre compte de cet épisode ont été pieusement conservés dans les dossiers personnels de Pierre-Armand Thiébaut, un proche d'André Prothin qui est considéré comme le rédacteur de la loi sur l'urbanisme du 15 juin 1943 et qui a continué sa carrière comme chef du service administratif à la Direction générale de l'urbanisme (1945), puis comme chef du service des affaires foncières à la Direction de l'aménagement du territoire (1953).

Résumons la scène qui se joue au Conseil de la République (Sénat) le 29 novembre 1949. Eugène Claudius-Petit, ministre depuis un peu plus d'un an, présente son projet de budget pour 1950. Le sénateur Malécot lui répond au nom de la Commission de la reconstruction de la Haute Assemblée. D'un mot, il remet tout d'abord à sa juste place le problème de la reconstruction immobilière : "Si la reconstruction est bien le plus urgent des besoins, construire ne l'est pas moins". Puis il réclame l'avènement d'une "véritable politique du logement, impliquant des moyens immédiats, d'une part, et des certitudes dans le temps, d'autre part". Un tel dispositif est indispensable "si nous voulons, sincèrement, le redressement sanitaire, social et moral de ce pays" et pour accompagner dignement "une courbe des naissances heureusement ascendante". Après avoir tenu à "rendre hommage à ce qui a été fait" – l'évocation de "la loi sur les loyers et l'allocation de logement" et du "crédit pour les habitations à bon marché" suscitent des applaudissements – le sénateur rebondit sur des propos que le ministre délivrait la veille à la radio, évoquant notamment un programme de 20 000 logements neufs par mois. Il s'attache tout d'abord à fonder et à circonstancier très précisément la nécessité de l'intervention de l'État. Sa démonstration n'est sans doute pas d'une extraordinaire originalité, mais elle est claire, concise et prend un relief très particulier en raison de l'enceinte où elle est dite et de la qualité du locuteur qui, en tant que rapporteur de commission, représente la voix du Sénat, ce bastion traditionnel de l'anti-interventionnisme :

"L'amenuisement indiscutable des capitaux privés, l'insuffisance encore réelle de la rentabilité des placements immobiliers malgré la loi sur les loyers, font que l'épargne, source traditionnelle de la construction, ne se dirige pas encore vers elle. C'est le but à atteindre, mais il ne le sera pas demain. Dans la conjoncture actuelle, l'État est et demeurera, même au mieux, encore pendant des années, dans l'obligation non seulement de poursuivre, mais d'amplifier son aide à la construction. Aide à tous? dira-t-on. Pourquoi pas, quand les finances le permettront ?"

Malgré la faiblesse des investissements émanant des propriétaires-bailleurs, l'État ne devrait pas rester esseulé dans l'effort. On compte en effet bénéficier de différents concours externes, émanant notamment

"[…] de plus en plus de collectivités locales, d'entreprises industrielles, de caisses d'allocations familiales, et de la petite épargne individuelle elle-même[…].  Mais tous ces concours complémentaires ne peuvent rien actuellement sans l'aide de l'État.

C'est pourquoi le sénateur Malécot réclame une série de facilités nouvelles au profit des "quelque 1 500 organismes d'HBM" dont on dispose : 50 milliards de crédits de construction locative pour 1950, des bonifications d'intérêts à la mesure, et des facilités complémentaires pour les SCI et l'accession à "la petite propriété". Sur le plan fiscal, il demande l'annulation des actes de 1941 et 1942 qui supprimaient certains privilèges des organismes d'HBM. Il se prononce au contraire pour une reconnaissance de l'utilité publique de ces organismes, et une dispense de "l'impôt sur les sociétés", auquel le ministère des Finances cherche à les soumettre en vertu de dispositions de droit commun établies par des décrets récents (2 décembre 1948, 4 octobre 1949). Le sénateur n'a garde d'oublier le monde agricole, dont l'habitat doit naturellement être amélioré. Et, pour le milieu urbain, il souligne que la lutte contre les taudis exige une "politique foncière" – en filigrane : la mise en œuvre, enfin, de ce droit d'expropriation au profit des collectivités territoriales qui est évoqué depuis la loi de 1902.

Reste la question des coûts, affaire déterminante s'il en est, et qui, on l'a vu dans la première partie, a eu pour effet de laisser à l'état virtuel nombre de projets d'intervention du Premier Vingtième siècle. Le sénateur fait d'abord valoir les effets positifs qu'on recueille à la suite d'un début d'assainissement des finances de l'État. Les "paiements réguliers" d'organismes d'HBM plus convenablement financés ont déjà permis d'obtenir des baisses consistantes de la part des entrepreneurs. Reprenant ensuite un thème de saison, il parie sur "l'amélioration technique de la construction" en détaillant certaines conditions qui font écho à son propos introductif :

"[…] seule l'adoption d'un programme échelonné avec certitude dans le temps permettra d'établir des projets de quelque envergure et d'obtenir, dans l'industrie du bâtiment, un effort d'équipement, un effort d'organisation et de rationalisation capable de conduire à un abaissement encore plus sensible des prix de revient."

Tout est dit. Le sénateur se rassoit sous les applaudissements "venus de nombreux bancs". Le ministre ne pipe mot. Outre la nature du document – un "extrait" de journal officiel dactylographié et non un tiré à part imprimé – et le genre de lot avec lequel il s'est trouvé conservé, tout ici respire la connivence : les "hommages" répétés à l'action du ministre, la précision de l'analyse et des données (qui supposent un contact étroit avec les services du MRU), l'assurance du soutien de la Haute Assemblée contre les entreprises sournoises du ministère des Finances, sans compter le fait que le sénateur-rapporteur Malécot est un élu du département de la Loire, comme Claudius-Petit. Au fond, par un effet de miroir, c'est le projet du ministre de la Reconstruction pour l'habitat qui vient d'être exposé au nom de la Commission de la reconstruction du Conseil de la République.

Le sénateur Malécot n'est naturellement pas le seul à prendre la parole ce 29 novembre. Son collègue Canivez, élu socialiste du département du Nord, rend lui aussi hommage au ministre, qui l'en remercie, pour ses initiatives tendant à débloquer la reconstruction de l'habitat en assouplissant les règles de préfinancement, initiatives dont il entend "dire beaucoup de bien". Il poursuit en suggérant diverses mesures, demandant notamment que l'État s'érige en tiers payant, de façon à assurer que les indemnités de dommages soient effectivement employées à rémunérer des entrepreneurs. Puis il change de registre et en vient à son tour à soutenir la nécessité d'une politique qui ne se limite pas à la reconstruction :

"[…] il y a une chose que je voudrais qu'on fasse aussi, c'est de vous appeler, non pas seulement le ministre de la reconstruction, mais le ministre du logement et de la construction. (Applaudissements à gauche.) Le problème n°1, à l'heure actuelle, le problème crucial qui se pose à nous, parlementaires, c'est le problème du logement."

Après un "historique de la question", il rejoint son collègue Malécot pour demander qu'on intensifie "l'activité des sociétés d'HBM […] à qui il faudrait essayer de ne plus donner tant de paperasses à remplir". En matière de financement, il en appelle aux Comités Interprofessionnels du Logement, "ces CIL qui rendent de grands services dans notre région du Nord". Il faudrait également, continue-t-il, qu'on mobilise "les dépôts des caisses d'épargne, qui s'élevaient à 300 milliards l'année dernière". "– Et faire payer les loyers aux locataires !", lui réplique alors vertement le ministre, qui s'agace manifestement de cette allusion réitérée aux fonds des caisses d'épargne.

À cette pointe polémique près, qui touche un sujet des plus sensibles, les prestations sénatoriales de ce 29 novembre 1949 témoignent du chemin parcouru depuis 1945. Certes, la reconstruction de l'habitat est toujours à la traîne, mais on passe maintenant aux questions de fond. On saute une de ces "étapes" inhérentes aux planifications mécanistes et, préludant au changement de dénomination du ministère, la "politique du logement" s'installe dans un relatif consensus qui associe la démocratie chrétienne au pouvoir et la gauche modérée. On retrouve sans surprise l'équation parlementaire qui a permis cet acte fondateur qu'est le vote de la loi du 1er septembre 1948 sur les loyers (MRP, radicaux, socialistes).

Il n'est pas indifférent de remarquer que le ministre et les deux sénateurs qu'on vient de citer sont des élus de régions industrielles et urbaines où les problèmes de logement finissaient par représenter un frein à l'expansion et où, par ailleurs, des salariés fort organisés faisaient preuve de combativité revendicative. Même si les revendications portaient plutôt sur les salaires, on pouvait espérer qu'une amélioration progressive des conditions de logement constituerait un dérivatif et contribuerait à la réduction des tensions. Le patronat et la démocratie chrétienne, attachée aux valeurs de la famille, devaient en tout cas se retrouver sensiblement sur cette ligne, qui ouvrait la voie à ce qu’on va désigner plus tard comme la société de consommation.

L'origine régionale de plusieurs des personnages qui ont été associés au lancement de la politique du logement mérite de retenir l'attention. On a noté, dans le première partie, que la situation du logement révélée par l'enquête de 1939-1942 était particulièrement effrayante à Saint-Étienne. Or, de l'automne 1948 à janvier 1953, les termes de la politique du logement peuvent substantiellement se discuter dans la Loire et même, précisément, entre Firminy et Saint-Chamond. Cela tient aux postes ministériels respectivement occupés par Antoine Pinay et Eugène Claudius-Petit, auxquels s'ajoute la présence aux affaires de Georges Bidault, également député de la Loire et, par ailleurs, Président du Conseil d'octobre 1949 à juin 1950. Eugène Claudius-Petit dirige le MRU pendant toute la période. Quant à Antoine Pinay, il est successivement aux Affaires économiques (secrétariat d'État) de septembre 1948 à octobre 1949, puis aux Travaux Publics, de juillet 1950 à mars 1952, et enfin à la Présidence du Conseil et aux Finances, de mars 1952 à janvier 1953. Son retrait et celui d'Eugène Claudius-Petit sont simultanés. Il y a lieu de penser que ces proximités à la fois géographiques et partisanes ne sont pas étrangères à la relative cohérence de l'ensemble qui, en dépit de l'instabilité légendaire du régime, a pu être mis en place au tournant de 1950.

Enfin, il n'est pas indifférent non plus que la grande propriété locative, assommée par une longue déréliction et la chute finale des rendements, soit économiquement très affaiblie, que l'État ait acquis, du dirigisme de Vichy à celui de la Reconstruction, un regain d'autorité, ou que, comme on l'a évoqué, les maîtres du Nouvel Empire aient accordé une certaine attention à la question du logement.

Plus que l'habileté supposée des fonctionnaires des "services", qui étaient déjà là pour l'essentiel sous Vichy et qui ont eu l'efficacité constructive qu'on a vue de 1945 à 1948, ces éléments de cadrage global – c'est-à-dire l'occurrence historique – expliquent sans doute que le bébé qui vient cette fois au monde soit, sinon en parfaite santé, du moins en état de fonctionner, et que l'on voie soudain émerger un projet multidimensionnel relativement cohérent, allant de la politique des loyers aux financements, et poussant d'emblée des pointes vers l'intervention foncière ainsi que vers le secteur productif et la technique. Contrairement aux "lois-cadres" et aux dispositifs sans contenu financier qui ont émaillé l'entre-deux-guerres et encore les premières années d'après-guerre, on peut constater à partir de 1950 que les moyens suivent et que l'exécution est relativement fidèle aux déclarations d'intention. Le fait que l'enfant ait été porté sur les fonts baptismaux par une coalition à forte coloration démocrate-chrétienne plutôt que par la gauche peut quant à lui rendre compte du fait que le projet développé dans les années 1950 ait été poursuivi durant la décennie gaullienne des années 1960.

Sous l'angle des continuités, il est une dernière observation qui mérite d'être faite. La mise en place et le début d'exécution de cette novation qu'est en France la politique du logement vaut tout d'abord à Eugène Claudius-Petit, en dépit de sa taille physique modeste, même rehaussée d'un éternel chapeau, le titre de plus long ministre de la construction de 1945 à nos jours, avec un séjour à la tête du ministère qui s'étend sur quatre ans et quatre mois, du 11 septembre 1948 au 8 janvier 1953. Acquise dans un climat d'instabilité gouvernementale, cette performance laisse entendre que le ministre bénéficiait de la confiance des milieux politiques, financiers et économiques qui étaient concernés, ou, pour le moins, d'une partie de ces milieux, à commencer sans doute par les industriels. Cela paraît également indiquer qu'il a accepté de voir sa carrière politique cantonnée à une tâche qui lui tenait à cœur. Le côté bon chrétien ou bon camarade qu'on peut lui supposer suffirait à le différencier de ces activistes qui s'agitent dans les sphères du pouvoir avec pour seul objectif d'arriver toujours plus haut et qui ne connaissent des "dossiers" que ce qui sert cette noble ambition.

En matière de longévité, Eugène Claudius-Petit n'est concurrencé que par Albin Chalandon, quatre ans presque jour pour jour du 12 juillet 1968 au 6 juillet 1972, Pierre Sudreau, trois ans et dix mois du 6 juin 1958 au 15 avril 1962, et Jacques Maziol, trois ans et huit mois du 15 avril 1962 au 8 janvier 1966. Certes, il y a peu de traits communs entre ces quatre personnalités, et la performance des trois derniers a été singulièrement facilitée par la stabilité initiale de la Vème République. Il n'en reste pas moins qu'on a là quatre ministres qui, pour peu qu'ils en aient eu l'étoffe, ont eu le temps de laisser une marque. On observera aussi qu'avec ces quatre noms on couvre près de seize années, soit sensiblement les deux tiers des vingt-cinq ans qui se sont écoulés de 1948 à 1973. Cette occurrence qui ne se reproduit pas après 1972 représente un trait saillant de la période qui nous occupe : un temps où des hommes politiques ont pu s'attacher à la construction, qu'ils concevaient, d'une manière ou d'une autre, comme une grande affaire.


Le « besoin », une notion pleine d'avenir mais discutable.

À partir de 1949, la politique du logement donne lieu à une littérature variée. Rapports, essais, recherches empruntent un parcours scandé de stations obligées : les besoins, les loyers, la solvabilité, les financements, la production et les techniques, thèmes auxquels s'ajoutent souvent l'amélioration de l'existant et la question foncière. Si nombre de lectures laissent l'impression d'un cheminement immuable, il arrive qu'on s'écarte du modèle. C'est notamment le cas de l'ouvrage récent de Bruno Vayssière, où l'auteur part de "l'organisation de l'État", poursuit par "l'organisation du sol", "le logement, un bien commun" et "les rapports public/privé" avant de conclure sur "la physionomie du parc". Les impasses qui caractérisent le plan d'exposé suffisent à montrer qu'on est en présence d'un commentaire tardif. En effet, dans la première époque de la politique du logement, d'autres points d'intérêt se seraient imposés, au nombre desquels il faut notamment compter également les « besoins ».

De 1949 à 1970, l'évaluation des « besoins » représente un exercice incontournable. Faisant suite à des démarches plus anciennes, c'est l'objet d'une note précitée d'André Prothin en date du 6 juin 1952 et, pour n'évoquer que quelques exemples, la démarche se retrouve dans le rapport de Guy Houist au Conseil Économique sur "le logement des travailleurs de faibles revenus" (1956), dans les essais de Claude Alphandéry (1965), de Gilbert Mathieu (1965) ou de Louis Houdeville (1969), ou encore au coeur du rapport du Commissariat au Plan sur les perspectives à long terme qui est préparé sous la direction de Jacques Delors (1967-1969). À l'échelle internationale, le problème des "besoins" forme dans le même temps la matière de diverses publications de l'ONU.

Pourquoi les « besoins » de logements reviennent-ils en permanence sur le devant de la scène conceptuelle ? Parce qu'il y en a, pourrait-on répondre innocemment, et qu'ils ne sont que trop évidents. Mais, s'ils sont si évidents, pourquoi y insister ? Parce qu'on plaide et que, des « besoins » de logement on passe insensiblement, par un glissement psychologique commode, aux « besoins » de financement, pour reprendre une expression consacrée. Le plaidoyer ne s'adresse probablement pas à la propriété locative privée, qui n'est plus en état de faire barrage à l'intervention publique, et qui se satisfera de la part qui lui sera concédée dans les objectifs de l’État. Le problème est ailleurs : qu'il s'agisse d'interventions directes de l'État ou de prélèvements sur des disponibilités centralisées qui, sinon, auraient pu être employées à d'autres fins (moyens de la Caisse des Dépôts et Consignations ou, plus généralement, emploi de l'épargne nationale), les allocations de financement qu'on affecte au logement se déterminent, autant qu’en début de siècle, sous la surveillance sourcilleuse de la Rue de Rivoli, ce lieu de concours de toutes les contraintes de l'État où on a la main sur ce qui constitue le nerf de la guerre. Voilà une puissance institutionnelle bien réelle qui, avant de laisser filer des sommes considérables, est en mesure d'exiger qu'on lui commente attentivement le "pourquoi" et le "comment", de façon à ajuster le "combien" au plus bas niveau compatible avec les objectifs admis. Le travail réitéré sur les « besoins » vient donc, avant toute chose, nourrir le dialogue avec les Finances. En écho à cette maturation qui se fait au cœur des forteresses de l'État, le « besoin » investit également le champ du débat politique, comme le souligne, tardivement, le passage sur "la guerre des chiffres" qu'on peut lire dans "Il était une fois l'habitat" :

"Pourtant les associations de locataires et les syndicats n'ont pas cessé de réclamer qu'on bâtisse davantage, en mettant en évidence l'urgence des besoins. En 1965, tous les spécialistes, au nombre desquels Gilbert Mathieu, journaliste au « Monde » ou Claude Alphandéry, directeur de l'Immobilière Construction de Paris, estiment les besoins autour de 500 000 logements construits par an. On y parviendra, mais dix ans plus tard.
Les pouvoirs publics auront donc constamment sous-estimé quantitativement et qualitativement les besoins réels.
Georges Pompidou, alors Premier ministre, devait déclarer en 1967 : « Ma plus grande déconvenue, c'est peut-être le logement, car je constate qu'en dépit d'efforts financiers très importants, nous n'arrivons pas à donner à tous les Français qui en ont besoin un logement »."

Pour plaider la cause, l'entre-deux-guerres s'appuyait sur l'hygiène, la démographie etc.; c'est encore à ce registre qu'appartient l'argument de conclusion d'un article paru dans la Revue Économique et Sociale en 1945 :

"Notre natalité doit être accrue de près de 25% et note mortalité abaissée; les personnalités qualifiées sont unanimes pour admettre que ce double but, pour être atteint, implique une amélioration substantielle de l'habitat, tant urbain que rural."

À partir de 1947-1948, le ton change. Le principe sur lequel se fonde désormais le plaidoyer correspond au maintien de l'ordre social : on reconnaît là une dimension à laquelle les maîtres du Nouvel Empire ont pu être particulièrement sensibles. C’est au nom de l’ordre et de la paix publique que les gouvernements en guerre et les pouvoirs réels issus du premier conflit mondial ont engagé les mesures qui devaient assécher la construction locative privée, et c’est maintenant, à nouveau, au nom du maintien de l’ordre que des gouvernements sous influence doivent consentir quelques sacrifices pour en gérer les conséquences. Dans sa thèse soutenue en 1947, Jean Thourot fait à cet égard figure de précurseur lorsqu'il écrit qu'il faut "réapprovisionner un marché du logement dont la déficience ne saurait, sans danger pour l'ordre social, se prolonger plus longtemps". Neuf ans plus tard, l'argument est repris tel quel par Guy Houist dans son rapport au Conseil Économique sur Le logement des travailleurs de faibles revenus. Selon ses propres termes, l'enjeu est de "maintenir la paix sociale".

Quand le principe est admis, reste à fixer le niveau de l'effort à consentir pour atteindre l'objectif. Dans la note de 1952 précitée, André Prothin, procédant par "deux méthodes différentes", aboutit à une estimation fixant entre 270 000 et 278 000 le nombre de logements annuel à produire, en moyenne, dans les cinq ans qui suivent. Il ne lui reste plus qu'à se féliciter de la convergence des évaluations, qui "constituent un ordre de grandeur très valable" et à rappeler rituellement, pour conclure, que "descendre en-dessous de ces chiffres reviendrait à méconnaître […] la demande de la nation tout entière".

Au début des années 1960, le « besoin » occupe toujours une position aussi prégnante dans l'Avant-projet de programme duodécennal pour la région de Paris que le préfet délégué au district adresse au Premier Ministre le 23 février 1963. La notion de "besoin" est installée en position-clé dans le chapitre consacré au logement. Elle revient en conclusion pour contester la production de 100 000 logements par an que le Quatrième Plan prévoit pour la région parisienne : "un rythme insuffisant à l'égard des besoins". Dans le registre qualitatif, elle est d'autre part mobilisée pour fonder la remise en cause de "l'urbanisme et des aménagements de quartier", qui sont "devenus caducs à la suite des progrès techniques et de la montée des besoins", une appréciation qui confirme l’orientation de l’urbanisme vers les grands ensembles et ouvre la voie aux villes nouvelles.

Au niveau du pays tout entier comme à l'échelle régionale, la mesure des « besoins » de logements continue à représenter un enjeu d'importance dans la deuxième moitié des années 1960. Au niveau national, Gilbert Mathieu estime en 1965 les "besoins annuels de construction" à 815 000 dans une hypothèse "forte" et à 665 000 dans une hypothèse "faible". Après avoir considéré les "doubles-comptes" et le cas de groupes spécifiques (ruraux, jeunes célibataires, personnes âgées), il en vient à l'idée que "l'objectif à viser [est] proche des 600 000 [logements par an]", dont 60 à 70% en "construction sociale". Surenchère polémiste ? Ce n'est pas l'impression qu'on retiendra si on consulte les résultats du groupe de travail que présidait Jacques Delors au Commissariat au Plan, en vue d'étudier la prospective du logement sur vingt ans. Ce groupe où la Direction de la construction était très présente, de même que la Direction de la prévision du ministère des Finances, conclut en effet à un programme de 10 008 280 logements nouveaux (soit sensiblement 500 000 par an) dans une hypothèse "faible", et de 13 208 330 logements nouveaux (soit sensiblement 660 000 par an) dans une hypothèse "forte". Comme on le voit, et même si ce n'est pas nécessairement le cas à un niveau de contenu plus fin, les objectifs globaux que retiennent respectivement l'appareil prévisionniste de l'État et le polémiste de gauche qu'est Gilbert Mathieu se situent dans un même ordre de grandeur. L'impression d'une relative homogénéité sera encore confirmée par la lecture d'Houdeville qui, ayant fait ses propres calculs, en tient pour 575 000 logements par an pendant vingt ans, ou par la considération des seuils de production successivement revendiqués par le parti communiste : 450 000 en 1962, 500 000 en 1965, 600 000 en 1968.

Par référence à ce que préconisait André Prothin en 1952, ces estimations de la fin des années 1960 ne manquent pas de poser problème. Alors qu'on a consenti un effort tout de même considérable depuis quinze ans, effort qui s'accélère durant les années 1960, tout se passe comme si les « besoins » en avaient été seulement accrus. On voit d'ailleurs le flux monter : dans son rapport de 1965 au Conseil Économique, Guy Houist se satisfait encore d'un programme annuel de 500 000 logements. Face à cette ascension chiffrée, une voie d'interprétation plausible consiste à faire valoir qu'on est en présence des résultats d'un de ces dialogues constructifs qu'entretiennent le pouvoir et son opposition dans une démocratie en bonne santé. Mais dans le moment comme rétrospectivement, il n'est guère possible d'échapper à des interprétations qui ne peuvent qu’inquiéter l’appareil des Finances. Le logement et les investissements qu'on y déverse fonctionneraient-ils comme un tonneau des Danaïdes ? Ou illustreraient-ils une version technicisée du dicton selon lequel "l'appétit vient en mangeant" ?

Un accès de doute pourrait conduire à discuter point par point les rubriques et les modes de calcul qui sont mobilisés respectivement dans chacune des estimations qu'on a citées. On serait poussé à une telle démarche en constatant, comme on peut s'y attendre, que le cadre statistique du raisonnement du groupe Delors est infiniment plus sophistiqué que celui qui sert de charpente à la brève note de 1952. Si l’on devait travailler dans cette direction, on risquerait toutefois d'être assez vite arrêté par un constat décourageant. En effet, l'une des "deux méthodes différentes" employées par Prothin reposait déjà sur les rubriques qui sont devenues classiques : "évolution démographique", "renouvellement du patrimoine immobilier", "déplacements de population et immigration". Plutôt que de s'attacher au degré de raffinement des calculs, pareil constat porte à considérer que tout tient à la manière d'apprivoiser les catégories, et au contenu qu'on veut bien leur donner. En substance, tout est affaire d'appréciation car, comme le dit sans ambages le rapport Delors, "la notion de « besoins » de logement est floue". Et de poursuivre en exposant que, loin d'être seulement le résultat d'une projection démographique, la "demande" correspond pour l'essentiel à des "phénomènes de desserrement", de "décohabitation" ou de "renouvellement", en ajoutant que, sous ces différents aspects, l'évolution est "étroitement conditionnée par la situation pénible du marché, la pénurie ou le coût du logement". Dès lors :

"[…] on ne peut quantifier cette catégorie de besoins sans avoir au préalable une idée de l'évolution du mode de vie et des exigences des Français en matière de logement.
Il aurait donc fallu commencer par s'interroger sur le mode de vie. N'ayant pas de réponses à apporter à cette interrogation, le groupe de travail a préféré mettre la charrue avant les bœufs, et estimer des besoins dont l'évolution est liée à des facteurs psychologiques en recourant à des conventions arbitraires, mais suffisamment contrastées pour couvrir le champ des possibles." 

Il convient de préciser que le jeu des "conventions contrastées" est tellement "arbitraire" qu'il finit par vider les programmations quantitatives d'à peu près toute signification. Lorsque, comme on l'a fait plus haut, on cantonne le regard aux résultats globaux (500 000 à 660 000 logements nouveaux par an), on peut estimer que les travaux du groupe Delors ont effectivement permis de déterminer un cadre pour l'action politique. Mais on perçoit les choses différemment si on entre un peu plus dans le détail. En effet, l'hypothèse "faible" comprend 86% de "une-pièce-cuisine" et de logements "adaptés" alors que l'hypothèse "forte" n'en compte (heureusement!) que 19%. Quand les dents d'une fourchette s'écartent à ce point, on a réellement de bonnes chances de "couvrir le champ des possibles". Le seul inconvénient est que la réalité conceptuelle de la fourchette vient de s'évanouir, et qu’il hors de question de saisir physiquement quoi que ce soit avec un instrument de ce genre..

Cette déconvenue résulte du fait que du "besoin" et de la "demande de la nation tout entière" chers à André Prothin, choses apparemment objectives et susceptibles de chiffrage, on est passé avec le rapport Delors à des notions associées à des "exigences" de la population qui peuvent être ou ne pas être, s'exprimer ou non, se manifester aujourd'hui ou demain, etc. Autant dire que les experts de la planification concertée à la française viennent de déclarer forfait en matière de définition des « besoins », un abandon qui, sans que cela soit dit, prédispose le retour en force du marché (et de ses lois éternelles) comme modalité principale de satisfaction de la demande. Cette posture nouvelle peut susciter chez l'observateur deux genres de réactions opposées. Ou bien on stigmatisera l'impuissance, on déplorera la mollesse et l'absence de volonté, en ajoutant que cela met en cause le prestige et même la raison d'être de l'institution qui avait pour rôle de dire les choses. Ou bien on se félicitera de voir ces experts très hautement spécialisés, cette sorte de prêtrise des temps modernes, comme le dit Illich, subitement renoncer à "définir ce qu'est le besoin, à certifier où il existe [et] à superviser étroitement comment on doit y remédier, avec ou sans l'approbation de celui qui est dans le besoin".

En fait, ils n'ont pas tout-à-fait renoncé. Certes, ils ont pris quelque distance par rapport au principe du développement à voie unique. Mais, à défaut de "définir le besoin", ils consacrent quand même deux cents pages à le spécifier et à examiner les moyens d'y répondre, bref à le "cerner", un terme qui s'applique aussi bien à un objet de la pensée qu'à un groupe d'individus dont on voudrait se saisir. Cette incrustation du « besoin » au profond des mentalités dirigeantes nous ramène à Ivan Illich. Dans le texte précité, celui-ci s'attache à montrer comment cette notion s'est imposée de façon universelle dans la deuxième moitié du vingtième siècle, en se substituant à une conception du monde qui était marquée du sceau des "nécessités" et des "désirs" :

"Les besoins, comme expression et comme idée, occupent dans la topologie mentale actuelle une place qui n'existait pas dans la constellation de significations des époques précédentes."

Déplorant alors qu'on "réduise l'individu à un simple profil de ses besoins" et que "le citoyen [soit] redéfini comme un cyborg", Illich poursuit :

"Le phénomène humain n'est plus défini par ce que nous sommes, par ce à quoi nous faisons face, par ce dont nous pouvons nous saisir, par ce que nous rêvons, pas même par le mythe moderne selon lequel nous pouvons échapper à la rareté par ce que nous produisons nous-mêmes; mais par la mesure de ce qui nous manque et dont par suite nous avons besoin. Cette mesure, déterminée par la pensée théorique des systèmes, implique une conception radicalement nouvelle de la nature et de la loi, et prescrit une politique qui s'attache à une série de dispositions de survie définies par les professionnels (les besoins), plutôt qu'aux revendications personnelles de liberté qui alimenteraient une démarche autonome."

Dans cette perspective, l'énoncé des « besoins » et les éventuelles mesures de "welfare" qui y font suite s'inscrit dans un système de "contrôle politique" et de "contrôle social" dont l'objet est de contenir le sentiment d'injustice qui "entretient l'agitation politique et sociale", comme le disait J.F. Kennedy en 1960. Le « besoin » se ramènerait donc, fondamentalement, à l'impératif de maintien de l'ordre qui habite le(s) pouvoir(s). Plus encore que son rôle dans la consolidation des pouvoirs, Illich reproche à la notion de « besoin » la contribution qu'elle apporte à une idéologie dépassée du développement : un processus conçu sur un modèle unique, foncièrement hétéronome et autoritaire, réduisant à la portion congrue tout ce qui est directement contrôlable à l'échelle humaine vivante (initiatives individuelles, initiatives de groupes, particularismes territoriaux). Pour finir, il soupçonne les "besoins de base" de constituer "le legs le plus insidieux laissé par le développement".

Si Illich se défie du « besoin », la notion « d'aspiration » trouve déjà plus de grâce à ses yeux. Il rejoint ainsi, pour ce qui est de la littérature d'expression française, une position que Paul-Henry Chombart de Lauwe soutenait dès les années 1960, ainsi que Thierry Paquot l'a opportunément rappelé dans un article publié à l'occasion de la disparition du sociologue. Pour Paul-Henri Chombart de Lauwe,

[l'aspiration se situe] à la fois en deçà et au delà du besoin dont elle constitue une puissance de genèse. Comme l'espoir qu'on dit chevillé au corps, elle appartient aux dimensions morales du sujet conscient, elle est installée au cœur de l'individu. Son existence même – on doit concevoir aussi comme possible des individus qui n'aspirent à rien, ou plus à rien – ses contours et son contenu confirment des genres d'individualités. Pour autant, dès lors qu'on communique et que les "totalités" individuelles se construisent en relation avec des systèmes complexes, elle n'est pas étrangère au social.

[…] l'aspiration dépend des conditions sociales et de l'histoire comme elle se rattache au désir et à la valeur. Sa réalisation peut s'effectuer méthodiquement dans un projet permettant à l'individu de participer à la vie sociale par une action ordonnée. Il ne peut se faire qu'en relation avec d'autres hommes. Ses aspirations convergent avec celles de ses voisins ou divergent. Les convergences ou les conflits d'aspirations sont des phénomènes sociaux liés aussi bien à la conjoncture économique ou à l'évolution démographique qu'à des traits culturels, à des idéologies, à des croyances ou à des mythes.
Dans la vie collective, lorsqu'une aspiration commune à un ensemble d'hommes s'oppose aux aspirations d'autres hommes, elle se précise et prend une force active dans la revendication. [C'est pourquoi] l'aspiration sert de guide pour suivre l'évolution des besoins, l'apparition de nouveaux centres d'intérêt et la modification des échelles de valeurs."

Ce positionnement de la notion d'aspiration au cœur des processus du changement social n'appartient pas seulement au cercle de la théorie. Elle oriente aussi certains aspects des études de terrain. C'est ainsi qu'en 1966 les auteurs d'un rapport sur les taudis à Nantes, frappés par l'importance des résistances au changement, y compris chez les ménages d'âge actif, s'interrogent sur les aspirations des habitants. Ils montrent que le "niveau d'aspiration" peut être très décalé par rapport aux moyens financiers des ménages, en deçà ou au delà. Le décalage en deçà correspond à la prééminence accordée à d'autres options, telles qu'un "confort ménager" apporté par des achats mobiliers ou l'idée de demeurer dans un quartier qu'on connaît et où on est connu, le tissu relationnel fondant des solidarités bien utiles quand on est de situation modeste.

Retenons ce fil où le « besoin » est alimenté par « l'aspiration », c'est-à-dire par un flux continu de représentations dont la venue est associée à des désirs et des pulsions, toutes choses d'ordre individuel et subjectif par nature. Vus sous cet angle, les « besoins » sont incommensurables, en quantité comme en diversité. En additionnant les « demandes », on déboucherait sur un des slogans « anarcho-gauchistes » de 1968 : "Ce que nous voulons : tout, tout de suite". Un slogan qu'il faut évidemment prendre au second degré, comme un exercice de dérision politique, propre à libérer l'imagination de la gangue du « besoin » et du cheminement de tortillard des « négociations sociales ». Car, d'un point de vue pratique, il y a deux voies. La voie individuelle – le do it yourself –, où les satisfactions à attendre sont étroitement conditionnées par les limites de l'effort solitaire et dont une expression assez significative est donnée par les autonomies rurales dans le cadre des systèmes de propriété individuelle. Et la voie de la réalisation sociale, où il faudra qu'un ensemble humain – une famille, une tribu, un groupe social, une région, une nation, etc. – se convainque de la nécessité de tel ou tel objet ou pratique, c'est-à-dire se constitue une vision collective de l'assemblage des dimensions existentielles, de la hiérarchie des demandes et, pour finir, des moyens dont la mise en œuvre est jugée pertinente. Dans cette perspective socialisée, il faudra bien évidemment justifier, dire pourquoi, combien, comment, etc., bref constituer l'argumentaire qui encastre un « besoin » déterminé dans un ensemble d'arbitrages.

Sauf à évoquer les lois ultimes du maintien de l'espèce, de tels arbitrages n'ont aucunement le caractère d'une nécessité. Ils sont au contraire mouvants, instables dans le temps et éminemment variables dans l'espace. La politique du logement correspond à un de ces arbitrages dans l'ordre de la conscience civile – beaucoup d'autres se font de manière implicite, par une discrimination immédiate entre ce qui est « normal » et ce qui ne l'est pas. En tant que telle, elle donne lieu à débat vis-à-vis d'autres priorités possibles, comme on l'a souligné en évoquant la concurrence avec les « besoins » d'un État impérial en difficultés, et à discussion, encore, dans chacune de ses dimensions.

Le caractère spécifique de bien de longue durée qui affecte le logement a pour conséquence que l'équilibrage instantané entre l'offre et la demande se fait essentiellement à travers les mouvements dans le parc existant, et que les effets de la construction neuve ne modifient le paysage global qu'à long terme. La lenteur avec laquelle la construction neuve produit ses effets s’illustre aisément par un schéma chiffré qui correspond sensiblement au contexte français tel qu’il se présente à partir du milieu des années 1950. En admettant que la construction neuve représente annuellement 2,5% du parc d'origine, il faut attendre trente ans, même en tenant compte d'une fraction de 15% du parc d'origine détruite ou désaffectée, pour que la construction qu'on qualifiera alors de "récente" représente 45 à 50% du parc..

Dans la mesure où on ne peut guère envisager une brusque démultiplication de la production sans risquer, comme en beaucoup d'autres domaines, un échauffement des prix qui étoufferait le processus dans l'œuf, il s'ensuit qu'une politique du logement tendant à renouveler les fondements de l'offre s'étale au moins sur une génération, et qu'elle s'accompagne d'immobilisations financières plus durables encore. Le projet se trouve ainsi inscrit dans une logique de long terme qui peut prêter le flanc à des revirements, des inflexions, etc. Le risque que de tels événements se produisent est d'autant plus grand qu'on ne peut guère mettre en avant l'argument de la continuité technique. Contrairement aux infrastructures lourdes et aux réseaux de toutes natures, dont le lancement paraît impliquer qu'on aille jusqu'à un certain degré de développement, la construction de logements peut être arrêtée ou ralentie à tout moment, parce qu'elle se décompose en petits ou relativement petits éléments indépendants entre eux et que la viabilité du tout ne dépend pas de la réalisation d'un maillon déterminé, fût-ce la totalité de la production d'une année ou même de plusieurs années. On sait bien, ex post, que l'objectif minimum fixé par le groupe Delors – 500 000 logements par an – n'a été tenu que de 1972 à 1975. Cela n'a pas empêché la population d'être logée et une amélioration globale a même pu se poursuivre. Le seul effet du ralentissement de la production a été que l’amélioration s’est effectuée sur un rythme plus lent que ce qu’on pouvait espérer en 19681970.

On aperçoit ici le talon d'Achille de la production du logement. Au fond, on peut s'en passer puisque, en raison de la prééminence du stock, une population peut durablement s'accommoder de l'existant et de toutes sortes de solutions précaires. L'expérience française de l'entre-deux-guerres montre que, même dans un pays où les niveaux d'exigence passent pour élevés, la politique du logement peut durant une génération entière se cantonner quasiment à la gestion des conditions d'occupation du parc hérité des périodes antérieures. Il s'agit toutefois là d'une figure très réduite, d'une modalité typique des situations d'urgence (guerre, catastrophes naturelles, etc.) et qui, si elle s'installe dans la durée, conduit inévitablement au déclin. Les politiques du logement qui postulent le développement sont nécessairement plus complexes. Elles s'inscrivent dans un grand nombre de dimensions et, à y bien réfléchir, c'est sans doute cela qui constitue leur aspect le plus impressionnant. C'est aussi ce qui fonde l'appel à une politique, c'est-à-dire à une mise en cohérence d'un ensemble d'éléments d'origines et de natures hétérogènes, aussi bien d'un point de vue synchronique que sous l'angle d'un flux diachronique, .

Dès lors qu’une politique ambitionne autre chose que de suivre le fil de l’eau ou de réagir aux passions du moment, se pose la question de sa constitution comme ensemble raisonné. De ce point de vue, outre ce qui tient aux limites du champ de vision inférées par les grandes idéologies et au style d’un projet possible en raison des aptitudes des corporations de la conception et du bâtiment, une difficulté caractéristique du logement en tant qu’objet de la connaissance correspond à la multidimensionnalité des compétences scientifiques qu’il faudrait combiner pour en donner une représentation idéale. Ainsi qu’on l’a exposé dès le préambule du premier volume, il y va en effet de l’économie, du droit, de la géographie, de l’histoire, etc., sans oublier les sciences physiques appliquées, ni la médecine, dont on a rappelé, aux sources des problèmes qui forment notre objet, le poids déterminant qu'elle a pu jouer dans la dénonciation de l'insalubrité.

Face à un objet qui requiert de l'universalité, la tentation constante d'un monde divisé en spécialistes consiste à réduire la difficulté en centrant l'approche sur tel ou tel aspect dont on souligne l'importance voire le caractère déterminant dès lors qu'il permet de se prévaloir d'une compétence corporative. Or, lorsqu'on se penche sur le résultat, sanction impitoyable dans les domaines de l'action, on ne peut plus dire qu'il y ait un seul aspect qui soit négligeable. Tout a été déterminant, et ce qui a été négligé ne se voit que trop. On se gardera donc de borner le champ de vision à la question des loyers, au financement, à la construction neuve, à l'aménagement ou à la perspective de l'architecte. On prendra au contraire le risque d'aborder le problème comme il est vécu par les habitants, c'est-à-dire comme une globalité. Se défiant définitivement des "optimisations partielles", comme y invite notre matière, on renouvellera le genre de pari qu'on a engagé dans la première partie ou pour ce qui est de la face cachée de la Reconstruction. Il n'y a, semble-t-il, pas d'autre chemin raisonnablement acceptable pour mettre au jour les cohérences et les déficiences de ce qui, en tout état de cause, a constitué un très grand projet, le plus considérable qui ait à ce jour concerné l’habitat en France. Comme il est inévitable lorsqu'on affronte la multidimensionnalité, la démarche qu'on entreprend souffrira d'insuffisances, tant en termes de compétences que de sources. Aussi l'auteur devra-t-il espérer quelques arrangements avec le ciel et réclamer par avance la clémence du lecteur.



14. Dimensions et consistance de la politique du logement.


Dans son principe, et d'un point de vue analytique, la constitution d'une politique du logement peut se décomposer en trois moments :
1) la connaissance de la situation,
2) l'évaluation quantitative et qualitative des objectifs,
3) le plan d'action qui permet d'atteindre ces derniers.

Faisant suite aux linéaments marqués du sceau de la contingence qui ont émergé durant le Premier Vingtième siècle, on se propose maintenant de passer en revue chacune de ces dimensions, et d’en expliciter le contenu dans la conjoncture où une politique relativement conséquente prend forme pour la première fois en France. Dans la mesure où la détermination de normes qui représentent les objectifs à atteindre pour l’ensemble des logements est étroitement liée à la connaissance de la situation de départ, on traitera ces deux aspects dans le cours d’un même développement.

De la connaissance de la situation à la fixation des normes.

De ce point de vue, la base indispensable est double : d'une part, un outil statistique exhaustif, fiable et aussi sophistiqué que possible; d'autre part, des enquêtes de terrain qui rendent compte des situations concrètes et donnent corps aux questions qu'il y a lieu de se poser. Ces éléments, qui constituent d'une certaine manière l'infrastructure du projet au point de départ, ne sont pas moins nécessaires par la suite pour mesurer les résultats acquis.

Un prototype ancien de la démonstration statistique est représenté par l'œuvre de Cerdà et son étude très fouillée des conditions d'habitation à Barcelone. Dans l'entre-deux-guerres français, le recours aux résultats des recensements et aux données de la Statistique Générale de la France devient un fait constant de la part de ceux qui s'attachent à faire émerger la nature et l'ampleur du problème du logement comme en témoignent, en faisant la somme de travaux antérieurs, les thèses d'Isaac et d'Olchanski. L'un et l'autre de ces auteurs souffrent néanmoins de l'insuffisance des sources. Olchanski déplore qu'aucune statistique du logement n'ait été publiée après le recensement de 1926, ce qui contraint à des "évaluations hypothétiques". Quant à Isaac, il insiste à plusieurs reprises sur la "nécessité d'établir des statistiques précises", une "nécessité" qu'il appartient à l'état et aux collectivités territoriales d'assumer. Il réclame notamment que la Statistique Générale de la France complète "ses vastes enquêtes, effectuées tous les quinze ans, par des recherches moins systématiques mais plus fréquentes" Si on se plaint des terrae incognitae que laissent les sources statistiques et, ce, d'autant plus amèrement qu'on mobilise effectivement celles-ci, les réflexions sur les savoir-faire se poursuivent. En 1945, un article de la Revue Économique et Sociale expose les principes des enquêtes par sondage stratifié pour en vanter l'efficacité et le coût raisonnable. L'auteur en préconise l'emploi régulier en matière de logement : il préfigure ainsi les "enquêtes-logement" qui seront ultérieurement développées par l'INSEE.

Dans l'après-guerre, le recensement devient un outil de base, comme l'atteste la présence de nombre de documents de l'INSEE qui y ressortissent dans les archives des ministères successivement chargés de la construction ou encore, vers la fin de la période qui nous intéresse, la mobilisation substantielle qui en est faite dans l'essai du groupe Delors sur la prospective du logement. Cette étude s'ouvre d'ailleurs sur l'expression d'un vif regret : "les données les plus récentes, celles qui résultent du notamment du recensement de 1968 […], n'étaient pas connues lorsque le groupe a mené ses travaux". Pour être fondamentales, notamment au plan démographique et parce que ce sont les seules qui reposent sur une enquête exhaustive, les données qui sont publiées à la suite des recensements n'en restent pas moins maigres pour ce qui concerne spécifiquement le logement. Cette situation qui résulte à la fois de la minceur de la rubrique consacrée au logement dans les questionnaires et des choix qui sont opérés au stade du traitement posera longuement problème, comme le montre le fait qu'on trouve, parmi les "sujets" traités en 1960 au Conseil supérieur de la construction un rapport intitulé "Nécessité et urgence d'un recensement national utilisable pour l'orientation de la politique de la construction et du logement" La réponse viendra sous la forme, moins coûteuse, d'un développement des enquêtes-logement. Un premier essai est effectué par l'INSEE en 1955; il est réitéré en 1961, et, à partir de 1963, les enquêtes-logement se font avec un rythme et un contenu sensiblement comparables à leur forme actuelle.

Sur le second aspect, les études de terrain, les prototypes modernes remontent aux enquêtes de l'inspecteur du travail Villermé (1835-1850), une tradition continuée notamment par Le Play ou les frères Pelloutier. Dans l'entre-deux-guerres, l'intérêt pour les études situées paraît toutefois avoir connu une éclipse. Dès lors qu'on dispose de la Statistique Générale, on est plus porté à l'usage de données d'échelle nationale, comme le montrent les travaux d'Halbwachs, qui font souvent référence, notamment pour Isaac ou Olchanski. Comme toujours lorsque les seules données locales sont celles qui sont élaborées à l'échelle nationale pour toutes les localités, on subit une déperdition de substance. Cette tendance à l'abstraction chiffrée se prolonge après guerre. Elle est illustrée par les "enquêtes départementales" sur les « besoins » qui sont commanditées par la Direction de l'aménagement du territoire d'André Prothin. On ne manque pas d'être déçu lorsqu'on entre dans ce dossier, car le travail "d'enquête" se borne à mettre en rapport, commune par commune, les effectifs démographiques de 1936 et de 1946, bref à constituer un tableau qui aurait pu être publié par l'INSEE. En 1963, on retrouve la même minceur dans les fiches sur la situation départementale de l'habitat qui sont soigneusement collationnées par Louis Morel, directeur du cabinet, et qui constituent manifestement un de ses instruments de travail.

On rencontre néanmoins, dans la masse des documents de l'État, des études attachées à une situation et à un territoire. La catégorie la plus ancienne correspond à des travaux sur les aspects dramatiques de l'habitat, qui proviennent généralement d'associations locales et qui paraissent souvent avoir été insérées dans les dossiers par raccroc, soit qu'elles aient été transmises par les services départementaux, soit qu'elles aient été collectées par des fonctionnaires centraux en déplacement. Appartiennent par exemple à cette catégorie une série de notes et enquêtes des Centres de Propagande et d'Action Contre les Taudis (PACT) datée de 1953-1958, un dossier de la Ligue contre le taudis (vers 1955), une étude sur "Les taudis à Hautmont" (Nord, vers 1955), ou, plus tardivement, une étude intitulée "Taudis à Nantes (1966).

Il faut attendre les années 1960 pour voir se développer une masse de travaux territorialisés qui correspondent à des commandes de l'État ou à des commandes passées dans le cadre de procédures initiées par l'État. De ces travaux, le plus gros concerne l'étude de patrimoines immobiliers, avec son cortège de relevés, de diagnostics sur l'état du bâti et d'estimatifs des mesures de réhabilitation. La préoccupation est présente dans le versement 860662 sur la rénovation urbaine, où on dénombre une trentaine d’études de la SARPI (Société Auxiliaire de Rénovation du Patrimoine Immobilier d'Intérêt National) dans les villes où on ne procède pas par la table rase. (Saumur, Tours, Blois, Le Mans, Lyon-Saint-Jean, Le Puy en Velay, Uzès, Avignon,…). Elle fonde les volumineuses études "historiques, architecturales et urbaines" ou "immobilières et architecturales" qui nourrissent les 285 articles des versements 880253 et 890320 sur les secteurs sauvegardés pris en application de la loi Malraux de 1962. Mais on retrouve aussi des travaux sur les situations dramatiques, concernant notamment le logement des "asociaux" ou des immigrés vers 1960-1962. Vers la fin de la période on voit apparaître des études, déjà très critiques, sur les "grands ensembles" et les ZUP fraîchement construits (1969-1973).

En fin de compte, et même si on peut nourrir quelques inquiétudes sur la perception des situations locales, de leur dynamique, de leurs aspects qualitatifs, etc., on peut conclure que la situation du logement est bien ou relativement bien connue. Elle est en tout cas suffisamment connue dès l'entre-deux-guerres, et plus encore dans les années 1950 et 1960 : on dispose effectivement de la base d'informations qui rend possible la conception, l'exécution et le suivi d'une politique du logement.

Il n’y aurait pas lieu de mettre en place une politique du logement si on estimait que la situation, telle qu’elle est connue, répond aux objectifs qu’on croit juste et nécessaire de proposer. Inversement, le décalage entre les objectifs qu’on retient et la situation du moment crée l’espace où s’installe le programme à exécuter. Il s’entend alors qu’un programme d’intervention doit – ou devrait être – "réalisé". C’est pourquoi les objectifs eux mêmes, puis année après année, l’exécution constituent l’enjeu d’arbitrages à tous niveaux. Contrairement à la perception qui s’impose lorsqu’on se place du point de vue des praticiens de l’aménagement ou de la conception (voire des habitants, en tant qu’ils font construire), les normes ne se présentent pas ici comme des contraintes, mais comme autant d’éléments malléables auxquels on donne forme avec une certaine latitude d’appréciation. On ne saurait comprendre autrement les mouvements de va-et-vient dont on aura à rendre compte et, naturellement, on est là en présence d’enjeux majeurs.

Au stade de la programmation de long terme, l’enjeu porte d’abord sur les perspectives démographiques : taux de variations attendus, configuration des ménages et des familles, migrations internes et externes. Exercice foncièrement spéculatif où interfèrent des valeurs morales et des tendances que les spécialistes acceptent de reconduire ou non, la projection démographique sur longue période invite à la prudence. On recourra donc de plus en plus souvent à la méthode des scénarios contrastés, avec le risque qu'une combinaison avec d'autres hypothèses tout aussi contrastées, affectant par exemple les normes d'occupation, finisse par vider la prévision de son sens, comme on l'a vu avec l'aventure survenue au groupe Delors. Même en ce qui concerne la projection démographique proprement dite, le recours à des scénarios différenciés ne met pas à l'abri de sérieuses déconvenues. C'est ainsi que l'Avant-projet de programme duodécennal pour la Région de Paris se fondait en 1963 sur la prévision d'une population de 65 à 70 millions d'habitants en France métropolitaine pour l'an 2000, dont 12 à 16 millions dans l'actuelle Île-de-France, en partant respectivement de 46 millions et de 8,5 millions en 1962. Comme on le sait maintenant, on ne dépassera guère 59 millions pour la France métropolitaine, et 11 millions pour l'Île-de-France, ce qui laisse dans un cas comme dans l'autre, un décalage d'un tiers par rapport aux accroissements attendus dans l'hypothèse la plus faible.

Un second enjeu porte sur la norme selon laquelle on entend que la population soit logée. "La" norme, c'est-à-dire un ensemble complexe :
- norme technique : somme de réquisits concernant l’art de bâtir  (sécurité, durabilité, hygiène);
- norme d’équipement : ce qui est requis et ce qui ne l’est pas ;
- norme spatiale : allocations de volume, en nombres de pièces ou en surface.

Comme l’objet est d’assurer un certain niveau de service à toute la population, les normes se présentent sous la forme d’un minimum qui fonde l’intervention spécifique de l’État là où les conditions sociales font que l’objectif ne pourrait être atteint. Dans la mesure où il s’agit d’un minimum, on pourrait attendre que le progrès se traduise par une réévaluation périodique, à la manière du salaire minimum. Cela ferait apparaître de nouveaux « besoins » reconnus, et cela aurait pour conséquence une succession de situations où le « progrès » se lirait dans l’évolution des normes plutôt que dans la chronique brute des résultats. En effet, la norme se faisant plus exigeante, il se pourrait que la proportion de logements « insuffisants » à un égard ou un autre se maintienne, voire s’accentue, alors que la situation réelle s’améliore. Ce qui serait la clé d’un progrès continuellement soutenu par les autorités publiques mettrait alors en fâcheuse posture en matière de communication, nombre de commentateurs s’en tenant à une vue des résultats chiffrés qui se limite au premier degré. Il est par suite clair qu’il est infiniment plus confortable pour l’autorité politique de conserver comme un très précieux patrimoine les normes qui ont été admises à un moment déterminé. Même un effort minime permet alors de faire valoir une amélioration, jusqu’à ce moment d’apogée parfaitement euphorique où le pouvoir peut proclamer que "l’ère des pénuries est derrière nous" en se fondant sur des normes caduques. En tout état de cause, les réévaluations des normes (en hausse ou en baisse), tout autant que l’absence de réévaluation sur longue période, représentent autant d’indices de la signification réelle de la politique du logement.

On a déjà évoqué dans la première partie le paysage qui émerge des réalisations du Premier Vingtième siècle et des discussions des années 1930 et 1940, ses bases minimalistes comme ses ambitions incertaines en matière de logement social, et on consacrera la troisième partie à un éclairage sur l’évolution des normes de surface, d’équipement et de peuplement. On se cantonnera donc ici à rappeler les choix qui ont été faits lorsque s’est constituée la politique du logement, c’est-à-dire, rappelons-le une fois encore, dans une période soumise à de fortes contraintes.

Il y va tout d’abord de la norme technique, dont l’élaboration et la codification se poursuivent en parallèle avec l’expansion de la production. Comme on n’imagine guère de construire en bois, que le temps de la terre est révolu, que l’art de bâtir en pierres ou en briques est censé connu, la réglementation qui dit la norme technique s’intéresse d’abord au matériau nouveau que beaucoup attendent comme le messie : le béton armé. Des constructions de l’entreprise Hennebique autour de 1900 – notamment une foule de terrasses et de bâtiments industriels – au mur de l’Atlantique en passant par la ligne Maginot et des applications de plus en plus fréquentes au bâtiment civil, le matériau « nouveau » a déjà longuement fait ses preuves. Il ne reste plus qu’à codifier son usage, ce qui sera effectué, notamment par les réglementations "béton armé" de 1945, 1960, et 1968. Le trait remarquable de cette première volée de codification est qu’elle s’attache exclusivement à une logique "poteau-poutre". On pourra à loisir souligner que cela s’inspire de l’idée du plan libre cher aux « modernes ». Il reste que c’est plutôt une idée de projet usinier, de plateaux de bureaux ou de centre commercial, et que cela ne correspond pas précisément à l’usage du béton qui s’est imposé en matière d’habitation, traduisant un premier décalage très lisible entre le projet d’État et la réalité de l’effort de construction.

Quant à la codification de ce qui concerne l’hygiène, la sécurité et les diverses installations rapportées à la structure, elle fera l’objet, après des textes épars, d’un travail systématique au cours des années 1960. En relation avec le CSTB, la Direction de la construction élabore alors une série de textes qui jettent enfin les bases de notre actuel Code de la construction. Cest de cet effort de plus de dix ans (1958-69) que le versement 890276 des Archives nationales rend compte. A côté d’éléments concernant les normes générales ou, en fin de période, l’application de l’informatique dans le bâtiment (1967-1969), un ensemble de 93 articles traduit les sujets de préoccupation :
- acoustique (39 articles)
- électricité (4 articles)
- ventilation et aération des logements (6 articles)
- incendie (15 articles)
- menuiserie bois ou métal (14 articles)
- toitures (2 articles)
- escaliers (1 article)
- façades (5 articles)
- ordures ménagères (7 articles)

En matière d’équipement, il s’entend que "les exigences d’hygiène se sont accrues depuis quelques décades" comme le notait Philippe Isaac en évoquant dans la foulée, à propos de la réhabilitation de l’existant, ce qui lui paraissait constituer "l’essentiel du confort moderne : eau, gaz, électricité, tout à l’égout, éventuellement chauffage central, salles de bains, ascenseurs, etc.". On ne peut que souligner cet "éventuellement" qui marque la différence entre les prescriptions qui paraissent ressortir à la sécurité collective des urbains face aux endémies, et les équipements des logements ou des immeubles qui paraissent relever de l’agrément, ce qui invite à ne pas les prévoir dans les minima. Cette vision des choses n’est pas sans parenté avec celle qui transparaît dans un document de 1939 déjà cité dans la première partie, émanant de la Fédération des SA d'HBM, et qu’on retrouve dans les dossiers du cabinet du ministre à l’époque de Claudius-Petit : "Il importe […] de ne pas entrer dans trop de détails et d’établir une réglementation précise mais assez souple pour pouvoir s’adapter aux préférences régionales". En foi de quoi, si on prévoit bien cuisine séparée et W.C. dans les minima, on stipule que les "salles d’eau, de bains ou appareils de douche" ainsi que le chauffage central devraient donner lieu à un accroissement des prix plafonds de construction et des valeurs locatives , ce qui, dans une tradition où on conserve pieusement les minima anciens, revient à les considérer comme optionnels. Quant à l’Union des Fédérations d’Organismes d’HBM, la centrale des HBM, elle se fait encore moins exigeante sur ce que "le logement normal de la famille française doit comporter au minimum", selon ce qu’en rapporte Jean Thourot. L’eau courante, le gaz et l’électricité doivent effectivement être prévus dans les collectifs, mais ces facilités ne s’imposent dans les individuels que lorsque ceux-ci sont construits "en bordure d’une voie canalisée", cependant que la salle d’eau peut se cantonner à un simple "réduit isolable" et que le chauffage est simplement passé… sous silence.

Certes on a vu l'ingénieur économiste Claude Olchanski illustrer une conception plus élevée du Logement des travailleurs français, considérant comme une évidence programmatique d'avoir à consentir pour tous les logements "les frais […] d’égouts et d’arrivée d’eau, de gaz et d’électricité, en individuel comme en collectif", et prescrivant, là encore pour tous, salle d'eau et "water-closet". Mais il se borne lui aussi à professer que le chauffage central "peut être envisagé", et seulement dans les immeubles collectifs. Et, pour ce qui est la baignoire, le genre d'objet qui a ses faveurs "pourra être de type Marat amélioré pour éviter les trop grandes consommations d’eau chaude et servir en même temps de bac à laver". Il se prononce ainsi pour une solution qui sera de grand avenir, débarrassant à peu de frais de ces buanderies collectives dont s’inquiétaient avec tant de soin les enquêteurs de 1939-1942, mais ne résolvant en rien le problème du séchage et de l'étendage du linge.

Le bref rappel de ces références suffit à montrer que rien n'était clair à l'issue du second conflit mondial. Suivant en cela, au fond, la législation sur les lotissements, les constructeurs d'HBM hésitaient même à franchir le pas qui aurait fait des raccordements de base la condition de toute construction nouvelle. Compte tenu de l'état des villes françaises et des circonstances dans lesquelles s’édifiaient les ensembles nouveaux, ils se prévalaient de l'abandon dans lequel on avait laissé mariner les campagnes pour se réserver la possibilité d’en rester ici ou là à un équipement de type « rural », au moins pour les maisons individuelles. Et, s’ils concevaient la nécessité d’un lieu spécifique et un peu hygiénique pour la préparation des repas, ils ne s’engageaient qu’avec une extrême parcimonie dans l’équipement sanitaire, en s’en tenant à des minima qui restaient substantiellement conformes aux prescriptions de 1922. S’il venait à l’idée de soutenir que les opérateurs HBM étaient les porteurs de la demande populaire, il faudrait par conséquent admettre que le niveau de la demande se maintenait à un standard extrêmement sommaire à l’orée du Second Vingtième siècle.

Sans doute est-il à cet égard commode de rappeler qu’au recensement de 1946, seuls 37% des ménages déclarent avoir l’eau courante dans le logement et qu’en 1954 on ne trouve encore que 28% des résidences principales qui soient dotées de W.-C. intérieurs, la proportion de salles de bains avec baignoire ou douche se limitant quant à elle à 17.5%. Même si cela traduit apparemment un progrès par rapport à ce qui avait été observé en 1939-1942, la médiocrité persistante des résultats peut venir appuyer un discours affirmant qu’une grande partie de la population modeste – la majorité, peut-être – considérerait ces équipements comme un luxe, comme une de ces choses dont on pense : "– ce n’est pas pour les gens comme nous". Il ne reste alors qu’à poursuivre en faisant valoir que, dans des budgets déjà serrés, les consommations que cela induirait ne feraient qu’imposer une charge supplémentaire, alors qu’il y avait deux cents générations et plus qu’on vivait sans cela. Mais, pour autant, qui pourra dire que le « confort moderne » n’était pas l’objet d’une aspiration populaire largement partagée ? Telle est plutôt l’interprétation que suggère le réel engouement que suscitent les Salons des arts ménagers où l’on voit exposées, à côté de toutes sortes de gadgets, des cuisines et des salles de bain également rutilantes. Il est possible d’argumenter à perte de vue sur l’état de la conscience populaire, et même de faire état de résistances (tous ces gens qu’il faut "éduquer"). Il restera une évidence : à l’orée de la période où la France allait être saisie par la fièvre constructive, le projet des organismes d’HBM ne brillait pas par l’audace en matière de mode de vie.

Dans ces conditions, et compte tenu de la conjoncture générale évoquée plus haut, l’arrêté du 19 décembre 1947 fixant les nouvelles "caractéristiques auxquelles doivent répondre les immeubles construits au titre de la législation sur les habitations à bon marché" relève de la divine surprise, à la manière du processus qui avait conduit à l’introduction des congés payés sous le Front Populaire. Véritable cadeau de Noël, ce texte publié au Journal Officiel du 24 décembre prévoit en effet, pour tous les logements y compris ceux d’une seule pièce habitable, "cuisine, […] salle d’eau, W.-C., dégagements et placards" (article 1). Il est précisé que "la salle d’eau doit permettre l’installation d’un équipement minimum comprenant un lavabo et un bac à usage double de bac à douche et de bac à laver" (article 2).

Certes, le "double usage" du bac-à-laver-douche entraîne dans l’une et l’autre de ses dimensions quelques inconvénients fonctionnels sur lesquels nous reviendrons en montrant la nature de l’objet dans la troisième partie. Il s’ajoute que, dans la mesure où les constructeurs font l’économie de la buanderie collective, le linge fraîchement lavé séchera désormais dans le logement, ce qui est parfait pour la surveillance des biens du ménage, mais présente l’inconvénient d’installer une source latente d’humidité dans les appartements pas ou mal chauffés. Il faut ajouter que, compte tenu de l’exiguïté prévisible de la salle d’eau, l’étendage au-dessus de la cuisinière paraît doté d’un bel avenir, avec les risques d’incendie qui y sont liés. Certes aussi, la prescription qu’on vient d’édicter pour les HBM ne sera nullement imposée aux autres produits qui viennent sur le marché. Il reste qu’en dépit des aléas on ne reviendra pas sur l’essentiel des ces dispositions, et que le logement social de base ne manquera pas de faire référence.

Cela étant, il faut bien dire la "prière de l’absent" – c’est-à-dire faire son deuil, selon la tradition juive – pour les équipements dont l’installation n’a pas été codifiée. A commencer par la production d’eau chaude : celle-ci n’est pas impérative, et le chauffe-eau va être durablement considéré comme un élément mobilier qu’il appartient à l’occupant d’installer, sans doute avec la plomberie afférente. A continuer par le chauffage central, dont on rappellera dans la troisième partie qu’il est prévu dans le programme des "4000 logements de la région parisienne", à construire à partir de 1953 selon le procédé Camus, en même temps que l’installation d’eau chaude collective et les compteurs ad hoc, mais qu’il est absent du devis-programme de base de la vaste opération du logement "million" (LEN et LOPOFA) qu’on lance à partir de 1954, où il ne réapparaît que comme une option de second degré dans le cadre des facilités spécifiquement consenties aux LOPOFA. Une série de rapports tendant à fixer les normes de base, qui sont rédigés par le CSTB en 1954-1956, laisse néanmoins percer une inquiétude concernant les problèmes de condensation sur les parois, en raison de la faible isolation thermique et de l’absence de chauffage central. Dans la même veine, une note interne du ministère de la Construction du 11 juin 1956 faisant le point sur "l’opération Million et LOPOFA" dans le département de la Seine souligne la nécessité de réduire les condensations au moyen d’installations de chauffage. S’il doit constater que, "malheureusement, pour passer dans le cadre des prix, on a parfois retenu des projets insuffisants sous l’angle des conditions d’habitabilité", l’auteur se console en faisant valoir que "dans certaines opérations le chauffage central est prévu". On ne saurait dire plus clairement que le chauffage central n’a pas constitué une prestation très répandue, même dans la région parisienne, où la construction était moins rurale, et donc plus riche qu’ailleurs. En fait, il faudra attendre les années 1970 et la venue d’une solution peu onéreuse à la construction – le chauffage électrique – pour qu’il s’impose comme un équipement de base, y compris dans la maison individuelle. Cela ne sera pas sans rapport avec les efforts de promotion de l'EDF : on aborde ici une nouvelle configuration, celle de l'ère nucléaire.

Si on peut espérer que les équipements des logements du second après-guerre s’apparenteront à ceux des meilleures HBM des années 1930, qu’en est-il des surfaces et des nombres de pièces qui devraient constituer l’allocation d’espace ordinaire d’une famille ? En matière de volumes habitables, ce sont à nouveau les normes des HBM qui font référence et, dans la littérature scientifique, plusieurs des auteurs les plus marquants s’accordent pour formuler un jugement des plus critiques. On peut évoquer Philippe Isaac, qui déplore des "normes minima […] nettement insuffisantes, en ce qui concerne surtout la dimension des logements". On peut également citer Claude Olchanski qui, après avoir esquissé à grands traits une évolution séculaire du logement minimum, en vient quant à lui à pointer une sorte d’immobilisme dans lequel le vaisseau du progrès se serait "malheureusement" laissé encalminer :

"Villermé se serait contenté d’un nombre de pièces suffisant pour éviter toute promiscuité, ou toute atteinte à la décence; une pièce pour les parents, une pour les enfants de chaque sexe, le tout avec l’air et la lumière nécessaires lui paraissait un idéal difficile à atteindre […]
Depuis lors les exigences et les besoins se sont amplifiés, et il ne suffit plus d’assurer la « police » de la famille, mais encore de lui procurer un logement agréable où chacun pourra vivre sans gêner son voisin et même disposer de commodités ignorées des générations passées.
Le luxe de la cour de Louis XIV et son manque d’hygiène sont restés célèbres; il faut aujourd’hui à chacun un peu moins de celui-ci, un peu plus de celui là. Mais pour pouvoir jouir des mille avantages que la technique moderne met à la disposition des individus, il est nécessaire de disposer d’un espace suffisant.
Le problème de la dimension des logements prime donc sur tous les autres, et c’est malheureusement celui dont l’aspect a le moins évolué […]"

Soulignant plus loin que 60 à 70% des ménages urbains de plus de deux enfants sont mal logés – soit "pratiquement la totalité des salariés de cette catégorie" – Olchanski se prononce implicitement pour un programme de construction axé vers de grands logements, en tout cas, vers des logements plus grands que ceux qui ont été livrés par les premières vagues de la construction HBM, y compris celle des années 1930.

Face à cette bronca de la critique qui paraît avoir porté alternativement sur les surfaces allouées pour un nombre de pièces donné (Isaac) et sur le nombre de pièces moyen des logements réalisés (Olchanski), on a vu dans la première partie que les organismes d'HBM étaient restés, sinon impavides, du moins relativement en retrait. Sans doute ont-ils cessé d'accorder une attention exclusive à ces petits logements d'une à trois pièces qui ont d'abord représenté l'essentiel de leur production, et en viennent-ils, à la fin des années 1930, à envisager une production plus significative de quatre pièces et de cinq pièces, comme le montre la présence de ces deux types de logement dans les tableaux de synthèse de l’étude de la Fédération des SA d'HBM qu'on a citée plus haut. Mais ils ne font en cela que suivre des novations introduites par la loi Loucheur et le texte de 1930 sur les HBM "A" et, en ce qui concerne les surfaces, on a montré dans la première partie qu'ils se satisferaient de trois pièces d'une petite cinquantaine de mètres carrés et de quatre pièces d'une soixantaine de mètres carrés, le reste étant à l'avenant. Au fond, du dispositif de 1919-1922, ils conserveraient volontiers les HBM "bis", et se borneraient à éliminer la colonne de droite du tableau de référence de 1922. Joint à la timidité concernant les équipements, cela paraît traduire une absence d'ambition sur laquelle on ne peut que s'interroger, faute d'avoir rencontré un exposé réellement justificatif. Œuvre de réalistes, qui savent la difficulté de trouver des locataires solvables, de faire payer les loyers, etc. et qui préfèrent rester proches des habitus du marché, en se fondant toutefois sur une future aide au logement qu’ils réclament par ailleurs pour s’autoriser une vue un peu plus large en faveur des familles nombreuses ? Ou encore, œuvre de techniciens, qui ont soigneusement pesé les fonctions, l’encombrement des meubles, etc., et qui se sont construit une évaluation rationnelle des « besoins » qu’ils ont bien voulu reconnaître ?

Que la discussion ait porté pour une part sur l’allocation rationnelle de l’espace ne saurait faire de doute. On en trouve trace dans la position de la Fédérations des SA d’HBM, qui rejette des "observations" prêtées à Henri Sellier, suggérant "de se contenter dans certains cas, de chambres de 6 m2". Et puis il y a l’air du temps : les thèses des architectes « modernes ». Walter Gropius avait déclaré au congrès des CIAM de 1930 : "Les hygiénistes ont établi que, sous réserve des meilleures conditions d’aération et d’ensoleillement, l’homme ne nécessite qu’une faible quantité d’espace d’habitation, surtout si celui-ci est correctement organisé". Le Corbusier renchérit :

"[…] nous pouvons regarder avec un œil rafraîchi la cuisine de l'appartement et tous les autres services et admettre que le mobilier que nous ont imposé les ébénistes et les tapissiers a joué, dans l'économie domestique, un rôle néfaste. Il nous a encombrés, assommés, écrasés. Mais ce qui est infiniment plus néfaste : il nous a obligés à construire des appartements deux à trois fois plus grands qu'il n'est besoin. […] je note qu'il est possible, par le concours de la grande industrie, de réduire d'au moins une fois, si ce n'est de deux, la grandeur des appartements, par conséquent le coût des loyers, par conséquent la grandeur de la ville et par conséquent le nombre des heures que nous passons en démarches à travers ses rues ou ses tunnels de métro."

Portant un regard particulièrement intéressé sur l’impeccable fonctionnalité des compartiments pullman et les cabines de paquebot (quoi de plus confortable ?), les architectes « modernes » faisaient montre d’une audace révolutionnaire, et ouvraient la voie à des solutions enthousiasmantes au problème du logement : à la limite, l'investissement nécessaire se réduirait à presque rien si l’on recourait à leurs services.

La toile de fond étant ainsi posée, on est là encore surpris par la générosité de l'arbitrage de l'État. Faut-il y voir une conséquence des fréquentations anglo-saxonnes de ces "missions" que le MRU installe dès 1945 à Washington et à Londres ? Toujours est-il que les normes de surface inscrites dans le cadeau de Noël de 1947 déjà évoqué pour les équipements sont nettement plus larges que ce que proposaient les organismes d'HBM.

Surfaces minimales des HBM (1947)
(en m2)

2 pièces3 pièces4 pièces5 pièces et plusABABABSurf. totale du logement444657597173+ 15 m2 par pièce supplémentaireSéjour
Cuisine
Chambre(s)12
10
1216
7
1214
10
2218
7
2216
10
3320
7
33Source : J.O. du 24 décembre 1947, p. 12413.
Le texte précise que les logements d'une pièce cuisine peuvent être admis "exceptionnellement", avec une surface minimale de 32 m2.

Les cuisines de 10 m2 qui définissent le type A comprennent "un emplacement pour les repas"; lorsqu'elles sont réduites à 7 m2 (type B) le gonflement du séjour correspond à l'intégration de cette fonction. Si on ajoute que les surfaces globales "peuvent être augmentées […] dans la limite de 10%", on aura reconnu des normes qui, cinquante ans plus tard, ne nous sont pas étrangères, même si, à la réflexion, la surface des chambres et des cuisines de 1947 paraît bien généreuse. C’est que, une nouvelle fois, l’horloge du progrès paraît s’être arrêtée dans les années 1970, après qu’on ait connu, de 1951 à 1972, un redoutable creux qu’on analysera dans le prochain volume. La conséquence en est qu’on construit encore, soixante ans plus tard, en se satisfaisant des normes de 1947, tant en ce qui concerne le secteur HLM que la masse des immeubles collectifs du marché. La seule manière d’échapper à ce qui a fini par prendre la figure d’une fatalité consiste à prendre, pour ceux qui le peuvent, le chemin des maisons individuelles.

Un autre point également déterminant pour l’appréciation des conditions de logement, et sur lequel on n’a guère évolué depuis le second après-guerre correspond à la norme d’occupation, c’est-à-dire à la relation entre l’effectif de personnes logées et le nombre de pièces du logement. Mais ici, à la différence de ce qu’il en est pour l’équipement et les surfaces canoniques du logement social, le dispositif qui émerge au tournant de 1950 est notablement en retrait sur qui avait été admis depuis le début du siècle. Le train du progrès est brusquement reparti en marche arrière, et il n’est pas exclu que la considération accordée au logement social ait joué un rôle dans le renversement de la vapeur, car la norme générale vers laquelle on tend est tout à fait comparable aux critères d’attribution des logements que les organismes d’HBM proposaient de retenir, pour ce qui les concernait, à la fin des années 1930 et durant les années 1940.

Pourtant, et par différence avec ces critères qui revenaient en moyenne à autoriser 1,5 personne par pièce principale d’habitation, les postulats publics de portée générale ont longuement procédé d’une attitude sensiblement plus généreuse. La "norme de 1911", qui a servi à mesurer le degré de peuplement lors des recensements de l’entre-deux-guerres, reposait en effet sur un principe élémentaire : une personne par pièce. Cela donnait une allocation normale d’espace habitable correspondant à un deux pièces pour un couple sans enfants, à un trois pièces pour un ménage avec un enfant, à un quatre pièces pour un ménage avec deux enfants, etc. Les idées sousjacentes à un tel dispositif sont assez transparentes :

1) On considère une famille conjugale. Cela transparaît particulièrement si on imagine le cas d'un adulte "isolé" vivant avec un de ses géniteurs : l'une des deux personnes dormira dans la salle à manger, ce qui n'est manifestement pas dans l'esprit qui prévaut pour les familles "normales".
2) On retient l'image d'une famille stable dans un logement stable. Si elle ne paraît pas indispensable dans le bas-âge, la clause qui consiste à prévoir, au-delà du couple conjugal, une chambre par personne correspond à une précaution de décence et de pudeur en toute hypothèse, quel que soit le sexe des enfants et quelle que soit la progression dans l'âge. Elle garantit le droit de tout individu à s'isoler quand cela lui convient.
3) Les pièces de réception (hors la salle commune), les cabinets de travail ou les chambres de réserve pour hôtes de passage sont exclus du jeu. Dans leur diversité, ces « besoins » paraissent ressortir à une existence supérieure, puisqu'ils se situent au-delà de la norme et conduisent mécaniquement, s'ils sont couverts, à juger qu'un logement est "sous-peuplé". On notera toutefois que, selon l'arrangement des sexes et des âges qui préside à l'usage des chambres à coucher, on pourra souvent dégager une pièce pour une de ces finalités, tout en restant dans le cadre de la norme.

La norme de 1911 apparaîtra certainement comme « bourgeoise » aux yeux d'un observateur social d'aujourd'hui, c’est-à-dire d’un observateur marqué par les opinions qui se sont installées aux commandes durant les années 1950 et 1960. Mais elle est incontestablement « actuelle » en 1947, et elle conserve un domaine d'efficacité des années 1950 jusqu'à nos jours, puisque c'est au regard de cette norme que des échanges peuvent être imposés dans le parc HLM et que les tribunaux ont apprécié, dans le cadre de la loi du 1er septembre 1948, la sous-occupation susceptible de fonder la reprise d'un logement locatif ancien par un propriétaire désirant l'habiter lui-même. Identiques à ce qui avait été retenu pour fonder les réquisitions de l’immédiat après-guerre, les dispositions ordinaires sur la sous-occupation résolvent en passant le problème des bureaux-bibliothèques, salons etc.; en effet, "sont considérés comme insuffisamment occupés les locaux comportant un nombre de pièces habitables au sens de l'article de la loi du 1er septembre 1948 modifiée, non compris les cuisines, supérieur de plus de deux au nombre de personnes qui y ont effectivement leur résidence principale". Il s'ajoute que les pièces consacrées à une profession libérale ne sont pas prise en compte, et qu'inversement, les sous-locataires et les personnes de service figurent au nombre des personnes qui ont leur résidence principale dans le logement considéré.

Entre une norme héritée de la "Belle Époque" et une pratique manifestement en retrait qui émane des organismes d'HBM, le développement d'une politique du logement aura là encore le mérite de contraindre à dire les choses, ou plutôt, selon l'expression consacrée des juristes, à "dire le droit". Comment l’État va-t-il arbitrer ? La réponse tombe de façon indirecte, à travers les dispositions fixant le régime des allocations de logement, qui couvrent non seulement les HBM, mais l'ensemble des secteurs locatifs et d'accession à la propriété. Ce cadeau du nouvel an 1949 – le décret date du 30 décembre 1948 et il est publié au J.O. le 31 décembre – comporte en son article deux des dispositions très claires :

"Le logement doit comporter un nombre minimum de […] :
- quatre pièces pour trois et quatre personnes
- cinq pièces pour cinq et six personnes
- six pièces pour sept, huit et neuf personnes
- une pièce supplémentaire par groupe de trois personnes en sus."

Il s'ajoute que les deux tiers de ces pièces doivent correspondre à des pièces principales au sens de l'article deux de l'arrêté du 22 novembre 1948 (surface minimale : 9 m2, hauteur sous plafond : 2,5 m., conduit de fumée) cependant que le restant peut correspondre à des pièces secondaires au sens de l'article trois (surface minimale : 7 m2, hauteur sous plafond : 2,3 m.)

On ne s'étonne pas que seules soient concernées les familles (très exactement, selon l’article premier, "toute personne qui a au moins deux enfants à charge"), puisque l'allocation de logement est instituée dans le prolongement de la loi du 22 août 1946 créant les prestations familiales. On note combien on reste proche de la norme de 1911 pour les familles de deux à quatre enfants, qui sont les plus courantes dans le champ d'application du texte. D'un côté, cela peut passer pour généreux. D'un autre côté, si on en restait là, il est clair qu’on serait particulièrement économe des moyens de l’État. En effet, dans un contexte où les logements HBM sont fréquemment de deux ou trois pièces, cependant que le logement populaire du secteur locatif privé est encore plus étriqué, on peut gager qu'il se trouvera fort peu de ménages modestes en mesure de satisfaire à ces conditions. Dilemme cornélien, paradoxe qui fait suite à une génération d'impérities : si on veut lier l'allocation à un logement sain, on ne fait qu'une rodomontade de plus, une nouvelle palinodie vide de sens; et, si on reconnaît la réalité du moment, on contribue à l'entériner.

On doit convenir que le législateur de 1948 fait preuve d’une certaine bonne foi. Refusant de parler pour ne rien dire, il échappe à la contradiction par une pirouette. Il édicte une norme, et s'en dédit aussitôt en consentant des rabais. Le texte se termine en effet par des dispositions transitoires où l'article 11 prévoit, "par dérogation" de portée générale et "jusqu'à une date qui sera fixée par décret", que l'allocation sera attribuée pour des logements plus petits d'une pièce. La dérogation de portée générale correspond sensiblement à l'interprétation de la norme d'occupation qui prévaut au MRU. S'y rattache en effet, à peu de choses près, un document manuscrit intitulé "normes de peuplement", qui est daté de mai 1948 et qui se résume dans la figure suivante.

Norme de peuplement retenue par le MRU (1948)
Source : AN, versement 770775, art. AT 141.


Nombre de personnes

Nombre de pièces
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10

1











2











3











4











5











6











7












Surpeuplement


Densité excessive


Peuplement normal


Sous-peuplement admissible


Sous-peuplement

Mais il y a pire. Dans un second alinéa concernant "les localités figurant sur une liste arrêtée par le ministre de la reconstruction et de l'urbanisme" le minimum requis pour le bénéfice de l'allocation de logement est encore abaissé d'une pièce en ce qui concerne les "constructions existant au 1er septembre 1948". Cette fois, avec trois à quatre personnes dans un deux pièces, cinq à six personnes dans un trois pièces, et "sept à dix personnes" dans un quatre pièce, on se situe sensiblement en deçà des propositions des organismes d'HBM. On aura reconnu la situation dévolue aux sinistrés dans leurs baraquements provisoires et aux villes où sévit la crise du logement, fort nombreuses comme on l'a rappelé dans la première partie

L'arbitrage « réaliste » ne conduit donc pas à une norme, mais déborde sur un machin à triple détente qui reflète le caractère monstrueux de la situation. Il y a d'abord la norme, celle qui devrait régner dans un pays riche en régime de croisière : cet item généreux, inspiré des vues bourgeoises et généralisé à l'ensemble des familles se présente comme une sorte d'objectif à long terme. Dans l'immédiat, il fonctionne comme un simple effet de rhétorique, un pur rappel déclamatoire. Dans l’attente d’un avenir simplement acceptable, on se satisfera d'une norme plus étriquée pour une durée indéterminée, y compris dans la construction neuve. Et là où sévit la crise du logement, on s'en tient pour l'ancien à une véritable misère : une pente que, tel Sysiphe, il faudra remonter pas à pas, longuement, difficultueusement. En fait, on ne se sortira jamais complètement de cet enfer. Ce sont en effet la dérogation de portée générale et, conjointement, l’interprétation des techniciens du MRU qui constitueront finalement, à quelque corrections près, la base de la norme d’occupation des logements dans la France du Second Vingtième siècle.


Plan d'action.

La détermination d'un plan d'action renvoie d'abord au cadre dans lequel celui-ci doit s'exécuter. Dans un immédiat après-guerre où la consommation ressortissait significativement à une économie administrée (subvention, prix, tickets… et marché noir) et où l'URSS pouvait faire image, il est clair que l'hypothèse de considérer le logement comme un droit dont le bénéfice serait assuré par un service public a été prise en considération. On en trouve trace dans le projet d'un "service national de l'habitat" dont l'institution est évoquée par l'ordonnance du 28 juin 1945, et dans l'institution effective de services municipaux du logement prévus par l'ordonnance du 11 octobre 1945. Ces initiatives de 1945 retrouvent un écho tardif dans l'idée d'un "service national du logement" prônée par Alfred Sauvy, ou dans le projet d'un "service national de l'habitat" qui forme la conclusion de l'ouvrage de Gilbert Matthieu.

Las! Les dispositions de l'ordonnance d'octobre 1945 étaient une fois de plus "exceptionnelles et temporaires", et l'idée d'un "service national de l'habitat" devait rester sans suite. Les services municipaux du logement pouvaient être créés à la demande des maires intéressés, mais leur financement n'était pas prévu. Ils pouvaient se saisir de toute question concernant le logement, mais leurs activités se bornèrent essentiellement à des enquêtes et à des recensements locaux, mesures préalables à des réquisitions au profit de personnes privées, pratique qui fit l'objet d'obstructions multiples et ne se développa guère. Bref, comme le souligne Thourot, témoin d'époque : "la création d'un service du logement dans une localité doit être considérée comme la déclaration d'état de crise". Au total, on n'en fera guère, on se gardera d'inscrire ces initiatives locales dans un cadre national, et la politique du logement restera substantiellement inscrite dans un cadre balisé par la propriété privée et le marché.

Il est dès lors entendu – ou plutôt, sous-entendu, ce qui laissera par la suite place à toutes les interprétations – que le régime vers lequel on tend fera une part considérable au marché et à la propriété, que ce soit sous la forme de la propriété locative ou de la propriété d'occupation. Est-on allé jusqu'à penser que la production du logement doive un jour revenir entièrement à l'initiative marchande ? On ne dispose d'aucune source émanant de l’État qui l'affirmerait, mais il est clair que les forces qui ont fait obstacle à la naissance d'un secteur HBM entre les deux guerres sont toujours en place. Au fond cette hypothèse reste une question ouverte… pour l'avenir. Dans l'immédiat, et cela couvre toute la période qui nous intéresse, le souci de réalisme commande de s'adapter à la situation dont on a hérité. Il s'agit d'abord de relever les loyers, puis, souci constamment exprimé, de les "harmoniser" en vue d'obtenir que le système des loyers se réorganise autour d'un pivot constitué par la liberté de marché dans le neuf comme dans l'ancien. Il ne faudrait donc pas que le poids des logements sociaux les plus aidés vienne excessivement troubler le jeu. C'est pourquoi, même dans le temps que durera la pénurie, il s'imposera de les programmer seulement là où la pression des "besoins" est vraiment irrépressible. Il faudra ensuite, là encore, se préoccuper "d'harmoniser", en attribuant des conditions de financement qui soient de moins en moins privilégiées : c'est tout le problème de l'aide à la pierre, sa nature, son étendue, son maintien même.

Une autre implication du choix systémique de la propriété est que "l'accession à la petite propriété" (comme on dit jusqu'aux années 1950) va conserver un rôle de choix au cœur de la politique du logement. Toutefois, dans la mesure où il s'agit tout d'abord de convoquer au banquet les classes moyennes, voire supérieures, la propriété en question va perdre son qualificatif de "petite". On a d'autant plus de raisons d'évacuer ce qualificatif désuet qu'on va s'attacher maintenant à développer la copropriété dans de gros immeubles, en s'appuyant tout d'abord sur la récente loi de 1938 qui lui a donné un statut, puis en perfectionnant le dispositif au fil des années 1950 et 1960. Sachant combien l'habitat individuel peut être motivant, et par là même conduire les ménages à se sacrifier pour apporter leur contribution à l'effort de construction, on se gardera cependant de perdre de vue les pratiques traditionnelles. Avec des hauts et des bas, on laissera se poursuivre une urbanisation à base de maisons individuelles et les pratiques de lotissement, désormais encadrées par la législation et dûment contrôlées, perdureront dans la plupart des communes en cours d'extension, offrant progressivement, selon les lieux et les programmes, des figures qui s'adressent à l'ensemble des groupes sociaux. Accession à la propriété, harmonisation des loyers autour d'un marché libre du neuf et de l'ancien : les objectifs systémiques de la politique du logement dans la France de 1945-1970 s'organisent autour du désengagement – en tout cas financier – de l’État et nombre « d'interventionnistes » ne pensent, au fond, leur prise de parti que comme temporaire, conçue pour amorcer une spirale, montrer le chemin et accompagner le retour à un cercle vertueux où, pour l’essentiel, on verrait de nouveau la production du logement s’autofinancer. Bref, un monde « libéral », tout juste corrigé, en tant que de besoin, par la présence d’un secteur locatif sous gestion publique. Une fois les urgences passées, on aurait tout le temps d’examiner l’ampleur et le statut qu’il conviendrait de donner à cette entreprise publique de logement.

Encore faut-il, en attendant, que l'intervention de l’État se développe et, pour cela, qu'elle soit dotée d'un moteur. Qu’il y avait là un impératif catégorique n’échappait pas à la plupart des observateurs, comme on le voit, par exemple, en relisant Olchanski : "les questions du logement dépendent de services rattachés à différents ministères et […] il conviendra de les grouper en une direction unique". Cet auteur pensait à un "Conseil Supérieur du Logement", mais il ya des moments où les réalités vont plus vite que le mouvement des idées. Avant que sa thèse ne soit soutenue, on avait obtenu beaucoup plus qu’un simple Conseil de plus, ainsi qu’on l’a rappelé dans la première partie en évoquant la transition mouvementée qui, dans la seconde moitié de 1944, conduit des institutions de Vichy à la création du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) 16 novembre.

Certes, tout le paysage antérieur ne disparaît pas pour autant. Les allocations de logement seront attribuées par les CAF (ministère des Affaires Sociales et de la Famille), la politique des loyers se discutera avec la Justice (c'est une affaire de droit), l'architecture restera aux Beaux-Arts (ce qui n'empêche pas la création d'un "service de l'architecture" auprès de la Direction de la Construction du MRU), la tutelle des collectivités territoriales, à l'Intérieur, et le financement,… aux Finances. C'est ce qui explique que le budget propre du MRU puis de ses successeurs, qui reste très mince, n'exprime en rien les masses financières considérables que ce ministère met en œuvre. Le MRU n'a que le pouvoir de déclencher des financements de reconstruction, d'aménagement ou d'aide à la construction, qui viennent du Trésor ou de la Caisse des Dépôts et Consignations. Cela explique aussi la multiplication des "fonds" de toute nature (FNAT, FNAFU,…) où le MRU et ses successeurs, en présence de représentants des Finances, prennent les décisions. Encore les décisions ne concernent-elles le plus souvent que des primes et bonifications d'intérêt, c'est-à-dire des volumes sans commune mesure avec les fonds effectivement engagés. C'est enfin ce qui explique que le ministère de la construction ait été planiste pour deux : "Le MRU fut l'une des administrations les plus soucieuses de planification, toujours prête à dénoncer les carences du commissariat général au Plan, candidate permanente à y exercer un pouvoir hégémonique".

C'est que ce petit ministère, nouvel arrivant et dernier-né, disposant tout juste des moyens de lancer des études et de gérer des commissions d'attribution de fonds, était en butte, on le devine, à la sourde concurrence de ceux qu'il avait "dépossédés" et aux virevoltes des Finances, toujours prêtes à économiser les moyens pour les réserver à d'autres fins, alors même que l'objet auquel il s'attachait supposait des dépenses consistantes et des engagements durables. Outre sa rétrogradation momentanée, en 1956-1957, au rang de simple secrétariat d'État, et son mariage à 21 ans, avec un monsieur beaucoup plus âgé (le ministère des Travaux Publics), la fragilité de l'institution est attestée par une note qu'Yves Salaün, chef de l'inspection générale, adresse le 27 avril 1953 à Léon Gayet, alors chef de service juridique et financier :

"[…] la lecture du projet de rapport de la Cour des Comptes et notamment de la partie intitulée "organisation du ministère" (p. 14 à 31) conduisent tout naturellement à la conclusion qu'il y a lieu de supprimer le Ministère de la Reconstruction et le l'Urbanisme qui non seulement a été incapable dans le passé de faire face à la tâche qui lui a été confiée, mais l'est également aujourd'hui […]
À mon avis la parution du rapport sous sa forme actuelle est extrêmement dangereuse et, fait bien plus grave, conduira l'opinion publique – et peut-être l'opinion parlementaire – à des jugements injustes et à des conclusions erronées.
Le ton des observations du Ministère ne contribuera guère à modifier les jugements et les conclusions. Pour y arriver, il faudrait en général reconnaître d'une façon plus nette certaines erreurs qui ont trait au passé, mais montrer que depuis plusieurs années les mesures ont été prises pour qu'elles ne se renouvellent pas et qu'en fait elles ne se sont pas renouvelées."

Avec ses limites, et en dépit des menaces qui pèsent sur sa stabilité, il reste que la création du ministère de la Construction ouvre une ère nouvelle. Désormais, il existe un organisme en mesure de porter une politique du logement, et ce n'est sans doute pas étranger à la novation qui se développe à partir de 1948-1949. C'est à cet organisme – un organisme d'étude avant tout – qu'il revient notamment de dire la part dévolue à la gestion de l'ancien et la part du neuf dans le chemin à parcourir pour atteindre les objectifs. La nécessité d'un effort sur l'ancien est prise en compte dès que la paix est rétablie, comme l'atteste la création du Fond National d'Amélioration de l'Habitat (FNAH) par l'ordonnance du 26 octobre 1945. Mais l'amélioration de l'ancien ne livre pas de volumes nouveaux. Tout contraire, sa version développée comprenant la pose d'installations sanitaires a généralement pour effet d'abaisser d'une unité le nombre de pièces habitables disponibles dans un logement.

Or, on est confronté à un manque reconnu de logements et, plus globalement, de pièces habitables. Aussi l'attention se centre-t-elle sur la construction neuve, passage obligé pour qui a l'ambition de résorber la crise. Dans ce domaine, il y a beau temps que les observateurs, rejoints par les gestionnaires de la construction sociale, ont souligné combien les hausses des coûts opérationnels qu'on a enregistrées ont pu être paralysantes Face à cette antienne dont les fondements ne sont guère contestables, il appartiendra donc au ministère de la Construction de dire le juste prix, c'est-à-dire de sélectionner, en relation avec la norme, les techniques de production les plus adéquates et de déterminer les niveaux de coût réalistes. De cela dépend à l'évidence le chiffrage de l'effort à entreprendre, et il n'est donc pas étonnant de constater que la procédure des chantiers d'expérience, initiée de fait avec les ISAI de la Reconstruction, continue de se développer, notamment à travers la cité d'expériences de Noisy-le-Sec à partir de 1947, bien avant que l'on passe à une politique dynamique et généralisée de la construction. Tel est l'ensemble de préoccupations qui constituera un noyau dur de l'activité de la Direction de la construction.

Mais les coûts opérationnels ne se limitent pas à ceux de la construction proprement dite. Deux autres constituants correspondent au foncier avant aménagement et aux équipements urbains, à commencer par les commodités qui assurent l'accessibilité et l'hygiène, ces voiries et réseaux divers qui ont causé tant de soucis dans un passé récent. La maîtrise générale des prix inclut par nature un souci permanent des effets de la spéculation foncière, qu'on va prétendre contrôler, ainsi que la prise en compte des aspects techniques de l'aménagement. Complété par la détermination des régions ou sites prioritaires de la construction, en connaissance de la répartition géographique des « besoins » dans l'Hexagone, cet ensemble de questions fera l'objet de l'activité de la Direction de l'aménagement du territoire (DAT). Cela se traduira notamment par la mise au point du Plan d'aménagement national en 1950 et, simultanément, la mise en place du Fonds national d'aménagement du territoire (FNAT), qui en constitue l'instrument et interviendra jusque dans les années 1960, le Fonds national d’aménagement foncier et d’urbanisme (FNAFU) prenant alors la suite.

Travaux publics d'aménagement, interventions du bâtiment en réhabilitation ou en neuf : dans tous les cas de figure, la politique du logement promet de mobiliser beaucoup de maind'œuvre. Cet aspect – l'input "travail" – ne peut manquer de retenir l'attention d'appareils engagés dans un processus de planification économique. Étant entendu qu'une masse de postes sera en tout état de cause à pourvoir, la question de la maind'œuvre peut revêtir deux figures principales, selon que l'on se trouve dans une situation de pénurie de travail ou de travailleurs. S'il y a pénurie de travail, un aspect essentiel d'une politique active du logement revient à fournir de l'emploi. S'il y a pénurie de travailleurs, la question de la maind'œuvre se présente comme une contrainte majeure, orientant vers des procédés réputés économes en temps de travail et/ou vers l'immigration avec, dans un cas comme dans l'autre, des problèmes spécifiques de formation. Le marché du travail des années 1950 et 1960 est extraordinairement tendu : de 1954 à 1966 le taux de chômage ne dépasse pas 2% et voisine à plusieurs reprises 1%, des taux qui sont considérés comme inférieurs au "chômage frictionnel". Cette figure de la maind'œuvre rare s'estompe progressivement dans le temps. Elle reste néanmoins dominante dans toute la période de croissance de la production du logement, jusqu'en 1972, et elle en éclaire le cheminement. C’est seulement à la fin des années 1970 que, dans une problématique inverse, on en viendra à discuter les mérites respectifs de la réhabilitation et de la construction neuve en termes de création ou de maintien d'emplois, avec un intérêt tout particulier pour l'appel à la main d'œuvre nationale qui caractérise le travail qualifié et la réhabilitation.

Le système de référence étant arrêté, et en l'occurrence orienté vers le marché et la propriété  – propriété locative et "petite propriété" d'accession –, les normes étant déterminées et les manques ou « besoins » identifiés, les techniques étant explorées – avec éventuellement, le parti de poursuivre la recherche et la mise au point pour ces dernières –, il ne reste plus à traiter qu'une ultime question pour construire un programme d'action : le financement.

Pour l'heure, on ne peut guère compter sur l'effort propre des ménages. Hors reconstruction et secteur HBM, la production de logement dépasse tout juste 30 000 unités en 1949 et 1950. Certes, cela représente 60% de la production totale en 1949, et 45% en 1950. Mais les chiffres absolus restent faibles et il ne faut pas espérer d’engouement particulier à l'égard de l'accession à la propriété car, pour une masse de locataires habitués à consacrer au logement 1% à 3% de leurs revenus, le passage à l'accession supposerait une révolution dans les budgets familiaux, à moins, peut-être, qu’un système de prêts singulièrement aidés ne permette de leur proposer des crédits de longue durée et quasi-gratuits. La destruction de la structure et du tissu social de la « Belle Époque » aboutit ainsi au même résultat que les destructions directes de la guerre : dans un système centralisé où des sociétés locales de crédit mutuel à l'anglaise n'ont jamais trouvé place, les seules sources de financement susceptibles d'être mobilisées à des taux suffisamment bas et pour des durées suffisamment longues se trouvent du côté du Trésor public. Malgré les récriminations – on discute le fait de réserver au bénéfice de certains le produit des impôts de tous – c'est ce à quoi l'État s'emploie en promettant pour les HBM des prêts du Trésor à 65 ans et à 2%, avec des engagements tout d'abord modestes : 2500 logements achevés en 1949, 8500 en 1950. Avec une durée ramenée à 45 ans, les conditions des prêts se feront toutefois sensiblement plus dures quand la production prendra de l'ampleur, mais, entre-temps, on aura engagé en 1950 une procédure d'une toute autre échelle avec le système des primes de l’État et des prêts spéciaux du Crédit Foncier de France. Ce dispositif qui offre, sur une durée de 20 à 25 ans des taux d'intérêt nets guère plus élevés stimulera largement l'accession à la propriété tout en étant ouvert à la construction locative, et son bénéfice sera étendu aux organismes d'HLM via les LOGECO qu'on mettra en place en 1953. Couvrant une large gamme de logements, et faisant une place non négligeable à la maison individuelle, cette procédure sera la source principale de l'expansion du logement durant les années 1950 et 1960.

Si les contraintes de l'Empire, du réarmement, etc. réduisent à presque rien les moyens propres de l'État, si d'autre part les apports des accédants et des investisseurs restent insuffisants, est-ce à dire que le Crédit Foncier, cette institution devenue fort discrète depuis l'aventure de la construction haussmannienne, aurait soudainement mis la main sur un trésor, ou que ses emprunts obligataires auraient trouvé un écho massif sur un marché financier asséché par les emprunts de l'État ? En fait, le Crédit Foncier en sera réduit, comme le Trésor, à recourir à des avances de la Banque de France. Le crédit à long terme tout d'abord si généreusement accordé à la construction reposera sur de la pure création monétaire, et cela finira par se savoir quand une mission du F.M.I. viendra effectuer en 1956-1957 une investigation dans les comptes d'un gouvernement qui aura eu la légèreté d'appeler l'institution internationale à son secours. Mettant à part le fait qu'il est toujours désagréable de recevoir une leçon d'experts étrangers, on ne peut qu'être saisi par le caractère cavalier du jeu financier sur lequel s'appuie la relance de la construction de logements. On comprend qu'on est une fois de plus dans le champ des mesures exceptionnelles et temporaires et que le cadeau ne durera pas, car il est clair que des politiques avisés ne s'adonnent à de telles audaces qu'en attendant – et autant que possible pour préparer – le retour à des pratiques « normales », qui supposeront un accroissement consistant des taux d'effort des ménages.

On peut conserver un souvenir émerveillé du considérable flux d’argent qui est venu alimenter l’expansion de la construction dans un État en guerre. Mais, si l’on doit constater que cette manne était dénuée de contrepartie financière, il ne faudrait pas imaginer qu’elle ait été sans contraintes. D’une part, en tant que procédure dont les dangers n’étaient que trop visibles sous l’angle de la gestion de la monnaie, elle est restée étroitement sous contrôle, avec pour conséquence l’exigence d’un coût au logement si faible qu’il s’est avéré incompatible avec une production de qualité, comme on le montrera dans la troisième partie. D’autre part, en tant qu’elle résultait d’une audace momentanée, d’une sorte d’écart de conduite, elle appelait un assainissement sous la forme d’une hausse consistante des taux d’effort des ménages. À cet égard, le point nodal résidait dans la revalorisation des loyers, et c’est ce processus qu’il convient d’étudier avant toute considération sur le résultat bâti, car il conditionne l’ensemble de l’édifice de la politique du logement.
LES LOYERS ET L’HABITAT EXISTANT



21. L'évolution des loyers telle qu'on l'observe.


Saisir l'évolution des loyers constitue une tâche délicate. Les prix ne s’affichent qu’à la marge, à l'occasion de transactions ponctuelles. Étant d'ordre privé, les contrats peuvent s'écarter sensiblement des clauses légales lorsqu'il y en a, et être « complétés » par des dispositions verbales. Leur signification peut de surcroît différer sensiblement selon que l'habitation comporte des dépendances on non, selon le mode de répartition des charges d'exploitation, etc. Il n'est donc pas aisé de constater les prix et encore moins de les interpréter.

La gêne est accentuée par les flottements qui affectent le champ d'investigation, c'est-à-dire les effectifs mêmes des locataires. Au plus fort de la pénurie et des cohabitations forcées, combien de ceux qui étaient "logés gratuitement" par leur parentèle ou par des amis charitables ont en fait été des sous-locataires "normaux" – et donc "payants" – pour reprendre des termes employés à l'époque par l’INSEE ? Plus technique, mais également susceptible de se prêter à des batailles chiffrées, est la différence qui apparaît régulièrement entre les données des recensements et celles des enquêtes logement. Entre ces deux sources qui émanent de l’INSEE et qui constituent certainement les indications les plus sûres – elles sont en tout cas garanties par un désintéressement et une technicité certains – il apparaît souvent des décalages non négligeables. Quand le recensement de 1962 donne 6,1 millions de logements loués vides, l’enquête logement de 1963 n’en retient que 5,85, et quand le recensement de 1968 indique 6,6 millions de locations vides, l’enquête logement de 1967 n’en compte que 6,05. Ces décalages perdent tout caractère choquant – ils deviennent même nécessaires – si on veut bien se souvenir que le champ des enquêtes logement exclut les résidences agricoles et que d’autre part, aucune enquête par sondage ne peut délivrer des effectifs globaux : dans le cas des enquêtes logement, ceux-ci sont donc reconstitués à partir des observations des recensements. Les corrections résultant de la prise en compte des premiers résultats du recensement de 1968 ne sont sans doute pas étrangères à la croissance accélérée du parc locatif que dénote l’enquête logement de 1970, avec un effectif de 6,58 millions de résidences principales louées vides. Une part d’une évolution qu’on pourrait juger significative (+ 8,7% en 3 ans, contre + 3,4% en 4 ans) correspondrait ainsi simplement à... un redressement statistique.

Ces remarques initiales rappellent une fois de plus qu'une estimation chiffrée est tributaire de son mode de fabrication, et que celui-ci conditionne l'interprétation qu'on peut en faire. Dans un monde où l'information statistique est devenue foisonnante, il existe toujours « d’autres chiffres » qui se prêtent d’autant mieux à de vaines polémiques que leur facture est incertaine. Même lorsque la source est clairement identifiée, on devrait se garder de commentaires trop fins : à fouiller excessivement, on s’exposerait au risque de faire de la statistique sans le savoir, c’est-à-dire à commenter les effets des aléas de fabrication des « données » plutôt que l’objet dont celles-ci sont censées rendre compte. Une anecdote montre d’ailleurs combien les résultats publiés - même par l’INSEE - sont susceptibles ponctuellement de révisions drastiques. A propos de l’enquête logement de 1963, le numéro d’Études et conjoncture de septembre 1968 rappelle que la première publication faite en novembre 1966 portait sur des résultats partiels. Reprenant une exploitation globale, les auteurs de 1968 opèrent nombre de redressements qui visent naturellement des effectifs en cause, mais aussi certains prix. C’est ainsi que les loyers « amiables » des logements d’avant 1948 passent de 657 francs à 809 francs par an, une hausse qu’aucun analyste sérieux - pour ne rien dire des polémistes - ne saurait laisser passer sans un commentaire dûment appuyé.

On comprend dès lors la très grande prudence dont l’INSEE fait preuve lorsqu’il réexploite son fond d’études antérieures pour nourrir son Annuaire Rétrospectif 1948-1968. Les indications d’un ordre déterminé sont données à partir d’une seule source : les éléments physiques concernant le parc sont extraits des recensements alors que ce qui concerne les conditions d’occupation est tiré exclusivement des enquêtes logement. Encore l’Institut fait-il preuve de beaucoup de réserve à l’égard de ces dernières : les effectifs selon le statut d’occupation ne sont repris qu’à partir de l’enquête de 1963, et il faut aller jusqu’à l’enquête de 1970 pour voir republiées des données monétaires. Dans les tableaux qu'on a constitués pour le présent paragraphe, on s’en est tenu à la ligne de l’INSEE, en utilisant exclusivement les enquêtes logement. Compte tenu de l’objet de la recherche, on a néanmoins pris le double risque de donner des tableaux concernant les effectifs de logements locatifs et de reproduire des indications de loyer livrées par les enquêtes antérieures à 1970. Mais, en passant au commentaire, on ne perdra pas de vue les réserves qui peuvent être émises quant à la valeur significative de ces éléments : les différenciations de faible ampleur seront assimilées à des identités.

Une dernière source de confusion tient à l’expression « logement soumis à la loi de 1948 ». D’une certaine manière, tous les logements locatifs anciens sont « soumis à la loi de 1948 », puisque celle-ci prescrit les conditions dans lesquelles peuvent être établis le bail et le loyer dans les différents cas. Il importe toutefois de distinguer entre les logements dont les conditions de location ont été « libérées », immédiatement ou progressivement, et ceux qui restent soumis aux loyers « taxés », au maintien dans les lieux, etc. Seul ce second ensemble, incluant les loyers calculés à la surface corrigée et les loyers « forfaitaires », a été retenu ici pour constituer les effectifs de logements « soumis à la loi de 1948 ».

C’est en jouant de l’équivoque sur la notion de « logements soumis à la loi de 1948 » qu’Houdeville livre en passant une série d’estimations qui illustrent admirablement l’idée d’un dévoiement ou d’un abandon des principes de la loi de 1948. Selon cet auteur en effet, les logements soumis à la loi de 1948 étaient au nombre de 5 millions en 1948, de 3,6 millions en 1962 et de 1,6 million vers 1969. De ces trois estimations, seule la dernière se recoupe avec les résultats des enquêtes logement de l’INSEE. La seconde paraît notablement surestimée. Quant à la première, elle correspond à une estimation courante de la totalité du parc locatif à la veille de l’application de la loi qui va libérer immédiatement les loyers du monde rural et des petites villes, et donne une évaluation cohérente avec ce qu’on sait de l’évolution ultérieure du parc locatif considéré dans son ensemble. Dans ces conditions, si le sens de l’évolution que vise Houdeville est bien réel, la démonstration est tout à fait forcée. Bien qu’on ne dispose pas de sources statistiques probantes, il y a lieu de penser qu’au 1er janvier 1949, l’effectif de logements à loyers contrôlés ne se situait qu’entre 3 et 3,5 millions, dont environ 10% d’HBM.
Effectifs de logements locatifs
(logements loués vides, en millions)


Total des logements loués vides (1)Logements antérieurs à 1948Logements postérieurs à 1948Sous TotalDont, selon régime des loyersHLM (2)Loi de 1948 (3)AmiablesSous TotalHLM (2)Autres19485.0 (4)19555.47(5)0.1619635.854.550.182.372.001.300.740.56 (6)19676.054.140.171.902.071.910.990.9219706.584.000.16 (7)1.402.442.581.40 (7)1.18Sources : INSEE, enquêtes logement de 1955, 1963, 1967 et 1970.

Notes :
Pour obtenir le total des locations, il faudrait ajouter les meublés et les sous-locations, dont l'ensemble est estimé à 430 000 en 1955, 350 000 en 1963, 400 000 en 1967 et 600 000 en 1970.
Définition retenue : "logement dont le propriétaire est un organisme HLM" ("Le niveau des loyers en 1967 et leur évolution depuis 1963", Études et conjoncture, n°9, septembre 1968, p. 120).
Ensemble des locations assujetties au système de la surface corrigée, dit "loyer scientifique", et au système forfaitaire.
Estimation qui figure à l'avant-dernier paragraphe de l'exposé des motifs du décret du 22 novembre 1948 (JO du 23 nov. 1948, p. 11368), et qui est couramment retenue, notamment par Houdeville (qui n'indique pas sa source).
Danièle Voldman indique qu'en 1955 "la moitié du parc locatif était sous le régime de la loi de 1948" (surface corrigée ou loyer forfaitaire) ; cela donnerait sensiblement 2,7 millions de logements, une estimation qui paraît plausible bien qu'aucune source ne soit citée (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 339).
Ces "autres" logements se décomposeraient en 2/3 de loyers "libres" et 1/3 de loyers "à la surface corrigée", ces derniers correspondant sans doute à des LOGECO (AN, versement 8450230, art. C 6524)
La répartition entre HLM antérieurs et postérieurs à 1948 a été estimée à partir d'un total "tous HLM" égal à 1,56 millions de logements.















Montants moyens annuels moyens des loyers (1) selon le régime de location
(France entière, en francs courants)

Logements antérieurs à septembre 1948Logements postérieurs à sept. 1948Surface corrigée (2)Libre ou "amiable"HBM
HLMHBM
HLMAutres1948418053003912195218 40019 08017 600195529 60029 000
(50 000) (3)
(69 200) (4)196158046057010802140196385280977312402239196711771266111718633370197017301860165024704190Sources : INSEE, enquêtes logement de 1955, 1961, 1963, 1967 et 1970.

Notes :
(1) Loyer "total", dépendances comprises, mais hors charges.
(2) Afin de ne pas alourdir le tableau, on n’a pas reproduit les données relatives au système forfaitaire, qui est beaucoup moins fréquent , et dont les loyers restent voisins de ceux qui sont fixés à la surface corrigée.
(3) Tous HBM et HLM, quelque soit leur date de construction.
(4) Ensemble des logements postérieurs à 1948, y compris les HBM et HLM.



Indices des loyers et indices de référence
(Base 100: 1961)

Logements antérieurs à septembre 1948Logements postérieurs à septembre 1948Indices de référenceSurface corrigée"Amiable"HBM
HLMHBM
HLMAutresCoût de la construction (1)Prix de détail (2)19487.211.56.934.849.1195231.741.530.972.573.3195551.052.2_71.373.119611001001001001001001001963146.8175.9135.6114.8104.6115.3109.91967202.9275.2196.0172.5157.4135.6122.91970298.3404.3289.5228.7195.8154.0143.8
Indice INSEE.
INSEE, série parisienne jusqu'en 1961, nationale ensuite.



Indice général des loyers
(INSEE, base 100 en 1961)

19488.6195240.0195548.219611001963138.61967170.91970221.3









SOURCES POUR L'ENSEMBLE DES TABLEAUX : INSEE

Bulletin mensuel de la Statistique, supplément juillet/septembre 1953,
"Une enquête par sondage sur les loyers des locaux d'habitation".

Économie et Statistique, n°2, avril/juin 1957,.
"Une enquête par sondage sur le logement" (Enquête logement 1955).

Études et conjoncture, n°10, octobre 1962,
"Une étude sur les loyers en 1961" (Enquête logement 1961).

Études et conjoncture, n°9, septembre 1968,
"Le niveau des loyers en 1967 et leur évolution depuis 1963" (Enquêtes logement 1963 et 1967).

Collections de l'INSEE, n°110 (Série M, n°28), novembre 1973,
"Les conditions de logements des ménages 1970" (Enquête logement 1970).

Économie et Statistique, n°65, mars 1975,
"Les loyers en novembre 1973" (Enquête logement 1973).

Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988,
INSEE, Paris, 1990, 658 pages.

En retenant l’estimation de 5 millions pour le parc locatif global de 1948 et en se fondant sur les travaux de l’INSEE pour les années 1960, on observe qu’en deux décennies, le parc locatif s’accroît d’environ 1,6 million d’unités – soit un petit tiers – à raison de 700 000 à 800 000 unités avant 1960 et de 800 000 à 900 000 après. De 1963 à 1970, l’effectif de logements à loyers contrôlés baisse de 3,3 millions à un peu moins de 3 millions : la mise en service des HLM nouveaux, dont le prix est de toute manière bien supérieur, ne compense pas l’effacement progressif des logements « de la loi de 1948 ». Cette perception « anti-sociale » de l’évolution en cours doit toutefois être nuancée, d’une part parce qu’une partie non négligeable des « autres logements » postérieurs à 1948 correspond à des LOGECO (assimilables aux HLM), d’autre part parce que la somme des logements susceptibles de rendre un service « social » (HLM + ancien) augmente légèrement, de 5,3 à 5,4 millions et continue de très loin à représenter l’essentiel du parc locatif (plus de 80% en 1970). Par suite, les problèmes que peuvent éprouver les locataires ne viennent pas tant de l’érosion du parc susceptible d’avoir une vocation sociale que du remplacement, en son sein, de logements anciens par des logements récents aux loyers sensiblement plus élevés.

L’examen des indices qu’on a reconstitués à partir du tableau des loyers montre une évolution qui est presque toujours supérieure à la hausse du prix de la construction ou des prix à la consommation, la seule exception concernant les constructions récentes dans la période 19611963. Pour le secteur ancien, les loyers sont multipliés par 40 en 22 ans. Le coefficient est approximativement uniforme dans les différents régimes. Les variations d’un régime à l’autre sont certainement inférieures aux incertitudes de mesure et n’appellent donc pas de commentaire. En revanche, il faut souligner que ce coefficient multiplicateur de 40 est neuf fois supérieur à celui du coût de la construction et quatorze fois supérieur à celui du coût de la vie.

Ces résultats tiennent toutefois compte des changements de catégorie au sein du parc ancien, des améliorations d’équipement, etc. Les hausses sont évidemment atténuées quand on considère un logement de catégorie déterminée, hors toute modification de surface corrigée. Pour la catégorie III A, qui est la plus fréquente, le loyer est multiplié par 15,6 en 22 ans : c’est évidemment moins que le facteur 40 du glissement général effectif, mais cela reste 3,5 fois supérieur au glissement du coût de la construction et 5,3 fois supérieur à celui du coût de la vie. Les observations ne seraient pas sensiblement différentes pour la catégorie II A. On discerne deux changements à partir de 1963. D’une part les hausses se font plus modérées. D’autre part, elles se font désormais nettement plus rudes pour les logements confortables, alors que précédemment les augmentations les plus fortes affectaient le logement populaire. Le sort dévolu à la catégorie IV – taudis « précaires » et dénués d’équipement – traduit la volonté de l’éradiquer. Elle ne disparaîtra pas pour autant du terrain. Comme on le verra plus loin, elle sera recyclée à l’occasion d’un « reclassement ».










Variation légale maximale du prix du m2 de surface corrigée
(Coefficients multiplicateurs en francs courants)

CatégorieValeur au 01/01/1949Coefficients multiplicateurs01-07-1963
/01-01-194901-07-1970
/01-07-196301-07-1980
/01-07-1970II A0.30 F pour chacun des 10 premiers m2
0.18 F pour les m2 suivants 8.22.113.12III A0.194 F pour chacun des 10 premiers m2
0.11 F pour les m2 suivants10.01.562.17IV0.15 F pour chacun des 10 premiers m2
0.07 F pour les m2 suivants11.311
Source : journaux officiels.



Pour le secteur postérieur à 1948, on ne dispose de données qu’à partir de 1961. Sur l’ensemble de la décennie 1960, les hausses sont, là encore, nettement supérieures à celle de la construction ou du coût de la vie, mais plus modérées que dans le secteur ancien. Compte tenu d’éventuelles incertitudes affectant les mesures de l’année qui est retenue pour la base 100, les performances respectives des HLM et des « autres logements » restent relativement voisines en suggérant toutefois un rythme de progression un peu plus soutenu dans le secteur social.

Après la déréliction de 1914-1948, on entre donc dans une longue période de rattrapage dont la phase la plus virulente se déroule en 1948/1952, puis au fil des années 1950. Une étude effectuée par la Délégation générale à l’équipement national (DGEN) en mars 1944 permet de situer les loyers urbains moyens autour de 2 000 à 2 500 francs par an selon les catégories d’agglomération. Les loyers observés en 1948 correspondent donc sensiblement à une multiplication par 2, ce qui traduit la persistance de la dévalorisation puisque, dans le même temps, le facteur multiplicateur du coût de la vie est de 5,4. Parallèlement, le poids des loyers dans le budgets des ménages tombe de 3,4% (logements antérieurs à 1914) ou de 3,8 % (logements de 1914-1939) à 1,4% (ensemble des logements). La période 1948-1952 est presque exactement symétrique : la hausse des loyers est 2,7 fois plus rapide que celle du coût de la vie, et le poids des loyers dans le budget des ménages remonte à 3% en 1950, 3,4% en 1953. Au-delà de ce premier et très vigoureux redressement, un document provenant sans doute du ministère des Finances montre que les rapports respectifs des indices de loyers aux indices de la construction et du coût de la vie sont redevenus identiques en 1959 à ce qu’ils étaient en 1939, tant pour les loyers d’habitation que pour les loyers commerciaux. Le rattrapage des années 1950 a ainsi effacé l’évolution enregistrée durant la Seconde Guerre, non celle qui résulte de la Première. En fait, au seuil des années 1960, on peut dire que l’équilibrage général des valeurs est revenu à la situation de 1939.

En passant, la connaissance des indices catégoriels permet de situer le sens qu’il faut donner à l’indice général des loyers publié par l’INSEE. De 1948 à 1961 l’indice général épouse approximativement l’évolution qui prévaut dans le parc ancien, ce qui peut se comprendre compte tenu du poids de celui-ci dans la masse des loyers. La situation de 1963 est peu lisible. Enfin, en 1967-70, l’indice général paraît suivre l’évolution des HLM postérieurs à 1948.

Les statistiques publiées par l’ONU rendent compte de cette première réévaluation des loyers. La démultiplication de la part du budget des ménages affectée au loyer a rapproché la France de la moyenne européenne, en la maintenant toutefois en queue du peloton, où elle voisine avec l’Autriche. Cette situation, et plus encore la comparaison avec les USA, alimente l’argumentaire tendant à justifier la poursuite du mouvement : ce n’est pas par hasard qu’on trouve la matière de la dernière colonne du tableau qui suit dans les documents de la « table ronde » sur les loyers tenus en 1965-66, à l’initiative du ministère de la Construction.


Part du budget des ménages consacrés au loyer dans différents pays
(en pourcentage du budget)


19471953Vers 1960Allemagne (R.F.A)9.2% (1)9.8%7.6%Belgique5.6%7.8%12.0%France1.3%3.4%5.5%Grande Bretagne7.6%7.4%9.1%Italie0.5%1.8%(Pays-Bas6.7%5.6%(USA((13.0%
(1) Année 1950.

Sources : ONU
- années 1947 et 1953 : Le Financement du logement en Europe, ONU,
Commission Économique pour l'Europe, Genève, 1958,
- année 1960 : Annuaire statistique, ONU, 1962.


Suivant la courbe des prix, la remontée des coefficients budgétaires affectés au loyer se prolonge dans les années 1960. Avec un peu de retard, l’INSEE en tient compte en réévaluant le poste « loyer + eau » dans le « panier de la ménagère » constitutif de l’indice des « 213 », « 250 », puis « 259 articles » :


INSEE : Poids du poste "loyer + eau" dans l'indice des prix de détail

1949-561956-611962-6919702.1%3.1%3.3%4.9%

De tels coefficients ne doivent pas être compris comme des taux d’effort. D’une part ils sont relatifs à la consommation des ménages, non à leurs revenus. D’autre part, et surtout, ils constituent des moyennes pour une population qui comporte moins d’une moitié de locataires. Seule leur tendance revêt une signification, encore que celle-ci soit obérée par la baisse régulière de la proportion de locataires : les logements loués vides déclinent assez régulièrement, de 49% des résidences principales en 1955 à 40% en 1970, ce qui a pour conséquence mécanique de minorer l’évolution du coefficient. Ces réserves étant faites, la multiplication par 1,5 qui affecte la décennie 1950 n’est pas sans vraisemblance, une fois passé le choc de 1948-50. Quant à la multiplication par 1,6 qui caractérise la décennie 1960, elle recoupe assez bien l’évolution qui, d’une proportion de la dépense dévolue aux loyers égale à 5,5% vers 1960, conduit un taux d’effort net des locataires estimé à 9,7% lors de l’enquête logement de 1970. Les revalorisations des loyers continueront jusque dans les années 80, mais avec un taux d’effort multiplié par un facteur de l’ordre de 7 à 8, le plus gros du phénomène aura été encaissé entre 1947 et 1970. En frôlant le taux de 10% on revient à la situation de 1917, si l’on en croit l’étude déjà citée du ministère des Finances concernant les dépenses du logement et revenus immobiliers de 1914 à 1954, et on reprend place dans le peloton européen selon les statistiques onusiennes. L’exception française rentre dans le rang...

L’enquête logement de 1970 apporte nombre de précisions qui retiennent l’attention. Le taux d’effort net moyen de 9,7% recouvre deux ensembles bien distincts. Le premier groupe se caractérise par un taux d’effort net de 13% : il correspond aux habitations récentes détenues par des particuliers ou des organismes autres qu’HLM. Le second associe les HLM récentes et les diverses catégories du logement ancien, avec des taux qui vont de 7,6% à 9,5%. La structuration des taux d’effort constitue à l’évidence un support pour fonder l’idée d’un vaste parc social où se mêlent les HLM et le parc ancien. Contrairement à une affirmation récurrente, l’effort consenti par les locataires des immeubles récents gérés par des organismes d’HLM ne s’éloigne pas - ou ne s’éloigne plus autour de 1970 – de celui qui caractérise, en moyenne, les divers secteurs du parc ancien.




Logements loués vides en 1970
Charges de loyer et taux d'effort

Catégorie de logementLoyer annuel brut (en F.)Loyer annuel net (en F.)Taux d'effort brut (%)Taux d'effort net (%)Revenus annuels moyens des locataires (en F.)Logements achevés avant 1949 Organismes HLM165015508.47.919 640Surface corrigée173016908.38.120 840Système forfaitaire164015408.17.620 250Loyer "amiable" ou libre1860175010.19.518 420Logements achevés en 1949 ou aprèsOrganismes HLM2470198010.58.423 520Autres logements4190372014.613.028 700Ensemble des locataires d'un logement loué vide2380213010.89.722 040Source : "Les Conditions de logement des ménages en 1970", Les Collections de l'INSEE, n°110.
Définitions :
Loyer brut, loyer hors charges locatives.
Loyer net, loyer effectivement après déduction de l'allocation de logement.
Taux d'effort, rapport du loyer au revenu du locataire ; seul le taux d'effort net qualifie l'effort réel des ménages; le taux d'effort brut est fictif et n'est donné que pour faire apparaître l'effet de l'allocation de logement.


La différence entre le taux d’effort brut et le taux d’effort net suggère que le domaine d’efficacité de l’allocation de logement concerne par excellence les logements construits après 1948, particulièrement les immeubles gérés par les organismes d’HLM. L’allocation de logement paraît en effet accroître de 25% la solvabilité des locataires vis-à-vis des logements postérieurs à 1948 gérés par les organismes HLM, et de quelque 12% pour les autres logements récents, alors que ce supplément d’âme est cantonné entre 2,5 et 6,3% dans le parc ancien. Bien qu’il s’agisse de différences à la marge et donc plus sensibles aux aléas d’estimation, cette remarque mérite d’être retenue, d’une part parce que les contrastes sont assez accusés, et d’autre part parce que cela se recoupe avec les observations qu’on fera plus loin en étudiant la distribution de l’allocation de logement.

A considérer les taux d’effort bruts – qui sont, il faut le rappeler, fictifs – le logement locatif de 1970 se scinderait en trois blocs :
les logements récents hors HLM,
les logements récents des organismes HLM et les logements anciens à loyers libres.
le reste du parc ancien.

Toutefois, si on observe les loyers nets et les revenus – qui sont des choses plus « réelles » en dépit d’incertitudes de saisie ( le paysage se reconstruit différemment. On reste dans une tripartition, mais les blocs correspondent maintenant à :

les locations dans des immeubles récents en dehors du secteur HLM, qui concernent les revenus les plus aisés ;
les locations dans des immeubles récents du secteur HLM, qui concernent des revenus un peu au-dessus de la moyenne, un état de fait qui ne peut qu’alimenter la double protestation de Butler et Noisette, d’une part contre la sélection des locataires par les organismes d’HLM, d’autre part contre les niveaux de loyer dans les ZUP, qui "ne sont pas moins élevés que dans certaines autres réalisations" ;
les locations dans l’ancien, qui sont dans leur ensemble le fait des revenus les plus modestes.

Cette seconde perception se recoupe assez bien avec le contenu d'une fiche statistique concernant l'année 1964 et qui était livrée à la méditation de la Table ronde sur les loyers tenue au ministère de la Construction en 1965-1966. "À titre purement indicatif", les données étant "probablement entachées de fortes erreurs", on y faisait apparaître que 43% des locataires du secteur ancien avaient des revenus inférieurs à 15 000 francs par an, contre 18% dans le "neuf" (tous types de logements, y compris les HLM). La compensation de cet écart se faisait essentiellement par une surreprésentation des revenus de 20 000 à 50 000 francs dans le neuf.

La structuration du « marché locatif » se lit donc différemment selon l’angle de vue qu’on adopte. Il n’y a pas à penser que telle lecture serait fausse et telle autre vraie. Elles ont chacune un domaine de pertinence, et la réalité dont on cherche à rendre compte participe de l’ensemble. Indépendamment de l’angle de lecture et en s’en tenant aux phénomènes suffisamment consistants pour échapper aux aléas statistiques, trois aspects notables se dégagent de l’état des loyers vers 1970.

En premier lieu, le parc ancien reste le domaine d’élection des plus modestes, notamment, peut-on supposer, d’une masse de petits retraités. Néanmoins, la dispersion des revenus moyens selon les systèmes de loyers est relativement limitée : les extrema correspondent à une fourchette qui va de 1 à 1,6. Cela suggère une présence significative de gens aisés ou relativement aisés dans les diverses fractions de l’ancien, cependant qu’une proportion non négligeable de ménages relativement modestes est installée dans le récent non HLM. Quant au niveau au-dessus de la moyenne générale qu’affichent les locataires des immeubles récents des organismes HLM, il doit s’interpréter avec prudence. Compte tenu du salaire net moyen des employés (14 195 francs) ou des ouvriers (13 143 francs) en 1970, un ménage à deux revenus se retrouve presque automatiquement « au-dessus de la moyenne ». Par conséquent, s'il est incontestable que les organismes d'HLM ne logent pas les plus pauvres, cela ne signifie pas qu’ils aient cessé de recruter dans les catégories « modestes » auxquelles leur production est destinée.

En second lieu, il subsiste un important écart entre les moyennes des logements anciens et celle des immeubles récents. Les moyennes par système de loyer ne donnent d’ailleurs qu’une idée biaisée des contrastes, puisque les divers régimes de l’ancien recouvrent à la fois des logements bourgeois et des logements populaires. Cependant, les écarts moyens entre l’ancien et le neuf tendent à se resserrer. Ils sont en 1961 de 1 à 2 entre l’ancien et le secteur récent des HLM, et de 1 à 4 entre l’ancien et les autres logements récents. En 1970, ils ne sont plus, respectivement, que de 1 à 1,4 et de 1 à 2,3. Ce rapprochement des moyennes implique le développement de zones de recouvrement propices à la transition vers le neuf, un mouvement auquel les ménages devraient être d’autant plus portés que, sans même évoquer les conditions d’équipement, les logements récents comportent en moyenne 3,3 pièces habitables, tant en HLM que dans les autres logements, alors que les logements anciens loués à la surface corrigée ne comprennent guère que 2,6 pièces.

Enfin, dans une perspective dynamique, la combinaison du secteur HLM et de l’allocation de logement a certainement joué un rôle essentiel en permettant à des ménages relativement modestes – ou « de la moyenne » – de progresser vers un habitat neuf équipé de sanitaires et un peu moins étriqué tout en conservant des taux d’effort net proches de ceux qu’assument les occupants du parc ancien.


22. Enjeux et acteurs : éléments de problématique.


L’affaissement des loyers réglementés a entraîné une situation qui fait problème au moins à un quadruple point de vue :

- Cela étouffe la dynamique de la construction neuve privée. Pendant longtemps cela a pu paraître une heureuse chose en autorisant d’orienter vers d’autres fins les moyens qui y auraient été consacrés, notamment les produits de l’épargne : telle est notamment l’équation des temps de guerre. Mais cela devient un inconvénient dès lors que l’on se préoccupe de donner plus de dignité à l’habitat, puisque c’est d’abord par la construction neuve qu’un parc se renouvelle, se développe et finalement s’améliore. Avec une initiative privée défaillante et une initiative patronale qui demeure faible et qui – de surcroît – ne touche guère les grandes villes, on est inéluctablement renvoyé à la mobilisation des disponibilités financières centralisées au profit d’un usage que les décideurs d’un pays impérial peuvent considérer comme médiocre.

- Cela étouffe l’entretien et l’amélioration de l’existant. De ce point de vue, ce qui est supportable sans grandes conséquences le temps d’une guerre conduit à un tout autre résultat au terme de 20, 30 ou 40 ans. La conjugaison d’un second œuvre qui se délite, de structures qui souffrent et d’un équipement désuet fait insensiblement passer une masse croissante du patrimoine de l’état de logements vétustes à celui de taudis. On rejoint alors un problème d’hygiène publique – la sécurité collective vis-à-vis des épidémies – avec l’idée que la solution qui s’impose est le remplacement par du neuf, ce qui ramène au problème précédent.

- Le marché du locatif éclate en deux sous-ensembles qui, obéissant à des logiques tout à fait différentes, tendent à devenir étanches entre eux. Il y a l’immense majorité que constituent les loyers de l’existant contraints par voie légale et il y a, ça et là, des constructions neuves en première location dont le prix continue d’être conditionné par les coûts et la rentabilité des capitaux. Il faut employer la circonlocution « construction neuve en première location », parce que dès que le temps a passé, ce produit se trouve intégré au champ de l’existant (avec toutefois un loyer de départ plus élevé que la fameuse « base 1914 »). Face aux loyers jugés trop chers de ce micromarché – qui se maintient d’ailleurs essentiellement pour une clientèle riche – la masse des locataires se cramponne à l’existant et plus précisément au logement qu’ils détiennent avec un bail qui, via la législation spéciale sur les loyers, leur garantit le maintien dans les lieux. Bénéficiaires d’une rente de situation, les locataires adoptent pour une part un comportement de propriétaires. On peut s’en réjouir quand on les voit prendre en charge des travaux, ce qui pallie quelque peu l’inconvénient souligné au point précédent. Mais leur immobilité accroît la « viscosité » du marché, contrariant l’ajustement général entre les volumes disponibles et les « besoins » des ménages, ainsi que, plus spécifiquement, les changements de logement liés à la mobilité de l’emploi ou l’établissement des jeunes ménages. Profitant aux plus âgés, qu'elle autorise à conserver sans peine excessive des logements « surdimensionnés », la "pétrification des loyers" constitue un frein aux dynamiques de l’emploi et de la démographie.

- Gêne aux dynamiques de l’emploi, mais gêne aussi à l’expansion des débouchés industriels. On s’aperçoit tardivement que des ménages maintenus dans des volumes étriqués et peu branchés sur les réseaux de fluides constituent, même s’ils sont solvables, une piètre clientèle pour les biens d’équipement domestiques : le seul genre d’investissement qui leur est véritablement ouvert concerne les engins motorisés que, pour un long moment encore, on pourra laisser gracieusement stationner sur la voie publique. Sous l’influence de l’exemple ou des conseils américains, un tournant des années 1950 consiste à reconnaître la fonction d’entraînement du logement en matière de demande d’équipement ménager.

La percée des idées liées à la société de consommation est toutefois lente à s’affirmer. Dans la version originale, "The affluent society" n’est pas un titre écrit en français. L’idéologie de la consommation est bridée par les experts, qui n’y voient qu’une vaine dépense, ou qui, tels Jean et Françoise Fourastié dans leur Histoire du confort prônent les petites pièces en donnant pour le comble du luxe les compartiments Pullman ou les cabines de paquebot. Il n’empêche : lorsque le ministre Pierre Sudreau est interrogé sur Europe n°1 le 14 novembre 1959, il doit répondre à deux questions ; la première porte sur le niveau des loyers qui serait souhaitable à son point de vue; la seconde émane "d’un auditeur de Paris" qui "présente son cas" : "Je peux m’acheter comptant une cuisinière, plus un réfrigérateur, plus la télévision, mais de toute façon c’est inutile car je n’aurai pas de place pour les mettre. J’habite deux pièces chez ma mère [...] je pourrai mettre 25 000 francs de loyer, mais je ne trouve pas de logement". Sommé de s'expliquer sur ce qui réfrène l'appétit d'équipement ménager, le ministre esquive en renvoyant à une saine morale : il faudrait d'abord penser à se loger, il faudrait épargner, etc. Et de vanter le tout nouveau système "d'épargne-crédit", qui occupe le plus gros de sa réponse. Il reste que l'anecdote montre qu'à la fin des années 1950 le problème était inscrit dans les consciences, au moins dans celles des animateurs de radio sélectionnant les "questions des auditeurs".


Les acteurs.

La problématique d’ensemble se construit généralement du point de vue de la recherche, de la connaissance de la situation et de ses dimensions socialisées, de « l’intérêt général » etc. bref d’un point de vue de Sirius qu’on est volontiers porté à associer, de façon indifférenciée, à celui de l’État. Il n’est pas nécessaire que cela corresponde aux œuvres ou à la parole de l’État. Il suffit que ce soit le point de vue que le locuteur voudrait voir adopter par ce régulateur suprême dont on attend qu’il mette un peu d’ordre dans un monde de conflits, un peu d’énergie dans la lutte contre un chancre, un peu d’espoir dans une tragédie. Constater, comme on a pu le faire dans la partie dévolue aux antériorités, que les choix de l’État ont longuement nourri le chancre ne sert pas d’antidote. Il suffit, là encore, de déclarer qu’il « faut » une autre politique : tel est le propre du mouvement de projection subjective qui conduit un locuteur à se saisir de l’intérêt général à partir des questions qui se posent dans tel ou tel aspect de la vie sociale.

Si nécessaire que soit ce mouvement dans une démocratie, si généreux qu’il puisse être dans ses intentions, il ne dispense pas d’un détour par les logiques d’acteurs dans lesquelles les dilemmes s’incarnent. A cet égard, on peut prendre comme point de départ une ambivalence qui forme le plan d’un passage de la thèse de Gondre : le loyer, "dépense du locataire" et "revenu du propriétaire".

Sous l’angle de la dépense, il n’y a pas à douter que les locataires, « petits », « aisés », ou franchement riches, aient d’abord accueilli avec satisfaction le renversement trentenaire qui accroissait leur sécurité et réduisait la pression du loyer sur leurs revenus. Rançon du développement monopoliste de la propriété bailleuse en milieu urbain, le poids électoral des locataires n’est pas étranger aux tergiversations de l’Assemblée Nationale entre les deux guerres. Cette situation se prolonge. Dans les débats qui concernent la loi du 1er septembre 1948 et son évolution, on voit le Parti Communiste et la SFIO intervenir de façon répétée comme relais privilégiés de la défense des « petits locataires ». Et ce n’est sans doute pas par hasard qu’une seconde série de pas en direction du « retour au droit commun » se fait à l’occasion d’un renouveau de régime autoritaire - le Gaullisme des années 1958-62 - dont la contrepartie est bien évidemment l’affaiblissement de la gauche parlementaire.

Sous l’angle du revenu du propriétaire, tout un monde qui vivait de la rente s’est trouvé déclassé. En ce sens, les plaidoyers récurrents d’Isaac, d’Olchanski, de Thourot, de Gondre etc. en faveur d’une revalorisation des loyers ont en partie pour fonction de militer pour un rétablissement des propriétaires dans leur statut d'avant 1914. Certes pas le rétablissement de M. Vautour, l’inexcusable, mais celui d’un hypothétique honnête propriétaire dont le service mérite rémunération. Un exemple tardif, mais achevé, est donné par Gondre, lorsqu'il met en avant le cas du petit rentier qui, ayant investi son épargne dans l’immobilier, en attend un juste retour dont il a, du reste, besoin pour vivre. Ces plaidoyers prendront effet trop tard et après trop d’incertitudes pour qu’on voie revenir une classe de grands propriétaires qui, en dehors d’elle-même, trouverait d’ailleurs fort peu de soutiens. En-dehors du monde des organismes d'HLM, les seuls grands propriétaires-investisseurs qui subsisteront sont les institutionnels, un surgeon du capital financier (notamment des sociétés d'assurances) qui, via des sociétés anonymes d'HLM, se moule à l'occasion dans l'horizon du logement social

Cette lecture qui conduit à opposer un « parti populaire » et un « parti des propriétaires » est tellement récurrente dans les thèses issues de la Faculté de droit qu’elle en devient « classique ». Elle constitue au fond la matrice de positionnement de la question héritée des années de crise. Elle a certes l’avantage de plonger ses racines dans un incontournable point de droit – les parties au contrat – mais elle a l’inconvénient de conduire mécaniquement à un jugement simpliste sur l’entreprise publique de logement, d’éliminer du champ de vision les parties indirectes au contrat que sont les employeurs et, enfin, d’éluder tout regard sur l’attitude que les diverses fractions de l’appareil de l’État peuvent adopter à l’égard de la situation du logement.

Partant de la nécessité de revaloriser les loyers, Isaac, Olchanski, Gondre en viennent presqu’inéluctablement à adopter le point de vue spontané des propriétaires face à l’entreprise publique du logement. La construction sociale met sur le marché des logements à loyers minorés parce qu’elle bénéficie de financements privilégiés. Sous leur plume, cela devient des loyers « artificiellement bas », source d’une concurrence illicite, etc. Ils n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser cet intervenant qui pèse manifestement dans le mauvais sens. Comme on l'a rappelé dans la partie dévolue aux antériorités, ils ne lui voient pas un grand avenir et, corrélativement, on voit Olchanski réclamer la banalisation des financements sociaux: leur ouverture à tous les propriétaires privés qui rempliraient la même fonction que les HBM, une idée qui, on le sait rétrospectivement, finira par percer, au moins dans le secteur de l’accession à la propriété.

La lecture qui veut que l’entreprise publique de logement soit un « palliatif » circonstanciel passe toutefois au second plan en 1945-1950. L’étendue des « besoins » reconnus et l’aplatissement de l’initiative du capital privé font de ce « palliatif » un intervenant incontournable, au moins pour un temps. Et surtout, point plus fondamental, le logement public est désormais confronté à des problèmes voisins de ceux de son concurrent privé. L’analyse selon laquelle l’entreprise publique tendait à faire baisser les loyers avait peut-être une réalité quand les taux d’effort moyens des ménages se tenaient encore autour de 10%, mais elle a perdu toute signification en 1947, quand celui-ci est tombé au-dessous de 1,5%. A la fin des années 1930 déjà, les offices d’HBM avaient pu connaître des difficultés à placer leurs logements en raison du niveau de prix auquel ils parvenaient. Houdeville rappelle que l’OPHBM de Paris souffrait en 1936 d’un taux de vacance de 17,3% (sur 29 440 logements). Quant à l’OPHBM du Département de la Seine, ses administrateurs se plaignent dès 1932 des "pertes de loyers [que l'Office subit] du fait de locaux vacants" cependant qu'au début de 1939 ils hésitent à relever leurs loyers au niveau qu'autoriserait la loi, alors même que les recettes ne couvrent plus guère que la moitié des frais courants et remboursements d'emprunts. Or, après 1945, l‘écart entre les HBM neuves et l’ensemble du parc existant se maintient à un niveau propre à décourager la demande du neuf. A la suite de la loi du 3 septembre 1947 qui institue pour l’année 1947 des financements pour la construction HBM fondés sur des prêts spéciaux de l’Etat à 2% et à 65 ans, les arrêtés d’application pris le 19 décembre 1947 fixent le maximum du loyer annuel des habitations "nouvellement construites" à 13 725 francs pour les appartements de quatre pièces (au moins de 73 m2, avec WC et salle d’eau), alors que ce même maximum est borné à 2 721 francs (hors région parisienne) ou à 3 384 francs (en région parisienne) pour les quatre pièces HBM datant d’avant 1939.

Même si on tient compte des différences de confort et de surface entre anciennes et nouvelles HBM ordinaires, même si on ajoute que le loyer du neuf reste somme toute modéré par rapport à un salaire ouvrier moyen qui s’élevait à 236 000 francs en 1950, le saut que représente une multiplication par quatre ou cinq apparaît tout à fait considérable. Le slogan du « bon marché » n’est plus tout à fait de saison, et la modification sémantique introduite par la loi du 21 juillet 1950, qui fait passer aux "habitations à loyer modéré" (HLM) est assurément pleine de sens. Si les organismes d’HBM veulent que leur offre nouvelle soit perçue comme attractive pour des clients qui comparent les prix, ils ne peuvent, eux aussi, que concevoir la « nécessité » d’un relèvement général et rapide des loyers de l’ancien.

Un autre problème que les loueurs HBM partagent avec les bailleurs privés tient sans doute au paiement effectif des loyers. Les aléas de la guerre – privations d'emploi, mouvements de population, réquisitions (, la sécurité conférée par le maintien dans les lieux et, paradoxalement, la modicité même des loyers font que la perception de ceux-ci est devenue incertaine. On a vu lors du débat du 29 novembre 1949, le ministre Claudius-Petit admonester un sénateur du Nord en lui rappelant vertement la nécessité de "faire payer les loyers aux locataires". Un an auparavant, alors qu'en tant que nouveau titulaire du MRU il recevait les "architectes d'encadrement" le 9 octobre 1948, Claudius-Petit était déjà intervenu vigoureusement sur le même thème : "il faut que les Français cessent de croire que le logement est un droit divin dont l'exercice est gratuit". On est porté à penser qu’il s’agit d’un réel problème de l’époque quand on lit dans la Revue Économique et Sociale de novembre 1945 : "L’idée dominante [du locataire français] est de payer le loyer le moins cher possible – et même de ne pas le payer du tout, s’il y parvient [...]". À cet égard, les tendances qu’on prête aux citoyens de base ne sont pas étrangères non plus aux grandes organisations. Un abus impressionnant est signalé par une intervention de la Cour des Comptes : les loyers d’immeubles de l’OPHBM de la Seine situés à Drancy et Dugny, réquisitionnés par l’Armée de l’Air, sont restés totalement impayés de janvier 1946 à décembre 1949, la "régularisation" – quelque peu dévaluée – n’intervenant qu’en avril 1950.

Une attitude critique bien ancrée consiste à dénoncer, comme Isaac en 1943, "l’injustice" des HBM qui mettent leurs locataires dans une situation privilégiée et les installent dans une facilité condamnable "[en les habituant] à ne payer pour se loger qu’une fraction de ce qu’exige la rentabilité normale d’un immeuble". Vingt ans plus tard, Gondre s’en prend encore à la "concurrence déloyale" des HLM et à "l’action déprimante qu’elles exercent  [sur] l’offre des logements neufs". La portée idéologique de cette approche est claire, et les « privilèges » des HLM en matière de financement paraissent lui conférer une base réelle. Mais, pour qu'elle repose sur un fondement sérieux, il ne suffit pas de montrer du doigt : il faudrait encore être en mesure de démontrer que la construction sociale aidée tend à faire baisser les taux d’effort. Or, les données dont on a fait état montrent que ce n’est manifestement pas le cas vis-à-vis de la masse des loyers dans la conjoncture de 1947, et cette situation se prolonge dans les années 1950 et 1960. Même si les préjugés idéologiques retardent la reconnaissance du fait, il faut bien reconnaître que la propriété bailleuse et les organismes d’HLM ont alors partie liée dans « l’assainissement des loyers », sous l’angle de la régularité de la perception comme sous celui du relèvement. C’est ce que note, en creux, Olchanski, dans son diagnostic de 1945 : "La dépréciation des loyers a découragé la construction privée, les organismes d’HLM ont échoué devant le même écueil". En écho, quinze ans plus tard le rapport Rueff-Armand dénonce "l’injustice" d’une situation où "6 Français sur 7  [logés dans l’ancien] paient à leur propriétaire un loyer sensiblement inférieur, à prestations égales, au loyer minimum demandé pour un HLM de construction neuve".

Dans la mesure où elle est, elle aussi, assujettie à des remboursements de prêts et, par suite, à des soucis d’équilibre budgétaire, un regard réaliste sur l’entreprise publique de logement vient donc troubler la simplicité native de l’opposition d’intérêts entre propriétaires et locataires. Sans doute peut-on revenir aux conditions originelles du jeu des idées en dénonçant ce propriétaire-là comme un autre – c’est-à-dire comme un adversaire des masses populaires – ou, du côté des bailleurs « privés », comme un propriétaire tricheur et « déloyal ». Il reste que, sans que ce soit nécessairement et à tout moment mesuré des divers côtés de façon consciente, ce propriétaire d’un genre nouveau se caractérise par une ambivalence qui le fait participer à la fois de l’esprit d’un service public dédié aux populations modestes et des soucis ordinaires des bailleurs privés.

L’intrusion massive du logement social suffirait à ébranler la validité d’une lecture étroite des rapports locatifs. Ce n’est toutefois pas la seule critique qu’on peut adresser à cette dernière. Il faut également souligner qu’en cantonnant l’attention aux relations locataire/propriétaire, elle a le lourd inconvénient d’éluder du champ de vision les parties indirectement intéressées au contrat – à la disponibilité des logements comme au niveau des loyers – c’est-à-dire, en premier lieu, les employeurs.

Les employeurs sont concernés à un triple niveau par les problèmes locatifs et plus généralement, par les conditions de logement, en location ou en accession : le niveau des loyers (ou plus globalement, des coûts d’occupation), la disponibilité des logements et la qualité des logements. La question du coût constitue assurément la préoccupation primaire, partagée par tous les employeurs. Elle retentit en effet, sur les arbitrages sociaux qui régissent la fixation des salaires, dans la mesure où le logement représente une dépense de première nécessité qui, dans la plupart des conjonctures, pèse d'un poids significatif dans le budget des ménages. Contrairement à ce que suggérerait l’évidence physique, la disponibilité du logement apparaît comme un problème second, qui ne se pose que dans la perspective de changements : mobilité de main-d’oeuvre, croissance, implantations nouvelles. Quant à la qualité du logement, elle doit véritablement être vue comme une troisième dimension de portée beaucoup plus lointaine que les deux premières, car, pour être réels, les effets des conditions de logement – plus généralement, des conditions de vie ou d’environnement – sur la productivité et la qualité du travail n’en sont pas moins indirects, et plutôt de moyen ou long terme.

Lorsque la perspective des employeurs est abordée, une interprétation récurrente de la problématique consiste à ramener la question à celle des employeurs privés, spécifiquement les industriels. Cela est lié, notamment chez Olchanski, à une séquence qui, des réalisations du logement patronal, remonte vers des causes qu'on associe aux implantations « industrielles » dans des sites vierges ou habités par de petits groupements ruraux. On doit cependant faire valoir que les appareils publics – en premier lieu, l’État – constituent le plus grand employeur du pays. La statistique globale de l’emploi public n’est pas la mieux connue car, selon un usage constant, l’institut public qu’est l’INSEE tourne plutôt son regard vers le reste du monde. Parmi les indications régulièrement publiées, l’effectif employé dans le tertiaire non-marchand constitue néanmoins une valeur enveloppe crédible, dans la mesure où il n’y a pas à imaginer que le plus gros corresponde aux emplois des associations charitables. Cet effectif croît régulièrement de 2,46 millions en 1955, soit 12,9% de l’emploi total et 18,4% de l’emploi salarié, jusqu’à atteindre 3,1 millions en 1970, soit 15% de l’emploi total et 18,7% des salariés.

Dans ces conditions, il n’est guère vraisemblable que les appareils publics soient restés indifférents aux rapports qu’entretiennent le salaire et les conditions de logements. Tout porte au contraire à penser que les collectivités territoriales ont pu adopter des pratiques proches du « logement patronal » dès lors qu’elles disposaient d’un patrimoine de logement en propre (Paris ...) ou via des offices d’HBM-HLM. Mais qu’en est-il de l’État, cet employeur qui, de plus, installe la mobilité au cœur de sa doctrine des carrières ? Restant là encore, dans l’ordre du logement patronal ou des églises, il a longuement pratiqué le logement de fonction (administrateurs des établissements d’enseignement, militaires d’active, cadres des services départementaux, etc.). Bien que les logements de fonction aient été dispensés, comme le logement patronal privé, avec une certaine parcimonie et même si on ne dispose d’aucun document éclairant sur cet aspect des choses, on peut supposer que cela a donné à ses comptables une riche matière pour réfléchir à l’évolution du rapport coût/avantage de la propriété immobilière au fil des années 1930 et 1940. Sans qu’on puisse dire si c’est en relation avec ces réflexions, avec la montée irrésistible des effectifs ou tout simplement avec l’air du temps, les initiatives qui se font jour à travers l’évolution de la réglementation dans l’après-guerre sont orientées vers des logements qu’on peut dire « banalisés » en ce sens qu’ils ne sont pas attachés à une fonction : l’État-patron prend le même tournant... que les patrons.

Si on revient au problème que traite la littérature, c’est-à-dire celui des employeurs privés, on doit rappeler, comme on l’a vu dans la partie consacrée aux antériorités, que dans les villes ( et donc pour l’essentiel ( le patronat s’en est remis au marché en matière de logement des salariés. Tout comme l’État-employeur, qui recourait largement aux mêmes pratiques, le patronat n’eut qu’à se féliciter de ce choix pendant toute la période où les loyers ont été déprimés par les contraintes législatives ou la crise économique. Pour résumer l’attachement intéressé qui peut lier les employeurs à une politique de bas loyers, on ne peut faire mieux que de rappeler le jugement d’Olchanski, selon lequel "la modicité des loyers qui ruine les propriétaires [profite] seulement aux patrons" .

Cela n’a toutefois pas empêché que les salaires croissent plus vite que le coût de la vie, y compris de 1930 à 1935. Cela a au contraire rendu ce mouvement plus aisé.

Loyers, salaires et coût de la vie
(indices de base 100 en 1914)

Salaires des métaux parisiensCoût de la vie à ParisLoyers19141001001001938995698409Source : OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 72-73.

Alliance-clé et franchement subversive des rapports sociaux en France, sans doute jamais formalisée mais très lisible au niveau des conjonctions d’intérêt, tout se passe comme si employeurs et salariés s’étaient durablement entendus pour gérer la production et la distribution de la valeur sur le dos de la propriété immobilière. Seules les privations imposées à la force de travail à l’occasion de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation ont interrompu le mouvement. De 1938 à 1948, les prix de détail à Paris sont multipliés par 14,5 alors que les salaires de la région parisienne ne varient que d’un facteur huit. Cette fois l’écrasement des loyers ne suffit plus à créer un surplus pour vivre et, au point où est parvenu le processus, il a perdu toute efficacité : il serait sans effet d’envisager une réduction des taux d’efforts en deçà du seuil moyen de 1,3-1,4% du revenu auquel on est en 1947.

Les effets utiles du processus étant épuisés, il ne subsiste plus que les inconvénients. Avec une construction à l’arrêt et un nombre de ménages, notamment urbains, qui continue à s’accroître, il devient réellement difficile de trouver un logement, même médiocre. Cela fonde une commisération à l’égard des jeunes ménages et une référence fréquente à la nécessité des mouvements de population dans le cadre du progrès économique. Commisération et attention réitérées puisqu’elles sont déjà présentes dans les textes d’avant 1945, qu'elles se retrouvent dans les rapports officiels postérieurs, et qu’elles se prolongent dans les ouvrages scientifiques ou polémiques des années 1960.

Comme l’affaissement des loyers dont elle est consécutive, l'anémie de la construction pouvait pendant longtemps être perçue comme avantageuse par la masse des employeurs, en ce sens qu’en libérant des bras, elle accentuait la concurrence entre les candidats à l’emploi, facilitant ainsi la limitation des salaires. Mais, là encore, il vient un moment où les termes se renversent. L’attachement à un logement qu’on a difficilement trouvé, ou à un bas loyer dont on perdra le bénéfice en cas de changement, la difficulté d’installation de nouveaux ménages en formation ou en provenance du monde rural deviennent autant d’obstacles à la mobilisation de la main-d’œuvre autour d’une industrie en expansion et en reformulation. C’est ce qui rend si urgente, lors de la  formation du MRU, l’association au sein d’un même ministère de tutelle des problèmes du logement et de l’aménagement du territoire. Celui-ci se fera au profit de « l’économie nationale » , c’est à dire en premier lieu des employeurs industriels . Une part de son essence même consistera à distribuer les constructions de logements en fonction des projets industriels, comme le souligne le caractère récurrent de l’argument tenant à la proximité d’une zone industrielle ou au développement de l’emploi dans les rapports préalables établis par les services départementaux en vue de justifier la mise en place d’une zone d’habitation ou, plus tard, d’une ZUP

Mais on a conscience que ces mesures positives, outre qu’elles seront inévitablement limitées et longues à mettre en œuvre, auront peu d’efficacité en soi, si elles ne sont pas accompagnées d’une « remise en ordre » complète du régime et des taux des loyers. Cette problématique est constituée dès 1945, à la suite des travaux du Comité d'organisation du bâtiment et des travaux publics (COBTP). Elle forme, par exemple, la matière introductive au rapport Deveaud de 1947, qui part de l’idée que "résoudre la crise du logement n’est pas seulement la condition essentielle de notre redressement démographique, c’est, aussi une des conditions principales de notre redressement économique" et qui fait du logement "un véritable instrument de travail qui peut contribuer à accroître sensiblement notre productivité dans le domaine industriel". "Le droit au logement" que l’inspecteur général proclame dans son introduction prend dès lors une signification particulière. Il s’agit, aussi, d’un droit des employeurs, et d'un droit dont l'exercice s’inscrit dans le cadre des « impératifs » d’aménagement du territoire.

Cette vision des choses va perdurer, et une de ses expressions les plus nettes se trouve dans le rapport Rueff-Armand de 1960 sur "les obstacles à l'expansion économique" :

"La responsabilité du régime des loyers dans l’absence de mobilité de la main d’oeuvre constitue probablement l’aspect le plus néfaste de son rôle dans le domaine économique. A une époque où les nécessités de l’expansion et de l’aménagement rationnel du territoire impliquent d’importants transferts de main-d’oeuvre vers les secteurs et les régions qu’il convient de développer, la taxation des loyers et le « droit au maintien dans les lieux » qui l’accompagne sont des facteurs très importants de viscosité. Il restera impossible d’effectuer, sans graves frictions sociales, les reconversions qui s’imposent, tant que les ouvriers, les cadres, les fonctionnaires continueront de refuser les occasions de promotion qui s’offrent à eux lorsqu’elles s’accompagnent de l’obligation de changer de résidence."

À quoi fait écho un passage de la première allocution du nouveau ministre Jacques Maziol devant le Conseil supérieur de la construction, le 6 juin 1962 :

"[...]l’urbanisme nécessite que les villes s’agrandissent [...] sur des terrains [...] qui sont de prix abordables et permettent une fois les équipements réalisés, qu’ils soient recédés à des particuliers et à des prix permettant que les loyers ne soient pas trop chers. Donc l’aménagement du territoire est lié à l’urbanisme et tout cela est lié avec la politique du logement."

Même si on doit déplorer diverses approximations de langage, et l'apparent oubli du rôle éminent de l'entreprise publique de logement dans les nouvelles zones d'urbanisation qui se mettent en place, on ne saurait espérer une expression plus affirmée de la relation entre l'aménagement du territoire, la construction neuve, et la question des loyers. Ce que l'on retiendra de l'anecdote, c'est que cette relation ait pu paraître aussi évidente aux yeux du ministre en tant que principe structurant de la politique du logement.


La question des loyers et la structure de la politique du logement.

Dans une approche globale et compréhensive de la politique du logement,  ces brefs développements sur les attenances de la question des loyers tendent à reléguer au second plan l’opposition d’intérêt entre locataires et bailleurs privés, qui polarise facilement l’attention des acteurs sociaux, des acteurs politiques et de la critique. Cela ne signifie pas que les réflexions qu’on peut tirer de l’analyse des rapports locatifs soient dénuées de pertinence : ces rapports fournissent le quotidien d’une masse d’acteurs, ils revêtent une figure tout à fait particulière dans les conjonctures qui se succèdent en France de 1914 aux années 1970, c’estàdire sur l’essentiel du 20ème siècle, et ils fixent des données chiffrées (prix, rendement) ou des attitudes qui marqueront durablement les consciences des uns et des autres. Mais, lorsqu’on prend du champ et qu’on s’extrait de l’immédiateté, on voit s’établir une connexion - mieux : une articulation – entre trois pôles qui balisent le domaine de la politique du logement : les loyers, la construction neuve, l’aménagement du territoire.



Loyers




 Aménagement du Territoire Construction Neuve



L'apport que représente la mise en évidence de cette structure tripolaire en matière de connaissance doit être discuté à deux niveaux : au point de vue de la théorie générale de la question du logement, et au point de vue d'une configuration particulière, d'un moment déterminé de la question.

Sous l'angle d'une théorie générale, ce modèle structurel peut correspondre à une toile de fond, et constituer en cela le rappel de dimensions dont les articulations réciproques ne devraient en aucun cas être perdues de vue, quelles que soient les thématiques qu'on traite. Mais, en raison de son caractère élémentaire, on ne saurait imaginer qu'il représente la question dans tous ses développements. Tout d'abord cette organisation des éléments n'est pas exclusive d'autres arrangements structurels, tels que la triplette bien connue construction neuve/coût/financement ou la double bipolarité ancien/neuf et privé/secteur social qui détermine en première approche un tableau à quatre cases pour les loyers. En second lieu, l'idée de « loyers » est trop étroite si on la prend à la lettre, et il vaudrait mieux lui substituer celle, plus générale, de « coût d'occupation » pour tenir compte de l'accession à la propriété. Enfin il n'y a pas lieu de penser qu'un arrangement structurel soit bâti pour l'éternité ni que ces différents éléments doivent être toujours traités au même échelon de décision : en témoigne, pour l'aménagement du territoire, les changements qui interviennent dès lors qu'on imagine une décentralisation et une démocratie territoriale effectives.

Sous l'angle de la politique française les années 1945-1970, deux éléments viennent appuyer l'idée que la structure tripolaire qu'on a fait émerger constitue effectivement l’âme d'une politique active du logement : sa présence au cœur du document clé qu’est le rapport Rueff-Armand de 1960 et, d'autre part, sa proximité avec l’organigramme du ministère chargé de la construction au fil des années 1950-1960.

Dans la page même qu'on a déjà citée à propos de la relation entre loyers et aménagement du territoire, les auteurs du rapport Rueff-Armand déplorent en effet que le "rôle du régime des loyers sur l'essor de la construction ait été moins souvent mis en valeur [que ses effets sur l'urbanisme]" et soulignent que "le problème du financement de la construction neuve n'est pas seulement d’attirer les capitaux en leur garantissant des loyers de rentabilité. C'est aussi de trouver des familles acceptant de payer ces loyers".

Considérons maintenant l’organigramme du ministère. Après le premier jet que représente le MRU de Dautry, encore très inspiré de la DGEN de Vichy, et où la Direction générale de l’urbanisme, de l’habitation et de la construction confiée à André Prothin apparaît en soi comme une sorte de totalité protéiforme, l’organisation du ministère, telle qu’elle se stabilise au temps Maurice Lemaire (1953), comprend une Direction de l’aménagement du territoire (dont le titulaire est André Prothin jusqu’en 1958), une direction de la construction (longuement confiée à Adrien Spinetta) et un Service juridique et financier (piloté par Léon Gayet) qui est de même rang que les directions et qui, entre autres, est chargé du suivi du régime des loyers au niveau de sa sous-direction juridique. L’ensemble est complété par une contingence durable ( la Direction des dommages de guerre ( et une nécessité du genre ( la Direction de l’administration générale (, ce qui confère à l’appareil cinq domaines d’activité. La structure est quasi-inchangée au temps du ministère Sudreau (1958-1962), si ce n’est que les cinq domaines correspondent désormais à cinq directions explicitement placées sur le même pied. Une évolution s’engage avec le ministère Maziol (1962-1965). Tandis que la Direction des dommages de guerre tend enfin à s’effacer, la Direction de l’aménagement du territoire se meut en Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme (DAFU, confiée à Roger Macé) à la suite de l’amputation qui résulte de la création de la DATAR (1963), rattachée au Premier ministre.

La fusion de 1966 avec le ministère des Travaux Publics sous l'égide d'Edgar Pisani apporte la Direction des routes et celle des ports mais ne modifie pas sensiblement ce qui concerne notre objet. La révolution vient avec le Ministère Chalandon. Outre une allure générale qui rappelle plus une grande entreprise qu’une administration traditionnelle (position centrale du contrôle financier, place de la communication et des relations internationales, etc.), on note l’effacement de la Direction de la législation, muée en un simple "comité juridique" : il faut dire que la longue marche que constitue le retour au marché est presque parvenue à son terme, et que la question des régimes des loyers a déjà beaucoup perdu de son actualité. De 1948 à 1968, en mettant à part le cas de la reconstruction, on voit ainsi que la structure tripolaire de la politique du logement se retrouve dans l’organisation de ce qu’on peut désigner comme les « directions d’active » du ministère. Des trois pôles, celui qui concerne le régime des loyers est celui qui a le statut le moins explicite. Cela peut correspondre au fait que ce n’était pas là le domaine où les personnels dirigeants de ce ministère "technique" d’ingénieurs et d’architectes se sentaient le plus à l’aise.

Si l’on peut identifier avec le ministère de la Construction une section de l’appareil d’État qui incarne la politique du logement, il ne faudrait toutefois pas croire qu’il soit le seul concerné. Le parcours dans les archives issues du ministère de la Construction ne fait apparaître qu’une présence discrète du ministère de l’Intérieur, qui reste pourtant un grand concurrent puisque, détenant la tutelle sur les collectivités territoriales, il a un regard sur tout ce qui concerne l’aménagement urbain et la reconstruction. Il en est de même pour les Affaires Sociales, si ce n’est qu’étant tutelle des Caisses d’allocations familiales, elles tiennent la législation et le contrôle des aides personnelles, notamment l'allocation de logement. Ou encore pour la Culture, dont la Direction de l’architecture est carrément doublée par un "service" ou une "division" de l’architecture rattachés à la Direction de la construction, une situation emblématique de la coupure entre les Beaux-Arts et l’architecture qui se construit.

En revanche, au point où elle en est, l’exploitation des archives issues du ministère de la Construction permet de discerner, dès 1947, au moins une intervention majeure du ministère de l'Économie Nationale touchant à la problématique générale du logement, cependant que la littérature scientifique permet d’en identifier une autre provenant du ministère des Finances vers 1956-1957. Il s’y ajoute, en 1960, le rapport Rueff-Armand fruit des réflexions d’un comité institué le 13 novembre 1959 auprès du Premier ministre et piloté par des hommes de ce même horizon de l'Économie et des Finances. Il n'est pas utile ici de revenir sur le rapport Rueff-Armand, dont on a déjà présenté le cadre de raisonnement. En revanche, il n'est pas sans intérêt de se pencher plus attentivement qu'on ne l'a fait jusqu'alors sur les deux autres sources : cela permettra de mettre en évidence des continuités de longue haleine et, également, d'ouvrir le chemin à des réflexions complémentaires quant aux positions des appareils.

La première intervention correspond au rapport déjà cité de J. Deveaud, inspecteur général de l’Économie Nationale, sur "le problème de la construction et du logement" (mars 1947) Les points 4°, 5° et 6° de l’introduction sont particulièrement explicites :

"4°/ - Les différents projets de loi prêts à être soumis au Parlement par plusieurs Ministères (Reconstruction & Urbanisme, Justice, Intérieur), ainsi que les Travaux de la Commission de Modernisation du B.T.P. du Plan Monnet […] sont d’ailleurs unanimes pour reconnaître la nécessité de faire démarrer dans le plus bref délai, non seulement la reconstruction, mais également la construction proprement dite.

D’autre part, ils tendent tous à une modification de la Législation actuelle sur les loyers.

C’est qu’en effet, ils y voient à juste titre la cause initiale de la crise du logement que nous subissons, crise que la destruction partielle ou totale de 2.000.000 d’habitations par la guerre n’a fait qu’aggraver et rendre plus sensible.

5°/ - Le blocage des loyers et leur maintien à des prix artificiellement bas ont fait disparaître la sécurité du revenu et souvent le revenu lui-même des placements immobiliers, amenuisant ainsi à l’extrême les investissements privés dans la construction.

Il est indéniable qu’à l’heure actuelle beaucoup d’immeubles et surtout d’immeubles modestes abritant des familles ouvrières ne rapportent rien et même coûtent à leur propriétaire.

6°/ - L’augmentation du taux des loyers, doublée d’une propagande destinée à faire comprendre à la population la nécessité d’y consacrer davantage sont donc à la base même de toute action destinée à remédier à l’insuffisance actuelle de capacité de logements"

La seconde intervention correspond à une substantielle étude du Ministère des finances intitulée "Dépenses de logement et revenus immobilières, 1914-54". On n'a pas la connaissance directe de cette étude non publiée, mais Gondre en extrait des tableaux particulièrement probants qui retracent la déréliction de la propriété immobilière en France. Même si Gondre ne le dit pas, on a tout lieu de supposer que le second texte rejoint le premier pour faire du relèvement des loyers le pivot du redressement de la situation du logement : c’est en tout cas la conclusion à laquelle tendent des démonstrations très étayées soulignant les taux d’effort sont tombés même au plus bas et que le rendement de la propriété immobilière est devenu négatif de 1943 à 1952.

Au reste, la revalorisation des loyers de l’ancien jusqu’au point d’assurer une continuité avec ceux du neuf appartient aux finalités explicites du dispositif de 1948, comme le montrent les deux paragraphes sur lesquels se conclut l’exposé des motifs du décret du 10 décembre 1948 "déterminant les prix de base au mètre carré" :

"Ces différents principes doivent avoir pour conséquence de placer les maisons nouvelles dans des conditions souvent pas différentes de celles auxquelles arriveront les locaux anciens parfaitement entretenus, de même qualité et de même degré de confort, lorsque les majorations de loyers auront été successivement appliquées et que le prix de la construction aura été abaissé.
Ainsi sera réalisée une des premières conditions pour qu’une simple politique de l’habitation puisse être poursuivie."

De la hausse massive des loyers de l’existant, on attend qu’elle relance la demande vis-à-vis du logement neuf d’initiative privée. En ce sens, ce remède de cheval constitue une alternative structurelle au « besoin » d’engager dans le logement populaire les fonds de l’État ou ( plus largement – les disponibilités d’épargne centralisées. Les Finances et leurs soeurs siamoises de la haute banque parapublique ont longuement fait preuve de toutes les réticences possibles à l’égard de cet engagement des fonds centraux : qu’on se réfère au « mince filet d’eau » d’avant 1914, à l’attitude des dirigeants du Crédit Foncier ou de la Caisse des Dépôts, ou encore aux difficultés rencontrées par Henri Sellier face à "l’opposition à la fois illégale et imbécile de la bureaucratie des Finances". Il faut alors concevoir le revirement des années 1950 comme un repli momentané, un accident de parcours concédé « dans l’urgence ». Au fond, le point de vue des Finances reste inchangé et se ramène à une proposition élémentaire : que la question du logement se résolve sur le marché.

On saisit d’autant mieux cette insistance qu’un autre aspect résultant de l’affaissement des loyers n’a pas pu manquer d’alarmer les Finances. Quand la rentabilité nette de la propriété locative devient négative, cela ne tient pas tant aux charges d’entretien tout à fait modestes que la propriété continue d’assurer, mais bien plutôt à la charge fiscale de la taxe foncière. En économie pure, la capacité contributive de la propriété locative est devenue nulle. Seule l’inertie du système juridique et social explique la poursuite des paiements et, au cabinet du Ministre du MRU, on collationne en 1946-1947 les plaintes des propriétaires "au sujet des impôts sur la propriété bâtie". L’évaporation de la matière fiscale supportant l’impôt sur le revenu constitue en soi une chose bien attristante. La réalité se fait encore plus sombre quand la simple perception de la taxe foncière devient problématique, et elle n’est certes pas égayée par l’idée d’un lancement massif de programmes d’HBM - HLM bénéficiant d’une exemption de taxe foncière de 15 ans, bientôt portée à 25 ans.

Certes, les évolutions intervenues depuis la création de l’impôt sur le revenu en 1917 font que les revenus de l’État ont cessé d’être essentiellement liés aux affaires foncières. Mais il en va autrement des collectivités territoriales, notamment urbaines, pour lesquelles la taxe sur le foncier bâti demeure une ressource de base. Dans le contexte des années 1940, il n’est certain qu’on puisse poursuivre durablement les perceptions foncières, même à ce niveau modeste qui avait pour effet, durant l’Entre-deux-guerres, de cantonner les collectivités dans la médiocrité et de les maintenir à la merci du « centre ». Or, s’il est agréable de voir les élus territoriaux venir faire leur cour au préfet pour picorer des subventions, il faut quand même se garder de les réduire complètement à quia. Un excès de misère pourrait susciter des demandes insistantes en faveur d’un repartage des ressources fiscales, bientôt relayés par les parlementaires.

Pour conjurer cette vision d’horreur, plusieurs voies peuvent être empruntées. En premier lieu, il faut s’efforcer de contenir, autant que possible, le champ et la durée des exemptions de taxe foncières. En second lieu, on peut s’attacher à substituer la propriété d’occupation à la propriété locative défaillante, quitte à concéder momentanément une exemption de taxe foncière de 15 ans et un cadeau sur les droits de première mutation : à défaut d’un mieux-être fiscal immédiat, on construit ainsi pour le long terme une ressource dont l’ampleur, rétrospectivement, ne peut pas faire de doute. Enfin et surtout, seul moyen susceptible d'effets positifs à court ou moyen terme, on est renvoyé là encore à l’exigence de la revalorisation des loyers. Dans la mesure où on peut discerner une complicité de fait déjà ancienne entre les Finances et la propriété locative, cette réaction de fond s’apparente à la ligne de l’aide Marshall : il faut éviter à vos alliés de sombrer si vous voulez qu’ils vous soient utiles.
L’attention à la relation entre revalorisation des loyers et revalorisation fiscale est attestée, tardivement, par les événements des années 1960. Quand le premier redressement des loyers est effectué, que les « libérations » s’accélèrent et que la première vague massive d’accession à la propriété approche les quinze ans d'âge, on voit se mettre en place, sous la houlette des Finances, une commission de révision des valeurs cadastrales qui servent d’assiette aux taxes foncières et d’habitation, valeurs qui – faut-il le rappeler ? – sont par tradition en France des valeurs ... locatives. Parallèlement à la montée de la propriété d’occupation on verra aussi se développer des discussions – qui durent encore – sur l’opportunité de fonder les taxes immobilières non plus sur les valeurs locatives mais sur les valeurs vénales, comme cela se pratique depuis toujours en Grande-Bretagne et aux USA. Face à cet activisme qui se développe tout d'abord dans l'ordre spéculatif, la propriété immobilière dresse l'oreille et ne tarde pas à dire son mot. L'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) consacre son 59ème congrès, tenu à Saint-Malo en juin 1967, au thème de la "fiscalité immobilière" : elle s'intéresse alors, notamment, à la réforme des finances locales, à l'impôt sur les plus-values et à la "propriété familiale".

Tout compté, l’intervention des Finances en faveur de la revalorisation des loyers s’interprète de façon convergente dans trois dimensions : limiter l’engagement des disponibilités centrales dans la construction « aidée », prévenir un appauvrissement excessif des collectivités territoriales, et reconstituer un profit de l’État une matière taxable à l’impôt sur le revenu chez les propriétaires bailleurs privés. Un tel ensemble est de nature à fonder solidement et durablement un prise de position qui vient soutenir les revendications d’un vieil allié.



23. La loi du 1er septembre 1948.


Les mesures touchant aux loyers prises dans l’immédiat après-guerre – précisément jusqu’en 1947 – ont été traitées en conclusion des antériorités auxquelles elles se rattachent par leur nature. Le commentaire qu’on engage maintenant démarre donc de la loi du 1er septembre 1948, qui constitue certainement l’événement le plus marquant de la période 1945-70 et, plus largement, de l’ensemble de l’après-guerre.

Il ne s’agit pas d’une construction entièrement nouvelle : nombre de dispositions sont reprises de textes qu’on a évoqués dans les antériorités, et on peut trouver chez Isaac une préfiguration significative de l’édifice de 1948. Son caractère de fait majeur s’affirme néanmoins sur quatre plans :

La loi de 1948 porte sur un point-clé de la problématique et sur un des points sensibles des relations sociales.
Avec 94 articles – progressivement augmentés – pour le seul titre 1er consacré aux relations locatives, et 103 articles au total, elle représente, sans même compter les substantiels décrets d’application, une œuvre monumentale qui fait d’une certaine manière le pendant à la loi sur l’urbanisme de 1943.
Elle marque un renversement de tendance durable, dont les conjonctures qui se développent cinquante ans après sont encore le fruit lointain.
Dans la mesure où plusieurs éléments déterminants, notamment le loyer à la surface corrigée, ont rapidement été étendus au secteur HLM, où ils ont été maintenus jusqu'aux années 1990, le dispositif de 1948 a continué longuement à régner sur une part essentielle du parc locatif.

Cela étant, il y avait peu de chances qu’à l’automne 1998 on célèbre le jubilé de la loi avec l’attention qu’elle mérite. C’est que, comme beaucoup de grands événements législatifs, le texte du 1er septembre 1948 a fait l'objet d'un accouchement difficile, de débats passionnés et de jugements contradictoires.

Avec le temps il s'est inscrit dans les consciences comme une mesure de protection des locataires. Cela vaut pour la conscience individuelle et collective des locataires, mais aussi pour celle des propriétaires, des aménageurs rénovateurs et, finalement, pour la presse. Cela peut se comprendre en relation avec le fait que les « logements de la loi de 1948 » sont longuement restés parmi les moins coûteux et qu’ils étaient assortis de privilèges spécifiques qu’on ne retrouvait pas dans les autres domaines de l’offre locative. Il s'agit néanmoins d’un contresens, tant vis à vis de la signification effective de l’événement que la perception immédiate à laquelle il a donné lieu dans les couches populaires, et chez nombre de militants de gauche.

L'attitude des responsables des partis politiques de gauche a pour sa part durablement contribué à conforter une image à contresens. On montrera plus loin que tout au long des années 1950, les parlementaires de la SFIO se sont employés à réclamer l’extension de la loi de 1948 à l’outre-mer ainsi que, à l’intérieur de son champ d’application géographique, l’extension du domaine des loyers contrôlés. Quand au parti communiste, qui a voté contre le texte le 31 août 1948, il érige par la suite en référence les taux de loyer qui avaient été initialement fixés. Au début des années 1950, il demande constamment qu’on diffère les hausses et en 1962 encore, il préconise que "pour tous les immeubles anciens, les loyers [soient] ramenés aux taux fixés par la loi du 1er septembre 1948".

Dans la littérature, il importe d’abord de citer les auteurs qui esquivent le problème en n’en disant tout simplement rien : Gilbert Mathieu (1965), les auteurs de Il était une fois l’habitat, ouvrage lié au mouvement HLM et publié aux Éditions du Moniteur (1981), Butler et Noisette (1983), ou encore Vayssière (1995).

Il y a ensuite ceux qui en parlent et dont l’opinion est généralement critique. La présentation d’Houdeville laisse entendre que la loi n’était pas intrinsèquement mauvaise, mais qu’elle a été dévoyée. Il l’installe d’abord sur un piédestal inapproprié, mais qui constitue une protestation classique de l’agneau chrétien (agnus dei) contre le loup inexorable du marché. Il écrit en effet : "il s’agit d’une loi véritablement révolutionnaire en ce qu’elle modifie, dans ce domaine particulier, les principes sacro-saints de l’économie libérale", alors que, comme on y a insisté dans l’étude des antériorités, les "principes sacro-saints" figurent au nombre des victimes de la tourmente de 1914-18. Appréciant l’acte de 1948 comme un morceau de bravoure qui, "curieusement", "paraît s’inspirer de [...] F. Engels", Houdeville émet un torrent de larmes sur l’évolution ultérieure : "Différents textes, de 1957 à 1967, ont bouleversé cette construction. Non seulement la valeur locative a été modifiée, mais les équivalences superficielles ont été majorées et des changements de classification ont été opérés. Mais, chose beaucoup plus grave, le champ d’application de la loi a été progressivement réduit". Une appréciation où transparaît une nostalgie propre à des mouvements de locataires dont la pratique était nourrie par le texte de 1948 au triple point de vue des effectifs, des activités et de la respectabilité.

Les points de vue qu’on rencontre dans la littérature scientifique sont encore moins gratifiants que celui d’Houdeville, car ils mettent en cause la construction d’origine elle-même. Gondre (1963), qu’on peut ranger du côté des propriétaires dans la mesure où toute sa thèse tend à réclamer des conditions de relance de la propriété locative, commence par concéder que la loi de 1948 a été "aussi étudiée qu’elle [pouvait] l’être" et qu’elle représente "un réel effort constructif pour une remise en ordre des loyers". Mais il pointe aussitôt "les faiblesses et les insuffisances" de l’ouvrage, quitte à remarquer que "dans deux cas, l’inaptitude de la loi [tient] à des circonstances absolument extérieures au problème technique des loyers : l’inflation et la « climatisation » du SMIG par le gouvernement." Il conclut que l’effort du législateur "a perdu une partie de son efficacité en voulant satisfaire à des objectifs contradictoires tels que : remise en route de l’entretien des immeubles, rémunération du service rendu, contentement des locataires, limitation des hausses de prix, etc. Le souci de dosage l’ayant emporté sur les impératifs de clarté, la complexité devenait inévitable." Une complexité dont il faut croire qu’elle n’était pas à l’avantage des propriétaires.

Danièle Voldman (1997) partage ce point de vue : "Dès la promulgation [de la loi] avocats et gens de chicane se mirent en devoir de trouver comment faire jouer la législation à l’avantage des locataires". Une pratique qui devait "faire les beaux jours des cabinets spécialisés". Si elle reconnaît que la loi de 1948 a eu "le mérite de poser la question du droit au logement et du rôle de l’État comme arbitre entre les possédants et les classes populaires", elle estime comme Gondre, qu’en "voulant ménager des parties aux intérêts inconciliables, la loi sur les loyers a manqué son but". Elle conclut à un "échec", en ajoutant que la construction d’immeubles neufs "non soumis aux taxations n’a été développée sur une vaste échelle que plusieurs années après le vote sans qu’on puisse y déceler une influence de la nouvelle législation" et que "sur le moment la crise du logement n’a pas été enrayée." Le rappel des faits n'est guère contestable mais il serait bon de préciser qu'au-delà des envolées tribuniciennes, il ne se trouvait sans doute personne, d’aucun côté, pour imaginer que la mise en place d’un nouveau régime des loyers fût de nature à remédier sur le champ à la crise du logement.


Genèse et contenu de la loi du 1er septembre 1948.

La genèse de ce que Thourot envisageait par avance comme une "opération politiquement difficile" ne pouvait être que délicate. Danièle Voldman a conté avec talent les "atermoiements" et les "tergiversations" qui ont rythmé le travail parlementaire, de l’examen d'une première proposition en mars 1946 et de la mise en place d’une sous-commission spéciale au sein de la Commission de la Justice en janvier 1947 jusqu’au vote final du 31 août 1948, contraignant entre-temps à proroger le provisoire à plusieurs reprises dans la plus pure tradition de l’Entre-deux-guerres. C’est qu’il fallait "du courage [pour] tailler au bistouri dans les habitudes et les avantages acquis", surtout dans un pays qui, notait un député, "comprenait plus de locataires que de propriétaires." On retiendra de l’exposé de Danièle Voldman que la conjoncture politique et sociale de 1947 ne se prêtait guère à une intervention vigoureuse sur les loyers, et que, dans cette occurrence encore, les problèmes de l’Empire ont eu le pas sur ceux du logement. Un ultime retard est en effet lié au fait qu’à l’été 1947 la Présidence du Conseil a souhaité que le Parlement travaille en priorité au statut de l’Algérie, un projet que la situation rendait sans doute urgent, et qui fut adopté le 27 août. On en retiendra aussi le rôle éminent de Claudius-Petit, en ajoutant qu’il a pris une part déterminante au déblocage final du parcours parlementaire en faisant adopter, le 15 juin 1948, l’amendement qui allait devenir l’article 31 et qui borne les loyers maxima à une proportion du salaire de référence servant de base au calcul des allocations familiales.

Inspirée par le souci de revaloriser les loyers et d’engager le retour à la liberté des transactions, tiraillée entre un Conseil de la République (Sénat) très à l’écoute des propriétaires et une Chambre des Députés plus sensible au vote populaire, la loi sur les loyers était condamnée au parcours parlementaire maximum : navette, commission mixte et seconde lecture. La version dont l’adoption fut différée à l’été 1947 avait un accent nettement propriétariste. Le texte introduit au nom de la Commission de la justice et de la législation par le rapporteur Henri-Louis Grimaud, insistait sur la fixation d’un loyer assurant la rentabilité de la propriété et prévoyait en son article 3 de mettre fin au maintien dans les lieux à un terme rapproché, quoiqu’échelonné selon la taille des agglomérations.

L’activisme du lobby de la propriété dans cette période-clé ne fait pas de doute. Il est attesté par une circulaire que la Chambre syndicale des propriétaires immobiliers de la ville de Paris adresse à ses consœurs de province via l’Union de la propriété bâtie en France. Cette pièce remarquablement claire et documentée est destinée aux représentants des propriétaires dans les "commissions départementales" mises en place par la loi du 30 juillet 1947 en vue de préparer la loi "définitive" sur les loyers. On y conteste nombre d’aspects précisés à titre provisoire dans une annexe au décret du 30 août 1947, notamment la définition de la pièce habitable (qui élimine les cuisines de moins de 7 m2 alors que, selon les propriétaires, elles "correspondent pour la ménagère au minimum de pas inutiles"), les modalités de prise en compte des grandes pièces et le prix de base fixé pour la pièce de 10 à 15 m2 à Paris, qui a fait "purement et simplement [l’objet] d’une mise aux enchères au sein de la Commission de la justice et de la législation", avec pour effet de le ramener à 2 500 francs alors que "les services qui avaient étudié le projet étaient parvenus à la conclusion qu’un chiffre de 4 000 était nécessaire." Et on enjoint aux délégués de "faire ressortir clairement toutes les données du problème" dans les dimensions "économique", "politique" et "sociale" en faisant valoir des propositions solides sur la "classification des différents types d’immeubles" ainsi que sur "les prix de base" et les "méthodes d’évaluation des loyers". En sonnant la charge, on rappelle aux délégués, pour le moral, qu’en militant en faveur d’un "assainissement total de la situation de la propriété immobilière, ils sont les porte-parole authentiques de l’intérêt général."

Après un hiver 1947-1948 qu'on devine mouvementé, les dispositions concernant le loyer-rentabilité se retrouvent effectivement dans l'article 30 du texte final de 1948, qui stipule notamment que "les prix de base doivent être tels qu'ils assurent, après application des correctifs, une rémunération du service rendu par le logement, ainsi que son maintien en état d'habitabilité". Mais les propriétaires n'ont pas autant de chance avec le maintien dans les lieux en fin de contrat, cette entorse patente à la liberté des transactions qui est devenue leur bête noire. Les articles 4 à 10 finalement adoptés en réaffirment en effet le principe dans les aires géographiques qui restent soumises à la taxation. Ils donnent de surcroît une définition assez large des ayants droit, étendue par l’article 5 à l'occupant, à ses proches et, plus généralement, aux "personnes de sa famille à sa charge, vivant habituellement avec lui depuis plus de six mois". Corrélativement les "droits de reprise" restent assujettis à de sévères conditions : le propriétaire doit être "de nationalité française" et, même nanti de ce viatique essentiel, il lui faut dans presque tous les cas trouver un logement de remplacement. La loi se conforme ainsi à un souci qui animait certainement le MRP, mais qui correspondait également à une demande constamment réitérée par les communistes durant les débats : qu'on ne jette en aucun cas des familles à la rue.

Cela étant, les accents d’origine transparaissent vigoureusement dans le texte adopté le 31 août 1948 pour une majorité constituée du MRP, de l’UDSR et de la SFIO, les communistes votant contre. La rupture avec la période 1918-1947 n’est sans doute pas aussi considérable que le laisseraient supposer les articles 83 et 84 où on constate expressément la nullité des actes de Vichy sur les loyers, cependant qu’on abroge l’ensemble des loi édictées du 9 mars 1918 au 1er avril 1926 ainsi que l’essentiel de l’édifice "exceptionnel et temporaire" de 1945-1947. Le point le plus saillant n’en correspond pas moins à une libération immédiate des transactions locatives sur les immeubles "achevés postérieurement au 3 septembre 1948" (article 3) ainsi que, pour l’existant, sur une partie non négligeable du territoire : l’article 1 précisant le champ d’application reprend la formulation de la loi du 29 novembre 1923 ("dans le département de la Seine et dans un rayon de 50 km des anciennes fortifications de Paris, dans les villes de plus de 4 000 habitants etc."). Cela libère un vaste domaine, et suffit à donner immédiatement une assise considérable aux locations "amiables".

En dehors de ce qui est remis à l’évolution du marché, reste à savoir les conditions dans lesquelles on va ordonner la hausse dans le secteur désormais limité qui demeure à loyers contrôlés. La tendance ne faisant de doute pour personne, la loi du 1er septembre 1948 est adornée d’un titre II qui institue les allocations de logement. Dans leur principe, celles-ci font l’objet d’une large unanimité, comme on le rappellera dans le paragraphe qu'on leur consacrera en fin de chapitre. Les allocations de logement sont destinées à aider les familles à assumer le loyer d’un logement un peu mieux proportionné à leur taille, et on a déjà vu plus haut les contorsions auxquelles a donné lieu la fixation des normes d'attribution. Dans la mesure où elles sont instituées dans le temps même où se met en place une revalorisation des loyers de l’ancien, on pourrait croire qu’elles auront pour fonction essentielle d’en atténuer les conséquences. On montrera en fin de ce chapitre qu’il faut se défaire de cette vision et que les vertus principales des allocations de logement se sont exercées dans d’autres domaines.

Bien que la mise en place les allocations de logement donne apparemment du champ pour penser l’augmentation des loyers et des taux d’effort bruts, la détermination du loyer- rentabilité, borne maximale des évolutions futures, a donné lieu à des tergiversations qui, longtemps après, laissent encore planer bien des incertitudes dans les textes. Le rapport Rueff-Armand mentionne un taux égal à 4,5% du prix de construction de 1948, qu’il juge trop faible, et regrette vivement qu’on n'ait pas suivi le Conseil Économique qui aurait proposé, "à l’époque" un taux de 6,5%. Un document interne du ministère daté du 13 septembre 1948 fonde effectivement les calculs sur un taux de 4,5%, mais en prétendant qu’il s’agit là du taux "proposé par le Conseil Économique". Quinze ans plus tard, J.M. Gondre évoque dans son commentaire sur le décret du 10 décembre 1948 une valeur de 4,25% dont 0,75% pour la gestion, les assurances et les impôts, 1,5% pour l’entretien, 1% pour le renouvellement et 1% pour le revenu du propriétaire.

Le rapport du Conseil Économique de 1957 sur "les loyers des logements anciens" fait rétrospectivement le point sur cette affaire très contestée, et rappelle l’origine des diverses évaluations. On y lit notamment :

"La commission départementale de la Seine […] proposa que la valeur locative fût fixée à 6,5% de la valeur à neuf des lieux considérés.

Le Conseil Économique avait considéré dans ses séances des 12 et 13 février 1948 que le loyer nécessaire devait tenir compte des quatre éléments suivants basés sur la valeur de renouvellement du local considéré :
( taux net de rentabilité
( remboursement des charges
( coût de l’entretien
( annuité de renouvellement

Le Conseil Économique rappelait que la Commission départementale des loyers de la Seine avait estimé à 6,5% le taux a admettre en fonction de ces quatre éléments. Il soulignait que cela donnerait à la fixation des loyers une base certaine, qu’elle romprait avec l’arbitraire [...]

Pour diverses raisons, le Ministre de la Construction et du logement n’a pas adopté le taux de 6,5%, mais seulement le taux de 4,25%. [...]"

Maniant l'euphémisme, l'auguste Conseil laisse au lecteur le soin d’imaginer ce que sont les "diverses raisons". On notera toutefois que l’écho d’une menace s’entend dans cette rédaction feutrée. En effet, la référence à une "base certaine" n’est pas sans évoquer "l’objet certain qui forme la matière de l’engagement" et qui constitue une des quatre conditions essentielles exigées dans l’article 1108 du Code Civil pour la "validité des contrats". Brandissant le Code Civil conte les « abus » et « l’arbitraire » des gouvernements, la propriété locative était-elle sur le chemin de la sécession ?

De son point de vue, il y aurait de quoi. D’une part, le taux de 4,25% est particulièrement modéré : il est proche – est-ce un hasard ? – du taux de 4% appliqué pour déterminer les loyers des HBM depuis 1922. D’autre part, l’empoignade se fait autour d’un taux finalement devenu fantôme. Contrairement au taux de 4% qui borne le loyer-salaire, dont il est prévu qu’il passe à 12% en 5 ans, le taux raccordant la "valeur locative" à celle du capital n’est explicite nulle part, ni dans la loi, ni, contrairement à ce que laisse entendre Gondre, dans le décret du 10 décembre 1948 "déterminant les prix de base au mètre carré", où on fournit seulement les tableaux de résultats : loyers immédiatement applicables au 1er janvier 1949 et "valeurs locatives" maximales bordant les hausses pour l’avenir. L’exposé des motifs du décret convient toutefois que le taux qu’on laisse dans l’implicite a été minoré :

"La notion de rentabilité de la construction a, d’abord, été retenue en ce qui concerne la fixation du prix au mètre carré de la valeur locative [...]

Sans doute, les prix de la valeur locative au mètre carré, tels qu’ils résultent du décret, ne correspondent pas à une rentabilité normale, eu égard au coût actuel de la construction." 

Le présent n’étant pas gai, l’exposé des motifs poursuit en proposant de s’en remettre à un avenir meilleur :

"Cependant, il est communément admis que ce coût est aujourd’hui exceptionnellement élevé et qu’il est nécessaire qu’il soit, toutes choses restant égales par ailleurs, considérablement réduit. 

 Lorsqu’un tel résultat sera obtenu, les prix que au mètre carré fixés à l’article 4 du présent décret correspondront sensiblement [...] à une rentabilité très normale. Ils devront, de plus, être revus périodiquement en fonction de la productivité de l’industrie du bâtiment et du prix de revient de la construction."

On aura l’occasion de revenir dans le prochain volume sur cette augure – pour ne pas dire cet engagement – du MRU. Mais on doit souligner qu’un taux de 4,25%, même s’il était d’application immédiate, ne suffirait pas à solvabiliser les propriétaires vis-à-vis de travaux différés depuis longtemps, ni à encourager la construction dans les secteurs à prix contrôlés. Faut-il rappeler qu’en 1939 la Fédération des Sociétés Anonymes et Fondations d’HBM réclamait, pour des constructions qui paient pas d’impôt foncier, un loyer d’équilibre égal à 7,5% du prix des réalisations ?

Cette déconvenue n’est pas la seule qui attend les propriétaires qui restent soumis à la taxation des loyers. La disposition raccordant les loyers aux salaires ( généralement dite du "loyer-salaire" ( que Claudius-Petit a fait passer en juin 1948 et qui forme l’article 31 de la loi, porte encore beaucoup plus à conséquence. La note précitée du MRU du 13 septembre 1948 part conformément à la loi d’un loyer maximum de "l’étalon logement" égal à 4% du salaire départemental servant de base au calcul des allocations, soit un loyer annuel de 5 040 Francs dans la Seine. Les propriétaires voient s’amorcer un redressement qui paraît spectaculaire en pourcentage : sur une base 100 en 1914, l’indice des loyers parisiens passe de 888 en 1948 à 1703 en 1949. Mais comme on revient de très loin, la pression des loyers reste très faible, ainsi qu'on l'a déjà indiqué, et comme le souligne la comparaison avec un salaire moyen ouvrier qui s’établit, selon l’INSEE, autour de 200 000 francs par an dans l'ensemble de la France pour l’année 1949.

Pour les locataires comme pour les propriétaires, l’enjeu réside donc, une fois de plus, dans les hausses futures. À cet égard, l’article 31 stipule que, pour une période de cinq ans, "le prix au mètre carré sera majoré chaque semestre d’une somme telle que le loyer du logement de référence soit augmenté d’une somme égale à 0,8% du salaire départemental moyen". En d’autres termes, la proportion de 4% du salaire de référence de 1948 retenue pour 1949 serait augmentée de 40% chaque année, à raison de 20% par semestre. Ces dispositions sont étendues aux HBM par le décret du 10 juillet 1949. La base 1948 (ou plus exactement la base 1er janvier 1949, date d’entrée en vigueur des nouveaux loyers) ayant remplacé la fameuse "base 1914", jusqu’où irait-on ? La note de calcul du MRU datée du 13 septembre 1948 retenait d’emblée l’objectif de conduire à 12% la part du salaire de référence dévolue au loyer (soit cinq ans de hausses), mais elle évoquait aussi ( entre parenthèses et sans plus de justifications – l’hypothèse de porter le taux nettement au-delà : "15 ou 20% par exemple". Sur la base des données de 1948 et en admettant que le taux soit effectivement porté à 20%, cela amènerait le loyer de "l’étalon-logement" à 25 200 francs. Or, en partant d’un prix de construction d'un million de francs, le "loyer-rentabilité" du même étalon-logement s’établissait à 45 000 F. Même si le "coût de construction" d’un million de francs paraît surévalué pour un petit logement sommaire, ce qui peut amplifier exagérément la valeur démonstrative du calcul, on mesure ici, avec l’administration du MRU, combien la disposition introduite par la suggestion de Claudius-Petit "bouleversait le projet initial", comme le dit Gondre. En effet, lorsqu’il coexiste plusieurs plafonds, un mouvement de redressement vient d'abord buter sur le plus bas. Le "loyer-salaire" fonctionne dès l'origine comme un butoir et il continue à le faire après 1953, reléguant le "loyerrentabilité", même au taux de 4,25%, au statut d'un "loyer-témoin" qui n'aura une importance effective que dans des cas limités. Il s’ajoute que la référence aux salaires départementaux implique des "abattements de zone", dont l’amplitude est accentuée par l’application d’un coefficient 1,5. Les deux coefficients ( celui d’abattement des salaires et le multiplicateur qui y est appliqué ( ne manqueront pas de susciter la hargne des représentants de la propriété : ils finiront par en obtenir l’effacement dans les années 1970.

En contrepartie de ces dispositions qui le frustrent d’une victoire éclatante, au moins sur le moment, le lobby de la propriété a obtenu satisfaction in extremis sur un des points où il bataillait depuis l’automne 1947. En effet, l’Assemblée Nationale a modifié la désignation de l’étalon-logement lors de la deuxième lecture. On s’en est tenu au "2 pièces cuisine", mais on a substitué un logement "de confort réduit" au logement "de confort simple", ce qui, dans une gradation à cinq degrés a eu pour effet de réduire la surface corrigée à 30 m2 et de faire passer le prix de l'étalon à 168 francs par mètre carré de surface corrigée et par an (au lieu de 140 francs). C’est l’optique globalement retenue par le décret du 10 décembre 1948 qui officialise en son article 3 la référence au logement de catégorie III A comme étalon et fixe un prix moyen de 160 F par m2 de surface corrigée... en s’en tenant toutefois aux 36 m2 initiaux, ce qui implique une réévaluation de l'étalon d'environ 14%.

Ces éléments suffisent à rappeler les flottements qui ont accompagné jusqu’au dernier moment la fixation du prix-étalon. On y reconnaît les influences contrariées de locataires, des propriétaires, des employeurs soucieux des effets sur les salaires, et sans doute aussi, via le rapport des salaires aux prix, des gestionnaires de l’inflation, en premier lieu des Finances. L’arbitrage qui en a résulté ne peut pas commander un respect sacré : la substitution du "loyersalaire" au "loyer-rentabilité" ne traduit rien d’autre qu’un équilibre momentané, le point de concours des forces tel qu’il était à l’été 1948. Dans la mesure où elles affectent deux éléments essentiels – la fixation du prix immédiat et l’horizon qu’on fixe à la hausse – les remarques qu'on vient d'exposer devraient suffire à faire justice de la qualification de "loyer scientifique" qui a été si souvent mise en avant par les défenseurs de la loi de 1948. La notion de "loyer scientifique" pourrait tout au plus s’appliquer à la partie de l’édifice qui concerne le classement des immeubles et le calcul de la surface corrigée, mais on ne va pas tarder à montrer qu’il y a là aussi matière à discussion.


Dispositions « techniques ». 

Le calcul du "loyer scientifique" se fonde sur deux opérations : la classification du local en cause et l’établissement de sa "surface corrigée".

En approchant la classification, on doit d’abord se défaire d’un préjugé hérité d’une perception tardive – typique des années 1960 et 1970 – et qui est liée aux changements de catégorie dans le logement populaire : les équipements sanitaires ne constituent pas un critère essentiel. Telle qu’elle est définie à la fin de 1948 (Annexe I du décret du 10 décembre 1948) la classification se fait en quatre grandes classes, la seconde (logement « bourgeois ») se subdivisant en II A, II B, II C) et la troisième (logement populaire) se subdivisant en III A et III B, ce qui donne au total 7 catégories. Il était prévu dès l’origine (article 2, alinéa 2 du décret du 10 décembre 1948) que « certains locaux de très grand luxe pourraient être pris hors catégorie", avec un prix de base relevé de 5 à 25% au-delà de la catégorie I. Cela sera confirmé par l'ordonnance du 27 décembre 1958 qui fera de ces immeubles la matière d'une huitième catégorie dite "exceptionnelle".

Même si le texte de 1948 veut que la classification s’opère par local – c’est-à-dire par appartement ( l’essentiel des critères retenus vise très clairement le standing de l’immeuble. La catégorie I implique une architecture particulièrement soignée et une excellente construction avec "des matériaux de tout premier ordre". Il va de soi que tout est conçu très "largement", de la hauteur des plafonds aux baies en passant par les escaliers d’accès, et que les logements comportent des pièces de réception aussi spacieuses que nombreuses. Dans cette description du "luxe" grand-bourgeois, il ne viendrait à l’idée de personne de discuter la présence de "locaux d’hygiène", forcément nombreux et de qualité, ni celle des ascenseurs, du chauffage central ou de l’escalier de service : tout cela va de soi.

La catégorie II associe les diverses strates du "confort" simplement bourgeois, depuis les locaux "très confortables" (II A), jusqu’à ceux qui sont seulement  "assez confortables" (II C). Le décret du 10 décembre 1948 précise que la catégorie II A correspond habituellement aux meilleurs immeubles des grandes villes de province et la catégorie II B, aux meilleurs immeubles des autres villes de province. On attend que l’immeuble ait une "belle apparence" (II A, II B), ou au moins une "bonne construction" (II B, II C). Si on exige encore de belles pièces de réception en II A, avec plusieurs salles d’eau et un fini soigné, on se contentera en II C d’un salon (pour les appartements de quatre pièces et plus) et d’un unique "cabinet de toilette". À ce stade II C d’une déchéance très petite-bourgeoise, les W.-C. sont "généralement intérieurs", cependant que le chauffage central et l’ascenseur sont respectivement "exceptionnellement présent" et "habituellement absent" dans les immeubles antérieurs aux années 1950.

La catégorie III correspond au logement populaire. Elle est, comme sur voisine II C, "sans caractère particulier" du point de vue de l’architecture. Dans le III A, la construction est "courante" et fait appel à des matériaux habituels dans la région. Le dimensionnement des entrées, des pièces, etc. est réduit, les locaux d’hygiène sont "habituellement absents", mais on dispose encore de points d’eau intérieurs et de "W.-C. particuliers" (qui peuvent être "extérieurs" : voir notamment le cas des maisons individuelles et des W.-C. en fond de jardin). Dans le III B,  on sombre dans le "médiocre", une construction particulièrement "économique" et même "bon marché" peut conduire à souffrir de l’humidité ou d’autres désagréments. Dans ces conditions, on doit plutôt considérer comme heureux le fait que l’eau soit généralement à l’extérieur, de même que les W.-C. quitte à ce que le trajet qui permet de rejoindre les robinets ou les lieux emprunte des "couloirs particulièrement sombres" voir des passages "en plein vent"

Quant à la catégorie IV, d’aspect délabré et particulièrement défectueuse, elle "ne présente pas ou ne présente plus les caractères élémentaires d’habitabilité", souvent en raison de la vétusté, et l’absence de tout équipement y est habituelle. Il s’agit très nettement d’un habitat insalubre mais on préférera longuement le qualifier de "précaire": ces contorsions sémantiques permettant de différer le lancement d’une action publique à grande échelle que les lois de 1902 et suivantes auraient commandé. Dans la langue courante, un seul terme s'impose pour désigner cet habitat misérable: le taudis.

Ayant ainsi descendu, avec la lenteur qu’impose une observation attentive, le majestueux escalier qui associe la dignité architecturale et la dignité sociale, on reste confondu par éventail de 1 à 2 que les propriétaires auraient "instamment demandé" pour le prix du mètre carré de surface corrigée. Certes, on comprend que les coefficients correcteurs liés aux équipements vont accentuer fortement les contrastes, mais on serait étonné que, de la carcasse d’une soupente ou d’une cabane bidonvillesque à celle d’un immeuble de l’avenue Foch, la différence ne fût que de 1 à 2. Le décret du 10 décembre 1948 fait d’ailleurs un peu mieux : d’éventail va de 1 à 2,5 pour les dix premiers mètres carrés et de 1 à 3 pour les mètres carrés supplémentaires. On conserve toutefois l’impression que le logement de luxe est nettement sous-évalué, ce qui ne devrait pas manquer de susciter des aigreurs de tous côtés, à l’exception des heureux locataires du seizième.

La surface à prendre en compte pour le calcul des loyers était désignée dans les textes ministériels de 1946-1947 comme la "surface pondérée", conformément à un usage constant du calcul des prix dans le bâtiment et l’immobilier. Elle n’a pris l'appellation de "surface corrigée", "vouée à une belle postérité", comme le dit Danièle Voldman, que le 9 juin 1948. Le mode de détermination de la surface corrigée a été défini par le décret du 22 novembre 1948, complété par le décret modificatif du 17 mars 1949. Les retouches, nombreuses, qui sont intervenues par la suite n’en n’ont pas changé l’architecture générale. En revanche, le domaine privilégié d'application de la surface corrigée s'est déplacé au cours du temps. Des logements existants, il a été étendu par le décret du 9 août 1953 à l'ensemble des HBM-HLM, y compris les constructions d'après 1948, et c'est sur ce terrain que la surface corrigée conserve toute son actualité : elle est encore en usage en 1998 pour la détermination des loyers dans le parc de « l’entreprise publique de logement », notamment les PLA. À ce titre, les stimulations qu’elle contient ou ne contient pas ont eu une efficace de longue haleine sur la nature de la construction neuve, en soulignant aux yeux des gestionnaires sociaux les conceptions du logement qui étaient opportunes et celles qui ne l’étaient pas.

La procédure de calcul repose sur trois étapes. On identifie tout d’abord les pièces d’habitation et les annexes prises en compte : leur surface effective fournit une première base, après pondération éventuelle et correction par un coefficient tenant compte de l'éclairement, de l'ensoleillement et des vues qui peut varier de 0,67 à 1,7. Seconde étape, cette base est multipliée par un facteur égal à la moyenne des coefficients de situation et d’entretien. Troisième étape – et sans doute la plus connue – on ajoute au résultat ainsi obtenu des "équivalences superficielles" pour les équipements, à commencer par l’électricité, le gaz et les postes d’eau. Dans la mesure où elles viennent en fin de calcul, les "équivalences superficielles" sont insensibles aux autres correctifs : leur effet sur le loyer s'évalue de façon simple et indiscutable quelles que soient la nature de l'immeuble ou son site d'implantation.

De cette construction, qui a produit des effets particulièrement durables, on retiendra ici deux points pour un bref commentaire : la définition des pièces d’habitation et le traitement des équipements.

La définition des pièces d’habitation n’a pratiquement pas été remaniée depuis le décret du 22 novembre 1948. Étant précisé qu’une pièce ou une cuisine doit désormais comprendre au moins une "baie ouvrante donnant sur l’extérieur", on distingue :

les "pièces d’habitation", d’une superficie » d'au moins 9 m2, d’une hauteur sous plafond d’au moins 2,5 mètres, dotées d’un chauffage ou d’un conduit de fumée, ainsi que d’ouvertures d’une surface au moins égale au 1/10 de la superficie au sol ;
les "pièces secondaires", d’une superficie au moins égale à 7 m2 et d’une hauteur sous plafond d’au moins 2,20 mètres;
les cuisines et les annexes.

Les pièces principales sont affectées d’un coefficient de pondération égal à 1, de même que les annexes dévolues à l’hygiène et les cuisines, pourvu qu’elles présentent la même hauteur sous plafond, qu’elles bénéficient d’une fenêtre et qu’elles fassent au moins 4 m2. A ce dernier détail, on voit que le plaidoyer engagé en 1947 par les propriétaires en faveur des "petites cuisines" et de l'ergonomie de la ménagère n’est pas resté sans effet. On mesure aussi ce qu’on vient d’autoriser – voire de recommander – en matière d’HBM-HLM neuves.

Les pièces "secondaires" sont affectées d’un coefficient 0,90 qui en détermine la "surface utile" : la punition est encore légère. Les choses se gâtent quand on aborde les "annexes" qui ne sont pas assimilées aux pièces principales ou secondaires : celles qui se situent dans le logement sont affectées d’un coefficient égal à 0,6 (sous réserve d’une hauteur minimale sous plafond de 1,90 mètre). On ne regrettera pas que les débarras, réserves et autres pièces sans jour soient ainsi pénalisées et on comprendra que les "balcons et loggias de service couverts" soient assujettis au même coefficient 0,6. Mais on pourra déplorer que les propriétaires n’aient pas eu gain de cause concernant les entrées, les vestibules et autres distributions, car on est désormais assuré que dans un esprit typiquement "fonctionnaliste", les "espaces servants" vont être autant que possible comprimés – voire supprimés – dans la construction sociale, et on peut redouter que la contagion ne gagne de proche en proche la plus grande partie de la construction neuve. Les placards représentent un cas intermédiaire sur lequel le décret rectificatif du 17 mars 1949 revient longuement. La contestation insistante des propriétaires a été à demi entendue : les placards incorporés dans les parois sont considérés comme des annexes (coefficient 0,6), mais ceux qui sont "situés en saillie du nu des mur ou cloisons voient leur surface comptabilisée avec celle de la pièce dans laquelle ils sont installés (coefficient 1, 0,9 ou 0,6 selon les cas). Cette seconde hypothèse reste toutefois décourageante puisqu’il s’agit d’un élément coûteux en construction. Traitées à l’équivalence superficielle, les caves font l’objet d’un sort qui n’est pas plus enviable : un forfait de 1 m2 pour 2 à 10 m2 de surface effective, et de 2 m2 au-delà. On voit ainsi apparaître clairement que le "loyer scientifique" se détermine contre les espaces de transition et les espaces de rangement. En cela, il a substantiellement contribué à maintenir l’habitat collectif dans un état de pauvreté – voire à aggraver la pauvreté via la construction neuve et les initiatives qui prennent, lors des réhabilitations des propriétaires soucieux de se débarrasser des espaces sous-évalués.

Dans sa sécheresse, l’examen de détail des "équivalences superficielles" prévues au titre des équipements dans le décret du 22 novembre 1948 ne manque pas non plus de poser des questions. On peut admettre que l’installation de gaz soit forfaitisée à 1,5 m2. Mais on s’étonne de voir traitée de façon identique l’installation électrique "permettant un éclairage normal" de l’ensemble du "local" : cela ne fait pas lourd pour les grands logements. Le premier poste d’eau du local ( qu’on devine sur l’évier de la cuisine ( est apparemment mieux traité (3,50 m2), mais l’écart tient à la présence de la "vidange" (2 m2). L’affectation d’un même forfait de 1,5 m2 au gaz, à l’électricité et au premier poste d’eau laisse entendre qu’on s’est attaché avant tout au raccordement du local aux réseaux, laissant le reste à l’initiative de qui le voudrait.

Parmi les éléments qui « cotent », on retient le W.-C. qui « vaut » 4 m2 s’il est "particulier au local" et doté d’un "effet d’eau", ou encore la baignoire, le receveur de douche ou le bac à laver, qui ne « valent » que 2 m2 en soi, mais atteignent 5,75 m2 s’ils sont desservis par un poste d’eau chaude. Le vide-ordures ou l’évier-vidoir – un équipement emblématique des meilleurs HBM des années 1930, où les déchets sont évacués comme dans une cuvette de W.C. – sont aussi bien considérés que la baignoire (2 m2 s’ils sont particuliers au local), et le chauffage central l’est un peu moins (1,75 m2 par pièce ou annexe chauffée). Quant aux ascenseurs, ils sont cotés en négatif, sous la forme d’une moins-value de 5 à 15% applicable aux locaux non desservis et situés au-delà du 4ème étage.

Les seules modifications substantielles du texte d'origine sont intervenues par un décret du 27 juin 1964. On continue d’encourager le vide-ordures et l’évier-vidoir qui sont mis à 4 m2 s’ils sont particuliers au local (2 m2 seulement s’ils sont communs à l’étage). Les W.-C. particuliers avec effet d’eau sont portés à 6 m2 quand ils sont raccordés à l’égout, et l’abattement pour les unités supplémentaires a été supprimé. Enfin, la baignoire est maintenant évaluée à 4 m2 (la douche ou le bac à laver restant à 2 m2) et le premier poste d’eau chaude sur appareil sanitaire est porté à 6 m2. Comme on ne dit rien de la cuisine, on comprend que le chauffe-eau ovoïde judicieusement accroché au-dessus de l’évier appartient définitivement au mobilier du locataire. Il n’en reste pas moins que la valorisation de postes d’eau chaude traduit un changement de statut de l’appareillage de production qui, de « luxe » que le locataire est censé se procurer et coltiner avec ses meubles, passe progressivement au rang de ce que le langage juridique désigne comme des "biens immeubles par destination", suivant en cela le même chemin que la baignoire.

La tendance longue qui fait basculer des appareils du "meuble" vers "l’immeuble" accompagne et soutient la généralisation des équipements dans le logement. Sans doute la valorisation des W.-C. raccordés à l’égout témoigne-t-elle encore des soucis de raccordement dans les dispositions de 1964. Mais la préoccupation principale est maintenant axée sur les appareils : tout se passe comme si, de 1948 à 1964, on avait progressé d’une logique des raccordements à une logique des appareillages. Un tel changement d’optique peut paraître prématuré si on se réfère à la progression des logements « branchés ». En 1962, la proportion de résidences principales disposant de l’eau courante à l’intérieur du logement n’est encore que de 78% et il faudra attendre 1982 pour qu’on dépasse 99%. Mais, dès 1962, plus de 95% des logements urbains sont alimentés. De même, les résidences principales raccordées au réseau de gaz ne progressent que de 40 à 43,5% entre 1962 et 1968, mais le branchement est déjà effectif en 1962 pour plus de 70% des logements dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, et pour près de 80% dans l’agglomération parisienne. Quant à l’électricité elle est distribuée partout, sauf dans de rares écarts ruraux, et cet ultime problème est lui-même en cours de résolution à la fin des années 1960. Or, le dispositif de la surface corrigée régit avant tout des logements urbains, qu’il s’agisse des logements anciens non libérés ou de la production des organismes d'HLM. En ce sens, les innovations – d’ailleurs limitées – de 1964 viennent à leur heure.

Dans son allure générale, le système des équivalences superficielles s’apparente à un régime de troc où l’apport d’équipements est valorisé par une hausse de loyer. Anticipant sur les réflexions qu’on produira plus loin concernant l’amélioration de l’existant, on peut se demander si les conditions proposées étaient efficaces. On est d’abord surpris par l’usage de forfaits de raccordement calculés au logement (1,5 m2 pour les amenées de fluides, 2 m2 pour les égouts) alors que les coûts effectifs comportent certes une partie proportionnelle au nombre de logements, mais aussi une partie fixe (le branchement de l’immeuble) qui est loin d’être négligeable. On peut dès lors ironiser sur le fait que les immeubles collectifs où fourmillent les petits logements sont mieux couverts que les autres, et les collectifs en général, infiniment mieux que les individuels : voilà une norme qui présume à sa manière d'une politique du logement.

En admettant ensuite que les forfaits représentent une honnête moyenne pour les collectifs, qui constituent l’objet principal d’une loi sur les loyers en France, on est encore plus étonné par le rapport établi en 1964, qui veut qu’une baignoire avec eau chaude vaille presque sept fois le prix d’un raccordement et la douche, plus de cinq fois. C’est plus que considérable. Aussi faut-il probablement y voir une déformation du modèle destinée à encourager l’équipement sanitaire alors que, en dépit de hausses consistantes, les loyers autorisés par mètre carré ne sont toujours pas au niveau de la « rentabilité ». En 1980 encore, quand l’installation d’une baignoire et de la production d’eau coûtait couramment 5 000 à 6 000 francs, sans même compter la mise en forme de la pièce d’eau, le supplément de loyer qu’on pouvait en attendre variait de 240 francs par an en III B (amortissement en 20 à 25 ans) à 1 200 francs par an en II A (amortissement en 4 à 5 ans). La conclusion était transparente : un investissement susceptible d’être acceptable pour le propriétaires de logements bourgeois – mais ce n’était pas le problème – et à éviter absolument dans le logement populaire.

Ces observations qui concernent une date tardive – après des remaniements et de multiples hausses – valent a fortiori pour les années initiales. Les promoteurs du mécanisme « scientifique » ont assurément surévalué la cohérence et l’efficacité de leur produit. L'affirmation du député Cordonnier professant en 1950 que "la formule de la surface corrigée [...] encourage l’entretien et surtout l’amélioration du patrimoine immobilier" procède manifestement d'une exagération typique des discours de circonstance, notamment en ce qui concerne la masse du logement populaire. En fait, l'amélioration de l'équipement n'a pas été réellement stimulée par les stipulations originelles de la loi de 1948 et de ses textes d'application, mais bien plutôt les dispositifs de sortie qui ont été mis en place par la suite, ainsi qu'on va le montrer maintenant.



24. L’évolution ultérieure du régime des loyers.


Le temps de la guerre (1949-1962).

L’encre du compromis avait à peine séché que la bataille reprenait : "demande d’ajournement par le groupe communiste", "proposition socialiste de limiter à 33% l’augmentation des loyers au premier semestre 1949", suggestion du MRP d’étendre "le bénéfice de l’allocation-logement à de plus larges catégories sociales". Le gouvernement du moment et ses successeurs restèrent de marbre et s’en tinrent au programme fixé par la loi. Rien que la loi, toute la loi : la présence durable de Claudius-Petit au MRU n’est sans doute pas étrangère à cette attitude. En conséquence, les loyers furent substantiellement relevés au 1er janvier 1949, et on appliqua durant cinq ans les hausses de 20% par semestre qui devaient conduire le loyer d'un logement III A de 36 m2 de surface corrigée de 4% à 12% du salaire de référence de 1948, conformément aux stipulations de l'article 31 de la loi du 1er septembre 1948.

Une question s’est posée immédiatement : dans la mesure où l’Algérie avait été structurée en "départements français" par le statut adopté en 1947, ne fallait-il pas y appliquer la loi sur les loyers ? L’Assemblée Algérienne vote en janvier 1949 une décision visant à étendre aux trois départements algériens les dispositions de fond de la loi du 1er septembre 1948, mais cette décision n’est pas homologuée. En signifiant son refus, qui se fonde sur les prérogatives des instances centrales de l'Empire et sera confirmé par le Parlement en décembre 1949, le ministre de l’Intérieur Jules Moch conteste notamment la prééminence accordée au régime du loyer forfaitaire qui, de faculté secondaire à Paris devenait la règle à Alger, "le loyer dit « scientifique »" étant relégué à la fonction de repère arbitral dans certains conflits et aux cas dans lesquels les deux parties seraient d’accord pour l’adopter. Le rapport précité du député Cordonnier souligne qu’en dépit de salaires dont le "niveau réel est sensiblement plus bas qu’en métropole", le coût de la construction est beaucoup plus élevé en Algérie, que les loyers sont "en général plus élevés qu’en métropole", que "l’anarchie des prix [est] plus sensible encore qu’elle n’était en France avant le 1er septembre 1948", et que les majorations forfaitaires décrétées par l’Assemblée Algérienne pour le 1er juillet 1949 (+ 100% pour les locaux datant de 1914-1939 et + 200% pour ceux d’avant 1914) n’ont pas contribué à remettre de l’ordre. Qu’en sera-t-il, par ailleurs, d’une application à "l’élément musulman", dont le nombre croît inexorablement ? Dieu merci – hamidullah ! – cet élément-là vit pour l’essentiel dans des logements dont il est "propriétaire". Après quelques va-et-vient le projet de loi adapté à l’Algérie qu’a déposé le gouvernement débouche sur la loi promulguée le 30 décembre 1950, complétée par un arrêté du 8 février 1951. La prééminence du loyer forfaitaire est maintenue, mais atténuée – le loyer "scientifique" est applicable dès lors qu’il est demandé par une des parties – et les taux de hausse autorisés sont sensiblement réduits en vue de parvenir en 1954 à des niveaux de loyer comparables à ceux de la métropole. Quant au titre II concernant l’allocation de logement, il reste "réservé", conformément à ce qui avait été disposé par la décision initiale de l’Assemblée Algérienne. L’affaire de l’allocation de logement revient sur le métier en 1953 et donne lieu à des dispositions spécifiques pour les artisans et commerçants dans les années 1954-1957. Des problèmes du même ordre que ceux concernant l’Algérie se sont posés dans différents territoires d’Outre-mer, notamment les Antilles et la Guyane.

Dans le courant de 1953, alors que la Guerre d’Indochine bat son plein mais que l’horizon impérial de la loi sur les loyers s’éclaircit progressivement, la question qui revient au premier plan est celle de la suite qu’il convient de donner, en métropole, à la marche forcée qui vient d’être assumée durant cinq ans. Pendant ce temps, la production législative affectant le régime des locations est restée modeste. On note la loi du 1er décembre 1951, autorisant les juges à surseoir aux expulsions, ou la loi du 4 avril 1953, qui interdit la vente des immeubles faisant l’objet d’une interdiction d’habiter, d’un arrêté de péril, etc. et spécifie des droits de reprise des acquéreurs en maintenant un délai minimum de 5 ans. Il s'y ajoute, un peu plus tard, la loi du 2 août 1954 qui facilite la division des appartements sous-occupés et la location séparée des "pièces isolées", autrement dit les "chambres de bonne".

Pourtant, l’ébullition n’a pas cessé, notamment à l’Assemblée Nationale. Si la production paraît légère et ne touche manifestement pas l’essentiel, c’est que, dans leur sagesse, les groupes au pouvoir ont différé l’étude des textes soumis au Parlement… et ont préféré procéder par décret : c'est par cette voie que, le 9 août 1953, on a dessiné l'avenir de la loi du 1er septembre 1948. L'inertie n'est donc qu'apparente, et on discerne une certaine hypocrisie dans le discours que tient le député MRP Henri Grimaud lorsqu’en novembre 1955 il rapporte en bloc sur soixante-et-une propositions de loi au nom de la Commission de la Justice et de la Législation présidée par son collègue Minjoz (SFIO) :

"Nous pouvions nous attendre, après la publication de la loi du 1er septembre 1948 dont l’importance n’a échappé à aucun d’entre nous, à voir proliférer les propositions de modification [...]. L’expérience a confirmé nos prévisions. C’est ainsi que nous nous sommes trouvés, jour après jour, en présence de propositions qui tendaient à opérer d’importantes modifications à la plupart des articles de la loi.

Nous aurions pu, au fur et à mesure de leur dépôt, examiner les modifications qui nous étaient suggérées.

Nous avons pensé qu’il n’était pas souhaitable de vous proposer des ajustements successifs. Rien n’est plus regrettable que de créer l'incertitude sur les droits des citoyens. Rien n’est plus condamnable que de modifier trop fréquemment la loi et d’instaurer l’instabilité de la législation [...]"

Dans ce stock accumulé depuis 1951, c’est-à-dire tout au long de la seconde législature de la Quatrième République, que trouve-t-on ? Des propositions de Raymond Guyot, au nom du groupe communiste, tendant d’abord à surseoir aux hausses semestrielles (1951) et, finalement, à abroger toutes les dispositions prévoyant des hausses de loyer (1955), des propositions du Président Minjoz et du groupe socialiste, visant à étendre le principe du maintien dans les lieux à toutes les locations, y compris dans les départements algériens, ou, à défaut, les propositions des députés Legaret, Frédéric-Dupont et Renard visant respectivement à garantir le maintien dans les lieux aux personnes de plus de 70 ans, aux grands invalides de guerre ou aux ouvriers agricoles. Toujours à l’avantage des locataires, on note les propositions de René Schmitt ou de Mme Poinsot-Chapuis demandant l’abrogation de l’article 71, alinéa 2, qui autorise dans certains cas des dépassements de loyer dans les immeubles de la reconstruction. On remarque enfin des propositions qui permettraient aux propriétaires de saisir quelques avantages : c’est ainsi qu’on voit le député Ramarony s’en prendre à l’article 38 pour grappiller sur les charges, ou Pierre Garet réclamer la prorogation des exonérations d’impôt foncier prévues à l’article 90 au profit des propriétaires qui logent des "économiquement faibles" et ont été de ce fait privés du bénéfice des hausses, etc.

Même si on fait la part des initiatives tactiques ou périmées (on ne peut plus surseoir en 1955 aux hausses intervenues depuis 1948, les propriétaires logeant des « économiquement faibles » ne devraient plus souffrir depuis le décret n°53-1186 instituant les allocations compensatrices des hausses de loyer, etc.), l’amoncellement des propositions en instance reste considérable. Il se répartit en trois tendances principales : la dénonciation globale de la loi, au moins sous l’angle des prix, l’extension du régime de 1948 à toutes les locations (y compris les habitations nouvelles, conformément à ce qui a été fait dans les HLM) et des mesures ponctuelles tendant généralement à renforcer les positions des propriétaires (reprise, charges... etc.). Aux tenants de la première tendance, le rapporteur a répondu d’emblée : on ne touche pas à un monument. Aux tenants de la seconde, il rétorque d’abord que les conditions d’application en Algérie ont été réglées par la loi du 30 décembre 1950 et "qu’il ne saurait être question de revenir sur une législation qui semble avoir donné satisfaction" ; concernant ensuite la généralisation du maintien dans les lieux, il tance son président de commission en rappelant que la proposition a déjà été rejetée lors de l’examen initial de la loi de 1948 et en soulignant qu’il n’y a pas lieu de revenir sur un principe acquis. De l'ensemble dont il était saisi, il ne retient finalement que peu de choses, si on en juge par les propositions de modification qu’il transmet concernant les 17 premiers articles de la loi du 1er septembre 1948 :

Au profit des propriétaires, un assouplissement des conditions de congé, puisqu’il faudrait désormais, en matière de maintien dans les lieux, que les ayants droit fassent état d’une présence depuis au moins un an (article 5) et que, lorsqu'on établit la "sous-occupation" on ne tiendrait plus compte des sous-locataires (article 10 paragraphe 7).
Au profit des locataires, une extension du maintien dans les lieux couvrant les "économiquement faibles" qui bénéficient de "l’allocation compensatrice des hausses de loyer".

Ces modestes rectifications de frontière ne seront d’ailleurs pas votées. Sans doute faut-il croire qu’à la fin de l’automne 1955 l'humeur des députés ne les portait pas à manier à nouveau "le bistouri" dans les rapports locatifs. L’aggravation de la crise algérienne et la perspective des élections de 1956 devaient suffire à les détourner du logement. Avec l’engagement dans la guerre, et une législature dominée par le Front Républicain, la protection des locataires revient au premier plan en 1956. La loi du 9 juillet interdit toute expulsion à l’encontre des familles des militaires "stationnés en Afrique du Nord" et celle du 3 décembre institue la trêve hivernale du 1er décembre au 15 mars, autorisant de surcroît les juges à multiplier les sursis à expulsion, notamment en considération de "l’âge" ou de "l’état de santé" de l’occupant, ou encore de la "situation de famille" ou des "conditions atmosphériques". Autant dire qu’avec la guerre le maintien dans les lieux cher à la gauche revient par la petite porte des sursis à expulser. Les dispositions concernant les militaires sont confirmées par l’ordonnance du 3 janvier 1959 et celles concernant les sursis à expulsion sont étendues aux meublés (à l’exception des hôtels de tourisme homologués) par l’ordonnance n° 58-1442 du 31 décembre 1958.

Dans le temps où le maintien dans les lieux, sérieusement écorné par les libérations de loyer de 1948, se réinstalle subrepticement, qu’en est-il des prix ? Sur ce point essentiel, la propriété est confortée par le décret du 9 août 1953, qui décide que les hausses semestrielles se poursuivront "jusqu'à ce que le loyer atteigne la valeur locative prévue à l'article 27 [de la loi du 1er septembre 1948]", c'est-à-dire le "loyer-rentabilité" (article 1), et ajoute que désormais un contrat fixant avec l’accord des deux parties un loyer dépassant le "loyer-salaire" n’est plus annulable, à condition qu’on se tienne dans les limites du "loyer-rentabilité" (article 4). Le même décret raccorde par ailleurs (article 3) le "loyer-salaire" au SMIG – une base en évolution constante – et prévoit que les dispositions du titre I de la loi du 1er septembre 1948 "ne seront pas applicables aux locataires qui entreront dans les lieux postérieurement au 1er janvier 1958" (article 5), à l’exception des locations consécutives à des échanges d’appartement. Le butoir du "loyer-salaire" est encore mentionné dans le décret du 5 janvier 1957 qui fixe de nouvelles valeurs locatives, pour dispenser de hausses semestrielles les locataires qui ont accepté sous le régime du décret de 1953 des loyers supérieurs au "loyer-salaire" de 1957. Il disparaît dans la loi du 26 juin 1957 qui stipule "qu’à compter rétroactivement du 1er janvier 1954, les modifications du salaire minimum interprofessionnel garanti restent sans incidence sur le taux des loyers". La même loi engage le gouvernement à proposer "dans les trois mois" un nouveau système d’indexation des loyers. Celui-ci n’en fera rien, attestant ainsi que du décret de 1953 aux variations de 1957, la Quatrième République sait se conduire en digne fille de la Troisième République : un peu brouillonne et pas avare de promesses qui engagent l’avenir, le gouvernement suivant ou, mieux encore, la législature suivante.

Une note interne émanant du Service juridique et financier du ministère de la Construction, non datée mais qu’on peut situer précisément en 1956, éclaire ces hésitations qui ne sont évidemment pas sans rapport avec le souci des affaires guerrières, le besoin de maintenir le calme à l’arrière et la « lutte » connexe contre l’inflation (le freinage de la « course » prix-salaire). Rappelant que les hausses de 1949-1953 ont constitué "une première étape", on y fait tout d’abord le point sur la situation au 1er semestre 1954. Les hausses programmées en 1948 ont effectivement porté le loyer du local III A de 36 m2 de surface corrigée à 1440 anciens francs par mois, soit 12% du salaire de référence de 1948. Mais, compte tenu de l’évolution intervenue entre temps sur les salaires, le maintien du rapport de 12% du salaire de base aurait exigé que le loyer passât à quelque 2 400 anciens francs par mois dès 1953. On se félicite donc que le décret du 9 août 1953 ait décidé de poursuivre les hausses semestrielles, et que le raccordement au SMIG ait eu pour effet immédiat de repousser la borne du "loyer-salaire" à 2 400 francs, soit un relèvement de 67%. Mais, explicitant la "climatisation du SMIG" qu'évoque par ailleurs Gondre, on déplore la suite des événements :

"[…] ce principe a été lui aussi rendu inopérant. En effet, sans que le SMIG soit majoré, les décrets des 5 février et du 9 octobre 1954 et du 2 avril 1958 ont créé une indemnité horaire non hiérarchisée portée successivement de 15 francs à 21,50 francs puis à 26 francs. Les salaires les plus bas ont donc été pratiquement majorés de 26% sans que jouent les dispositions [de hausse des loyers]."

La hausse s’était poursuivie mais elle avait été bridée par la manipulation de sa borne-objectif. Appliquant sans barguigner un temps de travail de 200 heures à un SMIG horaire fixé à 126 francs le 1er janvier 1956, et forçant quelque peu le sens de la loi de 1948 l’auteur de la note conclut que "le loyer annuel du local-type devrait être au minimum de 3 024 francs, alors qu’il n’est actuellement que de 1 920 francs". Et d’ajouter in fine, en guise de justification, que "les charges de la propriété bâtie se sont notablement accrues depuis 1948", notamment parce que "les centimes additionnels à la contribution foncière ont été augmentés par la plupart des collectivités locales, souvent dans des proportions considérables."

Le texte qu’on vient de citer atteste quatre points :

Contrairement à ce qui s’était passé entre deux guerres avec la « base1914 », la législation sur les loyers n’est pas restée arrêtée à une base 1948.
Conformément à l’esprit de la loi de 1948 et à la lettre du décret de 1953, les hausses se sont poursuivies après 1954, comme on l’a mesuré dans le paragraphe consacré aux observations quantitatives.
Dans cette affaire, le ministère de la Construction a été invariablement fidèle tout au long des années 1950 à la position du MRU de Claudius-Petit : revaloriser les loyers jusqu’à conduire les ménages à un taux d’effort substantiel en vue de rétablir l’équilibre d’exploitation de la propriété immobilière, privée… ou publique.
La marche a été quelque peu ralentie à partir de 1954 par des mesures émanant d’autres instances, en raison d’impératifs globaux de l’État liés aux circonstances de la guerre. On n’est certes pas revenu à la situation des « grandes » guerres (les forces sont engagées, mais pas jusqu’à la tension maximale) ni même à celle des années 1920 et 1930. Mais on doit constater que la loi-cadre de 1957 évite soigneusement la question des loyers et des régimes locatifs : ce n’est pas le moment de revenir sur une affaire qui fâche.


Le régime qui s’installe le 13 mai 1958 avec le retour du général de brigade de Gaulle est, comme ses prédécesseurs, confronté aux questions de la guerre. Il ne tardera d’ailleurs pas à éprouver qu’il ne suffit pas de placer un militaire à la tête de l’État pour être à l’abri d’un putsch. Mais à la différence des ministères de 1946-1958, il gouverne d'abord par ordonnances, puis avec une assemblée à sa dévotion (les « godillots » du général). Combiné avec une réalité de la guerre qui, vue de l’hexagone, ne s’apparente quand même pas à la « guerre totale », le caractère autoritaire du régime lui permet de reprendre le fil de la question des loyers. Sous le premier gouvernement de la Cinquième République, le régime des loyers est modifié par trois textes principaux :

l’ordonnance du 27 décembre 1958;
les décrets du 1er octobre 1960;
la loi du 4 août 1962.

A ce corpus principal s’ajoutent les textes qui peuvent paraître secondaires, mais qui ne sont pas sans signification, notamment le décret du 27 novembre 1962, pris au titre du Ministre des Finances, et qui tend à faire le ménage dans les logements possédés par l’État et les établissements publics nationaux en organisant la révision de tous les titres d’occupation, ou encore les décrets 62-1341 et 62-1342 du 14 novembre 1962, qui étendent explicitement aux logements construits par les organismes d’HLM les dispositions de revalorisation de la surface corrigée à la suite de travaux, et notamment le nouveau coefficient d’entretien.

L’examen de l’ordonnance du 27 décembre 1958 montre qu’on tranche sans plus attendre, mais avec quelque prudence, tout ce qui a été laissé en plan par la Quatrième République. En matière de prix, on ne revient plus sur la borne du "loyer-salaire", mise à l’encan en 1957, et on double les valeurs du "loyer-rentabilité" qui figuraient à l’article 5 du décret du 10 décembre 1948. Alors que les valeurs de référence primitives n’étaient pas encore atteintes dans la plupart des cas, on crée ainsi un espace consistant par de nouvelles hausses dans toutes les catégories. Dans la logique, on prescrit la poursuite des hausses semestrielles, avec deux innovations qui s’installent de façon définitive : d’une part, les hausses sont désormais modulées selon les catégories (de 25% pour la catégorie I à 5% pour les catégories III B et IV, judicieusement associées dans l’opprobre) ; d’autre part les hausses "ne consistent plus en une fraction du loyer initial, mais deviennent progressives" En d’autres termes, de même que la loi de 1948 avait mis au rancard les « bases 1914 », on vient de dire adieu à la « base 1948 », et on entre maintenant, sans retour, dans une période de glissement continu. D’autres dispositions concernent la création d’une catégorie "exceptionnelle" qu’on extrait de la catégorie I, les locaux à usage partiellement professionnel dont le loyer est désormais majoré de 25% (contre 15% dans les textes de 1948), ou la répercussion immédiate de toute modification affectant l'état ou la consistance du local (alors qu’une révision de la surface corrigée ne pouvait intervenir que tous les cinq ans selon les textes de 1948).

Par contraste avec ces audaces, la prudence se manifeste dans la suite donnée au décret du 9 août 1953 qui avait prévu un "loyer libre" pour les locataires qui entreraient dans les lieux après le 1er janvier 1958. L’ordonnance repousse l’échéance au 1er janvier 1959 et limite la portée de la mesure. Tout en laissant entrevoir que "des décrets [...] pourront étendre [ces] dispositions à d’autres communes", le texte qui forme le nouvel article 3 bis de la loi du 1er septembre 1948 modifiée stipule en effet que la liberté des nouvelles locations n’est applicable que dans les villes de moins de 10 000 habitants et hors l’agglomération de Paris (toujours définie par le rayon de 50 km.). Certes, conditionné par le départ de locataires qui se cramponnent aux avantages acquis, le rythme du changement sera lent. Mais cela fait quand même quelques centaines de milliers de logements promis à un nouveau statut.

Dans l’année 1959, on rappelle néanmoins qui est le maître du bien et en mettant fin à des situations qu’on juge abusivement favorables à certains locataires. Le décret du 10 septembre 1959 rend en effet les nouvelles valeurs locatives immédiatement "applicables à la totalité des locaux inoccupés ou faisant l’objet d’une sous-location totale ou partielle". Le même texte dispose que "les parties peuvent également, d’un commun accord, fixer le prix du loyer dans la limite de la [nouvelle] valeur locative". Il y a peu de chances que cette proposition suscite l’agrément des locataires en place, mais elle prend toute sa force à l’égard des locations nouvelles, où le pouvoir de proposition du propriétaire est effectif.

Alors qu’on recherche les chemins de la paix extérieure, les décrets du 1er octobre 1960 viennent accentuer la tendance à la hausse en révisant de façon drastique les coefficients d’entretien qui, « moyennés » avec le coefficient de situation, viennent corriger les surfaces habitables conventionnelles de base.

Le décret du 10 décembre 1948 prévoyait un coefficient d’entretien variant de 0,3 à 1, qui avait plutôt pour effet de minorer les surfaces corrigées. Désormais la plage de variation est portée de 0,35 à 2,50, le seuil de 1,70 ne pouvant être dépassé que dans le cas où le logement est équipé d’un éclairage normal, de W.-C. particuliers avec chasse d’eau, d’une salle d’eau et d’une cuisine avec poste d’eau et vidange. Certes le nouveau coefficient n’est notifiable à l’occupant (et applicable au loyer) que dans la mesure où il atteint un seuil de 1,5 dans la catégorie I, de 1,4 dans la catégorie II, de 1,3 dans la catégorie III et de 0,8 dans la catégorie IV. Sans même évoquer la catégorie IV, où un peu de peinture suffit, cela n'en signifie pas moins qu’une revalorisation de 30 ou 40% des loyers peut être appliquée à des logements populaires qui sont seulement à moitié en état. Pour accentuer l’incitation à l’entretien, il est indiqué que le loyer pourra être revu chaque fois qu’on pourra établir que le coefficient d’entretien a varié – en hausse ou en baisse – d’une valeur au moins égale à 0,2. Comme on pouvait craindre que ces dispositions suscitent nombre de conflits, le texte du 1er octobre est accompagné d’une circulaire de Pierre Sudreau enjoignant aux préfets de réactiver les "commissions paritaires" instituées au niveau des communes "dans la période qui a suivi l’entrée en vigueur de la loi du 1er septembre 1948".

La paix extérieure revenue, la loi du 4 août 1962 "modifiant la loi du 1er septembre 1948" commence par libérer les loyers de toutes les "remises à usage de garage" (article 1). Elle poursuit en confirmant que les locaux achevés depuis le 1er septembre 1948, ou convertis à l’habitation depuis le 1er juin 1948, sont l’objet de locations libres, quelle que soit leur localisation (articles 2 et 3). Les articles 4 et 5, qui deviennent respectivement les articles 3 ter et 3 quater de la loi de 1948 représentent l’innovation la plus consistante. Le second libère les contrats à venir sur des locaux à usage partiellement professionnel. Le premier autorise les locations d’habitation à "déroger pendant [leur] cours aux dispositions du présent titre", pourvu que le bail soit conclu "après l’entrée du preneur dans les lieux" et pour "une durée d’au moins six années". Sous réserve d’un consensus et d’une stabilité garantie au locataire, on vient ainsi de rendre une marge assez considérable à la liberté contractuelle. Ce n’est toutefois pas encore une voie de sortie : l’article suivant réaffirme le droit au maintien dans les lieux pour les locataires des logements qui restent dans le champ géographique initial de la loi de 1948. En comparaison de ces innovations, les autres dispositions du 4 août 1962 paraissent d’une portée secondaire, encore qu’on puisse signaler que l’article 7 s’emploie à préciser les droits des parties en cas de divorce ou de séparation de corps, de qui traduit sans doute la montée d’un fait de société.

Le sens des mesures de 1958-1962 est transparent : on commence par maintenir les hausses générales de l’ancien et par étendre les secteurs libérés, on poursuit en stimulant l’entretien et, la paix revenue, on engage dans les secteurs qui restent sous contrôle un processus d’assouplissement général qui préfigure une libération future. Les décisions de la période sont éclairées par l’analyse que livre le rapport Rueff-Armand de 1960 à propos du problème du logement. Après avoir dénoncé "les méfaits du régime des loyers", les "injustices" qu’il entraîne et les "charges indirectes" qu’il fait peser sur l’État, les auteurs en viennent aux "perspectives de réforme". Ils se réjouissent des "progrès incontestables que représentent la loi du 1er septembre 1948 et l’ordonnance du 27 décembre 1958", mais déplorent qu’on ne soit pas allé "aussi loin et aussi vite qu’il était nécessaire, car [on s’est] aussitôt heurté à des obstacles d’ordre psychologique, social et politique". "Pour rétablir un marché unique des logements locatifs," ils ne voient qu’une "solution d’ensemble" : "la hausse générale et rapide des loyers anciens". Ils réclament qu’on étende les secteurs géographiques soumis à l’article 3 bis de la loi de 1948, et qu’on suive un "avis récent" du Conseil Économique préconisant la liberté des transactions dans tous les logements anciens bénéficiant d’un certain niveau d’équipement. Mais ces procédures qui ne s’appliquent qu’aux locations nouvelles risquent de n’avoir qu’un effet "très dilué". Aussi en viennent-ils à des propositions plus musclées. Ils retiennent, comme "seul moyen de rétablir un marché unique du logement" une revalorisation de 150% de l’ensemble des valeurs locatives avec l’idée de libérer les loyers quand cette valeur enfin convenable aura été atteinte.

Conscients des "risques" qu’entraîne la programmation de ce nouveau train de hausse, les auteurs du rapport Rueff-Armand s’attaquent ensuite aux "obstacles psychologiques". Comme "toutes les enquêtes" montrent que les locataires acceptent plus facilement un sacrifice qui se traduit par une amélioration des immeubles, les rapporteurs jugent "très ingénieux" le système envisagé pour le nouveau coefficient d’entretien. Ils concluent en suggérant une mesure compensatrice de grande envergure : "l’extension de l’aide personnalisée à toutes les personnes de revenus modestes ou très modestes qui n’en bénéficient pas actuellement, notamment aux vieillards et aux isolés", ce qui priverait "ceux qui refusent de payer le logement à son juste prix, alors qu’ils le pourraient aisément" de l’argument consistant à "[s’abriter] derrière le vieillard sans ressources et le manœuvre-balai".

Dès 1959, les diverses interventions de Pierre Sudreau sont en phase avec les orientations du rapport Rueff-Armand. Le 11 juin 1959, devant le 20ème Congrès National des HLM, le ministre stigmatise "le contraste", "la disproportion" entre les charges que supportent ceux qui ont "le privilège de disposer d’un logement ancien" et ceux qui "habitent par accession ou par location, les immeubles neufs" Le 14 novembre 1959, dans l’entretien sur Europe n°1 qu’on a déjà cité, il souligne que les taux d’effort français sont encore très bas, et il regrette que le problème du logement ait été "trop traité comme un problème de charité". Il professe au contraire que "c’est essentiellement un problème économique", qui "ne pourra être résolu que lorsque l’opinion publique aura pris conscience de sa gravité" et "que chaque Français aura accepté de payer son logement pour le juste prix du service rendu". "Bien sûr", concède-t-il pour finir, "en contrepartie il faudra modifier le système actuel d’allocation logement."


Les années 1960 : le temps de la « remise en ordre » ?

Le chemin qui conduit à la « valeur locative » et par suite à la libération des loyers promet d’être encore long. Selon le rapport Rueff-Armand, seules les catégories exceptionnelles et I ont atteint la valeur locative, et elles ne représentent que 1% des locations dans l’ancien. Pour autant que les données des enquêtes logement soient fiables, l’évolution entre 1955 et 1967 de la répartition catégorielle des locations établies à la surface corrigée montre qu’un îlot de résistance s'ancre autour des catégories II C et III A, dont les loyers figurent par ailleurs au nombre des plus décalés par rapport à la valeur locative.

L'effacement relatif des extrêmes qu'on discerne dans le tableau qui suit peut s'interpréter, pour le haut de gamme, comme un effet des mesures catégorielles (hausse accélérée des loyers) ou des reprises pour sous-occupation, qui retentissent jusqu'au niveau II A, voire II B. En ce qui concerne le bas de gamme, cela peut correspondre à l'effet conjugué des mesures géographiques (libération des locations nouvelles dans les villes de moins de 10 000 habitants) et de reclassements vers le haut opérés à la suite d'améliorations, notamment de raccordements aux réseaux qui autorisent un minimum d'équipements. Il reste que, du milieu des années 1950 à la fin des années 1969, les logements populaires ordinaires (catégories III A et III B) constituent un noyau dur qui représente sensiblement les deux tiers du parc locatif soumis à la surface corrigée.





Loyers à la surface corrigée : distribution des logements selon la catégorie

195519631967Exceptionnel-I1%2%2%II A4%4%II B11%10%7%II C13%11%17%III A33%34%41%III B30%27%23%IV8%12%10%Total100%100%100% Source : INSEE, enquêtes logement de 1955, 1963 et 1967.
Études et conjoncture, n°9, septembre 1968, p. 158.

Parallèlement, le "désordre des loyers" se prolonge. Un document soumis en 1965 par le ministère de la Construction à la Table ronde sur les loyers permet à chacun de faire son marché. Le tableau reproduit à la page suivante permet tout d’abord de constater que les loyers retenus pour les locaux soumis à la loi de 1948 sont tout à fait compatibles avec les observations des enquêtes logement, et paraissent donc réalistes. Cette base fait ressortir que les clients de l’ancien sont systématiquement surclassés : il est préférable de se loger en II C voire en II B dans l’ancien plutôt qu’en HLM, en II A plutôt qu’en ILN ou en LOGECO et il vaut mieux ne rien dire d’autres logements aidés – primés ordinaires ou de "nouveau régime" (prêts spéciaux "différés") –, nettement plus chers que le luxe dans l’ancien. Quant aux logements neufs du secteur libre, de "standing" c’est-à-dire tout simplement convenables, leur prix peut être perçu comme scandaleux par les candidats au logement. Dans ces conditions, il est clair qu’un ménage raisonnablement informé ne se résoudra au logement neuf que contraint et forcé, faute d’avoir trouvé dans l’existant une place qui lui paraît supportable. On retrouve ainsi le fond de la réalité qui fait de la situation des jeunes ménages un leitmotiv, négatif – ce sont des "victimes" –, ou positif – ce sont eux qui portent la construction neuve.
































Il faut dire que ceux qui se dirigent vers le neuf ne rencontrent pas nécessairement une situation plus ordonnée. Après 10 ans d’existence, la SCIC a construit plus de 53 000 logements locatifs, dont les 4/5 en région parisienne et un peu moins des 4/5 aux normes LOGECO-LOPOFA. Cette importante branche de l’entreprise publique de logement qui loue sous contrat privé (puisque son statut en fait une société immobilière de droit commun) a fixé ses taux de loyer initiaux "au plus bas" ou "sur la base d’un bilan prévisionnel parfois dépassé par la flambée des prix" comme cela se pratique usuellement dans le secteur social. Les réévaluations intervenues dans le temps ont été très modérées : elles sont inférieures à celles des HLM et des loyers soumis à la loi de 1948. Il en est résulté trois genres de distorsions :

Une géographie des prix tellement mouvementée qu’elle en devient illisible. Dans la région parisienne, le loyer d’un appartement LOGECO de trois pièces appartenant à la SCIC varie dans une fourchette de 1 à 4 selon qu’on est à Bondy (80 francs par mois) ou à Sarcelles (328 francs par mois). Les contrastes tiennent aux conditions initiales de l’opération : site et période de construction, c’est-à-dire coût du foncier, mais aussi coût de la construction et, surtout, conditions de financement.

En raison notamment du raidissement général des conditions de financement, des différences de loyer très sensibles peuvent exister entre deux immeubles d’un même ensemble, pour peu qu’ils aient été construits à quelques années de distance. L’incidence qui s’ensuit "sur la répartition des charges communes et la fixation des impôts locaux" peut alors, "en créant dans un même groupe deux catégories de locataires, nuire au bon climat social de ce groupe."

Le fait d'avoir parié sur des bas loyers crée rapidement un problème de gestion car "les prévisions calculées sur des loyers trop faibles sont aujourd’hui insuffisantes pour assurer des immeubles en parfait état d’entretien."

Considérant que "pour les motifs exposés" il est "indispensable et urgent" de rétablir une "logique", la SCIC a entrepris de reclasser son patrimoine en trois "groupes" selon un ensemble de critères au nombre desquels on compte la présence d’un "chauffage d’immeuble" ou l’existence de "grands" appartements (c’est-à-dire... de plus de 55 m2 pour trois pièces). Corrélativement les loyers iront, en région parisienne, de 120 francs à 250 francs par mois pour un trois pièces, avec une possibilité de dépassement dans les opérations – sans doute récentes – "dont la situation financière laisse apparaître un déficit d’exploitation". Et il est entendu que pour l’avenir, les loyers continueront à glisser en hausse : on les indexera sur une variable qui reste à déterminer conventionnellement avec les locataires, par exemple l’évolution des loyers HLM.

Ces déterminations ne sont pas excessives – sur les deux tiers de la gamme on reste au niveau d’une HLM neuve de 1965 ou en-dessous cependant que, dans l’ensemble, on se tient entre le quart et la moitié du prix courant du « libre » en banlieue parisienne – et on concède d’entrée que les revalorisations seront progressives. On se prépare néanmoins à engager des campagnes de concertation et de négociation assez houleuses avec des conseils de résidants et des associations de locataires qui feront valoir que, dans tel immeuble pris en particulier, ils ne voient aucun motif valable d’abandonner la référence au "loyer d'équilibre" fixé à l’origine. Réapparaît ainsi, au détour de l’anecdote, un des enjeux majeurs de la période : faire passer dans les mentalités une rupture définitive avec toute référence fixe, que ce soit la base 1914, la base 1948 ou la date de construction d’un immeuble postérieur à 1948.

Face aux difficultés "psychologiques" et "sociales" qu’évoquait le rapport Rueff-Armand, la SCIC n’est pas la seule à emprunter le chemin de Damas de la "concertation". En témoigne, dès 1965, la "table ronde sur les loyers" convoquée par le ministère de la Construction et, en 1966, la "table ronde sur la modernisation de l’habitat ancien", dont l’activité reprend en 1969-1970 sous la forme d’une "table ronde sur l’habitat locatif existant", qui inscrit également dans ses préoccupations la situation des copropriétés et des propriétaires occupants.

L’examen de la fiche de présence à la séance de la "table ronde sur la  modernisation et l'entretien de l’habitat ancien" qui s’ouvre le 19 octobre 1966 sous la présidence du Secrétaire d’État au Logement Roland Nungesser permet de prendre la mesure des parties qui sont associées aux discussions : pas moins de 41 personnes y sont inscrites. Outre une représentation substantielle de la Direction de la construction, venue en nombre autour de son directeur, l’administration est représentée par le Conseil d’État, le ministère de la Justice, la Direction générale des impôts, la préfecture de la Seine et par des organismes comme le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB, dont la délégation est conduite par Georges Blachère, son directeur), le Fonds national d'amélioration de l'habitat (FNAH) ou la Bourse d’échanges de logements (BEL). Dix huit personnes représentent quant à elles les professions ou les acteurs sociaux. Parmi ces derniers on compte deux représentants des chambres syndicales ou unions de propriétaires et deux représentants des PACT (centres de Propagande et d'Action Contre les Taudis). Quant aux professions, la déclinaison est complète, des banques (cinq représentants) aux promoteurs sociaux (UNFOHLM, OCIL) en passant par le Conseil supérieur du notariat, la Fédération nationale des agents immobiliers (FNAIM), l’Ordre des architectes, un urbaniste et, naturellement, la Fédération nationale du bâtiment (FNB). On note deux absences qui détonnent dans un tel aréopage : les collectivités territoriales et les associations de locataires. Auraient-elles boudé ou, plutôt, aurait-on omis de les inviter ? 

La succession des tables rondes indique que la préoccupation principale se déplace progressivement du régime des loyers vers l’amélioration de l’habitat, une question à laquelle on consacrera le paragraphe suivant. Si l’on revient au problème des loyers, on constate tout d’abord que les intentions proclamées ne varient pas : du IVème au Vème plan, de note en commission, il n’est question que d’aller vers "l’unité du marché". Mais, au-delà de cette formule qui fait fureur, que fait-on ?

On a vu que le rapport Rueff-Armand, comme Pierre Sudreau, conditionnaient une accélération du mouvement par une généralisation de l’aide personnelle. Ce thème de la généralisation des aides à la personne, en lieu et place des aides à la pierre, se retrouve au coeur des projets examinés par les conseils interministériels restreints au cours desquels on envisageait, en février et mars 1962, une refonte complète de l’aide au logement sur la base des orientations qui seront finalement retenues en 1977. Mais le projet de surmonter par cette voie les obstacles "psychologiques et sociaux" est allé buter sur des obstacles... financiers car, dans leur sagesse, les conseils interministériels restreints se réservaient tout de même d’étudier attentivement le coût et l’efficacité de l’opération. En fait, l’idée est abandonnée deux mois plus tard lorsque le gouvernement Debré est remercié. Le revirement est attesté par la prudence avec laquelle le nouveau ministre Jacques Maziol aborde la question lors de sa première intervention devant le Conseil supérieur de la construction le 6 juin 1962 :  "On parle beaucoup de libération des loyers, de retour au droit commun. Vous savez que la politique consiste à le faire en tant que cela peut être fait [...]". Certes, il revient ensuite sur l’idée d’un "quotient de base que chaque famille devrait consacrer au logement, et au-delà duquel elle serait aidée", affirmant que cela permettrait de "retrouver la liberté des loyers sans s’en rendre compte". Mais, après les réserves énoncées en introduction, ce n’est plus qu’un projet lointain. Faute de mesures compensatrices d’envergure, il faut comprendre que, dans l’immédiat, on en restera aux dispositifs de 1958-1962 et à leur train de hausses semestrielles, qui deviennent annuelles en 1963.

Pour autant, l’administration n’abandonne pas complètement la perspective de mesures radicales. Après que Jacques Maziol a quitté le ministère, on retrouve en effet trace, vers 1966, d’un projet d’échéancier prévisionnel de libération des loyers, échelonné selon la taille des agglomérations – des villes moyennes jusqu’à l’agglomération parisienne – et selon les catégories – de la catégorie "exceptionnelle" jusqu’à la catégorie III B, qui déboucherait, in fine, sur la libération sans conditions des catégories III A et III B de l’agglomération parisienne au 1er janvier 1970. Mais cette démarche restera une nouvelle fois sans suite : la seule mesure effective qui y correspond est la libération générale des catégories exceptionnelles et I au 1er janvier 1968, un pas qui ne vise qu’une poignée de locataires privilégiés et dont la timidité signifie clairement que l’hypothèse d’une libération générale des loyers est renvoyée aux calendes grecques.

Les grandes perspectives annoncées en 1960 étant remisées pour un temps, on travaille dans le détail. Tout d’abord, l’État se charge désormais de gérer souplement la géographie de l’application de la loi du 1er septembre 1948. La loi de finances rectificative pour 1964 donne en effet l’occasion d’ajouter un codicille à l’article 1 : "des décrets pris sur le rapport du Ministre de la Construction détermineront les communes dans lesquelles [la loi de 1948] cessera d’être appliquée [...] ou pourra [...] être rendue applicable". Il s’ensuit aux « décrets de juin », de 1966 à 1970, des rectifications de frontières dont le solde est en faveur des libérations, notamment en 1969.

En faveur des propriétaires, la même loi de finances du 23 décembre 1964 prévoit en son article 6, qui deviendra l’article 3 quinquies de la loi du 1er septembre 1948, que même dans les communes où la loi sur les loyers continue d’être applicable, les locations nouvelles – c’est-à-dire concernant "locaux effectivement vacants" – échappent désormais à toute contrainte sous réserve que l’immeuble et le logement jouissent d’un bon entretien, de sanitaires et d’un éclairage électrique "normal". Outre ces dispositions qui traduisent la volonté de libérer progressivement tous les logements anciens qui rendent un service équivalent aux immeubles neufs, on stipule un peu plus tard que l’entretien des espaces extérieurs est désormais répercutable sur les charges locatives, et que la valeur locative est relevée de 50% en cas de sous-location. "En vue de faciliter le logement des personnes isolées et des étudiants", on renforce d'autre part la loi du 2 août 1954 autorisant la reprise des pièces isolées (les « chambres de bonne ») ou des pièces qui peuvent être séparées des logements sous-occupés. Outre que cela promet un logement particulièrement séduisant à ceux qui vont en bénéficier, cela traduit la perduration de l’état de crise en consacrant à nouveau la pratique de la division des « grands » logements et en pesant par suite dans le sens d'une baisse de la taille moyenne des logements. Il faut dire que cette pratique, déjà mise en évidence pour l’entre-deux-guerres, se prolonge dans les années 1960, modérément il est vrai : étudiant les variations du parc de résidences principales entre 1962 et 1967, l’INSEE identifie 104 000 "sorties" par regroupement de logements contre 147 000 "entrées" par dédoublement.

Au profit des locataires, on ne trouvera pas de mesures générales. On procède désormais par des interventions ciblées qui tendent à protéger les catégories auxquelles on prête une attention particulière. C’est ainsi qu’en vertu du décret du 26 juin 1965 les nouvelles valeurs locatives ne sont pas applicables aux conjoints veufs, séparés ou divorcés qui se trouvent maintenus dans les lieux, qu’en vertu de la loi du 11 juillet 1966, le droit de reprise ne peut plus être exercé, dans de nombreux cas, contre un locataire âgé de plus de 70 ans et ayant moins de 15 000 francs de revenu annuel, ou encore que suite au décret n° 70-644 du 17 juillet 1970, les hausses annuelles maximales sont désormais réduites de 25% dans le cas des locataires les plus pauvres (bénéficiant de l’allocation "compensatrice des hausses de loyer") ou âgés (sous les mêmes conditions que précédemment). Personnes demeurées seules à la suite d’une rupture dans le cycle familial, locataires très pauvres, veufs et personnes âgées aux revenus modestes : ainsi s’établit, au fil des textes, un ensemble de catégories de locataires justifiant une attention spéciale du législateur et de l’administration.

L’apparente diversité des situations qui sont prises en considération ne saurait toutefois faire illusion. Par référence aux deux situations qu’évoquait le rapport Rueff-Armand – le "manœuvre-balai" et "le vieillard sans ressources" – on voit que "les personnes les plus dignes d’intérêt" qu’il s’agit de "protéger au maximum" tendent à se centrer sur les personnes âgées, une catégorie que la modicité des retraites de l’époque condamne souvent à vivoter dans la pauvreté. Comme le "manœuvre-balai" prend de plus en plus souvent la figure d’un jeune immigré, c’est-à-dire d’une personne sans famille et qui ne vote pas, l’orientation qui se concrétise dans les années 1960 prête à dérision sous l’angle de "l’électoralisme" qu’on peut, comme avant 1948, imputer aux autorités.

Il faut toutefois noter que cette "exception importante" était d’avance entérinée par le rapport Rueff-Armand, qui admettait que le sacrifice imposé aux propriétaires "compense en partie l’insuffisance des pensions de retraites". S’il a bien été donné suite à cette entorse concédée dès le départ, ce n’est pas sans arrière-pensée : faute de pouvoir libérer les loyers que payent les personnes âgées de condition modeste, on s’emploie dès les années 1960 à faire libérer les logements qu’elles occupent en leur offrant un exutoire sous la forme de foyers spécialisés, une issue qui sera généralisée à l’intention des personnes seules (travailleurs immigrés, mais aussi étudiants et jeunes travailleurs) et qui trouvera son plein développement dans les années 1970. Il reste que, du point de vue des régimes locatifs proprement dits, l’examen détaillé des mesures mises en œuvre entre 1962 et 1970 pourrait laisser croire que rien n’a été entrepris pour assurer la "remise en ordre" et en finir avec l’anarchie des loyers qu’on dénonçait à l'envi.

Ce n’est pas le cas. Tout d’abord, la complainte de la SCIC n’est pas restée sans écho. Dans le projet de rapport général sur le Vème plan, (1965) les "organismes à but non lucratif" se font sérieusement tancer : "rien n’obligeait souvent les propriétaires à maintenir des loyers bas et le profit qu’ils auraient tiré d’une hausse des loyers aurait pu servir à financer des constructions nouvelles, contribuant ainsi à l’autofinancement de ce secteur". En conséquence, "des mesures d’harmonisation viennent d’être prises dans le secteur des HLM, où les loyers sont réglementés", et "d’autres maîtres d’ouvrage auront à suivre cet exemple : le calcul du prix des loyers devra se fonder sur la recherche d’un certains équilibre de marché et non pas seulement sur le montant des charges d’amortissement et d’intérêt des emprunts contractés pour la construction". On saisit ici la convergence entre le dossier de la SCIC évoqué plus haut et les mesures de reclassement de l’ensemble du patrimoine social selon les catégories de la loi de 1948 : celles-ci ne peuvent avoir d’autre signification qu’une hausse des loyers mettant fin aux "rentes de situation" qui se cristallisent progressivement au profit des locataires des ensembles les plus anciens. Même s’il subsiste des "obstacles psychologiques", c’est à un changement d’attitude très profond qu’on invite les gestionnaires en leur demandant de déconnecter les loyers du coût opérationnel initial et de mettre ainsi fin au dogme – courant dans les organismes à but non-lucratif – qui voulait que l’on impose pas à l’attributaire d’autres charges que celles effectivement et directement générées par le logement qu’il occupe. Ces dispositions nouvelles ne constituent pas la seule cause de la hausse ne constituent pas la seule cause de la hausse des loyers HLM qu’on observe de 1961 à 1970 – elles ajoutent leurs effets à ceux des réformes des financements, qui les ont d'ailleurs rendues si « nécessaires » – mais elles y ont incontestablement leur part, en pesant sur cette moitié du parc HLM postérieure à 1948 qui a été construite avant 1963. Le résultat en est que les loyers des HLM postérieures à 1948, qui se tenaient autour de 50% des loyers du secteur libre en 1961, en représentent 60% en 1970. La continuité entre les régimes locatifs, "l’harmonie" et "l’équilibre" du marché ne sont pas entièrement établis, mais le rapprochement est effectif. D’autant que, parallèlement, les loyers moyens des divers régimes de l’ancien, qui n’atteignaient guère que le quart du secteur libre postérieur à 1948, en représentent désormais 40 à 50%.

On discerne ici que les mesures "diluées" de 1958-1962 – selon l’appréciation inquiète, si ce n’est péjorative, du rapport Rueff-Armand – ont été redoutablement efficaces. Cela transparaît aussi bien dans la hausse des loyers "amiables", qui domine le paysage général des réévaluations de 1961 à 1970, que dans la réduction du champ des loyers contrôlés de la loi de 1948, qui diminue d’un million de logements entre 1963 et 1970 alors que les loyers "amiables" s’accroissent de 440 000. La procédure apparaît sans doute d’autant plus satisfaisante à ses promoteurs qu’elle est budgétairement neutre puisqu’elle dispense d’une extension constante de l’allocation de logement, et socialement à peu près indolore, puisqu’elle affecte principalement les locations nouvelles consenties à des ménages solvables.

Les mérites d’un cheminement en souplesse étant désormais bien établis, il est compréhensible qu’en fin de période on poursuive dans la même voie : la loi du 9 juillet 1970 réduit le champ d’application qui subsiste dans les communes de moins de 4 000 habitants (il faut désormais une augmentation de population de plus de 5% sur au moins trois périodes intercensitaires au lieu d’une) et, surtout, prévoit dans un nouvel article "3 sexies" que les logements qui ont fait l’objet d’une location au titre des articles 3 bis à 3 quinquies échappent définitivement au dispositif de 1948 à l’issue du premier bail dérogatoire ; quelques jours plus tard, le décret du 17 juillet supprime les bornes qui limitaient encore, dans le décret de 1960, la variation en hausse des coefficients d’entretien et réduit à une variation de 0,15 le "seuil de répétition" qui conditionne une nouvelle notification.

Parallèlement, et conformément à une méthode qui avait déjà été mise en oeuvre avant 1968 pour la catégorie I, on pousse vers des niveaux qui préfigurent une libération générale les hausses autorisées dans les catégories les plus élevées qui restent sous contrôle : 15% pour la catégorie II A et 12% pour la catégorie II B au 1er juillet 1970, 17% et 14% respectivement à chacune des trois échéances annuelles qui suivent. Un texte de présentation du décret de revalorisation de 1970 précise que la valeur locative est relevée dans les mêmes proportions : après l’abandon du loyer-salaire (1958), le second « butoir » vient d’être éliminé... sans qu’il soit besoin d’engager une refonte complète de la loi de 1948, comme on le souligne finement. Dans le même mouvement, on se préoccupe aussi de l’autre extrémité de la hiérarchie qualitative des logements anciens : les taudis. On en avait programmé l’extinction en refusant toute revalorisation du prix de base au mètre carré de surface corrigée concernant la catégorie IV depuis 1963, mais les enquêtes logement successives attestent que la misère perdure. Ici, la sortie sera... administrative. Considérant que l’état du gros oeuvre peut être "encore satisfaisant", on discrimine désormais les mauvais taudis, promis à la démolition et les taudis améliorables, qu’il convient de conserver. En foi de quoi, l’article 5 du décret du 30 juin 1970 précise que les logements qui disposent d’un poste d’eau et d’un W.-C., même communs, et dont le coefficient d’entretien est supérieur à 0,9 (toiture étanche, altérations ponctuelles du gros œuvre) "ne peuvent être classées dans une catégorie inférieure à la catégorie III B".

Réduisant le champ géographique d'application de la loi de 1948, préparant la poursuite des sorties par le haut, liquidant par voie administrative une grande part des taudis, la politique des années 1960 circonscrit progressivement le domaine des loyers contrôlés au logement populaire des grandes villes, dont le noyau est formé par la catégorie III, avec une répartition qui se fait par moitié entre les sous catégories A et B en 1955, et qui évolue vers deux tiers de III A en 1967. Dans ce secteur les hausses sont restées faibles ou modérées de 1963 à 1970 : les revalorisations des prix de base en III A se sont tenues à 7% par an de 1964 à 1969, soit un taux très inférieur à la moyenne des loyers anciens, et les logements III B n’ont connu aucune revalorisation générale durant la même période. Outre les "égards" dus "à la situation des ménages modestes" le projet de rapport général sur le Vème plan justifie la modération des hausses par le fait que ces logements "n’ont d’ailleurs pas leurs correspondants dans les logements récents". En conséquence, et bien qu’il faille éviter de "créer systématiquement de trop grands écarts par rapport aux autres catégories",  "le relèvement des loyers sera pour l’essentiel subordonné à la réalisation des conditions minimales d’habitabilité".

La politique des loyers rejoint ici la politique d’amélioration de l’habitat, dont on va décrire les grandes lignes dans le paragraphe qui suit. Mais, auparavant, il importe de tirer un bilan des observations qu’on a faites sur la politique des loyers, sur le triple plan de sa périodisation, de son rôle pivot dans la politique du logement et des rapports entre l’État et le lobby de la propriété immobilière.


Éléments pour un bilan.

La politique des loyers – l’existence ou non de différents secteurs, la manière dont ceux-ci sont gérés, etc. – constitue le pivot de toute politique du logement, comme le font valoir les textes et les débats de 1947-48. Cela rend désirable, au terme d’une narration chronologique un peu circonstanciée, un essai de périodisation dont on entend qu’il éclaire l’évolution d’ensemble du système du logement. En suivant les événements de la politique des loyers – les mesures qui sont prises ou différées, et aussi le climat, qui oriente vers une exécution ferme ou vers des dévoiements discrets – on serait porté à retenir un découpage en cinq périodes :

1945-48, qui s’inscrit dans la continuité du jeu initié par mégarde en 1914 ;
1948-53 (en y comprenant les décrets d’août 53) : un revirement majeur prend corps et reçoit un commencement d’exécution ferme en dépit d’un contexte politique difficile ;
1954-1958 (jusqu’à la prise du pouvoir par le Général de Gaulle) : le gouvernement parlementaire tend à revenir aux pratiques des années 1930, proclamant une chose et en différant l’exécution par toutes sortes de moyens. Dans cette période particulièrement sensible, on devine que l’existence du Ministère de la Construction et la position ferme de son appareil ont beaucoup pesé dans le sens du maintien des orientations de 1948-53, contre les « politiques », mais aussi sans doute contre d’autres éléments de l’appareil d'État (les Finances ?).
1958-62 : Un régime autoritaire conduit la guerre tout en préparant pour l’avenir un vaste projet de refonte de la politique des loyers et en prenant dans l’immédiat des mesures conservatoires (la poursuite des hausses) ou de portée limitée (les libérations partielles ou conditionnelles).
1963-1970 : La paix revenue, on renonce au projet de brusquer le retour au marché, sans doute en raison de son coût potentiel pour les finances centralisées, publiques et parapubliques (allocation de logement) ; on poursuit les hausses et les mesures "diluées", dont l’efficacité est patente, et on centre l’attention sur "l’harmonisation" des prix des différents régimes locatifs à niveau de service équivalent (gestion du patrimoine social) ainsi que sur l’amélioration de l’existant. Un trait caractéristique de cette période, en tout cas à partir de 1965, est l’engagement dans des procédures de concertation à l’échelon central : quand le Parlement devient une chambre d’enregistrement, le débat s’installe au sein du Ministère de la Construction en relation avec le Commissariat au Plan.

Compte tenu de la figure de l’État français de 1945 à 1970 et du rôle qu’y joue le planisme, il est compréhensible que la périodisation épouse d’assez près les dates des plans successifs : 1946-1950 prolongé à 1952, 1953-1957, 1958-1961, 1962-1965, et 1966-1970. On ne s’étonne pas non plus que la périodisation s’articule autour des deux dates de 1948, une décision historique, et de 1958, un changement de régime. Enfin, on ne se surprend pas de retrouver l’ombre de la guerre, qu’il s’agisse des atermoiements de 1946-1948, des hésitations de 1954-1958 ou de la prudence de 1958-1962. À cet égard, le moment qui fait question est plutôt celui qui suit le retour à la paix, après 1962 : faut-il imaginer que la contrainte de la guerre se soit prolongée sous d’autres formes, et que les efforts nécessaires pour faire passer le pays au rang de puissance nucléaire de plein exercice aient pris le relais des dépenses directement opérationnelles qui étaient précédemment consenties ?

Ces diverses remarques sont dans l’ensemble de nature à conforter la représentation en cinq mouvements qu’on a proposée. Mais on doit souligner que l’on fait émerger une vision tout à fait différente quand on considère les choses sous l’angle des prix et des taux d’effort, dimension essentielle s’il en est.

Après le rattrapage accéléré de 1948-1952 s’établit en effet un rythme de hausse plus modéré mais relativement continu. Pour les logements anciens soumis à la surface corrigée (bailleurs privés ou HBM), l’indice des loyers est multiplié par 3,2 de 1952 à 1961 et par 2,9 à 3 dans la période de neuf ans qui suit. Sans doute les loyers "amiables" croissent-ils d’abord un peu moins vite, mais ils se rattrapent dans les années 1960 et, au total, la règle d’une multiplication correspondant sensiblement à un facteur dix de 1952 à 1970 s’applique à l’ensemble des loyers de l’ancien. Sous cet angle de vue, c’est donc une structuration en trois mouvements qu’on fait apparaître :

1945-1948 : poursuite de la dévalorisation
1949-1953 : renversement de tendance et revalorisation accélérée
1954-1970 : revalorisation plus modérée, nuancée selon les catégories et les situations, mais globalement continue.

En s’en tenant ainsi à la dévalorisation ou à la revalorisation de la propriété – et à la diminution où à l’accroissement corrélatifs des taux d’efforts des locataires – on débouche sur une vision qui ne reconnaît qu’une seule rupture vraie : celle de 1948-1949, à partir de laquelle s’engage un processus dont le rythme peut varier, mais dont le sens est continu. Cette vision des choses est convergente avec celle qui se dégage de l’évolution des effectifs de logements anciens à loyers contrôlés : un choc initial suivi d’une érosion continue, avec toutefois une différence de rythme puisque, sous cet aspect, le processus paraît s’accélérer au courant des années 1960.

Rétrospectivement, c’est cette continuité qui représente la marque distinctive de l’après-guerre et, plus précisément, de l’après-1948. Il n’y a pas si loin qu’il paraît du rapport Deveaud de 1947, soulignant que "l’augmentation du taux des loyers [est] à la base de toute action destinée à remédier à l’insuffisance actuelle de notre capacité de logement", au rapport Rueff-Armand de 1960 réclamant la "vérité des prix" et la "juste rémunération du service rendu", ou au rapport général du Vème plan postulant en 1965 que "le retour progressif à l’unité au marché conditionne toute politique efficace du logement".

Certes, le thème du retour au code civil et à la liberté contractuelle n’est pas explicite dans le rapport de 1947, alors qu’il s’impose à partir de 1960, date à laquelle on retrouve sur ce point les accents de l’entre-deux-guerres. Mais, si la formulation varie dans ses modalités, la problématique demeure axée sur une affirmation essentielle : l’idée que la revalorisation de la propriété locative constitue le pivot de la politique du logement. De ce point de vue, c’est à bon droit qu’une note de 1970 présente le cheminement "vers l’unité du marché locatif " comme une "constante de la politique" engagée depuis 1948. Après avoir évoqué les mesures prises de 1948 à 1958, on y souligne que "les orientations dégagées par le IVème et le Vème Plans [...] ont été réaffirmées par la commission de l'habitation du VIème Plan [...]". Signe des temps, on fait référence aux procédures de concertation en ajoutant : "au cours de la Table ronde sur l’habitat locatif existant le principe d’une évolution progressive des loyers des logements anciens a été retenu, même par les représentants des locataires".

En dehors des documents de l’administration, cette perception axée sur la continuité se retrouve en 1968 dans le Dictionnaire de science économique d’Alain Cotta, où on peut lire à l’article "loyer" :

"Coût de location d’un actif immobilisé.
[En France,] les loyers des appartements construits avant 1948 furent longtemps fixés par la loi. Ils augmentent à l’heure actuelle de façon régulière avant d’être totalement rendus aux mécanismes du marché."

Certes, tout n’est pas contenu dans la loi de 1948. Mais elle initie un processus sur deux points essentiels : la hausse des loyers – avec quelle vigueur ! – et la libération des loyers, avec sur ce second point une action immédiate si substantielle qu’on s’étonne de voir les critiques en faire si peu de cas. Les éléments qu’on a rappelé quant à sa genèse disent assez que le texte de 1948 correspond à un arbitrage du moment, propre à conduire à un premier palier et appelant des développements ultérieurs qui ont été effectivement assumés, même s’ils sont accompagnés du cortège d’aléas, d’incertitudes et d’hésitations qui caractérise une question politique délicate. En ce sens, c’est avec raison qu’Edgard Pisani pouvait faire à une question parlementaire cette réponse qui hérisse Houdeville : "la diminution du champ d’application [de la loi de 1948] est une entreprise ancienne déjà, que le gouvernement poursuit avec progressivité et d'une manière très différenciée selon les catégories de logement."

Compte tenu de ses développements, comment dire, comme le fait Danièle Voldman, que "la loi sur les loyers a manqué son but" et qu’elle a été "un échec" ? Pour qu’un tel jugement soit recevable, il faudrait accorder créance à l’échafaudage « scientifique » du texte de 1948 et imaginer que les buts vers lesquels il tendait pouvaient être atteints d’un seul jet, deux points sur lesquels ses géniteurs politiques ne se faisaient sans doute guère d’illusions. Il n’est pas plus convaincant d’accorder à la loi de 1948, comme le fait encore Danièle Voldman, "le mérite de poser la question [...] du rôle de l’État comme arbitre entre les possédants et les classes populaires", alors que l’État « arbitre » sans discontinuer depuis 1914.

Quant à la critique dont Houdeville se fait le héraut en stigmatisant le fait que les développements ultérieurs "ont bouleversé" – pour ne pas dire trahi – la construction d’origine, elle repose explicitement, elle aussi, sur l’idée d’une scientificité supposée, et implicitement sur l’idée qu’un arbitrage puisse prendre une valeur sacrée. Ce n’était pourtant pas l’attitude de la gauche SFIO qui, après avoir voté la loi, a bataillé dans les années 1950 pour obtenir une extension du champ d’application de la "surface corrigée", ce qui était une autre manière de "bouleverser" le compromis de 1948. On comprend qu’elle ait été dépitée de voir tout au contraire l’abandon du loyer-salaire, la poursuite des hausses et l’extension des libérations. Mais, en raison de leur essence contradictoire, il est dans la nature des arbitrages d’évoluer dans un sens ou dans l’autre. Et, dans le cas d’espèce, l’évolution s’est poursuivie en faveur d'une revalorisation de la propriété locative, non sans relation avec les préoccupations de l’État constructeur.

Ces développements ont remis au premier plan la perspective d’un parcours négocié entre l’État et la propriété immobilière. La propriété immobilière est peut-être un monstre, mais ce n’est pas un monstre abstrait. Outre sa dimension idéologique – érigée en mythe fondateur, de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 au Code civil d’époque napoléonienne – la propriété immobilière s’incarne dans des personnes qui, à l’instar des corporations, des salariés et du patronat, se dotent de représentations sous la forme de multiples "chambres syndicales" ou "union de propriétaires", locales ou régionales. Ces instances territoriales qui se targuent de représenter aussi bien la propriété locative que la propriété d’occupation, sont fédérées dans une organisation nationale dénommée Union de la propriété bâtie de France (UPBF) jusqu’en 1964, et, depuis lors, Union nationale de la propriété immobilière (UNPI).

De l’UPBF, on a pu mesurer l’activisme – et la compétence – en 1946-48. On a mentionné aussi l’existence de ponts entre Parlement et les responsables de l’union des propriétaires, par exemple à travers les personnes des députés Ramarony et Grimaud. On a vu enfin que l’UNPI était dûment représentée lorsqu’elle a été invitée à des tables rondes de concertation. Mais les relations de l’État et de l’UPBF-UNPI ne s’arrêtent pas là. Les documents de l’État attestent que le ministère de la Construction s’est régulièrement intéressé aux congrès annuels de l’UPBF-UNPI, où ses représentants ont collationné – voire annoté en vue de faire rapport – les textes des conférences, prises de position, etc.

Il faut dire qu’on rencontre du beau monde à l’occasion de ces festivités qui rassemblent 100 à 250 personnes : la liste des participants au congrès de Versailles (1971) fait par exemple apparaître une dizaine de députés (dont Jean Foyer, par ailleurs ancien Garde des Sceaux), de sénateurs ou anciens ministres (dont Jacques Maziol).

Pour s’en tenir aux conférenciers on peut entendre le Général Pierre Hanoteau, président de la chambre Syndicale des Propriétaires parisiens (1969, 1972), Lionel Tinguy du Pouët, député et ancien ministre (1963) Fernand Icart, (présentement conseiller général des Alpes Maritimes (1966) et futur ministre de l’Équipement de 1977-1978), Guy Houist, inamovible rapporteur du Conseil Économique sur les questions du logement, (1965, 1966, 1967), Jacques Riboud, promoteur bien connu (1966) ou Alain de Lacoste-Lareymondie, maître des requêtes au Conseil d’État (1964). Avec ce cas, comme avec celui de Pierre Chareyre, avocat au même Conseil d’État, on aborde les personnalités des professions intellectuelles à la compétence particulièrement « pointue ». Deux d’entre elles méritent d’être citées, en raison à la fois de la reconnaissance sociale dont elles bénéficient, et du caractère répétitif de leurs prestations auprès des propriétaires : Jean Schmidt, le spécialiste de la fiscalité immobilière, professeur de droit à Paris I et aux Arts et Métiers (1963, 1964, 1967), et Georges Liet-Veaux, le spécialiste du droit immobilier, professeur aux Arts et Métiers, (1964, 1972). Les représentants de l’administration ne dédaignent pas de prendre la parole dans cet aréopage : c’est ainsi que Gérard Dupont, inspecteur général de la construction, prononce en 1965 une conférence sur la loi Malraux, ou que Robert Lion, directeur de la construction, vient en 1971 commenter en personne la réforme remplaçant le FNAH par l’ANAH. Après 1970, on voit les Secrétaires d’État au Logement prononcer plusieurs allocutions : c’est le cas de Robert-André Vivien en 1971 et de Jacques Barrot en 1976 et 1977.

Dans ce cercle si accueillant, de quoi parle-t-on ? Eh, bien, de tout. Des loyers, naturellement qui sont insuffisants et qu’il faudrait libérer (1963, 1964), conformément à la revendication fondamentale émise au 15ème congrès de l’Union Internationale de la Propriété Foncière Bâtie (1958). Mais ce n’est pas là le sujet de prédilection de la décennie 1961-1971. Les problèmes qui passionnent sont la fiscalité, des revenus immobiliers aux finances locales (1964, 1967), la fonction sociale de la propriété (1963, 1964), et surtout, thème le plus récurrent à la fin des années 60, l’amélioration, la restauration et les mesures, notamment de financement, qui permettraient d’échapper au "paupérisme du logement" (1963, 1965, 1969, 1970, 1971). Avec ce dernier sujet de préoccupation, encadré par deux interventions majeures du ministère de la Construction – un inspecteur général en 1965, le Directeur de la construction et le Secrétaire d’État au logement en 1971 – on mesure combien le dialogue entre l’État et la propriété immobilière a pu être vivant. Et, comme on va le souligner au paragraphe qui suit, il y a matière.



25. L’amélioration de l’existant.


Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’énormité des « besoins » ou, en d’autres termes, sur l’ampleur de l’effort nécessaire pour porter à un standard « moderne » l’héritage tel qu’il se présentait dans les années 1950 et 1960. Il peut en revanche être utile de rappeler que le projet d’améliorer l’existant justifie pleinement une expression précitée d’Edgar Pisani : il s’agit "d’une entreprise ancienne déjà". L’idée d’affecter une partie des revalorisations de loyer à l’amélioration de l’existant figure chez des auteurs comme Isaac ou Olchanski. Elle prend corps en 1945 avec la création du Fonds national d'amélioration de l'habitat (FNAH). Mais, comme on va le voir, les moyens de cette institution restent des plus modiques jusqu’aux années 1970.


L’action du Fonds National d’Amélioration de l’Habitat (FNAH).

Le Fonds National d’Amélioration de l’Habitat est mis en place par les ordonnances du 28 juin 1945 et du 26 octobre 1945. Le texte du 28 juin prévoyait une Caisse Nationale. Celui du 26 octobre corrige le tir en instituant un simple "Fonds National" dont la gestion technique est confié au Crédit Foncier. La banque instruit les demandes et gère les fonds, mais elle n’est pas maîtresse des attributions de financement. Celles-ci se décident selon les cas, au sein de la Commission Nationale de l’Amélioration de l’Habitat (CNAH) ou des Commissions Départementales. Au niveau national comme au niveau départemental, les commissions constituent un lieu d’exercice de la concertation et du partenariat qui restera une règle constante dans le domaine, comme on l'a vu en traitant les développements des années 1960. Autour des responsables du Foncier, du Sous-comptoir des entrepreneurs et de divers ministères (MRU, Travaux Publics, Finances, Santé) siègent en effet les représentants des parties intéressées : propriété bâtie, architectes, Fédération nationale du bâtiment, HBM, syndicats ouvriers, associations familiales.

Écartant d’une part les simples réparations et d’autre part les extensions qui modifient le grosoeuvre, l’objet d’intervention du FNAH est centré sur les travaux qui assainissent, améliorent le confort ou accroissent la capacité locative d’un immeuble. Deux genres sont prioritaires : ce qui ressortit à des travaux rendus obligatoires par la loi ou l’autorité publique, ainsi que les "travaux de mise en état d’habitabilité reconnus nécessaires par suite d’affectation de locaux à l’habitation, d’échange ou de division de logements en application de l’ordonnance du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires". L’aide du Fonds peut être accordée aux logements locatifs comme à ceux qui sont occupés par leurs propriétaires, ce qui ne manque pas de paraître extraordinaire dans la mesure où les financements sont exclusivement prélevés sur les locations.

Les concours sont toujours apportés après travaux. Ils prennent la forme de subventions ou de bonifications d’intérêt sur des prêts hypothécaires ordinaires. Une note interne du MRU datée au 22 octobre 1947 précise que les subventions peuvent atteindre 40 à 50% du montant des travaux, et que la bonification du FNAH ramène le taux du crédit à 2,375% alors que les prêts hypothécaires sont – lorsqu’on en trouve – assortis de taux de 7 à 8%. Comme ces dotations peuvent être abondées par les municipalités – on cite une participation municipale de 25% à Neuilly sur Seine – la dépense qui reste à la charge du propriétaire peut se limiter au quart ou au tiers du coût de l’intervention. Même si les procédures sont lourdes, s’il faut préfinancer, etc., ou peut imaginer que les propriétaires soient alléchés, ou du moins qu’ils le seraient dès lors que la revalorisation des loyers et la possibilité de changements de catégorie leur ouvriraient des perspectives de gains appréciables. Mais, pour que leur intérêt soudain éveillé puisse se concrétiser, encore faudrait-il que les moyens du Fonds fussent à la hauteur de son objet.

Le financement du Fonds repose sur trois sources. Essentiellement, un prélèvement de 5% à 10% sur les loyers majorés par l’ordonnance du 28 juin 1945, puis sur les loyers contrôlés de la loi de 1948. Secondairement, le reversement des deux tiers de la "taxe de compensation sur les locaux sous-occupés", et quelques subventions de l’État. Le produit est géré au niveau départemental, et affecté prioritairement à l’échelle locale. S’il subsiste un "reliquat" au niveau du département, celui-ci "est affecté à [des] départements moins favorisés" après "imputation des dépenses de fonctionnement du Fonds, et sur avis de la Commission Nationale". Or, la taxe de compensation est d’un recouvrement malaisé. Il faudrait, pour qu’elle soit efficace, un îlotier derrière chaque logement. Danièle Voldman indique, sans commentaire, qu’au 1er décembre 1947, cette taxe a rapporté "141 millions de francs, prélevés sur 108 000 contribuables". La note précitée du 22 octobre 1947 fait état d’un total de ressources égal à 412 millions au 30 septembre 1947. "Un très mince filet d’eau", une larme même : en considérant des réhabilitations qui impliquent des adjonctions d’équipements, le produit d'une intense agitation commissionnaire donne, peut-être, de quoi intervenir sur 4 à 6 000 logements. A ce train, la modernisation du parc locatif ne demanderait guère qu’un petit millénaire. Il se peut que les propriétaires de Neuilly soient servis, mais ailleurs, la presque totalité des bénéficiaires potentiels s’abstiendront même d’engager les démarches : à voir les files d’attentes et les formalités, ils auront conçu, comme le conclut sèchement Thourot, que "les résultats sont peu importants" parce que "le Fonds dispose de ressources insuffisantes".

En discutant les équivalences superficielles de la loi de 1948 et les modifications intervenues en 1964, on a déjà indiqué que cela ne pouvait pas suffire à stimuler les adjonctions d’équipements un peu lourds, notamment sanitaires. Il n’y a pas non plus à revenir sur les coefficients d’entretien, même après les remaniements de 1960. Les tableaux annexés à une note du Ministère de la Construction datée du 20 octobre 1965 et destinée à la Table ronde sur les loyers évaluent à 2 000 francs la somme qu’on peut attendre en quatre ans d’une revalorisation du coefficient d’entretien pour un logement de 42 m2 catégorie II A. Cela permet tout juste d’envisager des réfections partielles de toiture et un peu de peinture sur les parties communes et les menuiseries extérieures, bref une intervention typique des « opérations de marchands de biens ». Se pourrait-il que les moyens du FNAH donnent, au courant des années 1960, une perspective plus roborative ?

L’édition 1973 du mémento statistique de la Direction de la Construction indique que 112 381 prêts ont été réalisés par le FNAH entre 1948 et 1966, soit une moyenne annuelle de 5 600. Compte tenu des opérations qui ne font appel qu’à la subvention et d’une répartition des prêts qui, conformément à la structure du parc, fait probablement la part belle aux petits immeubles, voire aux maisons individuelles, on peut supposer que cela correspond à une intervention sur 15 à 20 000 logements par an. Par rapport aux années initiales, les interventions du FNAH se sont incontestablement accrues et cette tendance s’est poursuivie jusqu’en 1967, date à laquelle s’amorce un stagnation qui est lisible dans le nombre de prêts consentis – il régresse de 10 326 en 1967 à 9 017 en 1970 – et plus encore dans le volume de travaux générés, qui passe de 553 millions à 466 millions.




Opérations du FNAH (1945-1970)
(en millions de francs courants)

1946-1965196619671968196919701) Ressources- Ressources propres nouvelles (1)1182.9156.6167.4170.6282.2243.6- Remboursements de crédits (2)560135.3157.9188.9205.1225.2Total1742.9281.9325.3359.5487.3468.82) Emplois- Subventions1122.2145.1161.0149.5153.2144.7- Crédits réalisés (3)1013.6197.8218.1204.0214.9210.0Total2135.8358.8379.1353.5368.1354.73) Montant des travaux encouragés3987.8538.1553.0498.3509.2465.8 Source : Mémento statistique de la direction de la Construction, MATELT, 1973, p. 69.
Notes :
(1) Les ressources propres du FNAH proviennent principalement du prélèvement sur les loyers. La taxe de compensation sur les locaux sous-occupés n’a eu une importance, d’ailleurs relative, que pendant les premières années, et elle disparaît totalement après 1964. Le FNAH dispose également de "ressources diverses", qui correspondent principalement à des "revenus de placements" (voir : AN, versement 840230, art. C 6558). Ces "ressources diverses", qui ne sont pas intégrées au total des "ressources nouvelles jusqu'en 1968, paraissent l'avoir été à partir de 1970. telle est en tout cas l'explication la plus plausible de l'écart de 20% qu'on constate pour la première fois cette année-là entre les prélèvements sur les loyers (205,8 millions) et le total des ressources nouvelles (243,6 millions).
(2) Comptoir des Entrepreneurs : remboursements effectuées par les emprunteurs, à l'exclusion de ce qui est compensé par les subventions.
(3) Comptoir des Entrepreneurs : part des crédits restant à la charge des emprunteurs, à l'exclusion de ce qui est compensé par des subventions


Au palier de 1968-70, les ressources nouvelles ont été multipliées par 40 à 60 par rapport à 1947, alors que l’indice du coût de la construction est seulement multiplié par 10. Avec un abondement par les remboursements de crédits antérieurs qui viennent quasiment doubler les ressources, cela devrait permettre d’intervenir sur dix fois plus d’opérations qu’en 1947, soit environ 50 000 logements. Les résultats effectifs paraissent assez nettement en deçà. Le nombre des prêts suggère une action sur 30 à 40 000 logements par an, ce que corrobore le traitement d’une masse de 500 millions de travaux (1968-1969) selon la procédure employée plus haut pour les données de 1947, ou par raccordement aux observations de 1982 sur le coût effectif de la réhabilitation.

Le tableau retraçant l’activité du FNAH suggère tout d'abord deux genres de remarques :

- Le taux de couverture des montants de travaux par les prêts bonifiés et les subventions du FNAH s'est longuement maintenu autour de 50%. Mais il se relève ensuite rapidement : il est des deux tiers en 1966 et il atteint 76% en 1970. On s’oriente donc au commencement des années 1960 vers le traitement d’opérations peu nombreuses eu égard aux « besoins », mais substantiellement soutenues.

- La gestion des opérations propres au FNAH – ressources nouvelles et subventions – a laissé des excédents tout au long des années 1960, et des excédents qui sont d’autant plus importants si on tient compte des "ressources annexes". Sans doute faut-il comprendre, bien que les sources statistiques ne le précisent pas, que ces excédents ont été employés en priorité à des bonifications d’intérêt sur les crédits du Comptoir des entrepreneurs. Mais ils prennent une ampleur extraordinaire en 1969 et 1970, où ils dépassent 40% des ressources. Le fait que les ouvertures de crédit, qui avaient toujours dépassé les remboursements et supposaient donc un appel – limité – à l’épargne disponible, se soient mises en retrait au même moment constitue la seconde circonstance caractéristique de l’essoufflement très marqué qu’on observe en 1968-1970. En l’absence de précisions sur l’évolution des frais de gestion et la possible disparition d’aides de l’État, l’impression qui se dégage est qu’en cette période, le FNAH se mue en organisme de collecte et de placement, s’éloignant ainsi de ses finalités proclamées et tendant, après un peu plus de vingt ans d’un exercice discret, à devenir une institution financière ordinaire… assise sur le produit d’une taxe.


Mais l'aspect le plus saisissant réside dans le faible volume des opérations encouragées par le FNAH. En effet, au rythme de 30 à 40 000 logements améliorés par an, la mise aux normes tant attendue requerra encore un ou deux siècles, selon que l’on considère le seul habitat locatif ou l’ensemble du parc. On fait ainsi apparaître que l’action au FNAH a été à l’origine, a continué d’être jusqu’en 1970 et est restée par la suite un simple adjuvant en matière d’amélioration de l’habitat. Et, comme il n’y a guère d’autre intervention jusqu’en 1970 – les prêts d’amélioration des CAF dépassent à peine 40 millions de francs en 1967-1970 et les primes à l'amélioration de l'habitat rural se tiennent autour de 80 millions – c’est l’ensemble des interventions publiques qui constitue un simple adjuvant. Cette appréciation est confirmée par la comparaison des travaux financés par le FNAH et du volume global de l’amélioration-entretien : le poids des travaux encouragés par le FNAH se situe autour de 5% en 1968-1969 et décline un peu en dessous de 4% en 1970. Même si on tient compte de ce qui revient à l’entretien pur, cela souligne que les travaux d’amélioration générés par le FNAH et les autres initiatives publiques restent résolument secondaires en cette fin des années 1960.

Pareil déficit d'effectivité n'a pas échappé au ministère de la Construction. À leur manière, et au moins à partir de 1958, ses responsables se sont préoccupés de donner plus d'ampleur à l'action du FNAH, mais il leur fallait l'aval du ministère des Finances pour passer à l'acte. En témoigne une réunion qui s'est tenue aux Finances le 15 mai 1959 entre les représentants des deux ministères. Le projet en faveur duquel les représentants de la Construction sont venus plaider est clair : "[…] au moment où le Ministre de la Construction [lance] une politique nouvelle d'entretien et de ravalement des immeubles il [est] indispensable qu'il ait une autorité directe et efficace sur l'ensemble du Fonds National d'Amélioration de l'Habitat". En conséquence il convient de "limoger" immédiatement l'organisme directeur du Fonds, qui fait preuve de "manque de dynamisme et d'initiative". La réponse des Finances est tranchée : "[…] les besoins financiers pour mener à bien une politique d'entretien et de ravalement [s'élèvent] à plusieurs centaines de milliards alors que le FNAH [dispose] de 7 à 8 milliards par an". Or, il n'est pas question de changer d'échelle. La suggestion de mettre en avant le ministre à la direction du FNAH est donc particulièrement malvenue, pour ne pas dire suicidaire. Il vaut mieux se satisfaire de l'actuel droit de veto, qui permet "d'orienter les décisions d'une Commission Nationale docile sans en avoir la responsabilité devant le public". Trois ans plus tard, dans les derniers mois du gouvernement Debré, la position de fond est inchangée : "L'activité du Fonds national d'amélioration de l'Habitat ne sera pas étendue et les cotisations ne seront pas majorées". On note toutefois un assouplissement sur un point secondaire. Le danger de voir le ministre de la Construction se saisir du FNAH étant écarté, le cabinet des Finances cesse de défendre l'organisme directeur du Fonds : tout en se refusant "à toute initiative", il reconnaît maintenant "qu'un changement de personne s'impose".

Point d'argent, point de Suisse! Cet épisode, qui ne porte pas sur un point secondaire et trouve son issue fatale en même temps qu'un autre grand projet (la généralisation de l'allocation de logement), est lourdement révélateur. Ceux qui croyaient naïvement qu'on pouvait "moderniser" et surmonter les obstacles "psychologiques" ou "sociaux", d'abord en pleine guerre (1959), puis la paix revenant (1962), se sont heurtés à la garde des Finances. L'attaque contre la direction du FNAH n'a trompé personne : selon le rédacteur du compte-rendu de l'orageuse réunion du 15 mai 1959, "[…] il est clair que les Finances redoutent la substitution de l'autorité du ministre à celle de la Commission Nationale, craignant qu'une telle procédure ne permette à celui-ci, après avoir épuisé les fonds du FNAH, de réclamer au budget des crédits importants". Comme aux premiers temps de la Reconstruction, l'argent va ailleurs, et c'est pourquoi le parc existant reste globalement, en France, dans un état misérable. En matière d'amélioration de l'existant, les Finances campent imperturbablement sur la même position de 1945 à 1970 : qu'on revalorise les loyers, et que propriétaires et locataires se débrouillent de cette affaire tout en s'adonnant à leur guerre perpétuelle qui, vue du quai Branly ou de la rue de Rivoli, est tellement distrayante!

Force réelle chevillée au noyau du système impérial, les Finances savent également comment doit se comporter une puissance d'influence. De même qu'on recourt dans les territoires extérieurs à des intermédiaires « compradores » qu'on pourra sacrifier si la nécessité s'en fait sentir, on installe à l'intérieur, pour gérer les choses médiocres ou promises à l'échec, des pantins dont on attend que la principale vertu soit d'être "dociles". Lorsque ces « vrais-faux » acteurs de la "concertation" qui s'agitent sur le devant de la scène auront été usés, ce qui se produira inéluctablement compte tenu du cadre dans lequel on les tient contraints, il ne restera plus, tel un imperator romain un jour de cirque, qu'à tourner le pouce vers le bas, dans un silence aussi majestueux qu'hypocrite. Cela pourra satisfaire la foule tout en ne représentant pas un grand sacrifice, car ces gens-là n'appartiennent pas à la famille. Et l'important, justement, c'est que la famille puisse continuer à régner "sans en avoir la responsabilité devant le public".


À la recherche d'une voie efficace.

Le législateur de 1948, dont on ne saurait contester qu’il se soit intéressé à l’amélioration de l’habitat existant, s’en était remis pour ce faire autant à l’initiative de l’occupant qu’à celle du propriétaire, inscrivant ainsi son projet dans la continuité des mesures progressivement adoptées durant l'entre-deux-guerres. En témoignent l’article 73 de la loi, qui prévoit que "le locataire ou l’occupant" peut effectuer "des travaux d’entretien, de réparation ou d’amélioration en lieu et place du propriétaire", et l’article 72, qui organise le dédommagement qui sera dû par le propriétaire au locataire "quittant les lieux". Par cohérence, les décrets d'application précisent que les revalorisations des loyers liées au coefficient d’entretien ou aux équipements ne sont effectives que dans la mesure où les opérations ont été financées par le propriétaire. Les principes qui régissent les hausses dans le cas d’installations réalisées "à frais communs" par le propriétaire et le locataire sont encore explicites dans le décret du 27 juin 1964 révisant les équivalences superficielles.

Cet arbitrage initial correspond clairement à l’hypothèse d’une propriété déqualifiée. Quand dans la deuxième moitié des années 1960 la propriété est déjà quelque peu revigorée, il est modifié conformément à la nouvelle ligne rappelant avec insistance qui est le maître des lieux au regard du code civil, ligne qu’on a vu s’initier en 1959, dont on a déjà observé les développements en matière de sous-location ou de droit de reprise, et dont Guy Houist se fait le porteur en soulignant devant le congrès de l’unpi de 1965 que le propriétaire "devient chaque jour davantage [...] un prestataire de services". En effet, tout en maintenant une obligation de remboursement du propriétaire au profit du locataire ayant effectué des travaux, la loi du 12 juillet 1967 "relative à l’amélioration de l’habitat" abroge l’article 72 de la loi du 1er septembre 1948 et réduit le champ de l’initiative du locataire au volume du logement, excluant les interventions sur les parties communes et les branchements. Corrélativement, une autre disposition modifie l’article 73 en enlevant le mot "amélioration". L’horizon du locataire est ainsi limité aux "travaux d’entretien et de réparation", et encore faut-il, pour être en droit d'y procéder, qu'il ait été dûment autorisé par le propriétaire ou par la justice.

Mais la loi du 12 juillet 1967 ne se cantonne pas à remettre l’amélioration entre les mains des propriétaires. Elle annonce en son article 1er un décret fixant les normes de  "salubrité, de sécurité, d’équipement et de confort" auxquelles il faudra "adapter" les logements, et prévoit in fine, en son article 8, une "réorganisation" du FNAH. Il est spécifié que ces différents développements devront intervenir dans un délai d’un an.

Bien qu’une première mouture existe au moins depuis mars 1966, la promulgation du décret sur les normes aura lieu avec un peu de retard, le 9 novembre 1968. C’est donc à cette date – fort tardive – qu’on voit émerger enfin une réponse à l’une des questions laissées en suspens lors de la naissance de la politique du logement : le niveau d’exigence technique requis pour l’ensemble du parc, et pas seulement pour la construction neuve.

En ce qui concerne le dimensionnement des pièces et des ouvertures, le texte n’innove pas par rapport au décret du 22 novembre 1948, mais, après tous les encouragements dispensés à l’autonomisation des chambres de bonne, il distingue entre les "logements", comprenant au moins une pièce et une cuisine, et les "chambres isolées", qui doivent avoir une surface d’au moins 10 m2. En matière de salubrité, il insiste sur l’étanchéité, notamment pour les murs de rez-de-chaussée, et sur les mesures propres à prévenir toute pollution des distributions d’eau, notamment par les eaux usées. En matière d’équipements, il prévoit :

un évier de cuisine avec arrivée d’eau chaude et froide et évacuation à l’extérieur via un siphon;
un équipement permettant d’installer un appareil de cuisson à gaz ou électrique;
un WC privatif avec effet d’eau, qui peut se situer sur la parcelle en individuel, ou à l’étage en collectif;
un cabinet de toilette comportant au minimum un lavabo avec eau chaude et froide (douche à partir du 3 pièces) et une "protection du sol et des murs";
un chauffage central ou, à défaut un, deux (3 pièces) ou trois dispositifs (5pièces) à prendre parmi : "conduit de fumée", "conduit d’évacuation de gaz brûlés" ou, chose nouvelle, "prises d’électricité permettant le débit d’une puissance suffisante au chauffage d’une pièce."

Il s’ajoute que les installations techniques doivent désormais répondre "aux normes en vigueur". C’en est fini – virtuellement en tout cas – de l’exception du parc ancien : on s’achemine désormais vers une homogénéisation effective de la qualité minimale d’équipement et de service pour l’ensemble des logements neufs et anciens, ce qui représente un nouveau pas vers l'unification du marché. L’entrée de plain-pied dans le logement fin de siècle est signifiée par la disparition de toute référence au "bac à laver", qu’on ne regrettera pas, et l’apparition concomitante du chauffage électrique.

Dans la mesure où ils ne font aucune part à la prestance de l’immeuble ni à l’agrément des parties communes, les principes mis en avant en 1968 différent beaucoup plus qu'il ne paraît de ceux qui présidaient au dispositif de 1948. Si, comme on le fait souvent, on se cantonne aux équipements, on aperçoit que le logement considéré comme « normal » s’arrête à la lisière inférieure de la catégorie II. La fonction de la norme est de faire apparaître le besoin socialement reconnu : si le parc ancien est à l’image de ce qu’indiquent les enquêtes logement pour le secteur à loyers contrôlés, la norme nouvellement proclamée signifie que les trois quarts du parc ancien justifieraient des travaux d’adaptation consistants, soit plus de 8 millions de logement. Même si une note du ministère de la Construction datée de 1970 est un peu moins pessimiste – elle évoque un total de logements anciens à améliorer de "plus de 5 millions" –, les quantités en jeu restent énormes.

Le défi a été clairement identifié lors de la préparation du Vème Plan. Dans un extrait de l’annexe du projet de rapport général concernant l’habitation livré à la méditation de la Table ronde de 1965 sur la modernisation de l’habitation ancien, les rédacteurs regrettent qu’on sache si peu de choses sur "les travaux qui se font réellement dans ce domaine", puis chipotent sur le fait que certains logements vétustes sont destinés à devenir des résidences secondaires, se réjouissent de l’extension de l’obligation de ravalement, qui va dans le bon sens, etc. Ils finissent cependant par reconnaître que "l’amélioration a touché jusqu’à présent assez peu la fraction du patrimoine qui en a le plus besoin" et concluent sur ce qui devient un programme : faire passer chaque année 200 000 logements au-delà du seuil minimum d’habitabilité qui ne va pas tarder à être défini.

Devant la même Table ronde, et en présence du Secrétaire d’État Roland Nungesser, Georges Blachère, directeur du CSTB, évalue à une moyenne de 10 000 francs par logement le coût de la "modernisation". On ne craint pas trop que cela provoque un « échauffement » de la construction, si ce n’est dans le secteur de la plomberie, où cela requerrait 20% des effectifs disponibles. Mais on s’interroge sur les moyens de mobiliser 2 milliards de francs par an pour moderniser "200 000 logements axés sur les plus modestes". On aimerait bien s’en remettre au marché financier, mais on convient que ce serait à des "conditions assez onéreuses". Pour les propriétaires occupants, on évoque timidement l’épargne-logement, qu’on vient de réformer. Les rapporteurs du plan, quant à eux, espèrent qu’un "certain autofinancement" puisse se dégager "dans le cadre des modalités prévues pour la hausse des prix des loyers pour ce qui est des logements loués". Lors de la Table ronde de 1966, rien de tout cela ne trouve grâce aux yeux des représentants de la propriété immobilière. En présence du Secrétaire d’État, ils "déplorent" tour à tour la faiblesse des incitations fiscales et celle des hausses de loyers, toujours "insuffisantes". Une note postérieure – "sur les motifs d’une politique dynamique des loyers" (1970) leur donnera raison, au moins sur le second point : "les majorations successives de loyers et la création de coefficients spéciaux pour faciliter l’entretien n’ont pas permis, plus spécialement pour les immeubles modestes, leur entretien normal et a fortiori la modernisation."

En fait, le marché qui était proposé aux propriétaires consistait à troquer la libération des loyers contre la mise aux normes complète comme le montre le parallélisme entre les conditions de l’article 3 quinquies introduit en 1964 et le décret de 1968 sur les conditions minimales d’habitabilité. Le passage aux loyers du marché aurait pu stimuler la modernisation mais dans les cas nombreux qui, en collectif, demandaient une intervention sur les parties et équipements communs, il aurait fallu disposer d’un immeuble libéré de toute occupation et non de logements libérés au coup par coup. On a sans doute buté ici sur les limites des mesures "diluées", et quand on fit le bilan à l’aube du VIème Plan, on dut constater que le nombre de logements modernisés était resté bien en deçà des objectifs : 135 000 logements par an durant le Vème Plan. L’ouvrage était à reprendre.

Compte tenu des conditions dans lesquelles l'offensive des chevau-légers de Pierre Sudreau avait tourné court, la réforme du FNAH promettait de devenir un de ces serpents de mer qui peuplent les étagères administratives de rapports accumulés. À nouveau évoquée lors des Tables rondes de 1965-1966, puis annoncée par la loi du 12 juillet 1967, la réforme du FNAH a manifestement été différée une seconde fois, alors même que les résultats de cet organisme démontraient ses insuffisances au regard des ambitions que se proposait l’État. Cette période de latence n’est sans doute pas étrangère à l’essoufflement qu’on a mis en évidence en 1968-1970. Elle n’est pas non plus sans rapport avec le fait que la question du FNAH concernait un aspect de la politique du logement qui devenait essentiel et que l’on n’envisageait pas de conduire sans un minimum de complicité avec les propriétaires et leurs représentants.

Or, ceux-ci se sont fait une philosophie qui prône la suppression pure et simple du FNAH. Dans un rapport argumenté concernant le financement de l’entretien qu’il présente devant le 60ème congrès (1969), le général Pierre Hanoteau, Président de la Chambre syndicale parisienne des propriétaires d’immeubles et d’appartements, évoque "cette institution complètement dépassée". Il souligne que "bien peu [peu de propriétaires] l’apprécient […] car s’il est exact qu’outre l'octroi éventuel de subventions à fonds perdus, [le FNAH] consent en matière de prêts à moyen terme des conditions de taux sans analogue dans aucune banque, cet avantage disparaît lorsque le propriétaire recourt à la consolidation de son prêt par le Crédit Foncier". Les propriétaires mettent ainsi en évidence une faiblesse congénitale de l’aide à l’amélioration : les prêts bonifiés ne dépassaient pas 5 à 7 ans, ce qui est incontestablement court pour des opérations lourdes. Estimant que l’amélioration-entretien des immeubles "économiques", c’est-à-dire sommairement construits, représente l’équivalent de 2,5% de la valeur à neuf – soit plus de la moitié des loyers aux taux autorisés en catégorie III – le rapporteur réclame l’extension de la procédure de l’épargne-logement aux propriétaires-bailleurs. À défaut, il propose l’instauration d’une caisse de crédit mutualiste qui se substituerait au FNAH : d’une manière ou d’une autre, le propos est de se débarrasser du prélèvement de 5% sur les loyers.

De son côté, le ministère de la Construction ne souhaite nullement voir disparaître la seule institution centrale active en matière d’amélioration. Soucieux d’en assurer la pérennité, il s’inquiète de la baisse prévisible de prélèvements cantonnés aux loyers « taxés ». Il entend au contraire que la collecte soit assurée sur une large assise en vue de permettre une contribution effective à la revalorisation des immeubles de la catégorie III, soit au coup par coup, soit dans le cadre des opérations des ARIM et des secteurs sauvegardés, ou encore dans les immeubles conservés lors des opérations de rénovation urbaine.

Les positions paraissent éloignées mais, entre gens réalistes, un compromis est toujours possible. Il faut croire que l’accord a fini par se faire puisque le directeur de la Construction, Robert Lion, se déplace en personne au 62ème congrès de l'UNPI pour annoncer la naissance de l'ANAH et que la venue du Secrétaire d’État au Logement, Robert-André Vivien est également programmée. Seule la trame de l'allocution de Robert Lion a été conservée. Celui-ci annonce d’abord que l’Agence sera dotée d’un statut juridique – celui d’établissement public à caractère administratif – et qu’elle aura "donc" plus d’autonomie et de pouvoir de décision que FNAH. Il confirme, "comme M. le Secrétaire d’État au Logement s’y était engagé", que le Conseil d’administration sera "paritaire", 40% des sièges étant réservés aux représentants de la propriété immobilière. Novation qui lui paraît considérable, il annonce que la gestion sera décentralisée et que des "commissions départementales", également paritaires, seront "créées". Enfin, conformément à un projet déjà ancien l’agence sera un peu désolidarisée du couple Crédit Foncier – Comptoir des Entrepreneurs : elle pourra accorder la garantie de bonne fin aux emprunts contractés auprès d’organismes diversifiés.

Mais, à côté de ces dispositions qui ne devraient pas déplaire aux propriétaires, il en vient d’autres que l'incontournable général Hanoteau a récusées par avance dans un nouveau rapport présenté au même congrès de l’UNPI. Tout d’abord, il faut bien financer le nouvel organisme : à cet effet, on crée une taxe additionnelle de 3,5% sur le droit du bail qui se substitue au prélèvement de 5% sur les loyers taxés, et qui s'applique à toutes les locations de logements antérieurs à 1948. Et on annonce deux priorités : les logements ruraux et des petites villes "qui continuent à prendre un retard important" et les opérations urbaines groupées qui "grâce […] à une organisation rationnelle [permettent] à moindre coût la restructuration de centres de ville ou de quartier". Un "prétexte", persifle le Général Hanoteau, décidément campé sur l’économie de l’immeuble locatif et imperméable aux impératifs du retraitement des infrastructures publiques des villes.

Laissant les nouveaux partenaires « paritaires » à un dialogue qui promet de durer, on conclura ce paragraphe par une brève réflexion sur l’efficacité respective de l’amélioration de l’ancien et de la construction neuve en matière d’équipement du parc de logements. Les photographies que livrent les enquêtes ou des recensements successifs contiennent en effet, implicitement, les données qui permettent d’évaluer ce qui revient respectivement à l’une et à l’autre procédure dans une période déterminée. Considérons par exemple les recensements de 1954 et 1968. Les taux d’équipements des résidences principales sont rappelés dans le tableau A1 :

Tableau A1
Équipement de résidences principales (1954-1968)

Taux d'équipement (en% des résidences principales))Parc de résidences principales
(en millions)W.-C.SanitairesChauffage central195426.6%10.4%10.2%13.43196854.8%47.5%34.9%15.78
Il s'y ajoute qu'en 1968 la fraction du parc construite entre 1954 et 1968 s'élève à 4,16 millions de résidences principales, soit 26,3% du parc de 1968. Complémentairement, le parc hérité d’avant 1954 pèse 73,7%.

On sait par ailleurs que les constructions de 1954-1968 sont équipées :
pour 94,2% de W.-C. intérieurs,
pour 92,7% de sanitaires,
pour 68,7% de chauffage central.

Leur apport propre dans les taux d'équipement de 1968 s’évalue donc à :
0,263 * 0,942 = 24,8% pour les W.-C. intérieurs,
0,263 * 0,927 = 24,4% pour les sanitaires,
0,263 * 0,687 = 18,1% pour le chauffage central.

L’apport hérité de 1954 peut s’évaluer de deux manières, qui donnent respectivement de bornes baisses et hautes encadrant l’estimation.

Si on suppose que les logements désaffectés l’ont été indifféremment selon le niveau d’équipement, on procédera en effectuant le produit de la proportion équipée de 1954 par la proportion de logements antérieurs à 1954 dans le parc de 1968. Appliqué aux W.-C. intérieurs, cela donne :
0,737 * 0,266 = 19,6%

Mais il y a lieu de penser que la désaffectation correspond essentiellement à des destructions, mises en vacance ou conversions en résidences secondaires de logements vétustes et peu équipés. Ainsi, et bien que des conversions en résidences secondaires (les « pied-à-terre ») ou en bureaux puissent concerner aussi de bons logements de centre-ville, notamment à Paris, la réalité est probablement plus proche du maintien intégral des logements équipés dans le parc conservé. En ce qui concerne les W.-C. intérieurs cette limite haute de l’héritage de logements équipés s’évalue comme suit :
0,266 * 13,43 / 15,78 = 22,6%

Après avoir effectué la même démarche pour les autres équipements, on peut construire le tableau A2 où :
Les lignes 1, 2 et 4 correspondent à l’exploitation de données d’observation.
La ligne 3 s’établit par déduction et permet d’évaluer l’apport des améliorations de l’existant.

Tableau A2
Origines des taux d'équipement de 1968
(en% des résidences principales)

W.-C. intérieursSanitairesChauffage central(1) Héritage d'avant 195422.6 à 19.6%8.9 à 7.7%8.7 à 7.5%(2) Construction de 1954-196824.8%24.4%18.1%(3) Amélioration de l'existant7.4 à 10.4%14.2 à 15.4%8.1 à 9.3%(4) Total : Taux de 196854.8%47.5%34.9%

Comme on a dû se résoudre à établir une fourchette pour approcher le poids de l'héritage, l'estimation de l'apport par l’amélioration qui se déduit en fin de calcul prend elle aussi l’allure d’une fourchette. Mais, à considérer les résultats, on voit que cette contingence ne porte pas préjudice à l’efficacité de la démarche, du moins pour cette période 1954-1968 en France.

Au terme de ce bref exercice d’analyse statistique, deux genres d’observations s’imposent.

Le premier renvoie à une réalité bien connue : l’état du parc de logement français n’était vraiment pas brillant en 1954 mais une évolution tout à fait considérable est réalisée en matière d’équipement dans la seconde moitié des années 1950 et les années 1960, même si le parcours est encore loin de son terme. Le changement le plus saisissant concerne le redressement de l’équipement sanitaire.

Le second genre d’observations concerne précisément ce qu’on cherchait à évaluer. Dans les trois rubriques, la part qui revient à l’amélioration de l’existant est secondaire par rapport à celle de la construction neuve. Le rapport entre les apports respectifs de la construction neuve et de l’amélioration s’étagent entre des extrêmes qui vont de 1,8 (sanitaires, hypothèse amélioration à 15,4%) à 3,3 (W.-C. intérieurs, hypothèse amélioration à 7,5%). Pour formuler une appréciation synthétique, on peut dire que la construction neuve a constitué une facteur de changement deux à trois fois plus efficace que l’amélioration de l’existant.

Le secteur le plus résistant à l’amélioration correspond aux W.-C. intérieurs. Le chauffage central occupe une position intermédiaire, cependant que l’équipement sanitaire représente le domaine où l’amélioration obtient les meilleurs résultats. Cette gradation peut exprimer une hiérarchie des aspirations ou des rapports aspiration/coût, mais on doit souligner qu'elle paraît également correspondre aux contraintes techniques qui se posent en collectif dans le cadre d’opérations "diluées", appartement par appartement. Cela ne contrarie pas le développement de sanitaires, dès lors que le raccordement du logement aux réseaux d’eau potable et d’évacuation est effectif. Cela s’oppose au chauffage central d’immeuble mais on est dans une période où se multiplient les offres techniques adaptées à l’échelle de l’appartement, sur la base du gaz en attendant la fée électro-nucléaire. Enfin, cela constitue incontestablement une contrainte en matière de W.-C. intérieurs. Ceux-ci sont liés à la chasse d’eau – le WC « chimique » connaîtra peu d’application, compte tenu de ses désagréments – et impliquent par suite un équipement de l’immeuble pour l’évacuation des "eaux-vanne".

Si on revient aux problèmes d’interprétation globale, la tentation est grande de relier les résultats qu’on vient d’obtenir aux aléas de la politique d’amélioration qu’on a évoqués plus haut. On professerait alors que les résultats observés sont produits par la conjonction d’une politique forte de la construction neuve et d’une démarche encore incertaine en matière d’amélioration de l’existant. On ajouterait sans doute que "la complexité des rapports locatifs", "les difficultés du retour au marché", "l'attitude de nombre de propriétaires-occupants", etc. excusent pour une part l’insuffisance de l’amélioration, qu’on élèverait malgré tout au rang de trait caractéristique de la période. De telles lectures s'imposeraient probablement si on ne disposait pas d’autres informations.

Mais dès lors qu’on tient une méthode d’analyse statistique, une fringale d’expérimentation peut porter à l'appliquer à une autre période, par exemple 1975-1990 en France. La construction neuve suit alors une courbe approximativement symétrique de celle de 1954-1968 et on peut croire que la réhabilitation/mise aux normes bat son plein, soutenue qu’elle est par une ANAH rénovée, les orientations du rapport Nora-Eveno de 1976, les primes à l’amélioration de l’habitat (PAH) de 1977 et les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) qui vont suivre. On attendrait donc que les rapports comparés d’efficacité de la construction neuve et de l’amélioration aient solidement évolué, voire même qu’ils s’inversent. Pareille attente serait confortée par le fait que les opérations d’entretien-amélioration atteignent 40% du chiffre d’affaires du bâtiment dès 1978 et s’orientent vers les 50% en fin de période.

Si convaincante que soit l’ordonnance de cet exposé imaginaire, ses conclusions sont entièrement démenties par les résultats du calcul que résument les tableaux suivants.

Tableau B1
Équipement de résidences principales (1975-1990)

Taux d'équipement (en% des résidences principales)Parc de résidences principales
(en millions)W.-C.SanitairesChauffage central197573.8%70.2%53.1%17.74199093.5%93.4%78.9%21.54
Données complémentaires :
Résidences principales de 1990 datant de 1975-1990 : 5,81 millions de logements, soit 27,0% du parc de 1990.
Taux d’équipement des constructions de 1975-1990 :
98,7% pour les W.-C.;
99,5% pour les sanitaires;
89,2% pour le chauffage central.


Tableau B2
Origines des taux d'équipement de 1990
(en % des résidences principales)

W.-C. intérieursSanitairesChauffage central(1) Héritage d'avant 197560.8 à 53.9%57.8 à 51.2%43.7 à 38.8%(2) Construction neuve 1975-199026.7%26.9%24.1%(3) Amélioration de l'existant6 à 12.9%8.7 à 15.3%11.1 à 16.0%(4) Total : Taux de 199093.5%93.4%78.9%

Comme on peut le constater, la construction neuve reste le principal vecteur de l’amélioration de l’équipement et, chose encore plus contraire à ce qu’on pouvait attendre, les écarts entre les effets respectifs de la réhabilitation et de la construction neuve se sont même aggravés. Ce résultat peut s’expliquer par le fait qu’on approche de la saturation en matière de W.-C. et d’installations sanitaires. Mais il n’en va pas de même dans le domaine du chauffage central où, pourtant, se maintient un contraste au profit de la construction neuve. Fort de ces observations, on ne peut que s’interroger sur l’efficacité réelle de la « politique d’amélioration-réhabilitation » : au fond, rien ne dit que les résultats n’eussent pas été très voisins en l’absence de ces « mesures »  longuement discutées et annoncées à son de trompe. Mais rien ne dit non plus que les résultats de l’amélioration n’eussent pas été encore plus modestes en l’absence de cette politique.

Il importe ici de préciser ce qui est en cause : non pas l'utilité de la réhabilitation, mais seulement l’efficacité de la politique de réhabilitation. Au-delà de l’évidence de la supériorité des politiques axées sur la construction neuve en ce qui concerne l’accroissement des volumes disponibles, il se démontre maintenant qu’un décalage de même sens caractérise le domaine de l’équipement.

L'efficacité limitée d’une politique de réhabilitation peut s’expliquer par le fait que, contrairement à une politique axée sur la construction neuve, dont le résultat dépend seulement de l’existence d’une demande solvable ou d'attributaires obligés, l’amélioration de l’existant suppose une masse de complicités, de concours qui émanent de personnes de tous les groupes d’âge et de différents statuts. Dans le cas d'un logement locatif, le propriétaire ou le locataire peuvent faire obstacle, les personnes âgées qui ont depuis longtemps vécu d’une certaine manière ne souhaitent généralement plus changer, etc. Or, inversement, la construction neuve aux nouvelles normes aspire en priorité ceux qui sont des adeptes de la novation : ceux qui restent dans l’existant sont plutôt ceux qui, quels que soient leurs motifs, ne sont pas les plus intéressés au changement. Il s’y ajoute que l’amélioration par la réhabilitation se heurte dans les collectifs à de réels problèmes techniques, et que, comparé à ce qu’on peut faire en neuf, notamment en matière de maisons individuelles, leur coût est loin d’être aussi faible qu’on l’a souvent prétendu. Cet ensemble de considérations rend compte du fait qu’une politique de réhabilitation-amélioration présente une allure plus ingrate encore que celle d’une politique de construction neuve. Même dans un parc en cours d’amélioration globale, la réhabilitation va à son rythme, marqué par le poids des inerties mentales, sociologiques, techniques et économiques.



26. Ajuster la répartition : réquisition, échange, allocation de logement.


Face à la pénurie de logements, une réaction durable a consisté à mettre l’accent sur les effets de répartition. On sait depuis toujours, par la simple observation des cas, que certains logements sont sous-occupés et que d’autres sont surpeuplés, l’inégalité de la distribution de l’espace domestique constituant un des signes ostensibles du statut social. Depuis qu’on dispose de statistiques, ces éléments peuvent se ranger dans des tableaux agréablement balancés. C’est précisément l’attention portée à ces tableaux que soulignent de nombreux documents internes du ministère de la Construction, notamment ceux qu’on a déjà cités, ou ces études sur le sous-peuplement des logements d'après le recensement de 1954, qu’on retrouve dans les dossiers du cabinet en même temps que des travaux sur le surpeuplement (1958). Les questions de "répartition et [d']utilisation des locaux d'habitation" représentent encore une préoccupation essentielle du "rapport Sauvy" faisant suite au groupe de travail "politique du logement" de 1958-1959. Sous la triple condition de se garder de toute discussion de la norme de peuplement, de s'en tenir à des statistiques globales et de négliger les multiples inerties qui affectent l’occupation d’un parc, la méditation sur la position approximativement symétrique des proportions de sous-occupation et de surpeuplement conduit inévitablement à cette conviction qui, en 1963, anime encore Jean-Marie Gondre : "la France souffre moins d’un déficit absolu que d’une mauvaise répartition". Et, de là, à un réflexe égalitaire inscrit dans la devise de la République qui commande de prendre les moyens de répartir les habitants d’une manière plus adéquate aux volumes disponibles. On s’en remet pour une part à des mesures de contraintes propres aux périodes d’urgence – les réquisitions – mais on se heurte alors au principe, jamais aboli, de la propriété privée. Aussi ne tarde-t-on pas à multiplier les mesures incitatives, dont la plus importante et la plus ancienne est l’allocation de logement (1948). Préoccupé qu’on est par la « viscosité » de l’occupation du parc, on s’attache aussi à organiser les échanges, d’abord à l’intérieur du secteur HLM, puis à l’échelle de l’ensemble du parc ancien (création de la Bourse d’échanges de logements, 1960). C’est enfin au même genre de soucis, affectant cette fois la fluidité entre parc social et parc privé, qu’on doit, pour une part, rattacher l’institution du surloyer dans les HLM (1963).

Si certains commentateurs, comme Jean-Marie Gondre, ont pu se laisser aller à des formulations exagérément optimistes concernant la portée des mesures de gestion de la répartition, tous ont noté que la réquisition constitue une mesure fort peu civile, adaptée seulement à des régimes d’autorité, et beaucoup ont souligné que les incitations à la fluidité qui tendent à pallier à la cristallisation des locations ne peuvent représenter qu’un adjuvant lorsqu'il s'agit de traiter une crise générale du logement. C’est par exemple le point de vue qu’exprime Thourot dans une conclusion lapidaire : "La véritable solution n’est pas dans ces essais de répartition de la pénurie, elle est dans une politique de la construction".


Des réquisitions aux incitations à l'échange.

La réquisition n’est, dit Havel, "qu’un procédé de crise". Elle peut être, ajoute-t-il "soit brutale, soit persuasive". Il poursuit en citant l’exemple des Pays-Bas qui, alliant apparemment des mesures législatives drastiques et beaucoup de persuasion, "sont allés beaucoup plus loin que le législateur et la pratique administrative français". Dans ce pays, les ménages logés un peu largement ont dû partager ou s’éclipser, notamment les personnes âgées, "priées […] de venir s’installer dans les petits pavillons ou les petits appartements construits à leur intention".

En France, comme ailleurs, "cette pratique [de la réquisition] utilisée par l’Empire, par la monarchie, par tous les gouvernements, trouve sa légitimité dans le principe de la raison d’État ou dans la prépondérance de l’utilité générale sur les intérêts privés" C’est pourquoi elle a toujours accompagné le mouvement des gens de guerre. Et, dans la mesure où "la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre prévoyait largement l’emploi de la procédure de réquisition au profit de l’Etat", on comprend qu’ont pu se produire les occupations de locaux de grande ampleur qu’on a évoquées plus haut et qui ont été finalement dénoncées par la Cour des Comptes en 1947. Au fil du repli de 1940 puis de l’occupation, l’habitude s’est souvent prise d’être logé sur ordre de l’État, à commencer par les administrations d’Alsace-Moselle, ecclésiastiques compris, qui ont été réinstallés à Limoges ou à Clermont Ferrand, à continuer par toutes sortes de mesures ponctuelles concernant les réfugiés, notamment les Alsaciens-Lorrains en faveur desquels le décret du 1er  juin 1940 autorisait pour la première fois des réquisitions au profit de particuliers.

C’est donc sur la base d’une expérience déjà nourrie que l’ordonnance du 11 octobre 1945 vient organiser le régime des réquisitions de logement pour un usage privé. On prend toutes sortes de précautions. On ne s’attaque qu’aux logements vacants ou notoirement sousoccupés, identifiés par le Service Municipal du Logement; les bénéficiaires ne peuvent être que des personnes économiquement faibles ou dont la situation a été très affectée par la guerre (déportés, prisonniers...); on prend l’avis préalable du maire; la réquisition est temporaire – pour une durée de six mois éventuellement renouvelable – et elle ne peut être prononcée que par le préfet; le bailleur contraint doit être prévenu par lettre recommandée et la mesure n’est exécutoire que dix jours après réception; enfin, il est entendu qu’un bénéficiaire qui ne s’acquitterait pas du loyer serait immédiatement expulsable.

Sans entrer plus avant dans le détail des procédures, ce bref exposé des conditions paraît justifier pleinement l'appréciation de Havel :

"La réquisition des logements ne doit pas être confondue avec la nationalisation ou la collectivisation des logements. La réquisition n’atteint pas le droit de propriété : elle ne porte que sur l’utilisation de la chose."

Il ne faudrait toutefois pas pousser trop loin l’interprétation dans ce sens. Il reste, comme le souligne Thourot, que la réquisition "revient toujours à une privation de jouissance en général temporaire d’un bien". Or, quel est le privilège fondamental du droit de propriété, si ce n’est la jouissance d’un bien ? Aussi les tenants de la propriété n’ont-ils pas manqué de réagir à ce qu’ils considéraient comme un abus de pouvoir, voire comme un outrage : dans l'immédiat après-guerre, "l’exécution des réquisitions a donné lieu à de vives et nombreuses protestations portées au contentieux des tribunaux". Le plus souvent, on évite de mettre en cause la légalité de principe de la réquisition, ce qui aurait pour effet de conduire devant le juge administratif. Constatant combien la procédure était complexe, précisément parce qu’on avait oeuvré dans le respect du droit de propriété, et peu appropriée à un contexte où foisonnaient les situations de fait, les défenseurs de la propriété entreprirent de chicaner sur les conditions d’exécution des réquisitions, ce qui les ramenait devant "les tribunaux judiciaires, gardiens de la propriété". Alléguant des questions de forme – et de formalités – ils s'en prirent à de réels abus mais aussi à nombre d’opérations qui étaient conformes à l’esprit de la législation sinon à sa lettre, et ils enregistrèrent des succès répétés :

"[…] se fondant sur la théorie de la voie de fait, les tribunaux judiciaires ont largement empiété sur la compétence des tribunaux, administratifs. 
Dans la théorie pure, constitue une voie de fait, tout acte non susceptible de se rattacher à l’application de textes législatifs ou réglementaires. La voie de fait est l’acte de pur arbitraire. 
Or, les tribunaux judiciaires, chaque fois que saisis, ils ont relevé une irrégularité dans l’exécution de la réquisition, ont prononcé l’expulsion du bénéficiaire, disant que l’action administrative étant manifestement irrégulière et les formalités préalables non remplies, il n’y a pas réquisition, mais voie de fait. Donc, les occupants sont sans titre et les tribunaux ordonnent l’expulsion."

Les victoires doctrinales et de terrain remportées devant les tribunaux judiciaires n’ont pas complètement découragé d’emprunter la voie des tribunaux administratifs, ce à quoi invitait d’ailleurs l’irrégularité des signatures figurant au bas d’un des décrets d’application où, signe des temps, le ministre de la Guerre s’était substitué au Garde des Sceaux. Lorsqu’il rédige sa thèse à l’automne 1947, Jean Thourot dénombre 250 recours auprès du Conseil d’État, cour administrative suprême, et il précise que "depuis le 1er janvier 1947, le secrétariat du Conseil d’État enregistre un recours par jour en moyenne". Cette intense activité auprès des tribunaux est soutenue par des travaux qui ressortissent à la littérature scientifique : de 1946 à 1954, on dénombre quatre textes concernant le droit des réquisitions dans le fonds de thèses de la Faculté de droit de Paris. C’est autant que ce qui, de 1945 à 1995, a été consacré au régime juridique et fiscal des sociétés de promotion (4 thèses), plus que ce qui concerne la protection des acquéreurs (3 thèses), ou le régime de copropriété (3 thèses), et nettement plus que ce qui revient aux lotissements (1 thèse) ou au droit de reprise (1 thèse), toutes matières qui sont pourtant de nature à justifier une riche discussion juridique.

Âprement combattues par les propriétaires, lourdement bureaucratiques, inaptes à produire des effets durables, marquées du sceau des excès militaires, les réquisitions de logement n’avaient pas bonne presse. En témoigne la livraison du Service de la revue de presse du MRU datée du 23 juin 1947, où on évoque successivement le cas d’un propriétaire qui a obtenu un jugement d’expulsion contre l’ONIC mais ne réussit pas à obtenir le concours de la police suite à l’intervention insistante d’un cabinet ministériel, ce qui conduit le rédacteur de L'Époque à cette conclusion grinçante : "la police doit d’abord expulser les sinistrés et les familles nombreuses"; le cas d’un "juif, ancien déporté" dont le dossier a été "perdu" par le service du relogement, alors que le rassemblement des pièces requiert une année d’efforts (Le Populaire); et, pour finir, le cas d’un sinistré qui s’est suicidé en apprenant qu’il "allait être expulsé du logement où il logeait depuis 1944 avec sa femme" (L’Intransigeant).

Un bref détour par les faits divers permet ainsi de comprendre que les mesures de réquisition, qui étaient censées contribuer à la réduction des troubles et des tensions, pouvaient tout autant constituer un facteur de désordre. Sans doute les résultats n’ont-ils pas été partout et toujours aussi discutables, mais il n’en reste pas moins que le spectacle offert par les réquisitions civiles ce matin du lundi 23 juin 1947 était tout sauf encourageant. On devine que les responsables du MRU – et avec eux ceux de l’Intérieur et de la Justice – ont été portés à donner à la propriété acte de sa résistance, en abandonnant les mesures de contrainte dès que l’urgence s’est estompée et en multipliant les mesures incitatives. La réquisition de logements fera toutefois une brève réapparition dans les annales lorsqu’il s’agira de loger en catastrophe les foules brusquement rapatriées d’Algérie, c’est-à-dire à nouveau pour limiter les désordres consécutifs à une guerre.

Afin de « prier » les personnes largement logées de libérer les grands logements au profit, espérait-on, des familles dans le besoin, on s'est essayé très tôt à la pénalisation monétaire. Tel est en effet le sens de l’institution par les ordonnances de 1945 de la taxe de compensation sur les locaux insuffisamment occupés, même si la mesure fut peu appliquée. Quatorze ans plus tard, les dispositions du décret du 10 septembre 1959 vont dans la même direction en rendant la valeur locative immédiatement exigible pour les locaux inoccupés ou insuffisamment occupés, et cette action par les loyers se prolonge dans les années 1960. En matière d’HLM, on va plus loin : un échange peut être imposé à un locataire en sous-occupation.

Sous l’angle des pénalisations monétaires, le secteur HLM donne lieu à une mesure spécifique : le surloyer, prévu par un texte de 1958, institué par le décret du 14 octobre 1963, et régi par l’arrêté du même jour. L’objet est non de faire libérer des logements qui seraient jugés trop grands pour leurs occupants, mais de réserver les logements HLM aux "personnes peu fortunées" en poussant au départ les locataires dont les revenus ont dépassé, avec le temps, les plafonds dont le respect était exigé à l’entrée et aussi, ce qu'on claironne moins, ceux qui n'ont plus leur place dans les HLM compte tenu des abaissements de plafonds de revenu qu'on vient de décider. Il s’agit donc bien d’une mesure qui tend à encourager la fluidité au sein du parc, par exemple au profit des ILN qu’on vient de créer (1960) et où les loueurs HLM pourraient très bien accueillir les locataires dont les revenus dépassent les plafonds en vigueur. Accessoirement, on attend du surloyer quelques moyens supplémentaires pour les organismes d’HLM, dans une période où les conditions de crédit qui leur sont consenties deviennent plus dures.

La mise en oeuvre du surloyer n’a pas été une chose aisée. Une note du ministère de la Construction datée du 12 octobre 1965 reconnaît qu’elle "s’est heurtée, dans les grands organismes d’HLM, à certaines difficultés". On met en avant, "essentiellement", "l’absence d’un personnel suffisant et compétent pour effectuer cet important et délicat travail". Mais, derrière cet argument dont on devine qu’il émane d’organismes qui diffèrent l’application de la législation, s’en profile immédiatement un autre. La note admet en effet que le plafond de ressources est fixé à un "niveau très bas". On touche ici aux vrais problèmes des gestionnaires HLM : soucieux de ne pas perdre leurs locataires les plus solvables, il font valoir leur volonté d’une certaine mixité sociale dans l’occupation des immeubles.

La note n’en procède pas moins à l’exploitation d’une enquête effectuée par l’Office public départemental de la Seine dans des immeubles qui ont une quinzaine d’années d’âge. Il apparaît alors que 62% des locataires se situent effectivement en-dessous des plafonds, mais que 18% devraient payer une surloyer de 10%, 10% un surloyer de 30%, et 7% un surloyer de 60% : au total, 35% des locataires au moins "ne devraient pas" habiter en HLM. On en conclut que l’application du surloyer donnerait "pour l’ensemble un supplément de recettes de 9 à 10%", ce qui permet de balayer l’argument du manque de personnel : qu’on embauche, que diable ! Et de préciser qu’un "agent peut instruire 500 à 600 dossiers par mois", ce qui revient à dire que ce commis aux écritures crée chaque mois au profit de son employeur une richesse équivalente à une cinquantaine de loyers HLM.

On comprend l’enthousiasme du rédacteur de la note qui, sur la base d'une approche sommaire, vient de découvrir une mine dont l’exploitation promet d’être rentable. Mais il faut compter aussi avec la mauvaise volonté des citoyens soudainement désignés à l’attention de leurs loueurs, ainsi que sur la capacité de résistance des organismes d’HLM qui ont des motifs, bons ou mauvais, mais solides, de retarder l'échéance autant qu'ils le peuvent.
Les mesures administratives de pénalisation monétaire représentent d’une certaine manière un substitut aux mécanismes du marché là où celui-ci ne joue pas, ou joue insuffisamment. On pourrait donc être porté à leur attribuer une efficacité aussi redoutable que celle du modèle qu’elles semblent reproduire. L’examen des dispositions de cet ordre qui ont été prises dans la France de 1945-1970 tend à montrer qu’il n’en est rien, notamment en raison des multiples obstacles que peut rencontrer l’application d’une mesure administrative. Cette perception critique se trouve confortée par le sort de la mesure, apparemment spectaculaire, consistant à rendre la "valeur locative" immédiatement exigible dans les logements sous-occupés du secteur privé. Outre qu’il y avait loin – au moins deux pièces – de la "norme d’occupation" que retenait le ministère de la Construction à celle qui permettait d’obtenir gain de cause devant des tribunaux, les personnes âgées, grandes pourvoyeuses de cas de sous-occupation, faisaient l’objet d’une exception. Encore beaucoup de bruit pour rien ? Pas tout à fait, mais le domaine d’efficacité, d’ailleurs relatif, s'est manifestement cantonné aux grands logements bourgeois occupés par des ménages d'âge actif.

Faute de réussir par la voie des pressions monétaires, aurait-on plus de succès en proposant une plate-forme d'échange ayant le statut de service publis ? C'est en tout cas ce qu'on espère en instituant une Bourse d’Échanges de Logements (BEL) par une loi du 17 décembre 1960. Présidée par un inspecteur général de la Construction, cette Bourse a pour objet "de faciliter les échanges de locaux d’habitation en vue de permettre une meilleure utilisation familiale de ces locaux". Son champ d’intervention porte sur tous "les locaux dont les locataires ou occupants bénéficient d’un droit au maintien dans les lieux", soit au titre de la loi du 1er septembre 1948, soit au titre de la législation HLM. Elle peut également opérer sur "tout centre local [d’habitation]", sous condition que le propriétaire donne son accord exprès et propose un bail au nouvel arrivant. Jusqu’à sa liquidation en 1976, son principal instrument de communication a été la revue mensuelle Échanges et logements.

On verra plus loin que l’État est déjà, en 1960, le plus grand vendeur de maisons individuelles sur catalogue du pays. Avec la création de ce nouvel établissement public, il se mue également en agence immobilière. Mais une agence immobilière qui ne manque pas de moyens : afin de faciliter le lancement des échanges, la Bourse bénéficie d’un volant de 1000 logements neufs. Jean-Marie Gondre, qui assiste à la naissance de l’enfant, ne lui accorde pas grand crédit : "Il y a cependant fort à penser que [...] ce volant sera vraisemblablement remplacé, à mesure que les échanges progresseront, par un contingent de logements non recherchés, qui finalement resteront pour compte".

À parcourir les fichiers de la BEL ou les colonnes de la revue Échanges et logements, il est difficile de jauger l’efficacité réelle de l’institution. En effet, la présence de propositions d’échange ne prouve pas que les transactions se soient effectivement faites. Dans la mesure où il n'y a pas à imaginer que la masse des locataires se soit intéressée à un logement moins favorable (plus petit, ou encore moins bien équipé), il est toutefois probable que l’efficacité a été suspendue à l’effet d’aspiration créé par la dotations en logements neufs, ce qui revient à dire combien elle a dû être limitée. C’est ce que tend à confirmer un arrêté du 1er octobre 1968, pris dans le cadre de la réorganisation des attributions de logements HLM dans la région parisienne, et qui confère à la BEL un nouveau volant de logements neufs, annuel cette fois, et égal à 3% de la production HLM de la région parisienne. En fait d’échanges, la BEL semble avoir surtout constitué une porte d'accès secondaire au secteur HLM, dont elle gère le centre technique interdépartemental pour la région parisienne à partir de 1969. En contrepartie, elle a pu se constituer, dans le secteur soumis à la loi du 1er septembre 1948, une masse de logement réservés qui, pour n’être pas très désirables, n’en sont pas moins susceptibles de servir en cas d’urgence. Cela lui permet notamment, autour de 1962, de faire des "avances" pour le "reclassement des rapatriés".

Il est cependant un autre domaine d’activité de la BEL. L’article 4 du décret du 17 décembre 1960 prévoyait en effet qu’elle puisse également reloger des "titulaires d’un droit de propriété", ce qui paraît proprement exorbitant par rapport au champ d’intervention défini à l’article 3. C’est que la BEL avait également la charge d’attribuer pour un premier bail de six ans les logements construits avec le produit de la "taxe de compensation" que devaient verser les organismes qui détruisaient des logements ou les transformaient en d’autres types de locaux. Cette taxe frappait en premier lieu les promoteurs de bureaux, dont l'activité supposait la libération de locaux occupés aussi bien par des locataires que par des propriétaires-occupants. Quand l'indemnité reçue par ces derniers était particulièrement modique, une des portes de sortie qui leur étaient offertes consistait donc à devenir locataire d’un logement neuf attribué par la BEL… au moins pour six ans.

A s’en tenir aux logements mis à disposition de la BEL par de grands organismes qui construisaient avec le produit de la taxe de compensation (La Hénin, OCIL, CILRP, SAGI...), le bilan paraît là encore modeste : environ 1700 logements, essentiellement dans la région parisienne, auxquels s’ajoutent quelques centaines de logements disséminés dans des opérations ponctuelles. Et, en tout état de cause, on rejoint les observations qui précèdent : le domaine d’action préférentielle de la BEL semble avoir concerné le logement neuf. C’est également ce qu’on va faire apparaître en étudiant l’allocation de logement.


L’allocation de logement.

Comme on l’a rappelé plus haut, l’allocation de logement a été instituée par le titre II de la loi du 1er septembre 1948. Sa gestion a été confiée aux Caisses d’allocations familiales; son champ d’application a concerné d’emblée les locations et l’accession à la propriété. Elle a été complétée en 1953 pour "l’allocation compensatrice des hausses de loyer" qui était réservée aux "économiquement faibles". On ne s’étendra pas sur cette dernière, qui paraît avoir eu peu d’importance : le rapport Rueff-Armand de 1960 reconnaît d'ailleurs que "son montant est dérisoire".

La mise en place de l’allocation de logement se fait au terme d’un long processus de maturation. Son principe s’est progressivement imposé dans le courant de l’entredeuxlguerres et, pour les auteurs du début des années 1940, son intérêt ne fait plus de doute. Selon Isaac, "le système de l’allocation de logement est supérieur à celui des HBM"; il y voit notamment l’avantage que l’allocation de logement est "facile à suspendre", quel qu'en soit le motif (logement inapproprié, changement dans la composition de la famille, hausse des revenus qui fait que le soutien n’est plus nécessaire, etc.). Louise Dubois la réclame dans sa thèse sur le logement social qu’elle présente en 1942 sous la direction de Henri Sellier. Olchanski en fait également une présentation très positive. Il s’inspire, comme Isaac, des travaux et publications de Pierre Kula, un industriel du Nord qu’on retrouve comme auteur du chapitre consacré à "l’allocation-logement" dans une série de documents sur Le Problème du logement  que la Statistique Générale de la France publie en 1945.

Les points de vue défendus dans la littérature scientifique ou par des publicistes ont fini par imprégner l’administration. Le rapport Deveaud (1947), déjà cité, considère "l’allocation-logement […] comme une nécessité si l’on envisage l’augmentation des loyers"; il ajoute que les "allocations de logement" ont été reconnues indispensables à "la sauvegarde des familles" par la Commission de modernisation du bâtiment et des travaux publics du Plan Monnet. Au niveau des acteurs de la construction, l'allocation de logement est déjà mise en pratique par le patronat du bâtiment parisien. Le mouvement HBM la réclame de longue date et, sur ce point, les propriétaires tendent à le rejoindre. L'idée ayant ainsi percé sur de nombreux fronts, il n'est pas étonnant de voir les parlementaires s'en saisir en 1946-1948.

Lorsqu’on passe des principes à l’institutionnalisation, on dispose déjà d’une base expérimentale qui est loin d’être négligeable. Thourot, qui consacre lui aussi un paragraphe très favorable à ce sujet d’actualité, rappelle très opportunément dans une annexe nourrie les réalisations qui sont à porter au crédit de "groupes industriels" : le Consortium textile de Roubaix-Tourcoing, d’une part, et la Caisse de Compensation du Bâtiment de Paris, de la Seine et de la Seine-et-Oise, d’autre part. On en retiendra que l’allocation peut être généreuse (au moins 25% du loyer pour les industriels du Nord, et jusqu’à 90% dans le cas familles très nombreuses); qu’il s’agit d’une politique familiale (les industriels du Nord postulent la mère au foyer, et les maçons parisiens refusent le concubinage) et même, très précisément, d’un concours à la natalité française (la nationalité est requise par les maçons parisiens); enfin, qu’il s’agit d’un accessoire du contrat de travail (l’aide cesse après un mois de chômage dans le Nord, et elle n’est maintenue chez les maçons parisiens qu’en cas de chômage "involontaire"). En dépit de leur caractère local, corporatif, national, et à l’occasion étroitement nationaliste, malgré une conception très bornée de la famille, ces expériences ont apporté un considérable fonds de pratique quant aux normes de peuplement et de confort à retenir, aux procédures d’instruction et de suivi des dossiers, aux dépenses à attendre, etc. : lorsque la législateur se saisit de la question pour lui donner une portée générale, il ne se lance pas dans le vide.

En fait, il procède avec beaucoup de prudence. Même si, rétrospectivement, les normes retenues en 1948-1949 paraissent dérisoires, comme on l’a exposé plus haut, elles suffisent à écarter nombre de candidats, et l’allocation de logement aura relativement peu de bénéficiaires dans la décennie qui suit sa mise en place. Elle a pu fonctionner comme un analgésique à l’égard des hausses mais elle ne contribue que très médiocrement à l’unification tant désirée du marché des loyers. Il n’est donc pas étonnant que sa "généralisation" revienne au premier plan dans les suggestions du rapport Rueff-Armand, dont les auteurs reprennent par ailleurs la formulation de treize ans antérieure du rapport Deveaud concernant la nécessaire "remise en ordre des loyers". Dans la même période, Gondre se prononce lui aussi pour la "généralisation", en excluant seulement les cas de surpeuplement critique ou de sous-peuplement accentué, soit un écart de deux pièces ou plus par rapport à la norme de peuplement énoncée par le ministère de la Construction.

Parallèlement, l’administration s’est mise au travail. On trouve trace dès le 4 janvier 1961 d’une conférence de presse du ministre Pierre Sudreau annonçant une "réforme de l’allocation de logement". Le contenu est éminemment technique : modification du calcul du loyer minimum, adaptation plus fine aux hausses de loyer, "dérogations plus souples" en matière de normes de peuplement et de répartition entre pièces principales et secondaires. Mais de généralisation, point. Cela reste un sujet de préoccupation dont, comme on l’a déjà évoqué, la concrétisation a été reportée sine die en 1962 : il ne réémergera qu’avec la réforme Barre et ses développements.

Un coup d’oeil sur le système de l’allocation de logement tel qu’il se présente en 1964 permet de mesurer à la fois les permanences, qui l’emportent de beaucoup, et le chemin parcouru, où l’on voit pointer des innovations pleines d’avenir.

Le bénéfice de l’allocation reste attaché aux familles. Toutefois, en cas de salaire unique et de l’allocation ad hoc, il est ouvert aux "jeunes ménages", même sans enfants. Sous réserve du double butoir qui veut qu’on soit classé "jeune ménage" dans les cinq premières années de mariage et sous des conditions d’âge, c’est désormais l’espérance d’enfants qui fait la discrimination entre ceux qui « ont droit » et les autres.

Pour ce qui qualifie le logement, la norme est désormais unifiée, mais le spectacle est tout aussi désolant qu’en 1948. L’équipement exigé est resté au niveau de la "dérogation générale" du décret du 30 décembre 1948 : un poste d’eau intérieur, un W.-C. qui peut se situer "à l’étage ou au demi-étage", et une évacuation d’eau usée.

Quant à la norme d’occupation, elle s’établit encore à un état intermédiaire entre la "dérogation générale" de 1948 (3 pièces pour 3 ou 4 personnes) et la super-dérogation pour villes en crise (2 pièces pour 3 ou 4 personnes). La règle applicable en 1964 prescrit en effet 2 pièces pour 2 ou 3 personnes, 3 pièces pour 4 ou 5 personnes, 4 pièces pour 6 ou 7 personnes, et 5 pièces pour 8 personnes ou plus.

Le "loyer minimum" qui reste en tout état de cause à la charge du locataire a été relevé. En 1948, il se montait à 3,2% du revenu pour les ménages modestes. Il atteint maintenant 4,4% du revenu pour une famille avec deux enfants qui dispose de 6000 francs par an, soit 1,5 fois le SMIG. Pour autant qu’on trouve un logement ne dépassant pas le loyer-butoir (205 francs par mois pour une famille de deux enfants), l’allocation couvre jusqu’aux deux tiers du loyer. Sur la base d’un loyer mensuel de 205 francs et d’un revenu annuel de 6000 francs (hors allocations familiales), cela implique un taux d’effort net de 13,5%. L’encouragement reste substantiel, mais la charge laissée aux ménages a suivi la courbe générale du poids des loyers.

Au delà de la valeur de l’aide, l’innovation la plus consistante concerne bien le mode de calcul, comme le soulignait Pierre Sudreau. Depuis les décrets des 26 et 30 juin 1961, le "loyer minimum" qui n’est en aucun cas couvert par l’allocation se calcule selon un barème progressif en fonction des tranches de revenu. Même si le taux appliqué aux tranches les plus élevées est encore loin des taux de la réforme Barre de 1977 (18% pour une famille de deux enfants, alors que les taux marginaux vont jusqu'à 60% dans la réforme Barre), on reconnaît une des dispositions techniques essentielles de l’aide personnelle au logement (APL) instituée par la réforme de 1977. La proximité est d’autant plus grande que le montant de l’allocation est fixé par l’application d’un coefficient à la différence entre le loyer effectif et le "loyer minimum", qu'un forfait de charges est déjà intégré au loyer, et que le loyer-butoir au-delà duquel la dépense effective du ménage n’est pas prise en compte est prévu depuis l’origine du système. Certes, le coefficient de prise en charge appliqué à la différence "loyer effectif (ou butoir)" – "loyer minimum" est encore déterminé par un simple tableau en fonction de la composition de la famille, et non par une formule associant revenus et composition de la famille. Mais il n’empêche : nombre de dispositions structurelles de l’APL, sont déjà en place. Telle qu’elle est administrée dans les années 1960, l’allocation de logement constitue incontestablement un modèle précurseur de notre actuelle APL et, d’un point de vue technique, la novation que représente l’APL de 1977 n’est donc pas si grande qu’on l’a souvent prétendu.

Il s’y ajoute, sans qu’on soit passé à l’acte, que l’idée d’un versement direct au bailleur (dans le cas des locataires) ou à l’organisme créditeur (pour des accédants) continue à faire son chemin. Ce principe qui, en matière locative, était déjà proposé par Pierre Kula au début des années 1940, est évoqué avec faveur dans le rapport général de l’inspection des Finances sur la gestion des organismes d’HLM pour l’année 1959. On en retrouve également trace en 1966 dans une note du Ministère de la Construction.

Bien qu’elle ait été peu modifiée dans sa structure, l’allocation de logement a vu sa portée démultipliée au tournant des années 1960. Cela tient mécaniquement à un début de desserrement, à l’amélioration de l’équipement et à la hausse des loyers, tous éléments qui tendent à accroître le nombre de ménages éligibles. Du 1er juillet 1954 au 30 juin 1955, soit quelque cinq ans après la mise en place du dispositif, un document du ministère de la Construction indique que l’allocation de logement a coûté 6,5 milliards d'anciens francs et que "le nombre de bénéficiaires est d’environ 200 000". L’allocation de logement est complétée dans une proportion modeste par "l’allocation compensatrice des hausses de loyer", qui répartit 872 millions d’anciens francs sur 162 000 ménages. Par référence à un effectif global de locataires qui s’établit un peu au-dessus de cinq millions on voit, comme on pouvait l’augurer à l’examen des textes, que le démarrage du système a été relativement lent. Dix ans plus tard, au milieu des années 1960, le nombre de bénéficiaires s’établit à 1,38 millions au seul titre du régime général et des fonctionnaires, ce qui correspond à une multiplication par sept. La dépense a suivi, en accentuant notablement l’ampleur du mouvement : elle atteint 1,36 milliard de francs en 1965-1966, soit treize fois le montant de 1954-1955 à francs constants.

L’expansion du système se poursuit dans la deuxième moitié des années 1960, de façon ralentie au niveau des effectifs de bénéficiaires, mais accélérée en ce qui concerne la dépense. Pour des bénéficiaires huit fois plus nombreux qu’en 1954-1955, la dépense de 1969-1970 est dix-sept fois plus élevée en francs constants : la valeur moyenne de l'allocation a doublé.

Les allocations de logements de 1965 à 1970
(régime général et des fonctionnaires)

1965-19661966-19671967-19681968-19691969-1970Nombre de bénéficiaires
(en millions)1,381,441,371,561,61Dépenses (en milliards de francs courants)1,361,601,842,112,34 Source : Mémento statistique de la direction de la Construction, MATELT, 1973, p. 64.


On voit que l’allocation moyenne se tient sensiblement à 1000 francs par an et par ménage bénéficiaire en 1965-1966. Cela représenterait sensiblement 1100 euros de 2007 et cela constituerait, même dans les conditions d’aujourd’hui, un apport non négligeable, tout du moins en-dehors du marché locatif des centres des grandes agglomérations. Dans les conditions de l’époque, la portée de cette aide était encore plus considérable. Elle correspondait en effet à 25% du SMIG brut à Paris, et à près de 40% des loyers-butoirs pour une famille de deux enfants.

L’étude comparée des taux d’effort bruts et nets qui ressortent de l’enquête logement de 1970 fait apparaître que l’allocation de logement représente dans l’ensemble 10% de la masse des loyers. On a là une dotation tout à fait consistante, mais dont l’effet est très inégal selon les secteurs : l’allocation de logement couvre 20% des loyers des HLM postérieures à 1948, 11% dans les autres immeubles récents, et seulement 5% dans le secteur ancien, privé ou social, avec un creux tout particulier dans le domaine des loyers évalués à la surface corrigée, où le taux de couverture est seulement de 2,5%.

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer la filiation qui rattache l’allocation de logement à la loi du 1er septembre 1948, il ne faut donc pas imaginer que la manne vient principalement soutenir les locataires du secteur ancien. Même si l’allocation qui revient en moyenne à un bénéficiaire est sensiblement similaire d’un secteur à l’autre, la répartition des effectifs de bénéficiaires fait que 90% des fonds profitent au neuf, à raison de deux tiers pour le locatif et d’un tiers pour l’accession. Ce phénomène s’explique tout d’abord par l’état du parc ancien, tant du point de vue des volumes que de l’équipement : ce qu’on désignera plus tard par l’élégant euphémisme de "parc social de fait" est proprement misérable. L’enquête logement de 1961 fait apparaître que près de 20% des logements locatifs du parc ancien n’ont pas l’eau, et que 30% ont l’eau pour toute commodité. Ces deux catégories représentent encore respectivement 11% et 30% à l’enquête logement de 1967, et recouvrent pour l’essentiel des cas qui ne pouvaient pas être acceptés au guichet de l’allocation de logement. Corrélativement, une autre cause tient à la modicité qui continue de caractériser la plupart des loyers de l’ancien. Citant, une fois n’est pas coutume, le congrès des PACT de 1970, un document du congrès de l’UNPI de 1971 fait valoir que "plus du tiers des ménages ne peuvent avoir accès aux HLM et occupent dans la proportion de 90% des immeubles locatifs anciens" où "ils payent des loyers si bas que 88% des ménages disposant de moins de 5000 francs de revenu ne touchent ni allocation de logement, ni même allocation de loyer [...]".

Allocation de logement
Répartition des bénéficiaires et des dotations
(Régime général seul, 1965-1970)

1965-19661966-19671967-19681968-19691969-1970A) BénéficiairesLocataires 66%68%69%70%70% Dont: ancien11%11%11%11%11% neuf55%57%58%59%59%Accédants34%32%31%30%30%B) DotationsLocataires 66%71%71%71%71% Dont: ancien10%9%10%10%11%neuf56%62%61%61%60%Accédants34%29%29%29%29% Source : Mémento statistique de la direction de la Construction, MATELT, 1973, p. 66.

Ce bref retour sur les faits suffit à montrer à quel point on est encore loin du "marché unique des logements locatifs" ou de la "remise en ordre des loyers", deux objectifs dont l’allocation de logement était censée faciliter la réalisation. Forte est la rémanence du secteur « bloqué » auquel est attaché le sort de nombre de personnes âgées : cela constitue un point de résistance auquel on réfléchit activement, comme on le montrera dans le volume suivant en évoquant l'institutionnalisation des logements « spécialisés ». On peut également considérer comme fâcheux le fait que plus de la moitié des fonds de l’allocation de logement aille au secteur locatif neuf c’est-à-dire, avant tout, au secteur social, qui cumule ainsi le bénéfice d’une substantielle aide à la pierre et du plus gros de l’aide à la personne.

Pour autant, tout n’est pas pour déplaire dans la distribution de l’aide à la personne. Administrée par les Caisses d'allocations familiales, l’allocation de logement est liée depuis l’origine à la politique de soutien aux familles. Or, précisément, l’enquête logement de 1970 montre que les ménages bénéficiaires, avec une moyenne de 4,71 personnes, sont nettement plus grands que la moyenne générale (3,06 personnes), ce qui constitue un premier sujet de satisfaction. D’un autre côté, il est entendu depuis l’origine qu’on ne sortira pas du désastre du logement sans une politique vigoureuse de construction neuve destinée à ces mêmes familles et, en ce sens, la concentration de l'aide personnelle sur le logement neuf ne peut que paraître compréhensible. Vingt ans après sa mise en place, on peut certes déplorer d'en voir l'attribution rester attachée à des normes misérables, mais on peut aussi faire valoir le nombre croissant de ménages qui accèdent à ces normes, même très minimales, et soutenir à bon droit que l’allocation de logement a substantiellement servi les finalités pour lesquelles elle avait été créée. De plus, tout cela a été obtenu à peu de frais pour le Trésor, puisque le régime général est financé par les allocation familiales, et pour un coût global relativement modéré : tous régimes confondus, les quelque 2,4 milliards de francs qui sont consacrés aux allocations de logement ne représentent guère que 0,3% du produit intérieur brut (PIB).

On peut résumer le point de vue sur la période 1948-1970 en disant qu'en l'absence d'une grande réforme, différée en 1962, qui aurait engagé l'État au-delà de ses devoirs d'employeur, l'aide personnelle a été gérée comme un élément de salaire indirect, une généralisation des initiatives patronales financée par « l’économie » ou, si l’on préfère, par les entreprises et les travailleurs. La conséquence en est qu’elle est restée contenue dans des proportions modestes. Mais dans les limites de cette contrainte, elle a eu un rôle efficace, et la réputation honorable dont elle jouissait dans les appareils lui a valu de devenir la forme principale de l’aide au logement à partir de 1977.

La procédure n’étant toutefois pas de grande ampleur dans les années 1950 et 1960, on peut finalement s’interroger sur l’opportunité qu’il y avait à partager son bénéfice entre locataires et accédants à la propriété. En fait, plus des neuf dixièmes de ce qui est dévolu à l’accession à la propriété accompagnent l'achat de constructions neuves. Traduisant une prédilection en faveur du neuf encore plus marquée que ce qui prévaut dans le secteur locatif, cela vient rappeler à point nommé une dimension des interventions publiques qui s’est imposée dès l’origine et qui conserve toute son importance – pour ne pas dire sa primauté – durant le Second Vingtième siècle : l’encouragement à la petite propriété comme stimulant de la construction Une brève approche de l’allocation de logement suffit ainsi à remettre sur la scène un aspect que les développements sur les questions locatives, cruciales pendant un long moment, aurait pu faire perdre de vue.

3) CONCLUSION



L'effort de construction de la France du second après-guerre a été réel, et il a porté la production à des niveaux inégalés dans le passé. Il est également vrai qu'il a été le fruit d'une volonté politique durable, soutenant des dispositifs d'intervention publique relativement cohérents, dont le pivot administratif a été le nouveau ministère de la Reconstruction (puis de la Construction) qui avait pris la suite des institutions de Vichy. Mais on ne sait que trop combien l'effort français a été décalé dans le temps par rapport aux voisins anglais ou allemands qui, dès 1955, construisaient respectivement plus de 300 000 logements et plus de 500 000 logements par an, alors que la production française ne dépassait guère 200 000 logements. Contrairement à la vulgate qui veut que le retard de la reconstruction immobilière – et par suite de la construction – soit imputable à la priorité accordée aux infrastructures, aux équipements de base, etc. – une priorité qui n'avait pas lieu d'être en Allemagne Fédérale, sans doute! – l'étude des choix budgétaires des premières années du Plan Monnet suggère que ce sont les priorités de la reconstruction de l'État comme puissance impériale qui expliquent le décalage.

Le choix d'une reconstruction qui fait une place éminente à l'institution militaire, c'est-à-dire, au fond, à un projet militaro-industriel, est propre à rendre compte de la persistance de certains caractères de l'économie de guerre, et notamment d'une régulation des loyers tendant à en rendre la pression aussi faible que possible. Pareil contexte fait ressortir avec d'autant plus de force l'aspect absolument remarquable de la décision qui installe l'ensemble des loyers sur un trend de hausse, avec de surcroît une première mise en œuvre particulièrement vigoureuse. On peut ironiser sur la loi de 1948, et moquer à bon droit le caractère plus paperassier que « scientifique » de ses décrets d’application, ouvrant un champ d’action illimité à toutes sortes de "gens de chicane", comme dit Danièle Voldman. On peut aussi faire valoir que le dispositif est loin d'être entièrement nouveau, et qu'il reprend nombre de formulations des législations d'entre-deux-guerres, notamment en ce qui concerne la détermination géographique du champ d'application, qui vient simplement confirmer la permanence des lieux de crise. Mais il reste deux faits majeurs au crédit des législateurs de 1948 : d'une part, une inversion de tendance qui était réclamée à cor et à cris par les tenants de la propriété, mais qui était également demandée par les critiques scientifiques, indépendamment de leur formation et de leurs affinités, et qui est assumée par ces gouvernements de la Quatrième République dont on stigmatise si facilement la faiblesse et la versatilité; d'autre part, la mise en place de la première aide au logement de portée générale, sous la forme de l'allocation de logement destinée aux familles.

À la différence des dispositifs de l'entre-deux-guerres, il ne s'est pas agi d'un feu de paille. Le processus de revalorisation a été au contraire poursuivi contre vents et marées, même si les rythmes et les modalités ont varié en fonction des conjonctures et des personnalités qui tenaient les commandes. C'est sans doute ce qui explique que les voies d'un dialogue avec les groupes de pression de la propriété aient pu être retrouvées, comme cela apparaît manifestement dans les années 1960, et quitte à ce que les échanges prennent à l'occasion un tour orageux.

Quant à l'allocation de logement, on serait tout d'abord porté à penser qu'elle concernait essentiellement les occupants du parc existant, puis que sa création est attachée à la législation sur les loyers des logements anciens. Or, il n'en est rien. Malgré la modestie des niveaux d'exigence requis pour le bénéfice de l'allocation, l'état du parc ancien fait que peu des ménages qui y résident en seront attributaires. Il est saisissant de voir que, sitôt qu'existera une offre neuve un peu substantielle, l'essentiel du dispositif, aussi bien en termes de dotations monétaires que de nombre de bénéficiaires, viendra financer l'accès aux nouvelles constructions, notamment en HLM. Conforme en cela aux vues de Philippe Isaac ou de Claude Olchanski, qui n'imaginaient pas l'arrivée des familles nombreuses dans des logements dignes sans le concours d'une aide personnelle, l'allocation de logement a préfiguré dès les années 1950 et 1960 la future APL de la réforme de 1977.

Il reste que l'observation d'un parc locatif qui a pris la forme d'un patchwork de régimes privilégiés montre que l'occupation des meilleurs logements continue à se rigidifier. Le phénomène ne touche pas seulement le parc privé, mais aussi le parc public, où on ne réussit nullement à décider les détenteurs de « grands » logements sous-occupés à céder la place à ceux qui sont dans le besoin. Le côté immédiatement choquant de l’affaire tient aux pas de porte et autres reprises qui se généralisent dans le secteur privé, et qui ne sont peut-être pas entièrement absents du secteur public. Mais, au-delà de leur aspect déplaisant sur le plan moral, les phénomènes d’incrustation des locataires dans leurs tanières protégées conduisent à réviser certaines idées reçues. Tout d’abord, cela met en cause les espoirs qu’on pouvait placer dans la mobilité des locataires du point de vue de l’aménagement du territoire : que reste-t-il en effet, dans une telle configuration, de l’argument selon lequel le locatif contribuerait à la fluidité dans le logement, contrairement à la propriété d’occupation ? Et cela ruine les attentes qu’on pouvait avoir d’un système locatif en vue de mieux ajuster la répartition des volumes disponibles en fonction de la taille des familles, ce qui aurait contribué à limiter l’effort de construction en effaçant une part surpeuplement : moins de logements surpeuplés au regard de la norme, moins de constructions nouvelles à réaliser.

Si l’observation des réalités du logement a pu entraîner certaines désillusions, la politique qui se met en place sous Claudius-Petit n’en demeure pas moins une œuvre monumentale. Une intervention décisive sur les loyers, des financements qu’on se décide à trouver, des méthodes de planification quantitative et une expérimentation technique qui se développent, le tout porté par une volonté : on ne peut que manifester du respect aux hommes qui, dans une conjoncture défavorable, ont su trouver prise et saisir des ouvertures pour passer du débat d’experts à des réalisations tangibles. D’un autre côté, à considérer les fruits qui mûrissent dès les années 1950, on comprend que les représentants des appareils et des professions qui ont été associés à l’ouvrage en aient conservé un souvenir ému. Pour autant, le souci de rendre justice à une œuvre et à ses auteurs ne devrait pas conduire à une dévotion génératrice d’aveuglement.

Une première erreur d’interprétation, propre à fonder toutes les nostalgies, consisterait à raisonner comme si le dispositif du début des années 1950 avait été voué à durer dans son état initial. En fait, il s’agit d’un monument… historique, simple témoin d’un moment, même s’il s’agit d’un moment fort, riche en significations, et qui produit longuement ses effets. Ce peut être un modèle pour certaines conjonctures, mais il n’y a pas à imaginer que les orientations d’application et les dispositifs techniques aient été bâtis pour durer des décennies, encore moins pour être immuables et constituer des sortes d’acquis définitifs. Les conditions dans lesquelles les choses sont venues au jour éclairent le sens qu’elles avaient pour leurs promoteurs, au moins leurs promoteurs politiques : l’objet était de donner un coup de fouet, de relancer une dynamique. Le dispositif et ses orientations même étaient conçus pour évoluer dans le temps, comme on accompagne la croissance d’un être biologique en lui administrant des nourritures, des médications et des prédications qui diffèrent d’une étape de sa vie à l’autre. Il faut de la faiblesse chez l’observateur pour se figer dans une terreur sacrée face à des arbitrages initiaux dont il était naturel – pour tout dire, prévu – qu’ils soient réévalués dans le temps, et éventuellement modifiés du tout au tout. Seule le but reste constant. Le projet dont on s’est saisi est de faire renaître une dynamique du logement digne d’un pays développé et il s’entend que dans la République Française celle-ci devrait avoir pour pivot essentiels la propriété et le marché, que certains voient encore comme des pivots exclusifs. En partant d’une relance où l’État tient les commandes parce qu’il est financier en dernier ressort, cela supposera des révisions qui, pour être progressives, n’en seront pas moins radicales.

Une seconde erreur d’interprétation pourrait résulter de l’impression de masse et de relative cohérence que laissent aussi bien le dispositif de la politique du logement que les productions qui y sont liées. La politique du logement étant proclamée, sa consistance, assurée, et ses réalisations, engagées, on pourrait croire qu’on en a fini avec les palinodies, , avec les temps où le(s) discours politique(s), de bonne foi ou hypocrites, sont voués à végéter dans la sphère discursive. Or, tel n’est pas le cas. Le changement tout entier tient dans le fait que les concrétisations s’affirment désormais comme aspect principal et font contraste avec les simples déclarations d’intention qui constituaient le mode dominant jusqu’à hier. Mais les tiraillements, les hésitations et les pas de clerc n’ont pas disparu. Ils sont dans la nature des choses, tant en raison de la multiplicité des intérêts en cause dans les affaires de construction et de logement que des différents points de vue qu’on peut avoir sur le rôle et l’avenir du pays, ou pour reprendre un langage gaullien, sur le « destin de la France ».

Enfin, l’ombre des affaires de l’Empire, de la guerre et, d’une façon générale, des développements liés à l’institution militaire, continue à se faire sentir. En matière de politique des loyers, on la perçoit en 1947-1948, quand la préséance accordée aux affaires d’Algérie retarde une dernière fois la discussion puis l’adoption du texte de loi qui est en gestation depuis 1946. On la perçoit encore dans les tergiversations de 1954-1957, quand un gouvernement qui doit faire face à l’inflation et aux déséquilibres du commerce extérieur générés par les opérations dans cette même Algérie est à nouveau tenté de différer la revalorisation des loyers, ou du moins d’en modérer le rythme. Les observations qu’on peut faire dans le domaine des loyers se retrouvent en matière de financement. L’engagement dans un conflit aux confins de l’Empire que les gouvernements de la France libérée jugent prioritaire n’est pas étranger au retard initial qui affecte la production des logements, et l’étude attentive des moyens dévolus à la construction montrerait que le principal d’entre eux pour les années 1950 et 1960 – les prêts spéciaux du Crédit Foncier – est sérieusement mis en cause en 1956-1957.

Ces aléas n’ont pas empêché les gouvernements de la fin des années 1940 de lancer au galop le processus central qu’était la revalorisation des loyers. Mais il est remarquable qu’après 1953 celui-ci se réalise de manière nettement plus progressive, ce qui permet à la fois de le moduler selon les conjonctures ou les catégories sociales, et de poursuivre une gestion globale du pays qui demeure fondée sur un logement peu coûteux. Un des aspects les plus révélateurs à cet égard est l’exception constamment assumée en faveur des personnes âgées : de même qu’on a pu dire que le bas niveau des loyers évitait aux employeurs de relever les salaires, de même on pourrait soutenir que la réglementation des loyers du parc ancien a longuement dispensé l’État de pourvoir à des retraites convenables. Au fond, la configuration dans laquelle l’État était aux commandes aura surtout eu pour effet d’assurer une production de masse tout en cantonnant étroitement l’investissement consenti pour le logement. Évidemment, une telle attitude n’était pas sans risque, aussi bien du point de vue de la qualité des constructions qu’au regard du maintien d’habitus qui demeurent nettement en deçà de ceux qui règnent dans les nations les plus développées.
 À ce premier constat, il faut ajouter que lorsque les autorités passent à l’action, elles en rabattent beaucoup sur le projet relativement généreux de 1947, comme on le montrera dans le volume Normes et maîtrise du coût de la construction.
 On reprend ici le titre de l’ouvrage de Georgette Elgey, La République des illusions (1945-1951), Fayard, Paris, 1965).
 Expression empruntée au texte composé par Jacques Prévert pour le film Gentils enfants d'Aubervilliers. La formulation du poète exprime très justement la nature du problème du logement dans la France des années 1940. La misère de l'habitat est essentiellement un legs de l'avant-guerre, notamment dans les banlieues ouvrières, et les destructions de la guerre ne constituent qu'un facteur aggravant. Ce qui vaut pour Aubervilliers fait image pour la situation globale du pays, même s'il existe, évidemment, des lieux où les ravages de la guerre représentent l'aspect dominant.
 On pourra sur ce point se reporter à VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 19 à 24.
 AN, versement 850700, art. IG 858 : rapport Le Guillou du 25 février 1966.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 26.
 Ibidem, p. 28.
 Un cas emblématique est celui des mines à extraire du sol français, dont le total était évalué à 100 millions d'unités en 1944 et se trouve ramené à 13 millions dès 1945. Dans la même période, Danièle Voldman a pu constater dans le département de l'Eure-et-Loir que le nombre estimé d'immeubles "irréparables" s'était trouvé divisé par quatre en quelques mois, cependant que celui des immeubles simplement "endommagés" était réduit de moitié (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 26 et 36).
 Une estimation qu'on a également rencontrée en fréquentant pour une part les mêmes sources : AN, versement 770809, art. DG 934 et 935. Voir article de CROIZÉ (Jean-Claude), Construire, reconstruire : éléments de problématique, 1940-1960, in Archives Nationales, Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 254.
 VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 33
 Voir par exemple AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 733.
 Versement 771144, art. C 3651, PROTHIN (André), Note relative à la détermination des besoins de logements (6 juin 1952), p. 8.
 Les annuaires de l'INSEE, se fondant dans ce domaine sur des données provenant du ministère de la construction, permettent de disposer d'une série continue de 1949 à 1967. D'autre part, la note d'André Prothin indique que 95 350 logements de la reconstruction ont été achevés au 31 décembre 1951. Par déduction de ce qui revient aux années 1949, 1950 et 1951, on aboutit à quelque 16 300 logements reconstruits pour la période 1945-1948.
 PROTHIN (André), "Urbanisme et construction", in L’Architecture d'aujourd'hui, n°7-8, septembre-octobre 1946; cet article est substantiellement reproduit in VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 14-15.
 AN, versement 771144, art. C 3651, PROTHIN (André), Note relative à la détermination des besoins de logements (6 juin 1952).
 AN, versement 770775, art. AT 141; voir aussi AT 136 et 137 : un programme élaboré par Louis Henry pour 1950-1980 prévoit encore la reconstruction de 600 000 logements, mais fait 5,5 fois plus de place à ce qui est nécessaire pour résorber le retard accumulé de 1914 à 1949.
 Voir plus loin le chapitre sur les loyers.
 …ou tombés dans les chausse-trappes de la législation : l'article 70 précité de la loi de 1948 disposait in fine que les locataires avaient, "à peine de forclusion", trois mois pour prendre position suite à la notification de son intention de reconstruire que leur ferait le propriétaire ou, "le cas échéant", suite à un simple affichage en mairie.
 Pour un commentaire sur ces ordonnances, voir VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 213.
 PROTHIN (André), "Urbanisme et construction", in L’Architecture d'aujourd'hui, n°7-8, septembre-octobre 1946; cet article est substantiellement reproduit in VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 14-15. Reconnaissant en passant que les constructions provisoires du MRU n'étaient pas brillantes, André Prothin en rajoute ici dans la dramatisation et l'émotionnel, comme il le fait dans l'ensemble de ce texte destiné à mobiliser les cœurs et les esprits. En admettant que le retour de la tuberculose corresponde à des faits, ce qui est probable mais qui n'a pas été vérifié, cela s'imputerait tout autant à des insuffisances alimentaires durables qu'aux conditions de logement. On note d'autre part la référence explicite aux "Français" dans un pays qui comptait déjà une masse consistante d'immigrés. De 1900 à 1960, ce choix sémantique constitue incontestablement un usage général et un trait d'époque (voir notamment, en première partie, les dispositions des lois sur les loyers). On peut l'excuser en disant que le terme de "Français" visait le plus souvent les habitants de la France en général, et était donc dénué d'arrière-pensées ou de signification particulière. Mais cet usage réitéré ne traduit-il pas, en fait, une mentalité générale où l'idée de "préférence nationale" allait de soi ? Une telle interprétation devrait-elle surprendre dans un pays impérial où les idéologies politiques ont été substantiellement et durablement imprégnées de nationalisme ?
 Voir VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997
p. 179.
 Le degré de destruction qui justifie la désignation de "commune sinistrée" donne évidemment lieu à de vives discussions. Pour les sinistres de la guerre, voir VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 30 à 32.
 J.O. 24 juin 1943, p. 1720.
 PROTHIN (André), "Urbanisme et construction", in L’Architecture d'aujourd'hui, n°7-8, septembre-octobre 1946; cet article est substantiellement reproduit in VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 14-15.
Précisons que la "prise en considération" d'un avant-projet, acte purement administratif à la discrétion des autorités centrales, suffisait à déclencher les premières aides de l'état aux collectivités territoriales, en vue des déblaiements et du rétablissement des infrastructures.
 VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997
Dans l'ordre où ils se présentent dans l'ouvrage, ces huit cas sont les suivants : Chemillé-sur-Indrois, Gien, Lorient, Saint-Dié, Dunkerque, Noisy-le-Sec, Caen, Lisieux.
On remarque en passant que Danièle Voldman désigne systématiquement les plans de reconstruction par l'acronyme de PRA, pour "plan de reconstruction et d'aménagement". Cela ne correspond ni à l'esprit de la loi du 15 juin 1943, ni à la lettre du texte d'André Prothin qu'on vient de citer, ni enfin aux usages de la conservation des archives. Sur cette affaire qui ne se résume pas à une simple question de vocabulaire mais indique l'esprit dans lequel on aborde la question – la reconstruction, un cas particulier de l'aménagement, ou bien l'aménagement, un accessoire de la reconstruction ? – on s'en tiendra à l'ordre voulu par le texte de la loi de 1943, qui fixe le cadre des pratiques urbanistes : projet (ou plan) d'aménagement et de reconstruction, ce qui donne l'acronyme PAR.
 Si le cheminement qui conduisait à la prise en considération, puis à l’approbation et de là au décret valant déclaration d’utilité publique promettait des langueurs administratives, le lancement de la procédure était censé se faire en trombe, avec, comme on l’a précisé plus haut, un délai de trois mois imparti pour l’élaboration du projet et sa présentation aux autorités (DGEN puis MRU, ou préfectures pour les communes rurales).
 Voir par exemple dans le versement 800268 le cas de Beaugency (Loiret), où les dates du "périmètre" s’échelonnent de 1950 à 1965.
 "[…] durant ces trois années 1941, 1942 et 1943, des gens furent mis à pied d'œuvre, architectes chargés d'établir les plans de reconstruction des villes, des bourgs et des villages. Ainsi se sont-ils fait les griffes –d'architectes –, ont-ils goûté à l'urbanisme et devenant forgerons en forgeant, ils sont entrés dans l'urbanisme." (LE CORBUSIER, Manière de penser l'urbanisme, 1ère édition : Paris, 1946, réédition Denoël-Gonthier, collection Médiations, Paris, 1977, p. 14).
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 239.
 Sur l’affaire du projet de reconstruction de Saint-Dié, voir VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 199-204.
 Ibidem, p. 150 et 290, pour une discussion plus approfondie de cette question.
 "Le 21 novembre 1947, après une série de conflits qui avaient retardé nombre d'approbations définitives, un protocole fut signé entre les deux administrations [de l'Intérieur et du MRU]." (Ibidem, p. 286).
 Voir dans l'ouvrage de Danièle Voldman, les "récits situés" concernant Saint-Nazaire et Lorient et, p. 288, les cas d'Orléans ou de Tours. Après de longues tergiversations, on finit le plus souvent par ne pas déplacer les gares, en raison de "conflits techniques, économiques et financiers entre le MRU, la SNCF, le ministère des Finances et les municipalités."
 De la ligne Maginot aux jetées de port à l'usage discutable, les bétonniers paraissent avoir eu dans leur première expansion une certaine parenté avec les alpinistes, ces "conquérants de l'inutile". Mais, à la différence des premiers, ces derniers ne font qu'effleurer le paysage, et leur activité pèse peu sur la capacité productive du pays.
 Lors d'une séance du Conseil de la République sur laquelle on reviendra au chapitre suivant, le sénateur Canivez, élu du Nord, évoque les "luttes sans gloire [du MRU] avec les sinistrés" en matière de remembrement, et félicite le ministre Claudius-Petit d'avoir pris des mesures tendant à assouplir les procédures (Conseil de la République, J.O. des Débats, 30 novembre 1949, p. 2539. Voir aussi AN, versement 771144, art. C3651).
 LE CORBUSIER, Manière de penser l'urbanisme, 1ère édition : Paris, 1946, réédition Denoël-Gonthier, collection Médiations, Paris, 1977, p. 89-91. En conclusion de ces pages ornées de croquis, Le Corbusier fait référence à Giedion, pour qui "le park-way est l'avant coureur de la première réforme nécessaire au développement des villes de l'avenir : la suppression de la rue-corridor.", en indiquant comme source le chapitre IX de "l'histoire de l'architecture". On retrouve effectivement un passage très comparable dans les pages du chapitre IX de "Espace, temps, architecture" que Giedion consacre aux parkways, juste avant de faire l'éloge des projets de Le Corbusier. Mais l'expression littérale de ce passage assez éloignée de la version qu'en donne Le Corbusier : "En un sens, le parkway est le précurseur de la rénovation urbaine et de l'abolition de la rue corridor" (GIEDION (Siegfried), Espace, temps, architecture, première édition : 1940; première traduction française : Bruxelles, 1968; réédition Denoël-Gonthier, trois volumes, Paris, 1978, tome III, chap. IX, p. 184). La suite de la "citation" que fait Le Corbusier présente les mêmes décalages par rapport à la traduction publiée chez Denoël-Gonthier. Bien qu'on ne puisse pas l'affirmer totalement faute de disposer d'un original en allemand, il semble bien que Le Corbusier ait procédé à une réinterprétation plutôt qu'à une traduction, en surimposant sa manière de voir, son style et … ses chères italiques.
 LE CORBUSIER, Manière de penser l'urbanisme, 1ère édition : Paris, 1946, réédition Denoël-Gonthier, collection Médiations, Paris, 1977, p. 74.
 GIEDION (Siegfried), Espace, temps, architecture, première édition : 1940; première traduction française : Bruxelles, 1968; réédition Denoël-Gonthier, trois volumes, Paris, 1978, tome III, chap. IX, p. 184.
 LE CORBUSIER, Manière de penser l'urbanisme, 1ère édition : Paris, 1946, réédition Denoël-Gonthier, collection Médiations, Paris, 1977, p. 146.
 PROTHIN (André), "Urbanisme et construction", in L’Architecture d'aujourd'hui, n°7-8, septembre-octobre 1946; cet article est substantiellement reproduit in VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 14-15.
Soulignons l'expression "les voies réservées à la grande circulation, en ville …", car elle annonce quelques belles percées, et pas mal de désagréments pour les riverains.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 289.
 VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 40.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 243.
 PROTHIN (André), "Urbanisme et construction", in L’Architecture d'aujourd'hui, n°7-8, septembre-octobre 1946; cet article est substantiellement reproduit in VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 14-15.
On reconnaît ici le thème de la "ville deux fois trop grande" qui est développé dans l'introduction au tome II des Oeuvres Complètes de Le Corbusier (Girsberger, Zürich, 1934), et celui du coût en VRD des cités-jardins pavillonnaires, vivement illustré par un des croquis sur lesquels s'ouvrent Les Trois établissements humains (Éditions de Minuit, Paris, 1969).
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 273.
 Les décisions concernant la cathédrale catholique, le "Zwinger", le palais princier, le théâtre, etc. furent prises et pour l'essentiel exécutées au temps de la R.D.A. Mais c'est seulement après 1989 qu'on a pris le parti de reconstruire à l'identique la dernière pièce majeure : la "Frauenkirche". Cet édifice baroque exceptionnel sera achevé en 2006, restituant ainsi à "la Florence de l'Elbe" un de ses symboles les plus marquants.
 Tout en concédant dans l'article précité que "le Français s'accommode mal des solutions systématiques" et qu'il faut "tenir compte […] des habitudes et de l'activité propres aux différents réseaux d'équipement préexistants, ou ayant échappé aux destructions", André Prothin n'en supposait pas moins que les immeubles d'habitation devaient être "dégagés dans toute la mesure du possible des servitudes de l'alignement".
 Voir VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 41, où est reproduite une illustration très caractéristique extraite d'une brochure du MRU. En deux images on se demande si on peut "construire ce quartier neuf" (image positive) … "sur ce tracé périmé" (image négative). On interroge sur le tracé et, par accessoire, l'image positive voit se substituer des immeubles collectifs au tissu de maisons qui allait de pair avec le "tracé périmé". Ainsi va la propagande : avec quelques messages qu'on martèle et, à côté, une foule de non-dits dont on compte bien faire des évidences partagées, de gré ou de force.
 ou "sans affectation immédiate", pour éviter la négation explicite de la propriété individuelle.
 Sur les ISAI en tant qu’objets d’expérimentation technique ainsi que sur les réticences des sinistrés, voir VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 302-304.
 Expression empruntée à Danièle Voldman, à propos du Havre (La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 235).
 GUINCHAT (Pierre), CHAULET (Marie-Paule), GAILLARDOT (Lisette), Il était une fois l'habitat, Éditions du Moniteur, Paris, 1981, p. 109.
 À ces réflexions techniques s'ajoute la sagesse élémentaire qui dit que "quand on veut, on peut" : voir l'épopée des "Trümmerfrauen", ces équipes de femmes qui, en Allemagne, ont interminablement fait la chaîne pour déblayer les ruines. La dimension théorique de cet événement qui a généré un vocable spécifique revient à rappeler le principe du primat du capital humain sur l'état du matériel, une assertion qui transcende les systèmes politiques de référence, comme le montre le titre de l'article bien connu de Joseph Djougachvili, alias Staline : "L'homme, le capital le plus précieux".
 Voir par exemple VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 301, où il est dit qu'entre avril et septembre 1945 on ne disposait à Orléans que de quatre camions affectés au transport des gravats et des matériaux.
 Cité par Danièle Voldman, ibidem, p. 355
 Ibidem, p. 38, d'après les monographies "Dommages subis par la France", un genre de source qui n'est certainement pas de nature à sous-estimer les pertes.
 CARRÉ (Jean-Jacques), DUBOIS (Paul), MALINVAUD (Edmond), La croissance française. Un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Seuil, Paris, 1972, annexes, tableau XII
 Données recalculées d'après CARRÉ (Jean-Jacques), DUBOIS (Paul), MALINVAUD (Edmond), La croissance française. Un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Seuil, Paris, 1972, annexes, tableaux I et XII.
 Le rapport est de 5 en 1952, 4,7 en 1953, etc. : données recalculées d'après INSEE, Annuaire 1955.
 LE ROY (Jean-Pierre) et KELLER (Catherine), "La structure des bilans des sociétés françaises", in Économie et statistique, n°19, janvier 1971, p. 3 à 19. Il convient de souligner que ces données concernent une période tardive et que, saisissant exclusivement les sociétés, elles retracent la situation des poids lourds du secteur, notamment ceux des travaux publics. La structure moyenne du bâtiment d'avant-guerre et des années 1940 était sans doute encore sensiblement plus légère en fonds propres.
 Sur les "surplus alliés" en 1945-1946, voir par exemple AN, versement 780321, art. CAB 1040.
 MIOCHE (Philippe), Les reconstructions de la sidérurgie française, in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 161-165.
 Même si ces procédures ont débouché sur des sanctions modérées, elles ont pu paralyser des entreprises restées longuement en examen. Voir VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 353 à 366.
 INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 430 et 431.
 Un effectif non-négligeable qui reste dans l'ordre de grandeur des niveaux connus dans les époques antérieures, si on fait exception de la flambée de 1929-1933. Le recensement de 1936 laissait entrevoir 837 000 actifs dans le bâtiment, et celui de 1896, 820 000. L'INSEE estime par ailleurs les effectifs du bâtiment à 940 000 en 1913 (pour 90 départements), et 920 000 en 1924. Voir l'article de VINCENT (L.A.), "Population active, production et productivité dans 21 branches de l'économie française, 1896-1962", in Études et conjoncture, n°2, février 1965, p. 87.
 Sources : INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, et Tableaux de l'économie française, éditions 1980 et 1992-1993.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 229. Source primaire : AN 307 AP 184.
 CROIZÉ (Jean-Claude), "Construire, reconstruire : éléments de problématique", 1940-1960, in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 253-257. Source primaire : AN, versement 790657, art. DG 1268.
 VOLDMAN (Danièle), "Déblaiements et déminage en 1945", in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 43-50; notamment, p.46, reproduction du "tableau d'effectif et d'utilisation professionnelle des prisonniers de guerre ennemis" au 1er juillet 1946. Les opérations de déminage se terminent vers la fin de 1947. Environ 1800 prisonniers et 500 salariés y ont laissé leur vie, sans compter 4000 blessés.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 36.
 …"même s'il y eut des entorses au principe", ajoute Danièle Voldman, qui cite l'argument dans son article "Déblaiements et déminage en 1945", in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 43-50.
 LE FIGARO, 16 janvier 1948; la ministre MRP insistait sur la nécessité de faire venir les familles, "car l'enfant fixe le père et s'assimile plus facilement".
 CROIZÉ (Jean-Claude), "Construire, reconstruire : éléments de problématique, 1940-1960", in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 253-257. Voir aussi AN, versement 840230, art. C 6506, rapport DEVEAUD (1947), où on se résout à "l'appel à une main d'œuvre étrangère, rendu plus nécessaire encore par le départ des P.G. allemands".
 AN, versement 790657, art. DG 1268. Pour prendre la mesure de ce que signifie un million de tonnes d'acier au profit du seul MRU, il suffit de se souvenir que le BTP était loin de représenter le principal client des quelque six millions de tonnes annuelles que produisait la sidérurgie française à la veille de la guerre. Quant au tonnage de ciment qui était demandé, il correspondait sensiblement à une demi année de la production française d'avant-guerre.
 Versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947), p. 4. On reviendra à plusieurs reprises sur ce document, qui a été vu par Yves Salaün et André Prothin. Ceux-ci considéraient qu'il y avait là un projet concurrent de celui dont ils étaient porteurs, comme le laisse entendre une note de transmission manuscrite d'Yves Salaün datée du 22 mai 1947 :
"Je sais que ce rapport doit en principe être discuté à l'Éco. Nle en même temps que notre texte. Pourriez-vous le décortiquer ? Nous en parlerons la semaine prochaine." (abréviations et mots soulignés conformes à l'original)
Malheureusement, les travaux effectués jusqu'à maintenant n'ont pas permis de retrouver le document correspondant à ce que la note désigne comme étant "notre texte".
 Office National des Cantonnements des Ouvriers de la Reconstruction; voir sur ce point VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 141.
 Versement 771144, art. C 3651 : PROTHIN (André), Note relative à la détermination des besoins de logements (6 juin 1952).
 Une remarque pleine d'avenir, mais qui paraît avoir échappé aux planificateurs à la charnière des IIIème et IVème Plan (1958-1961, 1962-1965).
 Conseil Économique : HOUIST (Guy), Le logement des travailleurs de faibles revenus, Avis et rapports, 1956, p. 33-88; voir aussi AN, versement 771119, art. C 3253 pour une version dactylographiée.
 INSEE, Annuaire 1955.
 On ne reviendra pas ici sur une affiche de propagande reproduite dans l'ouvrage de Vayssière, prétendant que le ministère Billoux a obtenu dès l'année 1946 "l'achèvement du déblaiement et du déminage", "la réfection de toutes les maisons réparables", etc., autant d'affirmations qui sont manifestement excessives (VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 79). L'affirmation selon laquelle 80% de ce qui pouvait l'être était réparé à la fin de 1947 est imputable à GUINCHAT (Pierre), CHAULET (Marie-Paule), GAILLARDOT (Lisette), Il était une fois l'habitat, Éditions du Moniteur, Paris, 1981, p. 110. On regrette qu'ici encore ces auteurs, qui ne sont pas toujours précis ni sûrs, n'indiquent pas leurs sources. Danièle Voldman s'en tient quant à elle à une annonce beaucoup plus modeste du MRU selon laquelle au 31 décembre 1947 "un tiers des logements détruits ou abîmés était réparé" (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 328). Compte tenu d'une inactivité à peu près complète en matière de reconstruction à neuf, cela laisserait entendre que près de 50% des logements réparables ont été traités. Tant en raison de sa source primaire que de la médiocrité du résultat qu'elle traduit, cette dernière estimation doit sans doute être considérée comme la plus plausible. La brève discussion qu'on vient d'effectuer suffit à rappeler combien les données chiffrées deviennent fragiles dans les contextes où elles constituent un enjeu de propagande : même cinquante ans après, il n'est pas aisé d'y voir clair, et des affirmations abusives peuvent continuer à circuler.
Le problème se pose pour de très nombreux "détails" de la Seconde Guerre mondiale et des guerres limitées qui ont suivi, du nombre des victimes du bombardement du Havre à celui de Dresde, en passant par celle du camp de Jasenovac (Croatie), où les variations chiffrées atteignent un niveau exemplaire :
"Belgrade affirme que 700 000 personnes y auraient été assassinées, tandis que Tudjman réduit ce nombre à 40 000. Les estimations de deux experts (l'un serbe, l'autre croate), considérées comme étant plus fiables, évaluent le nombre des victimes à 90 000 morts." (Libération, 18 juin 1998.)
 INSEE, Annuaire 1955. Corrélativement, les travaux de logement (neuf et interventions sur l'existant, hors habitat rural) remontent de 53% à 61%, une proportion également vouée à se maintenir : selon les annuaires de l'INSEE, on se tient à 60% en 1960-63 ou en 1967-1970.
 Le poids de la priorité accordée au port comme facteur explicatif du retard en matière d'habitat est particulièrement net à Dunkerque : "(…) en 1954, les grandes infrastructures du port étaient terminées, laissant enfin des disponibilité financières et techniques pour la reconstruction des habitations" (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 280).
 BARJOT (Dominique), "Les entreprises du bâtiment et des travaux publics et la reconstruction, 1918,1945" in Reconstructions et modernisation. La France après les ruines, 1918 …, 1945 …, catalogue d'exposition, Archives Nationales, Paris, 1991, p. 231-236. Dominique Barjot poursuit en précisant que "le chiffre d'affaires de la branche [des travaux publics progresse] en francs constants de +21,8% par an en moyenne de 1946 à 1953 contre +1,4% seulement pour l'ensemble du BTP".
 Faut-il rappeler qu'un adjuvant classique du planisme consiste à "rationaliser" la distribution de papier et d'autres ingrédients nécessaires aux journaux ?
 Le même slogan se retrouve sur une affiche de propagande gouvernementale de la fin de 1946 reproduite dans l'ouvrage de VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 44. Si on en croit cette affiche, au 1er septembre 1946, les ouvrages d'art étaient déjà reconstruits pour moitié, les voies ferrées réparées pour un tiers, le patrimoine de wagons et de camions reconstitué à 55%, celui de locomotives à 40%, de même que le tonnage de la marine marchande, cependant que la production d'électricité était redevenue quasi-normale, que celle du charbon était aux deux tiers de celle de 1939, etc.
 PAXTON (Robert O.), La France de Vichy, 1940-1944, première traduction française : 1973; réédition, coll. Points, Éditions du Seuil, Paris 1999, p. 386. Pour l’apport des "techniciens", voir les p. 312 à 320, pour les hommes et les idées venues de la gauche, voir les p. 325 à 332 et, pour la partie du bilan mettant en évidence les continuités avec l'après-guerre, voir les p. 385 à 412. Dans une notice bibliographique rédigée pour la réédition de 1997, R.O. Paxton reconnaît qu'on "trouvera une vision plus nuancée des continuités et des changements dans la très importante thèse de Michel Margairaz, L'État, les Finances et l'économie : histoire d'une conversion, 1932-1952 (Commission pour l'histoire économique et financière de la France, 2 vol., Paris, 1991)", mais sans modifier son point de vue de fond. Cela se comprend aisément quand on voit le rôle qu'il attribue à des élites modernistes des années 1930 dans l'armature du régime de Vichy. Il ajoute que ces "techniciens" n'ont guère été inquiétés à la Libération, où ils ont pour la plupart poursuivi de brillantes carrières à des postes de responsabilité. Cette continuité que R.O. Paxton souligne pour ce qui est grands corps de l'État se retrouve avec éclat dans la transition directe qui conduit au MRU la quasi-totalité du personnel de la direction de l'urbanisme de la D.G.E.N., à commencer par son directeur, André Prothin, promu directeur général de l'urbanisme, de l'habitation et de la construction dans la « nouvelle » structure.
 KUISEL (Richard), "Vichy et les origines de la planification économique (1940-46)", in Le Mouvement Social, n°98, janvier-mars 1977, p. 77-101. Comme ceux de Michel Margairaz, les travaux de Richard Kuisel sur l'histoire du dirigisme en France sont évoqués dans la notice bibliographique qui complète les éditions récentes de l'ouvrage de R.O. Paxton.
 PAXTON (Robert O.), La France de Vichy, 1940-1944, première traduction française : 1973; réédition, coll. Points, Éditions du Seuil, Paris 1999, p. 317.
 "Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,…" Le vers fameux de José-Maria de Heredia visait les conquistadores. Mais ne convient-il pas à nos modernes hérauts du capital financier ?
 Danièle Voldman note le fait à deux reprises, dans les doléances exprimées lors des enquêtes publiques à Lorient et au Havre; voir La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 138 et 241.
 Pour s'en tenir à ceux qui sont destinés aux habitants, 800 000 logements provisoires au total, selon Danièle Voldman (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 328).
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 742.
 Branches productives, hors agriculture, transports et BTP; voir CARRÉ (Jean-Jacques), DUBOIS (Paul), MALINVAUD (Edmond), La croissance française. Un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Seuil, Paris, 1972, annexes, tableaux XI et XII.
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 748.
 VINCENT (L.A.), "Population active, production et productivité dans 21 branches de l'économie française, 1896-1962", in Études et conjoncture, n°2, février 1965.
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 748.
 Ici, le corps des Mines, en attendant que diverses réflexions sur le bâtiment conduisent à s'interroger sur l'efficacité du corps des Ponts (voir le volume Normes et maîtrise des coûts de la construction).
 Ils l'ont été dès l'origine, et plus encore avec le recul historique : voir l'agonie des houillères et le repli de la sidérurgie. Entre-temps, le redéploiement partiel de la sidérurgie vers l'Étang de Berre viendra alimenter la revendication d'un autre canal, du Rhin au Rhône celui-là, qui finalement ne se fera pas.
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 742.
 "Pour les impératifs de la planification et les priorités économiques et financières [le rôle de l'administration] était plus qu'un arbitrage." (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 151.)
Voir par exemple SAUVY (Alfred), Les répercussions du réarmement des nations occidentales sur l'économie française et le niveau de vie des français, Conseil Économique, Avis et rapports, 1953, p. 232-238.
 PUISEUX (Louis), La Babel nucléaire, Galilée, Paris, 1977, p. 253.
 Si on admet la primauté du militaire, la question de l’articulation entre les deux domaines revient à se demander comment les œuvres civiles peuvent servir les objectifs des armées, ou comment on pourrait faire passer sous couleur « civile » des opérations qui sont substantiellement liées aux intérêts militaires, des équivoques couramment entretenues en matière de recherche et de technologie. Dans le contexte qui nous intéresse ici, cela peut concerner aussi bien l’urbanisme que les reconstructions immobilières. Pour ce qui est de ces dernières, il suffit d’inscrire en priorité les reconstitutions du capital industriel des fournisseurs des armées, que ceux-ci soient publics (les ateliers de fabrication de chars d’Issy-les-Moulineaux) ou privés (Dassault). On peut procéder de la même façon en matière de logement, en plaçant au premier rang des urgences les programmes destinés aux personnels de ces établissements. Un monde où le dirigisme d’État et les hommes qui l’incarnent sont ce que l’on a dit plus haut prédispose naturellement à ce genre d’arrangement entre gens de bonne compagnie, et le complexe militaro-industriel, avec les accointances dans la haute bureaucratie des Finances que suppose une grande commande d’État, représente évidemment un terrain d’application privilégié.
Du point de vue de la connaissance des processus, il ne faudrait toutefois pas se laisser obnubiler par la situation de la France dans les années 1945-1952, car la problématique est réversible dans certaines conjonctures. Lorsque l’accumulation de technologies et de moyens à des fins militaires a atteint un certain degré, la question d’une diversification via des applications au domaine civil peut venir au premier plan, comme on le voit avec éclat pour les développements nucléaires en France. Dans cette seconde configuration, un mode d’organisation caractérisé par le capitalisme d’État, le dirigisme et la financiarisation de l’économie joue à nouveau un rôle essentiel de passeur.
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963.
 CARRÉ (Jean-Jacques), DUBOIS (Paul), MALINVAUD (Edmond), La croissance française. Un essai d'analyse économique causale de l'après-guerre, Seuil, Paris, 1972.
 VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995.
 VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 221.
 De la même manière que la division du travail entre la ville et la campagne, disait Marx dans L'Idéologie allemande, a pour résultat de produire un "animal des villes et un animal des campagnes, tout aussi bornés l'un que l'autre"
 On voit ici jusqu’à quel point la structure compartimentée de l’Administration du Ciel – selon l’expression employé dans la Chine ancienne pour désigner le gouvernement impérial – régit les affaires des hommes, en conditionnant jusqu’à leur capacité cognitive. Bien qu’ils rencontrent inévitablement des épisodes de toute nature en suivant le fil du temps, les historiens eux-mêmes se partagent grosso modo entre ceux qui traitent de la guerre (les épreuves, toujours difficiles) et ceux qui traitent de la paix (le progrès, si souvent insuffisant et inégal). Certes, il arrive qu’on se penche sur la vie civile pendant la guerre (elle existe, tout de même), mais on tend alors à se cantonner à une approche sectorisée concernant une catégorie sociale (les petites gens ou les profiteurs, par exemple), des activités économiques (l’industrie, l’agriculture,…) ou encore un territoire limité (une spécialité de l’historiographie locale). Si on s’intéresse aux œuvres de la paix, les reconstructions par exemple, on se borne à évoquer la guerre à travers ses conséquences, qui constituent un point de départ, une sorte d’horizon déjà lointain, et, en dépit de la conscience qu’on prétend avoir de l’impérialisme, de la mondialisation, etc., on oublie le bruit des canons sitôt qu’il s’éloigne un tant soit peu du territoire qu’on étudie. Rares sont les travaux qui, comme ceux de R.O. Paxton, tendent à mettre en scène un pouvoir et une société qui se meuvent comme ils peuvent entre la paix et la guerre : au fond, la période contemporaine attend encore ses Tolstoï.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-France (Pierre), Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, notamment p. 110 (effets de la guerre d'Indochine) et notes, p. 104 (débat sur la reconstruction en 1946).
 Du moins dans l'immédiat après-guerre. Après 1949, les pays du glacis occidental du Pacte de Varsovie –RDA, Hongrie, etc. – auront à supporter l'occupation et le réarmement. A l'ouest, le problème ne se posera réellement que pour la RFA, et sans doute de façon moins pesante.
 Cité in VAÏSSE (Maurice), La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Fayard, Paris, 1998, p. 44.
 Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 15.
 Rapport de la Cour des Comptes relatif à la gestion des affaires publiques de 1940 à 1945, cité par THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, thèse de droit, Paris, 1947, p. 62-64. Jean Thourot cite longuement ce rapport sans en préciser les références en bibliographie. Divers éléments du contexte permettent néanmoins d'en situer la parution dans la seconde moitié de 1946.
 "[…] refusant de réquisitionner des locaux [dans les villes détruites] alors que la population avait toutes les peines à se loger, trouvant déplacé que ses services prissent les derniers immeubles encore debout, Dautry voulait que ses collaborateurs travaillent dans des bâtiments provisoires, comme les sinistrés." (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 127.)
 Rapport préalable au décret n°47-1960 du 9 octobre 1947, J.O. du 10 octobre 1947, p. 10060.
On se tromperait si on voyait dans cette affaire la preuve d'un acharnement contre l'institution militaire. Les signataires du décret, Paul Ramadier et Robert Schuman, prétendaient seulement introduire un complément à la discipline qui fait la force des armées en exigeant que les attributions de véhicules de fonction se fissent conformément aux règles qui étaient d'usage dans les administrations civiles.
 Charles de Gaulle, Allocution radio-diffusée du 25 mai 1945, citée in Centre des Hautes Etudes de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 78.
Comme le général de Gaulle a tout dit, et que le tout contient les contraires, il importe ici de rappeler un autre versant de sa pensée : "S'il faut la force pour bâtir un État, réciproquement un effort guerrier ne vaut qu'en vertu d'une politique" et "quelle politique réussit quand les armes succombent ? Quelle stratégie est valable quand les moyens lui font défaut ?", extraits de Charles de Gaulle, La France et son armée, Plon, Paris, 1938, cités in VAÏSSE (Maurice), La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Fayard, Paris, 1998, p. 44, note 104.
 Selon l'expression consacrée par une presse décidément compréhensive, à propos de la guerre d'Algérie.
 Expression empruntée à Jacques ABEN, in Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 76.
 Voir : Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 19, 34 et 79.
 Ibidem, p. 32 (Air) et 50 (Marine).
 Ibidem, p. 22 et 30.
 Ibidem, p. 31. Autant dire que la Collaboration a littéralement nourri le "blitz" sur Londres…
 Ibidem, p. 35.
 Source des deux citations contenues dans ce paragraphe : ibidem, p. 64 et 65.
AMX : sigle désignant les ateliers d'Issy-les-Moulineaux comme lieu de fabrication.
EBR : Engins Blindés de Reconnaissance, engins légers et rapides dotés d'un canon puissant et montés sur des roues à pneus.
 Ibidem, p.48.
 L'échange d'aménités entre Pierre Mendès-France et André Marty est rapporté par Georgette ELGEY, La république des illusions, et cité in HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-France (Pierre), Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 104, note 12. On peut rappeler qu'André Marty était député du 13ème arrondissement de Paris, un haut lieu des productions militaires, des moteurs d'avions aux usines Panhard. Le fait que ces établissements aient été situés plus près du boulevard extérieur que du Quai de la gare n'empêche pas qu'ils aient appartenu à son horizon politique de terrain.
 Les aspects civils ne sont pas toujours faciles à démêler des aspects militaires. En matière de recherche et de développement des procédés, les ministères civils abritent couramment des opérations destinées aux militaires. Cette équivoque dont Vichy avait usé pour maintenir un minimum de recherche militaire sous l'occupation se retrouve notamment, après la Libération, dans le cas du Centre national d'étude des télécommunications (CNET). Créé en mai 1944, le CENT voit en effet ses travaux de 1945 se partager entre des programmes à vocation plutôt civile (les câbles coaxiaux), et d'autres à vocation nettement militaire (faisceaux hertziens et radars). (Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 142 à 146). De même, les programmes du CNRS comprennent des recherches de base liées à des applications gérées par les militaires. Enfin, on rappellera plus loin que la reconstruction "privée" elle-même peut être liée aux affaires militaires, notamment quand on remet à neuf des établissements de production qui fournissent les armées.
 J.O. du 15 août 1947, p. 8022 à 8027.
 Faut-il rappeler qu'au même moment la reconstruction de l'habitat s'enfonce dans le "provisoire" et piétine au milieu de "difficultés" innombrables ? D'une certaine manière, Danièle Voldman commet une erreur sémantique en différenciant entre "reconstruction immobilière" et "infrastructures" pour faire valoir le décalage dans le temps qu'a subi la première. Comme on le voit, il est des reconstructions immobilières qui se font bien et qui sont très tôt dotées. Il aurait donc été plus exact d'évoquer le retard imposé à la reconstruction de l'habitat, terminologie qu'on retient dans le présent texte. Ou alors, il faut admettre que l'ordre militaire appartient aux "infrastructures" – si ce n'est aux infrastructures physiques, du moins à celles de l'État – une hypothèse qui n'est pas étrangère aux développements qu'on propose ici.
 J.O. du 15 août 1947, p. 8027 et 8028.
 Ces sommes sont sans commune mesure avec les quelques milliards de francs évoqués par Danièle Voldman dans un tableau de synthèse (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 225). Cela résulte du fait que Danièle Voldman s'en tient au budget propre du MRU, sans évoquer ce budget "extraordinaire", ce qui limite considérablement la perspective. En revanche une dotation de 127 milliards pour 1947 est conforme aux données dont Vayssière fait état pour la période 1945-1950 (VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 77).
 Sur ces emprunts régionaux "de reconstitution" qui "se substituaient à l'État", voir notamment VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 227 et 228. On voit ici apparaître ne pleine lumière une de ces procédures, typiques de la finance centralisée, par lesquelles l’ensemble d’un champ de dépenses est mis sous contrôle. Ce qu’on constate ici pour la Reconstruction s’appliquera tout aussi bien, plus tard, pour l’aménagement urbain ou l’investissement dans la construction de logements.
 En commentant cette ligne I.3 on ne peut que réitérer l'observation déjà faite plus haut concernant l'ambivalence de la reconstruction "civile". Quand on reconstruit ou rééquipe en priorité les usines des fournisseurs des armées, cela passe dans le flux des investissements "civils", sans qu'on puisse donner une quelconque mesure chiffrée de l'étendue du phénomène. Pour proposer une démonstration sans appel de la thèse qu'on développe ici, il faudrait disposer d'un outil permettant une évaluation exhaustive de la chaîne qui associe les recherches, les études, les investissements corporels et la production à vocation militaire, y compris ce qui est réalisé par des entreprises privées. Or, cet outil n'est sans doute pas près d'exister, et encore moins de faire l'objet de publications régulières des résultats. En tout état de cause, l'ambiguïté qui caractérise le développement nucléaire depuis 1960 n'en faciliterait pas la mise au point.
 On finira par s'apercevoir que ces "constructions provisoires" sont coûteuses en moyens, sans compter les conflits avec les occupants qui en contestent les loyers. Ce n'en fut pas moins une affaire florissante, en faveur de laquelle les rigoristes du Plan et des Finances acceptaient qu'on recourût à des importations, notamment américaines. On peut dater la fin de l'entreprise grâce à une circulaire que le ministre Roger Duchet adresse aux préfets le 21 juin 1955 (AN , versement 771119, art. C3253). Annonçant un accroissement substantiel des programmes de "logement économiques normalisés" (LEN) et de "logements populaires et familiaux" (LOPOFA), le ministre interdit dorénavant les constructions provisoires, au motif qu'elles représentent une "lourde charge pour l'État". Naturellement, le fait qu'on cesse d'ériger des baraques après 1955 n'empêche pas de continuer à habiter celles qui existent.
 PAXTON (Robert O.), La France de Vichy, 1940-1944, première traduction française : 1973; réédition, coll. Points, Éditions du Seuil, Paris 1999, p. 390. En fait, le rationnement alimentaire qui avait été imposé au temps de l'Occupation ne sera levé qu'en 1950. En tant que mode de gouvernement, les mesures de contrainte ont ceci de commun avec les taxes qu'elles s'inventent plus aisément qu'elles ne se dissolvent.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 144 et 180.
 L'absence de préjugés moraux affectifs ou intellectuels constitue assurément une vertu dans les démarches scientifiques. Mais il faut de l'audace pour prétendre qu'il en va de même en matière de projet et de pratique politiques.
 Lorient n'est pas très loin de Rennes, et donc d'Alfred Jarry.
 Cité in VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 138.
 C'est-à-dire, rappelons-le, les dépenses d'investissement militaire.
 J.O. du 10 octobre 1947, p. 10078.
 Innovation considérable, on passe à un plan comptable organisé selon des rubriques entièrement numériques et, naturellement, les-dites rubriques sont remaniées à cette occasion.
 Pour ces budgets comme pour les autres la perte de pouvoir d'achat était déjà effective du simple fait de la non consommation des crédits. Compte tenu d'une hausse des prix de près de 60% entre 1946 et 1947, un report en volume d'une somme de 9,6 milliards de 1946 aurait supposé qu'on disposât de 15,3 milliards en 1947. C'est par référence à cette évaluation qu'on détermine la perte de 7 milliards de francs de 1947 en pouvoir d'achat.
 "La guerre d'Indochine ne s'était pas traduite par un relèvement du pourcentage des dépenses militaires dans les dépenses publiques en raison des économies réalisées en métropole et dans les territoires d'Outre-Mer autres que l'Indochine. Le démarrage du programme de réarmement [en 1951] met fin à cette stabilité relative […] et pose le grave problème d'un financement compatible avec l'équilibre budgétaire et le maintien de la stabilité monétaire" Ministère des Finances, Inventaire de la situation financière mise à jour en 1951, cité in Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 89.
 L’insuffisance des moyens de transport a durablement contrecarré le développement des opérations en Indochine. Concomitamment, et compte tenu de la priorité accordée aux mouvements des troupes, les autorités ont pu alléguer le manque de bateaux pour étaler jusqu’en 1952 le rapatriement des quelque 20 000 travailleurs forcés que la République avait fait venir du Viet Nam en 1939-1940 (voir DAUM (Pierre), Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), Solin-actes-Sud, 2009)
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 110. Houdeville poursuit : "L'Allemagne Fédérale utilisera l'aide Marshall à sa reconstruction économique et sociale, et l'essor de la construction sera considérable […]"
 Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 83. L'inflexion de la courbe à partir de 1949 donne évidemment du poids à la thèse qui met l'effort militaire en rapport avec l'aide Marshall. Cette orientation ouvre sur deux lectures complémentaires. L'une insiste sur les effets économiques dans l'hexagone et tend à souligner qu'on a mésusé de l'aide qui nous était accordée, comme le fait Houdeville. L'autre concerne la géo-politique, l'affrontement des "blocs" et la hiérarchie des "puissances". Elle tend à faire valoir que la guerre entreprise par les Français aux confins des Empires n'a pu être menée avec énergie qu'à partir du moment où cette initiative a reçu l'appui des USA. La proclamation de la République Populaire de Chine (octobre 1949) et la fameuse "théorie des dominos" ont alors un rôle essentiel. Les achats militaires effectués aux USA dans le cadre des accords Marshall et la livraison du porte-avions Lafayette viennent alimenter cette seconde vision.
 À l'exception de l'année 1949, où on ne retient que 204 000 hommes; voir INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 646.
 En engageant ce bref commentaire des emplois du budget de l’État au tournant de 1950, il peut être utile de donner, pour faire contraste, quelques indications sur les clés de répartition qui prévalent durant le dernier quart du siècle. Depuis 1975, les dépenses militaires affichées représentent de 13% à 15% du budget et se tiennent un peu au-dessous des dépenses de l'Éducation Nationale, alors qu'entre 1948 et 1954 elles représentaient, selon les années, 2,3 à 4,9 fois ce qui était consacré à cette même Éducation Nationale.
 On s'explique mal la brusque chute en valeur relative qui affecte les dépenses militaires en 1950. La budgétisation d'une masse de fonctions à travers le ministère des Finances est probablement la source de cette anomalie, qui serait alors essentiellement formelle. Partant d'une série différente, Jacques Aben chiffre l'effort militaire à environ 25% du budget en 1950, soit une valeur voisine des années précédentes, et l'évalue à près de 40% dès 1951. Voir Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 84.
 AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 750. On peut également se reporter à RIMBAUD (Christine), Pinay, Perrin, Paris, 1990, où on lira, p. 95 : "À la guerre d'Indochine, qui coûte cher malgré les faibles effectifs engagés et le niveau technique encore assez rudimentaire, est venu s'ajouter un vaste programme de réarmement voté en janvier 1951. Le tout se traduit par un effort financier estimé en décembre 1951 à 953 milliards de francs, ce qui est considérable". Cet extrait est complété par une note précisant que ce "sera même réajusté à 1260 milliards en février 1952, l'OTAN n'apportant qu'une aide de 172 milliards". On peut noter que ces 1260 milliards, rapportés aux 3656 milliards des dépenses budgétaires totales de 1952, en représentent exactement 34,5%, comme il est porté dans le tableau ci-dessus construit à partir des séries de l'INSEE.
 Par les prélèvements, les fournitures et le travail investi dans les constructions militaires. Pour ce dernier aspect : "Bien des chantiers sont restés en activité entre 1940 et 1944. Une grande partie d'entre eux répondait à des demandes militaires [...]" (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 69.)
 ALLINNE (Jean-Pierre), Banquiers et bâtisseurs. Un siècle de Crédit Foncier, 1852-1940, Éditions du CNRS, Paris, 1984, p. 212.
 Voir le volume Normes et maîtrise des coûts de la construction.
 HILFERDING (Rudolf), Le Capital financier, 1ère édition : Vienne, 1910; traduction française : Éditions de Minuit, Paris, 1970.
LUXEMBURG (Rosa), Die Akkumulation des Kapitals, ein Beitrag zur ökonomischen Erklärung des Imperialismus, 1ère édition : Berlin, 1913, réédition en facsimile : Archiv sozialistischer Literatur, Verlag Neue Kritik, Francfort, 1966.
LENINE (Vladimir Ilitch), L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Éditions sociales, Paris, 1960, Œuvres complètes, tome 22, décembre 1915-juillet 1916, p. 201-327
BOUKHARINE (Nicolas), L'Économie politique du rentier, 1ère édition : Moscou, 1925; traduction française, préface de NAVILLE (Pierre), EDI, Paris, 1967.
 "Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal", selon le vers fameux de José-Maria de Heredia évoquant les conquistadores espagnols
 GALBRAITH (John Kenneth), Money, traduction française : L'Argent, Gallimard, collection Idées, Gallimard, Paris, 1976, p. 62 et 128.
 ALLINNE (Jean-Pierre), Banquiers et bâtisseurs. Un siècle de Crédit Foncier, 1852-1940, Éditions du CNRS, Paris, 1984, p. 161.
 Ibidem, p. 65 et 194. Cet aspect de l'action du Foncier suscite en son temps de nombreuses contestations, qu'Allinne attribue tantôt à la gauche républicaine (p. 65) et tantôt à la droite, aux monarchistes et aux boulangistes (p. 161). Pareille confluence des oppositions suffirait à faire preuve de la réalité du processus…
 Ibidem, p. 89 (bourse) et 95 (emprunts d'État).
 Ibidem, p. 191.
 Ibidem, p. 89 (Banque Générale d'Égypte), p. 90 à 95 (faillite du Khédive), et p. 117 (emprunts russes).
Jean-Pierre Allinne conclut son ouvrage en proposant trois "lectures" de l'histoire du Crédit Foncier de 1852 à 1940 :
"- lecture économique : le poids des hommes"
"- lecture sociale : le poids des mentalités"
"- lecture politique : la main tendue aux classes moyennes"
Compte tenu de ce qu'on extrait ici de son travail, on ne peut que s'étonner du fait qu'il n'ait pas cru opportun de souligner une quatrième dimension : la lecture impériale. Il faut croire que la dimension impériale de la France doit éternellement rester sous le boisseau, à l'exception du cœur flamboyant du Père Charles de Foucauld, du rôle éminent de nos médecins, de divers ébats amoureux sous le ciel indochinois ou des marches aventureuses de quelques officiers subalternes dans les terrae incognitae d'Afrique, tel Savorgnan de Brazza. Ou alors il faut admettre, ce qui ne serait nullement contradictoire, que les théories de l'impérialisme ne sont pas réellement reconnues en France.
 GALBRAITH (John Kenneth), Money, traduction française : L'Argent, Gallimard, collection Idées, Gallimard, Paris, 1976, p. 120.
 Il ne faudrait pas imaginer que la liste s'arrête nécessairement aux "partis bourgeois", aux factions militaires ou aux groupes d'affaires. On a vu plus haut les communistes apporter une contribution déterminée à une reconstruction militaire dont le premier usage consistera à assommer leurs camarades indochinois. C'est notamment le cas de deux futurs associés d'une « affaire » demeurée dans les mémoires des communistes : André Marty et, surtout, Charles Tillon, ministre de l'Air puis de l'Armement de Gaulle, avant d'avoir la charge du MRU au premier semestre 1946.
 Appréciation empruntée à Jean Dufour, rédacteur en chef de la revue Défense, dans un article consacré aux tentations américaines à propos de l'Irak, publié dans Libération du 18 février 1998, p. 4.
 GALBRAITH (John Kenneth), Money, traduction française : L'Argent, Gallimard, collection Idées, Gallimard, Paris, 1976, p. 246 et 247.
 Ces indications sont extraites de DIVISIA (François), DUPIN (Jean), ROY (René), À la recherche du franc perdu, vol. 3 : "Fortune de la France", Hommes et mondes, Paris, 1954.
 On comprend aussi que les seuls vrais vainqueurs sont ceux qui ont engagé peu d'hommes et ont campé dans la position de fournisseurs. Au premier rang figure la nouvelle puissance émergente : les États-Unis d'Amérique.
 La rétrogradation du statut de centre impérial autonome à celui de centre impérial secondaire n'affecte pas seulement la France, mais aussi la Grande-Bretagne : "[la Seconde Guerre mondiale] coûte à la France 35 milliards de dollars, 50 milliards de dollars à l'Angleterre. Pour y faire face, celle-ci a dû liquider un tiers de ses avoirs à l'étranger, qui se trouvent ramenés à 5,5 milliards de dollars, et s'endetter auprès des États-Unis et des dominions pour un montant de 10 milliards de dollars […] C'est l'effondrement de la puissance financière britannique, qui se traduit par une dépréciation de la livre de 38% par rapport au dollar : l'ère de la livre laisse place à celle du dollar." (AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 671.)
 Au moins dans la période qui nous intéresse. En 1946 et années suivantes, les investissements étrangers en France sont évidemment supérieurs aux investissement français à l'étranger (AMBROSI (C.), TACEL (M.), Histoire économique des grandes puissances, 1850-1958, Delagrave, Paris, 1963, p. 735) et, jusque dans les années 1980, la situation ne se rétablit pas. Toutefois, une récente estimation de l'INSEE concernant "le patrimoine national" a fait à nouveau état de droits nets sur l'étranger qui représenteraient 3 % du patrimoine des résidents (INSEE Première, juillet 1998). Outre sa modestie, deux motifs font que ce résultat ne peut pas être comparé à la situation de la Belle Époque. D'une part, dans un monde d'interdépendance et d'interpénétration, la notion de résident est devenue plus floue, et recouvre en partie des intérêts étrangers; d'autre part, l'excédent correspond en partie à des capitaux financiers dont la valorisation est aussi mouvante qu'ils sont mobiles.
 Il est au moins un titre de la littérature qui rend compte du désarroi généré par le décalage entre l'apparence de la victoire et la réalité des résultats : Mort, où est ta victoire ?
 VAÏSSE (Maurice), La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Fayard, Paris, 1998, p. 682. On triche avec soi, on triche avec les autres, et on érige le faux-semblant et le mensonge en "menu principal" de la pensée. Une autre vulgate gaulliste rapportée par Maurice Vaïsse (même page) prétend qu'il "y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté des autres", ce qui ne manque pas d'audace de la part de dirigeants d'un État impérial et colonialiste.
 COMMYNES (Philippe de), Mémoire sur Louis XI, réédition Gallimard, collection Folio, Paris, 1979, p. 140 (hasard des batailles) et p. 149 (prince peu entendu). Dans un commentaire moderne, Paul-Murray Kendall rappelle "le mépris où [Louis XI] tenait la guerre" et combien il était "avare de ses soldats". Il voit "une des personnalités les plus extraordinaires de tous les temps" dans celui que les libelles de son époque ont désigné comme "l'universelle araigne". (KENDALL (Paul Murray), Louis XI, traduction française : Arthème Fayard, Paris, 1974, p. 175, 338 et 437.) Le constructeur discret et le stratège généralement clairvoyant qu'a été Louis XI représente assurément le contraire des personnages tapageurs qui occupent la scène politique française de l'après-guerre, pendant que les chefs des armées entraînent le pays sur la pente qui leur est naturelle et professionnellement profitable.
 FAUVET (Jacques), La Quatrième République, Gallimard, Livre de Poche, 1971; cité par Jacques Aben in Centre des Hautes Études de Défense, La France face aux problèmes d'armement, 1945-1950, actes du colloque tenu à l'École Militaire le 31 mai 1995, Complexe, Paris, 1996, p. 83. Il est tout de même curieux de voir l’éditorialiste du Monde ne rien dire des gouvernements de 1956-1958 qui n’ont pas su arrêter la guerre d’Algérie. Que l’on sache, c’est de cela que la Quatrième République a péri. Une discrétion liée à des préférences affinitaires ?
 Pour ce qui concerne les régimes impériaux et néo-impériaux du monde contemporain, il est de bon ton, et scientifiquement correct, de stigmatiser l'emprise du "complexe militaro-industriel" sur la politique des Etats-Unis ou du "complexe militaro-administratif" sur celle de l'URSS puis de la Russie. Il est également justifié, sans doute, de s'en prendre aux camarillas richement chamarrées et dotées de lunettes noires qui occupent, de façon éphémère ou durablement, le devant de la scène dans les territoires extérieurs des Empires. Mais, lorsqu'on écrit en français et à propos de la France, les développements qu'on vient de proposer invitent à commencer, avant toute chose, par nettoyer son jardin. Celui qui veut évoquer la paille dans l'œil du voisin ferait bien de se préoccuper de la poutre qui encombre le sien…
 Selon un rapport du MRU cité in VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 218 et 219.
 Dans un premier temps… mais, une fois de plus, qui imagine que la guerre durera ? Après le "succès" sanglant remporté à Madagascar, qui, dans les appareils de décision d'une capitale impériale, oserait penser que des adversaires chaussés de résidus de vieux pneus – les fameuses "sandales Hô Chi Minh" – soient en mesure de résister, et donc d'imposer une guerre aussi longue que coûteuse, qu'il finiront par gagner ?
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 223
 Dans son "adresse inaugurale" de 1949, le président Harry Truman justifiait l'intervention américaine à l'étranger par la nécessité d'apporter "le progrès industriel". Ce vocable paraît proche des intentions directrices du Plan Monnet, mais les finalités qu'invoquait Truman étaient tout différentes. Le souci qu'il mettait en avant consistait à "élever le niveau de vie" dans les "zones sous-développées". En vue d'alléger "la charge qui pèse sur les pauvres", il réclamait "plus de nourriture, plus de vêtements, plus d'équipement, plus de logement et plus de moyens mécaniques" (cité par ILLICH (Ivan), article Needs, in SACHS (Wolfgang), éditeur, The development dictionnary, Witwatersrand University Press, 1993, p. 91). Même s'il est vexant pour l'orgueil national de se voir ranger parmi les "zones sous-développées", on ne saurait exclure que, vue de Washington, la situation du logement en France ait appelé des attentions qui s'inscrivent dans cette problématique.
 On a recouru au terme d'Empire pour désigner la formation française dans son devenir autonome, ou du moins dans la mesure où elle se conçoit elle-même comme autonome. Mais comment alors identifier l'entité qui prend forme après 1945 sous la direction américaine ? Considérant qu'il s'agit d'une affaire pharaonique et d'un "néo-impérialisme", puisqu'il adopte des modalités nouvelles, on s'est proposé de faire un emprunt à l'égyptologie en désignant par "Nouvel Empire" l'entité néo-impériale "occidentale". Dans la circonstance, le "Nouvel Empire" ne s'oppose pas à "l'Ancien Empire", mais aux "Anciens Empires" qu'il lui appartient de s'inféoder, de digérer et de réorganiser.
 Une CEE dont le sigle se confond avec celui de la future Commission économique européenne, forme initiale de l'administration proprement européenne issue du Traité de Rome. Accident lexicologique, ou lapsus historiquement révélateur ?
 AN, versement 770775, art. AT 133 à AT 184. Rappelons que le directeur de l'aménagement du territoire était André Prothin.
 Cela suggère également une direction de recherche sur la genèse et la mise au point des idées concernant les différents aspects de la question du logement. Dans le cadre de l'interdépendance qui caractérise le Nouvel Empire, toute tentative d'apprécier l'origine des idées et le cheminement des influences suppose qu'on discrimine entre ce qui a été produit sur place et ce qui a été importé, notamment en provenance du "machin" honni par le général de Gaulle. Si ce travail était effectué et conduit à son terme, on peut imaginer que la part d'originalité des préconisations du MRU – ce "ministère unique au monde" que vante Bruno Vayssière – s'en trouverait singulièrement diminuée. (Pour la qualification de "ministère unique au monde", voir VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995, p. 10).
 AN, versement 771144, art. C 3651 : débat sur la politique du logement au Conseil de la République (29 novembre 1949). Rappelons que le Conseil de la République était le nom attribué au Sénat dans les institutions de la Quatrième République.
 Le sénateur Malécot est un familier des questions du logement. Il est par exemple l'auteur d'un rapport qui aboutit, en février 1949, au vote d'une disposition permettant d'accorder des bonifications d'intérêts aux organismes d'HBM.
 Souligné par nous. La même année, on note au Conseil Économique un rapport de Louis Leroy sur "l'étude relative à la politique du logement et de l'habitat rural" (Conseil Économique, avis et rapports, 1949, p. 366-387.
Il ne semble pas que le vocable de "politique du logement" ait été employé par des personnalités politiques en exercice avant cette année 1949. Du reste, les objets de préoccupation qu'on a évoqués pour la période 1945-1948 ne se prêtaient guère à cette innovation langagière. En revanche, la redondance entre le Conseil économique et le Parlement ainsi que le caractère multidimensionnel des interventions qu'on va citer indiquent que le terme est solidement accrédité en 1949, avec toute la richesse de significations qu'on peut lui prêter aujourd'hui. Ces différentes remarques conduisent à dater de 1949 la proclamation de la politique du logement. Comme on sait, on n'en restera pas aux déclarations de principe : les développements des années 1950 et 1960 donnent rétrospectivement une importance singulière aux événements de 1948-1950.
On remarque en passant un trait de naissance, qui est tout à fait explicite dans l'approche du Conseil Économique et qui se maintiendra sous diverses formes dans le temps. "L'habitat rural" étant conçu comme un objet spécifique, la "politique du logement" est généralement comprise comme un ensemble de dispositifs concernant le seul logement urbain. En raison des mouvements démographiques en cours, il n'est pas contestable que ce dernier représente l'essentiel de l'objet, mais on a montré dans le premier volume qu'il y a aussi fort à faire du côté rural, à la fois parce qu'y subsiste une masse de logements déficients, et parce que c'est le moule où se forment les habitus des migrants.
 Une réalité incontestable, et qui restera longuement d'actualité, comme on le montrera dans chapitre 2, Les loyers et l'habitat existant.
 Annonçant la future loi Minjoz de 1950, le rapporteur Malécot fait également part de son souhait de voir les caisses d'épargne autorisées "à engager largement une partie de leurs disponibilités dans les programmes d'HBM".
 Soit environ 30 à 35 000 logements HBM : enfin un programme non-négligeable!
Rendu prudent par les déconvenues du passé, le sénateur insiste toutefois "très vivement pour que les crédits de 1950 ne soient pas victimes de certaines des maléfiques économies de Mr. le Ministre des Finances, maléfiques économies qui tuent au lieu d'être salutaires".
On apprend en passant que l'état a respectivement mis à la dispositions des organismes d'HBM 11,2 milliards en 1947 (6 792 logements), 19,0 milliards en 1948 (12 823 logements) et 13,8 milliards du 1er janvier au 15 octobre 1949 (8 836 logements), auxquels s'ajoutent 5,8 milliards pour l'accession à la propriété.
 Corollaire indispensable pour des crédits du Trésor reposant sur des emprunts à la Caisse des Dépôts et Consignations, cette disposition illustre le souci de sérieux et de cohérence "technique".
 Présentée par le sénateur avec le volet fiscal du projet, la reconnaissance de l'utilité publique serait en réalité une mesure à la fois fiscale et foncière : voir, un peu plus loin dans l'intervention du sénateur, la mention des problèmes d'expropriation, ou se reporter aux développements qu'on fera à ce propos en troisième partie, chapitre "zones et intervention foncière". Il faut toutefois admettre que la reconnaissance de l'utilité publique serait franchement exorbitante pour cette partie des "organismes" qui ont le statut de "société".
 L'importance des conditions de crédit pour les entreprises de bâtiment, ici sous la forme de la gestion de la dette-client, est à nouveau attestée par cet effet, au demeurant compréhensible, de la modification des termes de paiement. On a déjà insisté plus haut sur le caractère déterminant des crédits à court terme dans le passif des entreprises de bâtiment (voir plus haut, "La face cachée de la reconstruction").
 Source, ainsi que pour toutes les citations précédentes du discours du sénateur Malécot : Conseil de la République, J.O. des Débats, 30 novembre 1949; voir aussi une version dactylographiée in AN, versement 771144, art. C 3651.
 Rappelons qu’il s’agit des papiers personnels de Pierre-Armand Thiébaut, chef du service administratif à la Direction générale de l’urbanisme.
 Source, ainsi que pour les autres extraits de l'intervention du sénateur Canivez : Conseil de la République, J.O. des Débats, 30 novembre 1949, p. 2539; on en trouve une reproduction in AN, versement 771144, art. C3651.
 On est surpris que le sénateur socialiste n'emploie pas le terme générique "d'organisme" et, mentionnant les seules "sociétés", ne dise rien des offices publics. Choix intentionnel ? Lapsus ? Simple imprécision de vocabulaire ? On ne saurait trancher, mais on doit constater que tout le monde n'a pas l'impeccable précision du sénateur Malécot…
 Dans ce très vif échange, on peut tout d'abord s'intéresser au facteur déclenchant. Le sénateur socialiste ne faisait que reprendre, de façon il est vrai plus approximative (voir la mention du total des "dépôts" au lieu des "disponibilités"), la suggestion de son collègue Malécot préludant à la loi que le député socialiste Minjoz fera passer l'année suivante afin d'autoriser l'usage local d'une part des "excédents" des caisses d'épargne. Il faut croire qu'en France toute intervention tendant à territorialiser l'emploi de disponibilités financières habituellement centralisées suffit à susciter la nervosité du personnel gouvernemental.
Un autre aspect curieux, et qu'on peut trouver significatif tient à ce que, plutôt que de vanter la rigueur gestionnaire des HBM, le sénateur admonesté esquive en évoquant les difficultés des locataires. Il répond en effet : "Pour faire payer les locataires, il faudrait, monsieur le Ministre, qu'ils aient l'argent nécessaire et suffisant […]". Ce faisant, il donne du poids à la pique du ministre, qui a manifestement fait mouche. Le sérieux de la gestion des organismes HBM puis HLM constitue apparemment un problème durable, qu'on a déjà vu évoquer par la critique dans la première partie, et sur lequel il conviendrait de revenir dans des développements spécifiquement consacrés au financement de la construction neuve durant le Second Vingtième siècle.
 Le MRU garde sa dénomination initiale de sa création jusqu'au ministère de Pierre Courant, à l'exception d'une interruption de onze mois qui, de décembre 1946 à novembre 1947, voit se succéder trois dénominations successives. On passe à la "Reconstruction et [au] Logement" avec Maurice Lemaire (26 juin 1953). Avec Pierre Sudreau et l'ère gaullienne, l'intitulé se limite tout d'abord à la "Construction", ce qui peut accréditer l'idée simple que la politique du logement se réduit alors à celle de la construction neuve. La "fusion" avec les Travaux Publics qu'Edgard Pisani gère en 1966 donne ensuite lieu à toutes sortes de variations dont les ingrédients sont "l'Équipement", le "Logement", "l'Aménagement du Territoire", les "Transports" et le "Tourisme" : d'où une profusion d'acronymes qui commencent fréquemment par "MAT…" et chutent souvent sur un "T". Dans l'esprit de simplifier les repérages, on a indiqué en introduction qu'on retiendrait la dénomination de "MRU" jusqu'en 1953, puis celle de "ministère de la Construction" et, après 1966, celle de "ministère de l'Équipement".
 Cf. le titre de l’ouvrage publié en 1958 par John Kenneth Galbraith : The affluent society.
 RIMBAUD (Christine), Pinay, Perrin, Paris, 1990, p. 63, 77, 111-139, 258-260.
 Faut-il rappeler que le grand retour du général de Gaulle est aussi l'occasion du petit retour d'Antoine Pinay aux Finances, c'est-à-dire à un poste-clé pour la politique du logement ?
 Eugène Claudius-Petit reviendra passagèrement au ministère de la construction en 1954. Mais il ne perdra jamais de vue le secteur, y compris dans ses aspects les plus ingrats. Il contribue à fonder la SONACOTRAL (future SONACOTRA après 1962) en 1956 et en assume la présidence pendant de longues années. Beaucoup plus tard, on le voit présider en 1969 un groupe de travail "long terme" dans le cadre de la Commission de l'habitation du VIème Plan (parallèlement à un groupe de travail du Commissariat au Plan qui étudiait en 1967- 1969 une prospective du logement sur 20 ans, et qui était piloté par Jacques Delors). À partir de 1969, la Commission de l'habitation du VIème Plan est présidée par Claude Alphandéry, un personnage marquant dont on évoquera les convictions dans la conclusion de troisième partie.
 VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54 : une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995.
 Voir notamment : Ministère de l'Économie Nationale, Études Économiques, n°1, 1946, chap. VII : "besoins en logements", "besoins en main-d'œuvre et en matériaux", etc.
 AN, Versement 771144, art. C 3651 : PROTHIN (André), Note relative à la détermination des besoins de logements (6 juin 1952); Conseil Économique : HOUIST (Guy), Le logement des travailleurs de faibles revenus, Avis et rapports, 1956, p. 33-88.
 Conseil Économique : HOUIST (Guy), Le logement des travailleurs de faibles revenus, Avis et rapports, 1956, p. 33-88.
 ALPHANDÉRY (Claude), Pour une politique du logement, Seuil, Paris, 1965.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969.
 Commissariat Général au Plan, sous la direction de DELORS (Jacques), Plan et prospective : le logement (1968-1988), Armand Colin, Paris, 1970.
 ONU, Commission Économique pour l'Europe, La situation du logement et les perspectives à long terme des besoins de logement dans les pays européens, Genève, 1969.
 Un autre genre de glissement sémantique se caractérisait les textes antérieurs à 1949. Voir par exemple : Ministère de l'Économie Nationale, Études Économiques, n°1, 1946, dont le chap. VII traite, dans l'ordre, des "besoins en logements", des "besoins en main-d'œuvre et en matériaux", avant d'en venir aux "comptes d'exploitation de la propriété bâtie" et de considérer "l'évolution de la rentabilité". La notion de besoins est déjà présente, mais l'ordonnancement général du texte correspond encore à une lecture où on espère bien que le marché réglera la question.
 Si on trouve encombrante la récurrence des "besoins", et indigeste la discussion qui suit, on pourra se tourner avec plaisir vers le fil aérien de "Espace, temps, architecture" (GIEDION (Siegfried), Espace, temps, architecture, première traduction française : Bruxelles, 1968; réédition Denoël-Gonthier, trois volumes, Paris, 1978). Cet ouvrage de quelque 700 pages se dispense en effet d'à peu près toute réflexion sur la consistance de la demande de logements. Tout juste peut-on lire, à propos du neuvième congrès des CIAM : "L'élargissement de la notion d'habitat (logement prolongé) […] nous permit de voir au-delà des quatre murs d'un appartement et d'analyser les rapports multiples qui existent entre famille et société" (tome III, p. 76). Mais, de ces rapports et de ce qui en résulte, on ne saura rien. Il est vrai qu'à voir les réalisations qu'évoque Giedion, on se convainc que nos modernes architectes étaient plus portés aux usines, aux bureaux, aux écoles et aux opéras qu'au logement, qu'ils traitaient d'une certaine manière comme un accessoire (comme le souligne notamment le passage consacré à Walter Gropius, tome II, p 136 et suivantes). On peut également penser qu'avec le recul du temps les travaux sur "l'habitation minimale" (la Minimalwohnung des germanophones) n'ont pas paru vraiment présentables à Giedion, au point qu'il a préféré les mettre sous le boisseau.
 GUINCHAT (Pierre), CHAULET (Marie-Paule), GAILLARDOT (Lisette), Il était une fois l'habitat, Éditions du Moniteur, Paris, 1981, p. 143. La formulation prêtée à Georges Pompidou figurait déjà dans l'ouvrage d'Houdeville, sans plus de précision quant aux sources (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 140).
 MONGOBERT (Antoine), "Le problème du logement", in Revue d'économie sociale, n°21, novembre 1945, p. 57.
 THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 141. L’auteur revient sur la même idée p. 213, dans un passage où il rappelle les principes tendant, du point de vue du droit, à fonder l'intervention de l'État : "L'union organique de tous semble particulièrement logique puisqu'en définitive tout le monde a besoin d'être logé et que l'ordre public est satisfait si tout le monde arrive à l'être".
 Conseil Économique : HOUIST (Guy), Le logement des travailleurs de faibles revenus, Avis et rapports, 1956, p. 33-88; voir aussi, pour une version dactylographiée, AN, versement 77119, art. C 3253.
 ..et non seulement de la convergence des évaluations entre elles, mais aussi de leur proximité avec les 20 000 logements par mois qu'Eugène Claudius-Petit réclamait déjà quelque trente mois auparavant.
 Versement 771144, art. C 3651, PROTHIN (André), Note relative à la détermination des besoins de logements (6 juin 1952). Empire oblige, André Prothin adjoint un ultime paragraphe à sa note :
"On croit devoir ajouter que ces chiffres ne contiennent pas ceux des besoins de logements de l'Algérie et des départements d'Outre-Mer. Ces besoins sont, on le sait, très importants. Or les sources de financements sont, dans certains secteurs (HLM, en particulier) communs à ces départements et aux départements métropolitains. Toutefois, faute de renseignements suffisants, il n'a pas paru opportun d'aborder dans la présente note la question du logement en Algérie et dans les départements d'Outre-Mer. Elle pose pourtant pour le gouvernement un problème certain qui mérite une étude particulière."
De cette "étude particulière" qui aurait certainement donné d'utiles "renseignements", on n'a pas retrouvé trace à ce jour. Arracher à un état en guerre un programme de logements tel qu'on n'en avait jamais vu était déjà une gageure. Quant à lui demander de financer aussi l'Outre-Mer, c'était sans doute trop.
 Préfecture du District de la Région de Paris, Avant-projet de programme duodécennal pour la Région de Paris, Imprimerie de la Ville de Paris, 1963, p. 27, 109, et 41.
Partant du poids des petits logements dans le parc existant (50% de 1 et 2 pièces) et des déficits observables par rapport à la moyenne nationale en termes de nombre de pièces par habitant, le district conclut à la nécessité d'un programme de 240 000 logements de 5 pièces au titre du seul rattrapage, hors toute perspective d'expansion.
 Sur les aspects régionaux des programmations du Plan, notamment à partir de 1966, voir les 132 articles du versement 850389 des Archives Nationales.
 MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français ?, Seuil, Paris, 1965, p. 44 à 47.
 Commissariat Général au Plan, sous la direction de DELORS (Jacques), Plan et prospective : le logement (1968-1988), Armand Colin, Paris, 1970, p. 197 et 198.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 290-291.
 Ibidem, p. 174-175.
 ALQUIER (François), "La crise de l'habitat : pour une politique du logement social", in Économie et politique, février 1968, p. 41.
 Conseil Économique, HOUIST (Guy), Les moyens d'une politique de l'habitat, Avis et rapports, 1965, p. 397454.
 Commissariat Général au Plan, sous la direction de DELORS (Jacques), Plan et prospective : le logement (1968-1988), Armand Colin, Paris, 1970, p. 9. Rappelons que dans d'autres conjonctures, "la demande" s'oriente tout aussi mystérieusement vers le resserrement, les cohabitations, la marinade dans l'existant, etc. : extraordinaire plasticité des « besoins »!
 Ibidem, p. 9-10. On note en passant, dans un pays qui héberge 4 millions d'immigrés, la référence aux "exigences des Français" . En 1969, même si elle rajeunit un peu sous le contrôle d'hommes comme Jacques Delors, la phraséologie officielle ne va pas jusqu'à s'orienter vers des concepts pluriculturels. La référence nationale reste explicite et en matière d'immigration règne encore le dilemme qu'on peut résumer par la formule bien connue : "l'intégration ou la valise". Une annonciation de l’agitation qui se fera plus tard autour de la préférence nationale ?
 SACHS (Wolfgang), éditeur, The development dictionnary; ILLICH (Ivan), article Needs, Witwatersrand University Press, 1993, p. 98, 99 et 97.
 En italiques dans le texte d'origine.
 Illich fait ici référence à des déclarations de l'ONU concernant "ceux qui vivent en-dessous d'un standard minimal acceptable" ce qui revient à identifier au sein de l'espèce un groupe fort nombreux, pour tout dire majoritaire, dont on estime qu'il est de condition infra-humaine. Bref, une forme charitable et politiquement correcte du racisme…
 SACHS (Wolfgang), éditeur, The development dictionnary; ILLICH (Ivan), article Needs, Witwatersrand University Press, 1993, p. 99.
 La proximité entre la découverte de besoins et les problèmes de maintien de l'ordre est patente dans la gestion de ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler les quartiers sensibles en France. Sitôt qu'il y a des troubles, la fraction la plus ouverte de la presse publie des opinions émanant notamment d'animateurs associatifs et tendant à faire valoir que les "besoins" ne sont pas couverts. C'est, à l'échelle sociale, la pratique de l'objet – joujou, bonbon – qu'on concède à l'enfant trop remuant pour essayer de le calmer.
 SACHS (Wolfgang), éditeur, The development dictionnary; ILLICH (Ivan), article Needs, Witwatersrand University Press, 1993, p. 88-101. Les expressions citées dans ce paragraphe sont successivement extraites des pages 96, 97, 82 et 98.
 Ibidem, p. 91 et 92.
 PAQUOT (Thierry), "Un intellectuel ciel à terre", Libération, 5 février 1998.
 CHOMBART DE LAUWE (Paul-Henry), Pour une sociologie des aspirations. Éléments pour une prospective nouvelle en sciences sociales, Denoël-Gonthier, Paris, 1971, p. 18 et 23. P.H. Chombart de Lauwe revient sur le problème du désir versus le changement social dans "Les sociétés en proie au désir" (Cahiers internationaux de sociologie, PUF, Paris, 1974, p. 5-22). Il oppose alors le désir-régression à la Freud au désir-aspiration qui porte à communiquer et qui peut devenir le support d'un projet.
 …et permettant à l'occasion d'obtenir des facilités de crédit verbales chez les commerçants. Du rapport entre la pratique de "l'ardoise" et les vues sur l'urbanisme! (Source : AN, versement 840230, art. C 6568; Confédération générale du logement de Loire-Atlantique, en collaboration avec les services sociaux de la Ville de Nantes, Taudis à Nantes, 1966).
 C'est une transformation de cet ordre qui a été obtenue dans l'après-guerre, puisque les logements construits postérieurement à 1948 correspondent à 54,3% du parc au recensement de 1982, soit au terme de 34 ans. Depuis 1954, la construction neuve annuelle a oscillé entre 1 et 2,5% du parc existant, sauf dans la période exceptionnelle de 1972-1975, où elle se situe entre 2,7 et 3,0%.
 Des moments qui ne sont pas de l’ordre des temporalités mais des catégories associées à un raisonnement et qui, en tant que tels, sont en interaction simultanée.
 OLCHANSKI (Claude), Le logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 70.
 ISAAC (Philippe), Le problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 235 et 54.
 MONGOBERT (Antoine), "Le problème du logement", in Revue d'économie sociale, n°21, novembre 1945.
 Commissariat Général au Plan, sous la direction de DELORS (Jacques), Plan et prospective : le logement (1968-1988), Armand Colin, Paris, 1970, p. 7.
 Versement 770818, art. CAB 57, activités et rapports du Conseil supérieur de la construction (président : Philippe LAMOUR), 1960-1963; "sujet" log 302 : WURMSER (L.), Nécessité et urgence d'un recensement national utilisable pour l'orientation de la politique de la construction et du logement, juillet 1960.
 AN, versement 770775, art. AT 148 à 154.
 AN, versement 770828, art. CAB 956 à 986.
 …et dont le rôle instrumental dans la constitution du plaidoyer sur les « besoins » n'est que trop transparent.
 AN, versement 770775, art. AT 141.
 AN, versement 770775, art. AT 142.
 AN, versement 771086, art. C 2272.
 AN, versement 840230, art. C 6568.
 AN, versement 850386, art. C 7674.
 AN, versement 840230, art. C 6528.
 Préfecture du District de la Région de Paris, Avant-projet de programme duodécennal pour la Région de Paris, Imprimerie de la Ville de Paris, 1963.
 …qui passe d’ailleurs du salaire garanti (SMIG 1951), au salaire de croissance (SMIC) après 1970.
 La rectification (plus que justifiée) de la norme d’occupation qui intervient entre l’exploitation du recensement de 1954 et celle du recensement de 1962 nous donnera l’occasion d’exposer un cas illustratif de cette situation. Voir, dans la troisième partie, le paragraphe dédié à la Manipulation des normes d’occupation.
 …surtout s'il s'agissait d'un moment où des contraintes fortes conduisaient à des préconisations plutôt sommaires.
 Rapport sur les principales options du IXème plan, 1980.
 Compte tenu du caractère absolument déterminant de la discussion des normes, on reste confondu par le peu de place qui lui est réservé dans la littérature. Même en faisant abstraction de la préhistoire des années 1920 et 1930, tout se passe comme si on tenait pour sacré l'arbitrage qui a été alors retenu. Légèreté générale ? Refus d'aborder une matière aride ? Mouvement de recul devant une question qui met manifestement en cause l'inertie de l'État ? Difficulté politico-psychologique persistante à assumer que des populations, même pauvres, peuvent, autant que l'auteur de ces lignes, prétendre à un logement qui, comme le SMIC, serait "de croissance" ? On ne sait. Mais il faut le mordant d'un Gilbert Mathieu et, peut-être, l'atmosphère des "Trente Glorieuses" pour oser contester ouvertement, quoique brièvement, un arrangement qui est devenu un monument d'État :
"[…] il est peu raisonnable de déclarer normale l'existence de six personnes dans quatre pièces, ou de sept ou huit personnes dans cinq pièces. Cela correspond -pour prendre un cas-type- à une famille où quatre enfants de six à dix-huit ans et de sexes différents n'ont que deux chambres pour faire leurs devoirs et coucher." (Peut-on loger les français ?, Seuil, Paris, 1965, p. 12.)
Un peu emporté par son élan, Gilbert Mathieu omet au passage de préciser que son "cas-type" requerrait une parité entre les deux sexes. En cas de répartition inégale des enfants selon les sexes, le respect de la norme impliquerait une chambre supplémentaire.
 À la fin de la période qui nous intéresse, les auteurs du recensement de 1968 s'attachent à juger la qualité du bâti en discriminant les "murs et toitures en dur" (94% des immeubles). Il est alors frappant de les voir énumérer limitativement les matériaux constitutifs des murs "en dur" : "pierre, pierre de taille, meulière, moellon, brique pleine, brique creuse; béton, bloc aggloméré, parpaing enduit". Il reste à en conclure que le bois et la terre sont, au choix, des matériaux précaires ou des matériaux mous. (Voir INSEE, Recensement général de la population de 1968. Sondage au 1/20. Logements et Immeubles Paris, 1972, p. 216.)
 La construction de logements a massivement opté pour les systèmes structurels à refends porteurs, qui présentent le double avantage de fournir une grande partie des cloisonnements en même temps que la structure, et d’assure des séparations phoniques acceptables là où on dispose de murs lourds.
 Pour situer l'importance de ce legs, il convient de rappeler qu'un article correspond généralement à un dossier de dix centimètres d'épaisseur. Il faut cependant préciser que le métrage linéaire des documents n'est pas nécessairement l'expression de la quantité de mesures réglementaires qui ont été produites. Dans nombre de cas, notamment l'acoustique, les dossiers sont lestés par des bilans et récits d'expérimentations de toute nature.
 ISAAC (Philippe), Le problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 186.
 Versement 780321, art CAB 1040; Fédération des sociétés anonymes et fondations HBM de France et d'Algérie, Étude sur la révision fondamentale de la législation sur les habitations à bon marché, Paris, 1939.
 THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 145-146.
 OLCHANSKI (Claude), Le logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 191-198. Rappelons qu'Olchanski exclut très nettement le chauffage central des programmes de maisons individuelles en déclarant abruptement : "il est cher et sera rarement allumé".
 Ils les recensaient attentivement parce qu’ils considéraient manifestement qu'elles constituaient une annexe importante pour le confort et l’hygiène des immeubles collectifs.
 Cf. les données dont il est fait état dans le volume I, paragraphe 33, Des déficiences généralisées : l’enquête de 1939-1942 identifiait un proportion de salles de bains égale à 10% dans les agglomérations de plus de 30 000 habitants, et à 1% en milieu rural.
 La question des normes d'équipement est pratiquement absente des ouvrages classiques de Louis Houdeville et de J.E. Havel. Houdeville se borne à rappeler "la loi de 1932" sur les HBM, qui prévoit des logements "avec cuisine et WC", et à commenter brièvement l'évolution des normes de surface de 1932 à 1966. (Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 195). Havel, quant à lui, s'interroge au début de son ouvrage sur le sens qu'il faut donner à l'expression "logement décent" et régle la question en quelques mots: "Un logement édifié en 1950, bien agencé, bien aéré, bien ensoleillé et ne comportant que les adductions de l'eau et du gaz pouvait parfaitement passer pour décent à l'époque. De nos jours, l'absence de toilettes à l'appartement nous paraît scandaleuse. Nous exigeons la salle d'eau, le chauffage central, l'électricité, l'insonorisation, le garage. Encore y a-t-il tendance à ne voir dans ces commodités qu'un minimum." (Habitat et logement, PUF, Paris, collection Que sais-je ? n°763, 1ère édition : 1957, 4ème édition : 1974, p. 11.). Le point de vue d’Havel a l’avantage de livrer en termes synthétiques une lecture largement partagée chez les experts. Il en ressort qu’une vue sommaire des équipements était absolument « normale » en 1950, mais que, par les voies mystérieuses des mouvements de l’opinion, elle est devenue insoutenable vingt ans plus tard. Ces réflexions aussi brèves que désabusées se situent au début de la première partie de l'ouvrage, et l'auteur ne revient plus sur le thème par la suite. Est-ce à mettre en relation avec le fait que la première parution de ce "Que sais-je ?" remonte à 1957, la partie citée, qui est extraite de la quatrième édition (1974), pouvant alors correspondre à une révision tardive ?
 J.O. du 24 décembre 1947, p. 12413.
 Voir, dans le passage consacré au programme des 4000 logements de la région parisienne, le portrait en pied du bac-à-laver-douche, tel qu’il est dessiné par le Bureau des constructions expérimentales du ministère.
 AN, versement 771119, art. C 3250.
 AN, versement 771119, art. C 3253.
 Dans leur "Histoire du confort", Jean et Françoise Fourastié accordent peu de place à la question du chauffage. Il est vrai que leur ouvrage a été initialement publié en 1950 sous le titre "Les arts ménagers", ce qui conduit plutôt à s'intéresser aux ustensiles de cuisson. Après avoir évoqué l'histoire des poêles et cheminées, et s’intéressant manifestement aux seuls immeubles collectifs, ils se prononcent pour le chauffage central qui "réalise une économie de main d'œuvre parce qu'un seul feu suffit à un immeuble". À leur point de vue "le chauffage urbain semble être une solution que retiendra l'avenir" (sans doute parce qu'il suffit d'un seul feu pour un quartier), mais ils se trompent de décennie en poursuivant, dans l'édition de 1973 : "Au contraire le chauffage électrique semble devoir demeurer un chauffage d'appoint, au moins dans un proche avenir." Ils font preuve de sensibilité écologique en s'intéressant au "gaz de fumier" pour le chauffage des habitations rurales. Mais ils rejoignent pour finir le scepticisme d'une époque :
"On ne peut conclure de ce qui précède que le chauffage central collectif soit dans l'état économique de la France d'aujourd'hui le procédé socialement idéal de chauffage. Il consomme beaucoup de combustible pour élever parfois inutilement la température d'appartements ou de pièces inoccupées, et de chambres à coucher où, dans nos climats, le chauffage est inutile et malsain la moitié des jours de l'hiver, pourvu que le cabinet de toilette déshabilloir soit chauffé [sans compter que] enfin et surtout, les besoins individuels sont très différents." (Histoire du confort, PUF, Paris, collection Que sais-je ? n°449, 1ère édition : 1950, 3ème édition : 1973)
 ISAAC (Philippe), Le problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 148.
 OLCHANSKI (Claude), Le logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 34-35.
 Ibidem p. 54.
 GROPIUS (Walter), Die soziologischen Grundlagen des Minimalwohnung; cité in HILPERT (Thilo), Die funktionnelle Stadt, Vieweg, Braunschweig, 1978, p. 104.
 LE CORBUSIER, Un nouvel ordre de grandeur des éléments urbains, une nouvelle unité d'habitation, introduction aux Œuvres complètes, tome II, Girsberger, Zürich, 1934. (Italiques du texte d'origine.)
 Voir aussi pour la référence aux cabines de paquebot : FOURASTIÉ (Jean et Françoise), Histoire du confort, PUF, Paris, collection Que sais-je ? n°449, 1ère édition : 1950, 3ème édition : 1973).
 Voir VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 229. Outre ces deux antennes permanentes qui font suite aux "missions" de la France Libre de 1940-1944, il y eut également des missions temporaires au Canada et dans les pays occupés (Allemagne, Autriche), toutes régions dont les traditions en matière d'habitation sont plus larges que celles de la France. Le dispositif des "missions" n'exclut pas des opérations plus ponctuelles, comme la mission d'étude confiée conjointement à Écochard et à Nelson, l'architecte américain qui reconstruit l'hôpital de Saint-Lô. Cette mission sur une "Exposition des techniques américaines de l'habitation et de l'urbanisme" qui se tient à Paris, au Grand Palais, du 14 juin au 21 juillet 1946, et qui est largement commentée dans la presse professionnelle.
 En matière de chambres, l'arrêté du 22 novembre 1948, pris en application de la loi du 1er septembre 1948 sur les loyers, admet en son article 3 des "pièces secondaires". Il suffit que celles-ci présentent une surface d'au moins 7 m2, une hauteur sous plafond de 2,3 m. et bénéficient "d'une ou plusieurs baies ouvrant sur l'extérieur". Aucun doute : la norme HBM de 1947 est bien une postulation de progrès.
 Rappelons que les objectifs que se proposaient les fédérations d’organismes d’HBM correspondaient sensiblement à un deux pièces pour une famille avec un enfant, un trois pièces pour une famille avec deux ou trois enfants, à un cinq pièces pour une famille de quatre ou cinq enfants, etc., ce qui donne une moyenne de l’ordre de 1,5 personne par pièce. Cf. volume I, paragraphe 22, section La production, les normes et le débat sur la qualité.
 Norme citée par l'INSEE in Études et conjoncture n°10-11, octobre-novembre 1957, "Évolution des conditions de logement en France depuis cent ans", p. 1145 et 1168.
 Ainsi qu’on l’a vu dans la première partie, c’était là un point de vue fermement défendu par Cerdà cinquante ans avant notre norme de 1911.Rejetant tout ce qui pourrait évoquer le "dortoir" ou "l'antre des bêtes fauves", Cerdà s’appuyait sur une vision qui faisait place aux aspirations : "Si l'homme est avant tout sociable, il recherche aussi la retraite et la solitude". Il poursuivait :
"Certaines pièces sont destinées aux relations de l'individu avec la famille ou la société, d'autres sont consacrées aux actes de la vie qui exigent la solitude. Ces dernières sont constituées principalement par les chambres à coucher. Il ne s'agit pas d'une alcôve où l'isolement est assuré par de simples rideaux, mais d'une pièce indépendante, isolée par des cloisons et une porte. Cette pièce est assez grande pour que le lit puisse être placé en son milieu, sans aucun contact avec les murs, car c'est la seule position qui garantisse la propreté et l'aération." (La théorie générale de l'urbanisation, 1ère édition Madrid, 1867; traduction française partielle, Seuil, collection Espacements, Paris, 1979, p. 140-141.)
 Le critère qui fondait les réquisitions pour "sous-occupation" correspondait au dépassement d'un total constitué par une pièce par personne, plus deux pièces (soit 5 pièces d'habitation et plus pour 2 personnes, etc.). Sur ces critères de réquisition, voir par exemple : THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, thèse de droit, Paris, 1947, p. 71.
 Arrêté du 2 novembre 1958; voir articles L 621-2 et R 631-3 du Code de la Construction (édition de 1978).
 Ou y faire habiter ses proches au titre de l'article 10, paragraphe 7, de la loi du 1er septembre 1948. La définition de la sous-occupation a été confirmée par les décrets du 11 juillet 1955 et du 13 septembre 1967. On a envisagé un moment de l'insérer in extenso dans l'article 10 de la loi du 1er septembre 1948 (voir un projet de texte daté de 1958, in AN, versement 840230, art. C 6513). On la retrouve à l'article R 641-4 du Code de la Construction (édition de 1978).
 Article R 641-4 du Code de la Construction et de l'Habitation (édition 1978), reproduisant les décrets du 11 juillet 1955 et du 13 septembre 1967.
 J.O. du 31 décembre 1948, p. 12720.
 Loi promulguée quand Ambroise Croizat était ministre du Travail et de la Sécurité Sociale.
 J.O. du 31 décembre 1948, p.12721. On prend tout de même la précaution d'exiger un poste d'eau potable, une évacuation des eaux usées ainsi qu'un "W.-C. particulier dans les maisons individuelles ou un W.-C. commun situé à l'étage ou au demi-étage dans les immeubles collectifs", qualifiant ainsi un niveau d'exigence dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est parfaitement adapté aux réalités
 AN, versement 770775, art. AT 141. Cette feuille volante retrouvée dans les dossiers issus de la Direction de l'aménagement du territoire ne constitue pas un document isolé. Elle accompagne le résumé statistique de 84 enquêtes sur des îlots urbains, qui ont été conduites de 1952 à 1957 dans 33 départements. En moyenne sur l'ensemble, l'application de la grille conduit à une admirable symétrie entre sous-peuplement et surpeuplement :
- sous-peuplement : 9,4%
- sous-peuplement admissible : 24%
- peuplement normal : 37,3%
- densité excessive : 22,5%
- surpeuplement : 7,8%
Avec de tels résultats, on ne peut que se convaincre que cette grille convient à la France des années 1950. Loin de fixer un objectif ambitieux, la norme voulue par les techniciens du MRU s'établit à la remorque d'une (triste) réalité.
 J.O. du 31 décembre 1948, p. 12721.
 Les dispositions concernant le service municipal du logement figurent encore dans le Code civil de 1966, annexes, p. 1081 et suivantes (Dalloz, Paris, 1966). Une précaution pour les situations d’urgence ?
 MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français ?, Seuil, Paris, 1965. Voir également Houdeville, qui prône des "offices fonciers d'agglomération", et s'interroge sur la nationalisation du crédit à la construction. Il faut croire que la nationalisation du gros des actifs bancaires qui avait eu lieu en 1945 n'avait pas eu les effets escomptés. (Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 349 et 368.)
 Sur cette ordonnance, voir par exemple VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 180-181, ou THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947.
 On reviendra plus loin sur cette affaire des réquisitions : voir ci-après le chapitre sur les loyers et l'amélioration de l'existant, dernier paragraphe.
 THOUROT (Jean), La crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 55.
 Voir par exemple les justifications avancées en 1954-1955 à l'appui des demandes locales de Logements Économiques Normalisés (LEN) ou de Logements Populaires et Familiaux (LOPOFA) in AN, versement 771086.
 Un acte fondateur avait été passé avec la loi du 28 juin 1938 "tendant à régler le statut de copropriété des immeubles divisés par appartements". Il est complété par le décret du 10 novembre 1954, concernant notamment les "constructions en société" et, surtout, par la loi du 10 juillet 1965 "fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis", dont les 48 articles donnent une figure et un développement tout à fait nouveaux à l'article 664 du code civil (Code civil, Dalloz, Paris, édition de 1966, p. 302-315).
 OLCHANSKI (Claude), Le logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 164.
 On peut identifier deux tendances dans la littérature scientifique de l'époque : celle que représente Olchanski, qui prône en substance la prolongation d'une sorte de DGEN spécialisée dans le logement, et celle que personnifie Jean Lygrisse, qui appelait de ses vœux la formation d'un ministère autonome dans sa thèse soutenue en 1945 (LYGRISSE (Jean), Le logement des classes laborieuses, Droit, Paris, 1945, p. 61-62).
En ce qui concerne les événements et les forces qui se sont manifestées, Danièle Voldman rappelle que le Conseil de l'Ordre des Architectes s'était déclaré partisan d'un ministère spécifique dès le mois d'août 1944. Le Front National des Architectes, quelque peu groupusculaire mais paré de l'aura de la Résistance, aurait même insisté pour que l'un des siens, André Croizé, fût nommé à la tête du nouveau ministère (VOLDMAN (Danièle), La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 116-118).
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 148. Cette dilection est amplement attestée par l'importance quantitative des documents liés au Plan dans les archives issues du ministère de la construction; voir par exemple : AN, versement 850389 (132 articles).
 En réponse aux problèmes soulevés par la Cour des Comptes.
 AN, versement 830603, art. AG 763, rapports de la Cour des Comptes de 1946, 1947, 1952 et 1955; projets de réponse. Faut-il insister, après les coups de boutoir de la Cour des Comptes, sur l'aveu concernant les dérives qui ont affecté les projets ? On montrera par la suite que l'aveu qui couvre ici la période initiale devrait être étendu, au moins, à la deuxième moitié des années 1950 et même aux années 1960 (voir troisième partie, "Normes et maîtrise des coûts"). Les "erreurs" changent peut-être de nature mais, sauf à être mû par l'intérêt des "grands corps" ou le culte de l'État, deux choses qui se rejoignent facilement, on ne peut vraiment pas professer que celles que nous mettrons en évidence "ne se renouvellent pas".
 AN, versements 771078 et 771079.
 INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 71. L'annuaire rétrospectif ne contient aucune indication antérieure à 1954, ce qui laisse entendre que les données relatives à cette période sont sujettes à caution. De 1967 à 1970, le taux de chômage se tient encore entre 2,4 et 2,9%.
 En revanche, cela deviendra une préoccupation essentielle dès le début des années 1960, comme l'atteste l'intitulé du tout premier "sujet" traité par la commission "logement" du Conseil Supérieur de la Construction en 1960 : "Demande solvable de logements, évolution dans le temps et suivant les différentes régions. Seuil de solvabilité" (Sujet Log 300, rapport de J. Lerouge, juin 1960; voir AN, versement 770818, art. CAB 57).
 …des crédits qui, à la différence de l'actuel prêt à taux zéro, couvriraient non pas 20% mais 80% à 90% du prix d'achat.
 Loi du 3 septembre 1947, article 2; J.O. du 4 septembre 1947, p. 8773-8774. Le dispositif est complété par une "remise complète des intérêts" pendant les deux premières années, ce qui est traditionnel, et une remise de moitié pendant les huit années suivantes, ce qui l'est moins. La facilité consentie durant les deux premières années vise à couvrir la période de la construction et de la mise en location. Celle qui concerne les huit années suivantes générera inévitablement un choc quand il faudra passer au paiement complet des intérêts. On ne saurait dire plus clairement que les autorités de 1947 anticipent une vague de hausse des loyers, y compris dans le secteur social.
 Afin de compléter le tableau des interventions de l’État, il faut rappeler qu’à défaut de financer le logement par le produit de l'impôt, on peut essayer d'en encourager la production en renonçant à tel ou tel prélèvement fiscal. Dans le prolongement des mesures déjà adoptées dans l’entre-deux-guerres, la programmation des financements a toujours fait place à des facilités fiscales, qui ont notamment concerné les droits de première mutation, les exemptions de taxe foncière, etc. Mais on entre là dans un domaine où il est plus aisé de convaincre les Finances de renoncer à des ressources qui n’existent pas encore que de se priver de prélèvements qu’elles considèrent comme un droit acquis, quand bien même il ne s’agirait que de recettes de poche. En conséquence, si la construction neuve a pu bénéficier d’exemptions assez larges durant les années d’expansion, on s’est gardé de toucher aux droits de mutation affectant l’ensemble de l’existant, dont le niveau est resté élevé, comparativement à un pays comme les États-Unis.
 Christian TOPALOV fait des résultats des enquêtes logement, qu’il décortique avec beaucoup de soin, une matière essentielle de ses démonstrations concernant la France contemporaine (voir par exemple : TOPALOV (Christian), Le Logement en France. Histoire d'une marchandise impossible, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, 1987, p. 308-374). Il est étonnant de constater qu’il ne procède nulle part – en tout cas dans l’ouvrage cité – à une évaluation critique fondée sur le mode de construction des estimations qu’il mobilise, même lorsqu’il commente des évolutions fines, qui sont par nature celles dont la connaissance par sondage est la plus fragile. Il faut toutefois reconnaître à la décharge de Christian TOPALOV qu’il utilise essentiellement des estimations de niveau (niveau des charges financières, etc.) ou de répartition (proportion de locataires, etc.), qui constituent les genres de variables que les enquêtes approchent de la manière la plus efficace.
 Le foisonnement de « données » dont l’origine et le mode de traitement restent souvent imprécis peut donner lieu à des écarts considérables qui autorisent toutes les interprétations. On peut rappeler, par exemple, qu’aucune indication de l’INSEE ne vient attester la hausse de 60% que Gilbert MATHIEU impute aux loyers des logements neufs non HLM dans la période 1961-1963, en se fondant apparemment sur le Bulletin statistique du ministère de la Construction (MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965, p. 86). Pour la même période et le même secteur, les enquêtes logement donnent une augmentation de… 4,6% ! Il arrive aussi que les écarts ou les erreurs apparentes d’estimation ne se fassent pas dans le sens qu’on aurait pu attendre. C’est ainsi qu’ayant convoqué en 1969 une « table ronde européenne » pour déplorer le poids à ses yeux excessif des logements à prix contrôlés, notamment en France, la Confédération Nationale des Administrateurs de Biens (CNAB) y fait état d’un million "d’HLM et de LOGECO", alors que ce même chiffre d'un million correspondait aux effectifs, probablement sous-estimés, des seuls logements détenus par les organismes d'HLM en 1967, et qu'il n'était pas difficile d'y ajouter la production de 1968 (AN, versement 840230, art. C 6576, L'Europe des loyers). Il est vrai que, pour la CNAB, le domaine des HLM et des LOGECO pouvait représenter un monde étranger.
 INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990; tableaux concernant le logement : p.164-166.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 254.
 Faut-il rappeler qu'en 1968 encore, on comptait au moins 700 000 logements locatifs anciens dans les seules communes rurales (hors fermes et exploitations agricoles), sans même évoquer les petites villes? (INSEE, Recensement général de la population de 1968. Sondage au 1/20. Logements et Immeubles, Paris, 1972, p. 58 et 235). De cette indication, on ne peut que regretter le caractère indirect (il faut la reconstituer) et tardif (après vingt ans de désaffectation rurale). On doit également déplorer que les critères habituellement retenus pour discriminer selon la taille des communes (moins de 20 000 habitants, moins de 50 000 habitants, etc.) ne permettent pas d'isoler les catégories les plus immédiatement pertinentes en matière de logement locatif : les communes de moins de 4 000 habitants, puis de moins de 10 000 habitants. Ce flou statistique a certainement contribué à entretenir des perceptions erronées sur la portée réelle de la loi du 1er septembre 1948. Il constitue sans doute à la fois une cause et une conséquence de l'ignorance dans laquelle sont tenues les profondeurs du pays : une conséquence parce que cela traduit l'idée que « là n'est pas le problème », une cause parce que, en l’absence de toute indication statistique, rien ne retient l’attention de l’observateur.
 Notamment à partir de 1963.
 La combinaison du choc de 1948-1949 (+92%) et des hausses annuelles de 40% de la nouvelle base prévues par la loi du 1er septembre 1948 donne mécaniquement un coefficient multiplicateur de 4,2 entre le début de 1948 et le premier semestre 1952, ce qui est très comparable au coefficient de 4,4 observé par l'INSEE. On note par ailleurs que le coefficient multiplicateur affectant les loyers libérés (ou « amiables ») n’est « que » de 3,6 : cela tend à illustrer la pertinence des choix qui ont été retenus en matière de libération immédiate.
 Voir tableaux in MONGOBERT (Antoine), "Le problème du logement", Revue d'Économie Sociale n°21, novembre 1945, p. 40-57
 Source : Ministère des Finances, Dépenses de logements et revenus immobiliers, 1914-1954, document non publié et non daté, mais dont on peut situer la confection vers 1955-1957 ; cité in : GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963.
 Pièce attachée au procès-verbal de la réunion de la Commission de révision des valeurs cadastrales tenue le 4 janvier 1963 (AN, versement 840230, art. C 6564)
 Outre les inerties inhérentes à une procédure statistique lourde, on comprend l’intérêt qu’il y a à ne pas majorer trop vite la pondération d’un poste aussi « dynamique » dans un indice dont les variations déclenchent les hausses du SMIG.
 Ministère des Finances, Dépenses de logements et revenus immobiliers, 1914-1954, document non publié et non daté, mais dont on peut situer la confection vers 1955-1957 ; cité in : GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963
 Précisons qu'en 1970 le SMIC est sensiblement de 7 100 francs (bruts) pour une année de travail sur la base de 173 heures par mois. Le salaire annuel effectif des employés est estimé en moyenne à 14 195 francs, et celui des ouvriers de toutes catégories à 13 143 francs, les manœuvres devant se contenter de 9 256 francs (INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990).
 BUTLER (Rémy), NOISETTE (Patrice), Le Logement social en France, 1815-1981, Éditions de la Découverte, Paris, 1983, p. 85
 AN, versement 840230, art. C 6524
 Concernant les loyers anciens à la « surface corrigée » pour la région parisienne au 1er juillet 1965, une note destinée à la Table ronde déjà citée évalue respectivement le loyer mensuel d’un 4 pièces à 381 F dans la catégorie II A (pour 100 m2 habitables), à 105 F dans la catégorie III A (pour 60 m2) et à 27 F dans la catégorie IV (pour 45 m2). Voir : AN, versement 840230, art. C 6524.
 Les valeurs retenues pour l’ancien correspondent à des moyennes pondérées reconstruites à partir des tableaux d’effectifs donnés plus haut. Cette procédure donne sensiblement une moyenne de 500 francs par an pour 1961, et de 1 800 francs par an pour 1970.
 D’après l’enquête logement de 1967 ; source : "Le niveau des loyers en 1967 et leur évolution depuis 1963", Études et Conjoncture n°9, septembre 1968, p. 154
 Voir par exemple Gondre qui, dans le cas d'un financement par l'État, craint de voir le financement du logement "lié à la situation et aux disponibilités budgétaires [de l'État]", et qui ne se sent pas "certain que les possibilités budgétaires soient suffisantes, compte tenu des priorités décidées au niveau de l'État" (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 110).
 Le terme de « viscosité » est cher aux économistes. Il est notamment employé par Gondre (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963) et par les rédacteurs du "rapport introductif" sur le logement dans le rapport Rueff-Armand (AN, versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960, tome II, Annexes : exposés introductifs p. 115-120).
 C'est ainsi que les jeunes ménages se trouvent condamnés, selon l'expression de Gondre, au "purgatoire de la sous-location" (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 216).
 Une pratique qu'on ne conteste guère aux propriétaires vieillissants, mais qu'on dénonce avec force chez les locataires en faisant valoir les urgences nées de la crise. Voir par exemple Gondre ou Thourot (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963; THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947).
 Expression empruntée à: THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947.
 On a déjà évoqué les positions d'Isaac ou d'Olchanski dans la partie consacrée aux antériorités. On doit souligner que Gondre reprend encore le thème en 1963 (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963).
 FOURASTIÉ (Jean et Françoise), Histoire du confort, PUF, Paris, collection Que sais-je? n°449, 1ère édition: 1950, 3ème édition: 1973, p. 19
 AN, versement 770815, art. CAB 28. La proposition de "mettre 25 000 francs de loyer" est effectivement un peu courte. Comme on l'a vu dans les tableaux de l'approche statistique, la moyenne des loyers à la surface corrigée se tenait à 30 000 francs dès 1955.
 Un « flop » sur lequel on reviendra brièvement dans le chapitre consacré au financement.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 82-93. L'opposition d'intérêts entre propriétaires et locataires constitue également le fil directeur du paragraphe que Danièle Voldman consacre à la loi du 1er septembre 1948 (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 328-339).
 Expression consacrée dans les thèses de droit et de sciences économiques pour désigner le retour à la liberté contractuelle, c’est-à-dire à la fois la liberté de fixation des loyers et la fin du maintien dans les lieux.
 […] "il ne faut pas oublier que pour de très nombreux propriétaires, le revenu immobilier est un moyen de vivre. Et ne serait-ce que pour se nourrir, il n’est pas excessif de prévoir un prélèvement équivalent à 1% [de la valeur en capital]." (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 92).
 Olchanski préconise un alignement des conditions de financement et du droit des locations pour l'ensemble des constructeurs-bailleurs, quel que soit leur statut social, et il conclut: "quant aux HBM, il sera facile également de les faire rentrer dans la ligne commune" (OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 171-172).
 Le « prêt à taux zéro » de 1995 représente le parachèvement de la « banalisation » en matière d’accession à la propriété : ouverture à toutes les filières de production et ouverture à toutes les banques, sous réserve d’un « agrément » du ministère des Finances.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 88.
 SELLIER (Henri), Henri Sellier, une cité pour tous, textes réunis et présentés par MARREY (Bernard), Éditions du Linteau, Paris, 1998, p. 180-181 et 198-202.
 J.O. du 4 septembre 1947, p. 8773-8774. La loi du 3 septembre 1947 prévoit un différé d’amortissement sur cinq ans au maximum, une remise des intérêts sur deux ans et de la moitié des intérêts sur les huit années suivantes, ce qui donne une annuité de remboursement sensiblement égale à 1,9 centime par franc emprunté de la troisième à la dixième année, et à 2,9 centimes par franc emprunté à partir de la onzième année. Le prix de réalisation d’une HBM de 4 pièces en 1947 peut être approché en actualisant des indications fournies en 1939 par la Fédération des SA d’HBM (cela donne 550 000 à 600 000 francs) ou en se fondant sur le rapport Deveaud de mars 1947 (qui retient une valeur de 750 000 francs). Au vu de cette fourchette, un endettement de 600 000 francs par logement de 4 pièces représente une estimation vraisemblable. Frais généraux compris, l’équilibre de gestion d’une opération implique alors un loyer supérieur à 13 000 francs par an de la troisième à la huitième année, et supérieur à 20 000 francs par la suite. Ces résultats sont tout à fait cohérents avec la prescription d’un loyer initial qui peut aller jusqu’à 13 725 francs, mais on note qu’ils présupposent la poursuite de hausses consistantes pour faire face aux échéances qui se succéderont à partir de la onzième année. Les calculs étant établis sur une base 1947 et les opérations réalisées dans le cadre de cette législation s’étalant inévitablement sur 1948 et 1949, on doit également rappeler que le coût de la construction continue d’augmenter rapidement jusqu’en 1949.
Rappel des sources : AN, versement 780321, art CAB 1040; Fédération des sociétés anonymes et fondations HBM de France et d'Algérie, Étude sur la révision fondamentale de la législation sur les habitations à bon marché, Paris, 1939 ; AN, versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947).
 J.O. du 24 décembre 1947, p. 12412-12414. Le loyer maximum d'un logement de trois pièces, qui est plus proche de la moyenne du parc HBM ancien, se tient un peu au-dessus de 2 500 francs en région parisienne et de 2 000 francs dans le reste du pays, compte tenu d'un petit volant de maisons individuelles qui sont louées plus cher que les appartements, ne fût-ce qu'en raison de leur surface supérieure à nombre de pièces donné. Ces indications concernant les HBM ordinaires peuvent paraître éloignées du loyer moyen qui a été observé par enquête en 1948 et qui a été rappelé dans les tableaux de l'approche statistique, soit 3 912 francs par an et par logement HBM. La cohérence se rétablit toutefois si on rappelle que, outre de rares immeubles des années 19451948, le parc HBM de 1948 comporte un certain nombre "d'immeubles à loyer moyen" de la loi Loucheur ou équivalents, dont la valeur locative était de 3,6 fois celle des HBM ordinaires et, une quantité non négligeable d'HBM "améliorées" (HBMA) de la loi Bonnevay du 28 juin 1930, dont la valeur locative était le double de celle des HBM ordinaires. Tout se passe alors comme si le loyer moyen observé se tenait au voisinage des HBMA, une sorte de « milieu de gamme » du logement social.
 Loi du 21 juillet 1950, et non du 21 juillet 1951 comme le laisse croire l'ouvrage de Danièle Voldman, qui comporte ici une erreur typographique (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 340).
 AN, versement 771134, art. C 3500.
 MONGOBERT (Antoine): "Le problème du logement", Revue d'Économie Sociale n°21, novembre 1945, p. 52.
 AN, versement 830603, art. AG 753. Affaire n°19 : référé de la Cour des Comptes en date du 31 mars 1950. La "régularisation" porte sur près de 1,2 million de francs.
 ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 152.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 243.
 OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 162.
 AN, versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 117. L'expression "un HLM" est celle du texte d'origine.
 À se placer du point de vue des employeurs, en-dehors de toute dimension morale, et dès lors que le travailleur est remplaçable, la dangerosité des taudis n'apparaît pas aussi patente que du point de vue de l'hygiène publique et des risques épidémiologiques. C'est sans doute pourquoi on a pu longuement tolérer que la vague de jeunes immigrés des années 1950 et 1960, notamment les célibataires, s'entassent dans des bidonvilles ou chez des marchands de sommeil gérant des bouges infâmes comme la fameuse usine désaffectée de la rue Gabriel Péri à Ivry-sur-Seine. Dans la littérature, le thème des rapports entre qualité du logement et qualité du travail est longuement oblitéré par celui, encore plus abstrait et éloigné des vécus quotidiens, qui met en relation la qualité du logement et une démographie « saine ». Or, l’eugénisme n’est pas vraiment angélique. Outre sa vocation typiquement nationaliste, sa formulation prend couramment un tour racial qui constitue un excellent terreau pour des développements racistes. Jusqu’en 1944, la littérature est semée de couplets sur « la race », sa « régénération », etc. Nombre d’auteurs entonnent ce chant du « renouveau », y compris dans la littérature scientifique et chez les hauts fonctionnaires. Certaines thèses citent « le Dr Alexis Carrel » avec gourmandise (MONDELLINI (Rino), sous la direction de SEBILLE (A.), L'Urbanisme et la guerre, IUP, Paris, 1941, p. 250 et 396). Sans aller jusque là, des travaux qui se font sous la direction d’Henri Sellier contiennent néanmoins une référence explicite à "l'avenir de la race" (DUBOIS (Louise), L'Habitation de "louage" service public, IUP, Paris, 1942, p. 93). En ce qui concerne les hauts fonctionnaires, on pourra citer André Prothin, dans la période où il officiait à la Direction de l'urbanisme de la DGEN. Prononçant le 19 mai 1942 une conférence sur ce "problème d'intérêt national" que sont les îlots insalubres, il lance dans une belle envolée : "Aujourd'hui que l'on veut reconstruire le pays sur de nouveaux principes, que l'on entend régénérer la race et lutter contre l'alcoolisme, il faut savoir « voir grand » et s'affranchir de préjugés traditionnels" (AN, versement 820691, art. C 4935).
 Incluant les activités industrielles proprement dites (secteur secondaire), mais aussi les implantations minières (secteur primaire) ou les chemins de fer (secteur tertiaire).
 INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, p. 61. Comme on le voit, la croissance du tertiaire non-marchand suit sensiblement celle de l’emploi salarié jusqu’en 1970. La courbe s’accélère ensuite : l’effectif est de 4,23 millions en 1988, soit 19,7% de l’emploi total et 23,2% de l’emploi salarié.
 Ce qui avait pour effet, hors l’institution militaire, de renvoyer la plupart des salariés au marché, à l’instar de ce que pratiquait le patronat urbain.
 Voir l’enquête du ministère du Travail de 1929-1930, substantiellement citée in : OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, partie III, chapitre III, "Logement des ouvriers par leurs employeurs", p. 112-136; cf également FREY (Jean-Pierre), Le Rôle social du patronat.
 Déjà cité dans la première partie : Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 73-74. Voir aussi Isaac : "[…] les réajustements de salaires opérés depuis 1918 ont été plus faibles qu'ils n'eussent dû l'être si le prix des loyers avait suivi le coût de la vie." (Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 194).
 INSEE, Tableaux de l'économie française, édition de 1970, p. 118.
 Voir par exemple Isaac, qui associe familles nombreuses et jeunes ménages dans le paragraphe qu'il consacre aux "problèmes sociaux" (ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 36) ou, à la limite de la période, OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 161
 Voir par exemple : le rapport Deveaud de mars 1947 pour la référence au développement industriel (AN, versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement, p. 2); l'exposé des motifs dû au député Henri-Louis Grimaud qui introduit la proposition de loi sur les loyers du 11 juillet 1947, où on peut lire notamment : "[…] l'intérêt général des locataires veut que ceux qui seront locataires dans quelque dix ans aient à leur disposition des logements; les mesures qui doivent être prises en faveur de l'intérêt général exigent que les immeubles existants soient entretenus et que d'autres maisons soient édifiées" (AN, versement 840230, art. C 6506); le rapport RUEFF-ARMAND de 1960, où on déplore que l'affaissement des loyers profite aux locataires anciens plutôt qu'aux jeunes ménages avant d'en évoquer les implications négatives en matière d'aménagement du territoire (AN, Versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 116-117); le rapport de Guy Houist de 1965 au Conseil Économique sur "les moyens d'une politique de l'habitat", où l'analyse de la "crise du logement" débute par deux paragraphes successivement consacrés aux jeunes ménages et aux familles nombreuses (AN, versement 770818, art. CAB 948 : version dactylographiée du rapport de Guy HOUIST au Conseil Économique, Les moyens d'une politique de l'habitat, 1965).
 Voir par exemple, pour ce qui touche au développement et à l'aménagement du territoire : GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, et, pour le problème des jeunes ménages : GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 208-215; MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965, p. 16-19; HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 285-288.
 Il faudrait revenir sur ce point dans un volume consacré à l'urbanisme et aux interventions foncières.
 AN, versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947).
 AN, versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960: tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 117.
 AN, versement 770818, art. CAB 57 : activités et rapports du Conseil supérieur de la construction, 1960-1963.
 RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960.
Le rapport Rueff-Armand constitue un document clé en raison de sa date de préparation (début de la Cinquième République, préfiguration de l'intégration européenne), de l'objet et de l'étendue des matières traitées, de la commande (le Premier ministre) et enfin des personnalités associées (outre les représentants des divers ministères, Pierre Massé, Alfred Sauvy, etc.). Les éléments qu'on mobilise ici sont extraits du tome II, qui regroupe les "exposés introductifs", plus développés, mais la charpente argumentaire est reprise dans le rapport principal (tome I), précisément au paragraphe 2.12, Le régime des loyers dans ses rapports avec le problème du logement (p. 58-59), qui est incorporé au chapitre 2, Éliminer les atteintes à la véracité des coûts et des prix (p. 54-64).
On retrouve un exemplaire complet du rapport dans les archives léguées par le cabinet du ministre de la Construction : AN, versement 770815, art. CAB 28.
 AN, versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 117.
 On trouvera en annexe une copie des organigrammes successifs de 1945, 1947, 1953, 1959, 1961, 1964 et 1969.
 Ce service est déjà en place dans l'organigramme de 1947 (ministère de Charles Tillon), au même rang mais sous la dénomination plus limitée de "Service juridique". Il voisine alors avec une "Direction générale de l'urbanisme, etc." qui est encore dans son état initial. Les documents disponibles auprès de la Mission de la documentation et des archives du ministère de l'Équipement ne permettent apparemment pas de restituer l'organigramme du ministère au temps de Claudius-Petit, ce qui serait indispensable pour préciser la date à laquelle a eu lieu la modification de géométrie qui a fait passer de la "Direction générale de l'urbanisme, etc." à une "Direction de l'aménagement du territoire", encore puissante mais au champ sensiblement réduit.
 Il ne subsiste plus, sous la conduite de Léon Gayet, qu'une "Direction" dénuée de services rattachés et de branches secondaires, bref une figure comparable à la légendaire "armée mexicaine".
 Au cours des années 1970 et 1980, on retrouvera à plusieurs reprises ( à commencer par le ministère Guichard (1972-1974) ( une appellation dont l'acronyme commence par MATE… (ministère de l'Aménagement du Territoire, de l'Équipement, etc.). Mais on ne verra pas se reconstituer une grande "Direction de l'aménagement du territoire" ni, à fortiori, l'appareil multidimensionnel que dirigeait André Prothin dans les premiers temps du MRU.
L'amputation que subit le ministère de la Construction en 1962-1963 et, simultanément, l'adjonction aux titres du nouvel organisme d'une "action régionale" qui préfigure la décentralisation à la française suggèrent qu'on ne faisait guère confiance au ministère de la Construction pour naviguer hors des eaux du centralisme autoritaire, même sans s'en éloigner beaucoup. D'un autre côté, la dénomination de la nouvelle Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) ainsi que son statut dans l'organigramme gouvernemental ne sont pas sans évoquer une précédente Délégation générale à l'équipement national : la DGEN de Vichy. À croire qu'il s'agit là, pour reprendre un terme gaullien, du "destin de la France".
 Ministère des Finances, Dépenses de logements et revenus immobiliers, 1914-1954, document non publié et non daté, mais dont on peut situer la confection vers 1955-1957 ; cité in : GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 73, 88 et 91. Les tableaux extraits par Gondre correspondent aux pages 44 bis, 44 ter, 107 bis et 109 bis du document d'origine.
La datation probable de l'étude du ministère des Finances laisse entendre qu'elle a été produite à un moment où le gouvernement hésitait sur l'opportunité de poursuivre la politique de revalorisation de loyers initiée par la loi du 1er septembre 1948. Voir plus loin, dans ce même chapitre, le paragraphe consacré à l'évolution de la loi du 1er septembre 1948 entre 1949 et 1958.
 J.O. du 11 décembre 1948, p. 12090. On laissera momentanément sans commentaire la mention d'un abaissement attendu du prix de la construction, en se réservant d'y revenir plus loin, notamment dans le chapitre consacré aux normes et à la maîtrise des coûts.
 SELLIER (Henri), La Crise du logement et l'intervention publique en matière d'habitation populaire dans l'agglomération parisienne, 4 fascicules, OPHBM du Département de la Seine, Paris, 1921, p. 232.
 AN, versement 780321, art. CAB 1040.
 Dans les années 1960, la mise en place de la TVA viendra parfaire cette émancipation en reléguant au second plan l'ensembles des impôts directs, ce qui rendra définitivement caduque la proposition insistante d'Isaac ou d'Olchanski tendant à associer au relèvement des loyers une forte accentuation du prélèvement fiscal (ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 198 ; OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 180).
Le processus qui conduit à centrer les ressources de l'État sur l'impôt indirect est engagé de longue date. Se fondant le J.O. du 14 août 1947 (p. 8009), une circulaire interne de l'Union de la propriété bâtie de France fait remarquer que "la taxe sur les transactions de 1%" doit rapporter 52 milliards en 1947, alors que le montant global des loyers d'habitation est évalué à 15 ou 20 milliards. L'union des propriétaires suggère alors qu'on double le montant de la "taxe sur les transactions" et qu'on mobilise une partie de son produit pour aider les locataires à supporter les hausses qu'elle juge indispensables (AN, versement 840230, art. C 6506).
 Cette mesure, qui concerne aussi la construction locative, est instituée par la loi du 1er septembre 1948 (article 92). Son bénéfice est limité aux donations (notamment entre conjoints) et aux successions en ligne directe. Elle sera rapportée dans les années 1970.
 Au moins une complicité de fait, qui transparaît à travers les obstacles opposés par les Finances et les institutions financières parapubliques au développement de l'entreprise publique de logement.
 AN, versement 840230, art. C 6564. Instituée en 1960, la Commission technique pour l'étude des méthodes d'évaluation de la valeur locative cadastrale produit apparemment le plus gros de ses observations vers 1964-1966. Outre la révision générale des valeurs cadastrales, pour laquelle elle bénéficie d'études de la Direction générale des impôts sur le niveau des loyers, elle s'intéresse notamment au reclassement des HLM et des LOGECO dans le cadre des catégories de la loi du 1er septembre 1948.
 Voir par exemple: PISANI (Edgard), préface de ROCARD (Michel), Utopie foncière, Gallimard, Paris, 1977, p. 144-154.
 AN, versement 840230, art. C 6566. Par "propriété familiale", il faut évidemment entendre la propriété d'occupation. Intervenant durant ces journées, Guy Houist se demande si celle-ci n'est pas "condamnée par la fiscalité", une interrogation pleine d'avenir…
 Lorsqu'en 1962 on prévoit d'accélérer les hausses dans la partie la plus confortable du parc locatif ancien, on note immédiatement que "le montant actuel des loyers des immeubles anciens représente environ 2 milliards de NF par an, dont la moitié est afférente aux immeubles des catégories supérieures", et on en conclut qu'on "peut estimer à environ 200 millions de NF par an le rendement fiscal des mesures envisagées". (AN, versement 840230, art. C 6580).
 La vision qu'on a développée est celle d'une administration des Finances conservatrice. La remise en selle progressive du capital immobilier autorise néanmoins des audaces dont la gauche se fait porteuse à la fin de notre période de référence, c'est-à-dire quand elle élabore des positions de gouvernement. C'est ainsi qu'Houdeville place "en premier lieu" des mesures fiscales qu'il imagine un "impôt sur le capital [immobilier]" (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 382). Huit ans plus tard, l'ancien ministre Pisani, passé à gauche, fait de l'impôt foncier "réel" et "général" l'axe d'une future réforme foncière et de la fiscalité territoriale (PISANI (Edgard), préface de ROCARD (Michel), Utopie foncière, Gallimard, Paris, 1977, p. 144-154). Dans une veine plus directement sociale, Gilbert Mathieu recommandait quant à lui des "taxes spécifiques sur les résidences secondaires et les appartements de grand confort, signe de solidarité particulière des mieux logés envers les victimes de la crise du logement" (MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965, p. 101).
Ces diverses propositions ne sont pas restées sans suite. Après 1981, l'idée de l'impôt sur le capital a pris corps sous la forme de l'impôt sur "les grandes fortunes", puis "de solidarité sur la fortune", un avatar quelque peu émasculé d'un item du Programme commun de la gauche de 1972 qu'Edgard Pisani dénonçait vivement dans les pages précitées. Quant à la suggestion de Gilbert Mathieu, elle se retrouve d'une certaine manière dans le projet du gouvernement actuel consistant à lier le montant des taxes d'habitation au revenu des habitants, qui vise autant les résidences principales que secondaires.
 ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 196-198.
 En témoigne par exemple un article paru le 7 janvier 1998 dans Libération à propos de l'histoire d'un immeuble parisien. On pouvait y lire que cet immeuble "soumis à la loi de 1948 bloquant les loyers […] a accueilli des vagues d'immigration successives qui y trouvaient un toit bon marché". Erreur scientifique et tranche de réalité sociale sont ici inextricablement mêlés en une phrase.
De son côté, l'INSEE écrivait sans barguigner? Trente ans plus tôt : "La loi du 1er septembre 1948 avait pour but au moment de sa mise en application de protéger les locataires, dans une situation de crise du logement, contre les hausses excessives de loyer et contre les expulsions qui n'auraient pour but qu'une augmentation des loyers à la faveur du changement de locataire [;;;]" ("Le niveau des loyers en 1967 et leur évolution depuis 1963", Études et Conjoncture, n°9, septembre 1968, p. 192).
 Témoignage entendu par l'auteur de la part de militants SFIO de l'époque dont l'attitude était manifestement en décalage par rapport aux représentants parlementaires de leur parti.
 Parti Communiste, Le logement : des précisions… des solutions, cité in : HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 175.
 MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965. On trouvera toutefois, p. 16, une mention critique de la législation qui "maintient libres" les loyers des logements postérieurs à 1948, autorisant ainsi les propriétaires à "rançonner les locataires". Cela indique implicitement que l'optique de Gilbert Mathieu consiste à prôner un contrôle de l'ensemble des loyers, qui seraient établis selon des procédures inspirées du dispositif de la surface corrigée. Il n'est pas seul à militer dans ce sens : on retrouve le thème dans une intervention de Guy Houist au congrès de l'Union Nationale de la Propriété Immobilière en 1965 (AN, versement 840230, art. C 6566), ou, un peu plus tard, sous la plume d'Houdeville, qui se réfère d'ailleurs, sur ce point, à un article de Gilbert Mathieu daté de 1966 (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 237-238).
 GUINCHAT (Pierre), CHAULET (Marie-Paule), GAILLARDOT (Lisette), Il était une fois l'habitat, Éditions du Moniteur, Paris, 1981.
 BUTLER (Rémy), NOISETTE (Patrice), Le Logement social en France, 1815-1981, Éditions de la Découverte, Paris, 1983. Butler et Noisette consacrent pourtant un paragraphe à la période 1945-1954 (p. 66-69). On y saute directement des sinistres de la guerre au plan Courant de 1953 et à l'appel de l'abbé Pierre de 1954. Manifestement, les seuls faits de la période qui méritent d'être notés aux yeux de ces auteurs sont ceux qui donnent lieu à des affaires de construction, c'est-à-dire les points où l'intérêt des habitants s'articulent à ceux des concepteurs et du bâtiment.
 VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54: une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995. Pour être exact, il faudrait dire ici « presque rien », car on trouve, p. 136, en tout petits caractères, une notule de huit lignes consacrée à la loi du 1er septembre 1948.
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 233-238. La loi de 1948 ayant été votée à l’initiative du MRP, faut-il voir dans cette attitude une trace des attaches catholiques de la mouvance CFDT ou encore, la SFIO s’étant associée au vote de la loi, une trace des attaches socialistes de la même CFDT ?
 Dans le passage qu'il consacre à l'entre-deux-guerres (p. 77-93), Houdeville néglige complètement la loi de mars 1918 sur les loyers et les mesures qui y font suite, pour s'en tenir aux seules dispositions concernant directement la construction, notamment la loi Loucheur et les actes régissant les HBM. Cette omission est d'autant plus étonnante qu'il revient plus loin, au chapitre "loyer", sur le contexte de 1914-1918 et qu'il insiste alors sur la montée d'une "nouvelle classe dirigeante" qui serait "désormais" en mesure de "sacrifier les « capitalistes de papa » pour le plus grand profit de l'industrie, du commerce et de la finance" (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 231).
 En cohérence avec cette appréciation favorable, L. Houdeville acquiesce à la hausse des taux d'effort. Du moins jusqu'à un certain point : il s'oppose avec raison à des suggestions du promoteur Jean-Claude Aaron, qui juge possibles des taux d'effort de 40% pour des ménages modestes en accession (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 377 et 388).
 HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 234.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 44 et 54. On reviendra plus loin sur le sens qu'il faut donner à l'expression "climatisation de SMIG". Si on peut ranger Gondre du côté des propriétaires, on doit souligner qu’il avait sans doute aussi quelques accointances du côté des Finances, comme le laisse entendre la possibilité qu’il a eue de citer substantiellement une étude non publiée provenant de ce ministère et concernant la rentabilité des immeubles locatifs de 1914 à 1954.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 339 et 138.
 Où figuraient trois communistes, trois MRP (dont Pierre Garet et Henri-Louis Grimaud), un radical (Edgar Faure), un UDSR (Raymond Mondon), un Républicain indépendant (Pierre Courant) et un représentant du Parti républicain de la liberté. Voir : VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 332.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 334.
 Personnage attachant s'il en est que ce député MRP, et très attaché à la question du logement puisqu'il entamera plus tard une carrière post-parlementaire à la tête de l'Union nationale des propriétaires (UPBF, puis UNPI), qu'il présidera de 1963 à 1972. Les documents de cette organisation le présenteront alors comme "ancien président de la Commission des lois de l'Assemblée Nationale" (AN, versement 840230, art. C 6567; voir notamment les pièces du congrès de l'UNPI de 1969). Cette seconde, ou plutôt cette troisième carrière (puisque notre personnage était également avocat) paraît avoir débuté très vite : dès 1958-1959, Henri Grimaud est déjà présenté comme président de l'UPBF lorsqu'il préside le "sous-groupe des loyers, de l'allocation de logement et de l'entretien" dans le cadre du groupe de travail "politique du logement" animé par Alfred Sauvy (AN, versement 840230, art. C 6580).
 Annexe au Procès-verbal de la deuxième séance de l’Assemblée Nationale du 11 juillet 1947 (AN, versement 840230, art. C 6506).
 AN, versement 840230, art. C 6506. On peut situer au début de l’automne 1947 l’origine de ce document, non daté, mais soigneusement conservé au ministère.
 Si on rappelle que le texte a été substantiellement porté par le MRP, qu'on qualifie à l'occasion de "parti des curés", on comprendra que les débats sur ce point aient donné lieu à des questionnements salaces, les intérêts économiques prenant la figure de problème de conscience (voir : VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 337).
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 336-337.
 Versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 117. On notera combien ce taux de 6,5% est proche des rendements bruts usuels avant 1914.
 AN, versement 840230, art. C 6506 : "Détermination des prix de base au mètre carré". 
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 42. Le même taux de 4,25% est cité in : HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 234.
 Conseil Économique, Avis et rapports, 1957, p; 632-633. Ce texte de 1957 qui rétablit les faits est longuement cité dans une note du ministère de la Construction rédigée en avril 1966 dans le cadre de la préparation du Vème Plan et consacrée aux "loyers d'habitation tributaires de la loi du 1er septembre 1948" (AN, versement 840230, art. C 6524).
 Article 31, alinéa 1er, de la loi du 1er septembre 1948.
 Article 31, alinéa 3, de la loi du 1er septembre 1948.
 J.O. du 11 décembre 1948, p. 12090-12102.
 J.O. du 11 décembre 1948, p. 12090. Jean-Marie Gondre, qui ne paraît pas s'être reporté au texte d'origine, donne de cet exposé des motifs une « citation » qui n'en altère pas le sens mais qui est passablement inexacte. Il prétend en effet y avoir lu : "Les prix ont été étudiés en fonction de la rentabilité. Sans doute sont-ils insuffisants si l'on se réfère au coût normal de la construction. Mais ils correspondront à une rentabilité normale lorsque le coût de la construction, aujourd'hui très élevé, aura été sensiblement réduit grâce à une rationalisation des méthodes de construction." Même si Gondre conclut par un commentaire peu contestable ("En fait cet espoir s'est avéré utopique"), la « citation » n'en laisse pas moins le lecteur dubitatif. Il se peut qu'elle soit extraite d'une autre source, qu'on n'a pas réussi à identifier. (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 41).
 AN, versement 780321, art. CAB 1040. Il est vrai que cela se référait à un financement à 4% sur 40 ans. Mais, même dans les conditions de la loi du 3 septembre 1947 (prêt à 2% sur 65 ans), le calcul des Sociétés anonymes d’HBM aurait donné un loyer d'équilibre sensiblement égal à 5,3% du prix des réalisations. Le butoir qu'on envisage d'atteindre à un terme non précisé serait donc insuffisant pour assurer l'équilibre des opérations d'HBM. Il n'est pas utile alors d'insister sur ce qu'il en est d'opérations financées dans les conditions qui sont ouvertes aux opérateurs privés en 1947-1950, c'est-à-dire avant la mise en place du système des primes à la construction.
 AN, versement 840230, art. C 6506 : "Détermination des prix de base au mètre carré" ; cette note qui fait le point sur la question du prix de "l'étalon-logement est rédigée au moment où Claudius-Petit accède au ministère : il prend ses fonctions le 11 septembre 1948.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 61. Gondre emprunte ces données à l'ouvrage de Singer-Kerel (J.), Le coût de la vie à Paris, 1840-1954 (Armand Colin, Paris, 1961).
 INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, 1948-1988, Paris, 1990, et Tableaux de l'économie française, édition 1970. La valeur qui est donnée ici concerne le salaire annuel moyen des ouvriers dans l'ensemble de la France. Elle est évidemment inférieure aux salaires parisiens et, plus encore, aux revenus moyens des ménages ouvriers.
 Une des rares suggestions du Conseil de la République (Sénat) qui soit passée dans la loi a pris la forme de l'article 34 proposant pour les loyers qui restent sous contrôle un système dit du "loyer forfaitaire" qui se présente comme une alternative au système de la surface corrigée. Les contrats dont les titulaires optaient pour cette formule évoluaient par des hausses semestrielles égales à 1/3 du niveau effectif du loyer au 1er juillet 1948. L'applicabilité des hausses restait suspendue au respect du double butoir du "loyer-salaire" et du loyer-rentabilité" qu'on analyse dans les lignes qui suivent.
 J.O. du 14 juillet 1949, p. 6894-6895.
 AN, versement 840230, art. C 6506 : "Détermination des prix de base au mètre carré". 
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 38.
 Ce coefficient est initialement fixé à 1 par l'article 6 du décret du 10 décembre 1948. Mais il est porté à 1,5 par l'article 2 du décret rectificatif du 17 mars 1949 (J.O. du 20 mars 1949, p. 2952). Des fiches de calcul internes du ministère de la Construction établies vers 1965 montrent que le jeu des abattements de zone et du coefficient multiplicateur de 1,5 pouvait introduire une différence de 30% entre les bornes de "loyer-salaire" caractérisant des locaux de consistance équivalente. Cette dimension est indépendante des différenciations liées au "coefficient de situation" que prévoit par ailleurs le dispositif de 1948.
 Voir la circulaire précitée de la Chambre syndicale des propriétaires immobiliers de Paris, p.11 (AN, versement 840230, art. C 6506).
 Voir la note précitée du MRU en date du 13 septembre 1948 (AN, versement 840230, art. C 6506), qui donne cette précision avec un regret si manifeste qu'elle indique encore les valeurs correspondant à l'étalon de 36 m2 de surface corrigée qui était initialement prévu (soit 140 francs par mètre carré de surface corrigée pour un loyer annuel de 5 040 francs à Paris). L'idée est alors de répartir les logements en cinq catégories. L'éventail des prix de base qu'on envisage par mètre carré de surface corrigée varie "sensiblement du simple au double", une disposition adoptée, si on en croit les auteurs de la note, conformément à ce que "demandent avec insistance les propriétaires".
 Les seuls équipements exigés en III A sont l'eau courante et les W.-C. particuliers, ce qui, ajouté au gaz et à l'électricité, correspond au "confort réduit" que les propriétaires réclamaient comme étalon.
 Des défenseurs qui, on l'a vu, ne sont pas si nombreux et s'attachent à l'équilibre du texte de 1948. Dans la mesure où on a pris le parti de centrer l'attention sur la genèse des dispositions qui forment le cœur du débat, on n'a pas épuisé le commentaire sur la loi du 1er septembre 1948. Nombre d'aspects secondaires auraient mérité d'être évoqués, ne fût-ce que parce qu'ils marquent une étape dans une évolution de longue durée ou qu'ils inspirent encore, cinquante ans après, les pratiques locatives. C'est le cas, par exemple, pour l'effort de clarification des charges locatives (article 38), pour le paiement mensuel du loyer, qui s'impose désormais sauf convention contraire explicitement voulue par les deux parties (article 74), pour la limitation des cautionnements à deux mois de loyer (article 75), etc.
 Dans la suite du texte, on a indifféremment employé le terme de « catégorie » pour désigner les classes principales (I, II, III, et IV) ou les subdivisions plus fines, suivant en cela les approximations du législateur comme de l'usage.
 "Exceptionnelle" est le terme qui convient, puisque cette huitième catégorie est littéralement réservée aux meilleurs immeubles de l'avenue Foch et à quelques adresses parisiennes de prestige qui bénéficient de prestations "somptuaires".
 La description des catégories qui suit est inspirée d'un tableau préparé au ministère de la Construction vers 1966, à l'occasion du projet de réforme des valeurs cadastrales, et donc à un moment où les critères descriptifs s'étaient beaucoup affinés. Sauf mention contraire, les expressions citées sont extraites de ce tableau (AN, versement 840230, art. C 6564). On a toutefois pris le soin de vérifier que les orientations de ce document tardif sont effectivement conformes aux indications plus lapidaires du texte d'origine (décret du 10 décembre 1948, J.O. du 11 décembre 1948, p. 12091-12092).
 Décret du 10 décembre 1948, annexe I, 2°) "locaux situés en province" (J.O. du 11 décembre 1948, p.12092).
 Ces qualifications peu engageantes sont extraites de l'annexe I du décret du 10 décembre 1948 (J.O. du 11 décembre 1948, p.12092).
 Selon les termes du décret du 10 décembre 1948 (J.O. du 11 décembre 1948, p.12091).
 Voir par exemple les désignations des immeubles dans les résultats des recensements ou des enquêtes logement.
 Comment désigner autrement un immeuble qui oscille dangereusement entre le péril et l'insalubrité? Le décret du 1er octobre 1960 décrit en effet dans les termes qui suivent les immeubles correspondant au coefficient d'entretien le plus bas : "gros œuvre délabré, marches d'escalier et rampes branlantes, cloisons voilées", "défaut d'étanchéité généralisé" (pour la toiture), "façades délabrées, enduits menaçant ruine" (pour les revêtements), "étanchéité à la pluie pratiquement nulle" (pour les menuiseries extérieures), etc. La ruine qui est ainsi dépeinte se voit encore affectée d'un coefficient égal à 0,30 dans une échelle dont le maximum est de 1,00 pour des immeubles collectifs sans ascenseur en parfait état.
 Voir la note précitée du 13 septembre 1948 : AN, versement 840230, art. C 6506 : "Détermination des prix de base au mètre carré".
 J.O. du 11 décembre 1948, p. 12091-12092.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 336.
 J.O. du 10 août 1953, p. 7038-7040.
 Voir l'article R 442-1 du code de la construction : "le loyer applicable aux logements construits en application de la législation sur les habitations à loyer modéré est calculé conformément aux dispositions des articles 28, 29, 32, 32 bis et 36 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 modifiée" (Code de la construction et de l'habitation, édition 1978). L’article 28 est précisément celui qui fait reposer la fixation des loyers sur le calcul de la surface corrigée. Il peut être utile de rappeler qu'au recensement de 1990, les locations du secteur HLM représentaient plus de 3 millions de logements, soit près de 37% du parc locatif.
 Le mode d'insertion des équipements dans la procédure et le niveau même du calcul auquel ils interviennent rappellent clairement le caractère facultatif de ces éléments dans le parc existant, autorisant de fait à admettre comme « logement » n'importe quel "local", comme disent si bien les textes officiels.
 J.O. du 23 novembre 1948, p. 11367-11371.
 Lorsque Christian Moley discute savamment l'histoire des hauteurs sous plafond, il souligne qu'à partir de 1969 le règlement de la construction autorise "en théorie" une hauteur de 2,36 mètres; il s'interroge sur la persistance de la dimension "fétiche" de 2,5 m., qu'en raison de la "lente instauration cumulative de cette norme" il impute à "l'habitude prise et bien ancrée surtout dans l'appareillage technique de la production, et souvent encore supposé réglementaire par les architectes." (MOLEY (Christian), L'Architecture du logement. Histoire et culture d'une norme héritée, Economica, Paris, 1998, p. 288). Dans la mesure où Christian Moley cantonne son regard aux règlements de construction et à la sphère du concepteur, négligeant complètement les conditions juridiques de l'usage, il se met dans une position d'où il ne peut pas apercevoir que la « norme » des 2,5 m. résulte des règles de location des HLM. Tel est le fruit, un peu blet, de la division du travail entre ceux qui « conçoivent » et ceux qui « gèrent », et des idéologies corporatives auxquelles elle donne naissance. Il s'y ajoute qu'on est ici en présence d'une idéologie corporative de concepteurs spécialisés dans la construction sociale, car les promoteurs qui oeuvrent pour le secteur libre ne se privent pas, eux, de commettre des hauteurs de 2,4 m. sous plafond.
 Une qualification qui, par opposition, conduira souvent à désigner les pièces d'habitation comme les "pièces principales". Dans les "pièces secondaires", le chauffage ou le conduit de fumée ne sont pas indispensables.
 Voir la circulaire précitée de la Chambre syndicale des propriétaires immobiliers de Paris, p.11 (AN, versement 840230, art. C 6506).
 J.O. du 20 mars 1949, p. 2951-2959: décret du 17 mars 1949 modifiant le décret du 22 nov. 1948 sur le calcul de la surface corrigée.
 … si le placard est livré en état fini à l'occupant. on sait la solution qui sera adoptée par de nombreux constructeurs : de simples emplacements réservés dont l'aménagement reste à faire. Telle était, en fait, l'idée implicite des décrets de 1948-1949 : le locataire devait être en mesure de ranger ses biens dans ses meubles, par exemple les armoires familiales de tradition « normande », « comtoise », etc. dont on devine qu’elles doivent aisément trouver place, si ce n’est dans les pièces de 7 m2, en tout cas dans celles de 9 m2.
 Le locataire, peut-être? Voilà qui promet dans l'ancien une masse de bricolages qui, particulièrement en matière de gaz et d'électricité, sont de nature à alimenter la rubrique des faits divers.
 Cette conception tuyautière de la gestion des déchets constitue véritablement une marque d'époque, notamment dans le logement social. Rétrospectivement, la persévérance qu'on observe en 1964 trouvera plus de contempteurs que de laudateurs : nid d'insectes et source d'agressions sonores, le vide-ordure n'a pas bonne presse. Quant à l'évier-vidoir, abandonné depuis longtemps, il ne trouverait certainement pas grâce aux yeux de ceux qui se préoccupent d'économiser l'eau potable.
 CORDONNIER (…) Rapport à l'Assemblée Nationale n° 10 393 sur le projet de loi sur les loyers adaptée à l’Algérie. 1950, p.12 (AN, versement 840230, art. C 6519). Ce rapport introduit le projet de loi déposé le 20 janvier 1950 au nom du gouvernement par les ministres Jules Moch (Intérieur), René Mayer (Justice) et Eugène Claudius-Petit (MRU). La loi sur les loyers en Algérie est promulguée le 30 décembre 1950.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 339.
 Selon l'expression de Jules Moch (AN, versement 830240, art. C 6520).
 Tel est le revers de la bonne fortune coloniale des tuiliers et briquetiers de la région marseillaise.
 CORDONNIER (…) Rapport à l'Assemblée Nationale n° 10 393 sur le projet de loi sur les loyers adaptée à l’Algérie. 1950, p.14 (AN, versement 840230, art. C 6519). Ce rapport introduit le projet de loi déposé le 20 janvier 1950 au nom du gouvernement par les ministres Jules Moch (Intérieur), René Mayer (Justice) et Eugène Claudius-Petit (MRU). La loi sur les loyers en Algérie est promulguée le 30 décembre 1950.
 Une réalité typiquement rurale, constatable sur le moment, mais qui ne manquera pas de se modifier à l'occasion de la grande migration vers les villes, même si celle-ci se fait dans le cadre et avec l'appui de la famille élargie.
 AN, versement 840230, art. C 6520.
 AN, versement 840230, art. C 6521 et C 6574.
 On reviendra un peu plus loin sur ce décret du 9 août 1953. Même s'ils sont d'une portée nettement moins stratégique, d'autres textes mériteraient d'être mentionnés, tant ils expriment l'atmosphère d'une époque. C'est le cas, notamment, pour le décret du 30 septembre 1953, qui autorise la pose "d’antennes réceptrices de radiodiffusion" à l’initiative des locataires et qui se trouve à l'articulation de trois aspects significatifs : la montée de la "radiodiffusion", l'existence de nombre d'immeubles entièrement locatifs dans le secteur privé alors dominant, et la substitution de l'initiative des locataires à celle des propriétaires.
 AN, versement 830240, art. C 6506, Assemblée Nationale, 1955, Rapport n° 11 976, p. 6.
 MRP, ministre de la Santé en 1948.
 L'article 71, alinéa 2, autorisait des dépassements de loyer quand le coût de reconstruction dépassait notablement la valeur des indemnités perçues au titre des dommages de guerre, ce qui représentait, en fait, un cas assez général.
 Dans une vie antérieure, à la fin des années 1930, le député Ramarony a été président de l'Union de la propriété bâtie de France (voir Louise Dubois, qui cite le 36ème Congrès national de la propriété bâtie tenu en juin 1937 : DUBOIS (Louise), L'Habitation de "louage" service public, IUP, Paris, 1942, p. 18). Il rapporte encore à ce titre sur "l'organisation de la propriété bâtie" au COBTP en 1945 (voir Statistique générale de la France, Études et documents, "Le problème du logement, VI, Organisation de la propriété bâtie", février 1945).
 Pierre Garet fera un bref passage au ministère de la Construction au second semestre 1957.
 Vingt-deux ans plus tard ces dispositions constituent les articles L 613-1, L 613-2 et L 613-3 du Code de la construction et de l'habitation (Code de la construction et de l'habitation, Journaux officiels, Paris, édition de 1978).
 J.O. du 10 août 1953, p. 7038-7040. Bien que ce décret ait été pris « au vu » de la loi du 11 juillet 1953 "portant redressement économique et financier", la légalité des dispositions qu'il contient n'a pas dû manquer de paraître discutable : il est tout de même extraordinaire de voir un décret prévoir l'extinction de la loi du 1er septembre 1948. Selon l'exposé des motifs, le texte est inspiré de mesures préconisées par "le commissariat au plan à la suite d'études approfondies poursuivies par sa commission de la construction". Il comprend deux volets : d'une part, les articles 1 à 12, qui concernent des adaptations de la loi du 1er septembre 1948 ; d'autre part, les articles 13 à 20, déjà évoqués plus haut, qui organisent l'application du dispositif de 1948 aux logements "construits en application de la législation sur les habitations à loyer modéré", "antérieurement" (article 13) ou "postérieurement" (article 14) au 3 septembre 1947, la différence tenant au fait que, comme dans le secteur privé, les loyers des logements "postérieurs" ne sont assujettis à aucune borne de "loyer-salaire" ou de "loyer-rentabilité". Voulu notamment dans l'intention "d'assurer l'équilibre financier des opérations [nouvelles]", un tel parallélisme augure de loyers consistants dans les HLM neuves et constitue en soi un motif de satisfaction pour les « concurrents » que sont les propriétaires privés.
 Cette disposition revenait à supprimer le butoir du "loyer-salaire" pour les locations nouvelles.
 Décret du 9 août 1953, article 5; J.O. du 10 août 1953, p. 7039. Cela signifie, comme le dit Gondre, que ces nouveaux locataires n’auraient plus "aucune protection légale à faire valoir à l’encontre de la libre fixation du loyer par le propriétaire" (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 45).
 J.O. du 27 juin 1957 p. 6371-6373.
 AN, versement 840230, art. C 6513.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 46.
 Voir aussi, sur ce point, le rapport Rueff-Armand : "Malheureusement l’application [de la loi du 1er septembre 1948] fut sérieusement faussée par le blocage artificiel du salaire de référence." (AN, versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 117).
 Au maximum, selon l'article 31 de la loi du 1er septembre 1948, qui est encore an vigueur en 1956, mais paraît déjà perdu de vue au Quai de Passy.
 Les formulations de la note émanant du Service juridique et financier sont ici reproduites littéralement (AN, versement 840230, art. C 6513). Pour désigner ce qu'on appelle aujourd'hui la taxe foncière, la périphrase sur les "centimes additionnels à la contribution foncière" est administrativement correcte dans le contexte de l'époque. Mais il y aurait lieu de gloser sur la "contribution foncière" elle-même, cet impôt "principal" dû à l'État qui a été aboli par la réforme fiscale de 1917 et qui est depuis lors devenu "fictif"…
 On ne dirait sans doute pas la même chose si on se plaçait du point de vue des nationalistes algériens.
 J.O. du 28 décembre 1958, p. 11936-11937.
 J.O. du 4 octobre 1960, p. 9007 à 9012.
 J.O. du 7 août 1962, p. 7811-7813.
 J.O. du 7 décembre 1962, p. 12007-12008.
 J.O. du 16 novembre 1962, p. 11164.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 49.
 Les locations nouvelles de cette catégorie "exceptionnelle" sont immédiatement libérées.
 On peut suivre ce qu'il advient de cette « ouverture » à travers les « décrets de juin » qui viennent régulièrement modifier la géographie des régimes locatifs. En 1959 et 1960, les décrets qui portent "dérogation" à l'article 3 bis (et maintiennent des communes de moins de 10 000 habitants dans le champ d'application de la loi de 1948) s'équilibrent en nombre avec ceux qui portent "extension" (et libèrent les locations nouvelles dans l'ancien). Mais les crûs de 1961 et de 1962 sont nettement marqués par les "extensions".
 J.O. du 11 septembre 1959, p. 8906. Curieusement, Gondre, qui s’emploie à déplorer la lenteur du retour la liberté de marché, ne dit rien de ce texte qui modifie l’article 34 bis de la loi du 1er septembre 1948 (GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963). En revanche, le rapport Rueff-Armand, de même inspiration mais bien informé, y fait une allusion précise dans une note (Versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 118).
 J.O. du 4 octobre 1960, p. 9007 à 9012. La pédagogie procédant de la répétition, la notice technique sur les nouveaux coefficients d'entretien est rééditée en annexe du décret du 3 juin 1961 qui en précise les conditions de notification (J.O. du 6 juin 1961, p. 5143-5146).
 J.O. du 4 octobre 1960, p. 9012. Face à une cause manifestement perçue comme délicate, le texte du décret multiplie les précautions qui atténuent les effets du bouleversement des coefficients d'entretien. D'une part, l'accroissement de loyer lié au nouveau coefficient d'entretien n'est applicable que dans les cas où la "valeur locative" (le "loyer-rentabilité" de 1948) n'est toujours pas atteinte. D'autre part, cette revalorisation qui s’ajoute aux hausses semestrielles devra être appliquée par fractions au plus égales à la valeur des hausses générales.
 J.O. du 7 août 1962, p. 7811-7813.
 À l’exception des logements de la Reconstruction.
 C’est-à-dire les 94 premiers articles de la loi de 1948 : en fait, tout l’édifice.
 Versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960. L'ensemble des citations qui suivent sont extraites du tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 115-120.
 Sur ce point, l'argumentation consiste à faire valoir que les bas loyers de l'ancien rendent les ménages réticents vis-à-vis de la construction neuve, ce qui contraint l'État à se substituer à l'initiative privée et à consentir aux HLM des aides d'autant plus considérables qu'il faut aboutir, là aussi, à des loyers particulièrement modiques.
 Étant entendu toutefois qu'un statut à part subsistera pour les "logements dits sociaux".
 Une revalorisation de 150% dont on demande l'application effective avant 1964, alors que la hausse globale enclenchée à partir du 1er janvier 1959 se limite à 50%, et qu'il est prévu de l'étaler sur 1959-1964, et même 1959-1967 pour les logements populaires.
 Source, ainsi que pour l’entretien du 14 novembre : AN, versement 770815, art. CAB 28.
 Le ministre évoque une moyenne générale qui est "encore de 4%", un chiffre qui ne serait pas hors de proportion vers 1957-1958 : voir, en début de chapitre, le paragraphe consacré aux données quantitatives.
Quant à la mention qui suit, concernant le logement "trop traité comme un problème de charité", elle fait écho, dans le registre religieux, à la petite phrase qu'avait lâchée Claudius-Petit en octobre 1948 devant les "architectes d'encadrement", et qu'on a déjà citée plus haut : "il faut que les Français cessent de croire que le logement est un droit divin dont l'exercice est gratuit" (AN, versement 771134, art. C 3500).
 Les colonnes 1955 et 1963, complétées par une "hypothèse plausible" assez erronée pour 1965, sont reproduites dans un document établi par le ministère de la Construction à l’intention de la Table ronde sur les loyers de 1965-1966 (AN, versement 840 230, art. C 6524).
 Expression empruntée au rapport Rueff-Armand et reprise par Gondre. Saisi par les réalités qu'on détaille dans les lignes qui suivent, Gilbert Mathieu titrait une de ses analyses : "L'anarchie des loyers" (Le Monde, 5 au 7 mai 1966; cité in: HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 238). Gilbert Mathieu retrouvait ainsi l'expression qu'employait en 1950 le député Cordonnier dans son rapport déjà cité concernant l'application de la loi de 1948 à l'Algérie (AN, versement 840230, art. C 6519).
 AN, versement 840230, art. C 6524. Ce document donne par exemple un loyer mensuel de 105 francs, soit 1260 francs par an pour un logement III A de 60 m2 en région parisienne. Un peu plus tard, mais pour un logement "moyen" qui est plus petit, l'enquête logement de 1967 donne un loyer annuel de 1177 francs pour l'ensemble des logements soumis à la surface corrigée.
 Encore faut-il préciser que les catégories retenues ici pour les HLM et les LOGECO paraissent optimistes. Un document de la fin de 1965 portant classement des HLM et des LOGECO situe ces logements en II C ou en III A, la catégorie III A échéant aux LOGECO de normes réduites et aux HLM "A". Quant aux LEPN, sur lesquels on reviendra dans le chapitre "normes et maîtrise des coûts", ils sont classés en III B, ce qui est plutôt charitable.
 Société Centrale Immobilière de la Caisse des Dépôts.
 Cette citation et celles qui suivent sont extraites d'un rapport sur la "remise en ordre des loyers de la SCIC", sans date, mais qu’on peut situer de façon certaine en 1965. Pour cette pièce et pour l’ensemble de l’affaire de la SCIC, voir : AN, versement 840230, art. C 6524.
 Une note de la SCIC datée du 20 septembre 1965 explique que l'option en faveur des loyers les plus bas possible a été tout-à-fait volontaire, et encore accentuée par un cadeau financier de la Caisse des Dépôts qui a joué pour la SCIC le même rôle que l'aide de l'État pour les HLM :
"Pour contribuer à la solution de la crise du logement, la Caisse des Dépôts a entrepris, il y a dix ans, de construire, sous le régime des primes et prêts du Crédit Foncier, des appartements à louer, en faisant en sorte que les loyers soient plus bas que ceux résultant normalement de l’application de ce régime, qu’ils se rapprochent de ceux des HLM lesquels bénéficient d’une aide spéciale de l’État. Pour obtenir ce résultat, elle a dû remplacer cette aide spéciale par un important apport de fonds en capital qui ne sont pas rémunérés." (AN, versement 840230, art. C 6524).
 AN, versement 840230, art. C6524 et 6525. Le fait que la "table ronde" de 1969-1970 se saisisse également des copropriétés souligne, en creux, que dans une situation où la rentabilité persiste à être faible la vente par appartements constitue une réaction fréquente des propriétaires bailleurs.
L'usage de réunir dans des forums de discussion les parties intéressées se prolongera sous la forme de "comités nationaux" ou de "commissions techniques", notamment la "commission technique nationale" qui étudiera de nouveaux textes sur les charges locatives en 1972 (AN, versement 840230, art. C 6525).
 AN, versement 840230, art. C 6524. On compte seulement trois femmes, et elles viennent toutes trois de l'administration.
 On note en revanche que les associations de locataires sont effectivement présentes à la "table ronde sur la modernisation de l'habitat ancien", au moins en 1970.
 AN, versement 840230, art. C 6524 : note d'avril 1966 ; art. C 6527 : note de 1970 ; art. C 6517 : note du 12 juillet 1972, où on se satisferait plus modestement de parvenir à une "relative unité du marché".
 AN, versement 770815, art. CAB 25.
 AN, versement 770818, art. CAB 57.
 AN, versement 840230, art. C 6576.
 Une mesure identique pour la catégorie II A sera encore en balance à la veille de l'élection présidentielle de 1981.
 Loi du 23 décembre 1964, article 5 ; J.O. du 24 décembre 1964, p. 11505-11508.
 Des précisions concernant les sanitaires sont apportées par le décret 64-1355 du 30 décembre 1964. Le logement doit comporter des W.-C. intérieurs avec chasse d’eau, et au moins un cabinet de toilette doté d'un lavabo avec eau chaude et froide.
 Décret du 26 juin 1965 ; J.O. du 27 juin 1965, p. 5363.
 Décret du 30 juin 1967 ; J.O. du 2 juillet 1967, p. 6633.
 Loi du 3 janvier 1969 ; J.O. du 4 janvier 1969, p. 131. Dans une direction différente, mais discutée depuis longtemps, l'article 6 de la loi du 9 juillet 1970 (J.O. du 10 juillet 1970, p. 6484) renforce le droit de reprise en réservant limitativement le bénéfice du maintien dans les lieux, en cas de décès de l'occupant, aux "conjoint, ascendants, descendants ou personnes à charge, excluant ainsi les concubins, les collatéraux ou les parents plus éloignés qui ne seraient pas "à charge".
 Une attitude répétitive puisque, avant même la loi du 2 août 1954, l'ordonnance du 11 octobre 1945 "instituant des mesures exceptionnelles et temporaires" avait consacré le principe de la division des logements : voir plus loin, au paragraphe concernant l'amélioration de l'existant, les genres d'opération soutenus dès cette époque par le FNAH.
 Études et Conjoncture, n°9, septembre 1968, p. 20.
 J.O. du 27 juin 1965, p. 5363.
 J.O. du 12 juillet 1966, p. 5956 ; un revenu annuel de 15 000 francs représente environ 1,1 fois le salaire ouvrier moyen.
 Selon les termes du communiqué de presse du Secrétariat d’Etat au logement daté du 6 juillet 1970 (AN, versement 840230, art. C 6567).
 AN, versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960 ; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 116.
 S’agissant, pour l’essentiel, d’une variante du logement social dont les caractéristiques permettent d’espérer un abaissement des prix de construction, on reviendra sur cette solution dans la partie consacrée aux normes et à maîtrise des coûts.
 Le rapport Rueff-Armand (1960) estimait que les loyers de logements équivalents variaient de 1 à 4 selon le régime de location. Le rapport général sur le Vème Plan (1965) chiffrait encore l'écart "du simple au triple" (AN, versement 840230, art. C 6524).
 Allusion, notamment, au décret et à l’arrêté du 26 juin 1965 concernant les loyers des HBM construites avant 1947 (J.O. du 27 juin 1965, p. 5362-5363).
 Citations extraites de l’annexe au rapport général sur le Vème plan concernant l’habitation, titre III : "mesures à prendre". (Ce document est annexé à un rapport sur le financement de la restauration de l’habitat ancien; voir : AN, versement 840230, art. C 6524).
 Ce dogme est notamment soutenu par le Parti communiste : "dans les immeubles édifiés avec l'aide de l'État, des collectivités et de la participation des employeurs à l'effort de construction (le 1%), le prix sera établi en fonction du prix de revient amortissable sur 45 ans" (Parti communiste : Le logement : des précisions… des solutions, mars 1962 ; cité in : HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 175).
On doit souligner par ailleurs que le tournant impulsé par l'État dans les années 1960 ne suffira pas à entraîner la constitution de fonds de réserve suffisants pour faire face à l'avenir. Quand viendra le temps des travaux lourds d'entretien ou d'adaptation, la situation des organismes d'HLM ne pourra être débloquée que par l'injection d'une aide massive de l'État sous forme de subventions (les PALULOS, ou Primes à l'amélioration des logements d'usage locatif et d'occupation sociale). On pourrait toutefois modérer ce point de vue en faisant remarquer que, dans la plupart des cas, les PALULOS n'ont guère couvert que 15 à 20% du coût des opérations d'amélioration ou de réhabilitation, soit l'équivalent de la TVA sur le prix des travaux : en net, il n'est même pas certain que les PALULOS aient réellement coûté au Trésor. Pareil constat alimente une méditation sur la TVA et les finances publiques qui pourrait être à l'origine de diverses suggestions, telle celle qui, dans les années 1 990, tendait déjà à faire bénéficier du taux réduit de 5,5% les travaux sur les logements sociaux.
 Un éclairage très vif est apporté sur ce point par une note sur les "loyers anciens et neufs" relatant une réunion de "groupe d'étude" qui s'est tenue le 15 février 1966 dans le cadre de la "table ronde sur les loyers". On y fait valoir que "la réduction de la charge globale [de l'allocation de logement] constitue "un des objectifs" du Vème Plan. Concernant les logements récents du secteur social, la même note revient sur la nécessité d’homogénéiser les loyers des "logements similaires", indépendamment du "régime de financement" dont ils ont bénéficié. Pour le secteur ancien, tout en considérant le maintien dans les lieux "comme un obstacle majeur à l’unité du marché locatif", les auteurs recommandent de ne pas modifier la législation, car ce serait peu efficace compte tenu de "l’attitude généralement réticente des tribunaux et de l’Autorité publique en matière d’expulsion" (AN, versement 840230, art. C 6524).
 Voir les mesures de 1958-1962.
 J.O. du 10 juillet 1970, p. 6484. Le communiqué de presse du Secrétariat d’État au logement daté du 6 juillet qui présente ces mesures fait état de 1 800 000 logements anciens "encore soumis" à réglementation, alors que l’enquête logement de 1970 ne compte plus que 1 400 000 loyers anciens assujettis à la surface corrigée ou au forfait. Ce détail indique que l’administration sous-estime l’efficacité des procédures de « sortie » qu’elle a mise en route (AN, versement 840 230, art. C 6567).
 J.O. du 19 juillet 1970, p. 6772.
 Des réflexions tendant à l'atténuation, voire à la suppression des "abattements de zone" étaient engagées dès 1965-1966 : on en trouve trace sous la forme de tableaux de simulation préparés à l'intention de la Table ronde sur les loyers (AN, versement 840230, art. C 6524). Elles déboucheront tardivement ; l'abattement de zone sera réduit d'un tiers par les décrets du 28 juin 1973 et du 28 juin 1976, avant d'être finalement abrogé par le décret du 30 juin 1977.
 Décret du 30 juin 1970, J.O. du 1er juillet 1970, p. 6160 ; voir : AN, versement 840230, art. C 6567.
 Les auteurs de la note de présentation du décret du 30 juin 1970 justifient la mise à la trappe du "loyer-rentabilité" dans une courte incise : "étant précisé que la valeur locative prise comme référence est dénuée de signification sur le plan économique, n'étant ni un objectif, ni une valeur comparable à celle du marché" (AN, versement 840230, art. C 6567). Avec le retour au marché, on voit dans quel mépris est tombée la construction de 1948, même aux yeux des fonctionnaires du quai de Passy : ce n'est plus un édifice, tout juste un vague échafaudage. Ce détail est expressif à propos des changements de perception qui s'opèrent dans le temps et qui font d'un monument une vieille lune.
 Une misère qu'apparemment on persiste à sous-estimer en haut lieu. Dans une fiche émise le 15 avril 1970 par le cabinet du secrétariat d’État au Logement à l’intention de la Table ronde sur l'habitat locatif existant, le poids de la catégorie IV est estimée à 6% seulement du parc soumis à la surface corrigée, alors que les enquêtes logement de 1963 et 1967 donnaient respectivement des proportions de 12 et 10%. Les 105 000 taudis admis par le cabinet se répartiraient par tiers entre l’agglomération parisienne, les unités urbaines de plus de 100 000 habitants et les autres unités urbaines (AN, versement 840 230, art. C 6527).
 AN, versement 840230, art. C 6567 ; note de présentation du décret du 30 juin 1970.
 J.O. du 1er juillet 1970, p. 6160.
 Des égards qui, comme on l'a déjà évoqué, sont notamment en relation avec les soucis liés au niveau des retraites.
 Une appréciation dont il faut tout au plus cantonner la portée au secteur libre puisque, on l'a vu, les études tendant à classer la production sociale récente selon les critères de 1948 avaient pour résultat de répartir celle-ci entre les catégories II C, III A et III B.
 Annexe au rapport général de 1965 sur le Vème plan concernant l’habitation, titre III : "mesures à prendre" (AN, versement 840230, art. C 6524).
 Pour être précis : au sein du Secrétariat d’État au Logement.
 Bien que cela ne coïncide pas avec les dates des photographies ponctuelles que donnent les enquêtes – et donc les sources statistiques –, on retient la date limite de 1953 puisqu'on sait que cela correspond au plan de hausse inscrit dans l'article 31 de la loi du 1er septembre 1948.
 Versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947) ; voir aussi, dans les annexes du même rapport, cet extrait de la résolution n° 24 de la commission de modernisation du BTP du Plan Monnet : "Il est reconnu la nécessité de s’acheminer vers une époque où chaque foyer devra rémunérer à l'aide de son revenu".
 Cité dans une note de 1966 "sur les loyers tributaires de la loi du 1er septembre 1948" et destinée à la Table ronde sur les loyers (AN, versement 840230, art. C 6524). 
 Note sur les motifs d’une politique dynamique des loyers (AN, versement 840230, art. C 6527).
 COTTA (Alain), Dictionnaire de science économique, Mame, Tours, 1968, p. 295.
 Sans qu'on puisse dire s'il faut attribuer cette discrétion à l'absence de sources statistiques – pas de chiffre pas de commentaires –, à une vision trop centrée sur les grandes villes ou encore, la littérature étant plutôt de gauche, à une gêne provoquée par le fait que la libération massive dans le monde rural et des petites villes s'est effectuée sans générer de problèmes sociaux.
 Cité in : HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 234.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 339.
 Houdeville ajoute d'ailleurs ce commentaire : "À l'économie de marché fut substituée une économie d'usage basée sur des critères scientifiques" (HOUDEVILLE (Louis), préface de MENDÈS-FRANCE, Pour une civilisation de l'habitat, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1969, p. 234).
 Ce qui les rapproche des associations corporatives de ceux qui produisent pour l'accession à la propriété, organisées quant à elles dans la Fédération nationale des promoteurs-constructeurs (FNPC).
 Voir par exemple, pour la période allant du 53ème congrès "de l'UPBF" (1961) au 68ème congrès "de l'UNPI" (1977) : AN, versement 840230, art. C 6566 et C 6567. La collection n'est pas tout-à-fait complète : il manque le congrès de 1962 et ceux de 1974 et 1975. On note en passant que l'UNPI, qui tient habituellement congrès en juin (à la veille des hausses de loyer du 1er juillet) s'est abstenue en 1968.
 Brossant ici un bref tableau des intervenants invités dans les congrès de 1963 à 1972, on a fait suivre les noms des personnalités citées d'une parenthèse où figurent les dates des congrès auxquels elles sont intervenues.
 AN, versement 840230, art. C 6557.
 Il faut d'ailleurs souligner qu'à la fin des années 1960 la position de la France en matière de loyers contrôlés n'est pas particulièrement décalée par rapport à ses voisins européens. La Table ronde européenne convoquée en 1969 par la Confédération nationale des administrateurs de biens (CNAB) montre que, si l'Allemagne Fédérale ne connaît plus que quelques centaines de milliers de locations privées sous contrôle, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas en ont encore 1 500 000, cependant que le contrôle affecte toutes les locations en Espagne, que la Suisse s'apprête seulement à en sortir pour les logements urbains anciens, et que la Belgique le maintient sur tous les logements anciens "modestes". (AN, versement 840230, art. C 6576).
 Pour les conditions de naissance du FNAH, voir : THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 41-49. Danièle Voldman y fait également une brève allusion (VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 181 et 183).
On doit ici encore déplorer l'imprécision des auteurs de Il était une fois l'habitat. Ils datent en effet la création du FNAH de 1948, et la relient à la loi sur les loyers au même titre que l'allocation de logement (GUINCHAT (Pierre), CHAULET (Marie-Paule), GAILLARDOT (Lisette), Il était une fois l'habitat, Éditions du Moniteur, Paris, 1981, p. 116). Quant à Vayssière, il mentionne effectivement la création du FNAH à la bonne date dans sa "chronologie" (p. 127), mais, tout occupé qu'il est aux affaires de construction et d'aménagement, il ne lui consacre pas une ligne, pas même une de ses notules en fin d'ouvrage (VAYSSIERE (Bruno), Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, 1944-54: une politique du logement, Plan Construction et Architecture, Institut Français d'Architecture, Paris, 1995). Il lui donne de surcroît l'appellation développée de "Fonds national pour l'amélioration de l'habitat", adoptant en cela la même attitude que l'État des versements publié par les Archives nationales (Archives Nationales, Archives de l'Équipement. État des versements aux Archives Nationales, La Documentation Française, Paris, 1997, p. 126). Telle est effectivement la formulation retenue dans le texte, tardif, de la loi du 12 juillet 1967 (J.O. du 13 juillet 1967, p. 7020), mais cela ne correspond pas à la dénomination d'origine. Après l'ordonnance du 26 juin 1945, qui disposait en son article 10 : "Il est institué un établissement public doté de la personnalité civile de l'autonomie financière dénommé Caisse nationale d'entretien et d'amélioration de l'habitat urbain et rural" (J.O. du 29 juin 1945, p. 3929), une première allusion à un simple "fonds", alors dit "de l'amélioration de l'habitat", se trouve à l'article 16 de l'ordonnance du 11 octobre 1945. Le "Fonds national d'amélioration de l'habitat" est finalement institué par l'ordonnance du 26 octobre 1945 (J.O. du 27 octobre 1945, p. 6935). On retiendra ici cette dénomination qui s'est fixée après des variations expressives, et qui paraît ne pas avoir été modifiée jusqu'à l'accident de la loi de 1967.
 "à raison de l’organisation et de la longue expérience immobilière de cet établissement", selon les termes de Jean Thourot (La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 42).
 Les associations de locataires ne constituent pas un partenaire reconnu en 1945. Elles prendront leur essor avec les "chicanes" de l'application de la loi sur les loyers, puis avec les conflits dans les grands ensembles.
 À l'exception des ravalements, qui bénéficient de concours spécifiques depuis la loi du 12 septembre 1940.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 46.
C'est sans doute ici que la division des logements est pour la première fois explicitement promue en politique d'État, dans un pays où les logements sont déjà trop petits et surpeuplés. Certes, la chose est instituée dans le cadre de "mesures exceptionnelles et temporaires" mais, comme on l'a vu, l'encouragement persistera sur toute la période qui nous intéresse. On note d'autre part que, tel qu'il est conçu dès l'origine, le champ d'application du FNAH préfigure la loi sur les loyers : ce qui est de l'ordre de la réparation ordinaire se gérera à travers le coefficient d'entretien, ou bien à travers la répartition des rôles entre propriétaires et locataires.
 Bien qu'elle soit couramment employée, l'expression "prêt du FNAH" est donc inexacte. Il s'agit en fait de "prêts bonifiés par le FNAH", pratique conforme au statut d'un "fonds" qui n'a pas de personnalité juridique propre.
 Note du 22 octobre 1947 rendant compte de la séance de la CNAH tenue le 17 octobre (AN, versement 840230, art. C 6506). Il n'est pas nécessaire d'insister sur le fait que ce qui vaut à Neuilly ne se retrouve pas forcément à Saint-Denis ou à Nanterre.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 45.
 …en vue d'effectuer des contrôles domiciliaires, notamment dans les quartiers bourgeois : une hypothèse qui reste de l'ordre de la fiction en France, même dans l'immédiat après-guerre.
 VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 183.
 AN, versement 840230, art. C 6506. La note précise que les 3/4 de ces ressources proviendraient de la taxe sur les loyers, ce qui est approximativement cohérent avec les données dont Danièle Voldman fait état.
 Pour reprendre une expression déjà citée de Guerrand, à propos du financement des HBM avant 1914 (GUERRAND (Roger-Henri): Les Origines du logement social en France, Les Éditions Ouvrières, Paris, 1967, p. 303).
 Ce résultat peut être obtenu de deux manières. On peut actualiser les 412 millions de 1947 en fonction du coût de la construction : cela donne 130 millions de 1998. En retenant un coût d'intervention de 80 000 francs de 1998 par logement et en appliquant un taux de subvention de 40%, on trouve environ 4 000 logements. On peut également partir d'un prix de construction de l'ordre de 800 000 francs de 1947 pour une habitation neuve moyenne et situer une intervention lourde autour de 160 000 à 200 000 francs de 1947 : en appliquant le taux de subvention de 40%, on obtient alors 6 000 logements.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 49.
 AN, versement 840230, art. C 6524.
 En faisant abstraction du résultat exceptionnellement élevé de 1969.
 Voir : Ministère de l'urbanisme, du logement et des transports, Statistiques et études générales, n°110, 1984.
On y apprend que le nombre de réhabilitations aidées par l'ANAH, qui était de 40 000 logements en 1976, a oscillé entre 29 000 et 40 000 de 1977 à 1982. On y voit aussi que le coût moyen des opérations financées par l'ANAH en 1980 se monte à 27 500 francs en cas d'adjonction de sanitaire, à 23 300 francs en cas d'adjonction de chauffage central, et 53 700 francs quand les deux adjonctions sont combinées. En admettant que les mises aux normes partielles soient deux fois plus nombreuses que les interventions complètes, on pourrait retenir un coût moyen de l'ordre de 40 000 francs de 1980 pour les opérations lourdes. Or, actualisés en fonction du coût de construction, les 500 millions de 1968 donnent 1,44 milliard de 1980, ce qui correspondrait à une intervention sur 36 000 logements.
 Sans qu'on puisse préciser la part de cette évolution qui revient à un choix délibéré, à une désaffection des propriétaires, ou encore à des exigences normatives nouvelles concernant les travaux, qu'on évoquera plus loin (sous-paragraphe 53).
 Pour la période 1960-1965, voir : AN, versement 840230, art. C 6558.
 La situation se modifiera assez sensiblement avec la réforme des primes à l'amélioration de l'habitat par le décret du 26 juillet 1977 (réforme Barre). Bien que ces nouvelles primes soient d'un montant limité (de l'ordre de 20% du coût des travaux), elles plus de 50 000 logements dès 1980, dont les 2/3 dans des communes rurales, et elles correspondent à des interventions plus lourdes que celles qui sont aidées par l'ANAH.
 Mémento statistique de la direction de la Construction, MATELT, 1973, p. 17. Reprenant les données de l'INSEE sur la formation brute de capital fixe, le mémento rappelle que l'investissement annuel dans l'amélioration, la réparation et l'entretien des immeubles de logements est estimé respectivement à 9.0, 10.5 et 12.1 milliards de francs courants en 1968, 1969 et 1970. Outre qu'elles permettent, comme on le fait ici, de relativiser le poids des opérations aidées par le FNAH, ces données peuvent être rapportées à l'investissement dans la construction neuve de logements : elles en représentent sensiblement 21%. C'est évidemment moins que les 26 à 27% que donne l'Annuaire 1955 de l'INSEE pour la période 1952-1954, mais ce n'est pas négligeable : cela atteste que même lors du boom de la construction neuve, le flux d'amélioration-entretien est resté consistant.
 On a connaissance de cet épisode par un "compte rendu succinct" qui figure dans le fonds du groupe de travail "politique du logement" présidé par Alfred Sauvy en 1958-1959 (AN, versement 840230, art. C 6580). Les Finances sont représentées par Claude Henry, conseiller technique au cabinet du ministre, accompagné, entre autres, par le chef du service du Trésor et celui du Budget. Du côté de la Construction, la délégation est conduite par le chef du cabinet du ministre, Claude Lasry, et elle comprend deux inspecteurs généraux (M. Dupont et Mesmin). Les représentants de la Construction sont "tout d'abord invités à préciser franchement le but [qu'ils poursuivent]", un trait qui exprime dans quel état d'esprit leurs hôtes les reçoivent, et qui augure assurément d'une conversation des plus « cordiales ».
 On constate en passant qu'au printemps 1959 ces hauts responsables continuent à raisonner en anciens francs. Ce n'est d'ailleurs pas le seul document interne de l'administration qui montre, à cette époque, la difficulté de s'adapter à un changement monétaire. Mais il est piquant de constater que les chefs de service des finances n'y échappaient pas.
 Point 15 des "constatations et directives" formulées par le Conseil interministériel restreint tenu le 7 mars 1962 (AN, versement 840230, art. C 6580) ; concernant les dénominations d'organismes ou d'éléments de l'appareil d'État, on a scrupuleusement conservé dans les citations les variations dans l'usage des majuscules qui peuvent être constatées d'un texte à l'autre.
 Note du chef de cabinet de la Construction (12 mars 1962) faisant suite au Conseil interministériel restreint du 7 mars 1962 et à une réunion qui a été tenue avec Claude Henry (cabinet des Finances) en marge de ce Conseil (AN, versement 840230, art. C 6580). Les destinataires en sont Thiébaut (directeur de la Législation), Macé (directeur de la Construction), Aubert, Dupont et Mesmin, inspecteurs généraux et conseillers techniques au cabinet. Le chef de cabinet attire d'entrée "[leur] attention sur la discrétion requise aux termes mêmes du dernier alinéa du procès-verbal [du conseil restreint du 7 mars]". Ce lavage de linge et ce remue-ménage dans les allées du pouvoir doivent rester dans l'ombre propice des secrets de famille. Garde à vous, le petit doigt sur la couture du pantalon, et pas de fuites!
 …et faibles, pourrait-on ajouter, en rappelant que, de la faiblesse à la corruption, la distance n'est pas très grande.
 Belle morale de hauts fonctionnaires, plus soucieux de leur carrière que de la santé de la démocratie ou du bien-être de leurs assujettis. Les admirables qualités que Paxton ou Baruch prêtent aux fonctionnaires vichyssois ne se sont aucunement perdues (PAXTON (Robert), La France de Vichy, Albin Michel, Paris, 1986 ; BARUCH (Marc Olivier), Servir l'État français. L'administration en France de 1940 à 1944, Fayard, Paris, 1997). Et pour cause : en poursuivant leur ascension sous les régimes successifs qui incarnent l'État, ces personnages n'ont pu que développer et répandre leur « culture » du pouvoir. La feuille de vigne du « service de l’État » dont ils parent leurs activités ne sera jamais assez grande pour masquer une question aussi indécente que fondamentale : « servir », peut-être, mais pour quelle politique ? "Le reste va, vient et varie et change", disait déjà Michelet, avant d'ajouter : "le fonctionnaire seul est sorti des alternatives de cette vie mortelle, il est comme un meilleur monde" (MICHELET (Jules), Le Peuple, première édition: Hachette et Paulin, Paris, 1846; réédition Flammarion, coll. Champs, Paris, 1974, p. 125). Ce monde qui "varie" sans cesse est sans doute riche en opportunités pour les Rastignac modernes, mais il est aussi plein de dangers. Pour être en mesure de saisir les avantages qui passent à portée, il faut d’abord survivre en exerçant des fonctions de responsabilité sans se compromettre : "Il ne laissait pas de trace, pas de documents révélateurs. Impossible de situer la position qu'il avait prise sur différentes affaires […] Le fonctionnaire moderne dans toute sa beauté, changeant de principe aussi souvent que de chemise, et à chaque changement de régime." (CROSBY (John), Le Clou de la saison, Union générale d'éditions, coll. 10/18, Paris, 1996, p. 61-62). À cet égard, une des menaces majeures qui pèsent sur la carrière de l'homo bureaucraticus résulte de l'incroyable production de papier qui caractérise les appareils modernes. Si grandes que soient les précautions dont s'entourent ceux qui y siègent, il subsiste toujours, par mégarde, des documents qui attestent la réalité de leur comportement, comme l'ont montré récemment les développements de l'affaire Papon, ou plutôt des affaires Papon (celle 1943-1944 et celle de 1961). C'est ce qui donne toute sa valeur au titre d'un colloque que la direction des Archives de France organisait à l'automne 1997: Les Archives contemporaines, un enjeu démocratique.
 Écartant les travaux "somptuaires", autorisant la discussion d'un "juste prix" des travaux réalisés et réduisant leur valeur de 6% par année d'usage, les dispositions de l'article 72 sont évidemment moins séduisantes pour le locataire qui s'en va que l'imposition d'une « reprise » forfaitaire à son successeur. Même si elles font l’une et l’autre appel aux aménagements réalisés par le locataire, ces deux pratiques ne doivent pas être confondues. Presque toujours décalés par rapport à la valeur réelle des « travaux » et ne reposant sur aucun fondement légal, les « pas de porte » demandés de façon coutumière aux nouveaux locataires par leurs prédécesseurs revenaient à escompter la rente de situation – plus exactement la rente de statut – attachée aux logements anciens et à leur bas prix. Rien n'empêchait d'ailleurs un locataire entreprenant de jouer à la fois de l'article 72 (vis-à-vis du propriétaire) et du « pas de porte » (vis-à-vis du successeur), une figure qui représentait un décalque des usages en vigueur en matière de baux commerciaux. Dans leur ardeur à protéger le locataire contre l’hydre de la propriété, les promoteurs de l’intervention de l’État dans le domaine des loyers avaient omis de le préserver des assauts de ses congénères…
 57ème congrès de l'UNPI, Limoges, 1965 (AN, versement 840230, art. C 6566).
 J.O. du 13 juillet 1967, p. 7019-7020 ; l'obligation de remboursement qui s'impose au propriétaire est explicitée par le décret du 9 novembre 1967 (J.O. du 10 novembre 1967, p. 10556), avec une très jolie formule d'actualisation à quatre variables : un chef d'œuvre de simplicité populaire.
 AN, versement 840230, art. C 6524. La "définition des conditions minimales exigées d’un logement ancien ou modernisé pour bénéficier de différentes aides de l’État", dans sa "rédaction du 6 mars 1966", fait partie des documents transmis à la Table ronde sur la modernisation de l’habitat ancien de 1965-1966. De cette mouture initiale au texte définitif, on note une réduction sensible des ambitions. C'est ainsi qu'on voit s'évanouir les références à l'isolation acoustique entre logements et les conditions concernant les accès depuis la voie publique. Dans le même mouvement, passe à la trappe une amorce de "cotation" – l'ancêtre des "cotations qualité" du CSTB – qui faisait par exemple la part belle aux alimentations électriques "de 6 KWA" (sic!) ou aux distributions spatiales excluant les pièces commandées.
 J.O. du 10 novembre 1968, p. 10554-10555.
 Les "remontées d'humidité" constituent une plaie bien connue des constructions anciennes qui associent terre et moellons, ou terre et bois, etc.
 Des effets des préoccupation nouvelles d'une grande entreprise publique, l'EdF, et de l'anticipation des résultats du programme électro-nucléaire sur lequel on reviendra dans le volume consacré aux normes et à la maîtrise du coût de la construction.
 Cette disparition laisse toutefois un problème pendant. Aucune disposition spécifique n'étant prévue pour le lavage du linge, il faut supposer qu'on dirige les familles vers les laveries…
 Sur les 11,1 millions de résidences principales datant d'avant 1948 que dénombre le recensement de 1968.
 "Note sur les motifs d’une politique dynamique des loyers" (AN, versement 840230, art. C 6527).
 AN, versement 840230, art. C 6524.
 AN, versement 840230, art C 6524 ; Table ronde "Modernisation et entretien de l’habitat", séance du 19 octobre 1966. Le coût de la réhabilitation paraît avoir été toujours sous-estimé. Actualisé au coût de la construction, les 10 000 francs de 1966 représenteraient sensiblement 55 000 francs de 1997 soit le coût des mises aux normes complètes (chauffage et sanitaires) enregistrées par l’ANAH… en francs de 1980 (Ministère de l’Urbanisme du Logement et des Transports. Statistiques et études générales, n°110, 1984). En 1943, Philippe Isaac, se faisant l’écho de l’UBBF, estimait le prix de revient du logement amélioré à seulement 10% du neuf (ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 186). Il faut dire qu’en 1943, on ne se préoccupait guère d’équipements et qu’en 1966 l’attention prêtée à l’ensemble chauffage-isolation thermique était encore incertaine. La hausse continue des coûts de remise aux normes constitue une rançon des parcs longuement délaissés, à la fois parce que la dégradation est un processus qui s'auto-entretient, et parce qu'il s’y ajoute les effets de l'obsolescence.
 AN, versement 840230, art. C 6576 : note "Amélioration de l'habitat existant", 27 avril 1966.
 AN, versement 840230, art C 6524 ; Table ronde "Modernisation et entretien de l’habitat", séance du 19 octobre 1966.
 AN, versement 840230, art. C 6527.
 Le chiffre de 135 000 logements mis aux normes en année moyenne de 1966 à 1970 est donné par Robert Lion, directeur de la Construction, lors de son intervention devant le congrès de l'UNPI en 1971. Les ambitions du VIème Plan consistent alors à passer à 250 000 logements par an.
 AN, versement 840230, art. C 6576; note "Amélioration de l'habitat existant", 27 avril 1966.
 AN, versement 840230, art. C 6567.
 AN, versement 840230, art. C 6567.
 On revient ainsi à un statut proche de celui de la "Caisse nationale d'entretien et d'amélioration de l'habitat urbain et rural" qui avait été primitivement prévue par l'ordonnance du 26 juin 1945 (J.O. du 29 juin 1945, p. 3929).
 Voilà une « création » qui a dû susciter quelques rires chez les auditeurs de Robert Lion, si ceux-ci avaient de la mémoire. On se souvient en effet que le dispositif de 1945 qui régissait le FNAH était parfaitement « décentralisé ». Se pourrait-il que les "commissions départementales" de 1945 aient disparu en cours de route? Cela signifierait qu'un organisme institué par l'État a pu fonctionner pendant des années en contradiction avec les textes qui le régissent, une hypothèse qu'on n'ose considérer, tant ce petit monde sait être pointilleux en matière de règlement.
 Voir : AN, versement 840230, art. C 6576 ; note "Amélioration de l'habitat existant", 27 avril 1966.
 Général Hanoteau, Rapport présenté au nom de la Commission de loyers de l'UNPI, 62ème congrès, Versailles, 1971 (AN, versement 840230, art. C 6567). L'UNPI montre ainsi, s'il en était besoin, que tout n'est pas aplani et que, comme on dit dans la langue de bois, il y a encore « du grain à moudre ».
 Cette affirmation de Robert Lion – et de l'appareil du quai de Passy qui a préparé son discours – paraît démentie par les observations de l'INSEE concernant la période 1962-1967. Celles-ci montrent au contraire que l'amélioration se fait dans les communes rurales au même rythme que dans les villes en matière d'installations sanitaires, et plus rapidement en matière de W.-C. (Études et Conjoncture n°9, septembre 1968, p.56 et 64) La réalité est qu'il subsiste un écart imputable aux disparités héritées, ce qui n'a pas tout-à-fait la même signification. En fait, la tendance à la dégradation relative des situations rurales est déjà inversée et, en la combattant avec détermination, Robert Lion vole au secours de la victoire.
 Amélioration des logements qui existaient en début de période (ici : avant 1954), à l'exclusion des améliorations qui ont déjà pu se faire sur des constructions récentes (ici : 1954-1968). Pour ces dernières, l'état relevé au moment de la « photographie » (1968) associe l’état d’origine et d’éventuels compléments réalisés entre-temps, de même que pour les constructions existant en 1954 la « photographie » de 1954 associe l’état d’origine et l’ensemble des transformations survenues jusqu’à cette date.
 Ministère de l'urbanisme, du logement et des transports, Statistiques et études générales, n°110, 1984, p. 33
On rappelle que le même ratio se tenait à 26-27% vers 1953-1954, et à 21% vers 1968-1970.
 Voir le volume consacré aux normes et à la maîtrise du coût de la construction.
 Voir plus haut le chapitre La naissance de la politique du logement, paragraphe 23, Normes.
 AN, versement 780328, art. CAB 1043 ; voir aussi des travaux plus anciens qui paraissent avoir constitué des démarches préalables, par exemple les nombreux tableaux datés de 1947-1948 qui nourrissent un dossier sur "les conditions d'occupation des logements" : on y croise, par agglomération, l'effectif des ménages et le nombre de pièces des logements, en encadrant attentivement les cases qui correspondent à la "norme de peuplement de 1948" (AN, versement 771144, art. C 3652).
 Elles occupent huit des dix-neuf paragraphes du rapport (AN, versement 840230, art. C6580).
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 138.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 85.
 HAVEL (Jean-Eugène), Habitat et logement, PUF, Paris, collection Que sais-je? n°763, 1ère édition : 1957, 4ème édition : 1974, p. 78; même source pour l'allusion aux Pays-Bas qui fait suite.
 Une expérience balisant le chemin qui conduit du béguinage à la résidence de troisième âge.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 67; même source pour la suite du paragraphe.
 Au regard d'un critère qui, on l'a déjà dit, situe la sous-occupation à partir d'un nombre de pièces excédant la somme de 2 pièces plus une pièce par personne.
 HAVEL (Jean-Eugène), Habitat et logement, PUF, Paris, collection Que sais-je? n°763, 1ère édition: 1957, 4ème édition: 1974, p. 77.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 67.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 81.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 81.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 81-82.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 84.
 Successivement : 1) FABRE (Maurice), Les Réquisitions pour le logement, 1946 ; 2) BERTRAND (Claude-Maxime), Le Contrôle juridictionnel des réquisitions civiles de logement, 1948 ; 3) FOSSIER (Louis), La notion de voie de fait en matière de réquisition de logement, 1949 ; 4) GRUFFAT (Pierre), La jurisprudence du Conseil d'État en matière de réquisition de logement, 1954.
 Thourot rappelle qu’un décret du 28 février 1947 interdisait toute réquisition nouvelle au profit des services publics ou des forces alliées, et ajoutait que les réquisitions alors en vigueur ne pourraient être maintenues au-delà du 30 avril 1947 que dans des cas exceptionnels (THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 66). Il faut croire que l’ONIC constituait un cas de ce genre.
 AN, versement 771134, art. C 3499.
 Ordonnances des 3 juillet et 10 septembre 1962 (Code civil, Dalloz, Paris, édition 1966, p. 1095-1097). Les réquisitions se font à nouveau pour six mois, éventuellement renouvelables. Mais, cette fois, l'État s'engage, dans certains cas, à couvrir les indemnités d'occupation.
 Cette possibilité est prévue par l'article 219 du Code de l'urbanisme et de l'habitation établi en 1954. Elle est maintenue ultérieurement à travers L 442-4 et R 442-4 du Code de la construction et de l'habitation.
 J.O. du 16 octobre 1963, p. 9266-9267 et 9271-9272. Le principe de cette "indemnité d'occupation" était initialement prévu par un décret du 31 décembre 1958 (J.O. du 4 janvier 1959; art. R 441-32 à R 441 35 du Code de la construction et de l'habitation). Ses conditions d'application sont aggravées par le décret du 31 décembre 1968 qui stipule que l'indemnité peut atteindre le triple du loyer réglementaire (J.O. du 18 décembre 1968, p. 12060). Des dispositions identiques sont mises en place en matière d'ILM par le décret du 13 septembre 1968 (J.O. du 14 septembre 1968, p. 8830) et l'arrêté du 2 décembre 1968 (J.O. du 11 décembre 1968, p. 11624-11625).
 Le décret du 31 décembre 1958 qui crée le cadre des "indemnités d'occupation" s'empresse d'autoriser les locataires qui y seraient assujettis à échanger leur logement, sans formalités, avec "des personnes susceptibles de bénéficier de [la législation HLM]" (Code la construction et de l'habitation, art. R 441-35). L'intention est claire, mais l'efficacité réelle d'une telle disposition est plus que douteuse, car cela impliquerait, en général, que des gens relativement à l'aise acceptent, via l'échange, de se retourner vers des logements anciens médiocres et sous-équipés.
 Toujours attentive aux mouvements de l'argent, l'inspection générale des Finances suggère dès mars 1962 que "la perception effective du sur-loyer en HLM devrait procurer un minimum de 50 millions de francs." (AN, versement 840230, art. C 6580). Avant même que le surloyer ne soit réellement institué, son produit se trouvait ainsi intégré au projet de financement futur de la construction aidée. Cette interprétation est confirmée par les développements ultérieurs. L'arrêté du 2 décembre 1968 prévoit par exemple en son article 8 que les sommes collectées au titre du surloyer seront affectées "à concurrence de 90% au moins, à la constitution des capitaux nécessaires au financement complémentaire des nouveaux programmes de logements, à la réalisation d'équipements collectifs ou sociaux, ou à la constitution de réserves foncières" (J.O. du 11 décembre 1968, p. 11625).
 AN, versement 840230, art. C 6524.
 Sept ans après la mise en place d'une disposition de principe, et deux ans après la sortie du décret et de l'arrêté qui imposent de passer à l'action, on voit ainsi des acteurs essentiels s'affairer à des enquêtes sur les conditions dans lesquelles on pourrait appliquer la réglementation. S'il fallait encore démontrer les capacités dilatoires des appareils publics, cette anecdote y suffirait à elle seule.
 En dépit d'une enquête "approfondie", il reste encore 3% de cas "à réexaminer".
 Le prélèvement de gestion des organismes d'HLM se tient usuellement entre 15 et 20% de la masse des loyers. Il couvre non seulement les frais de personnel mais aussi les provisions et les dépenses à la charge de l'organisme (taxes, réparations, etc.). Un accroissement de 10% de la masse des recettes représente donc réellement un considérable supplément d'aisance. Le rendement net de l'opération n'est toutefois pas aussi élevé qu'on l'imagine dans les sphères supérieures des appareils de l'État. En effet, en admettant que le salaire net de "l'agent" correspond à 6 ou 7 loyers HLM, comme le suggèrent les taux d'effort de l'époque lorsqu'on tient compte de 1,5 revenu par ménage, et en supposant que, charges sociales et frais de bureau compris, le coût global de l'employé s'établit au double, soit 12 à 14 loyers HLM, la plus-value dégagée par cette activité nouvelle ne paraît pas devoir excéder 60 à 70% des recettes supplémentaires qu'elle procure, ce qui est tout de même notablement inférieur aux 90% que postule, "au moins", l'arrêté du 2 décembre 1968. Encore faut-il souligner qu'on a là, avec l'Office public de la Seine, le cas d'un organisme qui héberge une proportion élevée de locataires relativement « aisés » en raison du niveau de revenu des parisiens. En s'en tenant aux seuls aspects monétaires, sans rien dire des aspects "psychologiques" et "sociaux", on peut penser qu'ailleurs le rendement net de l'opération s'avérerait généralement plus faible, voire nul ou négatif. Les observations typiquement gestionnaires auxquelles conduit cette simulation rétrospective sont de nature à éclairer les réticences des organismes d'HLM face à ce qu'ils devaient considérer comme une œuvre de la bureaucratie galopante…
 La note précitée souligne que "50% des locataires ne répondent pas dans les délais impartis" et que "30% des dossiers sont inutilisables", ce qui permet d'augurer d'une masse consistante de "correspondances", "enquêtes" et autres "vérifications".
 Il est facile de s'inventer des co-occupants parmi ses proches, et malaisé de démontrer qu'il s'agit d'une fiction de circonstance.
 Si l'acronyme "BEL" se présente toujours de la même manière, il en va autrement de la dénomination développée. Au gré des documents, y compris dans le répertoire des Archives nationales, les "s" peuvent être ou ne pas être, et un "du" se substitue parfois au "de". On a repris ici la formulation qui figure dans le texte de la loi du 17 décembre 1960 (Code civil, Dalloz, Paris, édition de 1966, p. 787).
 Loi du 17 décembre 1960, article 1 (Code civil, Dalloz, Paris, édition de 1966, p. 787).
 Loi du 17 décembre 1960, article 3 (Code civil, Dalloz, Paris, édition de 1966, p. 787).
 Voir le volume consacré aux normes et à la maîtrise du coût de la construction.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 150; Gondre conclut ses observations sur la BEL par une affirmation d'une vigueur toute particulière : "Qu'elles procèdent par coercition ou par persuasion, toutes ces mesures prises pour pallier le manque de fluidité dans le marché du logement ne sont finalement que des gaspillages supportés par la collectivité." (ibidem, p. 150).
 AN, versement 910802, art. 10.
 Les aménageurs et les promoteurs de la rénovation urbaine y échappaient le plus souvent, au motif qu'ils créaient plus de logements qu'ils n'en détruisaient : de l'intérêt de se saisir de vastes emprises industrielles désaffectées, et propres à autoriser des « opérations tiroirs ». 
 AN, versement 771111, art. C2858 à C 2900 retraçant les opérations liées à la taxe de compensation.
 Versement 770815, art. CAB 28: RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960 ; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 120.
 ISAAC (Philippe), Le Problème de l'habitation urbaine en France. Étude des moyens pouvant contribuer à une amélioration du logement, Droit, Lyon, 1943, p. 176-178. On trouve également chez Isaac une simulation permettant d'estimer le coût du système (Annexes, p. 252-258).
 DUBOIS (Louise), L'Habitation de "louage" service public, IUP, Paris, 1942, p. 109.
 KULA (Pierre), Les Allocations logement, (Paris, 1938) ; cité in : OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 168-171. Outre le conditionnement par l'existence d'enfants dans la famille, Pierre Kula envisageait déjà, pour les contextes locatifs, le versement direct de l'allocation au propriétaire. Cette suggestion n'est sans doute pas étrangère aux soucis gestionnaires d'un patronat qui, dans le Nord, avait édifié nombre de cités locatives.
 KULA (Pierre), "L’Allocation de logement", texte constituant le chapitre X de : Études et documents. Le Problème du logement (Statistique Générale de la France, janvier 1945).
 Versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947), p. 9 et annexe n°2.
 Voir, par exemple, versement 780321, art CAB 1040 : Fédération des sociétés anonymes et fondations HBM de France et d'Algérie, Étude sur la révision fondamentale de la législation sur les habitations à bon marché, Paris, 1939.
 Voir notamment la circulaire précitée, émise en 1947 par la Chambre syndicale des propriétaires parisiens : AN, versement 840230, art. C 6506.
 Il est en revanche plus surprenant de voir Danièle Voldman écrire que l'allocation de logement continue à faire l'objet de débats qui "divisent les experts", sans donner plus de détails sur cette appréciation; cf. VOLDMAN (Danièle), La Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 333.
 THOUROT (Jean), La Crise du logement et ses solutions, Droit, Paris, 1947, p. 126-138 et annexes I-XIX.
 Où on retrouve ce temps où la préférence nationale paraissait aller de soi. À considérer l'ensemble salaire plus avantages annexes, on est décidément loin de la formule qui voudrait qu'à "travail égal" on ait aussi un "salaire égal". On voit bien ici comment l'immigration contribue à réduire le prix du travail, et les conditions qui font qu'un marché « libre » et apparemment « unifié », en l’occurrence celui du travail, ne débouche pas nécessairement sur un prix unique pour un bien ou un service déterminés, contrairement à l’hypothèse généralement retenue dans l’approche de la concurrence et des prix. Il faut rappeler que les schémas marginalistes qui établissent le principe du prix unique reposent sur la vision d’un monde idéalement transparent et égalitaire.
 Versement 840230, art. C 6506; DEVEAUD (J.), Inspecteur général de l'économie nationale, Rapport sur le problème de la construction et du logement (Toulouse, 1947), annexe n°1, p. 3 ; Versement 770815, art. CAB 28 : RUEFF (Jacques), ARMAND (Louis), Rapport sur les obstacles à l'expansion économique, 2 tomes, Imprimerie nationale, Paris, 1960 ; tome II, Annexes : exposés introductifs, p. 119.
 GONDRE (Jean-Marie), Bilan économique des limitations légales des loyers en France de 1914 à 1962, Sciences économiques, Paris, 1963, p. 234-238.
 AN, versement 770815, art. CAB 28.
 Voir la fiche de présentation de l'allocation de logement au 1er juillet 1964 (AN, versement 840230, art. C 6524).
 Ces dispositions conservent des traits de parenté avec le système préconisé par Pierre Kula dans les années 1940. Selon Olchanski, celui-ci postulait, outre le salaire unique, l'octroi de l'allocation dès le premier enfant, et le retrait s'il n'y avait pas de nouvelle naissance avant cinq ans (OLCHANSKI (Claude), Le Logement des travailleurs français, Droit, Paris, 1945, p. 168-171.
 Le montant de l'allocation est égal à 75% de la différence entre le loyer effectif – dans la limite de 205 francs par mois – et le "loyer minimum". Pour un loyer de 205 francs, cela donne 137,50 francs. En matière d'accession à la propriété, l'aide est sensiblement moindre, comme c'est le cas depuis l'origine.
 Le calcul de la valeur de "L0". Dans cette affaire de formule, la proximité qui s'établit avec le système de l'impôt progressif sur le revenu des personnes physiques laisse entendre que les innovations sont le fruit d'un travail conjoint entre les Finances et la Construction.
 Le futur coefficient "K" de l'APL.
 Rapport de messieurs Granval et Moeneclaey, inspecteurs généraux des Finances (AN, versement 770830, art. CAB 993).
 AN, versement 840230, art. C 6565.
 AN, versement 840230, art. C 6513.
 S'y ajoutent 68 000 bénéficiaires au titre des régimes agricoles, et 20 000 au titre des sociétés de secours minières (Ministère de l'aménagement du territoire, de l'équipement, du logement et des transports, Mémento statistique de la direction de la Construction, 1973, p. 65).
 Cette proportion se dégrade légèrement en 1969-1970, en raison des hausses de salaires obtenues à la suite des grèves de 1968, puis du passage du SMIG au SMIC, mais l’allocation moyenne de 1450 francs qu’on constate alors représente encore 22% du salaire minimum.
 Voir, au début de ce chapitre, le paragraphe "L'évolution des loyers telle qu'on l'observe". On rappelle que le taux d'effort "net" se calcule en prenant en compte la charge de loyer qui subsiste après déduction de l'allocation de logement.
 On se souvient de l'indignation de Gilbert Mathieu qui, tout en reconnaissant les progrès en cours, soulignait que "huit millions de Français n'ont pas l'eau" (MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965, p. 14). En fait, le problème des amenées d’eau dans les logements évoluait alors rapidement vers sa solution, au moins dans les villes, comme le montre la comparaison des parcs locatifs anciens de 1961 et de 1967. Mais il restait, en 1967 encore, que 13% des logements anciens n'avaient qu'une pièce, et 35%, que deux pièces, ce qui contribuait évidemment encore à limiter les demandes éligibles à l’allocation de logement.
 Centres PACT : centres de propagande et d'action contre les taudis, plus tard renommés centres de préservation, amélioration, conservation et transformation de l'habitat ancien.
 AN, versement 840230, art. C 6567. Précisons que le SMIG brut de 1969 est de l'ordre de 6500 francs par an pour 173 heures par mois. Un revenu de moins de 5000 francs par an correspond donc à des retraités pauvres ou à des ménages d'âge actif en difficultés.
 Au recensement de 1968, sur un total de 11,26 millions de ménages, ceux dont le "chef" était âgé de plus de 65 ans étaient au nombre de 2,54 millions. Plus de 56% d'entre eux habitaient des logements d'avant 1914, un domaine dans lequel il n'étaient sérieusement concurrencés que par les ménages de 15-24 ans, dont 49% habitaient dans les mêmes conditions. Corrélativement, plus de 53% des ménages âgés occupaient des logements qui au plus l'eau courante pour toute commodité intérieure.
 Gilbert Mathieu rappelle opportunément que la seule dépense à la charge de l'État concerne les fonctionnaires, soit environ 300 000 bénéficiaires en 1965 (MATHIEU (Gilbert), Peut-on loger les français?, Seuil, Paris, 1965, p. 57).
 Y compris le régime agricole, pour 116 millions de francs, et les sociétés de secours minières, pour 21 millions de francs.
 Exactement, 215 000 logements (reconstruction comprise), selon les décomptes retenus par l’INSEE Rappelons que ce résultat était sensiblement conforme au projet de constructions nouvelles que défendait le ministère de la Reconstruction à l'aube du Second Plan : sous l'angle quantitatif, ce projet se résumait en effet par le slogan "20 000 logements par mois!". Les comparaisons internationales remettent ainsi à une place modeste l'ambition que beaucoup prêtent au ministère. En tout état de cause, on a vu plus haut que des calculs élaborés par André Prothin conduisaient à estimer – et donc à limiter – à 270 000 ou 278 000 logements par an "la demande de la nation tout entière" (voir paragraphe 13, Le «  besoin », une notion pleine d’avenir mais discutable).
 Une des cibles de l'UNPI a été le ministre Albin Chalandon, qui s'est trouvé chargé de mettre en place la taxe locale d'équipement (TLE) prévue par la Loi d'orientation foncière du 31 décembre 1967. Sur cette affaire haute en couleur, voir MADELIN (Philippe), Dossier I… comme Immobilier, Alain Moreau, Paris, 1974.
 Seules l’intervention sur les loyers (chapitre 2) et la mise place initiale des modalités quantitatives d’évaluation des « besoins » (paragraphe 14) ont été traitées dans le présent volume. L’expérimentation technique et le devenir des normes feront l’objet du volume suivant. Quant aux financements, dont on s’est borné à évoquer les grandes lignes pour les années 1950, leur histoire mouvementée jusqu’aux années 1980 donnerait matière à un volume dédié à la fois à l’étude des moyens alloués à la construction (nature, quantité) et à celle des mesures de solvabilisation des ménages. Sur le second aspect, l’analyse est engagée par les considérations du présent volume touchant à l’aide personnelle et à l’accession à la propriété.
 Les contextes de guerre entraînent mécaniquement des tensions sur les facteurs de production, des déséquilibres du commerce extérieur et des déficits budgétaires, toutes circonstances qui alimentent l’inflation monétaire. Pour des gouvernement qui conduisent à l’extérieur des guerres de faible intensité, la lutte contre l’inflation devient une antienne récurrente dans la mesure où ils s’efforcent de maintenir à l’intérieur les apparences d’une vie civile ordinaire. Il reste que, quelles que soient l’intensité et l’issue du conflit, l’inflation est consubstantielle à la guerre. J. K. Galbraith souligne longuement que nombre d’aventures victorieuses n’auraient pu être conduites à leur terme sans une inflation considérable, à commencer par les guerres qu’impliquaient les révolutions américaine et française (voir Money, traduction française : L’Argent, Gallimard, collection Idées, Paris, 1976).
 Pour prolonger ces vues globales sur les allocations de moyens à l'échelle nationale, on peut ajouter qu’après 1962 une nouvelle charge affectant les finances centralisées résultera des investissements nucléaires, à vocation tout d’abord militaire, qui prendront d’une certaine manière le relais des dépenses directes des armées.









PAGE 1


PAGE 204