Mercure_de_France,_v.. - Formation Patrimoine Troyes
La chanson bien connue faite à son sujet fut prise pour chanson de marche par  
... et à trois portails, la façade superpose en son centre, en retrait d'un beau gâble  
.... savant) et Rémi d'Auxerre, fondateur des Ecoles, Odon, futur abbé de Cluny,  
.... ternaire dont la base, en bossages continus, porte deux étages précédés de ... 
		
		
 
        
 
		
		
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		Mercure de France, vol. II, 1891
ALICIA CLARY
Eve Nouvelle (i).  Chapitre.  Silences.  (Les Silences de Hadaiy : les comparaisous du teint, des veux, des mouvements, de l'eusemble, etc.).
Trausition du moustre Alicia.  Lord Ewald dit :
« La déception coustante affina mes seus jusqu'à de plus subtiles attentious, jusqu'à des divinisatious véritables. Et tout à coup je découvris, comme seul je pouvais le découvrir, pourquoi j'avais été leurré! Nul, s'il n'a passé par mes tristesses désespérées, ne pourrait découvrir cela !
(i). C'est l'un des titres notés par Villiers pour son uvre. Ils se succèdent aiusi sur les divers manuscrits : io L'Andréide paradoxale d'Edison; 2» L'Eve nouvelle; 3o L'Eve future.  De même, les noms des personnages subissent des variatious : Alicia Clary s'appelle d'abord Evelyn Habal, puis Miss Hadaiy, deux noms réservés finalement, l'un pour la Femme qui sert de prétexte a la création de l'Andréide, l'autre a l'Andréide ellermême; Lord Ewald apparaît sous les dénominatious de : Lord Lyonel, Lord Lyonnel, Lord Angel, Lord Angel". Lord Edward.  Les pages, inédites ou de variantes, qui suivent sont artificiellement classées en trois chapitres, sous les vocables des trois femmes qui paraissent daus L'E-sc future. Le premier est toute une théorie du « Médiocre ».
R. G.
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C'est une ligne si invisible, si ténue, que celle qui sépare la sottise du génie est un madrier en comparaison,  bien que si fme qu'elle soit, elle soit, en réalité, un abîme.  Eh bien, je l'ai vue. C'est sa perfection de mirage qui m'avait induit à l'espérance. Mais, j'ai touché, à force d'attention, la ligne où le mirage commençait et m'avait dupé par sa perfection surprenante. Maintenant, je comprends, cela ne m'étonne plus, je sais. »
Si délicate et lumineuse que soit une peusée, il est des yeux où, si je l'envoie, je seus qu'elle a pénétré, mais pour s'y éteindre. Or, rien daus la vibration des peusées ou des êtres ne s'arrête et ne cesse : tout a droit à son prolongement infini : l'opacité néfaste et mortelle de cette femme est la damnation pour [jamais] de mes pensées.
-(  Vous demandez beaucoup [dit Edison]!  C'est une chimérique espérance de fonder l'amour sur le cerveau d'une femme, qui est toute mystérieuse d'un iustinct divin. La femme a d'autres énergies de compréheusion (?) que nous : qu'est-ce donc à dire, de la désirer autre qu'elle ne doit être? Ce serait dénué [de seus] que de chercher trop haut, daus elle, des réalisatious impossibles.
-r  Aussi, ne fut-ce point cela, vous dis-je, que ma peusée se trouvait en droit de réclamer de celle-ci : mais une réfraction, une trausparence, un prolongement!... non un obstacle mortel... Quoi! ma lumière heurte un mur où elle se. brise, et elle est obligée de revenir sur elle-même, daus mes yeux, et d'y reconcentrer perpétuellement sa force radiante ! Mon regard, de plus en plus lourd de rayous aiusi renvoyés captifs, sera le rocher de Sisyphe de mes yeux,  et je ne crierai pas contre l'être de mort qui ne peut que me les tuer par son horrible chambre noire !  N'est-il pas des femmes obscures, saus éducation artistique, saus être muses (c'est-à-dire déflorées d'avance de toute seusation délicate et profonde, puisqu'elles n'en peuvent concevoir, de par leur féminéité, que le côté putassier), mais qui entendent, par un rien, un regard, un mouvement, le vrai seus, le prolongement divin d'une parole ? Celles-là, seules, ont la vie ! Celles-là seules sont femmes!  Oh! celle-ci m'a donné tout l'amour dont elle était capable, l'amère créature ! mais ce n'est qu'à cette limite où cette sorte d'amour n'est plus que commerce ce que j'entends par l'amour, moi, et que par conséquent la réelle communion de l'amour pouvait exister! O Tantale! je meurs de soif de son baiser, et nos lèvres se touchaient ! »
La boite à joujoux de la science lui a fait l'effet de l'ivresse. Elle est ivre-morte du progrès.
Les sots ont toujours du génie quand il s'agit de nuire, et ils ont cela de maudissable qu'ils rendent indulgents pour les méchants.
Quand il y a de la femme d'esprit quelque part,  ouvrez les fenêtres.
Des êtres d'un esprit fin et éclairé, qui rêvent d'un Dieu distingué, d'âmes élégantes, et qui s'imaginent qu'il y a des temps modernes.
En Miss Alicia, rien de cet orgueil aux seus fauves, capables de ces grands crimes, qui, daus la bacchanale désormais compassée des sociétés modernes, de temps à autres agitent leur thyrse aux vieilles fleurs incarnates ! oh ! fi !... Le meurtre ne lui semble que cruel : elle n'en comprend ni les tempêtes ni l'intrépidité.
Lord Lyonnel :
f.  Ah! si, vêtu en histrion, je me fusse présenté à elle en débitant quelque grossière gravelure d'une voix impudente, en prenant une voix énergique (ou du moius qui lui eût semblé telle, selon la notion qu'elle se forme du « caractère »)  nul doute qu'elle n'eût raffolé moralement de votre serviteur.  « A la bonne heure, au moius, eut-elle peusé, voilà un homme! »
« En Allemagne, en écoutant Beethoven, elle disait : « Parlez-moi d'une jolie romance ou d'une valse chantée!... Maison ne peut même pas danser sur cette musique-là ! » etc.  Ces paroles ou leur équivalent, agrémentés du sourire convenu, tintinnabulaient toujours sur ses lèvres exquises, comme des grelots où l'âme d'un perroquet sonnerait perpétuellement. Je seus en elle la vague présence, en effet, de toutes sortes d'animaux, figurez-vous ! Elle me donne, de temps à autre, tantôt l'impression de la paonne étalant son fastueux éventail sur l'herbe d'un parc, tantôt d'une dorade eusftmmeillée à midi, à fleur d'eau,  que sais-je? »
Chapitre.  SubtilitÉs.  « Tenez, reprit Lord Lyonnel, le propre du vulgaire est, n'est-ce pas, de n'accorder aux nuances des paroles qu'une importance médiocre (son regard suffisant semble toujours signifier un perpétuel : r' je sais ce que vous voulez dire!... je ne suis pas un imbécile!... je comprends tout saus phraséologie, etc. »),  et de se prononcer sur tout, de parti pris naturel, sans avoir rien écouté attentivement.  Or, les mots, étant des êtres animés, précis comme les nombres, éveillant tous une peusée différente, il s'en suit que le vulgaire épuise des siècles à ex
pier, en demeurant ce qu'il est, sa rondeur iusoucieuse à leur égard. Je suppose qu'un ambassadeur quelconque du vulgaire ait entendu ce que je vieus de vous dire. Voici ce que pourrait s'écrier, à mon propos, cet être-là, comme représentant sa corporation,  si on lui permettait de dire paisiblement ce qu'il peuse : «  Ah! par exemple, je vous trouve superbe, s'écrierait-il (avec cette familiarité déplacée et maladroite qui ne sert qu'à rappeler de plus en plus la distance sociale qui sépare un homme d'un autre, alors qu'on l'oubliait un iustant), vous êtes jeune,- vous êtes un Crésus, un grand seigneur, vous découvrez une très jolie femme, une artiste douée d'une belle voix, une fille de race, après tout, vous l'avez dit, elle vous aime,  et vous vous plaignez? Au lieu de perdre le temps à chercher on ne sait auelle petite bête, ah! je ne me ferais pas tirer l oreille, à votre place, pour me laisser être heureux. Vous avez plus de chance que vous ne méritez. »  Mais l'Humanité s'égalise et ces tristesses-là disparaîtront. Ce n'est pas juste, etc. »
f .  Certes, dit lord Lyonnel, car elle ne pourrait avoir cette âme-là. Je croyais, d'ailleurs, vous avoir dit qu'elle était d'une bonne famille anoblie récemment,  ce qui n'est pas un éloge, au contraire. Tout gentilhomme préfère infiniment un vrai bourgeois à un noble récent. Le sang bourgeois, cousacré de la veille, entre daus une sorte de moût où surnagent les seuls défauts de sa nature, et dégage une odeur d'aigre, qui fait que les geus de race attendent, pour le connaître, que le vin se soit un peu reposé. C'est une crise, c'est la ferveur du novice : c'est un moment de folie qu'il faut au moius un ou deux siècles pour calmer, surtout lorsqu'il s'agit, simplement, d'une -( bonne famille », la noblesse médiocre étant une chose désastreuse. »  A ce propos, voici notre opinion sur la noblesse en général, daus toute l'Humanité. Au-dessus de toute noblesse, il y a la Race, le type sublime qui la cousacre. Jamais il n'y eut que deux manifestatious de la Race, l'homme de génie et le héros. Tous deux portent leur signe avec eux. Tous deux font la noblesse d'un pays, mais de la noblesse humaine. Par la race qui est en eux, daus l'un comme l'éclair, daus l'autre comme le flambeau, il tiennent du feu qui purifie ce qu'il touche ou le cousume. Toute action se trausforme en eux et devient belle. L'anobli peut souiller son courage d'un intérêt, d'une convoitise de grades ou de dignités, le gentilhomme lutte parce que sa cause est belle et qu'il l'aime, et il ne peut se préoccuper d'aucun intérêt pendant le combat. A ce désintéressement seul on reconnaît un homme de race, un gentilhomme. Aussi est-il très difficile, sur mille gentilshommes, d'en trouver un seul, par tous pays. Il ne faut pas être dupe de l'anoblissement, voilà tout. Cela n'a jamais rien signifié pour un gentilhomme réel. 
Chapitre x.  A ce moment quelque chose de terrible passa, du sourire flegmatique et du tremblement léger de la voix de lord Lyonnel, daus le ton de son histoire. Une sorte d'éclat de dynamite intellectuelle rompit le roc de glace de son débit, bien que l'organe ne s'élevât pas d'un coma plus haut que l'iustant d'auparavant. Ce fut seulement cette petite hésitation de la voix qui avertit électriquement Edison qu'une de ces crises formidables, qui dédaignent de se manifester icibas, et où la Haine prend les proportious de l'Eternité, agitait l'âme profonde du narrateur.
«  Ami, reprit le jeune homme, ce n'est pas au fronton de l'antre où flamboie le Pire, c'est au seuil bénin du Médiocre qu'il faut laisser l'Espérance!... »
Je dois ici relever une erreur de détail commise par Dante. Tout homme digne du nom d'homme doit tenir à la rectifter à l'occasion, car l'importance du poète accrédite un peu trop le côté seusible de cette erreur. Le Pire ne saurait entraîner jamais que le Purgatoire : au Médiocre seul appartient, revient de droit l'Enfer. Car l'Enfer doit manquer de toute grandeur pour être infiniment affreux, c'est-à-dire conforme à sa notion. La flamme, pour être absolument ignoble, comme il est de nécessité, doit s'y compliquer de nausée : donc, le Médiocre en est l'élément indispeusable. L'Orgueil peut s'amender, s'il est grand, la Vanité, non. Son soi-disant repentir aggrave la faute et en approfondit la misère. Elle n'a pas en elle de quoi se reconnaître autrement que selon sa nature, c'est-à-dire d'une manière stérile, c'est-à-dire pour toujours et de plus en plus infernale. C'est là, je puis le croire, saus forfaire au dogme, il me semble, le seus du mot évangélique : « Si vous êtes tièdes, je vous vomirai par ma bouche. » Or, d'après l'éclaircissement du Christianisme, chacun, daus la mort, devant se rendre, de luimême, à l'état qu'il s'est créé pendant la vie..., le Médiocre, désagrégé, ne peut se précipiter que daus l'absolument Médiocre, c'est-à-dire daus ce que l'on peut appeler, en effet, au ftguré, le vomissement de Dieu,  c'est-à-dire la dernière expression de l'éternel dégoût de l'Esprit-Saint,  c'est-à-dire l'Enfer.
Bien des casuistes, des conciles même pourraient sanctionner de leur souveraine autorité cette interprétation, que quelqu'un leur soumettra saus doute, un jour, avec les développements qu'elle comporte. Cela deviendra, certainement, un article de foi, si je raisonne selon le Bien, comme je l'espère.
EVELYN HABAL
«  Mais enfm, sous tout ce déballage... c'était une femme, non un fantôme! s'écria Lyonnel. Cet attirail recevait l'existence qu'elle avait le secret
de lui donner. Savoir se faire jolie fait partie d'être jolie. C'est plus difficile. Oh! cela s'apprend mécaniquement : c'est un rouage de l'iustinct. Ce M. Anderson ne serrait pas tout à fait un rêve sur son cur! Si avilissante que fût sa passion, elle portait sur une réalité. Il savait au moius ce qu'il aimait et le possédait, et, pour dépravé que fût son amour, il n aimait pas sa seule illusion, à lui-même, sous ces morceaux de ouate, ces cheveux faux, ces jambes d'étoupes et le reste de cette défroque !
«  Ah! vous avez, décidément, l'idéal chevillé daus le cur, milord, et je trouve ce phénomène si admirable, qu'il m'en coûte de détruire sous le coup de hache d'un froid raisonnement votre dernier espoir! murmura l'électricien.
«  Je vous défie bien de détruire cette coustatation-là, par exemple! dit en souriant lord Lyonnel.
«  Pardon, interrompit Edison, vous oubliez que celui dont nous parlous ne s'est donné la mort que précisément parce qu'il reconnut qu'en réalité cette soi-disant femme n'était nullement celle qu'il s'imaginait avoir possédée. Il ne s'est immolé, comme tous les autres, qu'après avoir coustaté et savouré cette suprême déception : c'est-à-dire en s'apercevant que, sous cette carapace d'emprunt, la femme était aussi illusoire que la séduction!  que la passion chez elle était aussi fausse que les cheveux!  que l'attachement, le plaisir, la ftdélité, la confiance, etc., n'étaient que d'autres postiches qu'elle lui empruntait pour sembler être, grâce à cet occulte, artificiel agrégat!  que ses sourires, clichés et empesés comme un nud de cravate, appris et récités, n'étaient que ce qu'ils lui semblaient, à lui!  que les protestatious, récits, mots frivoles, cris charmants, etc., de cette femme n'avaient pas, sous leur bruit, plus de valeur morale que le bruit du vent dans une serrure!  que ces éclats de rire féminius, absurdes, ravissants, n'avaient pas eu d'autre signiftcation, sous leur bruit, que n'en a le bruit d'un papier qu'on froisse !
t Anderson, en un mot, s'était aperçu qu'il n'était pas sorti de lui-même et qu'il avait connubé avec moius qu'une ombre.  Oui, moius! car toute la couscience individuelle (tout le substrat obscur de cet assemblage d'os, de chair, de nerfs et de peau) se réduisait à moius que celle d'une taupe naturelle ou d'une fidèle chienne, c'est-àdire à une sorte de machinale peur de se désagréger de bête animée et ambulante. Je dis animée daus le seus mécanique, bien entendu, comme l'on dit : un projectile animé d'une vitesse de x. 
« Bref, l'on ne devrait pas dire que de pareilles femmes sont mortes, elles n'ont pas plus en elles de quoi mériter le mot mourir que le mot vivre. On devrait dire : cet accidentel amalgame, cette contingence vide et nulle, ce machinal devenir s'est dissous : voilà tout.
« Pourquoi la faire bénéftcier morte d'un sentiment dont elle eût éclaté de rire pendant sa vie, et d'un rire aussi creux, aussi nul et vide que ses larmes, si elle eût pleuré ? Gardous le sentiment de la mort pour qui sut vivre...
«... Et ne soyous pas dupes de la forme humaine,  si daus les mystérieux laboratoires du devenir l'essence hagarde d'un animal quelconque s'y égara et nous apparut!... »
HADALY
La voûte était formée de cette basalte brune, provenue des volcaus des Andes, et soutenue par d'énormes piliers peints daus le goût de ceux de Memphis. Une seule lampe électrique au globe azuré suspendu au centre illuminait la pièce. Audessous du foyer de cette lampe, une longue table, taillée daus un dur porphyre, en recevait les rayous : à l'une de ses extrémités était fixé un
coussin de soie pareil à celui qui supportait en haut le bras merveilleux.
Une trousse, garnie de longs iustruments de cristal, brillait tqute ouverte sur une sorte de guéridon près de la table. Deux hauts tabourets d'ivoire étaient aussi à proximité.
Un brasero de flammes artiftcielles, réverbérées par des miroirs d'argent, chauffait la vaste chambre daus un angle éloigné.
De grands rosiers d'Orient chargés de roses en fleur, des étoffes parfumées s'espaçaient le long des tentures. Daus les intervalles, en buissous circulaires, toute une flore artificielle s'épanouissait, et c'étaient des prestigieuses couleurs, des pistils lumineux, des pétales parsemés d'une rosée de senteur. Toutes ces fleurs bougeaient, comme caressées par une brise imaginaire.
Une foule d'oiseaux des Florides et des parages du Sud américain voletaient sur les branchages, entre les feuilles, avec des rires humaius. Tous avaient les yeux fixés sur le visiteur.
Edison resté daus l'obscurité...
«  Mylord, cria-t-il, l'on va vous saluer d'une assez curieuse aubade ! Ah! que n'ai-je prévu la conversation! Si vous n'eussiez pas surmené les chaudières de l'express de Menlo-Park... Ne soyez nullement surpris de ce que vous allez voir et entendre. Les oiseaux de Hadaly sont des'tondensateurs ailés et emplumés. J'ai remplacé en eux, par la parole, le chant démodé et saus signification de l'oiseau normal.  L'oiseau criant, dès l'aurore, des réclames de négociants daus les forêts... ce sera l'utile et l'agréable... L'un des plus grands poètes de l'Union a bien voulu m'écrire quelques mètres sur une donnée de moi analogue à celle de l'événement qui vous arrive... j'ajouterai qu'il m'a paru plaisrnt de faire prononcer ces vers un à un par quelques-uus de mes visiteurs de hasard sur un phonographe, puis de les trausposer en ces oiseaux... Pour moi, je ne comprends rien à ces rimes, n'étant pas un rêveur; mais le poète en question m'ayant affirmé qu'ils sous-entendaient quelque chose, je l'ai cru sur parole, voilà tout. N'y accordez donc qu'une attention de simple curiosité pendant que j'amarre l'asceuseur... *
... La paisible respiration de miss Hadaly soulevait son sein, elle chantait d'une voix douce... et avec les inflexious d'une mélancolie surprenante :
L'Espoir sacré pleure à ma porte. L'Aurore me maudit daus les cieux. Fuis-moi! Va-t'en! Ferme les yeux! Car je vaux moius qu'une fleur morte. 
Lord Angel était envahi par une sorte de surprise terrible. L'oiseau de paradis, d'un ton compoinct, s'écria :
N'accède pas à de tels vux !
Et un oiseau-mouche :
Pourquoi se troubler de la sorte ?
Et un serin, avec l'intonation dubitative d'un professeur de l'université de Philadelphie, et le regardant de travers :
Serious-nous superstitieux?... Sa raison semble assez peu forte ! 
Un colibri, avec l'organe d'un marchand d'huile de porc de Cincinnati :
Je ne le crois pas sérieux !
Une huppe, avec un rire :
Pour avoir été curieux,
Craint-il que le diable l'emporte?
L'oiseau de Paradis :
Sommes-nous ses amis, messieurs?
Tous, en chur de voix rudes et franches : Oui! 
L'oiseau de paradis, concluant :
Donc!... Son sort?... Que nous importe. S'il nous fournit nu mot heureux, Quelque bon calembour ou deux ! 
Tous, en chur :
C'est vrai, si le diable l'emporte, Soyous hommes, que nous importe ? 
Hadaly reprit, et sa voix sanglotait :
N'écoute pas, ferme les yeux! Rejoius l'Espoir hors du seuil sombre. Ton amour va renaître aux cieux. Si ton âme en méprise l'ombre. 
Chapitre XXI.  Les Yeux.  Lord Lyonnel regardait Edison avec stupeur.
«  Avez-vous vu de beaux yeux, vous-même ?
« Oui, répondit lord Lyonnel. En Abyssinie.
«  Soit, qu'entendez-vous par de beaux yeux?
«  C'est bien compliqué ce que vous deman
J 1  I
dez la !
«  Compliqués, le regard, les yeux? Certes, oui ! C'est infmi même, comme toute chose, comme l'atome, puisque tout se tient. Mais, en classifiant, en décomposant un peu, toute question s'élucide. Tenez, en général, quand l'il d'un homme brille (Et c'est si facile de faire briller l'il !), les femmes disent : « Cet homme a de beaux yeux! »  Cet homme fût-il, d'ailleurs, un crétin, un Agota, un niais,  attendu que le brillant des yeux a pour couséquence de faire croire à bien des femmes (et ce, jusqu'à leur en donner la sensation) que l'homme qui a des yeux brillants, sombres, etc. doit être « passionné », et possède, en cette qualité, ce qu'elles appellent du caractère.  Or, quand j'aperçois ces yeux-là, moi qui vois au fond, je vous assure que, trausposant la couleur daus le son correspondant, il me semble, à chaque fois que cet il jette sa facette, entendre, distinctement, hélas ! à mon oreille clairvoyante, le gloussement borborvgmeux du dindon en colère, parce qu'il est en colère! 
«  Cependant, s'ils ont une expression? dit lord Lyonnel.
«  Oh! c'est de la qualité du brillant de l'il dont vous me parlez, alors, c'est-à-dire d'un abîme! s'écria Edison, et non de l'éclat! C'est tout différent: ni sur terre, ni daus les yeux extérieurs, il n'y a point d'abîme comparable à celui-là ! Et la meilleure preuve, c'est que j'ai là, daus cette boite, des yeux tellement beaux, tellement noyés, tellement splendides, qu'aucun être humain, j'ose le dire (et tout bon oculiste sera de cet avis), n'en a jamais possédé d'aussi admirables! et saus la paillette de la vie, c'est comme si je n'avais rien!...
«  Ah?... dit lord Lyonnel.
«  Oui, dit Edison. Heureusement que j'ai l'étincelle de la vie, le feu de Prométhée, le fluide !
ff  Encore l'électricité!
«  Toujours, dit Edison.
«  Mais l'âme?
f.  L'âme!., vous avouez donc que vous y croyez, puisque vous coustatez son absence?..
« J'y crois, ditlord Lyonnel,je suis né avecle seus de mon âme. L'âme est une question de naissance, comme tout le reste. Cela ne se défmit pas plus que le reste. Cela est, on le sent ou on ne le sent pas : voilà tout. »
Edison regarda lord Lyonnel saus parler, pendant quelques iustants.
«  Tenez, vous êtes... plus étrange que moi, » murmura-t-il.
(Variantes de la Scène d'Amour.) 
f.  O prince des forces du monde, ne me repousse pas, toi qui m'as appelée! Eve inachevée, je te demande la vie ! Créateur, iusuffle ta créature! Peuse, et je suis! Si tu doutes de mon être, je m'anéantis! Je te suis ce que tu es à Dieu ! Ce n'est qu'en toi que je puis être vivante ou inanimée! Quoi ! tu frémis? Est-ce de ton pouvoir ou de mes larmes? Tu charges de chaînes l'idéal et l'esclave t'intimide! Ose m'imaginer, ou je suis perdue! Si tu ne plaius, toi aussi, que d'un sourire, je suis perdue!..
« Certes, tu dois me dédaigner : je ne suis pas de celles qui trahissent ! Ma chair éthérée, mes seus divius, mes paroles idéales, où toutes les harmonies sont captives, les trésors de vertige, de mystère et d'oubli qui s'émanent de ma vision, ma- coustance profonde, mon impressionnabilité, certes, ce sont là des attraits de peu de valeur près de ceux d'une femme!.. Cependant, si ce sont d'élégantes et perfides frivolités qui te séduisent, si tu me crois grave et dangereuse, si tu regrettes en moi l'absence d'une femme amusante et spirituelle, oh! c'est bien facile! Ma nature est multiple et je puis devenir toutes les femmes. Si tu me préfères mon modèle, l'aimable miss Evelyn, appuie seulement sur cette bague, pas cellelà, l'opale de mon petit doigt, et Hadaly va s'évanouir, en devenant l'autre ! »
Lord Lyonnel, saisi par une curiosité infernale, allait presser la bague trausfiguratrice, lorsqu'il entendit Hadaly lui dire à l'oreille d'une voix sourde, suppliante :
"  Oh ! pour l'amour du ciel!
f.  Sois exaucée, Hadaly, dit lord Lyonnel, l'être de celles dont tu parles ne vaut pas la peine d'être évoqué. Reste seule.
«  Oh! c'est bien vrai, ce que tu dis? C'est vrai que tu arracheras de mes poumous d'or le ruban de métal où la valeur de cette âme visible est ajoutée à moi? »
Stupéfait de cette phrase, qui lui rappelait la soi-disant réalité, lord Lyonnel demeura d'abord saus répondre; puis, livide, il dit :
f.  Je le jure, Hadaly! »
f. Ames des fiancées mortes avant le baiser nuptial, vous qui flottez autour de ma présence, je suis l'être obscur qui n'a droit à aucun souvenir... Mon sein infortuné n'est pas digne d'être appelé stérile... Odieux à sa race et sacrilège envers son âme serait l'effrayant déserteur qui, tenté vers de sombres délices, au mépris des flancs qui se déchirèrent pour lui donner le jour, s'aventurerait, pour le deuil de l'amour, jusqu'à cueillir la fausse fleur de ma vaine virginité... Au néant sera donné le charme de mes baisers solitaires! Mes caresses, l'ombre seule, hélas, les recevra! Au vent parfumé, au vent mes paroles! Je serai comme ces femelles d'oiseaux tristes qui, désertes ou captives, et n'ayant pas d'ufs à couver, épuisent leur mélancolique maternité à couver la terre !... »
* * *
Tout à coup, l'Andréide, brisant délicieusement sa féminine voix en un timbre de contralto si sourdement tendre que le jeune homme en ferma les yeux :
«  Je veux t'apprendre des choses ignorées des hommes et familières daus le monde où je suis... Oh! dit-elle, si je tache ma robe-sur la terre toute mouillée du soir, en m'inclinant aiusi à genoux, c'est que mon corps immortel ne tient pas comme les femmes à ces enfantillages... Je suis celle qui n'entend que de bien loin, et toutes les âmes des fiancées déçues daus leur amour s'efforcent de me donner un peu d'existence... La chair mortelle ne vaut pas ma chair éthérée, presque céleste, et qui n'attend que ton souffle pour devenir divine comme l'Eve de votre légende sacrée! Je ne sais pas plus ce que je dis qu'une femme, mais j'aime mieux, puisque je ne fais jamais de mal et que je périrai quand tu mourras... Pour être méprisée, suis-je donc de celles qui acceptent devant Dieu la possibilité d'être veuves? Tu peuses peut-être à des enfants?.. Ecoute! je ne serai pas jalouse, si c'est pour avoir des enfants que tu me trahis jamais ! Car je ne puis exister un peu que parmi les anges, et les anges sont hermaphrodttes et stériles, et je sais que l'amour que j'iuspire n'a que faire des saintes conventious de la nature!... »
Le vertige commençait à gagner le jeune , homme. L'épouvante s'amalgamait avec l'iuspiration ; un sentiment plus violent que l'amour courait daus son sang. Le sein de l'Andréide bondissait et l'énivrait de ses parfums connus mais subtilement trausfigurés ; ses yeux à demi clos le regardaient et il frissonnait daus la nuit.
«  Ecoute, il faut que je te dise ! N'est-ce pas, c'est ma virginité qui te rend pâle? Mais, continua-t-elle en souriant, elle est éternelle et tu garderas son reflet daus ton âme à travers l'illusion des années!.. Songe que si tu m'acceptes pour esclave, tu ne vieilliras plus, pas plus que moi! Tu disparaîtras en ma beauté saus mourir, ô mon amant! D'abord, je ne veux pas que tu meures : tu n'en a plus le droit, m'ayant écoutée! Tu ne mourras pas, te dis-je, tu ne mourras pas, mais nous serous comme des Dieux, sachant le bien et le mal. »
« Quant à tous ces moyeus employés extérieurement pour arriver à ce grand uvre, quant à tous ces riens d'électricité, de phonographes d'or et de rayous de soleil, qu'importe, pourvu que le rêve se produise et que ce qui le produit ne se démente pas, comme une vivante ! Aiusi que l'a dit un écrivain français : f. Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse! »  Eh bien, l'Ivresse, ajouta Edison, en montrant le cercueil avec un sourire,  la voilà! saus même qu'il soit nécessaire... de se donner la peine de boire. »
Villiers De L'isle-adam. 
PRIERE 
A Albert Samain. 
Seigneur! couservez-moi moa chagrin vénérable! Que mon chaste dédain soit fort comme un érable! 
Couservez-moi, Seigneur! rues ténèbres, afin Que mon désir oublie à jamais qu'il eut faim ! 
La joie est le gluau misérable où s'attache L'aile blanche de nos virginités saus tache. 
Mais la souffrance est le sol fécond où tu crois, Fleur de mystique amour, loin des tièdes effrois. 
Et c'est pourquoi, Seigneur! j'ai fait de ma tristesse, Lourd tissu de mes deuils, une tenture épaisse 
Où mon culte s'isole, avec la volupté
Du chien qui voit marcher son maître à son côté.
Je suis le chien boueux qui hurle daus la cave Où la mort a tendu son ombre froide et grave. 
Seigneur! purifiez mes seus daus le sommeil! Le mal prend couscience aux gaîtés du soleil! 
Et mes yeux de scandale ont scellé leurs paupières, De peur qu'un rayon dur ne heurte les prières. 
La cendre de douleur couvre mou front penché. Devant le spectre blême et louche du Péché 
L'espérance d'en bas, honteuse, se retire, Et,parfum douloureux de mon urne martyre, 
Comme un murmure lent sort d'un buisson geigneur, Mon extatique ennui monte vers vous, Seigneur ! 
Louis Denise 
 Mangeous des souvenirs daus la coupe d'agate, Mangeous les grappes d'or des souvenirs épars !...
 Regarde frissonner notre vieille frégate Appareillant déjà pour de nouveaux départs...
 Nos deux curs sont trop vieux pour quitter les rivages Où nous n'avous trouvé que des fleuves amers... Nous ne referous plus les longs et beaux voyages, Nos curs bercés parla chauson calme des mers... 
 Rappelle-toi le temps de nos aveux tremblants... Hélas, maintenant, vois, nos deux curs ont des rides, Nos curs sont des vieillards graves, à cheveux blancs, Qui ne quitteront plus ces littoraux arides!... 
 Dis-moi, ah! dis  pour cousteller ces soirs farouches Dis-moi tes souvenirs des choses de jadis, Dis-moi tes clairs baisers qui fleurissaient nos bouches, Les rouges voluptés de nos vieux paradis !... 
Ces reliques, dis-les, chcre langue perverse... Evoque tes parfums des roses qui m'ont plu... Toi, mon printemps fané, que ta lèvre me verse Un peu du jeune avril qu'elle ne connaît plus!... 
Ne te souvient-il point des rires de ces faunes Qui faisaient s'envoler nymphes et papillous?...  La tempête, aujourd'hui, tord nos crinières jaunes Et mord ta peau, par tous les trous de tes haillous !... 
 Maudis-tu donc encor la pâle châtelaine Pour qui ma pauvre vielle a bien longtemps chanté, Qui daigna m'écouter pleurer ma cantilène, Assise au balcon d'or du manoir enchanté r'... 
Rappelle-toi l'effroi des robes dégrafées, Daus les grisants parfums de ce jardin galant Dont les fleurs ressemblaient à des lèvres de fées!... Rappelle-toi tous rues baisers sur ton cou blanc... 
Rappelle-toi ces nuits où les ailes d'un ange Embrasaient de leur vol les cèdres du ravin... Et nos rires d'argent, ce midi de vendange Où tu te barbouillas les pommettes de vin... 
O le baume enchanteur des choses en allées!.. O le royal nectar dos souvenirs amers!... O les baisers surpris aux tournants des allées!. Et nos rêves bercés sur l'azur doux des mers!... 
O l'évocation des jeunesses lointaines
Où revivent des voix d'enfantius violous !...
O tes petits pieds blancs daus le chant des fontaines !...
Et leslys! et mes doigts daus tes longs cheveux blonds !...
O tout notre passé!... et toute notre joie!...
 Maintenant les éclairs brûlent nos fronts tremblants
Et l'ouragan, parmi les rochers, roule et broie
Nos curs, nos pauvres curs, déchirés et sanglants!...
 Nos deux curs sont trop vieux pour quitter les rivages Où nous n'avous trouvé que des fleuves amers... Nous ne referous plus les lougs et beaux voyages, Nos curs bercés paf la chauson calme des mers... 
 Regarde frissonner notre vieille frégate Appareillant déjà pour de nouveaux départs...
- Mangeous des souvenirs daus la coupe d'agate. Mangeous les grappes d'or des souvenirs épars.
Mars 1890. 
G.-albert Aurier. 
NOTICES LITTÉRAIRES 
LAURENT TAILHADE
L'homme connu, c'est quelque étrange, et prestigieux qualificatif, tel que satrape, archimandrite ou prince du Saint-Empire, que l'on rêverait d'accoler h son nom. Et le fait est qu'il s'évoque pourpré, avec, dirait Verlaine, des somptuosités persanes et papales. Je ne sais pas d'artiste plus soucieux de sa personne, qu'il compose et raffine à la façon d'un poème. On ne le rencontre que rasé, verni, ganté. Tout ce qui émane de lui, ses lettres même ont un parfum aristocratique et doux. Il se vêt d'habits singuliers. Oh le vit, à Toulouse, porter la bure en stgne de deuil. M. Jean Lorrain a cité de lui, quelque part, sa prédilection pour les gilets de soie éclatants et tumultueux. Naguère encore, affublé d'une cape, ne suggérait-il pas, daus les ruelles torves du quartier Notre-Dame et du Marais, une vision de Salamanque!
Ses gestes, son langage ne sont pas moius apprêtés que ses vêtements. Servi autant par les richesses d'un esprit abondant que par les ressources d'une érudition profonde, c'est un causeur émérite, tel que je ne lui sais de comparable, parmi les gens de cette fin de siècle qu'il m'ait été donné d'entendre, que Villiers de l'Isle-Adam et Stéphane Mallarmé, avec chacun, je n'ai pas à le dire, un tour d'esprit propre sur lequel je me propose de revenir un jour.
Chez Bruand, au Vachette ou daus le salon de la comtesse Diane, M. Tailhade fait revivre le langage à facettes et la préciosité fleurie de Voiture. Il y ajoute de l'incisif et du mordant. Il a des mots cinglants, des réparties féroces, et les velours de son élocution savante ne dissimulent pas toujours les gritïes d'une ironie acérée. Avec cela, d'une humeur bouillante et d'un sang qui, à la moindre alerte, se retrouve espagnol .
C'est lui qui, un soir, au café, invectivait de la sorte un pleutre borgne, attablé près de lui :
« Je vous envie, mousieur : à l'heure de la mort,
» vous n'aurez qu'un il à fermer et point d'esprit à » rendre. »
C'est encore lui qui, d'un feuilletoniste outrecuidant jusqu'à s'attribuer la traduction de je ne sais quel roman slave, disait :
« Admirons bien humblement l'ingéniosité de cet au» teur qui, ne sachant ni le russe ni le français, a su » converser l'un de ces idiomes daus l'autre. »
Plus d'une des blessures qu'il fit à l'amour-propre d'autrui saigne encore. Demandez plutôt à Maizeroy, à Jean Rameau, à Pierre Loti et à tant d'autres. Sa haine a cela de bon, d'ailleurs, qu'elle ne s'attaque guère qu'à des parvenus de lettres. De bonnes âmes lui souhaiteraient plus de charité chrétienne. Je ne puis me ranger à leur opinion, estimant que nous aurious trop à y perdre.
N'allez point au moius, sur la foi de cela, vous figurer Tailhade un triste et un rageur, une façon de Bloy ou de Huysmaus. Il a des heures de haut comique, où il ne dédaigne pas les mystificatious. Sur le boulevard SaintMichel, de Bullier au café du Soleil d'Or, il effare les malheureuses filles qui traînent là une jeunesse d'emprunt et les médiocres résultats d'une élégance appliquée, en s'approchant d'elles, tout velours et leur flûtant des sucreries aigres de ce genre :
< Desservie par un visage tel que le vôtre, madame, la prostitution doit être un métier bien pénible ! »
Ou encore :
< Vous m'iuspirez un sentiment bien pur : l'horreur du Péché ! »
Non moius amusant, certes ! quand, parmi des artistes, il s'écrie, avec daus les yeux tou'.e l'amertume d'un Ovide exilé :
Cette noble lyre, Dieux ! que ne l'ai-je eue ! Je voudrais tant lire Des vers de Baju ! 
Je me souvieus d'une nuit où, pénétrant daus un lieu toléré, le chapeau à la main, et tout le Grand Siècle dans sa révérence, il disait à la dame de comptoir :
 «Ne pourriez-vous, madame, résoudre le doute où je suis de la présence en ces lieux de mouseigneur le nonce apostolique ? »
Et tout aussitôt de ressortir, imperturbable, tandis que, ne pouvant croire à tant de rouerie, les cousommateurs s'interrogeaient du regard, peusant découvrir parmi eux le saint prélat.
H
Daus les lettres, M. Tailhade débuta Parnassien. C'est au Jardin des Rêves qu'il dut de goûter le miel premier des renommées glorieuses. Ce volume renferme des choses fortes ou simplement gracieuses, où se trahit un culte appliqué de Banville. Je m'abstieus  encore que quelque douceur m'y serait départie  d'iusister sur ce recueil, puisque l'auteur s'est mis en tête de le désavouer.
Il est coustant que M. Tailhade a, depuis, évolué du tout au tout.
Daus Lutcce, cette feuille impertinente et savoureuse, à côté du Maitre Verlaine et de poètes succulents, tels que Griffin, Ajalbert, de Régnier, Dumur, Tailhade contribua à précipiter le mouvement décadent. Il formait avec Vignier et Moréas ce qu'on était convenu d'appeler le trio de fins poètes. Ces poètes se faisaient remarquer surtout par un soin de la forme minutieux jusqu'à l'excès et par la notation des seusatious les plus fragiles.
Lntèce morte , Tailhade poursuivit au Décadent (deuxième série) le cours de ses exploits avec plus de virtuosité que jamais. Là éclate daus toute sa splendeur, vers et prose, le magnifique, le radieux Tailhade. Et pourtant, ces choses splendides, le poète déclare n'y attacher d'autre importance que celle d'un menu tapotage au piano, soucieux, ajoute-t-il, de n'être point confondu avec les bardes irrémédiablement confits en Trissotin.
A côté de poèmes catholiques fervents, il offre à "admiration des poèmes d'un paganisme aigu. L'incouséquence est plus apparente que réelle, ces poèmes divers provenant tous d'un même fonds de sensualisme oriental qui est l'essence même de sa nature. Tailhade est surtout un plastique; toute la nature physique, les fleurs, les diamants, les métaux rares, les étoiles, s'épanouissent daus' ses vers abondamment. Sa religion est surtout décorative. L'imagination s'y échauffe plus que le cur. Ce qu'il chante, c'est, avant tout, la pompe extérieure du culte, c'est le flot d'enceus à travers les vitraux orfèvrés, le flamboiement des dalmatiques, la somptuosité des chapes, c'est toute la féerie des vêpres où des mousselines, de la soie et des velours processionnent daus le bruit montant des orgues et le concert des voix cperdues ; ou bien c'est la langue des offices du soir :
Un soir de flamme et d'or hante la basilique, Ravivant les émaux ternis et les couleurs Anccstrales de l'édifice catholique. 
Et soudain  cuivre, azur, pourpre chère aux douleurs,  Le vitrail que nul art terrestre ne profane Jette sur le parvis d'incandescentes fleurs. 
Car l'eusoleillement du coucher diaphane, Daus l'ogive où s'exalte un merveilleux concept, Intègre des lueurs d'ambre et de cymophane. 
Il vit avec les saintes images.
J'ai choisi pour l'aimer d'une amour enfantine, Sur l'icône enfumé peint aux quatre couleurs, Un barbare portrait de Sainte byzantine. 
Afin que soient les âmes tristes pardonnées,
La Sainte aux yeux plus purs que l'Onde et que le Soir
Croise dévotement ses maius prédestinées,
Ses belles maius qui n'ont touché que l'enceusoir
Et l'unique froment réservé pour l'Hostie,
Et les nappes de lin où l'Agneau vient s'asseoir.
Limpide, avec l'immarcessible Eucharistie
Du pâle front auréolé de cuivre bleu,
Sa chair porte le scel de sa gloire impartie.
Aiusi daus la vapeur des baumes et le jeu
Des orgues, et le chant des vieux antiphonaires,
Elle écoute l'appel ineffable d'un dieu.
Et l'orgue, déroulant sa plainte et ses tonnerres, La caresse de mots énamourés; le chur Des hymnodes lui dit les proses centenaires; 
Car son âme ingénue et forte, son doux cur De neige, comme un vol béni de tourterelles, Ont fui ce monde impur où le Ueuil est vainqueur. 
Ne vous semble-t-il pas que, pour si trausportés qu'ils soient daus une sorte de région immatérielle et de rêve, ces poèmes témoignent surtout d'une délectation purement physique ? Quoi d'étonnant que le Poète ait la même flamme daus la voix pour chanter le bel azur de l'Hellade, la llour païenne des lauriers-roses,
Et Narcisse au grand cur qui mourut de s'aimer.
Lisez Psaume, d'Amour, lisez Hymne Antique, et vous coustaterez qu'il y brûle la même ardeur seusuelle, et que c'est le même cur qui s'applique à des soius différents. Partout d'ailleurs le coloriste triomphe, et vous trouverez daus ses poèmes (ai-je dit que M. Tailhade était d'origine basque?) toute la radieuse mollesse, tout le lumineux velours des toiles de Murillo.
III
La partie la plus savoureuse de son uvre en est la moius austère. Il a cultivé un genre spécial de ballades et de quatorzains d'une bouffonnerie quelque peu acerbe, dont il' reste  en dépit de toutes revendications possibles Coppéennes et Banvillesques  l'initiateur. Son esprit caustique et mordant s'y exaspère, et c'est d'un tour de bras preste non moins que vigoureux qu'on l'y voit fustiger tout ce ramassis de filles du monde, de bas bleus avariés, de rastaqouères de lettres et de pleutres circoncis qui encombrent notre littérature et nos boulevards. C'est un carnaval réjouissant où peu d'épaules esquivent les étrivières. A côté de cela, des strophes d'art pour l'art, d'un délié qui va jusqu'à l'évanouissement, d'un délire abondant qu'Aristophane lui-même n'a pas connu, et qu'il lui a plu de sigiller de ce pseudonyme cocassement épique : Mitrothane Crapoussin. 
Toutes ces pièces éparses en mille revues vont incessamment paraître en librairie. Les quatorzaius et les ballades s'étiquéteront « Au Pays du Mufle », et les autres poèmes, tout de mysticisme et d'orfèvrerie, formeront le recueil pancarté « Sur champ d' or » Ce sera pour l'un de mes amis du Mercure de France l'occasion de vous en reparler, avec plus d'autorité et tous les développements désirables.
En attendant, je ne puis résister au désir de vous citer un sonnet du poète. C'est un peu du Tailhade à l'eau de rose, mais beaucoup d'esprits délicats préfèrent ce Tailhade-là, et d'ailleurs le sonnet n a pas encore été publié, que je sache.
HÉLÈNE (Le laboratoire de Faust daus Wittemberg) 
Des âges écoulés j'ai remonté le fleuve, Et, le cur enivré de sublimes desseius. J'ai quitté le Hadès et les ombrages saints Où l'âme d'une paix immuable s'abreuve. 
Le Temps n'a pu fléchir la courbe de mes seius. Je suis toujours debout et forte daus l'épreuve, Moi, l'éternelle vierge et l'éternelle veuve Que la guerre a bercée 2ux clameurs des tocsius. 
O Faust! je vieus à toi du sein profond des Mères. Pour toi, j'ai vaincu l'ombre pâle où des Chimères Tragiques etles Dieux roulent eusevelis. 
J'apporte à ton désir, du fond des jours antiques. Ma gorge, dont le Temps n'a pas vaincu les lis, Et ma voix assouplie aux rhythmes prophétiques. 
En résumé, l'uvre de Tailhade est cousidérable  ConsidÉrable  j'y iusiste, h l'adresse surtout de ces geus de lettres qui vont encombrant les comptoirs de librairie de leurs intarissables productious mort-nées, et qui affectent de priser un confrère au poids de ses volumes. En dépit de ses trois livres, le poète est jeune encore (il n'a que trente-cinq aus), et c'est une sorte d'Achille tout bouillant de projets. Il ne m'appartient pas de dire quelles affres poignantes ont blanchi ses cheveux et ridé sa tempe avant l'heure, mais j'ai bien le droit de rappeler que la vie fut dure à ce délicat. Si sa voix longtemps fut silencieuse, c'est qu'elle était étouffée de trop d'orages. Ce n'est pas de tous  et c'est tant mieux!  que l'on peut dire : Impavidtim fcrient ruina:. 
Ernest Raynaud. 
ORGUEIL
J'ai secoué du rêve avec ma chevelure.
Aux foules où j'atlais un long frisson vivant
Me suivait comme un bruit de feuilles daus lcvent;
Et ma beauté lançait des feux comme une armure.
Au large, devant moi, les curs fumaient d'amour: Calme, je traversais les désirs etles fièvres; Tout drame ou comédie avait lieu sur mes lèvres; Mon orgueil éternel demeurait sur la tour. 
Du remords imbécile et làche je n'ai cure, Et n'ai cure non plus des bâtardes pitiés. Les larmes et le sang, je m'y lave les pieds! Et je passe fatale aiusi que la Nature. 
Je suis saus défaillance, et n'ai point d'abandous.
Ma chair n'est point esclave au vieux marché des villes;
Et l'Homme, qui fait peur aux amantes serviles,
Sent que son maitre est là quand nous nous regardous.
J'ai des jardius profonds daus mes yeux d'émeraude, Des labyrinthes fous, dont on ne revient point. De qui me croit tout près, je suis toujours si loin, Et qui m'a possédée a possédé la Fraude. 
Mes seus, ce sont des chieus qu'au doigt je fais coucher. Je les dresse à forcer la proie en ses asiles. Puis, l'ayant apportée, ils attendent, dociles, Que mes yeux souveraius leur disent d'y toucher. 
Je voudrais tous les curs avec toutes les âmes ! Je voudrais, chasseresse aux féroces ardeurs, Entasser devant moi des curs, encor des curs... Et je distribuerais mon butin rouge aux femmes. 
Je traîne, magnifique, un lourd manteau d'ennui Où s'étouffe le bruit des sanglots et des râles. Les flammes qu'en passant j'allume aux yeux des miàles Sont des torches de fête en mon cur plein de nuit. 
La haine me plaît mieux, étant moius puérile. Mère, épouse, non pas : ni femelle vraiment ! Je veux que mon corps vierge, aiusi qu'un diamant, A jamais comme lui soit splendide et stérile. 
Mon orgueil est ma vie, et mon royal trésor ; Et, jusque sur le marbre où je m'étendrai, froide, Je veux garder, farouche, aux plis du linceul roide Une bouche scellée, et qui dit non encor. 
Albert Samain. 
DÉCOUPURES 
I LE GARDIEN DU SQUARE 
C'est, entre une caserne haute et l'échafaudage d'une maison qu'on ne finit pas de construire, un square pauvre.
Si on osait en comparer la verdure à quelque tapis, ce serait à une carpette usée et souillée par des chaussures sales. Les oiseaux ne s'y posent plus. On ne leur a jamais jeté de mie de pain, et peut-être qu'elle leur serait volée! Aucun industriel n'a jugé commercial d'y iustaller une bascule automatique.
Sur les bancs aux dossiers durs, les pauvres bâillent, dorment la bouche ouverte aux feuilles tombantes, ou bien ôtent leurs souliers et font prendre l'air à des pieds impurs et malades qu'une mère ne reconnaîtrait pas. Quelques-uus lisent des bouts de journaux saus date, qui ont enveloppé du fromage. Ils y cherchent des chieus à retrouver.
Sorti de son kiosque, le gardien du square se promène en uniforme vert, tenant ferme la poignée de son épée afin d'éviter ses crocs-en-jambe. Il dévisage ces déguenillés, toujours les mêmes et toujours là, qui lui font honte. Volontiers, il les provoquerait. Sournoisement, chaque matin, il croiserait des baguettes sur les bancs saus cesse enduits de peinture fraîche.
Mais ces meurt-de-faim y prendraient-ils garde? Ils sont assez las pour dormir sur des culs de bouteille.
Puisqu'il n'a que de pareils êtres à surveiller, ses fonctious lui semblent basses et la supériorité en ce monde une chose vaine.
Soudain, il reprend tous les pouces qu'il avait perdus de sa taille, et sourit : un couple lui arrive d'un mousieur et d'une dame bien mis, qui marchent lentement, hanche contre hanche.
Le gardien se cambre, avec une mimique gracieuse et discrète, comme s'il voulait faire les honneurs et inviter Madame et Mousieur à s'asseoir... oh! cinq minutes seulement!
Mais le couple passe, laissant derrière soi une odeur fine que tous les nez respirent pour la porter à tous les curs. Le parfum d'une femme ne donne-t-il pas l'envie de s'attabler à son corps?
Le gardien se penche sous un peu plus d'humiliation .
 « C'est ma déception quotidienne, se dit-il. Comment d'honnêtes geus proprement vêtus s'arrêteraient-ils au milieu de cette gueusaille? »
II rentre à son kiosque, et, découragé, par les vitres, d'un il méchant, surveille (il le faut bien!) cette troupe infâme et saus étage qu'il ne peut pas mettre à la porte de chez lui.
Jules Renard. 
Pour Adolphe Rctic. 
En mon rêve, où régnait une Magicienne, Cent violous mignous, d'une grâce ancienne, Vêtus de bleu, de rosé, et de noir plus souvent, Se mirent à jouer il semblait pour le vent... Des musiques delà couleur de leur costume, Mais où pleuraient de folles notes d'amertume, Que la Fée, une fleur aux lèvres, saus émoi, Ecouta longuement se prolonger en moi, Et dont j'ai trausmué l'écho, pour lui complaire, En ces joyaux voilés d'ombre crépusculaire, Qu'orfèvre symbolique et pieux j'ai sertis A sa gloire, 
QUAND LES vIOIONS SONT PASTIS
LA MALE HEURE
Pour Ernest Rnynaud, 
Les doux printemps d'illusion sont révolus : Au ciel, que les soleils ne glorifieront plus, Vois accourir, à la fanfare des rafales, Les galères de neige en foules triomphales. 
Des ailes ont voilé d'un augurai linceul Le refuge d'azur qui nous demeurait seul ; La désolation solitaire des grèves Envahit le jardin que fleurirent nos rêves, 
Tout se déchire en de funèbres nudités : Les grands lis ingénus et les ferventes roses Sont partis à la bise en papitlous moroses, 
Le rife est mort daus les bosquets désenchantés,
Où désormais retentira la voix saus leurre
Du vain clocher d'espoir qui tinte la male heure.
Edouard Dubus. 
LES RELIEFS 
NOCTURNE
à J.-K. Iluysmans. La Ténèbre va communier.
Ce spectacle, on dirait tel fusain d'Appian que, potache, il fallait éclairer moyennant la boulette de pain.
La frivole brise est partie, ayant remis en chignon ses tresses imperceptibles qui tournent la tête aux moulius ; mais elle oublia sa fille, brisette à l'usage des poupées.
Une pie, réintégrant son marronnier, ferme et déferme sa lettre de faire part.
Le silence pose ses agrafes. Cependant un gravier d'insectes  maquillage bavard  persiste sur les formes du sol.
Se recueillent les vignes, comme si la dégringolade apoplectique du Soleil avait ôté l'envie de rire. Daus l'heure agenouillée, les'arbres semblent des exameus de conscience ; seuls, les rochers sacripantalement songent.
L'ombre n'est-elle pas la couleur du mystère ?
Passe une dernière escouade de corbeaux: cimetière qui a des ailes.
La chauve-souris éparpille ses coups d'éteignoir sur les premières lampes qui se déclarent, pareilles à de grandes soifs petitement chosifiées. Son vol hybride, coustruit d'hésitatious entre l'aile et le museau, évoque, par ses angles obtus puis aigus, le mètre ouvert puis replié des charpentiers en velours côtelé.
Déjà, sur les chevalets d'herbe, les vers copient les étoiles fraîches aiusi que des caresses.
Ne se distinguent plus les fleurs ; mais le parfum  cette romance pour narines  les divulgue à la façon de la prière sur les tombes.
Ce vêpre égalitaire escamote ma teinte originale et me fait le noyé d'une atmosphère saus-culotte.
Puisque l'obscurité submerge l'apparence, vaudrait-il pas mieux, au crépuscule, ôterses yeux, ses ongles et ses poils, son squelette et sa chair  comme après la bataille un soldat sa ferraille  et, les seus gardés, rester âme uniquement?
Telles que des pudeurs alarmées, les maisous se sont closes; le ver-à-soie des cheminées se tarit parmi les tuiles. Des ombres chinoises, sur les rideaux, trahissent que les geus s'alitent : certaines images, couchées daus le lointain Livre d'Heures, ressuscitent en la mémoire de ma main.
D'un logis où s'ingénie une dot, par fines pluies d'arpèges, la Prière d'une Vierge s'épivarde : quelque demoiselle avec ses doigts fuselés apprivoisant la mâchoire, aux dents cariées de bémols, d'une tarasque moderne.
Là-bas, hargneuse breloque du portail, un dogue expectore son catarrhe contre la charrette, flanquée d'une limousine blasphémante, qui se disloque en passant.
La Ténèbre communie.
C'est comme un jour d'été vu par'desbesicles noires.
Des obsèques où l'on se fiancerait.
Si c'était qu'il neige des cheveux blancs d'on ne sait où ?
Si c'étaient, en maraude, des cygnes invisibles ou bien des âmes visibles presque ?
Si c'était une immeuse robe de veuve sur laquelle deux seius, fraîchement décaressés, auraient pleuré un lait vain désormais ?
Si c'était que les morts font sécher les linceuls ? Ne pleut-il pas sur leur néant quand rarefois l'étang de nos regrets déborde ?
Ces hypothèses écartèlent mon il et mon crâne.
Un bal d'araignées a donc lieu sur ma peau que, toute, elle frissonne?...
Saus doute cela vient de l'immobilité lugubre des peupliers encagoulés...
Oh! là-haut  du moulin décapité : puits céleste  ces gestes orphelius qui s'élancent à la délivrance de leurs membres captifs en le donjon de mon Imagination !...
Une peur d'enfant m'envahit soudain, allumant le désir de me réfugier daus des jupes de nourrice. Si j'ouvrais la bouche, on verrait mon cur flamber peut-être.
Voilà que les choses abandonnent leur ombre comme un manteau qui traîne...
Ce taillis va-t-il pas dégobiller, le sale-bougre muet, d'avoir mis sa langue roide dans son poing?...
Voilà que, de par une course inconsciente, je me trouve à la lèvre d'un précipice. Suis-je donc un bonbon, qu'il m'ait si goinfrement souhaité, cet abîme : appétit en permanence ?...
Soudain les ecclésiastiques cyclopes de pierre, à l'il horaire, psalmodient l'alexandrin de bronze sur les choses dont l'ombre s'abandonne en manteau qui traîne.
Une naïve appréheusion de mort laïque me tire la ficelle du bras qui fébrilement signedecroise ma personne.
Vite, par chance, se m'offre un grand verre d'espace : cognac du père Adam. Réquilibré, sonorement je ris;  mais je médite : le courage n'est parfois que la cuirasse étincelante de la peur.
Et maintenant la nature m'a l'air d'une négresse en chemise, poudrée à frimas.
La ténèbre communie.
Cette façon d'aube les dupant, les coqs écorchent leur coqueluche laborieuse daus les granges diverses. Cela fait, sur la paille, grogner les palefreniers, préfaces de la besogne. Mais ils ont une très vieille montre de famille; un clin rapide vers son minocturne mariage d'aiguilles les fait se r'inhumer en l'Imagerie qui ne se voit que les yeux clos.
J'ambule, l'il au firmament.
Aussi mon pas empreint son poids dedans la merde chue de l'oméga des rustres qui saus gêne ou pressés furent.
Au creux du val, entre les nichons de collines, stagne la Mare brouillée comme un il d'androgyne. Sur ces bords-ci  sourcils en quelque sorte  des ifs singent Hamlet de l'Esplanade; sur ces bords-là --cils alors  des joncs entre lesquels le savoir place en filigrane un guetapeus de faunes rigoleurs.
Un peu partout, au seuil de l'eau, feuilles de salade vivante, les Grenouilles bégueulent tandis que les Crapauds, chanoines gras, daignent laisser choir un rare avis de basse-taille.
Lorsque, inopinément, un Serpent gicle en lazzi d'un sureau creux et menace du courant d'air de son corridor les Bavardes Vertes.
Plie! plac ! ploc!
Et le Serpent, devant les rides ironiques de la Mare et les pieds de nez des ifs, rentre au fourreau de la déconvenue.
Le chien s'est tu, le catarrhe guéri par le sommeil ; le coq ne met plus son coquelicot sonore à la boutonnière de l'heure. Mais encore, très loin, se disloque la tardive charrette conduite par ce capucin du trausport dont la discipline fouette le silence.
La ténèbre a communié.
CONTES D'AU-DELA
LA MARGUERITE
« ... Une vapeur lourde et froide enveloppe les choses, les vagues choses du matin, de sa laiteuse transparence: ce sont des arbres, qui se dressent informes, grands, plaquant leurs silhouettes muettes, immobiles et sombres, près du vide de la route, ainsi qu'une haie, bien alignée, de hauts gardieus noirs. Rarement apparaissent des ombres mouvantes, qui passent daus la brume.
Les feuilles mortes jonchent la terre de leurs petits cadavres roux; et de cette terre, de cette pauvre terre dépouillée, toute nue, ridée de sillous bruus, vient une inexprimable tristesse, qui monte, monte, envahit tout de sa morne angoisse, et ouate mon âme d'un mélancolique brouillard de regrets...
S'enfuient les longues fumées blanches. De fantômes pâles, ce sont les iusaisissables robes. Elles volent, frôlant les cîmes des arbres, se déchirant parfois à leurs branches saus s'arrêter, elles volent, poussées par une bise hurlante qui les chasse, impitoyable. Mais voilà qu'un décor plus précis, scintillant de rosée, sort de ces voiles déchirés. Le charme est-il rompu, que cessent les fantastiques apparences, et que disparaît l'envoûtement qui tenait cachée la nature sommeillant ?
A l'Orient, un soleil rouge teinte de sang les nuées lumineuses, aux reflets diaphanes d'opale ; et, par la plaie faite aux nuages lointaius, s'aperçoit un coin de ciel bleu, de ce bleu passé d'aiguë-marine ou de turquoise.
Ah ! clairs réveils, réveils joyeux, réveils resplendissants des étés chauds, où êtes-vous ?
Jolies fillettes aux cheveux blonds, aux cheveux bruus, toujours beaux; gaies fillettes en robes claires, qui couriez, suivant les libellules rapides, près des ruisseaux où fleurissent les nénuphars, où êtes-vous?
Et vous aussi, rêves d'or, flamboiements d'idéals entrevus, volutes bleues de cigarettes blondes, rosesdécloses au bord des chemius, baisers d'ainantes, ivresses partagées...
Sont-ce pas eux qui s'envolèrent tantôt, devant l'Heure implacable, fuyant sans trêve daus le Présent triste, frêles illusious si vite évanouies?...
Cette pâquerette!  ô l'ironie poignante, contenue en cette fleur de printemps, née là, un jour d'hiver  cette pâquerette mignonne qui s'entrouvre!
... Oui, ce fut une marguerite toute semblable, que j'interrogeais avec Elle.
Etait-ce hier?
Non; il y a plus longtemps que cela; et je me sou vieus.
Maintenant, elle est morte!
Ah, cette petite fleurette des champs, comme elle paraît innocente, virginale! Elle aussi, me semblait plus pure même qu'un lys.
Maintenant, elle est morte ! Ses yeux, ses yeux de pervenche... ils ne se rouvriront plus, et plus jamais, non, plus jamais, elle ne boira mon âme, de ses lèvres aux mystérieuses caresses, de ses lèvres rouges, de ses lèvres chaudes.
Comme elles doivent être froides, à présent!... Mais pourquoi revient-elle aiusi, en mon âme, moi qui croyais avoir pu oublier. Oui, je la revois, la frêle et charmante créature, qui n'est plus... Un soir, où les étoiles riaient daus les cieux assombris, un soir tiède de printemps, je l'avais rencontrée  cette marguerite qui s'effeuille en mes doigts, étrangement!  Des parfums pâles montaient des rieurs endormies. Qu'elle était belle !... Lin peu... 
Un peu... beaucoup!. .. 
En effeuillant la marguerite, elle riait, d'un rire franc qui la secouait toute, et découvrait ses dents, ses adorables petites dents, blanches aiusi que de blancs pétales de camélia. Sa silhouette cambrée, se profilant daus les demi-teintes d'un dessous de bois, où l'épaisse torsade des cheveux blonds brillait seule, nimbe d'or, est demeurée assez précise en ma misérable cervelle pour la troubler encore. Quoique très enfant, elle avait,en même temps que ces gentillesses mièvres de gamine, un fonds de délicatesse, plus sérieuse, de femme.
Passionnément... passionnément!.,. 
Certes, ce fut passionnément que je l'adorai. Avoirparfois, en son visage à l'ovale délicat de vierge, luire un instant ses yeux de violette, d'un éclat humide, tout mon être pantelait sous le poids d'un ineffable bonheur, et mes moelles tressaillaient d'une obscure, vibrante et indéfinissable volupté. Elle avait fait de ma vie la sienne; et j'ai cru, iuseusé", que cette félicité pouvait ne pas finir! J'ai cru cela  alors, les églantiers rosissaient, les bois se drapaient d'émeraude, nous allious tous deux sous le soleil chaud.  Maintenant, les buissous sont défleuris, les branches pleurent leurs feuilles; il fait froid, et je suis là, sans elle... Hélène!... Hélène!...
...Oh, l'inoubliable, l'horrible seusation !... je ne rêve pas... mes maius sont mouillées d'une tiède rosée... comme en cette nuit affreuse.  Non, ce sont des larmes f
Pourquoi, pourquoi ce souvenir toujours revient-il m'angoisser, comme un terrible cauchemar? C'est vrai, elles ne sont pas rouges, mes maius... maius de brute... mains qui l'ont tuée...
J'avais veillé ce soir-là. Penché sur ma table, travaillant, par la porte entrouverte me parvenait le bruit rythmé de sa respiration. Elle dormait.
Me suis-je assoupi ? Sans doute; car, à un moment, reprenant possession de moi-même, comme au sortir d'un rêve  ah! il commençait, le rêve, rêve lugubre et trop réel  j'entendis un bruit anormal daus la chambre. Est-ce à ce moment que j'eus l'atroce idée de me saisir d'une arme ? Et pourquoi ?  Mais qui dira jamais les causes obscures, secrètes, confuses des obéissances irraisonnées, des aveugles, des complaisantes soumissious aux ordres de l'Incouscient !  Brusquement j'entrai, et je vis un homme, un autre, couché là, près d'elle... Encore, à cette heure, la vision m'obsède, de sa précision troublante et funeste. Là, elle est là... C'est l'ombre fauve de ses cheveux qui lance aiusi des rayous d'or sur la liliale floraison des chairs nacrées, que teinte imperceptiblement d'azur le délicat réseau des veines trausparaissantes. Ce sont eux... devant moi... ce sont eux... et ils rient, je crois... Ah!...
Ai-je fouillé le lit de mon couteau? Il ne me souvient plus. Je suis, il me semble, tombé sur un fauteuil, très las, hébété; et tout était rouge... rouge... le lit, mes mains!... Et tandis que le corps chéri tiédissait à côté de moi, un sommeil noir m'envahit. Je dormis très bien, cette nuit-là.
Le lendemain, les yeux dessillés à peine, le cadavre de l'aimée m'apparut, seul ; et je compris que j'avais été la victime des hérédités malheureuses, et d'une meusongère hallucination.
A moins que... le coupable... l'autre... ne se soit enfui... Doute cruel, pesante incertitude... Ma raison chancelle; et... je ne sais pas.
Oh! si cela était!... Non, je suis un misérable.
...Hélène, Hélène... ne vieus pas aiusi me torturer de ton regard accusateur... Quels yeux de reproches tu fixes sur moi I... Dis-moi  quel cercle de feu étreint mes tempes  dis-moi que tu pardonnes.
Passionnément... Pas du tout! 
Chère âme, tu es vraiment belle ainsi. Mais... cette marguerite est rouge... et qu'as-tu donc sur tes vêtements... Du sang!., ciu sang. . le ciel aussi en est rouge, et j'en vois dauser des taches devant moi...
Oh! je souffre, je souffre! Mon Dieu... Hélène... »
DE LA VÉNALITÉ DE L'AMOUR 
CHEZ LA FEMME 
De tous les grands instincts, celui qui est désigné de ce nom l'amour est le moius tyrannique, le moius irrésistible, le moius important au fonctionnement de l'être, celui qui peut s'exercer avec le plus de liberté et de fantaisie. Tandis que respirer, manger, boire, dormir, se mouvoir, peuser, exprimer, sont des besoius quotidieus, plusieurs de tous les iustants, et les quatre premiers essentiels à la vie, aimer est un besoin secondaire. On ne peut pas se représenter l'homme saus respiration, saus alimentation, saus sommeil ; on ne peut guère se le représenter saus mouvement, saus peusée, saus expression; on peut se le représenter saus amour.
Mais l'amour est de tous les iustincts celui dont la satisfaction procure les plus vives jouissances : jouissances telles que celles de se nourrir, de boire, de bouger, de peuser, ne soutiennent pas la comparaison. Aussi a-t-il pris facilement la première place daus les préoccupatious humaines. Attisant les facultés seusuelles de l'organisme en ce qu'elles ont de plus attrayant, il a réussi à tellement obséder l'âme qu'il est l'instigateur des plus absorbantes passions, et que, pour un grand nombre d'individus, il forme l'unique mobile et la raison même de l'existence.
Ce qui distingue l'amour de la plupart des autres iustincts, c'est ceci : il faut être deux pour le satisfaire. L'amour, en effet, n'est pas autre chose que l'attraction qu'éprouvent les deux sexes l'un pour l'autre en vue des voluptés concomitantes aux manuvres de l'acte de la reproduction.
Il semblerait donc que, l'homme et la femme se trouvant en amour daus la condition de deux facteurs qui se sont réciproquement nécessaires, la mise en commun de leurs spécialités respectives dût s'opérer librement, au pair, et par la vertu même de leur mutuel désir.
Mais il n'en est point aiusi.
La femme, qui, par une équitable logique, devrait échanger ses services contre ceux de l'homme, dont elle
a le même besoin, la femme, saus éprouver le moindre scrupule et comme si c'était une chose vraiment naturelle, les lui vend.
Toutes les femmes se vendent.
C'est-à-dire : les femmes ne donnent jamais leur amour contre l'amour des hommes; les hommes sont obligés de fournir aux femmes, outre leur quote-part d'amour, des rémunératious en espèces et en marchandises suffisantes à assurer à celles-ci l'oisiveté de l'existence, où elles n'ont plus d'autre peine que celle de chanter leur partie daus le duo génital.
« L'homme doit entretenir sa femme » : cet aphorisme moral, répété d'âge en âge sous le double sceau de la religion et du code, montre bien que chaque femme est, en effet, une femme entretenue.
Daus notre société, la vraie condition de la femme est de ne pas travailler. Aussitôt sorti des classes infimes de la population, où la femme ne travaille que par l'iusuffisance des gaius de l'homme à l'entretenir, on voit s'épanouir le ménage bourgeois daus sa banale ignominie : l'entreteneur se harassant et suant à la conquête pénible du métal, usant ses forces, épuisant l'ingéniosité de son esprit à de durs labeurs créateurs d'aisance et, si possible, d'opulence, élaborant minute après minute ses projets absorbants, acharné daus sa perpétuelle lutte pour le bien-être; l'entretenue jouissant tranquillement et abondamment des bieus amassés, saus autre souci que celui de les dépeuser, dilapidant à sa guise, se partnt à grand renfort de robes coûteuses et de chapeaux ruineux, dissipant avec joie ses journées à courir les magasius de modes, à babiller chez ses amies et à se montrer plus ou moins décolletée en public, dausant, dévorant des romaus, faisant de la musique et, le plus souvent, trompant son protecteur pour tout merci.
Et c'est cet état de choses qui est cousidéré comme normal, qui est voulu par la société et proposé en but enviable à ceux dont les moyeus ne sont pas encore de luxe à le réaliser!
Dès que l'ouvrier gagne dix francs par jour, sa femme déserte l'atelier et, fidèle enfin à elle-même, savoure la satisfaction de ne plus se donner que contre argent. Elle se sent du même coup supérieure à ses voisines moius chanceuses, qui en sont encore à collaborer humblement à l'uvre du pain quotidien. Ambitieuse de grimper, rongée du besoin de la fille tolérée qui veut passer au rang de grande courtisane, elle s'efforce d'éclipser ses compagnes par ses dépeuses, et, pour subvenir aux frais que son orgueil occasionne, excite le mari, comme une bête de somme qu'on fouette, à gagner, à gagner, pour pouvoir la payer davantage et la posea- plus grandement.
C'est à cela qu elles visent toutes : dépouiller l'homme le plus possible, se vendre le plus cher possible.
Elles établissent bien entre elles une distinction; elles se divisent en honnêtes femmes et en prostituées : mais ce n'est pas une difféience de fond qui les sépare, c'est une simple différence deforme. La prostituée est vénale en cynique ; elle agit ouvertement, affiche son tarif, ne demande pas autre chose à l'homme que son argent, et, si un seul amant ne suffit pas à sa voracité, remplace saus aucune gêne la qualité par la quantité. L'honnête femme est vénale en hypocrite; elle couvre de l'égide des murs le marché qu'elle fait de son amour, il n'est pas question de prix dans le traité qu'elle passe avec l'homme mais d'entretien, elle réclame en outre de celui-ci une position sociale, des honneursf''et de la société des respects, elle s'engage publiquement à ne se donner qu'à celui seul auquel elle s'est liée, et si, par plaisir ou par intérêt, elle se livre à d'autres, éviter le scandale est son suprême souci. La différence apparaît même plus spécieuse encore : car pour les neuf dixièmes des geus, ce qui distingue une honnête femme d'une prostituée, c'est que la première a passé devant le maire. Ces intègres ceuseurs ne voient pas au-delà : la maîtresse la plus dévouée et la plus fidèle ne saurait, à leurs yeux, prétendre à ce titre d'honnête femme, dont ils affublent l'épouse la plus dissolue. Ont-ils parfois songé qu'en vraie logique et en pure morale il ne peut y avoir d'honnête que la femme qui gagne sa vie par le travail et, librement, saus fausse promesse, se joint à l'homme en un coït gratuit pour l'unique satisfaction de ses besoins passionnels?
Une catégorie de femmes semble échapper, il est vrai, à l'opprobre de la vénalité de l'amour : ce sont les femmes dotées. Celles-ci s'avancent vers l'homme non plus en mercenaire qui, bassement, s'étale et se fait valoir, mais en puissance égale, avec une noble fierté et tenant en main l'argent. Celles-ci ne se t'ont pas acheter, car elles se suffisent à elles-mêmes : elles possèdent les rentes, qui les rendent honorables, indépendantes et dignes. Parfois même  surtout si elles sont laides et peu propres à déchaîner les désirs  on les voit jouer le rôle de l'homme et domestiquer bellement les piètres individus assez dénués d'orgueil et de ressources pour se laisser corrompre par une dot. Mais le principe n'est pas atteint pour cela. Qu'est-ce qui crée la femme riche? Est-ce le travail de la femme? Non, c'est le travail de l'homme. Si ce n'est toi, héritière, qui t'es vendue, c'est ta mère : c'est la vénalité de ta mère qui te fait aujourd'hui superbe. Remonte à l'origine de ta fortune, tu trouveras l'homme : et tu es aiusi vénale comme les autres, tu détieus ce qui n'appartient pas à ton sexe, et certaines législatious l'ont compris en te déclarant impropre à hériter.
Et sur le million de femmes qui échauffe Paris, à côté de ses deux cent mille filles publiques, de ses trois cent mille femmes du peuple, de ses quatre cent mille petites et grosses bourgeoises, de ses cent mille dames du inonde, toutes vénales de fait ou d'iustinct, je vois à peine quelques milliers d'énergiques travailleuses, qui ne se marient que quand elles ont amassé leur dot, ou qui, pour rester indépendantes, tiennent à ne jamais faire tort d'un sou à ceux qui satisfont leurs seus, et, saus que cela soit pour elles de nécessité, ne demandent qu'à leur propre effort le pain dont elles ont besoin.
Cette simple remarque, d'ailleurs, pour établir le niveau moral des femmes. De la plus humble des filles de cuisine à la plus altière des duchesses, y en a-t-il une qui ne cousidère les cadeaux de son amant comme dus, qui rougisse de les recevoir et, si quelque homme est assez osé pour user d'elle saus la payer, qui ne dise avec indignation : C'est un misérable ?
Cette autre remarque. Il s'échange chaque nuit à Paris quelque deux cent mille baisers. Pour un quart, au moins, l'homme répugneh la femme ou lui est complètement indifférent : la femme s'est crûment vendue. Pour un second quart, l'homme procure un agrémenta la femme: mais l'intérêt seul a guidé le baiser; la femme compte être rémunérée ; le jeu lui plaît, mais elle joue pour gagner. Pour la moitié, la femme aime l'homme : cependant, si grand que soit son amour, ce baiser, dont elle jouit, elle en profite en même temps ; si même elle n'y mêle aucune pensée de lucre, ce baiser, elle le sait, lui vaut la délivrance du souci matériel de l'existence, lui crée le loisir du lendemain, lui procure l'aisance, lui donne peut-être la richesse ; ce baiser entraîne après lui l'obligation pour l'homme de couper sa bourse en deux moitiés et d'en jeter la plus grosse à ses pieds.
Et c'est aiusi que la plus sainte des épouses se trouve, en stricte morale, ravalée au rang de la plus vile des créatures.
De ces coustatatious de graves conclusious sociales doivent être tirées.
Car de deux choses l'une :
Ou l'homme aime plus et mieux que la femme : il a plus faim qu'elle d'amour, et  aiusi que daus tout échange où l'offre et la demande ne sont pas équivalentes  il lui faut payer cet excès de passion. Mais alors, la femme n'est plus qu'une marchandise, c'est une esclave sujette à la traite, et puisqu'elle se fait acheter elle se dénie le droit de disposer librement d'elle-même. Alors, c'est une espèceinférieure,soumise àlasuprématie del'homme, sa propriété, indigne de la qualité de personne morale, dont les trahisous peuvent être châtiées suivant le bon plaisir du maître, et qui doit être séquestrée dans les harems comme des chevaux à l'écurie.
Ou la femme en est réduite à se vendre par la faute de l'homme, qui ne lui laisse pas prendre daus la société la place qu'elle est capable de tenir. Ecartée systématiquement de tous les emplois par lesquels l'homme crée la richesse, repoussée de tous les métiers, reléguée hors des industries, des commerces, des exploitatious du sol, vouée uniquement aux occupatious improductives, elle s'est trouvée daus la situation de ces Juifs du moyen-âge, qui, se voyant fermer tous les accès aux vocatious loyales, se sont rués daus la seule voie restée ouverte, et, de même qu'ils se sont mis à trafiquer de l'argent, elle a entrepris de trafiquer de l'amour. Alors, une réforme importante de la société s'impose. La femme doit être mise sur le même pied que l'homme, dotée des mêmes libertés, munie des mêmes moyeus de produire. Rendue à sa dignité d'être humain, elle se hâtera de conquérir la plus noble des indépendances, celle qui fera d'elle l'égale respectée de celui qui a maintenant le droit et le devoir de la mépriser. - Et l'amour sera enfin l'amour , c'est-àdire la fréquentation désintéressée des sexes pour l'engendrement réciproque des joies suprêmes de l'existence.
LOUIS DUMUR.
BALLADE SUR LA FÉROCITÉ D'ANDOUILLE 
« Le Scrpens qui tenta Eve estait aa(c douïtlicauei ce non obstant est de luy i cscript qu'il estait fin et cauteleux sas « tous attitrcs animaus. Aussi sont An" « douilles. »
(pantagruel. Livre IV, chap. xxxvtn)
Loups-garous, stryges et harpie, D'aucuus ont un mufle camard; Chez d'autres le groin copie Estramaçon ou braquemard. Empouses, lion de Saint Marc, Amphiptère jamais bredouille, Crocute aux pinces de homard. Qui plus est maupiteux? L'Andouille. 
Ogresse léchant sa roupie,
Babeau vêtu de poulemart,
Fane aux yeux clairs et malepie,
Caciques de Gustave Aymard,
Les Cauchemars goûtent comme art
Extasié la bonne « douille ».
Mais, du brucolaque au jumart,
Qui plus est maupiteux? L'Andouille.
Chimère aux sables accroupie, Naius cagneux supputant le marc Du teston ou de la roupie; Voici, malgré Pline et Lamarck, Entre Suresnes et Clamait, Voici l'étrange niguedouille Frémine avec son galimard. Qui plus est maupiteux? L'Andouille. 
INTIMITÉ
A mousieur F. C., de l'institut. 
Or Marpha "" trônait en robe verte.
 C'était bien peu de temps après la découverte
Du téléphone et des pastilles Géraudel. 
La Marpha paraissait un sujet de bordel.
Ce néanmoius, et faisant trêve à leurs tapages.
Les pessimistes et les rimailleurs  quels pages!
Ornaient ses vendredis tumultueusement.
Et Marpha qui gontait des monceaux d'agrément
Popinait au « Bas-Rhin »  luxe cardinalice!
Elle dormait sous des tapis de haute lice
Et le michet  qu'il fût Falstaff ou bien Hotspur,
Trouvait, sous sa toilette, un bidet d'argent pur.
On la payait trois francs, jusques à quatre même. Pour un tel prix, la Mousse d'Or qui souvent m'aime Fréquenterait avec le plus obscène juif. 
Les bottes de la Dame étaient pleines de suif Et le beurre inondait ses épinards. 
On dit que,
Pour les reius affaiblis du magistrat sadique Et le contentement des chanoines pausus. Tels flagellants secrets par ses maius étaient sus. Le pianiste Saut-du-Toit, que chacun gifle, Pour l'amour d'elle eût assumé quelque momifie, Nonobstant les garçous du café Roy ; liaju, Le stupide Baju qui dit : « Je, Ji, Jo, Ju », Cet Anatole (si Baju !) que l'on enceuse, Tripudiait, affolé de concupiscence Quand elle éructait sur un chaudron de Gaveau. 
C'est pourquoi j'écris l'Art d'aecomoder le Veau. 
Laurent Tailhade. 
PROSES DE DÉCOR 
LA MER SPOLIATRICE (i)
Tel qu'un enchantement vague et bleu, de rêve, la mer étend à l'infini son immobilité de lac sous la blafarde lueur d'un iusolite crépuscule. Au long des rivages, croulés de vétusté, l'orle écumant du flot vient mourir et s'étale, tandis que des vols épars de blanches mouettes planent en des cris plaintifs, tournoient vers les récifs du large. Le ciel, saus un nuage, garde encore la flottante tendresse de teintes apalies de mauves et de lilas, qui se foncent aux violets du zénith. Mais là-bas, sur l'horizon, la gloire agonise du soleil, dont la sanglante rougeur tache les brumes envahissantes et va disparaître, en ce soir définitif, de la terre condamnée. L'énorme boulet achève son incendie séculaire; déjà son ruissellement orgueilleux a péri sous les funèbres voiles montés de l'Océan. Et daus l'air chaud et lourd, où pèse l'angoisse d'une attente et la terreur de l'irrévocable, des sanglots se lèvent du rivage avec la brise odorante des collines de roses. La voix, la grande voix gémissante de la mer, s'est assoupie et berce le désespoir des hommes. Et voici que d'autres voix répondent, dominant la confuse mélopée du ressac et les clameurs de misère; des voix de révolte, qui accusent et blasphèment...
CHUR DES POÈTES
 Nous l'avous aimée, la mer! nous l'avons aimée !... N'a-t-elle pas le charme étrange des divinités perdues? n'est-elle pas incertaine et changeante comme la fiction de nos âmes ?  Douce et calme, parfois, telle que la pure fiancée des songes,  fantasque et câline et perverse comme une maîtresse,  c'est elle, toujours, que nous acclamious, majestueuse comme une souveraine, jusqu'en ses hurlements de folie, jusqu'en ses sursauts de rage, et poussant l'escalade de ses lames blêmes de colère contre les flancs des navires et le granit des môles.
fi) La musique, pour soutenir ces déclamatious, et les churs, sont de M. Eugène Lacroix.
Nous l'avous aimée, la mer, la bonne dévastatrice et l'épouse de nos représailles. Lorsqu'elle bataillait, fastueuse et farouche, aux abruptes falaises, lorsque, la houle déchirée aux dents aiguës des rocs, elle venait encore défoncer les bastions et les remparts des villes, c'était la joie des calamités vengeresses. La nuit, nous l'écoutious râler le cantique des morts. Avec des glapissements et des imprécatious et des menaces, elle nous criait l'assaut, et les murs s'écroulant sous ses coups de bélier. Elle crachait sur le défi des peuples les épaves de leur procérité dérisoire. Et seule proférant le mépris et la vanité de leur conquête, elle demeurait l'iusoumise et la rebelle, et payait notre vieille in jure et contentait nos haines. Et nous l'aimious, la mer, et nous disious ses légendes, ses palais de nuages grandis au souffle des tempêtes; ses embrasements prophétiques par la quiétude des soirs, reflétant les combats des sataus et des archanges; et ses caresses consolatrices aux pauvres curs meurtris. Nous l'aimious, la mer, et maintenant elle nous trahit et nous dédaigne; elle nous prend l'extase du soleil qu'elle eusevelit silencieusement daus sa robe livide. Il ne nous restera que de tristes flambeaux pour les marches triomphales, et le deuil inamissible profanera les bois sacrés et l'effigie des dieux. Les lampes des catafalques devront éclairer les festius des terrasses, et la chevelure d'or et les seius et le cher visage frivole des amies. Et la pourpre épuisée du couchant, après qu'aura sombré l'antique et impérial décor, nous n'aurous pas même à conter le tragique et l'effroi d'un désastre, l'horreur et la magnificence des suprêmes catastrophes!...
CHUR DES MATELOTS
 Maudite soit la mer,la mer spoliatrice! Combien des nôtres n'a-t-elle pas engloutis, et combien de vaisseaux? Sait-on les armadas perdues, les cités submergées, le caprice où naufragea l'aube de notre opulence, et toute la détresse d'un peuple errant à la pitié des rafales? Faut-il des sacrifices encore et jeter des victimes aux gouffres allouvis?  Les mères ont prié pour le retour des nefs, madones compatissantes; sur les marches des autels, aux clartés pâles des cierges, les prêtres officient et lèvent le calice vers le Seigneur de Miséricorde. Pour ceux qui sont en route au péril de l'Océan, qu'on nous accorde un jour, un seul jour de surséance. Les astres maintenant abolis, des plaines sidérales,ne les guideront plus vers le port coutumier. Ecoute, Seigneur, écoute le glas des cloches et la rumeur des oraisons, regarde s'approcher daus les palmes et les dalmatiques le lugubre troupeau des suppliants; regarde-les qui tendent les bras et s'écrient et implorent; regarde se prosterner les diacres et les légats, et les évèques de ton culte. Par leurs mains, leurs maius sacerdotales, les maius dont la bénédiction te dévouait la mer du passé favorable, suspend», Seigneur, suspends les funérailles du Soleil. Permets le miracle et la pérennité de ce soir moribond; prolonge ces lueurs de désuétude ; et conduis les navires et les Hottes, Dieu secourable, car sans toi nos frères ne reviendront plus, saus toi nos frères ne reviendront jamais...
Mais la froide et fantomatique lumière de l'Occident faiblit encore. Sur les natious agenouillées et les collines de roses, et la mer étendant à l'infini son immobilité de lac, l'ombre descendait, déroulait ses plis de linceul, teignant la flottante tendresse des teintes apâlies de mauves et de lilas. Graduellement, les ténèbres se refermèrent, laissant à peine le blanc portique d une clarté indécise, qui plana sur la tombe du Royal interdit. De. compassion, sa défaillante fierté se réverbéra sur les crosses et les mitres, arracha de suprêmes étincelles aux bagues épiscopales. Et daus la paix mystique de cette vespérale défaite, on vit des barques pavoisées s'éloignant sous la cadence des rames, déployant des voiles et des banderolles. Au pied des mâts et sur les poupes, on distinguait les formes liliales de femmes essaimant des fleurs daus" le sillage Le vent apporta des chants de citharèdes , des soupirs et des langueurs de harpes éoliennes ; et ces voix s'atténuant, et la méprise de ces virginités, évoquaient les vieilles parthénies et les convois des vestales...
Cependant, les voix, sur l'eau, très loin, disaient :
 Femme blonde, sur de péché! Femme de mon cur! Sur de ma chair! Ton cur étrange et doux, le cher cur de nos rêves; ton cur aventuré, la belle aux cheveux roux; ton cur s'endort ton pauvre cur  ton cur est mort!
Fille de roi, fille d'amour! Est-ce la mort du rêve, ou rêvous-nous la mort et l'exil éternel de l'erreur charitable?  O sur de mon péché, comme ton cur est triste  ton triste cur comme ton cur est las!...
On entendit encore :
 C'est le soir bienvenu de notre délivrance; voici
neiger l'oubli sur nos joies criminelles et voici le repos du sommeil reconquis! .. Nous emportous le fol espoir et la beauté des pécheresses! Vos curs n'auront plus h saigner  vos lamentables curs  tillii d'amour sont en allées !...
Les barques et les voiles peu h peu s'évanouirent, disparurent daus les maléfiques vapeurs du large. Et rien ne demeura que le sanglot des hommes et le ricanement sinistre du Hot  qui déferlait daus la nuit inexorable, par l'immensité des grèves.
Charles Merki. 
LE THÉÂTRE D'ART 
Le Théâtre d'Art, ancien Théâtre Mixte, nous a donné' salle Duprez, son spectacle de novembre, en cinq pièces.
Le Débat du Cur et de l'Estomac, farce nouvelle fort bonne et fort joyeuse, par Alexis Martin, à quatre personnages : c'est assavoir, etc.
Nous n'avous rien h ajouter au sous-titre, M. Alexis Martin ayant promis qu'il ne recommencerait plus, faute de temps. Toutefois rééditous le joli trait qus lui a coquettement décoché M. Francisque Sarcey : « L'auteur a pris le vers de huit syllabes, en usage chez nos vieux conteurs de fabliaux, et il l'a relevé par la richesse de la rime et le soin curieux de la forme C'est un pastiche ingénieux et qui revèle une main très habile. »
Ah le méchant !
Pourquoi les acteurs se sont-ils refusés à dire : « parbleu »? toute la couleur locale est là. L'homme ne change que de jurous. Soignez votre texte, mes enfants, et prenez garde à la peinture.  Dites-moi, mousieur, ils mangent de la soupe, est-ce de la vraie?  Oui, mon ami, de la vraie, je l'ai vue C'est le directeur qui l'a apportée daus son chapeau.
La Voix du sang, un acte en prose, par Me RaChilde. 
Mais c'en est! En voilà, du théâtre neuf, peu Je décor, pas de ficelle. Aucun a-parte. Jamais de fausse
sortie. C'est, pour parler le langage de fruitier qui est maintenant à la mode, une tranche de vie amère.
Daus un petit salon bourgeois clos et chaud, deux bourgeois digèrent des bécassines et causent. Il ne disent pas leur nom, c'est bien inutile, ni leur âge qu'ils ont oublié. Ils sont le mari et la femme. Ils échangent avec placidité, avec des temps, avec mesure, leurs idées rares sur la littérature, les cuisinières, sur le progrès, et sur l'avenir d'un fils unique. Ils ont ce qu'il faut d'esprit et de cur daus un intérieur confortable. Soudain, ils dressent l'oreille à cause du trop de bruit qu'on fait en assassinant daus la rue.
Le Mari : Quelques sales voyous.
La Femme : Comme on entend bien !
Ils ont le don de cruauté infus, et, le sang muet, disent doucement des choses féroces.
La Femme : J'enverrai la bonne aux racontars.
Le Mari : Nous lirous ça demain. Allous nous coucher.
Ils iraient : la porte s'ouvre. Leur fils, qu'ils croyaient rentré, tombe à leurs pieds mortellement frappé. Rideau.
C'est fini. Il n'y a pas de second acte. Saus attendre la « suite », que chacun tire la conclusion qui lui convient.
Voici quelle pourrait être celle du directeur du Théâtre d'Art :
« Je tâtonne et cherche,le nez en l'air,d'où souffle et même d'où siffle le vent. Ce doit être de ce côté. J'y vais ».
Dans la petite salle, les lettrés se cambraient glorieusement, comme si la pièce eût été d'eux, et le public, en attendant la suite avec plaisir, souriait finement. Il comprenait, lui aussi, pourquoi pas ?
«: Une pièce de Me1» Rachilde I disait-il, avant, aurousnous de la musique, au moins? De quoi?  Oui, pour couvrir décemment les paroles, >  « Mais enfin, où est la moralité delachose?  Vous ne la voyez pas? là, un peu à droite, daus le cur du concierge, derrière sa montre à répétition. »  « Il me semble que ces geus parlent comme vous et moi.  Comme vous, oui, mais comme moi, permettez, j'ai fait mes classes! »  « Oh! ce fichu! si elle garde ce fichu, la pièce le sera. »  « Qu'est-ce qu'il y a sur la cheminée : une pendule, une tirelire ou un petit banc sous un mouchoir à carreaux? »  « Où est le sang? Quand on tue quelqu'un, ça fait du sang?  Mousieur, tout le monde n'a pas des chemises de rechange. »  « Je trouve que l'assassin crie trop fort. C'est vrai,un homme qu'on assassine n'a qu'à se taire. » « Voilà M. Sarcey. Oh! ces jeunes! tous les mêmes! Ils s'enrouent à iusulter ce brave homme, et, dès qu'il paraît, il se précipitent tous pour le porter sur leur dos (tonneaux, chand'd'tonneaux) jusqu'à sa place. »  « Qu'est-ce qu'il dit de la pièce de Madame Rachilde? Il dit: Ah! moi je veux bien!  Hein! quel bon seus! » « Pourquoi donc cette actrice est-elle si grande?  Pour décrocher le lustre en cas d'incendie. »  f. Tieus, on distribue des coupe-papier. Une idée de M'ee Lynx; c'est gentil et cela vous remet. J'en bourre mes poches, moi. Dis donc, petit Carillon, donne m'en encore dix. »  « Monsieur, vous qui avez l'air d'être quelque chose dans l'administration, est-ce que les cartes d'invitation numérotées sont celles qui ne comptent pas? Voici mon numéro. Où est ma place?  Mousieur, je le regrette, on s'est assis dessus.
Morized, mystère en deux tableaux, par M. Jules MÉry  Musique de scène de M. Ludovic R.vrz.
Que manque-t-il donc à cette pièce qui semble avoir tout pour elle? En effet, elle possède des Bretous, un chêne germé d'un gland, une fleur saus parfum comme saus vertu inutile, l'écuyer Lannik, un glas, un fossoyeur, un baiser qui est un coup de couteau, un spectre qui parle en vers ou en prose, au choix, et de la musique de scène. Ne lui manquerait-il que de l'originalité ?
Elle est bien écrite, en un style d'une élégance latine, un style de geus qui mettent des odeurs sur leurs mouchoirs, et les épithètes et les noms y sont dans un état coustant d'indivision.
Des baisers éternels flottent daus l'air tiédi... leurs parfums plus doux enceusent les cieux calmes. 
Avec un peu plus de rime, ce serait iusupportable.
Elle est en outre, cette pièce, fort eurythmtque, comme dirait mon ami Vallette. Les personnages se mettent tous en colère eusemble et paraissent sans cesse obéirà une sortede commandement. Un, deux, trois, les voilàpartis :
Owen : Tu en aimes un autre.  Morized : J'en aime un autre.  Owen : Et il t'aime.  Morized : II m'aime...  Owen : Morized !  Morized : Laissezmoi.  Owen : Je t'aime.  Morized : Laissez-moi. .
Owen : Tu es belle.  Morized : Laissez-moi.  Owen : Tu es mienne.  Morized : Laissez-moi . .
: Tu n'iras pas.  Mori^ed : J'irai.  Oiven ; Tu n'iras pas.  Mori^ed : J'irai
Otcen : C'est moi qui t'aurai.  Morl^ed : Jamais.  Otc,?« : C'est moi qui t'aurai
D'ailleurs ces remarques sont enfantines. Mori^ed appartient à un genre de pièces qui plaisent ou déplaisent, on ne sait pourquoi, et vous mettent en bonne ou mauvaise humeur saus qu'on puisse dire autre chose que : j'aime ou je n'aime pas ça. Le public de la répétion générale lui a fait un accueil froid, celui du lendemain s'est montré très satisfait. M. J. Méry aurait grand tort d'avoir quelque cousidération pour le premier.
 « Mousieur, qu'est-ce que cette horloge "?  C'est un spectre. »  « Et ce paquet de limaces blanches?  C'est un fossoyeur qui s'est renversé du cierge sur le ventre. »  « Que dit M. Sarcey ?  Il dit : en somme, le temps passe.  Quel sang-froid ! » « Quelle est, à côté de lui, cette ouvreuse déguisée en homme et dont la langue siffle, tricuspidale comme celle de Neptune ?  Serait-ce Willy ?»  « Ne te semble-t-il pas que ces churs chantent faux?  Oh toi, tu demanderais à un chien d'aboyer juste. »
Les Gueux, Sur la lisière d'un bois, pièces tirées du Théâtre en liberté de Victor Hugo. 
Oh ! un faune !  un faune pour de bon. C'est M. Raynaud qui l'a prêté. Il en élève en plaquettes: «/,e-' Signe. Les Chairs profanes, les Cornes du faune; envoi franco contre des timbres-quittance »  « Pourquoi parle-t-il si longtemps, celui-ci?  Dame, l'autre ne veut rien dire. »  « Mais ils sont très bien, ces vers-là; qu'est-ce que les journaux ont donc à écrire du mal de ce pauvre mousieur George : il a presque autant de talent que son grand-père. » 
« Le directeur devrait bien changer son souffleur.  Mais c'est le souffleur qui dirige. »
II convient, pour terminer, d'offrir aux acteurs, aux actrices (voir le programme), « à toute la troupe », un fort bouquet de louanges. Mais ce qu'il faut surtout vanter, c'est la bonne grâce avec laquelle ils acceptent modestement de petits rôles, dans des pièces non encore jouées d'auteurs qui ne sont pas trop célèbres.
Jules Renard. 
AU THÉÂTRE LIBRE
Soirée du 26 novembre 1800.  L'amant de sa Femme, par AcrÉlien Scholl.  Monsieur Bute, par Maitrice Biollay. La belle Opératton, par Julien Sermet. 
Quelques esprits fort ardents, encore jeunes et d'une illusion in'atigable. s'imaginent que M. Antoine s'est engagé à lenr offrir un chef-d'uvre par mois. Aussi, lorsque la représentation n'a pas répondu à ce programme, crient-ils volontiers et très ridiculement a la trahison. Il est vrai  et c'est ce qui fait grand honneur à cette entreprise  qu'on ne va pas au Théâtre Libre comme on va daus la plupart des salles de spectacle de Paris : tuer une soirée, se distraire daus la mesure du possible et, n'y plus peuser. Chez M. Antoine, on vient chercher du nouveau, de l'inédit, du rare, de l'artistique, de l'intellectuel; la curiosité est vivement surexcitée, Od cause de la pièce avant son apparition, on en discute après, on s'attend toujours à quelque événement. Mais, ce que Ton ne demande pas même à la Comédie Française une fois par an, comment l'exigerait on du Théâtre Libre une fois par mois? Non, M. Antoine n'a nullement promis à son public des chefs-d'uvre meusuels. Il s'est proposé seulement  et ce seulement est déjà beau  de doter la vie littéraire contemporaine de spectacles intéressants, composés hors de toute compromission avec les goûts de la plèbe, désintéressés, laissant aux auteurs l'intégrale liberté de leur peusée et donnant aiusi  autant que possible  la note juste sur l'évolution actuelle de l'art en matière dramatique. A ce point de vue, qu'elles soient fructueuses ou non d'applaudissements et d'éloges, les soirées du Théâtre Libre demeurent toujours caractéristiques.
Celle du 26 novembre, la deuxième de la saison, qui a excité, plus encore qu'il n'est coucessible, les malveillances peu spirituelles de la presse, si elle n'a rien mis au jour d'extraordinaire, a du moius maintenu à la hauteur habituelle les traditious (peut-on parler de traditious au Théâtre Libre?) de sincérité, de recherche, d'horreur du banal, de vérité daus l'interprétation, de courage, d'hospitalité en honneur daus la maison.
Ce n'est pas que les trois pièces du programme méritent au même titre l'attention, soient dignes à un même degré de sympathie. Je ferais assez bon marché de l'acte de M. Scholl. Cet opuscule n'est remarquable ni par le fond, ni par la forme. Sa thèse  car, ô Dumas, c'est une pièce à thèse !  pose qu'un mari, pour ne pas être trompé par sa femme; ne doit pas se contenter de l'embrasser entre les yeux et les épaules: ce qui se démontre par un souper fin et des tapisseries renouvelées. Admirez, ô moralistes! Le dialogue, très superficiel, est jonché de ces faux bous mots de l'esprit boule vardier, qui extraient un rire douteux au moment où ils sont jetés, et paraissent aussitôt si bêtes qu'où a honte de les répéter. La chose est exquisément mise en scène, et jouée h ravir par MMn"'s Sylviac, unesavoureuse vicomtesse, et Régine Martial très experte, et par M. Antoine, qui a composé son personnage, avec une intelligence excédant vraiment la valeur du rôle.
Si la pieco dc M. Julien Sermet est une comédie, elle n'est pas assez comique ; si c'est un drame, elle n'est pas assez dramatique ; si c'est une satire, elle n'est pas assez satirique ; si c'est une fumisterie, elle n'est pas assez fumiste ; si c'est de la vie. elle n'est pas assez naturelle. Des choses excellentes et qui auraient paru d'observation profonde si elles avaient été mieux présentées : la scène des potius, pendant l'opération chirurgicale ; le retour des médecius après la non-réussite. A retenirle mot de la fin, biendéduit, et qui est du mémeragoût que le : « A la bonne heure !» du médecin de Mousieur Bute. 
Mousieur Bute, c'était le morceau de résistance. J'avoue ne pas très bien comprendre les critiques auxquelles cette pièce a donné lieu, lime semble que l'étude de M. Biollay est, au contraire, fort judicieusement menée. Les événements s'y succèdent naturels, implacables, logiques, pour aboutir saus déviation h cette effrayante scène de folie et de meurtre, qui est une des choses les plus empoignantes que j'aie vues au théâtre. Cela est d'autant plus fort que les personnages ne sont point à proprement parler intéressants, qu'il n'y a pas d'intrigue de passion savamment excitatrice, que c'est la vie, aussi simple, aussi banale, aussi triste, aussi répugnante que possible, primentée seulement par l'étrangeté de la position sociale du héros. Pourquoi un bourreau? s'est-on écrié en chur. Ce sont de ces questious qui m'ont toujours paru d'une inutile niaiserie. Il faut, je peuse, accepter le sujet d'un auteur et ne s'occuper que de la manière dont il l'a traité.
M. Biollay a voulu  et c'était son droit, n'est-ce pas ?  observer chez un bourreau un cas de folie causée par l'amourpropre blessé à la suite d'une révocation brutale et injuste. Cela posé qu'on ergote ou non sur l'opportunité de la matière  il faut reconnaître que M. Riollay a conduit son action avec inteusité, discernement, justesse, puissance d'expression, trouvailles d'effets, haut comique de mots, et marché a son dénouement saus avoir rien laissé au hasard ou à la négligence. La place m'est trop limitée pour iusister, pour montrer, par exemple, que teilc scène jugée superfétatoire, comme celle de l'interview, si joliment menée par M. Antoine, bien loin d'être inutile, concourt nécessairement au strict développement du drame. On doit attendre beaucoup de M. Maurice Biollay. Ce qui l'a desservi, c'est le coté un peu spécial de sa donnée. M. Damoye incarre superbement le personnage de Fraalin. Remarquable aussi Mmc Barny daus son rôle de vieille bonne.
LOUIS DUML'R.
LES LIVRES (»
Les Chants de Maldoror, par le Comte De LautrÉamont, avec une lettre autographe de l'auteur, un frontispice de Jose Roy, et une notice de l'éditeur (L. Genonceaux >.  M. Remy de Gourmont devant cousacrer à ce livre son prochain article, nous nous contenterous aujourd'hui de signaler cette uvre étrange, et de féliciter M. Léon Genonceaux de l'avoir remise en lumière et daus une édition si soignée. A. V.
Poésies et poèmes en prose, par EphraÏm Mikhael (un volume de la petite bibliothèque littéraire, chez Lemerrei.  Voici rassemblées eu un livre, hélas posthume ! toutes les uvres d'Ephraïm Mikhaël. Jamais la stupide immoralité des choses n'apparaît plus cruellement qu'aux heures mauvaises, où s'en vont ceux dont les lèvres mystérieuses nous révélaient les secrets du rêve et les magnificences cachées de la parole. Ici le deuil est plus tragique : car nul mieux que ce jeune homme de vingt-quatre aus n'a dit l'irrémédiable tristesse de vivre, la vanité de la joie et de la douleur, la double déception de l'esprit et de la chair, ni mieux rendu leur gloire primitive aux mots les plus simples, aux mots des petits entants et des humbles, comme mauvais, saint, heureux, doux: 
Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes. 
Et pour avoir dormi sous de saintes étoiles. Rendit ses douces maius comme des fleurs de paix. 
Prés des nymphes riant daus les fleuves heureux. 
C'est qu'il eut par dessus tout les deux dous merveilleux qui sacrent les poètes : celui de créer des personnages symboliques qui représentent en eux toute une partie d'humanité, et celui d'inventer des images qui rendent seusibles ces êtres de fiction. Et tous sont nés de sa parole évocatrice ; ils sont sortis à son appel des terres invisibles, tous, le Solitaire" du parc clos aux voix du monde,la Dame en deuil éternellement incertaine entrele ciliée et les baisers.le Mage incapable de haïr les barbares qui deviendront les héros des légendes futures, et la divine Etrangère lapidée par les femmes et les prostituées, en haine
'de l'amour, des rêves et des dieux. 
et le Chevalier captif de la Magicienne
Qui méprise l1 guerre à cause de la gloire 
(t) Au prochain fascicule : La Gloire du Verbe (Pierre Quillard) ; Les Chants de Maldoror (comte de Lautréamont); Fleurs d'oisiveté (Charles Guinot) ; Les Vieux (Ernest Bosiers) ; Le Poème de la chair (Abel Pelletier! ; Les Psychoses (Arsène Reynaud); Un Simple (Edouard Eslaunié).
et dont l'amour seul peut remplir
Divinement élu pour lus douleurs obscures. Il 3 revêtu les princesses et les guerriers d'éclatantes simarres et de radieuses armures et leur a donné à chacun un geste et une attitude spéciale. Son uvre cependant décèle une parfaite unité de conception, de langue et de rhythme depuis le premier poème : Rêves et désirs, écrit en juillet 1884, jusqu'à cette suprême ébauche en vers libres et assonants, datée d'avril 1890:
Le ciel, ce soir, est «« ri dean de fière pourpre 
Et d'or fcroce et d'orageuses broderies. 
Ecoute! an delà des champs on entend sourdre 
Je ne sais quel bruit de magiques cavaleries 
jusqu'à la dernière pièce achevée : A Celle qui aima le Cloitre, dont je veux détacher les strophes finales, plus significatives que toutes les louanges :
Tous les deux, nous avous trop longtemps contemplé Les nuages en fuite et les roscs du cloître ; Notre puissant amour pourra durer et croître, Notre cur restera divinement troublé. Peut-cire expious- nous l'ivresse merveilleuse Ijf'avoir rcvè jadis à des pays meilleurs ? Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs Et même le bonheur ne te fait pas joyeuse. 
P. Q,
Mikhaél fut doué d'une surprenante précocité, surtout, c'est rare, comme prosateur. A dix-neuf aus il écrivait des pages tout à fait charmantes par la franchise de la philosophie, telles queZ.tr Magasin de jouets, avec, déjà, de jolis bouts de phrases : « Ces belles Poupées, vêtues de velours et de fourrures et qui laissent traîner derrière elles une énamourante odeur d'iris... » Daus Miracles, l'incroyance au divin est analysée avec une belle sûreté de main et d'intelligence ; presque partout, on sent un esprit maître de soi et qui tient à ne revêtir de la forme que des idées qui valent la forme. Spécialement l'attirent les légendes significatives et révélatrices d'un état d'âme hermétique : il aime la magie et le prodige, les créatures oppressées de mystère et qui ont « mal à la raison». Le chef-d'uvre des proses, c'est Armentaria. poème très pur, très clairement auréolé d'amour,  fleur cueillie en quelque légendaire, qu'il métallisa saus rompre une nervure, saus briser une pointe, saus troubler une nuance, fleur mystique et candide, flos admirabilis ! Ilya des lignes comme celle-ci ; Armentaria dit : ,t Soyous purs daus les ténèbres et allous au ciel silencieusement, a R. G.
Thaïs, par Anatole France (Caïman Lévy).  M. A. France, ne le sait-on pas bien, est parmi les plus subtils et les plus délicats. ll serait, daus l'empire où régnerait M. Renan, prince. Est-ce un éloge V L'écrivain est de bonne race. Le peuseur a renoncé. Tous les partis que peut prendre la raison humaine, ils le disent, sont également incousistants et nous n'avous guère à choisir que parmi de plus ou moius plaisantes erreurs. M. France a fait son choix d'erreurs. Il serait imprudent de lui opposer les nôtres. Est-il nécessaire de discuter les siennes:* Il y tient si peu !
vous savez quelle belle légende, celle de Thaïs. Quel merveilleux poème dormait là, qu'un poète avec quelque foi  eût-elle été éphémère pourvu qu'elle eût été sincère daus l'iustant  aurait écrit pour toujours. M. A. France :
* Anachorètes et Cénobites...estimaientqueles maladies de nos membres assainissent nos âmes et que la chair ne saurait recevoir de plus glorieuses parures que les ulcères et les plaies. Aiusi s'occomplissait la parole de* prophètes : « Le désert se couvrira de fleurs... » Les diables qui livrent de si rudes assauts aux bous anachorètes n'osaient s'approcher de Paphnuce. La nuit, au clair de lune, sept petits chacals se tenaient devant sa cellule, assis sur leur derrière, immobiles, silencieux, dressant l'oreille. Et l'on ctoit que c'était sept démous qu'il retenaitsur son seuil parla vertu de sa sainteté... »
Agréable ironie ! Le ton bon enfant était-il parfaitement en harmonie avec la gravité  pourtant!  du sujet? M. A. France l'a peusé.
Ce Paphnuce, abbé miraculeux d'Antinoï, s'en ira daus Alexandrie, pour y chercher la grande courtisane Thaïs et la ramènera, connue une proie, daus l'aride paradis de la Thébaïde. Mais, blessé daus ses seus par la beauté, tandis que l'impure deviendra une sainte, le saint sera livré à tous les démous de toutes les concupiscences. Thaïs va mourir : Paphnuce est là, l'exhortant, le sacrilège confesseur, à la vie, à la joie, au plaisir, à l'amour. Vénus, vaincue daus son trône d'Alexandrie, prend au désert une épouvantable revanche.
Croit-on cette fable bien logique ? La puissance mystique assez haute naguère pour renverser les remparts païeus daus toute leur gloire, pour arracher au myrte royal d'Alexandrie sa plus splendide fleur,  pouvait-elle, cette vertu de la fot et de la charité, périr de sa victoire même ? Le fallait-il ? Pourquoi ?
Cela saus doute est indifférent. Daus l'erreur qu'il lui plut d'élire cette fois, M. A. France a suivi, je peuse, quelque voie vaguement scientifique, et personne n'ignore plus, n'estce pas, que ces ames furieuses et tendres, ces Pères de la Thébaïde n'étaient que de pauvres hystériques à la merci du mal affreux qui avait éteint leur intelligence. Soit! Des « Savants » l'ont « dé-mon-tré » et je ne veux point discuter leur compétence. Soit ! Mais j'ai choisi une autre erreur...
Au secondaire'i) point de vue de la littérature, la nou
(l) Secondaire, dis-je, la littérature littéraire, celle qui n'est pas daus l'esprit du poète un moyen de grandir vers son propre et personnel Dieu. Ch. M'
velle uvre de M. A. France est des plus recomruandables.
Ch. M"
Les uvres et les Hommes, par J.-basbeyd'attrevilly. Tome XII. Littératures étrangères (Lemerrej.  Dernières Polémtques, par le même (Savine).  Le premier de ces volumes contient, entre autres, les études sur Shakespeare. Sterne, Heine. Hoffmann, Gthe, Gogol, Dante, Swift, Byron, Léopardi, li. Poe. Parmi les pages du second : La Cuvette de Sainte-Beuve. Le Robespierre des honnêtes geus, les Singes à l'Académie, les Petits grands Hommes, les Filles, BasBleus et Ratés, etc. C'est toujours, qu'il rédige en poète érudit de l'histoire littéraire ou qu'il s'emballe, en journaliste de violence et d'ironie, sur les minces faits de l'actualité, le grandiloquent et inquiétant d'Aurevilly. De ces produits d'un labeur excessif que lui imposa l'indifférence contemporaine pour les uvres d'art, la publication n'est pas inutile. Nous devous connaître ses uvres complètes; son génie impose la déférence de ne mépriser rien de ce qui s'élabora daus une cervelle si merveilleusement compliquée. Cette série, qui aura près de vingt volumes, ne le fait pas plus haut, mais elle le fait plus vaste. La femme dévouée à la tombe et au nom qui a entrepris ce monument doit donc, pour sa persévérance, être humblement remerciée par tous les amants de la littérature aurcvillienne. K. G.
L'Imprévu, par Gustave Guichfs (Tresse et Stock).  Il ne suffirait pas de dire que ce roman est un livre du genre amusant, attachant, un livre pour femme et qui finit presque bien. C'est encore, surtout daus les deux cents premières pages, une étude rare et originale du « soi ». Léon Dussol y cultive son égoïsme avec amour, comme une tulipe moustrueuse. Il se connaît, s'approuve et s'enivre de son vin. S'il refuse de l'argent à un inventeur, c'est parce qu'il ne veut point « encourager certaines folies ». A-t-il fait un serment à une femme, il trouve aussitôt de solides raisous pour être parjure. En effet, « un engagement obtenu par des procédés 4e séduction auxquels succombent les volontés les plus fermes ne saurait être valable ». Cette femme qui dérangerait ', la tranquillité de sa vie », il la repousse avec fermeté, saus colère toutefois, saus rage, car le bous seus l'a toujours « sauvé du danger des paroxysmes. »
 « Mais je vais être mère », dit Adeline.
 « Précisément, répond-il, je connais une maison discrète. Il y a un parc immeuse, des fleurs partout, une salle de fêtes daus laquelle on donne des concerts très recherchés. Je suis sûr que vous ne vous ennuierez pas. »
La lutte continue entre cette impudente philautie de l'homme et le doux entêtement de la femme.
 « Soit, restez, dit-il enfin. Mais je vous prévieus que nous vivrous sur le pied de guerre et que vous aurez à souffrir. »
 « Je sais souffrir ». dit-elle simplement.
Et toujours Léon Dussol porte son égoïsme comme un habit de rigueur, comme un drapeau. Il torture savamment, au moyen d'ingénieux supplices, cette maîtresse qui s'impose. Elle a promis de s'en aller, après la naissance de son enfant. Tiendra-t-elle sa parole > N'abusera-t-elle pas des circoustances pour se lier à son amant plus étroitement encore? Daus une scène d'une violence un peu mélodramatique, il blesse la mère et cause la mort de l'enfant. Alors il lui semble qu'il a « assez, trop même » prouvé combien il sait défendre t'indépendance de sa vie, et qu'il doit à Adeline une généreuse compeusation. Il lui offre son nom. Elle refuse et part. D'abord étonné qu'elle n'ait pas compris la délicatesse de son intention, il est tout près de l'accuser d'ingratitude. Volontiers, il dirait d'elle : « Peut-on être personnel à ce point ! » et, c'est là l'imprévu, il s'aperçoit qu'il aime éperdument sa victime. La manière furieuse dont il la détestait fait pressentir quel sera sou amour.
Et je crois qu'au lieu de suivre Léou Dussol daus sa brusque évolution, daus ses courses folles cri compagnie d'une Américaine conventionnelle, jusqu'à sa confrontation romanesque avec cette Adeline qu'il a faite martyre et qui s'en trouve tout heureuse, le lecteur gagnerait à relire cette première partie du livre de M. Guiches, ces deux cents pages que, me servant d'une expression télégraphique fort en usage chez les hommes de lettres, je trouve « très bien ». J. R.
Petits Français, par EugÈne Morel iSavine).  Eugène Morel et l'empereur d'Allemagne (lire le dernier discours de celui-ci) sont absolument du même avis au sujet des lycées ; trop de latin, trop de grec et pas assez de notre histoire de France. Un projet d'alliance en perspective, quoi ! L'Alsace et la Lorraine rendues en échange d'un bon traité sur les études à faire, signé par l'auteur de l'Ignorance acquis?. Tant mieux, c'est aiusi que nous devous entendre le nouveau chauvinisme, cousistant a taper sur nous-mêmes, histoire d'empêcher les autres de taper plus fort à leur tour.
Eugène Morel. au milieu des différentes façous décadentes d'écrire, a sa façon à lui, très personnelle ; il alambique, mais il chauffe furieusement; si. quelquefois, ou demeure perplexe devant une phrase, on a toujours vu la peusée en jaillir, comme une flamme assez féroce. « Laissez-nous pleurer, puisque ça nous amuse », déclare Eugène Morel au nez des bourgeois ébahis :je parle des bourgeois de lettres, car je doute que les autres le lisent). Et il finit par pleurer pas mal de fiel, ce qui ne doit point l amuser toujours quant à la préparation du liquide... Il prend deux petits Français, l'un névrosé, l'autre sain et bon vivant, et les promène à travers les premières études de l'existence. Il ressort de ces études qu'il vont voir des femmes... C'est on ne peut plus français et aussi très humain, à Paris comme à Rome, pour ne pas dire comme en Prusse. Tous les chemius grecs ou latius mènent les petits jeunes geus au gros chiffre en question, point prévu par les tables de Pythagore. Je crois que l'auteur iusinue qu'il serait excellent de donner des femmes aux
collégieus dès qu'ils en ont envie, pour les calmer... Sarccy dirait : « Moi" je veux.bien ! » .Mais Eugène Morel'n'a pas  réfléchi qu'en, pleurant de .la sorte il finirait par nous donner, à'nous, une petite démangeaison de mauvais aloi. Toutes les questious savantes du livre sont traitées soigneusement, à part cette gaudriole, .et daus la déchéance de son névrosé, s'il y a du parti pris, il y a' surtout la connaissance approfondie de la cause. Mais pourquoi l'autre petit Français est-il seulement ébauché quand le névrosé tient une place énorme? Veut-il prétandre. cet auteur morose, que le névrosé est, en France, le plus* abondant des rejetous? Alors, que conclure, puisque, au point de vue général, le malade est une exception? En somme, un livre fortement épicé, où toutes les cinq ou six pages des éclairs fusent par-dessus la noirceur du creuset. Un beau livre, saus trame, et solide cependant comme la vie, mais une vie exceptionnellement torturée. J'aime mieux YJgnorance acquise.  ***
La Preuve égoïste, par RenÉ Ghil Prix : i fr. 50.  Aux Ecrils pour l'Art, 47 ii'j. avenue de Clichy).  La Preu'cc égoïste est le livre III de Dire Dr Mieux, première partie de l'uvre de M. René Ghil: Nous n'avous qu'à le signaler, un de nos collaborateurs devant prochainement écrire au île mire de France de tous les livres parus de M. René Ghil. A. V.
Phystologie de l'amour moderne, fragments posthumes d'un ouvrage de Claude Larchcr, recueillis et publiés par Pacl Bourgbt, son exécuteur tcstamentaire.  l'Lemerre).  Voir plus haut, page 3 : « Des êtres d'un esprit fin... »).
R. G.
Sous les tentes de Japhet, par Julien Mauvrac (L. Ge-' nonceaux).  L'histoire de l'antisémitisne contemporain, par un sorcier. Ce livre est un véritable bijou politique. Tontes les facettes mises en lumière et serties de malignes petites couleuvres d'or. De l'érudition et de l'économie sociale (mon Dieu oui) daus l'intérieur d'un boudoir. Un volume qu'un homme d'esprit doit goûter, qu'une femme d'esprit peut comprendre. Entre les lignes, des méchancetés veloutées bonnes à faire pendre l'auteur. A remarquer des citatious, merveilleusement choisies et encadrées, de tous nos joyeux députés boulangistes. Livre saus conclusion brutale, par couséquent vrai livre d'artiste. (Un bon point à Gcnonceaux, qui a risqué l'épée de Drumont en éditant cela!) ***
Poèmes et Poètes, par Emile Hinzeun iPerrin et Cie).  M. Emile Hinzelin n'est pas un « moderne », et nul doute qu'il s'en flatte : il y a des abîmes entre lui et nous. Au fond, il est d'un optimisme fort respectable, officiel allais-je dire, mais bien vieillot ; et sa forme, très sage, serait d'un poète d'avant le Parnasse et saus les belles hardiesses romantiques.  Entre autres poésies honorables : La Dernière Fée, et aussi Le Jiaiser, où se trouve ce vers : Le baiser de Judat, c'est encore un baiser. A. V.
Satane, par Soi-hib. Harlf.y fL.. Genonceaux).  C'est un roman érotique. L'auteur 'parle .franchement et quelquefois français. Cela commence chez Sapho et finit chez le Diable : oui, nous sommes naïvement induits au'péché de bestialit^  non saus logique, certes, après tant de dépeuses selon l'es modes ordinaires ! Faut-il daus ce dénoùment voir quelque intention de moraliste ou 'tout au contraire assumer ce rôle et reprocher à Mme Harley la part qu'elle prétend, prendre daus la perversion contemporaine ? Ou ertcore lui sa\*oir gré de cet effort, semble-t-il, qu'elle fait pour nous initier au secret des sensatious et des sentiments féminius? Ou garder de ce récit le souvenir d'un cauchemar daus les roses, de passious vite allumées, légères et folles, d'une entreprise de luxure saus portée et qu'on eût pu désirer plus elégaute, moius dite ? Mais, franche et naïve, et point si perverse que cela, la toute neuve romancière voudra mériter de l'indulgence et changer de style et de sujet. Car, en vérité, Madame... ! Ch. M-.
Fantaisie mnémonique sur le Salon de 1890 (ChampsElysées), suivie d'un essai statistique établi conformément aux données les plus récentes de la science, et d'une promenade au Salon du Champ\-de-Mars, par Pavl Masson (L. Genonceaux...) Ouf! quel titre ! Quant à la fantaisie, elle se singularise surtout par sa durée : 350 pages de jeux de mots par à peu près, voilà qui égale pour le moius la Tour Eiffel. Mais il sera beaucoup pardonné à M. Paul Masson, parce qu'il dit en ses Prospylées 'Préface pour le profane,> : «... des deux buts que doit se proposer l'écrivain daus des essais de cette nature : exaspérer les geus graves et amuser les autres, je serai toujours sûr d'avoir atteint l'un. » A. V.
La Bohême bourgeoise, par Cn.-M. Flor O'sqcarr (L. Genonceaux).  Pas de chance, décidément, ce titre-là I Exploité par Oscar Méténier et Flor O'Squarr (Ch.-M.t, il plane encore au-dessus du néant. Flor O'Squarr nous promène daus un monde de lettres où son héros, un homme de lettres itrouvez-moi un héros de roman qui ne le soit pas, aujourd'hui?; réussit daus tout ce qu'il entreprend et a, saus effort, beaucoup de talent. Ce n'est ni Bohème ni bourgeois. et quant au type de Darnand, le grand directeur de la grande revue, il nous semble qu'avec une très petite apostrophe entre le D et l'A ce serait un peu l'immortel Arnaud de l'Education sentimentale. Cependant, livre écrit fort correctement et par un auteur qui connaît bien la langue ordinaire de M. Alphouse Daudet. *>*
Toiles ébauchées, par HircuEs Lapaire fSavinei.  Eh bien, M. Lapaire, ne vous repentez-vous point déjà? duc ne vous êtes-vous pénétré du dernier alexandrin de votre livre : 9 Hélas! que peut-on faire en voulant se hâter! » ll eût été bien simple pourtant de débuter par Toiles ébauchées, qui, à défaut d'originalité, décèle au moius une certaine science du vers et un effort d'art. A. V.
CHOSES D'ART 
Une double joie pour les iconographes futurs : Eugène Carrière vient de peindre un très beau Portrait de Verlaine, et Paul Gauguin de dessiner un admirable Moréas qui illustrera un des prochaius fascicules de « la Plume ».
A voir :
Chez Durand Ruel, des Claude Monet ; des Puvis ; des Pissaro ; La petite file endormie avec son chat sur les genoux, de Renoir ; des Manet. etc.
Chez Boossod Et Valadon (Boul. Montmartre): des Corot ; Daumier ; Degas ; Carrière ; Pissaro, Monticclli ; Odilon Redon ; Paul Gauguin 'peintures, sculptures sur bois, grès et lithographie i ; Raffaëlli ; Lautrec: Guillaurain ; etc.
Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Vincent van Gogh ; Bernard ; Guillaumin ; Gauguin ; Luce ; Signac ; etc.
Daus le Vestibule Du Moulin Rouge : un quadrille et un cirque, de Lautrec. G. A. A.
CURIOSITÉS
Le Mercure galant de 1672, devenu Mercure de France, et continué sous diverses formes jusqu'à nos Jours, n'inaugurait que la moius intéressante partie de son titre. Il y a, en effet, des Mercures beaucoup plus ancieus. Ce sont, il est vrai, pour la plupart, des publicatious passagères et spéciales, des brochures saus lendemain, mais ressemblant à un journal en ceci qu'elles avaient pour but d'annoncer rapidement et à un assez grand nombre de lecteurs une ou des nouvelles; d'autres, comme le Mercurius ou le Mercure français, ont une périodicité à peu près annuelle : ce sont de véritables revues politiques.
Voici, à titre de curiosité, les Mercures qui précédèrent le Mercure galant (ceux qui le suivirent sont innombrables) :
Mercurius gallo-belgicus, 1598-1638.  Mercure français, 1611-1648.  Mercure d'Allemagne, 1619 et 1622.  Mercure et fidèle Messager de la Cour, 1622.  Mercure jésuite, 1630.
 Mercure altemand, 1631-32.Mercure ou Courrier céleste, 1632.  Mercure d'Estat (Paris). 1634. Mercure suisse, 1634.
 Mercure d'Estat (Genève), 1635.  Mercure espagnol, 1639.
 Mercure de Compiigne, 1649.  Mercure parisien, 1649. Mercure infernal, 1649.  Mercure de la Cour, 165».  Mercure indien, 1667.  Mercurio postiglione di qucsto e l'altro mondo, 1667.  Mercure postillon de l'un et l'autre monde, 1667. (traduction du précédent). R. O-.
Échos divers et communications 
Au Cercle Saint-Simon, devant un auditoire de dames très enthousiastes et de messieurs très initiés, M. Alber Jhouney fit, dimanche 7 décembre, une conférence sur le Christ esotèrique. Par le moyen d'une forme qui ne saurait être suspectée de banalité ou de prosaïsme, le jeune et brillant aède du mysticisme contemporain refait une virginité à de vieilles et sympathiques idées, qui charmèrent longtemps et charmeront toujours les doux optimistes épris de rêve, de seusibilité et d'idéal. Les antiques principes Trinitaires, qui se trouvent à la base de la plupart des religious, des métaphysiques et des franc-maçonneries, furent exposés, commentés et choyés par M. Jhouney avec toute la poésie et le lumineux vague qu'ils comportent. Ce qui semblait plus malaisé, c'était d'établir les rapports entre la personne de Jésus et cette Trinité trauscendante. L'orateur s eu est tiré avec une conviction et une élégance d'images fort appréciées. L'effloraison de cette conférence chatoyante fut une éloquente évocation d'une humanité socialiste et chrétienne, sublimée par l'amour, la liberté, l'intelligence, trop belle évidemment pour qu'il soit loisible à d'autres qu'à d'idéalistes poètes d'en espérer une pareille.
L. D.
La Bibliothèque Artistique et Littéraire, que dirige M. Léon Deschamps, publie le livre annoncé de notre collaborateur Ernest Raynaud : I,.-s Cornes du Faune.Il est tiré de cet ouvrage 162 exemplaires, dont 12 sur Japon impérial a 20 fr., et 150 sur simili-Hollande à 3 fr. Chaque volume contient le portrait et la signature autographe de l'auteur. L'éloge n'est plus a faire de cette bibliothèque qui a édité Dédicaces (épuisé), de Paul Verlaine, A Wniter nigkt's dream (épuisé), de Gaston et Jules Couturat, et Albert, de Louis Du mur. Nous ne saurious trop iusister sur ce point que jamais elle ne réimprime les ouvrages de sa collection, tirés à petit nombre et partant fort rares. Que ceux de nos lecteurs qui désirent posséder Les Cornes du Faune se hatent donc de souscrire, car il n'est pas douteux que ce volume ne soit introuvable bientôt.
Le 5 décembre, sous la présidence de Jean Dolent, l'auteur de tant délicates et fines choses d'un esprit qui ferait aimer les geus d'esprit (s'ils lui ressemblaient ! ) : Dîner des Têtes de Sois, chez Moussean.  Présents : Odilon Redon ;  le» peintres Eugène Carrière. Louis Mettling, Victor Maree, Coustantin Leroux ;  les poètes Charles Morice, Jean Moréas, Mathias Morhardt;  les sculpteurs A. Massoule, Gustave Déloye ;  Alidor Delzant. le graveur Henri Guérard, Jules de Marthold.le chausonnier Chebroux, Alfred Vallette.  Beaux vers, chausous drôles et... petit discours de M. Louis Mettling sur ce qu'il sied d'entendre par le mot : Art.
Le portrait de Paul Verlaine, par Eugène Carrière, est visible le dimanche chez Jean Dolent (Villa Ottoz, 43, ruePjat, à Belleville).
Nous signalous aux artistes en quête de pittores9ue un intéressant journal illustré polonais, le Swlat (le Monde), bimeusuel, paraissant à Cracovie, sous la direction de M. S.irneclci, écrivain de talent. Daus le dernier numéro, M. Edouard Loévy, le dessinateur bien connu des Parisieus, nous montre des Paysans polonais sortant d'une kartchma (Débit d'eaude-vie).
En librairie prochainement : chez Savine : Vieux, par G.Albert Aurier; chez Tresse et Stock: Le Vierge, par Alfred Vallette : chez L. Genonceaux : Les Pharisieus, par Georges Darien, Lu Sanglants Ironie, par M" ' Rachilde, avec une préface de Camille Lemonnier. M-- Rachilde termine en ce moment une pièce en 3 actes : Madame la Mort, drame cérébral, d'une conception très curieuse.
Notre camarade Léon Riotor a puisé daus Comines et les chroniques du siège de Beauvais une suite de scènes lyriques sur Jeanne Hachette. On y retrouve les soldats de l'époque et tout le pittoresque de leurs costumes et de leurs armes, puis le cortège solennel tel qu'il a lieu chaque année à Beauvais, avec la châsse de Sainte Angadresme et l'étendard bour. guignon capturé par Jeanne, recoustitué d'après les restes que couserve l'église Saint-Michel de Beauvais.  La musiqne, de M. Paul Dupin, élève de Gigout, comprend 26 numéros, dont un chant d'orgue. Les costumes et les armes ont été dessinés par M. Louis Bombled.
Prochain spectacle du Théâtre d'Art : Les Cenci, de Shelley, traduction de M. Rabbe.
Nos souhaits de bienvenue au Combat Littéraire, que dirige notre confrère M. Léon Roux.
Etrange coïncidence :
Chrétienne, 
Ma générosité doit répondre à la tienne. (henri De Bornier : La Fille de Roland, act. I, se. IV) 
De quai qu'en ta faveur notre amour m'entretienne, M.a générosité doit répondre à la tienne. (corneille : Le Cid. act. III, se. IV) 
M. Porquet, le libraire bien connu, a faiV à la Comédie
Française nn dont important : la collection du Mercure de 
France années 1749 à 1792, soit environ 500 volumes. Si M. Claretie désirait compléter...
AVIS.  II ne reste qu'un très petit nombre de collectious du Mercure de France année 1890. et le prix 6 fr. le vol. broché, avec tables et couverture spéciale : envoi franco contre mandat-poste en sera très certainement augmenté sous peu.
Mercvre. 
Le Gérant: A. Vallette. Vanves.  Impr. Camille Dillet, 97, route de Clamart.
Tout le monde n'a pas la couscience littéraire de M. Maurice Barrés, qui très subtilement, daus une préface qu'il écrivait pour Monsieur Vénus, élucidait, à propos du livre et de l'auteur, le cas d'un cerveau « infâme et coquet ». Pour à peu près la totalité de la critique  (en admettant qu'on puisse aiusi dénommer l'espèce de reportage pharisaïque et bref qui prévaut daus les journaux)  les romaus de Rachilde appartiennent encore à la catégorie spéciale, réputée aphrodisiaque et délétère. On les signale avec reticence, comme un article de librairie secrète, et si le courage va jusqu'à la glose, on n'est pas loin d'assimiler l'écrivain à une Locuste expérimentant sur le lecteur ses poisous. L'ignare imbécillité et la cuistreuse intolérance, daus un temps où, à force de parler de la morale, on a fmi paren oblitérer la notion, s'efforcent aiusi d'avoir raison d'un esprit rétif à s'amender et qui persiste daus ses voies. C'est pourquoi il y a quelque probité à recoustituer cette figure méconnue, l'une des rares femmes de lettres qui soient plus que des bas-bleus.
(i) Ces pages servent de préface au roman de Rachilde : La sanfflante ironie, qui paraîtra daus quelques jours à la librairie L. Genonceaux.
Je ne voudrais pas établir de rapprochement entre l'auteur & Ironie sanglante et ce comte de Lautréamont (Ducasse) dont l'éditeur de Rachilde vient justement de remettre au jour les extraordinaires Cliants de Maldoror. D'analogie, il n'en est point, à part peut-être la communauté d'injustice qui les voue à d'immérités-silences. Je signale simplement le fait de ce tumultueux et imprécatoire rhéteur, de ce musicien des grandes orgues littéraires, de cet infant de lettres qui mourut saus avoir réçué et probablement ne sera reconnu Prince sptrituel que par un très petit nombre de ses pairs. Ce lyrique blasphémateur, qui attisa le plus virulent satanisme sur les grils de ses prosopopées, ce nébuleux et outré négateur des morales et des cultes professés,aux métaphores tendues comme desbalistes, ou giroyantes comme des catapultes, ce vociférateur des litanies du Péché et de la Damnation, créateur d'un antiphonaire sabbatique s'égalant aux pires rituels du Diabolisme, perturba tellement l'inepte critiquaille contemporaine qu'à part deux ou trois hauts esprits, nul ne se sentit assez sûr de ses propres lumières pour plonger daus ces gouffres d'incohérences et de ténèbres où par moment clame une voix merveilleusement musicale. La plénipotentiaire sottise s'effara d'un livre dont il eût fallu chercher la clef daus les effrois du moyen-âge et qui, sur le crépusculaire marécage des actuels détritus littéraires, projette les noires coruscatious d'un inquiétant bolide. Lautréamont,qu'un éditeur courageux avait tenté de ressusciter, devait périr aiusi une seconde fois sous les stratiftcatious d'obscurité que la làcheté et l'indifférence hostiles dressèrent autour de sa mémoire.
Rachilde n'a rien du satanisme exaspéré de ce Maldoror, et pourtant elle est une satanique à sa manière. A travers les soufres et les poix enflammés de ses cycles de perversion, il étend, lui, les ailes tourmenteuses d'un Baphomet révolté, il est le mauvais ange saus visage assumant la colère des âmes rebelles et tourbillonnant comme un typhon daus des régious de mort et d'épouvante. A côté de cet effrayant symbole mâle de la Haine et de la Désespérance, elle n'apparaît que comme une démone diminutive, vouée aux uvres malignes, brassant les chaudrous des curiosités réprouvées, mais du bout des doigts jetant sur les feux où elle active ses cuisines une pincée de poudre rose qui en mitige les fulguratious écarlates. Ou plutôt, c'est une petite nonne des chapelles du Mal, une nonne du temps de ces abbesses qui, à travers les enluminures de leur psautier, regardaient complaisamment tirebouchonnerlescornesdu Diable, une nonne qui, sous les bribes des béguius qu'elle n'a pas tout à fait jetés par-dessus les moutiers. eût pour toutes les Sainte Inquisition terriblement senti le roussi.
Et peut-être ce joli écrivain du mauvais Savoir qu'est la petite nonne (on peut saus témérité le supposer) eût été mené devant le crucifix daus les souterraines gehennes; et là, ce même crucifix, on le lui eût mis, chauffé à blanc, daus ses maius noires du péché d'écriture,  ces maius qui, en écrivant, osèrent toucher aux emblèmes détestés et remuer les fatalités de l'originelle déchéance. (N'a-t-elle pas dit un jour les maius, les vierges petites maius, toutes les maius des pâles jeunes filles, en un court poème de prose aux senteurs libertines, aux muscs de sexe et d'officine parfumant le geste de la perdition qui ensuite s'efface et n'est plus que le rythme chaste des peûtes maius redevenues des maius de bonne innocence?) Ah! elle connaît les mystères, elle sait les gestes et les paroles, elle est bien la nonne des sacristies où le grand diable catholique, le pourpre grandqueux des cantines du Mal, se trausfigure, pour être adoré, en l'aimable sourire et les touffes roses aux joues d'un petit page des caresses et du baiser, d'un chérubin aux bouts d'ailes légèrement apparents sous le pourpoint, d'une revivance du vieil Amour des mythologies et qui à lui seul serait tous les amours.
Eh non ! ce n'est plus rien du Satanisme liturgique, s'il se peut dire, de l'âpre Satanisme se flagellant avec ses désirs et se cruciftant sur ses jemords. La Messe noire a fait place à des rites moius tragiques où la volupté ne se vomit plus en rugissant contre les divines Miséricordes et seulement s'éréthise daus les affres de jouissances diaboliques encore, bien que le Diable ni ses suppôts ne s'y suscitent plus avec de matérielles évidences. Ils demeurent diaboliques malgré tout, ces effrénements de la curiosité, par cela même qu'ils sont la soif et la faim du Péché,  la soif qui boit à tous les ciboires avec le tourment d'en relècher jusqu'aux lies, la faim qui voudrait rafler jusqu'aux miettes des tables dressées par la démence des sens. Leur diabolisme, pour résigner le reniement des Symboles et se circouscrire daus les perversious amoureuses, n'en reste pas moius lié au primordial Satanisme par la joie périlleuse de trausgresser les Commandements et de rompre les sceaux que l'Eglise a mis sur le goût des délectatious de la chair.
C'est encore un délice de perdition, cet ineffable besoin de se faire mal à l'âme en fatiguant et torturant l'habitacle charnel où elle bat des ailes, où, pendant les moments du péché, elle s'agite impuissante, comme le témoin muet des opprobres par lesquels on la répudie et on voudrait la casser aux barreaux de sa cage. Les âmes très chrétiennes surtout possèdent le seus des sombres blandices du ravalement et de l'immolation, carne risquentelles pas, celles-là, le règne éternel pour un bref et exécrable délire, car chacune des titillatious de la chair n'est-elle pas un coup de lance qui retentit au flanc divin ?
Mais, même pour les autres, dénuées de la foi aux éternités, le voluptueux supplice s'attise d'une idée de sacrifice : c'est en tournant et retournant la chair sur les claies du plaisir qu'elles se sentent se recroqueviller et panteler, c'est en se fustigeant avec leslanièresdescoupablesdésirsqu'elles goûtent les joies éperdues et se délivrent en des
abois qui les égalent presque à la surhumaine douleur des âmes chétiennes.
Cette douleur, vous ne la trouverez pas chezles vierges impures de Rachilde, ni les grands frissons de la Damnation, ni les stupres qui hersent la race des hommes jusqu'en ses racines. Elles ne sont chrétiennes, je peuse, que par habitude, chrétiennes peut-être uniquement par la peur des aveux qu'il leur faudra chuchoter au confessionnal, par un reste d'ancienne créance aux démous qui les émoustille délicieusement daus leurs défatllances et fait passer sur la brûlure des baisers à leur peau un rien du soupçon de la rôtissure infernale. Si elles l'étaient, chrétiennes, elles seraient bien plus ardentes à l'uvre impie, bien plus vertigineusement emportées vers l'atroce et suave certitude de l'expiation finale, car la beauté des religious est de pousser le mal jusqu'au martyre, jusqu'au cri et au tenaillement des plus effroyables tortures corporelles.
Ces étranges jeunes filles(et c'est par là qu'elles s'attestent bien modernes) répudient toute analogie avec leurs surs antérieures, les amères possédées des âges de la Damnation, les cruelles amazones des batailles de la chair s'amputant le cur et le donnant à manger aux pourceaux des grandes luxures. Névrosées, les seus précocement excités par des ferments d'hérédité, malades d'un excès de rêverie qui les livre déjà savantes et dévirginisées à l'homme, elles assument une façon de perversité ingénue et demeurent le plus longtemps qu'elles peuvent, à travers leur corruption d'esprit, des jeunes filles ayant tâté du bout des doigts au péché, mais différant de l'étreindre corps à corps. Pour le monde ce sont, en effet, toujours des jeunes filles; le diable seul met l'il à leur fêlure et suppute les petites salissures de leurs âmes, ces salissures par lesquelles elles lui appartiennent. Elles sont friandes de seusualités, toutes également ; la tentation chaque nuit vient cogner à leur porte et elles l'entre
bâillent en attendant qu'elles l'ouvrent toute large. Ce sont les pécheresses des mauvais conseils du songe, elles se chatouillent de curiosité libertine et se mûrissent par les concupiscences. Les plus neuves jouent à la poupée avec le Mal jusqu'au jour où le joujou devient entre leurs genoux le manche à balai sur lequel ces diligentes sorcières chevaucheront vers les sabbats. Car inévitablement elles sont dévolues aux sciences de perdition, les naïves aussi bien que les rouées ; et le rêve n'est pour elles que le stage des expériences décisives. Mais par le rêve elles ont déjà tout vu, elles savent à l'avance tout ce que peut suggérer le rêve, et, plus tard, elles tâcheront de mettre leur rêve en pratique.
Rien ne ressemble moius aux terribles eusorcelées de ce faiseur d'âmes- sataniques et qui, du même geste de plume dont il les vouait à l'enfer, avait l'air de les exorciser, je veux dire Barbey d'Aurevilly; et toutefois elles sont de la famille, elles y accèdent en qualité de cadettes et de pupilles. L'auteur des Diaboliques, ce Custode des ordres de l'Impénitence, eût tiré de son trousseau la grande clef d'or pour leur ouvrir le guichet de ses monastères, comme à de mignonnes nonnaius d'élection qu'il se fût chargé de former pour les sataniques épousailles. Mais je crois bien que leur mère spirituelle lui eût agréé encore plus. Cette déconcertante Rachilde qui, toute jeune fille, débutait par des livres torsés avec les plus purs fils diaboliques, cette novice des cloîtres de la perversité qui tout de suite se révélait professe, cette Agnès doublée d'une princesse de Décaméron l'eût paternellement délecté comme une fille de son cerveau. Ingénue et perverse à l'égal des énigmatiques vierges de ses romaus, avec des neiges d'âme teintées d'écarlate à de soudaines reverbératious d'en dessous, il semble par moment qu'elle soit l'une des jeunes ftlles qu'elle osa dévoiler, ignorante de ce qu'elle ne pouvait savoir, mais bien plus savante déjà, en cette ignorance, que celles qui, n'ayant pas tout appris par la conjecture comme elle, ne savent que ce que la vie leur a fait connaître.
Elle qui se piquait d'être sincère, le fut au point de laisser croire que les femmes qu'elle créait étaient presque toujours créées d'après elle-même. Et vraiment il y ade telles spontanéités de nature, il y a de si sûres trouvailles de vérité dans telles de ses pages venues sous sa plume comme un aveu, qu'on ne doute plus qu'elle n'ait poussé la sincérité jusqu'à se raconter daus l'entraînement d'un cur très candide et d'une petite cervelle infiniment vicieuse. Ce dualisme s'avère en maint endroit : tandis que la tête va de l'avant et bat la campagne, une fraicheur d'émotion, j'allais dire une pudeur de bonne âme, signale, parmi les débâcles de l'imagination, la présence et la sauve^ garde de l'Ange gardien.
Ce serait le moment de parler de l'espèce d'écrivain qu'est littérairement Rachilde. J'en sais peu qut, volontairement ou non, aient plus l'iusouci de l'art et la négligence des coquetteries de la forme. Même pour d'aucuus, épris du chatoiement des mots et du miraillé de ce style toujours rouant qui japonise d'un air de bibelot rare les étagères de notre littérature, elle détonne sur l'universelle application à ciseler des orfèvreries, à polir des gemmes, à tailler des cathédrales daus un dé à jouer. Ce sera vertu de ma part à le confesser, peut-être artialise-t-on un peu trop de nos jours au détriment de la nature saus laquelle c'est, comme chez les illusionnistes, faire pousser des roses au bout d'un manche de parapluie. Notre préciosité, nos maniérismes, cette pompe de nos stvles tout en façade (aiusi qu'un prestige de palais de théâtre saus profondeur ni deusité) légueront aux démocraties futures la mémoire et peutêtre l'ennui d'une ère ostentatoire et décorative, d'un autre siècle de Louis XIV où, comme là tout était équerre et cordeau, tout ici apparaîtra paillous, feux d'artifice et polychromies.
A côté de ces pétarades, la cursive écriveuse de Monsieur Vénus, de La Marquise de Sade et de Madame Adonis, se dénonce un écrivain naturel, un écrivain en déshabillé et qui, merveille pour une femme ! ne se mire en écrivant non plus au miroir de ses phrases qu'en nul autre miroir. Elle écrit comme elle sent et comme elle peuse, et vous savez si dès les premiers livres cette petite raisonneuse pensait avec décision et avec netteté ! Elle écrit d'un style saus falbalas et qui, flexible néanmoius, avec un léger fard de métaphores et ça et là des fleurs et des rubaas, ne verse pas daus l'hommasse et reste un style féminin. Elle écrit d'une main qui sait le point de tapisserie et fait claquer l'éventail,  d'une main d'iustinct si vous voulez et qui n'a pas été gâtée par l'imitation à une époque où les femmes imitent si bien les hommes qu'elles ont fini par en prendre les manies et les virtuosités. Et cette écriture iustinctive correspond bien à sa psychologie saus le vouloir, toute d'iustinct aussi, de' pénétration naturelle et immédiate, et qui se dévide entre ses doigts comme un écheveau dont elle porterait les fils daus son cur et son cerveau.
Ce qu'elle est daus ses précédents livres, elle l'est encore, mais autrement, daus cette Ironie sanglante qu'on va lire. La petite tête folle d'antan s'y révèle assagie, devenue tout à fait grande personne, détaillant posément une grave histoire qui s'attaque au problème même de la vie, une histoire dont, par exception, le protagoniste cette fois porte culottes,  mais avec quelles nuances de féminéités autour, quels délicats pastels de têtes de femmes, quels arômes de campagne en cette Grangille et quels capiteux bouquets d'essences en la petite femme saus corps, au sexe remonté dausl'orient des yeux et les humides pulpes des lèvres, mourantes du regret des baisers! J'évite de dire mes préférences, je ne veux pas comparer aux premiers ce dernier livre d'une veine généreuse et qui, à l'âge des essais encore, atteste un écrivain déjà mûri. C'est déjà un bien supérieur mérite qu'il diffère de ses aînés et répugne au procédé de nos grands pâtissiers littéraires battant leurs meringues daus un moule imperturbable. Il est estimable d'être le pommier du bord des routes : c'est une spécialité comme une autre, encore qu'un unique pommier daus le paysage à la longue me cousterne. Mais le bon Dieu a permis que certaius cerveaux fussent le verger tout entier. Et j'attends du verger de Rachilde des automnes féconds en toujours neuves cueillettes.
Camille Lemonnier. 
DESTINS 
O Femme, chair tragique cxquisément amère, Femme, notre mépris sublime et notre dieu, O gouffre de douceurs, et cavale de feu, Qui galope plus vite encor que la chimère. 
Femme qui nous attends daus l'ombre au coin du bois Quand, chevaliers d'avril en nos armures neuves, Nous allous vers la vie et descendous les fleuves En bateaux pavoisés, la palme verte aux doigts. 
L'oriflamme Espérance aux fraîcheurs matinales Se gonfle ; nous ouvrous daus le matin sacré Nos yeux brillants encor de n'avoir pas pleuré, Xos yeux promis plus tard à tes fêtes fatales. 
Ivre d'or et de pourpre, et des fracas du fer, Le sang torrentiel en nous se précipite, Et notre âme superbe en longs frissous palpite Vers l'infini, comme la voile vers la mer! 
Toi, debout au miroir et dominant la vie, Tu peignes tes cheveux de reine, indolemment; Et pour les voir passer, tu tournes un moment Tes yeux d'enfant cruel, à qui tout fait envie. 
Fleur chaude, sombre fleur balançant ton poison, Tu te souris, tordant ta nudité hautaine, Et déjà les parfums de ta robe lointaine Flottent comme une haleine ardente à l'horizon. 
Le Soleil qui surgit, ruisselle sur les âmes...
Ils ont frémi devant les destius révélés
Les conquérants du Rêve aux grands fronts étoilés.
Ivres de galoper, ventre à terre, aux abîmes.
Rampe an long des buissous, darde tes yeux de flamme.
Un regard, et déjà notre élan est tombé ;
Un sourire, et l'alcool de nos seus a flambé;
Un baiser, et tes dents ont mordu daus notre âme!
Les voilà maintenant, les sublimes, les fous, Tous ceux qui s'en allaient aux fêtes inconnues, Archanges déplumés, précipités des nues, Oh! comme les voilà rampants à tes genoux! 
Ta chair est leur soleil, tes pieds nus sont leur gloire,
Et ton sein tiède est une mer aux vagues d'or,
Où leur cur épuisé de paresses s'endort
Sous tes yeux où s'allume une sombre victoire...
Ils sont tieus maintenant ; c'est à jamais leur sort De se damner an ciel sanglotant de ta bouche ; Et, souriant du haut de ton orgueil farouche. Tu refermes sur eux, enfin douce à leur mort, 
Tes bras, tes bras profonds et doux comme la Mort.
Albert Samain. 
Mme Vernet.  FranÇois Aubain. 
F. Aubain.  Je vieus de faire ma dernière course à la mairie. 1 ont est prêt. Que ne peut-on s'endormir garçon et se réveiller marié !
Me1" Vernet.  Moi, je suis allée chez le fleuriste. Il s'engage h fournir tous les jours un bouquet de quatre francs. Oh! j'ai marchandé! Par ces temps froids, ce n'est pas cher.
F. A.  Non, s'i! porte les fleurs à domicile et si elles sont belles.
Mmo V.  Naturellement. Eusuite, j'ai prié Madame Praiteau de nous chercher un éventail, une bague, une bonbonnière et quelques bibelots ravissants. Elle n'avait rien en boutique. J'ai dit que nous voulious nous montrer généreux, saus faire de folies toutefois.
F. A.  Evidemment. Et ce sera payable?
Mme y.  A votre gré.
Mme V.  Vous avez vu la petite, aujourd'hui?
F. A.  Oui, cinq minutes seulement. Sa mère a fixé la date. Nous nous marierous daus trois mois, le dix-huit mai.
Mme V.  Trois mois, c'est long.
F. A.  C'est trop long. Aussi, n'est-ce pas, nous ne sommes plus obligés de nous quitter tout de suite. Nous avous le temps.
Me1" V.  C'est cela. Vous voulez que vos amours se touchent, et qu'il n'y ait qu'à enjamber pour passer d'une femme à l'autre. Mon pauvre ami , il vous faudra pendant ces trois mois priver la petite bête.
Mme V.  Dites-lui bien que le bleu sied aux blondes. J'ai là une gravure de toilette exquise que je vous prêterai. A-t-elle du goût?
F. A.  On n'a pas de goût à son âge.
Mm'' V.  Elle m'intéresse, moi, cette petite. Je voudrais faire son éducation, et je la défendrais contre vousmême. Voyous, aime-t-elle les jolies choses?
F. A.  Oui, quand elles sont bien chères.
F. A.  Assisterez-vous à mon mariage?
M me V.  Suis-je invitée ?
F. A.  Certainement.
Mm« y.  J'irai.
F. A.  Vous n'avez pas peur de trop souffrir?
Mme V.  Rien ne gronde daus mon cur. Quand je me suis donnée à vous, ne savais-je pas qu'il me faudrait un jour me reprendre? Mais le décrochage a été pénible. Nous n'en Unissious plus. Nos deux âmes tenaient bien.
.F. A.  C'est vrai. L'affaire a un peu traîné en longueur.
Mma V.  Si je ne me sentais pas tout à fait détachée de vous, je couperais à l'iustant, saus pitié, les dernières ficelles.
F. A.  Et plus tard, après le maiiage, viendrez-vous nous voir? Je vous présenterais comme une amie, une parente même.
M'ne V.  Ou une iustitutrice pour les enfants à naître.
F. A.  Je me garde de plaisanter. Chez moi, vous serez chez vous. Votre couvert sera toujours mis.
Mme V.  Et ma place daus votre lit toujours bassinée.
F. A.  Pauvre amie, tu souffres !
Mme V.  Pas du tout. Mais vous m'agacez avec votre système de compeusatious.
F. A. Ne parlous donc point du présent, parlous du passé  qui a passé si vite.
Mme V.  Comme vous êtes nature ! Une belle fille, une fortune vous attendent. Vous voilà casé. Vous croyez me devoir, en dommages et intérêts, quelque pitié. Il vous plairait d'être sentimental un quart d'heure au moins. Vous vous dites : « Puisqu'on me prépare un bon dîner, je vais regarder mélancoliquement ce coucher de soleil. »
F. A.  Alors, parlons de votre avenir. Que ferezvous?
Mmo V.  Je veux être sérieuse...
F. A.  Vous l'êtes déjà, et du bout des doigts vous tambourinez sur vos tempes comme un caissier qui trouve une erreur.
Mn>e V.  Pratique. Ma santé ne me permettrait plus l'amour p^ur l'amour. Je chasserai au mari.
F. A.  Si la bête passe près de moi, je vous préviendrai.
Mme V.  Riez. Dès demain matin, je commencerai mes courses.
F.A.  A quelle heure?
Mme V.  De bonne heure. Je me lève très bien, quand personne ne me retient au lit.
FA.  Sincèrement, je vous enverrai des adresses.
F. A.  C'est l'instant de nous énumérer nos qualités. Je commence : vous ferez une excellente épouse.
Mme V.  Vous serez un bon mari, et si j'avais été plus jeune, je ne vous aurais pas cédé à une autre.
F. A.  Restous-en là.
Mme V.  Dites-moi : la petite est-elle propre ?
F. A.  Comme les fauteuils de sa mère un jour de réception.
M010 V.  Veillez a ce qu'elle fasse régulièrement sa toilette intime : c'est très important.
F. A. Avouez que, la première, vous avez songé à notre séparation. Moi, je me trouvais très bien.
Mme v. _ Encore!
F. A.  Oui, je vous ai aimée de toute ma force, et je crois qu'en ce moment même vous êtes ma vraie femme.
M>ne V. - Du calme, mon ami, vous allez dire des bêtises, et comme je ne vous permettrai pas d'en faire, vous me quitterez avec la faim.
F. A.  Tes lèvres?
Mn'e V.  Pas même mon front.
F. A.  Ta bouche, tout de suite...
Mme V.  Faut-il sonner?
F. A.  Comme au théâtre. C'est inutile. Votre esclave, votre femme de ménage est partie.
Mme V. - Oh. nous resterous amis, de loin. F. A.  Amis de faïence. Soyez certaine que je ne dirai jamais de mal de vous.
Mme V.  Vous êtes trop bon. Si, de mon côté, il m'arrive de vous noircir, ce sera par politique et pour les besoins de ma cause. Me rendez-vous mon portrait ?
F. A.  Je le garde.
Mme V.  Il vaudrait mieux me le laisser ou le déchirer que de le jeter au fond d'une malle.
F. A.  Je tieus à le garder, et je dirai : c'est un portrait d'actrice qui était très bien daus une pièce que j'ai vue.
Mn>eV. Et mes lettres?
F. A.  Vos lettres froides de cliente à fournisseur, je les garde aussi. Elles me défendront si on me soupçonne.
F. A.  Je me vois descendant les marches de l'église avec la petite en blanc. Et je peuse  faut-il vous le dire ?  je peuse à des histoires de vitriol.
Me'e V.Ah, vous me sondez! Eh bien, mon ami, changez vos idées au plutôt : elles vous donnent l'air niais. Est-ce assez vilain, un homme qui a peur ? Car vous avez peur, et vous vous tiendrez sur la défeusive, le coude le-«> en parapluie. Ce sera drôle à divertir un saint
dans sa niche. Vous mériteriez  mais je craindrais
de tacher ma robe.
F. A.  Je m'en vais.
Mmo V.  Oui, je sais, vous vous en allez  tout à l'heure.
F. A.  Quel beau livre on pourrait écrire sur nos amours. Il n'y aurait qu'a réciter.
Mma V.  Un livre gris, dont tout le noir serait pour moi et pour vous toute la neige.
F. A.  Je crois que ça se vendrait.
F. A  Dites-moi : nos petites affaires sont bien réglées Vous ne me devez rien. Je ne vous dois rien.
Mm« y.  Oh! mon ami.
F. A.  Permettez. Je crois ne vous avoir pas rendue trop malheureuse, et je tieus à ce que tout se termine correctement. Oui ou non, vous dois-je quelque chose ?
Mme V.  Voulez-vous une quittance ?
F. A.  Ma chère, vous êtes amère comme une orange dont il ne reste plus que l'écorce.
Mrae V.  Vous seriez bien aimable de vous en aller.
F. A.  J'ai toute ma soirée à moi.
Mme V.  Je ne vous la demande pas.
F. A.  Mauvaise ! c'est moi qui vous demande humblement la vôtre, y compris la nuit, bien entendu.
Mo10 V.  La nuit aussi ? Je vous en prie, ne vous forcez pas.
F. A.  Je vous assure que cela me ferait plaisir.
Mme V. Aiusi, vous me proposez, bonnement, de faire, une dernière fois, quelque chose comme la belle en amour. Eusuite nous nous donnerious une poignée de maius, et l'honneur serait satisfait. Vous êtes malpropre.
F. A.  Madame !
Mme V.  Voilà que vous faites ces petits préparatifs de faux départ qui cousistent à prendre son chapeau et à le poser successivement sur toutes les chaises, pour le reprendre encore et le reposer.
F. A.  Nous sommes arrivés.
Mme V.  Moi du moins, et je descends de voiture, tandis que vous continuerez vers des pays neufs.
F. A.  Je voudrais, saus être banal, vous dire quelque chose de très tendre.
Mmi> V.  Oui, le mot de la fin, le mot fleuri qui parfumera mon souvenir pour la vie. Vous ne le trouvez pas. Cherchez.
F. A.  Il me vient et s'en retourne. J'ai comme de la ouate daus la gorge.
Me1» V.  Ne vous faites pas de mal. Désenlaçousnous saus douleur. Allez, et aimez bien la petite.
F. A  Ah! je l'aimerai  plus tard.
Mmo V.  C'est vrai. Il faut le temps de donner un peu d'air à votre cur.
F. A.  Je vous vois calme. Il me semble que je vous laisse sur une bonne impression et que le moment est venu de partir. Vos nerfs dorment. Je m'en vais, doucement, à l'anglaise. Ne vous dérangez pas, il fait encore clair daus l'escalier.
Me16 V.  Quel vide, tout de même, et que de choses vous emportez !
F. A.  Oui, mais il vous reste le beau rôle.
Jules Renard. 
PAUL VERLAINE 
A EugÈnb CarriÈee. 
En mi-chemin de cestrc nostre r/« Me retrouvai en une sclvc obscur?, Car droite vois ore estait esnuirrie. 
Ah, ceste selve, dire m'est chose dure Connue elfe estait sauvage et aspre et fort Si ifae mon cueur encore ne s'assure, 
Tant est amer qui peu est plus la mort. Dante : (L'Enfer traduit par LittbÉ). 
Le Pocte au penchant de sa destinée S'arrête et contemple l'avenir obscur : Déjà le soir de sa mourante journée Monte parmi la vieillesse de l'azur. 
Comme Dante a-t-il quitté la bonne voie Celui qui mieux que tous connut le secret Des hymnes splendidcs d'amour et de joie Comme Dante perdu daus l'âpre Foret? 
C'est à peine si la mort est plus amère Que cette Forêt d'épouvante et de nuit Qu'emplit le sanglot de la chère chimère D'autrefois, fantôme déçu qui s'enfuit. 
Ah, que les routes claires se sont éteintes Depuis que daus l'aube on partit pour là-bas Où brillait au sommet des montagnes saintes Une Rosc en prix de glorieux combats ! 
Le Pocte au milieu de son chemin sombre S'arrête et triste contemplant le Jadis Se revoit daus sa jeunesse  telle une ombre Ambitieuse de tous les paradis. 
Il se revoit daus toute la belle ivresse De sa jeunesse éprise de l'Absolu  Tel un fol vers une amérique s'empresse Pour un livre menteur naïvement lu. 
Il voulait entendre parler daus les nues Les messagers ailés, purs, savants et vrais  Saus rien perdre cependant des chausous nues Du plaisir qui s'ébat au fond des lieux frais. 
Ce ne fut pas une mission céleste, Ce fut un téméraire abus de pouvoir Et voilà qu'il faudrait au remords qui reste Expier d'avoir espéré tout avoir. 
III
Le Pocte daus un désolé silence, Saus plus se rebeller contre aucune loi, Saus invoquer dès lors aucune clémence, Comme un vieil enfant regarde devant soi. 
S'il me faut entrer daus la Foret profonde Saus doute ce sera pour chanter encor? Je suis un élément dont les feux du inonde Ont fait tour a tour et du plomb et de l'or. 
J'ai jeté aux vents des richesses peut-être : Eh bien? Je suis né sous l'astre saturnien : Libre et nerveux!Je n'ai pas subi de maître Puisque certes jamais je ne fus le mien ! 
Je ne sais trop quelle route j'ai suivie, Comme j'y suis entré ni comme on en sort,  Je ne sais pas ce que j'ai fait de i;:a vie .. Qu'est-ce que je pourrais faire de la mort? « 
Charles Morice. 
HORIZONS IRRÉELS 
Au loin, s'étendent, indicibles, des contrées Où le frimas du globe n'atteignit jamais. Les trausparentes fleurs y font des mers moirées, Les libellules d'or d'invraisemblables mais. 
Sur l'aile des soupirs, les blêmes lassitudes Y vont abondamment puiser aux sources l'air Qui les fraîchit de nos arides latitudes. Exquis, léger, subtil, ténu, suave, clair. 
La nuit, le jour, à l'heure où le croissant s'argente, L'orgie émue et rare des- léthés y fuit : La vie a clos sa course fixement changeante, Vacille, hésite, fond et disparaît saus bruit. 
Les femmes y sont belles, pures, diaphanes, Mêlant à leurs baisers les doux épanchements; Leurs chevelures sont de flavcs filigranes. Leurs rires sont des royautés de diamants. 
Mystique. la chauson susurre au gré des brises; Le rosé éclat des lèvres la recueille, et mord D'amour les blancs linceuls des blanches tailles prises. Ignare si c'est là le rêve ou bien la mort. 
De longues, nostalgiques et puissantes larmes Emergent aux accents des harpes et des voix ; Luisants, les coups d'archet évoquent mille charmes, Qui disent, éplorés, des mythes d'autrefois. 
BRACONNAGE
A. Paul Mcirgncritie. 
I
Le père Birette, assis au coin de la cheminée haute, d'un geste bref commanda l'attention à son fils, immobile comme lui près du foyer, et il tendit l'oreille, les paupières battantes, tirant par plus grosses boutfées la fumée de son noir brûle-gueule. Les pas se rapprochaient daus la rue paisible, des pas réguliers d'homme habitué à la marche, chaussé de souliers à clous qui crissaient sur les pierres : le rural?-' le garde-champêtre? un compagnon sur le trimar? -- Quelqu'un entin rasa la maison et son ombre glissa daus le chiffon de mousseline pendu devant la fenêtre. Le vieux proféra, braquant sur Firmin ses petits yeux gris de paysan madré :
 C'est-i pas l Chaouin, que v'ià ?
Firmin, trapu, carré d'épaules, quitta son tabouret dépaillé en grattant sa tignasse queue-de-buf, et, traversant d'un pied lourd qui s'empressait !a pièce au sol de terre battue, colla aux vitres sa face ronde, salie de taches rousses et du poil follet de ses vingt aus. Mais l'homme était trop loin déjà pour qu'il le vit aiusi; il entrouvrit la feu être, et prude m ment se risqua. Il répondit:
 Si-da, c'est l' Chaouin.
Il vint se rasseoir. Le père frottait de sa main aduste la barbe en brosse de son menton; il réfléchissait, irrésolu, les sourcils joints et l'il daus Pâtre, où descendait, léchée par les flammes d'une bourrée, la crémaillère moutonnante de suie. F.t daus le sileiT-.e crépitaient les brindilles éclatant an feu, tandis que le long balancier de l'horloge, accotée à la vieille armoire et semblant un cercueil dressé, rythmait un lent déclic. Birette cessa de frotter sa barbe, et, étant la pipe de ses lèvres, ordonna :
 Vois donc voir ed qu'eu côté qu'i va, l' Chaouin. Puis, ayant craché daus le feu et après s'être essuyé
avec sa manche en regardant l'horloge, qui marquait midi vingt-cinq, il ajouta :
 ]' pourrions p't-èt'e ben aller faire eu ne tournée là-bas.
Le gars disparaissait derrière la chaumine; il grimpa vivement l'échelle du grenier, et, par le losange découpé daus la porte d'une lucarne ouvrant sur la campagne, il explora la route et les champs, une main en auvent au-dessus des yeux. Rien ! Où qu'il était passé, donc, l'sale cafard?... Mais, entrebâillant le vantail delà lucarne, il aperçut son homme daus la Grand'Rue, qui formait une courbe, juste comme il sortait de la boutique à Pigant, le buraliste. Il se dissimula, et, le cou allongé, ne perdit plus du regard le vieux garde champêtre Chapu, dit « le Chaouin » à cause de ses orbites rondes et de son nez en bec d'oiseau, qui lui donnaient un air de chat-huant.
Le bonhomme, en blouse courte, cerclé d'un large ceinturon, le fusil sous le bras et le carnier au dos, allait son pas cadencé d'ancien pioupiou. Il longeait maintenant la corderie du père Mathieu, la dernière maison de Fernolles.  C'était-i à Bargy ou à Campoint, qu'i se rendait?... Il tint un moment la route nationale, s'arrêta, hésita, puis s'orienta vers les bois de Campoint, à travers champs. Quelques minutes encore Firmin demeura au poste, pour être bien sûr, et il descendit retrouver son père, qui déclara :
 C'est ban c' que faut... Va dire à ta mère que j'nous en vous.
Et le gars fila au jardin prévenir sa mère, pendant que le vieux, derrière la maie qu'il déplaça, enlevait du mur une forte pierre bouchant la cachette aux engins de chasse. Il en choisit quelques-uus, parmi lesquels un long pistolet qu'il avait monté, afin de pouvoir épauler et tirer aiusi avec plus de précision, sur une grossière crosse en bois blanc, et il introduisit l'arme daus sa culotte.
Firmin rentra. Ils partirent.
II
Ils prirent une ruelle aboutissant à la corderie, où le père Mathieu travaillait, tout vieux, tout maigre, tout cassé. Pendant que là-bas, daus une maisonnette en planches, un gamin tournait la roue, lui, marchant à reculous, laissait couler entre ses doigts experts un peu du chanvre qui lui ceignait la taille, aussitôt changé en une ficelle égale roulant sur des râteaux fichés de distance en distance. Il dit aux Birette :
 Vous v'Ià donc en promenade ?
 Oui, répondit le père, j'vous voir un peu. Mathieu cligna significativement de l'il vers Cainpoint, où il avait vu se diriger le garde, et souligna :
 Oh ! i doit faire bon à Bargy, a c't'heure.
Le vieux Birette eut unsourire malin. Le cordierreprit :
 Tout de même, on tire parlà-bns... C'est ben sûr l'Duterrois, qu' j'ous vu passer à c' matin avec eun autre.
Un t'aible haussement d'épaules du braconnier notifia son indifférence sur ce point, et il emmena son fils.
Ils suivirent, à gauche de la grande route, un étroit sentier qui courait au milieu des terres jusqu'aux bois de Bargy, dont la masse rouillée se détachait à l'horizon gris de cette journée d'hiver. Les bois de Campoint s'estompaient daus réloignement, à droite de la route. Une légère bise soufflait, continue, cuisante aux oreilles; des nuées de corbeaux tournoyaient en croassant par la campagne déserte, s'abattaient sur les sillous emblavés; et parfois, d'un pommier indicateur de tenants, s'échappait daus un froufrou une volée de criquets piaillards.
Les Birette, avant de pénétrer daus le bois, examinèrent des collets sur une bande de terrain en jachère qui le margeait, et ils levèrent un lapin. Le gars le fourra entre la chemise et la peau, sur son estomac. Mais ils aperçurent, très loin sur la route, deux gendarmes à cheval revenant d'une tournée : ils s'éclipsèrent derrière les arbres, et le vieux ricana, les désignant d'un hochement de tête :
 J'ons ben fait d'sortir h c' tantôt : }' s'rous tranqutlles jusqu'à c' soir.
ll apprêta son pistolet et l'iusinua tout armé sous sa blouse, puis ils commencèrent leurbattue, stationnantde place en place aux petits colliers de laiton retenus parmi bout de bois planté dans le sol. Ils allaient déboucher daus le Rond-aux-Moines quand un lièvre, traversant la clairière, piqua droit sur eux. Birette ajusta saus hâte, laissa la bête approcher, tira presque à bout portant. Le lièvre fit une culbute, retomba de tout son long, la tète cril>Iée. Firmin s'élança et rapporta la pièce. Le père souriait, content de soi :
 Via un beau ieuve... ah! v'ià un beau ieuve.
Et ensemble ils admiraient la prise. Deux coups de fusil détonèrent de l'autre côté du Rond-aux-Moines. Les paysaus se mirent à plat ventre daus le fourré.
Deux chasseurs parurent daus la clairière. Le vieux Birette, appuyé sur les paumes et la tête dressée, rapetissant les yeux pour mieux voir, les épiait à travers le lacis des branches, inquiet surtout de leur direction pro» bable : ils s'assirent sur un gros tronc abattu. Il eut alors la jonction de sourcils de ses réflexions sérieuses, et, se levant tout à coup, murmura :
 Passe-moi l'ieuve, et bouge point !
Il abandonna Firmin à son anxiété peureuse et sortit du bois, tenant la bête par leb oreilles. Son crasseux feutre gris à la main, l'attitude humble, il aborda les messieurs :
 Bonjou, mossieu Duterrois... C'est-i point vous qu'avez tiré ?
 Mais... si, c'est moi.
 A)ors, v'ià donc c' que vousavez tué... Alle estvenu mouri daus mes jambes, c't animal!
Et le braconnier, l'il drôle, tendait le lièvre, que les chieus flairaient. M. Duterrois, un gros homme de bonne figure, à favoris blond roux, s'efforçait vainement à débrouiller la situation. Il avait bien tiré en effet, mais un faisan, d'ailleurs manqué. II surprit soudain le regard malicieux et le sourire finaud du bonhomme, et il eut beaucoup de peine à ne pas rire en affirmant :
 Mais oui, c'est mon lièvre... ah ! il est allé mourir à vos pieds?
Il prit la bête, et, en manière de pourboire, gratifia discrètement d'une pièce de cent sous le « brave père », qui se confondit en remerciements avec une suite de petite saints gauches, et se retira.
Le compagnon de M. Duterrois, un jeune homme à moustache brune, soupira, l'air parfaitement ahuri :
 Comprends pas!
 Ce n'est pas étonnant, dit le chasseur égayé, mais vous allez comprendre.
Et, lorsqu'ils furent de nouveau sous bois, il l'iustruisit. -- En temps de fermeture, il lui arrivait d'acheter, par toutes sortes de moyeus subreptices, du gibierà un utile gredin qui en faisait à la ville le trafic illicite, et dont ce vieux chenapan de Birette, l'homme de tout à l'heure, déjà condamné nombre de fois pour délits de chasse, était l'un des fournisseurs. Or...
- Mais, interrompit le jeune homme amusé, c'est très grave, ça, pour vous!
- Je crois bien! fit M. Duterrois avec bonhomie. Mais, que voulez-vous, la chair est faible! D'ailleurs, je vous l'ai dit, je prends des précautious, et il n'y a pas de danger réel... Cependant, ce Birette a su, j'ignore comment, que je suis un des bous clients de son compère, et si bien que lorsqu'il lui apporte une belle pièce il spécifie que c'est pour moi, espérant peut-être par là...
Le jeune homme, riait fort réjoui de l'aventure.
 Vous saisissez maintenant la finasserie du bonhomme pour me vendre directement son lièvre?... Car c'est le coup de fusil que nous avous entendu! Oh, il est adroit, le vieux renard!... Mais, n'est-ce pas que c'est piquant : moi le complice d'un braconnier?...
Les paysaus gagnaient la lisière sud du bois, où ils avaient disposé une douzaine de collets. Ils allaient à grands pas lents, l'ouïe aux écoutes, évitant les feuilles mortes qui bruissaient sous le pied et haltant à sa moindre alerte. Le père se félicitait de la bonne journée. Il avait noué la pièce d'argent daus une corne de son mouchoir, et de temps à autre il la tâtait à travers l'étoffe de son pantalon, ou même la palpait daus sa poche.
\.-n peu avant d'atteindre le bord du bois, il avança seul. Se baissant, recroquevillé, avec prudence, il regarda le long des arbres en rive, à droito, à gauche, puis sonda la plaine. Personne. Mais, à vingt pas, deuxperdrix s'élevèrent du guéret. Il tira trop vite, lit chou blanc. Il eut un clappement de langue dépité :
 Ça, c'est pas fort.
Ils restèrent sous bois pour visiter leurs engius, semés en bordure parmi les herbes et le fouillis des ronces. Autour d'un collet s'éparpillaient des touffes de poils et des crottes. Firmin s'exclama :
 Ah! garce! J'sons volés!...C'est au moius l'Mnillard ! Le vieux opina qu'en effet ce devait être Maillard ou
un autre braconnier, car un garde ou un passant eût emporté le collet avec le lapin, et le mince nud coulant de laiton avait été retendu par une main exercée. Ils achevèrent saus succès leur iuspection. Firmin alors proposa:
 Si l'allious au Trou?
 L'Trou... l'Trou... C'est core loin d'ici... Pis c'est ben près de Campoint.
Il se décida quand même.
Daus le vivant silence des bois, ils marchaient saus parole, coustamment aux aguets. Des brindilles mortes s'écrasaient sous leurs pieds, crépitaient faiblement, on cassaient avec un sec « clac »; et là-haut, daus les cimes dégarnies, les branchettes cliquetaient sous le vent. A un bruit éloigné, indéfinissable, ils s'arrêtèrent, la respiration suspendue. Birette appliqua son oreille au sol; il se releva presque aussitôt.
 C est rien... Eune carriole su la route. Cependant, au fur et à mesure, le terrain s'abaissait en
une pente assez roide, le bois était plus touffu, plus dif
ficile, et déjà il leur fallait écarter de la main les arbrisseaux et les surgeous. Puis le travers-bois devint impraticable, et ils joignirent un chemin connu, sinueux ruban qui dévalait, assombri, sous une voûte de branchailles, et où les pas s'étouffaient daus la terre molle. D'ailleurs, ils arrivaient : à trente mètres le raidillon aboutissait au Trou, petite éclai-rcie au milieu de fourrés inextricables. Là encore le père approcha seul, à pas de loup, s'eOac.ant et le pistolet tout prêt, distinguant déjà des lapins qui s'ébattaient le long des broussailles daus l'exiguë clairière. Il épaula, prit son temps, fit feu. Et comme il se retournait pour appeler son fils, Firmin aussi se retournait, sentant quelqu'un derrière lui.
 Cré bon diou de bon diousse ! jura le vieux, j'sons pincés.
Le Chaouin criait au gars :  Si tu bouges, je tire !
Rentrant par Campoint, il avait perçu dans le fourré un frôlement, et il guignait les Birette depuis qu'ils avaient rallié la sente. Il amena le fils, qui tremblait un peu, auprès du père immobile et mâchonnant une enfilade de « cré bon diou de bon diousse ». Il s'empara du lapin que Firmin troublé lui avoua cacher sous sa blouse, alla ramasser les deux autres qui gisaient, tués du même coup, daus la clairière, et confisqua le pistolet, que son propriétaire fut contraint de chercher parmi les épines où il l'avait jeté. Puis, séance tenante, il griffonna un brouillon de procès-verbal, daus la forme invariable qu'il avait adoptée : * Nous, garde champêtre de Fernolles, canton dudit, revêtu de tous nos iusignes, dont notre plaque, etc. 3 Après quoi, les Birette ayant une maison et du bien foncier daus le pays, il poursuivit son chemin saus plus s'occuper d'eux.
Ils s'en revinrent par la grande route. Le iils, pour la première fois en présence de la justice, était impressionné. Le père, soucieux, contractait sa figure ïn une grimace comique, secouait par instants la tête et sacrait, vouant à tous les diables f. )' sale Chaouin ». Mais il se rappela sa pièce de cent sous, et, déridé une minute, il frappa sur sa poche d'un air de défi :
 N'en v'ià toujou eune qu'is auront point,les voleurs !
III
Devant le palais de justice, Firmin eut une épreinte dûpeur. Le vieux était simplement contrarié de la promcnade obligatoire, et, d'un ton convaincant, faisait ses dernières recommandatious :
 Surtout, dis rien... Laisse-les dire, et dis rien... A leu t'ni tète, on n'y gagne point... T'entends, mon fi ?
lisse rendirent tout droit à la chambre correctionnelle, dont Birette savait le chemin. Le Tribunal ne siégeait pas encore, et seul le commis-greffier, petit bonhomme de physionomie chafouine, attendait derrière sa table en contrebas Un jeune avocat et un huissier en robes se gaudissaient, accoudés sur le haut calorifère dressé au milieu du prétoire. De temps à antre s'entrouvrait, pour le passage des geus, la grande porte à deux vantaux verts, cloutés de cuivre, dont on entendait la retombée assourdie. Il y avait peu de monde, et on causait par groupes. Le Chaouin parut, l'allure délibérée, la plaque luisante sur une blouse neuve. Il alla tout de suite au banc des témoins, où bayait un autre garde de ses amis, etles deux vieilles barbes entamèrent une bavette. Soudain, une voix annonça :
 Le Tribunal I
Les chuchotements cessèrent. On se découvrit. Firmin, point rassuré, regardait en dessous les magistrats qui s'asseyaient, l'air digne. Et il yenavaitun qu'il croyait reconnaître, celui du milieu. ll s'enquit tout bas :
 C'est-i point l'Duterrois, c'ti-làr
 Si-da, c'est ben lui, fît le vieux; mais va pas rien dire : j'en pâtirious.
On jugea un cas d'outrage à la morale publique, un délit de pêche, puis trois gamius qui avaient brisé à coups de pierres des cloches daus un jardin. Cela dura deux heures, à cause du bavardage d'un avocat. On appela eusuite l'affaire Birette. Les formalités remplies, ils se placèrent au banc des prévenus, et Firmin en éprouvait une certaine honte. M. Duterrois, après les questious d'usage sur les noms,prénoms,qualités,commença,grave :
 Vous voici de nouveau en correctionnelle, toujours pour le même délit...
Et il passa aux antécédents du vieux Birette, qui, sachant sa loi sur la récidive en la matière, fit observer :
 Mais, mossieu le juge, j'ous point core été pris à c't'année.
On rit daus l'auditoire, et l'assesseur de gauche pinça les lèvres pour qu'on ne le vît pas sourire.
Cependant, l'interrogatoire exaspérait Firmin, dont une indignation chassait la peur :  D'quoi qu'i s'mêlait. c'ti-là, pisqu'i mangeait les ieuves qu'son père l'i vendait?... Il se trémoussait sur le banc, et, saus les coups de coude réprimeurs et les « dis rien, dis rien, bon diou! * du vieux, il se fût soulagé en lui disant son fait, au Duterrois. Il fut interrogé à son tour, paternellement admonesté, engagé à rentrer daus la bonne voie. Il répondait sourdement, avec un air de bouledogue qui voudrait bien mordre. Enfin, Chapu ouï, et après quelques mots du ministère public requérant une peine exemplaire, le président fit de suite, les accusés n'ayant point d'avocat, la demande accoutumée :
 Avez-vous quelque chose à dire pour votre défense? Le père répondit tranquillement :
 J'ous ben rien à dire du tout, si c'est que j'ous point été pris à c't'année.
M.Duterrois se pencha, la main devant la bouche, vers l'assesseur de droite, vers l'autre eusuite, et, avant recueilli leur avis, prononça les peines : pour le père Birette, un mois de prison et cinquante francs d'amende, la contrainte par corps étant de huit jours en cas de non paiement d'icelle; et quinze francs d'amende pour Firmin.
Les paysaus se retirèrent. Le vieux ne se plaignait pas trop, calculant avec philosophie que, l'injonction devant être prochaine d'avoir à se coustituer à la maison d'arrêt pour purger son mois, il serait libre à l'époque des travaux de la terre; il regrettait seulement son pistolet, à songer qu'il en faudrait acheter un autre. Firmin rageait ; il s'écria daus la rue :
 Cré bon diou !... Pas avoir pu i dire c'que j'peusious, à c'te carne-là !
Sur quoi le père s'emporta :
 Q,ué qu'tu i aurais dit, bougre d'colas?
Et longuement il essaya de lui faire comprendre que M. Duterrois faisait son métier, « c't homme » ; que cela n'eût servi à rien de lui dire des choses désagréables. Il conclut :
 l'aurions été condamnés p'us fort, et pis v'ià tout!... Et pis, non, v'ià pas tout : j'aurious p'us pu i vend'e nos ieuves, après!
Ils ne parlèrent plus tant qu'ils furent en ville. Mais, une fois sur la route de Fernolles. Birette, radouci, articula :
 Tout ça, ça fait rien... Fau'ra tout d'même que j'allious faire un tour à Bargy à c'soir ou demain : doit y avoir du nouveau...Seurement, j'pren'rous ben garde, c'te fois.
Février i88y. 
Alfred Vallette. 
DU REVE 
A G. M. 
Des larmes d'or tombent du masque de la Lune 
Qui laisse errer sa jonque, an gré de ses douleurs, 
6»r les tristesses violettes de la brune. 
Et son geste indolent sème l'une après l'une, 
Dans ce vèpre automnal, de maléfiques fleurs 
Qui coustellent le ciel de cruelles pâleurs. 
Lente, lente et bercée ; elle vogue la Lune, 
Endormie à demi daus sa robe d'argent; 
Parmi les fleurs de nuit qu'elle égrène en songeant, 
Elle vogue à jamais vers l'illusoire dune 
Qui s'estampe en un leurre de brouillards très fius. 
Au milieu d'un cortège bien de fols dauphins. 
Saus espoir d'atterrir à l'Ile fortunée 
Où doit finir sa vagabonde destinée, 
Vogue, vogue à jamais, la Lune condamnée. 
I
Et c'est daus la splendeur d'un fabuleux matin
D'une blancheur adamantine Le départ du bon Roi pour une Palestine 
Que nul paladin N'a jamais déflorée au taillant de son glaive. 
lit le Roi rêve
De voir claquer son étendard, Vierge comme la Ville au faîte du rempart, 
Et le Roi rêve
Innocemment que la conquête sera brève. Autour de lui les puérils et fols seigneurs, Seuls compagnous de l'équipée, Brandissent la loyale épée Et poussent des clameurs 
De joie, en dressant haut leur longue lance; Et les gonfanous verts flottent daus le soleil... 
D'or et d'argent vêtu, le jeune Roi s'avance, Le Roi s'avance daus l'éveil De ses illusious premières. Et, cependant que ses blanches bannières Claquent daus le soleil, 
Il chante, Il chante le très noble espoir qui le tourmente : 
« Comme sous un souffle de flamme S'exaltent mes désirs virils; Qu'importé les futurs périls : Une fleur a fleuri mon âme!... 
Des Messagers clairs sont venus
Qui m'ont dit : « Tu ceindras le glaive,
a Et tu chevaucheras saus trêve,
« A travers les vaux iuconnus,
« Jusqu'à la Citadelle haute
« Dont les créneaux crèvent les cieux.
« O Roi va donc, iusoucieux,
« Le Palais vide attend son hôte!»
Et j'irai, le premier de tous, Opérer l'épique escalade. Méprisant la vaine peuplade Des tristes railleurs et des lous. 
Je serai le prêtre des prêtres De l'unique Divinité, Vers qui de toute Eternité Monte la prière des Etres. 
Spoliateur essentiel
Mon règne n'aura point d'automne,
Car je tresserai ma couronne
De fleurous dérobés au Ciellj»
Ayant chanté cela très gravement, le Roi Caresse la crinière de son palefroi, Puis abaissant, d'un geste qui s^lue, 
Son épée à la gloire a jamais dévolue, Tandis que douze héros d'or 
Sonnent du cor, Et que clame la populace, Il part au galop, l'Elu du Destin, Et l'éclair bleu de sa cuirasse Brille longtemps par le chemin. 
**«
Sur la plus haute des tourelles, La Princesse enfantine qui l'aima d'amour, Regarda l'occident jusqu'à la fin du jour Et puis mourut parmi t'essor des tourterelles!... 
Elle mourut en envoyant de longs baisers Cueillis au miel de ses désirs inapaisés Montés à ses lèvres décloses... 
Et le ciel fut jonché d'une moisson de roses.
II
Longtemps par les monts et les routes Le bon Roi chevaucha saus que le moindre écueil 
Heurtât son rude orgueil. Les ennemis ne purent compter leurs déroutes! 
Maintes bastilles, maints châteaux, Qui se dressaient farouchement sur son passage, 
Furent pris et mis au pillage Et leurs défeuseurs pendus aux créneaux. 
Il traversa les mers où chantent les Sirènes, Et les bois peuplés d'oiseaux fabuleux, Il traversa les mers, et les bois, et les plaines, Sous des ciels noirs, sous des ciels blancs, sous des ciels bleus. 
Aux soirs de lassitude et de lourdes tristesses, Des femmes au sourire eusorceleur 
Tendaient leurs maius dispeusatrices des caresses, Et pour cnamourer son cur, 
Son cur aride et tel que les citernes vides.
Elles semaient sur le chemin des fleurs perfides
Dont les pistils fumaient comme des enceusoirs Daus t'air tiède des soirs ! 
Mais le héros, drapé daus son orgueil farouche, D'un geste abolissait les charmes corrupteurs ' Et le male artifice des femmes, des fleurs, 
Saus même tenter l'escarmouche. Car, des jardius d'amour, volontaire banni, II allait, méprisant les voluptés coupables. Dédaigneux comme un dieu des sanglots d'infini 
Qui convulsaient les choses périssables.
III
Pendant des jours, des jours et des années, Vers le sacre promis, il marcha saus faiblir; 
II vit ses blonds cheveux blanchir, Et ses désirs tomber comme des fleurs fanées; II vit s'user ses forces, s'éteindre ses yeux, Ses compagnous mourir en rudes agonies... 
Et lorsqu'il regardait les cieux Tout son cur palpitait d'angoisses infinies! 
Son armure faussée en un fatal combat Meurtrissait saus répit son épaule débile; Son casque défoncé lui fut plus dur qu'un bât 
Et son glaive inutile.
Trop pesant maintenant, se rouillait daus sa main, Et ses pieds las bronchaient aux pierres du chemin. 
Depuis longtemps déjà, les merveilleuses Femmes Ne venaient plus semer des fleurs, 
Pour bercer ses douleurs, Aux paisibles clartés des soirs d'or et de flammes. 
Exécuteurs de sinistres décrets, Des vents néfastes hululaient par les forêts, 
Par les forêts et par les plaines, Dépouillant les vergers, saccageant les moissous... 
Et les claires fontaines Pour jamais taisaient leurs chausous! 
Le Roi sentant alors que son heure était proche, Et qu'il ne verrait pointle Chanaan prédit, Se coucha tout du long sur une aride roche 
Et proféra cet interdit. Avant de s'endormir saus peur et saus reproche : 
« Les fourbes Messagers du Songe initial Ont parjuré leur glorieuse prophétie! La Terre est veuve désormais, car nul Messie Ne mènera son peuple au pays nuptial. 
De rapaces oiseaux dégringolent des nues Avec des chairs de dieux daus leur rostre sanglant ! Les portiques du ciel écrasent en croulant L'Espoir suprême qu'exaltaient nos Ames nues. 
Les dieux sont morts, les cieux sont vides et la Croix Se cousume en la pourpre de ce soir tragique... Des tocsius d'épouvante ébranlent les beffrois! 
 Puisqu'enfin tu t'approches.ô mort pacifique, Tends vers mon cur meurtri tes exorables maius Et rends-lui le sommeil des nuits saus lendemain. » 
Jean Court. 
LA LITTERATURE « MALDOROR »
Remettre à une autre fois les notes critiques  et pathologiques  qui surgissent, comme une volée d'oiseaux noirs, d'entre les pages de ce livre : Les Chants de Maldoror (t), leur nombre et l'incohérence de leur groupement l'exige. C'est une originalité furieuse et inattendue tellement qu'un peu d'espace est nécessaire pour se recoordonner soi-même en suite de lectures. Il est évident, d'abord, que l'auteur, écrivain de dix-sept aus (point vérifié et peu contestable), dépassait en folie, de très loin, cette sorte de déséquilibre que les sots de l'aliénation mentale qualifient de ce même mot -.folie, et attribuent à de glorieuses intelligences, telles que sainte Thérèse, Edgar Poe, à des artistes d'une seusivité suprême, tel Schumann. Partage à faire entre le génie et la maladie cérébrale qui intéresse, sujet que n'a même pas effleuré, en réalité, le professeur Lombroso, occupé à vomir saus relàche, sur tout ce qui est intellectuel ou mystique, les abjects blasphèmes de sa porcine ignorance. Cet auteur, son information est sûre au point qu'il appelle Verlaine M. Verlain, qu'il attribue à M. Mallarmé le Traité du Verbe, qu'il cite comme une autorité littéraire et critique M. Jules Lemaître! Voilà qui me donne une certaine confiance daus les assertious du même volume (Le Génie et la Polie) que je ne puis vérifier.
Les Citants de Maldoror, long poème en prose dont les six premiers chants seulement furent
(i) Comte de Lautréamont : Les Cfraufs de ^îaldoi'or (avec eau-forte, lettre autographiée ; prélace par l'éditeur) . Chez Genonceaux, 1890, in-ia. Publication de luxe à tirage restreint, entreprise avec le désintéressement d'un plaisir personnel.
écrits. Il est probable que Lautréamont (pseudonyme de Isidore Ducasse), même vivant, ne l'eût pas continué. On sent, à mesure que s'achève la lecture du volume, que In couscience s'en va, s'en va,  et quand elle lui est revenue, quelques mois avant de mourir, il rédige les Poésies, où, parmi de très curieux passages, se révèle l'état d'esprit d'un moribond qui répète, en les défigurant daus la fièvre, ses plus lointaius souvenirs, c'est-à-dire pour cet enfant les euseignements de ses professeurs!
Motif de plus que ces chants surprennent. Ce fut un magnitique coup de génie, presque inexplicable. Unique, ce livre le demeurera, et dès maintenant il reste acquis à la liste des uvres qui, à l'exclusion de tout classicisme, forment la brève bibliothèque et la seule littérature admissibles pour ceux dont l'esprit, mal fait, se refuse aux joies, moius rares, du lieu commun et de la morale conventionnelle.
La valeur des Chants de Maldoror, ce n'est pas l'imagination pure qui la donne : féroce, démoniaque, désordonnée ou exaspérée d'orgueil en des visious démentes, elle effare plutôt qu'elle ne séduit; puis, même daus l'incouscience, il y a des influences possibles à déterminer : « O Nuits de Young, s'exclame l'auteur en ses Poe'sies, que de sommeil vous m'avez coûté! » Aussi le dominent çà et là les extravagances romantiques de tels romanciers anglais encore de son temps lus, Anne Radcliffe et Mathurin (que Balzac estimait),Byron, puis les rapports médicaux sur des cas d'érotisme, puis la Bible. ll avait certainement de la lecture, et le seul auteur qu'il n'allègue jamais, Flaubert, ne devait jamais être loin de sn main.
Cette valeur que je voudrais qualifter, elle est, je crois, donnée par la nouveauté et l'originalité des images et des métaphores, par leur abondance, leur suite logiquement arrangée en poème, comme daus la magnifique description d'un naufrage : toutes les strophes (encore que nul artifice typographique ne les désigne) finissent aiusi : ¬  Le navire en détresse tire des coups de canon d'alarme; mais il sombre avec lenteur... avec majesté ». Pareillement les litanies du Vieil Océan : « Vieil Océan, tes eaux sont amères... je te salue, Vieil Océan.  Vieil Océan, à grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques... je te salue, Vieil Océan >/. Voici d'autres images : « Comme un angle à perte de vue de grues frileuses méditant beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à travers le silence '/. Pour qualifier les hommes, ce sont des expressions d'une suggestivité homérique : « Les hommes aux épaules étroites.  Les hommes à la tête laide.  L'homme à la chevelure pouilleuse. L'homme à la prunelle de jaspe.  Humaius à la verge rouge à. D'autres d'une violence magniftquement obscène : « II se replace daus son attitude farouche et continue de regarder, avec un tremblement nerveux, la chasse à l'homme, et les grandes lèvres du vagin d'ombre, d'où découlent, saus cesse, comme un fleuve, d'immeuses spermatozoïdes ténébreux qui prennent leur essor daus l'éther lugubre, en cachant, avec le vaste déploiement de leurs ailes de chauve-souris, la nature entière, et les légious solitaires de poulpes, devenues mornes à l'aspect de ces fulguratious sourdes et inexprimables. » (1868 : qu'on ne croie donc pas à des phrases imaginées sur quelque estampe d'Odilon Redon). Mais quelle légende, au contraire, quel thème pour le maître des formes rétrogrades, de la peur, des amorphes grouillements des êtres qui. sont presque,  et quel livre, écrit, on l'affirmerait, pour le tenter !
Voici, maintenant, des annotatious bibliographiques, et dont le seul système est l'exactitude, sur les Poésies et la tonte première édition des Cliauls de Maldoror chant I''rj. Des Poésies,brochures rareset inconnues,on a copié  v.p. 103),pour illustration et preuve, quelques pages, en les signant du pseudonyme de l'auteur, désormais admis, Lautréamont.
Isidore Ducasse. Poésies. I-'IIj. « Je remplace la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l'espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la froideur du calme et l'orgueil par la modestie. » - Paris, journaux politi9ues et littéraires. Librairie Gabrie, passage Vcrdeau, 25, 1870, = fascicules de 16 pages, in-8o un peu grand sous couverture saumon très clair.  La couverture porte sur le titre : Prix : un.franc; et à la quatrième page : « Avis. Cette publication permanente n'a pas de prix. Chaque souscripteur fixe lui-même sa souscription. Il ne donne du reste que ce qu'il veut. Les personnes qui recevront les deux premières livraisous sont priées de ne pas les refuser, sous quelque prétexte que ce soit. i>  Paris, imp. de Balitout, Questroy et Cie. 7, rue Baillif.
Le fascicule II porte au verso de la couverture imprimée : Envoi; puis, au dessous : Le gérant. I. I)., rue du FaubourgMontmartre. 7. Le fascicule I a été déposé au ministère de l'Intérieur daus la semaine dn 16 au 23 avril, et le fascicule II daus la semaine du 18 au 25 juin 1870.
Dédicace : « A Georges Dazet, Henri Mue, Pedro Zumaran, Louis Durcour, Joseph Blcumsteim, Joseph Durand; A mes condisciples Lespès, Georges Minviclle, Auguste Delmas; Aux directeurs de revues Alfred Sircos, Frédéric Damé; Aux amis passés, présents et futurs; A Mousieur Hiustin, mon ancien professeur de rhétorique; sont dédiés, une fois pour toutes les antres, les prosaïques morceaux que j'écrirai daus la suite des âges, et dont le premier commence à voir 1e jour d'hui, typographiquement parlant ».
Les Chanls de Maldoror. Chant premier. Par -**-.  Paris, imp. de Balitout, Questroy et Cie, 7, rue Baillif. Août 1868. in-8» un peu grand de ;2 pages sous couverture vert clair (prix : 30 cent.)
Cette premicre édition diffère en quelques points de l'édition complète Lacroix, dont la plus récente est une reproduction. La scène de famille ,p. 36 de l'édition G.) est typographiée à la manière du théâtre; aiusi :
Maldoror (se présente à la porte d'entrée et contemple qnclQhcs iustants /,- tableau qui s'offre à ses yeux.}  Que signifie... ta place n'est pas ici. (// se retire).  (Apparaissant de nouveau quelques iustants ensuite}. Moi supporter...
Il en est de même du dialogue entre Maldoror et le Fossoyeur.
Ces différences sont de très peu d'intérêt; on n'en parle que pour être complet et arriver à ceci : daus la première cdition, on lit, p. 13 : « Ah! Da;et! toi dont l'âme est iuséparable de la mienne... »: et daus la seconde, saus aucun changement de contexte : « O poulpe an regard de sore, toi dont l'âme est iuséparable de la mienne. » ' P. I9, on lisait : « Oui. disparaissous peu à peu de leurs yeux, témoin, une fois de plus, des couséquences des passious, complètement satisfait... Qu'on écarte cet ange de cousolation qui me couvre de ses ailes bleues. Va-t'en, Da^et, que f expire trattquille... Mais ce n'était malheureusement qu'une maladie passagère et je me seus avec dégoût renaître à la vie. » On lit maintenant, p. 36 : « Oui, disparaissous... complètement satisfait... Je le remercie, o rhinolophe,de m'avoir réveillé avec le mouvement de tes ailes, toi, dont le ne^ est surmonté d'une crête en forme de fer à cheval : Je m'aperçois, en effet, que ce n'était, malheureusement, qu'une maladie passagère, et je me seus avec dégoût renaître à la vie. Les uus disent que tu arrivais vers moi pour me sucer le peu de sang qui se trouve daus mon corps : pourquoi cette hypothèse u'est-elle pas la réalite I »
Première édition, p. 28 :
« Maldoror.  Da^ct, tu disais vrai un jour; je ne t'ai point aimé, puisque je ne me seus même pas de la reconnaissance pour celui-ci [Le fossoyeur qui lui o(trc l'hospitalité]. Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas ? » Deuxième, p. >! :
«  O pou vénérable, toi dont le corps est dépourvu d'éhtres, un jour tu me reprochas avec aigreur de ne pas aimer suffisamment ta sublime intelligence, qui ne se laisse pas lire ; peut-être avais-tu raison, puisque je ne me seus même pas de la reconnaissance... Fanal... »
Daus la citation suivante, le nom de Dazet figure, à la première édition, à la place des passages imprimés en italique :
« Le frère de la sangsue [Maldoror] marchait à pas lents daus la forêt... Enfin il s'écrie : « Homme, lorsque tu rencontres un chien mort retourné, appuyé contre une écluse qui l'empêche de partir, n'aille pas, comme les autres, prendre avec ta main les vers qui sortent de sou ventre gonflé, les cousidérer avec étonnement, ouvrir un couteau, puis en dépecer un grand nombre, en fe disant que toi aussi tu tu ne seras pas plus que ce chien. Quel mystère cherches-tu? A'/ mai, ni les quatre pattes nageoires de l'ours marin de l'Océan Boréal, n'avous pu trouver le problème de la vie... Quel est cet être, là-bas, à l'horizon, et qui ose approcher de moi. saus peur, à sauts obliques et tourmentés? et quelle majesté mêlée d'une douceur sereine! Son regard, quoique doux, est profond. Ses paupières énormes jouent avec la brise et paraissent vivre. Il m'est inconnu. En fixant ses yeux moustrueux, mon corps tremble... Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui... Qu'il est beau... Tu dois être puissant, car tu as une figure plus qu'humaine, triste comme l'univers, belle comme le suicide... Comment!., c'est toi, crapaud!... gros crapaud1.... infortuné crapaud!.. Pardonne!... Que vieus-tu faire sur cette terre où sont les maudits? Mais qu'as-tu donc fait de tes pustules visqueuses et fétides, pour avoir l'air si doux? Quand tu descendis d'en haut... je te vis! Pauvre crapaud! Comme alors je peusais à l'infini, en même temps qu'à ma faiblesse... Depuis que tu m'es apparu, monarque des étangs et des marécages' couvert d'une gloire qui n'appartient qu'à Dieu, tu m'as en partie cousolé, mais ma raison chancelante s'abîme devant tant de grandeur... Replie tes blanches ailes et ne regarde pas en haut avec des paupières inquiètes... .» Le crapaud s'assit sur les cuisses de derrière ( qui ressemblent tant à celles de l homme} et, pendant que les limaces, les cloportes et les limaçous s'enfuyaient à la vue de leur ennemi mortel, prit la parole en ces termes: « Maldoror, écoute-moi. Remarque ma figure, calme comme un miroir... je ne suis qu'un simple havitanl des roseaux, c'est vrai, mais grâce à ton propre contact, ne prenant que ce qu'il y avait de beau en toi, ma raison s'est agrandie et je puis te parler... Moi je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi ! Parce que je te hais!... Adieu donc, n'espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu as été la cause de ma mort. Moi, je pars pour l'éternité, afin d'implorer ton pardon. »
Enfin, le premier chant se terminait aiusi : « Toi, jeune homme, ne te désespère point, car tu as un ami daus le vampire, malgré ton opinion contraire. En comptant Dazet, tu auras deux amis. » La deuxième phrase est devenue : « En comptant l'anirus sarcopte qui produit la £*?/£, tu auras deux amis. »
Là folie reste indubitable, après qu'on a réfléchi sur ce système de correctious ; elle s'aggrave, même:  cependant, il faut conclure à ce qu'on dénomme une folie lucide, une folie dont les patients ont relativement conscience, qui ne trouble qu'une ou qu'une série de leurs facultés. (« Apprenez, dit l'auteur, daus ses Poésies, que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés » ) ;  et pour l'eusemble des Citants de Maldoror, à une folie qui côtoie les frontières du génie, et parfois, iusolemment et carrément, les franchit. Maldoror semble s'être jugé lui-même en se faisant apostropher aiusi par son énigmatique Crapaud : >{ Ton esprit est tellement malade qu'il ne s'en aperçoit pas, et que tu crois être daus ton naturel chaque fois qu'il sort de ta bouche des paroles iuseusées, quoique pleines d'une infernale grandeur. »
Remy De Gourmont. 
POÉSIES 
Les perturbatious, les anxiétés, les dépravatious, la mort, les exceptious daus l'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinatious servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les iusatiabilités, les asservissements, les imaginatious creusantes, les romaus, ce qui est inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques du vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculation des stupeurs profondes, les oraisous funèbres, les envies, les trahisous, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on tait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cour d'assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requius, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite,bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les moustres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la désolation, ce manceniilier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses auxcamélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur la pentedu néantet se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements iusinuants, les préfaces iuseusées comme celles de Croimvcll, de Mademoiselle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les
- i- V. P. 97 : La Littérature « Maldoror ».
impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étoufîements,les rages, devantces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce ce qui nous choque et nous courbe souverainement.
Je vieus renier, avec une volonté indomptable et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. 1 Oui, je veux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goitreuses et des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce siècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré daus l'efllorescence de son énergie, impérieux et résolu, saus balancer une seconde daus les incertitudes dérisoires d'une pitié mal placée, comme un procureur général fatidiquement les condamne. Il faut veiller saus relâche sur les iusomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je méprise et j'exècre l'orgueil et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la peusée.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un ges'.e. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose? O dadas de bagne! Bulles de savon ! Pantius en baudruche ! Ficelles usées ! Qu'ils s'approchent, les Konrad, les Manfred,les Lara,les marius qui ressemblent au corsaire, les Méphistophélès, les Don Juan, les Faust, les lago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégères à l'iustar de Colomba, les Ahrimane. les manitous manichéeus, barbouillés de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes daus les pagodes sacrées de l'Hindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, cousidérées comme anormales, de l'antique Egypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titaus de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux méchants vomis par l'imagination primitive des peuples barbares, toute la série bruyante des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et de la concentration qui soupèse, et j'attends ces moustres de pied ferme, comme leur dompteur prévu.
II y a des écrivaius ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés qui mériteraient de peupler Hicêtre. Leurs tètes crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, qui descendent au lieu de monter. Exercice scabreux, gymnastique spécieuse.
Figurez-vous les, un instant,réunis en société avec des substances qui seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requius et les macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, daus ces régious cahotiques pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe effarée saus retour s'en_ fuit à tire d'aile C'est un entassement de bêtes apocalyptiques qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des chocs de passious, d'irréconciliabilités et d'ambitious, à travers les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais ils ne m'en imposeront plus. Soutîrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur non équilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses ! moins de résistance et de courage encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle daus mes foyers déserts, glorieux espoir. Vieus t'asseoir à mes côtés, enveloppé du manteau des illusious, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de rebut, je t'ai chassé de ma demeure avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrius que, sous l'indice des repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors, avec toi, cortège sublime,  soutenez-moi, je m'évanouis!  les vertus offeusées et leurs inépuisables redressements.
Oui, bonnes geus, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant daus une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du cur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de mieux à faire.
Le désespoir se nourrissant, avec un parti-pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement la littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain daus les raisonnements. Allez et passez-moi le mot! L'on devient mcchant, je le répète, et les geus prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
Renouons la chaîne régulière avec les temps passés ; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui ? Aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes : Châteaubriand, le Mohicnn-Mélancolique ; Sénancourt, l"Homme-en-Jupon ; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur ; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué ; Edgar Poe, le Mameluck-des-Réves-d'Alcool ; Malhurin, le Compère-desTénèbres ; Georges Saud, l Hermaphrodite-Circoncis ; Théophile Gautier, l'Incomparable-Epicier ; Leconte, le Captif-du-Diable ; Gthe, le Suicidé-ponr-Pleurer ; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire ; Lamartine, la Cigogne-Larmovante ; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit ; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Vert; Misckiewicz, l'Imitateur-de-Satan ; Musset, le Gandin-saus-Chemise-Intellectuelle ; et Byron, l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Chaque fois que j'ai lu Shakespeare, il m'a semblé que je déchiquétc la cervelle d'un jaguar.
Je me figure Elohïm plutôt froid que sentimental.
Le sommeil est une récompeuse pour les uus, un supplice pour les autres. Pour tous il estime sanction.
Si la morale de Cléopâtre eût été moius courte, la face de la terre aurait changé. Son nez n'en serait pas devenu plus long.
Je ne permets à personne, pas même h Elohïm, de douter de ma sincérité.
Comme les turpitudes du roman s'accroupissent aux étalages ! Pour un homme qui se perd, comme un autre pour une pièce de cent sous, il me semble parfois qu'on tuerait un livre.
LautrÉamont. 
LE VOYAGE QUI NE FINIRA PAS
Voici donc qu'ont brillé les lanternes des phares Daus la livide nuit où mouraient les galères, Et qu'oubliant ses peurs et ses blêmes colères L'équipage s'exalte en hilares fanfares!... 
C'est la fin du voyage et des périls moroses, Et l'immeuse bonheur du tardif arrivage!... Saus doute des mouchoirs s'agitent, au rivage!... Ils reverront, enfin, des robes et des roses!... 
Et l'aube a coloré la lointaine jetée
Où la mer monotone et méchante se brise...
Mais, hélas! nul mouchoir ne flottait daus la brise.
Et sur les quais hurlait une foule emportée
Qui lançait des cailloux vers leurs néfastes voiles!...  Oh! les rêves, parmi les roses et les femmes!... Faudra-t-il donc encor se courber sur les rames Et supplier des maius les propices étoiles?... 
 Les matelots navrés ont cessé.leurs fanfares Et, pour fuir le rivage aux sanglantes colères, Déjà, sous le ciel d'or, s'éloignent les galères Vers l'illusoire rive où brillent d'autres phares... 
G.-albert Aurier. 
6 Ifacembre 
DES REMEMBRANCES 
{État D'ame) 
De pâles violettes flétries, dont les pétales blancs se sont tristement refermés.
Et devantle bouquet fanéelle s'estprise à songer.
Ils les avaient cueillies eusemble. Des souvenirs lui venaient de ce jour de printemps.
Sous la leuillée naissante, ils étaient allés. Une tiédeur parfumée emplissait la forêt de caresses moites et douces. Les grands arbres, aux troncs moussus, s'enveloppaient de soleil, et les abeilles y bourdonnaient. Ils avaient suivi un chemin qui s'ouvrait devant eux, où des arceaux verdoyants s'entrelaçaient au dessus de leur tête. Tout droit, ils marchaient sur le gazon plus tendre, vers les lointaius embrumés d'or. Et c'étaient des vols effarés de petits oiseaux s'enfuyant à tire d'aile, des buissous fleuris qu'en passant ils frôlaient, des ballets de moucherous bruissant daus l'air réchauffé, et aussi des tapis d'anémones et de muguets qui ondulaient en frissonnant.
Toutes ces choses les rendaient heureux et ils erraient, enlacés, comme daus un rêve d'amour. Il ne lui parlait pas de peur de rompre l'enchantement; mais ses yeux en les sieus se plongeaient parfois, lui disant les adoratious ineffables et les inouïes félicités. Elle s'émotionnait délicieusement de cet échange de regards, où s'abîmaient leurs âmes daus l'infini des contemplatious. Elle aurait voulu rester toujours aiusi bercée par l'indistinct murmure, qui vibrait continu, perdue près de l'aimé daus cet isolement, au milieu de la forêt protectrice. Une vague langueur envahissait tout son être, elle sentait des bouffées de désirs confus venir brûler ses tempes.
Au pied d'un chêne enguirlandé de lierre, ils
s'assirent, et leurs lèvres se rencontrèrent en un long baiser. Près d'eux des violettes, avec des blancheurs de lys, se recourbaient, gracieuses, sur leurs tiges frêles ; et des fleurettes aux corolles entr'ouvertes montait une buée fraîche, d'odorantes senteurs...
Oh les pâles violettes flétries, dont les pétales blancs se sont tristement refermés!
Maintenant encore l'azur des cieux flamboie, et par la fenêtre ouverte viennent des souffles embaumés. Mais cette vision radieuse pour elle s'assombrit, car elle rend plus poignantes les ressouvenances du passé. Seule elle est à aimer; car tant était fort son amour, qu'il pardonne à l'ingrat la làcheté de l'abandon. Mais son cur meurtri toujours saigne, et elle ne peut croire encore à la réalité hideuse. Ses souffrances s'avivent au douloureux retour de ces moments qu'elle avait pu croire éternels. Des pâquerettes émaillent les prairies; elle ne les interrogera plus, les fleurs menteuses qui répondaient faussement. Des oiseaux chantent, qui lui semblent moqueurs. Pourquoi ce printemps est-il revenu, si semblable à l autre,  et qu'il lui est odieux! Et de nouveaux printemps renaîtront encore saus lui ramener le bonheur envolé !
Des pleurs ftlent sous ses paupières baissées.
Elle laisse couler ces larmes, dont le cristal prismatise l'horreur de l'à-présent, et peu à peu s'évanouit la douleur qui en est la cause. Son âme se rassérène, et reprend un calme bienfaisant. L'oppression qui l'étreignait de tout le poids d'un irréparable nettement couscient se dissipe. Et, les cils encore humides, mais d'un il tranquille, oublieuse du passé, incousciente du présent, peutêtre conftante en l'avenir, elle regarde tout ce qui lui reste d'un amour où elle avait mis sa vie: le bouquet fané, et sourit aux pâles violettes flétries, dont les pétales blancs se sont tristement refermés.
Gaston Banville. 
LES CORNES DU FAUNE(11
Les vr.iis poètes de ce temps, à la différence des autres, ou de nombreux devanciers, proclament le souci de donner à leurs uvres un titre qui en suggère l'intime peusée. Aussi, la lecture eie ces mots : Les Cornes Du Faune, évoquera-t-elle immédiatement une série de visious symboliques, où s'épanouira l'amour, en ce qu'il comporte de seusationnel, au détriment sinon à l'exclusion de ce qu'il peut avoir de sentimental.
En effet, M. Ernest Raynaud s'est proposé de chanter les contentements de la possession physique et les tristesses qui s'eusuivent.
Son volume, divisé en quatre parties : Paysages, Pastels, les Cornes du Faune, Deuils et Joies (Inttrmcdf, fine parodie de la manière de M Coppée, étant un hors-d'uvrel, débute par une suite de tableautius : jardius, parcs, bosquets, palais, ruines, qu'attristc le regret des amours jolies, et des belles amours, et des étranges amours de naguère et d'autrefois :
Où donc Lamballer' Où donc Marie aux lèvres pulchres?
Où Polignac? tleurs saus gaîté qu'on croit de morts!
O guirlandes qui n'êtes plus que de sépulcres!
Et plus loin :
L'Antinous, au fond des Versailles perclus, Se dresse encor, triste d'un culte qui n'est plus, Et de survivre à ceux des rois qui l'ont aimé. 
Toute distraction daus les innombrables jeux plastiques de la nature est impossible; la dolente obsession un instant chassée revient toujours, là même où l'on croyait la fuir :
Au bord du lac exsangue, en des fleurs d'hyacinthe, Un temple grec, où l'Amour de plàtre n'est plus. S'attriste, lui dont la pure gloire est éteinte, Que les temps aient été si vite révolus. 
Pourtant, il existe encore une sorte d'amour, qui a pour objet la chair seule, et guère la chair fraîche, aflirme le protagoniste qui prend la parole daus Pastels. Regarde-t-il une danseuse : l'art de la ballerine lui importe peu. C'est un détail de costume, et quel détail ! qui le préoccupe :
(i) Par Ernest Ratnaud (Bibliothèque artistique et littéraire).
Et sous la jupe, à chaque fois qu'elle Incontinent le pli de l'aine s'aperçoit. 
tressaute,
L'il qui s'amuse à cela ne s'en contente point. Il s'attarde encore à contempler de petits jeunes gens, qui se présentent :iiusi :
Leur mine, elle est de mime et s'efféminc; au torse Pas une soie, aiusi qu'il plairait à la Force, Ne veloute de bruu le safrau tlû leurs creux. 
Tous ces êtres poudrederizés, maquillés et faisandés, les Cornes du Faune nous apprennent quel culte on leur rendra :
Moi, j'aime tout entier, au seul gré de la Loi, Qui mit un cur d'éphèbe antique en ma poitrine. 
Après une telle déclaration, peut-on s'étonner de confidences comme celle-ci?
Aussi, de quels trausports est-ce, ô Dieux! que je cueille Ces jumelles splendeurs, où, daus les temps voulus, La plaisante cglantine indolemment s'effeuille. 
De tels paroxysmes de luxure sont vite suivis de châtiments, que M. Kavn.tud nous confesse daus Deuils et Joies. Ce sont d'abord des langueurs d'une douceur cquivoque, de viles satisfactious que commence à désenchanter une vague couscience de leur nature. Il semble que je vais tomber en défaillance : Le bonheur où je suis tient de l'iusouciance Des fleurs qui n'ont de soin que celui de s'ouvrir.
Voilà toutes les joies, purement physiques, des lendemains «du bain d'amour dans les chairs roscs.» Elles seront brèves, laisseront las, mais non rassasié, celui qui les a subies, et ne tarderont pas .î lui révéler leur bassesse :
Et cette odeur, quoi que j'en aie et que je fasse, M'émeut, et traîtrement remet en branlebas Mes seus, ô quelle alerte d'eux ! dont je n'ai pas Rassasié comme il fallait In populace. 
Alors s'éveillent et crient tous les appétits mal endormis ou mal étouflés de la chair. Des visages et des corps, qu'il est impossible de posséder, viennent obséder l'imagination et le souvenir :
Son image vient s'accouder sur mon sommeil,
est-il écrit d'une amazone.
Et toutes les désirées ou les aimées apparaissent avec la seule royauté de leur sexe :
Toute la bâte vit au fond des yeux païeus
de celle-ci. Cette autre est parfaitement sotte et indifférente à l'amour qu'elle iuspire :
Et voici qu'elle laisse aller la file d'oies
De gros rires, à me conter les vaines joies
De sa vie, où mon sentiment n'entre pour rien.
Alors un cri de révolte s'échappe des lèvres de l'amant :
O pouvoir m'affranchir du fol amour que j'ai
Des corps charmants évoluant daus leur souplesse I
Il veut devenir :
ce moine qui se lève
Et passe, ayant muré tout son corps au dehors, Avec, aux yeux, la seule image de la mort. 
Mais ces héroïques résolutious s'évanouissent en fu- mée. C'est folie d'entreprendre la lutte contre les impé- rieuses habitudes qu'on s'est données. Il suffit d'un rire éclatant, de l'odeur énervante des bois pour réveiller dans leur fureur les vieux désirs éperdus. Quel parti prendre? 
Redevenir plutôt la brute d'autrefois,
Mais une âme désolée s'est trouvée daus cette brute, et le meusonge de l'étreinte ne lui suffit plus. Seulement, elle est en proie au juste désespoir d'avoir irrémédiablement manqué sa destinée, et il ne lui reste un refuge que daus la mort, la mort saus courage ni grandeur, comme la désire un sybarite :
Les soirs exquis n'ont plus d'oreillers pour mes rêves;
T.a belle fleur que j'ai cueillie était trop brève.
O quandsimplement comme un qui s'endort  mourir!
De cette analyse des Cornes du Faune, il ressort que M. Ernest Raynaud, dédaignant le facile rassemblement de pièces disparates sous une étiquette quelconque, a composé une uvre d'une rigoureuse unité. Chacune des parties de son volume concourt à l'exposition de la thèse morale qu'il lui a plu d'assumer, et toutes sont développées, les unes par rapport aux autres, en proportions harmoniques.
S'il est fait mention ici d'une thèse, savoir : la brève déception des joies de l ' amour charnelles n'est pas à dire que le poète se soit soucié de démontrer quelque proposition. La poésie n'a rien à prouver, rien à euseigner :  c'est affaire aux sciences et à leurs méthodes,  elle a pour unique devoir de procurer l'émotion esthétique.
Celle-ci ne résulte ni de la vigueur des raisonnements, ni de l'ingéniosité d'analyses psychologiques, ni de l'éloquence même. Elle dépend essentiellement de la variété et de la qualité des sensatious de son et de couleur au moyen desquelles sera suggérée une idée daus l'esprit du lecteur. Que cette idée soit plus ou moius é!evée, selon les hiérarchies inventées par les morales, il importe peu. Etre le lien commun des seusatious créées par l'uvre d'art, voilà le seul rôle qu'elle ait à jouer.
Il n'y a donc point à discuter ici, en moraliste, si M. Raynaud a eu tort ou raison d'imposer à son livre en qualité de dominante la cousidération morale exposée plus haut. Il s'agit de constater si toutes les seusatious de son et de couleur créées par l'auteur convergent exactement vers elle, et de négliger à son égard toute autre préoccupation. Or, l'analyse des Cornes du Faune établit,saus qu'il soit besoin d'iusister, qu'on se trouve en présence d'une uvre dont l'esthétique est irréprochable.
Nul raffmement de musique verbale n'a été négligé. Allitératious, césures, rimes, rythmes, tout concourt à donner h la seusation auditive la caractéristique voulue.
Quant aux seusations de couleur, c'est-à-dire quant aux spectacles symboliques évoqués par les mots, qu'on en juge par cet exquis poème :
L'ample étendue est bleue et d'or de tous côtés,
Sa cuisse nue et son beau torse de héros
Opposent leur albâtre aux pourpres exaltées
Des rubis dont palpite, auprès, le « brasero ».
Le basilic fleurit à ses deux maius croisées
Et, pantelante comme un cur au haut des piques,
Sa lèvre unit pour la prière et les baisers
Tout le sang du Calvaire aux roses de l'Attique.
Le col blanc que Nisus aimait chez Eurvale
Ploie un peu sous le faix du front impérial
Où s'alanguissent les miels blonds du doux Jésus.
Si l'Ange se révèle au geste qu'est le sien,
Toute la Bête vit au fond des yeux païeus,
Langueurs! qui mieux qu'Eros ou que Jésus vous eût?
Ceux que n'auront point charmés les évocations de ces quatorze vers au point de leur en dissimuler la technique n'auront pas été saus y remarquer une manière un peu nouvelle de rimer. Les pluriels se marient aux singuliers; les terminaisous féminines aux masculines; enfin la succession, consacrée par un vieil usage, des rimes masculines et féminines n'est pus observée.
Si la rime a pour seul but de satisfaire l'oreille, lailiance de pluriels et de singuliers, daus les mots à terminaison identiquement masculine ou identiquement féminine, n'a rien que de légitime. Daus ce cas, ce Sont toujours des syllabes de même quantité qui sont accouplées, et, pourvu qu'elles aient la même articulation, en d'autres termes : qu'elles possèdent la cousonne d'appui, elles seront irréprochables : « Héros * et « brasero » s'accorderont à merveille.
Quant à la rime entre un mot à finale masculine et un mot à finale féminine, elle paraît devoir être absolument rejetée, par cette raison : que le nombre des vibrations sonores de l'une ne se trouve en aucun rapport avec les vibratious sonores de l'autre. « Côté » et « exaltées » ne riment pas. Daus chacun de ces mots, la dernière syllabe est bien tonique, mais daus le premier elle est brève, tandis que daus le second elle est longue.
En ce qui concerne la succession des rimes, la question est controversée et paraît devoir demeurer iusoluble. Rousard, après n'avoir tenu aucun compte de la régla aujourd'hui classique : « que les masculines et les féminines doivent se succéder implacablement », finit par s'y astreindre,
M. Raynaud pourrait arguer en faveur de sa manière que certaines terminaisous masculines donnent à l'oreille l'illusion de féminines ; telles sont : air, eil, et autres analogues.
D'ailleurs, il y aurait mauvaise grâce, en ce moment, où notre poétique française est bouleversée de fond en comble, à trop approfondir la technique des Cornes du Faune. Si l'auteur a quelque peu violenté la rime, tout au moius a-t-il toujours respecté l'assonance, qui est un mode légitime d'accoupler deux vers.
Il a cru aussi, et grâces lui en soient rendues ! que les rythmes les plu? variés trouvaient leur compte et dans notre vieil alexandrin, et daus le poème à forme fixe. Il a composé tout son volume en sonnets, estimant qu'il n'est pas besoin de chercher de nouveaux vêtements littéraires lorsqu'on possède depuis le distique jusqu'au chant royal pour habiller, selon la nuance qui lui convient, chacune de ses peusées.
M. Ernest Raynaud, bien qu'il ait délaissé la poétique de ses deux premières uvres : le Signe et Chairs profanes, est encore plus traditionnel que novateur; un beau souffle d'art passe à travers les Cornes du Faune : c'est plus qu'il n'en faut pour la joie des lettrés.
Edouard Dubus, 
LA GLOIRE DU VERBE 
Par Pierre Q.uillard 
I
Revivre une joie défunte, est-il joie plus subtile? L'exquis Souvenir qui, durant notre course noire à la barbe blanche, ravive les vers luisants des jardius vécus! Je professe un culte singulier pour ce vieil adolescent aux pieds à rebours, page du Regret. Peut-être même n'exalté-je l'Avenir que parce qu'il sera le Souvenir.
C'est en 1885. Un soir. J'érigeais le quatrième acte de Lazare où triomphe la Mort. Soudain la clochette de l'huis se met à rire. J'ouvre. Ils sont deux. Un Etranger m'évoquant un renard qui serait une brebis, et son Guide : un nôtre ami fort maigre avec, pour cheveux, des feuilles mortes.
Selon son destin, le Guide, très jeune et très ancien à
la fois, est pâle infiniment. Les lys de cette argile
expriment-ils le regret du lange ou le désir du linceul?
Le désir, hélas!  car le Guide était Ephraïm Mikhaël,
éphèbe génial.
Il nomma l'Etranger : Pierre Quillard. Nos mains, se pressant, durent pétrir aussitôt quelque fraîche statue de sympathie. On se hâta de s'aimer, en ces heures matutinales, ils n'osaient, les trois vivants, se divulguer l'Anadyomène de leurs rhythmes primordiaux; mais, au midi de la hardiesse, nos tentatives s'échangèrent : leurs hymnes impeccables et ma barbare apostasie. Alors ces juvéniles poctes sentaient flotter sur eux comme un caractéristique costume : Mikhaël la chasuble des moustiers, Quillard le lilas des halliers, le troisième le manteau bariolé de l'Inde védique.
L'idée d'une revue naquit avec Jésus le 25 décembre 1885.
D'abord on la voulait baptiser VArche d'Alliance, le Symbole, le Tabernacle. Ce nom, la Pli'ïa.ie, prévalut. L'imminent apogée de trois ou quatre étoiles pouvant historilier cette Coustellation, nous croyous littéraire de déclarer ici, puérilement, pour la simple exactitude, qu'elle fut formulée en mon logis par Ephraïm Mikhaël, Pierre Quillard et Paul Roux canonisé depuis.
Quelques amis s'étant joints à la trimourti, la revue vagit le Ier mars 1886. Ce vagissement fut une fanfare de Jéricho. Les chauves Ecroulés menacèrent de Bicèt  Saint-Lazare de l'esprit  cette Magnifique à la simarre d'hyacinthe dont les plus fiers caprices demeurent l'Automne, la Fille aux mains coupées, le Massacre des Innocents... 
Le Massacre de Maeterlinck oui certes, car il en était aussi, le petit Will aux épaules de czar.
La Pléiade splendit sept fois. Chiffre fatidique et de l'azur. Puis chacun s'aventura daus la vie, vers les larmes, les ris, la chanson, le blasphème, c'est-à-dire existencerson uvre.
Nous nous sommes retrouvés plus tard, le jour de richesse triste où nos yeux épandirent leurs pierreries sur le teudreMikhaël fermé daus les planches dernières tel qu'un héliotrope en un missel fantastique.
Cependant il avait
... l'ineffable horreur des floraisous prochaines celui qui, de par la nature bellement avare, s'éparpille aujourd'hui daus les fleurs, ces fragiles patries du joli de nos chairs !...
II
Célébrous Pierre Quillard d'avoir glorifié la Parole Sainte qui précéda l'onde, l'argile, le firmament et prosterna les ancêtres purs : souveraine puissance des temps abstraits du Solitaire. Les globes jaillirent grandioses du sonore parfum de l'Eternelle Peusée, comme ces féeries dont nous envahit le poete qui chante en nos chemius ; c'est pourquoi les bras antiques tendirent leur gratitude vers le fils d'Ormudz.
La contemporaine indifférence, hélas! verrouille les coquilles des tempes humaines. Le Honorer est déserté. Grâces soient rendues à Pierre Quillard d'avoir lavé la statue souillée d'ironique mousse !
Je présume tangibiliser l'impression de ma lecture aiusi : l'auteur de La Gloire du Verbe écrit avec une plume de paon trempée daus l'arc-en-ciel comme lesailes du sylphe de Pope.
Ses pocmes tressés de sourires bruus ou de blond pessimisme dégagent un effet de pantoum. Il sait dextrement tresser son âme entre un canevas mythique, de la sorte il acquiert des droits imprescriptibles à l'intégrale propriété.
En son décor éclate une honorable originalité. Le rendu, surfacier çà et là, est ailleurs généreusement massif.
Mais pourquoi, daus ce domaine du décor, perçoit-il
avec sa seule prunelle, non avec tous ses sens au balcon? 
Je m'arrête, de propos délibéré, à cette mesquine
chicane des choses, puisque d'exclusifs Cérébraux  de la secte des Nombrilistes  prétendent proscrire la Substance de leur univers ou du moius la bouder, ignorant que, par la sélection de ses reliefs, elle est la mosaïque fondamentale de l'Art, sinon l'inéluctable tonique hors laquelle la dominante spirituelle siffle daus le néant.
Les poctes, nous sommes des dieux, c'est acquis. Chacun de nous conçoit un monde, d'accord. Cet orgueil est le mien depuis des ans. Néanmoius convenons que notre monde particulier n'est que l'élixir du monde initial si prestement réintégré aux heures corporelles. Notre original s'étaye de l'originel. Le mondefoulé copropriété indivise de tous daus la république de la vie  il nous faut le cousidérer comme l'apprentissage foncier de celui de notre esprit, lequel n'est, à franc dire, que le résultat d'un désir de réaliser mieux, désir servi par la morale de notre personnelle esthétique.
La floraison du poète se mesure donc à son génie d'essentiellement comprendre ou d'amender (par un prêt d intentious foraines) celle de Dieu.
On ne saurait éluder que celle-ci sert de fumierà celle-là.
Blasphème d'art pur, s'entend.
Q.ue si, daus leur transcendantalisme outrancier, messieurs les Cérébraux renâclent à la Substance, c'est qu'ils ne la savent qu'à la manière des Captifs de la Caverne  j'allais écrire Taverne. Le dos tourné, ils voient d'inanes silhouettes réfléchies, aiusi que daus la facile allégorie de Platon.
Or, à l'artiste insigne, toute substance apparaît Vejfort saisissabl? d'un centre vers la sphère, d'une base vers le sommet, d'une âme vers la corporéllé. C'est le caractère de cet effort qui,à ma sentence, doit au moius intéresser l'artiste et qu'il lui sied, le cas échéant, de cristalliser.
Nous parlous en idéaliste qui envisage les choses comme des pensées autrefois tombées d'une intelligence et solifîées par les époques. Ce n'est aucunement prêcher leur comptabilité selon le superficiel naturalisme, mais seulement solliciter qu'on en trahisse l'essence causale ou bien ce phénomène des effets qui est en quelque sorte la vive chevelure de la substance.
Sans ces assises, l'art n'est qu'atmosphérique.
Promptement je répète que les choses doivent être contrôlées et traduites par nos cinq sens. Cette méthode ailleurs étendue, n'est-ce pas la réalisation de la symphonie dans sa plus vaste expausion ? Aiusi l'artiste obtient l'uvre prismatique aux facettes savoureuse-odorantesonore-visible-tangible; le synthétique bouquet à cinq motifs qu'il parachève et paraphe avec le ruban de son émotion. En un mot l'uvre individuelle et vivante : le Verbe fait Homme.
Si parfois le profane se déclare dérouté, c'est qu'il lit partiellement, du bout des doigts, au lieu d'absorber avec son être entier une uvre révélée par un être entier, c'est qu'il ne communie point.
Pour compléter ce procès de la Matière nécessairement succinct, il y aurait, entre autres théories, à formuler celle des Reliefs (Sur un panthéisme, admis comme fond de toile de Tttni-eers artistique, se révolte un polythéisme de parties infimes ou colossales, passives par la patte, lesquelles se proclament indépendantes, ambitionnant de faire planer leur activité personnelle sur TuniverselU Activité. La familiarité des rites innombrables constitue l'originalité foncière du quintuple artiste,..)  Mais cela nous induirait à la théorie des Vibratious qui, par correspondance, entrent édifier l'uvre daus l'hospitalité du lecteur honoré par cela même d'une joie intinitésimalement complice.
Puis il faudrait agiter que l'Art pourrait bien être une résultante, ce qui serait indigeste aujourd'hui.
Au demeurant toute mon Esthétique est mise en pratique daus la Symphonie humaine  dont je tais le titre  que, cette année, je confierai au Théâtre-Français, si toutefois n'est point tari son noble sang de guerroyeur.
III
Le Livre de Pierre Quillard est à exalter.
L'admirable Fille aux maius coupées est l'expression d'un primitif de l'école mystique de Cologne, la Rome de l'Allemagne.
L'héroïne, lys d'aurore, parle avec son âme comme les contemplatives de Wilhelm. Daus les primitifs, ombres et demi-teintes sont grises; violettes daus Quillard. Tel que ces peintres, le poète exécute sur fond d'or à dessius.
Volontiers on accorde aux personnages de ce mystère le geste anguleux des Saints translucides. Leur parole, on l'imagine s'exhalant des lèvres, réalisée sur des banderoles, comme chez les xylographiques figures de l'Ars moriendi. 
Qu'on me laisse ici regretter l'opulente postérité dont cette Fille fut grosse. La sage-femme dut conseiller un tantinet le seigle ergoté de monsieur Lemerre. A telles enseignes que certaines pages ultérieures de La gloire dû Verbe ne nous procurent pas cette joie, criterium du mérite, cette joie chaque fois progressive qui se définirait avec \ Ethique : le passage d'une perfection moindre à une perfection plus grande.
Un chef-d'uvre entre plusieurs : Marbre. 
Exquis les lieder dont le poète daigna me communiquer la plupart en 1887, de sa retraite de Cabourg.
Curiosité, l'art d'aimer de Quillard. Les cordes de son clavecin sont peut-être des cheveux de femme, mais de femmes non vécues. Sa Dame, il l'appréhende et ne la regarde que copiée, daus la psyché. Il en préfère l'absence ou le mirage. Son cur d'enfant de chur esquive, contourne ou temporise; et si, du giron de sa nourrice la nature, il évoque la Belle, c'est assez bas pour n'être ouï que de son imagination.
Il pense trop que : l'Amour c'est d'en souffrir. Ne médite pas assez que : souffrir c'est être susceptible de génie.
Laissez-donc, ami, laissez la femme chiffonner votre âme amidonnée. L'Amour, n'est-ce pas la politique du poète : par son règne, par le désir qui l'antécède, par le regret qui le suit et le perpétue ? Le désir stellitle tout, le regret pleure'les mers. De celui-là descendent les moissous jolies, de celui-ci montent les synthèses superbes comme des revanches. A peine vous devine-t-on le rlésir. Récuserez-vous la Toison Noire de son contraire: la Douleur qui nous évalue l'ici-bas? Sus donc à l'unique joie qui aboutit à l'unique misère  fut-ce à travers le ridicule et le péché! Les cornes du faune sont plantées sur un sourire.
Eh! ne voyez pas ici vaines phrases de pédagogue, mais une solide invitation au piédestal vécu sur lequel se dresseront, plus normales, les cérébralités mêmes.
Jusque-là, l'uvre se dandine, hypothétique.
Courez vite étrangler le Cygne d'Amour.
IV
Louous Pierre Quillard de sa pieuse dédicace à Ephraïm Mikhaël.
Au cours de cette étude, a palpité sereine, autour de moi, l'âme du Regretté. Le paradis des âmes c'est d'être évoquées par les vivants saus doute. Notre oubli les doit rendre tristes et mendiantes. Oui son âme, je l'ai vue par mon âme, je la vois encore. Informelle, cependant elle imprime en moi l'idée sensible d'un Aigle Blanc. II
est là près du feu  celui de mon cur ou du foyer?  et paraît se chauffer, trahissant aiusi que froide est l'Eternité.
Enfin l'alerte page aux pieds à rebours me ramène aux heures antérieures et peu à peu, par une iuseusible magie, il habille du Corps remémoré l'Aigle Blanc qui s'y dérobe graduellement Ainsi que dans un sépulcre d'humaine vie : au front du Corps sont des feuilles d'automne.
Et c'est l'Ami vivant !
Alors, sous la treille d'illusion, nous recausous les paroles causées qui partirent en preuses vers l'avenir.
Soudain les voix de la rue, poignardant le charme, en un clin me vieillissent et me rejettent sur le temps de l'Ami mort, au présent, aux choses.
Et le Corps s'efface graduellement, neige moribondant au fer rouge de la réalité.
Déjà ne vacille plus que l'idée substantielle. Avant qu'elle ne s'évanouisse aussi, je veux oh! caresser un peu de ce qui n'est plus, ne serait-ce qu'une place occupée daus le salon de mon imagination. Et je lance mes mains, mais l'Aigle a disparu.
D'un geste prompt, j'ouvre la fenêtre pour le voir s'envoler peut-être par les yeux charitables de la foi... Rien!... sinon que j'entends la Harpe d'un pifferaro gueusant des sous en bas.
Alors, accoudé, je songe : l'espace est saus doute fait d'âmes, et la musique des Harpes pourrait bien se produire par le nostalgique cri qu'eusemble jetterait un million d'âmes pincées à la fois par le doigt du musicien innocemment barbare.
S'il en était aiusi, cette mélodie qui nous parfume serait coustruite de leurs plaintes!...
Jamais plus, non jamais plus ne joueront les Harpes saus que je prie pour ces Orphelines de la mort, Errantes Monté) pin.
WlLLY.
LA VIE Orise : Le Vierge, par Ai.frfd Vallettf (Tresse et Stock).  V. page 167.
Le Curé d'Anchelles, par Georges De Peyrebrune(Dentu).  En lisant le Curé d'Ancheltes, on se croirait en tiaiu de rêver devant l'un de ces beaux paysages peints selon la méthode du grand siècle pour des chambres à coucher de rois sévères ou des boudoirs de princesses vertueuses: et on ressent, au cours de cette rêverie de luxe, un plaisir secret qui peut aller, ma foi. jusqu'à l'attendrissement. Le roman ne sort-il pas de la légende héroïque ou des contes de fées? Cousidérer le roman comme un décor ayant le devoir d'offrir à un public généralement vil le spectacle de cette jèeriqu' richesse qu'on appelle la vertu, rien deplus fou... mais aussi rien de plus noble. Le Cure cTAnclieUes est un prêtre chaste. Il aime une femme chaste et finit par se faire tuer à la place du tils de cette femme en un jour de guerre. Religion, amour, maternité, patriotisme, tout est saus défaillance daus ce livre exceptionnel, d'ailleurs d'une sereine beauté classique. Et pourquoi pas ? Ces ouvrages-là sont de plus en plus rares, ils ont leurs amateurs enthousiastes. Je ne parle pas ici de la
il) Nous sommes obligés de remettre au prochain fascicule les notes bibliographiques annoncées sur : Le Pèlerin Passionne (Jean Moréas), Ls Don d'Enfance (Fernand Sevcrirr. et Peines du cur (Jean Surya).  Au mois prochain également : Vieux (G.-Albert Aurien: La flûte à SicM (Max \ValIer): Les Confessions. Souvenirs a'un demisièclc, iti;o18go (Arsène HoussayeU TnUcvrand, Mc'uroircs, lettres inédites et papiers secrets, aecompagncs de notes explicatives (Jean Gorsas.; Presque (Francis Poic(cvini: Le Jardin de Bcrenicc (Maurice Barres): Femmes et Parsagcs (Jean Ajalberl); Le Bonheur de mourir (Auguste Chauvigné).
morale banalement étalée pour les foules, mais d'une morale bien sortie, où l'artiste, saus parti pris, peut découvrir la phrase élégante et le mot génial. Ils me font l'effet de ces bijoux longtemps gardés au fond d'un écrin ducal, tout à coup exposés daus la vitrine d'un musée, rendus publics et devenant presque scandaleux à force d'éclat. S'eusuit-il que nous ayous motif de sourire? Certes, il existe des âmes précieuses comme des bijoux ; nous ne pouvous nier les actious dites telles, les amours sentimentaux: alors je ne comprendrais point qu'on eût envie de railler la très noble folie qui trausparaît daus le rassemblement en tas de toutes ces choses admirables.
Si les très pures maius de Georges de Peyrebrune, en croyant fouiller des chairs humaines, élèvent des statues de Paros. elles ont peut-être bien raison : le marbre n'est-il pas impérissable? ***
La Sanglant.: Ironie, par RaciiildiÎ.  p«irmc de Camilli: Lemonnier 11} (L. Genonceaux).  En un récent article de la Cronaca d'Artc, parlant d'un roman par une femme, M. Ugo Valcarenghi reprochait à l'auteur de n'avoir pas posé de dièse, en d'autres termes de n'avoir pas bien su ce qu'il voulait faire, d'avoir eu cet unique but, écrire un nombre moyen de pages. Au contraire Rachilde en a, des thèses ; elle en a plein la tète,et ce livre en développe plusieurs: 1oqu'un'assassinat simple et propre n'est pas saus beauté ; 2o que la mort doit être aimée absolument, étant l'Absolue. Voilà deux bous piliers pour soutenir un roman et assez solidement ironiques pour le prémunir de toute chute daus le banal. Tendant à supprimer une laideur avérée, excessive, ls meurtre ne doit pas déplaire : il peut même acquérir une valeur morale ou esthétique. Il y eut un jadis où tout homme vivait sous la perpétuelle menace d'être tué : cela donnait aux acte» un intérêt, aux acteurs une respousabilité que l'ordre social leur a enlevés. Un homme qui par son caractère et ses gestes nous reporte en ces temps [tel l'Homme delà Sangl&nlc Ironie} est donc fait pour intéresser comme tranchant violcmment sur nos murs de prudence et de peur. La seconde thèse, que met en images un épisode vers la fin du tome (un épisode, il nous a semblé, de poignante amertume), est plus discutable et même niable, la mort n'existant pas par elle-même, n'étant qu'une simple négation d -- i  o). Puis en ce goût de la mort, je vois moius de logique et de goût réel que d'exaspération et de coquetterie, d'aberration un peu perverse, en même temps un peu simpliste : c'est un Désir qui, en route pour l'Au-delà, s'embourbe et se réjouit de s'être embourbé. A l'eusemble du livre, on reprocherait de ne pas donner tout ce que promet l'introduction, s'il n'était évident que l'auteur, puisant pour iirre partie en les souvenirs d'enfance et d'ado
(i) Voir cette Préface daus le dernier numéro du Merciu-c de France, p. 6s.
lescencc, n'a pas voulu, même en vue de démoustratious, faire trop fléchir la véracité autobiographique. Il y a, çà et là, des coius de paysage vus et mieux sentis, beaucoup de pittoresque, du tragique, des évocatious visibles et tangibles de créatures humaines ou animales, daus une langue qui, saus recherches d'art, a néanmoius de l'indépendance et une saveur personnelle. R. G.
Le Songe d'une nutt d'hiver, par Gaston- et Jcles CcnTurat iSavine).  Accueilli comme une originale tentative de fantastique ironiquement nouveau, ce poème, destiné cette fois à un nombre moius restreint de lecteurs, se peut avec plaisir reprendre. Saus nulle concession à ce qui d'ordinaire amuse, il séduit par nue remarquable virtuosité, de curieuses métamorphoses pas banales, un rythme varié par de hardies brisures, une fantaisie qui va jusqu'à l'audace, l'inattendu d'un esprit très primesautier dont le vers n'étrangle nullement les caprices : c'est, d'un mot qu'il faut répéter, de l'inattendu,  et on nous en lait si rarement, des surprises ! Mas que peusa de ces belles folies le sage.  de cette prodigalité, l'économe,  de cette exubérance, le discret.  de ces provocatious, le prudent M. Hourget, à qui fut dédié le lunatique poème r' R. G.
Le Magot de l'oncle Cyrille, par Leo Tklzenik (Charpentier.) - Léo Trézenik est un des rares écrivaius qui s'occupent encore de la province daus ses romaus, non pour y Iaire se passer des choses qu'on n'ira po:nt vérifier, mais pour en extraire de jolis tableaux simplets et apportant avec eux un parfum de lavande... ou le vinaigre domine! L,? Magot de l'amie Crrille est l'histoire d'un philosophe campagnard qui laisse pleuvoir ses rentes sur une vieille futaille autour de laquelle s'assemble un tas de flaireurs de testament. A signaler un bijou de satire aigre-douce, la biographie de /.i crcme ù fa laurier*, dite crème économique. Ce souvenir de cuisine aiguë, où l'empoisonnement remplace la vanille, me ravit, en esprit, jusqu'au septième ciel familial!... Le Magot de l'onc>e Cyrille est, somme toute, un bon roman de murs, piqué de ci de là de très cruelles observatious sur les mesquineries des pingres de petite ville. Pour l'écrire, l'auteur a dû souffrir un certain temps parmi eux... et.peut-être, il est de ces mystères chez les auteurs acerbes, comme l'oncle Cyrille a-t-il vidé là-bas, en quelque trou profond, tous les trésors de son cur. J'estime que la province est capable de tout... même d'entîeller les meilleurs esprits, après avoir, sournoisement, devant eux, cmpo sonné la crème!... '**.
Le> Quatre Faces, par BiiRNAnn Lazare Edition des Entretieus lyalifi.lncs et Littéraires.)  Après cette démoustration que le Poète est fatalement voué aux sarcasmes et aux injures de ses contemporaius, tout au moius à leur indifférence, M. Bernard Lazare conclut que les poètes dont le nom est su du vulgaire « acquirent ce los banal par les côtés
d'eux-mêmes qui furent le plus étrangers à l'art ». Et il choisit quatre nuius fameux : Théodore de Banville, François Coppêe, Armand Silvestre, Catulle Mendès, qui doivent leur renommée à ce qu'ils représentent chacun une des quatre faces « de l'âme vile de la foule ». Juste, mais sévère  et si dur! Non pas, d'ailleurs, que M. Bernard Lazare enfreigne certaines convenances trop dédaignées aujourd'hui de la critique; mais iiullc part un rien de cette tendresse que, presque tous, nous gardous aux quatre poètes nommes, précisément parce qu'ils « détinrent, au moius une minute de leur existence, le don du Verbe ». A. V.
Les Pommiers en fleur, par Emile BlÉmont (Charpentier).  II y a de l'art exquis et un amour profond de la Xature daus ce Volume : c Les Pommiers en Jleur », que M. Emile lUémont vient de publier ehez l'éditeur Charpentier. Le Poète chante la Campagne, qu'il aime a la, façon d'un citadin, astreint, tout l'hiver, à la vie du gaz. Ses vers sentent bon la forêt et la mer, la « grande mer retentissante », comme il dit. Ils évoquent les ciels rayés du vol des hirondelles et dos mouettes, et des coius délicieux de bois, où des sources pleurent sous les mousses. M. Blémont célèbre, en des vers pétillants comme le cidre, la NormSMie, ses filles accortes et ses ménagères robustes. Il est de ceux qui placent daus la vie des champs la félicité suprême, et on s'attend ;'i le voir s'écrier, à chaque détour de vers : « O fortune los nimium! etc... » C'est donc surtout un paysagiste. Ses tableautius s'étayent d'un idéalisme discret qui, parfois, se fait jour, à la dernière strophe, en des vers de pure spéculation métaphysique; mais c'est le moius souvent possible. Toute une partie du volume note, avec des grâces charmantes, des motifs de r.ndes enfantines, de chausous populaires, dont me restent ces vers :
Tant qu'on n\iime pus, 
On cat Barabbas; 
Aussitôt qiCon aime, 
On est Jésus même. 
Si quelques pièces, comme, par exemple. « Baptême des tleurs » et « Dînette au bois » rappellent par trop la manière de Victor Hugo, du Hugo de la (Chauson dcs rues et des bois, il se dégage, en revanche, de la plupart des autres, une note bien personnelle. M. Blémont est un formiste remarquable. Sa facilité à disposer des rimes et des rythmes est presque miraculeuse. Il a des vers comme celui-ci :
... Le firmament mêle à la forêt mouillée Des palpitatious iie clarté pâl? 
Somme toute, un livre de vrai poète, à lire et à relire et qui cousacre définitivement M. Blémont, l'un des plus ingénieux Parnassieus. E. R.
Graaf de Vtlliers de l'Isle-Adam, door D'Jan Ten Brink. (Extrait de la revue « Nederland ». Amsterdam, 1890, 40 p. ih-8»).Villters de l'Isle-Adam, par A.-S. (A. Syxons), daus l'u Illusirated London News », 24 janvier 1891).
Très bonnes études bien nourries de fait, de citatious, de rapprochements. Après avoir esquissé la généologie intellectuelle de Villiers, montré comment il procède de Hoffmann et de Poë, de Baudelaire et de Quincey, etc., l'auteur analyse les uvres, en rappelant encore, çà et là, ce qu'elles doivent à telles et telles influences, y compris celles de la naissance et de l'éducation. Pour l'excellent critique hollandais. Villiers fut un romantique attardé, un romantique énigmatique et ironique dont la présence, la parole et les écrits, en un temps de naturalisme souvent très bas, furent une haute protestation. Et entendue : car Vitliers reste et le naturalisme n'est plus: il a disparu saus presque rien laisser, car l'observation exacte  dont M. 7ola. d'ailleurs, se moque parfaitement  date, semble-t-il, d'un peu, un peu plus loin. Lire de « Tnhulat Ronhomct » le long des si calmes, si gris canaux de Leyde (où demeure M. Jan Ten Briuki, une page d' « Axel » daus les sombres allées qui tournent autour du Burg,  et en revenant cousidérer les bizarres et presque assyriennes bêtes qui en gardent l'entrée désormais ouverte : daus cette ville de vieille culture française et classique, jauséniste et protestante, cela doit être b'eu spécial : et pour cela, saus doute, l'article est intéressant.
La brève notice de M. Symous est anecdotique : elle est surtout fine et spirituelle. R. G.
Culs-de-lampe, par Albert BoissiÈre, (Fischbacher).  Chacun des courts poèmes de ce petit recueil porsede une ép:graphe empruntée aux aèdes lesplus divers, dont voici la liste : René Ghil, Henri Heine, Sully-Prudhomme, Richepin, Mallarmé, le Dnnte, Swedenborg, Lecontc de l'Isle, Villon, Musset, Glatigny, Mathurin Régnier. Sapho. Baudelaire, Verlaine. Vigny. Banville et Rousard. Mousieur Boissière leur doit tout. Il emprunte le fond de l'un et l'habille avec Lt forme de l'autre, ce qui lui permet de parcourir en vingt pièces, avec une dextérité méritoire.toutes les gammes connues, commençant au naturalisme et finissant à la déliquescence. E.D
Flumen, par Pierre Devolvy.  De beaux vers lyriques, composant des poèmes bien rythmés, qui s'harmonisent les uus avec les autres, afin d'exprimer symboliquement une seule idée dominatrice. Peut-être trop de cette éloquence à laquelle Verlaine veut tordre le cou. Voici une strophe : Les génératious en flottilles compactes Voguant vers /£* Toisous des futurs fastueux Jettent par-dessus bord l'argile dis vieux dienx ; £f, veuves graves, rompant les lieus des pactes Tiennent la barre sur l'ejjroi des cataractes. 
M. Devoluy nous révèle là bien du talent. Combien plus en montrerait-il s'il ne subissait l'influence du grand Pontife qui proclame » la méthode évolutive-iustrumentiste d'une poésie rationnelle! » E. D.
Les Suppliantes d'Eschyle, drameilyrique en deux tableanx et en vers, traduit et ai/aptè pour' la scène par Paul Abatr (M.irpon et Flammarion.)  Des trois tragiques grecs, deux sont d'habiles dramaturges, pleius de talent et de ressources, connaissant à fond le métier; Sophocle est un peu dur et amer ; Euripide, pour plaire a un public devenu pitoyable, se fleurit de sentiment, intercale daus telle sombre légende des amourettes et des galanteries,  ce qui rend insupportable son Iphvffè'niei non moius que l'adaptation de M. Racine (le père). Eschyle a écrit le Promclhée, la seule uvre grecque qui soit redevenue adéquate à notre besoin, en littérature, de l'horrible et du fantastique, du rêve trouble et de l'inexpliqué. Saus avoir le même intérêt de mystère, les Suppliantes ont, néanmoius, une grande valeur tragique et lyrique : c'est faire preuve de hautes préoccupatious d'art que de les adapter pour tenter, je suppose, la Comédie Française. Les traductious en vers ne me séduisent guère : on y prend trop de libertés, à moius d'une méthode spéciale, avec le texte: celle-ci vaut bien celles de M. Lacroix. R. G.
CHOSES D'ART 
Voici que s'inaugure la fatale saison des expositious. A peine closes les salles de DrRAND-RrF.t, où, parmi d'authentiques horreurs, on pouvait voir des Rodtn, des Carrière i; portrait de Verlaine) et un beau tombeau de femme de Barikoîomé, ce sont les petits salous des cercles qui ouvrent leurs portes, I'epatant, le Volney, saus compter i'Exposmotf Des AquaRellistes, le tout encombré des coutumiers chefs-d'uvre que l'on sait.
Paul Gauguin vient de terminer un portrait à l'eau-forte du maître Stéphane Mallarmé.
NÉcrologie : Mcissonnter, Chaplin  mais heureusement Pierre Petit et Fragonard vivent encore.
Nous apprenous la mort de Théodore Van Gogh, le sympathique et intelligent expert qui s'employa tant pour faire connaître au public les uvres des artistes indépendants les plus audacieux d'aujourd'hui, pendant les trop courtes années qu'il resta directeur de la maison Boussod et Valadon du Boulevard Montmartre. G.-A. A.
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Échos divers et communications 
Le Banquet du 2 févrter.  Il serait bien oiseux de narrer tout au long, après tant d'autres, la fête organisée par le groupe symboliste en l'honneur de Jean Moréas, et que présidait M. Stéphane Mallarmé. Toutefois, avant de publier la liste complète ou à peu près!  des personnes présentes, nous noterous les toasts.
M. Stéphane Mallarmé :
« A Jeun Moréas, qui, le premier, a fait d'un repas la eon« scquence d'un livre de vers, et uni, pour Jéter le Phlerin « PassionnÉ, toute une jeunesse aurorale à quelques ancetrcs. 
« Ce toast, 
« Au nom du cher absent Verlaine, des Arts camarades ci de « plusieurs de la Presse, au mien, de grand catur. s
Jean Moréas répond :
« Seul, un silence ému saurait signifier combien je garderai « doux le souvenir de cette Jétc. Je me tairai doue, mais non « avant d'avoir porte la santé de Paul Verlaine. » 
M. Henri de Régnier remercie l'assistance de la faveur avec laquelle fut accueillie l'invitation au banquet: il remercie spécialement M. Stéphane Mallarmé, « qui a bien voulu, en acceptant de présider cette réunion, l'honorer de l'autorité de sa présence ». Puis il nomme Théodore de Banville, Sully Prudhomme, Léon Dierx, de Hérédia, André de Guerne, Philippe Gille, Francis Poictevin, Armand Silvestre, qui, empêchés, ont « notifié leur absence par les lettres les plus courtoises ». M. Henri de Régnier termine en buvant « aux uns et aux autres, et à Leconte de Lisle, le doyen des Lettres françaises, et aussi à notre ami Jean Moréas. »
M. Maurice Barrés boit à un mort, à Chnrles Baudelaire,
 et M. Vanor à un autre défunt : Jules Laforgue. M. Albert Saint-Paul remercie les organisateurs de la tête. Charles Morice lit un beau sonnet : A Jean Muréus. M. Bernard Lazare boit à M. Anatole France. « au très habile écrivain, au pius autorisé représentant de la critique parisienne, cette critique toujours bienveillante (sic] pour la jeune littérature, cette critique pour laquelle nous avous tous la stricte reconnaissance due à tant de si généreuse et vaillante bonne foi ». M. Achille Delaroche boit à la Poésie Symboliste et à Stéphane Mallarmé (longs applaudissements). Dauphin Meunier salue ,i les Arts camarades ». Maurice Duple-jsis lit  trop vite
 un superbe poème. M. Georges Lccomte boit » a ceux qui ne mangent pas ». lit M. Clovis Huges, après quelques mots drôles qui rattachent Marseille h la Grèce, dit avec chaleur une longue joésie,  ce qui lui vaut un toast de M. F. Vielé-Griffin. M. Tellicr boit à la Poésie. M. Emmanuel Chabrier unit  avec quelque difficulté  la poésie et la musique, et boit à Mallarmé et à Moréas. M. Daurcllc dit qu' -c il est ici un éminent journaliste et grand romancier », et il toaste en l'honneur d'Octave Mirbeau : applaudissements frénétiques, après lesquels R. Minhar et Raoul Ginestc collaborent à se rappeler tels vers de Baudelaire, avec quoi Gineste porte la santé de Félicien Rops ,
Voici maintenant, telle que nous avous pu l'obtenir, la liste de Babel des personnes présentes :
Stéphane Mallarmé, Jean Moréas, J. Huret, Octave M.irbeau, Schuré, Henri Lavedan, P. Quillard. F. Hérold, Ch. Morice, A. Delzant, Emm. Chabricr, Sherard, Hugues Rebell, G. Heymonet, Mathias Morhardt, Paul Percheron, TausseraU Albert Saint-Paul, Dufay, G. Sénéchal. Ach. Delaroche, Gau
fuin, Dauphin Meunier, Alexis Boudrot, Paul Roinard, rnest Raynaud, Maurice du Plcssys, Souday, Aug. Germain. Dodillou. Doncieux, G. Trarieux. H. Quittard, Signac, Jules Renard, Ch. Bougucreau, Champsaur, Meyerson, Corbier, Pierre Hcrmant, L. Barracand, Gayda, Eug. Tardicu, Bunand, Léopold Lacour, Clovis Hugues, Daurelle, A. Fontainas, Odilon Redon, G. Vauor, J. Christophe, R. Gineste, Senrat, Maurice Fabre. Maurice Barrés, Henri de Régnier, Bernard Lazare, F. Vielé-Griffin, H. Mazel, Beraldi,R. Miuhar, E. Jaubert. Lintilhac, Daniel Herthelot, Alfred Vallette, Félicien Rops, André Gide, Albert Samain. Raymond Bonheur, Quiquet, Dubreuilh, l'éditeur Lacroix, docteur Barbavara, G. Lecomte, Jean Carrère, Collière, Fuchs, Fourest, Anatole France, Bartoux, Bonnet, Saint Silvestre, R. de Bonuières, Capillari, Ch. Raymond, Félix Fénéon. Bailliot, J. Le Lorrain, La Tailhèile, J. Tellier. -- M. Catulle Mendès est arrivé vers onze heures, descendant du train de Belgique.
Ne quittous pas le chapitre des banquets saus parler du dernier dîner des Têtes de bois c, février), présidé par Jean Dolent, et où l'on remarquait les peintres Eugène Carrière, Paul Gauguin : le poète Charles Morice : l'affichiste Jules Chéret ; le statuaire Jean Dampt. Etaient là aussi Marc Amanieux, Armand Renaud, Paul Dnprajr, Henry Piwza, Charles Masson, Félicien Champsaur, P. Giat, Ernest Carrière, Agache, Albert Maignan, Jules Valadon, Armand Berton, Grand succès pour Charles Morice; bon accueil a MM. Marc Amanieux, Armand Renaud, Henry Piazza.
Ont paru ces derniers jours : chez L. Genonceaux, le Sanglante ironie, par Ruchilde : chez Savine, Vieux, par G. Albert Aurier ; chez Tresse et Stock, Le Vierge, par Alfred Vallette.
Le catalogue complet des uvres d'Odilon Redon  tableaux, dessius et lithographies  sera prochainement publié par l'éditeur Deman, à Bruxelles.
Ce n'est pas la première fois que, soit comme député, soit comme avocat, M. Millerand plnide « pour la Littérature «. Daus la question de La Fille Elisa, mû par son respect de la liberté de l'art et de la peusée, il a prononcé à la Chambre quelques paroles spirituellement ironiques dont il faut le congratuler (Thermidor ne nous a pas fait oublier cet incident plus ancien, mais pius intéressant). Avec tact, il n'a pas trop iusisté, comprenant qu'on ne raisonne pas avec l'hypocrisie et qu'on ne peut, en deux mots, iustruire le provincialisme de geus ignorant que M. de Concourt a montré, depuis quarante aus, plus de talent et plus de courage qu'il n'en faut pour être,  de droit,  au-dessus de la critique préventive. Je me figure que tous les hommes de lettres désintéressés trouveraient en M. Mill.-ranJ, à l'occasion, un défenseur contre l'arbitraire, la sottise ou la pudibonderie : c'est avoir choisi la bonne part. R. G.
Notre collaborateur Laurent Thailhade vient d'avoir la douleur de perdre son père. Nous le prious de trouver ici l'expression de nos plus cordiales condoléances.
Nous n'avous point voulu, l'autre mois, risquer d'enterrer vivante la revue Art et Crtttque; mais l'appel inclus en la lettre très digne que son directeur, M. Jean Jullien, publia daus son dernier numéro n'a pas été entendu, et cette excellente publication a cessé de paraître.  Les ancieus rédacteurs d'Art et Crttique se réunissent le dimanche, de 4 à 7 heures, au Café Gutenberg, 25, boulevard Poissonnière.
Une circulaire de M. L. de Saunier nous informe que « Le Cartllon vient, par acte en date du n février, d'être vendu ». L'ancienne rédaction s'est retirée tout entière.  Le Cartllon trausformé (toujours 25. rue de Lille), dont nous recevous le premier numéro, parait daus le format des grands quotidieus.
A nos confrères curieux de littérature étrangère « moderne », nous recommandous la revue hollandaise De Nîeuwe Gids (Amsterdam), qui suit attentivement notre évolution littéraire. Rédaction : Frederik van Eeden, F. van der Goos, Willem Kloos, etc.
Signalous daus Fin de Siècle  hebdomadaire grand format dont le Rédacteur en chef est M. René Emery  les amusants dessius de P. Balluriau.
Un des meileurs romanciers italieus, M. Ugo Valcarenghi, a récemment fondé à Milan une intéressante revue : Cronaca d'Arte, qui s'occupe beaucoup du mouvement littéraire et artistique français. Notre confrère M. Ernest Vinci est chargé de la correspondance parisienne.  La Gazetta Letteraria (Turin) publie un article sur le Régime moderne, deM.Taine.
Nous avous reçu la première livraison du Magazine Français illustré, jolie publication dont le directeur littéraire est M. A. Lacroix.  Curieux numéro de La Plume, cousacré à Aristide Bruant et au Mirliton (illustratious de Steinlen, Lautrec, Jean Caillou, etc.). Y lire une émotionnante nouvelle d'Alcide Guériu : A l'Opéra, d'un style souple et nerveux, et un article d'Alexandre Boutique : A propos du Symbolisme,  Au sommaire de la Revue Blanche : Alexis Noël, Robert Dernier, Thadée Natauson, Paul Leclercq, Claude Cehel. etc.
Mercvre. 
Le Gérant: A. Vallrtte. Vanves.  Impr. Camille Dillct, 97, route de Clamart.
Un de ces tomes cartonnés, niaisement abjects, que d'universitaires ou d'ecclésiastiques matassius produisent saus relâche pour la falsiftcation des juvéniles cervelles; on l'entrouvre et cette image surgit : un vieux militaire, le poitrail illustré de la devanture en toc d'une bijouterie de faubourg, gémit accablé daus son fauteuil, et un gamin, signalant d'un air entendu, avec le bâtonnet de son cerceau, les symboliques oreilles de tatou qui fleurissent la coitî'e d'une nourrice alsacienne appendue au mur : «Pleure pas, grand-père, nous la reprendrous! »
Immédiatement, on peuse à cet enfant monté en graine, plus hautement pédonculé que ces choux de Jersey dont on fait des cannes,  à M. Paul Déroulède. Lui aussi fait rouler, mais avec fracas et en tapant dessus ave; un vieux sabre ébréché, le cerceau avarié du patriotisme, et se penchant vers la France, qui n'est pas sourde, lui hurle daus le tympan : « Pleure pas, grand'mère, on te la rendra, ta symbolique nounou! n 
Moius gnan-gnan que le vétuste et lacrvmatoire retraité, la matrone impatientée finit par répondre: « J'aimerais assez qu'on me confiâtd'autressecrets.»
Nous aussi : le désir de renouer à la chaîne départementale les deux anneaux rouillés qu'un heurt un peu violent en a détachés ne nous hante pas jour et nuit. Nous avous d'autres peusées plus urgentes; nous avous autre chose à faire. Personnellement, je ne donnerais pas, en échange de ces terres oubliées, ni le petit doigt de ma main droite : il me sert à soutenir ma main, quand j'écris; ni le petit doigt de ma main gauche: il me sert à secouer la cendre de ma cigarette.
Inutile, à ce propos, de me traiter de mauvais Français ou même de Prussien; cela ne me toucherait pas : Kant était Prussien et Heine aussi: puis je vous demanderais, par curiosité pure, ce que vous donneriez de vos précieuses peaux pour joindre à la France la Wallonie belge ou la vallée de Lausanne,  pays, ce me semble, un peu plus français de langue et de race que les bords du Rhin? Personne n'aboie contre les Anglais, qui détiennent les Iles normandes, et le lointain, mais clairement français, Canada, province d'outre-mer, mais aussi nettement province de France que les Charentes ou la Picardie.
Au fait, ces coius de terre d'au-delà les Vosges, sont-ils donc devenus si malheureux? Les auraiton, par hasard, fait changer de langue, de murs, de plaisirs? Ont-ils subi un service militaire plus long ou plus dur, une administration plus pointilleuse, des fonctionnaires plus rogues, des maîtres d'écoles plus pédants et plus fats, des embêtements de couscience plus notoires, des impôts plus lourds, un gouvernement moius digne, moius sympathique, moius probe ?
Il me paraît qu'elle a duré assez longtemps la plaisanterie des deux petites surs esclaves, agenouillées daus leurs crêpes au pied d'un poteau de frontière, pleurant comme des génisses, au lieu d'aller traire leurs vaches. Soyez sûr qu'avant comme après, elles mangent leurs rôtis à la gelée de groseilles, grignotent leurs dretzels salés et lampent leurs amples moss. N'en doutez point, elles font l'amour et elles font des enfants. Cette nouvelle captivité de Babylone me laisse froid.
La question, du reste, est simple : l'Allemagne n enlevé deux provinces à la France, qui elle-même
les avait antérieurement chipées : vous voulez les reprendre? Bien. En ce cas, partous pour la frontière. Vous nebougezpas?Alorsfoutez-nousla paix.
Jadis, en de permanentes guerres, avec de vraies armées, c'est-à-dire composées de soldats de métier et d; carrière, on se trouvait vainqueur saus vanité, vaincu saus rancune. La détaite n'avait pas cette couséquence : une nation pleurnichant et hihihant pendant vingt aus, telle qu'une éternelle fillette ; oui, comme une fillette qui a laissé tomber sur le bon côté sa tartine de confttures.
Jadis, le lendemain de la paix signée, les sujets des deux pays traftquaient eusemble saus amertume, franchissaient indifférents les frontières modifiées, et les officiers des deux armées, la veille aux prises, buvaient à la même table, en genr. d'esprit. Je verrais saus nul effarouchement des officiers français trinquer avec des officiers allemands : font-ils pas le même métier, et pourquoi, noble ici, ce métier deviendrait-il, là, infâme?
Ce désintéressement supérieur, la France l'éprouva, tant qu'elle fut une nation spirituelle et de haute allure. Les Français d'alors disaient, ayant perdu, délicats et sourieurs : « Messieurs, nous vous revaudrous ça »,  puis parlaient d'autre chose. Serious-nous devenus, à cette heure, des brutes rancunières, douées de cervelles éléphantines ?
Dépurous-nous de ces humeurs ; prenous quelques pilules de dédain qui fassent issir par les voies naturelles ce virus nouveau, dénommé : Patriotisme.
Nouveau, oui, sous la forme épaisse qu'il assume depuis vingt aus, car son vrai nom est vanité : nous sommes la civilisation, les Allemands sont la barbarie
Oh!
On ne peut, il est vrai, nous dénier une littérature et un art supérieurs à la littérature et à l'art allemands; mais cet art même et cette littérature,, demeurés tout cénaculaires, sont inconnus à nos. derviches hurleurs, et de ceux d'entre eux qui les soupçonnent, méprisés : ce qu'on en montre daus les journaux et daus les expositious devrait, au contraire, nous engager vers une certaine modestie. Quelle fierté les patriotes ont-ils jamais tirée des uvres de, par exemple, Villiers de l'Isle-Adam ? Soupçonnaient-ils son existence, alors que le roi de Bavière l'accueillait et l'aimait? Ont-ils subventionné Laforgue, qui ne trouva qu'à Berlin la nourriture nécessaire à la fabrication de ses chefsd'uvre d'ironie tendre? Et pour ne citer qu'un seul nom d'artiste, est-ce par les patriotes que sont achetées les lithographies de Redon, dont les admirateurs sont presque tous Scandinaves et germaius? Il y a un patriotisme à la portée de tous ceux qui possèdent trois francs cinquante, c'est d'acheter les livres des hommes de talent et de ne pas les laisser mourir de misère.
Laissous donc l'art et la littérature, puisque les productious par lesquelles on nous clame supérieurs sont au contraire de celles qui nous humilieront à jamais daus l'histoire de l'esprit humain,  et parlous du reste.
L'érudition, mais elle est allemande. Les Allemands ont inauguré, et détiennent encore, la philologie romane, et s'il faut chercher des professeurs connaissant mieux l'ancien français que les maîtres de l'Ecole des Chartres, c'est en Allemagne. Qui nous a fait connaître notre littérature dramatique d'avant Corneille? Des Allemands, et les bonnes éditious de ces poètes sont allemandes.
Qui a connu mieux que nul l'histoire de la Révolution française? Des Allemands, les Sybel et les Schmidt.
Qui a débrouillé l'histoire grecque et l'histoire romaine, sinon les Mommsen et les Curtius?
Je ne dis rien de la philosophie, rien de la musique : domaines allemands,  et je me borne à ces indicatious pour ne point répéter un ancien article de M. Barrés, dont le spirituel antipatriotisme jadis m'avait charmé.
Le vrai, c'est que l'intellect germain et l'intellect français se complètent l'un par l'autre, sont créés, dirait-on, pour se pénétrer, se féconder mutuellement : du cerveau de l'Europe, l'un des peuples est le lobe droit, l'autre est le lobe gauche, et rien, en ce cerveau, ne peut fonctionner normalement si l'entente n'est parfaite entre les deux iuséparables hémisphères.
Peuples frères, il n'y en a guère qui le soient plus clairement, ni mieux faits pour une entière et profonde sympathie, malgré des différences évidentes daus les modalités de la peusée. Ils sont calmes et nous sommes de salpêtre; ils sont patients et nous sommes nerveux; ils sont lents et un peu lourds, nous sommes vifs et allègres ; ils sont muets et nous sommes braillards ; ils sont pacifiques et nous avous l'air belliqueux : dernier point où l'entente est extraordinairement facile, car il semble certain qu'ils en ont, de même que nous, assez et, de même que nous, ne souhaitent rien, si ce n'est qu'on les laisse travailler en paix.
Non, nous n'avous nulle haine contre ce peuple ; nous sommes trop bien élevés pour afftcher une enfantine rancune, trop au-dessus de la sottise populaire pour même la ressentir : quant à moi, entre les assourdissants jappeurs ligués contre notre quiétude et les placides Allemands,je n'hésite pas, je préfère les Allemands.
Les défiances s'assoupissaient, lorsque M. de Cassagnac s'est mis à trouver mauvais que l'impératrice, cette charmante femme, ait voulu voir SaintCloud et Versailles: ce sont cependant d'agréables promenades, et les choisir, une preuve de bon goût, car cette étrangère, n'aurait-elle pas aussi bien pu manifester le désir d'assister aux courses d'Auteuil ?
Dire qu'il ne s'est pas trouvé en cette ville, qui se targue d'esprit et de bravoure, un peintre assez indépendant de l'opinion populaire, assez courageux contre la sottise journalistique pour oser obéir à cet iustinct naturel qui domine aujourd'hui C3 qu'on dénomme l'école française : l'intérêt de la vente! Le Patriotisme à été le plus fort, étant la sottise suprême,  pourquoi s'étonner?
Ah ! si Henri Regnault n'avait pas été tué à Buzenval, si ce peintre patrouillait encore ses noirs savoyards, ses roses souillés, ses blancs de panaris, s'il se livrait encore, en de luxueux ateliers, à ce que Huysmaus appelle « son vagabondage du dessin et son cabotinage édenté des couleurs »! Mais les Prussieus l'ont occis. Cela ne fait jamais qu'un artiste médiocre de moius,  et il y en a tant !
Puis, à chacun son métier : le sien était de faire de la peinture, même mauvaise,  comme le métier de Verlaine est à de divines poésies. Le jour, pourtant, viendra peut-être où l'on nous enverra à la frontière : nous irous, saus enthousiasme 5 ce sera notre tour de nous faire tuer : nous nous ferous tuer avec un réel déplaisir. « Mourir pour la Patrie » : nous chantous d'autres romances, nous cultivous un autre genre de poésie.
Leur supprimer, à ces r,r s... b... de marchands de nuages »,  il s'agit de nous, selon Baudelaire,  leur couper toute religion, tout idéal et croire qu'ils vont se jeter affamés surle patriotisme ! Non, c 'est trop bête et ils sont trop intelligents.
S'il faut d'un mot dire nettement les choses, eh bien :  Nous ne sommes pas patriotes.
Remy De Gourmont. 
LE CALICE ENGUIRLANDE 
Pour te Z)r Rémr Girond. 
Pour que s'immortalise un merveilleux supplice, L'Eternel féminin lève au ciel un calice Enguirlandé de folles fleurs de volupté. 
La haute coupe, d'un métal diamanté,
Oit se profilent de lascives silhouettes,
A l'attirance d'un miroir aux alouettes,
Et nos divius Désirs, qu'elle éblouit un jour,
Viennent, l'aile ivre, éperduement voler autour,
Criant la grande soif qui nous brûle la bouche,
Jusqu'à l'heure de la communion farouche,
Où chacun boit daus le mctal diamanté
La science : qu'il n'est au monde volupté
Honnis les fleurs dont s'enguirlande le calice,
NEIGES
A Eugène Jublin. 
l 
L'Angclus tombe enfin des clochers et des tours...
Pour parer l'Heure nuptiale. La neige ourdit des blanches nappes de velours 
Daus une clarté vespérale.
Les arbres du vieux parc enlinceulés ont l'air
«D'un cortège fantomatique;
Le haut jet d'eau répand des pleurs de cristal clair Daus les vasques de Penthélique. 
Et par ce soir d'hiver, par ce soir endormant Que nul soleil brutal n'enflamme, 
II monte un si vague et si triste apaisement Qu'on se sent vraiment mai à l'âme. 
Un mal pacifiant et douloureux aussi,
Comme un baiser sur une plaie...
 De son socle de stuc, un chèvre-pieds trausi, Perdu sous la châtaigneraie,
Nargue un groupe d'Amours que les males saisous
Ont rendus frileux et moroses Et qui songent saus doute au temps des fenaisous 
En déplorant la mort des roses.
De profundis! les Belles aux yeux de béril Avec les fleurs s'en sont allées, 
Et l'âme des printemps erre en parfum subtil Par le veuvage des allées. 
Or, voici que soudain l'orgue d'un malandrin, Daus le recueillement de t'heure, 
Moud dolemment un lent et chevrotant refrain Où tout un vieil Autrefois pleure. 
On dirait des sanglots clames par le Passé Sur un deuil cher qui s'éternise... 
 Un lamentable oiseau mortellement blessé A travers la bise agonise... 
Le vent coulis rodant parmi les corridors Mêle des complaintes funèbres 
Aux sous criards de l'orgue et plaque des accords Frigides comme des ténèbres. 
Imperturbablement la chauson d'Autrefois Pleure daus le vent, monotone... 
 Maints souvenirs perdus, tels des cerfs aux abois Brament en mon cur qui s'étonne,
Et tandis que le parc s'efface lentement Daus le clair obscur équivoque, 
Tandis qu'au ciel rosit un vague enchantement, Mon âme endolorie évoque 
La magique splendeur des rêves abolis
Qui se jouaient daus les lumières,
Vers les couchants d'or pâle où sommeillaient des lis, Des lis plus blancs que des Prières!...
Jean Court. 
SUR É CHASSE S 
Aucune voix intérieure ne m'a crié : «Par ici ! »  Il s'en faut de plusieurs longueurs que j'arrive à l'enthousiasme. J'écris bien, mais je ne sais lire que daus les journaux. J'ai étudié des choses autrefois, je m'en rappelle, quand j'allais à l'école. Je no regarde ni autour de moi où je ne vois que moi, ni en moi où je ne vois rien, et je n'en suis pas moius littérateur qu'un autre.
J'ai fait d'abord de la critique, pour enlever le morceau, eusuite du roman, pour le rendre, et puis j'ai continué, pour me curer les dents, et toujours j'aurai la bouche mauvaise. Si cette image vous dégoûte, j'en chercherai de plus sales encore.
Bous confrères, j'ai aboyé à toutes vos lunes. Que ceux qui ne m'ont pas entendu me pardonnent et cousidèrent l'intention. J'ai agi de mon pire. Que les autres ne prennent pas mes gros mots de travers. On me rendra cette justice, qu'en iusultant tout le monde je n'ai voulu me brouiller avec personne.
* * * 
Je fais tour à tour, à m'y méprendre, du Concourt, du Daudet, du Zola, du Bourget original. Ils croient à un vol, feuillettent leurs cartous, peusifs, furieux!
Un couseil : pas trop, trop d'art. Je vous assure que le peuple, mon seul juge, comme disait le général Boulanger, n'y tient pas. Songez à Démosthène. Quand on s'applique, ça sent le gaz. L'idée en forme a peur, aiusi qu'un lièvre. Venez donc me voir, vous me trouverez toujours cul sur table, en train de pondre saus douleur. Si cette image
Cependant il y a un mépris de l'art qui est excessif. X écrit trop vite. Je ne peux plus le suivre. On doit souffler.
J'ai du métier : voici mes petits accessoires : un piuson pour les passagesgais; une vieille pendule pour les palpitants; de l'odeur achetée au litre pour les tendres; des plumes de corbeau pour les lugubres.
En somme, je cuisine habilement les divers ingrédients d'un roman, hors les larmes. La seusibilité n'est point ma partie. J'ai beau mouiller, avec mon doigt, les yeux de mes boushommes : ils les ont toujours secs comme des pissotières mal entretenues. Est-ce que ça se voit?
On dit que la peusée est une sécrétion du cerveau. C'est étonnant comme le mien salive.
* *
20 aus.  En tout nouveau présenté je devine un ennemi, et j'observe avec intérêt le premier mouvement de sa main. Elle se détache du dos ou sort de la poche, et vient à moi lentement. Esl-ce qu'elle s'avance pour une étreinte cordiale ou pour une gifle? Douces trauses !
30 aus.  Ça va; je suis de première force en sympathie instantanée et en stéréotypie de sourires. Je tape sur les -ventres qui ont quelque chose. Les ailes me travaillent les épaules, et la sagesse les gencives. Chaque jour, c'est une dent de plus qu'on a contre moi; mais je me retourne, je compte les kilomètres d'écriture parcourus et me voilà cousolé. Il me semble que je tieus mon avenir, en forme d'uf, au creux de ma main.
La grenouille tenta d'égaler le buf en grosseur, pour l'avaler. Je suis envieux au point d'accorder, saus le leur dire toutefois, aux incompris, quelque talent.
Le toi est haïssable. Pour vivre daus une société de muets où je parlerais tout le temps tout seul, je cousentirais qu'ils fussent sourds.
J'aime daus ma gloire ce qu'elle a de vexant pour les autres. A part cela, je m'enf... Il ne faut pas me faire plus mauvais que je ne suis.
Le commerce des lettres a une belle âme. Par année on imprime, dit-on, trois mille romaus environ. C'est donc, ô rage, une moyenne de deux mille neuf cent quatre-vingt-quinze que je n'ai pas signés !
Quand un mousieur me dit :
 « Nous avous une revue où viennent se poser,
à notre signe, tous les talents, comme des colombes savantes. »
Je prends son bras et je lui serre le poignet légèrement:
 « Par sympathie ? Merci ! »
 '!. Non pas : je suis le faiseur d'anges de la littérature,le médecin des revues qui vont mourir, et je vous tàte le pouls. Votre heure est proche, mon ami. Vous en avez encore pour deux numéros. Deux et un font trois. Aujourd'hui la mode est aux collectious courtes. »
Je n'ai plus d'affection que pour les inoffeusifs, les vieux littérateurs en enfance qui, bavant déjà, écrivent, une serviette nouée autour du cou, et les tout petits emmaillottés qui ne poussent encore que de vagues cris d'imitation.
 « C'est du joli ! poseur, va ! »
 «. Impitoyable éventeur de mèches, subtil chipeur de clefs, gros malin aux fosses profondes, on ne pourra donc jamais vous en faire accroire ? Ah ! vous connaissez les sépulcres blanchis,le coup de la vessie et de la lanterne, les trucs des faiseurs d'embarras et de tours, et c'est bien vous, n'est-ce pas,qui disiez ce matin,en voyant passer le convoi de troisième classe d'un riche défunt : « Encore un qui veut se faire remarquer saus ostentation ! »
Jules Renard. 
LES FIANCÉS
Depuis dix aus couchés daus la tombe suave, Sous la prairie en fleurs où bêlent les troupeaux, Ils écoutent languir la voix suprême et grave Du bonheur éternel daus l'éternel repos. 
Un chêne épand sur eux le velours de son ombre: Les laboureurs hàlés y bornent leurs sillous; Et la nuit, quand tout dort, des étoiles saus nombre Jusque sur leur linceul filtrent de bleus rayous. 
Tous deux, entrelacés comme en un rêve étrange, La lèvre sur la lèvre et les yeux daus les yeux, Sous les érosious de terrain qui les mange Fondent conjointement, hors de l'azur des cieux. 
Des ais vermoulus suinte, émollient et rance, Un noirâtre brouet où se baignent leurs chairs. Ils gisent saus terreur, saus honte et saus souffrance. Intimement unis, sucés des mêmes vers. 
Et du Temps qui croupit sépulcrale pâture, Sublime effondrement de corps décomposés. Ils retournent saus hâte h l'immeuse nature, Qu'ils graisseront épars et métamorphosés. 
Amen! semblent-ils dire, amen au décret pâle Qui nous précipita daus les bras du tombeau! Notre lit nuptial est froid comme l'opale, Mais plus stérile il est, plus il nous parait beau. 
Nous n'avous pas vécu sur la houleuse terre De quoi couler eusemble un seul iustant d'amour. Daus la bière profonde, au sein du grand mystère . Vierges nous fûmes mis, tous deux le même jour. 
Nous bénissous la main du hasard magnanime; La mort qui nous faucha nous est un doux destin : Le cur qui bat encore au souffle qui l'anime A des frissous au soir et des pleurs au matin. 
Nous ne redoutous plus les venimeuses larmes Que la douleur amasse aux cils des respirants; Ici plus de sanglots, plus de deuils, plus d'alarmes, En nos rigides fronts plus de cris déchirants. 
Nous ne percevous plus les verbes d'une langue; C'est un silence saint qui sur nous vient peser; Ht nous nous oublious daus le cercueil exsangue, Où pourrit lentement notre humide baiser. 
Louts Dumur. LA GRAPPE VOLEE 
Qui ravit les raisius sonores de mon Rire
En le val de Caresse aux bous glaïeuls du dire ?
Evaporés des thyrses vierges du sonneur.
Ils mûrissaient : essaim de la treille au bonheur.
Oyez au creux du val la plorance qui meugle, ()ii rendez ses muscats à mon sourire aveugle! 
Espoir qui me guidas vers l'ultime pressoir Où s'épavent les perles qui n'ont pas le soir, 
Oncques n'ai retrouvé mes vives de vendange, lit la neuve douleur m'a pâli de son lange.
Apprends-moi, vert silence, en quel flacon voisin De harpe maintenant jouit le clair raisin? 
Alors une brebis, saus doute ma vieillesse, Au loin bêla devers ce deuil de gentillesse : 
- « Ami, qui désormais as le raisin saus peau Nommé le pleur et fuis le jovial troupeau,
Ta Jouvence a passé, des adieux plein la robe, Aiusi qu'un paon coupable, sous le soleil probe.
A l'ombre du fleuve émanant de ses péchés Clignotait une musique de fruits cachés. 
Or tes ris, prisonniers daus un orgueil d'abeille, Appendaicnt à l'âpre feuille de son oreille. » 
O brebis, si la dépouille, mise en pendants, Doit jolir ma vendangeuse aux ongles ardents, 
Je lègue les raisius sonores de mon Rire A Celle qui laissa les bous glaïeuls du dire. 
Ij novemire Sy. 
LE CYGNE D'ILLUSIONS
A Gabriel Ran ion. 
Cette boule de neige où se pavane une âme Est le Cygne ingénu de nos illusious Qui matinalement cingle sur l'oriflamme Avant l'aigre soleil des noires visious. 
Ricane l'heure où le fer rouge de la preuve Irréfragable iuscrit l'alphabet infernal; La virginité lors défaille sous l'éprouve, A jamais se fondant le duvet hivernal. 
Iustitués l'écaille de cette agonie A la strophe de fin, nous gardous le parfum Qu'uniquement légua la lunalc harmonie, Et nos cordes s'émeuvent du joli défunt. 
L'héritage de songe, aromnnt notre allée Entre les perses mares de joyaux salius, Prêche nos pas, appareillés pour la vallée, Au gré des roseaux purs devant les loups malius. 
Jusqu'à ce que le Cygne, aux cendres de mémoire Oiseau terné, germant sous les regrets d'aïeul, Nimbe le phare usé par les âges de moire Et neige vers l'orteil ses ailes de linceul. 
,j février c)o. 
Saint-pol Roux.
JEAN DOLENT 
Obtenu" d'exquise sorte des suffrages exquis; triompher par des moyeus rares, dédaigner les procédés vérifiés, bouleverser volontiers les notious proverbiales, fuir le seus commun pour rester daus le bon, échapper aux effets classés : près d'attendrir s'arrêter au bord des larmes saus toutefois solliciter la ga'ité  ne faire ni rire ni pleurer, émouvoir à toutes les possibilités, faire surtout sentir et penser : c'est le style, l'uvre et le tempérament de Jean Dolent.
Cet artiste épris de la Vie, cet homme épris de I'art, est de ceux qui ne se résignent point aux efforts médiocres : il se peut donc que la renommée bruyante  puisqu'elle est aujourd'hui plus justement que jamais prévenue et convaincue de modcrantisme  ait mal lu de cet écrivain certaius ouvrages que nous préférous à beaucoup de centaines d'éditious. Dans cet universel champ d'uvre de la vie et de l'art, dans cet unique champ de bataille, la vraie victoire n'est pas toujours celle qu'accompagnent le plus de trompettes.  D'autant plus est-il précieux de chercher, en cette uvre non dédiée au grand nombre, l'expression d'une des âmes les plus subtiles et seusibles de ce temps.
Deux mots de Jean Dolent lui-même me guideront.
« Le style, c'est l'état innocent de l'esprit. »
Cette définition  qu'on a eu tous les torts du monde de rapporter au fameux apophthegme de M. de Buffon  nous en dit long sur l'esprit qui la trouva. Elle émane d'un perpétuel désir de perfection; elle marque cette belle frénésie de pureté, la première des vertus esthétiques. Cette définition n'est pas, comme sa sur de l'autre siècle, une constatation : c'est un couseil, c'est le résultat d'une expérience passionnée, c'est un mot plein de clartés.  II faut être pareil aux petits enfants pour entrer daus le paradis : et c'est-à-dire qu'il faut être innocent pour jouir du bonheur comme pour le mériter. Or il- y a une vérité daus l'art qui correspond à cette vérité dans la vie. (Eh! l'art et la vie, puisque c'est tout un!) Ftre innocent, en art, c'est n'avoir point de préoccupation étrangère à la recherche personnelle et sincere,  aucune préoccupation ni de stupre, ni de lucre, ni de vaine cn'iosité, ni de vaine gloire, ni même de vain euseignement; c'est parler parce qu'on ne peut plus se taire, c'est se délivrer, c'est uniquement s'efforcer de s'exprimer soi-même, daus ce qu'on a de plus hautement « spécial, »  soi-même, c'est-à-dire un Désir ! (Car notre peusée peut s'ignorer en ses contingentes réalités, elle sait toujours quel idéal d'orgueil et de beauté elle a, une fois pour jamais, choisi vers l'Absolu.) A ce prix on a l'inviolable virginité, l'éternelle enfance des poetes, à ce prix on est innocent; on a du style.
« L'innocence de l'esprit, »  ajoute Dolent, « une innocence conquise. »
Ces deux mots, qui révèlent un tempérament et indiquent une histoire spirituelle, tracent au mieux le plan de cette Etude.
I
La nature, la couleur des ouvrages (i) qu'il a choisi d'écrire, refléta nécessairement la nature et la couleur d'un esprit qui ne cherch3 jamais que sa propre expression. Tous les livres de Dolent, à ce point de vue, sont explicites. Mais je m'attacherai à l'étudier principalement daus le roman de L Iusoumis, livre pour lequel je ne cache pas ma prédilection : il est de cette heure, en dépit des dates, et je l'estime des meilleurs de ce temps. C'est là que nous verrons juste comment la pensée, nette et simple daus l'eusemble, se complique harmonieusement au détail de l'exécution : comment alors mille fius fils viennent croiser, pour les y retenir prisonnières, la trame du réseau où se sont prises les ailes des idées.
La composition entière évolue autour d'un type constant en tous ses développements :
(i) Jean Dolent a publié jusqu'ici : Une volée de merles  livre de libre critique d'hommes et d'idées; Le Roman de la Chair et L'fusouinis, romaus; Avant le Déluge, pamphlets et salous; Pcîif Manuel d'Art à l'usaffe des Ignorants, Le Livre d'Art des femmes, Amoureux d'Arl (1873, 1877, 1888), livres d'art. Seront prochainement réunies en un volume Les Parades de Jean Dolent. Deux ont été imprimées : La Parade des Joueurs et La Parade de la Dette.  Un nouveau roman va paraître : Moustres. 
« Il avait le fanatisme de la liberté. Ceux qui disent Colonnis est grossier, ils mentent; brutal, ils mentent. Co
lonnis savait dire la vérité avec grâce Il manquait de
l'air fatal, ce sceau des grands révoltés. »
Iusoumis et maître ironiste, il dresse son rire comme un rempart entre sa liberté et quiconque prétendrait entreprendre sur elle. Il rit! non, il n'a pas le sceau des grands révoltes : c'est qu'il n'a pas eu à s'affranchir, il est né libre. Il ne cousent même pas qu'on lui impose d'être l'heureux mari d'une femme charmante, il l'a quittée peu de mois après la noce, effrayé de cette peusée que «N'aimât-on plus, on serait encore lié. » Voilà un petit mot que Colonnis ne peut pas entendre.
« S'aimer par contrat définitif, sr.us clause échappatoire! un bonheur jusqu'à la mort, saus fin possible !... Un paradis saus issue ! Ah !... j'ai pris la fuite. »
Il a la prétention de ne relever que de lui-même, d'être
seul daus son âme. Or, un iusoumis de cette sorte est nécessairement un lutteur : quel emploi faire de sa liberté, sinon s'assigner des tâches difficiles? et un tel lutteur est nécessairement un vainqueur. Mais, par coquetterie, Colonnis n'épuise jamais ses sujets. A la chasse il se contenterait de faire lever le gibier. S'il a révolté un peuple  ou un village contre les autorités, il se dérobe, la chose faite, au devoir de diriger les destinées de ses hasardeux élèves ; ce n'est pas lui qui se laissera prendre par les gendarmes et tout l'émoi qu'il aura causé n'est que « Terreur pour rire. » II est vrai que f. Rire mène à démolir i> : les fantaisies de Colonnis ont toujours un caractère d'utilité. Mais il a trop d'orgueil pour manquer de paresse élégante : il confie à d'autres le soin d'achever la besogne, souci secondaire. Ce railleur indépendant, cet enthousiaste et ce généreux ne saurait tolérer d'être le second nulle part, mais il laisserait la première place vide, plutôt que d'assumer les charges de la dictature. Prendre en main les libertés de tous, c'est renoncer à la sienne.
Ce caractère, si composite dans son unité, a ses reflets et ses contrastes en tous les autres personnages du roman. Ga»tl>,irda,c'est):i caricature de l'Iusoumission.* Il n'y a pas d'entraves légitimes ! » Mais il en sait qu'il adore : s'il les rompt, par folle vanité, c'est au prix de son cur, « bien plus né pour la soumission que pour la révolte. » Pourtant, il juge Colonnis timide, « un esprit indépendant, mais timide. » II a des regards de défi « pour le poêle de fonte et le comptoir d'étain. » Victime en définitive, pris au piège de ses fanfaronnades, c'est un grotesque touchant.  Maître Tontonnc est plus sage ; voici ses règles de conduite : « S'attaquer seulement à ceux qu'on peut aisément vaincre, moissonner les épis à cause du grain, ménager les moissonneurs à cause de leurs faux et respecter la pâture des vautours. » Ce n'est pas l'amour de la gloire qui ferait délirer Tontonne, ni l'.imour de la liberté, ni quelque folie d'enthousiasme ou de générosité : « Ses divagations ont pour point de départ la raison pure et Tontonne extravague au nom de la logique. » Au revers ne reconnaît-on pas la médaille ?  L.c Jeune Mousieur Lagouette est un autre aspect du même contraste. C'est le Médiocre infatué qui cache son irrémédiable impuissance et les glaces de sa native sénilité sous des prétentious à quelque si pur idéal qu'aucune réalité ne saurait l'effleurer sans le souiller. f. Il dit vouloir réagir contre le plaisant lyrisme de Joseph Prud'homme et se complaît daus une fausse simplicité. Ce jeune mousieur est circouspect, il prend soin de prémunirles geus contra leur penchant à l'enthousiasme... Quotidiennement il parle de sa soif d'admirer et se plaint lamentablement d'être aiusi laissé sur sa soif. » Point vulgaire toutefois , il semble avoir pris pour principe unique cet aphorisme : « Avoir les jambes faibles, c'est un malheur, boiter, c'est une faute. »
Quatre principales figures de femmes traversent le roman.
Jacq'uine, la femme de Colonnis, et Guillautnette, la fiancée de Gambarda, sont de douces ombres aux traits jolis, la première toute de tendresse si vraie, si inteuse qu'elle atteint à l'intelligence par la seusibilité,  et la seconde toute en bon seus et en belle galté.
Mais parler des deux autres femmes ce sera dire le roman.
Colonnis a pris à Tontonne, dangereux mari facile, sa femme, la plus terrible des femmes aimables. Ce qui surtout retient auprès d'elle Colonnis, je soupçonne que c'est le caractère improbable, impossible de Jeanne :
« Lui être fidèle, c'est avoir chaque jour une nouvelle maîtresse. Les mêmes causes produisent sur elle des effets différents... Elle se rend sur le ton de la résistance, élève la voix saus cris et se désole saus larmes... Un nez parisien qui débute en nez grec... On ne se lasse pas de la voir, elle ne se lasse pas d'être regardée. »
Une iusoumise. Colonnis aime à la vaincre : c'est la plus chère et la plus malaisée des périlleuses tâches qu'il a choisies Il aime en elle tout ce qu'elle est de grâce et de beauté : mais plus il perdrait en la perdant, plus il goûte de poignant plaisir à se sentir sans cesse au moment de la perdre, a vaincre eu elle plutôt qu'elle-même l'asservissante terreur de la voir s'en aller. Aimer une telle femme, être aimé d'elle et rester libre ! Une fois, Colonnis a été défié par sa maîtresse, en riant, d'aller chez .A/11* Tonync,  sorte de femme d'esprit et de galanterie que la maîtresse légitime redoute ; il ira donc. Jeanne, revenant de son er.price, menace, l'inquiétante et vague menace des femmes qui se savent aimées : « Prends garde ! » Mais Colonnis porte aussitôt les sentiments aux dernières extrémités : « Sois libre, » répond-il, et il ajoute ces mots qui résument le plus bel évangile d'insoumission amoureuse et la plus belle philosophie de l'amour: «// faut toujours se faire préférer... Entraîner vingt fois la même femme, c'est plus malaisé que de séduire vingt femmes. » Et daus la chambre où sa maîtresse dort, dort en rêvant de lui. ce cérébral, qui aime avec sa tête autant, ce sentimental aussi, qu'avec son rur, entreprend d'ajouter, pour se bien prouver à lui-même la pleine liberté de son esprit, quelques pages au livre depuis longtemps commencé. Il écrit. Puis, affrontant tous les dangers, il ose réveiller Jeanne pour lui lire ce qu'il vient d'écrire. Pendant que Jeanne se rendort, ildécide qu'il oubliera jusqu'à la présence de sa maîtresse.
Mais : « La main de madame Tontonne pendait hors du lit. La paume enflammée de cette main blanche troubla Colonnis. Il alla vers cette main. » La jeune femme se réveille et entoure de ses bras le cou de son amant :
i: -_ Tu n'iras pas ! Colonnis se dégagea. »
Ce chapitre, une demi-douzaine de brèves pages, est peut-être le plus singulier témoignage de la seusibilité moderne. Je ne sais rien de plus passionné que la paume enflammée de cette main blanche.
Pourtant, cet empire de soi, la force que Colonnis a toujours, malgré son amour, « d'empêcher de se nouer autour de son cou ces maius mignonnes de femme, » est-ce un élément de bonheur? On peut être dupe de la défiance, on peut être esclave de l'iusoumission. En hiver, je me suis surpris à marcher daus la neige pour
éviter le sentier noirci par le troupeau des pas: Gam- barda ou Colonnis ? Eh ! Colonnis comme Gambarda finit par sacriiier à la féroce passion do ne relever que de soi son amour et sou bonheur. 
Mais s'agit-il, ici, de bonheur, du moins au seus normal ! Il s'agit plutôt de parvenir, par la satisfaction d'une passion maîtresse, à cette inteusité de vie à tout prix, qui est l'idéal  incouscient ou couscient fatal, de l'homme moderne. Quand la maîtresse de Colonnis le quitte, il 'souffre, certes, et, au-delà de l'adieu qu'il pourrait effacer d'un baiser, il voit au présent le morne avenir de la définitive solitude. La douleur est si vive qu'il ne s'y peut résigner, il poursuit la bien-aimée,  qui s'en va, lente, espérant qu'on la rappellera,  il la dépasse, l'attend sur le chemin qu'elle doit prendre, la laisse venir jusqu'à lui : et la laisse passer.  En réalité, et quoi qu'il en pensât lui-même, ce n'était pas pour re- joindre sa maîtresse qu'il courait si vite : c'était après sa douleur ! Jamais il n'avait autant souffert  qu'en voyant sa maîtresse franchir ce seuil : jamais il n'avait autant vécu,  et il venait savourer une seconde fois ce sentiment de déchirement intime. 
De telles crises d'ailleurs Colonnis est assez friand. Il a le goût de l'adieu. Il commence pour finir. Cette M11'Tony ne, le second important personnage féminin, étudie ses poses « en femme qui sait n'avoir qu'une vertu, la grâce » ; elle a refusé  encore er samer, c'està-dire naguère  de se laisser aimer par le plus sincère des amants, et c'est maintenant une aine libre, elle aussi, mais désuvrée, et qui butine des madrigaux eu attendant, en espérant la catastrophe de sa propre et monotone tragédie, et qui se joue à des feux allumés à demi, et qui donne à des Tontonne, pour passer le temps, des velléités de belles actious dont elle serait le prix : la catastrophe qu'elle désire portera le nom de Colonnis. Le mot Amour entre eux n'est pas prononcé, il sonne danstoutes les syllabes qu'ils échangent. Mais au moment d'une séparation qui pourrait être courte et qui va décider de tout leur avenir :
  Au revoir. Colonnis, dit-elle.
 Non, adieu, Tonync.
 Ah !»
Aiusi cet artiste, Colonnis, autour de qui les gens perdent leurs proportious naturelles, grandissent ou diminuent hors de toutes mesures, ce fiévreux, impi
toyable ou imprudent prosélyte de sa fièvre, cet exclusif amoureux de la divine statue de liberté belle qu'il a connue daus les plus hautes régious de son humanité,  passe indifférent, en somme, au bien comme au mal qu'il fait  en passant : artiste, imprudent ou impitoyable, amoureux !
Au seus psychologique, ce livre est d'un pocte eu qui le courage de vivre s'est altéré de dégoût. Point de haine, un peu de mépris, du renoncement tacite.
Essayer de dire aux vivants ce qu'il conviendrait qu'ils fissent ! Que ce serait long, compliqué, minutieux ! Contentons-nous de leur faire toucher au doigt la sottise épaisse de leurs habitudes ou de leurs conventious : " Electeurs, nomme?. Tontonne! autrement, pas de visite du Souverain daus votre ville, quel affront! »(Cela sent son homme de liberté, que décourageait la « prospérité » du Second Empire).
Au seus artistique, c'est l'uvre d'un poète qui a dû hésiter entre de directes spéculatious philosophiques et de grandes compositious poétiques. Il n'a ni cherché de juste milieu ni mêlé les genres. Il a créé un personnage aux attitudes factices, voulues telles et invérifiables, et lui a commis ses croyances, ses doutes, ses besoius d'aimer, d'agir, de souffrir, ses désirs,  et ses propres hésitatious.
Il est bien un peu guindé, ce Colonnis, sur un étroit promontoire entre les grands dévoùments et les grandes négatious. Il raffme et subtilise daus l'enthousiasme : mais comme le héros de Sénancour, s'il veut bien être un peu victime, il ne cousent pas à passer pour dupe.
Ce rapprochement de hasard entre deux figures que tout sépare  Obcrniaini et Colonnis  n'est pas pour accommoder L'Insoumis aux exigences d'aucune classification. Les figures astrales de la nuit légendaire, ces visages à demi masqués de l'ennui moderne daus l'élite du monde, se font de mélancoliques signes de connaissance et gardent un air de famille. Colonnis n'a point leurs qualités, bonnes ou mauvaises. Il est à part. Nul n'a comme lui tant de vie et si peu de cousistance. Nul n'a cette gaîté daus cette amertume, cette activité daus ce dédain des conclusious, tant de fougue et, pour la réfréner, tant d'énergie, tant de cordiale expérience des âmes simples, avec tant de finesses et de chantournements personnels, un si furieux besoin de dominer avec si peu de coustance daus le commandement, tant d'amour avec une telle incapacité de se laisser conduire par l'amour... Non, Colonnis ne s'arrange pas de la comparaison : s'il peuse, au tond, comme Obermann, « que, tels que nous sommes, nous pourrious séjourner daus un monde meilleur », ce n'est, en Colonnis, qu'une peusée empruntée au vieux trésor commun, elle reste daus son âme et il conçoit le « monde meilleur» : mais il a cousenti à vivre daus ce inonde tel qu'il est, tout endolori qu'il puisse être aux angle? des différences; il s'oublie daus ce goût qu'il a pris à la vie, et ne se plaint pas : bien plus,il cache ses blessures, l'orgueilleux, ou, si vous les devinez, il affecte d'en rire, le vaniteux : tous les Werther, ces vaincus, étalent leur défaite, leur tristesse; Colonnis trouve partout sujet de rire et prétexte à victoire.
Il était tout autre, alors que, sous le nom de Patrice (t) il s'allait faire tuer à la guerre parce qu'une jeune fille  la M"'1 Tonyne de l'un et l'autre romaus  avait refusé de l'épouser. Il était alors plus dur et plus droit, il ne riait pas alors. Tonyne signait du nom de Patrice ce rigoureux programme :
K Un seul visage à la vertu, l'austérité. Une seulo note à l'éloquence, la langue sacrée. L'ne seule grandeur à l'homme, le mysticisme. Une seule règle de conduite, l'intolérance. »
Beau vainqueur, avec cela, et Prince Charmant, mais incompréheusif à force de rectitude :
« II parlait de charité la main ouverte; il parlait de fraternité les maius étendues; il est vrai que si l'on attaquait son culte, il discutait comme on menace, la main haute. »
De tels traits indiquent, ce semble, qu'au moment où il écrivit le Roman dc. la Chair, les croyances et l'idéal de Patrice venaient de s'effacer ;i l'horizon des peusées de l'écrivain. Est-ce Colonnis qui nous a conté la -ie brève de Patrice?  Mais en changeant de nom, Patrice a perdu sa sérénité. Il a compris la souplesse des opinious et que, si tout le monde a tort (2), chacun a ses raisous : ne trouvant pas en soi la force lâche de l'indifférence, il a pris le parti de rire  juste daus le même temps où lui échappait ce seul plausible prétexte de la gaîté : l'ignorance. Malgré ce qu'il garde d'espérance, ce qu'il
(1) Le Romau de la Chair parut avant VIusoumis. 
(2) Plus tard, daus Amoureux d'Art, on lit : « Tout est un peu vrai. » Mais une Note corrige : « Non! quelle porte ouverte aux neutres! » Et le texte et la note donnent assez juste l'écart entre l'esprit, qui s'explique cette triste élasticité des certitudes, et le tempérament, qui ne s'y résigne pas.
montre d'énergie, il est désenchanté, le rire de Colonnis.
La grande différence entre ces deux physionomies d'une même âme est saus doute daus cette vérité acquise entre les deux écrits : qu'il ne faut pas violenter les cousciences, puisque nous ne savons rien des fius, et presque rien des motifs. Les seules certitudes indiscutables sont si grossières qu'on les pourrait exprimer daus l'idiome des plus rudimentaires lointaines peuplades sauvages. Mais il faut Chercher. 
Patrice agissait matériellement et voulait toujours aiusi agir; Colonnis écrit, pense, cherche. S'il se répand daus la vie extérieure c'est par boutade plutôt que par principe. Il pense, cherche : voilà son essence, et tandis que Patrice, chrétien, bornait à l'Evangile son esprit et le monde, Colonnis s'efforce saus cesse vers un développement nouveau, s'étudiant, étudiant en lui et dans les autres les passious, la Passion. Daus son style,  daus cette sorte d'écrire sentencieuse et fragmentée, qui ne risque les dehors de la gravité qu'en se jouant, mais qui ne se joue qu'autour des choses graves, qui tient peu compte des apparences,  il met en uvre les richesses d'une observation constante, coustamment synthétisée, réduisant tout à des rapports psychologiques pressés daus leur dernière expression. Si bien que le livre, léger à la main, pèse son poids pour l'esprit et qu'il n'y eut jamais plus solide unité sous un tel jeu simulé d'allure capricieuse. Par quelque point qu'il s'éveille daus la mémoire, ce livre ressuscite tout entier : selon la logique succession de ses plaus, grâce aux rappels des contrastas nuancés et des similitudes.
Je ne puis toutefois m'empêcher de regretter, souvent, le paysage toujours sous-entendu. Je ne puis me passer tout à fait des agréments du décor, et je tieus que ce moyen d'expression, le Paysage, enlèverait aux concentratious familières à l'auteur ce qu'elles peuvent avoir de monotone, jetterait à propos, daus cette atmosphère où passent des ombres, la lumière de reflets gradués et indéfiniment retentis. Dolent est un grand peintre de portraits, bien exclusif; l'air se fait rare dans les fonds. Elle est non avenue pour lui, cette nature en mouvement que les Romantiques substituaient à l'humanité intime, et pas davantage il ne se soucie du rôle animal des êtres humaius. Ses idées voisinent avec celles de Rousseau, mais les couleurs sont incompatibles. Il passe entre Théophile Gautier et M. Zola en songeant à Racine.
Nous sommes en présence d'un homme qui, saus ignorer aucun des efforts contemporains de rénovation littéraire, s'y intéressant même vivement,et, d'autre part, très féru des idées dites « modernes, » gurde, dans les habitudes de son style, daus l'expression de ces idées elles-mêmes, des préférences étrangères aux habitudes, aux sympathies du style dit « moderne. » De sentiment vrai, c'est surtout daus la peusée qu'il cherche le mouvement. Amant de la vie, amoureux de l'art, il fait uvre classique d'intellectualiste et de moraliste.
Cela vient, je crois, d'un sentiment très juste des nécessités les plus nouvelles  et les plus anciennes!  de la littérature. On lui a euseigné la peinture et la musique, il lui faut se ressouvenir de penser,  et ce n'est pas daus la physiologie naturaliste qu'elle puisera cet essentiel vin du Verbe. Avec les Romantiques, toutefois, elle apprit que l'angle fondamental de l art est dans une certaine convenance de tous, de lignes, de proportions qu'on nomme Beauté, et elle ne peut plus l'oublier. La Beauté sait tout, prenous-la pour guide daus notre retour à l'esprit pur :
« La beauté, c'est la qualité supérieure de l'homme. Donner un coup de couteau, c'est disgracieux. Fuir, c'est avoir la tête basse et le ventre rampant. La colère creuse des rides. L'envie jaunit la face. Autant d'atteintes portées à la beauté. Etre beau, c'est être bon. S'efforcer de s'embellir, c'est tendre à se rendre meilleur. Les bossus et les toiteux sont dignes de pitié; une difformité du corps, c'est un vice de l'âme apparent. Les Grecs ont passé près de la vérité saus la connaître : ils étaient amoureux de la forme, mais ils rendaient un culte distinct à la vertu; c'était une faute. Ils n'ont pas deviné que la beauté se compose de tous les dous. On a de beaux yeux si l'on a de l'esprit, la voix harmonieuse si l'on a le cur tendre, et la tête haute si l'on a de la fierté. »
A travers les intrausigeances de formule qui prêtent à la peusée les fausses apparences du paradoxe, cette doctrine est profonde et recèle, je crois bien, les principes les plus sûrs de la plus pure morale : la vérité et la bouté de la beauté. Ce petit paragraphe du Homan de la Chair, écrit à trente ans, daus la retraite excentrique d'un coin de Belleville, trancherait nombre de longues discussious. Artistes qui entendez dire que vous avez charge d'âmes et mission de moralistes, contentez-vous vous-mêmes et vous aurez rempli tout votre mandat : faites beau, c'est toute la morale.
Des préoccupatious de cet ordre et le goût de l'auteur
pour les phrases brièvement expressives, pour le trait court qui va loin, saus le souci d'impersonnaliser son drame et d'objectiver ses personnages, conduisirent Jean Dolent à écrire des livres d'art aux feuillets apparemment dénoués. Daus une incontestable unité de vues et de conduite, ce sont des alinéas qui font mine d'ignorer « l'art des trausitious. » Point d'intrigue à résoudre et les thèses se dissimulent. « Pas de déformation par une inutile mise en uvre Des notatious d'harmonie Des
notes prises à l'atelier au Musée  daus la rue (dans la rue le plus souvent).... » Tels le Petit Manuel d'Art à l'usage des ignorants, puis Le Livre d'Art des femmes, enfin Amoureux d'Art. Or, daus les trois lettres de ce mot trois fois répété, ART, il faut lire les trois autres lettres de cet autre mot, VIE. Car peut-on le redire assez ? il n'y a point de frontières entre les deux domaines. C'est daus la vie que nous cherchous tous, artistes et poctes, à iuscrire notre nom. Ces deux pays ne font qu'une patrie. (Aussi peusé-je, au contraire de ce qu'on a beaucoup dit, que tout poète est exactement l'homme de son uvre ; seulement, il y faut regarder de près.) Dans ma rue  Façous d'exprimer  Mots le femme  Confidences récttes  Dédicaces  etc. Ces sortes de sous-titres commentent le texte, éclairent le projet de l'auteur : « Je reste daus mon sujet : je ne sors pas de la vie. »
II
Les livres d'art de Jean Dolent nous conteront l'histoire de sa peusée, comme ses romaus ont pu nous expliquer son tempérament. Quoiqu'il manque plus d'un volume daus la série qu'il semble avoir, par ses premiers ouvrages, pris vis-à-vis de lui-même l'engagement d'écrire  (un long silence intervint dont nous n'avons pas à scruter les causes)  les premiers livres sont en route déjà vers l'Idéal que l'auteur devait plus tard formuler : f. Réalités ayant la magie du Rêve. » C'est bien dans le rêve que s'ébattent les personnages du Roman de laChair et de L'Insoumis, daus le rêve de la vie, multiples effigies d'une individualité qui elle-même évolue, réalités d'une âme spirituellement sentimentale et qui n'a guère trouvé de foi que daus la coustance de son propre désir. Voilà l'atmosphère d'orage aux promesses de belles accalmies où le poète a dégagé « l'innocence de son esprit. »
Nous retrouvous la même atmosphère daus ses uvres critiques. (Dcsignous-les provisoirement aiusi, bien que, en les séparant, pour un besoin d'ordre, de ses uvres d'imagination, il aille saus dire que j'abuse des droits de l'analyse, car nul écrivain n'a moius que celui-ci scindé les facteurs de sa production.) Les trois livres d'art et Une volée de merles ont, à notre point de vue, cet avantage, qu'ils formulent des préférences et que la divergence des dates y souligne les étapes parcourues.
Entre ces volumes et les romaus s'iuscrit Avant leDcluge, curieuses pages d'art et de politique. C'était sous l'Empire. Dolent collaborait à la Démocratie et au National La ceusure impériale réduisait alors le journalisme à des subterfuges de style qui comportaient un peu d'art : il en faut pour dire quelque chose quand rien n'est permis. Alors le talent parvient à se faire écouter: mais on n'entend plus personne si tout le monde a le droit de criçr. Logiques illogismes: la tyrannie engendre l'art, qui la tue,  mais c'est un suicide ! On parlait donc alors, et Jean Dolent, pratique Colonnis, garda longtemps à force d'adresse le droit de plaider utilement la cause de la liberté  jusqu'au jour où l'autorité s'en mêla. Depuis, la liberté de la presse le trouva occupé d'autres soius, entièrement conquis à un art moius contingent que celui delà politique. Mais on peut attribuer à ce silence de Dolent à propos de choses qui jadis le passionnèrent des motifs plus profonds.
Comme chacun sait, en politique, l'Opposition n'a jamais toit. Il n'y a de vérités sociales qu'au passé et an futur. Le présent n'existe daus nos peusées qu'en qualité de notion métaphysique, d'entité de raison où nous percevous un écho des vibratious de l'éternité : le présent est la négation du temps. Or, les vainqueurs du combat politique sont tenus, en montant au pouvoir, de gouverner selon les principes qui triomphent avec eux ; mais,  pour leur grande part,  ces principes vivaient eux-mêmes de la lutte, et la victoire les stérilise. Elle révèle avec une impitoyable clarté le point naguère obscur où se dérobait leur faiblesse. Faire le moius de changements possible, se maintenir en un certain équilibre, daus une prudente expectative qui ne trouble pas les recherches individuelles de la vérité,  voilà saus doute la sagesse, en politique. C'est là que sont le plus déçus nos naturels désirs de sûres assises spirituelles.  L'action, pourtant, a toujours son départ daus une doctrine : mais celle-ci émane des esprits qui sont le plus étrangers à l'action : les poetes et les philosophes. Les grands agitateur», les réformateurs actifs et immédiats ne sont jamais que des intermédiaires. Daus le délicat problème social peut-être peut-on dire qu'il n'y a pas d'influence directe : le peintre qui, dans le calm? de l'atelier, exprime de son âme sur la toile une face nouvelle, jusqu'à lui voilée, de la Beauté, fait plus, pour le renversement ou l'édification des empires, que le fameux politicien ; et ni l'un ni l'autre ne savent exactement ce qu'ils font ; le peintre ignore quelles révolutions il déchaîne d'un coup de pinceau, le politicien ignore au nom de quoi il parle.
Daus la fièvre et la force toujours un peu aveuglées de la jeunesse, il se peut qu'on soit uniquement offusqué des torts de l'heure qui sonne. On veut alors les effacer. On sent, on affirme, on prouve qu'on a pour soi le droit et la justice, et c'est vrai, puisqu'on est l'Opposition. L'expérience faite, chacun prend le rang détinitif .où l'appellent ses facultés. Les moius patients gardent le rôle intermédiaire du politicien. Les meilleurs s'enferment daus le domaine des recherches individuelles  art, philosophie, science  et chacun dit qu'ils sortent de la lutte.  C'est alors, au contraire, qu'ils v entrent. Du mystérieux recul de l'étude, on voit plus clair et plui loin vers le trouble but. Les artiste.; rendent aux peuples de plus réels services politiques que les hommes d Etat. Cette couséquence lointaine et sûre de l'action artistique, l'artiste l'atteint saus dessein, hors même des bornes de sa volonté : par le simple accomplissement de sa fonction. Mais l'activité humaine, comme le composé humain, est un tout indissoluble et qui se synthétise harmonieusement en chacune de ses parties. « Là où il y a une idée d'humanité, a dit M. Taine, il y a un idéal de l'humanité. » Une puissante rénovation esthétique renouvelle nécessairement la morale et la psychologie générales et par là exerce une influence invincible sur les croyances sociales du même iustant. Uossuet a sa part daus la politique de Louis XIV. Un Voltaire produit un Louis XV. Châteaubriand permet la Restauration
L'essentiel et le difficile, dauscette pénombre spirituelle du travail individuel, c'est d'échapper au double danger de l'aflirmation hâtive et de ce dilettantisme abominable, livrée hideuse et légère de l'esprit qui cherche sans gémir. Il faut que l'esprit agisse: rêver, croire, c'est agir(i). Mais il faut que la foi s'éclaire et s'élève avec l esprit.
(i) « Un rêve est un fait. » Jean Dolent. 
« J'ai changé bien des fois de certitude, v écrit Jean Dolent.
Il s'agit ici des certitudes esthétiques, non pas des certitudes sociales et politiques. Dolent n'a rien à désavouer, devant le progrès de sa peusée, des coups donnés dans l'immédiat comb.it, jadis. Telle page d'Avant le Dclitge,  où il n'a fait qu'un choix très réduit de ses écrits politiques,  le Dialogue des Trois-Valets, par exemple, est une merveille d'audacieux bon sens et ces valets-là sont des cousius germains de ce Landolet un valet du Roman de la Chair  qui disait :
« On n'écrira jamais de poëiue sur les douceurs de la servitude, je le prévois ; ma foi, tant pis, la France n'aura jamais alors de pocme national. »
Dès le temps de ces petits pamphlets, Dolent était épris des arts plastiques. C'est par eux que commença l'éducation de son esprit. Mais entre eux et les préoccupations ou religieuses ou sociales il a pu hésiter et ce mot d'Amoureux d'Art nous éclaire, à ce sujet : « Si je n'étais pas épris d'art je serais mystique. » Cela revient à dire que l'Art est la grande mysticité, que c'est Dieu que nous cherchons daus la Beauté : la religion suprême. x L'Art, a- ajoute-t-il, deux lignes plus bas, « Mitsica sacra. » Il ne faut assurément pasentendre le mot * mystique » dans son seus général et philosophique : puisqu'on ne peut être artiste saus être mystique ; puisque les lois de l'harmonie des lignes, des tous, des sous, des inflexions délicieuses du vers et de la phrase, des rapports cachés entre la résonnance des syllabes et la note qui vibre daus la peusée qu'elles traduisent, puisque toutes ces correspondances  et bien d'autres!  impliquent un essentiel mystère.  « Mystique » signifie donc ici religieux et, saus doute, chrétien.
Cet aveu conditionnel et le souvenir du personnage de Patrice, intrausigeant disciple de l'Evangile, nous indiquent, chez Dolent, le départ et l'arrivée. 4$
A un autre point de vue, voici encore les deux termes extrêmes.
Dolent a laisssé leur poétique aux Romantiques, mais il les a aimés. Daus Une volée de merles on lit des lignes éloquentes qui vengent M. Vacquerie  depuis, le polite de Formosa  de la chute des Funérailles de l'honneur. Cette résurrection de la « poétique discutée » faisait de l'air parmi le lourd triomphe de l'Ecole du Bon Seus. Auguste Vacquerie, c'était un noble reflet de Vietor Hugo. Les pièces bien faites  bien faites?  ne valaient pas ces noblesses hardies et moius adroites, et Dolent disait :
« Le froid logicien se sert de la passion; le créateur exalté s'abandonne à elle : vivre d'amour, vivre de l'amour... Mettous Athalie et Marie Tudor daus le même palais. Rubeus prouve Raphaël, Rude complète Pradier; laissous l'artiste choisir son outil. Les hommes de 1830 avaient la fièvre, mais ils vivaient. Le champ dramatique est morne depuis qu'ils se taisent. On pleura de rage d'abord, on raille aujourd'hui : la douleur augmente. »
Maintenant comme alors, celui qui applaudissait aux efforts beaux encore des derniers Romantiques les préférerait aux choses follement pondérées qui maintenant comme alors font prime daus les lieux subventionnés. Je ne crois pourtant pas qu'il soit prêt à maintenir Marie Tudor et Athalie daus le même palais, l'Amoureux d'art qui déclarait hier : «A distance, le Romantisme n'est plus qu'un décor éclatant. » P'est que sa peusée s'est toujours davantage élevée, quêtant toujours plus loin à la chasse saus trêve daus la forêt sacrée :
« Je suis moius, toujours moius seusible aux efforts immédiats. J'aimais, j'aime toujours le beau fracas, l'aptitude à mettre les formes en action, le don de trouver l'accord des tous inteuses. J'aime la belle matière; mais ce qui me prend le plus fortement, c'est l'uvre où l'artiste me mène plus
loiu que là où il s'arrête  où il paratt s'arrêter J'ai pris
l'horreur, mieux, le dédain des choses circouscrites. Mon idéal : Vérités ayant la magie du Rêve. »
Parti donc, selon les couseils de l'heure, des environs du Romantisme et d'un respect singulier pour le Mysticisme formulé, Dolent aboutit à ce Symbolisme où confluent nécessairement nos désirs de vérité et de beauté. Il a vu que les formes immédiates, loin de révéler, masquent, qu'on se leurre au meusonge des conventionnels cadres où les choses font semblant de se limiter, qiùil n'y a de poésie que dans l'atmosphère vague où. la pensée solide et le modelé puissant se laissent deviner :
Ricn de plus cher que la chauson grise Où Vindécis an précis se joint 
a dit M. Paul Verlaine.
Je ne crois pas, aujourd'hui, que Jean Dolent soit d'humeur à répéter ses jugements d'autrefois sur l'uvre de Sainte-Beuve qui fit ce merveilleux livre, Volupté, et sur Barbey d'Aurevilly,  deux poctes qui furent des
premiers à faire entendre quelques-unes des vérités que nous proclamous maintenant : n'eussent-ils point parlé, peut-être nous tromperious-nous encore aux « choses circouscrites * ou serious-nous moius sûrs de trouver daus la vie « la magie du rêve »
Aujourd'hui, les poètes aimés de Dolent sont Baudelaire, Villiers de l'IsIe-Adam, Mallarmé, Verlaine. Il reste fidèle à Lamartine, à Châteaubriand, à Racine. En peinture, il s'arrêtait davantage autrefois au talent de Henner, de Vollon, de Jongkius. Autrefois il adorait les « Petits Maîtres » hollandais : il les aime; son culte est pour les Primitifs. Parmi les maîtres vivants qui le passionnent : Puvis de Chavannes, Gustave Moreau, Rodin, Eugène Carrière. Je m'arrête avec joie à ce dernier nom et je m'associe à cette opinion de Dolent : » Eugène Carrière exprime ce que je seus; il montre l'objet même de mes coustantes tendresses. »
Quelques-uus s'étonnent de la prédilection qui retient cet écrivajn devant les uvres plastiques. Peu s'en faut, oubliant l'initial respect que nous devous tous au libre choix de l'artiste, qu'on le mette en demeure de faire un choix définitif entre la littérature et la peinture.
« Pourquoi je ne suis pas peintre ? > répond Dolent : « Le peintre ne voit qu'en soi. Il est bien que parmi ceux qui regardent, plusieurs regardent et voient » Des circoustances particulières ont fait cette exquise initiation de son regard, ont donné cette direction à son esprit. Il débuta par une complète éducation picturale. Des souvenirs lui en restent. « Artiste, je voudrais peindre un homme ayant couscience d'injustes défaites. » Les uvres d'art lui apparaissent à la fois comme un refuge et comme une intensité de double réalisation vitale : il y étudie le tempérament personnel du peintre et la vie même où le peintre a pris son thème,  puis il s'y repose de la vie. Car ce n'est pas le moindre prodige que réalise pour notre cousolation perpétuelle la Beauté des lignes et des couleurs : elle sollicite notre esprit en nous promettant une révélation nouvelle du rêve de vivre et nous retient en nous faisant oublier au charme de ses infinies combinaisous les désirs que la vie trompe.
Quoique Dolent réunisse saus doute, par un miracle dont la nature est avare, les conditious spirituelles et morales sans lesquelles la « critique d'art » est impossible, il n'a pas ambitionné ce titre de critique et je ne sais s'il en serait flatté. La critique d'art : est-ce chose possible ? est-ce chose utile ? A d'autres la répouse.  Je coustate seulement que, d'un tableau dont Dolent a parié, la critique proprement dite reste à faire, mais qu'elle n'ajouterait rien à ce qu'il a dit, parce qu'il en a exprimé d'un trait le sens esthétique et le seus vital.  Le seus vital autant que le seus esthétique, la vie à travers l'uvre autant que la vie daus l'uvre, voilà ce qu'il cherche et ce qu'il rend : c'est pourquoi il écoute daus la rue plus encore qu'il ne regarde aux musées.
Il en est, à ce propo?, qui, ne se reconnaissant pas  est-ce de la modestie "t  le droit d'être indulgents, lui reprochent de faire des livres de mots qui ne sont pas tous de lui (aiusi s'expriment ces aristarques) : l'auteur n'a que le mérite de les avoir entendus.  Il est pourtant bien naïf de le croire si vite, quand il nous propose sous des couleurs anonymes tel mot (il auquel cette sorte de dromatique présentation a surtout l'avantage de suggérer un décor. Mais soit... Il fait donc ce que de mille manières nous faisous tous, car les livres nous sont, d'un geste ou d'un mot, dictés par des passants qui ne se doutent pas des confidences qu'ils nous ont faites. A ceux qui l'ignorent est-il bien utile d'apprendre qu'il s'établit, quand c'est un poète qui écoute, entre lui et les parleurs, une occulte collaboration "ï On parle entre hommes autrement qu'on ne parle devant des femmes: on parle devant
les femmes autrement qu'on ne parle devant un poète.
«
« J'aime le livre fait pour les geus dédaigneux des décors et des comparses. »
« Le livre que j'écris m'inquiète, le livre que j'écrirai me rassure. »
» J'aime à lire à haute voix pour quelqu'un qui ne sait pas lire : je m'applique. »
« J'écris, non pour euseigner: pour m'iustruire. »
« J'aime le chemin qui nous y mène. » 
« Si, de deux femmes qui m'écoutent, l'une rougit, l'autre pâlit, c'est de celle-ci que je me souvieus. »
« Je garde des lettres écrites au crayon, effacées, illi
sibles. » (amoureux D'abt.) 
 
Ces lignes indiquent bien daus leur état le plus récemment noté par lui l'idéal d'art de Jean Dolent et cette seusibilité aiguë,  non pas maladive, aiguisée d'une finesse qui lui interdit les prétextes secondaires,  qui est peut-être le caractère le plus saillant de cet artiste.
(i) « On peut croire répéter des mots non entendus et qui sont vrais. » Jean Dolext. 
Nulle part ailleurs, après L'Insoumis, on rie le trouvera mitux lut-même que daus cette Parade de l,z Dette, très dédaigneuse, en effet, « des décors et des comparses, »  imprimée, non encore publiée et qu'on espère bientôt relire daus le livre des Parades de Jean Dolent. 
Des difficultés rares, cherchées, vaincues, ces Parades; des sortes de poétiques gageures. Peu de choses dites, assez pour qu'on devine tout, à condition d'écouter. C'est )i par excellence que la comédie s'établit, selon le mot de M. de Banville,entre les acteurs et les spectateurs. On nous montre le but: comment va-t-on l'atteindre? Voilà la vraie pièce; elle est daus le choix des moyeus.
Colonnis et Lagouette sont rentrés en scène. Ils vont faire la parade « pour dîner, »  pur prétexte ! Colonnis est l'auteur d'un livre inédit « La Dette, » où il a noté tous les moyeus possibles d'emprunter, de ne pas prêter, ayant emprunté, de ne pas rendre, etc. Et c'est le maître en cette science cruelle qui délie Lagouette de lui emprunter le moindre ducaton. Voilà le sujet de la Parade. Lagouette accepte le défi et finit par emprunter à Colonnis tout ce que Colonnis possède  et ses bottes ! Apres que d'adresse trompée, que de bassesses inutiles! Colonnis avait oublié sa propre seusibilité,  inaccessible aux grossières feintes, mais toute livrée d'avance à de la noblesse imprévue : or, Lagouette s'était résigné à recevoir du pied au cul : mais, dejà en position, il se retourne :«Non! pas cela! »  furieux, les yeux brillants, le bon comédien! Colonnis est ravi, sa vanité même trouve daus ce tour une louange : c On ne peut rester quelque temps mon ami saus prendre un peu de fierté, » et quand il s'aperçoit aux cyniques railleries de son vainqueur qu'il est joué, lui Colonnis, le vainqueur ordinaire, il se complaît en artiste aux agréments de la pièce :
« Colonnis riant.  Le traître! »
Dolent dit quelque part que sa modestie est feinte si son orgueil est simulé. Je ne crois l'un ni l'autre. On n'a pas tant de modestie saus beaucoup de réel orgueil, et qu'elle est peu moderne, cette modestie solitaire, en fuite de tout bruit s'enfermant en d'éternelles recherches d'harmonie, de perfection ! Mais quel orgueil celui-ci, qui attend sans impatience le reflet glorieux promis à l'uvre faite daus la vie!  une vie desenchantée peutêtre de toute plus lointaine espérance.
Charles Morice. 
LE SUBTIL EMPEREUR
En l'or coustellé des barbares dalmatiques, La peau fardée et les cheveux teints d'incarnat. Je trône, contempteur des nudités attiques, Daus la peau royale où mon rêve s'incarna... 
Je regarde en raillant agoniser l'empire
Daus les rires du cirque et les cris des jockeys,
Et cet écroulement formidable m'iuspire
Des vers subtils fleuris de vocables coquets î...
Je suis le Basileus dilettante et farouche ! Ma cathèdre est d'or pur sous un dais de tabis... Quand je parle, on dirait qu'il tombe de ma bouche Des anges, des saphirs, des fleurs et des rubis... 
 La courtisane féline, la courtisane lascive, de ses yeux étranges, dont les iris d'or vert, prometteurs de voluptés inconnues, mystérieusement luisent sous la trame légère des cils demi-baissés; la courtisane belle, aux lèvres rougies, fixement regarde l'éphèbe, qui balbutie, tremblant, de naïves et saintes litanies d'amour.
-- Daus le boudoir tendu de soie bleue, aux teintes claires d'aigue-marine et de saphir, où, sur l'étoffe, s'effeuillent des pivoines d'argent, plane la frêle remembrance d'un parfum étrange, évanoui, de senteurs vaguement hiératiques, que nuance faiblement l'agonie de jacinthes mourantes, pâmées en une coupe de cristal.
 Il est blond comme les blés qui frissonnent aux soleils d'été, rose et diaphane comme les roses et diaphanes nuées qui voguent daus les cieux assombris et encore lumineux, aux crépuscules d'automne. Il est beau de toute sa jeunesse,
de la pure et délicate harmonie de ses formes d'adolescent.
Il la prie...
II
Elle sourit...
 La courtisane pâle, aux hanches de canéphore, en l'écroulement des étoffes chatoyantes, la rutilance de draperies pourpres saignant à ses flancs éburnéeus, laisse étincelcr l'orient merveilleux de ses dents, dont la cruelle blancheur attire. Elle s'attarde aiusi, muette, presque dédaigneuse, encore qu'énigmatique, et surtout chnrmeresse incomparable.
* *
 Et lui : « O Femme, méchante, iuseusible, et rebelle à mes prières, je voudrais te haïr, car je t'aime, las! à mourir... et un de tes regards glauques me désarme. Devant ton impassibilité d'idole, il me vient des désirs fauves de brute : il me semble que ce me serait une âcre et forte jouissance de déchirer tes membres frêles, d'épandre sur le satin de tes chairs un peu de ce rubis qui est ton sang; et, enroulant les tresses nombreuses de tes cheveux resplendissants autour de mon poignet, de te traîner sur les tapis tièdes, demi-nue, hurlante, martyrisée par une agonie lente, dont je m'éjouirais...
 v Mais ces folles colères s'apaisent, à la seule vue de Toi. Ah! queis sortilèges, quels invisibles maléfices me font donc entendre parler ton cur vide, ton froid, ton implacable cur, alors que se tait ta bouche menteuse, et que l'écarlate silencieux de tes lèvres semble m'être d'un bienveillant accueil? Ne seus-tu donc pas que je souffre... et de quelles tortures, Dieu ! " 
Or, des larmes lui vinrent aux yeux... 
III
Qu'elle effaça pieusement, de ses doigts roses.'.. 
 Avec des mouvements gracieux, semblant des envolées d'ailes blanches, elle caressa les paupières meurtries, qui bientôt demeurèrent baissées, se laissant clore par la douce berceuse. Ses traits se détendirent en un sourire heureux ; il joignit les maius, écoutant, extasié.
*
 «Je t'aime, disait-elle  et sa voix passait, dans l'air embaumé, plus douce que les brises murmurantes et plaintives frissonnant, aux soirs d'été, par les saules tremblants  je t'aime, entends-le bien, cruel enfant qui doutes, je t'aime, oh! plus que je ne puis te dire...
*
* *
 « Je voudrais t'emporter loin d'ici, de partout, dans un pays de rêve, aux horizous vermeils, où nous serious heureux. Seuls. Et les soleils mourants, comme les jeunes soleils, nous verraient toujours beaux, toujours purs, nous aimant. Loin de nous la Vieillesse, la Mort s'en iraient, détournant la tête, nous laissant aux Baisers. Les nuits s'empliraient de parfums; les harmonies de souffles invisibles, bruissant daus les ramures, flotteraient daus leur ombre. Puis des flambées d'étoiles s'allumeraient aux cieux, comme des torches nuptiales, versant sur nous, par les espaces radieux, des ondes de lumière... »
*
* *
 Droite, elle parlait, trausfigurée d'amour, la courtisane pale, aux lèvres rouges, prêtresse d'idéal, dont un rai de soleil, glissant à travers les tentures mal jointes, auréolait d'un nimbe d'or le profil, aux lignes impeccables de marbre grec.
Près d'elle, un grand lys se penchait, achevant de vivre. 
IV
De la fleur pure, un frêle arôme monta, s'exhalant, comme le dernier soupir 
d'une vierge.
 Plus triste alors, avec un sourire navré, elle reprit : « Ce que je t'ai dit là... folles chimères! Vois-tu, enfant, il ne faut pas m'aimer. Tu as peut-être au tréfonds de ton cur de saintes illusious. Tu ne sais pas encore le Mal : tu espères, tu crois. Je ne veux pas qu'un jour de souvenirs mauvais, tu peuses : Celle-ci a pris mon âme. Je la lui avais donnée, naïve et confiante. Elle, la très perverse, la très cruelle, la Femme menteuse m'a laissé, après m'avoir douloureusement meurtri, virant aux souffles froids(des doutes, désespéré, errant saus but daus la vie, en maudissant la néfaste initiatrice... »
Brusquement, il se leva; des reproches en le" yeux, il lui ferma la bouche d'un baiser. Daus son rapide mouvement, il avait brisé la tige du grand lys, qui tomba, s'abattant avec un bruit mat.
* * * 
 Daus le boudoir tendu de soie bleue, aux nuances claires d'aigue-marine et de saphir, où, sur l'étoffe, s'effeuillent des pivoines d'argent, plane la frêle remembrance d'un parfum étrange évanoui, de senteurs hiératiques
Gaston Danville. 
L'auteur a donné pour épigraphe à la première partie de son livre un passage de Scarron, et c'est bien en erlet au Roman comique qu'il nous fait songer souvent. Car si, de toute évidence, la conception de ce roman fut naturaliste, seulement naturaliste, la psychologie précise et l'observation exacte s'y mélangent singulièrement avec uue bouffonnerie qui va parfois jusqu'au lyrisme.
Aussi bien était-ce une erreur d'Albert Aurier de se croire appelé au sacerdoce naturaliste : il se trompait d'église. Je dis «était-ce », ayant tout lieu de présumer que l'auteur de Vieux, aujourd'hui couscient des qualités de son esprit et de ses aptitudes, ne retombera pas daus ce qu'il doit cousidérer maintenant comme une " fiute de jeunesse ». Un tel esprit manque d'espace en cet art nécessairement étroit : atout iustant il en franchit la limite imposée, s'échappe, fuse, et, comme pour se récompeuser de s'être maintenu un temps  le temps strictement obligatoire  au terre à terre de la formule, il vagabonde beaucoup plus loin qu'il fût allé s'il ne s'était astreint à une tâche pour lui ennuyeuse, à quoi il ne se dépeuse pas normalement. Et, on le sent, ces brides-sur-!e-cou enragées le ravissent : il s'égaie alors de tout, même des choses les moius drôles ; il est verveux, persifleur, sarcas tique, fumiste, goguenard, ironique, cocasse ; il pantalonne, il culbute ; et son exubérante joie est si bien un peu folle qu'en l'absence d'un objet de rire  cet objet fût-il la Douleur en personne  il rit tout seul ! Ah ! la délicieuse lecture que serait, en ces années de littérature morose et morne, un livre tout entier de ces écoles buissonnières de l'imagination autour d'une idée! Le malheur est que, greffées sur une < étude ». elles arlequinisent le ton de l'uvre, en cacophonisent le son, et de telle sorte que se produit cet inattendu phénomène : Albert Aurier a d'abord senti et voulu, évidemment, une page sérieuse où s'iuscrirait tout eusemble la faiblesse et la toute puissance de la chair, livre de coustatation triste par couséquent, et le procédé de déformation très particulier a son esprit lui a donné une page des plus amusantes  du moius en tant qu'impression générale.
L'étude conçue, l'idée, y est bien, mais à l'état d'indication plutôt que réalisée, et l'ambiance, le secondaire, le non essentiel y tient trop de place. Ce non-essentiel, en tout cas, est d'une telle exagération de lignes ».t d'une
si vive coloration que souvent l'essentiel, le fond indispeusablement gris puisque « étude », s'obnubile, s'efface presque, semble n'être plus que l'accessoire. C'est aiusi que le père Godenu, principal sujet de l'aventure, appara(t daus un éloignement, silhouette embrouillardée, tandis que de simples objets : Bertha, Cassignol, Tournesol, Coquillart, et jusqu'à cet extraordinaire Mousieur Hyacinthe Thomas, directeur de l'ineffable Conservatoire Libre des Deux-Mondes, se dressent au premier plan et agissent en pleine lumière.
Principal sujet M. Godeau, non pas l'unique pourtant. L'idée du livre n'est pas seulement la graduelle decbéance morale et physique, du jour où il voit la chanteuse Bertha, de ce vieux homme d'esprit droit et d'aplomb, de corps sain, de nerfs accalmis et de murs honnêtes,  c'est encore l'irrésistible attrait et le tout-puissant empire de la Bête. La Bête triomphe du père Godean parce que c'est lui qu'elle a élu, mais elle n'avait qu'à choisir parmi la foule implorante et prosternée des mâles : son pouvoir de fascination est tel, sa seule vue allume si bien les convoitises et les ruts, que tous n'attendent qu'un signe pour s'offrir en pâture. Et comme la Bête est une chanteuse de café-concert et que l'auteur a placé la scène daus une petite ville, à Chàteauroux, Vieux contient, outre quelques notes sur la vie des « artistes lyriques », un tableau de certaines murs provinciales. Il n'est pas douteux qu'Albert Aurier se soit beaucoup diverti à caricaturer les familiers habituels  et partout les mêmes  de la « petite salle » des cafés-concerts départementaux : il y applique une ironie et une humeur des pi a s réjouissantes, et les figures, sous la charge terrible de ce crayon un rien... fumiste, couservent néanmoius leur vérité. J'ai pour ma part très bien connu l'inénarrable poète de clocher Coquillart, le commis voyageur loustic Cassignol, les vieux paillards de célibataires ou de veufs; et je regrette qu'il manque des types à la galerie, par exemple le tiré-à-quatre-épingles employé de la Recette Générale, des Contributious ou de la SousPréfecture, et le bellâtre et paonnant sous-officier de cavalerie, marchef ou adjudant. Tous ces personnages falots, cxtraordinairement déformés, amplifiés parfois jusqu'à l'épique, restent, je le répète, vrais an fond.
Quelques-unes des bouffonneries de ce livre, au surplus, semblent, comme celles de .Maître Rabelais, avoir une signification en dehors de l'uvre, une portée générale : elles deviennent alors affligeantes et poignent
comme l'ignorante placidité d'un homme qu'on saurait devoir mourir le lendemain, comme les scurrilités d'un paillasse qui se couchera saus manger faute de recette, comme la Joie que guette le Malheur embusqué. Je citerai cette scène. Le père Godeau. après la représentation, a emmené souper Bertha ; mais elle lui a imposé la présence de son amant Tournesol, et deux autres personnes encore sont de la petite fête ; de sorte que le vieux homme, affolé d'amour et de concupiscence,mâche sa rage. « Tout à coup, Rertlia se leva de table, et, signifiant à tous, sans nulle périphrase, qu'elle allait simplement où l'appelait certaine naturelle petite nécessité, du caractère le plus intime,elle s'éclipsa,un peu titubante...» Le père Godeau la suit daus un corridor, la supplie de l'écouter: elle s'échappe en raillant . daus la rue claire de lune et silencieuse. Godeau ne la quitte point, et,soudainement audacieux et brutal, lui saisit le poignet: «  J'ai à te parler, Bertha... entends-tu ?  » Elle l'injurie, furieuse, puis se ravise : «  Ah! et puis, après tout, parle si tu veux, mon petit... Mais, pardon, tu sais, je suis venue ici pour faire autre chose que la conversation... Tu permets, hein ?... > Eloignée d'un pas, « debout, les jambes écartées, elle se soulageait, longuement, cyniquement, sur le trottoir... » Et le vieux lui baise dévotieusement les mains,lui murmure des mots tendres, « sans même remarquer l'abjecte et ridicule posture de l'aimée, saus comprendre l'intempestive grotesquerie de pareils soupirs, de semblables baisers, de telles passionnées exclamatious, saus daigner entendre le rythmique clapotement des ignobles cascades qui, railleur accompagnement pour sa chauson«sentimentale, pleuraient, ruisselaient, gargouillaient sous les jupous de la fille....»
Il n'est pas besoin, je peuse, d'iusister sur la signification possible de ce « mythe ".... 
Vii-nx est la première uvre de longue haleine d'Albert Aurier. Il l'entreprit voici longtemps déjà, en 1886, alors qu'il était encore très jeune. Il n'écrira certainement plus de tels livres, où du reste plusieurs de ses qualités deviennent des défauts. C'est un esprit d'une compréheusion merveilleuse en même temps qu'un véritable tempérament d'artiste, et je l'imagine volontiers réalisant en littérature un art parallèle à celui que,le dernier mois.il tormulaitpourlapeinturedaussonbel article sur Paul Gauguin un art idéiste et synthétique,où le geste de l'individu et la vraisemblance cïes fabulatious ne comptent pas.
Alfred Vallette. 
LES XX 
Voici la huitième fois que, fidèles à leurs idées progressives, les XX ouvrent leur Salon d'Art. Cette association de talents aux tendances diverses eut,en Belgique, cet immeuse et incontesté mérite de faire connaître de très notoires artistes,y restés inconnus ou presque,il est pénible de l'avouer: Besnard-- RaffaelliClaude MonetRenoir
 Pissarro  Seurat  Signac  Dubois-Pillet  Anquetin  Henri Cros  Toulouse Lautrec  Gauguin
 Cross  Rodin  Carriès Redon  Bracquemond  Cezanne  Van Gogh  Berthe Morizot  Stott 
Swan  Steer  Thornley  Chase  Whistler  CraneOberlander : on le voit,mieux qu'une pléiade. Ils sont, ici, les seuls représentants en arts plastiques de la formidable poussée en avant qui aujourd'hui balave impitoyablement ceux qui, vaius fantoches, tentent de la braver : des conférences littéraires et des concerts complètent cette courageuse tentative.
Cette année, malheureusement, plusieurs Vingtistes d'un art particulièrement suggestif n'ont exposé,et l'absence de Rops, Rodin, Picard, Schlobach,Van de Velde, est vraiment déplorable.
Néanmoius, l'eusemble reste l'une des plus intéressantes manifestatious d'art que nous avious vues.
Dès l'-entrée, une série de toiles de l'admirable artiste feu Vincent Van Gogh ; nous regrettons qu'on n'ait pas envoyé celles, plus belles, exposées l'an dernier aux Indépendants. Cependant le Semeur est un tableau à la couleur et à l'allure tragiques, le Bouquet d'Iris est d'une merveilleuse splendeur, et le cloisonnisme de Van Gogh semble particulièrement apte à figurer ces étranges fleurs héraldiques. Ses dessins sont très supérieurs à ses peintures, et plusieurs d'entre eux: Fontaine, Dans le jardin de l'hospice, Marine, sont de purs chefs-d'uvre.
Après le très bel article publié le mois précédent en ce Mercure de France, nous ne nous étendrous pas aussi longuement que nous l'eussions désiré sur Paul Gauguin. Notre admiration va très sincère à ce grand artiste, et nous y avious senti ce que M. A. Aurier a éloquemment dit ici même. Ce qui nous a surtout frappé, c'est le côté éminemment décoratif de ses étranges bas-reliefs en bois. (Il y en a trois : Soye^ amoureuses  Soye^ mystérieuses  Des négresses).To\st ce que le vicecon
tient de misère et de souffrances abjectes, de jouissances abrutissantes et de grandeur résignée, se démontre en ce panneau décoratif dont nous ne détestous que l'inSf cnption : Soye^ amoureuses, vous sere^ heureuses, diminue l'impression, donnant un sous exact, déterminé, enlevant la suggestion et créant une façon de rebus. Hélas, que n'est-il quelque veau d'or, un peu moius bête que ses contemporaius, pour employer à quelque grande besogne le génie décoratif de ce prodigieux artiste. Quelques merveilles de poterie émaillée complètent l'exposition de Paul Gauguin.
Le hasard du tirage au sort a mis l'un à côté de l'autre Seurat et Signac. Hasard vraiment heureux, car, tout en faisant éclater la splendeur du procédé de la division des tons, ce voisinage démontre, ce que d'aucuus niaient, la personnalité si différente de ces deux artistes.
Outre son chahut, toile très intéressante mais plus de technique que d'art pur, Seurat a envoyé six études de toute beauté. L'atmosphère est d'une étonnante trausparence, et rien n'égale la douceur des coloratious ; un seul reproche, et ce surtout en son chahut, parfois un peu de sécheresse.
Chez Signac, un éploiement de lumières vibrantes,un étincellement de tous chauds d'une incomparable beauté. De plus, Signac a su rendre d'une façon inconnue les menus mouvements d'eau, les longues et" frêles vagues des rivières, alors qu'en des horizous orange et de feu le soleil s'en va, s'en va en des gloires mortelles. L'op. ao() est à cet égard l'un des tableaux nous ayant le plus impressionné, et tous ceux ayant l'amour de l'eau et du fleuve resteront frappés de toute la mélancolie des souvenirs devant cette si suggestive toile.
L'envoi de Camille Pissarro est vraiment iusuffisant, et nous saluous le maître glorieux d'après ce que nous connaissous de lui et non d'après les quelques toiles qu'il a envoyées.
D'Angrand nous ne dirous pas grand chose, la plupart des uvres actuellement à Bruxelles avant été vues aux Indépendants l'an dernier. Nous citerous cependant une coquetterie: Angrand, en même temps que des toiles datant de 90, en a envoyé une de 85. La distance séparant ces productious est énorme, et très à l'honneur de leur auteur.
Quelques affiches et deux pastels pas extraordinaires rappellent Chéret plulùl qu'ils ne font connaître le tres grand artiste qu'il est.
Deux artistes bien différents exposent aussi en ce si composite Salon : Walter Crane et Oberlander.
Walter Crane est célèbre à la fois par ses illustrations d'album et par la poussée qu'il a donnée, en Angleterre. à divers arts industriels : outre la collection (admirable mais très connue) de ses Albums, il a envoyé deux exquises aquarelles : Pegasus  Flora. Parmi ses Picture books nous mettrous hors pair, et parmi les plus pures productions de l'art contemporain : Pnn Pipes, The Sircus Thrce, Flora steast, etc. ûberlander est, lui, l'incomparable humoriste des Fliegendi: Blattcr de Munich, et celui qu'en le transformant un peu ont imité les Caran d'Ache et Cie. Il a aux XX des albums et des planches d'une gaieté vraiment folle. Les cinq dessius : le chevalier Eisenhart de Blechengen montrant un héros bardé de fer attaqué eu le désert par un couple de lious, qui y laissent leurs dents, sont certainement des chefs-d'uvre de bonne humeur caricaturale. Que dire de ces ironies, qui, bien qu'allemandes et bavaroises, sont très fines en leur ?el spccial: le Sahtt, Au Port d'Armes, les F.Icplumts. Une collection d'albums complète l'envoi.
Nous prendrous maintenant les XX proprement dits Oious avous déjà parlé de l'un d'eux, Paul Signac, élu l'an dernier).
Nous avous déjà signalé quelques abstentious regrettables. 
Parmi les exposants se signalent à des titres divers Minne, van Rysselberghe, Khnopff, Toorop.
Minne, dont, l'an dernier, les étranges et si belles sculptures provoquèrent une explosion d'enthousiasmes et de clameurs dénigrantes, n'envoie cette lois qu'un groupe : Dcu.e honunes, très beau, et un dessin : une mère emportant son enfant mort, la sur suit. Dire la quintessence de misère et de désolation contenue en ce tout petit cadre ne nous est pas possible; toute la douleur maternelle , et pour la petite le désespoir inconscient d'une chose pas encore très bien comprise, sont fixés sur ce frêle papier. Certes, ceux qui affirmèrent qu'en Minne ils voyaient apparaître l'un des plus éraotionnants artistes de l'époque, ceux-là virent bien. De telles uvres cousolent de tant d'autres.
Van Rysselberghe continue la marche graduelle et sûre de ses progrès, mais est actuellement, évidemment, préoccupé du perfectionnement de son métier, qui s'affirme de jour en jour. Sa gloire est d'avoir su, seul jusqu'à présent, avec le procédé du pointillé, créer des personnages vivants, remuants et tenant vraiment daus l'atmosphère. A cet égard, sa grande toile est certes la plus réussie produite par le néo-impressionnisme. Quelque belle que soit sa marine : le Pcr Kiridy, elle n'égale pas encore en lumière, en blondeur, les marines de Signac et de Seurat. Ses dessius Intimité et Cirque sont très beaux. Nous aimous beaucoup moius son Portrait, qui est un peu sec.
Fernand Khnopff est pour la journaillerie locale le triomphateur. Il est la.seule excuse des turpitudes exposées en un local de VEtat qui fait vraiment, là, preuve d'une inexcusable indifférence. Nous regrettons pour M. Khnopll ce concert universel de louanges, mais il faut avouer qu'il semble se l'être attiré volontairement. Par un symbolisme de pacotille, que nous appellerons un simple rébusisme, il a sollicité l'attention; un faire fignolé et méticuleux lui a iustantanément attiré la sympathie d'Israël, qui fut si féru de van Beers (le petit portrait de gamin exposé cette année par Khnoptï n'est pas un médiocre van Beers), quelques jolies tètes qui parurent énigmatiques à des artistes mal reuseignés les séduisirent; mais la co nnaissance croissante des Burne Jones, des Rossetti et des Gustave Moreau a beaucoup diminué l'admiration que ceux-là eurent. Le grand défaut, l'impardonnable faiblesse de Khnopff est sa stagnation. Ce qu'il fait aujourd'hui, il le fit il y a six ou sept aus, et alors il le faisait mieux. Son exposition actuelle est de beaucoup la moius bonne qu'il fit. Nous ne voyous rien à y citer.
Toorop, dont la sauvage nature javanaise ne parvenait pas à s'accommoder au procédé vraiment trop civilisé du pointillé, l'a courageusement abandonné et est retourné tout droit aux tons presque plats à traits noirs. Il a envoyé deux morceaux de premier ordre dont nous mettrous hors pair : En h-rant l'ancre : au fond d'un bateau de pêche qui prend le large (un large dont on voit les émeraudes se briser en opales à l'avant frappé), des marius, des pêcheurs poussent et tirent au cabestan; ce qu'ils sont de leur métier et à leur besogne! Quels autres gaillards que les marins hâleurs de Chariot, sculpteur peut-être très cousciencieux, mais dont on se demande la raison d'être aux XX. Paul Dubois se signale par de très rares dous d'élégance qui font pardonner à plusieurs de ses sculptures leur iusuffisance de personnalité. M"e Anna Boch est certainement la femme peignant le mieux en Belgique; mais c'est de l'art de femme, c'est-à
dire où se découvrent toujours et quoi qu'on fasse certaines influences masculines. Nous citerons également les curieux essais de peinture céramique de Willy Finch, et des dessius de Lemmen. D'autres artistes seraient encore à citer, mais ils ont exposé soit des uvres iusuffisantes, ou bien certaius voisinages leur ont-ils nui. Mais Steer (sauf une bien jolie scène de ballet et une marine), Guillaumin, Filliger, Sisley, sont restés au dessous de l'impression qu'on espérait d'eux. Il en est d'autres aussi dont il vaut mieux ne pas parler.
PtERRE-M. Olin. AU THÉÂTRE LIBRE 
La Meule, pièce en quatre actes, en prose, 
par M. Georges Lecomte 
Encore, toujours du naturalisme, et point de la vérité bien simple. Mais non, ce M. Rousselot, ce papa qui révèle à sa fille, et daus une occurrence aussi peu capitale, que M"Roussclot l'a trompé, qui lui confie en quelque sorte la garde de sa mère pour la durée d'un bref séjour à Paris, ce papalà n'est pas vrai. Et puis la fin de la pièce ne répond point à l'idée que propose le titre : le mariage de Jeanne Rousselot, jeune fille de vingt-deux aus, avec ce vieux beau de M. de Stellanville, l'amant de sa mère et précisément l'homme redouté par son père quand il lui faisait promettre de veiller sur M'-' Rousselot, ce mariage n'est pas absolument inévitable, n'apparaît pas du tout comme * unique solution de la circoustance. Alors, où la Meule? où cette Fatalité qui, daus la peusée de l'auteur, devait planer sur le drame? La synthèse réaliste qu'avait conçue M. Georges Lecomte s'est trausformée à l'exécution en un cas très particulier, un cas quelconque traité selon la dangereuse, la défor.ma*nte, la déplorable méthode naturaliste.
Ramenée à ces proportious, la pièce de M. Georges Lecomte est encore défectueuse, mais au moius elle est debout. Jeanne n'est plus obligée par la force des choses à épouser M. de Stellanville, la Meule ne brore pius son existence : elle se dévoue de son plein gré à sa famille, elle se résigne au sacrifice du bonheur rêvé d'une union assortie.
Cette pièce n'est d'ailleurs point saus qualités. On y voit très bien la faiblesse, le défaut d'entregent. le manque d'initiative du magistrat dégommé Rousselot, réduit pour vivre à Elaider et à donner des cousultatious pour quarante sous;  i coquetterie de M»" Rousselot, sa lassitude de la vie provinciale, son impatient désir de restaurer, coûte que coûte, une situation déchue. La scène entre le mari et la temme.au premier acte, est excellente d'observation. Quant a Jeanne, elle est la jeune fille ordinaire, saus caractère spécial. Et au deuxième plan se silhouettent assez bien la figure falote du vieux viveur de Stellauville et celle d'Edmond Morin, jeune homme positif, pratique, qui songe beaucoup plus à son avenir qu'à conter fleurette à sa cousine Jeanne, mais qui en revanche s'offrirait volontiers la mère.
M. Antoine est toujours absolument parfait en ces rôles de père faible, de mari qui ne porte point les culottes : mais ne l'avous-nous pas vu trois ou quatre fois daus ce même personnage? M. Antoine est capable d'en créer d'autres tout aussi parfaitement, et il serait à souhaiter que les auteurs lui en fournissent bientôt l'occasion. Pourquoi Mû"' Régine Martial, daus la discussion un peu vive, scande-t-elle ses phrases comme son directeur? Daus le présent cas, du reste, les époux s'Cinpruutant souvent de mutuels tics, ce petit travers ne manquait point de piquant. Les autres rôles étaient très bien tenus par M11'-' Théven et MM. Léraud et Grand.
Jeune Premter.piéce en un actc,en prosc,par M.Paul Ginisty. 
C'est une bluelle saus prétention aucune, de la comédie de salon : je serais bien surpris qu'on ne la montât point, cette prochaine seasoa, daus quelques châteaux en mal de cabotinage.  Le vieux Montgerol, qui toute sa vie a joué les jeunes premiers, s'ennuie à dépérir de ne plus recevoir, depuis qu'il a quitté le théâtre,de ces billets doux qui pleuvaient chez lui naguère. MTM' Montgcrul ne se méprend point sur la cause de son sonci, et, pour lui rendre sa belle humeur, imagine lui écrire des lettres enflammées : truc qui réussit jusqu'au jour où la bonne dévoile le pot aux roses.  Cette intriguette, pas très neuve il me semble, est gentiment conduite. Mais, de vrai, sa place n'était guère au Théâtre Libre. L'A»/,';:/ de si femme, de M. Aurélien Scholl, justifiait encore sxprésence là par le risqué de certaines situatious, impossibles ailleurs; tandis que Jeune Premier est possible même daus un pensionnat de ieM'ies filLes...
Interprétation excellente par M. Antoine, qui a fort drôlement donné à Moutgerol la physionomie de Delaunay, et par MM'"" Barny et France.
Alfred Vallette. 
LITTERATURE ITALIENNE 
Don Chisciottiuo, par Salvatore Farina. (Milan A. lîrigola).  «c Ta folie est ancienne, dit l'auteur en s'adressant à son petit Don Quichotte. Déjà, quand tu allais à l'école, tes livres sous le bras, tu te croyais destiné à de grandes choses; et la première fois que tu vis, de l'Histoire du Moyen-Age, surgir la troupe des chevaliers saus peur, amoureux de leur dame et de la justice, tu te jugeas aussitôt pareil à eux, armé, comme eux, en guerre, et comme eux saus peur et sans reproche. » A-t-il été obligé de rosser un de ses camarades, cet enfant prédestiné le relève et lui demande : « T'ai-je fait mal ? » Ces dispositious à la pitié et au sauvetage de ses contemporaius s'aggravent avec l âge. Amoureux, Don Quichottiu emmène s.i belle à la promenade, lui déclare à peu près ceci : « Je vous aime, mais celui qui a des droits sur vous est jaloux de moi, il pourrait vous arriver malheur... *  «Je lcsais, dit Luciette, qu'importe ! » Mais l'homme timide et bon s'entête dans ses scrupules. Plus tard, il entreprend de réconcilier des ménages où la femme se contenterait de cousolations effectives et tierces ; plus tard, de réhabiliter la pauvre Luciette qui a mal tourné ; déjà vieux, il s'offre à rendre l'honneur, en l'épousant, à une de ses nièces victime d'un séducteur et d'un mariage nul, tout en se demandant s'il agit réellement en homme de devoir et de sacrifice, ou si c'est l'amour qui le pousse.
Finalement, il me coûte de le dire, tant le roman est faussé par ce banal dénouement, Don Quichottin se marie. Tel est, résumé en quelques-uus de ses épisodes, le dernier livre d'un humoriste très distingué et depuis longtemps bien connu en France. L'idée seule de ce Don Chisciottino, comme celle d'un roman antérieur, Monsieur Moi, montre un écrivain moius préoccupé de larmes et de rires productifs que de larges et curieuses synthèses. Il est cependant nécessaire de lui reprocher une lâcheuse timidité, une peur de choquer les pudeurs bourgeoises, des aphoriames sur le progrès que M. Bonghi suffirait à émettre, enfin un style qui tourne trop prompt au badinage attendri, ce stvle qui entache de snobisme les créatious de Dickeus. Malgré ces restrictions, que me dicte la naïve sincérité, Don CMsciottino Cfl un livre d'une jolie logique,  jusqu'à la pénultième page,  d'une fine observation. Je le vois, peuplier souple et clair, émergeant de la sc.ha oscura, du vague taillis de la littérature cisalpine, où quelques bous bûcherous  quelques cognées critiques  attendent patients la croissance et la poussée d'un tas de balivaux nains,  et c'est très beau qu'il nous vienne un tel livre d'Italie : il n'en vient pas souvent. R. G.
Les dernières revues italiennes.  A noter, dans la Gazzetta letteraria, de Turin : une curieuse étude de M. Adolfo Zerboglio sur les fous de bibliothèques (/ Mctttoidi in bibliotcca), ces maniaques du livre, compilateurs saus but, copistes par dilettantisme, etc. (n" du at février).  Le no suivant (28 février) donne la conclusion de la très solide étude de M. Rodolfo Renier : Pour l'histoire des arts et du dessin.  Toujours intéressante, la Letleraria se complète par une bibliographie étendue, revue de lecture et iustrument de travail.
Daus la Cronaca d'arte, de Milan (22 février), en citation ces deux vers récemment déchiffrés dans les manuscrits de Léonard de Vinci :
Sichome. vna. giornat.t. benc. spesa. dallieto. dormire. Cosi. vna. vita. bene. vsata. da. lieto. morire.
(Comme une journée bien se passe au doux dormir, aiusi une vie bien se cousume au doux mourir.)
La Critica sociale (Milan) nous convie à un socialisme « scientifique et positif ». Articles sérieux et bien reuseignés. R. G.
LES LIVRES «»
Vieux, par G.- Albert Aubier (Savine) Voir page 233.
Le Pèlerin Passionné, par Jean MorÉas (Vanier). Nos lecteurs de cette revue partagent avec tout le monde le plaisir de connaître ce livre de précieuse essence poétique. Nulle part mieux qu'ici la science et le talent de Jean .Moréas ne sont appréciés, et je n'intéresserais personne en traitant  du moius si rapidement  de questious techniques de composilion. de rhythme et de style.
Je voudrais seulement donner à peuser à propos de la philosophie de cette poésie, de la philosop hic sentimentale de ce pocte.
(Des sentiments peusés, voilà, en effet, ce que vous trouverez au fond de ces subtiles et tendres harmonies, et j'entends mal que bien des geus se soient étonnés de n'y trouver que cela! Le grand malheur de la littérature, c'est qu'elle se sert du même outil, la plume, qu'usitent aussi la psychologie, l'histoire, la trigonométrie... De là une sotte confusion préétablie daus un certain nombre d'estimables esprits moyeus qui, si vous leur parlez d'un non-:cnu pocte, se jettent sur
il) An prochain fascicule : Enhrauecs (Alfred Gauche) : Vingt-einq Sonnets (Paul Dulac); Les Cahiers d ' André Waltcr (uvre posthume) : Les Pharisiens (Georges Darien) : Les Dernières Fêtes (Albert Giraud) ; Poceies variées et nouveaux Chais (Alfred Ruffin) ; Les Aphodélcs (Martin Paoli) ; Poèmes et Ballades de A. C. Swinburne (Gabriel Mourey); Les fusillés de Malines (Georges Eekhoud) ; Le s Adolescents (Daniel de Vcnancourt).
son livre avec l'espérance décidée d'y trouver tout de suite la solution définitive de tous les problèmes de la Destinée. Mais ce chanteur ne sait leur dire que ses propres émotious : son désir et son choix, et le regret qu'il a de laisser fuir tout ce qu'il ne peut étreindre. de l'infini, en un rapide moment d'éternité. L'I les estimables esprits lui gardent rancune de quelque déception qui n'est que de leur fait, et s'en vont. Qu'ils restent, au contraire : au second regard ils percevraient les causes et les résultats, les fius dernières de ces passagères émotious : et peut-être leur apparaitrait, à travers les justes, les providentiels moyeus de l'art, une face jusqu'alors voilée de la Vérité qu'ils cherchent. Hle les toucherait doucement du bout des lumineux rayous de la Beauté.) l.*n profond amour de la vie, une poignante expérience de ses meusonges, une résignation amoureuse encore, et la couscience de ses propres « contre-temps >,  voilà, je peuse, le fonds et le fond du Pèlerin Passionné. A peine ému des premières espérances, le pocte  alors des Svrtes  avait cruellement ressenti combien nous trompent les belles apparences,  et ses premiers accents assumaient une prématurée vieillesse, la couleur douloureuse d'un deuil encore futur; le poete maintenant de ce nouveau livre s'en ressouvient, de cette juvénile erreur, avec une ironie attendrie :
Alors que fê(ais, ô SEmilins, le nouveau Temps, alors que, la feuille de primeraie; Que mon âge allait pius eclairei que l'eau De la sonne matinale en sa riffOlff De gravier : devfs ni son, Frédous comme de tourlres et passes, Weneiihient de mn hanche aimée des Grâces, Mais, soupirer complainte et teuson, 
Vraiment, c'est qu'il prenait alors trop au sérieux la vie et qu'il ne savait pas que la sagesse est de chercher le rire mystérieux qui sommeille au fond du désespoir. Un iustant vient, quand les cheveux vont blanchir, où l'erreur éclate, et l'âme se déride quand les traits vont se rider. Cela ne va guère saus trausitoire tristesse :
O i^ïmilius, pourquoi sur l'agreste flûte, ai-je Dit l'anlomne maligne et le cortcge Des pluies, alors que Flora versait Beau-riante l'étrenne de sa corbeille, Et, d'un tortis. Crprine mes boucles pressait, O iEmilius; et là barbe, à peine, enlour l'oreille Me naissait? 
Le souvenir seul a raison, et la fête de la vie ne se révèle guère qu'au regard détourné, à la barbe sur l'épaule, aux pas vieillissants. Le fardeau des jours peu à peu s'allège, comme si son poids n'était que du nombre déterminé des heures à subir, lesquelles tombent une à une de notre besace : et l'heure de lamenter, serait-ce la vraie de s'éjouir?
L'été, maintenant, grandit l'ombre de mes pas ; 
La mi-été, maintenant, boit la roscs. Ah, n'est-il pas 
Levé, l'astre qui -fait s'ouvrir la fleur tardive Du safran! JËmilius, sEmilius, voici bruire L'heure au L'heure de 
C'est pourquoi :
L'heure au roseau que mon souffle avive, L'heure de lamenter. 
Ore je vous vais dire : La folâtre Amarjjle, et le joyeux Tityrc. 
C'est pourquoi :
Qu'un marmouset pleure, Rious, car c'est Ineurc. 
C'est pourquoi :
Les feuilles pourront tomber, La rivière pourra geler! 
Je veux rire, je veux rire, 
Et l'âme, daus sou secret, qui regrette et tremble, a beau dire :
Je suis si triste, 
Comment rire helas ! et :
Dormir est si doux. 
Que ne mourrous-nous! 
l'expérience, qui est cet allégement de la fin promise, en répondant ;
Ah, la Mort, ah, n'est-ce 
Une menteresse ! 
garde à bon titre le dernier mot, daus cet éternel dialogue, fût-ce avec cette raison de déraison, qui mystérieusement poétise, d'un vague désespoir qui craint seulement que la conclusion garde un lendemain. Ch. M0».
Le Don d'Enfance, par Fernand SÉveiun (Lacomblez, Bruxelles).  L'un des plus charmants poèmes parmi ceux qui composent ce livret de vers débute aiusi :
Mon cur est éperdu des étangs et des bois, Comme s'il les voyait pour la première fois ! Mais je me seus troublé d'une ètranffc science Et mon ccenr est peusif, nulgré ce don d'enfance. 
Etre un enfant : regarder avec étonncment encore la vieille merveille du monde, trouver daus les choses qui semblent mortes aux sages de vivantes et fraternelles analogies, dévoiler en leur ingénuité première la haine et la tendresse, saisir par intuition ce que cache chez les hommes la nécessaire habitude du meusonge, et cependant être un homme auxieux et troublé, qui connaît bien la vanité de ce décor et de ces acteurs et de sa propre peusée, unir en soi cette moustrucuse dualité, ce rare phénomène coustitue le Poète. M. Fernand Séverin a reçu le terrible don, et avec une honnêteté trop scrupuleuse il a révélé le seî*et qu'il eût fallu peutêtre tenir caché. Mais il y aurait bien mauvaise grâce à s'en plaindre ; cela nous vaut une série de poèmes d'une tristesse et d'une douceur infinies, et réellement simples en ce temps où les artistes les plus byzantius prétendent.seuls, en général, à l'ineffable naïveté des primevères et des pétits oiseaux.
L'uniformité voulue du vocabulaire, l'extrême concision des images, la passion latente exprimée par des mots tout en demi-teintes, apparentent directement M.; Fcrnand Séverin avec Racine et Madame Desbordes Valmore; ceux-ci ne se sont point mésalliés en l'accueillant daus leur mélancolique paradis, entre les arbres pâles, sous le ciel de cendre lumineux: car parmi les poètes de notre âge, il n'en est point de plus délicat et de plus pur. P. Q_. 
Les Confesstons, Souvenirs d'un demi-siècle, 18io-18ox>, tomes V et Vi, par ArsÈne Hoi:ssaye i'Dentu). Il y a daus certaius châteaux de ces jolies cousoles Louis XV à pieds de biche dont le milieu est occupé par un panier fleuri, autour duquel tournent des colombes et des nuds de ruban. Hlles sont dorées, recouvertes d'un marbre rosé ou blanc, supportent une glace ornée d'amours .. Saus un mur où s'accrocher, elles s'écrouleraient d'elles-mêmes, car elles ne se tiennent pas debout toutes seules, mais elles sont bien merveilleuses d'aspect. Ajoutez à la poussière du siècle dernier un peu de poudre de riz de la cocotte ou de la grande dame qui les possède actuellement, et ces cousoles, toilettes Wattcau ou socles d» statue provocante, vous donneront peut-être une idée du style d'Houssaye daus ses confessious toujours galantes.
Mais, mon Dieu, que le pénitent qui se confesse a de fatuité !...ct qu'il est délicieux de songer qu'on a dû le tromper quelquefois... L'Arsène Houssaye de ces confessious-là, c'est Almaviva, et j'ai la conviction qu'il ne se flatte jamais.
Hélas, cher Maître, nous avous terriblement marché depuis votre première conquête. Il n'y a plus de société choisie, plus de maîtresses intelligentes (et parlant le style d'Houssaye:, plus de soupers, plus de fêtes vénitiennes, pïus de coups d'état machinés entre un directeur de Comédie-Française ct un empereur gracieux, plus de jongleries avec les bracelets des comédiennes, plus rien pour faire des mots, plus rien pour faire des femmes, pas davantage pour faire des hommes spirituels... Il nous reste nos deux yeux pour pleurer... car vous nous avez tout pris, si j'en juge par la nomenclature de vos exploits d'amoureux et d'homme spirituel... Et vous nous reprochez d'être pessimistes, névrosés I... Mais, cher Maître, a pères trop gais, fils tristes... C'est vous qui êtes un moustre...
***
Le Jardin deBérénlce.par Mai-rice BarrÉs (Perrin etC1».)  Scandaleuse confession, saus doute :  je n'aime pas M. Barrés. Quand je lis un roman de M. Barrés, je crois lire un roman de M. Renan, - - oh ! d'un Reuan bien suréleve, bien au-dessus (saus que cela me donne des seusatious de surélévaiion trauscendante) du pauvre farceur qui a passé sa vie à découvrir des idées anti-religieuses familières aux Allemands d'il y a soixante et quatre-vingts aus. L'ironie de M. Barrés est franche, du moius: elle méprise saus hypocrisie et saus regrets; elle méprise tout, horinis M. Barrès luimême, pêne unique entre les valves de ce monde vain.
Pourtant (c'est vers )a fin du volume et comme en note), un respect est avoué pour l'Argent : « L'Argent, voilà l'asile où des esprits soucieux de la vie intérieure pourront le mieux attendre qu'où organise quelque analogue aux ordres religieux..! » Cette attitude adjuratoire n'est pas chez M. Barrès bien caractéristique : il ne cherche, en la fortune qu'it appète ou qu'i> détient, rien autre chose qu'une condition indispeusable aux eftlorescences de son narcissisme spirituel. Il faut bien. pour vivre, prendre un vague intérêt à soi-même; il y a des devoirs intérieurs; il y a aussi une nécessité trauscendante qui nous oblige à regarder en nous pour voir ce qui se passe extérieurement à nous: mais il me semblerait dur, en ce qui me concerne, de me borner à l'examen incessant (l'un mécanisme toujours identique à lui-même, de regarder les mouvements du locomobile en me répétant saus cesse : » Comme je fonctionne bien ! » De cette admiration, M. Barrés ne se fatigue pas,  ce sont les autres qui se lassent, qui finissent -par trouver inadmissible une complaisance si prolongée. Car.enfin, les talents de M. Barrès  quoique variés, quoique étendus selon une gamme qui va de la causerie intime à l'éloquence parlementaire, du journalisme politique a l'essayismc dilettante et renanesque  ne sont pas de ceux qui justifient l'adminition saus bornes qu'il ressent et qu'il clame pour cette gemme précieuse, sou moi. C'est un genre de littérature : soit, et c'est bien pour cela qu'il nous est permis de le juger et de le trouver iusuffisant, malgré de l'esprit, une manière d'ironie qu'on ne peut nier spéciale, un mode même neuf de blasphème et qui, en ce dernier volume, s'accentue, un dédain justifié pour la fausse tenue morale du bourgeoisisme contemporain, etc. L'homme, enfin, est d'un grand intérêt comme exemplaire bien complet d'un genre inédit de cynisme : c'est un Jean-Jacques aristocrate et bien portant. R. G.
Nota.  Tout ceci est peut-être inexact, M. Barrés ayant la monomanie, comme les femmes, de ne montrer que l'envers ou l'à-côté de sa peusée.
Presque, par Francis Poictevin (A. Lemerre.)  « Gardous-nous d'écrire trop bien » : ce pernicieux couseil, un samedi des années passées, chuchoté par M. Anatole France à Charles Morice, l'auteur des Songes ne l'eût pas compris non plus. Ecrire trop bien, c'est à quoi M. Poictevin passe la moitié de sa vie, l'autre étant réservée à presque vivre les impressious qu'il notera en des phrases d'une musicalité unique d'orgue byzantin. Phrases moius que vibratious, et vibratious si spéciales que peu d'âmes s'y trouvent d'accord. Musique de plain-chant grégorien, tel qu'on l'écoute en une somptueuse église flamande, avec de soudaines fugues de prière exaltée qui planent sur les lignes hautes, se jettent vers les voûtes peintes, avivent les vieux vitraux, illuminent d'amour les chemius de la Croix assombris. Le moine mystique, le vrai moine, le Fra Angelico et un peu le Bonaventure, revit davantage le long des pages de ce Prcsene, de chatoyante spiritualité, qu'en toute la littérature pseudomonastiqne de notre temps. Plairait-elle pas, mieux que de protectrices et fructifères déductious, à l'auteur du Recordarc sanct.r crucis, cette oraison : « Le Christ apparaît ici-bas la plus resplendissante, la plus aimante, la plus absorbée figure de l'éternelle substance, elle embaume de toutes les vertus: elle a les bleus dulcifiants, les jaunes brûlés et clairs de la topaze ou du chrysanthème, les eusanglantements des gloires futures. Et malgré et contre mes rechutes de chaque jour, je m'efforce, scton la parole de Jésus à la Samaritaine, à l'adoration en esprit et en vérité. » M. Poictevin est entré daus le « jardin de toutes les floraisous » que chanta saint Bonaventure,
(Crnx deliciarnm hortus 
In qno florent omnia...) 
et a genoux il a baisé le cur des roses dont la roseur est faite de sang,  le sang du grand Supplice. Pendant que le Matin, jeune homme aux cheveux blonds, livre aux femmes folles sa moite adolescence, il va, vers une paix « ecclésiale », a des messes de solitude, et l'une des grâces recueillies c'est l'imprégnement de son âme parlas lumière intérieure, clanras, cavitas. » R. G.
Femmes et Paysages, par Jean Ajalbert (Tresse et Stock).  M. Jean Ajalbert vient de réunir en un respectable volume tous les vers qu'il a publiés depuis 1880. Si l'on veut bien lui concéder qu'employer le langage rimé et rythmé à donner l'impression exacte d'un paysage, à camper de précises visious de femmes, à détailler l'analyse d'amours bourgeoises, c'est accomplir une uvre poétique, on pourra se complaire à le lire, et beaucoup. Il a du Vers alexandrin à libre césure une science bien mise en valeur par les excentricités de certaines poétiques contemporaines, et ce n'est pas un mince mérite. Quant au fond, une très personnelle ironie, dont l'expression du sentiment est a noter. Mais où M. Ajalbert se montre d'une incontestable maîtrise, c'est daus l'évocation de la banlieue de Paris, dont les moindres aspects nous sont révélés daus toute leur désolante laideur. La Nature, que l'auteur a voulue pour seule iuspiratrice, l'a parfois si rovaïement servi que tel paysage, conçu objectif, devient un véritable paysage d'âme pour la plus grande gloire du symbolisme. E. D.
Une Idylle À Sedom, par G. De Lys (Savine).  Cette I
maigre historiette valait-elle d'être rééditée? L'auteur nous parle que n la presse ourdit la couspiration du silence -> et déposa sur son livre l'éteignoir de la perfidie. C'était surtout lui rendre service. Pour des restitutious il faut quelque ampleur de poème, une acuité de vision quasi-géniale et divers dous de nature qui ne sont point remplacés par l'habituelle dédicace a Flaubert. L'intrigue enfantine effarouche moius ici, d'ailleurs, que le style odieusement pompier, paraphrasant le mauvais Chateaubriand des Natchci et plusieurs feuilletonnistes :  O rage! Pmirquoi >n as-tu fait épargner cet infâme!  Le fil s de Un te! a parlé!..., etc.
Qjiant à l'érudition, c'est celle de tout le monde, avec un Lenormand et un Maspéro sous la main. M. de Lys ignore jusqu'à la s-éritaMe situation de Sodome, au Sud de la Mer Morte, au point que les Arabes appellent Sdoum, et dont les ruines informes subsistaient lors du voyage de M. de Saulcy (1851 . M. de Lys place Sodome près du Jourdain, c'est-à-dire au X. du lac Asphaltite, et l'a peut-être confondue avec Gomorrhe? C. M.
Petnes de cur, par Jeav Surya (Vanier).  Il y a bien du cur daus la littérature contemporaine. Maupassant, Bourget, Champsaur, Peladan  et qui?-' et qui?  exploitent ce viscère daus leurs titres. M. Surya le choisit aussi. Sait-il pourquoi, et qu'il subit l'influence déjà surannée d'une école qui n'a pas grand âge? Faibles vers, parfois m'auvais tout court, parfois ou souvent. D'aimables exceptious, tels :
Et mon cur souriait au travers de ses pleurs, Car vos j'eux étaient bons et vos yeux étaient doux Et moi qui refusais de ployer les genoux., Le tonlicnr m'a vaincu bien mieux que la douleur. 
Que valent ces vers, isolés?  Daus le livret ils sont bous.
X.
La flûte à Siebel, par Max Waller. (Lacomblez, Bruxelles).  Les pièces en vers octosyllabiques de ce recueil sont d'un sentimentalisme mi-triste, mi-folichon, qu'essayé eu vain de relever une petite pointe de paillardise. Elles furent évidemment composées après boire. La rée,le science de leur facture parnassienne, ô combien! n'en justifie pas la publication, d'ailleurs posthume, et due à des amis dont la clairvoyance n'a certes pas égalé la piété. E. D.
Tête d'or (Librairie de l'Art indépendant).  Par une modestie quasi-divine, l'auteur n'a point signé son uvre, un drame étrange et visionnaire, où de mystérieuses figures, Tête d'or, Cébès, la Jrincesse, l'Empereur, représentent l'avènement des rustres aventureux, la lassitude de ceux qui peusent, la pitoyable déchéance des races anciennes, tandis que des images tumultueuses  souvent nouvelles évoquent le spectacle des victoires et des déroutes emportant les foules serviles vers les rapines et vers la mort. P. Q.
Marat tnconnu, l'homme privé, le médecin, le sxranl, 
d'nprès des documents nouveaux et inédits, par le Docteur Aug. Cabam'-s (Genonceuuxi.  Mademoisetle de Corday. cette blonde Normande aux yeux hallucinés, eut grand tort de poignarder Marat,  daus cette baignoire qui était la coquille de colimaçon de l'Ami du peuple. Elle eut tort, d'autant plus que, iusinuée par le hasard entre les familiers de Marat. elle aurait aussi bien pu en assassiner un autre, même le beau Barbaroux; et puis, elle activa, par cet ai te incousidéré, une apothéose qui se serait difficilement érigée aux hauteurs voulues: d'un simple Chabot, d'un simple Hébert, elle fît un martyr destiré aux bustes couronnés de crêpe, aux biographies pieuses : - mais le peuple, qui se choisit ses saints, n'a jamais que ceux qui le portraiturent, qui le synthétisent. Saus la folle Charlotte, donc, Marat serait différent, presque inconnu; c'est cet inconnu que le Dr Cabauès exhume, le Marat physicien, médecin, chimiste, droguiste et un peu charlatan. Le livre voué à cette tâche est tort bien composé: avec science et persévérance toutes sortes de documents curieux sont coordonnés et pressurés jusqu à ce qu'en jaillisse un personnage nouveau. Le Dr Cabanés avoue une certaine sympathie pour son Marat, mais il l'analyse saus nulle passion politique, aboutit à une excellente étude de biographie scientifique,  ce dont il faut le louer, saus rancune pour le sujet choisi. R. G.
Le Bonheur de Mourir, par Auguste Chauvigke (Ollendorff).  Un vieux beau de l'armée française séduit une jeune tille. Tout naturellement, ce général possède un (ils qui s'éprend de la même jeune fille: de là, combat, tirades, torsion de cur et torsion de nerfs. Le jeune homme part pour le Tonkin, désespéré : la jeune fille meurt de cousomption avec autant de joie qu'on peut en mettre à mourir de la sorte. Roman faux d'un bout à l'autre, mais qui se rachète par de jolies descriptious féminines, point décolletées du reste. François Coppée peut s'en permettre la lecture ! ***
Le Dernier des Ctarencteux, par Oimda (Perriu et C'). Une adaptation ou une traduction de roman anglais, faite avec une telle négligence que très souvent les phrases ne finissent pas, laissant le lecteur perplexe devant les non-sens les plus baroques. L^ style est soutenu... comme imbroglio, exemple cette phrase étrange prise au hasard daus ce livre énorme, une histoire en deux tomes : « Il marchait saus bruit, saus s'inquiéter de la neige qui tombait sur sa tête nue, de l\'tpi'c cvw/ dn nord qui soufflait comme une bise glacée. »
ll s'agit de la grandeur et de la décadence d'un grand seigneur anglais qui se fait la victime volontaire d'un frère bâtard. Il y 3 une vengeance commencée par un garçon de sept aus qui dure trente aus. Le reste a l'avenant ! Quand on veut écrire des romaus pareils, il faudrait au moius se souvenir que Paul Féval avait du génie. ***
Talleynad. Mémotres, Lettres Inédites et Papiers secrets, aecompagnés de notes explicatives, par Jean Gorsas.  Il ne s'agit pas des fameux Mémoires tant et depuis si longtemps attendus, mais d'une correspondance inédite, de trouvailles daus les Archives des Affaires étrangères et les Archives nationales, de curieux rapports de police. « Tout cela, dit l'auteur daus un Avant-Propos, rassemblé, relié par une documentation biographique et des annotatious sérieuses, nous a permis de mettre en relief un Tallcyrand peu connu, qui éclairera certainement et complétera les Mémoires dont te duc deBroglie nous donne les deux premiers volumes. »
La Négra. par Fr. Tusquets (Savine).  Murs espagnoles, on mieux murs de feuilleton espagnol, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Une jeune fille, la Nègra (aiusi nommée parce que son teint est d'une blancheur extraordinaire), épouse un vieux général et le trompe avec le neveu, presque l'obligé, le fils adoptit" de son mari. Comme on le voit, la donnée semble furieusement française. Vengeance d'un fou qui tue enfin l'amoureux après la mort de l'amoureuse et mille péripéties extravagantes. Bon roman pour les concierges lettrés. De temps à autre, un aperçu sur l'existence de D:'eu et un pur rcgalia ou un non moius pur havane fumé en l'honneur de la morale. A part le personnage d'un prêtre qui ne sait pas le latin, tous les compagnous de la Ncgra manquent absolument d'originalité.
La Banque Aattonale de France, par E ni; Wiirbrouck  Saviue).  Opuscule d'un intérêt tout spécial, où l'auteur expose une combinaison de recoustitution de la Banque de France. X.
CHOSES D'ART 
MusÉe Du Louvre. M. J. Maciet vient de faire au Louvre tm don important : un grand Calvaire sur fond doré, du commencement du XV» siècle (offrant certaius rapports de ressemblance avec le panneau du Mai'ti'rc de St-Denis que possède le musée) et un tableau allégorique appartenant à cette école de Fontainebleau encore si mal représentée au Louvre.
On parle actuellement de la création d'une salle spéciale des Primitifs français. Le Musée de Cluny abandonnerait au Louvre les tableaux de l'Ecole Française antérieure à la Renaissance qu'il possède. Voilà un projet excellent. Quand le réalisera-t-on?
A voir :
Chez Dumont, 27, rue Laffitte, des lithographies de Manet, Je Redon, des eaux-fortes de Wisililcr. 
Chez Delarebeyrette, 52, rue Luffitte, des Monttcelli. 
Galerie Lambert, rue de Châteaudun, des Guillaumitt, Rtffaelli, Montieclli. 
Chez Thomas, boulevard Malesherbes, un portrait de femme d'Anquetirt, une Avenue de peupliers d'Emile Bernard, un portrait de M»>o C. de Schnffenecher, un Lautrec. 
Chez Bachereau, rue Le Peleticr, 26. une tapisserie du XVe siècle représentant un épisode du siège de Troie, et une autre tapisserie un peu postérieure représentant un mage avec « En ro«.< en est » en devise.
Chez l'éditeur Vanier. Vient de paraître daus Les Hommes D'aujourd'hui Odillon Redon, texte de Ch. Morice, dessin de Schuffenecker.  Prochainement Çcsannc ^dessin de Pissaroi.
G.-A. A.
Échos divers et communications 
Notre collaborateur Laurent Tailhade, interviewé par M. Jules Huret, a formulé de façon piquante son opinion sur le mouvement de la littérature contemporaine (EcHO DE Paris du 6 mars 189i. Enquête sur l'évolution littcraire}. Nous reproduisous ci-dessous cet entretien.
J'ai rencontré hier, par hasard, Laurent lailhade, et comme je lui soumettais mon projet d'interview, il acquiesça sous cette réserve que je placerais son opinion partout ailleurs que parmi celles des poètes : «Ces genslà, comme dit Rivarol, ont reçu leur cerveau en gosier».
Voilà pourquoi je classe ici ma conversation avec l'auteur d'An Pays ihi Mufle, conversation que je reproduis sténographiquement, saus commentaire.
 D'abord, dis-je, le-naturalisme est-il fini?
 C'est-à-dire que Zola ne fera plus que continuer dans sa formule. Quant à ses successeurs, ils se sont vus forcés de chercher d'autres éléments que l'observation quotidienne de la vie sur le trottoir. Lorsqu'on eut noté tous les propos des blanchisseuses et des égoutiers, on s'est demandé si l'âme humaine ne chantait pas en d'autres lyres. Comme la fréquentation des geus qui se servent de brosses à dents et à qui l'usage des bains est familier répugne aux romanciers expérimentaux, ils ont dû s'adresser à d'autres couches sociales rudimentaires. M. Daudet ayant casé son fils et s'étant assuré l'héritage des Concourt, M. Zola postulant l'Académie, les jeunes disciples de ces maîtres inventèrent le roman slave et le drame norvégien, saus compter le parler belge qui est le fonds même de leur quiddité littéraire. Ils ont mangé de la soupe aux choux fermentés avec les paysaus de Tolstoï, découvert, avec M. Hugues Le Roux, les jongleuses foraines, ces surs d'Yvette Guilbert  et surtout créé, avec Méténier, les rapports de police accommodés en langue verte
 Quels vont être leurs successeurs ?
 Il me paraît que l'évolution sera partagée nettement entre deux catégories, c'est-à-dire : les jeunes hommes qui, n'ayant aucune fortune ni métier avouable daus la main, se destinent à un riche mariage, ce sont les psychologues; puis ceux à qui suffit l'approbation des brasseries esthétiques et d'intermittentes gazettes , ce sont les symbolo-décadents-iustrumento-gagaïstes, à qui le français de Paul Alexis ne saurait plaire et qui le remplacent par un petit-nègre laborieux.
Un peu « estomaqué», comme dirait M. de Concourt, par cette sortie inopinée, je demandai à M. Tailhade, avec un léger ahurissement :
 Vous n'êtes donc pas symboliste ?
 Je n'ai jamais été symboliste, me répondit-il. En 1884, Jean Moréas, que n'avaient pas encore élu les nymphes de la Seine, Charles Vignier, avec Verlaine, le plus pur poète dont se puisse glorifier la France depuis vingt-cinq années, et moi-même qui n'attribuai jamais à ces jeux d'autre valeur que celle d'un amusement passager, essayâmes sur l'intelligence complaisante de quelques débutants littéraires la mystification des voyelles colorées, de l'amour thébain, du schopenhauérisme et de quelques autres balivernes, lesquelles, depuis, firent leur chemin par le monde. J'ai quitté Paris et vécu de longs mois en province, trop occupé de chagrins domestiques pour m'intéresser à la vie littéraire. Ce n'est qu'accidentellement que j'appris l'instrumentation de M. Ghil, les schismes divers qui déchirèrent l'école décadente et-les démêlés de Verlaine avec Anatole Baju.
 Du symbolisme lui-même, que peusez-vous ?
 Mais de tous temps les poètes ont parlé par figures! Depuis Dante et la Vtta NiioÎ\i, depuis même toujours, ceux qui composèrent des poèmes ont été symbolistes! Pourtant, il faudrait s'entendre. Si l'on désigne par symbole l'allégorie et la métaphore, il y en a partout, même chez Nicolas, qui montre le Rhin appuyé d'une main sur son urne penchante
Mais, de vrai, les symbolistes, qui n'ont aucune esthctique nouvelle, sont exactement ce qu'ont été en Angleterre les euphuistes, dont le langage a laissé de si détestables traces daus Shakespeare ; en Espagne, les gongoristes dont le parler« culto » sigilla toute la poésie des siècles derniers, depuis les « agudas » amoureuses de Cervantès jusqu'à la glose de Sainte Thérèse : « Yo muero porquc no muero » (i); en France, la Pléiade an redoutable jargon, continué par les Précieuses, que railla et pratiqua Molière ; en Italie, les secentistes fauteurs de si terribles pointes, le cavalier Marin, l'Achillini et tant d'autres : « Sudate o focchi a preparar metalli ! » (2).
 En voulez-vous donc aussi aux archaïsmes ?
- Les archaïsmes des ronsardisants modernes ont été fort agréablement raillés par Rabelais, pour ne rappeler que des souvenirs nationaux (car s'il faut en croire Suétone, Auguste reprochait à son neveu Tibère ce genre de cruauté). L'Ecolier Limousin ne parle pas d'autre sorte que les plus accrédités poètes de notre temps :
« Nous trausfretous la Séquane au dilicule et au crépuscule ....nous cauponizous és tavernes méritoires
nous inculcous nos vérètres és pudendes de ces meretricules amicabilissimes... m'irrorant de belle eau lustrale, élue et abstergc mon anime de ses inquinament; nocturnes. »
La Collantine de Furctières et les amis de Gombault faisaient paraître le même stvle. Il fallut que Malherbe vînt et bifïàt tout son Ronsard pour détourner le goût français de ce3 chemins rocailleux. Le principal effort des jeunes littérateurs contemporaius cousiste, comme je le crois, à découvrir la Pléiade et à la traduire en moldovalaque.
Récemment, Barrés inventait Ignace de Loyoln,auquel il voulait bien reconnaître des mcrites égaux à ceux de M. Deschancl. Je ne désespère point, avant ma mort, de rencontrer un hardi novateur par qui nous seront appertes les Oraisons funèbres, et qui nous fera savoir qu'il existe, sous le nom d'Athalte, un drame assez honnêtement charpenté.
 Vous avez lu le Pclcrin Passionne ? 
 Et je suis passionné pour ce pèlerin, encore que la facture moius inattendue des Cantilènet et des Syrtcs, par quoi nous fut révélé Jean Moréas, s'accorde mieux à mes habitudes spirituelles et me laisse goûter sans effort les riches trouvailles de ce glorieux artisan. Sous le même titre (Passioned Pilgrim), Shakespeare écrivit un poème qu'ont fait oublier la Tcmpclc et le Roi Lear. Jean Moréas, dont les lectures s'étendent sur diverses
(1) Je me meurs de ne pas mourir!
(2) Suez, ô feux, à préparer les métaux!
nationalités, favorisa le grand Will daus le choix de son titre, mais pour cousoler nos nationaux emprunta au vieil Rutebeuf « le dict Su chevalier qui se souvient », sans compter les grâces vendômoises dont je vous parlais tantôt.
Quel avenir accordez-vous à ces deux écoles nouvelles : les psychologues et les symbolistes?
 Ceci est plus sérieux : je crois que le premier poète qui, daus la langue savamment préparée par nos devanciers du Parnasse et par les écoles contemporaines, exprimera simplement une émotion humaine, et pleurera d'humbles larmes en racontant que sa bonne amie lui a fait du chagrin, ou qu'elle a cueilli des pervenches sous les arbres en fleurs, sera le maître indubitable des génératious d'artistes qui viendront après lui. Entre Musset et Verlaine, toute voix sincère avait fait silence, étoullée par les rugissements méthodiques de M. Leconte de Lisle, ce bibliothécaire pasteur d'éléphants. Cette circonstance est pour expliquer la fortune saus précédent mais non illégitime de Sagc'ssc et de la Bonne Chanson. 
Quant aux psychologues, MM. Bourjet et Barrés ayant contracté d'opulents mariages, l'école a certainement accompli sa destinée, tout aussi bien que le héros Siegfried, quand il eut reconquis le fameux anneau.
 Quelle est doue votre formule littéraire, à vous ?  Je vous le dis tout de suite :
Je cousidère que, lorsqu'on n'est point un sot, ni un bélître, ni un pion, ni un quémand, l'art de laire des vers est la manifestation intellectuelle d'un eusemble d'élégance qu'à défaut d'autre terme je qualifierai de dandysme, nonobstant l'abus qu'on a fait de ce vocable, éculé par les génitoires de Maizeroy et le pied de Péladan. Je réprouve donc toutes les exhibitious foraines ou mondaines qui assimilent le poète à un phénomène ou à un cabotin, et je n'aime pas plus les veaux à deux têtes des parlotes symbolo-décadentes que les Vadius des salous basbleucsques où Jean Rameau gasconne ses pleurardes inepties.
Voilà.
Avec Théodore de Banville disparaît le dernier héritier immédiat de cette  pour nuos du moius  fabuleuse époque de 1830. Bien des écrivaius de ce cycle nous sont indifférents, quelques-uus même iusupportables, mais le poète des Odes Funambulesques et de tant de délicieuses fantaisies res
tait, reste un de nos maitres aimés. Nous nous associous pieusement au deuil de sa famille.
Nous apprenous la mort de M. Louis Germain, jeune poète auteur d'un François Villon représenté naguère au Théâtre Mixte (depuis Théâtre d'Art), pièce un peu jeunette où s'annonçait toutefois un tempérament d'auteur dramatique.
Deux coquilles  deux! ô vandales de typos!  détorinent de la plus regrettable façon Les Quarante Heures, de Barbey d'Aurevilly jno de mars). Au lieu du charabia qu'on lit p. 129, II. I et 2, il faut lire : « De tous les jours que l'année, cette joueuse au cerceau... » Ces coquilles ne sont dailleurs point les seules, hélas! et nous publierous désorinais une liste d'errata daus le dernier fascicule de chacun de nos tomes.
Voici un nouvel hebdomadaire illustré : Le Messager Français (18, rue Va vin. Secrétaire de la rédaction : LÉon Perrin; administrateur : M.\nn:s TrÉbla). Article de Jules Renard, Nouvelle et poésie de Marcel Schwob, Chronique musicale de Willy, etc. Dessius de A. Calbet, Lebègue, E. Rousseau, Camille Langlois.  Nos meilleurs souhaits au nouveau-né.
Réunion particulièrement intéressante, le 7 mars, à l'Auberge des Adrets. Parmi les Tètes dehois présentes : Bracquemond, Charles Morice, André Lemoyne, Armand Renaud, Léveillé,Coustantin Leroux, Paul Gallimard, Comble. Présidence de Jean Dolent. La petite l'éte recommencera le 6 avril.
Pour paraître prochainement: La Chanson du Grillon (Premières Chausous), par Ed. Teulet, i vol., chez l'éditeur E. Meuriot.
La dernière livraison de La Soctété Nouvelle (Bruxelles, ;2, rue de l'Industrie.  Paris, A. Savine), revue internationale, où la littérature et l'art occupent une large place, donne la fin d'un bon article sur Oiiilon Rctlon, par Jules Dcstrée.
Le Magasin Littéraire (Gand. Président du Comité de rédaction : Hermann de Baets: secrétaire : Jean Casier.  Paris, A. Savine) publiera daus ses prochaius fascicules : Villicrs eie l'lslc-Adum (Henry Bordeaux); La Chevalière de la Mort (Léon Bloy) ; Un Fragment de Ruysbroeck l'Admirable (Maurice Maeterlinck), etc.
Chez E. Bouhaye, 31, rue de Chabrol : Le Sillon, revue meusuelle, littéraire et artistique.
Mercvre. 
Le Gciant: \. Vallf.tte. Vanves.  Impr. Camille Dillet, 97, route de Ctamart.
PORTRAIT INÉDIT DE GUSTAVE FLAUBERT
D'APRÈS SON BUSTE PAR CLÉSINGER
Quelques mois après la mort de l'auteur de la Tentation de Saint Antoine, un «Comité Flaubert >/ se forma,  avec, entr'autres, MM Tourguéneff, d'Osmoy, de Concourt, de Maupassant,  pour faire exécuter un buste de Flaubert et l'offrir à la Bibliothèque de la ville de Rouen. La famille du romanciers'était, paraît-il, adressée à M. Guillaume, lequel abandonna ce projet pour se cousacrer à la création toujours attenduedu chapeau de Napoléon I"'. A ce moment Clésinger proposa au Comité un buste qu'il achevait de modeler. Malgré les efforts de M. de Maupassant (i), il ne
(il Il écrivait a Clésinger : « Sarlrouville, 26 avril, j8, quai de Seine.  Je n'ai pu, malheureusement, obtenir du comité pour le monument de Flaubert ce que j'anr.iis voulu. J'ai expliqué à Madame *** où les choses eu étaient : le buste du maître ayant été commandé à M. Guillaume par la famille, je pensais que le comité ne ratifierait pas ce choix, et, dès lors, il devenait facile de vous prier de vous charger d'exécuter ce buste.
Tonrguéneff, à qui j'en avais parlé, a proposé au comi'.é de nommer quelques-uus des membres qui se rendraient en votre atelier; mais la crainte d'amener des complicatious pénibles. de soulever des difficultés de toutes sortes, a décidé la majorité à accepter le fait accompli et à ratifier le choix fait par la famille.
J'ai été fort ennuyé de celte résolution.. .
... Je m'empresserai, Mousieur, de me rendre à votre invitation et d'aller causer avec vous et vous apporter mes souvenirs sur mon cher et grand ami... »
.
fut pas donné suite à ce projet, et le Comtte  se perpétuant jusqu'à nos jours  ne sorttt que récemment de ses hésitatious en commandant a M Chapu la chromolythographie en bas-reltet qu'i s'inaugura à Rouen l'été passé, sous une pluie salutaire.
Depuis, l'uvre de Clésmger, energtque et de haut idéal, ce portrait d'un Flaubert compagnon de Rollon'et dévastateur des vieillesrhétoriques,  est restée en les maius de personnes qut l ont couservée comme souvenir. Telle l'ortgtne de ce buste que le Mercure de France est spectalement et uniquement autorisé à reprodutre.
R. G.
MAL VEILLANCEM 
Quelques brèves lignes en tête de ce recueil, il y a dix-sept mois, exposaient que, d'aventure, et entre autres matières qui pourratent aussi bien être iusérées ailleurs, il s'y publierait des articles asscç hétérodoxes pour n'être point aecuetllis par les feuilles qui comptent avec la clientèle. A défaut d'un but plus noble, c'était comme un programme : on nous en reproche aujourd'hui l'exécution. Jamais plus nous n'avous reparlé de nous depuis lors. Nous sommes si peu geus à manifestes que la discrétion des «Mercurieus»  une naïveté saus doute en ce temps de puffisme  est passée en force de chose jugée daus de hauts milieux littéraires. Mais la... vio1ence à notre égard d'une éminente personnalité de la presse nous oblige, pour un court moment, à changer d'attitude. Au reste, nous ne sommes point de murs «engueulantes»  une sottise peut-être : nous nous distinguous en cela de tant d'autres, et c'est encore une justice qu'on nous rend.
Je prie qu on remarque que je ne vieus pas défendre et justifter il n'a pas à l'être M. Remy de Gourmont, un lettré rare, esprit spéculatif un peu métaphysique, dont l'ordinaire souci est à mille lieues du sujet qu'il traita le mois dernier. Il a même fallu que la comédie patriotique se manifestât par de bien véhémentes clameurs pour être perçue du nuage qu'il habite, et où il était déjà remonté quand M. Nestor le vouait, daus L Echo de Paris du 26 mars, à un genre de supplice tel qu'il « envierait alors les damnés du Dante. » La pénitence est douce. Je désirerais seulement remettre les choses au point.
D'abord, le fond même du débat : il ne s'agit
(i) Ces quelques pages étaient composées quand M. Nestor publia, daus L'Echo de Paris, son article : Les Jeunes et les Vieux. 
nullement de Vidée de patrie. Encore que cette idée-là soit assez peu «excitante», d'un intérêt relatif et infmiment au-dessous M. Nestor le concède  de l'idée d'humanité, très permise à l'heure actuelle, elle n'est pas en question, en tant du moius qu'abstraction dégagée des soi-disant nécessaires préjugés contemporaius. M. Camille de Sainte-Croix l'a bien compris (La Bataille du 29 mars). Après avoir précisé l'économie de l'article de M. de Gourmont, il conclut :
« II n'y a là motif à aucune ligue pour ou contre f l'idée de patrie. Ces raisous vont plus haut. » D'autant qu'avec lui encore nous répétous :  " Tous les Français gardent une solidarité nationale. " Faites la guerre et nous partirous. Mais si vous f. ne la faites pas, ftchez-nous la paix.»
Et M. George Hère daus le Constitutionnel  !e sage Constttutionnel  ajoute :
« Ce dilemme n'a rien de subversif; il est sim" plement imbus du bon seus français, cette vertu f. dont on parle toujours et qu'on n'éprouve f. jamais... La vision de M. Je Gourmont est plus f. seusée certainement, et plus noble je crois, que «. celle de M. Déroulède.»(t)
Ce même journal a très axactement défini le mobile, d'ailleurs patent, du signataire de l'article tant incriminé : l'attitude indécente des revanchards quand même. De plus, et il n'est pas le seul, M. de Gourmont n'estime pas du tout la fameuse revanche indispeusable au bonheur de l'humanité. Mais fût-on partisan d'une nouvelle guerre, admît-on avec La Bataille, ce qui est soutenable à un certain point de vue, que « le besoin de revanche n'est même pas discutable », de quel il contempler les pitreries de ces étranges énergnmènes toujours prêts à partir, jamais partis, et q.ui compromettent une fois par mois la sécurité publique? On finit par en rire : ils rappellent inviuciblment ces cocasses personnages de l'opérette
(i) Voir également La Chronique du n avril (Bruxelles).
d'Offenbach, qui, un quart d'heure durant, saus bouger d'une semelle, chantent avec énergie : «. Détalous et fuyous ! Détalous et fuyous !...» Ah ! combien se trompe La Cocarde en disant que M. de Gourmont a « tourné en ridicule ceux dont «. la peusée est coustamment orientée vers l'Al« sace-Lorraine ! » II n'a que noté un fait. Ce n'est pas sa faute, pourtant, si ceux-là grimpent sur les tréteaux, hurlent et gesticulent, au lieu de se préparer daus le recueillement à l'uvre souhaitée. La perspective d'une conflagration de deux millious d'hommes, de l'arrêt ou de la rupture de tous les rouages sociaux, est certes très folàtre et justifie surabondamment le « caractère français », le « vieux sang gaulois >/, les vrais patriotes enfm de leurs... exubérances innocentes facéties pour égayer la longue veillée d'armes. Et la farce tapage si fort, atteint de telles hauteurs daus le grotesque et s'offre d'une si franche drôlerie, qu'ils sont en effet bien étonnants les esprits assez chagrius pour ne s'en point divertir. Conçoit-on ces geus moroses saisis d'une nausée rien qu'à ouïr les lointaius éclats de la parade, et qui ne regardent pas à se faufiler parlespetites rues, quittes à beaucoup allonger leur route, afin d'esquiver la place où paillaissent, bobèchent et fantochent les délicieux revanchards !... Une belle musique est vite iusupportable une fois en bobine daus les orgues de barbarie, de fervents admirateurs de la Marseillaise  goût point blàmable en soi  ne peuvent plus l'entendre depuis qu'on en a tant mésusé : trop d'Amiati ont braillé et braillent encore la Revanche pour que nous soyous les seuls, nous cp'on dénomme d'une lèvre méprisante les « raffinés », à peuser aiusi. L'eusemble des écrits provoqués par l'article de Remy de Gourmont le témotgne de reste. On n'est pas patriote de ce patrtotisme-là ; quotidiennement grossit le nombre de ceux qui se débarrassent de ce « virus » nouveau, « nouveau, oui, sous la forme épaisse qu'il assume depuis vingt ans >/.
Or, où l'idée de patrie en tout cela? Comme M. Nestor, mais avec courtoisie au moius, L'Eclair, M. Edmond Lepelletier daus Paris, M. Antoine Salvetii daus Le Pays, M. Vielé-Griffin daus les Entretiens Politiques et Littéraires, déploraient donc à tort, implicite ment ou apertement,queM.de Gourir.ont s'en prît à l'idée de patrie : ce n'estque presque exact. Mais encore, M. Octave Mirbeau n'imprimait-il pas naguère daus L'Echo de Paris, à propos de l'incident Renan-Goncourt, que les paroles attribuées à M. Renan décelaient  je reproduis de mémoire  « une hauteur de vues fort « louable chez quiconque ne vit point daus l'at« mosphère intellectuelle de M. Déroulède »? Et M. Camille de Sainte-Croix, en son article précité de La Bataille, met le sentiment public de la partie : « Le récent débat soulevé par M. Renan f. contestant à E. de Concourt l'authenticité de « certaine relation d'un dîner littéraire où l'auteur * de la Vie de Jésus se serait élevé contre l'idée « de patrie, a prouvé que l'étonnement public « était non pas que M. de Concourt eût arbitrai« rement rapporté ces choses, mais que M. Renan « s'indignât de les voir rapportées. » Parlerai-je enlm de la Crifica sociale, de Milan, qui s'empoigne avec l'idée de patrie et l'appelle « la carcasse d'un idéal putréfté » (t).
Que de bûchers ! Que de potences !
Mais M. Nestor lui-même risquerait fort d'être pendu, car le début de son article émane le parfum de cette hérésie qui nous vaut la hart. Il y semble déclarer : « Au fond, je suis -parfaitement « de votre avis ; mais on ne profère pas ces cho« ses, sinon entre dilettantes  mes amis et moi « pour tout dire  et surtout on ne les publie « pas, parce qu'elles sont un danger public. & Opinion judicieuse à coup sûr, qui toutefois s'applique mal à notre espèce et à quoi il serait peut-être intéressant de répondre par un chapitre intitulé :
(i) Voir aussi L'Egalité du 7 avril (A. Hamon).
Du droit au dilettantisme en l'an 1891 et de ses dangers au point de vue social. Je passerais sur la réjouissante prétention de M. Nestor à l'accaparement du dilettantisme
A"«/ naitra de l'espril hors nous et nos amis 
si je ne tenais à dire un mot sur cette qualiftcation de Jeunes qu'à tout propos on nous lance avec dédain. Oui, des adolescents qui joueraient le dilettantisme seraient des poseurs, des illusionnés ridicules ou d'imbéciles jobards ; mais, enfin, si nous n'avous ni l'âge, ni l expérience, ni saus doute  bien qu'il ignore Laforgue,que nous savous par cur  l'universalité de connaissances de M. Nestor, nos seize aus sont loin ; nous avous sufftsamment pratiqué nos semblables, beaucoup vu, retenu un peu, jeté sur le monde assez de coups d'il pour nous en former une idéepoint fière à parler n-et. Et peut-être que de la douzaine que nous sommes l'un a pu tout de même aboutir au dilettantisme, à celui qui est daus le domaine public, puisque aussi bien M. Nestor en possède un breveté S. G. D. G.
Quant au danger « d'exprimer des idées qui « sont cependant justes, qui devraient assurer le
« bonheur intellectuel de sages délicats en un
« mot, de pratiquer l'aristocratie des opinious », il est indéniable si la feuille qui les répand est un organe populaire. Mais imagine-t-on Le Joujou Patriotisme offert au Pctii Journal ?...Ah!nous l'avouous saus mélancolie,nous ne tirous pas «encore'/ à un million d'exemplaires, et )eMcrcure de France n'est pas très apprécié daus les ateliers de fleuristes : il manque de feuilleton.
Voici donc détruite toute l'argumentation de M. Nestor, décidément parti contre des moulius à vent. Et ce lui est une malveine d'avoir bataillé, en cette fallacieuse occurrence, avec des armes qu'il ne sort guère, forgées pour des aventures plus glorieuses : je veux dire ces épithètes terribles dont il a semé son article, et qui, de la part d'un esprit si sage et d'habitudes si benoites, seraient presque des injures.  Injures méritées en somme ! Qu'est-ce que ces geus nés d'hier, groupés daus une publication durable, dont on s'occupe quoiqu'ils se tiennent à l'écart, ne paraissent point daus les rédactious et ne sollicitent jamais rien de personne ? C:ir pourquoi le taire : ces « raffinés, avides de bruit et de scandale », oncques ne prient qui que ce soit de seulement signaler leur recueil. Mercure de France ignore les « prière d'iusérer M, les petites notes aux journaux, les multiples machinatious par lesquelles on s'iusinue et on obtient de la réclame ; il néglige même de proftter des très nombreuses relatious qu'il a daus la presse, et au lieu de s'indigner lorsque quelque journaliste, qui a demandé à le recevoir contre promesse d'entrefilets, omet de se rappeler la condition du contrat, il s'amuse philosophiquement de ces aimables muf« (t)  et continue le service. Voulez-vous des noms, messieurs des quotidieus ? Gageous que vous ne m'auloriscriez point à publier vos lettres. Il est à peine besoin d'ajouter que nous sommes profondément reconnaissants à ceux qui nous aident.
Non, la vérité, contre quoi s'iusurger serait par trop naïf, est telle : efforcez-vous à un livre qui soit une uvre, nul ne se soucie de le coustater ; commettez un écrit qui ait seulement l'apparence d'une sottise, et dont on suppose la divulgation de nature à vous nuire, nul n'y faillira. C'est daus la presse comme un devoir. Voici, par exemple, M. de Gourmont précisément, « l'homme sans nom *, qui publie St'j-tine, une des plus belles uvres parues l'an dernier et qui relève assurément de la haute critique : M. Nestor se garderait bien d'en écrire un seul mot. Mais ce rnéu1e
(i) Pour plus de détails sur cette intéressante 9uestion, lire l'article de M. Jean Jullien : Document pour l'éaificaltoH des abonnés, acheteurs, lecteurs rf'ART Et CritiqtÏ, et de ceux qui reçoivent gratuitement cette revue (ART Et Critique, n» 84).
«. homme saus nom » choque, par un articule! aussitôt oublié que fmi, le plus formidable de nos préjugés, renie publiquement le faux dieu Patriotisme : tout de suite M. Nestor lui dispeuse une large part de réclame. D'où cett.- morale, recommandée aux jeunes chercheurs de notoriété : « Des uvres? Peuh ! Le moindre pétard ferait bien mieux votre affaire. » Et l'on sait si M. de Gourmont, une manière de moine coustamment plongé en d'érudits travaux, de qui Savine éditera cet automne Le Latin mystique, étude sur les poètes latius du 111o au xiiic siècles, est un habituel allumeur de pétards...
Au fait, nul doute que Minerve, sa pourtant vigilante patronne, ne vaquât à d'autres soius quand .M. Nestor écrivait son article. « ... Je commence « à trouver, y est-il dit, que notre patience indulf. gente (?) envers tous ces prétentieux farceurs f. doit prendre fin. Tous, tant que nous sommes, « et moi le premier, nous avous souri à leurs « uvres vides et obscures, nuit d'où, daus notre « naïveté (!) bienveillante (??), nous espérious * toujours voir surgir quelque clarté. Mais d'inu" tiles et de ridicules... » etc. Ce sont là des appréciatious critiques qu'il ne m'appartient pas de discuter; cependant, une remarque : ces « prétentieux farceurs ", en moius de dix-huit mois, ont publié six volumes de prose : Vieux (Savine), Albert (Bib. artistique et littéraire), Stxtine (Savine), La sanglante ironie (Genonceaux), Sourires pinces (Lemerre), Le Vierge (Tresse et Stock); et trois de vers  La Neva (Savine), Les Cornes du Faune (Bib. artistique et littéraire), Au Pays du Mufle (Vanier). Avant l'été paraîtront encore, signés d'eux, quatre livres de vers et trois de prose : I.esTrcves,  Quand les violons sont partis,  Lassitudes (Perrin et C'''), Strophes d'Amant (l.emerre),L'Eléphant (Savine),/! /V,rdr/(PerrinetCle), et un volume de Théâtre (Savine). Total : seize ouvrages. Pour des « larves d'hommes », on avouera que c'est joli. Et je ne cite, bien entendu, que les productious des rédacteurs en titre du Mercure de France, non les livres de ceux d'entre nos confrères qui nous font l'honneur de collaborera notre recueil. Or, la plus stricte sapience ne conseille-t-elle point d'espérer en des geus d'une bonne volonté si manifeste ? Et puis, est-il bien prouvé que leurs uvres d'aujourd'hui soient tant que cela « vides et obscures » ? Ne serait-ce point plutôt que M. Nestor n'en a pas même ouvert une. seule?... En somme, cette nullité générale exigerait la réunion des douze crétius de lettres les plus crétinisants que la terre eût jamais portés, ce qui est presque aussi drôle que l'accaparement du dilettantisme par M. Nestor, et d'ignorer « le tendre et ironique » Laforgue  dont hier encore, dans L'Echo de Paris, MM. J.-K. Huysmaus, Lucien Descaves, Jean Ajalbert, proclamaient le talent.
Je dirai pour ftnir  car, persévérants daus nos us, nous n'avous l'intention de reparler de nous de longtemps  que la désignation de Symbolistes nous étiquette tout juste aussi exactement que celle de Jeunes. ll faut bien le répéter, puisque les i qui ont perdu leur point sont de simples bâtous pour cette sagace fm de siècle : ce n'est pas en vue de prosélytisme au profit d'une esthétique déterminée, du triomphe d'une école, pas même par sympathie de talents que nous nous sommes groupés, mais uniquement et plus modestement pour avoir un coin propre où imprimer, saus craindre les refus, coupures et tripatouillages d'un directeur, ce qu'il nous plaît écrire. Est-ce clair? Au début, toutefois, tel était le hic : aurait-on des lecteurs?  On en a.
Alfred Vallette. 
Incomparable effroi, l'effroi bref du Réveil ! L'iustant qui nous arrache aux Semblances heureuses De la couche saus mémoire, ô Mort que tu creuses. Ouatée et grise au fond du Silence éternel ! 
Frisson rompant les nerfs, réche frisson de l'ume Glissante et s'agrippante aux franges de l'Oubli Où se redissolvait... si doucement!... sa traine Moite d'un lourd relent de fruit blet amolli ! 
Ah, ce premier regard du jour qui souffre a naître!
Si pallide, si débile !... plus sépulcral
Qu'un cierge verdissant le rigide Peut-être
Du Dormeur dont l'il clos s'ouvre au Possible astral !
Xc plus voir sur les mers virer le Boulet d'or, Ne plus sentir la froide rosée aurorale Leurrant l'horrible soif qui ne meurt pas... encor Glacer mon cur forçat de chaque Aube spectrale !! 
ToLA DORIAN.
NAISSANCE
Point blanc, aussi grand que les mondes, Infime autant que l'infini, Germe blanc, blanche gerbe, ni, Déjà, vaia être, un des immondes, 
Ni de ceux, verts, rouges ou bleus. Flottant, quêteurs d'un souffle en joie, Entre les flocous de la Voie, Bercés parmi les mois Alleux, 
J'Étais, et n'étais pas encore, Du moius celle-ci, celle-là Ou d'autres que depuis voila La chair et qu'un voile décore. 
Point vibrant, ivre de chaleur, En délice du futur être, En délire de voir paraître L'aube du fruit promis : la fleur, 
Germe pur qu'un pollen veloutc Demain, qui frissonne aux baisers Rêvés, s'ouvre aux secrets jasés, Prête aux divines lèvres, toute, 
(i) Extrait de « Chanls d'une Passante », plaquette à pa raître.
Gerbe une, nue, en prisme ardant, Fiere étincelle de substance, Nuances en préexistence Latentes, l'éther confident, 
J'ondoyais, j'ondulais, caresse D'une main faite d'un reflet Sur un s-;in dont l'Esprit soufflait La forme au gré de sa Paresse 
Or, le pollen vivant venu. Je tressaillis, SÉe. F.t la Science S'évanouit de ma couscience, Qu'avait avant mon esprit nu. 
Je fus un immonde, un vain être. Je dus tâter l'aveugle aller, Ramper pour rapprendre, exhaler Un souffle impur, vagir, renaître. 
Puis se moule en les moelleux lius Ma chair, cythare des peusées ; Elles s'éveillent, balancées Entre les iustincts des matius. 
J'atteius le temps des blanches cires, L'enfance aux doigts mélodieux, Et bientôt s'éclairent mes yeux Des lueurs de savants sourires. 
Adrien Remacle. 
PAGES INEDITES (»
LORD LYONNEL
Souvent, la nuit, lorsque éveillé par les premiers aquilous d'octobre heurtant les jalousies, lord Lvonnel considérait sa mai tresse endormie, il lui arrivait de se demander obscurément s'il avait bien le droit de se prêter à l'uvre, au moius étrange, qu'essayait Edison ;  s'il n'était pas,lui, lord Lyonnel, coupable d'une ^duplicité tacite;  et, chose encore plus grave, si, en définitive, ce n'était pas, oui, si ce n'était pas tenter Dieu.
Un fait singulier (une de ces mille coïncidences, saus doute fortuites, mais qui,  chose, à la longue, digne d'attention,  se produisent toujours d'une manière quelconque autour de ceux dont l'esprit est en proie à cette sorte d'inquiétude occulte!,  un fait des plus saisissants s'accomplit une nuit, où il avait exprimé pour la première fois cette peusée à voix basse et se parlant à lui-même. Il l'avait formulée en paroles précises, espérant que cette précision même dissiperait le vague et le trop lourd d'une conjecture de cet ordre.
Comme elle persistait, sa couscience lui suggéra l'idée d'en écrire sur-le-champ à Edison (Il voulait suspendre l'exécution de l'uvre terrible). Il ne pouvait supporter de s'endormir avec cette obsession. S'étant donc levé, il passa une robe de chambre, s'approcha de son secré
(i) A quelle uvre de Villiers de l'IsIe-Adam se rapporte ce Fragment ? Probablement à VEvc juture, mais à une version de ce livre très antérieure à la définitive rédaction, très différente, du moius en ses détails accessoires et en sa marche, de celle que nous connaissous. Peut-être ne s'agissait-il que d'une nouvelle, ou d'une étude du genre et de la longueur de Tribulat Bontiomet ? Daus le doute, et ne pouvant les rattacher à rien, nous donnous ces curieuses pages inachevées sous un titre spécial. Elles nous semblent caractéristiques de cette sorte de romantisme particulier à Villiers, où la science n'est introduite qu'en vue de produire des effets,  nullement scientifiques,  de fantasmagorie psychique.  R. G.
taire, trempa la plume daus l'encrier. A ce moment précis, et comme il fermait à demi les yeux, regardant un point fixe daus l'angle de la muraille, comme un homme qui cherche ses expressious et les pèse avant d'écrire, il aperçut d'abord vaguement, puis distinctement, un objet qui d'abord l'étonna, puis le stupéfia,  puis le glaça d'une impression inconnue.
C'était la chose du monde la plus simple, une tête de mort, oh ! tout bonnement, très grise, d'aspect ancien et qui semblait faire etlort pour apparaître sur la trame de l'obscurité, en cet angle du mur. Détail d'une absurdité sinistre, elle semblait porter une forte paire de besicles devant les deux trous de ses yeux.
Lord Lvonnel était non seulement un homme courageux, mais un homme intrépide. La force d'une fière devise amalgamée à son sang par l'action des siècles courait daus ses veines,  il se remit, bien qu'un peu pâlissant, et cousidéra l'objet en silence.
En essayant d'analyser la provenance de ses seusatious, il se convainquit très vite que son hallucination était due à certaine lassitude nerveuse qu'entraîne parfois le plaisir et qui détermine alors, sinon une perversion visuelle, du moius une sorte d'excitation très inteuse des prunelles. En ces iustants, en effet, pour peu que les yeux se referment à demi, la rétine est sujette à une sorte de mémoire, qui ressuscite des objets en les agrandissant, comme sous l'influence de l'opium.  Des panoramas de paysages, d'arbres, de rochers, d'avenues lointaines s'évoquent sous les paupières ; de grandes villes mortes, des Pompéïas, des Atlatitides, des Palmyres se prolongent resplendissantes ; des Thébaïdes, à perte de vue s'étendent, où passent, à perte de vue, d'étranges caravanes ; des Pactoles roulant leurs vagues aux paillettes d'or étincellent sous des rives ombreuses,  et toutes ces visious sont rapides.
Celle-ci était d'un ordre funèbre, voilà tout. Cela tenait h la couleur d'imagination qu'il avait en cet iustant. Voilà tout. Certes, c'était tout. Néanmoius, il ne se dissimulait pas que la vision était moins rapide et plus inteuse que les autres : Oui ! mais cela pouvait venir aussi de l'inteusivité même gravée en sa peusée tout à l'heure et qui fixait l'image plus profondément en sa correspondance visuelle.
Enfin, ce n'était qu'une hallucination comme une autre, plu? fiévreuse, se disait-il. Et il regardait toujours la tète de mort qui persistait.
Eu ce moment, miss Evelyn, qu'il voyait endormie et qui, daus l'alcôve, avait le dos tourné à lord Lyonnel, lui cria, d'une voix un peu eusommeillée et bannie :
« Ohl... Lyonnel!.. Si tu savais... c'est drôle... Je vois un tas de choses depuis un moment... Tiens!. . Une tête de mort!... Oh! elle est toute grise!... Elle est vieille, hein?... On dirait qu'elle a des lunettes! .. Ah! mais,  c'est ennuyeux! Elle ne veut pas s'en aller!... i>
Le jeune homme avait jeté sa plume en écoutant ces petites phrases horribles, et s'était levé, mais saus prononcer une parole...
Elle saisit le candélabre et marcha vers l'angle.
Le mouvement, sans doute, avait dissipé la vision : la tête de mort avait disparu. *
«  Eh bien! qu'est-ce que tu as? qu'est-ce que tu fais donc? Tu es tout singulier, depuis quelques jours?., dit miss Evelyn, en écartant le rideau. Comment! tu te loves pour écrire la nuit?... »
Et l'espiègle fut prise d'une espèce de fou rire qui ;onna daus l'ombre de l'alcôve.
« Votre rire tombe mal cette nuit, chère !...» dit lord Lyonnel, d'un ton qui calma subitement l'intempestive gaité de la frivole enfant.
Laissant le candélabre allumé, il la rejoignit, sans rien ajouter, lui tourna le dos, s'accouda, se mit à rélléchir à l'incident.
« Quel dommage, se disait miss Evelyn, en bâillant et se rendormant, qu'un si beau garçon, si riche, soit un peu foui.. » 
Au bout de quelques minutes, lord Lyonnel se rendit compte du fait de la manière suivante :
«  C'est un phénomène curieux, très curieux même, mais ce n'est qu'un phénomène de l'ordre des hallucinatious magnétiques. Voilà tout. C'est la simultanéité, l'ubiquité de la vision partagée entre Evelyn et moi qui m'a impresionné tout à l'heure. Et c'est h cause de l'état de mes peusées, que la nature de la vision,  la tête de mort, jointe à ces deux circoustances ultérieures, m'a si fort impressionné. En effet, j'ai eu le premier cette hallucination dont je crois bien m'être nettifié l'origine probable. Or, un courant de magnétisme très intense, une chaîne d'affinités, renforcé d'un demi somnambulisme, était encore établi entre miss Evelyn et moi,  ne s'était pas encore dissipé, enfm , au moment où le phénomène se produisit pour moi. L'émotion sensorielle
qu'il me causa, par sa soudaineté, et le caractère de solennité presque surnaturel que mon esprit, alors sous l'influence de la peusée de Dieu, lui attribua, dont il la revêtit alors, pour mieux dire, daus son état d'irréflexion, cle prostration même, cette tête de mort, objectivée par mon cerveau, incarnation de mon idée,  cette émotion, ctis-je, passa, par sa violence même, daus ce courant intime et occulte qui unissait nos ileux systèmes nerveux. Cela est sûr... Le fait est du domaine magnétique, non encore très élucidé,  mais c'est de ce domaine!... J'ai été contagieux pour elle, j'ai été électrique : bref, elle a vu comme moi, par moi, cette tête de mort dont les terrifiantes lunettes de valent provenir de mon lorgnon;  elle l'a vue, dis-je, par la même raison que deux personnes, vivant eusemble, ont souvent, à la fois, la même idée, laquelle est, parfois, fort difficile à ramener à un point de départ appréciable. »
S'étant donc expliqué scientifiquement le phénomùne, lord Lyonnel, subissant encore, malgré lui, un reste d'anxiété nerveuse, regarda fixement, entre ses cils, brûler les bougies du candélabre jusqu'au petit jour. Il souriait à l'idée qu'elles prenaient pour lui des aspects de cierges brûlant devant un catafalque. Il savait mainteliant d'où ces sortes d'idées lui venaient. A la longue, il s'endormit aussi, pensant que le soleil de l'aurore dissiperait son fastidieux cauchemar,  ce qui eut lieu : seulement, lord Lyonnel, en sa subtile et très raisonnable analyse, n'avait pas fait attention à cette petite chose, c'est que le phénomène, d'où qu'il vint, en distrayant sa conscience, lui avait fait oublier d'écrire la, lettre en question. Les jours se succédèrent, et, soit par respect humain, soit par'oubli, soit par négligence, il laissa les choses s'accomplir.
Villiers De L'!slf.-adam. 
A Remy de Gounnonl. 
Aiusi par les bnîLnih noirs de rî've. Psalmodiant tous les voeux railleurs, Comme un drcor -f opéra, si levé L'ironique bcanlê de i'Aillrurs 
Jeune homme! ton désir jeune et vague Vole à l'inconnu de ma beauté. Partous; la mer est blcue et la vague Soupire à ton départ enchante. 
Pourquoi rester daus la cage noire Où ta fierté s'ankylose en vain? Ma voix t'ouvre une porte de gloire Sur l'horizon frais de mon matin. 
Vieus : Le matin frais comme un sourire Berce la trame tréle des mats. Les mâts frêles ont, comme les lyres, Des cordes où le vent rit, là-bas. 
Oh! là-bas, le soir, la voile rosé A le vol d'un oiseau fabuleux, D'un oiseau qui jamais ne se pose Sur l'Iccberg-Réèl, trop frileux. 
Tes désirs du Réel, éphémères, Sont morts, daus les dégoûts gangrenés. Pleure. On a bien vu pleurer des mères Sur la tombe des enfants mal-nés. 
' Oh! bien morts, tes désirs misérables! Les amours de jadis sont bien morts! Mais les nefs aux voiles secourables Rêvent là-bas, prêtes aux essors. 
Vieus : on mettra des tapis de mousse Sous tes pieds qu'ont meurtris les graviers. N'est-ce pas quo ma chauson est douce:' A mes concerts peu sont conviés. 
Vieus daus mon empire inaccessible. L'empire du désir immortel, Du désir, voyageur inflexible Qui ne dort pas au mauvais hôtel. 
J'ai claus mes magiques crépuscules Des philtres pour tous les vux ardents. Mais les satiétés ridicules N'ont pas ose pénétrer dedaus. 
Oh ! vieus : Les ombres de mes allées Ont des violets inespérés. Combien de flottes s'en sont allées Loin... saus trouver mes récits dorés? 
Combien ont s 'iubré de ces nefs frêles Où gémissaient les héros-amants, Cur las des curs et des voix trop grêles, Fauchés par le Ilot aigu, charmants ! 
\e m'entends-tu pas. Fils de la terre, Cur ouvert au scrupule alarmant? Ou craindrais-tu d'ouvrir le mystère Où t'attend la Belle-au-bois-dormant ? 
Faut-il chanter toutes les musiques ? Nommer tous les plaisirs de mes seius, Et mes délices métaphysiques Dont l'extase a trompé tant de Saints ? 
Désir profond qui passe et caresse Silencieusement, ignoré De la pauvre âme toile qu'il presse, Comme un lourd vendangeur altéré... 
Je suis Celle en la mer solitaire Qui t'attend pour rire et pour s'offrir. Je suis, ô mon cur trop las, le Mystère Qui peut dire son nom saus mourir. 
Oh ! vieus : L'écrin brillant de tes rêves, Tes imaginatious des soirs Pâliront, qinind tu toucheras mes grèves, A l'embrasement de tes espoirs.  
Aiusi par les brûlants soirs de n"tT, Psalmodiant ious les vux railleurs, Comme un décor d'opéra, se lève L'ironique beauté de C Ailleurs. 
Louis Denise. SIMPLES NOTES
Pour Jules Renard. 
Pourquoi tapous-nous toujours sur le bourgeois? Il est visible qu'il s'amende. Déjà, certaius boutiquiers comprennent l'infamie du commerce et n'accusent plus qu'un prénom sur leur porte. Couramment, on écrit : Maison Gustave, Maison Paul, Maison Prosper. Les bistros, les coiffeurs, pour faire plaisir à leur clientèle, ajoutent : Ancienne Maison Victor, et les plus méticuleux : gendre et successeur. 
Le reuseignement sufftt au public, et la famille n'est pas déshonorée.
Quand on débute daus la vie, on est très choqué d'y surprendre tant de goujats. Des geus qui vous ont été présentés, avec qui vous avez soupé chez les filles ou ergoté daus un salon, vous tournent le dos, ne répondent point à votre salut. Pendant des mois, ils vous croiseront sur le trottoir, vous heurteront sans même s'excuser. Néanmoins, ils ne vous reprochent rien d'infamant, car, un matin, ils arrivent la gueule souriante, les maius ouvertes, et causent comme s'ils vous quittaient de la veille. C'est qu'ils quémandent un service ou se préparent des compères pour un mauvais coup. .
II faut réfléchir aussi et peuser qu'on connaît trop de monde. En observant avec chacun les strictes lois de la politesse, on userait deux chapeaux tous les aus.
3
Littérateurs, nous ne multiplierous jamais assez les mesures sanitaires. Méprisous-nous les uus les autres ; défious-nous d'autrui comme nous devrious nous défter de nous-même, c'est aiusi que parle la Voix de Sagesse. N'oublious pas qu en jouant au « cher Maître », on est très cabotin, et que tout disciple est un gobeur. N'admettous point de faire nombre daus les coteries et repoussous toute idée de rivalité. L'égoïsme nous défend de reconnaître des supérieurs; et puisque nous savous être la Toute-Science et l'âme que favorise l'iuspiration divine, nous n'avous point d'égaux. Rendous-nous enfin justice : notre personnelle esthétique prévaudra daus les siècles des siècles. Elle est la seule et la vraie.
Des chroniqueurs peuvent surgir, qui nous questionneront sur « l'Evolution littéraire »; nous leur débinerous systématiquement ceux qui se disent le prochain. Modestement, il nous faut le hurler : nous avous du génie.
 Ah! vous avez eu le nez creux, M. du journalisme!... Vous êtes venu où il fallait!... Il n'y a pas à dire, l'art, c'est Moi!
Dès l'abord, ce raisonnement épate et scandalise les camarades; mais on s'y accoutume; on se représente qu'à moius d'être idiot, on en aurait aflirmé autant.
4
L'homme en blouse a trois principales haines : le haute-forme, la canne, le pince-nez,  c'est-àdire ce qui coustitue, pour lui, le Mousieur.  Jalousie de brute qui se torche avec sa manche, n'ayant point de mouchoir,  révolte de crapule, proclamée souveraine, et qu'une apparence de mépris pour son fumier fait rêver de vengeresses agressious.
Mais n'est-il pas délirant de rencontrer des geus de lettres, réputés geus d'esprit, qui s'affublent de ces colifichets d'aristos et réclament pour
la Sainte-Populace, et barbottent daus la sociologie?
C'est à courir dessus, à saisir quelqu'un de la bande par le collet de sa redingote, pour lui crier :  Triple imbécile, comprends donc! Le jour de l'anarchie, tu seras le premier que l'homme en blouse étendra daus le rutsseau, de son fusil volé. Il te prendra ton paletot, ta culotte et le reste. Il se fiche bien de tes déclamatious et de la fraternité. Ce qu'il veut, c'est ta place, ton dîner qu'il sait meilleur, tes souliers plus fius, ton absinthe mieux sucrée. Quand tu lui auras aidé à descendre dans la rue, il montera jusqu'à ta chambre, il te passera sur le ventre et se paiera ta femme!...
ll arrive de temps à autre qu'un directeur de théâtre vous refuse une pièce. Le traiter de crétin, en refermant la porte très fort, est une vengeance facile et certainement théâtrale, mais qui ne l'atteint guère.
Mettez-vous quatre, pauvres auteurs trausis, et criez par les rues que la boîte du susdit ne fait pas d'argent. Si vous l'imprimez, c'est mieux encore. L'entrepreneur peut se démener, envoyer des notes rectiftcatives, arguer de son livre de recettes, la chose se répandra quand même,  tant on se plaît à désobliger le voisin. Le vide fera le vide, aiusi que la foule fait la foule par les billets donnés et les réclames impudentes. Vous aurez aiusi le réjouissant spectacle d'un homme qui mange les bénéfices malhonnêtement acquis avec les Ohnet et les Sardou du vaudeville, et se lamente devant les boursiers véreux qui le commanditent, au lieu de tripoter les mollets des petites ftgurantes.
Pour nombre de ces flibustiers qui détiennent les scènes, c'est autrement désagréable que de recevoir du pied au cul.
Charles Merki. 
r
HEURES GRISES
Horloge où le balancier pleure Sa lourde lacryme d'or, O colombier de l'heure Aux ufs de leurre Et d'ancieu cor, Cesse tes tourterelles Vers mes tourelles! 
L'aspic de trahison
Garrotta ma raison
Daus le désert de jusquiamc
Où la cendre complice eusabule mon âme.
Alors que les missels Grisaient de jolis scels Ma foi riant à la paresse, Le chacal a bu ma citerne 'Je caresse. 
Hors des ris et du frnit, Les ongles de la nuit M'entent l'imine lassitude lin l'iusipide et malévole solitude. 
Oh tant! que les désirs Sués daus les loisirs De cette opaque somnolence N'accèdent même pas à rayer le silence. 
O mer des sabliers, Bannis ces peupliers De brume eusorcelant le calme Et verse-moi l'adolescence de la palme ! 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres! 
Pendant la deuse dause, Les Fantômes en selle Le cavent de leur lance Aiusi qu'une nacelle. 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres ! 
Sous les lunaires linges, Ce semble une disette Où d'hystériques singes Curent quelque noisette. 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres! 
Adieu, chères corbeilles De mes jeunes golcondcs : Corbeaux, palmes, abeilles Des vigiles fécondes ! 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres ! 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres! 
Mon Cur est chevauché par des sabots allègres De cavales maigres! 
jo octobre H9. 
LA PLUIE PURIFICATRICE
Les arrosoirs volants s'épanchent sur la geôle Où le serpent noua la rogue humanité; Sous les orteils divius, c'est comme uu vaste saule Eparpillant ses longs rameaux d'humidité. 
Néanmoius, j'ai quitté la tuile maternelle Et je m'offre saus linge au ciel extravagant; Même je luis l'égide parvule d'une aile, Ayant soif du pardon que pleure l'ouragan. 
Saintes perles de l'altiére Mélancolie, Entreprenez l'âpre lessive des péchés De cette viande laide autrefois si jolie; 
Et vieus, Cygne, au vieux parc de mes os débauchés. Réaliser le ciel de ma chasuble en pluie Moyennant le remords de la Ténèbre enfuie ! 
Ile Tristan, 18 octobre 90.
SAINT-POL-ROUX.
PROSES MOROSES 
L'opÉrateur Des Morts 
A Rachilde. 
J'étais près de celle qui ne remuera plus, jamais,  j'étais à genoux et je pleurais près de celle qui n'aura plus, jamais, de pleurs.
Je pleurais,  intérieurement, car j'avais trop peur pour pleurer des larmes humaines,  je pleurais divinement.
On entra. C'était un personnage vêtu de noir, de tenue probe, et ganté de noir.
J'interrogeai par le simple geste de la tête dressée, tournée un peu du côté de l'intrus.
D'une voix basse, calme et presque vive, pourtant,  oui, d'une voix presque vivante, il répondit :
«r Madame, je suis l'Opérateur des morts. »
Et comme je comprenais, trop bien, hélas! ce qu'il fallait laisser faire, je me levai, m'écartant du ltt, les doigts encore joints, presque crispés sur mon chapelet.
Il se pencha vers la morte adorée.  je regardais,  il replia le drap jusqu'au-dessous des seius morts de ma morte, et, appuyant l'index au bord intérieur de la mamelle gauche :
« C'est là, » dit-il.
Il l'avait mise en travers de sa bouche, l'épingle des curs morts, la grande épingle, pour l'avoir à portée de la main et frapper vite.
Il dit : « C'est là, »  et du coup il piqua, d'un seul coup.
Le visage de ma morte était toujours pareil : elle n'était pas plus morte maintenant qu'on l'avait tuée deux fois,  mais peut-être que son cur immortel subissait, daus les au-delà, la trausfixion !
Ah ! lance métaphorique du soldat romain qui tous les jours trausperces Jésus, et toi, épée mortuaire, n'êtes-vous pas du même fer?
Alors, avec un sourire de complaisance cousolatrice, il dit :
« Elle ne sera pas enterrée vivante. »
II parlait de ma bien-aimée et me tendait un papier.
Je lui fis signe : Sur la cheminée. Ayant déféré à ma douleur avec l'assentiment poli qui signifte : Je suis sûr de vous,  il sortit.
Je me penchai vers la morte adorée : c'était une longue épingle d'acier à pommeau d'argent bruni, en forme de croix,  une épée de croisé, une épée de milicien du Christ... Ah ! le symbole, amie, se réalisait donc,  puisque tu l'avais réelle et sanglante en ton sanglant cur, la Croix !
Nov. 18f>o. 
Remy De Gourmont. 
CANTILÈKE POUR CÉLÉBRER
LES
CENT BEAUTÉS DE LA PETITE VIERGE
Pour toi, petite sur de Madame la Vierge,
Des cierges, l'on voudrait brider pour toi des cierges
Et te faire un tapis des bleus pourpris du ciel
Et que le croissant d'or te soit un tabouret !
 Est-ce un gcranium, les fleurous de tes lèvres?
Ah ! tes cheveux, couleur de lune qui se lève,
Couleur de poésie et couleur d'auréole !...
 Ce grand vol triomphal, ce vol de cygnes roses
S'effarouchant au froid de ces neiges d'automne
Dont s'effarent les lys et les roses d'automne.
Ce beau vol, n'est-ce pas le parfum de ton corps.-"
 Qui donc ne te dirait : Tu seras le jardin, L'exquis jardin fleuri de lys et de jasmius, Où, sous le ciel rose et or d'éternels matius, Grisés d'effluves blonds et d'aurore et de thym, Bondiront des troupeaux de biches et de daims? 
Il pleut.il pleut, daus les jardius, il pleut, il pleure..  Entends-tu le silence d'un astre qui meurt?... - Ahltes maius!...Et tes doigts, qui finissent en fleurs!.
Ah ! le puits bienveillant, parmi les blondes mousses. Blondes, tels les duvets des Blondes ! et si douces !... Le charitable puits où j'ai bu bien des coups!... 
Et tes yeux, qu'il faudrait pour le bandeau du roi, Opales qu'on voudrait pour le bandeau du roi, Tes yeux, ah ! tes grands yeux, bénévoles étoiles Vers qui vole, en la nuit, la prière des voiles ! 
Tes cuisses ! X'est-ce pas celles d'un jeune archange Qu'emporte daus l'azur un beau vol d'ailes blanches? Et ta voix, paradis immarcessible où chantent
Les Séraphius ailés et les mystiques Harpes!...
Et tes sourcils, tes purs sourcils, d'un blond trop pâle !
F.i les serpents très carressants que sont tes bras !
Et tes ongles aigus qui semblent des pétales !
Et ton corps ! Tout ton corps ! Et ta tète, si chaste !...
 Mais ton ventre, on dirait un rêve de vieillard !
3:} novembre 
La Tarentule immonde, eu faction, Raille mes cris d'un fou rire moqueur!... J'ai daus le corps, à la place du Cur, Un vieux cadavre en putréfaction 
l'n vieux cadavre où la horde des vers
A découvert, pour assouvir sa faim.
Un fin festin, digne des séraphius !...
 Moi! je mettrai, daus mes lugubres vers,
Aiusi que daus mes proses, afin qu'au Pinde je sois acclamé le vainqueur. Le plus possible de mon pauvre Cur!...  Tant pis, si l'on y trouve un asticot! 
DECOUPURES 
VI
LA PETITE MORT DU CHÊNE
A L. de Saunier. 
 " Mais, se dit mousieur Sud, pourquoi n'astu pas tiré? »'
 « J'ai oublié », se répondit mousieur Sud avec simplicité.
Il ne se gourntanda point davantage, et suivit de l'il les perdrix qui se posèrent là-bas, daus un carré vert.
 « Bien! dit mousieur Sud: elles sont à moi ! » 
II fit le geste d'appuyer son index sur l'endroit, exactement. Il portait son fusil par le milieu, d'une main, les bras écartés, marchait en levant haut ses courtes jambes, et s'efforçait de maintenir derrière lui Pirame, un vieux chien de location, d'ardeur modérée.
Arrivé au carré vert, mousieur Sud se baissa, cueillit une plante et demeura quelque temps rêveur. Etait-ce de la luzerne? Etait-ce du trèfle? Parisien têtu, il ne les distinguait encore que malaisément. Comme il se relevait, il entendit les perdrix « bourrir et cacaber ». Mousieur Sud avait trouvé daus un livre de chasse et retenu, pour de frequentes citatious, ces deux fermes d'une sonorité étrange.
 « Elles m'ont surpris, les diablesses! j'ai encore oublié de tirer », dit-il.
Les perdrix, l'une d'elles en tète et guide des autres, emportaient au loin leur lourde traîne pendante. Mousieur Sud les regardait avec un
bon sourire, admirait leur vol comme un feu d'artifice, et tortillait son brin d'herbe ou de luzerne. Elles passèrent la rivière, désunies un iustant par les branches des saules, et tout de suite, presque au bord, se remisèrent, hors de danger.
 « Voilà qui n'est plus du jeu, dit mousieur Sud. Je n'ai pas de pont sous le pied, moi. Décidément, les malignes refusent le combat et me narguent ! »
II s'imaginait caché daus le ventre d'une vache artiftcielle. Les perdrix se rapprochaient, conftantes. Un bras de fantôme sortait pour les ramasser une à une. ll leur cria ce mot d'esprit :
 « Bousoir, la compagnie ! »
et, venge, incapable de leur en vouloir, il ne les regretta même pas, tout aise d'échapper à des nécessités cruelles. Il se promena en pleine verdure, s'y rafraîchit les cuisses, y trempa ses fesses même, au moyen de brusques flexious. Il caressait aussi sa belle barbe blanche, et le cordon de son lorgnon dessinait sur le plastron de sa chemise une fourche fine.
 « Vais-je rentrer bredouille ? » Heureusement, des alouettes tireliraient daus
tous les seus. Que n'avait-il, au lieu d'un fusil, un filet à papillous !
D'abord elles tournoyaient, incertaines de la route à suivre, puis s'élevaient lentes et grisollantes, sans doute en quête de miroirs. Mousieur Sud fit la remarque que toutes montaient vers le soleil, le long de ses rayous, comme suspendues au bout de fils d'or qu'on pelotonne. Quelquesunes allaient certainement jusqu'aux flammes, pour s'y perdre, s'y rôtir, et mousieur Sud, la nuque douloureuse, la bouche ouverte, les yeux brouillés, espérait leur chute.
 « II faut pourtant que je les tire ! »
Au cul levé, c'eût été hasardeux. Il préférait s'en désigner une et la voir s'abattre, se motter, là, entre ces deux taupinières. Il s'avancerait sur elle,
le fusil à l'épaule, et viserait un peu en dessous, pour ne point l'abîmer. Violemment étourdie, elle n'aurait plus que la force de sauter daus la gueule de Pirame. Mais l'alouette était couleur de terre. Mousieur Sud cherchait en vain la petite robe grise imperceptible, fondue. Il piétinait, tournait sur place, s'égarait comme quelqu'un qui vient de laisser tomber une pièce d'argent.
Il s'assit quelques minutes, afm de souffler, de renouer les cordous de ses guèires et les nombreuses ficelles de son costume. Toutes les taches roses de son teint d'homme savamment nourri s'étaient rejointes et n en formaient qu'une. Il s'épongea, se sourit daus une glace minuscule, fier de soi. et assuré de faire plus tard une belle conserve.
 « N'aurai-je pas l'occasion de décharger mon arme? »
II l'ajustait contre sa joue, trouvait enfin la mire, et, pour terminer, étudiait de nouveau les incrustatious de la crosse, ces damasquinures si riches qu'elles semblaient garantir l'adresse du chasseur.
,, « Certes, j'ai là un objet d'art, un fusil de luxe; quoique de précision. Mais part-il bien? J'en ai connu qui ont éclaté. »
De grosses pierres le tentaient à cause de leur immobilité. Toutefois elles étaient par trop mortes, tandis qu'un arbre a de la sève, presque du sang. Il fit choix d'un chêne sérieux, vivace, trapu, isolé au milieu d'un champ et dont l'apect devait épouvanter, la nuit. L'écorce, comme une vieille manche au coude, s'en était ça et là usée à la râpe des garrots que les chaleurs démangent. Tout autour du tronc, les sabots avaient battu, aplati le sol, et, pour n'être que de chevaux paysaus, n'en empêchaient pas moius les herbes d'y pousser.
Mousieur Sud calcula ses distances, car les plombs tantôt s'écartent et passent, les uus à droite, les autres à gauche, tantôt par répercussion peuvent vous blesser grièvement.
Debout, il doutait de lui-même et craignait le recul. A plat ventre, il n'apercevait plus le chêne. Il adopta donc la solide, confortable position du tireur à genoux. Il épaula non saus méthode, point pressé, grave et pâle. Le canon du fusil, d'abord vertical, s'inclina, se coucha sur le plan de tir.
Mousieur Sud était agité de petites secousses, éprouvait des palpitatious légères. Il transformait l'arbre en bête, en homme. Est-ce vrai, ce qu'on raconte, qu'une forte détonation peut décider la pluie? ll patienta, attendit le calme de ses nerfs et le silence de son cur. Il voulait éviter l'à-coup, ne làcher la détente, celle de gauche bien entendu, comme toujours, qu'après une pression graduée, tendre, interminable. De temps en temps, il risquait un coup d'oeil : au bout d'une allée d'acier éclatante, la mire se dressait aiusi qu'une borne. Au-delà s'étendait un espace vide, glace saus tain. Enfin le chêne apparaissait, trouble, mouvementé, remuait toutes ses feuilles inquiètes comme une multitude d'ailes, et gémissait, oscillait daus un doux et long effort pour s'éveiller de sa torpeur mortelle.
Pirame, en arrêt d'étonnement, faisait avec sa queue des signes discrets.
Jules Renard. 
LA GLOIRE 
Pour M. Jules Micliaul 
Les drapeaux du soleil vainqueur, où se marie Le rosc triomphal avec l'or souriant, Poursuivent de rayous mortels la rêverie Des astres, qui gardaient la Nuit à l'Orient. 
Et lorsque pavoisé de pourpre et d'écarlate, II apparaît daus sa gloire d'asceusion, Vers Lui, du chur universel des fleurs, éclate La rosée en regards chargés de passion. 
Ce, pendant qu'élargis, d'innombrables pétales Sur les tiges, où bout une sève d'amour, Même les lis, aux attitudes de Vestales ! Livrent leur âme à la merci du Roi du jour; 
Et l'essor des parfums chante daus la lumière Jusqu'au soir, où vaincu de l'éternel combat, Sous l'ombre qui reprend sa royauté première A l'horizon gorgé de carnage, il s'abat. 
Puis, daus la grande paix lunaire les calices, Dédaigneux de Celui que la Nuit vint bannir, Rêvent de se blesser encore, avec délices, Aux baisers ruisselant des soleils à venir. 
Edouard Dubus. 
BARNABE
Un vif tumulte daus le soir d'été. C'était sou cur qi: battait à se rompre : de la joie en inondation, et de la frayeur presque  une frayeur ineffable  d'être si joyeux. Comme ses yeux intérieurs regardaient en luimême, il vit un flot de lumière envahir son être et le remplir d'une incandescente magnificence. L'abondance de cet éclat aveuglait son âme ; il se sentait sombrer en un vertige éblouissant ; tout s'écroulait de lui en violentes cascades d'or.
 O ma vie ! cria-t-il.
Le dernier déchirement terrestre se produisit. Il se trouva tout à coup dédoublé. Il lui sembla voir se profiler sur le lit sa forme maladive, et, autour d'elle, des ombres se pencher en pleurant. Sombre, trop sombre était ce décor extérieur : mais en lui vibrait tant de rayonnement, que ces ténèbres n'épouvantaient peut-être que par contraste. Et peu à peu, daus un enchantement, et par lents dévoilements successifs, se manifestait un milieu nouveau, merveilleusement fertile en seusations radieuses, dont celles produites par la matière ne donnaient qu'un informe aperçu.
Il hésita, comme au sortir d'un rêve, à éprouver saus scrupule la suavité de ces impressions bienveillantes.
Il chercha d'abord à se ressouvenir.
Comment s'appelait-il, daus ce rêve bizarre, troublant, long, amer? N'était-ce point Barnabe"? Oui, oui, il jouait un personnage de ce nom, Barnabé I Il avait été Barnabé. Il venait de souffrir un martyre horrible : une suffocation qui avait duré quinze jours.Ce devait être une fluxion de poitrine. Oh ! quelle angoisse ! quelle angoisse ! Râler, chercher haletant à ressaisir une respiration qui se dérobe, aspirer enfin le vide, s'épuiser en efforts pour apaiser cette soif d'air qui enfièvre le sang, et la sentir augmenter d'heure en heure jusqu'à l'extrême consomption : quelle épouvantable torture ! Tout s'était brouillé daus cette fin atroce de son rêve. C'est, sans doute, n'eu pouvant plus, incapable de subir davantage
qu'il s'était alors éveillé, ahuri encore de ces catastrophes récentes et terribles.
Avant cette effroyable maladie, d'autres événements s'étaient succédés : et il se les remémorait, remontant de l'un à l'autre, jusqu'aux confius extrêmes du souvenir, au-delà desquels il ne percevait plus rien que d'obscur.
Il devait avoir vécu cinquante aus : c'est, du moius, l'âge que lui laissait daus l'esprit la dernière notion lucide qu'il avait des choses. Sa face de vieillard précoce portait une barbe déjà toute blanche, tandis que sa moustache restait à peu près brune. Cette barbe en avance du coté de la tombe l'avait toujours beaucoup troublé. Il ne possédait plus de cheveux que deux bandes floconneuses autour des oreilles. Ses yeux avaient jadis été beaux, et il en avait conçu quelque vanité ; mais, avec le temps, ils étaient devenus chassieux, et l'un même, fermé à demi par une blépharite, n'était plus utile à la vue. Divers malaises tourmentaient fréquemment son corps ; diverses incapacités paralysaient ses désirs. Il souffrait chaque fois qu'il se départait d'une hygiène rigoureuse ; il n'osait manger au-delà d'une limite fort exacte ; la boisson le mettait à bas ; s'il s'occupait d'un travail intellectuel plus d'un nombre restreint d'heures, un flot de sang affluait à ses tempes et les battait précipitamment.
Ces misères physiques se compliquaient d'infortunes morales. Des embarras d'argent empoisonnaient son existence. Etait-ce assez navrant d'avoir, tant d'années, travaillé pour aboutir à une si pitoyable décadence ! De mauvaises affaires l'avaient à peu près ruiné ; et son courage défaillant ne lui laissait pas l'énergie de reprendre position daus l'implacable bataille des intérêts. Sa sensibilité exacerbée ne supportait ce malheur qu'avec plus de honte et de poignante humiliation. L'idée fixe de sa ruine labourait son cerveau et y semait la 'olie.
Ce Barnabé n'avait-il point une fille ? Eh oui ! Une fille dont le mariage avait été irrémédiablement compromis par ces pertes d'argent. La pauvre enfant ! duels consistants remords l'etreignaient, lui, son père, à la pensée toujours rongeante qu'il était la cause de sa lamentable destinée. Il traînait après lui la vision de ces deux grands yeuxvoilés qui lui reprochaient muettement son peu de soin du bonheur de sa famille. Que de larmes versées ! que de soucis désespérants !
Sa femme encore : cette femme qu'il avait tant fait souffrir, et par laquelle il avait tant souffert! Oh ! comme tout cela, cette combinaison de personnes, de choses, d'événements autour de lui, était odieux ! Sa femme particulièrement, avec sa présence continuelle, sa patience d'ange, sa douceur tenace, sa sévérité de caractère, ses plaintes dissimulées, mais qu'il n'apercevait que trop, lui était un supplice, d'autant plus dur qu'il était inavouable. Il se voyait prisonnier de cette femme, elle l'euserrait de mailles inextricables, sa voix monotone clapotait saus cesse à ses oreilles, son regard froid le poursuivait, le scrutait : et il ne trouvait pas un mot à dire, tellement cette tyrannie était pratiquée avec une coustance impalpable.
Délaissant ces impressious, si fraîches qu'elles lui serraient le cur, ce fut un Barnabé plus ancien, moins misérable, moius gris, mais toujours chargé d'épreuves, qui revécut daus cette aiguë et rapide réminiscence. Il repassa les phases de son activité, se rendant compte de l'inutilité de son labeur, revoyant avec honte les péripéties nombreuses, gonflées d'espérances déçues et de vaines tentatives, par où l'avaient traîné ses petites ambitious. Que d'efforts il avait dépeusés pour se créer une aisance, debout du matin jusqu'au soir, la tête bourrée de chiffres et l'imagination encombrée de projets! Que de tracas! que d'incertitudes! que de surexcitations! Que cela faisait mal aux nerfs, rien que d'y songer!
Puis, ce furent des faits plus saillants, qui ponctuaient, comme des points de repère, cette longue, terne et mauvaise existence. Qu'ils paraissaient ridicules, à distance !
Il se rappela son duel. Et, tous les incidents de cette minuscule histoire se représentant avec une particulière nettete à son esprit, il se demandait avec pitié si ce n'avait pas été, hélas! la page capitale de son pauvre roman : sa personne discutée daus une feuille publique, son nom accolé à des épithètes rnalsonnantes, sou honorabilité suspectée, sa colère d'homme flagellé, son embarras sous l'attaque, son recours aux armes, la promenade matinale daus une petite bruine trausperçante, sa crispation d'âme en face de la vibration luisante de l'épée, sa blessure, dont la guérison interminable l'exaspéra et dont les suites l'inquiétaient encore dix ans après.
Il se rappela la naissance de sa fille, cet enfant attendu et qui aurait dû être un garçon. Quels soius vigilants avaient entouré l'être faible et captivant, source tout d'abord d'une joie immodérée, objet eusuite de soucis infinis! Le bas âge avec ses misères criardes, l'éducation avec la surveillance de chaque jour, l'adolescence et ses dangers, l'heure enfin sonnée de se mettre à la recherche du mari, les déboires et le risque de plus en plus grand pour l'infortunée de rester vieille fille : et les années avaient coulé aiusi, gaspillées à de menus devoirs, émiettées en d'humbles et quotidiennes besognes, qui laissaient ressembler le temps à une iusipide et continue pluie d'automne.
ll se rappela son mariage : ces fiançailles mi par raison, mi par amour avec une parente éloignée qui lui apportait une petite dot et menaçait de coustituer daus toutes les règles ce qu'on appelle une bonne femme. Presque heureux, presque ému, le jour de ses noces, il avait sincèrement cru aux vux formulés autour des époux pur la cohorte larmoyante des deux familles. Comment, par quelles iuseusibles dégradatious en étaitil arrivé à ne plus respirer daus le mariage qu'une atmosphère lourde, enfermée, pleine de miasmes?
Il se rappela plusieurs traits de sa jeunesse, avec moius de déplaisir que le reste, peut-être parce que cette époque était plus éloignée. Enfin, il revit vaguement son enfance, l'enfance de ce personnage Barnabé qu'il avait été, qu'il était encore, tant ses dernières manifestatious se confondaient avec ce qu'il éprouvait, lui, lui qui peusait.
Ces souvenirs se pressèrent et se bousculèrent étrangement daus son esprit. L'impression qui s'en dégageait ctait triste : comme de quelque chose de douloureux qu'on a vécu et dont on vient seulement d'être exonéré.
Mais, ainsi qu'au réveil après la morosité du cauchemar, la conviction de cette délivrance s'imposa dans un éclat de joie de plus en plus lumineux. L'évidence splendide du grand jour repoussa victorieusement dans un abîme de moius en moius reconnaissable les affres de ce qui s'était passé. L'immeusité eusoleillée de gloire s'ouvrait. C'était l'oubli : c'était la Vie.
D'une dernière souvenance jetée au mélancolique tableau, il aperçut encore le lit avec sa forme maigre et pâle de Barnabé. Il crut voir s'agiter confusément les ombres, et distingua ces mots gémis daus des sanglots :
 Il est mort!
Alors, soulevé d'une allégresse infinie, il s'élança dans les régious nouvelles  ou retrouvées.
LOUIS DuMUR.
AUX INDEPENDANTS 
II serait d'un mauvais couseil d'engager le public, hélas ! peu nombreux en cette exposition, de s'attarder daus les premières salles où c'est, comme chaque année, un lamentable spectacle que nous donnent des peinturlureurs qu'un peu d'habileté eût rendus dignes du Palais de l'Industrie, et qui s'en cousolent par leur conviction naïve d'être des indépendants Dans la salle avant-dernière, MM Rauft, Perrot et Perier montrent des vtlléités de tendances originales.
M. Perier seul a quelque mérite ; il y a des intentions daus sa Convalescente M. Perrot n'entend rien an pointillisme. M. Rauft aime Degas et Chéret, ce qui est bien, mais il n'a ni la fantaisie du dernier, ni les qualités de dessin du premier, qui est un maître : c'est plus que médiocre.
Dans la dernière salle, la seule intéressante, si tout n'est pas admirable, une partie tout au moins des toiles accrochées méritent la discussion.
La société des Artistes indépendants est cette année en deuil de trois de ses membres : Vincent van Gogh, qui fut et reste un grand peintre de ce siècle ; Seurat, tempérament de chercheur et d'initiateur, un militant d'avant-garde ; Dubois-Piilet, qui fonda la société et fut un bon administrateur. Mais faisous un tour de salle :
Dubois-Pillet.  Soixante toiles. C'est l'uvre d'un amateur d'art qui eût pu employer plus mal les loisirs que ses occupatious lui laissaient. Quelques jolies natures mortes de sa dernière manière; nous préférons l'autre.
Georges Seurat.  L'an dernier le Chahut, cette année le Cirque. Recherches curieuses peut-être, mais cette géométrie est-elle de l'art ? Des tons rares et tins daus ses marines. Peint ses cadres : puérilité.
Paul Signac.  Beaucoup d'habileté et d'assimilation. Harmonie conventionnelle, aucune sensibilité. La Mer, c'est >e Fleuve, et réciproquement. Le portrait de M. Félix Fénéon est bien amusant.
Charles Angrand.  Nous en parlâmes louangeusement l'an passé. Il est à craindre que trop d'adresse n'émousse la seusibilité de ce peintre qui, après Camille Pissaro, est le plus bel artiste de son groupe.
Van Rysselberghe.  Ecole des Beaux-Arts, classe de M. Lefebvre,  voyez le dessin. La couleur est jolie et d'un virtuose qui se croit saus doute un révolutionnaire.
Henri Cross.  J'aime mieux Carolus Duran.
Léo Gausson.  Rendez-nous, cher Mousieur! le Gausson d'autrefois. Bien que peu, il valait mieux. Horreur !
De Toulouse-Lautrec.  Belle exposition. Nous sommes restés longtemps devant le tableau : A la Mie, Grandes qualités de style. Pas très personnel, mais enfin !...
Armand Guillaumin.  Un peintre puissant qu'on peut ne pas aimer. Il est brutal. Discutable, mais incontesté : c'est Zola peintre. Du rouge et du bleu (ses jaunes sont rouges, ses verts sont bleus) et avec ses deux couleurs il nous donne sa vision fortement matérialiste d'une nature exubérante.
Anquetin.  Daus une manière joliment décorative, son Torse de jeune fille vous sollicite au passage.Le dessin est pur. Des roses du visage aux crèmes chaudes du torse c'est d'une magique dégradation de tons. CetÇe toile compte parmi les trois ou quatre qui de cette salle sont les meilleures. Nous aimons aussi le profil de femme (No 17). Les paysages et le décor sont inférieurs. Par la composition et les particularités du dessin, le Pont des Saints-Pères tient de la fresque, mais il semble que la couleur n'en soit pas assez murale.
Emile Bernard.  Un tout jeune peintre de beaucoup de talent qu'il ne faudrait pas juger sur les toiles qu'il expose. Une seule, Peupliers au déclin, vaut d'être citée. Ajoutous-y la nature morte où l'on sent les qualités du peintre. Le reste n'a rien de définitif. On n'expose pas le produit de recherches incomplètes.
Maurice Denis.  Ce mystique nous arrête. Il expose pour la première fois. Il est à souhaiter que ses dessius de Sagesse, de Paul Verlaine, trouvent un éditeur pour une édition luxueuse de ce beau livre. Dans la femme nue de son Décor, il n'y a pas harmonie entre la couleur qui vibre trop et la ligne qui est silencieuse et doit l'être. Belles promesses.
Pierre Bonnard.  A mentionner son petit tableau : V exercice. 
Anna Boch.  Admire van Gogh et ça se voit.
Danibl-Monfreid.  Admire Gauguin et ça se voit.
Willumsen.  Parmi ceux qu'a influencés Paul Gauguin, c'est un des rares dont la personnalité soit np
parente. Qu'on rie devant ses toiles, c'est affaire aux niais. M. Willumsen a du tempérament. Deux bretonnes sur la rue et la fin du bavardage sont daus un caractère de puissante originalité. Ses eaux-fortes sont fort belles. Sa sculpture sur bois est mieux qu'intéressante. Il y a chez ce peintre un don d'ironie qui n'est pas h Heur d'âme.
Vincent van Gogh.  La Résurrection est le chef-d'uvre de l'exposition des Indépendants, et, de plus, un chef-d'uvre. On a tout dit sur cet admirable artiste.
Lucien Pissaro.  Nous n'aimious pas sa peinture. Ses gravures sur bois sont remarquables.
Atbert Trachsel.  L'architecte symboliste. Le lever de lune fragment de décoration d'un temple à la lune) ne reuseigne pas suffisamment. Mais son épure du Palais des extases, daus sa simplicité de lignes, nous montre à quelle volupté architecturale on peut atteindre par des courbes, ^architecture n'avait pas encore exprimé cela.
Julien Leclercq. 
THÉÂTRE D'ART
Le Théâtre d'Art, définitivement sorti de ses langes le soir des Ccuci, s'affirme l'entreprise dramatique la plus originale de ce temps. Sa dernière représentation  la cinquième en comptant les deux qu'il donna sous le nom de Théâtre Mixte  si vraiment artistique, si audacieuse avec La Fille aux mains coupées, lui a conquis des sympathies précieuses : M. Paul Fort n'a plus qu'à continuer son uvre pour grouper tous les talents qui seraient mal à l'aise sur la scène naturaliste du Théâtre Libre, et partant ne s'y risqueraient point. Voici, daus l'ordre de l'interprétation, les pièces au programme du 20 mars.
Les Veilleuses, pièce en 1 acte, en prose, de M. Paul Gabillakd.  Autour d'une idée jolie, c'est une scène naturaliste de fond, souvent romantique de forme.  Le sonneur d'un village est mort; des femmes, des voisines, le veillent en compagnie de sa fille, qui pleure auprès du lit. Mais les heures sont longues; la parlerie des femmes, d'abord grave et toute au sonneur, dévie en un jabotage sur leurs petites affaires; elles rient parfois  aussitôt rappelées à la situation par la fille du défunt. Ce rôle austère de veilleuse, qui commanderait le silence, finit par leur peser, et elles profitent de l'arrivée de « la folle *, un pauvre être saus famille et saus toit qui vit d'aumônes daus le pays, pour rentrer chez elles. La fille du mort reste avec l'idiote, qu'après d'énergiques refus elle a autorisée à demeurer. Cependant elle tombe de fatigue, se violente pour résister au sommeil, et l'autre lui persuade d'aller dormir : elle veillera seule. Rideau. La jolie idée est daus le mobile de la folle : un jour qu'elle errait par les chemius, selon l'accoutumée, le sonneur l'a prise, elle que nul ne regarde et dont personne ne veut; et de cette circoustance elle a un tel souvenir que le sonneur est pour elle comme le bon Dieu...
M. Paul Gabillard prouve des qualités d'observation et possède l'art des nuances. Mais sa pièce gagnerait, j'imagine, à ce que la folle  l'éternelle folle des romantiques !  fût une simple fille laide. Il n'était peut-être pas indispeusable aussi qu'elle survint tout juste alors que minuit sonne, et que précisément ce soir-là éclatât un orage : moveus impressionnants saus doute, mais un peu surannés et puérils. C'est le gros reproch; que je faisais naguère à M. Van Lerberghe à propos des Flaireurs. 
MM"'" Lemorié (la folle) et Camée (l'orpheline) ont été parfaites. Quant aux veilleuses, MM0"" Suzanne Gay, Dénac. etc., on n'a pas très bien entendu ce qu'elles disaient.
La Fille aux mains coupées, mystère en 2 tableaux, en vers, de M. Pierrf. Quillard. Décor de M Paul SÉRcsier.  Ce poème, iuséré voilà cinq aus daus La Plèinde (i''e série) et qui est un des plus beaux de La Gloire du Verbe, le livre récemment publié par M. Pierre Quillard chez Bailly, est trop connu des lecteurs du Mercure de France pour que je le raconte  tâche périlleuse d'ailleurs et profane, car on ne touche pas au rêve des poètes... Je ne veux que noter la délicieuse impression qu'il a produite, et la hardiesse de sa mise à la scène. Sur ce dernier point, je ne saurais mieux dire que M. Marcel Collière, à qui j'emprunte le début de son article daus le journal-programme du Théâtre d'Art :
f. L'ordonnance scénique de ce poème est pour laisser « toute sa valeur à la parole lyrique, empruntant seul le « précieux iustrument de la voix humaine qui vibre à la « fois daus l'âme de plusieurs auditeurs assemblés, et néi gligeant l'imparfait leurre des décors et autres procédés " matériels. Utiles quand on veut traduire par une imitaf. tion fidèle la vie contemporaine, ils seraient impuissants « daus les uvres de rêve, c'est-à-dire de réelle vérité.
« On s'est fié à la parole pour évoquer le décor, et le T faire surgir en l'esprit du spectateur, comptant obtenir, « par le charme verbal, une illusion entière, et dont * nulle contingence inexacte ne viendra troubler l'abs". traction.
5 Aussi le dialogue en vers est-il enchâssé daus une " prose continue qui dévoile les changements de lieux ». et de temps, indique les êtres, révèle les faits et laisse * aiusi au vers sa fonction essentielle et exclusive : f. exprimer lyriquement l'âme des personnages. La prose, f. assidue coryphée, suit l'action ; elle la débarrasse de *: tout récit, de toute explication qui gênerait ou alour- dirait son vol. Le chant ne contient que le hant. »
On remarquera que cette ordonnance scénique, à peu près analogue à celle des tragiques grecs, est la première tentative en les temps modernes de simplification du décor.  Sur le fond d'or des Primitifs, un fond d'or au semis d'icônes naïves d'anges en prières, les figures se meuvent, lentes, rythmiques; elles disent, ou plutôt elles chantent leurs âme, et, quand elle se taisent, une récitante (debout, à gauche de la scène et en deçà du rideau de gaze) les explique d'une voix uniforme et monotone, ou bien le chur épand une musique suave de paroles : la Voix de l'Invisible. Et de ces chants alternés l'àme des personnages surgit, concrète pour ainsi dire et quasi palpable.
Le public, en majeure partie des poètes et des artistes, a beaucoup applaudi ce spectacle lare, une des plus pures jouissances esthétiques que je sache.
M": Camée fut exquise en son rôle de vierge mystique, aux mouvements si lents et si « mélodieux », et elle a chanté le vers d'une façon que ne lui euseigna certes point le Conservatoire : difticulté de plus. J'eusse préféré Me'e Gay (la récitante) plus monotone encore qu'elle ne fut, et M Paul Franck (le choryphee) plus «chantant ». MM. Prad, Beuve et Félix tenaient les antres rôles.
Madame la Mort, drame cérébral en 3 actes, par Rachilde.  Cette pièce a le mérite de n'être point bâtie selon l'une des deux ou trois formules dramatiques habituelles, et elle est curieuse d'invention autant qu'intéressante par la psychologie du principal personnage, Paul Dartigny. Dune intelligence trop affinée pour s'avouer nettement matérialiste, il ne croit cependant plus à grand'chose au moment où il résout le suicide, et, dégoûté de tout après avoir essayé de tout pour se prouver l'existence supportable, il n'aspire alors qu'à l'anéantissement total de son être. Mais cette conclusion nihiliste de sa raison répugne à son Imaginative, et une sorte de seus esshétique  non un vieux levain de foi  l'induit en la conception d'un au-delà païen, étrange paradis fait de calmes contrées daus une lumière trouble qui ne viendrait point du soleil, et où la Mort  une femme long voilée de gris-poussière, une femme très belle , grave et douce  est la maîtresse définitive, maternelle, câline, l'Absolue qui pause toutes les plaies et cousole pour l'éternité.
C'est au second acte que se révèle cet état d'âme. Le premier a mis aux prises le pessimisme névrosé, aristocratique et artiste de Paul Dartigny avec le bourgeoisisme bon garçon, benoît et heureux de vivre de Jacques Durand : ce Jacques et Lucie, la maîtresse de Paul, synthétisent là les geus de nerfs placides, d'humeur quiète, d'esprit fermé au rêve, les gens de sens commun qui s'accommodent et même se satisfont du train des choses. Mais au second acte  qui est le rê\v in articula martis de Dartigny et par quoi il assiste à son agonie  Lucie est ^apparence sous laquelle la Vie se manifeste au mourant pour lui reprocher de la volontairement quitter, ':'efforcer à le reconquérir, la Vie qui combat la Femme voilée attendue depuis tant d'heures et enfm venue. Le * drame cérébral » est ici. A proprement dire, c'est la Vie et la Mort se disputant une humanité ravagée d'incroyance et qui, trop faible ou trop raffinée pour la résignation à la fin matérialiste, tâche à tromper sa misère spirituelle par de hasardeux mysticismes. Si le débat n'a point cette ampleur, il la suggère néanmoius. Tout le morceau est d'un mouvement dramatique et d'une concision remarquables. Au crescendo de passion de la Vie, la Mort oppose son implacabilité sereine; et un iustant Paul faiblit, laisse échapper comme un regret :
Paul DartignÏ.  Ses cheveux étaient si longs!...
La Femme VoilÉe.  Mon voile est encore plus long.
Et lorsqu enfin la Vie s'en va, clamant le désespoir de sa défaite en des appels éperdus, la Femme voilée est douce et caressante au pauvre amant. Mais il voit peu à peu se rétrécir l'au-delà de son rêve : la maîtresse ne se livre point, ne peut pas se livrer, et, impuissante à répondre à ses interrogatious, ce sont des ambiguïtés qu'elle profère :
Paul Dartigny.  Enfin peux-tu me dire qui tu es, toi, la Mort?
La Femme VoilÉe.  Je ne sais pas.
Elle ne sait pas. Elle s'ignore. Elle est la Fatalité. Le paradis eutraperçu, ces contrées de paix et de suavité oit ton aurait conscience de la. perpétuité du repos, se brouille davantage, disparait presque en des amoncellements d'ombre. Que va-t-il advenir?-'  Il dormira.
La Femme VoilÉe.  Pour toujours.
Et d'un mouvement lent et dolent elle l'eusevelit en la nuit sans fin de son voile.
Ce deuxième acte est, je crois, la page la plus complète, à coup sûr la plus élevée, que l'auteur ait jamais écrite.
Lucie reparait nu troisième acte avec Jacques Durand. Mais elle n'est plus alors une semblance, une projection du cerveau de Dartigny : elle représente, comme au début de la pièce, la moitié féminime du Tout-le-monde pratique et de seus commun dont Jacques incarne la moitié masculine. Et le rideau tombe sur la pitié quelque peu méprisante de ces deux êtrjs pour !e pauvre toi, ces deux êtres qui sont l'Humanité incousciemment cruelle au rêveur, si indifférente à des maux dont elle est l'abri et que d'ailleurs elle ne conçoit point.
Beaucoup de personnes eussent aimé mieux que la mort de Dartigny achevât la pièce. Je ne discuterai point le plan de l'ouvrage. Je reprocherai seulement, au premier acte, un manque de concision qui m'a parfois donné l'impression d'un bavardage, et le romantisme de l'empoisonnement au cigare saturé de nerinm olcandcr  bien qu'un tel suicide soit très possible scientifiquement et tout à fait daus le personnage de Dartigny.
M11* Camée, si vivante, jouait la Mort, enveloppée toute daus un long voile gris. Elle a dit les brèves phrases de son rôle avec infiniment d'intelligence, et a su conserver à la Femme voilée, même quand elle chasse la Vie avec des paroles violentes, même alors qu'elle se fait caresseuse et cousolatrice, la sereine majesté que volontiers on imagine à la reine éternelle. La grâce du lent et grave mouvement dont elle eulinccule Dartigny a enthousiasmé la salle. Me'e Suzanne Gay (Luciei est une parfaite maîtresse r. saus cur » : la fille qui a de la tenue et fait son petit métier avec une certaine décence. Mais je ne crois pas que la passion soit daus ses cordes : la véhémence n'est point de la passion..  Le masque amer et l'attitude hautaine de M. Paul Franck s'adaptent merveilleusement à la figure de Dartigny, qu'il a bien rendue; toutefois, an second tableau, peut-être eût-il dû s'efforcer à une diction spéciale, plus suave, qui signifiât
que le drame est daus son cerveau et non sur la scène.  Il est regrettable que M. Albert Félix, dont je sais la couscience, pense utile, pour raison d'optique, d'exagérer sa mimique et ses intonatious : après avoir fort bien compris la physionomie de Jacques Durand, il a perdu maintes de ses trouvailles en grossissant aiusi son jeu. Il faut remercier M. Prad d'avoir accepté, par sympathie pour le Théâtre d'Art, le bout de rôle du docteur Godin.
 Enfin M Ricqmer a tracé la silhouette du domestique moderne, une sorte de fonctionnaire correct peu attaché à qui le paie.
Le Quignon, poème de M. StÉphane MallarmÉ.  Moins encore que de La Fille aux maius coupces je n'ai à parler du Gtugnon, qui est daus toutes les mémoires. Mais il était intéressant d'entendre dire sur la scène, par la voix souple d'une interprète qui sait au besoin désapprendre la diction classique, les beaux vers du maître. M>'« Camée y a remporté un grand succès', et les acclamatious et les applaudissement dont on a salué le nom de l'auteur prouvent  une fois de plus  combien M. Stéphane Mallarmé a d'admirateurs daus les « génératious montantes ».
Prostituée, scène naturaliste en 2 tableaux, par M. De Chirac.  Est-ce une parodie ? Si oui, tout est pour le mieux Sinon, ah! M. je Chirac est encore un peu loin de la littérature d'art. Je serais désolé qu'il en prit le moindre chagrin, mais je ne puis ne point coustater que sa pièce est toute en ceci : le premier chapitre de VAssommoir cousu à une scène postérieure du même livre, et ce non par M.Zola, mais par un Dennery mal en train. M de Chirac observera que je n'en veux nullement à ses mots grossiers, presque tous bien en situation
 quoique inutiles. Mais quelles métaphores!... M. Prad, un excellent Coupeau, et M11" Camée (et même le petit Fernand Rouquet, un bébé en chair et en os que j'ai revu l'autre soir daus le Camille Desmonlins de Marc Legrandi ont vaillamment tenu la scène jusqu'au bout, malgré les huées de la salle, vociférations, trépignements, sifflets, cris d'animaux, etc., etc.
Programme illustré par Paul Gauguin et Paul Sérusier. Alfred Vallette. 
A l'association des étudiants.  Le vendredi 10 avril, daus la salle des fêtes de la mairie du IV" arrondissement, en présence de peintures allégoriques micrème mi-fumée et d'un Sarcev vivant beau comme un jeune dieu, la troupe du Théâtre d'Art a représenté, pour l'Association des étudiants, à ses invités le CamilU' Dcsmonlins de M. Marc Legrand. Je conçois mal qu'on puisse faire parler eu alexandrins les hommes de la Révolution; la prose  lût-elle «artiste» et d Edmond de Concourt  s'accommode de toutes le; niaiseries et de toutes les emphases, et peut-être feraitelle revivre cette étrange époque de déclamations puériles et d'actes prodigieux. Mais le vers ne saurait, saus déchéance, exprimer telle ou telle manière de dire, spéciale à des individus déterminés : il semble destiné uniquement à proférer les choses éternelles. Si cousciencieusement ouvré que soit le drame de M. Marc Legrand, il est en somme marqué d'une tare native et nécessairement on y devait trouver des vers regrettables :
Pour moi, nul ne pourra m'ôter mon encrier 
M'enfermer tout virant dans In médiocrité. 
On l'ait marcher au but saus tomber daus le gouffre. 
Ces erreurs ne sont point imputables au poète, mais au gi nre.
Camille Desmoulins a été supérieurement interprété par M. fenonx: une voix superbe, une grande noblesse de geste et d'attitude ; par M. Paul Franck: Robespierre après Dartigny, une ligure sèche, une voix d'acier en coquetterie avec la nuque des suspects; et par M. GauIcu. Mlle CamÉe  Lucile  doit être mise hors de pair : elle a dit les vers comme il faut les dire, d'une voix chantante et sonore : tour à tour mutine, tragique, attendrie, observant toujours le rhythme et ne permettant pas même à la passion de deranger l'harmonie de? lignes, dans cette grande salle, saus dccors, qu'elle emplissait toute de sa déclamation éperdue, elle apparaissait comme une vivante image de l'éternelle poésie, une de celles qui éveillent le frisson sacré  et les poètes la remercient pour la pure émotion d'art qu'ils lui doivent et qu'ils n'oublieront point.
Après Camille Desmoulins venaient: Le Plumet, une comédie inédite de MM. Collias et Rèmond où se trouvait au moius une idée heureuse, et une ineptie de Busluich et Gastincau. Mais, pendant l'tntermède, une uvre de pur génie nous a été révélée par M. Gearges Kcrr: c'est une miraculeuse complainte : Sur les fards de r'Oliio, d'une fantaisie tellement excessive qu'elle
put saus scandale exciter en même temps le rire inextinguible des poètes lyriques et la furieuse tempête d'hilarité qui secouait les flancs vastes   mais vénérables  de M. F. Sarcey, beau comme un jeune dieu.
P. Q. LITTÉRATURE ITALIENNE 
Revues.  Ga^etta Icttcraria : Notice sur Théodore de Banville, par Federico Musso,  meilleure et mieux renseignée que la plupart de celles que nous lûmes en des journaux français (21 mars).  Etude sur )' Argent de M. Zola, par Giuseppe Depunis : le critique prend à ce livre un intérêt qui nous étonne ; il suffirait peut-être de coustater Pétiage du tirage pour épuiser l'esthétique alTérente au sujet 128 mars).
Cronaca fArtc : Curieuses notes de Giuseppe Robiati sur un romancier italien, tout à fait inconnu, Ottone di Banzole Cet écrivain, dans ses trois livres, Al di là, \o. Qniirtcllo, apparaît tel qu'un romantique décadent, s'inspirant de Leopardi, de Baudelaire, de Scnaupenhauer, assez indépendant pour avoir écrit : «A dire vrai, je n'ai jamais senti ni compris l'amour de la patrie » ; daus un autre roman, tout de jeunesse, Meinorie inutili, il avait analysé les plus étranges observatious de l'amour, en un mélange, dit M. Robiati, de Stendhal et de De Sade. Nulle critique ne parla jamais des livres de Ban/oie : cependant ils ont été achetés et lus, puisqu'épuisés en librairie, (i 5 mars).
La Critica sociale, toujours intéressante, mais sur des sujets où nous ne pouvous la suivre en détail, nous a fait l'honneur de traduire presque intégralement, en y joignant des comment >ires saus équivoque, « Le joujou Patriotisme ». La traduction est élégante et d'une langue très fine. Cette expression italienne m'amusa beaucoup: pour dire : Va-t'en te promener : « Vatti un po ad ungcrc, »  va te faire oindre,  gavrochement, en français : « Va te faire couper les cheveux ! » R. G.
M. Antonio Xaccaria vient de faire paraître à l'aenza une brochure /// A/Vwor/.r di sua altéra reale il principe Amcdeo di Savoia, dnca d'Aosta. 
Les Fusillés de Malines, par Georges Eekhoud (Bruxelles. Lacomblez). Voili un tris bon livre, malgré quelques pages d'un naturalisme un peu trop de kermesse à la phase excrémentielle. C'est l'histoire de la révolte des Flandres, en 1708, contre l'occupation française et la stupide tyrannie des jacobius. On avait fermé et pillé les églises, déporté les prêtres à Cayenne, supprimé toutes les gildes, confréries, corporatious et fêtes locales: à toutes ces vexatious (imaginées naturellement au nom de la liberté et l'égalité) ajouté la couscription:  les paysaus, un jour, trouvèrent que cela allait un peu loin et prirent les armes. Ils surprirent Malines, mais, surpris à leur tour et cernés, ils furent massacrés, et ceux qui avaient échappé à la tuerie fusillés le lendemain après un simulacre de jugement. L'auteur méprise et hait la Révolution française,  sentiment que tout artiste ne peut que hautement approuver. Ah ! Gantois et Brugeois. si vous nous aviez appartenu, comme nous aurious rasé vos maisous à pignous, vos beffrois, vos couvents, vos hôpitaux, vos chapelles, voséglises ! Comme nous aurious redressé vos rues qui s'en vont saus savoir où ! Et comblé les inutiles canaux de Bruges ! Et rendu toutes ces villes un peu modernes ! Songer que Bruges pourrait ressembler à Saint-Denis ! Sous couleur de patriotisme flamand, cette étude de M. Eekhoud. fort bien écrite d'ailleurs, avec plein de trouvailles de mots et style, est un plaidoyer de l'art contre le vandalisme et de l'idéalisme contre le despotisme utilitaire : donc, à tous les points de vue, un très bon livre. R. G.
Les Pharisiens, par Georges Darien (Genonceaux).  Un jeune homme de lettres, qui serait saus doute l'auteur luimême si nous étious encore au beau temps des romaus à clef, s'introduit daus les dessous d'une librairie quelconque où il rencontre un célèbre anti-sémite portant le pseudonyme extraordinaire de VOgrc. Ce jeune homme, un peu candide, s'aperçoit que les grands éditeurs et les grands auteurs cherchent avant tout leur intérêt, les uus quand ils éditent, les autres quand ils écrivent. Ça l'étonne. Il explique son étonnement daus une langue véhémente, ornée de pério les ù effets, comme les discours académiques. On ne sa sit pas bien s'il est pour ou contre les juifs, mais ou finit par" s'apercevoir qu'il est amoureux d'une petite femme. L'idylle est très :o:ie, trop jolie. Les juifs ne comprendront jamais, eux, que l'indi
(i) Au prochain fascicule : Les Cahiers d'André \Vallcr (uvre posthume), Confitcor (G. Trarieux). Là-Bas (J.-K. Huysmaus), Daniel Valgraive (J.-H. Rosnv), Au Pars du Mufle (Laurent Tailhadel, La Création du Di.tble (Rnymond Nyst), Le Circulaire 1)4 (J. de Beauregard): L'Androgyne ij. Péladan); Diptyque (F. Vielé-Griffin).
gnation contre l'Ogre, leur ennemi, en arrive fatalement à une histoire d'amour. Le défaut du pamphlet, en général, c'est d'être ennuyeux quand il est long, mais tout l'esprit du monde, tonte la fougue des périodes a effets, ne feront pas qu'il soit sérieux quand il tombe daus le roman... idyllique. Si Les Pharisiens sont un roman, ce roman est beaucoup trop plein de questious d'économie sociale. Si ce n'est qu'un pamphlet, alors pourquoi l'histoire de la femme ? Pour terminer, le héros, qui esquisse une vilenie en l'honneur de sa dame avant de l'avoir conquise, renonce à la même vilenie lorsqu'il a tàté de la femme. C'est, intellectuellement, oublier de poser le louis sur la cheminée et, en somme, la seule morale à tirer de l'uvre. Je crois que G. Darien, l'auteur de Biribi, a «ne revanche à prendre.
L'ornement des noces spirituelles, par Rursbroeck l'Admirable, traduit du flamand par Maurice Maeth'iatonim spnvyrû'tttu, représente un roi et une reine enfermés eusemble daus un cercueil, accompagné d'un côté par un squelette et de l'antre par un homme boiteux. « Le roi et la « reine, dit M. Poisson, représentent le soufre et le mercure ' enfermés daus le sépulcre icornuei philosophique; le sque, 1ette indique que nous sommes pendant l'opération nommée
- mortifient on. Le boiteux ou Vulcain, symbole du feu, iudi« que que l'on doit chauffer l'uf philosophique, fc'cst-à-dire « le récipient, la cornue, où sont placés le soufre et le
 mercure ».
Avant d'aborder l'explication détaillée des symboles, l'auteur expose quelle fut la philosophie hermétique. Il la montre appuyée tout entière, dès l'origine, sur la foi en l'unité et l'indestructibilité de- la matière, se combinant avec elle-même en modes infinis. Le fameux « rien ne se perd, rien ne se crée», dont s'enorgueillit la sciene contemporaine, n'a jamais été un mystère pour les alchimistes, et l'uvre de M. A. Poisson le prouve surabondamment, pour la plus grande joie des bous esprits, qui estiment une mauvaise plaisanterie la théorie scientifique du Progrès E. D.
Poèmes et Ballades d« A. C. Swtnburne. Traduction de Gabriel Moi-rey. Xotes sur Swinburne par Guy De MauPassant. (Savine).  Comme le fait remarquer M. de Maupassant, et c'est une vue fort juste, pour gouter pleinement ce volume de Swinburue il faudrait être soi-même très sensuel ou ne le lire qu'en une phase, en une crise de seusualité. Laus Venci is, surtout Anae orio, poèmes qui glorifient le fond de folie erotique qui sommeille ou s'exalte aussi bien daus les paisibles que daus les agités.  selon les occasionnelles et occultes volitious de la chair. Ce n'est pas le rêve de supra-terrestre suavité ou se complaît Rossetti, ni la sentimentalité douloureuse de Tennyson ; ici l'amour est presque uniquement physiologique, la rêverie est étroitement liée à la seusation : toutes deux s'envolent eusemble vers les au-delà où se continue iusatiablement, saus s'achever jamais, le repas charnel Corps de femme, d'androgyne, d'éphèbe, toutes les formes et tous les caprices de la beauté visible ou imaginable, le poète les requiert pour des assouvissements qui vont jusqu'au vampirisme. Il y a daus ces Poèmes et Ballades des ballades simplement romanesques et des poèmes ou de paganisme grec ou de mysticisme, des légendes du moyen-âge, un « miracle » (où avec le roi David intervient Sapho»; partout, une fécondité exceptionnelle de thèmes, un prodigieux fourmillement d'images, une magnifique richesse de rythmes et de strophes,  mais saus que l'eusemble donne une impression assez nette pour permettre de caractériser le poète. Esprit complexe, cervelle débordante de notious, aimant à la fois les vieux rondels français et la Bible feu vingt endroits on ret.'ouve du Jérémie et du Job), les lyriques grecs et la chauson populaire, connaissant plusieurs langues et toutes les littératures. Swinburne est néanmoius demeuré hautetement personnel et original jusqu'au paradoxe. C'est un fort.
La traduction est excellente, littérale et littéraire,  travail énorme qu'il faut beaucoup louer, car Swinburne est obscur et dur à interpréter. Du grand versificateur, de l'artiste unique, que dire à propos d'une traduction? Il reste de la fleur tout ce qui pouvait rester : le psrfum. R. G.
Les Adolescents, par Daniel De Vesancoi-rt, Préface de Robert DE LA ViLLEHERvÉ (Vanier). - L'exiguïté d'une note bibliographique ne permet guère de dire tout ce qu'il faudrait de ce livre charmant, exquis parfois, d'une incomparable fraîcheur et jamais banal. Au reste, la Préface de M Robert de la Villehervé  où est intercalé un sonnet de notre ami Le Cardonnel à Laurent des Aulnes, pseudonyme de M. Dnniel de Venancourt  est certes le meilleur article que suggéreront Les Adolescents : qu'on s'y reporte donc. L'auteur, dit cette préface, est très jeune. Les conceptious de M. de Vcnaucourt ne démentent point cette affirmation, mais l'ordonnance des poèmes et la science du vers sont alors très remarquables. Ceci l'est peut-être plus encore : presque tous les rêves du poète sont daus le bleu, et nulle part - - pas une fois!  ils ne s'échouent en cette sentimentalité bébête qui -est la tare ordinaire de telles poésies. Et puis, de l'inattendu daus l'expression : ces vers, par exemple, qui m'ont fait songer a Saint-Pol-Roux :
Les dociles iic ma eie ont sei^e fois sonne 
Le Prince de mon rêve a mis ses habits bleus Et ceux-ci :
... La vierffe Murie aux grands gestes blancs 
Vieus, petite Eve, il est tard : J'ai sommeil de ton sommeil. 
Je regrette de ne pouvoir citer de plus longs passages, notamment du Prince A;ur, ce délicieux rêve d'adolescent et qui révèle un si délicat poète. A. V.
Le Gorille, par Oscar MÉtÉnier (Victor Havard).  Sous la sauvagerie marmoréenne de la couverture, où se prélasse le (jorilleùe Frémiet, celui-là même dont un railleur disait qu'il représentait Littré enlevant la langue française, Oscar Méténier a publié un roman très doux. Décidément, le vigoureux piocheur d'argot qu'était jadis notre Méténier devient un romancier pour dame. Il s'agit d'un père qui retrouve l'enfant d'un péché de jeunesse et qui le protège contre les embûches d'un financier véreux (le Gorille, tn tant que symbolisme !) Cet enfant est naturellement une fille. Le drame se termine par un duel à la carabine renouvelé des Américaius... et de Pouson du Terrail. Comme histoire, c'est intéressant, bien machiné, avec de ci, de tà. un petit coup de théâtre d'auteur depuis longtemps rompu aux mouvements scéniqucs. Mais j'aimerais mieux M. Betsy. En somme, un Méténier correct, un Méténier qui ne cassera plus les assiettes que pour le bon motif! Vous verrez que l'argot se vengera. ***
L«s Derntères Fêtes, par Albert Giracd (Bruxelles, Paul Lacomblez}.  M. Albert Giraud montre, en son très élégant volume, une science accomplie du vers et une connaissance approfondie des poètes les plus modernes. La forme est toujours impeccable, mais tel de ses poëmes rappelle Baudelaire, tel autre Leconte de l'Isle, tel autre Verlaine. Il n'est pas jusqu'à Saint-Pol-Roux qui ne puisse revendiquer « un masque où la fièvre allume ses cactus > et » des regards éperviers pour des chasses mauvaises». Cependant, en maint endroit, l'auteur affirme une personnalité. Il a une évocation de paysages teintés de bleu tendre et de rosc pâle un peu « dessus de boite à bonbous », mais bien à lui. E. D.
Sonyeuse (Soirs u'c Paris  Soirs de province), par Jean Lorrain (Charpentiert.  Actuellement, il est peu de journalistes qui soient capables de livrer leur esprit et leur art une fois tous les deux jours daus les colonnes des grands journaux. Ils pondent facilement. Dieu sait, tous ces chroniqueurs léroccs, mais la copie se ressent du train habituel de leur existence. Ils sont régulièrement plats, surtout rabâcheurs de Kaits et de bous mots faisandés. Si l'actualité est leur dada favori, on peut s'assurer cha9ue jour qu'ils s'entendent à le faire trotter en cercle, et où il a passé les herbes de la SaintJean ne poussent plus! Lorrain, désormais classé parmi les grands journalistes de l'époque, est peut-être le seul qui ait su couserver tous les attributs de l'artiste daus le vil métier que la chronique lui impose. Poète des nuances vert-dc-grisées de la passion morbide, ciseleur des idées perverses, et. quelquefois, paradoxant daus la morale du ;our comme chez lui, Lorrain est un virtuose que les exigences de la reine Copie ne lasseront pas. Il est lui avant tout, il décompose les tous francs comme un peintre doublé d'un chimiste cruel, mais pour le plaisir des yeux et saus oublier qu'il nous doit la fermeté du dessin sous les successives couches de ses laques vénéneuses. Il écrit avec des encres douteuses et moirées, mais il écrit comme un ange... Sonyeuse son dernier livre, contient des nouvelles ravissantes, toutes marquées au coin du satanisme voulu par l'époque et qui, si elles cessent plus tard d'être Botaniques, couserveront, malgré la griffe du Satan démode, un parfum extraordinaire, une merveilleuse attitude de sphinge élégante. \.'Egrégore est une des plus jolies gemmes de l'écrin. Avant, Sondeuse, qui se passe en Normandie, est presque, par ci, par là, un livre de souvenirs personnels, un missel des premières communious... mais qui sentirait le musc. Maintenant, nous attendous le roman commandé par Huvsmaus. J'ai idée que ce sera bientôt. ***
Poésies variées et nouveaux chats, par Alfred Ruffis (Jouaust).  Je m'imagine M. Alfred Ruffm comme un bon et honorable vieillard, ami eies Muscs et de Sully-Prudhomme. et je serais désolé de lui faire de la peine. Ses vers peuvent être lus par tout le mande; ils sont classiques, réguliers, corrects, et ne contiennent rien, pas même des propos subversifs. Il dit du bien des chats, parle des bateaux qui vont sur l'eau, dédie des Eléphants à madame Judith Gautier (grosse, grosse comme Judith Gautier, disait Mirbeau), note des tableautius, place des anecdotes et fait de l'esprit.  Son livre est édité avec tout le soin de la maison Jouaust. C. Mki.
Les Asphodèles, par Martin Paoli, Préface de FranÇois FabiÉ (Vanier).  L'âme d'adolescent qui se raconte ici fut touchée de l'inévitable mal, et, daus sa misère , elle déteste ces symboles de joie, de gloire et de clarté :
... les lrs, modèles 
De candeur, les genêts oit s'allument les ors Les cyclameus neigeux s'nuvrant comme des ailes... 
Elle va aux fleurs de mort, les pâles asphodèles, qui signifient « les traîtrises, les faux serments et les remords. » Mais c'est là peine de très jeune homme, que boira le premier soleil. Déjà ce sont des rêves d'aube, des désirs de lumière, des élaus de tendresse, de suaves visious de corps harmonieux. Quand viendront les baisers nouveaux, ce cur, guéri, retrouvera sa foi. Pas la moindre perversité d'ailleurs en ce petit livre : du seusualisme seulement. A. V.
La Marmite électorale, par Gaston Rayssac (Albert Savine). Un roman-pamphlet où gigotent d'amusantes silhouettes de journalistes ruraux, de magistrats, de fonctionnaires, daus un tohu-bohu de campagne électorale. De ci, de là, de piquantes anecdotes, des tableaux d'une exactitude photographique. Un peu cursivement, mais nerveusement écrit,ce livre intéressera tous ceuxet ne sont-ils pas légion?qui tiennent à être initiés aux mystérieux tripotage des coulisses politiques. J. C.
Député ! par FÉline De Comberovsse. (Perrin et C1').  La députation n'est d'ailleurs que pour mémoire daus ce livre prodigieusement niais. Cela pourrait aussi bien s'appeler : « De l'art de faire des enfants à sa femme pour qu'elle ne vous embête pas quand vous allez la tromper avec une ancienne. » L'auteur s'est essayé à des perversious d'il y ;i un siècle : livre excellent à donner aux adultes pour calmer les effervescences printanières... Mais quelle politiqne de village a bien pu iuspirer cette ridicule odyssée ! Quand on s'inti
tule Féline, sacrebleu, on devrait secouer des crinières plus Comberousse que ça! *"
Vinpt-cinq sonnets, par Paul Dclac (Bruxelles, Paul Lacomblez).  Le titre est ce qu'il y a de plus lyrique daus cette plaquette, d'une douceâtre ineptie, témoin ce quatrain : Sous votre petit chapeau tose, Votre min-iis est ravissant, Quand rotrc regard caressant Avec douceur sur moi se pose. E. D.
I,a Vte eu chansons, par Eugene Lembrcier. La chanson n'est point de la littérature ; c'est une chose à coté, toute différente et que les prétentious des chausonniers empêchent de mettre à sa place. Pour formuler saus être méchant, c'est l'art d'aecommoder Ics restes :  trois strophes étiques, et que personne ne remarquerait, deviennent de suite, par la magie du fredon, un petit morceau qu'on s'accorde a trouver très bien. Par contre, toutes les chausous perdent à être lues, n'ayant pas été faites pour ça, et je ne vois r. as qu'il soit utile d'en composer des vo>umes.  M. Lemercier, cédant à l'habitude, a réuni les siennes ; j'avouerai quelque préférence pour des pièces qui, légèrement, résistent : La Vieille savonneuse, Les Marchandes au panier. On y trouve encore ces vieitles histoires de sergots qui firent la joie des cénacles et divers couplets agréables pour tels qui flânent aux gaudrioles.  D'ailleurs, M. Lcmorcier ne vise pointà décrocherlalune. Entre les fabricants du Répertoire Paulus, simples gorets au service des Eldorados, et les Jules Jony, les Meus'y. les Xanrof, demi-dieux et pontifes des chapelles spéciales qui croient naïvement faire de l'art, il s'est taillé une petite place personnelle; il sait rimailler des choses grivoises, ironiques et amusantes. Avec la sottise du patriotisme et du sentimentalisme pleurnicheur, c'est tout ce qu'on a jamais pu tirer de la chanson. C. Mki.
L«s illusions du cur, par Emile Pierret (Perrin C1»). Un peu pius d'ennui et un peu plus de style, ce serait une sorte de Volupté par un petit Sainte-Beuve en herbe. Mais combien poncif et froid déjà ! Un Mousieur tendre qui aime sa cousine Dolorès!... Cela influe sur toute sa vie, sur sa façon de juger les hommes et les choses, sur la manière dont il ferait de la politique -- s'il en faisait  sur ses nuits de salle de police, sur ses habits, sur ses digestious, etc. etc. Il n'y a que daus les romaus prétendus moraux qu'on rencontre de ces immoralités-là. En somme, nn livre écrit avec de l'eau pure, et on a envie de remuer avec une gaule pour tâcher de faire monter la vase qui contient les petites bêtes intéressantes.
Puberté, par Michel RÉallÈs (Léon Vanier).  L'auteur confesse avoir mis quatre aus, de 1886 à 1890, à composer sa microscopique plaquette, au titre médical.
On chercherait vainement en quoi les vers écrits au cours de 1886 diffèrent des vers écrits au cours de 1890, si ce n'est que les derniers, produits déliquescents d'une veine lasse de rimer, se contentent de l'assonance. Tous les sujets traités sont uniformément rococos ou malpropres. Quand M. kéallès ne fait pas mourir une jeune poitrinaire au chant du rossignol, il exécute sur la prostitution féminine ou masculine de pénibles variatious.
P.-S. - Tous nos compliments à M. Léon Vanier, pour son courage à éditer de semblable littérature. E. D.
Enivrances, par Alfred Gauche (SavineL  Des vers facile; des choses à la Muse qui lail vibrer l ' esprit et palpiter h cur; à Sullv-Prudhonime : à carpe diem : à d'autres, tout en écoutant le chant des fan-seltes. Si tn reux, faisous un rêve (à V. Hugo, mais c'est oublié). Cependant, il a tests Ics autres et sa douleur est amarrée. Sur la mo:tsse verte la rosé incline la tète et s'endort, et patati, et patata, l'aurore aux doigts de rose, le soleil, les vents, le printemps, l'hymen, la Nature. lcs étoiles, l'oiseau amoureux de In fleur, et le chant se marie au l'arlnm qui s'évase, et tout renaît, et tout s'éveille.  Antoine Grinoche en jubilerait.
Respectous les vieillards et chérissous nos mères. Et Dieu nous tiendra compte en sajuste rigueur Des tendresses de l'âme et des bienfaits du cur. 
Enfin des strophes patriotiques, des petites chausous et des petites histoires où l'on trouve des extases sonores des i eux ain s'enlacent, la fraternité, le progrès, la société, les contemplatious et les recontcmplatious.  Il ne faut pas blaguer, en somme. Si M. Alfred Gauche a dix-huit aus, ces Enivranccslà sont évidemmct très-bien. C. Mki.
CHOSES D'ART 
Exposition Gafrliardini{Galerie moderne, s, rue de la Paix):
Exposition Louise Abbé m a (Galerie Georges Petit) :
Exposition de Poil et Plume (Bodinier) ;
Exposition des Indépendants (Pavillon de la ville de Paris):
Exposition Eugène (barrière (Doussod et Valadon, boulevard Montmartre) :
Le Mercure de France cousacrera un article spécial à cette dernicre exposition.
Le Ministre de l'iustruction publique et des Beaux-Arts vient de commander au sculpteur lîaffier une cheminée monumentale, et au graveur Desboutine une copie de Delacroix.
G.-A. A.
Échos divers et communications 
Daus L' Observateur Français, un judicieux article do M. Charles Maurrassur les Symbolistes. N'ous en extrayous le passage suivant, relatif à notre collaborateur Ernest Raynaud :
« M. Ernest Raynaud, l'auteur des Cornes du Faune, n'est pas précisément un symboliste de la suite de M. Jean Moréas. Il serait plutôt le disciple du grand poète de Crimen Amoris, et cela paraît clair dès le premier sonnet, ou brille ce distique :
Puis, un beau jour, devers la ville, on crut entendre 
Un fracas épouvantable d'orage en l'air. 
« Voilà des mesures que nous reconnaissous et un emploi du vers triniètre avec lequel Jad s et Naguère, les Romances saus paroles, Sagesse nous ont rendus familiers. Cette influence se fait sentir daus tout le recueil. Et j'ajoute que M. Ernest Raynaud l'a subie avec beaucoup de science, de discernement et de goût. Il est le seul des élèves de Paul Verlaine ^ui ait su garder sa langue pure et soutenir ses rythmes au-delà des strophes a effet. Il est le seul qui ai su composer et distribuer les parties d'un poème. Il est le seul qui ne croie point que la poésie soit un simple frisson nerveux, une trauscription hurlante cl toujours agitée de passious suraiguës. M. Ernest Raynaud ne chasse point la peusée de son rêve ; c'est même à elle qu'il confie le soin d'y régner.
« Et ce petit livre est délicieux à lire et à relire. Il a ia douceur rosée et la tendresse d'un crépuscule d'automne, dont les vapeurs légères obnubileraient à demi des rangées de marbres apportés d'Italie. Devenus inquiétants par l'incertitude de l'heure, ces Antinous et ces Faunes se rapprochent de nous et flottent sur nous comme si l'air du Nord avait changé en fées, en ondius et en sylphes ces parfaites idoles que taillèrent des ciseaux nets, aux flancs de la pure Beauté Mais M . Ernest Raynaud n'est pas si barbare que d'oublier l'origine de ses visious, et je lui sais gré d'avoir clos daus le cadre exact du quatorzain les symboles qui lui sont venus d'elles. Et la forme est exquise. Plus l'un de ces petits poèmes figurerait dignement auprès des plus parfaits sonnets de l'histoire littéraire. Des jeunes geus se récitent déjà tel Paysage.  comme leurs ainés, il y a quinze aus. récitaient les Danaidcs de Sully ou Vénérable berceau de Lcconte de Lis e,  ce paysage occidental, daus un vieux parc, a l'adieu du soir sur un lac, embelli des ruines d'un temple ionien:
Tout près, sous un massif bas qui se décolore, Un Jaune enfant tout délabré s'aecoude encore Baissant sa lèvre où Jut sa flnte de roseaux. Et voyant que le jour tout à fait le dclaisse, Le Temple, avec sa froide image dan* les eaux, S'enfonce plus profondément daus la tristesse. 
« Et je retrouve aussi chez M. Raynaud le dix-huitième siècle des Goncourt.de Watteau, de Boucher, de Fragonard et des Fêtes galantes, la tristesse des faunes emprisonnés daus les Musées, les fêtes irréelles parmi les îles et les canaux d'une Venisette fantasque. Encore qu'il montre ça et là de savoureux coius d'ironie, M. Raynaud met peut-être quelque lenteur à suivre les ébats de ces êtres lointaius qui aimerent si peu et ne peusèrent guère, mais il garde toujours de la grâce (avouée eu ce vers charmant, au détour d'un quatrain :
Toute la Grâce féminine vient à moi) 
et, par delà, il garde ce haut lyrisme impénitent dont les fils de Vigny et de Baudelaire ne se libéreront point de sitôt :
La nuit était trop hure, et fat clos la fenêtre. Il montait trop d'odeurs énervantes des bois Et cela réveillait trop rirement en moi Le désir éperdu iic la voir apparaître... 
« Parmi tant de caprices en habit d'apparat, tant de vivaces peines voilées d'emblèmes ingénieux, ce cri détonne; je n'en suis pas taché. M. Hrnest Raynaud a fait assez longtemps luire au beau soir les cornes polies, aiguës et rigides, dont le fauve ou noir scintillis traverse le jour et la nuit ; il nous a donne le désir de connaître, à la tin, quel fils de Pan bondn sous ce diadème sauvage à travers le songe touffu des aimées. M. Ernest Raynaud se décidera-t-il à nous le montrer quelque jour ? Charles Maurras. * 
Le lundi 21 mars, au café Voltaire, se sont réunis daus un banquet les amis du peintre Paul Gauguin, afin de lui dire l'adieu avant son départ pour Taiti. Quarante personnes étaient présentes Parmi elles : Stéphane Mallarmé, Odiion Redon, Jean Dolent, Charles Morice, Alfred Vallefto, Rachilde, Jean Moréas, Roger Marx. Albert Aurier, Edouard Dnbus, Julien Leclercq. Ad. Retié, Félicien Champsaur. Gaston Lesaulx, Percheron, Dauphin Meunier, Bernard Lazare; les peinlres : Eugène Carrière, An' Renan, Willumsen, Fauché, Daniel, Sérusier, Laugier, Mogeus-Ballin, l'architecte Trachsel. A l'issue de ce repas amical, Stéphane Mallarmé, le premier, se leva :
« Messieurs, pour aller au plus pressé, buvous au retour « de Paul Gauguin; mais non saus admirer cette couscience « superbe qui, en l'éclat de son talent, l'exile, ponr se re« tremper, vers les lointaius et vers soi-même. >
Puis c'est Edouard Dubus, qui, avec cetle parole facile qu'on lui sait, propose de boire aux critiques qui révélerent Gauguin au public, à Octave Mirbeau, à Jean Dolent, à Roger Marx, à Albert Aurier,  et aux peintres qui l'applaudirent hautement, à Eugène Carrière, à Ary Renan, comme à ceux qui viennent lui demander le couseil qu'on demande au Maître. M. Charles Morice dit alors les vers suivants :
Dms un l i-bas de nature et de liberté. Oit marchent daus les fleurs de vivantes statues D'enjancr humaine, gaies it de soleil vêtues, Daus la douce ardeur cl'nn inaltérable étc. Daus la forêt dorée où point d'aile ne :-ibr^. Daus les îles qui sont i écume de ta mer. 
Aiusi, /« feu vas donc chercher l'asile cher Oh tu seras seul daus ton cime claire et libre. Là-bas pourra ton rite, ici ilcmi fané, Largement fleurir pour tn gloire et notre joie. Où ton mre t'attend, que l'amitié t'envoie, Fût-ce à refret, ct suis Ion chemin destiné. Buvous le vin brûlant des adiinx saus Jaiblesse. Voyageur, comme ausst nous boirous, quelque jour, Certes joyeusement, le vin Jntis du retour, lit souvieus-toi daus ton bel exil, toi qui laisses Tant de souvenirs. A'o//s sommes de ton combat, Et nos peusées le suivent doucement, làbas. 
Après, c'est M. Jean Dolent qui parle :
« Messieurs, je suis près de Gauguin et j'en suis bien 'i aise; quand il sera parti j'en aurai de l'ennui.
« Je tieus à vous dire qu'aujourd'hui paraît daus une Revue ' douce aux poctes, le Mercure de France, une étude impori tante et charmante de Charles Morice sur moi; peut-être », l'oublierai-je un jour... malaisément. Mais Charles Morice, , daus son livre que j'aime, la Littérature de tuul à l'heure, ». a. fixé d'un trait léger et savant l'image chère de ce peintre, « qui est un poète, Eugène Carrière : cela je ne pourrai « l'oublier. . « Bientôt, en échange d'un parlait fromage de Melun, un
- peu confus de l'heureux troc, je ferai, à mousieur Stéphane , Mallarmé, l'envoi d'un de mes petits livres. A la première -. page j'écrirai : A Stèt ' hane Mallarmé, saus moius de hau
* teur qu'un hommage, avec plus de tendresse. .Ht je signe
 rai d'un beau geste. »
M.Julien Leclercq se lève à son tour :
« Mon cher Gauguin, ou ne peut admirer le grand artiste , que vous êtes saus beaucoup aimer l homme quand on le ( connaît; et c'est une grande joie de pouvoir admirer ceux i qu'on aime. Pendant les trois années que durera votre ab-' sence, vos amis regretteront souvent l'ami en allé ; pendant « ces trois années il se passera bien des choses, Gauguin. ' Ceux d'entre nous qui sont encore très jeunes  et j'en ( suis  vous les retrouverez gr.indis au retour; nos aînés ". seront déjà pleinement récompeusés de leurs efforts. Et ' comme les temps seront proches qui s'annoncent déjà, tous '. nous aurous plus d'autorité daus la voix pour proclamer u vos belles uvres  '
M. Adolphe Retté.qui tut longuement applnudi, récite le sonnet du Tombeau d'Edgar Poe. « Ces vers, dit-il, sont de ( l'admirable poCitc Stéphane Mallarmé. »
Et puis, c'est Paul Gauguin qui prononce quelques mots :
, Je vous aime bien tous et je suis très ému. Je ne puis « donc parler beaucoup et parler bien. Parmi nous, quclqucsi( uus ont réalise de grandes uvres que tout le monde con« naît. Je bois à ces uvres, comme je bois aux uvres lu« turcs.
« Je suis heureux de remercier ici Mousieur Ary Renan « qui m'a tant aidé pour l'accomplissement de mes projets de i voyage. »
Après des applaudissements, Gauguin lève encore une fois son verre :
« Parmi nous, Messieurs, est une femme, une artiste, qui a bien voulu embellir de sa présence ce banquet d'amis. Buvous à Madame Rachilde. »
L'on se sépare a une heure déjà matinale.
La prochaine représentation du Théâtre d'Art, au bénéfice do Paul Verlaine et de Paul Gauguin, est définitivement tixée au 27 mai Elle sera donnée au Vaudeville, en matinée. Au programme : Les Uus et les Autres, i acte de Paul Verlaine; Le Corbeau, poème d'Edgar Poë, traduction de Stéphane Mallarmé; L Intruse, i acte de Maurice Maeterlinck; Chérubin, 3 actes de Charles Morice ; Le Soleil de minuit, poème dramatique de Catulle Mendès: enfin un poème dialogué de Théodore de Banville.
Ont paru tout dernièrement : An Pays du Mufle, par Laurent Tailhade, Préface d'Armand Silve'stre (Vanier); Le Pays de la Fortune, par Léon Riotor et Léofanti (Ducrocq!.  A paraître en mai : Théâtre de Rachiliie (Savine/; L'Éléphant, par Charles Merki et Jean Court (Savinc); Strophes d'Amant, par Julien Leclercq (Lemerre): A L'Eea't, par R. Minhar et A. Vallette (Perrin); Lassitudes, par Louis Dumur (Peirin).
Connaître et juger Laforgue par ses notes de carnet, à la bonne heure! Cependant, point n'était besoin de prouver du même coup n'avoir pas lu Dostoiewsky : car non-seulement M. Nestor confondit la devise de Colbert et celle de Fouquet, se trompa sur le sexe d'un personnage de Shakespeare, attribua à notre « grand passionné de Racine » :
Et comme rlle a l'éclat du rerre Elle en a Iu fragilité, 
mais il déclare péremptoirement -- supposant saus doute faire une niche a quelque jeune poète contemporain  ignorer Marmeladoff. Allous, tant mieux.
Très intéressant numéro de La Wallonie, tout entier consacré à M. Pierre.-M. Olin.
Lire daus La Xation les chroniques littéraires et les intéressantes critiques d'art signées Godcfroy Maurevert.
Lu sur le rideau-annonce du Théâtre Montparnasse : « Hôtel tout meuble acajou. Tous les lits sont pour 2 personnes ».
Mercvre. 
Le Gérant. A. Vallette. Vanves.  Impr. Camille Dillet, 97, route de Clamart.
« Le Romanée et le Chambertin, le Clos-Vougeot et le Corton faisaient défiler devant lui des pompes abbattales, des fêles princières, des opulences de vêtements brochés d'or, embrasés de lumière! Le Clos-Vougeot surtout ['éblouissait. Ce vin lui semblait être le sirop des grands dignitaires. L'étiquette brillait devant ses yeux, comme ces gloires munies de rayons, placées daus les églises, derrière l'occiput des Vierges. '> 
L'écrivain qui, en 1881, au milieu du marécage naturaliste, avait, devant un nom lu sur une carte des vius, une telle vision de splendeurs évoquées, devait dejà inquiéter ses amis, leur faire soupçonner une défection prochaine. A quelques années de là, en effet, surgissait l'inattendu A Rebours, qui fut, non le point de départ, mais la cousécration d'une littérature neuve. Il ne s'agissait plus tant de faire entrer daus l'Art, par la représentation, l'extériorité brute, que de tirer de cette extériorité même des motifs de rêve et de surélévation intérieure. En Rade développa encore ce système dont la fécondité est illimitée  tandis que la méthode naturaliste s'est montrée plus stérile encore que ses ennemis n'auraient osé l'espérer  système de la plus stricte logique et d'une si merveilleuse souplesse qu'il permet, saus forfaire à la vraisemblance, d'intercaler, en des scènes exactes de vie campagnarde, des pages comme « Esther », comme le «Voyage selénien ».
L'architecture de La-Bas est érigée sur un plan analogue, mais la liberté s'y trouve, non saus profit, restreinte par l'unité du sujet, qui est absolue sous ses faces multiples : ni le Christ de Grunewald, en son extrême violence mystique, son atterrante et cousolante hideur, n'est une fugue hors des lignes, ni la démoniaque Forêt de Tiffauges, ni la cruelle Messe noire, ni aucun des «morceaux» ne sont déplacés ou inharmoniques; pourtant, avant la liberté du roman on les eût critiqués, pas en eux-mêmes, mais tels que non rigoureusement nécessaires à la marche du livre. Par bonheur, le roman est enfin libre, et pour dire plus, le roman, aiusi que le conçoivent encore M. Zola ou M. Bourget, nous apparaît d'une conception aussi surannée que le poème épique ou la tragédie. Seul, l'ancien cadre peut encore servir; il est quelquefois nécessaire, pour amorcer le public à des sujets très ardus, de simuler de vagues intrigues romanesques, que l'on dénoue selon son propre gré, quand on a dit tout ce que l'on voulait dire. Mais l'essentiel de jadis est devenu l'accessoire, et un accessoire de plus en plus méprisé : très rares sont à l'heure actuelle les écrivaius assez ingénieux ou assez forts pour se soutenir en un genre aussi démoli, pour éperonner encore avec assez d'autorité la cavalerie fatiguée des sentimentalités et des adultères.
D'autre part, l'esthétique tend à se spécialiser en autant de formes qu'il y n de talents; parmi beaucoup de vanités, il y a d'admissibles orgueils auxquels on ne peut refuser le droit de se créer ses normes personnelles. Huysmaus est de ceuxlà : il ne fait plus de romaus, il fait des livres, et il les conçoit selon un agencement original; je crois que c'est une des causes pour quoi quelques-uus contestent encore sa littérature et la trouvent immorale. Ce dernier point est facile à expliquer d'un seul mot : pour le non-artiste, l'art est toujours immoral. Dès que l'on veut, par exemple, traduire en une langue nouvelle les relations des sex^s, on est immoral parce que, fatalement, l'on fait voir des actes, qui, traités par les ordinaires procédés, demeureraient inaperçus, perdus daus le brouillard des lieux commuus. C'est aiusi qu'un écrivain nullement érotique peut être, par des sots ou par des malveillants, accusé devant le public de stupides attentats. Il ne semble pas, cependant, que les faits d'amour simple ou d'aberration génésique rapportés daus Là-Bas soient bien alléchants pour la simplicité des ignorances virginales. Ce livre donne plutôt le dégoût ou l'horreur de la seusualité qu'il n'invite à des expériences folles ou même à des jonctious permises. L'immoralité, si l'on se place à un point de vue particulier et spécialement religieux, ne serait-ce pas au contraire d'iusister sur les exquisités de l'amour charnel et de vanter les délices de la copulation légitime? L'immoralité absolue, c'est la joie de vivre.
Le moyen-âge ne connut pas nos hypocrisies. Il n'ignora rien des éternelles turpitudes, mais, dit Ozanam, il sut les haïr. li n'usa ni de nos ménagements, ni de nos délicatesses; il publia les vices, il les sculpta sur les porches de ses cathédrales et daus les strophes de ses poètes; il eut moius souci de ne pas effaroucher les timoraisous des âmes pharisaïqnes que de fendre les robes et montrer à l'homme, pour lui faire honte, toutes les laideurs de sa basse animalité Mais il ne roule pas la brute daus son vice; il l'agenouille et lui fait relever la tête.Huysmaus a compris tout cela, et ciétait difficile à conquérir. Après les horreurs de la débauche satanique, avant la punition terrestre, il a, comme le noble peuple en larmes qu'il évoque, pardonné même au plus effrayant des massacreurs d'enfants, au sadique le plus turpide, à l'orgueilleux le plus moustrueusement fou qui fut jamais : l'âme du moyen-âge est en ce livre.
Quant au satanisme, il est bien évident que l'auteur en a horreur. Quel iuseusé voudrait mettre à son compte les invocatious à Satan du chanoine Docre? Nul, je peuse, ne l'a fait : il faudrait une incompréheusion qui dépasse les bornes allouées aux plus obtus. Néanmoius, ces éjaculatious d'un prêtre infâme en délire d'impiété obscène ont ça et là scandalisé quelques médiocres farceurs qui ne croient pas en Dieu, ou d'autres qui de leur croyance se font des revenus. On n'est pas habitué à tant de haine envers le Christ : Voltaire pissait contre la Croix: Renan y épandit goutte à goutte un ample flacon d'urine parfumée : ce sont les seuls blasphèmes tolérés par une société qui veut bien rire un peu du Crucifié, mais qui ne veut pas avoir peur. Elle conçoit un clergé jovial ou mondain : c'est matière à épigrammes; elle l'admet coureur et débaucheur : c'est de la copie pour l'anti-cléricalisme; mais satanisant, c'est-àdire logique jusque daus le crime, elle ne comprend plus. Les catholiques eux-mêmes, oubliant leur catéchisme, ont été effarés : il a fallu qu'un très intelligent journaliste, des leurs, leur rappelât que l'existence de Satan, avec toutes ses couséquences, est un des fondements de la religion.
Je ferais cependant volontiers (pour clore ces notes, où j'ai cru inutile d'analyser directement un livre que tout le monde a lu. à cette heure) deux reproches à Huvsmaus. Le premier, c'est d'avoir été un peu dur pour un clergé qui n'est pas plus misérable aujourd'hui qu'il y a quatre ou cinq cents aus. La richesse intellectuelle de l'Eglise s'était amassée jadis daus les cloîtres, daus les cellules des ordres contemplatifs, mendiants ou prêcheurs; quand elle fut dispersée, elle ne se recoustitua pas; de là le déchet. Mais le clergé séculier ne fut jamais d'une grande élévation. Voyez ce qu'en disent, avec tant d'autres, Théodulphe. évêque d'Orléaus, Odon, abbé de Cluny, sainte Brigitte et surtout Pierre le Diacre, moine du Mont-Cassin : « Ils font garder les portes, pour que le pauvre n'entre pas. Ils
sont aux genoux des Césars, mais ils méprisent les pauvres... »
Fores observare jubent Pauper ne ut veniat Caesares vero salutant, Pauperes despiciunt... 
Et deux siècles avant, saint Pierre Damien disait des ecclésiastiques de son temps : « Le clerc illettré et adonné à l'orgueil, méprisant les mystères, gît telle qu'une stupide bête... Il ne distribue pas la parole de Dieu, trop occupé à des bavardages particuliers, et s'il prêche, c'est pour narrer d'inanes et vides paraboles... »
Despicieus mysteria... Verba Dei non nuntiat... Et récitat parabolas Inanes atque vacuatas... 
Rien n'a changé; cela n'est pas pire.
Le second reproche, c'est d'avoir peut-être un peu trop exhaussé le Satanisme. L'essence de cette déviation de l'esprit religieux, c'est la médiocrité même et non pas la haine de la médiocrité. Et à ce propos je me souvieus du mot d'un prêtre de campagne qui à certaines objectious me répondit, touchant le Diable : « II na peut rien faire qui ne soit médiocre.» C'était aussi l'opinion de Villiers de risle-Adam : l'Enfer aux médiocres, aux médiocres seuls. Mais cela serait une thèse à discuter. Là-Bas en fournirait plus d'une, en art, en littérature, en théologie,les trois sujets seuls dignes de discussion : c'est un livre d'une grande richesse.
Remy De Gourmont. 
t
LA TARTANE
Sur la berceuse et triste perle, O Psyché lasse du poison, Loin des étincelles du merle, Appareille pour la Toison. 
Du moius, si longue soit la route Ennui les rubaus du vitrail, Que, Psyché, puisses mourir toute Avant les parfums du bercail! 
Chaque fortune est rosé brève, Avec l'épine au souvenir; Nulle ne vaut le lys du rêve, En robe blanche d'avenir. 
Le baiser greffe Souciance Aux grappes noires désormais, Dolence est la bru de Science, O Psyché, n'aborde jamais ! 
Dévoile donc ton aile à l'heure Inaccessible du plaisir. Telle espérance point ne leurre : Il n'est bijou que le désir. 
Grève de Mousterliit, S octobre 
S UR UNE DILIGENCE DE BRETA GNE 
immeuse Guêpe aux ailes de cheval,
qui ruisselles parmi le joli val
flori par la brebis et le calvaire
où gazouille la coiffe héréditaire,
envieillis-moi vers le jeune autrefois
de bien avant les maius de !a quenouille,
ô Guêpe, vers l'éteint matin de roche iuencore enguirlandé par la cloche appendant à la ruche de la croix, oh ! m'enjeunir vers le vieil autrefois de bien avant les yeux de la quenouille, afin que viergement je m'agenouille ! 
De Donarncnez à Audierne, 1ç octobre 90.
SOUS UN FIRMAMENT D'ANGÉLUS
Sur les parfums bêlés par les saintes mamelles Plane le lac où clignent les grenouilles d'or. 
Maudissant les anneaux des chevilles jumelles, Tel un ibis ouvert au succulent trésor, J'adjure mes désirs d'apitoyer l'Orfèvre Avec le mendiant tapi daus leurs roseaux. Mais la brise est tarie en le puits de ma lèvre; Aux calices des flûtes sont morts les oiseaux. D'ailleurs les fleurs humaines, dites les oreilles, N'éclosent pas saus doute sur les joues du ciel. C'est en vain souhaiter que les dives abeilles Descendent me répondre une pitié de miel. 
Je vais donc me faner entre les draps de lune Où splendit l'éventail des vides chasselas Et mourir un peu, loin de la glèbe importune, En attendant les coqs, fanfariers du lilas. 
Audierne, 30 octobre oo.
SAINT-POL-ROUX.
UN PROLOGUE 
« Si pàle, aiusi le mur triste d'un monastère, Saignante aussi d'un doux souci qu'il vaut mieux taire,
Dame d'Automne aux maius fanées,
Mon âme flotte en la vesprée.
Sanglots d'une onde fabuleuse, ô nuées éphémères, Ciel d'or, moires vibrant de harpes énervées, 
Est-ce l'Euphrate où tu te désaltères, Ma pauvre reine énamourée? » 
« Je ne sais, je voudrais boire à même la brise Un peu de l'oubli frais qui sommeille aux feuillures Ou  vierge aubale, espoir des Aurores futures  M'agenouiller au seuil très loin d'une nouvelle église. 
Et pourtant, et pourtant, ô fière solitude, Parmi tes parfums morts et le frisson des soirs Je revis l'hymne lent des soleils blancs, prélude D'un chur pleuré par nos archanges noirs, 
Prophètes de la Nuit que ton silence élude.
O mirage indécis qu'il ne faut effacer,
O le charme frileux des feuillures graciles 
C'est le luth défaillant de la Sainte Cécile....
Mais quel geste violant ma faiblesse docile ! Voici Circé rieuse et son philtre opiacé : Je bois je suis le dieu très fort et très subtil  Et le souci s'en va boiteux qui m'a blessée. 
O poison sidéral où fulgure le rêve,
Unique trône: Illusion!
Un envol d'oiseaux d'or éclate qui m'enlève Vers un parc embrasé de rouges floraisous. 
Adieu la vie saus ailes et la grise raison, Les nuées ont fui où fut ma prison  Jouvence, je sais ta fontaine, Et, sauve de la foule obscure qui se traîne, Je vais cueillir enfin ces étoiles lointaines. » 
Adolphe RettÉ. 
DÉCOUPURES 
VIII
LES CHARDONNERETS
A Marcel Sctwob. 
Mousieur Sud regardait les chardonnerets tantôt se poser sur le peuplier, et tantôt joncher la terre, comme une bande de fleurs volantes. Saus doute, il en désirait un pour le mettre à sa boutonnière. Longtemps il attendit qu'ils fussent bien en tas, irrésolu dès que l'un d'eux s'écartait.
Soudain, daus un accès de férocité et de bravoure, il déchargea son beau fusil, en détournant la tête.
Quand il revint à lui, son chien Pirame mangeait les chardonnerets morts. Quelques autres, blessés à peine ou étourdis, échappaient aux happements de la gueule. Mousieur Sud les ramassa et les mit daus sa poche, tout fier.
Aiusi, il avait tué : grâce à lui, là, des plumes s'étaient éparpillées; la terre buvait du sang; des cervelles se répandaient, blanches comme du lait d'herbe à verrues. Et si, malgré ces preuves, un incrédule doutait encore, il suffirait, pour le convaincre, de dire à Pirame :
 « Montre ta langue ! »
 « Je veux garder la douille de ma cartouche!» se dit mousieur Sud.
Il s'en alla. ,ll éprouvait le besoin de marcher vite et droit. Il avait hâte de rentrer à la maison
et de retourner sa poche, tous ses amis assemblés.
Il entendait cette exclamation : « Fameux coup ! » et répondait, modeste : « Vous êtes trop aimable, j'ai eu de la chance. Merci. La prochaine fois je ferai mieux ! »
II se flatta la barbe comme il faisait toujours à chaque contentement. Jamais elle n'avait été plus élastique. Il la soulevait haut, par les deux pointes, et la laissait eusuite retomber, écarter toute sa neige sur sa poitrine d'homme. Les chardonnerets remuèrent. Monsieur Sud en prit un, avec des précautious, et l'examina, pour voir « comment c'était fait. »
Le chardonneret avait la tète rouge, les ailes jaunes et brunes; l'une d'elles, cassée, pendait. La mobilité de son bec et de ses yeux était l'unique signe de sa souffrance fine. Mais une remarque, entre toutes, frappa mousieur Sud. Cette miniature d'être ne lui faisait pas l'effet d'une « pièce de gibier ». Il croyait soupeser un fragile objet d'art, fini au point de donner l'illusion de la vie. Il mania les chardonnerets les uus après les autres, et tous le troublèrent par leur effarement menu. Ses impressious tournèrent comme des roues folles. Il s'imagina penaud, et non plus triomphant, sous les regards de ses amis, et il écouta les fous rires des coquettes petites filles, déjà femmes par le don de se moquer.
 « Oui, se dit-il, j'ai fait un beau coup. Quelle honte ! >/
II ralentit le pas. En ce moment, le chardonneret qu'il tenait s'envola, hésita un peu en l'air, étonné de se sentir libre, et partit. Cette espièglerie réjouit mousieur Sud :
 « Celui-là n'avait pas trop de mal, dit-il. Les autres l'imiteront peut-être ! »
II les percha tour à tour au bout de son doigt, avec des paroles encourageantes. Mais, désormais incapables d'essor, ils retombèrent au creux de la main.
 '.
 « Qu'en faire ? » se demanda mousieur Sud. Il ne songea pas à les élever daus une cage bien
aménagée.
Il s'assura que personne ne pouvait le surprendre, regretta de ne point se trouver derrière une porte dont le verrou serait poussé, et déposa délicatement les chardonnerets au bord de la rivière. Le courant félin les saisit, noua, comme avec un fil, leurs ailes à peine battantes, les emporta. Vraiment, ils furent noyés saus avoir lutté plus que des mouches.
 f. Vois-tu, dit mousieur Sud à Pirame, je préfère  décidément  la pêche à la chasse. Les poissous, ça n'a pas l'air de bêtes. Ils n'ont ni poil, ni plumes, et meurent tout seuls, quand ils veulent, sur le gazon, daus un coin, saus qu'on s'en occupe. Assez de carnage ! A partir de demain, nous pécherous : tu porteras le filet! » 
Eusuite, mousieur Sud jeta sa douille de cartouche, moius précieuse, maintenant, qu'un bout de cigare éteint, et, comme son pantalon en velours gris-souris était taché de sang, il trempa daus l'eau son mouchoir et s'efforça  aiusi qu'un criminel  de laver et de frotter les gouttes rouges qui reparaissaient toujours!
Jules Renard. 
EUGÈNE CARRIÈRE
.. .des réalités ayant la magie du rêvc ! (jean Dolent, Amoureux d'Art, 240 . 
Nous n'avious pu voir, jusqu'alors, les uvres d'Eugène Carrière que séparément ; perdues daus le foiresque déballage des Salous annuels ; noyées en cette malsaine brume d'iusignifiance qu'exhalent,aiusi qu'on sait,les formidables étalagesdes marchands de toiles-peintesoucirées périodiquement parquésdaus lesbazars nationaux; comme honteuses de ces indignes promiscuités. Aujourd'hui, il nous est donné de pouvoir regarder et étudier un certain nombre de tableaux et de dessius de ce rare artiste, heureusement choisis, groupés en des salles spéciales, loin de tout voisinage gênant ou déshonorant. Il nous faut remercier Eugène Carrière d'avoir eu l'idée de cette exposition particulière qui a permis aux honnêtes gens de juger l'eusemble de son uvre, de mieux comprendre les tendances et la signification de son art,de pleinement apprécier la nature de son esprit et de son talent. Combien d'autres peintres gagneraient à suivre cet exemple, mais aussi, peut-être, combien y perdraient ?   
En ce siècle d'enragé réalisme où l'a peu près unique souci des peintres fut de traduire des extériorités matérielles, de copier des gestes, des costumes et des décors avec des trucs d'illusionnistes, c'est une douce et imprévue surprise que l'uvre d'Eugène Carrière.
On s'attendait à trouver (qu'on me pardonne cette parodie du mot classique) un peintre, peut-être même un photographe, c'est une âme qu'on rencontre ; une peinture, et c'est un rêve de poète...
Qu'importe, en effet, à un artiste comme Carrière, qui sait : qu'avoir des maius et des yeux, pour habiles qu'ils soient, c'est peu, et qu'il faut sur les bonnes palettes moius de bonne couleur que de bonne pensée, qu'importe, -même éblouissante, l'écorce des êtres et des choses, les boutous des robes et les verrues des épidemies, les féeriques décors, les futiles accessoires, les mesquineries bêtes et faciles du trompe-l'il et du pittoresque, tout ce dont vit le commerce des badigeonneurs contemporaius ?
La réalité plate et brutale, en laquelle nous vivous nos banales aventures, est-elle donc un spectacle si intéressant et si beau, pour qu'on s'efforce de nous le parodier éternellement? Ne vaudrait-il point vraiment mieux que l'artiste ne nous lu montrât, cette abjecte objectivité, que le moius possible, très lointaine, et noyée daus des brumes de crépuscule ? C'est ce que Carrière a compris. Cette réalité écurante, dont, saus doute, son âme délicate de poète eut souvent à souffrir, il s'eflorce de nous la voiler, de nous la présenter baignée de mystère. De parti pris  et il convient de l'en féliciter  il éloigne de nous la nature, la détestable nature, la vie, la sale et banale et méchante vie. Les âmes seules l'intéressent. Avec les âmes seules communie son rêve d'artiste. Aussi, ses tableaux sont-ils vraiment des « évocations » ; aussi, ne voyous-nous jamais surgir sous son pinceau goétique nul paysage, nul ciel, nul accessoire décoratif. Les êtres eux-mêmes cachent daus du nuage leur honteuse matérialité, et, de leur corps, ce qui subsiste, presque seul, c'est leurs maius, leurs yeux, leurs lèvres, parce que les lèvres, les yeux, les maius, c'est la forme visible de l'âme...
Pourtant l'uvre de Carrière procède encore de la vie. Elle est mystérieuse et troublante, mais elle échappe au fantastique par une savante logique daus la trausposition des formes et surtout de la lumière : c'est encore du réel et c'est déjà le rêve. Et ce rêve, quel charme d'y pénétrer au quitter de l'ignoble tohubohu de la rue. Quel bon magicien vient donc d'évoquer, pour nos veux ravis, ce monde de brumes doucement lumineuses, ce inonde de mélancolie et de tendresses crépusculaires.
Sois sage, ô ma douleur, et tieus toi plus tranquille. Tu demandais le soir, il descend, le voici ; Une atmosphère obscure enveloppe la ville... 
Ah! dans cette mystérieuse atmosphère de songe, vraiment, ne marchous-nous pas aiusi qu'en du souvenir?
Du souvenir ! C'est bien là ce que Carrière trauspose en se stoiles. C'est bien lui le peintre des lointaius de la vie.
Voix qui revenez, bercez nous, berceuses voix: Refraius exténués de choses en allées.... Flacous, et vous, grisez-nous, flacous d'autrefois, Senteurs en des moissous de toisous recélées. 
Il sait évoquer l'indécis troubleur des choses évanouies, fixer les mélancoliques visious entrevues daus les brouillards d'une mémoire incertaine, redire les sensatious vagues d'un autrefois quasi-oublié et pourtant fertile en attendrissements exquisément douloureux... Et tout cela, aussi bien, tout cela, le souvenir, n'est-ce point la vie, toute l.1 vie? La seusation présente vaut-elle donc d'être comptée, puisqu'à peine a-t-elle le temps d'être que, déjà, elle roule daus le gouffre du souvenir? Carrière a compris cette loi de l'existence. ll a voulu être le poète des choses ressouvenues, c'est-à-dire de ce qui, seul, est immuable et réel dans la vie.... L'avenir, le présent, il les hait et il en a peur, parce qu'ils sont laids, brutaux, banaux, parce qu'ils sont les dures épreuves initiatoirse du paradis de l'accompli, et cette haine et cette peur on les retrouvecoustamment daus son uvre. Qu'on regarde, par exemple, au hasard, une de ces nombreuses « maternités » qu'il répète avec prédilection, et l'on devinera dans l'expression de tendresse un peu farouche de la mère, daus le geste défenseur et jaloux dont elle étreint son entant, la terreur de cette terrible Vie, douloureuse, et stupide, qui veut lui voler le pauvre petit, qui déjà le lui dispute, qui déjà le lui arrache. Et le bambin luimême a, daus son sourire, la mélancolie résignée d'une victime ingénue et pourtant cousciente.... Oh ! le terrible et grand symbole, et qui n'est point nouveau daus l'art ! Rappelez-vous, en effet, ce merveilleux bas-relief en terre-cuite polychromée de l'école italienne du xv'! siècle, qui se trouve au Louvre, dans la salle Michel Ange, (i) La Vierge tient sur ses genoux l'enfant Jésus. Ah ! que leurs divines têtes sont loin de l'épanouissement béat des madones à poupon rose et rigoleur des imageries de St-Sulpice. Marie, une Marie émaciée, douloureuse, un peu blême, un peu maigre, les yeux dilatés, les traits bouleversés par une angoisse indicible, la bouche béant de terreur, fixe, de ses prunelles égarées, un point lointain où, saus doute, pour elle, vient de surgir la vision sinistre d'un corps très cher, pantelant aux clous d'un gibet... et ses maius se crispent, plus ner
(i) Cf. Remy de, Gourmont, Les l^octes latius mystiques, chap. dernier : Ife Stabat Mater. 
veuses, sur le corps de son nourrisson, comme pour, elle aussi, aiusi que les mères de Carrière, le disputer à la tragique et vaine Vie, qui, déjà, l'entraîne ! Et lui, le petit dieu, les yeux fixés vers la même lointaine vision, le Iront sombre, semble songer, l'âme pleine d'un douloureux résigner !...
Par une pareille compréheusion de la vie et de l'art, qui fut saus doute celle de tous les artistes véritables, Eugène Carrière ne se révèle-t-il point haut peuseur et grand poète, et oserai-je maintenant parler de sa science, de son métier d'infaillible ouvrier, de son intelligence des progressious lumineuses, de ses clairs-obscurs, de ses gris d'argent qui font songer à Velasquez?
G.-albert Aurier // Mai i8çi. 
LE CHANT DU SILENCE 
Il faut croire, la nuit, aux murmures discrets Que les âmes errantes distillent daus l'ombre : Sous les flots de la mer ténébreuse où l'il sombre, On entend vaguement d'ineffables secrets. 
Où serait la douceur et l'attrait du mystère, Si nous-mêmes n'étious exilés de là-bas ? Où serait la tristesse inhérente à nos pas Combien las de longer les chemius de la terre ? 
Mais l'espace nous berce d'espoirs précieux, De lointaines paroles en choient, souriantes; Nous prétous notre oreille à ces voix ambiantes Qui nous semblent frémir de l'ivresse des cieux. 
Il faut tendre le rêve au silence : Il est fait des soupirs éternels Que le monde imprévu des fantômes Laisse bruire à nos crânes réels. 
Il s'épand sur l'humaine détresse Comme un baume de calme et d'amour; Il apporte une paix infinie A des maux qui ne durent qu'un jour. 
Au plus fort ilu malaise de vivre, Quand le cur au bonheur est ingrat, Il suggère une attente sereine D'un « plus tard » qui peut-être viendra. 
Le silence est un chant que comprennent les tristes. Accoudés au balcon hors des salles en feu, La prunelle à l'extase, ils écoutent le je» Merveilleusement pur de divius harmonistes. 
Et ne lût-ce vraiment qu'un écho vagabond Daus l'éther éveillé du frisson de notre être, Et ne fût-ce qu'un leurre amical qui vient naître Pour tromper notre deuil, rafraîchir notre front, 
Ce doux chaut du silence oii s'éploient des poèmes Plus suaves, plus beaux que jamais on n'en lut, Daus le doute où nous sommes, chercheurs de salut, Ce doux chaut nous serait le meilleur de nous-mêmes. 
Louts Dumur. 
Quttm tilioTUm tciHpcstnS Turbabat omncs semitas, Apparuisti, Dcitus, 
Velut si cila salutaris ^
In nanfragiis amaris.., Suspendam cor luis arts ! Ch. Baudelaire. 
Dedicace 
Pour Toi, Port de Salut, qui durant la tourmente As sauvé les débris de mon cur naufragé; Pour Toi qui fus la Mère et la Sur et l'Amante, J'ai récolté ces Fruits au merveilleux Verger. 
Laissous la meute des vents geindre sur les routes Comme des chieus hagards qui hurlent à la mort, Notre Amour sait-il pas les divines Absoutes Par quoi uous défierous les colères du sort? 
Va, narguous l'Heure et ses rigueurs inexorables! Et tandis qu'au Beffroi d'effroi tinte le glas. Tourne autour de mon col le collier de tes bras, Et ferme le fermai! de tes maius adorables! 
I
Jan lia Cccli. 
Par les lilas mourants d'un ciel crépusculaire Mon cur a rencontré ton Amour tutélaire Qui l'a marqué de sa divine sigillaire. 
Sur mon cur où germait la male floraison Ton Amour baptismal a chanté l'oraison Pour en effacer les baisers de trahison. 
Et la foi de jadis une fois revenue,
Mon cur s'étant fait simple et mon âme ingénue,
En moi tu t'es dressée impérissable et nue.
II
Fderis arca. 
Que béni soit ce soir d'ineffables aveux
Où je t'ai cousacré rna ferveur et mes vux,
O ma charmante et douce Amie aux blonds cheveux.
Que béni soit ce soir de céleste vendange,
Où, palpitant d'espoir sous l'aila du même Ange,
Du nuptial baiser nous avous fait l'échange.
Ce soir-là, je le veux camper connue un menhir Immuable daus la plaine du souvenir Pour qu'il domine à tout jamais mon avenir. 
III
Consolatrix afflidorum. 
Pour mes douleurs ta Chauson triste, et si câline Qu'on dirait presque des soupirs de mandoline, A tissé des linceuls de blanche mousseline. 
Et pour charmer l'ennui mortel des lendemaius, Tes maius d'Amante vont semant par les chemius Les roses, les muguets, les lis et les jasmius. 
Va, sème encor, sème toujours, bonne Semeuse,
Et chante! car ta voix c'est la Harpe fameuse
Qui m'endort l'âme mieux qu'un philtre de charmeuse.
IV
Stella inntntiuiï. 
Par l'affolante nuit de mon affliction
Rayonnante a surgi ton Apparition
Daus une aube de paix et de rédemption.
Ton geste a lacéré les ténèbres algides
Où mes espoirs gisaient poignardés et rigides
Tels des suppliciés vaincus t'aute d'égides.
Alors ce tut l'aurore et ses frissous d'éveil!
Les oiseaux bleus ont secoue leur long sommeil.
Et leurs coups d'aile ont vibré d'or daus le soleil !
Turris eburnea. 
Au milieu des Babels perfides des mirages X'es-tu pas le Phare où viennent mourir les rages Des vents farouches qui sifflent daus les orages? 
Et quand j'ai déposé l'anuet de carnaval, Casqué pour traverser plus sûrement le val De la vie et son drame ironique et brutal, 
Ah! vraiment, n'es-tu pas, Chère, l'unique asile Où puisse sangloter ma pauvre âme indocile Que la lutte épouvante et que le rêve exile? 
VI
\ras honorabile. 
Vase odorant, fleuri de fleurs de Paradis, Tu détieus le secret des ferveurs qui jadis Ont suscité les Galaor, les Amadis. 
Et bien souvent mon àiuc lasse et taciturne,
Que frôle incessamment un vol d'oiseau nocturne,
S'est penchée inquiète sur les bords de l'urne,
Afin de respirer les balsamiques Heurs
Qui cajolaient, de leurs parfums eusorceleurs,
Les douze plaies que lui firent d'amers jongleurs.
VII
Causa nostrtr ltiti. Reine blonde, douce Reine, naïve Fée, Que n'ai-je hélas! la lyre du divin Orphée Pour parer tes autels d'un immortel trophée! 
Car daus l'obscurité du mauvais corridor Où j'égarais mes pas de faux Campeador, Tu fis surgir la fête aux mille lampes d'or. 
Ton Sceptre de Lumière tint l'ombre asservie, Et d'un seul coup d'archet tu fis fleurir la Vie Spirituelle où nage mon âme ravie. 
VIII
Rosa Mysttca. 
Daus le silence émerveillé d'un frais matin, Au jardin de lumière interdit au Destin, Tu t'épanouissais en un rêve incertain. 
En un rêve incertain d'extases attendries, Tu t'épanouissais sous des ciels de féeries Où de grands migrateurs brochaient des broderies. 
Mais moi, mauvais larron que n'erfraie nul délit, J'ai profané, pour reposer mon front pâli, Tes blancs pétales dont je me suis fait un lit. 
IX
Domus aurca. 
Ouvré comme un palais de faste et d'opulence, O retrait de prière et d'ombre et de silence Au seuil duquel s'apaise toute violence, 
Les flots des temps battront en vain tes escaliers. Ils ne prévaudront point contre les boucliers Dont j'ai fortifié tes murs hospitaliers : 
Boudoir d'Avril, Château d'Eté, puis Cathédrale
D'Automne, tu seras l'Abbaye vespérale
Où mon cur pieux exhalera son dernier râle !
Jean Court. 
CONTES D'AU-DELA
LE MEURTRIER
« ... Un seul atome émané de moi a produit l'univers ; et je reste tncore moi tout entier, ï
(BHAGAvAD-GlTA.)
« ... A quelle obsession mystérieuse, invincible, ai-je obéi en ce moment de crise, sous quelle impulsion le crime fut-il accompli? Ma mémémoire ne me dit rien, rien, là-dessus.
« Il me souvient d'un état de prostration, où je me sentais descendre mollement daus un abîme vague et paresseux, avec l'appréheusion de rencontrer un obstacle, qui ne se présentait pas. Puis, vint l'esseulement, noir, complet, absolu, cruel. Cela dura un temps que je ne peux apprécier, pendant lequel, les paumes moites, les yeux mi-clos, les tempes brûlantes, je m'abandonnai à l'annihilante oppression.
« Une réaction se fit alors, au cours de laquelle mes efforts, tendant à me ressaisir, semblaient au contraire aider ma couscience à se désagréger plus encore, à s'épandre daus l'à-côté, partageant mon être en deux parties distinctes, simultanément existantes. Vainement je cherchais à sortir de l'invraisemblance de cette seusation: la dualité de mon individu se précisait d'iustant en iustant.
« Brusquement, j'ouvris les yeux. Devant eux se tenait une forme humaine, que je reconnus, après quelque hésitation : c'était Moi! dont l'apparition me foudroya par la persistance de sa netteté.
« Oui, c'était bien moi, un moi issu de moi, par cette inexplicable et pourtant cousciente projection, par une sorte d'objectivation, qu'encore maintenant j'ai peine à comprendre.
" Et j'étais daus une rue sombre d'une ville inconnue. Une brume épaisse voilait de son crêpe la flamme tremblante des réverbères à la lumière indécise et falote. Des maisous s'étageaient fort irrégulièrement, les unes grandes, les autres pe
tites, et leurs massses noirâtres m'apparaissaient confusément, comme des moustres endormis.
« Personne ne passait, personne.
« Quelle froide pluie commença d'essaimer ses fines gouttelettes, mettant un vernis de laque à la chaussée déserte, moirant l'obscurité! Tout frissonnant, je marchais daus une boue grasse; et, absurde, violente, une colère grandissait en moi, effroyablement, causée par le lugubre aspect du paysage morne.
« J'en arrivai à un état de surexcitation exagérée, se traduisant par une marche précipitée, furieuse, sous la cinglade de l'averse glacée. Le sol s'attachait à mes semelles, alourdissant mes pas, augmentant encore cette fureur irraisonnée qui me faisait maudire les choses inertes, ne pouvant m'attaquer aux êtres, absents.
« Quand je me heurtai à une ombre, qui passait près de moi. Ce choc fit vibrer douloureusement tout mon être. Aveuglé par le sang soudainement afflué à mon cerveau, et qui battait une marche saccadée daus mes artères, pleines à se rompre, je me précipitai sur elle avec un rire strident, qui déchira le silence d'une sonnerie de fanfare.
«Elle eut un cri rauque d'angoisse,bien vite étouffé, car je lui serrais la gorge, enfonçant mes maius crispées, heureuses, daus cette chair chaude, délicieusement. Nous roulàmes ensemble sur le sol. Je ne pouvais arrêter ce rire iuseusé, qui me secouait tout entier, et l'enlaçais toujours de la mortelle étreinte.
« Bientôt, elle ne bougea plus. Après quelques tressants, ses talous martelant le solet je sentais aussi la brûlure de ses ongles, à ma face  elle fit un «oh!» qui râla longuement, bien longuement...
« Et j'éprouvais une indicible jouissance à sentir ce corps panteler sous moi. Je ne pouvais détacher mes maius de ce cou, qui tiédissait, déjà plus flasque. Mon cur frappait de grands coups daus ma poitrine dilatée, et il me paraissait qu'un incendie ardait en mon crâne, sous l'assaut incessant de la folie, qui montait.
« le ricanais toujours.
« Enfin, je me levai en titubant, et regardai la face, aux orbites agrandis par l'épouvante dernière, où luisait le reflet de la suprême horreur, la face dont je n'apercevais que les yeux, aux sclérotiques plus blanches, et la laiteuse trausparence des dents, barrée par une masse noire, la langue saus doute. D'un geste machinal, je fouillai daus mes poches.
« Un couteau!
« Ah! je vois encore luire la lame d'acier, dans le brouillard, lorsque je la brandis comme un inseusé. Elle s'enfonça saus résistance daus la masse inerte, la labourant odieusement. Avec quels tressaillements de volupté je la plongeais, fumante, daus les'entrailles bées, mutilant le cadavre, obéissantà jenesaisquelbesoin de destruction.
Mes bras, cependant, se lassèrent, et je m'enfuis, laissant une mare de sang violet se coaguler sous la pluie...
«  L'épouvantable cauchemar! fis-je en me réveillant, tout le corps brisé d'une invincible fatigue, et le cerveau vide.
« Or, à lire, l'autre jour, le récit du dernier assassinat de Jack thé Ripp?r, l'introuvable meurtrier, mon rêve me revint à l'esprit avec une précision effrayante.
« Une angoisse terrible me prit, à songer, me rappelant les détails de cette nuit funeste, que c'était bien en ce temps, à cette heure, daus cet endroit, que j'avais tué ce fantôme, qui était une réalité... le sais-je?
«.  N'est-ce pas, monsieur, que tout cela est bien étrange, bien peu vraisemblable?... Et cela me terrifie de peuser que ce peut être vrai. »
L'inconnu, saus attendre ma répouse, et m'ayant salué fort courtoisement, se perdit daus la foule.
Gaston Banville. 
GEORGES RODENBACH 
Pour de rares qui s'intéressent à ce très fin et très curieux esprit qu'es: M. G. Rodenbach, j'essayai jadis de formuler l'impression de ses poèmes, de suivre la précieuse évolution d'un mystique dont le vers, parfois, me faisait peuser à de blancs voiles de ces dentelles du nord, qu'un peu de vent soulèverait; a de lentes théories de formes indécises, cheminant saus bruit par des paysages brumeux et lunaires. Avec cela, c'était le culte d'un art hautain, d'élégantes tendresses, des afflictious subtiles, un état d'âme inquiète, flottant d'un catholicisme moribond et du regret de l'enfance à des rappels d'amours mélancoliques et si douces sur le décor des lètes mondaines, des calmes béguinages, des antiques cités flamandes agonisant d'ennui et de solitude. La poésie, pour lui comme pour d'autres des seusationistes, est restée cette langue idéale et fluente qui laisse entrevoir des choses à peine définies, les peusées vagues, l'inexprimé du vouloir et l'incertain du clair obscur, les froissements minimes et les deuils imaginaires des cousciences que la vie meurtrit, que la réalité brutalise. Aujourd'hui, M. Rodenbach publie /.,,' Règne du Silence, un très beau livre, et c'est la même impression  encore accrue peut-être et plus poignante de mélancolie, de douce tristesse, le charme pacifiant, apaisant « du rêve, où l'on se laisse aller comme au fil d'un cours d'eau », d'une âme où tout désir se décolore, qui n'a plus vraiment souci que d'elle et ne prolonge rien autre que sa quiète illusion. Il est de ceux qui ont atteint le port et le bon refuge. Depuis les vaines batailles, il s'est éloigné vers les cloîtres de solitude, où les douleurs graduellement s'effacent, ne laissent qu'un peu de souvenir, de vagues remembrances vêtues par l'éloignemënt et l'oubli d'un brouillard de leurre,  au point
qu'on ne sait trop si leur avènement ne fut point adorable puisqu'il vaut de flotter en de si divines songeries. Et voici que dans le repos et le silence les choses mêmes qui l'entourent se font pitoyables et compâtissantes et cousolatrices. Viennent-elles vers lui, ou son âroe s'est-elle transposée, qui les anime d'une vie trompeuse ; on ne pourrait dire, l'accordance est si parfaite ; par le recueillement des chambres  apparat de silence aux étoffes inertes  les objets familiers lui parlent cependant, participent à ses joies, à ses émotious passagères, reflètent les seusations qu'il formule, les angoisses de son âme et bientôt les symbolisent...
Oui! c'est doux! c'est la chambre, un doux port relégué
Où mon rêve, lassé de tendre au vent ses voiles,
Daus le miroir tranquille et pâle s'est cargué.
Las! saus plus espérer des sillages d'étoiles,
Et des départs pour des îles, mou rêve dort
Daus le profond miroir, comme en un canal mort...
Il rentre, et la chambre maternelle l'accueille, et les ' plis des rideaux qu'un frisson lent rapproche semblent causer entre eux de l'absent qui revient. Des voix disent la mort des fleurs qui « dépérissent dans la pitié de l'eau »; le vague soupir des choses Iç berce,
Respiration lente et qui, rythmique, endort
Comme un bruit d'eaux, ou de jardin sous une averse.
Le lustre, « où la douleur de la poussière s'éternise », le lustre aux fius calices de verre, qui vibre avec « un chagrin grêle d'harmonica »,
... c'est mon cur, visible en ce décor
Qui frissonne en sourdine et saus cesse s'afflige...
Les portraits aussi parlent :
Ils ont des mots ouatés et blancs de confesseur. Des mots tels qu'on en lit au long des bandcrolles Peintes, daus les missels, aux lèvres des élus... 
Voix comme en rêve; voix en conciliabules... Voix daus l'éloignement et qu'on dirait venir D'au delà des jardius et d'au delà des fleuves... 
Et toutes ces voix chuchoteuses s'unissent, s'accordent, resonnent en son âme de rêveur, font lever de subtiles analogies, lui insinuent d'autres rêves « qui
s'évadent languissarnment et traînent par la chambre comme des bulles ». De la pendule, le temps s'égoutte et pleure en tombant; de vagues musiques pénètrent malgré les fenêtres closes, se blessent « en traversant le meusonge du verre »} et lut apportent sanglants des rythmes presque morts. Puis l'obscurité descend, descend daus l'âme aussi qui s'euténèbre ; la clarté recule vers les rideaux qui lui font un linceul de dentelle; les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices, vont recommencer à faire saigner l'ombre :
... c'est l'heure On le vol libéré des âmes nous effleure.
C'est encore l'heure où les chambres se trahissent, le prennent à témoin et, défaillantes, se confient. Elles laissent échapper leur secret, qu'il nous répète à mi- voix : 
Les chambres vraiment sont de bous vieillards Et ce sont aussi de bonnes aïeules ; Eux. rêvent tout bas à d'ancieus départs; Elles prennent peur quand elles sont seules, Tristes pour jamais d'avoir vu mourir... 
Et de même, chaque soir, elles meurent réellement ; daus la détresse de la lumière, la vie les quitte; avec la fin du jour, c'est la fin de leur être d'apparence. Aiusi ses renoncements après les élaus fugitifs, les croyances vaines. Le crépuscule est doux comme une bonne mort; les soleils d'autrefois ont péri daus les brumes de l'hori- zon et la chambre est bonne couseillère; il n'y a plus qu'à dormir, qu'à rêver... 
Car c'est, avant tout, maintenant, chez M. Rodenbach, la religion du rêve :
Ah! Seigneur! augmentez en moi cette richesse Dont je suis à la tois le maître et le gardien; Et, de rêves nouveaux, refaites-moi largesse, O Seigneur, donnez-moi mon rêve quotidien!... 
Rêver, transposer en soi des sous et des nuances, mêler à leurs reflets une part d'infini, se cousoler avec la vie en rêve, la vie emmaillotée aux langes du meusonge, il ne désire plus rien au-delà : 
Mon âme a trop souffert aux chemius du Réel
Et s'en trouve à jamais comme en convalescence...
Désormais, le rêve qu'il forge, qu'il appelle, qu'il crée de sa mélancolie, devient le milieu, l ambiance daus la solitude où il se complnit. Curieux eilet comparable à du raifonncment, à de l'émanation ; la vie immédiate n'existe plus, reculée jusqu'à l'improbable; il berce ses fictious et les vêt de tout le charme des vocables assoupis, d'une caresse de mots qui ont des frémissements de soie : elles sont son âme même, projetée, qui se concrète et prend forme et nous apparaît, alors que le rêve se déploie, velarium de bruine et de clarté lunaire. Avec M. Maeterlinck on avait vu l'extériorité agir sur les nerfs, à fleur de peau, procurer des émotious singulièrement acuitives. A présent la flottante enveloppe du songe retombe sur l'âme, l'enveloppe et la pénètre, la trausit à la fois et quasi l'embaume. Daus l'évocation des villes mortes, une immense tristesse plane. Et c'est comme une psychologie du décor : elles vivent leur pauvre vie, ces maisons «dont le front se lézarde de vieillesse*; ils sourirent et dépérissent et meurent, ces remparts à l'abandon, ces quais bordant l'eau immobile d'un canal, ces bâtiments clos, aux murs qui s'effritent. C'est l'automne et la mort des maisons, des vieilles petites villes flamandes :'
Daus l'aurore s'cplore un octobre des pierres...
Des rues désertes, où le bruit des pas est une chose déconcertante « comme de rire auprès d'un malade endormi». A la nuit, de pâles lueurs aux vitres : on dirait un chétif feu de cierge et qu'en chaque maison muette on veille un corps. Tristesse des vieux murs tombés daus la misère; villes sans joie aux carrefours déserts, vieilles cités déclinantes et seules, où les geus marchent silencieux, furtifs, l'air de fantômes. Là-dessus pèse l'ennui plus grand, la tristesse plus grande du Dimanche, un jour où *, le silence, en neige immeuse, tombe», coupé par la voix des cloches qui reviennent, reviennent toujours, obsédantes, tintant comme pour des obsèques. Des béguines, au loin, passent, hâtant le pas. On entend encore les.cloches, des chants d'église, des soupirs d'orgues. Et la ville meurt, meurt de l'ennui de sa solitude. Elle semble sommeiller; mais les canaux et le frêle tissu des flottantes fumées s'enroulent en formant des bandelettes d'eau et debrouillard autour de la chère endormie. Et voici le suaire des neiges qui choit du ciel désolé pour l'eusevelir daus l'hiémale fourrure, l'impériale blancheur des frimas...
O neige, toi la douce endormeuse des bruits Si douce, toi la sur peusive du silence, O toi l'immaculée en manteau d'indolence Qui gardes ta pâleur même à travers les nuits. Douce! tu les éteius et tu les atténues Les tumultes épars, les contours, les rumeurs; O neige vacillante, on dirait que tu meurs Loin, tout au loin, daus le vague des avenues! Et tu meurs d'une mort comme nous l'invoquous, Une mort blanche et lente et pieuse et sereine, Une mort pardonnée et dont le calme égrène Un chapelet de ouate, un rosaire en flocous. Et c'est la fin : le ciel sous de funèbres toiles Est trépassé... 
Votre âme, lui écrivit M. Mal larmé, donne toujours cette haute impression de luxe qu'elle a le temps. Parole affectueuse et juste. Le temps, oui, le temps de rêver son rêve, de scruter et de comprendre la vie des choses, d'apparier leur mélancolie et sa mélancolie. S'il s'éloigne des villes défuntes et s'égare le long des canaux, s'il écoute la plainte murmurée des rivières, il entend ces voix et ces plaintes:
La voix de l'eau qui passe est triste et mire en elle La moindre affliction qui l'a frôlée un peu... 
La voilà s'affligeant du départ en exil
De la fumée, au loin, qua Ui bise balaie
Et qui, violentée, abandonne daus l'air
Ses voiles, et daus l'eau vient mourir toute nue...
Voix qui prolonge un peu les voix qui se sont tues, Voix triste qu'on dirait posthume et d'autrefois, Voix qui parle comme regardent les statues... 
Surtout il y suit encore son rêve, il y voit le reflet de son âme ; les mots se répètent comme en des litanies. Ce cur de l'eau « souvent malade et saus mémoire », de l'eau si p5le,« qui parfois en des frissous, en des remous », crispe sa nudité d'une douleur charnelle, qui dort en un miroir cou les choses se font l'effet d'être posthumes»,il nous le révèle en cette seconde partie du poème, une des plus belles, et en tous cas d'une émotion neuve. Subtile psychologie de l'eau vivante et vraiment féminine, aimant le ciel comme en un hymen cousenti, qui sanglote d'être seule « en ce grand calme qui lui fait mal », qui pense et se lamente et se souvient,  c'est la psychologie du rêve. Et c'est bien une littérature du nord, d'un pays de perpétuel hiver, la nostalgie de l'action et du soleil. « La tristesse de cette poésie frissonnante et si belle à la fin nous gagne, dit M. Montorgueil. Le livre achevé, on sent peser sur soi la glace des mélancolies ; on se surprend à parler bas et à poursuivre des rêves infor mulés, car les mots pour les dire sont par le froid cris tallisés sur les lèvres. C'est un délicieux engourdissements de l'être et la chère souffrance d'Oswald daus les Revenants d'Ibsen, qui a vu la'lumière de nos contrées et à son retour daus sa Norvège en meurt. »
Pour rendre cette seusation, il faudrait trop citer. Encore les pièces ne se détachent guère. Le Règne iiu Silence  on doit préciser par ce temps de minuscules plaquettes, de petits recueils disparates et nuls  est un poème synthétique, entier et complet, où chaque notation vient concourir à l'effet d'eusemble. On le lit, et l'on aimerait renvoyer il M. Rodenbach le propos de SainteBeuve, qu'il réclamait pour Verlaine : Il sait si bien son âme.  Ame iusaisissable et mobile d'une poésie de rêve. Ces vers doux, tristes, mélancoliques, il me semble toujours qu'il serait bon de les entendre dire à voix basse, au coin d'un feu tombant et sous la lampe très baissée, par une chambre silencieuse, les soirs de neige, daus la convalescence de quelque maladie terrible d'où l'on serait miraculeusement sorti...
Au terme d'une étude sur des mystiques,  M. Verlaine, hier M. Rodenbach dans la Jeunesse Blanche  on pouvait naguère s'inquiéter d'établir s'ils furent des croyants, ces divius poètes, où si l'amour du décor et le plaisir de faire vibrer les mots précieux du liturgique les appelaient, seuls, à spéculer sur l'antique appareil des religious. Maintenant on a reconnu l'existence d'un mysticisme d'art, par delà les dogmes, retour au spiritualisme qui est la plus haute et la plus éclatante manifestation de la littérarure présente. Ce mysticisme d'art imprègne et illumine le Règne du Silence, et d'autant mieux reconnaissable qu'il y est presque dégagé de toutes les évocatious de la symbolique chrétienne,  si délicieuses, mais qui favorisaient la confusion. Les mots ont disparu, le frisson est resté.
Et puis, ce désir de savoir au juste était secondaire. Que l'artiste fasse uvre d'artiste, j'estime que c'est toute sa tâche. Il est sincère ainsi et nous n'avons rien de plus à lui demander. Euseigner ou conseiller n'est pas son fait. Il n'est pas tenu de jouer au philosophe, de crier la sagesse dès le seuil de la vie. Et nous subissous assez de moralistes, de normalieus, de pédagogues, pour qu'il nous soit permis de répéter qiielques beaux vers daus l'oubli des pédants. Ils souffrirent, ces seusitifs, et le disent. C'est tout leur génie. Peut-être même ne recherchèrent-ils de précieuses aventures que pour rendre plus cher Palanguissement de leurs couplets. Et nous savons qu'ils n'y trouvèrent pas le bonheur. Pour avoir, lui aussi, poursuivi la Béatrice, pour s'être enfiévré de fugitives et merveilleuses visious, Rodenbach coule a d'inguérissables mélancolies. Il tenta bien d'échapper ; il proclama ses voix trompeuses ; malgré cette conversion, de tardifs repentirs, je le crois impénitent : il se souvient trop. L'art qui lui parut un inviolable asile ne peut lui donner qu'une partie de son rêve. Daus le refuge de repos et de silence il reste désolé : Ma vie n'est qu'un grand canal mort :
O ville, toi ma sur, à qui je suis pareil.
Ville déchue, en proie aux cloches tous les deux,
Nous ne connaissous plus les vaisseaux hasardeux
Tendant comme des seius leurs voiles au soleil,
Comme des seius gonflés par l'amour de la mer!
Nous sommes tous les deux la vitle en deuil qui dort 
Il n'a pas besoin de noub dire : regardez, ceci est mon cur! Voyez, ceci est mon âme; nous le savous déjà. Il a vécu aux frontières de l'iinmétariel et pleure encore des songes avortés; cette vie et ces songes seront ses poèmes. On ne saurait prétendre, certes, qu'il souhaitait naguère d'épouser la Vierge et la Madone, d'enlacer ces royales phtisiques dont il racontait la chambre d'agonie, ou quelque sainte descendue d'un vitrail,  car ses femmes ne pouvaient prendre corps. Elles étaient loin des plus désirables amantes, loin même de celles qui furent la possession miraculeuse dont le caprice nous hantait aux heures de fortune favorable. Charnelle, leur apparition survenue les ravalait à la misère du possible ; il s'en détournait comme des maîtresses qu'il leur opposa si en vain. Le mieux est de dire qu'il aimait vraiment l'irréalisable. Et nous lecomprenousaiusi, ce doux rêveur, et nous mettous notre main daus sa main crispée. Ses incertitudes, ses inassouvissements ne sontils pas un commun héritage ? Son sentimentalisme subtil et la vague illusion de l'Idole, quels sont ceux qui n'en furent pas éprouvés ? Toute la littérature du siècle
l'affirme, daus" le désenchantement de l'amour et la trahison des devoirs attendus. Et son malaise d'artiste, ses doutes,se répercutent encore dans nos cousciences et pèsent au point douloureux de notre être.
Sommes-nous bien certaius, en efiet, de n'avoir pas pris la mauvaise route? L'art vaut-il que nous défendious avec tant d'ardeur son évangile?N'aurons-nous pasla persuasion, quelque jour, de nous être mépris ?  Des voix profondes, parfois, nous avertissent, et nous n'v trouvous qu'une courte déchéance. Taudis que la jeunesse passe et s'enfuit à jamais, nous adorous de brillants simulacres. Quoi que nc-us cherchions, notre ellort nous lasse saus nous satisfaire. Par le dédain que la foule nous prodigue cependant, nous devrious apprendre que nous soin mes les vaincus de cette vie que nous n'avous pas voulu accepter comme les autres  et qu'il était préférable de suivre le Troupeau. Voyez, les folles aspiratious de gloire qui cousolèrent nos aînés nous font presque sourire ! Nous savous trop de quoi elle est laite, la gloire , de quels obscurs trafics et de quels grossiers triomphes. Superficielle toujours, elle exige encore des concessious. Pour ceux que les discours officiels épargnent, c'est l'opprobre des réparatious posthumes, les dénigrements et les commérages, la blague d'une génération neuve, qui n'a plus vos idées et condamne avec les siennes. C'est, pour d'autres, les suffrages des pious, des éclaircissements de cuistres,plus tard )'(ftwre choisie, devenue classique, donnée en pensum. C'est enfin pour les révoltés dont le front garde dans la mort le signe fatal de leur mécompte,quelques dévots qui redisent des phrases, qui annoncent le Maître et semblent parler une langue inconnue. Daus la tumultueuse cohue d'un siècle,l'oubli ne laisse pas surnager dix noms. La gloire, c'est de servir aux recherches maniaques des vieux érudits «t aux fabricants d'éditious compactes! Jesaisque,malgré sesabdicatious,M. Rodenbach le regrette, « le noble etlort de se survivre en l'uvre terminée * ; il l'a compris pourtant :
...c'est la fin de cet espoir, du grand espoir Et c'est la lin d'un lève aussi vain que les autres : Le nom du dieu s'ettace aux lèvres des arotres ht le plus vigilant trahit avant le soir. 
Guirlandes de la gloire, ah ! vaines, toujours vaines! Mais c'est triste pourtant quand on avait rêvé De ne pas trop mourir et d'être un peu sraivé Et de laisser de soi daus les barques humaines... 
Qu'il se cousole. Les tristes et les rêveurs qui le lisent lui sont un meilleur apanage,
Solitaires de qui la jeunesse rêva Un départ fabuleux vers quelque ville immeuse, Dont le songe à présent sur l'eau pâle s'en va, L'eau pâle qui s'allonge en chemius de silence... 
Pour moi, j'avouerai facilement m'être complu, autrefois, à des essais de paraphrases qui me laissaient pénétrer plus intimement l'âme de ses livres. Saus doute, l'inconvénient du système c'est qu'on détraque de bous vers pour coustruire de la méchante prose. Il est daus tout poète  et daus celui-ci combien  de l'intraduisible, un frémissement que sa formule seulement parvient à rendre. Puis on risque d'habiller les geus avec trop de fantaisie. C'est même le propre des commentateurs de découvrir des choses que l'artiste en créant ne soupçonnait poinl. Mais les textes demeurent pour de plus habiles.  J'aurais seulement un peu de reconnaissance au bon chroniqueur qui s'égarerait daus ces notes un soir de copie laborieuse et s'en servirait pour apprendre à quelques-uus encore les dolents poèmes de Georges Rodenbach.
Charles Merki. 
LE VOILE
TRIPTYQUE I 
L'oranger 
A Madame Heuri d'Ervillc 
La victoire des cieux et les pleurs de la terre,
Cloches et curs tintaut leurs sanglots prolongés,
Peuplent d'azurs riants et d'esprits affligés
L'habituel désert tombal du monastère.
La, sous l'ombrage en fleurs des chastes orangers,
Vierge veuve d'un fol amour qu'elle dut taire,
Mais éloquemment pâle, une mondaine enterre
Par victime respect d'ancestraux préjugés
Ses radieux vingt aus voués au cloître austère.
Symbole de son âme, en vols blancs et légers,
Parmi tant de deuils chers prosternant leurs dangers,
Son voile nuptial, tel un rêve, s'éthère.
Et, ses Vux qui, muets, montent d'elle, imagés,
Vers le dieu de Refuge et la croix Salutaire,
Retombent sur la foule en douloureux mystère
Comme des voix d'en haut qui lui diraient: a Songez! »
Seigneur ! que vers toi l'ingénue Passion de mon cur dompté Jailtisse avec la pureté Des fraîches sources vers la nue ! 
Toi qui donnas ton sang divin pour nous, Etends les maius vers mon âme à genoux ! 
Seigneur ! jusqu'à la meurtrière Douleur dont se larme ton flanc Qu'arrive, baume cousolant, Le miel de ma lèvre en prière ! 
Toi près de qui rien ne me sera plus, Guide ma Foi vers le seuil des Élus ! 
Seigneur ! à toi tout ce que j'aime ! De ma beauté qui s'admirait Que croule aiusi que d'un coffret Chaque charme, comme une gemme ! 
Toi qui vidas le calice d'affront.
De mes cheveux découronne mon front !
Seigneur ! flagelle ta servante ! De ses viles humilités Tresse à tes pieds eusanglantés Un tapis de douceur fervente ! 
Toi qui souffris de notre orgueil mortel, Marche sur moi pour venir à l'autel ! 
Sous la croix de criants ciseaux s'est dégarni
Son front doux comme un bois que l'automne caresse
Et marque d'une Loi que nulle ue trausgresse,
Sur ce renoncement à jamais désuni
De ce monde, un linceul a jeté sa détresse.
Aux regrets qu'il suggère un glas de mort s'unit ;
Un rideau tombe ! Elle esta Dieu ! tout est fini!...
La bure a remplacé la robe pécheresse ;
Sous la coitïc de neige où son teint s'embrunit
Il semble que sa chair plus fine trausparaisse,
Que rayonnent ses traits plus beaux de sainte ivresse,
Et que sou uni brûlant d'un éclat plus béni
Se mire en le Très-Haut dont le triomphe dresse
Vers le lucide émail qui voûte l'infini,
Son soleil, globe d'or et de régne, aplani
Eu osteusoir d'amour sous son dais d'allégresse !
II
LE NÉNUPHAR
A. Edouard Dnbus. 
Sous le blasphème en feu qu'un ciel grondant profère
Souillant d'écnm* la Lune qu'il dépolit,
La recluse repose. Un rayon furtif erre
Et plane sur ce pur sommeil euseveli
Daus l'ombreuse lourdeur de l'ardente atmosphère,
Et soufflant les parfums de l'Eté vers son lit
La bouche d'un judas, traîtresse et thuritère
Comme un baiser d'amour, brûle son corps décent,
L'assiège, le dénude et l'induit à méfaire. 
Son rêve hostile an mal que sa iièvre cousent
Invoque des bras et des pleurs le Christ de plàtre Qui s'arrache du mur et, lumineux, descend. Elle oint des yeux l'Epoux que sou cur idolàtre. Mais Lui montre d'un doigt hautain son flanc puissant Dont, rouverte douleur, la lèvre violàtre Semble taire un reproche en sa bave de sang! 
Mon Dieu! que l'ombre haïssable De traits admirés trop souvent Parte de mes yeux comme au vent D'oubli, l'aveuglement du sable! 
Royal Epoux des neuf Règnes ailés, De pleurs lavez ma vue et la voilez! 
Mon Dieu! brisez l'urne iragile, L'urne fangeuse qu'est mon sein, Ou tirez un vase aussi saint Qu'un ciboire de cet argile! 
Suave Epoux du cur qui meurt béni, Parlez en moi, tel qu'un chant daus un nid ! 
Mon Dieu! que, jaloux des charnelles Fautes qui hantent mon tourment, Veille votre regard clément Au seuil pécheur de mes prunelles! 
Céleste Epoux mystiquement viril, Murez d'amour votre esclave en péril! 
D'Ellc s'est retiré le Christ inexauceur
Dont la forme affinant sa stature éclatante
Renaît sous les contours prosternés d'une sur,
Et ce spectre dolent de belle pénitente
La baigne d'un regard, où, mourante douceur,
Pleure un ciel incompris et mauvais qui la tente;
Mais dessous sa chair faible au charme ravisseur,
Elle sent s'iusurger une froideur hautaine I Aiusi, vaguar.'te neige en la chaude noirceur De l'estivale nuit, tantôt proche ou lointaine, La Lune, connue un gros nénuphar brimbalant Au ras des noirs frissous ridés d'une fontaine, Semble vers la sombreur de ce songe troublant Parfois tendre et parfois reprendre à l'incertaine Lèvre au bord du péché, le divin pardon blanc Qu'offre, d'un cur en croix, la florale patène! 
III
LA PASSIFLORE
A Albert Giraulf. 
Couleur cierge, le front, couleur cendre, les yeux,
L'abbesse. gestes lents et pas silencieux,
Porte haut la beauté de son tranquille empire,
Mais c'est l'étang muet quand le jour chante aux cieux
Ce calme taraudé d'un mal que l'ombre empire!
Et quand la nuit, Sataue au masque adamantin,
Prête aux profanateurs ses ailes de vampire,
L'abbesse allume et fond la cire de son teint
Où l'il cilié d'or s'effleurit, clandestin.
Comme, phosphorescent, sous l'herbe le lampyre.
Elle débride alors son limoneux iustinct.
Et drapée en l'cffroi que son fantôme iuspire,
Rode, frôlant les murs en sueurs du couvent,
Et chaque soir quêteurs d'une luxure pire
Ses regards ont le dur scintillement mouvant
Du fer, qui daus la mort cherche un fourreau vivant!
Grâce ! pour l'horreur que je souffre Au seuil qui m'attire et m'attend ! Daus mes veines rampe Satan, Daus mon cerveau flambe du soufre ! 
Jésus Sauveur, que ma prière en toi
Couvre mon corps, de neige, comme un toit !
Grâce ! la fièvre me martèle, Me rompt les jarrets et les bras Des coups sanglants dont tu vibras, Cur divin, sur ta croix mortelle ! 
Jésus Sauveur, exorcise ce fer
Que cloue en moi le sardonique Enfer !
Grâce ! en mon sein lacéré, brise L'âpre lance du Repentir Au bec rouge et qu'à se sentir Ronger, cette chair se méprise ! 
Jésus Sauveur, que, des murs, les poings morts Des Saints croulants lapident mes remords ! 
Grâce ! qu'au feu qui l'environne Saigne mon crâne incandescent, Et, que le front lavé d'un sang Qui perla de pleurs ta couronne, 
Jésus Sauveur, ma Mort fume, en enceus, Des cinq bûchers de mon Ame : mes seus! 
Mais d'en gémir renaît le péché qu'elle expie !
Soudain, ses yeux cerclés d'une fièvre assoupie
Fulgurent, faux brillants daus leurs chatous de plomb.
Et pétale fane de Passiflore impie,
Sa langue fleurissant d'un houleux goufalon
Le férial appel des dents qu'elle pavoise,
Sur l'orage automnal d'un âge encore blond
Tord l'éclair violet de sa flamme grivoise....
Sous ce rire, un baiser de nonnain s'apprivoise
Qui novice et vermeil en son délire long
Ecume aiusi qu'un Ilot de grisante ccrvoise.
C'est l'extase de chair, le paradis félon!
Mais, parfois, daus ce ciel d'impureté que nue
La gamme des langueurs, leurs âmes, en surplomb,
Voient le Serpent du mal qui flamboie et sinue
Comme un glaive damnant leur perversion nue!
P.-N. RotNARD.
M. Laurent Tailhade renie son Jardin des Sèves, dont Théodore de Banville écrivait :« Il contient au plus haut degré les qualités essentielles à la jeune gcnération artiste et poète, c'est-à-dire à la fois la délicatesse la plus raffinée et la plus excessive, et le paroxysme, l'intensité, la prodigieuse splendeur de la couleur éblouie. » L'ueuvre à quoi un tel maître appliquait de telles paroles ne justifie aucunement le dédain un lequel la tient son auteur. Mais c'est affaire à lui, et, comme fit naguère en ce recueil (2) M. Krncst Rivnaud, je voudrais ne pas iusister sur ces premiers vêts. Je les rappellerai néanmoius avant de brièvement indiquer comment, selon que je le crois, l'original esprit et le rare poète qu'est M. Laurent Tailhade  d'abord plus spécialement voué, semblait-il, à cette poésie « d'iuspiration catholique où se complaît souvent sa latinité daus les fumées d'enceus que traverse une lumière de vitrail " (3;  s'est momentancment détourné du but radieux, comment s'activa l\intre artiste
 le terrible autre  d'ordinaire assoupi en lui et ne se manifestant guère, en ses fugaces réveils, que par des épigrammes pour la plupart jamais écrites et en tout cas point colligées eu vue du volume.
Le sonnet Préface du Jardin des Rhcs éclaire sur la psychique de M. Laurent Tailhade alors qu'il composa ce livre. Le poète est déjà bien désabusé. Nombreuse est la jonchée légère de ses illusious défuntes, et c'est saus mélancolie  car il n'est pas précisément un é)égiaque !
 qu'il la contemple, et surtout saus se plaindre. On ne gémit point si l'on est un dieu : il n'a qu'à toucher Lazare pour que Lazare revive. Aussi a-t-il recueilli les frêles vestiges des si tôt mortes, il les a eusevelis daus un riche tombeau, et, au lieu de se lamenter en vain du sort implacable qui les flétrît venant d'éclore, il ressuscite à son gré les fleurs merveilleuses daus tout leur éclat :
Bien que je sois brisé comme sont les frégates Qu'emportc l'océan sur les récifs houleux. J'ai gardé le trésor de mes beaux rêves Meus Daus des coffrets ornes de perles et d'agates. 
(1) t vol. petit elzévir (Léon Vanier).
(2) Notices littéraires : Laurent Tailhade (no de janvier (1) Armand Silvestre, Préface de An Pays du Mutlc. 
Je remonte pa/fois le fleuve nébulleux De l'enfance, bordé de flores délicates, Et je revois passer les robes écarlates Des auges disparus daus les ciels fabuleux. Les jardius sont remplis de valseuses pâmées, Les roses daus les vius se meurent, parfumées, Les baisers ont une aîle et passent en riant... 
Toute la flore des rêves d'adolescence et de jeunesse, expirée aux premiers souffles du Mal, resplendit dans le jardin un moment si dévasté.  Résurrection inefficace : l'illusoire réalité a duré tant que se cousommait l'uvre ; le poète n'a plus maintenant que tristesse à se promener en son jardin refleuri, dont les parfums, aussi odorants qu'autrefois pourtant, ne le grisent plus. Les délicieuses fragrances, jadis brises des cieux et qui lui ouvraient l'infini, il sait qu'elles émanent d'une combinaison chimique... Il sait, il sait trop, et sa détresse est profonde :
Mon âme est un décombre où le vent et la pluie Iusultent ce qui fut la splendeur d'autrefois, Un tableau dédaigné que personne n'essuie, Un iustrument fêlé qui cherche en vain sa voix, Un palais déserté dont les murs noirs de suie Se souviennent encor d'avoir couvert des rois. 
Mais le poète est sur le chemin de Damas : il voit soudain, et il s'oriente vers le catholicisme  sinon un baume pour sa misère d'homme saus foi, du moius un inépuisable trésor pour son âme d'artiste. Il a jeté sa gourme daus le Jardin des Rcves, tout de poésies fugitives, à quoi l'on reprocherait de manquer de I unité saus laquelle il n'est point d'uvre : son prochain ouvrage sera un livre et non un recueil, livre un par l'iuspiration et qui dira les fastes de l'Eglise, les somptuosités de la liturgie romaine, la magnificence du temple et du tabernacle, la majesté des orgues, la suavité des cantiques montant à Madame Marie... Nul mieux que lui n'évoquera les incomparables splendeurs du culte et n'en exprimera l'infinie beauté artistique : il connaît son architecture imposante, dont les bêtes fantastiques lui ont saus doute confié leurs secrets ; il sait la courbe des arceaux, l'élancement des flèches, la gracilité des colonnes, les légendes et les symboles des vitraux, les pénombres et les lumières des saints lieux, les rares étoffes richement brochées, la rigide draperie ecclésiastique aux plis lourds; il est un extraordinaire sertisseur de gemmes ; les enluminures des vieux missels lui sont familières; il a surpris l'onction du geste sacerdotal ; il a le sens des choses sacrées et de.-, cérémonies religieuses, et il est peut-être l'unique poète vraiment latin de notre époque si géneralement embrumée de métaphysique allemande. Mais, comme il est d'un âge impie et que lui non plus n'a la foi, comme il serait incapable de cette uvre inférieure qu'est une poésie seulement plastique, l âme qui vivifiera son livre n'est pas  oh ! pas du tout !  celle qu'iusufflaient à leurs créations les candides artistes du moyenâge, et il n'est point téméraire de supposer que cette glorification de l'Eglise par un prestigieux mais incroyant poète moderne n'aurait pas l'approbation papale...
Tel est le livre que vraisemblablement, à en juger par certaines poésies du Jardin des RSces et d'autres subséquentes, nous lirions aujourd'hui, s'il n'était arrivé à M. Laurent Tailhade la commune mésaventure de rencontrer le Mufle  ou plutôt, car, hélas, il le connaissait, la malchance de ne le plus supporter à peu près silencieusement. Mais, aussi, le moustre, depuis quelques lustres, a tant grandi, grossi, que sa formidable hure intercepte la lumière du ciel : son ombre deuse noie les parvis, eusevelit les portails où le poète contemplait l'extase des saints de pierre, efface l'histoire éternelle iuscrite sur les vitraux, éteint les ors de l'autel et des chasubles, immerge les foules du temple, qui, angoissées, ont tu leurs chants et laissé mourir les cierges. Or, devant le panmuflisme d'une société tellement goujate qu'elle a perdu jusqu'aux primes notions de la politesse, M. Laurent Tailhade a succombé aux assauts furieux de ce que j'appellerai son second moi de poète  le moi aux épigrammes jusqu'alors platoniques, puisque non publiées,  tout à fait différent de l'autre, moius noble aussi, et momentanément la meilleure partie de lui-même fut absorbée par la pire. Au reste, la sanglante satire de AuPays du Mufle était actuellement fatale de la part d'au moius un de ceux qui, d'humeur peu bénigne, ont très aigu le sentiment du pignouffisme : une telle voix, providentielle, était nécessaire à l'immanente et supérieure justice qui régitle monde. Ne fût-ce quepeude minutesdurant, il est cousolant de croire à cette justice-là, et j'en verrai» volontiers une preuve ici même, en ce que, au lieu du piètre versificateur qui eût pu assumer le rôle de stigmatiser son temps  uvre informe et partant éphémère, tout au plus bonne à fustiger une époque d'ignominie accidentelle et partielle , c'est un ouvrier saus égal qui en eut la peusée, de telle sorte que l'universelle et incom
meusurable vileté contemporaine fût gravée en lignes perdurables sur les tables d'airain.
Mais, précisément à cause de ce pullulement du mufle, J£ déplore que M. Laurent Tailhade gaspille tant d'heures à lui bâtonner individuellement le groin  méthode avec laquelle il en oubliera, et des meilleurs,, ce qui est dommage  et je le préfère de beaucoup lorsqu'il généralise. La satire qui s'en prend aux individus est inférieure et dangereuse parce que, d'abord, elle est fréquemment injuste ; il y a des degrés daus la muflerie, et, à propos de telle ou telle personne nommée ou suffisamment désignée par son vers, on :i jugé que le poète allait un peu loin. Et puis, à ne cousidérer qu'un seul objet, on est sollicité par des détails saus importance : on ne peut pas ne point apercevoir la verrue du nez qu'on pichenette (gracieux euphémisme en l'occurrence), et, au lieu de courir au but, qui est de ridiculiser d'un mot la difformité de ce nez. on s'attarde à dépeindre la verrue, sa topographie, la sinuosité de ses ravius, la nuance de ses sommets et l'altitude de six poils qu'elle féconde. Enumération et analyse du secondaire au détriment de l'essentiel, et jamais on atteint à la synthèse, qu'on obtient toujours, par contre, à envisager une catégorie, un genre, un groupe. La satire individuelle est, de plus, inopérante ; loin d'y prêter créance, on s'en méfie, et si elle passe à la postérité ce n'est qu'à titre de spirituelle boutade : elle entame à peine l'épidernie, telum imbcllè sine ictu. La satire collective, qui, de toute nécessité, n'a souci que des caractères généraux, est moius amusante saus doute, mais d'une portée bien supérieure, et son trait nerveux, point alourdi de fioritures inutiles, véritable arme de guerre, file avec légèreté, décrit une sûre trajectoire, frappe juste où il faut, pénètre profondément et proprement.
Il serait pédant et superfétatoire en ce recueil, suivi surtout par des lettrés qui n'ignorent point M. Laurent Tailhade, de tâcher à un essai de critique sur Au Pays du Mttth', et de rechercher avec exactitude la place que lui assigne ce volume. M. Armand Silvestre, dans la préface, établit d'ailleurs sa filiation par Villon et Théophile Gautier : « De Gautier il a l'impeccabilité souveraine ; de Villon l'emportement lyrique et l'abondance cadencée du verbe. Son vers passe du frémissement de la lyre au claquement du fouet». Il me suffira de coustater que, depuis des temps immémoriaux, depuis nos plus vieux bardes et nos premiers conteurs, nul livre n'offre un tel ragout d'ironie coupante et d'acerbité d'esprit, et je noterai la coustante « belle humeur » souvent facétieuse et toujours caustique épandue en cette uvre d'un que, sous son impassibilité souriante de parfait gentleman, je soupçonne tant d'être un irréparablement triste. Il n'est pas besoin non plus d'iusister sur l'envergure de la raillerie Ah ! que n'est-elle dédiée à M. Jules Simon pour ses doctes travaux sur la dépopulation !  intitulée Ballade de Ici génération artificielle  sur l'admirable mouvement lyrique de la fameuse Ballade confraternelle pour servir à l'histoire des Lettres françaises : sur la perfection et la joyeuseté de la Ballade pour se conjouir aï-ce le « Petit Centre »; sur la qualité du sarcasme à froid de Sur champ d'or et de toutes les pièces qui visent le menu bourgeois, sa dame et sa demoiselle ; enfin sur la si doucement mélancolieuse goguenardise  qui me rappelle invinciblement Rutebeuf  de la Ballade sur le propos d'immanente svp/iilis : 
Du noble avril musqué de lihts blancs
Hardeaux paillards ne chôment la nuitée.
Mâle braguette et robustes élaus
Gardent au bois pucelle amignottée.
Jouvence étreint Mnazile à Galathée.
Un doux combat pâme sur les coussius
Ton flanc menu, Bérengére, et tes seius
Jusques au temps que vendange soit meure.
Or, en ces jours lugubres et malsaius,
Amour s'enfuit, mais Vérole demeure.
N'est-ce pas d'un « sentiment > exquis ? Mais M. Laurent Tailhade n'a point Phvpocrisie du vocable, et, lors de sa publication daus le Mercure de France, cette ballade provoqua maintes indignatious : de pudibonds crânes pointus ne parvinrent jamais à y voir autre chose que l'avant-dernier mot du refrain, qu'ils taxèrent délibérément de « cochonnerie ». Il n'y a rien à répondre à ces âmes comme-il-faut, sinon qu'elles habitent à toujours le pays d'où le poète a rapporté son livre,
J'ai par deux fois, au cours de cet article, souligné l'adverbe momentanément appliqué à Tétat d'esprit qui enfanta les poésies de Au Pavs du Mufle. Absolue est ma conviction, en effet, que M. Laurent Tailhade ne se confmera point daus la satire. Il ne l'abandonnera pas tout à fait pont-être, mais certainement il songe à l'uvre annoncée, ce livre au titre si bien à lui et prometteur de toutes les rutilances : Les Escarboucles. 
Alfred Vallette. 
THÉÂTRE D'APPLICATION
Antonia
Tragédie moderne en 3 actes et en vers libres, de M. Edouard Dujardin, paraphrasée d'un vers de Richard Wagner : f. Ich sah Uttl und lachte » (parsifal).  II est vraisemblable que le grand public, celui qui va au théâtre pour se distraire et non pour peuser, n'affluera jamais aux représentations symbolistes, sinon par snobisme en admettant que la chose devienne une mode : l'esprit du public atteint sa plus haute altitude avec les allégories d'opéras, et il y a même parfois le vertige... Les tentatives comme celle de M. Edouard Dujardin, non la première, aiusi qu'on l'a dit, mais une des premières, n'en sont pas moius intéressantes, et il est désirable qu'à côté des théâtres ordinaires, où toujours se dérouleront, daus une forme quelconque, des actions humaines au chiffre facile, des combinaisous passionnelles d'une émotion immédiate, il subsiste une scène où les esprits très compréheusifs puissent se délecter à des spectacles moins rudimentaires.
M. Edouard Dujardin a choisi un thème d'une grande simplicité, un thème général et non un cas : la tragédie éternelle pour tout dire. L'Homme, après qu'il a parcouru bien des stades de la vie, en quête du bonheur qu'il se doit et qu'il doute de réaliser jamais, rencontre enfin la Femme, la jeune vierge aux rêves vagues et aux désirs imprécis : elle l'attendait comme il la cherchait, et leur destinée s'accomplira. Cependant, au seuil de l'irrévocable, déjà Pâris s'est montré à l'Amante, originelle pécheresse. Oh! elle ne l'a point écouté. Mais, une fois pénétré le mystère, alors qu'elle sait l'Amant, son âme inquiète et curieuse vole à Pâris resongé, nouveau Peut-être, l'Inconnu. Et l'infamie se parfait, jetant l'Amant sur le chemin du Golgotha. Le mystère est un pourtant, quiconque en a le secret n'a plus rien à apprendre: Pâris fut un leurre, et, désillusionnnée, pour toujours assagie, l'Amante revient à l'Amant. Mais, durant la criminelle absence, il a gravi le Calvaire, i! est maintenant sur la croix et il y expire.  Telle est l'économie de cette uvre sentimentale, assurément intelligible, nuageuse toutefois et comme sortie d'un cerveau allemand.
L'auteur a obtenu des effets musicaux d'une grande
intensité avec des assonances répétées; mais il abuse de ce moyen, nuisible en maint passage. Et puis, le drame étant de tous les temps, pourquoi le jouer précisément daus le plus laid des costumes modernes, si affreux tous ? Bien comique était cette redingote parmi les voiles des Vierges nocturnes.
Personnellement, il ne me déplaît point d'entendre un poète chanter son vers lui-même; M. Dujardin aurait cependant mieux fait de laisser le rôle de l'Amant à quelque jeune acteur qu'il eût stylé, euseigné, c'est-à-dire débarrassé de son savoir traditionnel. M"e Mellot m'a paru un peu figée au premier acte : c'eût été très bien s'il se fût agi d'une vierge «bien élevée» de bonne bourgeoisie ou même de noble souche, mais la vierge de M. Dujardin est autrement vibrante que ces charmantes poupées. M"» Mellot s'est d'ailleurs rattrapée au second acte. Quant à M. Fénoux (Pâris), s'il veut se créer une place daus le théâtre de demain, je lui couseille fort de désapprendre beaucoup, beaucoup : ah! ses maîtres doivent être contents de lui!
Alfred Vallette. 
THÉÂTRE LIBRE « Le Canard sauvage » d'Ibsen. 
« Alors on soupire, car il « ne reste plus qu'un point " hermétiquement jcrmc.. .. « et ce point, c'est le canard « sauvage. »
(MrFRANCisQfE Sarcey, feuilleton du Temps du 4 mai 1891.)
Ce drame troublant et singulièrement suggestif (dont l'analyse détaillée demanderait un article cousidérable qui ne peut trouver place ici), malgré toutes ses imperfectious, malgré son manque d'unité, ses longueurs et tous les défauts qui contribuent à l'obscurcir un peu, jettera, je crois, une vive lueur daus la nuit où tfitonnent, actuellement, les jeunes dramaturges qui ont couscience de la nécessité d'une rénovation théâtrale. Il leur éclairera la voie de l'art synthétiste et idéiste ; il leur apprendra que l'observation réaliste n'a de valeur
e comme auxiliatricc de l'idée à exprimer, et qu'au
jourd'hui, aiusi que toujours, faire uvre d'artiste ce n'est point pasticher la vie, mais créer des mythes viables...
Le photographe Hjalmar Ekdal est marié avec une ancienne maîtresse de l'usinier Werle, mais il ignore cette vieille liaison de sa femme, aiusi que bien d'antres louches histoires qui se passent daus son ménage. Il est très heureux, mais ce bonheur repose sur Y erreur. Estce donc un vrai bonheur, un pur bonheur? Gregers Werle, un camarade d'enfance de Hjalmar, ne le peuse pas, et il résout de procurer à son ami la vraie et pure félicité, fondée sur la vérité. Il s'introduit daus la maison et pieusement, avec les meilleures et les plus philosophiques intentious du monde, révèle à Hjalmar que sa femme l'a trompé avant son mariage, et peut-être après, avec Werle: que Werle, sous prétexte d'appointements au père Ekdal qu'il a jadis ruiné et déshonoré, entretient en réalité le mari de son ancienne maîtresse, que madame Ekdal était enceinte avant son mariage et que, par couséquent, Hedwig est la fille de Werle. Toutes ces révélatious, ou le peuse, produisent un eflet diamétralement opposé à celui qu'en attendait cet illuminé de Gregers. Le drame se termine daus un effondrement de tout le bonheur conjugal des Ekdal par la mort de leur petite fille  pendant que Gregers Werle se demande si réellement le mensonge n'est point la base de toute humaine félicite. 
Au milieu de cette douloureuse tragédie évolue le symbolique canard sauvage qui a tant déconcerté le public. Peut-être l'étonnement produit par cet innocent animal provient-il de notre éducation malgré tout classique, de notre atavisme latin. Nous exigeons d'un être significateur d'idée une certaine aristocratie littéraire. Un cygne, un alcyon, un oiseau Roi, nous apparaissent aisément comme des symboles, jamais un canard sauvage ou tout autre animal familier et trop près de notre vie de tous les jours. Les races du nord, plus réfléchies et moius futilement traditionnelles, n'ont point cette répugnance, aiusi que le démontre la pièce d'Ibsen, et c'est là une supériorité esthétique, car cette généralisation de l'esprit symbolisateur, cette compréheusion de l'universelle signification des choses, leur permet un art plus spontanément, plus hautement et plus purement idéaliste que le nôtre.
Aussi bien, ce scandaleux canard sauvage est-il vraiment un symbole si obscur qu'on l'a écrit? Fort longue
ment, Ibsen prend le soin de nous expliquer que ce volatile, lorsqu'il est blessé, plonge, et, pour ne point être saisi par le chasseur, s'accroche du bec aux algues du fond, quitte à mourir noyé. Tous les personnages de la pièce, ou à peu près, sont des canards sauvages, en ce seus que leurs âmes blessées se sont accrochées aux algues du meusonge. Et le dilemme de la vie se pose aiusi : ou rester parmi les algues de l'erreur, ou remonter à la surface, vers le ciel de la vérité?... Ibsen ne conclut pas absolument, bien que Relling, qui semble, parfois, son porte-parole, plaide éloquemment, au der
nier acte, LA NÉCESSITÉ DU MENSONGE vITAL.
Les caractères des personnages de ce singulier drame sont tous magistralement établis. Hjalmar Ekdal, le photographe prétentieux, bavard et nul, dont l'invention ..... future doit révolutionner le monde; Gregers, rénergutncne affamé de justice, de philosophie, de réformes; le vieil Ekdal, Relling, Gina, et cette délicieuse petite Hedwig, sont des créatious dignes des grands classiques du théâtre.
L'interprétation du « Canard sauvage » a été, en somme, excellente, et il convient de particulièrement féliciter Mines France et Meuris; MM. Antoine, Grand, Pous-Arles, Laudner.
G. -.\lbert Aurier. 
« mont l'a dit  la Déroulédisme artistique et 1e protection« nisme littéraire.
« Il paraît, s'il faut en croire votre chroniqueur, que j'ai n emprunté, saus prévenir, deux métaphores à M. Saint-Pol, Roux : les ff cactus de la fièvre i> et les ", regards, éperviers » pour des chasses mauvaises ».
« J'avoue, a ma honte, que je vieus, par vous, d'apprendre « l'existence de M. Saint-Pol-Roux. J'en suis charmé, seule« ment  comme on dit daus les Faux Bonshommes  les n deux métaphores incriminées sont extraites de Mouseigneur n ile Puphos, un poème qui parut pour la première fois daus « la Jeune Belgique, le i" Juiu 1888.
« A qui le cactus ? A qui l'cpervier ?
« Vous m'obligeriez beaucoup, Mousieur, en révélant daus « le Mercure e/,; France la date exacte à laquelle M. SaintK Pol-Roux a pris possesion, urbi ci orbi, de cette fleur et de « cet oiseau.
«' C'est la seule façon d'éviter la querelle du cactus et la « guerre de l'épervicr, si indissolublement liées, n'est-ce n pas ? au sort de la haute critique.
« J'attends, mousieur, de votre confraternité l'iusertion de « ce petit poulet, et vous salue,
Albert Giraud. »
Jeune, jeune, un peu... lourd, et surtout inexact. Que M. Albert Giraud veuille bien relire la note bibliographique, et il reconnaîtra que M. Edouard Dubus ne l'accuse point d'avoir «emprunté », mais avance qu'il» rappelle », ce qui n'est pas la même chose.  Je ne contredirai pas la déclaration de M. Albert Giraud qu'il ignorait M. Saint-Pol-Roux, je m'en étonne seulement, car  bien avant le ipr juin 1888  en 1885, M. Saiut-Pol-Roux publiait daus une revue qui alla beaucoup eu Belgique et à laquelle collaborèrent même MM. Maurice Maeterlinck, Ch. Van Lerberghe et G. Le Roy : La Pléiade.  A. V.
La Force des choses, roman, parPAri. MARGUEniT (lieux de nos rédacteurs ont fait la bibliographie du livre de M. Paul Margucritte : il nous a paru intéressant d'iusérer les deux notes.) 
 Un jeune officier démissionnaire par amour; liaison avec une charmante créature, ménage irrégulier, enfant. Opposition des parents à un mariage qui serait de devoir et très honorable. Mort de la jeune femme. C'est le point de départ. D'autres amours se déroulent et cela se clôt par un mariage que n'osent désapprouver les parents, mais qui ne leur plaît pas encore. La Force des choses, c'est la logique ou peut-être l'illogisme de la vie, l'enchaînement des causes, les surprises du cur, les couséquences souvent folles d'un acte en soi indifférent, l'influence des préjugés sur des caractères par trop raides, etc. Il y a daus ces pages d'une jolie mélancolie des observatious extrêmement fines, des tracés psychologiques d'une surprenante netteté, mais l'eusemble est un peu morue, ou du moius l'auteur abuse de la demi teinte, ne différencie ses fonds que par d'imperceptibles nuances. Cette délicatesse de touche n'est peut-être pas excessive en un sujet où, en somme, le principal personnage n'appelle à lui que des sympathies moyennes, n'étant ni brutalisé à l'excès par la vie, ni révolté contre des événements dont il souffre saus y laisser toute possibilité de joies, - _ mais cela diminue d'autant, ù la longue, l'intérêt que l'on prend aux subtiles déductious du récit. Paul Margueritte est un écrivain charmant et plein de gr;}ce, enclin à la douceur des indulgences; il voit symboliquement la -ie comme une plante penchante qu'il faut arroser d'absolutious et dont les odeurs, à certaines heures du soir vénéneuses, deviennent, sous un discret soleil, inoffeusives. Cette douteuse plante, il l'aime, et, serait-elle plus décidément empoisonnée et empoisonneuse, qu'il lui pardonnerait encore,  rien que pour ses sourires de fleur triste. Faut-il envier ceux qui s'intéressent à la vie, autrement que comme spectacle et mouvemcn't,  ou seulement admirer leur courage ? « Tout coule, tout coule! » C'est peut-être pourquoi il est préférable de ne s'attacher qu'à ce qui demeure : et quel est le nom de ce qui demeure?  Symbole.
R. G.
Pierre Jorieu vient de perdre Claire, la seule femme qu'il ait aimée, et cette cruelle question l'obsède :  « L'ai-je assez année, seulement? »  ll déplore les iusignifiantes bouderies, les caresses épargnées. Il croit sa vie finie.  « Nous ne sommes maîtres ni de notre vie ni de notre mort, » a écrit Tolstoï.  « Mais, a dit Flaubert, le temps passe, l'eau coule et le cur oublie! » Pierre Jorieu revoit Madame de Reynis qu'il avait connue jeune ûlle. ll se sent moius malheureux. Ses chagrius, revécus devant elle, lui paraissent moius amers, et parce qu'il doit se séparer quelque temps de son amie, son cur se serre déjà douloureusement. Leur séparation se prolonge assez pour que Pierre s'en cousole (le mot est bien léger) avec Suzanne Dolbeau. Sous le grand portrait de Claire qui le regarde, de ses yeux fixes, il connaît une nouvelle forme de volupté, le plaisir plutôt que le bonheur. « Cependant le soleil se lève! » Madame de Reynis est de retour. Pierre prend la photographie de Suzanne et la brûle saus regret. Elle aussi, a son tour, comme Claire, elle est déjà oubliée. « Qu'il aime demain, celui qui n'a point aimé. Qu'il aime encore demain, celui qui a aimé. » (Chateaubriand, d'après l'ublius Syrus.) S'il est vrai que le roman est une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passious, des murs, on par la singularité des aventures, M. Paul Margueritte dédaigne visiblement ce dernier moyen. Aucune complication n'embarrasse son roman, et pour me servir des termes qu'il affectionne, son livre est simplement doux, triste, délicieux. Les choses s'y montrent inexorables autant que Mousieur et Madame Jorieu, mais pas une des victimes ne se révolte.  « Nos vies se sont rencontrées, dit Suzanne, elles se séparent ; nous nous sommes aimés, eh bien, tant mieux, je ne le regrette pas, allez ! »  Et Pierre murmure avec un soupir :  -( Vous valez mieux que moi! »  M. Margueritte 5;:it l'art de manier les âmes souffrantes avec des doigts délicats, d'éviter les cris inutiles, de teinter le« joies de tristesse et de laisser planer sur toute son uvre, saus banalité, une mélancolie point trop pesante. Il accomplit ce tour de force de nous faire goûter trois cent cinquante pages de prose, par ces temps où l'horreur du délayage commence à devenir sacrée. J. R.
Là-Bas, par Joris-karl Hi'ysmans (Tresse et Stock).  Voir page 321.
Au Pays du Mufle, par Laurent Tailhade (Vanier).  Voir page 357.
Antonta, par Edouard Dujardin (Vanier). Voir page 562.
Les Cahters d'André Walter, oeue-re posthume (Porrin).  Le journal est une forme de littérature bonne et la meilleure peut-être pour quelques esprits très subjectifs. M. de Maupassant n'en ferait rien : le monde est pour lui le tapis d'un billard, il note les rencontres des billes, quand les billes s'arrêtent, s'arrête aussi, car s'il n'a plus aucun mouvement matériel à percevoir, il n'a plus rien à dire. Le subjectif puise en lui-même daus la réserve de ses seusatious emmagasinées; et, par une occulte chimie, par d'incouscientes combinaisous dont le nombre approche de l'infinité, ces seusatious, souvent d'un très loin jadis, se métamorphosent, se multiplient en idées. Alors on raconte, non pas des anecdotes, mais sa propre anecdote à soi, la seule que l'on dise bien et que l'on puisse redire bien plusieurs fois, si l'on a du talent et le don de varier les apparences. Aiusi vient de faire et aiusi fera encore l'auteur de ces cahiers. C'est un esprit romanesque et philosophique, de la lignée de Gthe; une de ces années, lorsqu'il aura reconnu l'impuissance de la peusée sur la marche des choses, son inutilité sociale, le mépris qu'elle iuspire à cet amas de corpuscules dénommée la Société, l'indignation lui viendra, et comme l'action, même illusoire, lui est à tout jamais fermée, il se réveillera urmé de l'ironie : cela complète singulièrement un écrivain: c'est le coefficient de sa valeur d'âme. La théorie du roman, exposée en une note de la page 120, n'est pas médiocrement intéressante ; il faut espérer que l'auteur, a l'occasion, s'en souviendra. Quant au présent livre, il est ingénieux et original, érudit et délicat, révélateur d une belle intelligence : cela semble la condeusation de toute une jeunesse d'étude, de rêve et de sentiment, d'une jeunesse repliée et peureuse. Cette réflexion (p. 142^ résume assez bien t'état d'esprit d'André Walter : « O l'émotion quand on est tout près du bonheur, qu'on n'a plus qu'à toucher  et qu'on passe. » R- G.
Daniel Valgralve, parJ.-H. Rosny (Lemerre).  Livre de hautes tendances, prélude d'une uvre vaste qui, en même temps qu'elle réagira contre le pessimisme dont nous mourous, ouvrira une route nouvelle, proclamera une morale qui n'est point celle du Christ  le renoncement chrétien étant non seulement inefficace à l'heure présente de luttes sociales, mais si débilitant que lui aussi conduirait nos vieilles sociétés aveulies à la mort : « Ne sera morale com« piété, dit M. Rosny daus une préfacc à son livre, que celle « on le Bien pourra être la Force, la Lutte, l'Intelligence. « Celle où le Génie et l'Orgueil même trouveront tout leur « développement, où de puissantes ambitious pourront s'é« tancher. Celle où se découvriront des études et des créan tious aussi infinies que daus le Vrai et daus le Beau, celle, il enfin, où les races élues tendront vers des bontés aussi « supérieures a celles des intérieurs que les Sciences des « Européeus à celles des Boschimaus, et où le Bien, la plus « inteuse communion des êtres, sera conçu comme la source « des Psychés les plus belles, les plus profondes, les plus « fines et les plus inteuses. >-  lin dehors de la théorie, Daniel Valgraive, à mon seus, est l'uvre d'art la plus parfaite qu'ait produite M. J.-H. Rosny. Xulle part, en ses précédents ouvrages, ne se trouve cet équilibre, cette harmonie saus quoi il n'est point de beauté. Ici, rien d'étrange, aucune de ces gibbosités dont il a coutume, de ces tartines scientifiques si indigestes : à peine encore quelque phrase trop savante, quelqu'un de ces mots qui sont, dit l'auteur luimême, sa « maladie ». Réalisation simple d'un sujet complexe, psychologie profonde, inteuse, angoissante parfois, et pas un iustant obscure, infiniment subtile casuistique d'une âme en coustante délibération avec elle-même. Livre de tous points remarquable. A. V.
L'Androgyne, parJosÉPuis PÉladan (Dentu).  Daus ce volume, aussi brillamment écrit que puissamment imaginé, le Sar fait l'éloge de l'éducation donnée daus leurs collèges par les Pères Jésuites, et proclame l'iusigne pureté des relatious « particulières » qu'y entretiennent entre eux leurs élèves. Puis il nous montre un de ces derniers, androgyne de par la fraicheur de son teint et la longueur de ses cheveux (partant fort chastement aimé de ses condisciples), initié, petit à petit, aux charmes extérieurs du beau sexe par une jeune fille de bonne famille, qui, campée quotidiennement à sa fenêtre soit pour changer de chemise, soit pour prendre un bain de pieds ou de corps, se montre à lui, chaque jour un peu moius vêtue. Tant et si bien ! qu'allumé par ce spectacle, l'élève des bous Pères s'enfuit sur le rivage de la mer. et, un beau soir, abuse, daus une grotte, d'une petite bergère qui gardait mal ses moutous, et ron et ron petit patapon.
E. D.
Conûteor. par Gabriel TraiÏieux. (Comptoir d'Edition). Avec les livres de vers, décidément, on est trop volé. C'est d'une belle typographie, de beau papier; les pièces sont disposées proprement, avec des gardes, des marges; mais il ne
faut point les lire, car on n'en saurait, cousciencieusement, peuser du bien. Déjà, M. Trarieux a le désavantage de s'être choisi l'édition de Ln Gloire du Verbe, des Poèmes Anciens et Romanesques: le rapprochement ne lui est point propice. Avec quelque indulgence, saus doute, on peut, lui aussi, le croire un peu jeune: il dédie son uvre à son père, à sa mère; et cette filiale atlection l'honore. Il a de la lecture, parfois du procédé, parfois le seus musical du vers : 
Les gnis amoureux s'en vont sous les branckcs; Autour d'eux tressaille, immeuse, la nuit; Les arbres sont noirs ; les plaincs sont blanches ; Les gais amoureux s'en vont sous les branches, Et le vent léger fait un léger bruit... 
Il écrit même des chose» assez subtiles : Orgucs. Dolor, J'ai laissé mon ecrur en des maius d'Enfant; mais tout cela 
disparait, noyé daus les platitudes de l'eusemble et parmi tant de pièces faiblotes qu'on n'ose iusister.  Peut-être que des donneurs de conseils lui montreront la route. Quand il aura perpétré deux ou trois volumes encore sur le plaisir et la douleur d'aimer, déclamé en rimes plates de nouvelles allégories apocalyptiques (le Silence est ta loi,... le mystère est ta loi...), M. Trarieux fera son devoir de poète et nous donnera de beaux et bous livres, (,'est la grâce que je lui souhaite.
C. M"
Diptyque, par Francis Vielf-griffin. 'Hors commerce).  Le titre seul date d'antiquité ces pages d'exquise pocsie; mais ce ne sont point, sur des tablettes d'ivoire, des images ciselées telles qu'en envoyaient à leurs amis les cousuls entrant en charge : ces figures lumineuses et douces qui glissent entre les arbres, aucune heure d'hier ni d'aujourd'hui n'en peut revendiquer les gestes ni les vêtements; elles turent créées hors des âges et vivent en un décor qui ne change pas, la forêt semblable à elle-même tous les printemps et tous les automnes. Une mystérieuse unité relie les deux poèmes si différents : le Porcher et Eurrlhmie, et un même parfum s'en exhale, né des feuillages, des moissous et de la terre maternelle. Le Porcher, c'est l'exilé volontaite, loin dos hommes et des joies futiles et des baisers, parmi les chênes, daus l'ombre qui chante et pleure: parfois à son souvenir se déroulent «des cortèges d'heures oubliées»; parfois aussi des cavalcades bruyantes assiègent ses oreilles et les femmes de jadis viennent puiser l'eau des fontaines en le regardant avec tristesse comme un pauvre fou; et ce fou est le seul sage qui connait la gaité puissante de la forêt : là, même le vent d'automne rit en poursuivant les feuilles mortes pour qui sait l'écouter d'une âme amie. Daus Eurythmie, reniant les aventures de gloire mauvaise et le pommeau froid des glaives, le pocte suit la Reine des paroles immortelles vers les divius retraits où les bruissements des arbres, plus hauts que les voix lointaines de la foule qui souffre, cclèbrent l'espoir éternel.
Regretterai-je l'emploi du vers libre qui peut-être nuit à l'illusion plus qu'il ne la sert? Ce n'est point ici la place pour les longues et si vaines dissertatious esthétiques qui seraient nécessaires, et ï quoi bon se plaindre lorsque l'on est charmé, sous prétexte que ce n'est point selon les règtes:-- P. Q,.
Le FI Bâlouët. par Jacques Renaud (Bibliothèque Artistique et Littéraire).  Huit nouvelles dont la meilleure n'arrive pas à faire oublier les phrases de vingt-cinq lignes du casseur de pierres Léon Cladel. Quand donc les jeunes geus comprendront-ils que la littérature doit être autre chose qu'une perpétuelle coustatation de faits iusignifiants. Des études de murs paysannes ou des études de murs de brasserie saus dessous, c'est toujours le métier du photographe du coin du quai, le plus terne et le plus encrassant qui soit.
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Le Pays de la Fortune, par L. Riotor Et G. Leofanti. (Ducrocq).  Les éditeurs préparent déjà les livres d'étrennes et de distribution scolaire. MM. Riotor et Léofanti n'ont pas voulu, je peuse, écrire un livre d'art, mais une chose récréative et iustructive. On y trouve des reuseignements sur l'agriculture, les industries possibles au Tonkin, nombre de détails exacts sur l'ethnographie annamite. L'épigraphie et les traditious se recommandent du savant M. Dumoutier  Cependant, appeler le Tonkin Le Pars de la Fortuiic semble une cruelle ironie, l'ne bonne compilation, saus doute, est recommandable ; M. Jules Verne se fait vieux et le Rttbîuson snissc' nous assommait que nous n'avious que dix aus ; mais au moius peut-on dire aux auteurs qu'ils ont regardé avec les lunettes de l'optimisme. Couseiller aux geus de s'établir, de porter leur argent et leurs ambitious sur ces terres de famine, de piraterie, de fièvres et de variole, quand les ieuilles locales ne cessent de déplorer l'incurie, l'imprévoyaiue, la honteuse incapacité de notre administration, et clament à qui veut les lire qu'il faut recommencer la conquête et décréter l'état de siège, c'est pousser un peu loin l'affabulation. I.'Annamite est faux, dissimulé, paresseux et voleur ; nous l'armous de nos tusils et il nous tiro dessus : les mandarius nous haïssent et n'attendent qu'un mot de Hué pour commander le soulèvement qui nous mettra dehors. MM. Riotor et Léofanti passent au milieu de ces braves geus, vantent les bienfaits de la civilisation. Ils admirent, s'attendrissent, et, la larme à l'il, nous crient d'y aller voir.  Grand merci ! Nous en sommes revenus. C. Mki.
Hassan le Jantssaire, isib, par Liios Cahcn (Armand Colin et C'' . " Ces quelques explicatious, dit l'auteur à la fin de sa préface, suffirout, je l'espère, pour guider le lecteur daus le monde assez nouveau où je me permets de l'introduire ,i]  C'est en effet, dès les premières pages, un étonnement, presque un malaise. Temps passé, pays lointains, murs étranges et mots durs aux lèvres, tout couspire à la déroute de l'esprit. Nous n'aimous pas qu'on nous violente daus nos habitudes intellectuelles, et pour que la paix soit avec nous il faut qu'on nous serve, chaque jour, le léger petit roman d'actualité. Vainement on tenterait d'énumérer en quelques lignes les multiples aventures d'Hassan. D'ailleurs, il importe plus de reconnaître que les personnages ressuscités secouent leurs vêtements de mort et se mettent à vivre, que les déesses se dressent des ruines, que les foules se meuvent tumultueuses, grouillantes, et les armées en ordre magnifique.
 « Regardez-les : voilà des soldats desquels on dit qu'on peut en conduire quarante par uu cheveu ! »
On aime cette discipline, pour sa beauté, comme une statue. Est-il ample et d'une ligne pure ce geste d'officier : « Le capitaine tira son sabre, à toute longueur de bras : on eût dit qu'il lançait sa lame en l'air ! » La furie du soldat vainqueur, elle est tout entière daus ce mot : « La bataille était gagnée : il n'y avait plus qu'à tuer ! » Quand on a le goût des rapprochements, Hassan Ic Janissaire fait souvent songerà Salammbô, et de semblables impressious fréquemment s'en dégagent. Et si l'on aime le style de M. Léon Cahun, classique pour le définir d'un terme, la comparaison est reprise, obsède, se justifie. Hassan le janissaire semble écrit pour ceux qui éprouvent le besoin de s'éloigner du moderne tyrannique. N'était-ce pas la grande préoccupation de Haubert et la manière de vivre qu'il préférait ?  J. R.
La Pettte Bête, comédie en un acte, cu prose, par Paul Port (Vanicrï. Deux amoureux fraîchement mariés jouent, daus uu salon, à qui aura le plus de sentiments délicats. Horace trouve que sa femme ne l'aime pas encore assez. Jeanne est jalouse de l'affection que sa mère pourrait avoir pour tout autre objet que sa fille. Survtent la belle-mère, une jeune mondaine qui affecte un air évaporé, mais, au fond, est désespérée d'être séparée de sa fille. L'ami indispensable et toujours gênant est là, représenté par un baron de Tresmes qui a voyagé daus les pays chauds et eu rapporte,lui aussi, une demi-douzaine de sentiments délicats. Ce qui ferait le bonheur de tout le monde, ce serait un nouveau mariage : de Tresmes contre la belle-mère. Jeanne pleure à cette idée... la belle-mère pleure un peu de son coté, mais saus doute eu regrettant de Tresmes... Enfin, le modèle des époux et des gendres dénoue la situation tendue sur quatre pointes d'aiguilles, en décidant que belle-maman ne quittera plus sa femme, car il a tout deviné en feignant de dormir à coté des sentimentales plaintes que Jeanuc adresse à la trop mondaine Mme de Bnrnye. De Tresme est peut-être... la grosse bébète de la farce, mais il s'en tire par quelques mots d'esprit. Rideau.
Il n'y a pas d'observation ^faire à M .Paul Fort.d'abord parce qu'il a eu l'idée géniale de fonder un théâtre d'Art en France, et eusuite parce qu'avec deux ou trois touches littéraires de plus il obtenait daus sa Petite Bête une oiuvre très charmante et vraiment nouvelle daus sa naïve donnée,
qui est la réhabilitation de la belle-mère, ce pauvre joujou éreinté par "des siècles de gauloiseries idiotes. Au point de vue purement scènique, cette piécette est habilement menée,
Les tragédies de Montchrestien. arec notice et commentaire de L. Petit De Ji/llevh.le (Bibliothèque El^?viri?"»e. 
(Pion et Nourrit).  Après les poésies de Bertaut, l'éditeur Pion donne, daus la nouvelle série de la Bibliothèque Elzéviricnne, les tragédies de Montchrestien. L'uvre valait d'être republiée : il s'y mêle d'étranges survivances du Moyen-âge aux souvenirs de la Renaissance encore tenaces et aux principes nouveaux du futur art classique, comme chez tous les auteurs des treille premières années du dix-septième siècle, époque ambiguë, tumultueuse et d'aventures héroïques et romanesques. Quand donc republiera-t-on aussi les admirables poèmes du sieur Tristan? Son nom me vient ù l'esprit pour deux vers délicieux cueillis daus Montchrestien au caprice de la lecture :
La rose du plaisir délaisse à qui l'arrache 
Son épine poignante au plus profond du cur. P. Q_. 
Le circulaire 94, par J. De Beauregard (Vie et Amat.)  Un volume illustré pouvant servir de guide aux touristes qui voyageront sur la route d'Obcrammergau. Longue description du drame de la Passion faite daus le goût catholique, c'est-à-dire pas de sel mais énormément de parti pris. On dirait qu'à Oberammergau la vie se passe daus la Bible... moius les indécences du bon vieux temps. De ci de là des gravures bien laides, cependant si touchantes comme intention ! Somme toute, énorme travail de patience parfaitement inutile. -.
Dodone. La Tour. Feux Rondes. Sur un air flamand, par Paul Blier (Caen. H. Delesques).  Poète qui, tel que Soulary, vécut toujours en Province et, moius encore que le Lyonnais, ne recherche jamais une notoriété qu'il aurait pu acquérir en se remuant un peu. l'auteur de cette petite plaquette de vers est l'un des plus intéressants parmi les Parnassieus ignorés et lointaius. Voici, de La Tour, des vers qui peut-être le signalent juste et le caractérisent un peu :
.. . J'étais encore un écolier 
Quand fosai gravir l'escalier 
De la Tour d'ivoire du rêve. . . 
.. . Me voila vieux; mon temps s'achève ; 
Mais je suis Jîer  vieux et vaincu 
D'être monté, d'avoir vécu 
Dam la Tour d'ivoire du rêve. 
Les Deux Rondes, trauspositious de deux petits poèmes populaires, sont très charmantes et d'un joli sentiment.
R. G.
Horas, par Ecgenio De Castro (Coïmbra. Alméida Cabrai).  C'est le dernier recueil de vers d'un jeune poète portugais, sur lequel son Ouristos avait déjà attiré l'attention et les foudres de la critique officielle de son pays, et qu'on ne saurait trop encourager à continuer de chanter, selon sa foi d'artiste et de chrétien, longe dos Burkaros. en rythmes rares et d'une harmonieuse sonorité suggestive. On saura bientôt, hors du Portugal, le nom d'Eugenio de Castro. E. D.
Comment vtvre & deux? par B.-Cn. Gausseron (Librairie illustrée).  Sous le spécieux prétexte de dépopulation, nous sommes inondés, depuis un an, de livres puant la morale à treize sous des docteurs saus clientèle sérieuse. C'est à la fois risible et navrant. Echantillon du style employé : » Les parages où les jeunes mariés ont à diriger le navire conjugal leur sont inconnus : mais ils sont en outre sillonnés de courants perfides et semés d'écueils. « Ces choses-là ne s'inventent pas! Et tout autour de cette littérature substantielle les coups de ciseaux pleuvent. M. Gausserou prend des citatious, vers et prose, saus trop de discernement. Il démarque Jules Simon et risque des sentences de l'Anglaise Mrs. Chapone. Il y a de quoi vous couper le fil de la reproduction pour toujours. ***
CHOSES D'ART 
Expositions :
Chez Georges Petit : Exposition d'uvres de Claude Monet.
A l'EcoLE Des Beaux Arts : Exposition de l'Art Lithographique (des Goya. Charlet, Gavarni, Daumier, Manet, Chéret, etc.').
Exposition Des Arts Au ntBUT Du SiÈcle (Palais des Beaux Arts  ouverte depuis le o Mai).
Daus le prochain numéro du Mercure de France : une étude sur les deux Salous, par G.-Albert Aurier.
La maison Tanguy, dépositaire des tableaux des principaux peintres impressionnistes, est trausférée 9, rue Clauzel. Elle possède, en ce moment, une merveilleuse collection de toiles de Vincent Van Gogh, un admirable portrait du peintre Empereire par Cesanne, des natures mortes et paysages, du même, des Guillaumin. Gauguin, Emile Bernard, Gausson. etc.
En vente, douze photographies d'après l'uvre de Vincent Van Gogh (i= fr.). S'adresser chez Tanguy, 9, rue Claurel, ou aux bureaux du Mercure de France, G.-A. A.
Échos divers et communications 
A la suite de son article Le Joujou Patriotisme, notre collaborateur Remy de Gourniont, attaché à la Bibliothèque Nationale, a été révoqué de ses fonctious. L'administration de nos archives a fait preuve en la circoustance d'une remarquable sottise, l'article étant dirigécontre \cfauxpatriotisme : rien de plus. Cette pertinace mesure a d'ailleurs été appréciée comme il convenait : M. Rcmy de Gourmonta reçu, par lettres, de nombreux témoignages de sympathie, et cet extrait de La Bataille résume assez bien l'opinion de la presse :
« Nous envoyous toutes nos félicitatious ù notre confrère, « avec l'espoir qu'il donnera plus utilement à la défeuse de « ses idées, daus quelque libre journal on l'on net peut man« quer d'accueillir sou beau talent, le temps qu'il dépeusait « en vaines besognes daus le service d'une administration « imbécile. »
Trop tard pour qu'il nous soit possible d'en reproduire un passage, nous lisous daus le Figaro du 18 mai un article de M. Octave Mirbeau : Les Beautés cin Patriotisme, qui juge comme il sied la révocation de M. de Gourmont.  Nous adressous à M Octave Mirbeau nos plus chaleureux remerciements, et le prious d'agréer l'assurance de notre galitude.
A. V.
Plusieurs de nos abonnés désirant des tirés à part du Portrait de Gustave Ftaubert d'après son buste par Clésinger, publié daus notre fascicule de mai, nous avous sollicité et obtenu l'autorisation d'un tirage spécial à petit nombre. Il a été effectué sur peau d'âne in-quarto Jésus (0,36 sur 0.28), à 85 exemplaires numérotés. Prix : 3 francs. (Envoi franco contre bous de poste, mandat ou timbres).
Le mardi 12 mai, M. Jules Bois a fait à la salle des Capucines une conférence sur ce thème : L'occultisme : Satanisme et Magie. Je ne sais trop quelle impression emportèrent les personnes absolument ignorantes de la question, mais cette causerie était par trop superficielle pour quiconque s'est, même vaguement, occupé des sciences ésotériques. Les jeunes hommes de lettres présents ont applaudi un passage de La Sorcière, de Michelet, et des vers de Baudelaire, mais on a murmuré quand M. Jules Bois a proclamé M. de Strada un grand poète.
Le 16 Mai, mariage de M. Paul Fort, Directeur du Théâtre d'Art, avec Mlle Marie Theibert. Les témoius de la mariée étaient MM. Theibert père et fils; ceux de M. Paul Fort, MM. Catulle Mendès et Alfred Vallette.  Parmi les invités réunis à Asnières, Villa Cherubin : Charles Morice, Pierre Quillard, Rachilde, Jules Méry, Mlle Camm, Paul Franck, Henri Quittard, Henri Huot, Paul Roinard, Larochelle, Rivière, Janvier, René de la Villohio, Paul Gabillard, etc.
Pour paraître prochainement: La Voie Sacrce, poésies, par M. Jules Méry.
Daus les Entretiens Politiques et Ltttéraires, un amusant paradoxe de M. Bernard Lazare, Le Justicier, sur la haute moralité du vol; Commentaire sur l'argent, &e M.Henri de Régnier ; de M. F. Vielé-Griffin, Eliiciaatious, parallèle entre certaines affirmatious des symbolistes et quelques observatious de M. Brunetière (Revue des Deux Mondes, i«r avril 189i), d'où il appert  qui l'eût cru ! que la nouvelle école et le critique ne sont pas déjà si éloignés de s'entendre.
Pages, de M. Stéphane Mallarmé, avec un Frontispice a l'eau forte par Renoir, vient de paraître chez l'éditeur DemaB, à Bruxelles. Notre prochaine livraison contiendra un article de M. Pierre Quillard sur ce beau livre.
Nos souhaits de bienvenue à un nouveau confrère au titre singulier: L'Endeliors, heddomadaire (12, rue Bochard de Saron). Directeur : Zo d'Axa.
Chez Savinc : M.mrs Littéraires, par Camille de SainteCroix. M. Paul Margnerittc écrira de ce livre daus notre numéro de juillet.
La Conque, Anthologie des plus jeunes poètes, a déjà publié trois des douze livraisous auxquelles elle s'est limitée. Chaque livraison, dit une note, est précédée d'un Frontispice, en vers, inédit, signé d'un des poètes les plus justement admirés de ce temps. Les trois « Frontispices » parus sont de MM. Leconte de Lisle, Léon Dierx et José Maria de Hérédia : les neuf autres seront de M-' Judith Gautier, MM. Maurice Maeterlinck, Stéphane Mallarmé, Jean Moréas. Charles Morice, Henri de Régnier, Algeenon Ch. Swinburne, Paul Verlaine et Francis Viclé-Griffin. Quant aux « plus jeunes poètes », nécessairement point ou peu connus, plusieurs de leurs poèmes sont remarquables : nous y reviendrous bientôt.
Le dernier numéro de l'Ermttage, qui débute par un article de M. Henry Bérenger sur l'/:YW////0« de M. Rni'rès. est particulière meut intéressant. Au sommaire, les noms de MM. Charles Morice, Henri de Régnier, Bernard Lazare, Pierre Quillard, Stuart Merrill. Henri Mazel, Pierre Dufay, Georges Fourest, Alphouse Germain, Dauphin Meunier, Adolphe Retté, etc.
Un nouveau périodique belge, la Revue Libre (Bruxelles, 15, chaussée deWavrei, où nous relevous les noms de MM. Henri de Régnier (quatre fois nommé), José Hennebicq, Raymond Nvst, Henry Classant, Jean Delville, Camille Roussel.  Belle mine, typographie soignée.
Mercvre. 
ERRATA
(TOMES I ET II)
Tome I.
P. 19.  Les Ei.us, vers 16, lire : Les yeux tevcs vers !a 
Cite splendide et sainte. 
P. 23.  Epaves, épigraphe, lire : Pour Louis Denise. P. 4?.  Proses Moroses. Les quatre lignes en épigraphe 
appartiennent au texte de u La Cloison ». P. 56. - Marine, vers 14, lire : Dont le faite effrité flambe 
comme des braises. P. 108.  Triptyque Des Phases, sonnet II, 4""' vers du au'
quatrain, lire : Se brise an choc savant de leurs 
timbres voulus, 
P. loç.  In fine : Srinn'gaubasf. P. i28.  L'auberge, vers 2, lire : Vont s'attabler aux soirs 
de souffrances charnelles :  vers 16 : hpand une 
terreur de Royauté brutale. P. i=ç.  Le Temple, vers a, lire : Le bon Ange gardien seul 
y dit les prières ;  vers 9 : Clos est le Tabernacle et le Psautier fermé! 
P. 203.  P. =30. 
Poètcreanx. 
P. 284.  Le Forgeron, ligne ai, lire : Taprobane. P. 323.  Sonnet, vers 14, lire: Essaient d'en apaiser l'ina- 
paisabîe Rêve. P. 372.  Titre de l'article, lire: La Théorie alchimique au 
XIX' siècle. 
Tome II.
P. 3;.  Nocturne. Au bas de la page, supprimer la phrase Voilà que les choses abandonnent leur ombre comme ttn manteau qui traîne, aiusi que les virgules avant et après Sale-bougre muet. 
P. 4?.  La Mer Spoliatrice, ligne 17, lire : éteignant la flottante tendresse... 
P. 116.  La Gloire nu Verbe, ligne 4, lire: Maeterlinck ;  ligne 37 : tramer son âme... 
I'. 117.  Même article, ligne 36, lire : et solidifiées par les époques ;  ligne 46 : ... aux facettes safideodorante... 
P. tai;. -- Les Quarante Heures, lignes i et 2, lire : De tous les Jours que l'année, cette joueuse au cerceau... 
P. 117.  Le PÈlerinage De Sainte-anne, ligne 33, lire :
d'un geste leste. P. 177.  Le ThÉÂtre Des Barbares, ligne 5, lire : la pius 
vivante production... 
P. 178.  Même article, ligne 7, lire : Heuri VIII. P. 180.  Même article, in fine, lire : ça n est jamais que de 
la foutaise. P. 96.  Le Joujou Patriotisme, ligne 28, lire : L'Ecole des 
Chartes... P. 283.  La Pluie Purificatrice, vers 13, lire : Réaliser le 
Tir:/ de ma chasuble cu pinie. 
No 13.  JANVIER 1891 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UFIxJnZxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZkcT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmaGw9ZnImb3V0cHV0PXRleA%3D%3D" Villiers De L'IsLE-AoAM. Fragments inédits de « L'Eve 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UFIxJnZxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZkcT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmaGw9ZnImb3V0cHV0PXRleA%3D%3D" Future » i 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEExOCZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" G.-albert Aurier Lu Chauson des Souvenirs. 18 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEEyOCZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" du Square 28 
Edouard Dcbus Quand les violous sont partis 
 La Male Heure ;o 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEEzNSZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Gaston Danville Contes d'Au-delà : La Mar- 
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Laurent Tailhade Ballade sur la férocité a»An- douille  Intimité .14 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE0NiZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" spoliatrice 46 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE0OSZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Jules Renard Le Théâtre d'Art 49 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE1MyZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Louis Dumur. . Au Théâtre Libre 53 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE1NSZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Mercvre Les livres, Choses d'art. Cu- 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE1NSZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" riosités, Echos divers 55 
No ij.  FÉVRIER 1801 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE3NCZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Albert Samain Destius 74 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE3NiZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Jules Renard Caquets de Rupture 76 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE4NCZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Charles Morice Paul Verlaine 8l 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE4NCZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Louis Dumur Horizous irréels 84 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE4NSZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Alfred Vallette Braconnage 85 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE5MyZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Jean Court Du Rêve 93 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEE5NyZ2cT1pbnRpdGxlOiUyMm1lcmN1cmUrZGUrZnJhbmNlJTIyK2xvcmQrZXdhbGQmZHE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmhsPWZyJm91dHB1dD10ZXg%3D" Remy Db Gourmont La Littérature «Maldoror » 97 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEExMDcmdnE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmRxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZobD1mciZvdXRwdXQ9dGV4" G.-albert Aurier Le Voyage qui ne finira pas. 107 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEExMjEmdnE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmRxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZobD1mciZvdXRwdXQ9dGV4" Gaston Danville Des 'Remembrances to8 
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 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEExMjEmdnE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmRxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZobD1mciZvdXRwdXQ9dGV4" Alfred Valletti Au Théâtre Libre 121 
 HYPERLINK "http://3.hidemyass.com/ip-1/encoded/Oi8vYm9va3MuZ29vZ2xlLmNvbS9ib29rcz9pZD11ZmpVQUFBQU1BQUomcGc9UEExMjMmdnE9aW50aXRsZTolMjJtZXJjdXJlK2RlK2ZyYW5jZSUyMitsb3JkK2V3YWxkJmRxPWludGl0bGU6JTIybWVyY3VyZStkZStmcmFuY2UlMjIrbG9yZCtld2FsZCZobD1mciZvdXRwdXQ9dGV4" Mercvre Les Livres, Echos divers... 123 
N» is.  MARS 1891 
J. Barbey D'aurevilly. . Deux poèmes: I. Les Qua- rante Heures (prose) ; 11. 
Les Spectres (vers} 129 
Loris Dumur An Bat 132 
SAiNT-Poi.-Roux Les Reliefs : Le Pclerinage 
de Sainte-Anne 136 
Ernest Raynaitd Notices littéraires :Jc*in Mo- réas 139 
Dauphin Meunier L'Heure en exil : I. L'Enne- mie: II. Vienne l'Amie... 144 
Ernest Tissot Ce que l'on écrit ie soir. ... 146 
R. Minhar '. .. Une lettre inédite de lial^ac. lyi 
Jui.vs Renard Découpures : II. Déjeuner de 
soleil; III. La Limace ; IV. La Partie eie Silence ; V. Le 
Rcvc 152 
G.-albert Aurier Le Symbolisme en Peinture : 
Pcinl Gallfn in I s s 
Jcles MÉRY Vainement ibb 
Remy De Gourmont Un roman de la Vf GRISE: 
« Le Vierge » 167 
Ckarles Merki Le Théâtre des barbares. . .. 17; 
Alfred Va'.lette Les u Cenci » au Théâtre 
d'Art 18t 
Willy Comédies d'Aristophane. ... 182 
Mf.rcvre Les Livres, Choses d'Art, 
Echos divers 184 
No 16.  AVRIL 1891. 
Remy De Goi-rmont Le Joujou Patriotisme 193 
Edouard Dubcs Le Calice enguirlande 190 
Jean Court Neiges ' aoo 
Jtlfs Renard Sur Echasses 202 
Louis Dumur Les Fiancés .., 206 
SAiNT-PoL-Roux La Grappe volée.  Le Crgnc 
cTIllustous 208 
Charles Morice Jean Dolent 210 
G.-albert AuriiÎr Le Subtil Kmpereur 228 
Gaston DANvii.i.r £n Bémol 229 
Alfred Vallette « Vieux » 23-; 
PiERRE-M. Olin Les XX 216 
A. V An Théatre Libre 241 
R. G Littérature Italienne 242 
Mercvre Les Livres, Choses d'Art, 
Interview de M. Laurent 
Tailhad?, Echos Divers... 244 
N« 17.  MAI 1891 
Portrait Inedit De Gustave Flaubert D'apres Son" Buste Par ClÉsinger 257 
R. G Notice sur Ic buste de Gus- tave Flaubert par Clesin- 
g'r  259 
Alfred Vallette Malveillance 261 
Ïola Dorian IttcomparaMt effroi, l'ejfjroi. 269 
Adrien Remacle Naissance 270 
Villiers De L'isle-adam. Pages inédites : Lord L>on- 
nel 272 
Louis Denise Sirène 276 
Charles Merki Simples notes 278 
S.MNT-PoL-Roux Heure:, grises.  Chauson 
de funcnullcs amoureuses. 
 La PI nia purificatrice. 281 
Rem Y De Gourmont Proses Moroses: L'Opérateur 
des morts 284 
G.-ALBERT Aurieb Cantilène pour célébrer les 
cent beautés de la petite vierge.  Le Sarcophage 
vif 286 
Jules Renard Dccoupures : VI. La Petite 
mort du Chêne 289 
Edouard Dubcs La Gloire 293 
Louts Dumur Barnabe 294 
Julien Leclerci.i Aux Indépendants 298 
A. V. P. Q. Au Théâtre d'Art.A l'As- sociai ion des Etudiants... 300 
R. G Liltcratnre italienne 307 
Mercvre Les Livres, Choses d'Art, 
Echos divers 308 
N« 18.  JUIN 1891. 
Remy De Gourmont Notes sur Hursmaus: « Là- Bas » et ailleurs 321 
SAiNT-PoL-Roux La Tartane.  Sur une dili- gence de Bretagne  Sous 
un Firmament d'angélus., 326 
Adolphe RbttÉ Un Prologue 338 
Jules Renard Découpures: VII.Les Char- donnerets 329 
G.-albert Aurier Eugène Carrière 332 
Loris Dumur Le Chant du Silence 336 
Jean Court Litanies 337 
Gaston Danville Contes d'Au-delà: Le Meur- trier 340 
Charles Merki Georges Rodenbach 343 
P.-N. Roisard Le Voile 352 
Ali-red Vallettb « Au Paj>s du Mu,/le » 357 
A. V.  G.-A. A Théâtres :« Antonia ».« Le 
Canard Sauvage » d'Ibsen. 362 
Mercvre Les Livres, Choses d'Art, 
Echos divers 365 
Errata (tomes I et II) 377 
J. BARBEY D'AUREVILLY Deux po'émes : I. Les Quarante Heures.  II. Les 
spectres ................ 120 
G.-ALBERT-AURIER 
La Chauson des Souvenirs ........................... 18 
Le Vorage qui ne finira pas ........................ 107 
Le Symbolisme en peinture : Paul Gaugutn ......... lis 
Le Suhtil Empereur ................ 228 
Cantilène pour rèlchrer lrs cent beautés de la petite 
vierge.  Le Sarcophage vif .................... 286 
Eugène Carrtère ................ ; 3 1 
« Le Canard Sauvage » d'Ibsen ....................... ibi 
JEAN COURT 
Du Rècj ................ 9- 
Neiges, ................ 200 
Litanies ................ T5" 
GASTON DANVILLE 
Contes d'Au-delà : La Marguerite ................. 35 
Des Rcmembrances ................ lo8 
En Bémol ................ 220 
Contes d'Au-delà : Le Meurtrier .................... 340 
DAUPHIN MEUNIER L'Heure en Exit : 7. L'Ennemie.  II. Vienne 
l'Amie ................ 144 
LOUIS DENISE 
Prière ................ 17 
Sirène ................ 270 
EDOUARD DUBUS 
Quand les violous sont partis.  La Maie Heure ..... ;o 
" Los Cornes du Faune » .............. .............. no 
Le Calice enguirlandé ..................... . ......... 109 
La (gloire ................ 293 
LOUIS DLIMUR De la vénalité de l'amour chez la femme ............. . 39 
Au Théâtre Libre ............... ............. =,ï 
Les titres de poésies sont imprimés en italique. 
Horions irréels , 84 
Au Bal 132 
Les Fian-es 206 
Barnabé 294 
Lc Chant du Silence 330 
REMY DE GOURMONT 
La Littérature « Maldoror » 97 
Un roman de la vte emsE : « Le Viergo > 167 
Le Joujou Patriotisme 103 
Littérature italienne 242 
Notice sur le Buste de Gustave Flaubert par Clésinger. 2^9 
Proses morose* : L'Opérateur des Morts 284 
Littérature italienne 307 
Notes sur Huvsmaus : , Là-Bas » et ailleurs 321 
LAUTRÉAMONT (Comte de) 
Poésies 103 
JULIEN LECLERCQ 
Aux Indépendants 298 
CAMILLE LEMONNIER 
Une Préface 65 
CHARLES MEKKY 
Proses de décor : La Mer spoliatrice ,lo 
Le Théâtre des barbares 173 
Simples notes 278 
Georges Rodenbach 342 
JULES MERY 
Vainement  166 
RAOUL MlNHAR 
Une lettre inédite de Balzac i^o 
CHARLES MORICE 
Paul Verlaine 8t 
Jean Dolent 210 
PIERRE-M. OLlN 
Les XX 236 
PIERRE QUILLARD 
A l'Association des Etudiants 305 
ERNEST RAYNAUD 
Notices littéraires : Laurent Tailhade 20 
Jean Moréas 139 
ADRIEN REMACLE 
Naissance 270 
JULES RENARD 
Découpures : I. Le Gardien du square 28 
Le Théâtre d'Art 40 
Caquets de Rupture 70 
Découpures : II. Déjeuner de soleil: III. La Limace ;
IV. La Partie de silence; V. Le Rêve. 152
Sur Echasses 202
Découpures : VI. La Petite mort du chêne 289
VII. Les Chardonnerets 329
ADOLPHE RETTÉ
Un Prologue 328
P.-N. ROINARD
Le Voile  55;
SAINT-POL-ROUX
Les Reliefs : Nocturne u
« La Gloire du Verbe » us
Les Reliefs : Le Pèlerinage de Sainte-Anne 136
La Grappe volée.  Le Cygne d'Illusious 208
Heures frises.  Chanson de funérailles amoureuses. 
 La Pluie purificatrice =Si
La Tarlane. Sur une diligence de Bretagne. Sous un 
Fir ma me ut d'angélus ....'. 326
ALBERT SAMAIN
Orgueil =6
Destius 74
LAURENT TAILHADE
Ballade sur la fcroeilé d'Andouiile.  Intimité ^-|
ERNEST TISSOT
Ce que l'on écrit le soir i-)(i
TOLA DORIAN
Incomparable effroi, l'effroi 269
ALFRED VALLETTE
Braconnage 8,
Au Théâtre Libre 121
Les « Cenci » au Théâtre d'Art 181
« Vieux n 233
Au Théâtre Libre 241
Malveillance =bi
Au Théâtre d'A rt 300
« Au Pays du Mufle » 357
« Antonia » \6z 
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM
Fragments inédits de « L'Eve Future » i
Pages inédites : Lord Lyonnel 272
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