Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
... soit utiliser un indice de prix qui permet de corriger (les économistes disent «
déflater ») la ... plus ou moins défaillants », évalue Jean Gadrey, professeur
émérite à l'université Lille 1. .... 2) Le développement durable (cf TD) .....
Corrélation entre les 2 (repartir de la def° du dvpt (cad transf° qui favorisent l'
individualisme).
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n. Ses conseils, sa disponibilité et sa confiance auront été essentiels à la bonne conduite de ce travail.
Je tiens à remercier les professeurs du DEA « gouvernement et action publique » option « action publique » qui, par leur connaissance et leur pratique de la recherche, ont su nous transmettre le goût du travail sociologique. A cet égard, les conseils méthodologiques et le suivi critique de cette étude par Mme Brigitte Gaïti mauront été dun éclairage indispensable.
Ce travail naurait pu être accompli sans le soutien de personnalités du monde associatif et plus particulièrement :
Judith Bourgeois, Chargée de programme préparation et réponse aux catastrophes à la Croix-Rouge française.
Carine Caudron, Assistante opérationnelle desk Amériques et Océan Indien.
Grégoire Brou, Assistant opérationnel desk urgence.
Je remercie enfin mes proches et ma famille qui mont toujours épaulé et qui, par les retours lors de conversation sur cette étude, mont permis de progresser dans ma réflexion personnelle.
La participation de la société civile à la vie politique est un slogan à la mode qui actualise un phénomène très ancien. Il est observable dans les Etats modernes depuis que les groupes de pression (groupes industriels, syndicaux, associatifs, religieux
) sont consultés sur des bases régulières par les agents de lEtat dans la conduite des politiques publiques. Aujourdhui, ce phénomène connaît une visibilité nouvelle à la faveur de plusieurs réformes multipliant les espaces dits de concertation avec cette vaste et protéiforme société civile aux contours flous et à la géométrie très variable. A cet égard, la réforme des institutions de la coopération internationale engagée en 1998 a entrepris, parmi plusieurs objectifs, de fonder un espace de concertation avec les Associations de Solidarité Internationale (ASI) afin de mettre à contribution leur capacité dexpertise et rendre cette politique plus démocratique.
Pourtant, ces associations, se réclamant du label ONG, portent dans leur nom une substance, organisation, et une nature, non gouvernementale, en revendiquant une extériorité par rapport au politique. Plus précisément, les associations humanitaires telle que la Croix Rouge française (CRF), thuriféraires de cette société civile dévouée aux vertus caritatives et humanistes et voulant agir sur la scène politique en toute extériorité par rapport au politique, sont conjointement reconnues et sollicitées par les médias et les pouvoirs publics pour leur efficacité et leur capacité dexpertise.
A ce rapport ambigu au politique et à lEtat, se conjuguent de nombreuses mutations internes que connaissent ces structures sous leffet dun processus de professionnalisation. En effet, longtemps perçues comme un rassemblement de bénévoles dévoués, les ASI recrutent aujourdhui de plus en plus de salariés permanents, stabilisant ainsi les compétences à launes desquelles sévalue lefficacité, et formant une catégorie de personnels apte à construire et revendiquer cette expertise.
Dès lors, les ASI construisent leur identité autour de pôles de référence multiples et contradictoires qui en font des acteurs certes incontournables, mais surtout, insaisissables. Il sagit par conséquent didentifier les dynamiques dinstitutionnalisation des ASI en les mettant en regard des mutations internes quelles connaissent afin de saisir les transformations des modes daction publique et de leurs acteurs dans le secteur de la coopération internationale.
Luniversité nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Les opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
.6
TOC \o "1-3" \h \z \u HYPERLINK \l "_Toc118613666" CHAPITRE I les voies contradictoires de la professionnalisation : le bouleversement du monde associatif PAGEREF _Toc118613666 \h 37
HYPERLINK \l "_Toc118613667" SECTION 1 Un long mouvement de technocratisation PAGEREF _Toc118613667 \h 39
HYPERLINK \l "_Toc118613668" § 1. Lassociation face à lEtat 40
HYPERLINK \l "_Toc118613669" § 2. Lassociation face à lentreprise 56
HYPERLINK \l "_Toc118613670" SECTION 2 La contradiction des membres associatifs 73
§ 3. La vie associative 74
§ 4. L'identité associative
.87
CHAPITRE II les acteurs et les scènes multiples de la consecration: l'émergence et la reconnaissance partielle de l'expertise associative
.
.98
SECTION 3 La promotion des cadres professionnels 100
HYPERLINK \l "_Toc118613675" § 5. Les salariés prennent la main 101
HYPERLINK \l "_Toc118613676" § 6. Les experts prennent la parole 119
SECTION 4 Savoir-etre, savoir-faire, savoir
et pouvoir?
.
134
§ 7. Les preuves d'expertise 135
§ 8. L'épreuve du pouvoir
..151
CONCLUSION
171
INTRODUCTION
Appréhender la réforme comme objet détude :
Afin dentreprendre une analyse méthodique de lobjet, sans concession ni polémique, il faut appréhender lobjet, au sens de se saisir de lobjet comme le suggère G.Bachelard lorsquil dit quun objet doit être conquis contre les préjugés avant dêtre étudié. Considérons dabord la teneur de cette réforme des institutions de la coopération et les questions quelle soulève de prime abord, avant que dexposer les précautions méthodologiques que commandent les pré-constructions du phénomène par les acteurs concernés.
La réforme des institutions de la coopération en question :
Les bases de la réforme :
La politique française de coopération internationale au développement a depuis longtemps été critiquée pour trois raisons : sa complexité ( sous lautorité des ministères des finances, des affaires étrangères et de la coopération ), son caractère trop exclusivement bilatérale (manque de contribution à la politique européenne de développement) et son caractère très gouvernemental (dont on a reproché le manque de transparence et defficacité depuis les réseaux Foccart jusquaux années Mitterrandiennes en passant par les scandales des années Giscardiennes).
Or, en 1998, une réforme des institutions de la coopération est engagée en mettant en avant, contre les griefs qui lui ont été fait, entre autres les principes de « cohérence », d « adaptation », d « ouverture », et de « partenariat ».
Si lon prête une attention particulière à lenjeu du principe d « ouverture » à la « société civile » et en son sein, aux ASI (Association de Solidarité Internationale) telle que la Croix Rouge française (CRF), on constate que les discours politiques le présentent principalement comme une rupture majeure dans le paradigme de laide. En effet, nombre de discours officiels justifient cette « ouverture » comme un gage de transparence et defficacité en convoquant le registre de la légitimité démocratique et celui de la capacité dexpertise incarnée, daprès eux et selon une représentation largement diffusée par le sens commun, par les ASI. Ainsi, Bruno Delaye, directeur de la DGCID parle de « définition plus démocratique des politiques avec le concours de la société civile ». Jean Michel Severino, directeur générale de lAFD, parle quant à lui de « révolution de lAPD sur le plan institutionnel, managérial et politique. »
Des questions initiales :
Pourtant, un certain nombre déléments immédiatement observables et pouvant interpeller, permettent dores et déjà de questionner lévidence dun changement caractérisé par un tournant démocratique dans le paradigme de laide, ainsi que par une efficacité accrue de la politique de coopération, au seul titre quon y associe les ASI.
Dabord, on peut sinterroger sur la pertinence du rapprochement analytique entre les catégories « démocratie » et « ASI ». En effet, une organisation comme la CRF nest ni représentative de la population, ni soumise aux mêmes contrôles que les institutions démocratiques telles quelles sont envisagées dans les Etats modernes. A moins que, hypothèse plus probable, par cette référence démocratique, il soit fait état de la supposée initiative citoyenne des membres associatifs et au fonctionnement interne participatif des ces organisations. Là encore, on peut douter que le seul fait dassocier des organisations démocratiques par leur fonctionnement interne, mais dont le personnel ne satisfait à aucun critère de représentativité, permette de célébrer une quelconque avancée démocratique dune politique. De surcroît, il reste discutable que les descriptions de ces organisations comme espace d initiative citoyenne ou d engagement soient satisfaisantes considérant le vaste mouvement de professionnalisation quelles connaissent depuis plus de quinze ans.
Dès lors, une première intuition peut être formulée qui met en cause lexplication du rapprochement des institutions de la coopération avec les ASI telle que la CRF par une simple rencontre de velléités démocratiques manifestées par lEtat dune part, et de la revendication dune légitimité démocratique de la CRF dautre part.
En effet, plusieurs questions se posent qui contribuent à dissiper lévidence : A quelles mutations internes correspond le processus de professionnalisation de cette organisation? Quelles évolutions connaissent les statuts des différentes catégories de personnels ? Quelles sont leurs stratégies, leurs pratiques, et de quelles représentations sont-elles aujourdhui porteuses ?
Il faut également relever un autre élément frappant relatif, cette fois au second objectif affiché de cette réforme, à l « efficacité ». Si le mode de participation de certaines ASI comme la CRF évolue vers un statut consultatif au sein dun organe indépendant comme le Haut Conseil à la Coopération Internationale (HCCI) et que leur capacité dexpertise est sollicitée, leurs dotations financières restent, elles, inchangées. En effet, les ASI ne bénéficient que dune faible part de lAide Publique au Développement (de 1% à 3% contre 7% à 10% pour autres pays Occidentaux). On remarque aussi avec intérêt que cette réforme accompagne un mouvement général de baisse du montant global de lAPD (0,64% du PIB en 94 à 0,37% en 2000) et de multilatéralisation de celle-ci principalement vers lUnion Européenne (aide bilatérale représente 73% APD totale en 95 contre 64% en 2000), ce qui ne laisse pas présager dune revalorisation de la politique de coopération.
Ces quelques éléments permettent de formuler une nouvelle intuition qui met en cause lidée dune réforme volontariste visant à améliorer l efficacité de la politique de coopération internationale au développement, en tout cas, suivant une conception de l efficacité se rapportant aux fonds engagés dans une politique, tant lamenuisement de ses moyens est manifeste. On peut donc supposer que, par efficacité, il soit fait référence à la contribution de lexpertise associative à lélaboration des politiques publiques et aux retours quelle procure à lEtat dans la conduite de sa politique de coopération internationale.
Partant, on peut se demander dans quelles mesures et comment la capacité dexpertise de la CRF a émergé, est utilisée et réceptionnée ? Sur quelles bases et à travers quels acteurs sopère sa reconnaissance ? Comment sagencent les espaces dits de « concertation » avec la « société civile » ? Quels changements de laction publique cela révèle-t-il?
Imposition de problématique : la construction sociale :
Ces quelques questions préalables nous invitent à porter un regard prudent sur la réalité qui est pré-construite par le regard des acteurs qui y prennent part ainsi que lexprime G.Bachelard dans sa formule « le point de vue fait lobjet ».
Lévaluation des politiques publiques :
Tel que lon vient de lesquisser, le discours institutionnel sur la réforme de la politique de coopération pose de nombreuses questions qui engagent à la circonspection. Toutefois, il nest nullement question de procéder ici à une évaluation de cette réforme en confrontant a posteriori, suivant la démarche de lanalyse séquentielle, les objectifs aux résultats afin de pointer lécart qui les sépare. Effectivement, cette démarche pose entre autre le problème de reprendre à son compte des catégories indigènes telle « démocratie », « société civile » ou « efficacité » et de se voir par conséquent imposer une problématique et un langage identique à lobjet que lon étudie, empêchant par la même toute capacité dexplication et condamnant à la justification telle quentendue par L.Boltanski et L.Thévenot.
Par conséquent, il sagit de se distancer de la présentation du changement telle que lisible dans les discours afin de le situer dans son contexte social et historique. Sans adopter une posture cynique qui réduirait ce discours à un mensonge intéressé, il est cependant nécessaire dopérer une rupture épistémologique en le déconstruisant afin de saisir sa logique.
En effet, les discours et les actes qui fondent linstitutions représentent une « boîte noire » pour lanalyse comme le précise P.Bourdieu : « Du fait quelle est laboutissement dun processus qui linstitue à la fois dans les structures sociales et dans les structures mentales adaptées à ces structures, linstitution instituée fait oublier quelle est issue dune longue série dactes dinstitutions et se présente avec toutes les apparences du naturel» .
Le discours de réforme est un acte dinstitution qui met en forme, dans les structures sociales, et met en sens, dans les structures mentales, une réalité dont il donne à voir lunité et la cohérence. Ici, ce discours présente une réalité homogène dans laquelle on verrait sunir et coopérer, par un seul acte volontaire et suivant un processus pacifique, deux types distincts de logiques et de structures, avec dune part un idéal dassociation dont on postule les caractères démocratique, indépendant, et désintéressé, et, dautre part, un idéal dinstitution étatique ouverte et en mesure dintégrer ces éléments de la société civile pour plus de démocratie.
Or, nous verrons comment ce processus de rapprochement, dinstitutionnalisation, ne va pas de soit. On peut dores et déjà avancer quil correspond plutôt à un long mouvement de mutations structurelles dessinant des lignes de clivages et suscitant des tensions entre les acteurs qui les subissent parfois violemment, les ajustent partiellement et les utilisent stratégiquement. Pour létudier, il convient donc de rompre avec le sens commun et avec les catégories linguistiques propres au système de référence de linstitution instituée et de procéder à une définition rigoureuse des termes qui guideront notre analyse des actes dinstitutions.
Ouvrir la « boite noire organisationnelle » :
Outre les discours et les actes dinstitution par linstituant, il est indispensable de prêter attention à ceux de linstitué qui, autant que les premiers, façonnent linstitution. Mais, au même titre que ceux de linstituant, les discours et les actes de linstitué sont largement auto-référencé et participent ainsi de la construction sociale du phénomène auquel il fait face. Effectivement, linstitué, qui se trouve être ici la CRF et ses membres, est «en proie aux contradictions entre la volonté dautonomie et daction comme contre-pouvoir et le désir ou la nécessité de lintégration au système politique local ou national. ». Par conséquent, ils vont le plus souvent traduire les notions d institutionnalisation et de professionnalisation en se positionnant dans les débats quelles suscitent et en recréant de la cohérence là où il y a parfois contradiction.
Il sensuit que les membres de la CRF interrogés vont souvent donner de leur institutionnalisation à la politique de coopération internationale une vision ayant tendance à gommer les tensions quelle suscite. Par exemple, ils envisageront souvent le phénomène dinstitutionnalisation à travers les notions mélioratives de participation ou concertation voire partenariat leur offrant un rôle de plaidoyer plutôt quà un éventuelle mimétisme ou absorption par les pouvoirs publics. De la même façon, le phénomène de professionnalisation sera rattaché aux notions d efficacité ou de compétence de lactivité humanitaire plutôt quà un quelconque désenchantement de l engagement humanitaire au profit de logiques entrepreneuriales.
Pour contourner cette construction indigène, la distinction entre la scène et les coulisses établie par E.Goffman et faisant apparaître limportante des stratégies de présentation de soi , semble heuristique en ce sens quelle engage à porter son regard à lintérieur de lorganisation pour ne pas être prisonnier des discours. Là encore, lorganisation correspond à une boite noire que lanalyse ne doit pas scotomiser. Nous suivrons donc J.L Laville et R.Sainsaulieu quand ils affirment que « leur dynamique propre de fonctionnement restait un point aveugle de leur compréhension sociologique. Pour certains, même, sattarder aux péripéties de la boîte noire organisationnelle, pouvait être perçu comme labandon du projet et des valeurs du militantisme ; comme le glissement progressif vers le marais des activités gestionnaires, où toute la dynamique associative risquait fort de perdre son âme. »
Nous entreprendrons donc dobserver les pratiques ordinaires de cet univers organisationnel en les confrontant aux discours de présentation afin de fonder une définition rigoureuse des vocables guidant notre analyse.
Les choix sélectifs dune construction raisonnée :
Pour faire pièce à cette construction sociale des phénomènes entravant leur intelligibilité, afin de surmonter lobstacle de « lillusion de la transparence », il est indispensable de procéder à la construction raisonnée de lobjet.
Définition et problématique :
La définition des termes :
Assumant les conséquences de la pré-construction de la réalité par les acteurs, nous procèderons à la construction méthodique de notre point de vue en commençant par définir lacception sous laquelle nous entendrons les notions fondamentales de cette recherche. Cette étape est une condition sine qua non de lexplication des faits telle que lexprime cette citation de T.Reik: « La réflexion mest certes permise, mais, comme cette réflexion est aussitôt prise dans le ressassement dimages, elle ne tourne jamais en réflexivité : exclut de la logique qui suppose des langages extérieurs les uns aux autres, je ne peux prétendre bien penser» .
La professionnalisation :
Le terme de « professionnalisation » est issu de la tentative de décrire les transformations des pratiques et des intérêts des hommes politiques depuis la fin du XIXème siècle. A la figure du notable sest substituée celle du professionnel de la politique qui vit « pour et de la politique. » Lactivité politique nécessite désormais du temps et des compétences et elle est réservée à des professionnels qui se distinguent de plus en plus des profanes. Or, un phénomène comparable est à luvre au sein dimportants groupements associatifs contemporains qui sont, depuis plus de quinze ans, bouleversés par la contradiction entre un idéal de membres associatifs désintéressés vivant pour leur engagement et une réalité de personnels salariés vivant de leur engagement. Il sensuit que « La réflexion sur les carrières militantes dans ce milieu entre dès lors en singulière résonance avec les débats plus classiques reliés à lactivité politique. ».
Cette notion de « professionnalisation » semble en effet heuristique pour appréhender les mutations de lactivité et de lidentité associative humanitaire en train de se faire. Ces mutations correspondent à « un triple processus de concentration de lexpertise, de revendication accrue dune spécificité et dune codification qui en découle, et de développement de modèle de compétence passant par la salarisation » . Ainsi, on assiste dans le milieu associatif, non plus seulement à la valorisation du savoir-être de lengagement bénévole, mais à celle du savoir-faire de modèle de compétence, et du savoir de concentration dexpertise allant avec la codification, la rationalisation des tâches et la salarisation dun personnel permanents.
Notons que ce processus de professionnalisation touche à son paroxysme lorsque certaines catégories de salariés sont « parvenus à monopoliser un segment du marché du travail, à faire reconnaître leur compétence juridique et à légitimer leurs privilèges sociaux. ». Cette précision nous indique dabord que la professionnalisation correspond à lintériorisation de logiques entrepreneuriales telles que la spécialisation des tâches et limpératif defficacité permettant de monopoliser un segment du marché du travail. Mais, en outre, il faut que cette compétence et cette efficacité soient validées et reconnues comme compétences juridiques et légitimées comme privilèges sociaux. Or, quelle autre instance que lEtat peut concéder ce type dattributs ? Seul lEtat peut reconnaître la valeur légale dun diplôme et définir un statut demploi. Cest ainsi que la professionnalisation conjugue aux logiques entrepreneuriales, des logiques administratives qui progressivement sont intériorisées par la catégorie de personnel en voie de professionnalisation.
Ainsi, par professionnalisation, nous entendrons un mouvement de technocratisation composé dune double dynamique de mimétisme entrepreneurial et mimétisme étatique dorganisations entretenant, daprès J.Freyss, des « relations variables et conflictuelles avec les trois pôles de la société civile, lentreprise, et lEtat » .
Lexpertise associative:
Cette nouvelle proximité au pôle de lentreprise et au pôle de lEtat, à lorigine dune redéfinition de lengagement des salariés de la CRF qui fondent leur militantisme sur leur compétence et leur professionnalisme, est également le pré-requis du nouveau répertoire daction quest la « concentration de lexpertise ». Aussi, il reste à apporter quelques précisions sur cette dernière étape et sous-produit du processus de professionnalisation, en ce sens quil suppose achevé le recrutement des compétences ainsi que la salarisation dune catégorie de personnels permanents à même de construire, mais surtout de mobiliser, un nouveau type de connaissance dexpertise associative.
En effet, lexpertise associative ne va pas sans poser problème. Cette expression est une contradiction dans les termes « un quasi oxymore ; lexpert est généralement identifié aux institutions à lInstitution, à lEtat, il tient son autorité de celui-ci qui la lui confère. A linverse, associatif renvoie à une forme dorganisation qui est censée incarner la société civile sinon toujours contre lEtat en tout cas, [
] qui se fait gloire de se tenir à lécart de celui-ci.». Cest ainsi, que la concentration de lexpertise associative décrit un aspect de la technocratisation de la CRF se montrant perméable à des modes de légitimation étatique et à une nouvelle conception de lefficacité qui ne se limite plus, on la dit, au savoir-faire de la compétence mais implique désormais le savoir dexpertise.
Toutefois, loin dêtre porté par un acteur singulier qui serait un expert à part entière, ce nouveau répertoire daction tient à une combinaison déléments suivant certaines étapes composant la figure dexpert ou lexpertise. « Dans ce cas parler dexperts est réellement mystificateur : il est préférable de recourir à la notion dexpertise qui recouvre lensemble des mécanismes et des dispositifs qui permettent daboutir à un alignement durable » . Cette définition nous invite alors à envisager la concentration de lexpertise comme un processus en train de se faire dans une configuration particulière.
La problématique :
Après avoir envisagé ces notions et les questionnements quelles soulèvent, il convient de les articuler autour dun axe problématique central. En effet, ces éléments de réflexion nous permettent davancer que sinterroger sur les dynamiques de linstitutionnalisation des ASI à la politique de coopération, revient à saisir ces dynamiques dans la diachronie, en observant dans le temps long, les mutations structurelles qui président à létat dune organisation à un instant t, et, dans la synchronie en observant les stratégies dacteurs en situation façonnant cet état. Ce constat en rejoint un autre formulé par P.Muller envisageant le changement dans laction publique dans une perspective constructiviste: « Le moyen le plus efficace pour effectuer cette combinaison et donc danalyser effectivement larticulation entre leffet des structures et les marges de jeu dont disposent les acteurs des politiques publiques, est de mettre en évidence les mécanismes en fonction desquels les cadres cognitifs et normatifs, qui constituent le cur de laction publique -les référentiels-, sont à la fois lexpression des contraintes structurelles et le résultat du travail sur le sens effectué par les acteurs » .
Ici, il sagit dappréhender les mécanismes de linstitutionnalisation des ASI, en fonction desquels les cadres cognitifs qui renvoient à une certaine représentation de la connaissance dexpertise associative au sein de la CRF et de son rôle dans laction publique, sont le résultat de contraintes structurelles que sont la professionnalisation associative et son prolongement par la concentration de lexpertise entre les mains de personnels salariés et de travail sur le sens par les acteurs qui, parfois hostiles aux mimétismes étatique et entrepreneurial, vont, pour certains, se repositionner en renouvelant leur manière de faire et de penser le travail humanitaire, et en pénétrant les forums de communautés de politiques publiques.
Les hypothèses :
Suivant les enseignements de lapproche cognitive des politiques publiques, nous tâcherons de décrire la réforme comme étant précédée et prolongée par un processus de médiation consistant en la production, la construction et la légitimation de lexpertise associative.
Avant de détailler nos deux hypothèses, envisageons dabord la portée heuristique de la notion de médiation dans le cadre de cette étude.
Le processus de médiation consiste dabord dans larticulation entre « dimension cognitive et normative ». Ici, il sagit dune part, de la transformation des références cognitives des ASI (la « production de connaissances ») par mimétisme étatique et entrepreneurial sous leffet dun processus de technocratisation. Dautre part, il sagit de lémergence de nouveaux acteurs et de nouvelles règles (« production de normes ») à travers la recrudescence des salariés associatifs et de la prégnance des références dont ils sont porteurs.
Ensuite, le processus de médiation consiste dans larticulation ente « champ intellectuel et champ de pouvoir ». Ici, il sagit dune part de lémergence, au sein du groupe des salariés, dexperts associatifs promouvant leur combat au sein de leur organisation (« prise de parole »). Dautre part, il sagit de leur action de légitimation de cette expertise au sein de « forum de communauté de politiques publique » (« prise de pouvoir »).
On le voit, ces deux temps de la médiation articulent bien une composante cognitive (« la production dune vision du monde »), une composante structurelle (« référentiel global qui balise le champ de perception de la réalité au sein duquel vont sorganiser les conflits sociaux ») et une composante identitaire (« processus par lequel un groupe social ou simplement un acteur va se repositionner dans la division du travail et donc travailler sur son identité sociale »).
Lanalyse de la notion de médiation appliquée à lobjet de cette étude nous permet de fonder les hypothèses suivantes.
Dune part, la réforme est précédée par un mouvement de médiation. En effet, elle entérine un mouvement de mutations structurelles qui lui précède au sein de ces organisations. Ainsi, nous décrirons le long mouvement de technocratisation à lissue duquel émerge la catégorie de personnels des salariés associatifs aptes à mobiliser une expertise leur ouvrant laccès à ces espaces de « concertation ». Il en résulte que linstitutionnalisation des OSI sopère davantage à travers leur technocratisation (mimétisme étatique et entrepreneurial) que grâce à leur caractère démocratique et représentatif.
Dautre part, la réforme, visant initialement à sadjoindre lappui dune expertise technocratique, prolonge ce mouvement de médiation. En effet, elle irréversibilise les références et les réseaux dexperts associatifs pouvant jouer de nouvelles ressources pour légitimer leur combat. Nous verrons dabord comment la réforme ouvre la porte d« instances de concertation » aux experts dASI technocratisées orchestrant ainsi un consensus et permettant la légitimation de la politique française de coopération. Mais, ce faisant, nous montrerons que la réforme laisse entrer des experts militants, leur ouvrant un accès à des scènes plus visibles qui confirment et légitiment leurs références cognitives au sein même de leur organisation, et qui stabilisent certains réseaux en leur permettant dexporter leur expertise vers des arènes internationales. Il en résulte que la technocratisation des OSI conditionnant leur institutionnalisation, offre de nouvelles opportunités à des experts militants, entrepreneurs de causes.
Partant, il va sagir de rendre compte de linstitutionnalisation des ASI à travers les trois temps de lexpertise associative : sa production, sa construction et sa légitimation. Premièrement, la production de lexpertise, ce qui fait lexpertise à travers les mutations structurelles dues à la professionnalisation. Deuxièmement, la construction de lexpertise, lexpertise qui se fait par les stratégies dacteurs faisant valoir leurs connaissances et devant avancer des preuves en situation. Troisièmement, la légitimation de lexpertise, lexpertise qui est consacrée par les médias mais surtout par lEtat qui, en sollicitant cette connaissance dans des espaces de concertation, la valide comme expertise.
Ce dernier point éclaire les rapports inextricables entre les notions dinstitutionnalisation des ASI reposant préalablement sur leur professionnalisation, aboutissant elle-même à la concentration de lexpertise associative requérant, en retour, leur institutionnalisation pour valider cette expertise.
Connaître et constater :
Méthodologie et opérationnalisation :
Enquête qualitative :
Notre démarche denquête a consisté dans lanalyse du discours producteur de données permettant dappréhender tout à la fois le sens de son contenu, les stratégies de son auteur, et son contexte de son actualisation.
Ici, un détour simpose nous permettant de qualifier le statut du discours et de présenter les notions théoriques et outils méthodologiques à notre disposition pour le traiter. Nous suivrons lanalyse de L.Bardin quand il dit, « le discours nest pas la transposition transparente dopinions, dattitudes, de représentation existant de manière achevée avant la mise en forme du langage. Le discours est un moment dans un processus délaboration avec tout ce que cela comporte de contradictions, dincohérences, dinachèvements. Le discours cest la parole en acte ». Autrement dit, le discours est lespace où lon met en cohérence, en sens, par fragments de parole, ce que lon dit et ce que lon fait en convoquant un registre de justification propre à la logique du secteur dans lequel ce discours prend place. Nous poserons donc que le discours nexplique pas mais il justifie en ce sens quil sexplique par sa propre logique. Mais il est également lespace de subjectivation, où le locuteur intériorise le sens quil produit en sidentifiant à son discours. Par conséquent, le discours ne ment pas mais il sublime, en ce sens quil se réfère, souvent de bonne foi, à des principes supérieurs afin de légitimer les actes de son auteur.
En outre, lexpression « le discours cest la parole en acte », nous inspire deux remarques. Dune part le discours est un fait de parole qui, utilisant des signes, renvoie à une dimension symbolique. Dautre part, il est un fait acté qui, prenant place dans un environnement, renvoie à une dimension objective. Le discours est donc une construction verbale dont il faut comprendre le sens au regard dune construction sociale dont il faut expliquer les conditions.
Cet impératif méthodologique est très bien expliqué par P.Bourdieu qui, dépassant le clivage entre comprendre et expliquer, indique que, pour rendre compte du discours, il sagit dune part de restituer la teneur du propos tenu par un acteur et, dautre part, de resituer le propos de cet agent dans lunivers objectif de propriétés qui le contraint et le nécessite. La première démarche vise, dans une perspective wébérienne, à comprendre le sens du propos, saisir sa logique intrinsèque, saisir ses raisons au sens de motifs. La seconde démarche vise, dans une perspective déterministe, à expliquer la concordance entre les représentations et la position de lagent, saisir les raisons au sens de causes.
Afin dopérationnaliser ces deux démarches, la mise en uvre de techniques denquête qualitatives par entretien et par observation directe sont apparues comme étant les plus à même daccéder, de recueillir et de traiter ces données discursives. Lentretien semi-directif et non directif constituant une voie daccès privilégié au sens du propos, et, lobservation directe permettant de saisir, par confrontation du propos aux pratiques, le contexte dactualisation de ce propos.
Enquête par entretiens :
Ainsi, nous avons choisi la méthode dentretien comme outils dinvestigation producteur de données verbales et discursives permettant dappréhender la double dimension subjective et, dans une moindre mesure, objective de lunivers des acteurs en présence. La dimension subjective, qui vise les représentations, se compose de lunivers symbolique qui les entoure, de leur rapport au travail, et aux autres. Pour ce faire, les questions adressées à linterlocuteur vise à la production de discours modal et seront du type : que pensez vous de.
De plus, la dimension objective, qui vise les déterminations matérielles et positionnelles qui les entourent, se compose des pratiques (le monde dobjet), du parcours individuel et son statut dans lorganisation (savoir doù il parle). Ici, les questions viseront plutôt à la production de discours référentiel et seront du type : comment faites vous. Notons que ce type de questions permet daccéder à des informations indigènes dotées dun certain degré de confidentialité.
Exposons maintenant les modes de conduite et dadministration de cette méthode en envisageant successivement lentretien semi-directif et non-directif.
Dabord, lentretien est dit semi-directif en ce sens quil nest ni entièrement ouvert ni canalisé par un grand nombre de questions précises. La parole nest pas pré-construite mais elle est constituée au cours de lentretien, dans le travail du sujet. Les données collectées peuvent alors être interprétées dans le cadre dun contexte discursif suffisamment précis mais aussi profond. Aussi, par des questions ouvertes et des réactions de relance, le chercheur facilite lexpression du locuteur et évite quelle ne séloigne des objectifs de la recherche créant par la même les conditions du laisser dire et du faire parler.
La plupart des entretiens dits semi-directifs ont été administré au cours de la recherche effectuée lannée précédente sur lautonomie dune association dans la mise en uvre dune politique publique en étudiant laction de la Croix Rouge française en direction des populations déplacées en zone dattente de Roissy. Cette enquête a permis de recueillir les discours de 2 membres bénévoles, 3 salariés exerçant leur activité au service des opérations
de solidarités ainsi que celui du président de la CRF au cours dentretien de 1H30 en moyenne. Ils seront dun grand apport pour notre étude puisque leur analyse révèle de nombreux enjeux traversant dune part, le phénomène de professionnalisation associative tel que la tension constante entre dévouement des bénévoles au service du « bénéficiaire » et la logique entrepreneuriale du siège au service de contraintes gestionnaires. Dautre part, les rapports de la CRF à lEtat tel que la marge de jeu des acteurs associatifs face à lensemble normatif qui contraint leur activité (« cadre Croix Rouge » et « convention » signée avec les pouvoirs publics).
Ensuite, le mode non-directif de conduite de la relation dentretien est souvent perçu comme producteur de matériaux moins exploitables. Effectivement, son déroulement nest pas encadré par un guide dentretien rigoureusement défini au préalable et invite le locuteur à dérivé de la question posée, le recueil des données nest pas enregistré mots à mots, et leur traitement ne sera pas structuré par une grille danalyse permettant de procéder méthodiquement et systématiquement à leur interprétation. Pourtant, si elles ne sont pas sans portée, ces remarques confinent au formalisme voire au dogmatisme méthodologique lorsquelles deviennent des commandements de la démarche denquête.
Force est de constater que même idéalement construit, le guide dentretien nest jamais suivi à la lettre sous peine den faire un artefact. En effet, les biais denquête introduits par une attitude trop rigide, proche de la posture dite directive, créent un cadre de pensé qui donne lieu à une forme stéréotypée de réponses. Le guide est en fait davantage une forme idéalisée lors de la conception des entretiens, qui est adaptée de façon souple lors de leur réalisation et, à ce titre, il peut tout aussi bien être mis en uvre si les questions adressées sont préalablement définies et distillées dans le cours dune conversation ordinaire et informelle. Remarquons aussi, que labsence de guide formel, même sil facilite le croisement de données recueillies lors de multiples entretiens, nempêche en rien létablissement a posteriori dune grille danalyse. Cette dernière permet de procéder à lanalyse de contenu conjuguant lanalyse thématique qui recense les éléments constitutifs du discours (catégorie linguistique, intensité et direction des jugements) et lanalyse formelle qui se concentre sur les aspect formels de la communication (expression, énonciation) comme indicateur de lactivité cognitive du locuteur.
En fait, on peut avancer que, si le mode directif est producteur dartefact, lunique différence entre le mode semi-directif et le mode non-directif mais réflexif, est le moment et le degré dapplication des principes méthodologiques, le temps accordé par le locuteur et le volume du corpus ainsi réuni.
Enfin, sinspirant à nouveau des remarques de P.Bourdieu, lentretien comme discussion à bâton rompu savère finalement être la meilleure façon de satisfaire aux conditions du. Cette suggestion est inspirée à lauteur alors quobservant deux personnes dans le métro lune plus active, confiant à la seconde, plus passive, les difficultés quelle rencontrait avant de déménager, P.Bourdieu fut témoin dun discours révélant de nombreux mécanismes des stratégies immobilières. Ce type dinteraction permet en effet au locuteur, en confiance, de débrider sa parole et à linterlocuteur, en conscience, de décomplexer son écoute et ses questions. Néanmoins, on le comprend, les difficultés pratiques de cette posture sont nombreuses. Comment être présent lors dune conversation privée entre deux personnes ayant une discussion sur le sujet précis de létude que conduit le sociologue ? Comment sinon simmerger dans un milieu jusquà atteindre ce degré de confiance du locuteur et ce degré de conscience de linterlocuteur ? Cest ici que la méthode denquête par observation à posture participante offre une réponse en permettant, sous certaines conditions sur lesquelles il nous faudra revenir, daccéder à cette libre parole si riche dinformation pour le sociologue.
Signalons que la plupart des matériaux discursifs recueillis dans le cadre de la présente enquête sont issus dentretiens non-directif administrés (si ce terme convient encore dans le cadre de la posture non-directive) de façon discontinue, au cours du déroulement de tâches quotidiennes, autour de moments de pause (repas, trajets
), et à loccasion de sorties en dehors du lieu de travail. Comme le corpus issu des entretiens semi-directifs, celui des entretiens non-directifs est intégré dans le texte par extraits encadrés en italique et dans un caractère réduit qui le distingue du corps de texte. Ces passages sont étayés dune analyse et viennent à lappui dune étape théorique de la réflexion argumentée.
Enquête par observation directe :
Afin datteindre limpératif de resituer le discours dans son univers objectif de propriétés et de pratiques, on ne peut se satisfaire des informations du discours référentiel obtenu par les questions comment faites vous, mais on doit sefforcer dobserver en participant.
Lenquête par observation directe à posture participante permet, on la dit, de mettre en uvre lentretien non-directif, mais surtout la confrontation des discours avec les pratiques des acteurs. Cette opération révèle alors non plus seulement le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques, mais la construction de ce sens en situation, dans le contexte dans lequel il sactualise, au milieu des structures qui le façonnent, et au regard des ressources mobilisées pour le façonner. Ces quelques remarques justifient, selon nous, la pertinence théorique de lusage de cette méthode dans le cadre de notre enquête.
Cette méthode consiste, comme cest le cas pour lentretien, à élaborer une grille dobservation qui permet de consigner des éléments en fonction de critères sélectionnés tels que les catégories dacteurs, les modes dinteraction qui les relient, leurs activités décomposées en procédures
De cet exercice de classement et de systématisation ressort des éléments de compréhension qui donnent du contenu aux catégories danalyse qui émergent et « prennent de lépaisseur progressivement par rapprochements successifs » . Ainsi, cest par le relevé de mots répétés, de témoignages révélés, de gestes ritualisés, dobjets disposés, de documentation ethnographique, et leur inscription sous les critères de la grille danalyse, quont pu être dégagé certaines conclusions. Dabord, des systèmes indigènes de classements tel que la valorisation de la compétence et de lefficacité mais aussi la sacralisation du dévouement au terrain. Ou encore, les divergences de comportements et lhomogénéité de procédures révélant le rejet des administrations publiques mais le désir dinfluence politique. Enfin, des modes dinteraction tels que les stratégies dalliance avec une frange de la communauté scientifique et stratégies de reconnaissance par les pouvoirs publics.
Par ailleurs, plusieurs éléments propres à la configuration sociale dactualisation de lobjet détude envisagé nous ont conduits à opter pour la méthode dobservation directe. Dabord, la circonscription de cette configuration à « un ensemble fini et convergent dinteractions » justifie de la pertinence sociale de lusage de cette méthode. Effectivement, lanalyse de linstitutionnalisation des ASI à travers les trois processus suscités de production, construction et légitimation de lexpertise associative, profite dêtre abordée par létude dun segment de lensemble organisationnel, les personnels, les pratiques et les interactions dun service particulier de la CRF. Ainsi, le service de la « direction des opérations internationales » (DOI) et en son sein, le « programme préparation et réponse aux catastrophes » est, nous le verrons, à la fois lespace de convergence des dynamiques de la professionnalisation produisant lexpertise associative, démergence des pratiques construisant cette expertise et de stratégies dalliance légitimant cette expertise.
Ensuite, laccessibilité de cette configuration justifie la pertinence pratique de la méthode par observation directe requérant «la présence systématique et souvent prolongée sur les lieux mêmes de lenquête au sein du groupe social étudié ». Le mémoire effectué en maîtrise dans un autre service de la Croix Rouge mais dans la même structure a largement facilité mon insertion au sein de la DOI par la connaissance directe que ce travail ma permis dacquérir de certaines personnes (chef de cabinet du président déjà ami dun membre de ma famille directeur de la délégation CRF en région PACA), des règles formelles (compétences des services et fonction des individus), et informelles (la tension entre la « gouvernance » des cadres et les personnels bénévoles). Surtout, cette connaissance directe du milieu ma permis de solliciter un stage au sein de la DOI en passant par le chef de cabinet lequel à obtenu de la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » quelle accepte de me recevoir en entretien. A lissue de cet entretien fut convenu de me ma présence au siège trois jours par semaine durant trois mois afin de participer aux activités du programme « préparation et réponse aux catastrophes ». Ce dernier élément nous conduit à envisager les différents éléments qui relient le chercheur à son objet détude, qui limpliquent dans cet objet, son rapport à lobjet.
Notons que les extraits dobservation insérés dans le texte occupent la même fonction dillustration que les extraits dentretiens. Comme eux, ils apparaissent dans le texte dans des encadrés, dans une police réduite et en italique.
Rapport à lobjet :
Les méthodes mises en uvre dans le cadre de lenquête qualitative, quil sagisse de lentretien ou de lobservation directe, « engage une relation sociale dont les paramètres ne sont pas sans conséquences sur les matériaux ainsi rassemblés ». Cette remarque exige du sociologue quil explicite ces paramètres, mais afin de rendre compte, il doit se rendre compte avant, pendant et après lenquête de ses présupposés concernant lobjet, de son rôle dans les interactions, des étapes de sa réflexion par confrontation successive aux données issues du terrain. Il sagit ici dentreprendre ce que P.Bourdieu a appelé une socio-analyse et consistant en un retour réflexif sur les conditions pratiques dune méthode dobjectivation.
Notons, que ce travail est du même ordre que lobjectivation des catégories indigènes construites par les pouvoirs publics et par lorganisation à laquelle on a procédé ci-dessus. Mais nous avons fait le choix de le présenter dans cette troisième étape de la rupture épistémologique compte tenu de la spécificité de lenquête qualitative par entretien et observation directe introduisant une perturbation importante pendant la phase de constatation de lobjet.
Portons donc un regard sur les conditions de déroulement de ce stage, les attentes multiples et contradictoires qui laccompagnaient, la posture que cela engageait, tout ceci se répercutant in fine sur les résultats de lanalyse.
L« Inventaire avant enquête » :
Il faut commencer par préciser, dans une démarche d« inventaire avant enquête », les deux sources des présupposés, présupposés de proximité et présupposés détrangeté, qui sont sans nul doute intervenus comme facteurs perturbateurs dans la démarche de connaissance. Toutefois, par un effort réflexif, il est possible de contrôler ces biais qui peuvent devenir, nous le verrons au moment de lanalyse, un outil dorientation producteur de connaissance.
Rappelons que le premier contact avec la CRF sest construit au cours dun travail de recherche conduite, lannée précédente, sur laction de la CRF en direction des populations déplacées. Cette expérience a permis, on la dit, une connaissance personnelle et pratique des membres de la CRF, de leurs normes et de leurs valeurs créant une certaine proximité culturelle et relationnelle avec le milieu. Mais, si cette forme de familiarité a bien sur favorisé lobtention dun stage, elle a également induit un certain rapport ordinaire aux choses risquant déluder de facto certaines questions. En effet, le sentiment dappartenance réel ou supposé quimplique le phénomène didentification, gomme les différences, les occulte même parfois pour accélérer lintégration au sein du groupe.
Par exemple, le fait davoir entrepris ce stage à la DOI dabord dans une perspective dintégration professionnelle a impliqué ladhésion à un système de références indigène, compromis nécessaire vécu sur le mode de lévidence, mais compromettant par la même limpératif de distanciation par rapport à la situation observée. Cest ainsi que des normes légitimes ou valeurs daprès P.Muller, telle que la proximité des personnels associatifs, que ce soit par la généralisation du tutoiement ou la participation des bénévoles à certaines tâches habituellement confiées au siège, devenaient valeurs écran faisant obstacle à leur analyse comme construit social situé significatif et révélant les technologies managériales de lorganisation. De la même façon, certains schémas cognitifs ou normes et algorithmes toujours daprès P. Muller, proposant des relations causales et des énoncés prescriptifs définissant des principes daction, tel que celui reliant la gravité des catastrophes naturelles à la pauvreté des sociétés dans lesquelles elles surviennent et en déduisant la nécessité dune action préventive par léducation au risque et la formation aux premiers secours des populations concernées, devenaient des arguments allant de soi, entravant leur analyse comme récit révélant les stratégies dalliance et de reconnaissance de ceux qui les portent.
A contrario, lexpérience de stage fut, par certains aspects, loccasion dune plongée dans un univers de pratiques et de sens parfois totalement inconnu créant cette fois un sentiment détrangeté intense. Cette forme de dépaysement a certes permis de cultiver une curiosité, un étonnement, une « marginalité » nécessaire au travail sociologique, mais elle a également induit un rapport extraordinaire aux choses risquant de susciter un sentiment danomie. Aussi, le sentiment de distance voire de rejet peut amener à marquer davantage certaines différences, à forcer le trait, conduisant ici, non plus à lidentification, mais à la stigmatisation des caractéristiques du milieu observé. Effectivement, le fait davoir rapidement envisagé ce stage comme un terrain de recherche sociologique en cours de définition, a favorisé labandon dune posture didentification pour une posture critique vis à vis du milieu observé.
Cest ainsi que, par exemple, la participation à la formation des « équipes de réponse aux urgences » (ERU) très orientée sur lacquisition de techniques et sans information sur la culture du pays dintervention, ont été interprété en exacerbant la technicisation du travail humanitaire ou la valorisation de l agir essentialisant ces caractéristiques et omettant de les resituer dans leur contexte global dactualisation, au milieu dautres moments et avec des acteurs aux trajectoires variées exigeant de tempérer et affiner lanalyse.
Concrètement, le stage sest déroulé sur une période de trois mois, à raison de trois jours par semaine, en tant que personnel affecter au « desk préparation et réponse aux urgences » et aidant la chargée de programme et son assistant.
Une importante partie du temps était consacré à laccomplissement de tâches confiées directement par le chargé de programme ou son assistant, et effectuées dans le « bureau des assistants » (regroupe les assistants des desks Sida, Urgence, Afrique, Asie, Océanie) sur ordinateur ou en relation avec divers services. Il sagissait de tâches administratives (concevoir des documents dappui à la procédure de départ, préparer les dossiers dinformation pour les membres des ERU, préparer les documents administratifs avalisant leur départ, contact avec la gouvernance du secrétariat générale et de la présidence), tâches de gestion (suivre la rémunération des équipes, tenir les comptes des budgets des missions, contact avec service de gestion et trésorerie), de ressources humaines (briefing des équipes, contact avec les membres, contact avec le service des Volontaire de Missions Internationales) et de logistique (réapprovisionnement et conditionnement de marchandise et matériel destiné aux victimes, et de matériel dintervention pour les ERU stocké dans un hangar de la zone de fret de Roissy).
Plusieurs évènements ont par ailleurs permis de découvrir dautres scènes et dautres contextes de déroulement du travail humanitaire.
Les coulisses de lhumanitaire dabord, avec lespace de socialisation des membres ERU durant leur session de formation de dix jours dans un centre à Modane en Savoie. La fonction du stagiaire était ici, de fournir les documents pédagogiques aux participants, de participer à la mise en place des exercices et dassurer la relation avec les intervenants extérieurs. Cette formation fut loccasion dobserver la démarche et la trajectoire des candidats au départ, le contenu et le déroulement dun programme de formation savamment planifié, les critères de sélection ou de refus, et le rôle de chaque intervenant. Autant déléments renseignant avec précision sur le mouvement de technicisation du travail humanitaire.
Les séances de répétition générale ont également pu être suivi lors des « manuvre » de terrain consistant à mobiliser, pendant trois jours, toutes les équipes ERU logistique, médicale et traitement de leau (« water sanitation ») autour dune simulation dépidémie de choléra dans le périmètre dun terrain près de Lille. Les tâches du stagiaire concernent lachat de matériel, son conditionnement, son acheminement sur le lieu de la manuvre. Sur place, il sagissait de veiller à lorganisation du cadre de la simulation en montant les infra structures et en observant la coordination des équipes.
Par ailleurs, la scène de la représentation du travail humanitaire en action a pu être appréhendée à loccasion de deux interventions durgence, lune participant au rapatriement des français de Côte dIvoire en novembre 2005, lautre secourant les victimes du Tsunami en décembre 2005. La première mit à contribution plusieurs partenaires au sein de la CRF avec la Direction Nationale de lUrgence et du Secourisme (DNUS), service des Relations Internationales, et avec les pouvoirs publics à travers la cellule de crise du Ministère des Affaires Etrangères (MAE). La seconde fut le théâtre dun déploiement humanitaire plus classique mais à la taille de lévénement qui nécessita la mobilisation de toutes les grandes ONG, des services de la sécurité civile, de la Délégation à lAction Humanitaire (DAH) du MAE. Le rôle de stagiaire est alors très prenant, constamment à veiller à la mobilisation des membres ERU, leur briefing (description du contexte, médicaments
), leur transport vers laéroport, mais aussi en contact permanents avec les acteurs chargés de la logistique, les chargés de programmes assurant la coordination des équipes.
Ces deux épisodes ont été particulièrement riches denseignement sur les étapes dune opération humanitaire, ses différents moments quand le temps est compté, la place de chacun quand lespace est éclaté en plusieurs endroits, la gestion des membres ERU, les relations avec les différents partenaires privés et public et la relation aux médias.
Enfin, la scène de la représentation du travail humanitaire en mots et en récits lors dun colloque au Haut Conseil pour la Coopération Internationale (HCCI) fut dun grand intérêt pour saisir les modes dinteraction avec les acteurs associatifs et institutionnel. Cette réunion de travail sur le thème de la prévention des catastrophes naturelles fut surtout loccasion de constater les multiples ressorts de lexpertise associative qui se fait et se consolide dans ces espaces quon envisagera, avec P.Muller et B.Jobert, comme forum de communauté de politique publique où se stabilise les normes et les réseaux de laction publique.
Leffort dobjectivation des présupposés qui pétrissent le chercheur et des diverses tâches et contextes qui définissent la position de lobservateur nest cependant pas suffisant pour éclairer sa posture. Celle-ci renvoie davantage au rôle quadopte et auquel est assigné le chercheur dans les multiples interactions auxquelles il participe et quil a lintention dobserver.
La posture de lobservation:
Lorsquil sagit de rendre compte de la posture de lobservateur participant ou non, il est fréquent de faire la distinction entre lobservation à découvert qui suppose que le chercheur saffiche dès le départ comme observateur, et incognito qui suppose au contraire quil dissimule les finalités de sa présence.
La première posture présente lavantage de pouvoir accéder assez librement à plusieurs espaces de déroulement de laction, prendre des notes sur ce que lon voit au moment où on le voit, poser des questions aux acteurs sans être contraint par le dicible et lindicible. Cette posture présente néanmoins linconvénient majeur de perturber le comportement des acteurs qui, se sachant observés, ont tendance à sajuster aux comportements conformes aux normes admises par lorganisation. Cette remarque valant dautant plus sagissant des membres dassociations humanitaires qui, tel que laffirme P.Dauvin et J.Siméant, ayant prétention à monopoliser le discours critique à leur égard, sy exposent peu et effectuent un important travail dautocritique.
La seconde posture permet en partie de contourner cette difficulté puisquen adoptant un rôle existant, lobservateur suscite moins cet effet de censure de la part des personnes observées. Pourtant, ce que le chercheur gagne en perturbant le moins possible le comportement des acteurs, il le perd à surveiller son propre comportement, à tenir son rôle. En effet, cette seconde option implique une contrainte dassignation à un rôle, à un lieu et à un groupe qui limite considérablement la marge de manuvre de lobservateur. Ainsi, un décalage par rapport au rôle que lon est censé occuper peut occasionner un sentiment dincompréhension de la part des acteurs si, par exemple, une réaction en situation nest pas en adéquation avec leur système dattentes. Cette remarque sappliquant dautant plus, on y reviendra, dans les associations humanitaires moins militantes (au sens subversif du terme) telle que la Croix Rouge, dont les membres valorisent la participation et l agir en restent réticents, à lintérieur même de lorganisation, à légard de la prise de distance critique ou distanciation daprès N.Elias.
Pourtant, la réalité du travail sociologique conduit rarement le chercheur à adopter une posture totalement incognito ou à découvert et nous voyons au moins deux explications à cela. Dune part, le rôle que lon souhaite endosser dans un environnement peut être, comme ce fut le cas lors de cette enquête, motivé par différentes finalités et conduire à adopter alternativement ces deux postures. Dautre part, le rôle occupé par le chercheur ne dépend pas que de lui mais il se négocie avec les acteurs avant dentrer sur le terrain, et également sur le terrain, dans laction, aux besoins de laquelle il peut être nécessaire dadapter sa posture.
Ainsi, la posture adoptée dans le cadre précis de notre étude fut en quelque sorte intermédiaire entre lobservation incognito et à découvert puisquon la dit, il sest dabord agit dun rôle incognito de stagiaire dans une perspective dinsertion professionnelle, auquel est venu se superposer celui « à découvert » détudiant en DEA de sciences politique devant effectuer un travail de recherche. La présentation affichée de cette double finalité dacquisition dune expérience pratique et de recherche sur « la professionnalisation du travail humanitaire », puis la négociation de ses modalités dapplication avec la responsable de stage avant dentrer sur le terrain ont de prime abord permis de profiter de la latitude daction quimplique la posture « à découvert ». Laménagement du temps fut par exemple possible en répartissant les jours de présence en fonction des contraintes universitaires ou en étant absent si cela était nécessaire. Laccès à certains espaces fut également facilité en demandant dassister à certaines situations, comme le colloque du HCCI, pouvant enrichir le travail de recherche. Enfin, la réalisation pratique du protocole denquête fut simplifiée en sollicitant librement des acteurs pour des entretiens ou en prenant ouvertement des notes en situation.
Une fois sur le terrain, la posture à découvert évolue et lobservateur, quelque soit le jour sous lequel il sest présenté, doit effectivement sadapter aux contraintes spécifiques du milieu afin de sy maintenir. Aussi, on pourrait penser quune fois à découvert il est impossible de passer incognito, mais sil est difficile de se caché, il est possible, sous certaines conditions, de se faire oublier voir de soublier soi même et de pouvoir alors limiter les effets de lobservant sur les observés. Ici, trois éléments ont contribué à infléchir la posture à découvert vers incognito.
Dabord, la présence régulière et fréquente, au sein du même service, dautres stagiaires issus de formations spécialisées dans lhumanitaire, a permis de se faire oublier en se confondant avec leur rôle exclusivement guidé par une stratégie dinsertion professionnelle. En effet, les membres de la DOI sont accoutumés à la présence de stagiaires qui, ayant rédigé un rapport de stage, adoptent une posture dobservation (entretien, prise de note). De plus, si elle nest pas sans incidence sur la situation observée, cette posture néveille pas les mêmes craintes et résistances que lobservation sociologique dont les enjeux, souvent mal perçus, évoquent la mise à nu et la critique offensante.
Par ailleurs, le monde associatif en général et le secteur humanitaire en particulier se caractérise, on y reviendra, par la valorisation de lengagement, du « don de soi ». Cette forme dabnégation est dautant plus requise lors des situations durgence qui exigent une mobilisation intense des personnels pendant des périodes de temps excédant parfois 72 heures. Cest pourquoi, même admis comme observateur à découvert, il a fallu oublier ce rôle pour sinvestir à la hauteur des attentes des acteurs. Mais, cette opération de déplacement du rôle nest pas sans contrepartie car, si elle permet dobserver sans perturber, elle risque dinduire un oubli de soi éloignant le chercheur des préoccupations même de la recherche.
Enfin, on peut devenir incognito auprès de personnes extérieur au milieu ordinaire et auxquels on se présente comme simple stagiaire visant à acquérir une expérience professionnelle et auxquels on sadressent comme des initiés. Cette remarque nous amène, en suivant J.Roth, à substituer la distinction premier cercle et second cercle à celle de incognito et à découvert, distinction plus heuristique lorsquil sagit de comprendre que le rôle évolue en fonction des personnes et des situations. Cette même distinction permet en outre de saisir le moyen employé pour contourner les difficultés mentionnées plus haut concernant la monopolisation du discours critique par les humanitaires et le caractère non subversif de membres de la CRF par rapport à dautres associations plus militantes. En effet, en fréquentant les membres de la CRF dans des cadres et des moments hors travail à loccasion de dîners, ou autres sorties, ils passent dans le deuxième cercle, oubliant leur rôle dassociatif. Ces situations permettent quils se livrent davantage, osant prêter le flanc à la critique puisque lobservateur devient partenaire de conversation, et osant ne plus parler au nom de leur organisation puisquils ne sont plus dans ses murs.
Selon nous, cest en décrivant ces logiques dimbrication entre les deux postures incognito et à découvert, en utilisant ces formalisations comme des idéaux-types et en mesurant lécart entre la réalité et ces derniers que lon peut rendre compte de toute lambiguïté et la richesse de lobservation participante.
Les errements dun processus itératif :
Afin de ne pas tomber dans le travers dune rationalisation de la démarche denquête a posteriori, en laissant penser au lecteur quelle fut progressive, linéaire et continue il nous semble important de présenter ses indéterminations et flottements, ses mouvements dallers retours entre la théorie et le terrain, et ses interruptions et réorientations.
Lépistémologie des sciences sociales entend « interroger les faits à partir dune problématique constituée, un système conceptuel lui fournissant le plus souvent le corps dhypothèses à partir desquelles elle entendait interroger le réel ». Mais, après avoir suivi en début dintroduction, pour des besoins dintelligibilité, une telle démarche accordant le primat à lélaboration théorique sur la constatation empirique, postulant que la première guide la seconde, il faut dire ici que, sil nest pas infondé, ce postulat ne doit pas scotomiser les remises en question occasionnées par le temps du terrain.
En sengageant dans cette recherche avec lambition de dévoiler les ressorts de linstitutionnalisation des ASI à la politique de coopération, il avait été préalablement mobilisé les outils théoriques dont dispose la sociologie pour traiter ce thème, et compulser les travaux sur la professionnalisation des ASI. Mais, en dépit de ce premier temps de cadrage théorique, les premiers pas sur le terrain furent périlleux et laissèrent se prolonger longtemps une indétermination sur lobjet détude.
Au début, le chercheur na effectivement dautres choix, pour sorienter dans le milieu, que dactiver ses présupposés qui restent, dans un environnement inconnu et potentiellement hostile, des catégories de jugement spontanées et donc disponibles qui permettent à un individu de donner immédiatement du sens à ce quil vit. Cette phase de « grand tour » ou d « attention flottante », permet de prendre quelques repères, de sadresser aux acteurs, de trouver des alliés, de chercher une information sans connaître la procédure dusage. Par ailleurs, afin de sintégrer au milieu, les premiers temps du terrain impliquent parallèlement une certaine acculturation pour apprendre le jargon, les formes légitimes de salutation et dexpression, et des éléments aussi simple que le nom des personnes, les relations personnelles quils entretiennent. Cette alternance entre présupposés et acculturation, on le comprend, saccompagne dune dispersion des catégories dappréhension problématisées préalablement définies.
Mais encore par la suite, comme nous lavons analysé plus haut, les présupposés de proximité et détrangeté ajoutés aux effets dajustement de la posture dobservation à la situation observée sont des adversaires redoutables qui dominent durablement toutes précautions méthodologiques construites pour les prévenir. Le chercheur va alors jusquà oublier les motivations de sa recherche lorsquaux présupposés sajoutent les situations d oubli de soi et la sympathie ou linimitié personnelle que lon porte aux acteurs. Par exemple, comment conserver ses préoccupations de recherche lorsque les contraintes de laction vous contraignent à ne pas dormir et à être en mouvement permanent ? Dans ce cas, le chercheur voit se mêler dans son journal de terrain, quelques notes éparses relatives à son sujet au milieu dinformations pratiques concernant la fonction de stagiaire telle que les codes, numéros de téléphones, messages à transmettre, contrôle des quantités de matériel.
Ou bien comment rester lucide et faire preuve dhonnêteté intellectuelle lorsque vous êtes impliqué dans un conflit personnel avec un acteur de terrain ? Dans ce cas, le chercheur se trouve parfois obligé de ne pas faire mention dun événement par incapacité à lui donner un sens autre que personnel.
Finalement, cette phase de terrain, plus encore dans ces premiers moments, occasionne un flottement qui égare le chercheur constamment confronté à des catégories danalyse parasites.
Ensuite, prenant acte du double visage du sociologue tour à tour «chercheur instrument dobservation et chercheur analyseur de données », il est indispensable de suivre le cheminement sinueux de lanalyse dessiné par les allers retours dun processus itératif entre les temps et les espaces, souvent confondus, de lobservation et de la réflexion.
La première conséquence de ce double visage, on la entrepris plus haut, exige du chercheur analyseur quil analyse le chercheur instrument, quil fasse des allers retours entre ces deux rôles. Après avoir décrit plus haut les composantes de ces rôles à savoir les présupposés du chercheur analyseur et la posture du chercheur instrument, il convient déclairer leur interrelation. Comme nous lavons suggéré, cest dans cette relation entre la subjectivité qui accompagne le chercheur instrument et la réflexivité qui conduit le chercheur analyseur que se forme les interprétations. Aussi, lopération intellectuelle qui rend possible ce travail de décentrement réflexif est la comparaison du système de référence indigène, dont les éléments sont petit à petit relevés dans la grille dobservation, au sien propre explicité par linventaire avant enquête.
Par exemple, cest par la comparaison du hiatus entre dune part, certaines dérisions sur le profil science po, la distance par rapport aux réalités du terrain, ou encore sur le fait dêtre pistonné connaissant le chef de cabinet du président, et dautre part ma tendance à vouloir discuter les procédures établies, à mintéresser davantage aux rapports avec les pouvoirs publics quau travail technique du terrain, quont pu être interprété certains aspects du processus de professionnalisation associative. Cet exemple illustre selon nous la proposition suivante : « le retour sur la pratique denquête participante quexige la mise en uvre de lobservation directe fait de la subjectivité du chercheur moins un obstacle à la connaissance quune ressource, à condition de savoir après coup en repérer les marques » .
La deuxième conséquence de ce constat est lobligation de faire des allers retours, cette fois non plus entre les deux rôles, mais entre les deux espaces du terrain et de lanalyse. Ainsi, lespace du chercheur instrument quest le terrain enrichit et réoriente lespace du chercheur analyseur quest le cadre théorique, lequel recadre et focalise en retour la variété phénoménale du terrain. En fait, dans le travail dinterprétation des données, ce que lon constate avant est mis à lépreuve du terrain, et ce que lon constate après est mis à lépreuve du carnet. Par exemple, les 3 jours par semaine consacrés au travail universitaire furent très salutaires permettant de synthétiser les notes du journal de bord et de retrouver un espace de raisonnement critique. De la même façon, il a fallu effectuer plusieurs retours sur le terrain pour glaner des informations sur les procédures de suivi des programmes et valider les hypothèses de mimétisme étatique et entrepreneurial.
Enfin, ce processus itératif danalyse a participé à redéfinir et affiner constamment la construction de lobjet détude.
Dabord, cherchant à aborder ce terrain avec un cadre théorique solide, je me suis empressé de réétudier le travail conduit lannée précédente et de réunir la littérature sur la professionnalisation associative. Mais la question se posait alors de savoir dans quelles perspectives, pour apprendre quoi et apportant quel nouveau regard ? Au regard de ces questions, il mest très vite apparu que les études concentrant leur analyse sur les mécanismes du jeu dinfluence entre le siège et le terrain ainsi que ses effets sur le travail humanitaire étaient déjà nombreuses. De plus, ayant assisté à la session de formation des membres ERU et nétant pas franchement enthousiasmé par les aspects techniques de lactivité humanitaire, je préférais ne pas être confiné à létude de la négociation de ces procédures entre le siège et le terrain.
Suivant cette première étape du processus de construction de lobjet, je me suis davantage intéressé à une activité de recherche effectuée par la CRF mettant à contribution des compétences dont je dispose, lactivité dexpertise sur la prévention des catastrophes visant à interpeller les pouvoirs publics. Mais, il sest rapidement avéré que, suivant cette voie, je nintégrais plus les objectifs de la recherche sociologique puisque jadoptais totalement les présupposés de mon objet. Sur les conseils de mon directeur de recherche, je me suis donc éloigné de cet angle dapproche qui risquait de faire basculer le travail denquête vers un travail dévaluation ou de lobbying.
Cest alors que, méloignant nettement de la sphère associative, je me suis intéressé aux liens entre ces structures et les pouvoirs publics en étudiant les multiples rapports publics présidant aux réformes des institutions de la coopération et notamment celle de 1998. Mais, ce faisant, plusieurs éléments mont progressivement ramené sur le terrain de la CRF, rendant pertinent létude dun service précis dune ASI dans le but de rendre compte du processus dinstitutionnalisation de ces structures à la politique de coopération. En effet, en étudiant la réforme de 1998, on saperçoit quelle entretient des liens étroits avec le travail dexpertise associative en ce sens que les travaux de recherche de la CRF sont présentés au HCCI, espace fondé par réforme. Alors, en portant un regard attentif à la genèse de lexpertise associative afin dexpliquer les mécanismes sociaux qui président à la réforme, on découvre que la concentration de lexpertise est une étape prolongeant le processus de professionnalisation. Cest ainsi que lobjet détude pris la forme définitive dune enquête sur linstitutionnalisation des ASI sous langle précis de la production, la construction et la légitimation de lexpertise associative.
Les voies contradictoires de la professionnalisation : le bouleversement du monde associatif :
Avant de porter notre regard sur les enjeux immédiats du processus dinstitutionnalisation des OSI, il sagit de le resituer dans sa trajectoire historique afin de voir ce mouvement se dessiner dans la diachronie. Effectivement, des mutations structurelles ont transformées les références cognitives et les procédures de la CRF décrivant un long mouvement de technocratisation (Section1) faisant progressivement triompher un modèle administratif (§1) et entrepreneurial (§2).
Toutefois, ce phénomène ne va pas sans susciter de tensions et de contradictions des membres associatifs (Section 2) dont les réactions de valorisation de la vie associative (§3) et de préservation de lidentité associative (§4) sont prégnantes.
Un long mouvement de technocratisation :
Dans les rapports variables quelle entretient avec les pôles étatique et entrepreneurial, lassociation occupe une position mouvante en fonction de son histoire propre, du contexte dans lequel elle évolue et des activités vers lesquelles elle soriente. En ce qui concerne la CRF, si lon identifie le processus de technocratisation à lintériorisation progressive de technologies, procédures et personnels étatique (§1) et entrepreneurial (§2), alors plusieurs éléments indiquent quelle a bien emprunté cette voie.
Lassociation face à lEtat :
La première dimension de ce vaste mouvement de technocratisation est certainement la tendance au mimétisme étatique que connaît la « Croix Rouge ». Ainsi, la compénétration de lassociation et de lEtat conduit à lentretien de rapports inextricables et à une véritable relation dosmose.
La « Croix Rouge » dans lEtat :
Depuis ses débuts, la « Croix Rouge » sest positionnée face aux Etats, en réaction à leurs excès belliqueux et à côté des Etats, en position de neutralité. Mais progressivement, les statuts qui régulent laction de la « Croix Rouge » sur le territoire de ces Etats vont la placer au sein même de lorganisation de ces Etats.
1.1.1. Aux origines de la « Croix Rouge », la neutralité :
Il est habituel didentifier les premiers pas de la longue histoire « Croix Rouge » à ceux dHenri Dunant foulant le champ de bataille de Solferino opposant lalliance franco-piémontaise à lAutriche en 1859. Ce banquier suisse protestant sest effectivement trouvé à Solferino, au milieu des combats, alors quil suivait Napoléon III afin dobtenir de lui une aide administrative facilitant ses affaires en Algérie. A cette occasion, il fut confronté à lune des batailles les plus sanglante de lhistoire faisant plus de 38000 morts en seulement quinze heures de combat. Face à ce massacre, Henri Dunant se serait alarmé du sort réservé aux soldats blessés, mal soignés, abandonnés et détroussés faute dun service de secours suffisamment développé et organisé. Cest alors quil aurait mobilisé les femmes de Castiglione en appoint des services nationaux de santé des armées afin de porter assistance aux blessés des deux camps, lançant son leitmotiv : « Tutti Fratelli ! ».
Après cet épisode aux allures aussi héroïques que tragiques, Henri Dunant aurait colporté lidée originale dorganisation dun important service de secours aux militaires blessés en campagne, sans distinction de camp, dotés de réels moyens dintervention et, surtout, jouissant dun statut les plaçant à labri des agressions. Profitant à lépoque, dun vaste mouvement de préoccupation pour la fraternité et contre la misère, le témoignage que livre Henri Dunant dans son ouvrage Un souvenir de Solferino est encensé par les plus hautes personnalités et reçoit lestime des têtes couronnées. Ernest Renan y voit par exemple lidée « la plus grande du siècle » ajoutant que « lEurope naura peut-être que trop loccasion den apprécier les bienfaits. »
Cest ainsi que se tenu, le 17 février 1863, une commission de la « Société dutilité publique » précédent le « Comité International de secours aux blessées » préfigurant le « Comité International de la Croix Rouge » dit CICR. Cette organisation formée par cinq membres issus de la bourgeoisie protestante genevoise a une devise, « Inter arma caritas », et deux objectifs, la formation dun corps dinfirmiers volontaires et la promotion dun accord international pour le respect des soignants. De ces deux objectifs, le premier fut atteint sans difficulté en donnant naissance dans plusieurs pays à des sociétés de secours futures sociétés nationales de Croix Rouge. Mais, le second, impliquant lacceptation par les Etats du principe de neutralité de la Croix Rouge, allait entraîner des controverses animées et des résistances effrénées.
En effet, le principe de neutralité comme permettant de sortir de la contradiction entre « bon samaritain et justicier » est la pierre dachoppement du projet. Les militaires dabord sont hostile à ce principe et soffusquent dêtre indirectement accusés de ne pas respecter les services de santé sur le champ de bataille. De plus, une aporie subsiste au-delà de la neutralité qui entame sérieusement les chances de rallier le consentement des Etats. Comment revendiquer le statut dautorité morale si lon ne dénonce pas les crimes dont on est le témoin ? Et comment se faire accepté sur le terrain dune puissance qui risque de voir divulguées certaines questions confidentielles ? De ce dilemme émergera une définition restrictive de la neutralité comme engagement à garder le silence sur les crimes et autres informations dont pourrait disposer le Comité lors de sa mission de soins aux blessés reconnaissant par la même que « pour venir en aide aux victimes de guerre, il nest pas possible de porter un jugement sur les Etats qui la font ».
Après maints efforts de communication du Comité, cette définition sera admise le 8 août 1864 lors de la Conférence internationale pour la neutralisation du service de santé militaire en campagne. A cette conférence se succéderont les Conventions de Genève, celle du 22 août 1863 sur les militaires blessés en campagne, celle du 12 août 1949 sur les marins et prisonniers de guerre et son protocole additionnel de 1977 sur la protection des apatrides et des réfugiés, puis, celle de 1951 sur les réfugiés et qui fonde le HCR. Ces Conventions forment aujourdhui les instruments du Droit International Humanitaire et contraignent les pays qui en sont signataires.
Notons toutefois que, si elle contraint les Etats, cette acceptation et institutionnalisation du principe de neutralité contraint également le Comité dans les rapports quil entretient avec lEtat. Le Comité respecte ainsi limpératif de neutralité par rapport au politique de sorte que les domaines du politique et de lhumanitaire se distinguent et se reconnaissent. En fait selon les mots de P.Moreau Defarges « il faut rendre au politique se qui est au politique, et à lhumanitaire ce qui est à lhumanitaire ». Cette déontologie a permis à la « Croix Rouge » de coopérer avec des parties adverses engagées dans un conflit notamment durant les deux guerres mondiales. Mais il faut souligner quen maintenant cette posture, laction humanitaire se trouvait de facto soumise aux choix politiques des Etats et à leurs dérives les plus sombres, comme le génocide juif par lAllemagne nazie au sujet duquel le CICR est resté muet.
1.1.2. La « Croix Rouge » et son organisation :
La renommée internationale de la « Croix Rouge » est évidente, son emblème est devenu un talisman et pour sen convaincre, il suffit de considérer laccueil qui est réservé à ses équipes sur tous les terrains. Pourtant, le fonctionnement et lexistence même de ses diverses composantes restent méconnus. Afin de saisir la diversité de lunivers « Croix Rouge » il convient de présenter, dans une perspective juridique et en se fondant sur le discours de la « Croix Rouge » sur elle-même, lorganisation des rôles, des moyens et des principes daction.
Derrière la « Croix Rouge » se trouve dabord le « Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge », structure complexe comprenant trois composantes distinctes, chacun doté dune administration convergente, et disposant de moyens considérables tant humains que financiers. Le développement de cette organisation est décrit avec humour par les propos dun ancien délégué du CICR : « Si son fondateur, Henri Dunant, avait été catholique, lEglise laurait canonisé, lhumanité aurait eu droit à un saint de plus et ses idées auraient été mises en pratique par quelque pieuse Congrégation des Petites Surs de Saint Henri de Solferino, qui se seraient dévoué en faveur des victimes de la guerre. Mais voilà, Henri Dunant était Genevois, protestant et banquier. Or, on sait que les protestants nont pas leur pareil pour gérer une affaire et la faire prospérer dignement ».
Les trois composantes que sont le « Comité International de la Croix Rouge » dit CICR, la « Fédération Internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge » dit FICR et, enfin, les « Sociétés Nationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge » reconnaissent toutes trois les principes fondateurs et sont parties intégrantes du « Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge ». Celui-ci « a pour mission de prévenir et dalléger en toute circonstances les souffrances de lhomme ; de protéger la vie et la santé et de faire respecter la personne humaine, en particulier en temps de conflits armé et dautres situations durgence ; duvrer à la prévention des maladies et au développement de la santé et du bien-être social ; dencourager laide humanitaire et la disponibilité de membres du mouvement ainsi quun sentiment universel de solidarité envers tous ceux qui ont besoin de sa protection et de son assistance. ». Ses sept principes fondateurs sont « humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité ».
Le « Mouvement » est composé, on la vu, du CICR qui assume une mission de « de protection et dassistance, sur une base exclusivement humanitaire, de la vie et de la dignité des victimes de la guerre et de la violence interne, ainsi que de prévention des souffrances engendrées par ces situations[
]favoriser la mise en uvre du droit et des principes humanitaires universels [
]veiller au respect des principes fondamentaux du Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge dont il est le fondateur [
] coopération avec les sociétés nationales [
] concertation avec les autres acteurs de lhumanitaire. »
Agissant à linternational, la composition de ce Comité est pourtant mono-nationale composé dune trentaine de membres bénévoles, médecins, juristes, banquier, professeur duniversité et tous de nationalité suisse. Sa structuration interne comprend une « Direction Générale », une « Direction des Ressources Humaines et des Finances », une « Direction du Droit International et de la Communication » et une « Direction des Opérations ». Pour fonctionner le CICR emploie plus de 800 « délégués » expatriés et experts-consultants, plus de 5000 employés locaux et quelques 600 collaborateurs du siège. Enfin, son statut juridique est celui dune association régi par le Code Civil helvétique et ses ressources proviennent des Etats (dont les Etats Unis pour ¼), des Organisations Internationales et des Sociétés Nationales.
En outre, la FICR, également basée à Genève, a été fondé à Paris le 5 mai 1919 sous le nom de « Ligue des Sociétés de Croix Rouge » par les Sociétés Nationales des cinq pays vainqueurs de la guerre. Elle est « chargée de coordonner les interventions humanitaires en dehors des zones de conflit, lors de cataclysmes naturels et de catastrophes provoquées par lhomme. Elle aidait aussi les sociétés nationales à planifier et à mettre en uvre des programmes visant à promouvoir le développement durable, la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité, ainsi plus généralement que les actions en temps de paix. ». En plus de son secrétariat regroupant 250 personnes, elle compte plus de 600 « délégués » expatriés sur le terrain Ses ressources proviennent des Sociétés Nationales et servent aux opérations daide humanitaire, aux versements faits aux Sociétés Nationales et à ses frais de fonctionnement.
Enfin, les « Sociétés Nationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge » dont une est présente dans presque chaque pays. Menant des activités sanitaires et médico-sociales, « elles apportent en temps de guerre leur soutien aux services de santé de leur armée nationale. Elles peuvent avoir une action à lextérieur de leurs frontières, en coordination avec dautres sociétés nationales et leur Fédération ». La totalité de ces sociétés nationales emploient 300 000 salariés permanents et plus de 105 millions de membres bénévoles et volontaires. Nous analyserons, dans la présente étude, les activités de la Société Nationale de la Croix Rouge française (CRF) dont nous envisagerons plus particulièrement les activités internationales.
Il semble clair, à lissue de cette simple présentation, que lorganisation de la « Croix Rouge » séloigne résolument du regroupement de quelques bonnes volontés quelle était à ses débuts, pour devenir une structure bureaucratique complexe, connaissant une rationalisation fonctionnelle des tâches, une division hiérarchique à lintérieur de chaque composante, et un nombre pléthorique de personnel. Cette description nous montre aussi combien les Etats et les Organisations Internationales sont dimportants contributeurs financiers du « Mouvement ».
1.1.3. La Croix Rouge française, un rapport régulé à lEtat en interne et à linternational :
Abordons à présent la composante du « Mouvement » qui a constitué notre terrain denquête et qui va retenir notre attention tout au long de cette étude, les « Sociétés Nationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge » et particulièrement, la Croix Rouge française (CRF). Il sagit de lune des premières sociétés nationales qui a vu le jour avec la création, le 25 mai 1864, de la « Société Française de Secours aux Blessés ». Aujourdhui, elle est une association française à vocation caritative agissant, comme dautres associations, sur le territoire national et à linternational, mais dont le titre de « reconnaissance dutilité publique » et le statut d« auxiliaire des pouvoirs publics dans leurs démarchent humanitaires » la distinguent dans le champ associatif.
Sur le territoire national, la CRF est en charge de missions très particulières, qui lui sont déléguées par les pouvoirs publics. Cette caractéristique propre à la CRF contribue à développer chez un nombre significatif de ses membres, du siège comme du terrain, un rapport à lEtat et au militantisme dont il convient desquisser les mécanismes.
Dabord, une partie des activités de la CRF sont le secourisme lors de situation durgence sous la responsabilité de la Délégation Nationale à lUrgence et au Secourisme, et, lassistance sanitaire et sociale auprès des personnes démunies, des prisonniers et des personnes déplacées. Ici, les équipes bénévoles interviennent sur le terrain de la « souffrance » indépendamment des pouvoirs publics, sous la coordination de la Délégation Départementale dont ils font partie et qui rend compte de ses activités au siège, auprès du service concerné. Toutefois, il faut souligner que 80% des ressources et de ses dépenses de la CRF sont allouées à la gestion de prérogatives publiques avec, à sa charge, 559 établissements publics tels que des hôpitaux, des centres dhébergements, des centres de formation. De plus, certaines activités dites humanitaires lui sont régulièrement confiées par lEtat en raison de son statut d « auxiliaire des pouvoirs publics ». Dans ce cas, les pouvoirs publics demandent à la CRF dintervenir, à lexclusion dautres associations ne jouissant pas de ce statut, et définissent le cadre dintervention, fournissent les moyens financiers et approuvent même les personnels.
On voit que, par sédimentation, ce « type particulier dinterventions publique a abouti, par invention de formes et par objectivations successives à des configurations très particulières de gestion des attentes et demandes sociales et donc à des évidences peu à peu figées quand aux « missions » réservées aux groupes » . A cet égard il faut noter que cest en tant qu « auxiliaire des pouvoirs publics » que la Croix Rouge fut mandatée par lEtat pour la gestion du camp de Sangatte entre 1999 et 2002. Et, en zone dattente de Roissy à nouveau, le protocole suivi par lEtat pour officialiser son rapport avec la Croix Rouge est une convention qui fixe la totalité du cadre daction.
« Donc, toutes ces associations qui avaient été préoccupé par tout cela
qui appréhendaient cette question avec une passion qui ne correspondait pas à une analyse rationnelle de la situation, ont été prise de court par le ministre de lintérieur M Sarkozy qui a dit puisque vous voulez un contrôle en zone dattente, moi plutôt que
la dénonciation de bavures policières qui nexiste pas
forcément
je propose que lune dentre elle, dentre vous entre en zone dattente
et je propose que la plus compétente soit celle que nous inviterons, je propose donc que la Croix Rouge soit choisie. Alors, ils ont été pris de court
tous les mouvements très contestataires, très virulents vous savez le GISTI, les
associations dites de défense de droits de lhomme comme si les autres ne les défendaient pas aussi
tout ceux là, protestaient
et parfois dénonçaient à juste titre et tantôt dénonçaient à contre sens.
Oui, et après la désignation de la Croix Rouge, elles dénonçaient tout autant ou est ce quelles ont été apaisées ?
Et bien non
elles se sont dit la Croix Rouge
va se faire piégée par lEtat
euh
mais nous sommes par statut, ce qui nous différencie beaucoup des ONG, non pas une organisation non gouvernementale mais auxiliaire des pouvoirs publics dans leur démarche humanitaire. Et auxiliaire du service de santé des armées auprès des blessés de guerre et des prisonniers.
Comme on le constate dans cet extrait dentretien du Président Gentilini, le statut particulier de la CRF saccompagne dun rapport à lEtat qui éclaire dun jour nouveau le principe de neutralité envisagé plus haut. Ce statut semble également engendrer un rapport aux autres associations qui éclaire la relation de certains de ses membres au militantisme.
La Croix Rouge revendique officiellement et par la voix de ses membres qui le rappellent dans chaque entretien, la conduite daction neutre, mais quest ce à dire ? Dans le cadre de laction du CICR, on la vu, il sagit dintervenir selon ses propres procédures mais de ne pas divulguer ce quil voit, autrement dit, de faire sans dire. Mais dans le cadre de laction de la CRF, sil sagit encore de faire sans dire, il importe de souligner que le cadre du faire nest pas déterminé par la CRF. La neutralité sapparente ici à la neutralité administrative dun acteur qui met en uvre une politique publique en se soumettant à la législation en vigueur et à ladministration qui la mandate. Ce respect de la législation induit une interprétation en fonction de cadres cognitifs administratifs, qui permettent de faire le tri et dordonner la variété des situations rencontrées sur le terrain. Il est clair que la neutralité est alors inextricable dun rapport de proximité de la CRF à lEtat.
Pour justifier ce rapport lEtat, la CRF convoque dailleurs précisément le principe de neutralité entendu comme garant de lefficacité de laction. Une efficacité qui se décline sur le registre de la rationalité et par opposition à la dénonciation. Ce discours place clairement la CRF en opposition à un autre stigmatisé comme agitateur, dénonciateur afin de poser la définition légitime de lhumanitaire : expert plutôt que militant. On admettra donc que lengagement associatif des membres de la CRF correspond, suivant la distinction quen font à un « militantisme de lhumanitaire » plutôt quà un « militantisme dans lhumanitaire ». Le premier ne se positionnant pas dans les débats qui animent le champ humanitaire et cherchant à promouvoir des principes généraux humanitaires (pour la CRF « ne tolérons aucune souffrance ») hors de ce champ, le second renvoyant à la prise de positions subversives et dénonciatrices à lintérieur du champ humanitaire afin dinterpeller hors de ce champ. Lextrait dentretien suivant illustre encore la dichotomie établie entre efficacité et dénonciation.
Je nai pas de correspondance du GISTI pour ça, si le GISTI à une proposition à faire, il peut la faire au président du Conseil de la CR hein
moi le GISTI ne ma jamais écrit alors je ne fais pas de réponse
Jai simplement entendu une fois le GISTI sexprimer lors de la présentation dun projet et je nai pas voter pour lui parce que cétait
épouvantable la façon dont on
pouvait travestir la réalité. Ce sont des associations
je ne sais pas comment il peuvent être heureux et quel bilan ils font en fin dannée
mais ils font toujours un rapport épais comme ça
sur des faits quils nont pas constaté ! Cest comme lobservatoire international des prisons, on nentre pas dans les prisons mais on décrit tout ce qui est dans la prison sans jamais vérifier le bien fondé de ce quon dit.
Donc vraisemblablement, daprès vos propos, vous les très trouvez plus agitateurs quefficaces ?
Ah
je les trouve résolument agitateurs et faiblement efficace. »
Nous reviendrons en détail sur cette représentation managériale-entrepreneurial de lefficacité qui pétrit les cadres cognitifs des membres de la CRF et constitue un terrain fertile pour le développement du registre de lexpertise.
A côté de ces différences notables par rapport aux autres associations caritatives et humanitaires, différences qui placent la CRF dans lEtat pour en faire une association para-publique, ses activités internationales la placent également dans lEtat et en porte à faux avec les ONG dites humanitaires ou de développement.
La mise en place des missions internationales de la CRF se font, quil sagisse de missions durgence ou de développement, implique toujours la collaboration de la société nationale, dite « société sur », du pays concerné. Voici par exemple la description du déroulement dune mission durgence internationale conduite par le « desk » « programme de préparation et réponse aux urgences ». Lorsquun aléa naturel (climatique, géologique), matériel (technologique) ou humain (mouvement migratoire suite à une famine ou à lissu dun conflit) survient, engendrant par la même des dégâts matériels et humains sur un territoire donné, la désignation de cet événement comme « catastrophe » et lappel aux secours internationaux incombent à la société nationale du pays touché via la FICR. Rappelons que, pour ce faire, ladite société nationale doit préalablement obtenir laval des pouvoirs publics à la décision desquels elle est soumise en tant qu « auxiliaire des pouvoirs publics » au même titre que la CRF lorsquelle agit sur le territoire national. Fidèle au principe de neutralité tel que défini plus haut, les sociétés nationales, une fois sur place, sont tenues dagir en concertation avec la société locale et en veillant donc à respecter le cadre dintervention fixé par les pouvoirs publics du pays concerné.
Aussi, si lon compare les activités internationales de la CRF à celles conduites par dautres associations humanitaires ou de développement, on constate, quen dépit de certaines convergences de pratiques, des différences irréductibles maintiennent la CRF dans une position à part.
Dabord, la part du budget que la CRF consacrée aux actions internationales est très inférieure à celles des ONG avec seulement 2% de lemploi de ses ressources alors que MSF, MDM, HI et ACF consacrent en moyenne moins de 5% aux missions nationales contre près de 60% aux missions internationales. De plus, les autres ONG, ne suivant pas le même dispositif dintervention que celui que lon vient de présenter, nont pas les mêmes relations aux autorités publiques. Par exemple les équipes de MSF, nétant pas structuré par un réseau international de sociétés présentes dans chaque pays, agissent seules sur le terrain ou en concertation avec les équipes d MSF Belgique. Il sensuit que si MSF doit obtenir une autorisation des pouvoirs publics, elle nest pas contrainte dans ses pratiques par un partenaire local « auxiliaire des pouvoirs publics » comme la CRF. Sajoute à cela le fait que ces ONG, et MSF en tête, se donne pour mission dintervenir mais également de témoigner des contextes auxquels elles sont confrontées. Cette conception du travail lhumanitaire légitime, rendue célèbre par les déclarations de B.Kouchner « droit de tapage médiatique » et « devoir dingérence humanitaire », induit un rapport de défiance à lEtat qui leur a parfois valu de se faire expulser des pays où ils intervenaient.
Mais, il faut ici souligner, que la CRF et les ONG humanitaire ou de développement interviennent dans des situations analogues et sefforcent à ce titre de partager leurs ressources, nous y reviendrons plus tard, en se rencontrant dans des espaces inter-associatifs tel que Coordination SUD afin détablir des normes de travail, code de conduite
Cette convergence des pratiques a dailleurs donné lieu à un label récent qui intègre aussi bien la CRF, les ONG que les instituts de recherche impliqués dans ces espaces, celui Gentilini « association de solidarité internationale ».
Après avoir situé la CRF dans son contexte historique et son cadre daction sur-déterminé par les pouvoirs publics et montrant la Croix Rouge dans lEtat, il nous faut maintenant étudier les formes de collusion existantes entre lorganisation et les pouvoirs publics, montrant lEtat dans Croix Rouge.
1.2. LEtat dans la « Croix Rouge » :
A travers lassimilation de technologies ou de personnels issus de ladministration, et, des actions de terrain jointes plus que conjointes avec lEtat, on observe certains indicateurs dune pénétration de lEtat au sein de la CRF.
1.2.1. La perméabilité aux technologies et personnels administratifs :
Structurellement intégrée dans lEtat comme on vient de le voir, la CRF, largement financé par lui, a développé des technologies organisationnelles et intégré des personnels issus de ladministration, déplaçant le rapport de proximité quelle entretient avec lEtat vers un rapport de mimétisme.
Rappelons dabord, que si la CRF présente dans les ressources de son budget 2004 une part de 3% de subventions publiques contre 10% de dons privés, 80% de ses ressources viennent de la gestion détablissements publics (hôpitaux, crèches, maisons de retraites, centres de formations
) dont le financement est assuré à hauteur de 5/6 par des fonds publics. Certes, limportance des dons par rapport aux subventions permet à la CRF une certaine marge de manuvre par rapport aux pouvoirs publics dans la conduite de ses opérations nationales et internationales. Mais, ce poste de dépense ne représente que 5% du budget total, alors que les dépenses dues à la gestion des établissements publics représentent 80% du budget.
Ce constat place non seulement la CRF dans lEtat en ce sens quelle est gestionnaire de prérogatives publiques, mais en plus, et cest ce qui nous intéresse ici, il place lEtat dans la CRF puisque celui-ci est de loin son principal contributeur financier. En effet, si la majorité des ASI comptent une part plus importante de subventions publiques, elles ne tirent pas de ressources de lEtat pour la gestion de prérogatives publiques. On comprend que cette spécificité de la CRF entraîne des mécanismes de mimétisme étatique au sein de lorganisation.
Ainsi, le mode de structuration hiérarchique de ce qui est appelée « gouvernance », cest à dire au niveau du siège, frappe par sa similitude avec celui des administrations dEtat.
Son caractère centralisé autour de la fonction ayant le plus de responsabilité est observable de prime abord à la simple consultation de lorganigramme de la CRF. Létude de « lorganigramme général » du siège de la CRF nous montre par exemple une division hiérarchique telle que le « Président » occupe le centre de lorganisation, son nom apparaissant en tête, en gras et dans un caractère dimprimerie plus large que les autres. De part et dautre du Président figurent, tel un responsable ministériel, son « Chef de cabinet » et son « Conseiller pour les Relations Internationales ». Considérant la place qui lui est faite, il est tout de même assez significatif bien quanecdotique de relever que le Président dispose de rien de moins que deux secrétaires et dun chauffeur. Au dessous du nom du président, apparaît, encore sur le modèle des administrations ministérielles, la fonction de « Secrétaire Général ». La Président et celle-ci étant reliés aux sept directions sectorielles que comprend la CRF.
A lintérieur de ces directions, celle des Opérations Internationales mise à part, on remarque une subdivision en statuts formant de longues chaînes hiérarchiques, caractéristiques des administrations dEtat. Cest ainsi que lon trouve au sein de la « Direction des établissements » le « Directeur », des « adjoints de direction », des « attachés de direction », des « chargés de mission » et leurs « assistants ». Ces statuts, équivalents à ceux que lon peut trouver dans nimporte quelle service dadministration dEtat, sont également visibles au niveau de la « Direction des Opérations de Solidarité » qui est, rappelons-le, la plus importante en moyens et en personnels. En effet, cette direction intègre en plus le statut juste subalterne au directeur, le « Délégué ».
A côté du mode de structuration hiérarchique, se trouvent des procédures et des vocables importés des administrations dEtat. Par exemple, la « direction des établissements » est en charge de la gestion détablissements publics, non seulement de soins et daccueil, mais de formation des cadres CRF à linstar de ladministration française formant son personnel à lENA ou dans les IRA. Dautres procédures renvoient plus spécifiquement aux administrations militaires comme la Gendarmerie, lArmée de Terre, la Sécurité Civile ou encore les Pompiers. En effet, lorsque lon engage le « déclenchement » dune « alerte », un « déploiement », une « intervention », une « opération » ou une « mission », ne fait-on pas référence à des procédures formalisées par ces administrations? De même, lorsque les membres sont dénommés par les vocables « unité » ou dénombrés en « hommes », ne sagit-il pas de lemprunt dun jargon usuel dans ces administrations ? Encore, en baptisant les séances de formation continue « exercice terrain » ou « manuvre » ne les identifie-t-on pas aux mêmes activités que celles régulièrement pratiquées par ces mêmes administrations?
On remarquera également avec intérêt que la CRF est seule habilitée à délivrer des diplômes de secourisme (AFPS
) à linstar de deux autres corps, celui de la Sécurité Civile et des Pompiers.
En outre, si lon prête attention à la composition et au profil des personnels de la CRF, on remarque, à tous les échelons et dans tous les secteurs dactivité, la présence de personnel issu de la fonction publique.
Le Président national de la CRF dabord, rarement issu du « réseau », il sagit la plupart du temps dune personnalité ayant occupé des fonctions gouvernementales ou entretenant, avant son élection à la tête de la CRF, des relations étroites avec de hauts responsables politico-administratifs. Les statuts de la CRF prévoient en effet que les membres du Conseil dAdministration élisent le Président. Or, dans la mesure où la CRF est une association reconnue dutilité publique, le CA comprend nombre de personnalités dites « qualifiées » issues de divers structures dont certaines politico-administratives. En atteste cet extrait des « Statuts adoptés par lassemblée générale extraordinaire du 28 juin 2002 et approuvés par arrêté du ministre de lIntérieur du 23 décembre 2002 (J.O du 18 janvier 2003) ».
Il en résulte que la plupart des Présidents de la CRF sont issus des personnalités « qualifiées » fortes dune expertise médicale reconnue par lOrdre des Médecins ou lAcadémie de Médecine, ou encore, ayant été coopté par le gouvernement au sein duquel elles ont eu de hautes responsabilités. Récemment, ce fut le cas des deux précédents Présidents : M.Gentilini, professeur de médecine et proche du couple Chirac, et M.Mattéï, ancien ministre de la santé.
Dune façon encore plus éclairante quant à limportation de personnels issus de ladministration, certains sy sont formés ou bien y ont directement exercé et, dans leur stratégie de reconversion professionnelle, travaillent désormais à la CRF. Par exemple, le « Secrétaire général », comme cétait le cas en 2005, est régulièrement diplômé de lENA de même que le « Président Commission Relation et Opérations International » a le statut d « ambassadeur ». Il est ici intéressant de souligner, nous y reviendrons bientôt, que les personnels qui ont exercé dans la fonction publique sont presque tous danciens militaires. A titre indicatif, on peut encore citer, le « Responsable de la Délégation Nationale à lUrgence et au Secourisme », l« Adjoint chargé de la formation » et le « directeur des Opérations Internationales ».
1.2.2. Des partenaires sur le terrain :
Dautres formes de collusions avec lEtat existent et concernent les actions internationales, mais cette fois, non plus seulement comprises dans le cadre législatif des pouvoirs publics du pays concerné, mais prise dans les démarches propres de lEtat français intervenant lui aussi à linternational. En effet, en influant sur certaines tâches de la CRF dans ses activités internationales, les facilitant dabord, les lui délégant ensuite, lEtat marque sa présence dans la CRF.
Dabord, lEtat français, en tant que partenaire régulier et privilégié de la CRF, lui assure, dans certaines situations, une présence sur le terrain qui peut être le cas échéant entravé par un acteur concurrentiel.
Une illustration de cette situation nous est donnée par la concession faite à la CRF par lEtat français lui permettant dobtenir un accès à la zone la plus touchée du Sri Lanka, dévasté sur sa côte Est par le Tsunami en décembre 2004. Ces quelques éléments peuvent dores et déjà surprendre. En effet, pourquoi la CRF ne pourrait accéder à certaines région du monde, alors même que lEtat a émis une demande daide internationale et que toutes les grandes ONG durgence telles que MSF, MDM, le Secours Catholique, AMI, Care sont à pied duvre ? En loccurrence ce fut une discorde interne au « Mouvement Croix Rouge», discorde séculaire opposant le CICR et la FICR, qui fut une entrave à lintervention de la CRF auprès des populations touchées. Comme lindique P.Ryfman, « la question de la répartition des tâches entre CICR et FICR a toujours été délicate, et a suscité des tensions plus ou moins fortes, chacun suspectant lautre dune tendance à lhégémonisme. »
En dépit des accords de Séville conclu le 26 novembre 1997 sur « lorganisation des activités internationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge », les problèmes dus à la rivalité des entités subsistent. Cet accord prévoit dabord une répartition hiérarchique plus précise avec la notion de « rôle directeur » (« lead role ») qui attribue des compétences précises à chaque composantes du Mouvement, lun décidant de la stratégie, les autres collaborant à sa réalisation. Puis, il prévoit une répartition fonctionnelle des tâches en prévoyant dune part que le CICR soit l « institution directrice » (« lead agency ») dans les situations de conflits armés, de troubles internes et de leur suites directes, ainsi que de conflits armés concomitants de catastrophes naturelles ou technologiques. Dautre part, la FICR est consacrée « institution directrice », dabord dans les situations de « suite directe dun conflit » lors desquelles persistent les besoins de secours mais où le rétablissement de la paix ne demande plus lintervention du CICR, et, dans les situations de catastrophes naturelles ou technologiques en temps de paix, situations qui excèdent les capacités de la société nationale. Il est enfin prévu que les deux entités puissent intervenir en même temps puisque la Fédération apporte son expertise au CICR si la catastrophe se produit dans une situation de conflit où il est déjà engagé.
Lors de lopération Tsunami, les luttes dinfluence entre le CICR et la FICR se sont à nouveau fait sentir aux dépends de la CRF.
La présence du CICR sur le territoire du fait de la guerre civile qui sévissait jusque là, occasionna quelques lenteurs dans la procédure qui devait permettre à la FICR de prendre le relais des opérations relevant dune urgence suite à une catastrophe naturelle.
Ces complications ont obligé la CRF, dépendante de la FICR dans ce genre dopération, à apporter dans un premier temps son aide dans le Sud-Ouest du pays, aux alentours de laéroport de la capitale Colombo dans lequel ses équipes ont atterrie.
Mais, voulant intervenir dans les endroits les plus touchés par le Tsunami, et, aussi les spots les plus prisés par le flot de journalistes venus couvrir lévénement afin de justifier de son efficacité en actes, auprès du public, la CRF trouva en lEtat une possibilité de contournement du CICR.
Ce dernier a effectivement cédé à la CRF une structure hospitalière précédemment gérée par les équipes de la Sécurité Civile dans la zone Est encore sous responsabilité du CICR.
Lintérêt de cet exemple est de montrer que la « Croix Rouge », en discorde avec elle même lorsquelle oppose le CICR et la FICR, peut contourner ces problèmes en sollicitant lEtat prêt à lui déléguer la charge dun hôpital dont il avait la gestion.
Dune autre façon, la CRF peut se voir tout simplement déléguer une tâche, à linternational, par lEtat français. Comprenons bien que, dans ces circonstances, lEtat français délègue des tâches à la CRF, comme il le fait pour certaines tâches au niveau national (prestation de service humanitaire dans le camp de réfugiés de Sangatte ou en Zone dAttente pour Personnes en Instance), mais au niveau international. Cest à dire que lEtat français mandate la CRF dans des opérations relevant de la politique étrangère française.
Cest bien ce qui sest produit à loccasion de la « crise ivoirienne » de novembre 2005 lors de laquelle les expatriés français présents en Côte dIvoire subissaient les menaces et encourraient des risques dagressions des patriotes, principal soutient du Président Gbagbo désavoué par la France dans sa capacité à maintenir la paix.
Après que certains crimes portant atteinte aux intérêts français en Cote dIvoire aient été commis (attentat à la vie de quelques français, destruction davions militaires français tuant aussi leurs pilotes), J.Chirac a décidé dorganiser, sans le consentement du président Gbagbo, un pont aérien afin de rapatrier les ressortissants français. Pour ce faire, il mis à contribution le MAE afin quil suive les affaires politiques en cours, le Ministère de la Défense pour quil contribuent à la dimension logistique de lopération.
Mais, en plus de ces acteurs ministériel, lEtat français a sollicité la Sécurité Civile et la CRF devant se rendre sur place, participer à la coordination des activités et apporter un soin aux personnes le nécessitant. Cest ainsi que durant les quelques jours qua duré ce pont aérien, les équipes de secouristes de la CRF ont été acheminé sur place par les avions mis à disposition par lEtat et faisant équipe avec larmée.
Au siège, les membres de la CRF soccupaient certes de la coordination des équipes de secouristes, mais ils étaient également tenus dêtre linterface entre les services du MAE et les équipes de terrain. Ils transmettaient donc les consignes de sécurité, organisaient le relais des équipes suivant les besoins en « hommes » déterminés par ce dernier, se chargeaient du conditionnement, acheminement et distribution de matériel acheté par les pouvoirs publics. Afin de suivre chaque évolutions possibles des demandes du MAE, les membres du « programme Préparation et Réponse aux Catastrophes » et ceux de la « Direction Nationale de lUrgence et du Secourisme » effectuaient de constants allers retours entre le siège de la CRF et la cellule de crise du MAE.
Cet extrait dobservation montre ainsi la CRF intervenant à lextérieur des frontières de lEtat français, aidée de lintérieur par lui, faisant ingérence en Côte dIvoire dans un but « humanitaire ».
Cet exposé de la bureaucratisation de la CRF par les formes de mimétismes administratifs quelle connaît, nous montre bien « quil est parfois malaisé de distinguer la frontière entre intérêts, organismes ou institutions publiques et privées. » A tel point dailleurs quon peut dire que ces deux organisations que sont lEtat et la CRF « se conjugue pour effacer les frontières anciennes et créer une dynamique dimbrication et dosmose ; il ny a plus de démarcation nette entre les sphères publique et privée qui tendent à se superposer, sinterpénétrer, voir à se confondre. ».
Lassociation face à lentreprise :
Poursuivant lanalyse du processus de technocratisation de la CRF, il sagit maintenant de décrire les rapports quelle entretient avec le pôle de lentreprise. Il peut certes, sembler contre-intuitif de comparer la CRF, association caritative à but non lucratif, à une entreprise, pourtant, elle peut être définie comme telle si lon y voit, avec M. Weber, une « sociation comportant une direction administrative à caractère continu, agissant en finalité » . De plus, par la rationalisation croissante des activités du siège comme du terrain, la CRF connaît une redéfinition identitaire comme « entreprise associative ».
2.1. La spécialisation des fonctions:
Au niveau du siège, sous leffet dune diversification des activités encouragée par les contributions financières de lEtat et les attributions statutaires quil offre à la CRF, lorganisation rationalise son action par la spécialisation des fonctions bureaucratiques au fondement de la « gouvernance », véritable direction dentreprise.
2.1.1. Complexification de la structure bureaucratique :
Initialement, la CRF, nommée la « Société Française de Secours aux Blessés », était petite structure associative, à faibles moyens, à la finalité réduite et ciblée aux activités sanitaires auprès des blessés de guerre et exclusivement animée par des bénévoles. Mais, sous leffet dune diversification des activités, de laugmentation de ses ressources humaines et financières, son « fonctionnement organisationnel devenu parfois fort bureaucratique, [
] apparemment très éloigné de celui des entreprises, rencontre des problèmes analogues. »
Dabord, la diversification des activités de la CRF est allée de paire avec une spécialisation des fonctions administratives assurant, pour chacune de ces activités, la coordination des personnels, la gestion comptable et le suivi opérationnel.
Loin dêtre cantonnée aux soins des blessés de guerre, la CRF a aujourdhui investi de nombreux terrains de laction sociale et sanitaire et la présentation exhaustive de ces activités ressemblerait à une interminable litanie. Citons toutefois, à titre dexemple, et à côté du secourisme, de laide aux personnes déplacées et des visites de prisons, missions traditionnelles issues des Conventions de Genève, ses terrains daction plus récents. La CRF conduit ainsi un programme de « Formation » qui assure lenseignement des techniques de base et de haut niveau des secouristes, un programme de « Lutte Contre la Précarité » visant laccompagnement social, laccès aux droits et aux soins, ou la lutte contre lillettrisme, un programme dactions ciblées sur les banlieues, un programme de « Promotion de la Santé » visant la prévention et léducation aux soins
De plus, on la dit, la CRF est un important entrepreneur de gestion détablissements publics avec, à sa charge, 559 établissements de soin (hôpitaux, centres de santé), de prise en charge (maisons de retraite), et de formation (écoles dinfirmière, dauxiliaire de vie sociale).
On remarque que ces actions se distinguent des premières par leur inscription dans le long terme plutôt que par leur caractère durgence ponctuelle. En effet, le champ daction des missions de la CRF ne connaît pas de réelle limite et si lon se réfère à son leitmotiv « ne tolère aucune souffrance », on peut même avancer que son champ daction est coextensif à la souffrance.
La supervision de chacune de ces activités, prise en charge sur le terrain par les 50000 bénévoles dans 1200 Délégations et de nombreuses antennes, est centralisée au siège de la CRF et assurée par un service particulier. Cest ainsi que la « Délégation Nationale à lUrgence et au Secourisme » (DNUS) et à lintérieur de celle-ci les services de « soutien des Délégations », « Opérations » et « Formation » est le complexe qui coordonne les activités durgence et de secourisme. De la même façon, la « Délégation Nationale à lAction Sociale » (DNAS) comprenant la « Lutte contre la précarité » et toute une série de « programmes spécifiques » est en charge des activités sanitaires et sociales suscitées. Rappelons que ces deux Délégations sont intégrées au service opérationnel le plus important de la CRF, la « Direction des Opérations de Solidarité ». Enfin, la gestion des établissements publics est également sous la tutelle dune direction fonctionnelle précise, la « Direction des Etablissements ».
Cette diversification des activités a entraîné une croissance des ressources financières et humaines à laquelle la CRF a dû faire face. Ainsi, poursuivant le processus spécialisation des fonctions, la CRF comprend, à côté de ces directions dites « opérationnelles », le cur de la « gouvernance » constitué des directions de gestion et développement de ces ressources.
Dabord, les sommes dargent abondantes ainsi que le matériel bureautique important dont dispose la CRF a entraîné la mise en place dune « Direction Financière » aux dimensions impressionnantes. Pour se donner un point de comparaison, on peut mentionner que ce service emploi, au siège, autant de personnels que la « Direction des Opération de Solidarités ». Cette direction est notamment en charge, par lintermédiaire du « département comptabilité », de suivre les comptes de la collecte des fonds, des fournisseurs, des différents fonds dédiés à des opérations précises. Avec celui-ci, les « département trésorerie » et « contrôle de gestion », assurent la transparence totale de cette entreprise à laquelle les donateurs comme les bailleurs de fonds demandent des comptes. La mise en place dune telle bureaucratie financière traduit lintériorisation dune « rationalité entrepreneuriale» qui implique en loccurrence, non pas une recherche de profit, mais une « rigueur gestionnaire» .
Suivant cette fois des logiques et des procédures plus nettement associées aux entreprises, la CRF apporte aujourdhui un soin particulier à laugmentation de ses ressources et à la relation quelle entretient avec ceux qui les lui procurent. Cette fonction spécifique est assurée par la « Direction de la Communication et du Développement des Ressources ». Dans sa dimension de communication, celle-ci est par exemple chargée de rendre visible la transparence grâce à la « cellule Internet » qui met en ligne le rapport financier annuel. De plus, troublant définitivement limage dEpinal de lassociation désintéressée reposant sur la générosité du public, les « Pôle entreprises » et « Pôle donateurs », comprennent des chargés de mission « Marketing ». Ces dernières mettent en uvre de véritables stratégies commerciales pour atteindre leurs objectifs dont un exemple nous est fourni qui mettait à contribution le travail conjoint de ces deux « Pôles ».
Le « pôle entreprise » ayant obtenu un partenariat avec le groupe Carrefour, réfléchissait, avec le « pôle donateurs » à la meilleure stratégie pour toucher sa cible, en loccurrence le client dun magasin carrefour.
Les équipes se sont donc réunies et les responsables, les assistants et les stagiaires discutaient de savoir sil était pertinent de placer des dépliants CRF appelant à la générosité du public à côté des caisses. Ils ont également débattues de la couleur et de lagencement des informations inscrites sur ces dépliants afin de les rendre les plus attractifs possible.
Achevant la complexification de la structure bureaucratique, la recrudescence des salariés, sur la quelle nous reviendrons, a exigé la création dune « Direction des Ressources Humaines » ce qui est significatif dune reconnaissance de cette catégorie de personnel à côté des bénévoles et saccompagne de modes de gestion managériale des ressources humaines.
Le simple fait quil y ait une DRH en charge des salariés à côté dune « Direction de la Vie Associative » en charge du suivi et de la formation des « volontaires-bénévoles », indique déjà que ces deux catégories de personnel, si elles nont pas le même statut, requièrent des modes de gestion analogue et mobilisent le même nombre de personnels au niveau de la « gouvernance ». En fait, le bénévolat, figure fondatrice de lengagement associatif, ne va plus de soi au sein de la CRF et nécessite un service particulier entièrement consacré à susciter, motiver et entretenir lengagement humanitaire.
Par ailleurs, les salariés, structurellement liés à la forme entrepreneuriale car plus attachés à la perduration de la structure dont ils dépendent quà la réalisation du projet associatif, sont encadrés par des techniques de contrôle et de participation du personnel inspirées par des technologies organisationnelles managériales. En effet, les salariés disposent dun ensemble despaces leur proposant des services divers. Par exemple, ils se retrouvent à la cantine-cafétéria pour déjeuner ou durant la journée pour une pause café. Un « Comité dEntreprise » leur est réservé qui permet lemprunt de livres, CD et qui propose des voyages à tarifs préférentiels. Aussi, chaque direction a mis en place des dispositifs participatifs semblables à ceux que lon trouve dans de nombreuses entreprises.
Tous les quinze jours, une réunion de travail a lieu, réunissant, dans le bureau du directeur des opérations internationales, les chargés de projets des desks géographiques et thématiques ainsi que leurs assistants et stagiaires.
Lors de ces réunions, chacun prend successivement la parole lors dun tour de table, un point est fait sur toutes les actions en cours, des suggestions sont amenées sur les projets à venir. Il sagit de présenter les budgets de chaque mission, les besoins logistiques et humains.
Cest également loccasion pour le directeur qui anime la discussion de rappeler à tout le monde que les budgets 2005 doivent être bientôt rendus. Dautres sujets plus informels sont abordés tels que le déménagement du siège place Henri Dunant dans le 8ème vers lhôpital Brousset dans le 13ème. Ou encore déchanger les impressions et attentes de léquipe en ce qui concerne les recrutements à venir.
Outre ces techniques participatives, des techniques de contrôle sont prévus avec notamment la vérification des temps de présence et dabsence des salariés qui pointent une carte électronique à chaque aller et venu dans le siège.
2.2.2. La création de la DOI :
Pendant longtemps, les interventions de la CRF sur le terrain international étaient tout à fait ponctuelles et mobilisaient des moyens marginaux. Mais, en 1997 a été créé une Direction des Opérations Internationales, service opérationnel consacré aux seules interventions internationales, dont la description illustre encore ce processus de spécialisation des fonctions.
Traditionnellement cantonnée aux « Service des Relations Internationales » en charges des relations diplomatiques avec les Etats et les « sociétés surs », les activités internationales de la CRF, sous dotées en ressources humaines et financières et sans perspectives stratégiques, ne représentait absolument pas une priorité jusquà larrivé du Président Gentilini en 1997.
Lors des interventions internationales de la FICR couvrant les situations durgences comme les programmes de développement, la CRF nétait que matériellement représentée par les fonds quelle lui transmettait, mais physiquement quasi absente ne disposant daucune équipe coordonnée ni expressément formée pour les missions internationales. De surcroît, ces contributions financières étaient très variables puisquen labsence dun budget alloué à ce poste de dépense, elles reposaient exclusivement sur les ressources issues des campagnes de dons pour cette occasion, et des subventions publiques disponibles.
La présence des personnels de la CRF sur le terrain de lurgence internationale se limitait, on y reviendra, à lenvoi de personnel de l « Unité Nationale dIntervention Rapide » (UNIR) placée sous la responsabilité de la DNUS et couvrant habituellement les urgences sur le territoire français. Sur le terrain du développement, sa présence se résumait à lenvoi des Volontaires de Missions Internationales (VMI) formés conjointement par la DOS et le CICR ou la FICR pour lesquels ils travaillaient. Aussi, placés sous la responsabilité du CICR et de la FICR, les VMI ne requéraient pas la mobilisation de plus de trois salariés au sein de la DOS.
On comprend donc que faute dun budget consacré et de personnel chargé de la coordination, la stratégie internationale de la CRF était inexistante et dépendait de celle définie par le FICR et le CICR.
Oui je vois, mais quest ce qui justifie la rupture, je veux dire avant il y avait la stratégie de la fédé et là
il a peut être eu une volonté de définir sa propre ligne, aussi dailleurs peut être par rapport aux autres ONG.
Oui
enfin, cest pas tellement une question de la fédé ou pas, cest surtout quavant on était pas
il ny avait pas de stratégie, on était sur le terrain de quelques opérations pour être en bilatéral mais il ny avait pas de politique de programmes bilatéraux construits
Et pas de vrai budget.
Non, des petits budgets quon montait au coup par coup, selon les demandes, selon les besoins et
il ny avait pas de stratégie et
bon après
il faut la structurer, il faut une direction, il faut aller chercher les financements, des gens qui bossent, des chargés de programme ect
Cest en 1997, date de lélection de M.Gentilini à la présidence de la CRF, que la stratégie internationale de la CRF va connaître un tournant. Il ne sagit pas ici de présenter la personne du président tel lhomme providentiel, celui qui, seul, à transformé la CRF. Ce changement intervient sans nul doute dans une configuration complexe, impliquant de multiples acteurs qui lont rendu possible. A cet égard on peut noter que plusieurs membres de la CRF déploraient déjà bien avant 1997, le manque de moyens et de stratégie de laction internationale de la CRF. Ici, le processus de spécialisation des fonctions dont va émerger la DOI napparaît pas tant comme le produit dune diversification des activités encouragée par les contributions financières de lEtat et les attributions statutaires quil offre à la CRF. Cette spécialisation correspondrai davantage à la rencontre des volontés des VMI soucieux dêtre reconnus en tant que membres CRF sur le terrain au milieu des équipes dautres sociétés nationales déjà largement actives, de celles des salariés de la DOS cherchant à être un service équivalent aux autres, et, enfin celle du Président souhaitant fonder un véritable service opérationnel des actions internationales pour des raisons quil est intéressant délucider ici. En effet, plus directement en rapport avec notre point, il faut préciser le rôle du Président dans la création de la DOI tant celui-ci est révélateur du rôle prégnant que joue la « gouvernance » de la CRF, correspondant en cela au schéma typique des rapports de travail au sein des entreprises.
Le Président Gentilini a notamment contribué à la fondation de la DOI par la mobilisation de ses ressources antérieures le portant à nourrir un intérêt particulier pour linternational. Son activité médicale spécialisée sur les maladies tropicales, ses engagements associatifs en la matières sont autant dattributs qui lui ont permis de définir une stratégie internationale de la CRF orientée principalement vers la lutte contre le Sida ainsi que les maladies liées à leau et les besoins quelles appellent. En plus de la définition de cette stratégie, le rôle central du Président est notable dans le cadre des interactions quotidiennes au sein de la DOI que ce soit par sa nécessaire signature sur les « ordres de missions », ses appels téléphoniques fréquents au directeur de la DOI qui doit alors se rendre dans son bureau. Citons encore cet extrait dobservation :
A loccasion dune réunion de travail au sein de la DOI, il est question de discuter du recrutement dun chargé de programme Sida, poste alors vacant. Très impliqué, chaque membre de léquipe y va de sa réflexion finissant par saccorder sur un profil type : une personne ayant une solide expérience de terrain.
Mais le directeur rappelle que le Président souhaiterait que cette personne soit un médecin ce qui ranime le débat qui soriente doucement et à mots couverts vers une revendication dautonomie de la DOI par rapport au Président. Et le directeur de conclure :
« Quand on est dans la direction du Président, il y a certaines obligations, certaines concessions à faire et
cest parfois difficile de concilier la vision de la gouvernance avec le pragmatisme mais
Il faudrait un jour quon puisse faire quelque chose dans cette maison sans monter dans les tours.»
Par ailleurs, la création de la DOI introduit, certainement plus que les autres directions, un aspect entrepreneurial au sens de concurrentiel avec les autres organisations investies sur le terrain international. En effet, là où, au niveau national, la CRF jouit dune immense notoriété auprès du public et dune constante reconnaissance auprès des pouvoirs publics, au niveau international, sa place reste à faire. Précisons que cette concurrence ne vise pas les terrains dintervention en les comparant à des parts de marché, mais fait référence à la compétition pour la visibilité auprès des donateurs privé ou bailleurs institutionnels.
Depuis longtemps, les Société Nationale de Croix Rouge espagnole, scandinave et américaine, ont une stratégie de développement de lactivité internationale très marquée et disposent à cet effet de moyens considérables. Mais, le Président Gentilini, là encore suivi par les membres de la CRF, convaincus de la capacité opérationnelle de lune des Société Nationale les plus riches, nentendaient pas continuellement déléguer cette tâche en confiant les VMI au CICR et FICR et en envoyant les fonds issus des dons du public. Effectivement, chacun pensait que limportance de maintenir une image dhonnêteté et defficacité auprès du public exigeait de mettre directement en oeuvre largent de leurs dons.
Sagissant maintenant du recrutement des personnels, les ressources du Président ne sont pas pour rien dans la formation de léquipe DOI. Ce dernier, grâce à ses relations dans le monde associatif, a en effet composé un service dont les profils, les principes de classement des activités et des statuts reprenaient ceux des autres ONG. Certes, dans les premiers temps, les postes de responsables ont été confiés à des VMI membres CRF devenant alors salariés permanents de la DOI. Mais cette phase fut transitoire parce que sils avaient une solide expérience de terrain et une maîtrise de lunivers CRF, CICR et FICR, en revanche, la connaissance des procédures de recherche de fonds auprès des bailleurs institutionnels et lhabitude de la coordination des équipes à partir du siège leur étaient étrangères. Cest pour cette raison quaprès avoir nommé un directeur issu du milieu ONG à la tête de la DOI, le président à de plus en plus élargi le recrutement aux salariés issus dautres ONG comme ACF, Première Urgence, OXFAM
Ces personnels, rompus aux démarches de recherche de fonds, à la conduite de programmes internationaux à distance, ont donc été de plus en plus présent en tant que « chargé de programme », à la tête de « desks » classer selon leur « thématique » ou par zone « géographique », autant de catégories de classement propres au milieu ONG. Cest ainsi que fut crée les postes de « desks » « Sida », « Premiers secours et préparation aux catastrophes », « Afrique », « Moyen Orient et Asie », « Amérique et Océan Indien ». Lextrait dentretien suivant illustre assez clairement la progressive structuration de la DOI autour des normes et personnels issus dautres ONG.
Il y a peut être autre chose avec la création de la DOI, cest lapparition des programmes de développement qui existaient certainement moins avant ?
Oui tout à fait, cétait pas des programme très longs, cétait vraiment du coup par coup, il y avait pas de suivi, on faisait des formations premiers secours, on venait, on faisait la formation pendant 15 jours, on repartait et il ny avait pas de suivi
donc
parce quaussi il ny avait pas de moyens
un programme de développement ça veut dire
un délégué sur place, un suivi au siège
un bailleur de fond
moi quand je suis partie en 97, cétait un programme DIPECHO, cétait déjà un truc absolument extraordinaire quon ai réussit à obtenir un financement de la CE, parce que cétait très rare quon fasse ces démarches là, quon demande de largent auprès des bailleurs.
Oui, la recherche de fonds auprès des bailleurs ça existait peu avant.
Non ça existait pas, parce quencore une fois cétait pas une activité très
proactive tu vois, enfin, quelque chose que lon cherchait à développer [
] petit à petit quand on a décidé de développer lactivité, ça voulait dire aller chercher des fonds, donc il y a D.C qui est arrivé pour la recherche de fonds
euh
ça veut dire avoir des chargés de programmes pour soccuper des programmes et qui les suivent à Paris
tout vient en même temps si tu veux
voilà
clac clac
tu veux faire des programmes donc tu cherches les fonds, tembauche quelquun pour ça, quelquun pour le suivi, et petit à petit
tes obligé de te mettre dans les normes quoi.
Et justement qui est ce que vous avez embauché pour les desks développement parce que les bénévoles du réseaux ou VMI avaient peut être pas lexpérience suffisante en matière de programmes longs ?
Euh
il y a eu différentes sources, il y a eu des anciens VMI qui revenaient du terrain qui avait une bonne expérience avec la fédé ect, comme I.P qui est toujours là, qui avait déjà une bonne expérience, et
puis ça cétait la première politique et la deuxième cétait effectivement douvrir à lextérieur, donc on a aussi des gens qui sont venus dautres ONG comme ACF, comme Premières Urgences etc, quon eu un poste ici parce quils avaient le même type de poste là où ils étaient avant
donc au début, ça a été plutôt des gens Croix Rouge puis
et plus on sest élargi, plus on a élargi le recrutement
On peut remarquer quavec la fondation de la DOI la CRF devient véritablement une OSI avec laquelle il faut compter, capable, au même titre que ses homologues, de mobiliser des ressources et dintervenir sur le terrain de lurgence et du développement à linternational.
A lissu de cette exposé, on voit bien émerger le nouveau décor de la CRF comme entreprise savamment structurée, aux comptes rigoureusement vérifiés et avec un personnel salarié habilement managé. Mais la rationalisation de lorganisation de la CRF par la spécialisation des fonctions ne lui suffit pas à être un acteur qui compte auprès des OSI, encore faut-il rationaliser les procédures et former le personnel à des tâches de plus en plus technicisées pour être accepté par ce milieu.
2.2. La technicisation des tâches:
Cette logique entrepreneuriale, allant avec la valorisation croissante du critère d « efficacité » tant managériale quopérationnelle, commande la structuration dun dispositif de réponse aux urgences différent de celui qui existait. Il sensuit la création des « Emergency Response Unit » (ERU) reposant sur des procédures standardisées et le recrutement de professionnels de différents secteurs dactivité.
2.2.1. La standardisation des procédures : la fondation des ERU
Une fois la DOI fondée en 1997, les programmes de « développement » étaient définis et pris en charge par les desks qui employaient des Délégués CRF autonomes du CICR et de la FICR. Toutefois, la rationalisation des services destinés à intervenir en situation durgence internationale, demanda davantage de temps et fut au centre de tensions entre la FICR, lUNIR et la CRF.
On vient de le voir, avant la création de la DOI, le personnel CRF envoyé pour les mission de développement était très réduit et ne sollicitait qun nombre limité de personnel salarié au siège. En revanche, celui intervenant en situation durgence était lui nettement plus nombreux et sous la responsabilité dun service très structuré. LUNIR, sous la responsabilité de la DNUS, consistait en un réseau de bénévoles CRF spécialisé dans les urgences nationales et coordonné par un service précis du siège. Ils se sont notamment illustrés lors des inondations dans le Var ou de lexplosion de lusine AZF. Par ailleurs, ils étaient ceux auxquels on faisait appel lors des urgences internationales et même après la fondation de la DOI, la réponse aux urgences internationales était de leur ressort.
Néanmoins, assez rapidement, des discordes vont apparaître opposant la FICR ayant défini une procédure de réponse aux urgences standardisée, et lUNIR voulant préserver son autonomie en évoluant sur le terrain sans sy référer. Aussi, sous la pression de la FICR et la volonté manifestée par les salariés de la DOI de voir se concrétiser un dispositif coordonné pour les urgences, lUNIR sera dissoute laissant place aux « Emergency Response Unit » (ERU). Cet extrait dentretien de la salariée précédemment en charge du desk « préparation et réponse aux urgences » évoque assez bien ces différentes contraintes. Par exemple, lorsquelle conditionne la capacité et la légitimité de laction durgence à la mise en place des ERU : « si on veut être présent sur le terrain de lurgence », « si on veut être admis à faire de lurgence ». Ou encore, lorsquelle accorde le primat à la stratégie décidée par le Mouvement : « le mouvement veut une réponse coordonnée », « il faut quon passe par les règles définies par le Mouvement ».
Si on veut être présent sur le terrain de lurgence, bah, il faut quon ait des outils pour ça, lUNIR qui est en fait
enfin
qui a été dissoute entre guillemets, ou qui sest auto dissoute
enfin bon, à un moment donné, lUNIR nexistait plus, il y avait les gens qui étaient là mais lentité nexistait plus
et puis
euh
la compréhension aussi du fait que le mouvement veut une réponse coordonnée,
quil y a toute une stratégie opérationnelle qui se met en place aussi au niveau du mouvement Croix Rouge et
que si on veut
à un moment donné aussi être admis entre guillemets à faire de lurgence, il faut aussi quon passe par les règles qui sont définies par le Mouvement
donc lidée cest de monter lERU.
De plus, le discours sur lUNIR tenu a posteriori par cette même personne est assez significatif du sentiment, dailleurs partagé par les salariés de la DOI, dinadaptation de lUNIR aux canons de lurgence internationale. Ainsi, on peut relever que ce discours insiste sur les caractères damateurisme : « épisodique », « bande de cow-boys », et de manque : « ne parle pas anglais », « ils ont pas la formation qui va pour », « ils nont pas la connaissance des procédures et mécanismes ». Notons quen regard de ces discours, nous envisagerons aussi les frustrations ressenties par les anciens membres de lUNIR lorsque nous aborderons les formes de rejet du mimétisme entrepreneurial.
Oui parce que lUNIR avait peut être montré ses limites, ses carences ?
Oui enfin, lUNIR cétait très ponctuel, cétait le Rwanda, je suis pas sûre quon est envoyé lUNIR comme telle en Iran, cétait des gens de lUNIR mais pas lUNIR
enfin bon
cétait épisodique
si tu veux, on part se faire remarquer parce que on est arrivé comme une bande de cow-boy dont la moitié parlait pas anglais (rires) enfin
voilà quoi.
Et tout ça, ça fait vraiment la différence par rapport à lUNIR.
Oui, si tu veux, lUNIR ça fonctionnait
un peu pareil dans le sens où
bon
ils ont du matos quils rassemble, les mecs se préparent, ils prennent lavion, ils atterrissent et vas y que jme démerde quoi
mais par rapport aux ERU, ils ont pas la formation qui va pour, ils ont la formation technique mais pas la formation sur le reste, ils ont pas la connaissance de la procédure et des mécanismes de coordination de la fédé
euh
ils sont pas anglophones donc euh
voilà
Ces jeux dinfluences se cristallisent, on le voit, sur des enjeux techniques qui montrent bien limportance accordé non plus seulement au savoir-être de lengagement, mais au savoir-faire de la compétence. Celle-ci se décline sur le registre de la capacité à effectuer certaines tâches et celui de laptitude à suivre des procédures standardisées. Aussi, définis par la FICR, la prégnance de ces deux registres, lui permette daccéder à une position déterminante dans la conduite des opérations durgences internationales dont les opérateurs sont les Sociétés Nationales.
Dabord, il est clair que lactivité des équipes durgence humanitaire se spécialise en domaines dexercice aux contours bien délimités dont les tâches atteignent un degré de technicité extrême. On compte par exemple trois équipes, médicale dite « Med », logistique dite « Log » et de traitement des eaux dite « Watsan ». A limage de lactivité médicale, celle les deux autres équipes repose sur des tâches techniques exigeant, pour les « Log », la maîtrise de formulaires types (« dédoinemenent » en aéroport, « traçabilité des marchandises » en stock, comptabilité et « avance financière ») et de matériel technologique de pointe (mise à disposition dun ordinateur lap top, camera vidéo, « valise sat » avec radio et téléphone satellite/Internet « Thuraya »). Les « Watsan » mettent en uvre des procédés chimiques dépuration de leau (« chlorage », « floculation ») et des procédés techniques (« pompage », « rampe de distribution »
). Il en résulte que, par un effet de division et de technicisation de lactivité impliquant lusage dun vocabulaire précis, celle-ci est de moins en moins accessible au profane, même dévoué et doté dune expérience de terrain. Cet extrait dentretien avec la même chargée de programme laisse clairement comprendre lenjeu de conciliation du savoir-faire « des dédouanements, [
] du fret aérien » et du savoir être quand elle affirme « cest pas parce quils ont plus de diplômes quils sont moins engagés ».
Oui, toutes les nouvelles tâches dont tu me parlais.
Oui, en logistique en particulier. Avant, la logistique à lUNIR cétait de la logistique de terrain
donc si tétais pas un professionnel de la logistique mais que tavais une bonne expérience de terrain en France, sur les interventions, bon il y avait des choses que tu savais faire quoi. Là, par rapport à ce que la fédé demande, cest plus la même chose, cest de la logistique aéroport, il faut savoir faire des dédouanements, il faut savoir
faire du fret aérien
cest un petit peu plus complexe
Après, je pense que lengagement
il est le même, cest à dire que des gens qui viennent chez nous au ERU, cest pas parce quils ont des diplômes en plus quils sont moins engagés que les autres.
La mise en place des ERU se traduit également par une standardisation accrue des procédures sous la tutelle de la FICR qui après avoir été leur concepteur, est dorénavant déclencheur, coordinateur et contrôleur des opérations.
En effet, la FICR est aujourdhui chargée de lévaluation des besoins sur le terrain via le « Fédération Assesment Coordination Team » (FACT), déclenche alors l « Appeal » qui demande la mobilisation des opérateurs Sociétés Nationales, suit létat des stocks de matériel disponible sur la « table de mobilisation », et coordonne les équipes sur le terrain en organisant des conférences téléphoniques entre les sièges des différentes Sociétés Nationales impliquées. Cet extrait dentretien donne la mesure du rôle de la FICR auprès des salariés des Sociétés Nationales.
« Oui ça
aujourdhui quand tu regardes une opération de la fédé, même si cest toujours chaotique et que tas toujours des gap et que
ça marche jamais parfaitement, tas quand même si tu veux
une machine.
[
]
Si cest moins vrai pour la création de la DOI, ici avec les ERU il y a une place de la fédé qui veut aussi agir sur le dispositif durgence.
Oui, oui
lobjectif de la fédé en créant les ERU cest davoir un outil qui soit standard de façon à optimiser la coordination et la coopération sur le terrain
euh
donc il y a le format ERU en se disant, si une équipe française est déployée, il y a une coordination quest faite pour quon travail ensemble avec dautres unités avec un matériel standards, il y a laspect qualité en se disant si il y a une réponse qui est donnée de la fédération, quelle soit donnée via les autrichiens, ou les français ou les espagnols, elle doit être de la même qualité, et puis au delà de loutil ERU il y a un certain nombre de procédures opérationnelles qui font que la fédé va pouvoir coordonner sur le terrain, parce que la fédération, vraiment son rôle cest la coordination, comme ça elle sait exactement ce quelle peut attendre de chaque équipe. »
2.2.2. Lélargissement du recrutement: la formation des ERU :
En réponse aux mutations que connaît lactivité humanitaire, la nécessité dun renouvellement du personnel va simposer aux yeux de la FICR et des salariés du siège en charge du recrutement et de la formation des équipes de terrain. Ainsi, une nouvelle politique de recrutement émerge, élargissant son vivier au delà des seuls membres CRF, et complétée par un stage de formation.
Avant dêtre baptisés membres des ERU conjointement par la FICR et la CRF apposant toute deux leur griffe au bas dun diplôme qui sanctionne dix jours de formation, le personnel doit être recruté.
Létape de recrutement concerne uniquement le chargé de programme et son assistant qui vont sélectionner, parmi plusieurs dizaines de CV, une vingtaine de candidats auxquels ils proposeront gratuitement dix jours de formation. A lissu de cette formation, les membres ERU seront, lors dune intervention durgence internationale et suivant leur disponibilité, mobilisés dans des équipes de leur spécialité (médicale, logistique, traitement des eaux) pour une durée de quinze jours (les équipes se relayant sur une période de deux mois) et avec pour seule ressources financières une indemnisation journalière (« per diem ») de 50 Euros. Durant ces quinze jours, leur mission est préalablement définie et doit valider un certain nombre dobjectifs précis requérant la maîtrise technique des tâches suscitées. Dès lors, les salariés du siège, acquis à lidée dune nécessaire optimisation de lopérationnalité et anticipant les exigences de la FICR, vont recruter des profils plus professionnel, critère ici certifié par la détention de diplômes techniques reconnus bien plus que par lexpérience de terrain ou, a fortiori, par lappartenance au « réseau ». Rapportant les propos de la chargée de programme, lextrait dentretien suivant témoigne dune perception, commune aux salariés du siège, favorable au recrutement de diplômés pour plus « defficacité » mais aussi sous la pression de la FICR.
« Je crois quil y a des profils un petit peu plus professionnels en terme technique, parce que les ERU cest probablement plus technique
enfin, il y a des objectifs si tu veux que ce soit santé, log, eau et assainissement qui sont des objectifs plus techniques que ce quétait lUNIR qui était une unité dintervention
elle était plus ou moins polyvalente, qui dit polyvalent dit moins spécialisé
il y avait des gens spécialisés sur ceci ou cela mais euh
en même temps
cétait pas forcément des professionnels
[
]
Là cest vrai que dans les ERU, on est plus exigent sur les CV donc même si on laisse une porte ouverte à des gens quont pas forcément beaucoup de bagages, de diplômes, de qualification professionnelles ect
euh
cest vrai quen majorité ont demande des gens quont des diplômes. En médical ça semble évident, mais en logistique aussi, en eau et assainissement aussi
parce quon fait des choses un peu plus perfectionnées, quil y a un degré dexigence
de la fédération qui est assez élevé
»
Certes, la plupart des candidats au départ retenus sont « issus du réseau » du simple fait que la renommée du dispositif ERU est encore assez limitée hors de la sphère CRF et que la promotion en est principalement faite auprès des secouristes des Délégations Départementales de la CRF. Pourtant, il est notable quà lintérieur même du « réseau », les personnes incitées à prendre part aux ERU et admise en leur sein soient les plus diplômées. Il sagit par exemple des membres CRF ayant suivi une formation spécialisée de logistique générale ou de traitement des eaux, ou bien ayant une expérience professionnelle au sein dune entreprise dans ce domaine. Par ailleurs, dautres profils sont recherchés en dehors du « réseau » par la diffusion dannonce et réseau dinter-connaissance au sein dONG comme MSF, MDM ou détablissements comme lInstitut Bioforce Développement se définissant comme « un centre de formation, dorientation et dexpertise de la solidarité internationale et locale » et proposant entre autre des formations en logistique et traitement des eaux. Enfin, la CRF encourage aussi ladhésion de professionnels ayant une formation de haut niveau en entretenant des partenariat avec de grandes entreprises comme Véolia dans lesquelles la chargée de programme « Préparation et Réponse aux Catastrophes » est invitée à présenter les ERU aux salariés. Soulignons quune fois admis au sein des ERU, ces personnels nont aucune obligation, même sils le font souvent, dadhérer à la CRF en se présentant à leur Délégation Départementale.
Après cette étape de recrutement des ERU, lobservation de leur formation et formation continue est loccasion de saisir, en situation, les références cognitives et pratiques transmises aux personnels ainsi que le rapport de force, favorable à la FICR, pour la définition légitime de ces références.
Lextrait dobservation suivant montre le travail de transmission des valeurs et du dispositif institutionnel du Mouvement destinée par conséquent à dautres personnes quà celles « issues du réseau ». On constate aussi linculcation de savoir-faire technique précis et pour initié ce qui indique que le niveau de connaissance attendu est élevé. Enfin, la présence permanente dun représentant FICR lors des présentations et de lévaluation indique que sil y a élargissement du recrutement, il se fait sous le regard vigilent de la FICR et au service du nouveau dispositif ERU.
Après avoir été sélectionnés, les 20 candidats sont invités, au frais de la CRF, à suivre une formation de 10 jours dans un établissement de formation des cadres de la CRF à Modane en Savoie. Parmi les candidats, 2/3 sont issus du réseau, 3 sont VMI anciens de lUNIR, les autres membres CRF sont professionnels du commerce ou de la logistique, dans le 1/3 non-membre CRF 2 avaient travaillé sur le terrain avec des ONG, et 5 étaient simplement dotés dun diplôme de logistique.
Ici, le stage de formation est destiné à la composition des équipes de ERU logistique. Afin datteindre cet objectif, la chargée de programme « Préparation et Réponse aux Catastrophes » a élaboré un « conducteur » programme de travail quotidien formalisé dans un tableau qui divise la journée en tranches horaires à lintérieur desquelles sont prévus les « thèmes », « objectifs », « technique pédagogique », « matériel » et « animateur ».
Très dense et rythmé les 2 premières journées visent à la favoriser lentente des candidats et la connaissance du fonctionnement de la CRF, DOI, ERU, FICR, CICR. Les activités alternes présentations orales des formateurs, exercices pratiques sur feuille et en plein air. Les présentations sont assurées, en français, par la chargée de programme et, en anglais, par le responsable des ERU au niveau de la FICR.
Les jours suivants, le contenu très technique des présentations méchappe largement. Il sagit de maîtriser les tâches logistiques « en mission » impliquant le matériel informatique et de télécommunication, comptabilité, traçabilité marchandise, gestion des transports aériens
Les activités suivent le même schéma pédagogique et les animateurs sont ici lassistant de la chargée de programme étant diplômé en logistique et une responsable logistique au niveau de la FICR.
Les derniers jours seront consacrés dune part à un grand exercice de mise en situation requérant lapplication des connaissances par équipe, dautre part à un retour sur expérience animé par les psychologues de la CRF.
Enfin, arrive le moment de la décision daccepter ou de refuser les candidats. La chargée de programme, lassistant, les personnels FICR et les psychologues, après sêtre réunis chaque soir pendant 2 heures pour lévaluation des candidats en remplissant une grille dévaluation prévue à cet effet, se réunissent une dernière fois pour la sanction finale.
Dans le discours qui suit, on retrouve à nouveau la question de conciliation du savoir-être et du savoir-faire avec le maintien de lengagement que lon fait valoir par la faible rémunération qui « paye peanuts » et la transition des personnels vers plus defficacité et de « compétences professionnelles ». Cependant, on y constate également lexclusion de certains profils correspondant souvent aux anciens membres de lUNIR refusés dans les ERU principalement sous la pression de la FICR.
« Oui, cest leur démarche, ils viennent pas tous du réseau mais il y en a du réseau aussi, et après ils viennent, ils en veulent euh
même si eux cest des professionnels, quand ils partent, ils partent pas, cest pas des salariés, ils partent 15 jours, ils sont défrayés bon
voilà quoi
pour beaucoup ça payent, ça payent peanuts
Donc je pense que la qualité de lengagement na pas changé
maintenant cest vrai que la porte a été un peu moins ouverte à des gens quétaient très engagés, quavaient plein de qualités mais
qui navaient pas de compétence professionnelle.
[
]
Cest comme ça quil y en a peut être quont dû partir
ceux de lUNIR par exemple
Oui, je pense que sur le premier stage log, bon moi jy étais pas mais, il y a beaucoup de personnes quon été boulées à la fin du stage, entre autre par la fédération qui estimait quils navaient pas le niveau
et cest des gens, pas forcément que de lUNIR hein mais des gens du réseau à qui on a
à qui on a fermé cette porte là quoi
maintenant linternational cest peut être pas fait pour tout le monde non plus donc
faut bien faire des choix
»
Cette analyse décrit bien les points de passage entre les modèles associatif et administratif ou entrepreneurial lorsque le premier cherche chez les seconds des principes dorganisation des choses et des personnes ou des principes de rationalisation de son activité dans un contexte concurrentiel. Ainsi, on a pu constaté un phénomène de progressive professionnalisation par un processus de mimétisme étatique et entrepreneurial en mettant laccent soit sur les formes dadhésion des personnels à ce processus, soit sur leurs efforts de conciliation des pôles étatique, entrepreneurial et associatif.
Mais, force est de constater que ce mouvement de professionnalisation ne va pas sans susciter de tensions au sein dune organisation qui se définit encore largement comme une association.
La contradiction des membres associatifs :
La forme associative sera ici envisagée, suivant la distinction wébérienne, non pas comme une « société », « groupe fondé par un contrat » et rationalisé à limage de lentreprise ou de lEtat, mais comme une « communauté » définie par M.Weber comme un « groupe fondé sur un processus dappartenance subjective et affective ». Aussi, pour surmonter les contradictions issues de la rencontre de ces deux idéaux-types antagonistes, les membres associatifs vont mettre en uvre de stratégies de préservation de la distinction associative.
En effet, quil sagisse de la valorisation des spécificités de la vie associative au quotidien (§3) ou dune réaction de rejet et de stigmatisation de lextérieur visant à renforcer lidentité associative (§4), ces stratégies sont prégnantes.
La vie associative :
La vie associative repose sur un imaginaire qui lui est propre, fondé sur les notions de dengagement ou de participation. Cet imaginaire véhicule limage dun monde de léchange, il valorise le dévouement à la cause, ici humanitaire, plutôt que la stricte observation du règlement, et, consiste donc en une euphémisation des contraintes structurelles.
On peut définir le « monde » associatif comme un espace où « le mode principal de relation est en effet, dans ce monde [civique], lassociation qui permet de faire dune multitude dindividus une seule personne. Pour faire un collectif, il faut rassembler, regrouper, réunir, unifier. [
] Les personnes doivent sy maintenir constamment en éveil pour échapper au morcellement et conserver un caractère collectif ».
Pour pallier le risque de morcellement dû à la rationalisation bureaucratique, les membres associatifs vont entretenir la cohésion à travers diverses technologies organisationnelles instaurant « lenchantement du décloisonnement » , ainsi que des mythes organisationnels fondant une « communauté daction et de croyance »
3.1. Assembler par le décloisonnement :
Les technologies organisationnelles, entendues comme ensemble de méthodes dencadrement du personnel, visent ici, par la gestion de leurs relations de proximité et distance, à les réunir dans « lenchantement du décloisonnement ». Cet imaginaire repose sur un ensemble de dispositifs de dédifférenciation entre espaces de vie avec la personnalisation des relations, ou entre niveaux hiérarchiques avec leffacement des distinctions hiérarchiques.
3.1.1. Décloisonnement privé/ professionnel : lengagement
Dabord, cristallisant dans des pratiques admises la valeur légitime de lengagement, le décloisonnement entre vie privé et vie professionnelle des membres associatifs est observable à différents niveaux. Avec lentré, le maintient et la motivation de lengagement, on peut distinguer trois étapes correspondant au parcours militant des membres, à leur « carrière militante ». Daprès O. Fillieule, cette notion permet de « comprendre comment, à chaque étape de la biographie, les attitudes et comportements sont déterminés par les attitudes et comportements passés et conditionnent à leur tour le champ des possibles à venir, restituant ainsi les périodes dengagements dans lensemble du cycle de vie. La notion de carrière permet donc, au-delà de la pétition de principe, de mettre en uvre une conception du militantisme comme processus. ». Lauteur ajoute en outre que le concept de « carrière » renvoie à une dialectique entre histoires individuelles, ici des membres associatifs, et institutions, ici lorganisation de la CRF, ces deux éléments façonnant lautre en retour.
Lentré dans une association humanitaire est souvent stimulée par une affinité élective fondée sur une longue pratique de militance que ce soit à travers linvestissement de soi dans une croyance religieuse ou par ladhésion à une autre association. Il se peut également que laffinité avec la vie associative se place moins sur une pratique de militance que sur un réseau dinter-connaissance renvoyant alors à des relations amicales ou amoureuses au sein de lassociation. Il reste que, dans les deux cas, il sagit dune entré dans la vie associative sur la base de pratiques personnelles antérieures pouvant ou non trouver à se prolonger en pratique professionnelle. Lextrait dentretien suivant, passé avec lassistant dun chargé de programme, illustre brièvement le processus au terme duquel il a franchit le pas.
« Mais pourquoi tes rentré à la CRF ?
Ben
au départ, cest vrai que je suis pas médecin ou infirmier donc cest pas ça, mais y en a beaucoup qui ne le sont pas. En fait javais un pote qui étais à la CRF, il me racontait, ça avait lair vraiment sympa, lambiance, les inter tout ça
alors moi je m suis dit pourquoi pas tu vois.
Oui je vois.
Alors, jai adhéré
Bon au départ cétait aussi comme ça, pour me faire des amis et puis petit à petit bon jai dabord passé mon AFPS et puis
les autres brevets de secourisme
et tu vois jai rencontré ma copine à la CRF, et jai même trouvé mon boulot, cest te dire si ça a marché (rires). »
Dans lhypothèse où la conversion de lengagement privé au professionnel sopère, ce qui nest pas le cas de tout ceux qui entre en humanitaire mais ce qui est le cas de beaucoup de ceux qui y restent, la socialisation primaire conditionne largement la socialisation secondaire. Effectivement, les membres associatifs, une fois salariés de leur structure, en attendent les mêmes rétributions symboliques quauparavant, à savoir les bénéfices de lengagement, « lintéressement au désintéressement » sur lequel on reviendra dans un instant. Lentretien de rapports très personnels entre collègues de travail est notamment un de ces bénéfices, mais encore faut-il maintenir lengagement ou en avoir limpression pour en bénéficier. Ici, la personnalisation des relations apparaît donc, en plus dun bénéfice, comme une technologie organisationnelle gage de lenchantement du maintient de lengagement des débuts et de mépris pour « les structurations sociales extra-individuelles ».
Aussi, dans le cadre des activités ordinaires de la vie associative quotidienne, on relève plusieurs technologies organisationnelles qui favorisent cette personnalisation des relations. Par exemple, le code vestimentaire ne prescrit aucune tenue formelle, et le port du jean basket, tenue quotidienne et personnelle sil en est, est largement répandue. De plus, le mode de communication avec la généralisation du tutoiement, lusage de la bise pour se saluer et la fréquentation des collègues en dehors des heures de travail, contribuent à nier la distance souvent de rigueur dans les autres univers professionnels. On notera que ces usages décontractés, peuvent être appelés technologies organisationnelles dans la mesure où, loin de correspondre à une absence de règlement, ils sont implicitement prescrits par des dispositifs contraignants tel que lon sexpose à la sanction sociale si lon vient à y contrevenir. Par exemple le vouvoiement ou le port de vêtements précieux choque, dérange et suscite des réactions visant à rétablir la décontraction. Ainsi, sil ny a pas dusages formels, il y a bien des formes admises.
Enfin, la valeur légitime de lengagement prescrit des règles conduisant parfois à la poursuite des heures de travail au delà des heures de bureaux, parfois même toute la nuit en situation dopération durgence. Ce rapport au travail est souvent assez coûteux puisquil amène, avec le temps, à sacrifier dans une large mesure sa vie personnelle. On remarque ainsi que peu de salariés CRF on une vie familiale stable, ni même de conjoint stable. Or, ces démarches coûteuses appellent, en contre-partie, des rétributions symboliques plus importantes. Ainsi, lentretien de la flamme est rendu possible par la motivation de lengagement à travers la manifestation daffects sur le lieu de travail. Il nest pas rare, par exemple, que lors dune mission éprouvante où sexprime des doutes, ou au retour de mission lorsque sexprime la déception, les membres se rassurent et sécoutent sur des registres très intimes. On constate dans les discours que ces technologies de motivation de lengagement sont opérantes lorsque cette atmosphère et ces rapports de proximité sont mis en avant parfois pour justifier certains coûts. Il est à noter que ces éléments du discours éclairent assez précisément la notion suscitée d « intéressement au désintéressement ». Cet extrait dentretien en est un exemple :
Tu faisais quoi avant ?
Je moccupais de la logistique chez Orange.
Et tétais mieux payé?
Ben ouais
tu sais quelle différence y a entre les deux salaires à la CRF et chez Orange ? Il y a 600 euros de différence
aujourdhui je suis payé 1300 Euros alors que là bas je faisais des fois 2000 Euros...Mais dis toi en plus que jai négocié, cest plus que les autres assistants en général.
A ouais ! Quand même. Et tes quand même venu à la CRF ?
Ouais mais si tu veux cest incomparable, j veux dire ici cest quand même autre chose
tas vu. Là bas je memmerdais, ici ça a du sens ce que je fais
et puis lambiance entre collègues et même avec les supérieurs, jaurais jamais fais tout ça avant.. .ici on est comme des potes, tout le monde est sympa.
3.1.2. Décloisonnement hiérarchique : la participation
De la même façon que le décloisonnement privé/professionnel est le pendant de la valeur dengagement, le décloisonnement hiérarchique est le pendant de la valeur de participation.
Les technologies organisationnelles qui signent la déstructuration des rapports hiérarchiques se manifestent au quotidien dune façon analogue à celles que lon a décrite au dessus au sujet de la confusion privé/ professionnel, mais à la différence notable quelles sont étendues aux relations de supérieurs à subalterne. Par exemple, il est normal dembrasser son supérieur pour le saluer (entre homme et femme), de le tutoyer. Précisons toutefois que ce type de rites dinteractions valent dautant plus pour la DOI, perçue comme un service récent, dont le personnel est plutôt jeune et dynamique.
Là encore, toute une série de dispositifs et déléments de discours attestent de la réalité de ce décloisonnement en mettant en valeur les moments où les rapports de pouvoirs seffacent effectivement et soulignant ainsi la spécificité des rapports de travail dans le monde associatif.
Par exemple, la déstructuration des hiérarchies est observable dans le dispositif dagencement spatial du lieu de travail tel quil est conçu au siège. En effet, la répartition des bureaux, loin de suivre une logique hiérarchique, suit une logique sectorielle en plaçant à proximité les bureaux relevant dun même service. De plus, les portes des bureaux restent la plupart du temps ouvertes avec une circulation assez libre des employés entre chaque espace. Notons quici le décloisonnement hiérarchique se réalise par le décloisonnement physique, au sens de retirer les cloisons.
Aussi, les salariés nhésitent pas à manifester leur proximité avec leurs supérieurs :
Alors que lassistant vient de terminer une conversation avec la chargée de programme :
« Je pensais pas quun jour je dirai bisous à mon boss, ten connaît beaucoup toi des jobs ou tu parles comme ça à ton boss ? »
Dautre part, en euphémisant lexistence des de rapports de pouvoirs dans le cadre déchanges dinformations plus strictement professionnelles, les salariés entretiennent une certaines représentation des rapports professionnels qui sortent des cadres officiels pour sinscrire dans des cadres inter-personnels.
Cet extrait dentretien avec une salariée de la DOS en est un exemple :
« Oui je vois.
On essayait que ça ne se fasse pas vraiment dune manière officielle, de le dire à Sylvie ou écrire tout ça, au président
parce que euh
notre rôle quand on va là bas cest pas non plus de dénoncer Michel. Moi de toute façon, Michel je le connais depuis Sangatte et donc si il y a quelque chose je vais le voir directement, je lui dis tu sais jai vu ça, ça ne me regarde pas mais jai constaté ça , est ce que tas une explication
Sinon nous, on a aucun pouvoir sur Michel et sur la gestion de son équipe
cest lui. »
Dans lextrait dobservation suivant leuphémisation passe par la dérision :
Dans des contextes éprouvants, dans lesquels il sagit de donner des preuves defficacité, par exemple dans urgence où laction est évalué à laune de sa rapidité, ou bien dans des moments de négociations avec des interlocuteurs institutionnels, les supérieurs jouent de leur statut pour contraindre laction des subalternes afin de lorienter dans un sens précis. Ce faisant, ces derniers leur adressent parfois explicitement des injonctions comme le montrent ces extraits se déroulant, le premier en situation durgence entre le directeur et lassistant, le second dans un colloque au HCCI entre le chargé de programme et son assistante.
« Tu as appelé M
pace que je tes dis de la faire tout à lheure. On a pas le temps là hein, il faut comprendre que si on ne sait pas à quelle heure arrivent les avions on ne peut pas organiser la rotation des équipes
alors tu les appelles et tu me préviens
hop ! ». A son départ, lassistant se tourne vers moi, esquissant un sourire en faisant le signe du salut militaire et en disant « oui chef !».
« Tu as distribué les docs ? Tu les ramasseras et tu les enverras à ceux qui ne les ont pas eu. » lassistante lui répondant ouvertement « Oui chef ! ».
A noter que ces deux situations activent les mêmes formes deuphémisation allant jusquà utiliser les mêmes phrases avec « oui chef ! ».
3.2. Rassembler par les mythes dorganisation:
Pour fonctionner, lorganisation ne doit, pas seulement assembler, mettre ensemble par lengagement (décloisonnement vie privée/professionnelle) et la participation (décloisonnement hiérarchique), mais aussi rassembler, mettre en sens à travers un certain nombre de mythes unificateurs.
Par conséquent, la nécessaire intégration qui structure une organisation va se réaliser à travers des significations communes, des mythes organisationnels fondateurs et fédérateurs, et ladhésion à ces mythes fondés sur lhistoire glorifiée de lorganisation et la figure idéalisée du bénévole agissant sur le terrain.
3.2.1. La célébration du passé :
Le travail de mise en cohérence passe en premier lieu par la mythification des origines puisque « la construction dune filiation, dune lignée, peut ainsi constituer une manière dinvocation de patrimoine attesté par lancienneté de lintérêt et de lorganisation. »
Dabord donc, intervient la production de mythes en reconstruisant une histoire faite dévènements marquants, un passé glorieux qui compose limage dune organisation, image qui façonne la représentation que ses membres en ont.
La CRF affiche ainsi régulièrement les récits des débuts, lhéroïsme de ce notable suisse, Henri Dunant, ému par le spectacle de désolation que lui offrit la bataille de Solferino, et mu par le noble sentiment que les personnes doivent être secourues en toutes circonstances quelle que soit leur appartenance ethnique ou leurs convictions religieuses et politiques. Luvre de ce leader charismatique au sens wébérien, est rappelée à la mémoire lorsque la CRF installe son siège place H.Dunant à Paris ou encore, au moyen de brochures figurant son portrait en exposition sur les présentoirs dans le hall dentrée.
Au delà des récits portant sur la personne dH.Dunant, dautres document participent de cette mythification des origines en proposant une interprétation apologétique de lhistoire de la CRF. Ces documents, souvent conservés par lInstitut Henri Dunant à Paris ou la Fondation Henri Dunant à Genève, sont luvre dhistoriens, de juristes ou de journalistes qui, entreprenant une biographie du « Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge », justifient et idéalisent tous les épisodes quil a traversé. Un exemple topique de ces thuriféraires du Mouvement nous est fournit à travers les travaux du juriste Jean Pictet qui a notamment écrit « Le comité international de la Croix Rouge, une institution unique en son genre », véritable plaidoyer à lusage du Mouvement. On y trouve des passages justifiant à mots à peines couverts lattitude du CICR dans les camps de concentration lors de la seconde guerre mondiale.
« Pour le CICR, la neutralité idéologique réside avant tout dans le caractère apolitique de son action. Certains se sont demandé comment le CICR pouvait maintenir ce caractère du fait quil était sans cesse confronté à des évènements politiques [
] Or, une longue expérience a montré que cétait parfaitement possible. [
] Le CICR trouve dans cette neutralité la base essentielle de son action. Sans elle il ne serait pas admis à circuler sur le territoire des pays en guerre ou en proie aux troubles intérieurs, ni à visiter les lieux dinternements. [
] Sil se comporte ainsi ce nest pas pour satisfaire aux usages diplomatiques : il ne voit que les hommes qui souffrent, les victimes. [
] Une telle attitude na pas toujours été comprise. Elle simpose pourtant, car seule une tradition dindéfectible droiture commande la confiance et le respect. »
Après leur production, vient la sacralisation des mythes qui leur permet dacquérir toute leur force unificatrice.
Ces derniers, doivent dans un premier temps être cristallisés dans des formules typifiées pour être reconnues et retenues. Cette typification est observable dans lénumération des sept principes fondamentaux du « Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge »: humanité, neutralité, impartialité, indépendance, volontariat, unité et universalité. Il est notable que ces principes ont été intégralement ou partiellement cités ou récités dans tous les entretiens effectués auprès du personnel CRF.
Ensuite, ils doivent être consignées dans un texte qui symbolise leur permanence et leur stabilité. Cest la charte qui remplit cette fonction de clôture en gravant les principes quelle fait universels (luniversalité faisant dailleurs partie des sept principes), en tout cas valant pour lunivers Croix Rouge qui sétend, dans le temps, depuis sa fondation jusquà nos jours et, dans lespace, aux cent quatre vingt six nations comptant une Société Nationale de Croix Rouge ou du Croissant rouge.
Enfin, ces mythes doivent être célébrées dans le cadre de technologies organisationnelles qui, après leur clôture par la charte, donnent une traduction de ces principes dans des pratiques définies. Les technologies organisationnelles, comme nous lavons vu, peuvent reposer sur des supports tels quun dispositif dagencement spatial, un mode de communication ou, et cest ce qui nous intéresse ici, un rite collectif. Effectivement, le rite est une technologie de célébration privilégiée en ce quil permet de consacrer collectivement et simultanément un symbole. A cet égard, on peut citer le rite de la formation des membres associatifs à loccasion de le laquelle leurs est transmis tout un univers symbolique. Comme on la vu lors de la formation des ERU, deux journées entières sont consacrées presque exclusivement à la présentation du Mouvement, de son histoire, de ses principes. Les candidats, supposés intérioriser ces principes, doivent ensuite participer à des exercices de présentation des différents organes du Mouvement et de ses principes.
En fait, à travers ces mythes, « il sagit de proposer une histoire et une mémoire de lassociation » de sorte que transmise, cette mémoire constitue lhéritage légué par lorganisation à ses membres. Un héritage qui les reconnaît comme successeurs légitimes et quils sont donc invités à reconnaître pour légitimer leur appartenance à lorganisation.
3.2.2. Lidéalisation du bénévolat :
Au delà dun récit héroïque véhiculant des valeurs collectives, la cohésion de la CRF sincarne aussi dans la figure idéalisée du bénévole.
Le recueil de discours des salariés et à plus forte raison des bénévoles eux mêmes, indiquent clairement une valorisation du bénévolat entendu comme un acte dabnégation, de don de soi qui distingue le milieu associatif des autres.
Ici, le bénévole rappelle à la CRF quelle est une association humanitaire à but non lucratif et toute tournée vers lallègement de la souffrance dautrui en léchange daucune contre partie matérielle. En retour, la CRF atteste à travers la figure du bénévole que « les services que lon rend par amour sont des services que lon ne fait pas payer » et « dans la véritable relation morale, le service est à lui-même sa propre récompense. »
Les ERU, sils ne sont pas exactement des bénévoles puisqu ils perçoivent une indemnisation, se rapproche de ce statut dans la mesure où leur per diem ne leur suffit pas à vivre de leur activité associative.
Aussi, lors de leur stage de formation, à loccasion dune séance animé par une psychologue travaillant pour la CRF et encourageant un retour réflexif sur les motivations de la démarche, de nombreuses interventions ont exprimées la volonté de « donner de son temps, d aider les autres, dêtre solidaire de leur souffrance
»
Ces remarques nous permettent daffirmer que lidéal de gratuité du geste porté par la CRF est bien entretenu et supporté par la figure idéalisée du bénévole (au sens de celui qui ne vit pas de son activité) qui, au moment même de son entrée dans lassociation, lors de sa formation, se subjective comme un être donnant et non pas donnant-donnant.
Pourtant, il ne faut pas sen tenir à une vision irénique du geste bénévole. On la vu plus haut, gratuité ne signifie pas désintéressement et la récompense existe même si elle nest pas financière. Ici, la rétribution symbolique du bénévolat est de tisser un lien social suffisant pour créer de lidentité et du positionnement personnel dans le milieu associatif. Cet extrait dentretien avec un membre des ERU montre bien que lactivité de bénévole participe de lintégration dans un groupe.
« tout le monde a sa place dans lassociation
même si tas pas une responsabilité énorme, tes content de participer
yen a qui vont simplement soccuper de laver le matos et ils seront contents
cest toujours gratifiant, ya toujours quelque chose à faire.»
Cette rétribution personnelle pour le bénévole engendre également, par agrégation, une rétribution collective qui profite à lorganisation. Partant, on comprend mieux la portée du statut de bénévole et on rétablit léconomie du rapport à la gratuité procurant à lassociation les moyens de sa préservation. En effet, « lassociation professionnalisée sinstitutionnalise et se coupe de sa base ; elle trahit lidéal associatif qui repose sur le bénévolat, la participation et la décentralisation. ». Par conséquent, le statut de bénévole constitue pour la CRF une spécificité à préserver pour préserver le sens de lassociation.
Par ailleurs, présenté comme une figure à lhonneur dans les discours, le bénévole occupe une place de choix dans les pratiques.
Dabord, de nombreux bénévoles sont associés aux différentes directions apparaissant dans lorganigramme comme « bénévoles de la direction ». Leur rôle y est essentiellement celui de conseiller dans leur domaine dactivité respectif quil sagisse de la médecine, de linformatique ou de la gestion. A ce titre, ils sont intégrés à la vie de la direction, ils y partagent un bureau, ils assistent aux réunions de travail
Cette participation des bénévoles aux directions contribue à atténuer le clivage entre le siège et le terrain entre la gouvernance et la base.
Aussi, tout un dispositif de management des bénévoles existe dont les salariés du siège sont les animateurs. Chaque étape dune mission comprend en effet une dimension de motivation de lengagement. Par exemple, avant chaque mission, il sagit de préparer un dossier dinformation pour les ERU qui leur fournit une brève description du pays et qui décrit létat davancement de la mission sur place. Ce dossier leur est transmit à loccasion de la session de briefing qui prévoit également que les ERU puissent sexprimer sur leurs doutes, leurs craintes. Pour ceux des ERU qui ne peuvent partir, beaucoup demandent à participer malgré tout. Ainsi, une place leur est faite au siège où ils trouvent à faire, viennent aider au suivi des équipes sur le terrain, répondre aux appels téléphoniques divers. Enfin, à lissue de leur mission, les ERU sont accueillis et totalement pris en charge par les salariés du siège. Cet extrait dobservation indique les différents aspects de cette prise en charge.
Lors de la mission Côte dIvoire, lactivité la plus importante des salariés du siège était le management des équipes ERU qui, à leur retour de mission, étaient sensés retrouver un espace pour soccuper deux après sêtre occupé des autres pendant 48h00 presque sans repos.
Les consignes données aux assistants et stagiaires par la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » étaient à cet égard très claire. « A leur descente davion, il y a une haie dhonneur qui accueil les expatriés français
Il y aura peut être des représentants politique et des associations qui prennent le relais à partir de là. Vous, il faut que vous soyez dans la haie pour réceptionner les ERU. Alors vous les laissez finir un peu si ils sont en train daider quelquun, vos leur arrachez pas un enfant des bras si ils le portent
mais vous les prenez à part, vous les asseyez, vos commencez le debrief, vous leur demander si y a besoin de quoi que ce soit sur le terrain et puis vous leur demandez sils veulent rester dans une chambre dhôtel quon a réservé pour eux ou sil veulent rentrer chez eux en taxi et puis ils envoient la note au siège.
On le voit, lidéalisation du bénévolat comme porteur du projet associatif est un mythe fondateur qui rassemble les membres de la CRF, au siège comme sur le terrain, dans les discours comme dans les pratiques.
3.2.3. Sacralisation du terrain :
Dans la continuité de lidéalisation du bénévolat, les membres de la CRF envisagent le travail de terrain comme lieu privilégié de réalisation du travail humanitaire. Dabord, comme lieu de réalisation au sens dépanouissement des fins de lorganisation, de relation au bénéficiaire sur le registre de la solidarité. Ensuite, comme lieu de réalisation au sens de vérification des objectifs sur le registre de lefficacité.
A tous les niveaux de la hiérarchie, les membres développent une représentation du terrain comme lieu de concrétisation des efforts réalisant les finalités de laction humanitaire qui doit servir, en dernière instance, une population en détresse.
Cette représentation transparaît dabord dans le discours des salariés qui, souvent après avoir vécu des expériences de terrain en début de carrière, évoquent le sentiment daccomplissement personnel qui naît de la rencontre avec la personne aidée, la satisfaction de voir se résoudre des problèmes. Cet extrait dentretien avec une salariée de la DOS donne un exemple de la valorisation du monde de laction par comparaison au travail administratif du siège.
« Et le fait que vous vous soyez rendu compte que ça ne correspondait pas à vos attentes, ça vous a conduit à essayer de travailler plus sur le terrain ?
Oui, enfin, déjà mon travail me plaisait beaucoup, japprenais énormément, cétait vraiment passionnant, le contact avec les gens
cest vrai aussi que dans le cadre du travail, on se déplaçait pas mal quand il y avait un afflux de réfugiés, à lépoque des kossovars et des kurdes
donc on avait du travail de terrain, et cest vrai que sur le terrain, on voit mieux la CRF humanitaire quici au siège.
Donc vous aviez une réelle satisfaction quand vous étiez sur le terrain
Oui, cest vrai quil y avait de lurgence, mais il y avait aussi des résultats aussi quand on arrivait à résoudre un problème cétait vraiment tout de suite
cétait pas comme dans un bureau quand on doit rédiger des notes, signer tout ça. »
Cette valorisation du terrain est sous tendue par la proximité du travail pratique et du travail intellectuel qui se traduit par une relation étroite entre le siège et le terrain. Ainsi, dans nombre dentretiens effectués auprès des salariés de la CRF, ceux-ci rappellent que les contacts sont réguliers avec la mission opérationnelle, que léchange dinformations est constant et que les déplacements de salariés du siège vers le terrain et inversement sont fréquents. Cet extrait dentretien avec le Président de la CRF confirme ce rapport de proximité au terrain.
« les liaisons sont pluriquotidiennes et elles sont toujours vers la valorisation de celui qui fait le travail sur le terrain
cest tout de même gratifiant quand on a à faire avec des situations tendues et quon peut y apporter un apaisement
cest le travail du médiateur ça. »
A loccasion des séances de formation des bénévoles de certaines missions, le Président se déplace dailleurs pour témoigner sa reconnaissance aux acteurs de terrain.
« Est-ce quil y a eu des intervenants pendant votre formation ?
Oui, oui plusieurs
Au début de la formation, Gentilini est venu et
il nous a fait un speach oui euh
cest très bien ce que vous faites, vous faites un beau métier
il nous a motivé quoi
mais aussi il nous a mis en garde aussi euh
vous représentez la Croix Rouge et
vous aurez
des critiques mais il faut que vous restiez discrets
Enfin, il nous a dit tout ça quoi. »
Aussi, le terrain acquiert cette puissance dévocation chez les membres associatifs car, en plus dêtre la mission éthique, il est la mission logique de la CRF.
En effet, en plus de profiter dune vision enchantée de la relation aux bénéficiaires, il est lespace où sexprime les besoins, où se vérifie les objectifs et dont sont issus les informations qui orientent en partie le travail du siège. A cet égard, lassistant du programme « préparation et réponse aux catastrophes » exprimait souvent à ses collègues de bureau sa volonté dêtre plus souvent détaché sur le terrain, de constater les faits, dêtre un intermédiaire entre le siège et le terrain.
Pourquoi tu tiens à ce point à aller sur le terrain ?
Parce que ! Cest là où tout se passe, cest vachement intéressant, cest là quon voit tout, quon est en rapport direct avec les victimes, quon est vraiment dans laction. Cest à partir du terrain quon agit, quon fait le bilan des besoins. En plus si tu veux, quand tu reviens du terrain
tout le monde técoute, le terrain à dis ça
aaaah, daccord, alors il faut faire ça.
Il est dailleurs notable que les acteurs de terrain savent jouer de cette ressource pour légitimer et maintenir leur position. Par exemple, il nest pas rare quils jouent la définition de leur mission pour en prolonger la durée ou en étendre le contenu.
On comprend bien que ce travail dextension et de prolongation de la mission, est rendu possible par la fonction stratégique quoccupent les acteurs de terrain, celle dintermédiaire entre le siège et la population aidée. Par la même, ils disposent dinformations précieuses quils peuvent fournir, édulcorer ou retenir. Et même si les salariées du siège se rendent sur place, les visites sont courtes et espacées dans le temps. Dès lors, on imagine bien que les informations ne sont pas toutes accessibles dans ces conditions et que les acteurs de terrain conservent leur rôle crucial dintermédiaire.
On comprend là encore, quà travers les discours valorisant laction de terrain et les usages qui en sont fait, les membres de la CRF se rejoignent et se reconnaissent dans ce mythe de la sacralisation du terrain.
Lidentité associative :
Après ce détour par lanalyse des formes de définition positive de la vie associative fondée sur un idéal, voyons à présent la construction identitaire en réaction aux pressions extérieures et contre des adversaires.
A la progressive bureaucratisation de la CRF, les membres associatifs vont opposer une entreprise de désignation dun adversaire et de construction du « nous » en opposition au « eux » afin dentretenir les « allégeances » dans laquelle les pôles de lentreprise et de lEtat sont érigés en contre-modèles. Effectivement, Comme le soulignent Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu, « lassociation ne peut être appréhendée comme une entreprise ou une administration parce que son émergence ne peut être rabattue sur une anticipation de rentabilité ou sur la mise en uvre dune disposition législative. »
4.1. Le rejet de lentreprise :
En porte à faux avec la logique entrepreneuriale qui encense la valeur defficacité, des mécontentements se font sentir de la part des membres associatifs quils soient bénévoles ou salariés. Ces derniers vont effectivement déplorer et condamner la standardisation des procédures sur le terrain, la codification et lobjectif de rentabilité au siège.
4.1.1. La standardisation ou la redéfinition du volontariat :
Une première forme dhostilité à lassimilation par la CRF de références entrepreneuriales est perceptible chez les personnels de terrain expérimentés souvent VMI et parfois anciens de lUNIR. Cette réaction, loin de consister en un rejet tous azimuts, se cristallise souvent sur le phénomène de standardisation par comparaison à une forme dimprévu et daventure quils ont connu par le passé. Mais ce discours nest compréhensible que si on le rapporte à leur statut particulier de « volontaire », statut charnière entre bénévolat et salariat.
Les critiques acerbes des VMI à lencontre du mimétisme entrepreneurial sont à considérer mais pour autant, il ne sagit nullement dun rejet en bloc de ce processus. Il est dès lors important de rendre compte de ce positionnement en porte-à-faux plus quen opposition radicale.
Dabord, le type particulier dengagement « neutre » intériorisé par les membres associatifs et que lon a décrit plus haut comme « militant de lhumanitaire » plutôt que « dans lhumanitaire », constitue un terrain favorable à ladhésion au caractère technique du mimétisme entrepreneurial. En effet, lorsque lon fréquente les personnels de terrain, il est extrêmement rare dêtre témoin dun débat sur des sujets polémiques de lactualité en générale ni même sur les thématiques relatives au secteur humanitaire. On sétonnera par exemple de labsence totale de débat interne lorsque MSF a décidé de suspendre sa collecte de dons sans prévenir les autres organisations. Cette décision créant alors un tollé général dans le milieu humanitaire et suscitant les foudres de plusieurs organisations, avait laissé la CRF muette. Ainsi, les discussions entre membres de terrain sont souvent orientées soit sur un registre émotionnel, on la vu, soit sur un registre technique. Ce registre se traduit par exemple par le récit danecdotes relatant les péripéties et imprévus dans le déroulement matériel dune mission puis les arrangements trouvés grâce à la maîtrise dun outil précis. Les équipiers réunis dans le travail rivalisent ainsi volontiers dune connaissance technique dun véhicule, dun matériel informatique
Il en résulte que le processus de technisation qui accompagne le mimétisme entrepreneurial est assez bien reçu voir intériorisé comme condition de réussite dune mission et justifier par une opérationnalité accrue.
Néanmoins, plusieurs VMI ont violemment critiqué le processus de standardisation des procédures en manifestant explicitement leurs regrets dune époque « héroïque » de lhumanitaire qui leur donnait loccasion de se débrouiller et dinventer des solutions adaptées à des situations toujours nouvelle. Cette contradiction révèle une certaine nostalgie dune époque révolue où lengagement, lesprit dinitiative et la « gestion des emmerdes » étaient de rigueur. Lextrait dobservation suivant illustre ce point et témoigne de leur volonté de distinction par rapport aux nouvelles recrues dotées, selon eux, du diplôme ad-hoc plutôt que de « lesprit » humanitaire.
Lors de la formation des ERU à Modane, trois VMI et anciens membres de lUNIR, discutent isolés à une table de leur conception du travail humanitaire.
Non mais le vrai travail cest pas ça
sur le terrain cest la gestion des emmerdes en fait, voilà
en résumé la formule cest celle là
la gestion des emmerdes, rien ne se passe jamais comme prévu, il faut vraiment pas sattendre à ce que tout se passe dans lordre
Mais bon
il y a un problème quand même, on dit aux mecs ouais vous allez être formé, vous allez être des pro, vous verrez ça se passera bien, vous pourrez tout faire.
Et heureusement que cest ça attends
sinon ils nous appelleraient pas, ils prendraient des types quont les diplômes comme il faut, des écoles de maintenant.
Ouais, et ça cest un autre boulot et
cest pas celui qui mintéresse
cest un boulot carré, ennuyeux ou tout est toujours pareil.
On le voit ici, sils incriminent le « on » ou le « ils » qui est à lorigine de cette mutation des références légitimes, leur rejet se cristallise surtout sur les nouveaux profils « les types quont les diplômes comme il faut » avec lesquels ils sont placés en concurrence. Cette réaction est à saisir à la lumière de leur statut de volontaire figure intermédiaire, au centre dune tension entre le bénévolat et le salariat dont le positionnement, là encore en porte à faux, renseigne sur la dynamique de professionnalisation du travail humanitaire.
Le statut de « volontaire », en voie de définition sur le plan juridique, soulève également des questionnement identitaire chez ceux qui à la fois vivent du travail humanitaire là bas parce quils sont en rupture ici. En effet, ils sont souvent recrutés chez les bénévoles de la CRF et font même partie des bénévoles les plus anciens et les plus expérimentés aussi. Ils sont souvent entrés en humanitaire assez jeunes, vivant un temps leur démarche sur le mode de la vocation et du don de soi sans contrepartie financière tel que lon a déjà décrit lidéalisation du bénévolat. Mais, avec le temps cet engagement a pris le pas sur leur vie professionnelle ou personnelle qui connaissait une rupture ou une réorientation les incitant alors à sinvestir dans la vie associative. Puis, progressivement, à force dy investir, cette voie est devenue le seul investissement possible. Par exemple, parmi les trois VMI présent au stage de formation ERU, deux étaient au chômage dont un célibataire de 35 ans et lautre en train de divorcer, le troisième navaient jamais eu dautre activités que celle de VMI.
Toutefois, la rémunération à laquelle donne droit le statut de volontaire même faible leur permet de sinvestir dans cette activité, et, en sélevant avec lancienneté, leur permet même de sy maintenir longtemps. Dès lors, les volontaires quittent lunivers du bénévolat puisquils jouissent dun statut juridique et donc dun contrat de travail et vivent parfois de leurs indemnités sélevant avec le temps au niveau dune rémunération. Au regard de ce constat, on comprend mieux pour quelles raisons leur critique de la standardisation se cristallise sur les nouvelles recrues plutôt que sur les décideurs de cette redéfinition du travail humanitaire. Effectivement, il sagit pour eux de conserver une activité qui représente leur unique source de revenu alors que pour les autres il sagit dune activité bénévole extra-professionnelle. On peut remarquer que réprouvant apparemment une forme du mimétisme entrepreneurial, ils lencouragent en se positionnant en concurrence avec dautres personnels sur un marché dune activité humanitaire rémunératrice dont on peut vivre.
On voit ici comment le passage de « vivre de » son engagement à « vivre pour » son engagement est présent chez certaine catégorie de personnels dont les « volontaires » sont un exemple flagrant. Ce passage, assez périlleux et presque inavouable dans le monde du « désintéressement » de lassociation décrit plus haut, les conduit à rejeter la standardisation des procédures en se situant du côté de lengagement associatif et non à réclamer leur salarisation et une condition stable évitant de se situer du côté de lemployé face à son entreprise.
4.1.2. La codification ou le rétablissement de la hiérarchie :
Du côté du siège, le mythe de « lenchantement du décloisonnement » par la déstructuration de la hiérarchie envisagée précédemment semble trouver ses limites dans la confrontation à la réalité quotidienne. Ce quotidien est pour les salariés, la scène où sopère la rencontre nécessairement houleuse entre les attentes idéalisées et la situation réalisée.
Il nest pas rare quune certaine déception naisse du hiatus qui sépare et oppose une représentation enchantée de lhumanitaire dun monde professionnel réglé et codifié créant un cadre normatif contraignant.
On retrouve dans les discours ce rapport à lorganisation comme bureaucratie imposant le respect de certaines procédures « la paperasse » certaines « règles » définies comme optimales par le sommet dune « hiérarchie » devant laquelle il faut sincliner, « comme dans nimporte quelle entreprise ». Ces images entraînent une dissonance cognitive par rapport à limaginaire de participation et de liberté attaché au monde associatif comme on la vu. Mais, la dissonance cognitive est aussi volontiers compensée par un travail dautocritique fréquent chez les humanitaires qui sont « les premiers à théoriser leur pratique » . Cette réaction conduit parfois à des doutes très profonds et personnels de membres cherchant à dépasser leur déception par la remise en question du bien fondé même de leurs attentes. Cette posture réflexive difficile à adopter, sobserve dautant plus à la CRF qui demande à ses membres de conjuguer un passé souvent militant avec une exigence de neutralité tel que le développe cet entretien conduit avec une salariée de la DOS.
« Justement, le fait que la CRF insiste sur la neutralité, ça na pas posé de problème ?
Ecoutes avant que jarrive à la CRF, javais quelques problèmes avec mon militantisme aussi parce que javais commencé très jeune, je ne voyais pas les choses comme quand javais vingt ans
javais certains problèmes avec mon militantisme
mais javais envie de travailler dans lhumanitaire. Mais javoue que quand je suis arrivée à la CRF, au bout dun certain temps jai été très
euh
surprise par ce que je voyais
disons que ce que je voyais ne répondait pas du tout à mes attentes.
Quelles attentes ?
Parce que je ne sais pas, cétait un peu mon problème à moi, javais imaginé une association humanitaire euh
mais cest vrai que jétais au siège et même si jaccueillais du monde, cest pas vraiment le terrain
le travail de bureau, la paperasse, bon
jai pas trouvé lhumanitaire que javais dans la tête à la CRF
mais je te dis le problème peut être venait de moi
mais je trouvais que cétait comme nimporte quelle autre entreprise
la hiérarchie, les règles tout ça. »
Aussi, certain salariés, employés depuis parfois assez longtemps dans un univers professionnel assez flexible avec beaucoup de turn-over et de mouvement de personnel désireux de voyager, vivent assez violemment leur situation professionnelle déterminée par leur contrat de travail. En fait, ils se sentent coincés par leur contrat dembauche qui ne leur promet pas dévolution hiérarchique et les empêche de se réorienter professionnellement. Ces situations générant plus quune déception, une véritable frustration, amènent alors ceux qui les subissent à tenir un discours très critique, on le verra, sur lorganisation en générale. Mais ce sentiment sexprime parfois dans un rejet brutal de leur activité en particulier en déplorant les tâches quotidiennes de secrétariat, soumis à de nombreuses procédures très codifiées . Cet extrait dobservation en donne un exemple.
Au cours dune journée ordinaire, dans le « bureau des assistants » espace de travail des assistants des chargés de programme, une des assistantes semporte au sujet de son travail, rebutée par les tâches de secrétariat qui lui sont demandées alors quelle est salariée depuis quatre ans.
« - Ho la la, jen ai marre de ce travail
cest vraiment un travail de con, un travail de secrétariat complètement chiant (soupirs).
- Non mais dis pas ça quand même aujourdhui cest lourd mais cest aujourdhui.
- Ben non, cest ça le problème, cest quaujourdhui cest tout le temps. Cest pas vrai ! Je vais changer j tassure.
- Moi jai regardé il y a des propositions au HCCI
jai cherché un stage là bas, cest de la recherche bibliographique, tu fais des notes de synthèse, tu suis les regroupements des ONG, tout ça tu vois.
- Ben cest ça qui me plaît
mais je peux pas, je suis en CDI et cest toujours le même problème. Si tu trouves, il faut que tu donnes un préavis et puis cest long, les autres finissent par trouver quelquun et cest tout. »
Le rejet de la codification ce concentre, on le voit, sur les procédures à suivre, le « cadre CRF », mais il peut se faire quelle se focalise plus directement sur le respect de la nomenclature hiérarchique.
Les relations du personnel salarié avec le directeur de la DOI, rappelons le ex-militaire et ayant travaillé dans une ONG (Premières Urgences), ont toutes les caractéristiques dun rapport hiérarchique tel quil se manifeste en entreprise. Le rôle dautorité du directeur se manifestait par exemple lorsquil demandait avec fermeté aux chargés de programme que telle tâche soit faite, ou lorsquune décision devait être prise sur les sommes allouées à tel ou tel projet. De plus, on peut relever quil se distingue également par son allure vestimentaire souvent vêtu dun costume alors que la plupart des salariés portent des tenues très usuelles comme on la souligné plus haut. Il se distingue encore par loccupation dune grande pièce aux portes fermées là où les autres sont ouvertes, cette pièce lui servant de bureau personnel là où les autres partagent le leur.
Ces dispositifs de mise à distance trouvent souvent, comme en reflet, une prise de distance ou même un rejet de la part de certains salariés.
Dabord, les chargés de programme travaillant depuis plusieurs années à la CRF, tenant dune tradition de neutralité à lextérieur et de consensus en interne, et conscient de leur dépendance à la structure, sont plus indulgents et se contente de se tenir à distance du directeur. Cette distance se traduit souvent dans le respect formel de la hiérarchie qui les sépare mais en soulignant, chaque fois que loccasion se présente, les limites de sa légitimité. Par exemple, quand une discussion sengage sur le directeur mais en son absence, ces personnes se contenteront de rappeler, comme pour dire que lenjeu est insignifiant, « il ne fait que jouer son rôle de directeur ». A dautres moments, lorsque je posais une question sur les statuts, un chargé de programme me dit « lui, il est président de Délégation. Le président est élu alors que le directeur est nommé
ça fait une grosse différence dans la maison ».
Aussi, des salariés aux profils non pas « issu du réseau » mais issus dautres ONG plus militantes, adoptent des positions plus critiques, interpellant même le directeur en réunion et entretenant avec lui des rapports assez tendus. Cest ainsi que lors dune réunion de travail un chargé de programme sest opposé à une décision darrêter un programme en cours et sest vu expliquer quil nétait pas celui qui était en charge de ces responsabilités. A lissue de cette altercation, le chargé de programme a critiqué la soumission à une logique financière de la CRF visant ainsi le mépris du directeur pour les finalités de lassociation non réductible à une « anticipation de rentabilité ». Un autre chargé de programme, arrivé récemment dune autre ONG, laissait clairement entendre quil ne maintiendrai pas son contrat pour des raisons analogues et soulignant le fossé culturel qui séparait sur ce plan la CRF des autres ONG.
4.2. Le rejet de lEtat :
Lunivers de représentations attaché aux pouvoirs publics traduit également un rejet de limage du fonctionnaire tourné en dérision et de la tutelle de lEtat dont on craint lemprise.
4.2.1. LEtat moqué :
Dans la continuité de la sacralisation du terrain envisagé plus haut, les discours des membres CRF diffusent une image idéale de salarié très actif, qui prend des initiatives, assume ses responsabilités et qui sait prendre une distance par rapport au « cadre CRF ». Aussi, cette distance au rôle par rapport au statut professionnel, sinscrit en faut contre la figure du salarié membre dune organisation bureaucratisée avec une compétence assignée et délimitée dont le fonctionnaire de ladministration publique est, daprès les membres associatifs, le parfait exemple.
En effet, on relève au quotidien, la stigmatisation permanente, aussi bien de la part des bénévoles que des salariés, de la fonction publique moquée comme espace dinaction. Ces critiques se construisent très souvent autour de lopposition entre « discours » et « terrain » traduisant une certaine conception de laction revoyant au geste plutôt quà la parole, à la réalisation concrète plutôt quà la conception abstraite. Le fonctionnaire est alors perçu comme contraint par une procédure écrite et astreint à produire des discours sans effet alors que le membre associatif sait se distancer de ce cadre normatif pour mieux servir le terrain en actes. Ces quelques extraits dobservations en sont un exemple :
Au mois de novembre 2005, se préparait le départ vers la « manuvre de terrain » près de Lille. Il sagit dune formation continue qui met en situation les équipes ERU devant faire face à une simulation de catastrophe. Les salariés du programme « préparation et réponse aux catastrophes » devaient se rendre sur place à lavance pour préparer le terrain tandis que la chargée de programme devait rester à Paris pour participer à un colloque sur la prévention des crises au HCCI.
Préférant moi même rester à Paris pour assister à ce colloque, lassistant de ce desk a tenté de me convaincre de partir avec lui :
« - Non mais viens. Tu va voir là bas il y a plein de choses à préparer, cest super.
- Ouais mais il y a déjà Camille avec toi et moi je te dis, jai envie de voir cette conférence, ça mintéresse pour mon mémoire.
- Non mais tout ça cest du bla bla, cest que des mots, là bas cest du terrain, cest vraiment laction. »
Ici, la stigmatisation du discours sans portée se traduit par lexpression « cest du bla bla » mis en opposition à « cest du terrain, cest vraiment laction ».
Alors que lassistant desk « préparation et réponse aux catastrophes » était souvent en relation avec le MAE, passant beaucoup de temps dans leurs locaux, il devait se soumettre à leurs codes vestimentaires et shabiller en costume cravate.
A son retour à laéroport de RCDG dans cette tenue, léquipe de bénévole le charrie en lui faisant remarquer que ça ne lui va pas du tout et un membre lance au groupe en riant : « Tu sais pourquoi Greg il transpire jamais
Parce quil travaille dans les ministères. »
A larrivée des expatriés français de Côte dIvoire, le ministre des affaires étrangères du moment, Michel Barnier, sétait rendu sur place pour les accueillir et faire un discours. Un peu plus tard, un salarié de la DOI a fait remarquer :
« T as vu
lamentable Barnier, il a même pas eu un geste de réconfort pour une personne
tout juste bon à parler les diplomates. »
Dans les deux extraits précédents, les acteurs insistent de façon plus explicite sur linaction entendu comme absence de geste avec « il ne transpire jamais » et « il a même pas eu un geste de réconfort ».
Le grief dinaction fait à ladministration se manifeste parfois de façon plus violente car cette représentation nest pas seulement le produit dune distinction entre « terrain » et « discours » mais aussi entre « finalité humanitaire » supposée altruiste et « finalité diplomatique » supposée cynique. Cet extrait dobservation donne une idée assez claire de la façon dont simbrique ces deux représentations de linaction en terme de délais à « bouger » et en terme de prudence et calculs intéressés.
Lors de la crise Ivoirienne, le service de la DOI travaillait en étroite collaboration avec la cellule de crise du MAE où séchangeait les nombreuses informations. Certaines relatives au terrain et qui remontaient via les correspondants du MAE et via les délégués CRF. Dautres relatives à la stratégie dont le MAE conditionnait les ressources financières tandis que la CRF en conditionnait la mise en uvre. Au cours de cet épisode et alors que je suivais lassistant du desk « préparation et réponse aux catastrophes », plusieurs remarques stigmatisaient ladministration :
« Oh la la, ils bougent pas quoi. Ils attendent lopportunité en fait, ils sont là avec leurs calculs politiques, ils attendent de voir si ils vont pouvoirs la jouer fine, ne pas mettre en danger leur intérêts économiques là bas
tu sais, la France a plein de boîtes là bas, Boloré et compagnie
Pfff ! Mais pendant ce temps y a des gens qui risquent leur vie, il faut débloquer tout ce quil faut et y aller en organisant un transfert massif de tous les français... Je te jure ladministration
cest vraiment pas des excités
Tu devrais faire ton mémoire sur ça
tu vois
avec un titre du genre : le temps du politique, le temps de lhumanitaire. »
4.2.2. LEtat redouté :
En assistant aux débats internes de lassociation, on constate aussi un rapport de défiance vis à vis de lEtat alors décrié comme une tutelle illégitime et une menace pour lautonomie de lassociation.
Dabord, on la décrit plus haut, le mode délection du président fait intervenir lEtat de façon assez explicite et même déterminante. En effet, rappelons-le, le gouvernement désigne des personnalités qualifiées et dispose, au sein du Conseil dAdministration, de membres du gouvernement. Ainsi, à chaque élection, lindépendance de la CRF vis à vis du gouvernement est en jeu et de ce fait, nombre de polémiques naissent et divisent dans la presse mais également au sein même de lorganisation. Par exemple, lors de lélection du président en novembre 2004, un suspense fut orchestré entre deux principaux candidats, dune part, le Dr Y.Louville, médecin bénévole appartenant au réseau depuis de nombreuses années, devenu membre du Conseil dAdministration et vice président, dautre part le Dr Mattei, ex ministre de la santé. Le premier, candidat de tous les membres de la CRF fondant de grand espoir sur cette personnalité qui a fait la preuve de son implication associative, focalise tous les soutiens internes. A contrario, le second, candidat du gouvernement, cristallise toutes les craintes de lingérence extérieures de lEtat dans la vie associative.
Durant les quelques jours qui précédaient lélection du nouveau président on entendait beaucoup de plaisanteries sur la candidature de M. Mattei à la présidence de la CRF, lui qui navait jamais entretenu aucun rapport avec lassociation contrairement au Docteur Louville fidèle membre de la CRF depuis toujours. Ainsi par exemple, sétait très rapidement répandue lhabitude de le surnommer M. canicule en référence aux nombreuses critiques formulées à son encontre lors de la canicule de lété 2004 alors quil était ministre de la santé. Dans le même élan, le directeur de la DOI le désignait souvent comme futur ex-candidat. En fait, la plupart des membres du service de la DOI stigmatisaient cette candidature comme procédant de la volonté du gouvernement et pensaient dailleurs que, pour cette raison, il ne serait pas élu. Certes, tout le monde a bien en tête le souvenir des précédents présidents entretenant eux aussi des relations de proximité avec le gouvernement alors en place, à commencer par lactuel président Gentilini. Mais ce dernier avait, en plus de son statut de médecin favorisant toujours laccès à la présidence de la CRF, des engagements associatifs de longues dates ce qui lui donnait un surcroît de crédibilité dont ne jouit pas M. Mattei.
Après les élections, en revanche latmosphère était moins légère. Presque tous les salariés de la DOI ayant assistés à lélection sont rentré déçus voir même dépités pour ceux dentre eux qui ont un long passé à la CRF, ayant débutés comme bénévoles et aujourdhui salariés permanents. Par exemple, la chargé de programme « préparation et réponse aux catastrophes » semblait vraiment affectée par cet événement tant et si bien que les collègues de la DOI étaient très prévenant vis à vis delle en lui demandant comment elle se sentait et lui manifestant leur présence par des gestes de réconfort.
Cet extrait de conversation se déroulant dans son bureau, entre elle et l « adjoint chargé de lurgence et du suivi des départements » lui aussi ancien bénévole de la CRF, donne une illustration de cette profonde déception et crainte vis à vis de Mattéi.
« - Ca va ?
- Oui ça va
enfin
tu vois quoi. Je comptait tellement sur lélection de Louville. Ca aurait été un signe fort, un vrai symbole
Ca aurait été tellement bien
Là on aurait pu attendre de grandes choses. Mais là
Non
mais cest sûr si tu veux
ça va changer beaucoup de choses maintenant
jattends de voir les décisions sur la stratégie
mais
maintenant, je mattends au pire
Ca va être des ententes avec le gouvernement, une gestion des problèmes sans
sans tenir compte de la CRF
de nos engagements. »
Par ailleurs, au delà du fonctionnement interne de la CRF, cest parfois son rôle dans ses opérations directement liées à son statut dauxiliaire des pouvoirs publics que visent les critiques des membres de la CRF. En effet, on en a parlé, le statut de la CRF lui enjoigne de servir lEtat dans ses missions humanitaires, et, dans ce cadre, lintervention est à linitiative de lEtat, les ressources financières sont délivrées par lui et lopération est conduite sous sa responsabilité et son autorité. Ainsi, lors de lopération Côte dIvoire dans laquelle la CRF était mise à contribution pour secourir les expatriés français, de nombreux débats internes, toujours informels cependant, ont animés la CRF.
Durant la crise ivoirienne, tandis que les bénévoles détachés sur le terrain ne semblaient pas douté de la légitimité de cette démarche, un grand nombre de salariés de différents services débattaient de la pertinence de lengagement de la CRF dans cette opération. La principale réserve quémettaient les salariés portait sur la dimension très étatique de cette intervention. Cet extrait de conversation entre lassistant du programme « préparation et réponse aux catastrophe », un salarié de la direction de la communication, déplorant tout deux le rôle de la CRF dans cette opération, et une salariée du département comptabilité de la direction financière donnant à contrario plusieurs justifications à la participation de la CRF dans cette intervention.
- Non mais cest normal. Cest comme ça. Attends, tu te rends compte ? Il y des gens qui risque leur vie en restant là bas. Il faut bien les secourir et cest le rôle de la CRF ça quand même !
- Non mais cest pas ça. Evidemment quil y a des risques, quil faut aider les gens qui sont là bas. Mais cest pas à la CRF dy aller.
- Mais si, nimporte quoi !
- Ben non, parce que cest lEtat français qui dirige lopération, que la CRF est obligée de suivre alors que cest contraire à ses principes. Tu vois la CRF elle est neutre alors que là cest pas neutre du tout. Cest lEtat qui va là bas alors OK là cest pour secourir des gens en danger mais toute les autres fois où il intervient cest pour préserver ses intérêts. Il a plein dentreprise là bas tu sais, Bouygues, Boloré et dautres.
- Eh alors quoi, il faut rester sans rien faire parce que cest lEtat qui décide dy aller ?
- Tout ce que je dis cest pas quil ne faut rien faire, mais que cest pas le rôle de la CRF de le faire. Cest tout.
Cette première partie montre bien le mouvement de redéfinition identitaire qui préside largement à lidée même d « expertise » et à plus forte raison à celle de réforme vantant la « concertation » avec les pouvoirs publics.
En effet, on constate clairement quà lissue de cette mutation, la CRF, loin de correspondre à limage dEpinal de lassociation caritative, est une structure largement technocratisée, entretenant des rapports de compénétration avec lEtat, ayant rationalisé ses actions, standardisé ses procédures et professionnalisé son personnel.
Cest bien ce mouvement qui va favoriser lémergence de nouvelles professions, de nouvelles formes didentification et de nouveaux modes daction conduisant, après en avoir produit les conditions de possibilité, à la construction et à la légitimation de lexpertise associative.
Les acteurs et les scènes multiples de la consécration : émergence et reconnaissance partielle de lexpertise associative :
A travers les tensions, interprétations et usages divers que suscite le processus de professionnalisation au sein de la CRF, on le voit, tout comme dans le secteur des politiques culturelles étudiées par Vincent Dubois, celui-ci « nest pas le résultat naturel des progrès inéluctables de la division du travail ni la satisfaction nécessaire dun besoin objectif. ». Il est bien plutôt le double produit des mutations structurelles envisagées plus haut et des stratégies de ceux qui trouvent par cette voie un moyen de ménager leur position dans lorganisation. Dès, il nous faut rendre compte des conséquences de ce processus de professionnalisation résultant « de luttes entre les professions qui ont chacune quelques choses à gagner ou à perdre qui nest autre que leur propre existence en tant que groupes distincts visibles comme tels ».
Ainsi, en dépit du rejet des références entrepreneuriales et administratives que véhicule le mouvement de professionnalisation, et en contrepoint de la mythification de la vie associative, il faut signaler le déplacement interne de promotion des cadres professionnels au sein de la CRF (Section 3). Ce déplacement, dune part, présage de la fin des militants en donnant la main aux salariés (§5) et, dautre part, entraîne une redéfinition du militantisme en favorisant la prise de parole dune nouvelle catégorie de salariés revendiquant un savoir dexpertise (§6).
Pourtant, sarrêter à lémergence de dun savoir dexpertise ne dit rien sur la tangibilité sociale de son rôle. Aussi, après avoir, dans les précédentes sections de ce travail, procédé à lanalyse des conséquences du processus de professionnalisation produisant un contexte favorable à lépanouissement de lexpertise, nous envisagerons « les ressources quil (lexpert) doit mobiliser, non seulement pour exercer cette expertise, mais encore pour la constituer comme expertise, cest à dire la légitimer ».
Ici, il va sagir de décrire lactivité dexpertise de ces nouveaux militants qui, forts de leur savoir, vont chercher à influencer lélaboration des politiques publiques (Section 4). Pour ce faire, les experts se dotent dune nouvelle boite à outils visant à la constitution et la mobilisation de ressources cognitives (§7), et fréquentent de nouveaux espaces de négociation impliquant, suivant leur réception par les pouvoirs publics, lémergence de nouveaux modes daction public (§8).
La promotion des cadres professionnels :
La CRF va ici être considérée comme un espace de tensions, de luttes entre acteurs qui se voient requalifiés ou disqualifiés dans un contexte qui favorise leur promotion ou leur relégation. En loccurrence, le contexte de professionnalisation favorise la promotion des cadres professionnels qui, revendiquant le monopole de certaines compétences adaptées à de nouveaux outils et appelant leur salarisation, rompent avec un rapport militant au travail humanitaire. Dans le même temps, structurellement liés à la pérennisation de lorganisation, les salariés sont certes soumis au « cadre » de la CRF, mais, la frange supérieure des salariés, les cadres, participent activement à façonner ce contexte sachant faire usage de leur rôle, des prérogatives statutaires qui y sont associées et des outils de gouvernement de laction à leur disposition (§5).
Par ailleurs, la prégnance dune nouvelle catégorie de personnel nest pas sans effet sur la perception et les représentations communes du travail humanitaire. Progressivement, la frange supérieure de la catégorie des salariés va en effet être portée, de lintérieur, par laspiration dautres salariés de voir se généraliser la mise en uvre doutils et ressources cognitives à lusage desquels ils ont été formé durant leurs études. Puis, forts de ce soutien, cette même frange des salariés va porter, à lextérieur, une parole dexpert dont ils auront finalement acquis le monopole renouant ainsi avec un certain militantisme (§6).
Les salariés prennent la main :
La catégorie des salariés, incarnant et traduisant le mieux les valeurs entrepreneuriales et administratives désormais prégnantes, vont progressivement prendre la main. En effet, cette catégorie va lemporter en jouant des instruments issus du mouvement de bureaucratisation dont elle a la charge.
5.1. La formation dun marché du travail humanitaire :
Issus du processus de professionnalisation, de nouveaux outils de gouvernement de lactivité humanitaire émergent qui exigent la maîtrise de compétences précises. De là, le recrutement et la stabilisation de ces compétences vont progressivement clôturer un véritable marché du travail humanitaire.
5.1.1. Les instruments et le recrutement des compétences :
Au delà des outils précédemment envisagés, quil sagisse des procédures normatives régulant les rapports entre lEtat et la CRF, des technologies organisationnelles qui régulent les rapports entre les services et les membres de la CRF, ou des procédures techniques qui guident les activités, dautres outils existent qui déterminent plus largement le cadre général daction de la CRF. Létude de ces outils nous permet de constater précisément les effets du processus de professionnalisation sur les références cognitives de la CRF et le déplacement des catégories de personnels qui en sont porteuses.
On peut désigner ces outils comme instruments en tant que « techniques, moyens dopérer, dispositifs qui permettent de matérialiser et dopérationnaliser laction » et en tant « quinstitutions au sens sociologique du terme : ensemble plus ou moins coordonné de règles, de normes et de procédures qui gouverne les interactions et les comportements des acteurs et des organisations. ». Effectivement, les instruments dont il sagit gouvernent à la fois les rapports de la CRF avec ses bailleurs de fonds et ceux des catégories de personnel CRF. Au sens large, ils impliquent tous les protocoles administratifs qui médiatisent les relations entre différents services et niveaux de hiérarchie, tous les logiciels informatiques à partir desquels on traite et présente les informations tous les documents types utilisés par chaque service pour consigner linformation et tous les supports audio-visuels visant à diffuser ces informations. Plus spécifiquement appliqués au fonctionnement de la DOI, ils président à la conception des programmes, définissent lexécution des tâches de chaque activité et guident lévaluation des résultats. Il est intéressant de préciser que ces divers formulaires et documents types ont été « promu au milieu des années 1990 par lUE pour la contractualisation avec les OSI » les incitant à présenter « les programmes et projets comme une collection dactions ponctuelles inscrites dans une architecture verticale ».
Dabord, le « cycle de projet », la méthodologie générale à suivre pour la réalisation dun projet, est définit par ECHO, principal bailleur des OSI européennes pour leurs actions humanitaires. Cette méthode est aujourdhui vantée et suivie par la plupart des autres bailleurs. Elle entend fournir aux ONG la démarche type à suivre étape par étapes. Issu du « ECHO manual project cycle management » figure ci-dessous un exemple de cette démarche avec le titre des étapes en anglais et une traduction de la définition en français :
Cycle de projet
Programming : définition de la stratégie globale en fonction du contexte international, des différents partenaires de laide internationale.
Identification : proposition dune opération précise en fonction dun diagnostic pertinent.
Appraisal :appréciation de ce diagnostic par ECHO.
Financing : décision dECHO et anticipation du financement du projet.
Implementation: mise en oeuvre et compte rendu des activités à travers les rapports intermédiaires et finaux financiers et narratifs.
Evaluation: contrôle que le groupe cible ait bien reçut les bénéfices de lopération
Ensuite, concernant plus particulièrement la demande de financement par les OSI, dautres documents types existent. On peut donner lexemple du « formulaire de demande de subvention » imposé par Europeaid, bailleur européen pour les actions de développement, après la diffusion aux OSI dun « appel à proposition ouvert ».
Formulaire de demande de subventions
I. Laction
1. Description : titre, lieux, coût, résumé, objectifs, justification, description détaillée dactivités, méthodologie, durée, plan daction, consortium.
2. Résultats escomptés : impact sur le groupe cible, résultats concrets, effets multiplicateurs, durabilité, cadre logique.
3. Budget
4. Sources de financement
II. Demandeurs
1. Identité
2. Références bancaires
3. Description : création de la structure, activités principale, membres du conseil dadministration, partenariat.
4. Capacité de gérer et de mettre en uvre : expérience dactivités similaires, ressources.
5. Demande aux institutions européennes, FED ou Etats membres de lUE : subventions/contrats/prêts depuis trois ans, demandes à être présentées.
III. Partenaires locaux
1. Identité
2. Déclaration de partenariat
Voici enfin un exemple de « cadre logique » issu des formulaires types du bailleur européen ECHO. A noter que cette méthodologie du « cadre logique » doit être présentée avec le formulaire précédent au niveau de la première partie « Laction ».
Cadre logique de présentation des projets pour ECHO
Logique dinterventionIndicateurs objectivement vérifiablesSources et moyens de vérificationhypothèsesObjectifs générauxObjectifs spécifiquesRésultats attendusActivités à développer
De plus, les actions menées font lobjet de toute une série de rapports qui en rendent compte dans les moindres détails. On compte par exemple, les « rapports narratifs » intervenant à chaque phase du déroulement de laction avec les rapports « intermédiaires » et « finaux ». On trouve encore les rapports financiers qui suivent la comptabilité liée à chaque « programme » et « projet ».
Lanalyse de ces instruments laisse clairement voir quils cristallisent les références cognitives décrites précédemment (Section 1) et quils sont le produit des mimétismes administratif et entrepreneurial en ce quils les traduisent et les matérialisent. Cette observation nous rappelle que les «instruments ne sont pas des outils disposant dune neutralité axiologique parfaite [
] ils sont aussi producteurs dune représentation spécifique de lenjeu quils traitent ». En effet, ils sont dabord définis de façon ad hoc par les bailleurs institutionnels qui les élaborent en fonction de leur logique de fonctionnement propre. Cest ainsi que lon retrouve dans lénumération des catégories et critères retenus comme pertinents une conception séquentielle de laction commune à de nombreuses institutions administratives et qui distingue « les objectifs », « les moyens », « la mise en uvre » et « les résultats ». Cette conception est également visible dans les démarches d « évaluation » quelle commande et qui procède par confrontation des « résultats atteints » aux « objectifs visés ». Il sensuit et on y reviendra, que la CRF, comme les autres OSI qui suivent ces protocoles, est directement et de facto soumise aux logiques de ces institutions qui conditionnent leur ressources financières.
De plus, ces instruments sont structurés par une vision techniciste qui guide chaque activité en la divisant en tâches spécifiques tel quon a pu précédemment le détailler dans létude du mimétisme entrepreneurial. Enfin, lusage dindicateurs chiffrés pour rendre les actions quantifiables et mesurables ou limportance accordée au suivi comptable des « programmes » grâce à la rédaction de « rapports financiers » témoigne dune rigueur gestionnaire qui nest pas sans rappeler ce même mimétisme.
Au regard de ces précisions, on comprend que ces instruments requièrent la maîtrise de compétences très spécifiques mettant à contributions des connaissances poussées en matière de comptabilité et une capacité dorientation dans lespace institutionnel.
Par exemple, la charge de ces divers rapports implique dévaluer « létat dexécution des budgets », « taux de consommation du budget », « réaffectation budgétaire », autant dindications à fournir aux bailleurs. Aussi, la maîtrise dindicateurs chiffrés et de notions précises et relevant dun code linguistique propre à ces organisations devient incontournable. Enfin, la connaissance des procédures évolutives des différents guichets de financement public durgence et daide au développement telles que les services du Ministère des Affaires Etrangères, le bailleur européen pour laction humanitaire ECHO, la direction générale 8 de la commission européenne et EUROPAID, la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de développement, semble indispensable pour parvenir à intégrer les circuits des institutions bailleuses de fonds. Il sensuit que le recrutement de nouvelles compétences va simposer.
On la expliqué plus haut, les mutations relatives au passage de lUNIR aux ERU et la technicisation des tâches qui la induite, ont conduit, pour les activités de terrain, au recrutement, hors du champ associatif, de personnels professionnels. De la même façon mais concernant les activités du siège, la spécialisation des fonctions entraînant la création de postes dans des domaines tels que les ressources humaines, la comptabilité et gestion ou la communication, a exigé le recrutement externe de personnel dotés dun important niveau de qualification. Dans la continuité de ces mutations, la généralisation de nouveaux instruments de gouvernement de laction humanitaire va obliger à un recrutement externe, pour les activités du siège, de personnels ayant suivi une formation spécialisée sanctionnée par un diplôme.
Alors quoriginellement ou idéalement lunivers associatif repose, on la dit, sur lengagement et la participation de ses membres faisant fi des structurations sociales extra-individuelles et faisant preuve dinitiative, ici, les nouvelles compétences requises par ces instruments, sont plus volontiers acquises dans le cadre de cursus spécialisés. Cest ainsi que se multiplient les options en « développement » en « relation et coopération internationale » ou « droit international humanitaire, droit de lhomme» à partir des deuxième cycle des filières universitaires classiques comme sociologie/ethnologie, géographie, économie, droit
Ou encore dans les grandes écoles comme les IEP ou les écoles de commerce. Plus significativement, des cursus très ciblés ce sont développés dans les années 90 avec la création de nombreux DESS rattachés aux UFR classiques ou à des Institut spécialisés : « Développement, coopération internationale et action humanitaire » (Paris 1 Sorbonne, UFR science po), « Développement industriel et évaluation de projets » (IEDES, Paris 1), « Expertise et coopération en éducation et de la formation » (Paris 5 René Descartes, UFR science de léducation), « Pratique des droits de lhomme » (Institut des droits de lhomme de Lyon), « Ingénierie des programmes de coopération » (Institut des sciences économiques et du management, Lille 1), « Gestion de lhumanitaire » (Paris 12 Val de Marne), « Aide humanitaire internationale » (Droit et science po, Aix Marseille 3). On compte aussi quelques formations professionnelles : école « Bioforce », « IUT gestion et développement de laction humanitaire » (Gradignan), « Diplôme de formation continue en action humanitaire » (Genève), « DU de lInstitut dEtudes Internationales du développement »(Toulouse).
Pour ceux des salariés de la DOI qui ont une formation dans lenseignement supérieur, on relève entre autre:
Chargé de programme ayant un diplôme anglais de relations internationales, chargé de programme diplômé de bioforce, plusieurs assistants diplômés de DESS spécialisés en développement et action humanitaire, assistant diplômé décole de commerce, assistant diplômé de science po
Par conséquent, « de nouveaux métiers font leurs entrée : logisticien, administrateur, financier, informaticien, commercial, métier de la communication, leur tâches auparavant subalternes, deviennent essentielles au point de supplanter les anciens corps de métiers fondateurs » comme les médecins et ingénieurs agronome dans les OSI durgence et de développement ou avocats et juristes dans les OSI de défense des droits de lhomme.
Achevant un mouvement déjà amorcé, il faut cependant saisir lenjeu spécifique de déplacement des groupes professionnels à lintérieur de la CRF que recouvre ici le recrutement externe, irréversibilisant une tendance annonçant la fin du militantisme. Effectivement, à la faveur de ce mouvement, se généralise une nouvelle politique de recrutement moins attentive aux convictions et plus attentives aux compétences acquises hors du champ associatifs dans le sens où « ces organisations rentabilisent des capitaux que lacteur a accumulé hors champ militant. ».
Précisons que cet enjeu dirréversibilisation apparaît plus nettement encore si lon sait que ces personnels sont, la plupart du temps et de plus en plus, salariés de la CRF.
5.1.2. La stabilisation des compétences :
La spécificité de ces instruments est quils sont indissociables de la salarisation du personnel qui en a la compétence et, par conséquent, de lachèvement dun marché du travail humanitaire.
Suivant le schéma analytique de la sociologie de la traduction développé par M.Callon et R.Latour, il sagit de comprendre comment, après avoir traduit les valeurs dominantes issues de la professionnalisation, ces nouvelles catégories de personnels vont faire la clôture de leur position dans lorganisation et irréversibiliser la fin dun rapport militant au travail humanitaire.
La notion de fermeture sociale, empruntée à Max Weber peut nous être ici utile pour saisir les étapes de constitution dun marché du travail. Par fermeture sociale, il entend dune part, « la réalisation dun marché fermé du travail cest-à-dire dun monopole légal de certaines personnes sur certaines activités », dautre part, et « la reconnaissance dun savoir légitime acquis, sans lequel lexercice professionnel serait impossible et qui implique donc une fermeture culturelle de certains groupes professionnels à ceux qui ne peuvent faire la preuve de la possession de ce savoir ». Les nouvelles catégories de personnel vont accéder à cette fermeture sociale en étant sanctionnés par des diplômes reconnus par lEtat qui leur donne une reconnaissance légale à défaut d« un monopole légal sur certaines activités » et en revendiquant leur salarisation comme « reconnaissance de leur savoir légitime acquis ».
En effet, « Les jeunes générations qui, à lissue dune formation longue et sélective, sengagent dans les ONG de développement ou durgence, aspirent de plus en plus à des postes stables et salariés avec les droits associés à ce régime. La reconnaissance comme forme de rétribution symbolique du travail des jeunes volontaires dans le monde de lhumanitaire durable (J. Attali) semble bien dépassé ». On rencontre ainsi à la CRF de nombreux stagiaires et jeunes salariés issus de ces filières et qui aspirent à une insertion et une progression professionnelle ainsi quune rémunération équivalente à leur formation.
Cet extrait dentretien avec un jeune salarié, issu de lIEP de Paris et employé comme journaliste par la direction de la communication, est significatif de ces nouvelles aspirations en terme de rémunération :
« Non
mais je vais pas rester toute ma vie à la CRF, ça bouge pas assez
cest une première expérience comme ça je sais ce que cest
Bon en même temps cest une belle expérience et lambiance de travail est quand même vachement sympa
mais bon
je vais te dire aussi que ça gagne pas beaucoup. »
Avec une employée assistante desk de la DOI sur le thème de lévolution professionnelle:
« Ton poste a pas changé depuis que tes à la CRF ?
Si
Il a
enfin, il a un peu évolué
parce que je pense que vraiment sinon jaurai fini par me suicider (rires), toujours pas assez à mon goût, mais un peu plus.
En quoi ?
Cest plus en terme dautonomie ou de validation, cest à dire quau début tu te fais beaucoup valider et puis après y a des choses sur lesquelles on te fait confiance, et puis sur lopérationnel tes plus capable de comprendre ce qui se passe aussi
après cest vrai que par contre sur le décisionnel, je ne peux toujours pas prendre de décision et y a beaucoup de choses qui dépendent pas que de moi
Si elles dépendaient de moi ce serai pas du tout du tout comme ça.
[
]
Non mais il y a pas une fiche de définition des postes adaptée
sans mépris aucun pour le métier de secrétaire mais bon
ils continuent à embaucher des 3ème cycles alors quun BTS secrétariat suffirait amplement à remplir les tâches quon nous donne à faire
Ce faisant, avec la généralisation et la stabilisation des salariés, de nouvelles références cognitives tendent à simposer et à structurer lespace associatif qui rentre en contradiction avec les valeur de participation et dengagement envisagée plus haut.
Il apparaît ainsi que la posture des personnels revendiquant leur salarisation, soucieux du contrat et des missions qui les lient à lorganisation, rentre en contradiction avec la valeur de participation définie plus haut comme résultat dun décloisonnement hiérarchique. La valeur de participation encourage en effet les membres associatifs à prendre des initiatives, à être force de proposition, dépassant le strict cadre de leur mission contractuelle pour se placer dans le cadre de relations communautaires suivant la distinction évoquée plus haut. Mais, de plus en plus, ces derniers se limitent au cadre professionnel distinguant, par exemple lorsquils sont employés, leur statut demploi et celui des « cadres » comme le montre cet extrait de conversation :
Durant le séjour de formation du groupe ERU logistique à Modane, la synthèse de chaque journée et la préparation des séances suivantes pouvaient prendre beaucoup de temps et conduire à un allongement des journée allant jusquà 23h30 ou plus. La chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » responsable de la bonne conduite de la formation demandait à son assistant et au stagiaire que jétais dêtre présent, de laider à assumer cette charge.
« - Greg, Vincent, faut que je vous parle. Je ne peux pas continuer comme ça. Hier jai bossé jusquà 1h00 du mat. Le lendemain jai des présentations à faire, jsuis crevée alors on va sorganiser autrement. Il faut que vous soyez là, quon finalise les journées ensemble, que je puisse terminer plus tôt. Là, cest plus possible.
- Ben écoutes ouais euh
je veux dire
je savais pas quil restait autant à faire.
- Ben si. Surtout bon, cest les évaluations de la journée qui prennent du temps toute seule, il y a quand même 30 personnes à évaluer tu vois.
- Oui, oui, et ben daccord mais
je veux dire, je pensais que cétait toi qui toccupais des éval, que nous on faisait plus le soutient technique et moi je fais les interventions quon a programmé quoi.
- Ben cest à toi de voir Greg
cest aussi si ça tintéresse de voir comment on fait une éval quoi.
- Non, bien sûr, mais
il faut que japporte une plus value aussi, que je sois pas là juste pour faire acte de présence.
- Ben écoutes, je peux te dire quil y a à faire et que
ça maiderait que tu prennes aussi une part de responsabilité dans les éval.
Après cette conversation un peu tendue, on repart avec lassistant qui poursuit en me confiant :
- Non mais moi ça me saoule de me coucher à pas dheure et puis les journées sont vachement lourdes, moi jai besoin de respirer, jai besoin de me reposer
Et puis
après tout, cest elle la cadre !
Certains sociologues y voient, comme J.Ion une substitution dun engagement distancié à un engagement total rongeant par la même la valeur dengagement définie comme procédant du décloisonnement vie privée/ vie professionnelle. Lauteur précise ainsi que « la place très longtemps centrale des valeurs de sociabilité au sein des groupements dans la confrontations des identités collectives est aujourdhui supplanté par une distinction de plus en plus affirmée entre vie privée et vie militante. » Cette distinction induit la substitution dun modèle dengagement à un autre avec le passage d « une sociabilité de type communautaire construite autour du projet collectif du groupe à une adhésion plus personnelle et axée sur des objectifs déterminés » . On le voit ainsi, parmi les assistants desks qui ont tout à fait le profil décrits, beaucoup réfléchissent à sengager dans une autre association où ils seront mieux payés tout en valorisant leur expérience dans le milieu associatif. Dautres passent des concours pour sorienter dans un milieu professionnel ou vers ladministration.
« Tous ces facteurs conduisent à une croissance importante des effectifs salariés, notamment dans les fonctions très qualifiées. Lentrée dans lhumanitaire passe ainsi de plus en plus par les mécanismes communs du marché du travail » sans plus donner la primauté à la spécificité associative de lengagement et de la participation.
5.2. Les marges de ladministration associative :
Le déplacement des groupes professionnels va conduire à la constitution de nouveaux groupes, au renforcement de certains clivages et à la cristallisation de certains rapports de forces au sein de la CRF. En effet, ces instruments « indifféremment disponibles [
] vont conduire à privilégier certains acteurs et intérêts et à en écarter dautres. ». Ici, il sagit de rendre précisément compte des caractéristiques des groupes professionnels en charge des instruments pour saisir les contraintes mais surtout, les marges de manuvre y afférents et leur donnant la mainmise sur la définition et la gestion des missions de lorganisation.
En effet, le phénomène de salarisation engendre un complexe bureaucratique de permanents rémunérés qui ont la responsabilité des instruments. Ces derniers sont alors obligés de garantir le « cadre » contraignant inscrit dans ces instruments qui, dans le même temps, octroie à la frange supérieure de ces salariés une marge de manuvre considérable dont ils savent jouer.
5.2.1. Les salariés du siège garants du « cadre » :
La constitution de la catégorie de personnel relativement homogène des salariés du siège conduit à la préservation collective du cadre de leur activité. Il sagit de comprendre comment ce cadre va être défini en fonction de leurs intérêts et valeurs pour finalement être confondu avec le « cadre » légitime de lintérêt de lorganisation. Toutefois, ce « cadre » fait aussi lobjet dun travail de définition par dautres acteurs tels que les bailleurs fonds qui limitent les marges des salariés du siège.
On la mentionné plus haut, les instruments qui formatent les demandes de crédits auprès des bailleurs de fonds, suivent lévolution des activités sur le terrain, en rapportent la synthèse et en évaluent la portée, sont autant de nouveaux outils de gestion et de gouvernement de laction humanitaire. On a également vu que la généralisation de ces instruments a induit le recrutement de nouvelles compétences et la salarisation de nouveaux postes professionnels. Mais faut-il encore, pour achever lanalyse de la nouvelle répartition des pouvoirs au sein de la CRF, préciser les caractéristiques distinctives de ces nouvelles professions, les intérêts et valeurs quils partagent et défendent au sein de la CRF.
Comme leur condition salariale le laisse supposer sans pour autant en donner lassurance, ces nouvelles professions sont concentrées au niveau du siège. Il existe bien des salariés dont la mission se déroule la plupart du temps sur le terrain, mais si lon restreint le champ de lanalyse en se focalisant sur les opérations internationales, force est de constater que les salariés occupent en grande majorité des fonctions administratives, de logistique, de gestion et de communication qui prennent toutes place au siège.
Cette précision permet de comprendre le renforcement du clivage siège/ terrain qui accompagne la salarisation de ces nouvelles compétences. Effectivement, avant de contribuer à la redéfinition des rapports de forces au sein de la CRF, la recrudescence des salariés implique lémergence dun groupe relativement homogène, travaillant ensemble au quotidien, partageant les mêmes espaces, les mêmes temps, les mêmes pratiques et constituant des références communes. Ainsi, les références partagées par les salariés du siège, conjuguées aux déterminants structurels de leur condition salariale, sont autant déléments qui vont constituer un groupe à part entière avec ses intérêts et ses valeurs propres.
Dabord, comme on la esquissé plus haut, les salariés sont structurellement liés à la forme entrepreneuriale dans la mesure où ils sont plus attachés à la pérennisation de la structure quau projet associatif. Les salariés de la CRF sont effectivement dépendants des ressources dont lassociation dispose et quelle peut allouer à la rémunération de ses employés. Sajoute à cet intérêt objectif le fait que, constituant un groupe partageant des valeurs communes, la majorité des salariés du siège ont la même perception et saccordent en valeur sur la même définition de lintérêt de la structure. Notons ici que lon voit comment lintérêt sous-tend le partage de valeurs dune part, et, comment la perception et la définition commune de cet intérêt suppose le partage de valeurs communes dautre part. Ce double élan rend analytiquement inextricable lintérêt dun groupe et le partage de valeurs de ce même groupe.
Par exemple, les membres associatifs auraient défini lintérêt de la CRF en privilégiant lindépendance de lassociation par rapport aux pouvoirs publics afin de préserver le projet associatif fondateur et de conserver leur pouvoir dorientation des décisions. Autrement, des salariés travaillant sur le terrain seraient enclins à accorder le primat à la réalisation des activités et au rapport aux populations aidées afin de garantir la finalité ultime de laction humanitaire et pour sassurer le rôle crucial dintermédiaire entre le siège et le terrain. Mais, dans le cas qui retient ici notre attention, les salariés du siège vont définir lintérêt de la CRF en focalisant sur le respect du « cadre » fixé par les instruments assurant la pérennisation de la structure afin de maintenir et de développer la capacité daction à la fois de la CRF et la leur.
Les conditions, tant objectives que subjectives, qui font la position de salarié du siège les amènent, on le voit, à promouvoir la définition légitime dun « cadre » normal et normatif des missions de la CRF. Cependant, il convient de souligner que par la même, ils se soumettent aux exigences des bailleurs de fonds qui sont à lorigine de ces « cadres ».
Afin de pérenniser la structure les salariés ont dabord intérêt à suivre scrupuleusement le « cadre » à partir duquel leurs supérieurs vont les évaluer dans leur conscience professionnelle, leur rigueur et déterminer leur avancement professionnel. Effectivement, en tant que salariés « leur carrière dépend aussi de leur aptitude à entrer dans le moule » . Même en déplorant du bout des lèvres le recul de lidentité associative, ils vont insister sur les performances et lefficacité comme gage de professionnalisme au sens de travail bien fait et non pas comme dérive de la professionnalisation au sens de perversion du projet associatif. En fait, cette stratégie dadaptation consiste en une justification où la croyance dans les bienfaits du professionnalisme opère comme facilitateur de pratiques alors que celles-ci conduisent parfois à occulter la logique non-marchande qui prévaut dans lidéal associatif.
Cette conduite est observable en particulier chez les personnels membres de la CRF depuis plusieurs années aujourdhui salariés à temps complet et à ce titre, dépendants de la pérennisation de la structure.
Si lon met en regard les pratiques quotidiennes des salariés employés ou cadres avec leur discours sur la professionnalisation, on relève que la valorisation des effets perçus comme positifs de ce processus lemporte sur les critiques émises à son encontre tant il est vrai que lévolution de leur carrière dépend de ladhésion à ces pratiques.
Lors des réunions du personnel de la DOI, le directeur prend souvent le rôle du manager qui demande à ses subalternes dêtre à laffût des offres de financement dits « appels à proposition » par les bailleurs afin de proposer le maximum de projets répondant aux critères ad-hoc de présentation et étendre le champ des opérations de la CRF.
Ce comportement conduit parfois les chargés de programme à devoir justifier auprès de lui les raisons pour lesquelles ils nont pas entrepris de déposer une proposition de projets suite à une offre. De ce fait, les chargés de programme ayant une longue expérience terrain à la CRF ou ailleurs expriment volontiers le regret que le directeur nait pas davantage le souci de la « pertinence de laide » et moins celui de la logique quasi-marchande du « toujours plus de projets ». Pourtant, ce sont aussi les premiers à admettre la nécessité et à défendre lintérêt de répondre aux critères des bailleurs pour la survie et la visibilité de lassociation autant que pour être « efficace » et satisfaire les besoins des populations aidées. Ce paradoxe apparent est en fait une justification qui leur permet dassurer leurs tâches administratives principales de rédacteur de projets à présenter aux bailleurs de fonds.
Enfin, les assistants, souvent demandeurs de plus de réflexions sur la « pertinence de laide » suivent à contre cur les injonctions de leur supérieur notamment lors de la relecture des propositions de projets.
Dautre part, les bailleurs évaluent le résultat des missions sur le critère de la conformité de la mission aux codes en vigueur et déterminent à partir de ce résultat les crédits concédés. Il sen suit que « la gestion des projets doit par ailleurs tenir compte des directives émanant des bailleurs. Les crédits sont octroyés par tranches, au fur et à mesure de la réalisation des actions et des contrôle de lorganisme financier ».
Lassistante desk « Amériques, océan indien » expliquant la procédure décriture dun projet montre dune part la tutelle des salariés du siège sur les acteurs de terrain en corrigeant leur comportement sils sortent du « cadre » et dautre part, les exigences des bailleurs qui détermine ce « cadre » :
« Comment ça se passe pour lécriture dun projet ?
Bon
En général
on demande à un délégué daller sur le terrain, il se débrouille à peu près tout seul, en collaboration avec les partenaires de la société nationale
et puis il écrit un draft du projet quil va envoyer au desk géographique
alors bon à partir de ce moment là, on le relit avec une première lecture assez formelle pour corriger lorthographe, la formulation en bon français, la rédaction et puis
la lecture de fond un peu plus dordre stratégique, le côté cohérence, pertinence, si cest réalisable ou pas, pas trop ambitieux, avec le chronogramme ect
bon, il y aune proposition de budget aussi à côté où on voit si le délégué à bien pensé à tout, si les prix sont justes, si cest pas disproportionné, si euh
cest faisable dans le temps imparti
et enfin y a tout ce qui est plus lié au cadre logique et donc plus de la méthodologie, si lobjectif est bien un objectif, si le résultat est un résultat, les indicateurs et les activités.
Oui donc vous supervisez lactivité du terrain aussi à ce moment là.
Ben en fait, le siège doit vraiment tout le temps valider tout ce qui est écrit et vraiment se mettre à la place du bailleur et donc
se faire un peu lavocat du diable et poser cinquante mille questions
ce qui est très très mal perçu par le terrain (rires)
mais il faut faire en sorte que la proposition ou le rapport soit le plus lisible, le plus explicite, le plus détaillé et le plus
convainquant pour
en cas de proposition pour avoir le financement et en cas de rapport pour continuer à avoir le financement.
Pourquoi tout ce protocole daprès toi ?
Pourquoi ? parce que de plus en plus, les bailleurs ils demandent, enfin ont des critères décriture de projet en temps que tel. Cest pas seulement lidée, cest pas simplement dire on va apporter de leau potable aux gens, daccord comment, ben on va construire des puits ect, daccord mais ça suffit plus faut le prouver, faut lexpliquer, et puis surtout il faut pouvoir le mesurer à la fin du projet. Pour que ça puisse être mesurable, puisque de plus en plus les bailleurs en fait se fixent euh
sur des résultats peu importent limpact et si ça a contribué à quelque chose. Donc si tas des résultats trop ambitieux dommage pour toi.
Et quest ce qui se passe dans ce cas là ?
Même si ça a eu des effets positifs ils diront
ah non
euh
cest pas à la hauteur de ce quon avait demandé, on vous paie pas la dernière tranches
Il est donc de lintérêt des salariés du siège ou du terrain de respecter le « cadre » largement fixé par les bailleurs devenant même un vecteur privilégié de ce « cadre ».
Ainsi, « les critères définis par les bailleurs de fonds et ceux qui sont propres aux catégories professionnelles qui dirigent les ONG coexistent, et semblent même parfois se renforcer les uns les autres. ». Cest précisément de cette situation dalliance objective et subjective entre les salariés du siège et les bailleurs que résulte la formation dune véritable administration associative dont le rôle consiste à exécuter les décisions stratégiques de la « gouvernance » et à veiller au respect des exigences procédurales des bailleurs.
Cette dynamique montre bien que la responsabilité des instruments assumée par les salariés du siège et leur rôle de garants du « cadre » largement contraint par les bailleurs de fonds, les place aux commandes de lorganisation de sorte que « le pôle professionnel est souvent amené par la force des choses à prendre le dessus. Car dans la situations fréquente ou les marges de manuvre sur les ressources sont faibles, les associatifs ne peuvent guerre infléchir la marche de lorganisation face aux contraintes de loffre daide. »
5.2.2. Linformation comme ressource des cadres :
Le point précédent insiste plus sur la position de force des salariés du siège comme le résultat de la « la force des choses », celle des instruments, conjuguée à lintérêt a minima de ces personnels de maintenir leur position en respectant les contraintes fixées de lextérieur. Mais, faut-il encore souligner le rôle actif de la frange supérieure des salariés, les cadres, visant à maximiser leur puissance au sein de la CRF en jouant de leurs ressources pour se dégager des marges de manuvre. En effet, daprès « la sociologie des organisations et la théorie de la rente informationnelle comme source de pouvoir des professionnels » il faut insister sur « linégalité introduite par la professionnalisation, entre les différentes catégories de personnels qui nont pas les mêmes ressources pour gérer lincertitude ».
Dabord, si lon considère le complexe bureaucratique des salariés du siège toutes directions de la CRF confondues, on remarque que la responsabilité des instruments procurent aux cadres salariés des ressources consistant essentiellement dans la détention dinformations pertinentes. En effet, leur rôle leur donne la prérogative de contrôler les informations contenues dans les instruments et les met en position dintermédiaire avec les partenaires de la CRF.
Dune part, les instruments définis au sens large, impliquent le recueil dinformations spécifiques qui nécessitent des outils élaborés de traitement de cette information. Or, comme on la dit, la compétence de ces outils est monopolisée par les salariés, et, au sein de ce groupe, les employés sont supervisés par les cadres. Ces derniers vont donc être en mesure, de recueillir, de sélectionner et contrôler les données sur lesquelles vont reposer tous les bilans, rapports, films documentaires et autres instruments. Par exemple, les salariés du « département de comptabilité » de la « direction financière » voient transiter par leur service les comptes détaillés de chaque programme quils ont la charge de suivre, de traiter et de présenter à leurs cadres. Dautres catégories de personnel voient alors leur activité déterminée par ces impératifs et sont dès lors soumises aux contraintes de temps fixées par le « département comptabilité ». On citera les équipes de terrain qui doivent régulièrement consigner les mouvements des crédits et débits liés à la mission. De la même façon, les « assistants des desks » de chaque programme de la DOI doivent transmettre les « demandes davances de fonds », « demande de modification dimputation sur une ligne de financement », « rapprochement de caisse », « plan comptable pour fonds dédiés » et « regroupement de factures ». Ils doivent encore tenir à jour des « tableaux de bords » et « chronogrammes » qui organisent les impératifs de calendrier tels que le moment de la comptabilité, le moment de la remise des rapports.
Plus généralement, les cadres de la direction financière par lintermédiaire de la « trésorerie » sont en capacité de donner ou de refuser laccès au montant de fonds propres toujours indispensables, bien que dans des proportions variables, pour sengager sur un projet.
Dautres types de relations asymétriques sinstaurent au sein de la DOI entre les cadres, chargés de programme et directeur, et les employés assistants desks. Effectivement, les chargés de programme sont en relation directe avec les responsable de mission sur le terrain ce qui leur permet de suivre presque quotidiennement le degré davancement des actions. On reviendra sur ce point dans un instant, mais ici, cela nous permet de comprendre leur ascendant sur les assistants qui ne disposent pas toujours des informations pour se faire entendre sur une décision. De façon encore plus marquée, le directeur est en contact direct avec les organismes bailleurs de fonds et il est ainsi au fait de toutes les offres de financement. Il est donc en mesure délaborer des stratégies dintervention en se concertant avec les chargés de programme mais sans avoir à recueillir lassentiment des employés cantonnés dans leur rôle dassistants et exclu de la prise de décision.
On voit ici comment les cadres de la direction financière et de la DOI ont une marge de manuvre considérable sur les programmes engagés.
Dautre part, une ressource majeure leur vient de la densité des liens que ces personnels entretiennent avec des réseaux extérieurs. .
Les cadres salariés sont effectivement ceux qui assument le rôle dinterface entre la CRF et les multiples partenaires extérieurs à lorganisation. Ainsi, « les responsables communication développent des liens avec les médias, les responsables commerciaux avec les réseaux de marketing et de recherche de financement
Tous ces liens assurent à ces nouveaux groupes un bon placement. » On peut constater ces relations lorsque lon sait que le directeur de la communication donne de nombreuses interviews pour la télévision ou les journaux et plus intensément encore lors des missions durgence de grande ampleur comme le Tsunami. De plus, on peut observer au quotidien les interactions, entre autres téléphoniques, de la « délégation au développement des ressources » avec les grandes entreprises partenaires de la CRF.
Ensuite, si lon considère à nouveau et de plus près le rôle de la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » en tant que cadre salarié du siège, on comprend mieux lusage que font ces personnels des informations dont ils disposent et qui leur donnent la tutelle des actions de terrain.
Dabord, en tant que ce poste a la maîtrise des informations inscrites dans les instruments qui président à lélaboration et à la conduite des « missions » durgence et des « programmes » de développement, cest lui qui est en charge de la sélection et de la formation des équipes de terrain afin de leur transmettre ce « cadre » spécifique. Pour le saisir, il faut développer le point que lon a abordé lors de la description des nouvelles équipes ERU et qui portait sur les étapes de leur constitution.
Ces équipes suivent, à chaque stade, les orientations et instructions du chargé de programme « préparation et réponse aux catastrophes ». Avant même que les individus soient recrutés, le chargé de programme sélectionne les candidats en fonction de leur aptitude supposée à recevoir et à intérioriser le « cadre ». Cest ainsi que nous avions constaté un recrutement majoritairement fondé sur le critère de la compétence professionnelle. Ensuite, durant la formation, le chargé de programme est, à côté des intervenants FICR, le principal exposant, ce qui lui confère la capacité de dire, dinsister ou de taire les informations dont il est le détenteur. Ajoutons que cest également lui qui finira par sanctionner les candidats en validant ou en refusant leur titularisation. A cet égard, « la formation est un enjeu de taille, lune des manières privilégiées de dominer lespace daction, parce que maîtriser la formation permet tout à la fois den contrôler lentrée et de construire un univers symbolique et une base cognitive qui le structure ».
Au delà, il faut insister sur le fait que le chargé de programme est responsable de la composition et de la mise en action de ces équipes.
Après la formation encore, cest lui qui décide de la composition des équipes pour tel ou tel type de mission, de son leader, du nombre de logisticiens, de médicaux ou de spécialistes en traitement des eaux, en fonction des besoins dont il a connaissance. Pendant et après le déroulement de leur activité enfin, cest le chargé de programme que les équipes joignent au téléphone pour décrire le degré davancement de la mission en fonction des objectifs fixés.
Ce dernier point achève de montrer comment le chargé de programme parvient, alors quil est déjà en possession dinformations capitales lautorisant à délimiter le champ dintervention du terrain, à concentrer encore linformation qui en est issu de sorte quil fini par rendre muets ceux au nom desquels il parle. Effectivement, cest le flottement qui existait dans la répartition des compétences qui permettait la mise entre parenthèse du clivage siège/terrain lequel pouvait étendre sa marge de manuvre dans laction. Mais ce clivage se cristallise avec la bureaucratisation du siège qui, délimitant les zones de compétence, limite aussi la possibilité de prise de responsabilités du terrain.
Cette analyse du déplacement des professions directement issu du processus de professionnalisation montre bien que progressivement « les gestionnaires prennent le pas sur les techniciens qui se trouvent réduits aux fonctions dexécution des projets décidés par les gestionnaires selon les opportunités des appels doffres et dirigés selon les exigences du cadre contractuel imposé par les bailleurs. »Ce changement correspond dans une large mesure à une fin des militants par leur simple éviction de la structure ou du fait des règles de recrutement de nouveaux professionnels qui maintiennent à lécart les anciens militants. Mais lengagement nest parfois pas quun supplément dâme et les nouveaux salariés, comme les anciens bénévoles devenus salariés, sont parfois porteurs de multiples messages susceptibles de favoriser un renouveau militant.
Les experts prennent la parole :
Les ressources des cadres ne se limitent pas à laccès privilégié au stock dinformations quimplique le contrôle des instruments, stock dont ils peuvent jouer pour maximiser leur puissance de catégorie de personnels sur dautres. Ces ressources comprennent également un accès privilégié à la parole légitime lorsquil sagit de porter cette parole vers dautres organisations associatives ou instances politico administratives. Cependant que ce mécanisme de monopolisation des instruments et de la parole par les cadres professionnels achevait le processus de technocratisation, certains salariés, cadres comme employés, vont infléchir cette tendance et promouvoir une expertise militante. Ce renversement nous conduit à prêter attention aux « conséquences in intentionnelles dactions intentionnelles » et nous montre qu « une fois en place, ces instruments ouvrent à des entrepreneurs politiques de nouvelles perspectives dutilisation et dinterprétation qui ne sont pas prévues et qui sont difficile à contrôler. »
Il sagit dès lors de monter comment les valeurs dominantes vont être ré encodées, réinventées au sein de la CRF (6.1) et deviennent facteur démergence de nouvelles causes conduisant vers un renouveau militant (6.2).
6.1. Les soutiens internes de lexpertise :
Souvent en réaction à limposition de ces nouvelles normes de travail, des salariés dont la plupart sont employés mais relayés par quelques cadres vont eux aussi jouer de leurs ressources pour défendre une définition alternative des instruments. Ainsi, en critiquant vigoureusement la vision techniciste imposée par les détenteurs des instruments, ré encoder avec des ressources antérieures et réinventer une approche du travail humanitaire qui va porter lexpertise.
6.1.1. Sortir dune définition technico-gestionnaire des instruments :
Faisant écho aux manifestations de rejet de la forme entrepreneuriale décrites plus haut, et déclinant une autre dimension de ce registre, des voix vont sélever au sein de la DOI contre la définition par trop technique des instruments que tendent à imposer les bailleurs de fonds aussi bien que la CRF.
Voyons dabord quelle est la teneur de cette définition en analysant le discours de certains salariés au sujet des bailleurs de fonds sur lesquels viennent souvent se focaliser les hostilités à légard de ces nouvelles normes du travail humanitaire.
Le principal grief adressé aux bailleurs vient de ce quun nombre important de salariés associatifs les pensent plus soucieux dune bonne gestion des fonds quils engagent dans les projets que de leur réussite. Aussi, en déduisent-ils que toutes les normes et outils de gestion quils promeuvent sont en fait des procédés techniques qui ne consistent quen une évaluation strictement quantitative des résultats au détriment dune approche qualitative.
Cet extrait dentretien avec une assistante desk de la DOI donne une idée précise de lopposition qui peut être faite entre les trop rares « évaluations » en fin de projet et les « audits financiers » toujours commandés.
Ah ouais. Y a un vrai recours alors pour les bailleurs, ils paient pas quoi.
Ben ouais cest ça
et
donc pour éviter ça, mais aussi pour le bailleurs pour vérifier ça, il faut bien faire ta proposition, bien suivre cette méthodologie et comme ça
tu peux prouver tes résultats avec des indicateurs chiffrables, quantifiables
qualifiables aussi même si les bailleurs sont pas forcément friands non plus de ça parce que cest des indicateurs difficiles à manipuler.
Pourquoi ?
Parce que les bailleurs ils ont pas le temps
les plus regardant cest ECHO et ils ont des délégués sur le terrain, mais ils ont plein de projets alors, ils essaient de les visiter au moins une fois dans lannée
mais bon quand ils viennent, ils restent que deux trois jours, tas le temps de rien faire dans ce temps là. Tu regardes et tu dis si il y a dans les faits ce qui était prévu au départ mais en terme matériel quoi
En règle générale, les bailleurs nexigent pas dévaluation, ils préfèrent les audits financiers
ça oui les audits financiers yen a souvent. »
Et à lintérieur de la CRF non plus ny a pas dévaluation après un projet pour essayer de saméliorer ?
En principe les chargés de programme vont deux fois par an sur le terrain pour assurer un suivi des missions mais bon
.ça, ça dépend aussi des chargés de programme, yen a qui se libèrent et yen a qui ne le font pas.
Ah bon ? Mais pourtant il y a une méthodologie pour les évaluations dans tous les documents types, les procédures qui viennent des bailleurs ?
Non mais ça cest sûr, les outils existent mais la démarche dévaluation nexiste pas
en même temps comme je te dis, les bailleurs sont loin dy être forcément attachés
Ca existe mais cest pas du tout obligatoires, par contre ce qui est obligé cest de faire du résultat
en fonction de critères quantifiables etc.
A la lecture de ce témoignage, on voit bien comment les bailleurs tel quECHO ne donnent des instruments de gouvernement de laction humanitaire quils ont eux même conçu, quune interprétation et un usage technico-gestionnaire. Effectivement, si lon se rapporte aux instruments présentés plus haut, on constate quils impliquent en principe tous une phase détude nécessitant lusage dindicateurs qualitatifs. Le « cycle de projet » par exemple mentionne une phase préliminaire de « programming » ou « didentification » ainsi quune phase finale d « evaluation » ou « étude dimpact ». Le « cadre logique » avec les « hypothèses » et le « formulaire de demande de subvention » avec « la présentation de laction », « limpact sur le groupe cible », « effets multiplicateurs », « durabilité », induisent aussi une attention à lappréciation qualitative du travail humanitaire. Pourtant, tel que laffirme linterviewée, « les outils existent mais la démarche dévaluation nexiste pas ». En fait, les bailleurs vont davantage insister sur des « résultats » à « prouver » par des « critères quantifiables », qui sont autant de termes relevant du registre technico-gestionnaire.
Par ailleurs, il convient de prêter attention à ces même griefs mais exprimés cette fois-ci à lencontre de la CRF dès lors assimilés aux bailleurs de fonds.
On la vu, afin de préserver lidentité associative de la CRF, certains acteurs de la DOI sopposent à la codification des pratiques qui préfigure le rétablissement de la hiérarchie. Rappelons nous leur profil. Il sagissait soit demployés assistants desk issus dune formation supérieure spécialisée que contrariait lexécution de tâches purement technique de secrétariat. Soit, de cadres chargés de programme issus dassociation plus militantes et qui vivait assez mal de devoir respecter les codes hiérarchiques alors quils nétaient pas daccord avec les décisions jugées trop orientées par le souci de rentabilité de leur directeur.
Ici, on le comprend, les mêmes acteurs vont sinscrire en faut contre la codification quentraîne la généralisation des instruments et qui préfigure en loccurrence dune limitation de leur activité à un traitement gestionnaire des projets. En effet, les premiers y voient un pas de plus vers le confinement de leurs activités à des tâches simples, dexécution. Les seconds y voient une entrave de plus à lexpression de leur opinion qui prennent souvent à contre pied les impératifs financiers.
Un chargé de programme issu dune association plus militante me confie ainsi au cours dun repas :
« Non mais à la CRF y a pas de stratégie, cest nimporte quoi
cest seulement le fric quoi
Tu vois A. cest vraiment la gestion financière des projets qui lintéresse, il sait rien dautre quoi
En fait à la CRF on se place là où il y a de largent »
Lextrait dentretien suivant montre bien la virulence des critiques quune assistante desk est amenée à porter contre la CRF dont elle condamne fermement le refus de sengager vers une démarche d « évaluation ».
Dès fois vous faite appel à un expert qui vient faire des études dimpact ou ça coûte trop cher ?
Ca coûte très très cher, trop cher, donc
en fait la plupart du temps les évaluations sont faites par des gens de la CRF, tu vois.
Comment ça ?
Ben on demande à un VMI de la faire, on lui fait un contrat comme quoi il est évaluateur mais bon tu vois, il est biaisé quoi, il ne peut pas porter un regard objectif sur les missions.
Et des experts externes ?
Ca se fait très très très peu
Ca arrive, mais bon, il faut que le chargé soit intéressé
en plus bon, ça prend du temps, il faut définir les termes de références, il faut trouver un financement, bon
pour ça il y a le F3E qui est un regroupement dONG, cest une structure financée et fondée à linitiative du MAE entre autre pour dispenser des formations et pour assister les ONG dans leur démarche dévaluation
en fait une fois quils ont apprécier une démarche dévaluation dans deux commissions, ils financent 80% des coûts et ce quy est bien cest qu ils ont une base de données énorme dexperts et de cabinets de consultants
ça cest bien mais je crois que je suis globalement la seule à en être convaincue à la CRF. [
] On devait le faire à un moment et puis tu penses bien, Isa, oh non ! Ça fait chier, ça prend du temps, ça sert à rien
A ce point ?
Ah oui certains chargés ça les intéressent pas du tout, ils disent quils ont pas le temps, quils ont déjà de lexpérience terrain, que
cest beaucoup de bla bla, que cest pas tellement utile et quils ont pas besoin de se taper de la théorie
.[
] De toute façon lattitude de la CRF par rapport au F3E, cest quest ce quon a à apprendre des autres, jveux dire, on fait déjà tout super bien, cest pour ça quon mène pas dévaluation, on sait que nos projets sont réussis, et si ils sont pas réussi cest pas de notre faute, et si cest notre faute on va surtout pas aller le dire, donc pourquoi évaluer les projets. [
] En fait, tu va au F3E, quasiment tous les gens se connaissent, nous on connaît personne, personne nous connaît, enfin si on est la CRF, on est identifié comme étant très riche, très proche du gouvernement et faisant beaucoup durgence et pas de développement ce qui est pas faux dailleurs, alors tu vois nous à la CRF on sintéresse pas aux petits, on joue pas dans la même cours. »
On voit ici nettement apparaître les conflits de définition des instruments à lintérieur même de la CRF entre les partisans de l « évaluation » par des « experts et cabinets de consultants » dune part et ceux qui, à linstar des bailleurs, abondent dans le sens dune définition technico-gestionnaire opposant « lutile » à la « théorie » quand une chargée de programme dit « ça sert à rien
on na pas besoin de se taper de la théorie ».
6.1.2. Lappel à la mobilisation doutils cognitifs :
Contre cette définition technico-gestionnaire, les profils de salariés suscités vont réencoder les instruments en les interprétant plutôt à partir des démarches d « évaluation » que ces instruments suggèrent sans pour autant quelles soient appliquée. Afin de promouvoir l « évaluation », ces salariés vont valoriser des ressources cognitives auxquelles ils ont pu être formé dans leur parcours antérieur. Ce faisant, ils vont favoriser laccumulation dun savoir associatif contribuant à la construction de lexpertise associative.
Pour faire valoir leur vision des choses, ces salariés vont dabord aller puiser dans les ressources qui leur sont accessibles à partir de leur place dans lorganisation et dans celles auxquelles leur parcours antérieur les a familiarisé.
Cest bien ce qui se joue quand les chargés de programme dénoncent le fait que les stratégies de développement soient soumises aux stratégies financières plutôt que dêtre guidées par des études qui démontrent que laction engagée est pertinente car « il faut sattaquer aux causes ». Cette seconde démarche sapparente en fait aux pratiques dorganisations plus militantes au sein desquelles ils ont travaillé.
« Mais leau pour la lutte contre la pauvreté cest une stratégie non ?
Non mais ça cest pareil, il faut définir une stratégie jveux dire
choisir des thèmes comme ça, parce que cest porteur, que ça amène des financements, ça va ! Cest pas ça une stratégie. Cest qui se passe avec leau
faire dans leau quoi mais ça veux rien dire
Non mais il faudrait faire une étude qui montre voilà, avec des indicateurs, les causes des problèmes
voilà, leau dans cette région, pour cette population cest le problème majeur
Alors là daccord
il faut sattaquer aux causes. »
Cest aussi le cas des assistants qui demandent à assister aux nombreuses formations délivrées auprès des personnels dOSI et pour lesquels « cest une formation en plus ». Ces formations parlent de mettre à contribution des méthodes de sciences sociales dans lactivité humanitaire tel que ces démarches leur ont été enseignées durant leur cursus scolaire. On citera par exemple, les formations en Droit International Humanitaire, internes à la CRF, et dispensées par le service des Relations Internationales. Mais plus précisément, il existe plusieurs formations thématiques et ponctuelles organisées par des centres de recherche en développement qui transmettent des « outils » dévaluation. En voici un exemple rapporté par une assistante desk ayant assisté à une formation organisé par le F3E « Fonds pour la promotion des études préalables, études transversales, évaluations » dont lintitulé même affirme lobjectif de généralisation à la démarche d « évaluation ».
« Et le F3E, concrètement ça apporte quoi ?
Alors, en fait, le F3E, un, il dispense des formations aux personnels des OSI, en terme justement doutils de suivi, dindicateurs ect
les chronogrammes, les tableaux de bord, aussi, comment écrire les termes de références pour une évaluation en fait comme ça, ça paraît simple, cest plein de petites choses qui paraissent simple mais finalement où tas besoin de méthode, tas besoin de théorie, où tas besoin déchange de pratiques tout simplement entre OSI, cest important
donc plein de petites formations diverses et variées sachant quils restent attentifs aux besoins des ONG, par exemple, le terme de capitalisation est de plus en plus à la mode, et donc là lundi et mardi jétais en formation donc organisée par le F3E et le groupe Initiative et dispensée par des formateurs du CIDEV sur la capitalisation dexpérience, quest ce que cest, un concept, des outils
donc même si cest une structure qui relève du MAE, cest aussi issu dune demande des OSI
Vous, vous demandez à y participer ?
Oui, oui, enfin
cest les assistants qui demandent
Parce que pour nous cest intéressant, ça les intéressent et puis
cest une formation en plus quoi.
Ici, les ressources cognitives sont mises en avant lorsquelle dit par exemple « cest plein de petites choses qui paraissent simple mais finalement où tas besoin de méthode, tas besoin de théorie », en fait, besoin dexpertise.
Au moyen de ces ressources, ces salariés vont réinterpréter les cadres des instruments en substituant la notion defficacitéentendue comme pertinence et réponse à un problème identifié à la celle defficacité entendue comme rentabilité ou validation dobjectifs techniques.
Voici un extrait dentretien passé avec une assistante desk et qui fournit un exemple du passage à une définition en terme de pertinence.
« Et donc à côté de ça, cest des fonds mis à disposition pour réaliser les études. Donc, les études préalables quon peut assimiler à des évaluations ex-ante, avant le projet pour tout ce qui est identification de projet. Ca cest long et cest laspect novateur si tu veux cest pas où est ce que je pourrais aller construire mes dix latrines en fait, cest quel est le contexte, les problèmes, leurs causes, essayer dapporter quelque chose pas seulement à son organisation mais en terme de bien collectif.
Oui, et lévaluation finale ?
Après il y a lévaluation intermédiaire et lévaluation finale donc quest liée au cycle de projet. Et enfin, tas lévaluation dimpact, alors ça cest vraiment leffet que peut avoir ton projet sur tout lenvironnement autour, ça peut être des effets positifs ou négatifs et en fait comprendre si ton résultat cest le résultat de ton projet et pas dautres facteurs, dautres déterminants. Cest tout ce travail là en fait, dans loptique de faire mieux et surtout de partager entre organisation et
cest pour ça que toute étude doit être un peu formalisée, conceptualiser pour être un peu
transposable dans des situations différentes.
Ici, on peut suivre les différentes étapes du passage à lexpertise associative appelé par certains salariés. Dabord, il sagit délargir le point de vue à partir du quel on émet un diagnostic « quel est le contexte, les problèmes, leurs cause » et à partir duquel on rend une appréciation finale « cest vraiment leffet que peut avoir ton projet sur tout lenvironnement autour ». Ensuite, pour légitimer ce point de vue, il sagit délargir le groupe dacteurs qui profitera de cette plus-value de connaissance en dépassant le seul intérêt de la CRF ou des bailleurs pour satisfaire les besoins des bénéficiaires « essayer dapporter quelque chose pas seulement à son organisation mais en terme de bien collectif ». Enfin, est-il important de généraliser cette connaissance pour résolument passer de lexpérience à lexpertise « cest pour ça que toute étude doit être un peu formalisée, conceptualisée pour être un peu
transposable dans des situations différentes » et que linterviewée désignait plus haut par « capitalisation dexpérience ».
On voit comment ce travail de redéfinition du « cadre » des instruments par certains cadres de la CRF soutenus par plusieurs employés conduit à la réinvention partielle du travail humanitaire, avec la valeur accordée aux ressources cognitives et le plaidoyer pour la pratique d « évaluation ». Reste à expliquer comment cet élan va permettre laffirmation de lexpertise associative au sein de la DOI.
6.2. Le passage au politique :
La position de force des cadres salariés, ayant suffisamment prise sur les instruments pour les instrumentaliser, conjuguée aux signes de demandes internes dexpertise, vont offrir aux nouveaux cadres une opportunité leur permettant de surmonter les contradictions suscitées par leur nouvelle situation de permanents du siège. Dès lors, sils ont perdu leur militantisme en quittant le terrain, ils peuvent le regagner en conquérant dautres terrains.
Afin de saisir le parcours de ces cadres qui vont devenir porteurs de parole, il faut rendre compte des conditions de leur prise de parole. Dabord en comprenant les motifs de linsatisfaction quils peuvent ressentir dans leur nouveau rôle, insatisfaction qui les incitent à prendre la parole. Ensuite, en suivant le cheminement de leur trajectoire jusquà leur émergence, au sein de la CRF, comme expert.
6.2.1. La souffrance à distance :
Si, comme on la dit, lidéal associatif entretient un rapport sacré au terrain comme lieu de réalisation des fins de lassociation, le monde humanitaire a en plus un lien affectif au terrain comme lieu dempathie et de réconfort de la victime souffrante. Partant, on comprend que les bénévoles devenus cadres vivent avec difficultés le passage du terrain au siège les conduisant, à bien des égards, du plaisir de voir au dépit des déboires.
On la vu, de plus en plus demployés salariés et cadres salariés sont directement recrutés sur la base de leur formation scolaire ou de leur expérience professionnelle dans le même secteur dactivité mais dans une structure non associative. Pourtant, chez les cadres salariés occupant le poste de chargés de programme au sein de la DOI, nombre sont encore ceux qui ont derrière eux une longue expérience de terrain. Aussi, cette époque de leur vie associative leur laisse souvent un souvenir nostalgique bien quincomplet.
Toujours très attachés à leurs années de terrain, les chargés de programme « Afrique », « Amériques, Océan Indien » et « réponse et préparation aux catastrophes » adhèrent totalement à la valeur de sacralisation du terrain décrite plus haut. On les trouve souvent réunis pour échanger des anecdotes sur leurs différentes missions ou racontant à des personnes plus jeunes et friandes de ce type de récits, leurs multiples péripéties. En effet, le contact direct au bénéficiaire est toujours lobjet de valorisation et même de fascination pour ceux qui nont jamais vécu leur « première expérience ».
A cet attrait pour le « contact direct », sajoute, dans le cas des missions durgence plutôt que de développement, tout un rapport à l « action » et au « résultat visible ». Par exemple, le discours de la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » insiste autant sur la rencontre avec le bénéficiaire que sur la satisfaction de voir se concrétiser le résultat. Cet extrait dentretien en donne lillustration :
« [
] lurgence euh
voilà, cest tout de suite, ty vas tu fonces, tu donnes le truc, et tu vois le résultat presque tout de suite parce que tas le sourire des gens, tas les équipes qui reviennent ouais cétait super machin et tout
»
On y trouve bien mis en avant un goût prononcé pour les sensations que procure la spontanéité du départ, linstantanéité du geste et limmédiateté de la récompense.
Même nostalgique dune époque révolue du plaisir de voir, tous les chargés de programme rapportent les limites du travail de terrain tant le mode de vie qui y est associé implique des sacrifices personnels. Dans le cas particulier de la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes », le sentiment dincomplétude est double. Dabord, elle sait que ce travail ne convient pas la quarantaine passée pour des raisons évidentes de résistance à la fatigue et pour faciliter le management déquipes en moyenne assez jeunes. De plus, un sentiment dinsatisfaction naît bien souvent du caractère éphémère de lactivité quelle manifeste en réduisant la satisfaction à un « besoin dadrénaline », ou à de l « amusement ». Cet extrait dentretien en témoigne :
« donc cest un dur boulot hein
cest super stressant euh
ect tout ça à la limite ça mamuse moyennement, moi jai pas besoin dadrénaline particulièrement mais il y a eu parmi les moments de grande fatigue, des moments de grande satisfaction
mais jarrivais à gérer le stress mais
ça me satisfait pas vraiment si tu veux. »
En outre, une fois devenu cadre salarié du siège et pris une certaine distance au terrain, et même si la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » conserve un lien direct avec les équipes qui la joignent presque pendant le déroulement de leur activité, le jugement sur la mission durgence devient plus acerbe avec le recul.
De plus en plus, lorsque des éléments de comparaison avec les actions de développement viennent exacerber les carences des missions durgence, linsatisfaction résultant de la discontinuité de lacte peut devenir une véritable frustration. En effet, si les résultats sont plus visibles dans lurgence que dans le développement, ils le sont autant pour les succès que pour les échecs. Lexemple nous en a été donné lors du Tsunami de décembre 2005 à loccasion duquel on a vu un grands nombre de critiques sélevé sur linadéquation des moyens envisagés et des besoins notamment sur la question des risques dépidémie de choléra, sur le temps que prennent les OSI à atteindre les victimes
Ces déboires occasionnent parfois de façon plus vive encore chez le chargé de programme que chez les équipes de terrain un vrai découragement, voire un ressentiment. On le comprend dans la mesure où les équipes ont, au moins pris individuellement, la satisfaction davoir fait un geste utile envers une personne dont ils ont le visage en mémoire, mais le chargé de programme, adoptant le point de vue plus global et moins personnel des bilans, est plus attentif aux ratés. Cet extrait dentretien illustre cette analyse :
« [
] Si tu veux, jai jamais été autant en colère quau moment du Tsunami parce que quand tu vois le Tsunami
tu te dis il manquait quand même pas grand chose pour quil y ait des milliers de gens quauraient pu être sauvés si ils avaient pu être un tant soit peu informés, alertés, prévenus correctement
cest pas la mer à boire quand même
et là tu te dis putain
il y a une petite fille anglaise sur la plage qui sauve cent personnes et
le reste
ben
les gens crèvent quoi
tout ça parce quelle a suivi un cours à lécole.
Oui cest sur.
En même temps ça semble pas compliqué à mettre en place, euh
extrêmement efficace
toujours beaucoup plus en tout cas que la réponse internationale quarrive dans les 24 ou 48 heures après, cest sûr. »
6.2.2. Nouveaux terrains , nouveaux combats:
Cherchant à surmonter la frustration précédemment décrite, la chargée de programme « préparation et réponse aux catastrophes » va progressivement délaisser le terrain de lurgence et les thématiques de la « réponse » ou de la « préparation » pour investir le terrain du développement avec la thématique de la « prévention ». Il est ici intéressant de décrire ce parcours qui sachèvera par lautonomisation du poste de chargé « préparation et prévention des catastrophes ». Cette analyse permet en effet de faire apparaître la nouvelle forme dengagement qui se dessine entre militantisme et technocratie, caractéristiques qui font lapanage de lexpertise associative.
Notons que cet engagement entre militantisme et technocratie fait écho à la notion de carrière militante faisant référence, on la dit, dune part à un processus impliquant la totalité de la trajectoire dun individu qui le prédispose à certains choix, et dautre part en combinaison avec des facteurs structurels propres à lorganisation et lui offrant certaines opportunités et limitant le champ des possibles. On trouve donc, dune part, le profil particulier dun acteur sidentifiant à la cause de la « prévention » et bénéficiant du soutien interne de l « évaluation ». Puis, dautre part, une opportunité de reconnaissance de ce poste au sein de la CRF sous leffet de la spécialisation des fonctions et de lautonomisation des postes.
Pour comprendre lévolution de la carrière militante du chargé de programme, il sagit dabord de bien comprendre la place spécifique de lacteur en restituant la dimension individuelle de son engagement et lévolution de son parcours personnel vers de nouveaux terrains.
Lextrait dentretien suivant nous montre comment linvestissement de la nouvelle thématique de la « prévention des catastrophes naturelles » lui apparaît comme une opportunité de surmonter les insatisfactions de lurgence en agissant en amont.
« Et toi, à titre personnel, ça change quoi à ta façon de percevoir les choses, ton travail de développement
ça te plaît ?
Ben
oui, je crois que, si tu veux intellectuellement ça me satisfait plus, parce que en travaillant sur lamont
jai quand même limpression, pas forcément dêtre plus utile, je sais pas si cest trop ça mais, si tu veux ça me semble plus sensé, plus logique, plus pertinent, plus efficient aussi de travailler sur lamont et non pas sur laval
dêtre un peu dans la prévention et non pas dans la réaction
de pas attendre la catastrophe mais dessayer danticiper, donc intellectuellement ça me satisfait plus cest évident.
[
] sur un plan philosophique aussi
si tu veux faire en sorte que ce soit les gens qui soient acteurs que ce soit pas toi qui amène
»
On remarque ici que lengagement vers une démarche de développement plutôt que durgence se justifie par les mêmes arguments que ceux invoqués plus haut par les partisans de l« évaluation ». Effectivement, on relève une volonté de mieux cibler son intervention en étant « plus pertinent », et, faisant écho à ceux qui souhaitent « sattaquer aux causes », une volonté de « travailler sur lamont et non sur laval ».
Aussi, sagit-il de saisir comment ce cadre a vécu le besoin daller vers dautres terrains pour suivre ce déplacement de lurgence vers le développement. Lextrait dentretien suivant décrit ce cheminement dans le détail.
« Comment en est tu arrivé à tinvestir sur le thème de la prévention ?
Ben, en fait, par les premiers secours
parce que quand tu fais des premiers secours, enfin quand jétais VMI, jintervenais sur des programmes de
de formation premiers secours essentiellement
mais, même si souvent lobjectif des programmes ben cétait définir les curriculums, les formations, les outils pédagogiques, faire de la formation de formateurs enfin cétait tout ça mon travail
mais à un moment donné tu discutes quand même avec la société nationale de pourquoi les premiers secours, quest ce quils en attendent des premiers secours, quest ce quils veulent que leur volontaires sachent faire et dans quel contexte et pourquoi
Et
la plupart du temps cest pour avoir des volontaires qui puissent agir en cas de catastrophe
donc, petit à petit tu te mets à regarder ce quil faut faire en cas de catastrophe et
petit à petit tu rentres dans le sujet
»
Ca se passe comment sur le terrain ?
Par exemple en Haïti, on faisait de la formation de formateur
donc première approche
et
ensuite, au Cambodge, les secouristes étaient très demandés sur tout ce qui était inondations ect
et petit à petit tu regardes, tu vas les voir travailler, tu vois ce qui se passe quand il y a une inondation, tu vois comment
comment la société nationale elle se prépare et au delà du premier secours et ben
tessaies délargir un petit peu. On avait fait par exemple un projet mixte avec ACF (action contre la faim) au Cambodge qui lui voulait faire de la préparation inondation donc
problème récurrent au Cambodge
et donc pendant que nous on formait les volontaires aux gestes de premiers secours ect
et à aider les gens à évacuer et
et autres, eux ils aménageaient les zones de refuge où les gens allaient évacuer.
Donc petit à petit tu
si tu veux
tappréhendes un contexte plus global que simplement celui des premiers secours et tu taperçois que les premiers secours ça fait partie dun ensemble de réponses
euh
et
quand tu travailles sur la réponse forcément tu travailles sur la préparation et
puis télargies et quand tu travailles sur la préparation, tessaies de travailler sur la prévention.
Là encore on retrouve une argumentation identique à celle des partisans de l « évaluation » en ce quelle dessine une double dynamique danticipation vers lorigine du problème et délargissement du champ daction vers un « contexte plus global ». On y voit clairement dépeint la « réponse » à la catastrophe comme une étape car « petit à petit tu rentres dans le sujet » pour aller vers celle qui la précède, sa « préparation » . Puis, les actions de « préparation » y sont décrites comme une « partie dun ensemble plus large » avant d « élargir » et de faire de la « prévention ».
Par ailleurs, pour être reconnue, la carrière militante de la chargée de programme doit bénéficier de dopportunités que lui procure certains changements propres à lorganisation et qui vont favoriser lautonomisation du poste de chargé de programme PPC « préparation et prévention des catastrophes », lui reconnaissant par la même, le rôle de porteur de parole.
En premier lieu, il faut dire que linvestissement sur le thème de la PPC nest pas, on sen doute, le fruit de la seule prise de conscience de la chargée de programme. Elle sinscrit dans une stratégie plus large décidée plus en amont par le « Mouvement ». Cest ainsi quavec la lutte contre le Sida, leau et lassainissement, la préparation aux catastrophes est devenue un axe stratégique dintervention et cest ainsi que le poste de « référent premiers secours » a évolué vers « référent premiers secours et préparation des catastrophes ».
Puis, sans doute poussé par la volonté des acteurs partisans dune approche plus globale sattaquant aux causes mais aussi sous leffet de déterminants structurels, cette activité de « préparation », encore très orientée vers la formation aux premiers secours va sélargir et sautonomiser. Avec la mise en place des ERU, lactivité du « référent premiers secours et préparation aux catastrophes » est de plus en plus accaparée par la gestion dun dispositif de réponse aux urgences aussi spécialisé et dune telle ampleur en sacrifiant toute la dimension « préparation ». Or, la spécialisation de la fonction allant avec lautonomisation du poste, la gestion des ERU a vu naître le poste de « responsable ERU ». Dès lors, afin de ne pas abandonner la thématique stratégique de « préparation des catastrophes», le poste « chargé de programme PPC » fut fondé prenant de lépaisseur en ajoutant à la « préparation », la « prévention ».
« Oui, donc je vois bien comment ça tes apparu quoi
mais, en même temps il y a dû avoir pas mal de gens qui ont vu ça et à tel point quon a voulu lintégrer à part entière dans les activités de ton poste quand tes arrivé en 2002 ?
Je pense quA
A. était conscient, il y avait une stratégie thématique quand même quavait été définie par la Croix Rouge française pour linternational
et qui disait que
grosso modo on voulait travailler sur trois secteurs prioritaires quétaient
santé avec le Sida mis en avant, et
tout ce qui était eau et assainissement, et la préparation aux catastrophes
dans le quel si tu veux au départ, on voyait beaucoup de premiers secours parce que cétait ce que la maison savait faire
[
] mais entre le moment où en discutait et le moment où jai signé cétaient devenu référent premiers secours et préparation aux catastrophes parce quil avait senti aussi que les premiers secours cétait quun maillon enfin
quune pièce dun ensemble plus large et quil fallait quon se positionne sur le tout. Donc petit à petit moi jai élargi mon champ daction du premier secours pur
comment ça se place dans la réponse à la catastrophe, à partir de là, comment on prépare la catastrophe en générale et tant quà la préparer si on peut essayer de la prévenir
voilà. »
A partir de ces conditions favorables réunissant lidentification à un nouveaux terrain, celui du développement, et la reconnaissance de lautonomie de ce poste au sein même de la CRF, la carrière militante de la chargée de programme PPC va connaître un tournant. Ce tournant va consister dans la redécouverte du combat militant sur un terrain politique.
Lextrait dentretien suivant donne une idée de ce passage au politique en mettant laccent sur le combat « cest vachement ingrat, on a du mal » et sur linterpellation et le rôle « politique » à jouer au niveau des « populations et des Etats ».
« Donc moi, par rapport à la vision que jai de lhumanitaire, ça me satisfait plus
dêtre dans cette démarche là
après cest vachement ingrat parce quon a du mal à trouver des financements, parce quon a du mal à trouver lintérêt des médias sur ce genre daction par rapport à lurgence quest visible.
[
]
Cest un long travail de sensibiliser les populations et les Etats parce quils lacceptent pas forcément, ils le voient pas forcément, ils ont dautres priorités
en fait à chaque fois que tinterviens, tinterviens dans un problème socio-économique et ça cest difficile dinfluer dessus
ça cest difficile, cest du ressort de chaque sociétés nationales dans leur pays et cest aussi le rôle de la fédé de se poser comme mouvement Croix Rouge au niveau politique.»
Avant ce tournant, on a vu comment le chargé de programme, de cadre professionnel, devient un expert en quittant ses marges professionnelles pour acquérir de nouvelles ressources cognitives et aller se spécialiser. Après ce tournant, lexpert, porté par son militantisme, va pouvoir porter et défendre sa cause sur le terrain politique. Ainsi, avec le passage au politique, on assiste à lémergence d« un nouveau modèle de militant qui renverse le processus de professionnalisation. On passe dun modèle suivant lequel lengagement devient, au fil du temps, une profession à celui dune profession qui est aussi un engagement. »
Cette section nous a permis denvisager dans le détail les divers déplacements à luvre au sein de la CRF après le mouvement de technocratisation.
On a ainsi constaté le déplacement professionnel donnant la primauté aux salariés et, en leur sein, aux cadres jouissant dune marge de manuvre considérable. Toutefois, ce déplacement ne consiste pas nécessairement en la disparition du militantisme qui, sous leffet dun déplacement de références cognitives favorable au soutien de lexpertise, va trouver à se reconvertir dans de nouvelles causes. Ici, lengagement à trouvé à se réaliser sur un autre terrain, celui de la participation à lélaboration de politiques publiques avec par exemple la prévention des catastrophes naturelles. Enfin, la défense et la promotion de cette cause à entraîné un déplacement de rôle voyant naître les cadres experts comme porte-parole de leur organisation.
Pourtant, on peut encore se demander si cette prise de parole va suffire à trouver un écho favorable auprès dinstances de légitimation pour devenir prise de pouvoir.
Savoir-être, savoir-faire, savoir et
pouvoir ?
Il sagit dès lors de décrire le déroulement de lactivité dexpertise au concret. Lachèvement de la construction de lexpertise (qui se fait) passant de lengagement et du don de soi (savoir-être), à lefficacité (savoir-faire), puis à la constitution et mobilisation de ressources cognitives (savoir) qui va attester de sa capacité dexpertise (§7).
Cette stratégie va permettre à ses porteurs daccéder au rôle de médiateur cherchant une reconnaissance (lexpertise consacrée), dans de nouveaux espaces de négociation au sein desquels ils sont à lépreuve, en situation dinterdépendance réciproque et asymétrique avec les pouvoirs publics (§8).
Les preuves dexpertise :
Lexpertise, si elle peut exister sans expert en ce quelle renvoie à un réseau dacteurs multiples qui revendiquent une capacité dexpertise, ne peut en revanche pas se passer de preuves. Lexpertise en tant quactivité, témoigne effectivement de son existence à travers des discours, des outils et des groupes dindividus cherchant à les utiliser en vue dun résultat.
7.1. La mobilisation de ressources cognitives et normatives :
On a vu plus comment certains cadres et employés appelaient à la mobilisation doutils cognitifs préalables à la mise en uvre dune démarche d « évaluation » au sens qualitatif du terme. Voyons à présent comment cet appel a trouvé un écho favorable au sein de la DOI, constituant une véritable boîte à outils effectivement disponibles et mobilisés et devenant par la même des ressources cognitives et normatives pour lexpertise.
7.1.1. Langage de lévaluation :
Limitée au départ à une simple revendication catégorielle assez marginale, la démarche d« évaluation » et ses promoteurs ont pris pieds au sein de la DOI qui se dote progressivement dune réserve de connaissances et de pôles dexpertise pour les faire valoir.
Létape préliminaire mais nécessaire de la construction dune expertise, on la évoqué, consiste à sarracher à lexpérience isolée pour « monter en généralité » et se mettre en capacité de parler pour un ensemble, voire toutes les situations particulières qui ressortent dun domaine de connaissance. Mais encore faut-il se doter doutils de connaissance attestant de cette capacité à parler en expert. Ainsi, au-delà de la revendication dune connaissance en matière de « prévention des catastrophes », en passant de la réponse face à lévénement avéré à la prévention des événements anticipés, encore faut-il construire cette connaissance avec des outils cognitifs.
Au sein de la DOI, lactivité ordinaire des salariés du siège et même du terrain est de plus en plus orientée vers une démarche de concentration dexpertise. Celle-ci est désignée en interne par le vocable de « capitalisation dexpérience » qui relève, on la dit, du registre de l« évaluation » dans le sens qualitatif du terme. Sur le terrain dabord, les « délégués » ou « VMI » sont donc tenus, dans une perspective de « capitalisation dexpériences », de rédiger des « rapports de fin de mission » quils transmettent au siège. Comprenant entre dix et vingt pages, ces documents ne se bornent pas à faire linventaire des objectifs techniques validés ou inachevés de la mission et abordent au contraire toute une dimension qualitative du vécu propre des VMI et du contexte global de déroulement de la mission. On y trouve par exemple décrite la qualité des relations entre les membres déquipe et son impact sur la coordination de laction. Y sont aussi esquissés les effets du contexte environnant pouvant influer sur la concrétisation de la mission et au premier rang desquels figure la participation et la réception de laide par les « bénéficiaires ».
Au niveau du siège, les salariés contribuent aussi à la « capitalisation dexpériences » en consignant dans un fichier informatique commun aux personnels de la DOI et nommé « DOI K », à côté de formulaires types usuels, plusieurs compte-rendu et fiches dinformation sur les formes de lutte contre tel virus ou une synthèse de telle enquête statistique sur les risques naturels. On trouve enfin, sur ce même fichier, une liste bibliographique des divers rapports et études scientifiques sur des thèmes généraux du développement (démographie, urbanisme, santé de telle région) et sur la « prévention des catastrophes» en particulier. Cette liste nest pas seulement virtuelle puisquelle se concrétise dans la « bibliothèque » de la DOI située dans le bureau des assistants et contenant des rapports danalyse de la FICR, des ouvrages théoriques et enquêtes de terrains rédigés par des universitaires.
Pourtant, même si la constitution dune réserve doutils cognitifs est une réalité qui change lactivité des salariés de la DOI, son usage nest pas rentré dans les habitudes immédiatement. Cet extrait dentretien avec une employée de la DOI, montre que la concentration dexpertise a effectivement dépassée la simple pétition de principe mais quelle est néanmoins restée une activité marginale.
« Mais je vois à la DOI y a quand même une banque de données, des rapports, des études, des livres, personne sen sert ?
Y a le fichier commun avec bon
des documents standards euh
Judith met beaucoup de choses sur la PPC (préparation et prévention des catastrophe), Bernard sur la santé
donc si tu veux y a des outils quexistent mais encore faut-il les utiliser, après, y a des outils qui existaient ils faut les actualiser
tas lutilisation et lactualisation, après cest qui est responsable de quoi, moi la bibliothèque jai plus du tout le temps de men occuper et cest pas à moi, pauvre petite assistante, qui va men occuper toute seule
cest une assistante de direction
enfin je sais pas, il devrait y avoir quelquun qui devrait sen occuper, pas que de ça bien sûr mais quelquun de plus général. »
Après avoir acquis un potentiel dexpertise prêt à lemploi et généralisant un langage de l« évaluation », les salariés partisans de cette démarche vont devoir généraliser son usage pour pouvoir effectivement le mobiliser.
Déjà reconnu et institué, le poste de chargée de programme « PPC », demande dêtre relayé par des individus aptes à préserver, accroître et mobiliser cette nouvelle réserve doutils cognitifs.
Cest précisément la perspective dans laquelle a été recrutée une assistante de la chargée de programme «PPC» dont la fonction principale conjugue les activités de documentaliste et de chargée détude. En effet, sa formation en troisième cycle universitaire de géographie lui a donné lexpérience de recherche documentaire, de synthèse et danalyse de données spécifiques au domaine des risques naturels. Dès lors, de nouveaux projets voient le jour, plus ambitieux, sur une plus longue période et impliquant plusieurs acteurs. Par exemple, en projetant dengager une étude sur les expériences passées de la CRF dans la « PPC » et les pratiques de différents groupes associatifs dans ce domaine, les vocables de « capitalisation dexpérience » et d« échange de pratique » prennent corps. Lextrait dentretien suivant passé avec la chargée de programme « PPC » montre comment ces vocables peuvent être utilisés et se matérialiser dans des « manuels », « guides lines ».
« Oui, nous ce quon veut faire cette année et lannée prochaine, bon on attend les arbitrages budgétaires mais on a demandé les sous
nous on veut augmenter la capitalisation de ce quon a fait et on veut travailler à la création dun outils méthodo spécifique pour les VMI qui partent
quelque chose quon puisse montrer aussi, et quon puisse partager avec le ONG
donc le but cest davoir quelquun pendant six mois qui va voir ce quelle font ect
dessayer de capitaliser un peu toutes ces expériences et
à partir de là
essayer de créer un petit manuel tu vois, des guides lines quoi sur
quand on arrive dans un pays et quon veut faire un programme de prévention catastrophe quest ce quon peut faire, comment, quels sont les inconvénients les contraintes de chacune avec derrière un CD avec toutes les infos intéressantes, les biblio, les exemples, les études de cas. »
Partant, cette structuration de la « PPC » en pôle dexpertise va être un exemple au développement dautres pôles confirmant la tendance à la généralisation du langage de l « évaluation » et de son usage au sein de la DOI.
Suivant le même processus dautonomisation que le programme « PPC », un pôle dexpertise « eau et assainissement » suivra, puis un pôle « santé » va émerger avec la création dun poste de « coordinateur santé » et dune psychologue. Cet extrait dentretien confirme les changements survenus.
« Judith ma expliqué justement quils allaient embaucher quelquun pour faire une enquête sur les pratiques des autres ONG en matière de prévention
cest plutôt positif ça ?
Oui alors ça, cest une démarche individuelle qua été lancé par Leslie et que Judith
euh
a approuvé sur la PPC
mais cest la première fois que ça arrive ! Cest quand même fantastique ! Cest vrai quaujourdhui avec les pôles dexpertise ça change un peu
Ah oui ?
Oui, il y a le pôle santé avec Bernard notre coordinateur santé et la psy avec Maureen la psychologue, il y a le pôle eau et assainissement, et le pôle PPC avec Judith donc
oui il y a une volonté, y a une recherche de qualité, y a une recherche dorganisation
de
enfin dinformations, de capitalisation ect »
7.1.2. Jugement et langage de vérité :
Au delà de la mobilisation, en interne, dune boite à outils producteurs de connaissance, faut-il encore les mettre en mots afin de les rendre lisibles et exploitables par dautres, en fait de les rendre présentables. Il va alors sagir de fonder un récit qui présente un scénario problématisé, dégage un diagnostic, et promeut des solutions. Ce récit est ensuite formulé dans langage « issu de cadres disciplinaires producteurs de vérité » pour acquérir toute sa force normative.
Dans un premier temps, celui qui revendique une capacité dexpertise doit suivre une logique dattribution qui consiste à mettre en récit afin démettre un jugement à la fois descriptif qui dit ce qui est, et prescriptif en disant ce qui doit être. Ce faisant, « dans des conditions dincertitude, les récits de politiques publiques [
]suggèrent une série dactions plutôt que dautres, en établissant un lien entre le présent et le futur ». De la même façon, prévenir la catastrophe en expert, cest dire ce qui est, prédire ce qui va être, pour prescrire ce quil faut faire.
Cest à travers une rhétorique distinctive que le prétendant à lexpertise va présenter la thèse quil défend. En effet, « au moyen dune série de raisonnements qui doivent être envisagés comme des argumentations, lexpert, quil rédige un rapport ou émette simplement un avis oral, a pour tâche de rapprocher les différentes composantes dune situation problématique au sein dune série de jugements, capable de définir une causalité, à partir de laquelle une décision doit être prise ». Envisageons de plus près la mise en récit à laquelle se livre le chargée de programme « PPC » en procédant à lanalyse cursive dun « dossier dinformation » quelle a rédigé aidée son assistante, intitulé « la prévention des risques naturels » et présenté au sein de la « commission : crises, prévention des crises et reconstruction » du « haut conseil de la coopération internationale », cadre institutionnel sur lequel nous reviendrons en détail.
Lextrait suivant donne clairement à voir la phase de problématisation où lexpert « rapproche les différentes composantes », ici la mise en « corrélation entre niveau de développement et vulnérabilité des pays en développement », dune « situation problématique », ici les catastrophes et « laccélération de leur rythme et de leur dangerosité » conduisant à linstauration dun « cycle de vulnérabilité ».
« les catastrophes naturelles représentent, depuis toujours, des évènements majeurs ponctuant lhistoire de lhumanité. Leur forme et leur fréquence semblent cependant évoluer vers une accélération de leur rythme et de leur dangerosité.
[
]Mise en lumière de la corrélation entre niveau de développement et vulnérabilité des pays en développement.
[
] Mais la grande majorité des pays en développement na pas réussi à développer des politiques de prévention et de préparation aux catastrophes. Ce sont les pays en développement qui payent le plus lourd tribut humain aux catastrophes.
[
] les pays les plus pauvres et, de surcroît endettés, sont durement frappés par les effets désastreux des catastrophes sans disposer des ressources nécessaire pour se rétablir [
] De ce fait, chaque catastrophe devient un frein au processus de développement, ce qui accentue encore la vulnérabilité, notamment parce quelle entraîne une dépendance internationale plus importante. Cest ainsi que se met en place un cycle de vulnérabilité. »
Lextrait qui suit isole la phase de désignation dune « causalité » qui vise à réduire lincertitude qui pèse plus particulièrement sur lexpertise de la « prévention » cherchant, plus que dautre, à agir en amont sur un futur au demeurant incertain. Une fois identifiées les causes « dorigine anthropique », telles que « la croissance démographique, le développement urbain, la dégradation de lenvironnement » il est possible dagir. Et, par un saut logique et un déplacement sur un registre normatif, il est impossible de ne pas agir.
« trop souvent perçu avec fatalisme [
] les catastrophes ne sont cependant pas toute inévitables. Il existe des méthodes et des moyens pour réduire les effets des phénomènes violents [
] il est généralement possible dagir en amont et de réduire la vulnérabilité [
] par une politique de prévention efficace.
[
]Cette tendance à la hausse nest pas forcément due à une augmentation du nombre des aléas naturels mais davantage à laugmentation de situations à risques, dorigine anthropique : la croissance démographique, le développement urbain, la dégradation de lenvironnement sont autant de facteurs multipliant loccurrence des catastrophes ».
Poursuivant le déroulement de sa rhétorique dexpertise, la chargée de programme va entreprendre de « définir » cette « causalité » en élaborant un jargon précis avec les vocables de « catastrophe » comme étant le résultat de la rencontre entre un « aléa » et un « enjeu » constituant une situation de « risque majeur ».
« catastrophe : Grave interruption de fonctionnement dune société, causant des pertes humaines, matérielles ou environnementales que la société affectée ne peut surmonter uniquement avec ses propres ressources.
aléa : phénomène menaçant dorigine naturelle et/ou anthropique, susceptible daffecter un espace donné, en particulier par la nature et la valeur des éléments exposés que cet espace supporte (hommes, biens, activités
).
enjeu : Personnes, biens, activités, moyens, patrimoine, systèmes
susceptibles dêtre affecté par un aléa naturel ou anthropique et de subir des préjudice et des dommages.
risque majeur : le risque majeur est la situation dans laquelle des enjeux vulnérables se trouvent face à la menace doccurrence dun aléa qui aurait pour conséquences de graves pertes, dommages et dysfonctionnements. »
A lissu de ces étapes, intervient la phase finale et cruciale de prescription au terme de laquelle « une décision doit être prise », ici, la « réduction des risques » en mettant en uvre la « prévention », la « protection » et la « préparation ».
« on peut distinguer trois types dactivités spécifiques de la réduction des risques: prévention, protection préparation :
prévention : ensemble des activités mises en place pour connaître le risque (étude sur les aléas et la vulnérabilité des enjeux) et développer une culture du risque au sein de la population, de la société civile et des autorités locales, notamment au moyen de campagne de sensibilisation.
protection : ensemble des activités et des mesures visant à assurer un certain niveau de protection physique des personnes et des biens, à long terme et de manière quasi définitive (ouvrage de protection, habitats résistants aux aléas).
préparation : ensemble des dispositifs garantissant que les systèmes, procédures et ressources nécessaires pour faire face à une catastrophe sont en place pour venir rapidement en aide aux personnes touchées, en utilisant dans toute la mesure du possible, des mécanismes existants (formations, sensibilisation, plan durgence, système dalerte précoce. »
Cette étape est cruciale dans le sens où, au-delà de la prescription dune série de mesure techniques, elle est également prétexte à linterpellation des pouvoirs publics pour « une meilleure prise ne compte de la prévention des risques naturels dans les politiques daide au développement ». En effet, ce sont les pouvoirs publics qui conditionnent la décision en dernière instance.
« lobjet de cette étude est une meilleure prise en compte de la prévention des risques naturels dans les politiques daide au développement, lapproche et un soutien accru aux programmes et projets de prévention des catastrophes naturelles et réhabilitation post-désastres. »
[
]le développement des ressources humaines, des technologies à faible coûts pour les populations et le renforcement des capacités institutionnelles sont les trois volets inhérents à une action efficace de prévention des risques ».
[
]il conviendrait que le gouvernement définisse une politique sectorielle relative à la prévention des catastrophes dans les pays en développement » « désigner clairement la structure administrative chargée de piloter laction ; mettre en évidence les antécédents ou les autres expériences internationales de référence ; fournir en appui les résultats déventuelles évaluations de programmes analogues ; identifier les divers intervenants, publics et privés [
] susceptibles dêtre mobilisés. »
Ensuite, le prétendant à lexpertise va suivre une logique de validation de ce récit dexpertise en sassurant quil soit étayé et attesté par lusage dun jargon et doutils dobjectivation certifiés.
A ce stade encore attaché au milieu dans lequel elle a été produite, lexpertise est authentifiée comme telle par lusage dun langage spécifique issu dautres milieux reconnus pour la fiabilité des connaissances quils produisent. Ainsi, « lexistence dune rhétorique experte na de sens que si elle peut désigner, en arrière plan, des ressources externes dégagées de tout enjeux du diagnostic quelle effectue » . De plus, « le rapport dexpert doit pouvoir être identifié comme parlant un certain langage de vérité : les affirmations, démonstrations, les dispositifs quil utilise ne sont lus que parce quils se réfèrent à une codification établie. » Cest dans le langage scientifique que la chargée de programme « PPC » va puiser les codes qui valident ses données et procure un surcroît de vérité à sa thèse.
On relève effectivement la mise ne avant de données chiffrées ou citations issues de rapports rédigés par des « experts » travaillant pour de grandes organisations associatives (FICR et ses « rapport sur les catastrophes dans le monde ») ou des organisations institutionnelles nationales (Conseil Economique et Social) et internationales (PNUD, UN-DAH, UNESCO, ECHO
). Faisant plus directement appelle à la légitimité de largument dautorité scientifique, on trouve de nombreuse références au même type de données mais directement issues de centres de recherche (CRED, Organisation météorologique mondiale
) ou douvrages théoriques rédigés parfois par déminents savants comme par exemple Haroun Tazieff. Enfin, à linstar des codes de la science, ce dossier comprend une partie intitulée « clarifications sémantiques » en forme de glossaire, exclusivement consacrée à la définition rigoureuse de chaque concept employés, et dans laquelle sont cités de nombreux scientifiques.
A côté de ce langage, les instruments de mesure issus des cadres scientifiques et qui renvoient à « la machinerie objectivée quil peut exhiber au cours de son intervention », permettent le dénombrement, la présentation de statistiques, la modélisation graphique et schématique.
Des proposition comme la suivante donne une idée précise de lusage de la statistique pour asseoir les propos tenus par la chargée de programme « PPC ».
« Si lon compare le nombre dévénements recensés en terme de désastres dans la base de donnée du CRED, on constate que 95% des victimes de catastrophes survenues au cours de la dernière décennie sont issues de pays en développement. Ces populations démunies sont ainsi plus vulnérables que les populations des pays développés.
[
]Entre 1992 et 2001, les pays en développement ont subi 20% des catastrophes naturelles et ont comptabilisé 50% des décès liés à celles-ci. »
De nombreux graphiques et schémas sont également intégrés au corps du texte avec notamment un graphique intitulé « écart et évolution des pertes économique et des pertes assurées en milliards de USD : 1960-1999 » dont la source citée est « Munich Re Topics 2002, great natural catastrophes long term statistics ». Un autre schéma donne l « illustration du risque majeur » et met en dessin lenchaînement des étapes vers le « risque majeur » tel que présenté dans les définitions (aléas ( enjeux ( catastrophe ( risque majeur). Encore, un schéma montre le « cycle de la vulnérabilité » et met en dessin largumentation contenue dans la problématisation présentée au dessus (pays à faible niveau de développement( enjeux exposés ( catastrophe( frein au processus de développement( augmentation de la vulnérabilité des enjeux).
La constitution et lauthentification dune boite à outils donne à celui qui revendique une capacité dexpertise, une épaisseur et une crédibilité qui vont définitivement asseoir son rôle au sein de son organisation et lui donner une envergure suffisante pour se présenter à lextérieur et chercher des alliés.
7.2. La démarche de lexpert :
Après avoir constitué et authentifié la boîte à outils dexpertise, il reste encore à la légitimer comme telle cest à dire à lui donné une reconnaissance assez durable. En effet « lexpert ne bénéficie pas au sens strict dun effet de plaque analogue à celui du professionnel » et doit par conséquent avancer les preuves de sa fiabilité et de sa stabilité.
Pour ce faire, lexpert va adopter une certaine démarche au sens où lemploi B.Latour dans son ouvrage sur la révolution pastorienne et intitulé « Les microbes : guerre et paix ». Il y décrit la démarche de L.Pasteur, stratège dont langle de déplacement rend compte du processus au terme duquel, dune part les thèses quil défend trouvent à saccrocher à des thématiques plus larges et déjà reconnues, et où dautre part, il parvient à enrôler tout un réseau dacteurs dont il se rallie les forces.
En nous inspirant de ce cadre danalyse, il sagit de faire apparaître le processus de stabilisation des outils de lexpertise à travers la démarche de lexpert travaillant sur le cadrage de sa thèse et lenrôlement dun réseau de soutien.
7.2.2. Le cadrage :
A la différence de la problématisation qui fait le problème, lenjeu du cadrage ou « framing » est de situé ce problème dans un ensemble de thématiques qui font déjà problème cest à dire qui concerne des problèmes incontournables auxquels il est légitime de sattaquer. Or, dans le but de légitimer sa capacité dexpertise, celui qui la revendique doit la faire apparaître comme incontournable. Une première stratégie de déplacement de la chargée de programme « PPC » va donc consister à inscrire le thème de la « prévention » dans les cadres existants plus englobants du « développement durable » et de la « lutte contre la pauvreté ».
Dabord, la chargée de programme « PPC » va tenter de mettre en lumière le lien entre la « prévention des catastrophes » et « développement durable » pour mettre en cohérence son combat particulier et un combat déjà mené par des institutions nationales et internationales qui investissent donc des moyens humains et matériels pour y faire face. Effectivement, le thème du « développement durable» jouit dune visibilité internationale depuis le « Sommet de la Terre » de Johannesburg en 2002 et apparaît comme une véritable catégorie dintervention publique au sein dinstitutions telles que lONU à travers le PNUD, en Europe, ou même en France à travers la « Stratégie nationale de développement durable » définie en 2002.
Cet extrait du même « dossier dinformation » permet de voir la démarche de la chargée de programme « PPC » appelant, au nom du développement durable, à « lélaboration dune politique de prévention et de gestion des risques ».
« La prévention des risques, notamment naturels, a été clairement affichée comme lune des clef du développement durable lors du sommet mondial de Johannesburg en septembre 2002. Engagée par la France lors du séminaire gouvernemental du développement durable du 28 novembre 2002, la stratégie nationale de développement durable (SNDD), articulée avec la stratégie européenne de développement durable, fixe des objectifs et plans dactions [
].
Cette stratégie préconise notamment quun effort important soit porté à lélaboration dune politique de prévention et de gestion des risques, insistant en particulier sur le développement dune conscience du risque ainsi que sur la réduction de laléa et de la vulnérabilité.
Ces programmes dactions restent majoritairement nationaux et ne sont pas transposés, à ce stade de la démarche nationale, dans les actions de coopération internationale pour le développement.»
Dans la même perspective, le chargé de programme « PPC » va singénier à démontrer que la « prévention des catastrophes » est « une des clefs dentrée possible de la « lutte contre la pauvreté ».
« Durant les années 1990, le thème de la lutte contre la pauvreté est devenu central dans lagenda international. La Conférence de Copenhague sur le développement social (1995), la réflexion sur la dimension social de lajustement structurel, les travaux du PNUD sur le développement humain, la mise en chantier des nouvelles orientation de la coopération européenne, les remises en question au sein de la Banque Mondiale traduisent cette prise de conscience.
Même si la prévention des risques ne semble pas souvent inscrite dans les réflexions menées sur la réduction de la pauvreté, elle en est une des clefs dentrée possible [
].
Il est important que les pays concernés par des phénomènes catastrophiques récurrents intègrent des programmes de prévention de prévention des risques au sein de leurs propres stratégies nationales de développement. »
Animé par le même mouvement que lors de son passage de lurgence à la préparation à la prévention visant à élargir son champ daction, ici, la chargée de programme « PPC » étend sa gamme de légitimation en passant de la « prévention » à la « lutte contre la pauvreté », au « développement durable ». Il sensuit que « laptitude à généraliser en conformité à certaines règles constitue souvent une condition daccès légitime au débat publics ».
7.2.1. Lenrôlement difficile :
Au cours de cette étude, on a plusieurs fois utilisé le terme d « expert » par facilité décriture pour désigner en fait ceux qui, au sein de la CRF, sont dotés dun potentiel dexpertise (formation, soutien interne, outils
) et revendiquent la capacité dexercer ce potentiel. Dès lors, il sagit ici de bien saisir la dimension contextuelle de lexpertise en la resituant dans la configuration qui la certifie et permet à ceux-là dexercer ce potentiel. Notons que lon retrouve ici le sens de l « expertise » tel que défini dans le préambule de cette étude et désignant « lensemble des mécanismes et dispositifs qui permettent daboutir à un alignement durable ». Cet alignement durable peut être atteint par lappartenance à un réseau transversal relativement stable de partenaires acquis, sinon tous à la même cause, à au moins une cause commune.
Poursuivant létude de la démarche de la chargée de programme « PPC » voyons comment près avoir accroché dautres thématiques, elle tâche denrôler dautres acteurs pour étendre la « surface professionnelle qui lui confère une capacité à représenter plus que lui-même ».
Cette stratégie denrôlement vise en premier lieu, on sen doute, ceux qui atteste de lauthenticité et de la crédibilité des données avancées pour défendre la cause de la chargée de programme « PPC ». Ce sont biens les forces des scientifiques quil va falloir se rallier en leur donnant des raisons de sallier. Une série de centres de recherche scientifique vont ainsi apporter leur soutien à la cause de la « prévention des catastrophes naturelles » dans le cadre des dossier que produit la chargée de programme « PPC ».
Par exemple lIRD, créé en 1944, connu sous le nom de OSTOM, et devenu lInstitut de Recherche pour le Développement, est depuis 1984 un établissement public français à caractère scientifique et technologique placé sous la double tutelle des ministères chargés de la Recherche et de la Coopération. Outre ses missions strictement scientifiques de recherche et dinformation, cet institut travail à l« expertise et valorisation » qui prévoit que « des expertise collégiales permettent aux décideurs de disposer dune analyse scientifique de létat des connaissances sur une question constituant un enjeu pour le développement ». Mais aussi au « soutien et formation » parmi « un solide réseau de partenaires dans les pays du Sud et en France [
] par la mise en place de projets mixtes. [
] ses aides peuvent être de nature différentes, financières, techniques ou scientifiques. ». Du même acabit, le CRED, Center for Research on the epidemiology of disasters de lEcole de santé publique de lUniversité Catholique de Louvain, met à disposition des ses partenaires, une base de données scientifiques détaillées. Pour ces deux structures, la participation à un réseau comprenant des OSI semble faire partie intégrante de leur missions permettant la mie à lépreuve de leur études sur le terrain et permettant aux travaux de leurs membres daccéder à une certaine visibilité.
Dautres structures plus hybrides, se définissant moins comme des centres de recherches que comme des groupes associatifs produisant des connaissances au service des acteurs de terrain vont aussi se joindre à ce réseau pour favoriser lavancée de la thématique de la « prévention des catastrophes ». Par exemple, créé en 1993, le groupe URD se présente comme « un institut associatif de recherche, d'évaluation et de formation pour l'amélioration des pratiques de l'action humanitaire dans les crises et lors des transitions entre urgence et développement. Il fonctionne comme un groupe d'intérêt scientifique et réunit des ASI françaises, des partenaires européens, ainsi que des universités. » Ce groupe composé dagronomes, urbanistes, juristes, médecins, nutritionnistes et gestionnaires insiste sur son caractère de «laboratoire danalyse et de recherche au service des acteurs, plutôt que comme une structure opérationnelle, au carrefour de lurgence et du développement, de la recherche et de laction ». Ce groupe défendant particulièrement lidée de « continuum urgence et développement » trouve un intérêt majeur à participer à la promotion de la « prévention des crises» présenter comme un mode daction transcendant le clivage urgence (agir pendant) /développement (agir après).
De la même façon le GRET , créé il y a 30 ans, saffiche comme « une association professionnelle de solidarité et de coopération internationale » formée par des économistes, sociologues, ingénieurs, agronomes, urbanistes. Leurs missions sont énoncées comme suit : « Nous réalisons des expertises, des études et évaluations et des recherches appliquées. Nous animons des réseaux dinformation et déchanges. Nous mettons un accent important sur la capitalisation dexpériences et la communication pour le développement, en particulier à travers nos publications. Nous contribuons à lélaboration des politiques publiques, au Nord comme au Sud ». Pour ce faire, la participation à des dossiers dinformation semble incontournable.
On le voit, nombre de structures partagent la cause de la « prévention » et de lappui aux OSI dans leur démarche délaboration des politiques publiques et apportent, à ce titre, leur estampille scientifique au dossier de la chargée de programme « PPC ». Elle exprime dailleurs clairement la facilité avec laquelle on réussit à trouver des soutiens dans la communauté scientifique.
« Il y a aussi les partenaires scientifiques des instituts ect qui attestent du risque.
Oui
il faut que le risque soit identifié sur des bases scientifiques crédibles ça cest clair
enfin ça avec les instituts, cest la plus facile du travail jai envie de dire
la plus facile parce que trouver les experts qui travaillent sur les cyclones, les inondations, ten trouves partout. Ten trouves toujours qui sont capable de tétayer une étude pour dire oui cest risqué. »
Dailleurs, leur participation à des colloques organisés par des centres de recherches, des institutions nationales ou internationales, va croissante. Ces rencontres consistent en un dalliage dacteurs hétéroclites dans un forum hybride composés dassociatifs, de représentants institutionnels et dans lesquels, pour certains dentre eux, les chercheurs scientifiques sont en première place.
Ensuite, toujours pour assurer sa permanence, la chargée de programme « PPC » va tenter dintéresser ses homologues, les partenaires associatifs. Mais cette tâche est plus ardue que la précédente dans la mesure où, sils peuvent être des partenaires opérationnels, ces structures sont aussi des concurrents potentiels tant en ce qui concerne lattribution de ressources financières par les bailleurs que dans la reconnaissance de leurs recettes, de leurs savoirs-faire et savoirs propres.
En sinspirant encore du cadre danalyse proposé par la sociologie de la traduction de M.Callon et B. Latour, on peut dire que lobjectif de la chargée de programme « PPC » va alors être de diffuser, dinterposer la thématique de la « prévention » dans les activités des OSI afin de les intéresser à son combat. Lextrait dentretien suivant montre bien comment elle cherche à interposer, à mettre entre toutes les activités des OSI la « prévention » quand elle dit « il faudrait que ce soit pareil, que quand chaque ONG se pose une question [
] est ce quil y a un risque[
]est ce que leur programme est exposé à un risque. ». On voit aussi comment elle cherche à les intéresser quand elle parle de « la prise en compte de cette thématique, [
] de la reconnaître comme une thématique à part entière ».
« A terme tu voudrais quon établisse des chartes, des codes, des procédures pour quil y ait un rapprochement.
Oui, enfin les chartes cest
cest un peu pour les généralités entre guillemets, cest à dire pour les code de conduites
euh
les trucs assez généraux
bon, on en est pas là pour la prévention
ça viendra peut être. Nous, ce quon veut cest la prise en compte de cette thématique, de savoir quelle existe, de la reconnaître comme une thématique à part entière comme euh
la santé, leau, euh...léducation.
[
] il faudrait que ça soit pris en compte comme le gendery issue tu sais, maintenant on fait attention dans les programmes au problèmes de
de genre, et ben il faudrait que ce soit pareil, que quand chaque ONG se pose une question, cest quand elle met en place un programme est ce quil y a un risque, une vulnérabilité et la deuxième chose est ce que leur programme est exposé à un risque, et de quelle façon on va se protéger de ce risque
Quand on monte un programme déducation, ça se passe bien, les gamins sont contents, si on fait pas gaffe, à la première inondation tout est par terre sous leau et il ny a plus de gamins
donc quand on fait un cadre logique on met dans la colonne risques et hypothèses où on décrit ce qui peut remettre en cause le programme où lempêcher daboutir, et bien cest de trouver dans cette colonne les catastrophes naturelles, ne pas créer un risque et envisager le risque
si on avait obtenu ça
on serait content
mais pour ça
il faut que les gens soient un peu conscient ».
Cependant, la plupart des OSI ne semble pas prêter attention à cette thématique qui ranime certains clivages inter-associatifs prégnants. Effectivement, les dissensions internes au monde associatif entraînent, de la part des OSI, des stratégies de distinction et des réactions de repli sur leur pré-carré compromettant lémergence dune dynamique réticulaire de concertation . Cet extrait dentretien avec la chargée de programme « PPC » donne une idée de ces oppositions se focalisant, particulièrement dans le cas de la « prévention », sur le clivage urgence/développement.
« Mais ça avance quand même ?
Ben oui
en terme de programmes à linternational on fait plein de choses, après en terme daction
de lobbying, de
de promotion dadvocacy ect
cest plus long et il y a pas tellement de plate-forme
Oui avec dautres ONG
Ben on a pensé un temps à mettre en place une plate-forme dONG intéressées par la question
bon dabord on a pas vraiment encore le temps et puis
voilà on a pas senti un grand intérêt de la part des autres (rires).
Ah bon, pourtant dans la commission du HCCI il y avait HI, je crois quil y avait MDM aussi
Ouais
ouais, ouais
mais euh
en fait
bon cest vrai que quand tu regardes bien tu tas des acteurs qui à priori font de la prévention
HI, MDM
qui sintéresse à la question, dailleurs je crois que pour leur 25 ans ils ont fait
un
un atelier sur la question
simplement
Oui, oui jai été surpris de pas ty voir dailleurs.
Ben dabord jai pas été invité
Il y avait Mattéi.
Oui
on était invité en tant que Croix Rouge française mais moi jai pas reçu dinvit (rires) et puis
je leur en veux pas du tout mais
euh
nous on les a invité au colloque européen et
personne nest venu tu vois
donc on a quand même du mal à les mobiliser sur le sujet même après le Tsunami.
Oui il y en a même qui sy opposent comme MSF quand on leur parle étude de la vulnérabilité pour la prévention eux ils disent que cest pas la place dune ONG humanitaire ça
cest comme avec lhistoire de larrêt subite des dons pour le Tsunami en disant que lurgence est terminée donc que le travail des ONG cest terminé.
Oui
ils avaient pas été très pédagogues sur ce coup là
mais
bon dailleurs chacun son travaille. MSF cest lurgence et voilà
et
effectivement cest probablement une thématique qui ne les concerne pas et sur lesquelles ils ont pas forcément à ce pencher
»
On voit ici apparaître le problème de la stabilisation de certaines références cognitives comme celle du « continuum urgence/développement » défendu par les promoteurs de la « prévention ». On la dit, ce positionnement leur permet, là encore, de sinterposer entre deux activités habituellement distinguées par les OSI comme cest le cas dMSF, mais aussi par les bailleurs de fonds comme ECHO largement orienté vers lurgence et ne consacrant quune part minime au développement avec DIPECHO. Ce positionnement leur permet ainsi de se donner une existence. Précisons toutefois, que cette existence nest pas seulement identitaire mais largement aussi financière puisquelle permettrait davoir accès aux financements alloués à la « ligne prévention des catastrophes». Lextrait suivant confirme cette intention.
Nous ce quon veut cest
tu vois, quil y ait une ligne
elle apparaît nulle part comme ligne, à part chez DIPECHO qui sont vraiment les seuls à avoir mis une ligne prévention des catastrophes avec un budget en face
tous les autres bailleurs et toutes les autres institutions tu nas pas cette ligne là
il y a les Nations Unies, lISDR mais cest pas une agence
cest un bureau
donc on a du mal à naviguer pour savoir qui va financer quoi
cest pas clair
il ny pas une bonne lisibilité des choses parce que ça sappelle pas de la même façon ect
mais
Cette analyse de la démarche de lexpert montre que si des vocables et les outils qu y sont associés de « capitalisation dexpertise », « échange de pratique », « synergie », « convergence » prennent corps au sein de la CRF comme on a pu le voir avec la mobilisation de ressources cognitives, les mêmes vocables peinent à sinstaurer comme référence cognitive partagées par les OSI. Cette harmonisation des références et des pratiques achoppent effectivement sur des clivages comme celui durgence/développement qui ne permettent pas au thème de la « prévention des catastrophes » de trouver un consensus général ni une inscription dans un réseau de partenaires large et stable.
Pourtant, comme on la dit, ce thème compte quelques soutiens et lopportunité dun accès à des espaces dits de « concertation » reconnus par lEtat représente une occasion de donner de la voie sur des scènes susceptibles de porter le message de la « prévention » au plus haut. Portons à présent un regard plus attentif à la progressive ouverture despaces dexpression publique à certaines OSI, et à leur activité dexpertise associative dans ces enceintes.
Lépreuve du pouvoir :
Laction publique contemporaine est marquée par une évolution des procédés formels de lélaboration des politiques publiques qui prévoit de « consulter » la « société civile » en stimulant sa « participation » dans des espaces de « concertation ». On peut ainsi dire que « lart du compromis et de la conciliation des intérêts divergents apparaissent ainsi comme des passages obligés de laction polotico-administrative contemporaine ».
Ce sont ces nouveaux procédés qui ont inspiré la réforme des institutions de la coopération internationale intervenue en 1998 et fondant notamment le HCCI (Haut Conseil de la Coopération Internationale) présenté comme une instance délibérative entre groupes associatifs, centres de recherche et acteurs politico-administratifs. Toutefois, la pratique de « lart du compromis et de la conciliation des intérêts divergents » est une épreuve à double tranchant pour les OSI.
Certes, soutenue par la rhétorique politique du passage dune démocratie représentative à une démocratie dialogique, la généralisation de ces procédés délibératifs correspondant à « dautres modes de légitimation politique », ouvre la voie à de « nouveaux registres de la parole publique ». Cette mutation offre par conséquent aux OSI une réelle opportunité de prendre la parole dans des enceintes délaboration des politiques publiques, daide à la décision et donc proche du pouvoir. Néanmoins, on le voit, il sagit aussi de véritables outils « daide à la gouvernabilité » qui caractérisent de « nouveaux répertoires de laction publique » plaçant cette fois laccent sur lusage que les acteurs politico-administratif peuvent faire de ces outils parfois au détriment de certaines missions que se fixent les OSI .
8.1. La démocratie dialogique :
Avant détudier lactivité des membres du HCCI ce qui lentrave et les bénéfices quils en retirent, il semble intéressant de porter un regard sur la forme que prend cette structure en la resituant dans son contexte de création. En effet, lécart voire la contradiction que lon peut constater entre la présentation du HCCI dans les discours qui accompagnent sa fondation dune part et les différentes procédures qui président à sa création et à son fonctionnement dautres part, sont un révélateur de ce qui sy joue et, par la même, du rôle concéder à ses participants. Ainsi, nous aborderons les discours sur le registre de l « ouverture » de cette instance paritaire de participation pour nous pencher ensuite sur les formes de fermeture dun dispositif dexclusion.
8.1.1. Instance paritaire de participation
:
Le HCCI se présente comme une « instance paritaire de participation » ce qui signifie dabord quelle assure une représentation « paritaire » entre membres issus de ladministration et membres dits de la « société civile » comprenant entre autres des groupes associatifs. Cette formule implique ensuite que les membres qui assistent aux « commissions » du HCCI, sont appelés à « participer », cest à dire à prendre part de façon active, à lélaboration des idées et documents qui en ressortent. Cette forme de structuration des groupes prenant part à lélaboration des politiques publiques nest pas sans rappeler les « forums de communauté de politique publique où se construisent les normes des échanges politiques qui forment la trame de laction publique. Lenjeu ici nest pas le savoir scientifique ou le pouvoir politique en tant que tel mais la construction dun compromis social permettant dassurer la régulation des interactions de réseaux de politiques publiques comportant de multiples acteurs ». A linstar du HCCI, ces espaces sont composés «d hommes politiques, de segment de lappareil dEtat, dacteurs sociaux et dexperts reconnus ».
La nécessité dune concertation régulière avec les divers acteurs privés de la coopération internationale pour assurer un dialogue permanent avec les pouvoirs publics, avait été soulignée dans de nombreux rapports parlementaires dont ceux de Denis Samuel-Lajeunesse dès 1989 et, en 1990, dans le rapport de Stéphane Hessel. Cette idée a par la suite été reprise en octobre 1997 lors des Assises de la Coopération et de la Solidarité internationale tenues sous la double présidence de Jacques Pelletier et de Charles Josselin, alors secrétaire dÉtat à la Coopération, qui ont proposé la création dun Haut Conseil de la coopération et de la solidarité internationales. Il sagissait daprès eux de « favoriser une meilleure concertation entre les acteurs afin de rendre plus efficaces les efforts déployés en faveur de la solidarité internationale ». Cest ainsi que le rapport parlementaire dY.Tavernier de 1998, rapport qui précède tout juste et orientera largement la réforme de 1998, va achevé de convaincre des biens faits dune structure de concertation avec la « société civile » dans le secteur de la coopération internationale au développement quand il déclare :
« Depuis 10 ans, lheure est à la démocratisation, voire à la désétatisation. Nos concurrents et partenaires, anglo-saxon notamment, ont favorisé le développement dun secteur non gouvernemental important. [
] La France a un retard considérable dans le secteur du développement associatif .»
Dès lors, le HCCI fut fondé et désigné comme « instance consultative placée auprès du Premier ministre », qui émet des « avis » et qui, sur la base dun programme de travail triennal arrêté par le Premier ministre, formule des « recommandations ». Sa composition témoigne manifestement dun souci de diversification des acteurs en les choisissant dans des domaines aussi variés que des élus, des syndicats, des universitaires et des associatifs dont la CRF:
- deux députés et deux sénateurs, désignés par leur assemblée respective ; - deux membres du Conseil économique et social, désignés par le Premier ministre sur proposition du président de ce conseil ; - trois maires, trois conseillers généraux et trois conseillers régionaux, désignés par le Premier ministre sur proposition dune association représentative, respectivement des maires de France, des départements de France et des régions de France ; - trente personnes nommément désignées par le Premier ministre et appartenant : - aux organisations ayant pour activité principale la solidarité internationale ou aux organismes qui les fédèrent ; - aux collectifs dorganisations de migrants, chargées de leur intégration en France, en liaison avec leur pays dorigine ; - aux confédérations syndicales de salariés ; - aux groupements demployeurs ; - aux organismes mutualistes relevant du code de la mutualité et aux fédérations de mutuelles, de coopératives et dentreprises de léconomie sociale ; - aux organismes socioprofessionnels ayant développé des partenariats dans le domaine de la coopération internationale ; - aux organismes universitaires ou scientifiques traitant des questions de coopération internationale et de développement.
Le travail de « recommandation » de ces membres se concentre sur un certain nombre de thématiques fixées dans le cadre de sept commissions spécifiques qui comptaient en 2004 : « la communication du public et léducation au développement ; la coopération décentralisée ; la lutte contre la pauvreté , les inégalités et lexclusion ; le financement du développement ; léconomie et la solidarité ; les négociations internationales, mobilisation des savoirs et concertation des acteurs ; crises, prévention des crises et reconstruction ». Cest précisément au sein de cette dernière commission que la chargée de programme « PPC » de la DOI fut appelée à travailler. Elle y a apporté son expertise en animant, au milieu dautres groupes, une journée de colloque lors de laquelle son intervention était justement soutenue par le « dossier dinformation » étudié plus haut. Nous reviendrons plus tard plus en détail sur lactivité de cette commission.
Durant la période qui accompagnait sa fondation, toute une série de discours, tous tenus par des acteurs politico-administratifs, déclinaient le registre de l « émancipation de la société civile » par louverture de procédures de décision auparavant monopolisées par lEtat. Ainsi, on relève, mis en exergue :
La présentation du HCCI sur son site affiche clairement lidée de « démocratie participative ».
« La création du Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI) relève de la démocratie participative. Elle procède de lidée quà côté des institutions publiques élues, les organisations représentatives de la société civile sexpriment sur les divers aspects de la coopération internationale et participent ainsi au fonctionnement de notre démocratie. »
J.M Severino, directeur de lAFD insite sur le « partenariat ».
« Participation multiple à la définition des politiques de coopération avec le partenariat comme cadre de laction publique, mode de gouvernement favorisé par les acteurs non étatiques. »
J.L. Bianco, président du HCCI jusquen 2002 fait valoir la mise en « cohérence » de deux entités ordinairement distinctes, l « Etat » et la « société civile ».
« Enfin, la création du Haut Conseil de la Coopération Internationale illustre, par son rattachement au premier ministre, ce désir de dialogue de lEtat avec la société civile dans un souci de cohérence comme laffirment nos statuts. »
B.Delaye, directeur de la DGCID fait référence à la « démocratie ».
« définition plus démocratique des politiques avec le concours de la société civile ».
Le Commissariat Général au Plan précise « la mission renouvelée des ONG » dans « les nouvelles régulations publiques. »
« Dans le cadre dune évolution internationale de lanalyse du développement et dans le cadre de la réforme des instruments nationaux de la coopération qui sont touts les deux favorable à une mission renouvelé des ONG dans la politique de laide.
[
] sinscrit dans la réflexion du CGP sur les nouvelles régulations publiques »
Enfin, A.Barrau, dans son rapport parlementaire de 2001, évoque explicitement le vocable d « évaluation » faisant référence à louverture des pratiques de la politique de coopération au regard et au jugement dacteurs dont la compétence est attestée.
« Une première révolution est lintégration de la culture dévaluation ».
Si lon se fonde sur ces propos, on voit émerger des espaces de partage « paritaire » de la parole publique entre de traditionnels représentants élus du peuple et des groupes représentant la « société civile » dont, entre autre, la chargée de programme « PPC » . Ces derniers seraient alors « convoqués en médiateurs entre le corps social et le corps politique privés du lien qui les rattachait. ».
8.1.2.
et dexclusion :
A cet instant, si lon suit le processus de médiation tel que défini par P.Muller et envisagé en préambule de cette étude, on peut croire à un achèvement parfait de lexpertise associative comme médiatrice de références telles que l « évaluation ». On a effectivement étudié la première étape de larticulation entre nouvelles références cognitive de la technocratisation et lémergence dun rôle professionnel des cadres qui travaillent sur leur identité aboutissant à promouvoir l « évaluation ». A présent on pourrait penser que sest effectuée avec succès larticulation entre le champ cognitif et le champ du pouvoir avec la prise de parole de nouveaux experts associatifs et leur prise de pouvoir dans de nouveaux espaces de délibération. Mais tenir ce raisonnement et conclure sur cette analyse occulterait tout un aspect de la réalité qui concerne dabord les procédures de sélection des groupes habilités à intervenir dans ces forums et qui, en écartant certains acteurs, écartent également certains enjeux, certaines méthodes et, par la même, limitent largement la marge de manuvre de ceux qui participent.
Considérons ici les procédures de sélection des participants, leur profil, ainsi que celui de ceux tenus à lécart de ce droit à la parole publique.
Dabord, le souci de « représentativité » des groupes qui prendraient place au sein du HCCI, élément pourtant revendiqué dans les discours comme on la vu, rentre en contradiction avec labsence de représentation de ces groupes dans le cadre de la procédure qui présidait à la mise en uvre de la réforme. Effectivement, la conduite des rapports parlementaires na visiblement pas conduit à la consultation dOSI comme nous le montre ces commentaires danalystes de lAPD, issu du milieu universitaire et associatif.
« La réforme actuelle de la coopération française doit peu aux OSI, pas ou peu consultées. Celles-ci risquent même de perdre un place de choix et de devenir un acteur non gouvernemental parmi dautres au sein du nouveau Haut Conseil de la Coopération Internationale ».
« Yves tavernier na rencontré aucun représentants des citoyens français mobilisés dans les OSI, ni aucun des universitaires et experts qui, depuis des années, scrutent en profondeur le fonctionnement de lAPD. »
« Il est également inquiétant du peu décho suscité par cette réforme dans le monde politique et dans celui des ONG, pourtant intéressées au premier chef. Cela constitue une preuve supplémentaire de labsence de débat démocratique sur la coopération pour le développement en France »
Ce point indique bien que la réforme de 1998 qui donna lieu à la fondation du HCCI, na pas bénéficié de lassentiment des OSI et na par conséquent pas non plus suscité leur intérêt pour les modifications quelle entendait apporter à la politique de coopération internationale.
De plus, encore faut-il décrire les modalités de désignation des groupes habilités à intervenir au HCCI ainsi que le profil de ses présidents et la composition de son « secrétariat général » intégralement issue de ladministration publique.
Sachant que le HCCI est un organe consultatif placé auprès du premier ministre, il est significatif que ses membres soient tous nommés par lui pour trois ans. Aussi, les seuls à échapper à cette règle sont les deux députés et deux sénateurs désignés par leur assemblée respective. Les autres étant tous soit désignés par le premier ministre après proposition de leur groupe (pour le Conseil économique et social et pour les associations de représentants de collectivités locales) soit nommément désignés par lui. A cela vient sajouter le fait que les présidents du HCCI sont tous danciens hauts responsables administratifs. Ainsi, J.L Bianco fut président de 1997 à 2002 après avoir été Ministre des Affaires Sociales et de l'Intégration et Ministre de l'Equipement, du Logement et des Transports. Depuis décembre 2002, il est présidé par J.Pelletier ancien ministre de la Coopération. Enfin, Le HCCI est doté d'un « secrétariat général » composé par des mises à disposition de cadres venant de plusieurs administrations. Ils sont « en charge d'animer les commissions de travail aux côtés des présidents et rapporteurs tout en assurant la liaison avec les administrations concernées et en pilotant les études lancées selon les besoins des groupes ». Ils participent également à l'organisation des colloques et à l'activité de communication extérieure.
De cet état de fait, il résulte que le profil des OSI participants aux commissions de travail du HCCI est soigneusement sélectionné sur la base, dabord de leur taille, mais surtout des finalités quelles entendent promouvoir et sur la base des rapports quelles entretiennent avec les pouvoirs publics.
Pour ces motifs, nombre dOSI ne sont pas invitées à donner leur avis sur les questions débattues. Par exemple, toute une frange dOSI, relevant de la mouvance des « french doctors » essentiellement orientées vers les actions durgence et relativement hostiles à lintervention des pouvoirs publics sur le terrain de lhumanitaire, se tiennent et sont tenues à lécart de ce forum. Au premier rang de ces thuriféraires de lhumanitaire indépendant des pouvoirs publics tant financièrement que dans son droit à intervenir sur tous les terrains, saffirme MSF. En effet, nadoptant pas de stratégie fédérative, et concentrant ses efforts de recherche au sein de sa Fondation et sur linterpellation plutôt que sur la participation à lélaboration de politique publique, MSF ne figure pas sur la liste des membres du HCCI.
Autrement, on remarque labsence dOSI pourtant très impliquées dans lanalyse des politiques de coopération et par conséquent sans aucun doute dotées dune capacité dexpertise dans ce domaine. Ainsi par exemple, lassociation Survie ou Agir Ici restent en dehors du HCCI et revendiquent un rôle de plaidoyer au sein de lObservatoire Permanent de la Coopération Française et publiant des rapports critiques sur la politique de coopération dont le plus connu est intitulé « les dossiers noirs de la politique africaine de la France ».
Il en résulte que les OSI invitée à participer aux commissions du HCCI sont dimportantes organisations ayant traversé un mouvement de professionnalisation, entretenant des rapports réguliers avec les pouvoirs publics, non orientées exclusivement vers les interventions durgence et dotées dune capacité dexpertise reconnue mais orientée vers des enjeux techniques plus que de subversion politique. A noter que la CRF correspond typiquement à ce profil à la différence près quelle entretient, on la dit, davantage de liens encore avec les pouvoirs publics.
Au regard de ces précisions, on comprend que si la réforme entend favoriser l « art du compromis » par la « concertation » pour mettre en « cohérence » la « société civile » et l « Etat » dans le secteur de la coopération internationale, ce nest pas au prix du dépassement dantagonismes profonds pouvant remettre radicalement en cause le fonctionnement et lorganisation de ce secteur de politique publique. Il sagit bien plutôt dun compromis bien organisé.
8.2. Le compromis technocratique :
Dans une étude du CGP, publiée en 2001, commandée par le Premier ministre et intitulée « Etat et ONG, pour un partenariat efficace » on peut lire « les ONG peuvent être des opérateur qui transcendent les orientations politiques car la permanence de leur engagement répond aux vicissitudes de la volatilité politique ». Ce commentaire est tout à fait révélateur du rôle consensuel que ladministration prête aux OSI et laisse augurer de la forme de compromis qui se joue dans cette rencontre.
Compte tenu des formes dexclusion qui régulent laccès au HCCI, plutôt quà « lintégration de la culture dévaluation » dont parlait A. Barrau, on assiste à lintégration dune culture du compromis et de la discussion bien tempérée séloignant de toutes querelles politiques ou idéologiques. Ainsi, plus quun « compromis social », cest une sorte de compromis technocratique qui semble sinstaurer entre des parties prête à sentendre, respectant les mêmes règles, saccordant sur un consensus « délimitant le champ des alternatives acceptables » et garantissant pour chacune delle lobtention de certaines contre-parties et la « poursuite dun échange politique ».
8.2.1. Travailler au consensus mou:
Poursuivant lanalyse des dispositifs dexclusion contredisant l « ouverture » affichée du HCCI, on peut à présent sintéresser aux formes de clôture des débats internes à la commission de travail intitulée « crise, prévention des crises, reconstruction » laquelle fut animée par la chargée de programme « PPC » et le directeur de la DOI. Effectivement, lanalyse du fonctionnement de cette commission et du débat qui sy déroule, illustre clairement la logique consensuelle dont résulte lobjectif de « cohérence » affiché par le HCCI. Ainsi, « face à des problèmes de sociétés engageants des oppositions aux apparences inconciliables, lappel aux consultations publiques se manifeste comme un mode de gestion des différents caractérisé par le refus des rapports de forces politiques et idéologiques bruts et par lévocation du retour à la communication de face à face dont lobjectif principal est de retrouver des consensus. »
Dabord, si lon sarrête sur lorganisation et le fonctionnement de la commission de travail, on relève un effort certain dorchestration du compromis par ladministration qui en la charge.
Confirmant les remarques mentionnées plus haut sur le souci dune diversité apparente conjuguée à limpératif de « cohérence », la composition de la commission, du groupe de travail et des intervenants au colloque comprennent un panel duniversitaires, de consultants, dassociatifs et de personnels administratifs, mais ces formations ne comprennent en revanche pas un panel représentatif du monde de chacun de ces acteurs. Concernant le monde associatif, l¬ es seules OSI à y prendre part sont de grandes organisations comme Médecin Du Monde, Fédération internationale de la ligue des droits de l homme, Handicap International, CARE ou Mass Education. Ceci indique que les conditions de la « cohérence » sont à chercher dabord dans lhomogénéité des participants.
La commission « crise, prévention des crise et reconstruction »:
président : directeur général Médecins du Monde secrétaire générale - représentant Fédération intern. des ligues des droits de l'Homme, le président Fondation de France, le président de la Croix-Rouge française, vice-président du Conseil général des Côtes d'Armor, député-maire de Paray-le-Monial, 3 membres de la CRF, 3 représentants du MAE, représentant MCNG, un représentant Assemblée Nationale, représentant Agence française de développement.
Le groupe de travail « la prévention des risques naturels » :
La chargée de programme « PPC » CRF, un géographe IRD, le Secrétaire générale de la Fédération internationale des droits de lhomme, le délégué général du SEFI, la sous directrice à la, sous direction de DAH, le président du groupe URD, le secrétaire général du HCCI, un chargé de recherche environnement, biodiversité, développement durable DGCID/ sous direction recherche, le délégué à laction humanitaire DAH.
Intervenants au colloque :
2 chargés des programmes DIPECHO, chargé de mission climat et système dinformation du MAE, représentant Conseil dorientation pour la prévention des risques naturels majeurs du Ministère de lEcologie et du Développement Durable (MEDD), chef de mission des relations internationales Ministère de lIntérieur, expert ressources naturelles de la Banque inter américaine de développement, chargée de programme pro-vention du FICR, expert consultant de luniversité de Greenwich, directeur de la DOI CRF, Chargée de programme « PPC » CRF, représentant de Mass Education, responsable des opérations exceptionnelles de Handicap International, assistante urgence de CARE USA.
De plus, au regard de cette liste, il est notable que lespace délaboration du cadre du débat voit une sur-représentation de personnels administratifs et que les groupes associatifs ne soient véritablement présents de façon « paritaire » quen qualité dintervenants. En effet, les membres de la « commission » et du « groupe de travail », pris comme lieu de définition des thèmes discutés, de production des documents dappui et de sélection des intervenants, sont, mise à part les membres de la CRF, essentiellement des personnels administratifs. Il faut également souligner que les membres du secrétariat général du HCCI, cadres mis à disposition par divers administration, « pilotent les travaux » en participant activement à la préparation des colloques, en concourrant à la rédaction des documents et en assurant la liaison avec les intervenants extérieurs ainsi quavec les administrations intéressées. Cest ainsi par exemple que lassistante de la chargée de programme « PPC » devant laider à rédiger le « dossier dinformation », travaillait au secrétariat général du HCCI mais était rémunérée par la CRF. Ces quelques éléments témoignent dun souci de mise en « cohérence » par la prégnance dacteurs administratifs sur la définition du cadre du débat et avec celui-ci « une sélection de lunivers du pensable autour de ces questions consistant à imposer les problématiques légitimes ».
Par ailleurs, si lon porte un regard, non plus sur lorganisation en amont, mais sur le déroulement des débats depuis la commission jusquau colloque, on saperçoit que lorchestration du compromis en amont aboutit à lélaboration dun consensus mou en aval plutôt quà une adhésion pleine et entière débouchant sur une quelconque action conjointe. Effectivement, il apparaît que lopération préalable de sélection soigneuse des participants et de cadrage des débats par ladministration ne suffise pas à susciter un engouement pour le thème de la « PPC » de la part des groupes associatifs. Il savère plutôt que les participants sont au pire indifférents et au mieux en accord sur des questions traitées sous un angle technico-gestionnaire.
Si lon se concentre sur les échanges entre groupes associatifs, on voit clairement que les participants ont finalement davantage été sélectionnés pour leur capacité dexpertise et leurs options relativement non subversives que pour leur intérêt et leur accord a priori sur les thèmes abordés.
En effet, initialement intitulée « crises, prévention des crises et reconstruction », cette commission était essentiellement consacrée à lenjeux des « crises politiques ». Il sensuivit que le président de la commission, directeur général de MDM faisait travailler ses étudiants sur la « reconstruction » tandis que quelques autres étudiaient la « veille politique ». Cest bien la CRF qui a du lourdement insisté, lettre du président Gentilini en été 2003 à lappui, pour que soit incluse la thématique « PPC ». Dès lors, cest la chargée de programme « PPC » et le directeur de la DOI qui ont assuré les travaux sur ce sujet au sein de la commission et qui se sont efforcés, là encore, dintéresser de nouveaux partenaires de sorte que « cette approche stratégique, une fois que lon en est à la construction des objectifs, suppose de sortir dune première approche en terme de forum et de se placer dans une approche en terme de construction de références communes ». Lextrait dentretien suivant montre cependant que la construction de références communes et de compromis nest en fait pas acquise et quil nest pas aisé de « sentendre sur comment on appelle les choses ».
« Si tu veux au HCCI, le but cest démettre des recommandation auprès du premier ministre, ça cest le but du HCCI, donc ça y est les recommandation ont été faite par le conseil du HCCI euh
voilà
après il faut voir avec les ONG si on peut faire quelque chose.
Oui, parce quen fait y en a pas mal qui font pas de prévention, je veux dire MSF et dautres ONG plus urgentistes quoi.
euh
oui
par contre pour dautres je veux dire ils en font quoi
euh
que ce soit HI ou ACF et même OXFAM par exemple, dune façon ou dune autre ils font des choses sur la prévention par ce quil font de la prévention inondation ou de la prévention sécurité alimentaire ou des choses comme ça
donc à un moment donné cest voir quest ce quils font et si on peut sappuyer là dessus même si leur donne pas ce nom là
ACF ils appellent ça eau et assainissement mais dedans il y a un volet qui est lié aux inondations et qui
relève de la prévention en fait, de la préparation
simplement cest de sentendre sur comment on appelle les choses et
voilà. »
De cette difficulté à se rejoindre sur le vocable de « PPC » et à débattre sur les questions de fonds qui peuvent y être associées, il va résulter un consensus mou sur des aspects techniques. Par exemple, il nest fait référence que sur un registre technique et financier au clivage urgence/développement souligné plus haut et fondateur de linscription de la « PPC » dans le champ des OSI. Effectivement, à aucun moment de la rencontre nest évoquée la question de la légitimité de laction de solidarité internationale à intervenir sur le plan de la prévention comme le conteste par exemple MSF. Ici, la question de la légitimité est éludée au profit de questions dordre technique qui ne trouvent dailleurs pas de réponse ni ne suscite de partenariat en se bornant à la présentation de quelques cas ayant trait à la « PPC ». Ainsi, chaque intervenant associatif avec lappui de consultants scientifiques va présenter son expérience, soumettre son expertise et revenir sur les aspects les plus techniques de son expérience, ses procédures, ses terrains, sans doute pour tenter de donner corps à cette notion mal admise de « PPC ». A aucun moment non plus nest abordée la question de la revendication auprès des bailleurs de fonds de consacrer davantage de moyens au « développement » à une période où l « urgence » est la ligne principale de leur financement. La encore cette question est envisagée uniquement sous langle technico-gestionnaire de savoir comment, à quel moment et auprès de qui sadresser pour maximiser ses chances de financement.
Les interventions du directeur de la DOI à ce sujet lors du colloque sont significatives :
« Lintervention en amont des catastrophes est le parent pauvre de la stratégie de coopération. Les financements dECHO vont à 98% à lurgence et cest un problème pour la prévention qui est une partie du développement finalement mais qui est à cheval entre lurgence et le développement aussi donc il sera difficile de trouver une oreille attentive du côté dECHO.
[
] Il va sagir dêtre attentif à lapproche des conférences de Yokohama et de Kobbé qui sont des moments et de espaces de promotion de la prévention.
[
]Il faut surtout savoir mobiliser après une catastrophe car cest un moment clef dans lequel la population, les institutions sont sensibilisées.
[
] Il ne faut pas élargir la définition de la prévention parce que sinon on va dire adressez vous au guichet aide au développement et demandez au gouvernement une ligne de financement spécifique. »
Les participants administratifs, quant à eux, se bornent à favoriser tant bien que mal la mise en « cohérence » de ces acteurs et de conseiller aux associations de tâcher de se regrouper dans un ensemble qui permettrait de les identifier et donc de les financer. Les propos de la représentante de la Délégation à laction humanitaire de la DG CID du MAE sont clairs :
« Si la question cest de faire entrer la prévention dans un délégation du MAE, alors il faut fonder une structure de coordination avec un chef de fil qui est investit et responsable dun projet.
[
]Il est important dissocier urgence et développement dans les activités de prévention pour faciliter la tâche de lEtat qui catégorise en administrations indépendantes. »
Finalement, on voit clairement se dessiner léchec dune entente sur des questions de fonds au profit dun vague consensus sur le projet tout aussi vague de « regroupement » quaucune associations nest prête à organiser par manque de temps et de moyens, ou celui non moins vague « dexiger des moyens du gouvernement même si ça prendra du temps » tel que laffirme le directeur de la DOI en conclusion du colloque.
Ce constat déchec est dailleurs assez mal vécu par la chargée de programme « PPC » qui sétait engagée dans lactivité dexpertise, on la vu, sur le mode de la revendication politique, de linterpellation des pouvoirs publics réclamant des actions précises mettant en uvre des solutions précises. En effet, tout juste avait elle exposé, dans un laps de temps de 20 minutes, la synthèse de son « dossier dinformation » en insistant bien sur les diverses solutions quil prescrivait, que se sont succédés, pendant le temps restant, des enjeux technico-gestionnaires. Cest ainsi que par exemple, en conclusion du colloque, elle a plusieurs fois déploré labsence de certains décideurs et labsence de soutient plus marqué du MAE. A lissue de cette rencontre elle manifestera encore une grande déception en disant :
« Cest quand même dommage
on fait un travail, on essaie de se faire entendre et les gens ne viennent pas
cest décevant »
Faisant cette fois plutôt référence au manque dintérêt des OSI, elle mexpliquera :plus tard :
« Cest quau prix dun travail acharné quon a réussi à intéresser un peu les autres membres à nos travaux, ou
pour avoir au moins leurs commentaires sur les documents quon produisait ! Au final, je pense quon en a modestement éclairé quelque uns mais
ce fut dur ! »
En définitive, à ce stade, on peut se poser la question de comprendre quels sont les motifs que se donnent les protagonistes de ce forum pour continuer à investir sur ces rencontres. Quelles sont, au fond, les contre-parties que retirent les parties prenantes ?
On peut dabord supposer que lEtat y trouve une voie de « refroidissement des enjeux » en invitant à la « cohérence » et au « regroupement » des acteurs qui ont fait la preuve de leur expertise mais qui apportent surtout la garantie dappartenir à dimportantes OSI largement technocratisées et ne défendant pas de position subversive. Cette réponse, bien que tenable, laisse néanmoins dans lombre une question importante. Pourquoi lEtat singénierait il a refroidir les enjeux là où il ne sont pas vraiment chauds ? Effectivement, la politique de coopération internationale de la France bien que relativement impopulaire est aussi assez méconnue du public. Hors mis quelques acteurs impliqués, il nest pas vraiment de critiques de ce secteur susceptible de délégitimer lEtat.
En outre, quel bénéfice les OSI en général et la CRF en particulier retirent-elles de ce type de rencontres qui, on la vu, ne débouche sur aucun partenariat durable ni aucun financements directs pour leurs opérations ?
8.2.2. Légitimation croisée entre Etat et OSI:
On peut voir, dans ce jeu de rencontres et de revendications, les formes dune légitimation croisée entre acteurs pris dans un contexte dinterdépendance réciproque et asymétrique ayant chacun besoin lun de lautre pour atteindre ses propres objectifs.
Le premier bénéfice que retirent les OSI de la participation à ces forums, cest précisément laffichage de cette participation. En effet, si certaines OSI comme MSF trouvent une reconnaissance de leur capacité dexpertise en sappuyant sur le crédit scientifique quapportent lentretien de rapports réguliers avec des universitaires au sein de sa Fondation, la CRF ne peut, a contrario, pas sappuyer sur un réseau de soutien académique aussi large. Encore, si des OSI plus critiques parviennent à sorganiser en collectif tel que lObservatoire Français de la Coopération Internationale qui publie de nombreuses analyses du fonctionnement de la coopération internationale et jouissant dune large audience, la CRF nentretient pas dactivité de recherche susceptible dêtre publiée et diffusée auprès du public. Ainsi, dans une perspective daboutissement du processus de légitimation de sa capacité dexpertise, la CRF requiert un espace duquel elle puisse se rendre visible. Or, cest bien cette exposition que lui offre la participation aux commissions du HCCI. En effet, surtout pour la CRF qui entretient des rapports étroits avec les pouvoirs publics, « cest sans doute la commission dexpert qui incarne le mieux léquipement étatique de lexpertise. [
]Lappartenance à une commission ou à un conseil constitue bien un label qui peut être mentionné comme garantie de sérieux, mais aussi de la connaissance de la procédure dexpertise. »
Ainsi, après la participation à ce forum, lun des tout premier au sein dune commission étatique, la chargée de programme « PPC » va pouvoir aller vers dautres espaces de « concertation » et de « consultation » de « représentants de la société civile » capable de prouver leur capacité dexpertise. Lextrait dentretien suivant donne un exemple de la participation à un « colloque » au sein duquel elle « apporte (leur) expertise » :
« Oui et, il y aura dautres choses après le HCCI ?
[
] Après oui, y a plein dautres choses à faire
enfin moi jessaie de me battre pour quil y est dautres choses cette année on a fait
enfin cest pas nous quavons organisé directement le truc, cétait au niveau de la DOS
On a reçu un financement pour un projet européen quon mène avec dautres sociétés nationales Croix Rouge dEurope
et donc cest vrai que nous avec L. on a essayé dapporter notre expertise sur tout ça pour que
euh
ce colloque, qui était très européen donc qui a priori ne concernait pas linternational, quon puisse quand même y participer et euh
cest ce quon a fait et je pense que cétait intéressant parce que du coup il y avait plein de scientifiques, il y a eu plein de choses qui se sont dites quétaient super intéressantes euh
, enfin ça a été deux jours de colloque au niveau européen, financé par la communauté européenne et voilà
»
Ensuite, la griffe apposée par la participation à une commission au sein dune structure institutionnelle permet dexporter son expertise dans des espaces plus sélects mais plus visibles encore.
Cest précisément la posture de la CRF dont la chargée de programme « PPC » a pu, après le HCCI, accéder à des conférences internationales telle que la Conférence internationale sur la prévention des catastrophes naturelles de Kobé de 2005. Il est à noter, et nous y reviendrons, que cette invitation fut lancée par le gouvernement français, intégrant ainsi la CRF dans sa délégation nationale. Lextrait dentretien suivant illustre leffet dentraînement qua suscité la participation de la CRF au HCCI, favorisant sa reconnaissance comme « acteur important ».
« Les activités du HCCI cétait une bonne chose ?
Oui, enfin ça a été un des éléments de lobbying je crois quont été intéressant
cest pareil ça a pas un impact énorme, mais on sest battu pour faire ce travail à la commission, et
on a bien fait
parce quon a sorti un rapport qui est ce quil est mais qui existe, voilà qui sort du HCCI, quon a diffusé, que jai
parachuté tout le monde (rires) à Kobé avec mon rapport dans le monde entier
si tu veux après, ça nous a permis dêtre reconnu comme un acteur important la Croix Rouge française dans ce domaine
et davoir sensibilisé quelques partenaires dans ce domaine aussi
Si il y avait pas eu le travail au HCCI, je pense quon aurait pas été invité à Kobé par exemple
parce que la cest vraiment le gouvernement français qui nous a demandé de nous joindre à la délégation à Kobé donc
voilà
et là on nous demande aussi par exemple dintervenir pour la
la préparation de la conférence de Bonn qui va avoir lieu en mars et qui est organisée sur les systèmes dalerte dans la lignée de Kobé. »
Par ailleurs, à travers la présence dOSI dans les commissions quil organise, il faut bien saisir que lEtat cherche en retour une légitimation. En effet, ces commissions sont souvent un préalable à linvitation des OSI dans les délégations du MAE et du MEDD dans le cadre de grandes conférences internationales au sein desquelles les OSI jouent le rôle dexperts appuyant les positions de la France.
Si lon sappui sur les recommandations des rapports parlementaires et sur les commentaires dacteurs institutionnels, largument est explicite de lappui que peuvent constituer les OSI auprès de lEtat français dans le cadre des négociations internationales. Effectivement, le mouvement avéré de transfert massif de lAPD vers les organisations internationales induit un nouvel enjeu de répartition des ressources financières vers les opérateurs de laide. Concernant lUnion Européenne en particulier, lenjeu est grand pour la France dapparaître comme un acteur capable de mettre en uvre les ressources du Fond Européen de Développement. Or, la visibilisation et la légitimation des OSI françaises comme opérateurs efficaces de laide et dotés dune capacité dexpertise apparaît comme un moyen pour le gouvernement de plaider en faveur dune délégation de la mise en uvre de laide communautaire par la France. Dès lors, on comprend mieux les motivations dune concertation plus étroite avec les OSI. Ces quelques exemples nous le confirment :
Dans le rapport parlementaire dYves Tavernier :
« La mise en uvre de laide communautaire, devrait être déléguée aux opérateurs de celui des Etats membres dont laide aux pays bénéficiaire est la plus importante ».
Dans une étude du CGP :
Une partie entière y est consacrée à décrire comment « renforcer le poids international des ONG ». Soit en leur attribuant plus de fonds ce qui agirait comme levier pour obtenir des fonds auprès des bailleurs dans un contexte de concurrence ente ONG. Soit en encourageant leur regroupement et leur capacité dexpertise pour favoriser leur rôle de plaidoyer et de lobbying pouvant permettre de conforter un rapport de forces entre Etat. Cette étude précise encore que le MAE ou le Ministère de lEnvironnement et du Développement Durable associent déjà des ONG dans les délégations françaises de grandes conférences internationales pour négocier avec dautres Etats.
Dans une publication du HCCI, on peut lire les points de vue suivants :
J.M Severino, directeur de lAFD explique que les organisations multilatérales sont des arènes majeures où se cristallisent les politiques publiques et quil est donc impératif davoir une vraie stratégie permettant à la France dy être fort et dêtre en mesure de concurrencer les pays anglo-saxons
B.Delaye, directeur de la DGCID affirme quil devient de plus en plus nécessaire de faire transiter davantage de fonds par les ONG et les collectivités locales pour leur favoriser un accès direct au FSP. Pour ce faire il préconise la publication dun vade-mecum sur le co-financement des projets des OSI dès 2002.
Il est notable que le HCCI semble parfaitement intégrer cet objectif dune meilleure visibilité des OSI au sein des Organisations Internationales avec la création dune commission intitulée « Négociations internationales, mobilisation des savoirs et concertation des acteurs ». Effectivement, prenant acte du fait que « la coordination des positions, le travail d'influence et la représentation de la France, au niveau adéquat, requièrent enfin une gestion rigoureuse et globale des agendas internationaux. » Le HCCI se donne clairement pour but de « mobiliser les compétences et les savoirs (expertises scientifiques et techniques) sur les sujets traités dans les négociations internationales » et « dorganiser les concertations pour favoriser la collégialité des positions » pour faire face à « la complexité technique des questions internationales et l'importance croissante des "dossiers globaux" » qui « rendent de plus en plus nécessaire une expertise scientifique et technique pluridisciplinaire et collégiale pour préparer les positions de négociations, analyser les enjeux et mettre en uvre les décisions arrêtées ».
Ces quelques éléments de réflexion nous permettent de voir sous un jour nouveau les formes de collusions quil peut y avoir entre les personnels politico-administratifs et la CRF, collusions qui sinitient et se dessinent au sein du HCCI.
Après avoir participer au colloque sur « la prévention des risques naturels » organisé par le HCCI, la Délégation à lAction Humanitaire (DAH) sest effectivement rapproché de la CRF en demandant à la chargée de programme « PPC » de se joindre, comme on la dit, à leur délégation à la Conférence internationale sur la prévention des catastrophes naturelles de Kobbé. Il semble que la DAH soit bien des « partenaires quon a sensibilisé, qui sintéressent à la thématique ». Pour autant, ce soutien ne sest traduit pour linstant que par leur invitation à les soutenir en retour au sein de conférences et de négociations internationales. Il nest jusqualors aucun financement supplémentaire qui nait été accordé par le gouvernement, ni non plus de groupe de rencontre inter-ministérielle organisé par lui.
Cet extrait dentretien relate assez clairement lintérêt de la DAH pour le thème de la « prévention », ses invitations au temple mais labsence dévolution des ressources engagées pour sa promotion. Ce constat permet de présumer avec force que le gouvernement est davantage soucieux de sa légitimation au sein des OI, légitimation à laquelle lexpertise de la CRF contribue, que de la promotion de nouvelles catégories dintervention publique qui impliquerai de sa part la mobilisation de ressources financières et humaines.
Oui daccord, et par lintermédiaire de qui le gouvernement vous sollicite ?
Là
cétait la DAH parce que cétait la DAH qui était euh
en charge de la
qui conduisait la délégation française à Kobé...
Daccord.
Et cétait la DAH qui était présente, le responsable de la DAH, C.R, qui était présent dans la dans notre commission au HCCI, donc voilà cest
voilà et euh
C.G qui était son adjointe qui est venue au petit colloque quon avait fait en octobre lannée dernière
donc voilà cest des partenaires quon a sensibilisé, qui sintéressent à la thématique et qui nous soutiennent tant bien que mal
pas tellement financièrement parce quils ont pas les moyens mais qui voilà
qui nous reconnaissent une place
après à nous de décider de surfer la dessus, de pousser, dêtre présent. »
[
]
Les représentants de la DAH ont été parmi ceux qui se sont le plus intéressés à nos travaux dans la commission HCCI. Ils ont également présidé la délégation française à Kobé
Mais en tout cas
ils nont pas de financement pour ça, ce serait plutôt la DGCID
ils ont essayé de la pousser à participer mais sans grand succès en fait
aussi, Christian Rouyer, lancien délégué, a insisté pour que la nouvelle loi des finances intègre une ligne budgétaire sur la thématique
cest déjà ça
mais encore faut-il quelle soit abondée
Et puis le MEDD, cest un interlocuteur actif sur la thématique en France, mais pas vraiment à létranger
R.F, notre interlocuteur, était à Kobé, et cest son ministre qui sest déplacé
mais ils nont pas plus de financement.
[
]
En fait, il existe soi-disant une plate-forme interministérielle pour la réduction des désastres mais dans les faits elle ne fonctionne guère
A lissue de cette analyse on constate bien que la voie de linstitutionnalisation de la CRF sétablit par un « double circuit de légitimité ». Ce circuit repose sur la rencontre de lintérêt de lEtat à sappuyer sur et leur expertise dans les OI et intérêt de la CRF de porter son message au delà dune commission qui nest qu un passage obligé, un tremplin vers ces OI sans véritablement parvenir à susciter de coalition de cause entre OSI ni à produire des idées suivies par les décideurs. Il sagit finalement de « pérenniser un mécanisme à double détente : dune part les pouvoirs publics recherchent un retour de lUnion européenne et une promotion de la représentation française, mais dautres part les ONG française ne peuvent prétendre à ces financements européens que si elles bénéficient de la reconnaissance nationale ».
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
.
...6
TOC \o "1-5" \h \z \u HYPERLINK \l "_Toc118700006" CHAPITRE I. les voies contradictoires de la professionnalisation : le bouleversement du monde associatif 37
HYPERLINK \l "_Toc118700007" SECTION 1. Un long mouvement de technocratisation PAGEREF _Toc118700007 \h 39
HYPERLINK \l "_Toc118700008" § 1. Lassociation face à lEtat : 40
HYPERLINK \l "_Toc118700009" 1.1. La « Croix Rouge » dans lEtat : 40
HYPERLINK \l "_Toc118700010" 1.1.1. Aux origines de la « Croix Rouge », la neutralité : 40
HYPERLINK \l "_Toc118700011" 1.1.2. La « Croix Rouge » et son organisation : 42
1.1.3. La Croix Rouge française, un rapport régulé à l'Etat
.45
HYPERLINK \l "_Toc118700012" 1.2. LEtat dans la « Croix Rouge » : PAGEREF _Toc118700012 \h 50
HYPERLINK \l "_Toc118700013" 1.2.1. La perméabilité aux technologies et personnels administratifs: 50
HYPERLINK \l "_Toc118700014" 1.2.2. Des partenaires sur le terrain: 53
HYPERLINK \l "_Toc118700015" § 2. Lassociation face à lentreprise : 56
2.1 La spécialisation des fonctions: 57
HYPERLINK \l "_Toc118700017" 2.1.1. Complexification de la structure bureaucratique : 57
2.2.2 La création de la DOI: 61
HYPERLINK \l "_Toc118700019" 2.2. La technicisation des tâches :
. 65
HYPERLINK \l "_Toc118700020" 2.2.1. La standardisation des procédures : la fondation des ERU: 65
2.2.2. L'élargissement du recrutement: la formation des ERU 69
SECTION 2. La contradiction des membres associatifs
..
..73
§ 3. La vie associative: 74
HYPERLINK \l "_Toc118700031" 3.1. Assembler par le décloisonnement : 74
HYPERLINK \l "_Toc118700032" 3.1.1. Décloisonnement privé/ professionnel: lengagement : 75
HYPERLINK \l "_Toc118700033" 3.1.2. Décloisonnement hiérarchique :la participation : PAGEREF _Toc118700033 \h 77
HYPERLINK \l "_Toc118700034" 3.2. Rassembler par les mythes dorganisation: PAGEREF _Toc118700034 \h 79
HYPERLINK \l "_Toc118700035" 3.2.1. La célébration du passé : PAGEREF _Toc118700035 \h 79
HYPERLINK \l "_Toc118700036" 3.2.2. Lidéalisation du bénévolat : PAGEREF _Toc118700036 \h 82
HYPERLINK \l "_Toc118700037" 3.2.3. La sacralisation du terrain : PAGEREF _Toc118700037 \h 84
HYPERLINK \l "_Toc118700023" § 4. Lidentité associative : PAGEREF _Toc118700023 \h 87
HYPERLINK \l "_Toc118700024" 4.1. Le rejet de lentreprise : PAGEREF _Toc118700024 \h 87
HYPERLINK \l "_Toc118700025" 4.1.1. La standardisation ou la redéfinition du volontariat: PAGEREF _Toc118700025 \h 87
HYPERLINK \l "_Toc118700026" 4.1.2. La codification ou le rétablissement de la hiérarchie : PAGEREF _Toc118700026 \h 90
HYPERLINK \l "_Toc118700027" 4.2. Le rejet de lEtat : PAGEREF _Toc118700027 \h 93
HYPERLINK \l "_Toc118700028" 4.2.1. LEtat moqué : PAGEREF _Toc118700028 \h 93
HYPERLINK \l "_Toc118700029" 4.2.2. LEtat redouté : PAGEREF _Toc118700029 \h 95
CHAPITRE II. les acteurs et les scènes multiples de la consécration: l'émergence et la reconnaissance partielle de l'expertise associative
.98
HYPERLINK \l "_Toc118700039" SECTION 3. la promotion des cadres professionnels PAGEREF _Toc118700039 \h 100
HYPERLINK \l "_Toc118700040" § 5. Les salariés prennent la main: PAGEREF _Toc118700040 \h 101
HYPERLINK \l "_Toc118700041" 5.1. La formation dun marché du travail humanitaire : PAGEREF _Toc118700041 \h 101
HYPERLINK \l "_Toc118700042" 5.1.1. Les instruments et le recrutement des compétences : PAGEREF _Toc118700042 \h 101
HYPERLINK \l "_Toc118700043" 5.1.2. La stabilisation des compétences : PAGEREF _Toc118700043 \h 106
HYPERLINK \l "_Toc118700044" 5.2. Les marges de ladministration associative : PAGEREF _Toc118700044 \h 110
HYPERLINK \l "_Toc118700045" 5.2.1. Les salariés du siège garants du « cadre » : PAGEREF _Toc118700045 \h 110
HYPERLINK \l "_Toc118700046" 5.2.2. Linformation comme ressource des cadres : PAGEREF _Toc118700046 \h 115
HYPERLINK \l "_Toc118700047" § 6. Les experts prennent la parole : 119
HYPERLINK \l "_Toc118700048" 6.1. Les soutiens internes de lexpertise : PAGEREF _Toc118700048 \h 119
6.1.1. Sortir d'une définition technico-gestionnaire des instruments:
...120
6.1.2. L'appel à la mobilisation d'outils cognitifs:
..123
HYPERLINK \l "_Toc118700049" 6.2. Le passage au politique : 126
HYPERLINK \l "_Toc118700050" 6.2.1. La souffrance à distance : PAGEREF _Toc118700050 \h 126
HYPERLINK \l "_Toc118700051" 6.2.2. Nouveaux terrains, nouveaux combats : PAGEREF _Toc118700051 \h 128
HYPERLINK \l "_Toc118700052" SECTION 4. savoir etre, savoir faire, savoir et
pouvoir ? PAGEREF _Toc118700052 \h 134
HYPERLINK \l "_Toc118700053" § 7. Les preuves dexpertise :
.
... 135
HYPERLINK \l "_Toc118700054" 7.1. La mobilisation de ressources cognitives et normatives: PAGEREF _Toc118700054 \h 135
HYPERLINK \l "_Toc118700055" 7.1.1. Langage de lévaluation : PAGEREF _Toc118700055 \h 135
HYPERLINK \l "_Toc118700056" 7.1.2. Jugement et langage de vérité : PAGEREF _Toc118700056 \h 138
HYPERLINK \l "_Toc118700057" 7.2. La démarche de lexpert 143
HYPERLINK \l "_Toc118700058" 7.2.1. Le cadrage : PAGEREF _Toc118700058 \h 143
HYPERLINK \l "_Toc118700059" 7.2.2. Lenrôlement difficile : 145
§ 8. L'épreuve du pouvoir:
..
.151
HYPERLINK \l "_Toc118700061" 8.1. Démocratie dialogique : PAGEREF _Toc118700061 \h 152
HYPERLINK \l "_Toc118700062" 8.1.1. Instance paritaire de participation
: PAGEREF _Toc118700062 \h 152
HYPERLINK \l "_Toc118700063" 8.1.2.
et dexclusion : 156
HYPERLINK \l "_Toc118700064" 8.2. Le compromis technocratique : PAGEREF _Toc118700064 \h 159
HYPERLINK \l "_Toc118700065" 8.2.1. Travailler au consensus mou : PAGEREF _Toc118700065 \h 159
HYPERLINK \l "_Toc118700066" 8.2.2. Légitimation croisée entre Etat et OSI: PAGEREF _Toc118700066 \h 165
CONCLUSION
...
.172
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PINCON Michel, PINCON CHARLOT Monique, Ibid.
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RYFMAN Philippe, Ibid.
RYFMAN Philippe, Ibid.
Une association est reconnue dutilité publique si son ampleur et son retentissement excède le cadre local, si son domaine dactivité correspond à un intérêt public ou au moins à un intérêt collectif éminent, si le fonctionnement de lassociation et ses statuts sont démocratiques, si le nombre des membres est en adéquation avec les objectifs de lassociation et si lassociation est autonome de la puissance publique. Il est à noter que « dans la reconnaissance dutilité publique, lavis des préfets pèse dun poids déterminent et le Conseil dEtat par ses exigences contribue à favoriser lintroduction de règles propres au droit public dans le droit dassociation, faute dune magistrature indépendante en la matière. » Jean-Louis Laville, Renaud Sainsaulieu, op. cit., p. 367.
OFFERLE Michel, Sociologie des groupes dintérêt, Montchrestien, clefs, Paris, 1998, p 130.
DAUVIN Pascal, SIMEANT Johana, Op. Cit.
Rapport dactivité 2004
MDM 40%, HI 48%, ACF 75%
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Laville et Renaud Sainsaulieu situent justement dans les années soixante et soixante-dix le moment où « les facilités de financement ont permis aux associations concernées une professionnalisation des tâches associatives et une institutionnalisation de leur gestion. » LAVILLE Jean-Louis, SAINSAULIEU Renaud, op. cit., p. 369.
« association assurant des tâches dintérêt général Cet agrément est introduit par la circulaire du 27 janvier 1975 du premier ministre, Jacques Chirac. « La jurisprudence ayant confirmé que des associations pouvaient gérer lexécution même dun service public. » LAVILLE Jean-Louis, SAINSAULIEU Renaud, op. cit., p. 368.
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DAUVIN P., SIMEANT J., Ibid, p.235.
DAUVIN P., SIMEANT J., Ibid, p.235.
Document officialisant le départ dun VMI ou dun membre des équipes ERU et qui comporte la destination, la durée, le type de mission, le code budget qui la couvre, et, la signature du chargé de projet, de la Secrétaire Générale ainsi que du Président.
RYFMAN Philippe, Ibid,
Abréviation pour « Water Sanitation », traduction anglaise de « épuration des eaux ».
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On le voit avec la multiplication de ces espaces : Comité consultatif national déthique (1983), Commission de la nationalité (1987), les Etats généraux de la Sécurité Sociale (1987), le Haut Conseil à lIntégration (1990), le Conseil national du Sida (1989), Commission de réfléxion sur la drogue et la toxicomanie dite « Commission Henrion » (1995), Commission de réflexio sur la justice dite « Commission Truche » (1997)
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Ibid, p.71.
PAGE 165
Le Président de la Croix Rouge française est élu par le conseil dadministration en son sein et agréé par décret.
Le conseil dadministration de la Croix Rouge française comprend trente et un membres :
Vingt et un membres élus par lassemblée générale, selon les modalités prévues dans le règlement intérieur. Seuls les adhérents, membres des organes délibératifs de la Croix Rouge française depuis six mois au moins, sont éligibles.
Six membres élus par lassemblée générale, selon les modalités prévues dans le règlement intérieur, en qualité de personnalités qualifiées pris au sein des adhérents de la Croix Rouge française, en raison de leurs compétences dans domaines propres aux activités de la Croix Rouge.
3. Une personnalité élue par lassemblé générale, selon les modalités prévues dans le règlement intérieur, en qualité de personnalités qualifiée pris au sein des adhérents de la Croix Rouge française issus des délégations doutre mer.
4. Trois membres désignés par les Corps Constitués suivants : Conseil dEtat, Académie de Médecine, Ordre des Médecins.
Assistent en outre, avec voix consultative, aux réunions du conseil dadministration et de ses commissions préparatoires :
quatre personnalités d »signés par les Ministres de :
lIntérieur, la Santé, la Défense, les Affaires Etrangères.
Les représentants des cinq organisations représentatives au niveau national suivantes :
Confédération Française Démocratique du Travail, Confédération Française des Travailleurs Chrétiens, Confédération Générale des Cadres, Confédération Générale du Travail, Confédération Générale du Travail- Force Ouvrière.