Mémoire présenté sur le Projet de Loi 112 - WordPress.com
Le projet de loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale est
important. ... Pour que le système économique fonctionne sans trop de heurts, il
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Final révisé
Mémoire sur le Projet de Loi 112
« Loi visant à lutter contre la pauvreté
et lexclusion sociale »
Simon Langlois
Professeur titulaire
Département de sociologie
Université Laval (Québec)
Texte présenté en Commission parlementaire de lAssemblée nationale du Québec le 1er octobre 2002.
Le projet de loi 112 visant à lutter contre la pauvreté et lexclusion sociale est important. Important par les mesures quil entend mettre en uvre, certes, mais important aussi parce quil met sur la place publique un discours qui rappelle que la solidarité sociale est, aujourdhui encore, aussi primordiale quhier. À une époque où lon souligne souvent la nécessité de la croissance et du développement économiques en vue de créer la richesse, il paraît essentiel de rappeler que cette richesse doit aussi bénéficier au plus grand nombre qui contribue à la créer et de rappeler quune part de celle-ci devrait être redistribuée aux plus démunis par solidarité sociale. Juste distribution dun côté et solidarité de lautre sont deux aspects complémentaires qui doivent être au cur du développement social et économique.
Pour que le système économique fonctionne sans trop de heurts, il faut que les individus qui y participent aient le sentiment dêtre traités de manière juste. Par ailleurs, largument principal légitimant laction de lÉtat en matière de justice sociale depuis Jean-Jacques Rousseau un argument qui emporte maintenant ladhésion du plus grand nombre est celui du voile dignorance en labsence dintérêts personnels : personne ne sait sil naura pas besoin demain dune aide publique pour se faire soigner ou pour satisfaire ses besoins. Dans une telle situation, tous ont intérêt à appuyer lexistence dune politique sociale.
Je rappellerai dentrée de jeu que ce que je viens dénoncer ne vaut pas seulement pour les individus et les familles les acteurs visés par le présent projet de loi car lhistoire récente nous enseigne que ces principes se sont aussi appliqués aux entreprises, dont les porte-parole sont parfois réticents à appuyer les politiques qui vont dans le sens de la solidarité sociale. La société Chrysler a eu besoin de lÉtat fédéral américain dans les années 1980 pour se sortir dun mauvais pas financier. Les mauvaises décisions daffaires du Crédit lyonnais en France ont coûté très cher à lÉtat français qui a pourtant accepté de renflouer cette banque. Chez nous, des douzaines dentreprises demandent régulièrement laide de lÉtat pour se tirer hors de situations précaires : lindustrie minière et lindustrie forestière sont en ce moment des exemples qui retiennent lactualité. Lune des plus grandes sociétés à capital actions doccident, General Motors, a reçu de Québec et dOttawa une aide généreuse pour rénover son atelier de peinture à lusine de St-Eustache. Et combien par emploi créé aura coûté la réouverture de lusine de pâtes et papier de Chandler? Ce nest pas le lieu ici de discuter du bien fondé de toutes ces décisions. Elles sont ou ont été motivées par de bonnes raisons le plus souvent et elles ont reçu un appui plus ou moins large au nom de lemploi des travailleurs impliqués. Je voudrais simplement signaler que si lÉtat intervient ainsi en faveur des entreprises et en faveur des travailleurs syndiqués, na-t-il pas aussi de bonnes raisons dintervenir en faveur des plus démunis?
Le présent mémoire comprend deux parties. La première porte sur létat actuel des inégalités de revenus et de la pauvreté au Québec et sur lévaluation de laction de lÉtat en la matière. Nous présenterons dans la seconde partie un certain nombre de remarques sur le projet de loi 112.
Première partie
Inégalités socioéconomiques et redistribution des revenus
Le discours dominant sur les inégalités socioéconomiques, et en particulier sur la distribution des revenus, est généralement fort pessimiste. Pourtant, les données disponibles montrent avec évidence que laction de lÉtat en matière de redistribution des revenus continue dêtre efficace.
En résumé, il est vrai que les inégalités de revenus de marché ont été à la hausse durant les années 1990, mais les deux grands mécanismes de redistribution que sont les paiements de transferts de lÉtat aux individus et limpôt sur le revenu ont cependant corrigé à la baisse ces inégalités observées sur le marché. Sans prétendre faire ici une étude exhaustive sur cette question (qui est par ailleurs bien documentée dans bon nombre de travaux spécialisés), nous rappellerons quelques données pour fixer les idées.
On observe une augmentation des inégalités entre les revenus familiaux tirés du marché (revenus de travail et revenus de placements) chez les ménages comprenant deux personnes ou plus (tableau 1). L'augmentation est même assez substantielle puisque le coefficient de GINI est passé de 0,400 à 0,452 en une dizaine d'années seulement, avant de redescendre quelque peu en 1999 (dernière année disponible). Ce coefficient est une mesure classique de linégalité des revenus : plus il est élevé, plus grande est linégalité. Limpôt sur le revenu et les paiements de transfert aux individus réduisent cependant considérablement les inégalités entre les ménages. Cette observation est importante, car elle montre que les deux grands mécanismes de réduction des inégalités, caractéristiques du mode de fonctionnement de lÉtat-providence, continuent de fonctionner. La colonne 2 du tableau 1 indique une réduction des coefficients de GINI lorsquon inclut les paiements de transferts dans le calcul du revenu total des familles et des personnes seules. Ce coefficient diminue encore lorsquil est calculé pour les revenus totaux après impôts des ménages (colonne 3).
Mais lexamen des données laisse aussi entrevoir les limites de laction actuelle de lÉtat en la matière. Les données des dernières années portant sur les revenus nets après impôts donnent cependant à penser que les changements récents dans les politiques gouvernementales vont contribuer à freiner cette action redistributive de lÉtat, à cause des réductions dimpôts et de certains paiements de transferts. La tendance est déjà amorcée (voir la troisième colonne du tableau 1, le coefficient de GINI passant de 0,276 en 1993 à 0,303 en 1998 dans le cas des ménages comptant au moins deux personnes).
Nous avons calculé une autre mesure susceptible de caractériser les inégalités entre les ménages : le rapport inter déciles D1/D9 (tableau 2). Cette mesure consiste à diviser le revenu du ménage situé au 10e rang dans la distribution (D1) par celui du ménage situé au 90e rang (D9). Elle permet de voir si la distance entre les ménages à faibles revenus et les ménages ayant les revenus les plus élevés est stable ou non dans le temps. Nous utilisons dans cette analyse trois définitions du revenu.
Daprès létude des revenus de marché (revenus de travail et de placements), la distance entre pauvres et riches sagrandit depuis le milieu des années 1980. Les paiements de transferts et limpôt sur le revenu réduisent cette distance, ce qui va dans le sens des observations tirées de lexamen des coefficients de GINI. Les données pour la dernière année disponible donnent à penser que lhypothèse dune reprise à la hausse de la croissance des inégalités va se confirmer, puisque la distance entre les ménages à bas et à hauts revenus saccentue quelque peu.
L'impôt sur le revenu a un caractère progressif au Québec. Au total, les ménages faisant partie du quintile supérieur des revenus paient en moyenne 32 226$ en impôts directs, ce qui représente 28,4% de leurs revenus totaux (tableau 3). À eux seuls, ils paient 52,9% de tous les impôts directs. Les ménages au bas de l'échelle des revenus (deux premiers quintiles) paient moins d'impôts que les autres (en proportion de leurs revenus) et donc une portion faible des impôts totaux perçus par lÉtat.
Le tableau 3 montre que les paiements de transferts comptent pour une large part des revenus des familles des quintiles inférieurs, soit par exemple pour 58,4% des premiers vingt pour cent des ménages les moins fortunés. Ceux-ci sont donc davantage dépendants de l'aide étatique, ce qui était beaucoup moins le cas il y a vingt ans.
La mesure de la pauvreté au Québec.
Statistique Canada ne propose pas de mesure officielle de la pauvreté. Lorganisme statistique construit plutôt un seuil de faible revenu (SFR) quil ne faut pas confondre avec une mesure de la pauvreté. Cette mise en garde est importante, car les études techniques montrent que la façon actuelle de calculer le SFR ne rend pas compte de la véritable situation de la pauvreté au Québec et au Canada. Lorganisme statistique prend soin dailleurs de toujours préciser que ce seuil ne doit pas être interprété comme étant un seuil de pauvreté, une directive qui nest toujours pas respectée dans les débats sur la question.
Une nouvelle mesure de la pauvreté à partir dune approche basée sur le coût du panier de consommation dans les différentes régions est en construction, à la demande de la conférence des premiers ministres des provinces, mais il faudra attendre encore un certain temps pour obtenir de nouvelles données sur cette base. Les premiers travaux préparatoires indiquent cependant que le taux de pauvreté tel que mesuré est moins élevé au Québec lorsquon compare cette nouvelle mesure avec le SFR, notamment parce que le coût du logement y est moins élevé. Cette approche par panier montre aussi que le taux de pauvreté augmente en Ontario, ce qui corrobore l'hypothèse que le seuil actuel de faible revenu serait entaché de biais systématique.
De nouvelles recherches indiquent que ce Seuil de faible revenu (SFR) est aussi entaché de biais même pour mesurer la faiblesse du revenu. Le SFR est très sensible aux différences de coût de la vie dune province à lautre et au fait que les revenus moyens sont plus élevés en Ontario et dans les deux provinces de lAlberta et de la Colombie-britannique, ce qui affecte artificiellement à la hausse la mesure de la faiblesse du revenu ailleurs au Canada, et par conséquent au Québec. Cette observation sappuie sur des études faites par lInstitut de la statistique du Québec et par le Ministère de la solidarité sociale du Québec, qui ont demandé à Statistique Canada de recalculer le seuil SFR en prenant comme point de référence la province le Québec et lOntario séparément afin de neutraliser l'effet des différences de coût de la vie entre les deux provinces voisines. Les calculs ont été faits pour les années 1996 à 1998. Il en ressort une vision différente des taux de faiblesse du revenu et l'écart entre les deux provinces disparaît à toute fin pratique (tableau 4, deux premières colonnes). Il n'y aurait pas davantage de ménages à faibles revenus au Québec qu'en Ontario, et cet exercice montre bien que les critiques faites du seuil de faible revenu étaient pertinentes.
Ceci dit, on doit aussi apporter une autre correction, puisqu'il faut tenir compte du caractère fort progressif de l'impôt sur le revenu qui a été illustré plus haut. Le revenu des ménages au bas de l'échelle doit se comparer aux revenus après impôts des riches puisque ceux-ci ne peuvent dépenser l'argent que l'État prélève dans leur portefeuille... Or, cette fois, la proportion de ménages à faible revenu au Québec serait de 8,6% en 1998, contre 8,9% en Ontario, un taux plus faible au Québec, ce qui est contraire à l'image alarmiste projetée sur la place publique. Dernier constat: la proportion de ménages à faible revenu serait en régression au Québec, étant passée de 9,5% à 8,6% entre 1996 et 1998.
Il en va de même pour l'examen de la proportion de personnes sous le seuil de faible revenu. En prenant la province comme référence pour les calculs et le revenu après impôts, le taux de personnes à faible revenu sétablit à 12,5% au Québec et à 11,9% en Ontario (tableau 5). On est loin encore une fois du constat alarmiste véhiculé dans les médias ou dans les discours de certains militants.
Le fait de distinguer les revenus avant et après impôts fait apparaître l'efficacité des mesures de redistribution du revenu que sont les paiements de transfert et l'impôt sur le revenu. La proportion de familles économiques comptant au moins deux personnes et la proportion dindividus qui sont sous le seuil diminuent fortement lorsque l'on passe d'un type de revenus (avant impôts) à un autre (après impôts). Ces données confirment la lecture qui a été faite plus haut à partir des coefficients de GINI mesurant l'inégalité.
Deuxième partie
Nous proposons dans cette section un certain nombre de remarques de nature plus générale sur la pauvreté et linégalité et sur le sens à donner à la justice sociale. Suivront des commentaires et suggestions sur différents aspects du projet de loi 112.
Distinguer pauvreté et inégalité.
Le projet de loi fait souvent référence aux notions de pauvreté et dinégalité. Ces deux concepts renvoient à des réalités quil faut distinguer et qui vont être de plus en plus différentes dans les années à venir.
La pauvreté caractérise la non satisfaction des besoins de base et des besoins qui permettent de mener une vie décente selon des normes minimales de vie en société telles que définies à une époque donnée. La pauvreté a donc à la fois un caractère absolu (satisfaction des besoins minimums) et un caractère relatif. La première dimension est elle-même difficile à définir car les besoins de base sont plus ou moins extensibles et changeant dans le temps. Cest ce qui explique que la mesure de la pauvreté pose de réelles difficultés et quelle soit lobjet de vifs débats publics.
Linégalité renvoie quant à elle à la distance qui sépare les ménages à différents niveaux de revenus et à la distribution des ressources. Plus la distance sera étendue, plus grande sera linégalité ; plus la distribution des ressources sera concentrée en quelques mains, plus élevée sera linégalité.
Pauvreté et inégalité seront de plus en plus deux réalités distinctes dans les années à venir, avançons-nous comme hypothèse. On peut même imaginer un modèle de société dans lequel la pauvreté au sens défini plus haut serait éliminée ou fortement réduite cest le but implicite de ce projet de loi et des revendications des lobbys anti-pauvreté tandis que les inégalités continueraient de croître de leur côté. Plusieurs raisons expliquent cette différence et la difficulté que la société de demain aura à contrer la croissance des inégalités. Pour fixer les idées, nous en retiendrons quatre:
la scolarisation accrue de la population a comme conséquence non voulue de favoriser la croissance des inégalités. Les diplômés reçoivent en effet de meilleurs salaires que les non-diplômés car ils sont plus productifs; les non diplômés occupent des emplois qui sont par ailleurs en concurrence plus marquée avec ceux quoffrent les pays à bas salaire, doù une pression à la baisse sur leurs rémunérations;
le double revenu dans les ménages est devenu la norme, créant une source dinégalité entre ménages à deux pourvoyeurs dun côté et ménages à un seul pourvoyeur de lautre, et notamment les familles monoparentales dont la personne qui en est le chef doit assumer seule toutes les dépenses;
les héritages même modestes créent des inégalités;
linégalité est aussi le résultat de décisions individuelles. Un individu qui ne fume pas et qui investirait 6$ par jour pendant trente ans aurait accumulé un capital de dizaines de milliers de dollars qui lui procurerait une rente supplémentaire à la retraite que naurait pas le fumeur. De même, certaines décisions prises aujourdhui ont un impact à long terme; un bon placement de 5000$ à 28 ans aura un rendement important à long terme; un mauvais placement aura leffet contraire.
La lutte à la pauvreté et la lutte aux inégalités sont lobjet de politiques différentes et elles ne sont pas évaluées de la même manière par la population parce quelles impliquent des cadres de référence différents.
Si lanalyse qui précède est juste, elle offre une argumentation qui vient fonder les orientations de larticle 5.2 du projet de loi qui sénonce comme suit (en parlant des ménages pauvres) : « réduire les inégalités qui peuvent les affecter particulièrement ». On peut en effet penser que, dans les prochaines années, la lutte à la pauvreté et la lutte aux inégalités vont exiger lélaboration de politiques différentes.
Les pauvres visés par le projet de loi.
La population des pauvres est mouvante. Selon une étude publiée par Statistique Canada en 1997, effectuée à partir de données denquêtes par panel menées en 1993 et 1994, un peu moins la moitié des ménages pauvres ne létaient plus après deux ans, ayant été remplacés par un contingent à peu près équivalent de nouveaux pauvres. La pauvreté est donc un état temporaire ou transitoire pour une proportion importante des ménages. Il faut aussi conclure de cette étude que lincidence de la pauvreté est importante dans la société puisque plus de ménages peuvent être pauvres à un moment ou à un autre au cours dune certaine période que ne le reflètent les données transversales (données recueillies dans le temps).
Pour un tiers des ménages, lentrée dans létat de pauvreté a été causée par la perte dun membre à la suite dun divorce ou dune mortalité. La même proportion de ménages a pu quitter létat de pauvreté à la suite de larrivée dun nouveau gagne-pain. Lautre facteur déterminant est lentrée ou la sortie du marché du travail. Cette étude montre bien que les changements qui marquent le mode de vie sont à peu près aussi importants que la participation au marché du travail pour expliquer la sortie ou lentrée dans létat de pauvreté.
Des taux de pauvreté en apparence assez stables peuvent en effet cacher des mouvements importants dentrée et de sortie de situation de pauvreté. Les enquêtes longitudinales américaines PSID ont montré que le groupement des pauvres aux États-Unis était loin de comprendre les mêmes individus ou ménages cinq ans après les premiers sondages, de nouveaux pauvres venant remplacer ceux qui sen sortent après un certain temps. On peut faire la même observation dans lexamen des clientèles de laide de dernier recours (aide sociale) au Québec. Il y a en dautres termes une mobilité dans les situations de pauvreté, caractérisées par ce quon appelle la pauvreté permanente et la pauvreté transitoire.
La définition de la pauvreté proposée dans le projet de loi à larticle 2 met laccent sur la privation « de manière durable des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaire pour acquérir et maintenir son autonomie économique et favoriser son inclusion active dans la société québécoise ». Le mot durable dans cette définition pose problème car une partie de la pauvreté nest précisément pas durable mais bien plutôt transitoire ou temporaire.
Si ce qui précède est juste, ne parler que de la pauvreté durable risque de laisser de côté une partie de la population qui doit de fait être visée par le projet de loi.
Nous ajouterons une deuxième remarque à ce qui précède. Il nous paraît nécessaire détendre la portée des mesures que va inspirer ce projet de loi à la population des travailleurs salariés pauvres ou à faible revenu (en anglais, les working poors). Nous observons en effet que les revenus tirés du marché (revenus de travail et revenus de placements) sont plus inégalement répartis entre les ménages depuis une trentaine dannée. Cela signifie que la situation relative des ménages à bas revenus qui travaillent se détériore parce quils reçoivent une part moins élevée des ressources monétaires. Pour lillustrer, nous avons calculé plus haut dans le tableau 2 le rapport entre le revenu moyen des ménages situés au dixième rang dans léchelle des revenus et celui des ménages situés au quatre-vingt-dixième rang (D1/D9). Les premiers recevaient en 1969 18,7% du revenu des seconds, et cette proportion a diminué de moitié en 1999, pour tomber à 9%. Limpôt et les paiements de transferts ont corrigé en parti cette situation, puisque les proportions sont passées à 20,1% en 1969 et à 17,2% en 1999. Ces chiffres illustrent encore une fois lefficacité de laction étatique en matière de redistribution.
Un certain nombre de ménages dont les membres sont actifs sur le marché du travail sont en situation de faiblesse de revenus et même de pauvreté. Leur situation amène des interventions différentes, comme le réexamen du salaire minimum ou le supplément au revenu des petits salariés, par exemple, deux mesures qui incitent au travail.
État-providence et responsabilité des individus.
LÉtat-providence prend en charge les individus et les ménages en situation difficile de dépendance sociale, il assume le partage des risques entre les citoyens et il leur offre aussi les moyens de développer leur potentiel en mettant sur pied des institutions publiques. Ce sont là des idées-force qui ont toujours orienté lintervention de ce type dÉtat. LÉtat a donc un rôle actif à jouer dans la prise en charge des démunis, mais il met aussi de lavant des programmes qui postule que les individus sont des êtres responsables et quil faut leur donner les moyens de développer leur potentiel, tout le contraire dune prise en charge tutélaire. Ainsi, lÉtat défraie-t-il en totalité ou en partie les coûts déducation en vue daider les personnes à devenir autonomes et responsables. De même, cest pour cette raison quexistent des lois qui encadrent le travail salarié (normes en matière de sécurité, droit de grève et de lock-out, etc.) afin de corriger les déséquilibres dans les rapports de force qui empêchent les individus dassumer librement leurs droits et leurs responsabilités.
Or, avec le temps, la multiplication des programmes ont eu comme effets pervers de développer une certaine dépendance sociale. Lampleur de celle-ci est parfois exagérée dans les débats partisans car les études sur la question montrent quelle est sans doute plus limitée que la perception qui est véhiculée. Mais on aurait tord de ne pas considérer ce danger ou cette dérive potentielle comme étant bien réelle. Cest pourquoi les États-providences européens insistent maintenant sur lidée de responsabilité des citoyens, en parallèle à lidée de solidarité. Les individus ont des droits et des attentes vis-à-vis leur état, mais ils ont aussi le devoir de se servir des ressources de plus en plus nombreuses quil met à leur disposition pour les aider à assumer leur destin et développer leur potentiel.
LÉtat québécois a mis en place au fil des ans un très grand nombre de programmes afin daider les citoyens à réaliser leur potentiel. Les bas frais de scolarité à luniversité, les garderies à cinq dollars, les lois du travail, les programmes de santé préventive, les programmes de soutien du revenu des bas salariés, laide de dernier recours et tant dautres mesures existent précisément dans ce but. Au fil du temps, tout ces programmes ont été peu à peu définis ou considérés à travers le langage des droits alors quils sont dabord des moyens mis collectivement à la disposition de tous en vue dun développement personnel responsable.
Dans cette perspective, il nous paraît souhaitable dajouter dans larticle 6.1 du projet de loi une référence au sens de responsabilité qui doit aussi accompagner lélaboration de politiques daide au développement des personnes. Larticle pourrait se lire comme suit :
6.1 (
) « prévenir la pauvreté et lexclusion sociale en favorisant le développement du potentiel des personnes aptes au travail, leur autonomie et leur sens de responsabilité » (ajouts proposés en italiques).
La question du logement
Le coût du logement a connu une hausse importante en effet au fil des ans et ce poste budgétaire vient maintenant au premier rang dans la structure des dépenses des ménages et des familles, devant le poste alimentation qui était jusquà récemment (milieu des années 1980) la principale dépense des familles.
La hausse du coefficient deffort budgétaire pour le logement la proportion du budget consacrée à ce poste ne touche pas seulement les ménages pauvres, elle affecte aussi de manière importante les ménages ayant de faibles revenus. Plus largement, leffort budgétaire consenti par les ménages situés au bas de léchelle des revenus pour se loger a augmenté plus rapidement que pour les autres groupes entre 1969 et 1999 (tableau 6) . Cest là une observation importante dans le contexte actuel qui oblige à être davantage sensible aux difficultés que rencontrent les ménages à se loger dans les centres urbains du Québec.
Il faut souligner limportance de laction visant à « favoriser laccès à un logement décent à prix abordable » qui est prévue à lalinéa 4 de larticle 8 du projet de loi.
Lobservatoire de la pauvreté et de lexclusion sociale
Le philosophe français Fontenelle (1657-1757) écrivait : «Avant de sinterroger sur les causes dun phénomène, il faudrait savoir si le phénomène existe». La connaissance des faits précède laction, et ce constat vaut en matière de lutte à la pauvreté autant quen toute autre matière.
La proposition de mettre sur pied un Observatoire sur la pauvreté et lexclusion sociale revêt une importance stratégique. La mesure de la pauvreté est en ce moment objet de débats sur la place publique et il est nécessaire quun organisme impartial documente la question en explicitant les postulats sur lesquels reposeront les mesures proposées. On narrivera jamais à une mesure parfaite du phénomène ni à une mesure qui emportera ladhésion de tous, mais ceci ne veut pas dire quil nest pas possible de caractériser le phénomène de manière objective. Il est faux de prétendre quon ne peut pas mesurer la pauvreté, car il existe maintenant plusieurs approches validées pour ce faire.
Un tel observatoire pourrait développer une mesure officielle du phénomène de la pauvreté, mais sans oublier de caractériser ce phénomène à partir de plusieurs approches. Par exemple, lindice MFR (Mesure de la Faiblesse du Revenu) est une mesure standardisée qui sert à faire des comparaisons internationales. Cet indice considère comme pauvres les ménages recevant moins que la moitié des revenus médians disponibles par unité.
Les indices de pauvreté servent à plusieurs fins : 1) estimer le nombre de ménages et dindividus pauvres en fonction de diverses définitions, 2) analyser lévolution du phénomène de la pauvreté dans le temps, 3) étudier les comportements et caractéristiques des pauvres en vue de définir des politiques publiques. Même sil ny a pas daccord sur la meilleure mesure à adopter, celle qui sera retenue permettra danalyser par ailleurs lévolution dans le temps de ce phénomène et les effets de génération. Étant donné une mesure donnée peu importe quelle surestime la pauvreté pour les uns ou quelle la sous-estime pour les autres comment celle-ci change-t-elle dans le temps? Comment permet-elle de comparer entre elles des cohortes et des générations ? La réponse à ces questions permettra de mieux apprécier lefficacité des politiques adoptées.
LObservatoire devrait être logé à lInstitut de la statistique du Québec pour les raisons suivantes. Cet institut a lexpertise en la matière et il est nécessaire que les travaux sur la question soient menés en concertation avec dautres travaux de nature démographiques et dautres recherches sur les conditions de vie. LISQ a de par son statut au sein de lappareil gouvernemental lindépendance administrative et juridique nécessaire pour assurer une grande crédibilité aux recherches et mesures qui seront élaborées. LInstitut devra par ailleurs utiliser des données publiques de Statistique Canada (enquêtes Famex, enquêtes EDTR ou enquêtes Finances des consommateurs) et il a déjà négocié des ententes ad hoc qui sont complexes. Seul son statut dorganisme indépendant lui permet laccès direct aux micro données de ces enquêtes.
LObservatoire devrait être en mesure de fournir des données ventilées sur une base régionale afin de permettre aux divers milieux concernés dagir en matière de pauvreté et dexclusion. Or, sur ce plan, Statistique Canada est moins bien équipé (et moins intéressé aussi, compte tenu de lampleur de la tâche que cela représenterait à léchelle du Canada) que lISQ. Le modèle de lEnquête sur la santé pourrait être suivi : augmentation de la taille de léchantillon québécois dans lenquête fédérale et analyse par lInstitut des micro données québécoises à léchelle régionale. Le travail se ferait ainsi à moindre coût.
Par ailleurs, lISQ planifie en ce moment une grande enquête longitudinale en matière de conditions de vie. Lanalyse de la pauvreté dans une perspective temporelle va savérer un précieux instrument pour lévaluation de programme et la prise de décisions dans les années à venir.
***
Pour conclure, je reprendrai un énoncé qui apparaît à larticle 6.4 du projet de loi : favoriser lengagement de lensemble de la société. Cet engagement doit être plus quun vu pieux. La richesse collective maintenant plus grande qui est la nôtre, le développement social, culturel et économique qui est aussi le nôtre ne doivent pas nous faire oublier quil y a encore des exclus et que nous avons un devoir de solidarité envers eux, aujourdhui comme hier.
Je remercie les membres de la Commission parlementaire de leur bonne attention.
Tableau 1
Coefficients de GINI des ménages ayant deux personnes ou plus etdes personnes seules selon des concepts de revenus différents, Québec, 1989-1998Revenus avant transfertsRevenu totauxRevenus après impôtsRapport 3/2Année(1)(2)(3)(4)2 personnes et plus19890,4000,3200,2770,86619900,4140,3260,2820,86519910,4350,3380,2910,86119920,4230,3220,2770,86019930,4260,3220,2760,85719940,4390,3340,2820,84419950,4380,3370,2860,84919960,4470,3460,2970,85819970,4520,3530,3070,87019980,4520,3550,3030,854Source : Statistique Canada, Revenu après impôt, répartition selon la taille du revenu au Canada, Ottawa, cat. 13-210Statistique Canada, Le revenu au Canada, Ottawa, cat. 75-202.
Tableau 2
Rapport inter déciles (D1/D9) selon des concepts de revenus différents, Québec, 1969-1999Types de revenus19691982198619921996199719981999 Revenus du marché0,1870,1290,1260,1180,1120,1070,0770,090 Revenus après impôts0,1770,1530,1400,1450,1450,1340,1280,130 Revenus nets0,2010,1910,1780,1980,1900,1790,1590,172 Source: Micro-données de l'enquête sur les dépenses des familles de Statistique Canada, calculs de l'auteur.
Tableau 3
Transferts reçus et impôts payés en moyenne par les familles économiquesde deux personnes ou plus selon le quintile de revenu, Québec, 1998Transferts ImpôtsMoyens% des revenusPart du totalMoyens% du revenuPart du total Q1 (inf)10 23758,428,68695,01,4Q29 20529,025,84 01912,66,6Q37 66116,321,49 06119,314,9Q45 1367,914,414 60722,424,1Q5 (sup)3 5063,19,8 32 22628,452,9Total7 15213,0100 12 14322,1100,0Source : Statistique Canada, Le revenu au Canada, Ottawa, cat. 75-202.
Tableau 4
Proportion des familles économiques (2 personnes ou plus)sous le seuil de faible revenu (SFR) corrigé et non corrigé par province,(base de 1992), avant et après impôt, Québec et Ontario, 1996 à 1998Données corrigées par provincesDonnées non corrigées par province QuébecOntario QuébecOntarioAvant impôt199614,815,218,412,7199714,915,318,312,4199813,413,417,011,0Après impôt19969,511,113,69,519979,810,113,68,519988,68,911,57,7 Source : Compilation spéciale de Statistique Canada pour le compte du Ministère de la solidarité sociale, décembre 2000, publiés dans Stratégie gouvernementale de lutte contre la pauvreté, janvier 2001.
Tableau 5
Proportion des personnes sous le seuil de faible revenu (SFR), corrigé et non corrigé par provinces, avant et après impôt, Québec et Ontario, 1996 à 1998Données corrigées par provincesDonnées non corrigées par province QuébecOntario QuébecOntarioAvant impôt199618,719,022,616,0199719,319,022,915,7199818,216,822,114,0Après impôt199612,614,417,912,2199713,313,518,211,3199812,511,916,410,1 Source : Compilation spéciale de Statistique Canada pour le compte du Ministère de la solidarité sociale, décembre 2000, publiés dans Stratégie gouvernementale de lutte contre la pauvreté, janvier 2001.
Tableau 6
Coefficient de dépenses par unité de consommation des ménages d'après l'indice multidimensionnel
de pauvreté-richesse IMPR) selon le poste de dépenses, Québec, 1969-1999
Indice IMPRAlimLogeTranLoisHabiEquiProtSantÉducDiveTotalPauvres196943,720,25,85,510,04,12,95,60,51,6100197838,722,37,16,68,76,03,43,50,73,0100198235,126,58,26,77,34,83,44,31,02,6100198632,430,27,87,66,35,03,44,20,92,3100199231,231,48,77,55,55,03,04,41,02,3100199630,134,38,16,34,95,32,84,41,42,5100199731,330,69,08,75,05,13,13,91,81,4100199831,031,87,59,15,05,42,84,41,81,2100199931,230,27,49,05,35,33,74,91,51,6100Quasi-pauvres196933,520,78,56,711,74,84,16,60,92,4100197830,123,211,17,19,06,44,53,61,13,9100198228,027,810,67,97,15,94,14,20,83,7100198626,127,011,68,17,55,83,84,81,63,7100199223,731,211,96,86,25,64,25,01,73,8100199623,634,59,88,44,95,04,64,61,73,3100199722,532,010,89,65,56,34,84,51,92,2100199822,832,610,49,25,46,93,65,51,72,1100199923,232,210,99,25,15,64,15,72,02,1100Classes moyennes inférieures
1969
32,2
20,7
8,8
6,9
10,6
4,8
4,4
7,0
0,7
3,8
100197828,922,613,17,09,06,24,63,80,93,9100198228,125,712,07,07,25,24,84,11,14,7100198626,225,511,88,27,35,55,34,61,44,3100199225,125,913,37,66,14,96,04,81,44,7100199624,228,112,17,95,35,65,75,11,74,4100199724,728,211,58,75,85,56,15,02,12,4100199824,826,911,99,65,55,26,15,42,22,4100199924,527,012,88,95,25,36,25,92,02,2100Classes moyennes196928,019,411,97,811,65,35,85,91,13,2100197825,421,513,98,39,56,45,93,51,34,2100198223,923,813,57,88,35,36,74,11,55,1100198621,922,215,49,08,55,76,54,41,84,6100199220,424,015,09,36,95,37,44,51,95,4100199620,525,013,58,66,25,38,64,92,55,1100199720,226,913,79,76,15,38,14,72,62,7100199820,026,414,010,06,05,47,45,92,32,6100199920,026,215,09,65,75,66,95,82,72,5100
Indice IMPRAlimLogeTranLoisHabiEquiProtSantÉducDiveTotalClasses moyennes supérieures196923,519,315,37,811,55,76,05,71,34,0100197821,220,516,78,89,17,26,83,61,44,8100198220,022,216,98,38,75,67,24,21,75,4100198618,921,017,29,09,05,87,24,22,05,8100199217,023,017,09,56,85,58,84,51,86,3100199617,224,715,08,56,15,310,14,32,66,3100199716,425,216,510,46,25,89,04,42,63,5100199816,826,315,610,25,95,28,95,32,53,2100199917,025,516,89,45,75,18,16,22,63,6100Quasi-riches196920,819,715,38,211,25,27,05,51,85,4100197819,920,815,68,59,56,98,13,41,35,8100198217,921,616,08,09,45,68,93,92,26,6100198617,521,316,38,59,27,07,44,11,57,1100199216,122,516,29,77,05,49,74,02,27,3100199615,622,917,29,16,34,910,64,02,56,8100199714,823,917,510,76,45,411,04,12,24,0100199813,323,313,319,85,05,49,84,52,53,3100199915,224,220,29,85,84,99,14,92,04,0100Riches196919,019,714,58,710,76,36,85,01,65,898197817,719,618,88,410,17,67,53,31,25,8100198216,021,617,68,59,05,68,33,51,68,5100198615,019,420,910,08,96,16,43,61,38,5100199214,421,219,79,16,95,49,53,81,58,6100199614,220,118,511,37,25,28,53,71,69,8100199713,025,619,410,65,95,78,83,41,85,8100199813,722,822,010,15,85,48,64,32,15,2100199913,222,921,812,05,65,38,34,01,95,1100Total196929,219,811,57,411,25,25,36,01,13,4100197826,321,613,67,99,36,65,73,51,24,3100198224,524,213,47,78,15,46,24,11,45,0100198622,723,614,48,68,25,85,94,31,64,9100199221,025,314,68,76,65,37,04,51,75,4100199620,826,813,38,55,85,37,74,62,25,2100199720,527,413,89,75,95,67,44,42,32,9100199820,327,113,510,75,75,57,05,32,22,7100199920,426,914,89,55,55,36,75,62,32,9100
Source : Statistique Canada, Enquêtes Famex, compilation de lauteur.
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