Thèse Lyon 2 - CyberTesis UACh
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est souvent présenté sous le nom de modèle Heckscher - Ohlin - Samuelson. ....
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s migrants qui mont accordé un entretien et aidé à réaliser les questionnaires. Je pense en particulier, à Yéra Dembele de la FAFRAD, Yacine Diallo Padia, Samba Guèye de SOPE, Mactar Diouf de Sénégal Conseil, Mauriba Soumaré, Bathily, Niangadou et Catherine Traoré de CAFO, Adama et Mame Rama Bâ, Pape Ali Gaye et Youssou Cissé.
Ces remerciements vont aussi à tous ceux avec qui jai eu à discuter et à travailler pour l'enquête sur les caractéristiques de l'épargne des migrants maliens et sénégalais en France et pour l'organisation de la journée de rencontres et réflexion sur le codéveloppement du 20 mai 1999 à l'Université Lumière Lyon 2, en particulier, Isabelle Guérin du Centre Walras, Geneviève André et Jean Fress de la Mission Interministérielle au Codéveloppement et aux Migrations Internationales, Olivier Kaba et Didier Allely de PS-Eau, Reynald Blion de lInstitut Panos et Vernières de Europact.
Je tiens à remercier, pour leurs conseils et leur soutien, Alain Viénot, Maurice Comte, Stéphane Lallich, Victor Gomis, Karine Delvert et les membres du Centre Walras et plus particulièrement à Jérôme Blanc, Sabrina Djeffal, Cyrille Ferraton, Isabelle Guérin, Gilles Malandrin, Nicole Mollon, Christine Piégay, Bruno Tinel, David Vallat.
Je voudrais enfin témoigner de grands égards à :
- Claude Mouchot, Nicole Mollon, Cyrille Ferraton, Ludovic Flobert, Pierre-Yves Péguy, Damien Jaricot, Thierry Kirat et Mohamed Khanchi qui ont eu la gentillesse de relire une partie du manuscrit.
- Tous les enseignants de l'Université Lumière Lyon 2 qui mont transmis un peu de leur savoir, en particulier, Eddy Bloy, Jean-Hugues Chauchat, Jean-François Goux, Jean-Michel Servet et Patrick Sylvestre-Baron.
- Mes parents et amis, en particulier, ma sur chérie Fatima Dieng, mes grands frères Youssouf Camara, S. A. Tidiane Dieng et Maki Dieng, tata Takho Bâ Catherine Fouque et ses parents, Pape Sy, Safiétou Coulibaly, Fatou Dia, Djiby Diakhaté, Meissa Fall, Vieux Sèye, Michel Seck, Alboury NDiaye, Boubacar Fall, Cheikh Fall, Omar Thioune et Manel Gaye pour leur soutien.
Introduction générale
Sil est relativement aisé de définir la migration entre pays, il est en revanche très difficile de la mesurer. Il y a migration internationale lorsquune personne ou un groupe de personnes quitte son pays dorigine pour sétablir de manière temporaire ou définitive dans un autre pays. La principale difficulté pour mesurer les flux migratoires réside dans linterprétation des qualificatifs temporaire et définitive . Cest sur cette difficulté de distinguer ces deux qualificatifs que repose lopposition sémantique entre les termes immigré et migrant pour qualifier le statut migratoire. Être migrant fait référence à une migration en cours et par conséquent temporaire alors que limmigré est celui qui a plutôt tendance à sinstaller de manière plus ou moins définitive.
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Cette opposition sémantique est très difficile à opérer a priori du fait de lincertitude relative à la durée effective dune migration. Cest pour cette raison que nous considérons, à linstar de plusieurs auteurs, que ces deux termes sont équivalents. Dautre part, la définition de limmigré adoptée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) conforte cette équivalence. En effet, est immigrée, selon lINSEE, toute personne résidant en France née à létranger et de nationalité étrangère ou française par acquisition. Ainsi, dans tout ce qui suit nous emploierons indifféremment lun ou lautre de ces deux termes.
Après un bref exposé général sur les migrations internationales, nous présenterons le sujet de la thèse et son intérêt. La dernière partie de cette introduction générale sattachera à expliciter la démarche adoptée en insistant davantage sur la méthodologie des enquêtes de terrain que nous avons menées auprès de la population cible, à savoir les migrants maliens et sénégalais résidant en France.
Bref aperçu sur les migrations internationales
La migration est un phénomène universel que lon retrouve partout et en tout temps avec une intensité variable. Rares sont les populations et les territoires qui nont pas été le théâtre de flux migratoires.
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été caractérisés par une grande mobilité internationale de la main-d'uvre. L'Amérique du Nord a accueilli des dizaines de millions de travailleurs européens tandis que l'Afrique, les Indes Orientales et l'Asie du Sud-Est ont attiré plusieurs millions d'Indiens et de Chinois. A partir de 1920 les grands flux migratoires ont été limités par les restrictions à l'immigration et les mouvements de populations les plus importants ont été le fait des conséquences politiques des conflits et des guerres civiles.
Le système contemporain des migrations internationales et intercontinentales se caractérise par une multiplication des itinéraires et une diversification croissante des lieux de destination qui se sont accompagnées dun accroissement considérable des flux migratoires. Cette métamorphose de la nature des migrations internationales a complètement bouleversé les classifications traditionnelles entre pays démigration et pays dimmigration .
Contrairement à ce mouvement général des migrations internationales, la fin des années 1990 s'est plutôt caractérisée par une diminution des flux migratoires réguliers enregistrés dans la plupart des pays de l'OCDE. Cependant, l'immigration temporaire, composée de plus en plus de main-d'uvre qualifiée, s'est davantage développée. L'immigration familiale reste prédominante malgré le durcissement des conditions requises pour procéder au regroupement familial.
Les flux migratoires Sud-Nord se caractérisent par une stabilité depuis le début de la décennie 80 et les migrations internationales se font aujourdhui essentiellement entre les pays du Sud. La motivation de la migration volontaire est généralement dordre économique. La migration forcée a été importante en particulier durant la dernière décennie. Les migrations provoquées par des bouleversements politiques ou des désastres écologiques concernent particulièrement la région sahélienne de lAfrique et sont moins prononcées dans la Corne de lAfrique.
Les flux migratoires internationaux se caractérisent par une diversité de types. Les deux grands types de modèles dimmigration sont limmigration de peuplement et limmigration de main-duvre. Limmigration de peuplement est caractéristique des jeunes nations tels les États-Unis, le Canada et lAustralie. Dans ces pays, limmigration a constitué le socle même de leur existence, la population nationale ou plus proprement la communauté nationale étant principalement composée de migrants venus dorigine diverse ; la population autochtone ayant presque totalement disparu ou est même présentée comme danciens migrants (exemple des Indiens dAlaska).
Limmigration de main-d'uvre a été le modèle dominant en Europe après la seconde guerre mondiale. Dans ce modèle, les migrations de travailleurs sont temporaires et souvent alternantes. Les restrictions à limmigration ont progressivement engendré une transformation de la nature de ces migrations, qui deviennent, pour beaucoup de migrants, des migrations durables voire définitives de peuplement. Les migrants, ne pouvant pas se déplacer librement, sétablissent de manière permanente dans le pays daccueil et font venir leur famille.
La mobilité des travailleurs au sein de l'Europe était une mobilité à caractère économique. De 1950 au début des années 1970, des millions de travailleurs ont émigré des pays moins développés du Sud et du Sud-Est de lEurope vers les pays prospères d'Europe Occidentale. Ces migrants, appelés aussi travailleurs hôtes, provenaient essentiellement de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie du Sud, de la Grèce, de la Yougoslavie, de la Turquie et de l'Afrique du Nord. Cette migration de travail était de nature temporaire car les migrants laissaient leur famille dans leur pays d'origine. Les économies des pays occidentaux les plus riches étaient très proches du niveau de plein emploi du facteur travail pendant les années 1960 et le début des années 1970. La croissance risquait ainsi d'être bloquée par une insuffisance de l'offre de travail. La disponibilité de la main-d'uvre immigrée leur a permis de maintenir le rythme de leur croissance économique.
Le développement des secteurs agricole, minier et industriel de lAfrique du Sud et du Zimbabwe a attiré plusieurs milliers de travailleurs étrangers originaires des pays frontaliers et de lAfrique centrale. En Asie, Singapour et Malaisie ont accueilli plusieurs centaines de milliers dIndonésiens et de Philippins. Pendant la décennie 70, les pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient étaient une oasis économique pour des millions de travailleurs pauvres du Sud, du Moyen-Orient, de lEst et du Sud-Est asiatique.
Parmi les pays européens, la France et lItalie sont ceux qui accueillent le plus de migrants africains. La proportion dAfricains dans la population étrangère sélève à 45,4 % en France et 31,7 % en Italie alors quelle nest que de 4 % en Allemagne et 1,9 % en Suisse.
Tableau 1.11 : Pourcentage de ressortissants africains dans la population totale, la population étrangère, la population des étrangers hors Espace Économique Européen (E.E.E.) (par pays, au 1/01/1992).
Population totalePopulation étrangèreÉtrangers hors E.E.E.E.E.E0,817,627,1Allemagne0,34,05,7Italie0,331,740,7France2,945,471,9Suisse0,31,96,1Source : P. Chrissartaki et E. Kuiper [1994]. Les africains en Europe : un portrait en chiffre , REMI, vol 10, n° 3, pp. 189-199.Cette population immigrée se féminise de plus en plus à cause notamment de laccroissement des mouvements de regroupement familial. Létude du tableau suivant révèle un contraste au niveau du rapport de féminité entre les populations immigrées malienne et sénégalaise. En Suisse et en Italie, le rapport de féminité est plus élevé chez les Sénégalais que chez les Maliens. En revanche, le nombre de femmes pour 100 hommes est, en France, environ six fois plus important chez les Maliens que chez les Sénégalais. Cest sur ces deux populations immigrées que porte létude sur le comportement financier.
Tableau 1.12 : Rapport de féminité au 1/01/1992 (femmes pour 100 hommes)
ItalieFranceSuisseMali355927Sénégal641044Source : P. Chrissartaki et E. Kuiper(1994), op. cit.Définition et intérêt du sujet
Lavènement de la crise économique dans les années 1970 en Occident et sa kyrielle de conséquences néfastes, en particulier le chômage, a mis limmigration au cur de la problématique et des débats de politique économique et sociale des pays développés. Certes, la question de limmigration se pose avec plus ou moins dacuité selon les pays. Nonobstant, elle demeure un enjeu majeur dans un contexte de croissance corrélative du chômage dans le Nord et de la pauvreté dans nombre de pays du Sud. Dans cette perspective, le problème de limmigration devient universel et mérite une étude globale et approfondie intégrant toutes les dimensions, économique, sociale et culturelle tout en prenant en considération les spécificités propres aux parties en présence.
Limportance de la question est à la hauteur de labondance des écrits la concernant. Cependant, la quasi-totalité de ces derniers sintéresse et insiste sur limmigration en tant que flux de main-duvre et sur les conditions sociales des immigrés. Ce constat de polarisation des études relatives à limmigration milite pour une orientation de la recherche vers dautres aspects qui sont aussi importants que la situation sociale et qui sont, soit peu explorés, soit totalement relégués au second plan.
Le domaine financier est actuellement insuffisamment étudié, en particulier en ce qui concerne notre population cible. La rareté détudes sur le comportement financier des migrants et lactualité de la problématique témoignent de lintérêt de la thèse. Les études sur le sujet sont parcellaires car elles sattachent principalement à traiter certains des aspects du comportement financier, notamment les transferts financiers. Le terme de transferts financiers , vocabulaire habituellement utilisé par les auteurs, nest pas toujours adapté. Les transferts dits financiers des migrants sont, pour la plupart des cas, des transferts monétaires en ce sens quils servent essentiellement à satisfaire des besoins de consommations courantes des familles restées sur place et non à financer des projets ou à effectuer des placements financiers dans les pays destinataires. Néanmoins, dans tout ce qui suit, nous utiliserons le vocabulaire habituel de transferts financiers.
La qualité et la pertinence dune analyse du comportement financier des migrants exigent la prise en compte des logiques socioculturelles spécifiques à chaque groupe et les caractéristiques de chaque pays daccueil. Dès lors, nous nous restreignons à létude des comportements financiers des immigrés maliens et sénégalais résidant en France.
Le comportement financier désigne ici l'ensemble des conduites et des pratiques d'une personne ou d'un groupe de personnes face à l'endettement, l'épargne et son affectation placements et autres investissements. Seront présentés, d'une part, les formes, l'évolution, l'affectation et les déterminants économiques et socioculturels de l'épargne. Dautre part, il sagira de saisir les pratiques de crédit et leurs raisons ainsi que les relations de la population étudiée avec les organismes financiers.
L'analyse des entretiens de recherche (cf. chapitre 1 de la 2e partie) révèle la spécificité du comportement des immigrés sénégalais et maliens comparativement à la population autochtone française. Pour autant, ce comportement financier ne semble pas homogène. L'objectif de notre thèse est donc de caractériser les différents types de comportement financier des immigrés maliens et sénégalais résidant en France. Dans cette optique, deux questions surgissent alors naturellement. Sur quel(s) critère(s) pertinent(s) repose la typologie du comportement financier des immigrés ? Quels sont les déterminants et les conséquences de leur comportement financier ?
Cette analyse des entretiens a, en même temps, permis démettre trois hypothèses relatives au comportement financier des immigrés maliens et sénégalais.
Dabord, lépargne financière des immigrés nest pas aussi importante, contrairement aux idées reçues. Sil est vrai que lépargne brute des immigrés, définie comme la partie de leur revenu non consommée, est considérable ; il nen demeure pas moins que lépargne financière, celle destinée au financement de linvestissement de limmigré et/ou aux agents à besoin de financement, semble relativement faible.
Les transferts de fonds des immigrés sont considérés comme une épargne brute dans les statistiques des pays d'accueil. En réalité ces transferts sont une non consommation dans ces pays. L'éclatement de la famille entraîne des rythmes de consommation différents. Ainsi, cette épargne correspond le plus souvent à une consommation différée dans lespace, celle de la famille ou des parents restés au pays dorigine. Ceci explique en partie limportance et la régularité des transferts financiers.
L'épargne brute des migrants se répartit en deux parties : les transferts que nous avons définis en quatre types (cf. chapitre 1 de la 2e partie) et l'épargne brute qui reste dans le pays d'accueil. Lépargne brute peut être destinée à un ou plusieurs des usages suivants : remboursements de dettes et/ou paiements de charges diverses, investissement dans un réseau social de solidarité cotisations dans une tontine et/ou une association de migrants ou autres et investissement sur place création d'une petite entreprise, placements financiers.
Ensuite, le comportement financier doit être différencié selon des critères socio-démographiques (âge, sexe, profession) ; lappartenance ethnique la différence de degré de hiérarchisation des sociétés africaines peut le cas échéant expliquer, en partie, la différence de comportement financier ; la durée de limmigration et le choix de retour ou non dans le pays dorigine.
L'appréciation des différences de comportement financier des immigrés s'appuiera sur un certain nombre d'éléments. Ces derniers nous permettront ainsi de discriminer la population cible pour cerner les différences de comportement. Ces éléments d'analyse sont la capacité d'épargne et les transferts, le comportement d'endettement et l'esprit d'entreprise.
Enfin, cette étude part aussi de lhypothèse que le comportement financier est inhibé par divers facteurs quil faudrait prendre en compte dans lanalyse, à savoir : les facteurs socioculturels des espaces d'origine, les motivations profondes de lémigration et la situation des immigrés dans le tissu économique et social du pays d'accueil.
Le sens que nous donnons au comportement financier nous contraint délargir le champ dinvestigation de la science économique à celui dautres disciples scientifiques, en particulier la sociologie. Ce recours à la sociologie est dautant plus nécessaire que la compréhension de tout comportement économique et financier impose une intégration des dimensions sociales dans lanalyse. De manière plus générale, lappréhension réaliste dun quelconque phénomène social nécessite de prendre en compte, le plus possible, le réseau de relations dinterdépendance existant entre les différents champs de la vie humaine.
La méthodologie adoptée pour étudier le comportement financier des migrants se fonde essentiellement sur les entretiens de recherche ou récits de vie qui constituent un précieux outil de travail pour les chercheurs des sciences sociales.
Méthodologie et validité de létude
L'étude du comportement financier des immigrés maliens et sénégalais de France est essentiellement une étude de terrain. Elle sest réalisée en deux étapes relativement indépendantes mais profondément complémentaires. La première étape a consisté à faire des entretiens de récits de vie auprès de certaines personnes et groupes de personnes de la population cible (voir annexe 1 pour des exemples de transcription dentretien). Cest à partir de lanalyse et de linterprétation des résultats de ces entretiens qua été élaborée la seconde étape. Celle-ci sest fondée sur la réalisation dune enquête composée dune série de quatre questionnaires différents mais interdépendants.
Ces questionnaires ont concerné respectivement la population immigrée étudiée (questionnaire principal), les responsables de tontines (questionnaire tontines), les responsables dassociations dimmigrés maliens et sénégalais (questionnaire associations) et les établissements de crédit (questionnaire établissements financiers). Le questionnaire relatif aux établissements financiers a été finalement abandonné, faute de retour conséquent de réponses de la part de ces derniers (voir annexe 2 pour les questionnaires).
La stratégie adoptée pour mener à bien cette enquête a été dabord de définir la méthode de sondage pour chacun des trois questionnaires. Ensuite, de vérifier si le vocabulaire des questions est adapté par rapport à celui des personnes à interroger et enfin de tester les questionnaires.
Le champ de l'enquête ou population parent, appelé aussi base de sondage ou encore population de l'inférence, est composé de l'ensemble des unités statistiques appartenant à la population étudiée. Ainsi, la première préoccupation de lenquêteur est non seulement de définir la population étudiée mais et surtout de disposer dune liste complète de toutes les unités statistiques la composant, autrement dit dune base de sondage.
Sil est relativement très facile de désigner la population étudiée, il nen est pas de même pour létablissement de la liste complète de ses éléments constitutifs. Cest le cas en particulier pour deux de nos questionnaires, lun relatif aux responsables de tontines et lautre aux responsables dassociations dimmigrés, dont nous navons pas pu établir une base de sondage. Labsence de base de sondage sexplique pour le premier par le fait que les tontines sont des groupements informels de personnes donc non répertoriées dont la durée de vie est très variable. La pérennité de ces structures informelles dépend du nombre de membres et de leur désir de renouveler ou non lexpérience. Ainsi, au cours dune même année peuvent apparaître et disparaître plusieurs tontines rendant ainsi impossible la constitution dune base de sondage. Pour le second, il existe un répertoire général des associations géré au niveau départemental par les services de la Préfecture.
Ces bases de données souffrent de deux handicaps majeurs. Dune part, elles ne recensent pas toutes les associations immigrées car nombreuses sont les associations qui nont pas été déclarées auprès de ces services. Dautre part, elles sont non seulement difficiles daccès mais et surtout le coût notamment financier de la constitution dune telle base est, de loin, hors de notre portée. A défaut de ne pouvoir obtenir un choix raisonné d'un échantillon dassociations immigrées sur une base de sondage fiable, nous étions conduit à adopter une solution de rechange pragmatique dont l'objectif était dinterroger une quarantaine de responsables de tontines et au moins autant de ceux des associations dimmigrés.
En revanche, pour le questionnaire principal, nous disposons dune base de sondage relativement fiable composée de lensemble des Sénégalais et Maliens majeurs résidant en France. En matière d'enquête statistique, le tirage probabiliste est le meilleur des tirages possibles à condition qu'il s'appuie sur une bonne base de sondage. Une base de sondage étant une liste des personnes de la population étudiée dont on dispose et dans laquelle seront extraits des échantillons lorsqu'on veut réaliser un sondage probabiliste. Cette liste doit avoir deux principales qualités que sont lexhaustivité et lunité de la présence de chaque individu statistique dans la liste. Lexhaustivité impose que toutes les unités du champ de l'enquête soient répertoriées, aucune personne n'est oubliée tandis que l'absence d'un double compte signifie que chaque unité du champ de l'enquête n'est présente qu'une seule fois dans la liste.
Les fichiers administratifs constituent a priori la base de sondage la plus fiable pour le questionnaire principal. Mais cette base de sondage est incomplète dans la mesure où nous ne pouvons disposer d'une liste exhaustive des personnes de la population de l'inférence, cest-à-dire la population de lensemble des Maliens et des Sénégalais résidant en France. Ce défaut d'exhaustivité s'explique par les difficultés de mise à jour de l'information relative aux entrées et sorties des personnes du champ de l'enquête et surtout de comptabilisation des personnes dites clandestins , c'est-à-dire de personnes n'ayant pas de titre de séjour délivré par les autorités françaises.
Cependant cette base peut être acceptée si l'on juge que le défaut d'exhaustivité est relativement faible et ce d'autant plus qu'il est très difficile en pratique d'obtenir une base parfaite en général. Imaginons que ce soit le cas pour notre base. Apparaît alors un problème majeur relatif à l'accès et aux coûts d'exploitation des données de la base. En effet, les bases sont souvent gérées par plusieurs organismes en France.
Compte tenu de tous les problèmes que nous venons d'évoquer ci-dessus, nous pensons plus judicieux de recourir au sondage empirique. Le sondage empirique s'oppose aux procédés de sélection purement probabilistes en ce sens que la probabilité qu'a chaque individu de figurer dans l'échantillon n'est pas connue a priori. La sélection des individus est du ressort de l'enquêteur qui doit néanmoins limiter le biais de sélection lors de la constitution de l'échantillon. Les sondages empiriques sont moins coûteux et plus rapides que les sondages probabilistes car les moyens à mettre en uvre sont plus faibles.
On utilise généralement deux types de sondages empiriques : la méthode des unités-types et la méthode des quotas. La méthode des quotas est la plus fréquemment rencontrée ; elle consiste à choisir un échantillon qui est le reflet exact de la structure de la population de l'inférence selon certains critères préalablement définis. L'échantillon constitue alors une image réduite de la population toute entière. Les résultats obtenus sur cet échantillon peuvent se transporter au champ de l'enquête. Cest le modèle de comportement où l'hypothèse se substitue au principe de l'inférence probabiliste. La pertinence de cette méthode implique que soient prises en compte, dans les critères de quotas, toutes les principales variables explicatives du comportement de la variable d'intérêt, en l'occurrence le comportement financier des immigrés maliens et sénégalais pour ce qui concerne notre étude.
Les facteurs explicatifs du comportement financier des immigrés maliens et sénégalais semblent nombreux et aucun d'eux ne peut être privilégié par rapport aux autres. Nous ne pouvons faire des quotas croisés pour des raisons pratiques et surtout parce que nous recherchons effectivement l'importance relative de chacun de ces facteurs explicatifs. Il s'ensuit que seul le critère de la nationalité dorigine et celui de l'espace géographique de résidence nous semblent les plus pertinents. Ainsi le sondage, que nous allons faire, va s'appuyer sur la méthode des quotas et est de type aréolaire, cest-à-dire que le sondage repose sur une subdivision géographique de la population étudiée.
L'objectif initial était de construire un échantillon représentatif issu d'une base de sondage adéquate qui est une synthèse de plusieurs bases de provenances diverses mais de bonne qualité. Plusieurs sources de données ont été consultées, en particulier les publications de l'Institut national des études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Les données de lINSEE sont les plus complètes mais elles sont anciennes. En effet, elles sont issues des résultats du recensement général de la population effectué en 1990. Les résultats du dernier recensement général de 1999 ne seront disponibles quen septembre ou octobre 2000.
Finalement, nous avons utilisé une synthèse de données plus récentes, celles du Ministère de lIntérieur et celles du Ministère de lEmploi et de la Solidarité pour constituer la base de sondage du questionnaire principal. Les données du Ministère de lIntérieur sont établies sur la base du nombre de titulaires dune autorisation de séjour délivrée par les préfectures au 31 décembre 1996. Elles ne prennent évidemment pas en compte les personnes en situation irrégulière mais incluent les mineurs qui désirent travailler. Certaines sorties du système, tels que les décès ou les départs définitifs de migrants avant lexpiration de la validité de leur titre de séjour, sont souvent comptabilisées avec un certain retard. Les données du Ministère de lEmploi et de la Solidarité indiquent le nombre dimmigrés naturalisés français originaires du Mali et du Sénégal.
Un échantillon de cent personnes a été extrait de cette base de sondage. Les contraintes de coûts et l'exigence d'efficacité justifient le choix de la taille de léchantillon. La collecte des données sest faite par interview directe. Les personnes interrogées ont été choisies à partir de deux critères de distinction, à savoir la nationalité dorigine et la région de résidence en France. Ainsi, dans un premier temps, léchantillon de cent personnes a été réparti au prorata de limportance relative de la population immigrée de chacune des deux communautés sénégalaise et malienne. Cette procédure a permis davoir deux sous-échantillons respectivement de 55 immigrés sénégalais et 45 immigrés maliens.
Dans un second temps, nous avons déterminé, pour chaque sous-échantillon, le nombre de personnes à interroger en fonction du poids relatif de la présence des immigrés de la communauté spécifiée dans les vingt-deux régions françaises. Compte tenu de la concentration des communautés malienne et sénégalaise dans les régions dÎle-de-France et de Rhône-Alpes (73 %), lenquête sest finalement limitée dans ces deux régions. Il est à remarquer que près de 90 % des Maliens résident en Île-de-France, cette proportion étant de 54 % chez les Sénégalais. Les résultats de ce procédé sont résumés dans les tableaux suivants.
Tableau 1.13 : Base de sondage du questionnaire principal
RésidentsNaturalisésTotal %Maliens300271933022044,6Sénégalais369655603752555,4Source : Ministère de lEmploi et de la Solidarité, Direction de la Population et des Migrations, Sous-Direction des Naturalisations ; Ministère de lIntérieur, Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques, Sous-Direction des Étrangers et de la Circulation TransfrontièresTableau 1.14 : Répartition de léchantillon du questionnaire principal
EffectifPourcentageMalien 4545 %Sénégalais5555 %Total100100 %Quant au problème sémantique, la diversité des langues parlées par la population cible exige que soit explicitée la signification des principaux termes du questionnaire. En effet, nous avons remarqué lors de nos entretiens avec certains immigrés qu'ils utilisaient par moments des mots de leur langue maternelle. Cette tendance à parler la langue maternelle est d'autant plus marquée que l'informateur ne maîtrise pas le français. Il est très fréquent que les immigrés utilisent dans une même phrase des mots issus des langues d'origine et du pays d'accueil. Ce mélange linguistique est plus important lorsqu'on assiste à une conversation d'immigrés d'une même communauté nationale. Cette situation de fait engendre une difficulté majeure relative à la compréhension des questionnaires.
Ainsi la formulation des questions ne peut être la même pour les immigrés qui parlent parfaitement le français et les autres qui ne le maîtrisent qu'à peine. Qui plus est, le contenu sémantique d'un mot en français est souvent différent de celui du même mot dans les langues d'origine. Pour résoudre ce problème, nous avons fait un entretien pour tester simultanément le vocabulaire et les questionnaires auprès dune dizaine de personnes. Les questionnaires ont été soumis à la population étudiée après clarification de la signification des termes.
Cette étude aurait été presque impossible sans le soutien effectif de personnes ressources qui sont pour la plupart des responsables dassociations et de tontines. Le soutien des responsables dassociations de migrants témoigne dans une certaine mesure leur volonté de faire connaître et reconnaître leurs actions en faveur des populations démunies des pays dorigine. Les entretiens de recherche avec les migrants et les responsables dassociations et de tontines ont été réalisés au cours du dernier trimestre de lannée 1997 (doctobre à décembre 1997). La collecte dinformations par questionnaires a été particulièrement longue, et ce malgré lappui de responsables dassociations et de personnes-relais. Il nous a fallu en moyenne près dune année pour réaliser lensemble des trois questionnaires.
Les questionnaires ont été lancés à la même date, le 1er avril 1998. La durée effective du recueil des données a été de dix mois pour le questionnaire principal, un an pour le questionnaire tontines et un an et un mois pour le questionnaire associations. La longueur de la période de réalisation des questionnaires témoigne des difficultés que nous avons rencontrées sur le terrain. En effet, la passation des questionnaires a été très difficile à cause de la méfiance des migrants vis-à-vis de lenquête en général. Cette attitude de méfiance a été dautant plus marquée que lenquête portait sur leur argent. Pour accéder à linformation, il fallait donc impérativement mobiliser tous les réseaux de connaissance et surtout expliquer les enjeux de notre recherche.
En dépit des limites relatives à la qualité des données et qui réduisent la portée statistique des résultats de lenquête, nous croyons avoir identifié les grandes caractéristiques du comportement financier des migrants maliens et sénégalais résidant en France. Compte tenu de la faiblesse de leffectif des échantillons, les résultats statistiques ont plutôt un statut auxiliaire et non confirmatif et servent daide à une argumentation sur le plan tant théorique quempirique. En effet, lobjectif visé à travers lenquête était dobtenir des indices nous permettant dapprécier la signification, la portée et les déterminants des pratiques financières des migrants et délaborer in fine une typologie des comportements à partir de ces indications approximatives.
Par ailleurs, la portée de lanalyse comparative des comportements financiers des migrants et des Français est très limitée. Cette limite découle du fait quon compare le comportement financier des migrants avec celui de lensemble des Français et non avec celui des Français de conditions de vie similaires, notamment en matière de revenu. Les données disponibles relatives à notre étude ne sont pas différenciées et concernent lensemble des Français.
La thèse sarticule autour de deux parties. La première partie explicite la méthodologie de la thèse et est constituée de deux chapitres. Le premier traite des limites de lapproche dite à macro-échelle. Cette approche repose sur une échelle dobservation générale et se caractérise par labsence dacteurs concrets contrairement à lapproche dite à micro-échelle. Cependant, le propos nest pas ici de critiquer lapproche à macro-échelle, mais il sagit simplement de montrer quelle ne permet pas de cerner le comportement financier des migrants.
En revanche, lapproche à macro-échelle reste indispensable pour analyser les conséquences possibles du comportement des migrants sur le développement de leur pays dorigine. Ainsi, le troisième chapitre de la deuxième partie sinscrit essentiellement dans une approche à macro-échelle. Le second chapitre aborde lapproche à micro-échelle en présentant la méthode des entretiens de recherche ou récits de vie.
La seconde partie propose une typologie du comportement financier des migrants maliens et sénégalais tout en exposant les déterminants et les conséquences de celui-ci. Elle comporte quatre chapitres. Le premier chapitre expose les résultats des entretiens de recherche et les hypothèses qui en découlent. Le second chapitre sattache à montrer certes la spécificité du comportement financier de la population cible mais et surtout le fait que ce comportement est faiblement différencié au sein de cette population. Le troisième chapitre se focalise sur les pratiques et logiques de lépargne collective au travers des associations et des tontines créées et gérées par les migrants eux-mêmes. Le dernier chapitre se penche sur les implications du comportement financier sur le développement économique des pays dorigine.
Partie I : La nécessité dune approcheà micro-échelle
Introduction de la première partie
Léconomie, en tant que discipline, regroupe létude dune grande diversité de phénomènes sociaux, qui vont dune échelle extrêmement étendue (...) à une échelle extrêmement réduite (...). A un moment quelconque, certains de ces phénomènes ne sont pas appropriés à un examen purement statistique ou quantitatif parce que leur échelle de temps est trop étendue, que le nombre dexemples utiles que nous avons observé est trop petit, et que leur composition à partir de microstructures reproductibles nest pas très bien comprise. Mais ces phénomènes à grande et petite échelles sont intimement liés et non divisés en disciplines séparées .
Cette citation évoque, entre autres points importants, le problème du niveau de léchelle dobservation des phénomènes sociaux. Le choix dune échelle dobservation micro-échelle ou macro-échelle est déterminant dans létude de tout phénomène social. En effet, un choix adéquat permet une meilleure compréhension du phénomène étudié.
Lobjet de cette partie méthodologique est de spécifier et de justifier le niveau déchelle dobservation choisi pour étudier le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Cette partie sarticule autour de deux points essentiels.
Lun est relatif aux insuffisances de lapproche à macro-échelle sur laquelle reposent les analyses traditionnelles de la migration internationale. La généralité du phénomène migratoire n'a d'égale que sa complexité. Il n'est pas de notre propos dans cette partie de réaliser un inventaire exhaustif de lensemble des analyses explicatives de la migration ni de développer les multiples dimensions de la question. Il importe den souligner certaines, en particulier celles qui entrent dans le champ de léconomie et de la socio-économie car les autres disciplines telles que la sociologie, lhistoire et la géographie ont aussi des modèles explicatifs de la migration internationale.
Les limites de lapproche à macro-échelle font lobjet du premier chapitre. Celui-ci couvre rapidement les principales théories économiques explicatives de la migration internationale en étudiant leur portée et leurs limites.
Lautre point essentiel a trait à lutilisation des récits de vie qui sont un moyen dinvestigation étranger à la science économique standard doù lintérêt et la nécessité de présenter cet instrument de recherche scientifique. La méthode des entretiens de récits de vie fera ainsi lobjet du second chapitre.
Chapitre 1 : Les limites de lapproche à macro-échelle
Même si lon entérinait la description du comportement rationnel par la science économique classique, cela nimpliquerait pas automatiquement que les êtres humains se comportent dans la réalité selon la description qui est faite deux .Amartya Sen, Éthique et économie, PUF, 1991.
L'intérêt de ce chapitre ne réside pas seulement dans l'exposé des analyses théoriques de la migration internationale, mais surtout dans le fait qu'elles ne se sont pas vraiment intéressées au comportement financier des migrants tel que nous lavons défini précédemment.
La mobilité du travail avait déjà fait l'objet de plusieurs travaux anglo-saxons qui ont été synthétisés par G. S. Sahota (1968). Il élabore une typologie des travaux sur la migration interne, au sein dun même espace national, en distinguant trois écoles :
L'école anglaise (Ravenstein (1885, 1889), Redford (1926)) propose une explication de la migration en termes d'effet d'appel (pull factor) et d'effet de répulsion (push factor). Les premières explications théoriques des migrations internationales ont été luvre de Ravenstein. Ce dernier analysait lexode des ruraux vers les villes en montrant comment se répartissaient les migrants dans les espaces urbains.
L'école de Harvard (Harvard School avec S. Kuznets (1957)) explique la relation entre migration et développement économique en termes de sélectivité, autrement dit par la volonté des personnes dynamiques et entreprenantes de se localiser dans un espace propice à leur promotion. Le choix de lespace daccueil repose donc sur lexistence dopportunités économiques.
L'école de Chicago (Chicago School avec Schultz (1961) et Sjaastad (1961, 1962)) s'appuie sur la théorie néoclassique de l'investissement et considère la migration comme le résultat d'un arbitrage entre les coûts transport, logement, nourriture, coûts psychologiques et les revenus les différences de revenus issus de la migration et l'amélioration qui en découle de l'investissement en capital humain.
Lexplication avancée par lécole anglaise est plus complète que celles fournies par les deux écoles américaines car elle ne se limite pas aux motivations strictement économiques des migrants. Elle considère comme important leffet dattraction que jouent les villes en tant que bright lights . Lanalyse de la migration intra-nationale a été transposée au niveau international.
G. S. Sahota (1968) a élaboré un modèle à partir de ces trois approches auquel il a testé les données brésiliennes. La conclusion de son étude met en relief le rôle prépondérant des écarts de gains comme cause essentielle de migration intra-nationale au Brésil.
Plusieurs de ces éléments explicatifs de la migration interne se retrouvent dans les théories économiques de la migration internationale. Celles-ci sont étudiées dans la première section de ce chapitre. La seconde section traite des conséquences des mouvements internationaux de main-duvre alors la dernière section présente la portée et les limites des analyses de la migration internationale.
1. Les théories économiques explicatives de la migration internationale
Limmobilité des facteurs de production est lune des hypothèses les plus contestables et les plus contestées de la théorie de la spécialisation internationale édifiée par les économistes néo-classiques. Dans la réalité, hormis les ressources naturelles, les mouvements de facteurs ont toujours été effectifs bien que leur mobilité nait jamais été parfaite et totale. Plusieurs éléments ont contribué à limiter la mobilité des facteurs, en particulier les restrictions sur les changes pour le capital et les différences linguistiques et culturelles pour le travail. Les principaux courants de la théorie économique fournissent des explications différentes quant aux causes et aux effets de la mobilité relative des facteurs de production. Dans ce qui suit, nous ne nous intéresserons quà la mobilité du facteur travail. Seront ainsi successivement abordés lanalyse néoclassique de la migration internationale (1.1), le rapport entre chômage et migration (1.2) et les analyses non strictement économiques de la migration (1.3).
1.1 Lanalyse néo-classique de la migration internationale
Lanalyse de la migration étant la conséquence des perfectionnements du modèle standard de léchange international, cette section va être subdivisée en deux parties. La première traite de létude théorique des causes et des conséquences du commerce international. Dans la seconde partie sera abordée lanalyse de la migration internationale.
Le commerce international a fait lobjet à lintérieur de lensemble de lécole néoclassique de plusieurs recherches dont il importe de souligner lintérêt en tant qualler et retour de la réalité à la théorie. Des vérifications empiriques ont été menées au moyen de tests statistiques dont certains ont validé et dautres contredit les théorèmes établis sur la base dhypothèses restrictives ou de contraintes ad hoc. Certaines études qui ont conclu à un écart entre la théorie (les théorèmes) et la réalité ont probablement été plus fécondes pour lavancée de la recherche théorique. En effet, ils ont beaucoup infléchi les recherches ultérieures qui ont dû intégrer les enseignements du réel.
Supposant les facteurs internationalement immobiles, la concurrence parfaite sur chaque marché national et par conséquent légalité de la rémunération des facteurs à leur productivité marginale, les économistes néo-classiques ont montré que le commerce international et la spécialisation sont fondés sur les écarts de prix des facteurs entre les pays. Ainsi, les différences de rémunérations des facteurs sont la principale raison dêtre de léchange international (1.1.1) mais aussi de la migration internationale (1.1.2).
1.1.1 De létude théorique des causes et des effets du commerce international...
Le modèle de base de la théorie pure du commerce international est la théorie de la spécialisation internationale en fonction des facteurs. Eli Heckscher (1919) est le premier à établir la loi de proportion des facteurs . Partant de lhypothèse dune différence de rareté relative des facteurs de production et donc de leurs rémunérations terre, capital et travail considérés en nombre illimité selon les espaces et dune différence de proportions de facteurs utilisées dans la production de chacun des deux biens considérés, Heckscher justifie la nécessité de léchange international. Le commerce international devient avantageux et souhaitable dès lors que chaque espace tend à exporter les biens dont la production requiert relativement plus le facteur dont il est relativement mieux pourvu.
De plus, si les techniques de production sont les mêmes sur tous les espaces, lessor du commerce, le libre-échange, aboutirait à une égalisation relative et absolue des prix des facteurs. Limitant explicitement son analyse à deux biens, deux facteurs et deux espaces, Paul A. Samuelson (1948 et 1949) aboutit au même résultat. Cette hypothèse est peu plausible car il existe des différences dans les techniques et ce sont elles qui expliquent le maintien des écarts entre les rémunérations des facteurs.
Bertil Ohlin (1933) supposant que limmobilité des facteurs au niveau international est compensée au moins pour partie par la circulation des biens, affirme que léchange international conduit à légalité complète des prix des biens et à une tendance au nivellement des rémunérations des facteurs. Cela revient à dire que léchange des biens constitue un substitut de léchange (impossible) des facteurs de production.
Le théorème Heckscher-Ohlin est ainsi un élément justificatif, un plaidoyer en faveur du commerce international. Ce théorème sénonce ainsi : deux pays ayant des dotations relatives en facteurs différentes ont intérêt à échanger si chacun exporte le bien qui utilise (relativement) plus intensément le facteur dont il est (relativement) le mieux doté et à importer le bien qui utilise (relativement) plus intensément le facteur dont il est (relativement) le moins bien doté. Ce théorème constitue aussi une condition nécessaire et surtout suffisante pour que léchange international soit rationnel, autrement dit profitable aux pays partenaires. Contrairement à ce théorème qui a trait à la cause (lavantage) du commerce international, celui de Samuelson (1948), appelé théorème de légalisation des prix des facteurs, relève davantage de la conséquence du commerce international.
Le théorème de Heckscher-Ohlin-Samuelson (H.O.S.) a naturellement des implications sur le revenu perçu par les différents facteurs de production. Ce théorème a fourni des prédictions réalistes de la manière dont les échanges internationaux affectent la répartition des revenus entre les groupes représentant différents facteurs de production, en particulier les travailleurs et les propriétaires terriens. P. H. Lindert et T. A Pugel (1997) se sont attelés à identifier les facteurs de production qui gagnent et ceux qui perdent du fait des échanges internationaux.
Le commerce international crée en effet des modifications dans les prix relatifs des produits échangés qui ont pour conséquences daccroître la rémunération de certains facteurs de production au détriment dautres. A court terme, ce sont les facteurs de production propriétaires terriens, employeurs et travailleurs liés aux secteurs en expansion qui profitent de léchange tandis que les groupes liés aux secteurs en déclin perdent. A long terme, les facteurs de production perdants vont réagir aux écarts de rémunérations qui se sont accentués à court terme en se déplaçant dans les secteurs plus rémunérateurs. Dans chacun des deux pays participant à léchange, la mobilité interne des facteurs de production, provoquée par les disparités de revenu, conduit à une tendance à légalisation des prix des facteurs.
Ce résultat est remarquable car il implique que les travailleurs obtiendront la même rémunération dans les pays participant au commerce international même en labsence de mouvements migratoires. Sil nexiste pas dans le monde réel les conditions dune égalisation parfaite, des données empiriques montrent en revanche que louverture des échanges tend à la réduction des inégalités dans les rémunérations de facteurs entre pays.
Lapproche de Heckscher-Ohlin contraste avec celle développée par Ricardo sous de nombreux aspects. En particulier, les différences davantages comparatifs des pays dans la production des divers biens, conséquence des différences dans la productivité des ressources, justifient, selon Ricardo, la nécessité du commerce international. Acceptant lidée que les coûts comparatifs sont la base du commerce international, Heckscher-Ohlin considèrent cependant que les avantages comparatifs sont le résultat des différences fondamentales dans les proportions des facteurs utilisés dans la production des biens échangés.
Une étude empirique a été effectuée pour vérifier la thèse de la spécialisation internationale fondée sur la dotation en facteurs dun pays. Celle-ci a abouti à un résultat inattendu connu sous le nom de paradoxe de Léontief. W. Léontief cherchait à vérifier la pertinence du modèle H.O.S. en mesurant le contenu des exportations américaines en facteurs de production. Il s'est rendu compte que ces exportations étaient principalement composées du facteur rare, le travail, au détriment du facteur abondant , la terre et les ressources naturelles. Nous verrons (pp. 65-68) que ce résultat paradoxal est uniquement imputable aux hypothèses sur lesquelles se fonde le modèle H.O.S.
1.1.2 ... A lanalyse de la migration internationale
Les inégales dotations naturelles engendrent pour les facteurs peu abondants une situation de rente pour les détenteurs de ces facteurs qui vont recevoir une rémunération supérieure à leur productivité marginale. Par exemple, les salariés profiteront d'une situation où le facteur travail est très peu nombreux. Ce cas de figure perturbe le schéma de fonctionnement néo-classique du marché où la rémunération des facteurs à leur productivité marginale conduit à une affectation optimale des ressources. Pour retrouver les mécanismes de marché et le respect des règles de la concurrence, les auteurs néo-classiques étaient contraints d'introduire l'hypothèse de mobilité des facteurs dans leur modèle d'équilibre général pour faire disparaître les rentes de situation. Ainsi, les déplacements internationaux de travailleurs ont la vertu de rétablir la règle de rémunération du facteur travail selon sa productivité marginale.
La mobilité des travailleurs se fonde, selon les néoclassiques, sur lécart des taux de salaires. Les travailleurs se déplacent des pays à taux de salaires faibles vers ceux où les taux de salaire sont plus élevés. Cette mobilité des travailleurs conduit non seulement à une utilisation plus productive du facteur travail cest-à-dire une allocation optimale de ce facteur mais et surtout elle contribue à légalisation des taux de salaires. Cette égalisation des rémunérations sopère au travers de variations inverses dans les deux pays des productivités originelles et donc des salaires.
Le rythme de la migration de travailleurs satténue concomitamment à la réduction des écarts de salaires dans les deux pays. Ce processus dégalisation sarrêtera lorsque les productivités marginales du travail dans les pays deviennent égales. A ce stade, la migration devient théoriquement impossible, léquilibre international impose un coup darrêt strict aux déplacements de travailleurs entre les nations.
Un certain nombre de critiques ont été avancées dont les plus importantes sont lincertitude liée à la productivité moyenne du migrant dans le pays hôte et la faiblesse de la mobilité entre les secteurs de production. Le migrant naura pas forcément la même productivité car les éventuelles difficultés dintégration problèmes dadaptation climatique, dinsertion culturelle et linguistique peuvent affecter sa productivité. Aussi, le migrant peut-il assumer toute sorte de travail ; la polyvalence nest pas une qualité intrinsèque que lon retrouve chez tous les travailleurs, fussent-ils migrants.
Le modèle de Mundell de 1957 a joué un rôle déterminant dans lapproche de la question car sa méthode a servi de référence aux travaux de recherches ultérieures. Reprenant les contraintes liées à légalisation des prix des facteurs, Mundell admet la libre circulation dun seul facteur, le capital et aboutit à la conclusion suivante : le commerce libre des biens est un parfait substitut aux transferts des facteurs et les entraves au commerce des biens stimulent les mouvements de facteurs.
La thèse de Mundell constitue ainsi un vibrant plaidoyer pour un commerce international libre de toute contrainte. Cette thèse suscite deux observations. La première est quelle suggère implicitement aux pays qui veulent restreindre leur flux dimmigration de libéraliser leur commerce. Dautre part, les obstacles au commerce, en particulier lexistence de droits de douane sur un produit dont le marché est porteur peut inciter les firmes transnationales à simplanter dans ce pays pour y produire le bien.
Lanalyse de Mundell concerne exclusivement les mouvements de capitaux comme si les déplacements dhommes étaient inexistants ou inintéressants pour léconomiste. Elle a néanmoins suscité quantité de travaux et a été étendue aux deux facteurs de production. Certains auteurs ont récemment (1972) introduit les mouvements de main-duvre dans lanalyse néo-classique. F. Flatters (1972) admet, que sous les hypothèses de Mundell, il nest pas nécessaire de restreindre la mobilité des facteurs à un seul des facteurs pour aboutir à légalisation des prix des facteurs. Il démontre ainsi que les mouvements de facteurs suffisent à assurer léquilibre, et ce indépendamment du commerce des produits.
D. D. Purvis (1972) démontre que le mouvement de biens et celui des facteurs sont complémentaires lun de lautre. Ainsi, il ne semble plus question dopposer léchange international de produits et le mouvement des facteurs de production. Les mouvements de produits et de facteurs sont alors tantôt complémentaires, tantôt substituts lun de lautre.
Encadré 1.11 : Les migrations internes : le modèle de Todaro
Le développement économique saccompagne toujours de migrations internes dactifs qui se font dans la plupart des cas de la campagne vers les villes. Les départs étaient motivés selon les théoriciens par des facteurs strictement économiques. Todaro ayant admis la distinction des facteurs dattraction et des facteurs de répulsion considère lexode rural comme le résultat dune évolution économique favorable en ville ou dune situation défavorable à la campagne.
Il élabore un modèle qui intègre ces deux types de facteurs en faisant du différentiel de rémunération la motivation originelle de lexode rural. Le mouvement de privatisation des terres communales en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle a contraint les agriculteurs à migrer vers les villes. Linstallation des paysans indiens à Calcutta relève plutôt de facteur de répulsion délabrement des campagnes environnantes que de facteur dattraction perspectives demplois ou de revenus. En revanche, le développent actuel de villes dynamiques du Tiers Monde constitue un facteur dattraction.
Ce modèle met en exergue le rôle des incitations économiques dans la décision de migrer. Lhypothèse fondamentale est que la migration dépend de la comparaison des salaires ruraux et urbains offerts sur le marché du travail. Le chômage est supposé nexister quen ville et que par conséquent tous les migrants ne peuvent pas y trouver un emploi.
Les migrants sont considérés comme des joueurs dune loterie demplois urbains relativement bien rémunérés. Le pouvoir dattraction de cette loterie est dautant plus élevé que le nombre demplois est conséquent. Cependant tous les actifs ont les mêmes chances de décrocher un emploi, ce qui signifie que le salaire escompté par les migrants potentiels est égal au produit du salaire urbain effectif par la probabilité dobtenir un emploi qui correspond ici au taux de chômage urbain.
Dans ce modèle, la migration se poursuivra tant que le salaire urbain escompté restera supérieur au salaire rural. Cette migration ne sarrêtera que lorsque lexode rural aura entraîné, en ville, une baisse des salaires ou une hausse du chômage suffisantes pour que se produise légalité entre salaire urbain escompté et salaire rural.
Ce modèle admet aussi la possibilité que le salaire urbain soit supérieur au salaire urbain escompté, auquel cas on assistera à une migration de retour dun flux dactifs déçus de navoir pu obtenir un emploi en ville. Le modèle repose sur les présupposés néoclassiques, en particulier léquilibre du marché du travail. Ainsi, toute élévation du salaire urbain suite à une augmentation de la demande de travail doit nécessairement saccompagner dune hausse du chômage due notamment à la migration supplémentaire pour que léquilibre se rétablisse.
Les détracteurs du modèle soulignent le décalage entre la situation déquilibre spécifiée par celui-ci et la réalité concrète. Lécart entre les salaires urbains et les salaires ruraux sont très importants, de 50 à 100 % selon Malcolm Gillis et al. (1997), et le chômage atteint des taux élevés en ville, 10 à 20 %, voire même plus dans les pays en développement. Dans ce contexte, le salaire urbain escompté restera toujours supérieur au salaire rural, et ce quelle que soit limportance de lexode rural.
Une version plus réaliste de ce modèle est de supposer que tous les emplois urbains ne sont pas accessibles aux migrants, autrement dit de réduire le portefeuille demplois offerts par la loterie quà certains types demplois. Dans ce cas de figure, la probabilité dobtenir un emploi en ville est réduite et demeure inférieure au taux demploi.
1.2 Chômage et migration
Les analyses keynésienne (1.2.1) et marxiste (1.2.2) considèrent le chômage comme une variable essentielle et déterminante de la migration internationale. Cependant, les explications fournies par ces deux analyses sont très différentes.
1.2.1 Lanalyse keynésienne de la migration
Le chômage ou la pénurie de la demande de travail et lécart des revenus sont, chez les keynésiens, les facteurs explicatifs de la migration internationale de la main-duvre. La quête dun emploi par les chômeurs ne se limite pas à leur espace national. La main-duvre dépourvue de travail est prête à émigrer si elle espère obtenir un emploi à létranger. La faiblesse des revenus constitue aussi un puissant facteur démigration. Cette analyse suppose implicitement que les mouvements de main-duvre seffectuent dans un sens unique, des pays dits pauvres vers les pays dits riches ; ce qui est contraire à la réalité. Les statistiques des migrations internationales révèlent lexistence de flux symétriques même si lintensité de ces mouvements diffère selon le niveau de développement des pays.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, limmense majorité des études, quelles se fondent sur la théorie néoclassique de légalisation des rémunérations des facteurs ou sur celle keynésienne décarts de revenus ou demplois offerts, ont privilégié loptique push and pull, facteurs attractifs dans le pays hôte et facteurs répulsifs dans le pays de départ, pour expliquer les phénomènes migratoires.
Analysant les migrations trans-océaniques du XIXe siècle quil considère comme un prolongement de lexode rural et la hausse de la productivité agricole, B. Thomas (1954) montre que les migrations internationales et les mouvements de capitaux évoluent dans le même sens tandis que les fluctuations du cycle de la construction sont de sens inverse dans les pays démigration et dimmigration. Compte tenu de limportance du rôle du secteur de la construction dans la croissance économique, il conclut que les déplacements internationaux de travailleurs constituent un élément crucial de la détermination du niveau des taux de croissance économique des pays daccueil et dorigine.
Limmigration, en accroissant lélasticité de loffre de travail, contribue à la croissance économique du pays daccueil en permettant le transfert de travailleurs des secteurs en déclin vers les secteurs en forte expansion. Certains voient dans cette mobilité distributive sur le marché du travail un énorme avantage pour la main-duvre du pays daccueil qui va se réorienter vers les emplois les plus qualifiés, et par conséquent les mieux rémunérés.
Bohning (1974), étudiant les phénomènes migratoires européens, a abouti à un processus auto-entretenu de développement de limmigration. Confrontés à un manque crucial en main-duvre, les pays européens ont fait un appel pressant aux travailleurs étrangers. Cet appel, résultant dun changement de comportement de la main-duvre européenne désaffection pour certains emplois , a conduit à un accroissement de plus en plus important de la population immigrée. Ce constat lui fait dire que limmigration constitue une donnée endogène des marchés du travail européens.
1.2.2 Lanalyse marxiste de la migration
Dans une perspective marxiste, le chômage est en lui-même un facteur de migration internationale. Analysant les effets destructeurs de lavènement du capitalisme en Angleterre destruction des structures sociales internes , Marx évoquait les migrations douvriers anglais en surnombre vers les colonies telles que les Indes Orientales quils transformèrent en champs de production de matières premières pour la métropole.
Marx na pas directement traité les phénomènes migratoires mais il a cependant souligné trois différences dont deux peuvent servir de point de départ dune analyse de limmigration. La première différence est celle qui existe dans lintensité et la productivité du travail. Pour un même volume horaire de travail, lintensité moyenne du travail est différente selon les pays et ce dautant plus quelle dépend de la nature des rapports sociaux dans chaque pays. La productivité peut aussi être différente ceteris paribus hypothèse dégalité de lintensité de travail dans les différents pays. Le pays dont le travail est plus productif nest pas obligé de baisser le prix au niveau de sa valeur, la valeur dun travail étant égale à lintensité fournie. Doù la différence entre prix et valeur est, en situation déchange international, la première source dexploitation des pays moins productifs par les nations plus productives.
Le second aspect concerne les différences dans les niveaux de salaire nominal. Le taux de salaire nominal est plus élevé dans les pays les plus avancés telle que lAngleterre du XIXe siècle à cause notamment de laugmentation des prix des biens salariaux.
La théorie marxiste des déplacements de facteurs ne constitue pas une originalité comparativement à lanalyse néoclassique dans la mesure où lon retrouve presque les mêmes variables explicatives, à savoir les écarts de productivité, lunité du marché international et la concurrence parfaite.
R.-E. Verhaeren (1990) propose de distinguer plusieurs niveaux dapproche dans le courant de pensée marxiste. Le premier niveau dapproche est celui qui est adopté par plusieurs auteurs. Pour ces derniers, les mouvements migratoires entre les pays sexpliquent par le salaire (nominal) élevé dans le pays récepteur. Cette approche est souvent enrichie par des réflexions axées sur le fonctionnement du marché du travail et léquilibre entre loffre et la demande de travail. Ce premier niveau est fondamentalement proche de certaines des hypothèses néo-classiques.
Le deuxième niveau dapproche sintéresse à la problématique du développement supérieur dans les nations dimmigration. Linégal développement crée une situation dattractivité pour le niveau supérieur de développement. Autrement dit, les mouvements de main-duvre sorientent des pays les moins avancés vers les régions plus prospères. Ainsi, lécart entre le niveau de développement qui est la source de léchange inégal devient aussi la source de la migration de la main-duvre. Dans cette optique, le sous-emploi est étroitement lié au sous-développement et le plein-emploi au développement supérieur du capitalisme.
Les déplacements de travailleurs répondent aux besoins supplémentaires de main-duvre des pays développés qui se trouvent en permanence dans une situation dexpansion économique et de quasi plein-emploi. Cette approche est très simpliste car elle fait fi de la réalité. En particulier, elle ne peut expliquer lexistence concomitante dun taux de chômage élevé dans les pays développés et la permanence dun haut niveau demploi des travailleurs migrants avec parfois une poursuite de limmigration. Là aussi, lanalyse est essentiellement centrée sur le fonctionnement du marché du travail. Compte tenu de ses hypothèses restrictives, cette approche de développement inégal écarte les migrations vers les pays moins développés encore moins les migrations croisées.
R.-E. Verhaeren (1990) a proposé une théorie des migrations internationales qui, tout en intégrant les apports de la recherche économique et dautres disciplines sur la question, se fonde sur luvre de Marx. Il puise dans lappareil conceptuel marxiste certains concepts telles que laccumulation primitive, la surpopulation relative pour étayer sa théorie. Chacun de ces concepts a constitué un instrument de compréhension dune ou de plusieurs des facettes du phénomène migratoire. Il aboutit à deux principaux résultats :
Lemploi de la main-duvre immigrée constitue pour les capitalistes une opportunité daccroître le taux dexploitation de lensemble de la force de travail notamment à travers un affaissement de la structure salariale globale, une précarisation des conditions demploi.
La force de travail étrangère joue un rôle régulateur vis-à-vis de la conjoncture économique, et vis-à-vis des cycles saisonniers de lactivité. Elle permet daugmenter la disponibilité de la main-duvre en période dexpansion du capitalisme et damortir les effets de la crise sur lemploi en période de ralentissement conjoncturel ou lors des redéploiements du capital restructurations ou réaménagements de lappareil productif.
Ces résultats corroborent ceux établis par C. Mercier (1977) qui considérait limmigration comme une solution à la rareté tendancielle de main-duvre non qualifiée dans les pays capitalistes développés lors des périodes de croissance extensive. Le manque structurel et permanent de forces de travail non qualifiées pendant les phases dexpansion forte constituant un blocage de l'accumulation du capital, l'immigration contribue ainsi à rétablir la rentabilité du capital.
1.3 Les analyses non strictement économiques de la migration
Dautres modèles théoriques non strictement économiques ont aussi été proposés pour expliquer le phénomène migratoire. On sait que E. G. Ravenstein (1885) est le premier à proposer une explication théorique de la migration. Observant lexode des ruraux vers les villes au Royaume-Uni, E. G. Ravenstein (1885) élabore une loi explicative de la migration qui repose sur deux critères essentiels, la dimension et la distance. Le courant migratoire entre deux localités dépend de limportance de leur espace, de leurs marchés et de la distance qui les sépare. La force dattraction de migrants par une ville est dautant plus importante que sa dimension est grande et sa distance par rapport aux autres territoires faible.
Cette approche, bien quinsuffisante parce que nintégrant pas explicitement les facteurs économiques et techniques, entre autres, a néanmoins servi de base à lélaboration de modèles dits de gravité (1.3.1). Dautres modèles ont aussi proposé des explications du fait migratoire, à savoir les modèles dopportunités (1.3.2) et les modèles de contraintes et de connaissance (1.3.2).
1.3.1 Les modèles de gravité
Lhypothèse fondamentale des modèles de gravité dont les caractéristiques ont été énoncées par Georges K. Zipf (1946) est lassimilation de la migration aux relations pouvant exister entre des personnes résidant dans des territoires différents. Ces relations impliquent indéniablement des rencontres et par conséquent des déplacements de personnes. Le sens du mouvement migratoire est dicté par limportance de la population de chaque territoire et par la distance qui les sépare. Lintensité de la migration est alors directement proportionnelle au produit de la taille des populations des deux lieux considérés et inversement proportionnelle à leur distance.
La faiblesse des modèles de gravité réside tout dabord dans leur caractère systématique. En effet, les résultats de ces modèles conduisent à une équivalence des flux migratoires entre deux territoires, autrement dit un solde migratoire nul. Ce qui est très réfutable dans la mesure où lon assiste actuellement à dincessants mouvements de personnes conduisant à des déséquilibres permanents de population.
Dautre part, lintensité des déplacements de personnes ne dépend pas de la distance comme le suggèrent ces modèles mais plutôt de lespace-temps, cest-à-dire du temps mis pour effectuer une certaine distance. Or, la durée actuelle dun trajet, quel quil soit, dépend des infrastructures existantes et des moyens de transport utilisés.
Enfin, les modèles de gravité éludent des données aussi importantes que les facteurs socio-démographiques et humains des populations. Ces facteurs constituent une composante que lon ne peut exclure si lon veut comprendre la migration, en particulier la migration internationale. Le choix des pays daccueil par les migrants prend en compte ces caractéristiques, en particulier la distance culturelle et la distance linguistique.
1.3.2 Les modèles dopportunités
Un autre ensemble dexplications privilégie les avantages escomptés par le migrant. Il sagit de modèles dopportunités où les décisions de migration reposent sur lexistence dun quelconque avantage, un meilleur cadre de vie ou une plus forte rémunération, par exemple.
Le premier de ces modèles est celui de Samuel Stouffer (1940). Dans ce modèle, la migration est le résultat dun arbitrage entre les possibilités offertes par le pays de destination en termes demploi et de qualité de vie et celles qui existent dans le pays de départ. Les personnes se déplacent lorsquelles jugent plus intéressantes les possibilités que leur offre lespace de destination. Lintensité du flux migratoire dépend de limportance du nombre de possibilités offertes par le pays de destination. Cependant, si la distance qui sépare le lieu de départ du lieu darrivée est grande, le migrant peut trouver des opportunités plus intéressantes dans un des pays situés entre ces deux lieux. Stouffer (1940) parle à ce propos de possibilités intermédiaires.
Lexistence de ces possibilités intermédiaires rend aléatoire le lieu de destination du migrant. La seule certitude est la décision de migrer, mais la destination demeure toutefois incertaine. Ce modèle est comparable aux modèles de gravité car on retrouve les deux critères de distance et de taille de la population exprimés sous dautres formes. Le critère dimportance de la population est remplacé par les possibilités et celui de distance (physique) par la distance fonctionnelle et donc par les possibilités intermédiaires.
Le principal reproche que lon peut faire de ce modèle est quil ne se prête guère à un usage simple. Les possibilités sont très difficilement quantifiables et il semble aussi difficile de mesurer la distance fonctionnelle. Quant aux difficultés que pose la quantification des possibilités, plusieurs auteurs, y compris Stouffer (1960), ont suggéré destimer les possibilités par le nombre total dimmigrants. Ainsi Daniel Courgeau (1970) considère que le nombre dimmigrés déjà installés constitue une force dattraction pour les migrants potentiels et non la population totale. Cette proposition ne peut toutefois permettre de comprendre les mouvements migratoires actuellement en uvre dautant plus quelle repose sur une hypothèse très discutable que lauteur reconnaît lui-même. Cette hypothèse stipule que les étrangers occupent tous les postes que refusent les Français.
Ira S. Lowry (1966), étudiant les migrations de travail entre zones urbaines, a préféré substituer aux possibilités de Stouffer (1940) les débouchés professionnels. Les débouchés professionnels sont estimés à partir de trois variables que sont le taux de chômage, le niveau des salaires et leffectif de la population active. Ces trois variables servent simultanément de base pour la comparaison de la situation des pays de départ et darrivée et pour la décision de migrer.
Lowry (1966) montre ainsi que le changement net de population dû à la migration entre les métropoles américaines sexpliquaient largement par le taux daccroissement naturel de la population et les variations nettes de lemploi dans chacune delles. Ce modèle est trop général car il ne prend pas en compte la spécificité de certains emplois et la diversité des débouchés et des besoins selon les secteurs économiques.
Les modèles coûts - avantages, reposant sur le principe de rationalité des personnes et sur le raisonnement économique, sont aussi utilisés pour expliquer la migration. Lidée fondamentale est que les personnes font un arbitrage entre les coûts à engager et les bénéfices escomptés dune migration avant de prendre la décision de migrer. Dans cette optique, Larry Sjaastad (1962) a élaboré un modèle où il considérait la migration comme un investissement dont le migrant espère soutirer suffisamment de bénéfices pour amortir le coût de son déplacement. La différence entre les coûts monétaires du déplacement les frais de transport et les avantages monétaires attendus de la migration, actualisée au moment du départ, permet de juger de lopportunité de la migration. Si cette différence est positive, alors la migration doit avoir lieu car elle laisse espérer des avantages.
Bien que ce modèle nous aide à comprendre les migrations économiques tant internes émigration rurale quexternes migration internationale , il souffre cependant de deux handicaps majeurs. Dune part, ne sont pas défalqués des avantages attendus les différents coûts de la vie courante tels que le logement, les dépenses alimentaires, lhabillement et les taxes de toute nature et les éventuels coûts sociaux par exemple, léloignement de la famille et de la communauté. Dautre part, tout comme les autres modèles, il nest guère aisé de quantifier les coûts engagés et les avantages attendus, et ce dautant plus que la durée du séjour reste une donnée incertaine. Au-delà même du problème de la quantification, il subsiste un fort degré dincertitude sur le type dactivité ou demploi quaura le migrant et par conséquent sur le niveau de ses revenus.
1.3.3 Les modèles de contraintes et de connaissance
Les modèles envisagés jusquici, notamment les modèles fondés sur le calcul économique, ne suffisent pas à expliquer la migration internationale. Lemploi, en particulier, ne peut pas être le seul facteur explicatif des mouvements internationaux de main-duvre. Il demeure intéressant voire impératif de prendre en considération dautres éléments aussi importants tels que les réseaux communautaires internationaux, les politiques des États et les relations géopolitiques.
Les modèles de contrainte et de connaissance (1965) ont été élaborés pour rendre compte de la migration, en particulier la migration internationale. Les modèles de contrainte insistent sur le caractère obligatoire de certaines migrations. En dehors des situations extrêmes tels que les déplacements forcés desclaves ou de minorités politiques ou religieuses persécutées, la migration est souvent la conséquence dune forte obligation due à une pression économique ou sociale. Cette contrainte engendre une pression migratoire conduisant à des départs quasi-forcés ou plus spontanés.
La décision de migrer relève aussi de létat des connaissances du candidat, cest-à-dire de lensemble des informations relatives aux situations socio-économiques des pays de départ et de destination. Julian Wolpert (1965) a proposé une analyse plutôt macro-économique de la migration en élaborant un modèle dit seuil de contrainte qui repose sur les principes de lutilité et de la rationalité économique. Le candidat à la migration, qui est considéré comme un homo oeconomicus, attribue une certaine utilité au lieu de résidence et au pays de destination. Cette utilité est la synthèse des coûts et avantages de nature diverse, économique, sociale et autres. La personne prendra la décision de rester ou de migrer après avoir comparé les deux utilités.
Le processus de prise de décision se décompose alors en trois étapes. La première correspond à la décision de rechercher les différentes possibilités de localisation. La seconde étape est celle où le candidat fixe léchantillonnage de ses possibilités. La dernière étape est celle de la décision finale ; la personne décide de rester dans sa résidence ou démigrer dans le pays envisagé.
Ces modèles se fondent sur une hypothèse très contestable, à savoir que la décision prise par le migrant potentiel est purement rationnelle. Alors quen réalité, cette décision est très subjective car elle demeure entachée dincertitudes relatives aux informations obtenues par le migrant potentiel. Les informations lui parviennent de parents ou damis qui résident ou ont résidé dans les pays de destination possibles. Il subsiste donc un fort risque que ces informations ne soient fiables et complètes car ces informateurs peuvent ne pas avoir accès à toutes les informations nécessaires qui permettraient une prise de décision plus objective.
De plus, le champ des possibilités est très restreint, le migrant potentiel se limitant aux pays connus par les réseaux de communication télévision, radio ou les réseaux amicaux, familiaux ou communautaires. On retrouve ici le phénomène de mimétisme que lon peut qualifier de rationnel : le migrant choisit le pays où résident les autres ; si les autres y vont et sy installent, cest parce quil y a des avantages avérés, doù limitation. En outre, il semble que, dans la plupart des cas, la trajectoire migratoire est unique et que le pays de destination choisi in fine est celui qui a été envisagé dès le départ.
Enfin, à ce panorama de facteurs économiques sajoutent les migrations dites promotionnelles. Il sagit de personnes résidant dans les pays pauvres ou en développement qui pensent que leur ascension sociale et/ou la pleine utilisation de leurs compétences ne peuvent se réaliser quà létranger. La décision de migrer découle, pour ceux qui sen tiennent au seul aspect de la rémunération, de lestimation dune espérance de gain supérieure dans le pays de destination.
En revanche, pour ceux qui disposent de compétences hautement qualifiées, cest labsence dun environnement de travail propice, de mauvaises conditions de travail et le manque de moyens notamment financiers qui les incitent à migrer. Ces migrations promotionnelles correspondent à ce que l'on appelle la fuite des cerveaux ou le brain drain .
Les analyses récentes sur le brain drain privilégient laspect qualitatif des mouvements migratoires. Ces analyses mettent en exergue le caractère continu des déplacements de main-duvre qualifiée des pays en développement vers les pays développés. Pour Hirsch, les migrants ont, en moyenne, un niveau éducatif supérieur à ceux des pays d'origine et d'accueil. Pour P. Aydalot (1980), les migrants ont au contraire un niveau d'éducation faible si lon retient comme critère la qualification des emplois qu'ils occupent généralement dans les pays d'accueil. Ils travaillent dans des secteurs d'activités dont le niveau, le prestige et la nature des emplois ne motivent guère les actifs nationaux ; ces emplois sont donc moins attractifs pour ces derniers. Pour P. Aydalot (1980), le brain-drain est la conséquence du filtre imposé par les pays d'accueil qui préfèrent la main-d'uvre la plus qualifiée. Ces pays d'accueil puisent dans le réservoir de cerveaux des pays d'origine.
Allan M. Findlay (1993) réfute la thèse selon laquelle les migrations de travailleurs qualifiés seraient imputables aux écarts de salaires entre les pays. Il explique les mouvements internationaux de main-d'uvre qualifiée, d'une part par la conséquence de la séparation géographique et fonctionnelle des activités de production des entreprises transnationales et, d'autre part par le désir des pays en développement de se doter d'une infrastructure nationale, industrielle, militaire et de services. La mobilité internationale des cadres répond à un besoin spécifique sur le marché interne de l'emploi ou à une demande de mutations entre unités d'une même entreprise. Toutefois, les marchés nationaux externes existent même s'ils semblent beaucoup moins structurés que les marchés internes des entreprises transnationales.
Dans cette perspective, la mondialisation des activités humaines en particulier économiques, commerciales et financières joue un rôle primordial. Elle a, entre autres conséquences, contraint les États à se rassembler autour de blocs continentaux (la Communauté économique européenne (CEE), lAlliance de libre échange nord américain (ALENA), lUnion économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), etc.). Ce processus de régionalisation a élargi les espaces économiques et accru la mobilité des populations au sein de ces espaces. Les entreprises ne sont pas en reste car pour maintenir ou accroître leur part de marché et donc leur compétitivité dans une économie mondiale de plus en plus intégrée, elles sont obligées de promouvoir les migrations entrepreneuriales par exemple, envoi de cadres à létranger pour étudier les marchés potentiels.
Ce tour dhorizon des différents modèles explicatifs de la migration montre lénormité des difficultés à saisir la diversité et la complexité des phénomènes migratoires, très variables selon les espaces géographiques, les époques et les populations. Aussi, nous avons remarqué une certaine parenté entre les différentes analyses passées en revue en ce sens quelles fondent de manière implicite ou explicite la décision migratoire sur larbitrage rationnel entre coûts et avantages. Ce constat révèle linfluence et la prééminence du modèle néo-classique sur les autres analyses explicatives de la migration.
Ces modèles danalyse nous aident néanmoins à comprendre certains aspects de la migration même sils ne sont généralement pas testables dans le temps et dans lespace. Par ailleurs, il importe de voir les conséquences des mouvements de main-duvre car si les pays récepteurs, en particulier les pays développés, ont érigé de nouveaux obstacles à limmigration, cest parce que vraisemblablement celle-ci ne comporte pas que des avantages.
2. Les conséquences des mouvements internationaux de main duvre
Les flux migratoires en tant que reflet de mobilité du facteur travail à lintérieur dun pays ou entre les pays constituent selon la théorie néoclassique un processus dégalisation des rémunérations du facteur travail. Les modèles migratoires situent la genèse des migrations tant nationales quinternationales au niveau de lécart de revenu existant entre les espaces de départ et ceux daccueil.
La migration continue tant que subsiste un espoir de trouver un emploi procurant un revenu réel supérieur à celui perçu dans le lieu de départ. Le sous-emploi dans la zone daccueil joue ainsi le rôle de régulateur des flux migratoires. Dans cette optique, une approche économique des migrations internationales ne peut saffranchir danalyser les effets de la migration sur le marché du travail ainsi que ses éventuels apports directs et indirects aux économies des pays dorigine et daccueil.
Les avantages de la migration sont pour certains, les réfugiés en particulier, la liberté physique et politique et pour dautres les gains économiques cest-à-dire lassurance dun niveau de vie très confortable et la satisfaction généreuse des besoins de leur famille. Nous nous bornerons à comprendre les avantages et les coûts de nature économique des migrations et laisser de côté les aspects politiques de la question. Les mouvements migratoires procurent certes des gains économiques nets aux pays daccueil et de migration mais ils engendrent aussi des effets négatifs non strictement économiques.
Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992) considèrent, à linstar du commerce international, que la mobilité du facteur travail génère des gains qui permettent en principe daméliorer globalement la situation de chacun. Certains groupes profitent de la mobilité internationale, en particulier les migrants qui reçoivent des salaires réels plus élevés, tandis que dautres en perdent. Les mouvements internationaux de main-duvre affectent ainsi la distribution du revenu.
Les controverses relatives aux effets de la migration de mainduvre sur les marchés du travail et les revenus nationaux dans les pays démigration et dimmigration ont notamment suscité des oscillations dans les politiques dimmigration des principaux pays hôtes. La relation entre limmigration et la croissance économique sera étudiée dans un premier temps (2.1). Puis, seront abordées les conséquences de limmigration tant sur le système productif et le marché du travail (2.2) que sur léquilibre des budgets sociaux (2.3).
2.1 Immigration et croissance économique
Jusqu'à une période relativement récente, les études scientifiques sur l'immigration ont été davantage axées sur les aspects politique, historique et sociologique, reléguant totalement au second plan la dimension économique du phénomène migratoire. L'accroissement du flux de migrants aux États-Unis et la montée du chômage en Europe après le premier choc pétrolier ont suscité un regain d'intérêt chez les économistes notamment américains. Ainsi, la question de l'incidence économique de l'immigration dans les pays d'accueil a été étudiée par plusieurs économistes.
Mais, un consensus ne s'est pas dégagé en ce qui concerne les effets économiques de l'immigration. Toutefois, pour la majeure partie de ces derniers, l'immigration contribue de manière significative et positive à la croissance économique. Cependant, il subsiste des divergences quant à l'ampleur de cet impact. Les pays occidentaux, en particulier l'Europe, ont bénéficié de la présence des travailleurs étrangers pour pallier leur pénurie de main-d'uvre et maintenir ainsi leur fort taux de croissance économique pendant la période dite des Trente Glorieuses.
Une série de travaux économétriques, essentiellement fondés sur le modèle de croissance néoclassique de base (2.1.1), ont permis d'évaluer quantitativement l'impact économique global de l'apport de la main-d'uvre étrangère dans les pays d'accueil (2.1.2). Pour apprécier les effets de l'immigration sur les agrégats économiques, les économistes ont recours à des indicateurs et à des mécanismes différents selon l'horizon temporel choisi, court terme ou long terme.
2.1.1 Le modèle néoclassique, point de départ des analyses de la relation entre migration et croissance
Lanalyse néoclassique de la croissance a été luvre dun économiste keynésien, R. Solow (1956). Cet auteur est le premier à construire un modèle de croissance selon les schémas néo-classiques. La principale caractéristique de ce modèle par rapport aux modèles keynésiens de première génération est, dune part, la variabilité et lendogénéité du coefficient de capital et, dautre part, lexistence dune croissance équilibrée stable lorsque les taux dépargne global et de croissance de la population sont donnés et constants.
Le modèle repose sur lhypothèse fondamentale de concurrence pure et parfaite où léconomie se trouve dans un univers walrasien déquilibre simultané des marchés des produits et des facteurs de production. La fonction de production utilisée est linéaire et homogène ; ce qui signifie économiquement des rendements déchelle constants et par conséquent le produit se répartit entièrement entre la rémunération des salariés la masse salariale et la rémunération des capitalistes les profits du fait de la rémunération des facteurs, capital et travail, à leur productivité marginale (règle de lépuisement du produit).
Il importe de remarquer quil ny a pas de chômage dans ce modèle à cause de léquilibre simultané de tous les marchés, y compris donc le marché du travail. En effet, la malléabilité du système productif permet lajustement de la demande de travail, et ce quel que soit le taux de croissance de la population.
Grâce à la flexibilité du système permettant ladaptation de la combinaison productive et aux forces du marché, la rareté relative dun facteur de production est compensée par lutilisation plus intensive de lautre. Dans cette perspective, larrivée de travailleurs migrants perturbe léquilibre des marchés du travail, du capital et des produits en même temps quelle déclenche les mécanismes correcteurs appropriés qui conduisent au retour à une situation déquilibre.
Le modèle néo-classique de base a subi plusieurs modifications de sorte à ce quil intègre une plus grande part de la réalité migratoire, tout en sauvegardant ses principales conclusions, en particulier lexistence dun équilibre au niveau international. Ainsi, par exemple, lhypothèse dhomogénéité du facteur travail a été abandonnée au profit dune distinction entre travail qualifié et travail non qualifié. Cependant, quelle que soit la complexité des modifications apportées, les présupposés de la théorie néo-classique restent la référence de base des nouveaux modèles qui constituent le fondement de lanalyse du lien entre immigration et croissance économique.
2.1.2 La migration source de croissance économique
L'impact macro-économique de l'immigration sur la croissance a fait l'objet de divergences au niveau des résultats des travaux, lesquelles sont dues à la complexité des relations en cause. En présentant le fonctionnement de léconomie à travers un modèle à deux secteurs, le secteur capitalistique et le secteur de subsistance, A. Lewis (1954) suppose illimitée loffre de travail au secteur capitalistique. Autrement dit, toute offre demploi émanant du secteur capitalistique est immédiatement satisfaite en raison notamment de lexistence dun chômage déguisé dans le secteur de subsistance et dun différentiel de revenus. Ce transfert de main-duvre du secteur de subsistance au secteur capitalistique est ainsi un processus continu.
Certains économistes, comme Kindleberger (1967), se sont appuyés sur cette hypothèse dune offre de travail infiniment élastique de A. Lewis (1954) pour affirmer le rôle de la main-d'uvre étrangère sur la croissance économique. Limmigration profite ainsi aux pays daccueil en leur permettant, par lapport de main-duvre dappoint dans les secteurs qui en sont déficitaires, de maintenir voire daccroître leur taux dexpansion économique.
Cependant, il est très difficile dévaluer les avantages retirés de limmigration, à savoir la valeur de la contribution brute à la production des travailleurs immigrés et la part effective de leur apport sur la croissance économique par rapport à celle des autres facteurs de production que sont les travailleurs nationaux et le capital.
De nombreuses études, faites aux États-Unis, au Canada et en Australie, concluent à une incidence positive de l'immigration sur la croissance économique bien qu'elle soit considérée comme faible par certains auteurs. Pour Henry Bussery (1976), une très forte réduction de travailleurs immigrés, par rapport à létat de la conjoncture du milieu des années 70, aurait entraînée en France un léger ralentissement du PIB (produit intérieur brut) et une dégradation de la balance commerciale, partiellement compensée par la diminution du montant des transferts financiers des immigrés vers leurs pays dorigine.
L'immigration accroît simultanément l'efficacité économique et le revenu disponible par habitant des pays d'accueil du fait des économies d'échelle et de l'extension du marché qu'elle engendre. En effet, les nouveaux arrivants doivent impérativement satisfaire leurs besoins de consommation courante ; et ce faisant ils contribuent à laccroissement de la demande effective.
G.C. Bjork (1968) est le premier à intégrer les migrations dans un modèle de croissance. Pour mesurer l'impact de la croissance économique sur l'emploi agricole et non agricole, Bjork construit un modèle de migration et de variation des salaires relatifs. Il montre à travers son modèle que le mécanisme explicatif des migrations est les différences de taux de croissance dans la demande et l'offre de travail des secteurs agricole et non agricole et les inégalités dans les proportions initiales d'emploi agricole dans les divers États (des États-Unis). Cependant, le toile de fond de son analyse demeure l'idée que la mobilité joue le rôle de mécanisme ajusteur.
Par rapport au modèle de G.C. Bjork (1968), le modèle de M. Todaro (1969) a la particularité d'être plus réaliste en introduisant notamment des probabilités pour le migrant de trouver un emploi en ville sachant qu'il existe deux types d'emplois en ville : les emplois du secteur urbain de production traditionnelle et les emplois du secteur urbain moderne. Il demeure ainsi une incertitude sur les revenus réels escomptés au terme de la migration par le futur migrant dans la mesure où ce dernier ne sait même pas s'il trouvera un emploi.
Le modèle aboutit à un rapport d'équilibre entre le volume de la main-d'uvre du secteur urbain moderne et celui de la main-d'uvre du secteur urbain dans son ensemble. Ce rapport d'équilibre dépend des taux de croissance de la production industrielle et de la productivité du travail dans le secteur moderne d'une part, et d'autre part, du taux d'écart des revenus entre la ville et la campagne et du taux naturel de croissance de la main-d'uvre urbaine.
Une des critiques essentielles que l'on peut avancer avec P. Aydalot (1972), est que le modèle ne différencie pas les probabilités de trouver un emploi selon les catégories professionnelles. Là aussi, l'idée de l'équilibre domine in fine car, en effet, les migrations contribuent à l'harmonisation des taux de croissance des divers secteurs urbains.
D'autres auteurs ont en revanche mis en exergue l'aspect néfaste de l'immigration. Blattner et Sheldon (1989) ont montré dans le cas de la Suisse que l'effet positif de l'immigration sur la croissance du produit se faisait au détriment de la productivité et du produit par tête. Ainsi, pour ces deux auteurs, ce résultat relève de l'improductivité des travailleurs immigrés ou de celle des emplois qu'ils occupent. Une étude réalisée au Japon par Goto (1991) a conduit au résultat d'une incidence négative de l'arrivée de travailleurs migrants sur le produit national.
Par ailleurs, dans une optique des relations interspatiales, la migration joue un rôle essentiel. En effet, en modifiant la structure de la main-duvre et la mobilité spatiale des activités et des produits, la migration modifie la structuration de lespace économique et par conséquent elle engendre des destructurations-restructurations dynamiques de lespace. Elle participe donc aux processus qui permettent de différencier les niveaux relatifs de développement des espaces. La migration est ainsi à la fois un instrument danalyse et un indicateur de létat de la croissance spatiale. Le facteur travail apparaît alors comme un élément fondamental de la croissance spatiale.
Les résultats de ces études, qu'ils aboutissent à un impact positif ou négatif de l'immigration sur la croissance ou sur une autre variable quelconque, sont tous tributaires du cadre analytique de référence des hypothèses théoriques retenues et surtout des méthodes d'évaluation choisies.
2.2 Immigration, système productif et marché du travail
La migration, étant synonyme de mobilité dun facteur de production, le travail, exerce naturellement des effets tant sur le marché du travail (2.2.2) que sur le système productif du pays daccueil en particulier (2.2.1).
2.2.1 Limpact de limmigration sur le système productif
Des auteurs se sont aussi intéressés à l'impact de l'immigration sur la dynamique de la structure du système productif des pays d'accueil. L'immigration exerce deux effets antagoniques sur l'intensité capitalistique, c'est-à-dire sur le ratio capital/travail.
D'une part, l'afflux de travailleurs étrangers tend à réduire ce rapport. En effet, l'emploi de cette main-d'uvre le plus souvent peu qualifiée est interprété comme un facteur de réduction de la productivité globale et un frein à la modernisation du système productif. Certains entrepreneurs en ont profité pour maintenir artificiellement leurs activités en retardant l'introduction de nouvelles technologies qui imposait une substitution du capital au travail.
D'autre part, l'arrivée de main d'uvre étrangère bon marché a non seulement permis de pallier les pénuries chroniques pour certains types d'emplois délaissés par les travailleurs nationaux, mais elle a surtout accru la disponibilité de l'offre de travail. Elle a ainsi favorisé, par une pression à la baisse sur les salaires, une hausse des profits et donc une accumulation du capital.
Aussi, la mobilité professionnelle et sectorielle des travailleurs immigrés, a facilité l'essor économique de certaines industries et accru la flexibilité du système productif des pays d'accueil. À court terme, l'immigration joue un rôle régulateur sur le marché du travail des pays d'accueil en amortissant les fluctuations conjoncturelles. À moyen terme et long terme, l'immigration contribue à la transformation de la structure du marché du travail, de l'organisation du système de production, du mode de croissance et du degré de spécialisation de l'économie des pays d'accueil. Ainsi, la main-d'uvre étrangère joue un rôle spécifique dans la dynamique du système productif des pays d'accueil.
P. Lavagne (1969) a construit un modèle à partir des hypothèses néoclassiques de base avec comme objectif principal létude du niveau et des déterminants de la variation de la productivité et les conséquences des migrations de main-duvre sur le produit mondial et sur celui des deux pays considérés dans le modèle. Les productivités moyennes et marginales des deux pays sont considérées au départ comme différentes. Il est établi dans son modèle que le passage de limmobilité à la libre circulation du facteur travail contribue incontestablement à laccroissement du produit mondial. Dautre part, la variation du produit national seffectue souvent de manière contrastée mais non systématique dans les deux pays avec une possibilité dobtenir une hausse simultanée du produit dans les deux pays.
2.2.2 Les effets de limmigration sur le marché du travail
Les immigrés exercent des fonctions spécifiques dans lorganisation de la production. Lorsque les immigrés constituent une main-duvre complémentaire, toute réduction de leur nombre entraînerait une baisse simultanée de la production globale et de lemploi et par conséquent un chômage technique pour une partie des travailleurs nationaux. En revanche, si les immigrés constituent une main-duvre substituable, ils peuvent être remplacés par les travailleurs nationaux. Dans ce cas, toute réduction de leur nombre créerait de lemploi pour les nationaux, toutes choses égales par ailleurs maintien du rapport capital/travail et de lorganisation de la production.
Jusquau milieu des années 70, la main-duvre immigrée était plutôt un facteur de production complémentaire en France. Elle était fortement et reste concentrée en quelques sous-secteurs tels que le nettoyage, le bâtiment et les travaux publics. Elle constitue donc une main-duvre dappoint nécessaire pour répondre aux variations de la demande dans les emplois peu recherchés par les Français.
George J. Borjas (1993) a présenté une synthèse et une analyse critique des résultats des études empiriques relatives à l'impact de l'immigration sur la rémunération et les possibilités d'emploi des travailleurs natifs du pays d'accueil. Ces études se fondent sur une hypothèse théorique qui consiste à supposer l'alternative de complémentarité ou de substituabilité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux pour le système productif du pays d'accueil. Lorsque ces deux groupes sont complémentaires, une faible offre de travailleurs immigrés devrait conduire à une légère baisse de la rémunération des travailleurs nationaux. Dit d'une autre manière, plus l'offre de travailleurs immigrés est importante, plus elle a d'effet bénéfique sur la rémunération des nationaux.
Au contraire, lorsqu'ils sont substituables, un afflux important de travailleurs immigrés devrait entraîner une baisse des salaires des travailleurs nationaux. Cependant, les analyses qui reposent sur l'hypothèse stricte de parfaite substituabilité entre les nationaux et les immigrés ne sont guère pertinentes puisqu'elles aboutissent indiscutablement au résultat que les immigrés prennent l'emploi des travailleurs nationaux.
En revanche, les analyses pertinentes sont celles qui ont différencié le facteur travail en plusieurs catégories de main-d'uvre et intégré le plus possible les facteurs de variation des taux de salaires des travailleurs nationaux dans les différents marchés du travail. Le degré de validité de ces analyses dépend effectivement de la capacité à neutraliser les facteurs de variation des taux de rémunération, que sont les différences de niveau d'instruction donc de compétences et les différences de salaires entre les régions ainsi que les différences relatives au niveau d'activité économique d'un marché du travail à l'autre.
La plupart de ces études ont été réalisées aux États-Unis. Il ressort de ces études empiriques tant transversales que longitudinales que l'immigration n'a globalement pas d'impact sensible ni sur la rémunération ni sur le niveau d'emploi des travailleurs nationaux même s'il peut y exister des effets positifs et négatifs non négligeables au niveau de différentes catégories (George J. Borjas, 1993 et A. de Rugy et G. Tapinos, 1994). Toutefois, certaines de ces études empiriques ont révélé que la rémunération moyenne des travailleurs nationaux était légèrement inférieure sur les marchés enregistrant une forte augmentation de la main-d'uvre immigrée.
La plupart des études sur la causalité entre immigration et chômage conduisent à une absence de corrélation entre ces deux variables. R. Vedder et L. Gallaway ont réalisé une étude relative au lien entre immigration et chômage aux États-Unis entre 1960 et 1990. Ils ont remarqué que sur cette période, les dix États où les taux de chômage étaient les plus bas sont ceux qui avaient les plus forts taux dimmigration et inversement.
En somme, le recours à l'immigration a permis d'améliorer la croissance et de pallier les déséquilibres structurels les pénuries de main-d'uvre et les rigidités du marché du travail de certains pays développés. Comme lavait si bien remarqué C. Mercier (1977) en considérant que le lien entre l'immigration et l'activité économique du pays d'accueil et la question de la substituabilité ou de la complémentarité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux dépendent de l'évolution du système économique capitaliste c'est-à-dire des phases de l'accumulation du capital et de l'apparition de crises de suraccumulation. La dynamique de l'immigration en France entre 1949 et 1974 peut se résumer, selon C. Mercier, en trois phases :
une immigration naissante qui répondait aux fluctuations du marché du travail ;
une immigration complémentaire de la main-d'uvre française et devenant de plus en plus déconnectée de l'évolution du marché du travail ;
une immigration redevenue dépendante de l'activité économique et du marché du travail suite à l'accroissement du chômage issu de la crise de suraccumulation.
Ainsi, lorsque limmigration est strictement contrôlée par les autorités administratives ce qui semble très difficile , le pays daccueil peut réguler les flux dentrée des travailleurs étrangers selon les besoins du marché du travail et donc selon le rythme des cycles économiques.
Les effets des migrations sur le marché du travail dans le pays dorigine sont une diminution du taux de chômage voire une amélioration des rémunérations suite à la baisse de loffre de travail après le départ des migrants. Lémigration permet de valoriser certes dans le pays darrivée le potentiel de facteur surabondant et inutilisé.
De plus, les chômeurs qui partent constituent autant de personnes en moins à nourrir et à entretenir sur les ressources propres du pays. Si cette situation dhémorragie de la force de travail est individuellement profitable aux travailleurs locaux, elle génère des pertes au niveau collectif en particulier la baisse de la production nationale et des recettes fiscales. Le migrant profite naturellement du taux de salaire élevé du pays daccueil comparativement à celui du pays dorigine.
2.3 Limmigration facteur de déséquilibres économiques et sociaux
La montée du chômage après 1974 a conduit les pays de la Communauté européenne (devenue lUnion européenne), lun après lautre, à restreindre fortement les flux migratoires de main-duvre pour à la fois protéger les emplois nationaux et atténuer voire enrayer la montée des tensions culturelles. Parallèlement, des contrôles partiels de flux migratoires ont été instaurés dans plusieurs pays développés, en particulier au Canada et aux États-Unis. Ces contrôles visent à filtrer les entrées en sélectionnant souvent les migrants qui possèdent une bonne formation et/ou de lexpérience professionnelle. Ces faits révèlent lambivalence des conséquences sociales de limmigration (2.3.1) et de son impact sur les finances publiques (2.3.2).
2.3.1 Les conséquences sociales de limmigration
Des études ont été réalisées pour cerner les effets socio-économiques de la migration. Ainsi, P. H. Lindert et T. A. Pugel (1997) ont présenté une analyse des effets des migrations de main-duvre sur les marchés du travail de deux pays représentatifs du monde entier, le Nord , à revenu élevé et le Sud , à revenu faible. La liberté des mouvements migratoires, comme le libre-échange, génère des gains et des pertes.
Les principaux bénéficiaires de la liberté des migrations internationales sont les migrants, leurs nouveaux employeurs et les travailleurs restés dans le pays démigration. En revanche, les principaux perdants de la liberté de circulation internationale de la main-duvre sont les travailleurs du pays daccueil concurrencés par les migrants, surtout les travailleurs non qualifiés, et les employeurs du pays dorigine de ces derniers.
En ce qui concerne les nations, le pays démigration, le Sud, subit globalement une perte tant au niveau de la main duvre quau niveau des finances publiques. Les arguments ne manquent pas pour les partisans dun dédommagement du pays démigration par linstauration dun impôt sur la fuite des cerveaux de sorte quil puisse récupérer au moins une partie des fonds publics investis pour la formation, la santé et la sécurité des émigrants. Cette idée dune compensation sous forme dimpôt au titre de l exode des cerveaux a été défendue par Jagdish Bhagwati. Cette compensation est dautant plus juste que les émigrants sont généralement des personnes jeunes, dynamiques et vraisemblablement des contributeurs nets dimpôts pour le pays daccueil.
Les effets de limmigration sur le marché du travail font du pays daccueil un gagnant net, et ce dautant plus quon assiste actuellement à des migrations temporaires. Bien qu'étant souvent le prélude à l'installation définitive de migrants, le travail temporaire présente néanmoins un intérêt certain pour les pays d'accueil. En particulier, la présence temporaire des travailleurs étrangers qualifiés et hautement qualifiés permet aux nationaux de profiter pleinement de leur savoir-faire et de leur expérience. De plus, le travail temporaire ne conduit pas à une hausse des coûts sociaux.
2.3.2 L'impact de l'immigration sur les finances publiques
Des études transversales visant à évaluer l'incidence de l'immigration sur les finances publiques ont également été menées notamment aux États-Unis et au Canada. L'objectif de ces études est de voir si les contributions des immigrés au système de protection sociale sont supérieures ou inférieures aux subventions qu'ils reçoivent de la part de l'État du pays d'accueil. Il s'agit d'abord de quantifier les différents versements, impôts et cotisations sociales, effectués par les immigrés et l'ensemble des prestations, allocations familiales, indemnités de chômage et sécurité sociale, reçues par les immigrés. Ensuite, il est question de faire un bilan global net entre les contributions versées et les prestations reçues par l'ensemble des immigrés.
Au-delà des limites intrinsèques que revêtent de telles évaluations, dues en général aux difficultés de disposer de données pertinentes, les résultats de ces études se caractérisent par leur divergence quant à la contribution nette des migrants au budget national du pays d'accueil. Les auteurs américains ayant utilisé cette méthode ont abouti à des conclusions concordantes, a savoir qu'au niveau fédéral les immigrés cotisent au moins autant qu'ils bénéficient de prestations sociales. Autrement dit, l'effet de l'immigration sur le budget du pays d'accueil est neutre, voire positif.
L'étude réalisée en Australie en 1991 a montré que le ratio du montant total des cotisations d'impôts (sur le revenu) sur le montant total des prestations sociales était de 2,31 pour les Australiens et de 2,18 pour les personnes nées à l'étranger. Bien que cette différence semble peu significative, elle révèle néanmoins que les étrangers ont plus bénéficié du système de protection sociale australien qu'ils n'ont payé d'impôts sur le revenu.
En France, le financement de la protection sociale (maladie, chômage, retraite) transite beaucoup moins par le budget. Tous les travailleurs, y compris les migrants, sacquittent de leurs cotisations sociales. La protection sociale est ainsi une forme collective dépargne et de prestations. En 1988, les chômeurs étrangers en France nont perçu que 10 % des 65 milliards de francs dallocations. Cependant avec le vieillissement et linstallation définitive de la première génération dimmigrés ainsi que le taux de chômage élevé de la seconde génération près de 30 % , le coût de limmigration risque de devenir important.
Plusieurs de ces études ont donc montré que les immigrés payent plus dimpôts quils ne bénéficient de services publics de la part du pays daccueil. Cela est singulièrement vrai pour les immigrés clandestins , qui sont le plus souvent des contribuables nets car ils sacquittent de taxes sans pour autant bénéficier daide sociale. Cependant, à partir des années quatre-vingt, les immigrés ont davantage profité des services publics quils nont payé dimpôts, faisant ainsi supporter une charge budgétaire nette aux autres contribuables du pays daccueil (en Amérique du Nord).
Toutefois, les pays daccueil peuvent, par le biais dune politique sélective dimmigration, améliorer les effets budgétaires nets en nacceptant sur leur territoire que des immigrés qualifiés voire hautement qualifiés, autrement dit les contributeurs nets dimpôts. Les candidats à lémigration dotés de faibles qualifications, considérés comme de potentiels pauvres qui vont très probablement émarger aux programmes daide sociale, ne sont pas admis.
L'existence d'un système de protection sociale et d'un revenu minimum constitue un facteur d'attraction des migrants potentiels et déconnecte partiellement, selon Borjas (1991), la décision de migration de la situation sur le marché du travail du pays d'accueil. Dans cette optique, la demande de prestations sociales ferait partie des éléments d'appréciation de l'opportunité de la migration. Le cas échéant, si le marché du travail se trouve dans l'incapacité d'absorber le supplément de main-d'uvre dû à la nouvelle immigration, il est évident que l'immigration aura un effet très néfaste sur le budget social du pays d'accueil puisque essentiellement consommatrice de prestations sociales.
Le caractère souvent sélectif du marché migratoire, préférence orientée vers les jeunes célibataires compétents, permet de modifier la structure par âge de la population du pays d'accueil. Ainsi, une approche en termes de cycle de vie devrait certainement conduire, pour les pays développés confrontés au vieillissement démographique, à un effet très positif de l'immigration (sélective) sur l'épargne et les transferts sociaux.
Les conséquences de limmigration pour les pays de départ ont été très peu étudiées. Les auteurs se sont souvent contentés dévoquer très sommairement certaines conséquences possibles. Certains auteurs considèrent l'immigration comme un moment de formation et d'acquisition d'expérience professionnelle. L'immigration constitue, par conséquent, un avantage certain pour les migrants, et pour leurs pays d'origine lors du retour définitif.
Cependant, les compétences acquises à létranger par les migrants ne sont pas facilement utilisées au retour. Il semble, selon Reginald T. Appleyard, quil y a un consensus des auteurs à ce sujet. La plupart des économies domestiques noffrent pas de travail productif aux migrants de retour. Les migrants retournés au pays sont des acteurs du changement social en ce sens quils peuvent contribuer à lutter contre les rigidités sociales néfastes au développement économique.
Les envois de fonds des travailleurs immigrés ne constituent pas une perte pour le pays daccueil même si ces envois sont comptabilisés comme une sortie de capitaux dans la balance des paiements. Lentrée de devises permet aux pays démigration moins compétitifs au niveau international de compenser entièrement ou en partie leur déficit commercial. Pour les immigrés, les transferts sont une partie du fruit de leur travail autrement dit de leur rémunération. Au travers de ces dons, les immigrés achètent une satisfaction psychique , laquelle contribue à leur bien-être physique et surtout moral.
En définitive, limmigration génère des avantages positifs, le transfert de nouvelles connaissances tant dans le pays daccueil que dans le pays dorigine en cas de retour effectif du migrant, et des effets externes négatifs, les coûts dencombrement et les tensions sociales. L'immigration engendre des effets négatifs sur le pays d'origine qui voit sa réserve de main-d'uvre la plus productive et la plus dynamique s'épuiser.
Létude des effets de la migration internationale a abouti à un certain nombre de résultats intéressants. En premier lieu, une plus grande liberté des mouvements migratoires conduit à un accroissement de la production mondiale et favorise dans le même temps un rapprochement des taux de salaires des différents pays dans les emplois occupés par les travailleurs migrants.
En second lieu, les travailleurs du pays daccueil directement concurrencés par les migrants voient leur salaire diminuer par rapport à celui des autres nationaux et par rapport aux revenus autres que les salaires, en particulier les rentes foncières. Toutefois, il importe de souligner la faiblesse relative du nombre de travailleurs natifs directement menacés par larrivée des migrants puisque ces derniers noccupent, dans la plupart du temps, que des emplois durs délaissés par les premiers.
Enfin, la convergence des salaires des migrants vers celui, plus élevé, des travailleurs natifs du pays hôte est loin dêtre parfaite ; le rattrapage nétant que partiel. Par ailleurs, il demeure important de présenter lintérêt et les limites des analyses de la migration internationale.
3. Portée et limites des analyses de la migration internationale
Les différentes analyses de la migration passées en revue concluent plus ou moins explicitement que les forces répulsives, le chômage en particulier, suscitent une émigration potentielle. Le sous-emploi chronique accroît les exclus du système salarial et le nombre de personnes candidates à l'émigration. La situation de sous-emploi qui caractérise les pays africains est la conséquence de leur forte dépendance économique vis-à-vis des pays développés.
L'introduction du système capitaliste salariat et monétarisation progressive des transactions , fruit de la spécialisation internationale forcée, a progressivement détruit les activités agricoles traditionnelles sans pour autant offrir suffisamment de travail aux populations. En effet, la marginalisation des cultures vivrières au profit d'une agriculture davantage industrialisée et orientée vers les produits d'exportation a engendré une importante réserve de main-d'uvre non qualifiée. Cette surabondance de l'offre de travail est plus marquée dans les pays où le niveau de développement industriel reste encore très faible.
Compte tenu de la proximité entre les différentes analyses du phénomène migratoire, analyser leur intérêt (3.1) et leurs limites (3.2), notamment par rapport à notre étude (3.3), revient à sintéresser particulièrement à lanalyse dominante, celle fournie par la théorie néoclassique. En effet, certains résultats ou hypothèses néoclassiques sont implicitement ou explicitement repris par les autres analyses de la migration.
3.1 Lintérêt des analyses de la migration internationale
Les analyses de la migration ont indiscutablement une portée normative dans la mesure où elles ont souvent servi de base à l'élaboration de la politique migratoire de certains pays d'accueil (3.1.1). Elles ont aussi permis de clarifier le débat sur la relation entre migration et développement (3.1.2).
3.1.1 Les analyses comme support des politiques migratoires
La nécessité de bien comprendre la genèse du phénomène migratoire et de ses logiques de fonctionnement est d'autant plus impérieuse que la situation économique et sociale actuelle de nombre de pays d'accueil est loin dêtre satisfaisante à cause de lampleur et des conséquences du chômage et que celle des pays de départ ne s'améliore guère davantage.
L'importance considérable des investigations pluridisciplinaires, économiques, sociologiques, psychologiques et démographiques en particulier, révèle à la fois la complexité de la réalité migratoire et la difficulté de cerner ce phénomène à partir d'analyses théoriques abstraites. Cela ne veut pas dire que les constructions théoriques sont inutiles, bien au contraire elles participent, certes au travers d'une simplification de la réalité, à la connaissance de certains aspects du fait migratoire.
Aussi, il importe de relever les apports sur le plan de la connaissance de la migration de certains auteurs qui se sont plus ou moins explicitement référés au modèle néoclassique. Lanalyse néoclassique de la migration est parfaitement cohérente avec les présupposés théoriques néoclassiques car elle sinscrit dans le cadre du modèle de léquilibre général. Dans cette perspective, la migration joue un rôle rééquilibrant ou optimisateur car les déplacements de main-duvre réagissent aux écarts de prix du facteur travail. Les mécanismes dajustements du marché du travail, l'interaction prix quantité du facteur travail, fonctionnent désormais au niveau international. Ainsi, critiquer la théorie néo-classique des migrations revient logiquement à rejeter l'héritage walrasien, à savoir le modèle d'équilibre général.
La plupart des travaux ont un caractère empirique car les auteurs ont souvent eu recours aux investigations factuelles. Lavantage majeur de certains de ces travaux est de permettre détayer des hypothèses plus conformes avec les faits et de faire ainsi avancer la recherche dans ce domaine.
Mais cependant, compte tenu des difficultés réelles des pays de l'OCDE de maîtriser le volume et la composition des migrations nettes, l'immigration ne peut être un instrument efficace pour atteindre des objectifs démographiques précis. Dans cette situation, il devient illusoire de miser sur les politiques migratoires pour contrecarrer le processus de vieillissement et/ou pour réduire la croissance du rapport de dépendance de la population âgée de ces pays.
3.1.2 Les analyses comme éléments de clarification du débat sur la relation entre migration et développement
La plupart des pays du Sud et des pays de l'Est sont confrontés à un sous-développement aigu, accentué par une surpopulation relative et une raréfaction des ressources notamment financières, qui menace leur stabilité politique et leur survie économique. L'accroissement rapide de la population et du nombre des actifs, par rapport au potentiel de ressources naturelles et de capital matériel et financier disponibles constitue ainsi la première cause du chômage dans ces pays. Dans le cas fréquent d'une émigration de chômeurs, le salaire ne peut constituer une variable importante dans la prise de décision de migrer dans la mesure où il n'existe pas d'allocation chômage dans les pays dorigine.
Cette situation incite, il est vrai, nombre de leurs habitants à considérer la migration internationale comme une nécessité, une solution pour tirer partie des possibilités d'emplois lucratifs ouvertes à l'étranger, dans les pays développés. Le changement des conditions politiques et économiques dans les pays du Sud, plus particulièrement en Afrique, est donc fondamental pour éviter le spectre dune migration auto-entretenue. Le contexte économique et social des pays récepteurs de migrants, en particulier les pays dEurope Occidentale, les a conduit à rechercher des solutions pour atténuer, à terme déradiquer, les pressions migratoires quils subissent.
Deux grands types de solutions consensuelles ont été séparément ou simultanément adoptés par les pays dimmigration. J.-P. Guengant évoque à ce propos de lémergence de deux nouveaux paradigmes : le paradigme de contrôle et celui du développement. Ces deux paradigmes complémentaires obéissent à la même logique et poursuivent le même objectif, à savoir larrêt ou la réduction au strict minimum des migrations internationales.
Le paradigme du contrôle consiste en la mise en oeuvre de plusieurs types de mesures qui vont de la fermeture absolue des frontières immigration zéro à louverture limitée des frontières avec des procédures strictes de sélection des candidats à limmigration et parfois avec recours à une contractualisation de la migration.
Quant à lautre paradigme, il repose sur largument que le développement économique, permettant de réduire à la fois la pauvreté et les écarts de revenus entre les pays prospères et les pays pauvres, annihile à terme lincitation à émigrer. Dans cette optique, trois mesures ont essentiellement été retenues pour réduire fortement les pressions économiques et politiques favorisant la migration internationale. Il sagit tout dabord de favoriser le commerce avec les pays fournisseurs de main-duvre par la libéralisation des échanges internationaux. Laccroissement du volume dexportations, notamment de biens à fort coefficient de facteur travail, permet de réduire lincitation à émigrer.
Dautre part, la promotion des investissements de capitaux étrangers des entreprises publiques et privées vers les pays pourvoyeurs de main-duvre migrante. Enfin, laide publique au développement et la coopération internationale demeurent nécessaires et sont un élément incontournable pour accélérer le processus de développement économique des pays pauvres et subséquemment un tarissement des flux migratoires. Ces mesures reposent sur une idée très simple à savoir que le développement économique, par la création demplois et lamélioration des conditions de vie quil génère, constitue un puissant frein aux pressions migratoires internationales.
Ainsi le rôle que peut avoir le développement économique sur les pressions migratoires dans les pays d'origine a été résumé par Michael S. Teitelbaum (1993). A court terme, le développement économique engendre des changements déstabilisateurs dans les rapports économiques traditionnels et les réseaux sociaux. Ce progrès économique conduit non à une réduction des pressions à l'émigration mais à une promotion et une accélération de l'émigration à cause notamment de la saturation des marchés du travail et de la distribution inéquitable des revenus. Le développement économique peut constituer un frein aux pressions à l'émigration uniquement dans une perspective de long terme plusieurs décennies.
Bernard Wood (1994) est aussi convaincu de la nécessité de promouvoir le développement durable des pays d'émigration pour annihiler, à long terme, l'incitation à émigrer. Il préconise un ensemble de priorités et d'objectifs pour arriver à un développement économique de ces pays. Il adjoint aux trois solutions précédentes, l'application par ces pays de politiques d'ajustement structurel et l'accroissement des transferts de technologies vers ces pays.
Cette assertion doit être nuancée pour trois raisons au moins. Primo, le développement économique peut ne pas générer des créations d'emplois suffisantes dans les pays à fort potentiel migratoire à cause notamment de la surpopulation relative et de l'accroissement de l'intensité capitalistique des systèmes productifs mondiaux au détriment du facteur travail.
Secundo, lespoir de compter sur la libéralisation du commerce international pour endiguer les pressions migratoires est relativement mince au vu des pratiques protectionnistes sur les produits dits sensibles qui sont ceux quexportent généralement les pays émetteurs de main-duvre.
Enfin, certains de ces instruments ne se sont pas encore révélés efficaces. En effet, H. Breier (1994) a montré que l'aide publique au développement n'avait qu'un effet indirect sur la réduction des pressions migratoires. Elle ne doit être qu'un des instruments d'une politique de coopération et de développement économiques.
Il ressort de l'étude réalisée sur certains pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine que la libéralisation des échanges internationaux et la migration sont complémentaires (Anne Richards, 1994). L'auteur a remarqué que cette plus grande ouverture aux échanges internationaux s'est accompagnée d'un accroissement sensible et simultané des flux d'émigration et d'immigration. Ce résultat peut être aussi le fait d'une croissance appauvrissante , due à une détérioration des termes de l'échange ou à une baisse du pouvoir d'achat des exportations de ces pays, qui incite davantage les populations à s'émigrer. Le cas échéant, la thèse des auteurs marxistes qui consiste à considérer les migrations à la fois comme un produit et un facteur d'accroissement des inégalités de développement entre les nations se trouve largement accréditée.
Quant aux investissements étrangers, ils sont quasi-exclusivement guidés par des impératifs de perspectives économiques profits escomptés et de stabilité politique. Les incitations des États, aussi alléchantes soient-elles, ne pèsent que de manière marginale sur la décision dinvestissement des entreprises privées comme publiques dailleurs dans les pays dorigine des migrants.
Par ailleurs, une intégration économique régionale peut avoir un impact très significatif sur les migrations internationales. Portant son regard sur l'expérience européenne du Marché commun, G. Tapinos (1994) observe, entre autres, que les échanges intra-communautaires se sont considérablement accrus et les flux migratoires intra-communautaires fortement réduits. Autrement dit, le nivellement des disparités socio-économiques entre régions riches et régions pauvres a diminué les flux migratoires à lintérieur de lUnion européenne. Ainsi, le développement de lEurope de lEst et des pays en voie de développement est, selon Werner (1994), le défi que doivent relever les pays développés la CEE, les États-Unis et le Canada.
Ainsi, compte tenu des résultats de ce panel d'études et du contexte actuel d'interdépendance accrue des économies nationales, lobjectif affiché des pays prospères de tarir limmigration à la source dans une perspective notamment restrictive et sécuritaire ne peut déboucher que sur un succès très limité. Aussi, le développement économique, l'aide publique au développement, la libéralisation des échanges internationaux et la coopération ne peuvent freiner les flux migratoires, ils peuvent au mieux atténuer lincitation à lémigration et changer la nature de la migration.
3.2 Les limites intrinsèques aux analyses
La migration internationale relève de plusieurs facteurs dordre familial, économique, politique, démographique et sociologique. Chacun de ces facteurs, pris individuellement ou combinés entre eux, conduit à des processus migratoires de nature fort différente. Limportance des flux migratoires dépend de lévolution de certains paramètres. Ces paramètres, appelés facteurs dintensité par Dumont (1995), déterminent aussi la nature de la migration (voir annexe 3).
Le phénomène migratoire est donc très complexe et revêt divers aspects, économiques, politiques, culturels et sociaux. Il a certes des conséquences économiques mais aussi des implications sociales et culturelles durables tant sur les pays d'accueil que sur les pays d'origine tensions et coûts sociaux. Les limites des modèles dexplication de la migration résident principalement dans le caractère irréaliste de leurs hypothèses (3.2.1), et ce en dépit des prolongements intéressants qui ont été effectués (3.2.2).
3.2.1 Des hypothèses souvent en contradiction avec la réalité factuelle
Le commerce international sexplique par des différences dans la dotation de facteurs de production entre pays et par les proportions différentes dutilisation de ces facteurs pour produire les biens. Cependant, les disparités qui affectent les changements dans les prix relatifs et par conséquent dans les demandes de facteurs de production nont pas, comme le suppose la théorie du commerce international, des effets égalisateurs. En réalité elles ont plutôt tendance à perdurer. Ainsi, pour une même qualification, les travailleurs ne reçoivent pas le même salaire réel dans tous les pays.
Il semble toutefois que lidée même dune tendance à légalisation des prix des facteurs nest pas réfutable en soi, en particulier en ce qui concerne le facteur travail. Il peut exister un rapprochement des salaires notamment pour des catégories de travailleurs à qualification comparable. Pour P. H. Lindert et T. A. Pugel (1997), les salaires réels dans les pays nouvellement industrialisés dAsie se rapprochent davantage de ceux des pays occidentaux, et ce au fur et à mesure quils sintègrent dans le commerce international.
W. Léontief avait testé les prédictions de la théorie de H.O.S. pour voir si elles étaient oui ou non compatibles avec les faits. Rappelons que pour H.O.S., les pays doivent exporter les produits qui nécessitent pour leur production une utilisation intensive des facteurs dont ils disposent abondamment et importer ceux qui nécessitent pour leur production une utilisation intensive de leurs facteurs rares. Le résultat du test a montré que la validité générale du modèle est moindre que ne lavaient pensé les néo-classiques. Pour P. Dockès, la remise en cause du théorème H.O.S. relève moins du résultat négatif du test que des hypothèses sur lesquelles repose le théorème lui-même.
Aussi, le résultat négatif du test de Léontief ne peut surprendre dans la mesure où les modèles de base de la théorie du commerce international ont été élaborés dans le cadre dun univers absolument certain où nexiste aucune incertitude. Alors quen réalité, les agents vivent dans un monde incertain et ont une certaine aversion à légard du risque. Les attitudes des entrepreneurs à légard du risque ne sont pas les mêmes dans les pays considérés même sils ont tous tendance à produire moins en univers incertain quen univers certain.
Lanalyse économique des mouvements migratoires a longtemps été calquée sur celle des mouvements de capitaux. Le traitement analogique de la mobilité du facteur travail avec celle du facteur capital a été pour les théoriciens néoclassiques un moyen adéquat de conserver lessentiel des postulats fondateurs du modèle néoclassique de base.
La relative pauvreté de la littérature théorique économique sur les phénomènes migratoires révèle à la fois la complexité et la difficulté délaborer une analyse complète. Nous ninvoquerons pas toutes les critiques faites à ce modèle théorique et à ses prolongements mais nous nous limiterons à certaines qui nous semblent les plus intéressantes. Notre choix porte sur les hypothèses fondamentales que lon retrouve à la fois dans le modèle de base et dans les modèles revus et améliorés.
Lhypothèse de plein emploi du travail dans les deux pays est très contestable. Elle occulte en effet la diversité des types de migration et le fait que labsence demploi incite à lémigration beaucoup plus que les écarts de rémunération nattirent.
Lhypothèse de lhomogénéité du facteur travail perd de sa pertinence en raison de lexistence de plusieurs types demploi inégalement appréciés par les personnes en termes de prestige et dagrément notamment. Qui plus est, le passage dune profession à une autre est loin dêtre évident car il existe des obstacles en particulier la nécessité dacquérir une formation préalable avant dexercer certains métiers exigeant des connaissances techniques spécifiques.
La mobilité parfaite de la main-duvre est inadmissible pour au moins deux raisons. Dabord, cette hypothèse ignore totalement lexistence et surtout la permanence de multiples obstacles divers et variés aux mouvements migratoires. La mobilité de la main-d'uvre ne peut donc avoir un effet rééquilibrant. Ensuite, les coûts de transport, dinformation et les coûts psychologiques de ladaptation à un milieu nouveau sont considérés comme négligeables et par conséquent sans importance. Si lon peut facilement accepter lassimilation des coûts de transport et dinformation à ceux des mouvements de produits, il ne peut être de même pour les coûts psychologiques.
L'hypothèse de rationalité du migrant qui implique la décision de migrer se fonde sur un calcul économique maximisateur est tout aussi contestable. Le migrant même supposé rationnel ne dispose pas de toute l'information nécessaire pour que son choix soit optimal, autrement dit l'information est imparfaite contrairement à ce prétendent les néo-classiques.
Les néo-classiques, tout en faisant confiance à lefficience des mécanismes de marché, traitent les variables humaines comme des automates qui intègrent systématiquement et spontanément dans leur comportement les principes de rationalité et doptimisation de lintérêt personnel. Lanalyse néoclassique des migrations internationales se résume, selon C. Mercier, en deux pôles : comportements rationnels individuels de maximisation des avantages nets liés aux migrations et nations réduites à un stock de facteurs de production donné a priori . Ce faisant, les néo-classiques évacuent demblée les motivations autres quégoïstes des migrants ainsi que les coûts psychologiques et social présents dans toute migration humaine.
Par ailleurs, les modèles supposent implicitement une loi de réversibilité des flux migratoires de main-duvre qui fait quon doit assister en période de crise à un retour massif des travailleurs migrants dans le pays dorigine. Les retours ne permettent pas d'atteindre un équilibre international qui se traduirait par la disparition du mouvement migratoire. En effet, chacun sait que ces retours, supposés définitifs, ne sont pas systématiques car une partie non négligeable de migrants se sont installés définitivement dans les pays dimmigration depuis le début de la crise du chômage. Qui plus est, ces retours peuvent aussi exister en période dexpansion économique.
Lanalyse néoclassique a le mérite de montrer que les mouvements de personnes reposent fondamentalement sur la quête dun bien-être maximum, dune meilleure situation. Lerreur est que seul est pris en compte laspect économique du bien-être. Or, comme chacun le sait, le bien-être recherché par le migrant nest pas strictement économique, il peut être aussi social et/ou politique. En effet, les persécutions politiques, les tensions sociales ont souvent incité des personnes, y compris celles ayant une bonne situation économique et financière, à migrer vers les pays qui ont une stabilité politique et sociale.
Le modèle néo-classique des migrations de travail ne permet pas une explication pertinente du phénomène dans la mesure où les hypothèses sur lesquelles il repose sont en contradiction flagrante avec la réalité factuelle. Ainsi, en dépit des tentatives de perfectionnement par laménagement des hypothèses de base, le degré dopérationalité du modèle reste très faible.
3.2.2 Des prolongements intéressants mais insuffisants
Depuis la genèse du capitalisme, les mouvements internationaux de capitaux et de main-duvre ont progressivement pris de limportance telle quil eût été difficile de conserver lhypothèse de limmobilité des facteurs de production. Ce constat a marqué certains auteurs qui ont dû élaborer des modèles plus près des évènements factuels, cest-à-dire des modèles qui intègrent les réalités du phénomène migratoire.
Mundell (1957) a été le précurseur dans ce mouvement dapprofondissement et de perfectionnement de lanalyse néoclassique de base. En relâchant lhypothèse dimmobilité des facteurs, il démontre quen présence dentraves au libre-échange, les mouvements de capitaux deviennent un substitut parfait des mouvements de produits et permettent ainsi légalisation des prix des facteurs dans les deux pays échangistes. Son résultat a par la suite été étendu au facteur travail, qui désormais va jouer le même rôle égalisateur que le facteur capital.
Ses successeurs ont progressivement pris en compte la réalité du fait migratoire en lintégrant dans les modèles danalyse. Lhypothèse forte de mobilité parfaite du facteur travail a été toutefois maintenue malgré la distinction opérée au niveau du facteur travail entre travail qualifié et travail non qualifié. L'existence d'un lien entre l'immigration et l'activité économique est certaine mais la complexité de cette relation biunivoque ne peut être appréhendée au seul regard des modèles d'analyse proposés.
Samuel Bowles (1970) a élaboré un modèle de mobilité géographique des travailleurs qui repose sur deux hypothèses. La première est que le processus de décision migratoire dépend de la comparaison de la valeur actuelle des coûts et avantages de la migration. Les avantages de la migration comprennent le revenu plus élevé dans le lieu de destination ou un environnement social ou physique plus agréable. Les coûts incluent les dépenses directes engendrées par la migration et les coûts psychiques liés à la rupture des anciennes relations. S. Bowles (1970) préfère utiliser lexpression probabilité de migrer ou taux démigration car il reconnaît ne pouvoir prendre en compte lensemble des dimensions des coûts et des avantages de la migration.
La seconde hypothèse stipule que laccroissement de revenus escomptés de la migration est une fonction croissante du niveau déducation. En dautres termes, plus un candidat à lémigration est instruit, plus il anticipe une hausse de revenu élevé. Aussi, le niveau déducation accroît la probabilité de migrer, tandis que lâge la réduit. Lanalyse de la valeur actuelle de la hausse de revenu anticipé par les candidats est fondée sur la mesure des différences régionales de revenus courants.
Le test effectué sur les populations du Sud des États-Unis aboutit à deux résultats importants. Dune part, les individus considèrent les avantages et les coûts de la migration comme un problème dinvestissement général. Dautre part, le taux démigration est plus élevé chez les sous-populations qui espèrent gagner beaucoup plus en migrant, à savoir les Noirs et les personnes très pauvres.
Quant à John Vanderkamp (1971), il distingue trois types de flux migratoires : les nouvelles migrations, les migrations de retour et les migrations autonomes. La proportion des migrations de retour varie en sens inverse de létat du marché du travail. Les opportunités demplois dépendent des perspectives de revenu et donc du niveau de lactivité économique. Les résultats empiriques confirment cette assertion en révélant une grande variabilité des coefficients des variables revenu et distance selon létat de la conjoncture économique. Le niveau total de la migration diminue en période de dépression économique mais lefficience allocative de la main-duvre immigrée est inversement affectée.
Le revenu joue un double rôle dans les pays de départ : il sert à la fois de revenu anticipé attribuable à la migration et de source de financement du voyage. Linfluence du revenu sur la migration est donc incertaine car leffet du premier rôle est négatif et celui du second positif. Les résultats empiriques montrent un faible coefficient positif du revenu dans la région de départ. La mobilité répond beaucoup moins à lexistence dopportunités quand il y a un ralentissement général sur le marché du travail. Cela implique que les politiques de mobilité sont dautant plus efficaces que léconomie est proche du plein emploi.
Les prolongements de l'analyse néo-classique, tout en conservant l'essentiel du modèle, ont permis certes d'améliorer le réalisme et l'opérationalité du modèle de base mais ils demeurent néanmoins insuffisants. En effet, ils considèrent toujours la migration internationale comme fonction exclusive des inégalités dopportunités de revenus entre les pays. Ils restent ainsi en contradiction avec les réalités empiriques.
Mais pour Charles Stahl (1995), leurs insuffisances résident non dans le fait que les écarts dopportunités de revenus nétaient pas importants, mais dans le fait que les restrictions légales à limmigration ont rendu impossible toute prédiction relative à la relation entre laccroissement des écarts de revenus et laugmentation de la migration internationale.
La dimension positive ou analytique de la plupart des analyses de la migration est très limitée par le fait qu'elles reposent sur des a priori théoriques qui éludent certains aspects importants de la réalité concrète. En particulier, la référence explicite au schéma explicatif de A. Lewis (1954) suppose une assimilation ou une correspondance implicite entre les pays dimmigration et le secteur capitalistique dune part, et entre les pays démigration et le secteur de subsistance dautre part.
La configuration actuelle des économies révèle plutôt la coexistence de secteurs dactivités hautement productifs et très peu productifs tant dans les pays dimmigration que dans ceux démigration. Ce contraste frappant interdit toute analyse de la migration qui repose uniquement et systématiquement sur les différences de productivité et de salaire.
Ainsi, P. Aydalot (1980) a montré, à partir d'une étude statistique des données, comment les facteurs traditionnels de la migration, à savoir les niveaux de revenus et le chômage, ne jouaient pas le rôle que leur prêtaient généralement les analyses courantes. Les tests les plus significatifs sont ceux qui utilisaient des variables exogènes (non économiques) tels l'âge et la distance.
Toute migration comporte des coûts de nature différente. Le coût économique est étroitement lié à la distance géographique car tout déplacement requiert des frais de transport, des dépenses de réinstallation. Le coût sociologique correspond aux efforts psychologiques que doit fournir le migrant quittant ses proches, efforts d'autant plus difficiles que la distance culturelle entre les espaces de départ et daccueil est importante. Aussi, il importe de prendre en considération les qualités intrinsèques du migrant potentiel et ses facultés d'adaptation au cas où il trouverait un emploi ne correspondant pas à sa formation. P. Aydalot (1980) introduit ainsi la technologie comme une variable explicative des comportements migratoires qui peut constituer un frein à la migration.
Dès lors, la distance géographique, socioculturelle, économique, et technologique sont autant d'éléments qui peuvent limiter les migrations. En revanche, l'essor continu et irréversible des télécommunications et de l'information exerce théoriquement un effet favorable aux déplacements en élargissant le champ des migrations et en accroissant la mobilité globale des personnes.
L'hypothèse proposée par P. Aydalot (1980) qui consiste à considérer que les éventuels gains salariaux obtenus par la migration expriment plutôt une différence de genre de vie qu'une différence de niveau de vie nous paraît particulièrement intéressante. Autrement dit, les écarts de revenu entre deux espaces, pour un même niveau de qualification, ne sont rien d'autres que l'expression de coûts d'environnement différents.
En effet, chaque espace se caractérise par des contraintes de consommation spécifiques, c'est-à-dire que le niveau et la structure de consommation sont différents selon qu'on vit en milieu développé ou en milieu sous-développé. La proposition de Aydalot est intéressante parce quelle est réaliste. En effet, les résultats issus de nos enquêtes ont révélé que la raison dêtre de la migration était, pour certaines personnes interrogées, de pouvoir vivre à loccidental .
3.3 Les limites par rapport à notre étude
Un nombre important des analyses explorées ne permettent pas de saisir les aspects significatifs de la réalité des migrations internationales de main-duvre, en particulier les motivations extra économiques des migrants ainsi que leur comportement financier (3.3.1). Ces insuffisances nous semblent plutôt relever de la question de la pertinence des échelles d'observation (3.3.2).
3.3.1 L'éviction du comportement financier dans les analyses de la migration
La littérature dans le domaine des migrations internationales ne s'est pas intéressée au comportement financier des migrants tel que nous lavons défini (voir lintroduction générale). Les réflexions théoriques sur ce thème, en particulier la pensée économique, ne font référence qu'aux causes et conséquences de la migration internationale de la main-d'uvre. Les analyses économiques reposent sur une logique de fonctions économiques qui ne prennent pas en compte les motivations et les représentations des personnes. Aussi, les auteurs ont, dans leur très grande majorité, focalisé leur regard sur le seul contexte des pays d'immigration.
Cependant, les analyses économiques de la migration sont peu satisfaisantes du fait de l'irréalisme de certaines hypothèses qui constituent le socle des modèles. Celles-ci sont souvent construites dans un contexte duniformisation des différents niveaux de perception de la réalité, autrement dit sans prise en compte de la diversité des échelles dobservation.
3.3.2 Une échelle d'observation inadéquate
Les analyses de la migration internationale, en particulier les analyses économiques, se fondent sur un individu considéré comme rationnel, lhomo migrator, pour reprendre lexpression de C. Mercier (1977). Cette base danalyse occulte de fait lexistence dune hétérogénéité des comportements des migrants. Or en observant la réalité, on constate quil y a effectivement des caractéristiques communes mais aussi et surtout distinctives des migrants. Sinscrire dans ce cadre danalyse pour saisir le comportement financier des migrants, notamment des migrants africains, cest inéluctablement se tromper déchelle dobservation.
Le terme observation désigne ici l'ensemble des méthodes de recueil de l'information mobilisables, qualitatives face à face à base d'entretiens, d'observation ou de techniques visuelles et quantitatives enquêtes statistiques. L'échelle d'observation est la principale contrainte de la perception de la réalité par les chercheurs en sciences humaines et sociales. Les échelles d'observations sont donc incontournables pour saisir empiriquement la réalité sociale.
D. Desjeux (1996) propose ainsi de distinguer trois échelles d'observation en sciences humaines et sociales : l'échelle macro-sociale, l'échelle micro-sociale et l'échelle micro-individuelle. L'échelle macro-sociale se caractérise par l'existence de régularités sociales sous formes de normes sociales ou de 'grandeur' et par l'absence d'acteurs concrets individuels. L'échelle micro-sociale permet d'étudier et d'expliquer les comportements des acteurs et leurs interactions. L'échelle micro-individuelle relève, en revanche, de la cognition, du psychique et des motivations ou pulsions inconscientes des sujets.
Chaque échelle d'observation possède une pertinence certaine et autorise par conséquent à généraliser à l'intérieur de l'échelle choisie. Chaque discipline privilégie une échelle d'observation et chaque école le découpage choisi à une échelle donnée.
En sciences économiques, la question des échelles est classique et concerne le niveau micro et macro de l'économie. L'individualisme méthodologique et le holisme méthodologique sont deux découpages différents de la réalité, chacun correspondant à une échelle d'observation spécifique. Le passage de l'individualisme au holisme se fait par agrégation des comportements individuels et le passage inverse par conditionnement social de ces derniers. Cependant, les mécanismes de passage de l'un à l'autre ne sont ni démontrés ni décrits et relèvent par conséquent de l'ordre des postulats. Ces mécanismes sont donc des boîtes noires car ils ne sont pas observables en tant que tels.
Dans la théorie économique lindividu rationnel est considéré comme unité détude et danalyse sur lequel reposent tous les postulats et théories. Cet individu, supposé représenter un ensemble de personnes aux caractéristiques et comportements homogènes, est en réalité un agrégat de personnes différentes, un être composite.
Ainsi, lorsqu'on parle de l'individu en économie, on se réfère implicitement à l'individu représentatif standard de la théorie néoclassique. Cet individu n'est pas une personne mais une unité collective , un ensemble de personnes qu'il est censé représenter d'où le terme d'individu (ou dagent) représentatif. Ce modèle de lagent représentatif considère de fait que les caractéristiques de lensemble des personnes sont strictement et rigoureusement identiques. Cest sur cet individu représentatif que repose toute lanalyse économique standard. Cette approche de léconomie représentée par un individu unique est évidemment très contestable. La diversité des comportements et des choix personnels est réduite en une homogénéité de comportements et de préférences de l'individu, qui est en outre supposé rationnel.
En centrant toutes leurs études sur cet individu représentatif, les économistes se situent demblée dans un niveau dobservation et danalyse trop général et occultent ainsi, selon J.-M. Servet (1998), lopposition (qui existe) entre les échelles micro et macro de lobservation et de lanalyse . La différence entre ces deux types dapproches repose non sur la taille de lobjet étudié mais bien sur léchelle de létude. Ainsi, léchelle de lanalyse économique (la micro et la macro-économie) est par ses types de raisonnement et ses matériaux de type macro .
Lapproche à micro-échelle permet de saisir le comportement et les attitudes des personnes et de découvrir leurs réseaux tandis que lapproche à macro-échelle met en exergue, à travers lanalyse à grande distance, les logiques de marchés. Nombreux sont les chercheurs qui confondent ces deux niveaux dappréhension du réel. Selon J.-M. Servet la plupart des chercheurs confrontés à un objet précis détude tendent plus ou moins à jouer sur les deux échelles : lanalyse macro prendra des exemples (éléments micro donc) pour illustrer une situation globale alors que lanalyse micro inscrira les fractions de relations bilatérales saisies à la base dans les contraintes globales de fonctionnement du système (élément macro) .
Cest plus ou moins dans cette optique que N. Queloz (1987) situe lavènement de lapproche biographique en sociologie. Pour lui, lavènement de cette approche sinscrit dans le cadre du changement de perspective revendiqué par de nouveaux courants (tels que linteractionnisme symbolique dans les années 50, lethnométhodologie dans les années 60 et la sociologie de la vie quotidienne à la fin des années soixante-dix) qui prônent le passage dune macrosociologie à dominante holistique à une microsociologie à dominante atomistique. La perspective macrosociologique est déterministe, elle sintéresse aux structures sociales et préconise la méthodologie positiviste en étudiant les phénomènes sociaux comme des choses.
La perspective microsociologique sinscrit, elle, dans loptique individualiste ; elle sintéresse à la personne et aux groupes primaires et propose une méthodologie engagée et participante en étudiant leurs interactions et leur praxis quotidienne. Lapproche biographique entre tout à fait dans cette seconde perspective et par conséquent sinscrit entièrement dans une conception individualiste, typiquement occidentale, des rapports entre lindividu et le social (N. Queloz, 1987, p. 48). Dans cette perspective, il importe de distinguer la personne de lindividu pour cerner la différence entre égaux et pairs, entre lun et le pair (J. -M. Servet, 1998). Cette distinction montre bien que dans loptique de la théorie économique lindividu représente un groupe de personnes, qui nont pourtant pas les mêmes positions et caractéristiques.
Par ailleurs, le débat sur les approches qualitatives et quantitatives perd de son poids si l'on s'inscrit dans la perspective des échelles d'observation. Dans cette grille de lecture, les critiques faites aux approches quantitatives, en particulier leur caractère réductionniste et l'absence de prise en compte du sens ou de l'intention des acteurs, deviennent insensées. En effet, les régularités sociales ne peuvent être saisies qu'à partir d'approches quantitatives à l'échelle macro-sociale.
A l'inverse, les critiques tels que le manque de scientificité et l'absence de pondération chiffrée des résultats des méthodes qualitatives ne sont plus fondées dans la mesure où ces dernières recherchent justement les diversités ou la contingence des systèmes d'action . De plus ces deux approches ne sont pas antinomiques car il est possible de créer un questionnaire quantitatif à partir d'une enquête qualitative, et vice versa. Il va s'agir dans les deux cas d'éclairer les résultats issus de l'échelle d'observation de départ.
Ce détour sur les différents niveaux dappréhension du réel nous semble utile puisquil répond à un souci de clarté méthodologique. En effet, la clarification du niveau dobservation et danalyse et la distinction entre personne et individu sont essentielles pour le chercheur qui doit toutefois choisir le type dapproche convenable selon lobjet de son étude. Le choix dune approche est spécifiquement déterminé par la nature et lobjectif de la recherche. Lutilisation des récits de vie sinscrit dans une approche à micro-échelle.
Conclusion du chapitre 1
A lissue de ce premier chapitre, quatre remarques importantes simposent. La première est la complexité croissante du phénomène migratoire que rende compte la pluralité des schémas danalyse et des typologies des migrations.
La seconde remarque est la multiplicité des analyses de la migration internationale. Parmi celles-ci, il en est une, cependant, qui éclipse les autres : lanalyse néoclassique. Cette analyse propose de considérer la migration comme une réponse aux inégalités de revenus existant au sein et entre les espaces économiques nationaux. Cette idée semble largement admise en matière danalyse des causes de la migration internationale. Cependant, elle souffre dinsuffisances patentes, en raison des hypothèses sur lesquelles elle se fonde, et prête à une série de critiques. En particulier, les inégalités économiques ou les différences de richesses entre les pays ne suffisent absolument pas à expliquer les migrations. En effet, dautres facteurs autres que la dégradation des conditions de vie sécheresse et famine poussent les hommes à migrer, en particulier les guerres civiles, la violence et linsécurité.
La troisième concerne lévolution récente des flux migratoires vers les pays développés et les conséquences socio-économiques et politiques de limmigration. Le ralentissement de la croissance économique de l'Europe Occidentale, suite notamment à la hausse brutale des prix du pétrole, a provoqué progressivement une situation de chômage croissant et déclenché dans le même temps un blocage de la migration de travail. Les travailleurs migrants ont beaucoup souffert de cette situation en étant les premières victimes des licenciements.
L'attractivité de la migration vers le Nord s'estompait à cause de l'augmentation du nombre de migrants chômeurs. Le solde migratoire vers le Nord devenait négatif, les migrants qui rentraient étaient beaucoup plus importants que ceux qui arrivaient. Ainsi par exemple, Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992, p. 191) nous rappellent que, de 1960 à 1969, l'émigration nette de Grèce, d'Italie, du Portugal et d'Espagne fut de 2,2 millions alors qu'elle ne fut que de 75 mille personnes de 1970 à 1979.
Ainsi, les migrations ont parfois engendré de sérieux problèmes sociaux et politiques, et ce même pendant la période de croissance rapide. Dans plusieurs pays d'accueil, les migrants sont considérés comme des citoyens de second rang, des personnes sans droit de vote, alors qu'ils peuvent constituer une proportion importante de la force de travail du pays hôte. Le cas de la Suisse illustre bien ce propos car les travailleurs migrants représentaient le tiers de la main-d'uvre totale. Cette situation provoque souvent chez les immigrants des sentiments d'amertume et d'infériorité.
La quatrième et dernière remarque est relative à notre objet détude. Il ressort de l'analyse précédente que ni les théories macro-économiques, ni les théories micro-économiques quoique fondées sur les motifs socio-psychologiques ne peuvent, du moins dans un premier temps, nous être d'un grand secours pour étudier le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Ces théories reposent sur une approche à macro-échelle qui ne permet pas de saisir les représentations des acteurs. Or les représentations sont une part active de la réalité car elles sont une construction qui est condition de laction.
Ainsi, la nécessité de recourir à l'enquête par entretien qui est une approche à micro-échelle s'impose pour saisir les représentations et les pratiques des migrants maliens et sénégalais résidant en France. Le chapitre suivant est essentiellement consacré à lexposé de la méthode des entretiens de récits de vie.
Chapitre 2 : La méthode des entretiens de récits de vie
Les individus froidement rationnels peuplent peut-être les livres détudes, mais le monde est plus riche que cela . Amartya Sen, Éthique et économie, PUF, 1991.
La finalité de lentretien de recherche les récits de vie est de saisir des comportements, des relations, des activités et de construire les logiques qui leur sont liées : par exemple, lexamen de la sociabilité communautaire nous a permis, entre autres, de repérer les réseaux de relations financières des migrants maliens et sénégalais. Lentretien permet ainsi dextérioriser ce qui était intériorisé, de rendre explicite ce qui était implicite.
Dans un entretien, lenquêté est mis à contribution et participe activement à la production des informations, contrairement au questionnaire, caractérisé par une standardisation des questions, qui peut paraître parfois contraignant voire autoritaire en ce sens quil ne permet pas aux personnes interrogées de sexprimer librement.
Lentretien favorise donc la collecte dinformations nombreuses et utiles relatives aux représentations et pratiques de lenquêté. Il sadresse à un nombre relativement limité de personnes, ce qui, pour certains, constitue sa principale limite. Or comme le soulignent J. Guibert et G. Jumel (1997), les querelles entre les partisans des méthodes qualitatives et les défenseurs des méthodes quantitatives se sont largement estompées aujourdhui favorisant ainsi un usage conjugué et complémentaire de ces deux méthodes. Il devient donc envisageable, voire souhaitable, de compléter les entretiens par des questionnaires afin de produire, au-delà des différences entre les personnes, des régularités statistiques qui révèlent limportance des déterminations sociales sur les comportements socio-économiques.
Ce chapitre se répartit en deux sections. La première présente les limites de lexpérimentation en économie comme raison justificative du recours à lenquête par entretien. La seconde montre que lentretien constitue bien un instrument de recherche scientifique. La méthode des récits de vie ouvre une voie féconde pour lanalyse des phénomènes économiques ou sociaux marginaux.
1. Les limites de lexpérimentation en économie comme justificatifs du recours à lenquête par entretien
B. Walliser (1994), dans lintroduction de son ouvrage Lintelligence de léconomie, définit léconomie comme une discipline foncièrement singulière qui dispose dun statut spécifique dans le spectre des sciences sociales et des sciences de la nature. Il évoque de manière synthétique les similitudes et les divergences entre léconomie et les autres sciences. Ainsi, par exemple, au regard du sociologue ou du psychologue, lÉconomie a déployé une énergie incomparable pour construire une théorie cohérente et explicite de la coopération entre les acteurs ou de la formation des prix. Elle réalise également des travaux empiriques approfondis fondés sur des enquêtes pour apprécier la mobilité professionnelle des salariés ou établir des corrélations entre les formations et les revenus des agents .
Ainsi, la théorie économique, qui sintéressait uniquement aux échanges matériels entre individus rationnels dans le cadre de marchés, a élargi son champ détude et adopté de nouvelles méthodes de recueil et de traitement des données. Cependant, limportation dune gamme doutils formels ( mathématisation de léconomie ) rencontre des objections franches tandis que lempiricisation de léconomie demeure actuellement nettement insuffisante.
Ce déficit au niveau empirique tend à être résorbé car lexpérimentation (1.1) en économie se développe de plus en plus. Mais le développement de lexpérimentation en économie sopère essentiellement, voir exclusivement par le biais de la théorie des jeux (1.2). Le principal avantage de la théorie des jeux est quelle peut se prêter à de multiples situations de la réalité économique. Linconvénient majeur, notamment quant à létude du comportement financier des migrants, est quelle est inopérante car plusieurs de ses hypothèses fondamentales ne sont pas applicables à la population cible (1.3). Aussi, la micro-économie de la théorie des jeux est une fausse approche à micro-échelle en ce sens que les jeux opposent des individus représentatifs et rationnels.
1.1 Définition et types dexpérimentation
La complexité de lexpérimentation exige dabord quelle soit définie (1.1.1). Il importe dans un second temps dexposer la diversité des types dexpérimentation (1.1.2).
1.1.1 Définition de lexpérimentation
Dans les sciences de la nature, le recueil dinformations de base seffectue à partir de la méthode expérimentale qui permet dexplorer ou de vérifier lexistence dun lien de causalité entre phénomènes bien repérés. Le processus dexpérimentation exige deux conditions. Dune part, les phénomènes étudiés doivent être isolables de leur contexte. Autrement dit, lexpérimentateur doit être en mesure de fixer les variables denvironnement afin de neutraliser, le plus possible, le risque de multicausalité dû à lintervention de facteurs externes.
Dautre part, les variables observées doivent être manipulables de lextérieur, au sens où le chercheur peut modifier séparément les variables de commande de façon à pouvoir décomposer le cas échéant la causalité circulaire. De plus, lexpérimentation doit être reproductible dans dautres cadres spatio-temporels où lon repère les mêmes phénomènes examinés, ce qui permet de vérifier si lon retrouve les mêmes relations de cause à effet. Lexpérimentation savère parfois très délicate à réaliser du fait de contraintes techniques difficulté de modifier et/ou de contrôler certaines variables et de considérations éthiques problème de moralité quant au traitement différencié des personnes.
Dans le schéma classique du raisonnement scientifique expérimental, il s'agit d'observer l'effet produit dans une situation donnée par la manipulation intentionnelle d'une variable par le chercheur. L'expérimentation est ainsi considérée par Claude Bernard comme une observation provoquée . Le chercheur doit, selon Claude Bernard, imaginer et réaliser les conditions matérielles de l'expérimentation.
L'hypothèse est validée lorsque l'effet observé correspond à l'effet prévu. Dans les sciences sociales, cette intervention du chercheur n'est pas sans difficulté, et ce pour plusieurs raisons (J.-L. Loubet Del Bayle, 1978). D'abord, l'expérimentation pose des problèmes éthiques , car elle porte sur des phénomènes sociaux et par conséquent fait appel directement ou indirectement à l'être humain. Elle touche l'être humain dans sa personnalité tant physique, psychologique, intellectuelle que spirituelle.
Ensuite, l'expérimentation se heurte à des difficultés techniques de réalisation dues à la complexité des phénomènes sociaux. Une expérimentation rigoureuse requiert trois conditions. La première est que le chercheur retrouve dans la réalité une situation analogue ou identique à celle qu'il a observée ou qu'il puisse la reconstituer en laboratoire. La seconde est que l'expérimentateur puisse modifier de manière intentionnelle et précise une et une seule variable de cette situation.
La dernière condition est, pour le chercheur, de s'assurer que les effets constatés résultent uniquement de la modification de la seule variable manipulée et non d'autres variables non contrôlées.
1.1.2 Les types dexpérimentation en sciences sociales
Il existe deux techniques d'expérimentation : l'expérimentation invoquée et l'expérimentation provoquée.
L'expérimentation provoquée consiste pour le chercheur à modifier intentionnellement une variable afin d'observer l'effet produit dans une situation donnée. Elle se fait généralement en laboratoire ou sur le terrain.
L'expérimentation en laboratoire se caractérise par la création de situations artificielles aptes à reconstituer le cadre habituel de déroulement du phénomène étudié. Cette reconstitution fidèle du phénomène va permettre à l'expérimentateur de retrouver les conditions exactes nécessaires pour sa recherche et de manipuler la variable qui l'intéresse tout en contrôlant les autres. Selon les besoins de l'expérience, le chercheur peut recourir soit aux groupes artificiels, soit à la reconstitution artificielle d'un processus. Lorsqu'il s'agit de recherches sur les groupes, l'expérimentateur doit constituer des groupes artificiels. Ce type d'expérimentation permet d'étudier les relations interpersonnelles, les tensions et les coalitions au sein des groupes, etc. Il sert souvent de complément à une expérience déjà effectuée sur le terrain. L'inconvénient majeur de cette méthode est que les résultats risquent d'être biaisés ; certains recrutés pour l'expérience, sachant qu'ils sont observés, changent leurs conduites. Les comportements constatés deviennent alors de simples comportements artificiels. La portée de telles expériences est donc limitée et il demeure très difficile de transposer de tels résultats aux groupes réels, encore moins de les généraliser à d'autres groupes. Le sociodrame ou psychodrame est un exemple illustratif d'une reconstitution artificielle d'un processus. L'objectif est de saisir, au-delà des apparences conventionnelles, la vraie nature des rapports sociaux qu'entretiennent les acteurs entre eux et avec leur groupe d'appartenance.
Dans le cadre de l'expérimentation sur le terrain, le chercheur travaille sur des phénomènes naturels ou sociaux qui existent réellement ou sur des groupes réels ayant un caractère particulier groupe de commerçants, par exemple qu'il observe in situ. Le principal obstacle de l'expérimentation sur le terrain est la difficulté de maîtriser les variables non manipulées qui peuvent avoir un effet sur les résultats de l'expérimentation. Cette difficulté de neutraliser l'influence des variables non contrôlées conduit certains chercheurs à recourir au procédé d'expérimentation invoquée.
Quant à l'expérimentation invoquée, le chercheur nintervient pas dans le déroulement du phénomène observé, il se contente de récupérer les données fournies par la réalité. Lexpérimentation invoquée se présente sous deux formes : lexpérimentation naturelle et lanalyse ex post facto.
Il y a expérimentation naturelle lorsque la réalité elle-même fournit les conditions dune quasi-expérimentation. Ceci correspond à deux cas : lobservation dune situation avant et après la modification dune variable ; lanalyse comparative de situations ne différant que par une variable.
Dans le premier cas, on se situe dans une logique dexpérimentation dans la mesure où le phénomène est observé avant et après modification dune variable, sauf que cette modification est indépendante de lexpérimentateur. Ce dernier profite donc dune situation quil na pas engendrée, autrement dit il ne crée ni ne contrôle la modification de la variable. Nous avons utilisé lexpérimentation naturelle pour apprécier linfluence possible de la conjoncture économique et sociale de la France sur le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Cest ainsi que nous avons pu comparer le comportement financier des migrants entre deux périodes de temps (1995 et 1997-1998) caractérisées par une situation économique et sociale différente (cf. section 2 du premier chapitre de la 2e partie). On peut aussi citer lexemple dune étude économique des effets de lintroduction dune taxe fiscale sur le comportement dinvestissement des entreprises dans une région donnée en comparant les situations avant et après que celle-ci soit introduite. On retrouve ici la difficulté déjà évoquée, à savoir si les conséquences observées sont réellement dues à la modification de la variable et non à dautres facteurs intervenant simultanément.
Dans le second cas, il ny a aucune modification des données des situations observées. Le chercheur compare seulement les deux situations qui ne diffèrent que par une seule variable. Si lévolution des deux séries dobservations est différente, la cause sera imputée à la seule variable qui différencie les deux situations. Cependant, lanalyse des observations est moins facile quil ny paraît au premier abord. Comme exemple dillustration de ce procédé, on peut citer la technique des suffrages séparés . Cette technique consistait à faire voter les hommes et les femmes dans des urnes différentes. Lobjectif de cette discrimination était détudier linfluence du facteur sexuel sur les résultats électoraux.
Lanalyse ex post facto, projective ou rétrospective, est un procédé particulier de traitement des données observées. Elle a pour but de reconstituer après coup lenchaînement des causes et des effets de phénomènes spécifiés, cet enchaînement étant la cause dune situation donnée.
Lanalyse ex post facto rétrospective vise à étudier les antécédents dun certain nombre de situations identiques et à rechercher dans ceux-ci les facteurs semblables qui pourraient être à lorigine de ces situations. Par exemple, dans une recherche sur lentrepreneuriat immigré, on pourrait constituer un groupe dimmigrés ayant créé une entreprise industrielle et, en remontant dans leur biographie, on examinera s'il n'y a pas dans leur passé des éléments similaires qui pourraient être considérés comme des facteurs déterminants de cet entrepreneuriat. Une autre variante de ce procédé consiste à sélectionner deux situations différentes et à voir si ces différences sont la conséquence ou non de différences significatives dans les antécédents de ces situations.
Avec l'analyse ex post facto projective, le chercheur part de situations caractérisées par certains facteurs et analyse ensuite l'impact de ces facteurs sur l'évolution postérieure de ces situations. M. F. Christiaensen (1935) a fait une étude sur les liens existant entre le niveau scolaire et la réussite sociale. Il a sélectionné deux situations des personnes de la même génération ayant fait la même école sont réparties en deux groupes selon qu'elles avaient ou non terminé leurs études en prenant en considération un facteur causal le niveau scolaire et en analysant ensuite les conséquences la position sociale de ces situations.
Par ailleurs, les économistes utilisent souvent la théorie des jeux qui constitue un exemple type dexpérimentation provoquée.
1.2 Lexpérimentation en économie : la théorie des jeux
La théorie économique s'intéresse essentiellement aux échanges matériels entre des agents considérés comme rationnels et autonomes dans le cadre de marchés. Cet univers est constitué dun environnement matériel et institutionnel. En théorie des jeux, les acteurs tissent un réseau de relations décomposées en actions isolées. Ces actions sont le produit dun processus rationnel délibéré reposant sur les croyances et les préférences des agents ; la coordination de ces actions aboutissant à une situation d'équilibre.
Dans le cadre plus général de la théorie économique, les acteurs sont des consommateurs ou des producteurs dont les offres et demandes de biens sur les différents marchés sont régulées par la variable d'ajustement, les prix. Ce corpus central, fondé initialement sur un modèle strict de rationalité, a subi des améliorations dans le sens d'une intégration de facteurs plus réalistes, en particulier la perspective temporelle (introduction des influences sociales), le caractère limité de la rationalité cognitive et la dimension institutionnelle existence d'agents collectifs rationnels ou d'institutions de coordination.
Dans une perspective empirique, la théorie des jeux est donc une expérimentation provoquée qui se fait le plus souvent en laboratoire. Il importe tout dabord de définir la théorie des jeux (1.2.1), puis dexpliciter ses postulats de base (1.2.2) et enfin dexposer sa portée et ses limites.
1.2.1 Définition et typologie des jeux
La théorie des jeux étudie linteraction stratégique des agents dans une situation donnée. Les jeux recouvrent diverses situations. Dun point de vue formel, la théorie des jeux sappuie sur les logiques épistémiques et les probabilités non additives pour formaliser les croyances croisées des joueurs et la notion centrale de connaissance commune (B. Walliser, p. 271). Dun point de vue descriptif, la théorie des jeux peut être définie comme un modèle conceptuel qui analyse les décisions dindividus en situation dinterdépendance, lorsque :
les avantages ou gains de chaque acteur dépendent de ceux des autres,
les gains de chacun dépendent des décisions des autres, et
les décisions de chacun dépendent des décisions des autres. Telles sont les bases stratégiques de la théorie des jeux. Le domaine d'application de la théorie des jeux est très large et englobe la presque totalité des sciences sociales car celle-ci s'intéresse aux relations des êtres humains en société. La théorie des jeux peut se décomposer en deux grands types : la théorie des jeux coopératifs et celle des jeux non-coopératifs.
Les jeux sont dits coopératifs lorsque des accords peuvent être passés entre les joueurs. Deux possibilités existent pour que ces accords puissent être respectés. La présence dune instance qui punit les acteurs qui trahissent les accords. Cette instance peut être un tiers telle une institution. Lautre alternative, cest la croyance par les acteurs de lexistence de sanctions effectives en cas de rupture ou de non-application des accords. Cette possibilité est souvent introduite sous forme dune convention tacite entre les joueurs.
Le non-respect des accords conduit à des représailles de la part des autres. Ces représailles constituent ainsi une incitation dissuasive et se caractérisent souvent par un ostracisme, le fautif étant exclu du jeu. Se pose toutefois le problème de la crédibilité des menaces. Cependant, dans les jeux non coopératifs, les accords entre joueurs sont possibles. Mais ils ne sont pas obligatoires et leur respect ou leur exécution dépend uniquement des opportunités de lacteur, doù limportance de la notion de réputation dans ce cas de figure.
La théorie des jeux non-coopératifs est l'instrument le plus important et le plus utilisé pour analyser l'interaction stratégique entre agents. Plusieurs variantes de jeux non-coopératifs existent : les jeux statiques à information incomplète, les jeux dynamiques à information incomplète, les jeux statiques à information complète et les jeux dynamiques à information complète. La théorie des jeux non-coopératifs a fait l'objet de nombreuses applications en économie. Pour ce qui suit, nous nous intéresserons aux seuls jeux non-coopératifs à information complète parce qu'il s'agit des situations les plus étudiées par les spécialistes de la théorie des jeux.
Il existe deux types de formalisation dun jeu non-coopératif à information complète. L'un consiste à décrire sa forme extensive, qui définit l'ordre des mouvements de la nature séquences ou états de la nature et éventuellement la distribution de probabilité associée à chaque mouvement, l'information, les choix et les gains dont dispose chaque joueur. Cette forme extensive est souvent représentée par un arbre du jeu caractérisé par un ensemble ordonné de sommets ou nuds . A chaque nud correspondent au moins deux possibilités d'action. Le choix d'une action donnée par un joueur est appelé une stratégie pure. En revanche, lorsque le choix se fait de manière aléatoire, on parle alors de stratégie mixte ; les actions possibles sont affectées d'une distribution de probabilité.
Chaque action comporte une utilité appelée gain ou encore paiement. Par souci de commodité, ces gains sont portés au bas de l'arbre et représentent souvent la somme des gains reçus le long des sentiers. Les gains correspondant aux stratégies pures deviennent des valeurs espérées de gains avec les stratégies mixtes.
L'hypothèse généralement admise est la connaissance commune . Elle stipule que tous les joueurs connaissent la structure de l'arbre et savent que les autres, leurs adversaires, la connaissent autant qu'eux, et ainsi de suite. Toutes les incertitudes exogènes, c'est-à-dire les états ou mouvements de la nature sont endogénéisées dans la structure de l'arbre.
Il importe de distinguer deux types de jeu : le jeu séquentiel et le jeu simultané, qui techniquement, correspondent respectivement à un jeu dynamique et à un jeu statique. Dans un jeu dynamique, un joueur a la possibilité d'observer les actions des autres avant de décider sa propre action, contrairement à un jeu statique. Chaque sommet de l'arbre constitue un ensemble d'information dans un jeu séquentiel alors que dans un jeu simultané ce sont tous les sommets de même niveau qui constituent un ensemble d'information.
L'autre type de formalisation d'un jeu est sa représentation sous une forme dite normale. Cette forme normale, généralement représentée par des matrices, n'est qu'un résumé de la forme extensive.
1.2.2 Les postulats fondateurs de la théorie des jeux
La théorie des jeux repose sur trois postulats fondateurs : le postulat dactorialité , le postulat de rationalité et le postulat de coordination .
Le postulat d'actorialité considère tout système socio-économique comme un ensemble d'acteurs entretenant des interactions réciproques dans un environnement commun. Ce système est subdivisé en deux sous-systèmes acteurs et environnement reliés par un réseau de relations denses. A l'intérieur de ce système, chaque acteur a son propre environnement, c'est-à-dire ses pairs avec qui il est en contact (accointances) et une portion de l'environnement commun avec qui il communique.
Les acteurs sont soit des individus isolés soit des organisations, définies comme des groupements d'individus et d'objets matériels dotées d'une unité structurelle et fonctionnelle et d'une cohérence suffisantes. Ils ont des caractéristiques physiques et psychologiques différentes et intrinsèques par rapport à leur environnement propre. Ils évoluent sous l'effet de leurs interactions changement de propriétés, entrée ou sortie du système.
L'environnement est décomposé en deux, un environnement matériel regroupant l'infrastructure physique et technologique et un environnement culturel constituant la superstructure idéelle et institutionnelle . Les institutions sont des entités fonctionnelles, dotées ou non de support organique, ayant pour rôle primordial de réguler les comportements des individus en fixant des règles du jeu qui peuvent être transgressées. Contrairement à l'environnement matériel, qui impose aux agents un certain nombre de contraintes presque incontournables, les institutions, composante essentielle de l'environnement culturel, peuvent faire l'objet de modifications délibérées à travers les comportements conjoints de l'ensemble des acteurs.
Chacune de ces deux entités évolue dans le long terme selon une dynamique qui lui est spécifique. Chaque entité ou élément les acteurs, l'environnement tant culturel que matériel possède un processus interne qui lui permet de transformer les influences subies provenant des autres éléments en influences exercées sur tous les autres éléments. On assiste à des influences mutuelles entre les entités (acteurs, environnements matériel et institutionnel).
Pour B. Walliser, chaque acteur est le lieu d'un processus de décision linéaire défini en trois phases, établissant un va-et-vient entre la sphère réelle où l'acteur se meut et la sphère mentale où il raisonne. Dans la phase d'information, l'acteur recueille des observations sur la situation passée et présente de son environnement, en particulier comme conséquence de son comportement passé. Dans la phase de délibération, l'acteur s'appuie sur cette information pour établir un diagnostic sur la situation présente, et établit un plan d'intervention pour faire évoluer cette situation dans un sens favorable. Dans la phase d'implémentation, l'acteur traduit son intention d'agir en un comportement concret, ce qui peut poser problème si les conditions d'application envisagées diffèrent par trop des conditions réelles . Le processus de décision est ainsi décomposé en trois temps forts correspondant à trois actes distincts.
Toute relation d'un acteur avec des pairs ou avec l'environnement général est décomposable en un ensemble d'actions isolables, simultanées ou séquentielles. Dans cette perspective, les relations entre acteurs sont transitoires et non permanentes. Les actions sont de divers types ; on distingue les actions unilatérales, les actions bilatérales exécution simultanée par deux acteurs , les actions singulières et les actions répétitives. Les rapports sociaux sont ainsi la résultante de l'ensemble des actions entre individus, lesquelles actions consistent essentiellement en échanges de biens matériels, de messages informationnels ou d'éléments mixtes tel que la monnaie.
L'ensemble des actions des acteurs et de leur environnement commun constituent l'état global du système, état qui évolue naturellement au cours du temps. Les interactions au sein du système engendrent une pluralité de réseaux enchevêtrés, dont les configurations structurelles rétroactions, arborescences déterminent en retour le fonctionnement de celui-ci.
B. Walliser présente deux configurations polaires, lorsque l'environnement matériel agit sur les acteurs sans réaction de ces derniers et lorsque l'environnement culturel se réduit à sa partie institutionnelle. Dans le premier cas ou schéma décentralisé , les actions bi- ou multi-latérales des agents se font sans aucune médiation institutionnelle, ce qui conduit à des causalités multiples et circulaires.
Dans le second cas ou schéma centralisé , les institutions jouent le rôle de médiateur, de centralisateur entre les acteurs, ce qui crée des causalités polarisées (vers un centre) et bouclées. Le système est en état d'équilibre lorsque les actions de tous ses éléments sont compatibles les unes les autres à travers les processus associés. Dans une perspective temporelle et en l'absence de perturbations externes, un état d'équilibre correspond à un état stationnaire.
En théorie de la décision, les actions des acteurs résultent d'un processus de délibération rationnel, c'est-à-dire que les acteurs recherchent parmi les actions disponibles celles dont les effets attendus s'avèrent les plus satisfaisants. En théorie des jeux, la coordination des actions, à travers un mécanisme non totalement explicite, conduit à une situation d'équilibre où chaque agent a optimisé son comportement en tenant compte de celui de ses pairs du fait de leurs interactions stratégiques.
En vertu du postulat de rationalité , toute action choisie par un acteur est une décision rationnelle car résultant d'un processus de décision rationnel. La sélection d'une action repose en effet sur une évaluation subjective de ses effets anticipés, dans un contexte donné. D'après le principe de conséquentialisme , l'appréciation des plans d'action s'effectue en fonction des seules conséquences anticipées alors que le principe d'opportunisme considère les effets prévisibles comme soupesés et agrégés sous forme d'avantages et de coûts. La phase de délibération permet à l'acteur de classer tous les plans d'action possibles, la phase d'implémentation transformant le plan d'action choisi en action mise en uvre.
Selon B. Walliser, dans le modèle de délibération le plus couramment utilisé par la théorie de la décision , le raisonnement de l'acteur est décomposé en trois temps, chacun faisant intervenir un déterminant de choix spécifique. Le premier est la génération des actions qui conduit à la construction d'un ensemble d'actions possibles sous la contrainte de l'environnement général matériel et institutionnel , en partant des opportunités offertes par les capacités et les ressources de l'acteur.
Le second, la prévision des effets, permet d'associer à chaque action, compte tenu des états futurs de l'environnement général, un quantum de conséquences anticipées, en se fondant sur les croyances de l'acteur relatives à l'état de fonctionnement actuel du système. En dernier lieu, l'évaluation des effets qui consiste à affecter une utilité plus ou moins synthétique aux conséquences objectives précédemment déterminées, en projetant sur elles les préférences de l'acteur.
Les deux temps extrêmes renvoient à la rationalité instrumentale de l'acteur, celle-ci lui permet de réaliser une adéquation entre ses moyens et ses objectifs afin de définir une action rationnelle. Cette rationalité, qui repose sur une logique interne à l'acteur, se fonde sur des préférences individuelles et sur des opportunités tant individuelles que socialement conditionnées. L'étape intermédiaire la prévision des effets , renvoie à la rationalité cognitive de l'acteur : celle-ci lui permet de réaliser une adéquation entre les informations qu'il dispose et les croyances qu'il adopte, pour déterminer une anticipation rationnelle.
Opportunités, croyances et préférences sont les éléments de la trilogie qui permettent d'expliquer toute action d'un acteur dans le modèle rationnel de décision. Ces trois éléments déterminants sont, provisoirement, des propriétés intrinsèques que l'on retrouve chez chaque acteur, propriétés simultanément exogènes par rapport à l'environnement propre de l'acteur et stables par rapport au temps. De plus, affirme B. Walliser, bien que destinés à être articulés formellement, ils (les trois déterminants) sont supposés indépendants entre eux dans leurs contenus, même si des phénomènes d'interaction ont parfois été mis en évidence. C'est ainsi que les préférences peuvent agir sur les croyances (wishful thinking, dissonance cognitive), les croyances sur les préférences (rationalisation ex post), ou encore les préférences sur les opportunités (autocensure) et les opportunités sur les préférences (sentiment de liberté) (p. 24).
Selon le postulat de coordination , les plans d'actions envisagés par les différents acteurs autonomes et rationnels sont mis en cohérence dans une situation d'équilibre, où aucun acteur n'a plus intérêt à changer de manière unilatérale son plan d'action retenu. La notion d'équilibre de Nash, élément central en théorie des jeux, pose trois conditions individuellement nécessaires et globalement suffisantes pour qu'un état d'équilibre atteint soit stable.
La rationalité instrumentale suppose que chaque acteur optimise sa décision, à partir de ses observations et de ses anticipations sur les variables exogènes et les variables d'action des autres. La rationalité cognitive implique la réalisation des anticipations des acteurs, c'est-à-dire la validation de leurs croyances sous-jacentes par les observations, sinon en tout état du système, du moins à l'état d'équilibre. La régulation globale assure enfin la compatibilité entre les deux premières conditions, soit par l'entremise d'une institution coordinatrice fictive, soit par les agents eux-mêmes qui favorisent cette institution.
Si lon ne sintéresse quà la rationalité instrumentale ou paramétrique, loptimisation de la décision de lacteur va seffectuer exclusivement à partir de lobservation des actions des autres, traitées comme des données parfaitement exogènes. La prise de décision se fait ainsi dans un environnement dont les caractéristiques sont données et connues de tous. Le comportement de lacteur est ici paramétrique car sa décision constitue une réponse optimale aux actions des autres, considérées comme indépendantes de la sienne propre.
Dans ce contexte se pose le problème de lexistence dun équilibre parce quil est a priori impossible que tous les acteurs fassent en même temps la même chose, à savoir à la fois observer les actions des autres et décider de sa propre action. Mais ce problème est résolu dès linstant où les théoriciens du jeu supposent lexistence dune instance régulatrice, un régulateur nashien , qui identifie les équilibres possibles et en choisit le meilleur pour les acteurs.
Si lon ne sintéresse quà la rationalité cognitive, loptimisation de la décision de lacteur va se faire uniquement à partir de son anticipation des actions des autres, elles-mêmes issues du même processus de décision. Dans cette situation, la rationalité des acteurs et leurs déterminants de choix ainsi que leurs anticipations sont supposés connus de tous le common knowledge. Lon se trouve ainsi dans un processus danticipations croisées à niveaux successifs sur les actions , un jeu de miroirs qui ne garantit pas une compatibilité des fonctions de comportement des acteurs. Dès lors, léquilibre de croyances ne sera pas le fait dune institution régulatrice, mais le résultat des interactions des acteurs. Cependant se pose le problème du choix dun équilibre particulier lorsquil existe une multiplicité déquilibres possibles.
La rationalité instrumentale et la rationalité cognitive senchevêtrent en proportions variables dans des notions déquilibre différentes de celles de la mécanique. La notion déquilibre corrélé implique la présence dune instance régulatrice (un corrélateur) qui identifie et propose stochastiquement diverses combinaisons dactions aux acteurs ; ceux-ci ayant tout intérêt à sy référer. La notion déquilibre rationalisable ne repose pas sur lexistence dune institution régulatrice mais admet que chaque acteur répond de manière optimale, en choisissant la meilleure action, à partir de son anticipation des actions des autres.
Léquilibre de Nash est un cas particulier de léquilibre corrélé lorsque les probabilités associées aux actions suggérées par lentité régulatrice aux acteurs sont constantes, et de léquilibre rationalisable lorsque le processus danticipations croisées sarrête dès le second niveau.
1.3 Apport et limites de la théorie des jeux
Comme tout outil danalyse théorique, la théorie des jeux comporte au moins un intérêt, ne serait-ce quune portée normative. Elle peut servir de support danalyse à plusieurs situations de la réalité concrète. Ainsi, nous tentons de lappliquer à lun des aspects du comportement financier des migrants, à savoir les transferts financiers (1.3.1). Cependant, la théorie des jeux nest pas dénuée dinsuffisances et par conséquent elle néchappe pas aux critiques (1.3.2).
1.3.1 Une tentative dapplication de la théorie des jeux aux transferts financiers
Lapplication de la théorie des jeux aux transferts financiers nest possible que si lon aménage certaines hypothèses de base. Dans cette perspective, le jeu ne repose plus uniquement sur une rationalité économique mais davantage sur une rationalité sociale. La rationalité sociale se définit ici comme lensemble des stratégies ou actions permettant dobtenir un résultat socialement acceptable cest-à-dire selon les normes sociales de la communauté considérée. Autrement dit, la rationalité économique des migrants est limitée par les contraintes quimposent les normes sociales communautaires.
Nous pouvons imaginer deux types de jeux théoriquement possibles. Il sagit de jeux séquentiels répétés et donc dynamiques avec un ordre préétabli des coups. Le nombre de répétitions du jeu est déterminé à la fois par la durée de la migration et par la rapidité de prise de décision des acteurs concernés. Le qualificatif dynamique souligne le caractère imprécis, en termes de durée temporelle, dune séquence de jeu.
Le premier jeu concerne le soutien éventuel des parents du migrant lors de son départ à lémigration et les éventuels transferts financiers effectués par le migrant pour ses parents. Le jeu débute au moment du départ du candidat à lémigration. Les parents sont les premiers à jouer. Ils ont la possibilité dencourager leur enfant, par un soutien actif financier et/ou moral , ou de le laisser se débrouiller tout seul. Une fois arrivé dans le pays daccueil, le migrant joue à son tour. Il a la possibilité daider ses parents, en leur envoyant régulièrement ou par moments de largent, ou de ne leur apporter aucune aide financière.
Le second jeu a trait à la régularité des transferts financiers et lutilisation qui en est faite par les bénéficiaires. Dun côté, le migrant qui souhaite maintenir les liens de solidarité familiale a le choix dopérer des transferts financiers réguliers ou irréguliers, voire exceptionnels. De lautre, les parents qui décident, une fois la couverture des besoins vitaux de la famille assurée, entre une affectation productive ou improductive du reste de ces transferts. Lintérêt évident dune affectation productive dune partie des transferts est de permettre aux parents bénéficiaires de se prendre en charge eux-mêmes.
La formalisation de ces deux niveaux du jeu bute sur des obstacles tant théoriques que pratiques. Les grandes sources de difficultés dapplication de la théorie des jeux aux transferts financiers peuvent être explicitées en trois points. La première est relative à lévaluation des gains, et ce dautant plus que le jeu est souvent à somme positive cest-à-dire lissue du jeu améliore simultanément la situation des participants. Le lien familial crée une situation daltruisme qui réduit voire annihile tout recours systématique au comportement égoïste et opportuniste.
La société privilégiant les actions tant individuelles que collectives à conséquence positive sur la famille et/ou sur lensemble de la communauté, chacun des acteurs, le migrant et ses parents, a tout intérêt à sinvestir dans le maintien et lapprofondissement des relations familiales. Il devient ainsi très difficile, si ce nest impossible, dévaluer en termes de gains les conséquences des actions des acteurs du jeu. Dans ce cas précis, la seule appréciation plausible, certes subjective, est dordre qualitatif.
La gestion du temps constitue la seconde difficulté. Comme signalé ci-dessus, il ny a aucune contrainte quant à la durée du temps nécessaire à une prise de décision de la part des acteurs. Chaque acteur a une liberté totale de fixer le moment qui lui semble le plus opportun pour jouer son coup . Ce degré de liberté élevé des acteurs rend incertaine la durée dune séquence de jeu. Un jeu séquentiel peut ainsi durer quelques minutes le temps déchanger des fax, messages électroniques ou téléphoniques tout comme plusieurs mois, voire plusieurs années.
La dernière difficulté, qui découle de la seconde, est la maîtrise des paramètres environnementaux. Entre deux séquences de jeu, lacteur qui doit jouer peut, sous linfluence dune médiation sociale par exemple, revoir sa décision. Il rejoue alors son coup. Ainsi, la prépondérance du rôle et de linfluence des règles du jeu social sur la décision de lacteur est telle quon ne peut considérer, à linstar de la théorie des jeux, que les stratégies des acteurs ainsi que leurs décisions sont purement individuelles.
Ces trois difficultés majeures font quune application de la théorie des jeux aux transferts financiers, plus précisément aux relations entre le migrant et sa famille voire sa communauté dorigine, ne peut se réaliser avec succès.
1.3.2 Intérêt et limites de la théorie des jeux
Le point essentiel est quavec la théorie des jeux on passe dune rationalité exclusivement paramétrique à une rationalité stratégique. En dautres termes, on passe dune situation où lHomo conomicus détermine ses choix indépendamment des choix de ses pairs à une situation interactive où il opère ses choix en anticipant les choix possibles et les anticipations des autres acteurs.
La théorie des jeux s'inscrit dans la ligne de la nouvelle micro-économie qui reconsidère deux hypothèses fondamentales de la théorie néoclassique standard, celle de l'information parfaite et celle du commissaire-priseur. La théorie des jeux prend ainsi en compte l'incertitude, le risque, l'inégale répartition de l'information entre les agents ainsi que les situations de conflit et de coopération existant entre eux. L'agent économique, toujours considéré comme rationnel, est amené dans certaines situations à mener des stratégies coopératives pour pouvoir maximiser sa fonction d'utilité.
Dans le cadre de cette théorie, les agents ne sont plus des automates mais des acteurs qui participent à un jeu régi par un ensemble de règles qui encadrent leurs décisions ou choix. Selon la situation du jeu, les joueurs adoptent des normes de comportement adéquates qui sont la conséquence de leur rationalité. Ces normes émergent du jeu lui-même, c'est-à-dire des interrelations entre acteurs, et permettent d'obtenir une solution d'équilibre. Les solutions les plus étudiées sont les équilibres dits de Nash. L'équilibre de Nash définit une solution où aucun joueur n'a intérêt de s'y écarter de manière unilatérale, autrement dit, chaque acteur du jeu doit maintenir sa stratégie inchangée.
L'hypothèse de rationalité étant supposée, chaque joueur prend une décision en intégrant dans sa stratégie le comportement de ses adversaires. L'objectif de chaque joueur est d'optimiser son utilité ou gain en écartant de ses choix, à chaque moment du jeu, les stratégies dominées. Ce processus d'élimination successive des stratégies dominées s'interrompt lorsqu'il ny en a plus et on atteint ainsi un équilibre appelé équilibre de Nash.
Le problème, c'est que ce processus, fondé sur la quête de l'intérêt personnel, peut aboutir à un équilibre Pareto-inefficient. Autrement dit, le comportement rationnel des joueurs conduit à une situation irrationnelle. Le dilemme du prisonnier est l'exemple le plus couramment utilisé pour illustrer cette situation.
Le principal message du dilemme du prisonnier, et ses multiples variantes, est de montrer que le comportement égoïste des individus rationnels conduit à une satisfaction suboptimale, cest-à-dire une satisfaction moindre que celle quils obtiendraient sils étaient non rationnels et altruistes. Le dilemme du prisonnier souligne en outre la nécessité de la coopération entre les acteurs du jeu pour obtenir un niveau de satisfaction optimale pour tous.
En effet, la logique de la récurrence à rebours conduit souvent à une solution sous-optimale dans le cas dun jeu fini. Pour sortir de ce paradoxe le comportement rationnel des acteurs aboutit à un résultat irrationnel , les théoriciens ont introduit une dimension infinie dans les jeux jeux répétés un grand nombre de fois pour démontrer la possibilité théorique dune issue collective rationnelle de type coopératif tout en gardant lhypothèse de la stricte rationalité individuelle. Cependant, ce résultat est obtenu au prix dhypothèses fortes notamment lintroduction dune certaine dose dincertitude en situation dinformation complète sur un horizon infini.
Mais, les théoriciens éludent le problème de la confiance qui est important dans les relations humaines. En effet, faute de certitude (et de garanties sûres) que les autres (acteurs) jouent le jeu (cest-à-dire quils coopèrent effectivement), personne na intérêt à le jouer . Surgit ainsi le problème de la confiance qui reste incontournable dans toute situation dinteraction humaine. Là aussi, subsiste le risque de non-respect de la parole donnée en ce sens (qu) il nest pas tenable de prétendre accorder sa confiance en laissant entendre quon le fait uniquement parce quon y a intérêt, car tel serait le plus sûr moyen de la voir trahie. Et cette seule remarque suffit, croyons-nous, à invalider la quasi-totalité des raisonnements qui sappuient sur la théorie des jeux, lorsque ceux-ci croient pouvoir édifier une science positive (et non seulement critique ou épistémologique) de laction ou de linteraction . Le maintien du caractère égoïste du comportement des acteurs rend très difficile lintégration de la coopération et surtout de la confiance dans lunivers du jeu. Or, considérer que les joueurs ne sont pas égoïstes, cest simplement sortir du cadre des hypothèses initiales de la théorie des jeux.
L'une des critiques les plus agressives adressées à cette théorie est la contradiction qui consiste à considérer simultanément le cadre institutionnel du jeu comme une contrainte conditionnant les choix des joueurs et comme le produit de ces choix. Une autre critique met l'accent sur l'impossibilité de l'émergence spontanée de normes issues des comportements rationnels des agents.
Les insuffisances et les limites de la théorie des jeux portent surtout sur le caractère irréaliste de certaines de ses hypothèses, en particulier la rationalité des agents économiques. La plupart des critiques qui lui sont adressées insistent sur le hiatus existant entre ces hypothèses et la réalité concrète.
Quant à la portée positive et normative de la théorie des jeux, B. Guerrien (1993) affirme que les outils offerts aux chercheurs par cette théorie ne permettent pas pour autant de résoudre leurs problèmes, et ceci pour trois raisons. D'abord, parce qu'elle ne dit rien sur l'origine du cadre institutionnel dans lequel s'insèrent ces modèles, cadre qui peut prendre les formes les plus diverses. Ensuite, parce que dans la plupart des modèles on se heurte à des problèmes tels que la multiplicité ou la sous-optimalité des équilibres, sans qu'il y ait de solution qui s'impose de façon indiscutable. Enfin, parce que l'analyse de l'interaction des comportements rationnels individuels devient rapidement inextricable dès que l'on sort du cadre ultra-simplifié des présentations habituelles en théorie des jeux (p. 99).
Les insuffisances et les limites de lexpérimentation en économie, en particulier de la théorie des jeux, nous ont conduit à utiliser comme instrument dinvestigation lentretien de récits de vie dont il est dabord question de prouver sa validité scientifique.
2. Lentretien comme instrument de recherche scientifique
La première enquête par entretien est souvent considérée comme ayant été réalisée en 1929 à la Western Electric. Elle portait sur les conditions matérielles de la productivité dans lentreprise. Les conclusions de cette enquête ont montré le rôle des relations interpersonnelles dans la motivation au travail. Le succès de cette expérience a encouragé les enquêteurs à poursuivre leur recherche sur les sentiments quéprouvent les ouvriers à légard de la maîtrise et de disposer de nouvelles informations qui seront utilisées pour améliorer leur formation. Lentretien, jusqualors considéré comme une simple conversation entre deux ou plusieurs personnes, est progressivement utilisé comme moyen dinvestigation.
La collecte de linformation par lenquêteur est faite dans un premier temps par une prise de notes et, dans un deuxième temps, par un enregistrement intégral de lentretien. Le récit correctement enregistré vaut en soi, par soi, comme source positive d'informations .
Loriginalité de lentretien réside à la fois dans le changement du mode dinterrogation et de la nature de linformation produite. On sort de la logique de linterrogation et on ne sintéresse plus à la question de lenquêteur mais bien à celle de lenquêté. Lentretien est une technique denquête qui met lenquêteur et linformateur dans une situation détroite collaboration. Lenquêté se trouve dans une situation où il ne répond plus à une question de manière ponctuelle mais où il produit un discours. Les rapports entre lenquêteur et lenquêté sont coopératifs.
Lenquêté, en tant quacteur social, parle souvent de sujets sans rapport avec les questions posées et soulève en même temps des questions qui peuvent faire lobjet dune recherche authentique. Il rejette implicitement les questions pré-construites quil juge non pertinentes. Son discours produit une masse dinformations qui permettent au chercheur de découvrir ses attitudes, ses conceptions et ses préoccupations du moment. Cest, peut-être là, la raison première de son utilisation dans plusieurs champs disciplinaires (2.1). En tout cas, cette raison est suffisante pour justifier notre recours à lentretien (2.2) mais aussi le nombre important détudes basées sur lentretien dont nous présenterons quelques exemples (2.3).
2.1 Une filiation pluridisciplinaire
Lorigine du recours à lentretien est très lointaine. Cependant, sil est vrai que lentretien suscite un intérêt certain chez beaucoup de chercheurs, il convient néanmoins de relever que sa fiabilité reste sujet à discussion. Il importe donc de présenter dans un premier temps lhistorique et le développement de lusage de lentretien comme instrument de recherche dans les sciences humaines et sociales (2.1.1). Le problème de la scientificité de lentretien mérite dêtre exposé dans un second temps (2.1.2).
2.1.1 Genèse et essor de lentretien
La filiation de lentretien de recherche est ancienne et complexe. En effet, la pratique de lentretien est plus ancienne que la date de 1929 évoquée précédemment. Lenquête sociologique réalisée de 1889 à 1891 par C. Booth sur les pauvres de Londres a, selon A. Blanchet et A. Gotman (1992), inspiré Du Bois, qui réalise en 1899 une étude sur la communauté noire de Philadelphie.
Du Bois combine divers moyens de collecte : lenquête directe sur le terrain, lobservation participante et létude documentaire et statistique. Pour autant, lentretien comme technique denquête ne sera théorisé pour la première fois quen 1943 par Roethlisberger et Dickson qui sont considérés comme les fondateurs de cet outil de recherche.
Le développement de cette nouvelle conception relève des insuffisances de linterrogatoire comme méthode dinvestigation dans les enquêtes sociales. Les réticences de certains enquêtés à subir linterrogatoire et la livraison par dautres dinformations de mauvaise qualité ont fait évoluer lenquête sociale vers une nouvelle conception de linvestigation qui exclut toute forme autoritaire de questionnement et favorise de surcroît le consentement et la collaboration du sujet à la production de linformation.
Le recours aux entretiens sinscrit également à la fois dans la perspective de changement du regard anthropologique sur les sociétés lointaines et dans les mutations de la thérapie des pathologies psychologiques. Ainsi, lobjectif recherché au travers de lutilisation de cette méthode diffère-t-il selon les disciplines.
En psychologie appliquée, J. Piaget (1926) a développé la méthode clinique qui repose essentiellement sur les entretiens. En se posant la question suivante : Quelles sont les représentations du monde que se donnent spontanément les enfants au cours des différents stades de leur développement intellectuel ? , lauteur tente détudier lun des problèmes les plus difficiles de la psychologie infantile : la réalité et la causalité enfantines. J. Piaget préfère la méthode de lexamen clinique à celles de lobservation pure et des tests puisquelle prétend réunir les avantages de ces dernières tout en évitant leurs défauts respectifs.
Historiquement issue de la médecine, la méthode clinique consiste, en étudiant les attitudes et conduites individuelles et leurs conditions, à établir des diagnostics et à proposer des thérapies. Les récits de vie constituent une source dinformations importantes pour les psychologues et les psychiatres qui lutilisent pour faire des diagnostics de leurs patients. Les entretiens cliniques ont donc une visée thérapeutique. Le discours du patient est un élément crucial dans la recherche de la thérapie appropriée. Le malade dispose des moyens danalyse de son propre discours et contribue ainsi à sa guérison. Elles sont aussi employées à des fins pédagogiques pour former et sensibiliser des maîtres à la compréhension de la dynamique des liens sociaux et de leurs effets sur la personnalité .
Ainsi, cette approche privilégie les entretiens non directifs car, nous dit J. Piaget, lart du clinicien consiste, non à faire répondre, mais à faire parler librement et à découvrir les tendances spontanées au lieu de les canaliser et de les endiguer. Il consiste à situer tout symptôme dans un contexte mental, au lieu de faire abstraction du contexte . Lentretien non directif est particulièrement adapté aux domaines de la psychanalyse et de la psychothérapie où le traitement repose fondamentalement sur linterprétation du discours du patient. Dans ces situations, chaque parole recouvre une signification.
Cette non-directivité ne suppose en rien labsence dhypothèse directrice, bien au contraire. Il faut savoir chercher quelque chose de précis, avoir à chaque instant quelque hypothèse de travail, quelque théorie, juste ou fausse, à contrôler , de sorte à éviter de systématiser des idées préconçues et de passer à côté des questions essentielles.
C. Rogers (1945) défend la non-directivité des entretiens cliniques car pour lui, cest la seule manière de conserver lintégrité psychique et lindépendance psychologique de la personne. La transposition de lentretien non directif du domaine thérapeutique à celui de la recherche a été réalisée par C. Rogers. Le point de vue directif sinscrit dans les valeurs du conformisme social et du droit du plus capable à diriger le moins capable. La profession de foi de la non-directivité est ainsi une philosophie sociale et politique autant quune technique de thérapie et sassocie, comme telle, avec les thèmes de liberté et de démocratie, et leurs illusions, utopies et rêves de modifier les relations entre les hommes .
Pour M.-O. Gonseth et N. Maillard (1987), lutilisation du récit de vie est une tradition essentiellement nord-américaine. Pendant tout le XIXe siècle, la littérature biographique aux États-Unis doit sa popularité à la description de la vie des grands chefs indiens. Ce recours massif à la méthode biographique constitue un moyen de sauver lHistoire et la culture des Indiens. Au milieu des années vingt les ethnologues ont dû donner la parole aux derniers témoins dépositaires de la civilisation indienne traditionnelle en voie de disparition pour sauver ce patrimoine culturel.
Ainsi dans la pensée de plusieurs auteurs, les récits de vie ont constitué lunique substitut crédible à la transmission orale des savoirs alors en phase de disparition. Dans cette perspective, lentretien ne nous semble pas être considéré comme une authentique approche méthodologique mais plutôt comme un moyen de recherche en dernier ressort.
Cest au début du XIXe siècle, aux États-Unis, que sont apparues les premières biographies indigènes. Mais celles-ci ne résultaient pas de procédé dinvestigation scientifique. Il faut attendre les années 20 pour voir la réalisation de biographies fondées sur des investigations scientifiques. Cependant, remarque F. Morin (1980), le recours significatif par les anthropologues à la méthode biographique remonte à cette période, avec notamment la publication en 1926 de l'ouvrage de Paul Radin, Crashing Thunder. Ce dernier utilise le matériau biographique pour mettre en lumière les réactions d'une personne face aux normes culturelles que lui impose sa société. Ce matériau brut, dont sa richesse réside dans l'abondance de sens qu'il fournit, permet aux ethnologues de restituer une culture quelconque de l'intérieur et d'expliquer la manière dont sont vécus de l'intérieur us, coutumes et institutions.
Le succès des autobiographies se justifie, selon D. Bertaux (1997), par le fait que ces matériaux mettaient à la disposition du grand public des témoignages émanant de régions de l'espace social auparavant dépourvues de tout accès à la parole publique et porteurs d'une charge d'authenticité considérable . Pour P. Lejeune (1980), la méthode biographique est un moyen d'expression des classes dominées.
Après 1945, les anthropologues américains ont pratiquement délaissé l'approche biographique qui se voit reléguer au second plan. Ceux-ci ont privilégié dautres matériaux de collecte de données, documents oraux et modèles structuraux abstraits. La disparition de la méthode biographique de la panoplie méthodologique internationale après la seconde guerre mondiale s'explique, selon D. Bertaux (1980), non par les faiblesses intrinsèques de ce matériau mais par des causes extrinsèques, à savoir l'hégémonie du survey research sur la sociologie empirique et celle du structuralisme sur la théorie générale.
Quant aux anthropologues français, F. Morin (1980) résume bien leur attitude ambiguë à l'égard de l'histoire de vie : certains la recommandent, d'autres l'apprécient mais ne pensent pas qu'elle apprenne quelque chose, beaucoup l'ignorent, très peu l'utilisent . R. Bastide (1960), critiquant l'orientation durkheimienne de C. Levi-Strauss, pense que l'ethnologie doit déchosifier les faits sociaux pour les humaniser . M. Mauss, lun des maîtres fondateurs de lanthropologie française, approuve lutilisation du récit de vie comme outil méthodologique.
Évoquant les principes dobservation, M. Mauss (1947) donne des instructions relatives aux différentes méthodes dobservation des phénomènes sociaux enquête extensive et enquête intensive (récit). Il insiste sur lavantage de lethnographie intensive qui permet de faire une observation approfondie dune tribu, observation aussi complète, aussi poussée que possible, sans rien omettre . Le récit constitue ainsi, pour M. Mauss, un moyen dinventaire qui peut donner dexcellents résultats.
Les années soixante-dix ont vu la profusion de travaux fondés sur la méthode biographique. Ce regain dintérêt est à mettre essentiellement, selon M.-O. Gonseth et N. Maillard (1987), au crédit de la radio et de la télévision qui ont produit et diffusé des récits de vie privilégiant lexpérience et le témoignage personnels.
Selon J.-P. Jelmini (1987), la science historique sest préoccupée des siècles durant de relater la vie des hommes illustres (rois, princes, etc.) et à sintéresser aux sociétés humaines et aux groupes organisés, et ce, dit-il, malgré quelques tentatives de renouvellement . Cest au cours de la première moitié du XXe siècle que la science historique a adopté lhistoire de vie comme un outil de recherche crédible en mettant lhomme au cur des préoccupations des historiens. Il définit deux types dhistoires de vie :
lhistoire de vie comme finalité ou lhistoire de vie-but qui consiste, à partir dune reconstruction biographique, à constituer lhistoire ou la vie des (grands) hommes, dans ce cas, lhistoire constitue le but à atteindre ;
lhistoire de vie comme source de la vie historique qui sappuie à la fois sur les documents émanant du personnage étudié sources endogènes tels que les journaux intimes, les livres de raison, les mémoires, les autobiographies, etc. et sur des documents dautres personnages sources exogènes tels que les biographies contemporaines, la présence dans les notes et correspondances dautrui, etc. Les histoires de vie-but vont naturellement se transformer en histoires de vie-source au cours de lévolution temporelle. Pour cet historien, la biographie idéale est celle qui parvient à réunir le maximum possible de documents endogènes et exogènes relatifs au personnage étudié et de les publier en totalité sous léclairage des notes des autres spécialistes et professionnels.
Par ailleurs, D. Bertaux (1997) propose une recherche ethnosociologique qu'il pense résolument objectiviste, au sens où son but n'est pas de saisir de l'intérieur les schèmes de représentation ou le système de valeurs d'une personne isolée, ni même ceux d'un groupe social, mais d'étudier un fragment particulier de réalité sociale-historique, un objet social ; de comprendre comment il fonctionne et comment il se transforme, en mettant l'accent sur les configurations de rapports sociaux, les mécanismes, les processus, les logiques d'action qui le caractérisent .
Dans cette orientation, le récit de vie lui semble l'outil idéal mais non exclusif car le recours à d'autres sources documentaires et d'autres formes d'observation est vivement souhaité, si cela est possible. Ainsi, chaque source, chaque technique productrice de nouvelles sources apporte sa pierre à l'édifice (la compréhension de l'objet social étudié). Le récit de vie, en tant que témoignage sur l'expérience vécue, apporte entre autres la dimension diachronique, qui est aussi celle de l'articulation concrète de 'facteurs' et de mécanismes très divers .
Prenant acte de la diversité des secteurs d'activité ou mondes sociaux des sociétés contemporaines, chaque secteur ayant sa propre sous-culture , la perspective ethnosociologique propose d'étudier un monde social centré sur une activité spécifique professionnelle, associative, culturelle ou sportive ou une catégorie de situation regroupant un ensemble de personnes vivant une même situation sociale chômeurs, personnes sans domicile fixe, etc.
La perspective ethnosociologique est à l'antipode de la démarche hypothético-déductive en ce sens qu'elle procède non par vérification empirique d'hypothèses élaborées en fonction de théories existantes mais par construction progressive d'un corps d'hypothèses plausibles qui repose sur la compréhension du fonctionnement interne de l'objet social étudié.
Les récits de vie enrichissent la perspective ethnosociologique en ce sens qu'ils permettent d'introduire la dimension diachronique facilitant ainsi la compréhension simultanée des logiques d'action dans leur développement biographique et les configurations de rapports et processus sociaux dans leur développement historique. Inversement, la perspective ethnosociologique oriente les récits de vie vers la forme de récits de pratiques en situation qui peuvent permettre, à travers les pratiques (expériences vécues), de saisir la reproduction ou les dynamiques de transformations des contextes sociaux au sein desquels elles se sont inscrites.
Lutilisation des différentes techniques de collecte de linformation connaîtra son essor avec lavènement de lÉcole de Chicago qui envisage létude des phénomènes sociaux in situ, cest-à-dire dans les espaces naturels où ils se déroulent.
Létude du mode de vie et des manières dêtre des Indiens dAmérique du Nord par les anthropologues Boas et Lowie ont beaucoup influencé les fondateurs de lÉcole de Chicago qui ont reconnu la nécessité de recourir à diverses méthodes dobservation entretien dhistoires de vie, archives, journaux, données statistiques, etc. Dans cette optique, lentretien est ainsi considéré comme un moyen de collecte dinformation quil faut associer aux autres types dobservation.
Toutefois, lentretien devient obligatoire pour toute étude ethnographique dun terrain. En effet, dans leur approche, les fondateurs de lÉcole de Chicago insistent sur limportance de la territorialité inhérente aux activités humaines et considèrent ainsi les objets étudiés comme des territoires à la fois sociaux et spatiaux. Lentretien est à cet égard, un moyen ou outil de rapprochement des personnes en contact entre elles et avec les autres, dans la complexité et la diversité de leurs relations, dans leur contexte social, et non pas comme personnes isolées ; ce qui est le cas lorsquelles sont approchées statistiquement.
Lécole de Chicago utilise lentretien pour appréhender la personne dans son environnement spatial et comprendre la mécanique du milieu urbain, tandis que les récits de vie, sinscrivant dans une perspective historique, permettent de saisir la personne à travers le propre témoignage de son vécu, de son histoire et surtout datteindre à travers elle la dynamique du changement social. Les récits constituent ainsi un puissant matériau sociologique qui, au-delà de la simple production dinformation, permet dappréhender la réalité sociale et historique. Il demeure cependant que la fiabilité scientifique de lentretien nest pas acquise demblée.
2.1.2 La validité scientifique de lentretien
La scientificité de lentretien comme instrument de recherche a fait lobjet de discussion vive notamment au sein même de la communauté des chercheurs qui y ont recours.
La position de C. Lévi-Strauss par rapport au récit de vie est très nuancée, voire même contradictoire. En effet, dans lAnnée Sociologique de 1940, C. Lévi-Strauss, commentant Soleil Hopi, vante les mérites du récit de vie. Le récit de vie permet, dit-il, de (réussir) du premier coup lentreprise sur laquelle sacharne, le plus souvent, vainement, le travailleur sur le terrain : celle qui consiste à restituer une culture indigène, si lon peut dire, par lintérieur, comme un ensemble vivant et gouverné par une harmonie interne, et non comme un empilage arbitraire de coutumes et dinstitutions dont la présence est simplement constatée . Ainsi, au-delà de sa valeur psychologique et romanesque, le récit de Talayesva apporte une moisson de renseignements sur une société pourtant connue. Mais surtout, (
) [il] réussit demblée, avec une aisance et une grâce incomparables, ce que lethnologue rêve, sa vie durant, dobtenir et quil ne parvient jamais à réaliser complètement : la restitution dune culture par le dedans, et telle que la vivent lenfant, puis ladulte .
Le récit de vie contraste ainsi avec lapparence de réalité que peut fournir lobservation externe. Ensuite, dans son compte rendu de louvrage de C. Kluckhohn, C. Lévi-Straus refuse le recours systématique aux documents biographiques puisquils ne permettent pas daccéder à la structure. Or, pour lui, seule la structure permet délaborer une théorie. Il récuse ainsi la validité scientifique du récit de vie en affirmant que l'expérience d'une personne ne peut être un objet scientifique. On retrouve le rejet de cet outil comme objet scientifique chez les structuralistes.
J. Copans (1974) juge dangereuse lutilisation du récit comme une approche scientifique suffisante. En effet, le récit de vie sert à vulgariser les informations anthropologiques et à illustrer le fonctionnement dune société donnée et exige nécessairement une analyse minutieuse des structures, des productions matérielles et mentales de celle-ci. Cet auteur considère lhistoire de vie comme un moyen de recherche complémentaire pour confirmer les résultats analytiques dune première recherche. Les biographies constituent, pour beaucoup dethnologues, une matière première, des données de première main qui requièrent un traitement critique et une prise en compte de leur caractère singulier.
J.-P. Jelmini (1987) affirme, quant à la validité scientifique de lentretien, que comme toute science, le problème de base en histoire réside dans la fiabilité des démarches. Or, de tous les éléments de lunivers, lhomme est lélément le moins fiable. On peut donc en conclure que, de tous les matériaux qui servent à lhistorien, lhistoire de vie, (...) est probablement la denrée la plus précieuse et la plus délicate à manipuler : sous ses airs de coffre à bijoux, elle cache souvent des surprises dignes de la boîte de Pandore .
Par ailleurs, W. Dilthey accorde une importance première aux représentations de la personne car, pense-t-il, le monde humain nest accessible que de lintérieur, contrairement au monde naturel que lon peut appréhender de lextérieur. Pour lui, lobjet des sciences humaines est de saisir de lintérieur la réalité historique et sociale dans ce quelle a de spécifique, par lexpérience et la compréhension. Dans cette optique, la méthode biographique peut être assimilée à lobjet même des sciences humaines en ce sens quelle permet par un processus interne de comprendre cette réalité historique et sociale. Doù lintérêt dy recourir.
2.2 Lopportunité du recours à lentretien
Dans les sciences humaines et sociales, on utilise généralement quatre méthodes de production de données qui correspondent chacune à un type de question spécifique : la recherche documentaire, lobservation, le questionnaire et lentretien. Le questionnaire et lentretien sont des méthodes de production de données verbales et semblent être relativement les plus importants. Lentretien est qualifié dapproche indirecte par rapport au questionnaire considéré comme une approche directe.
Les démarches méthodologiques sont différentes selon quon utilise lun ou lautre de ces deux types denquête. Chaque technique représente une situation interlocutoire spécifique qui aboutit à une production de données différentes : alors que lentretien engendre un discours (2.2.1), le questionnaire ne suscite quune réponse. Ces deux techniques ne sont pas exclusives, mais elles sont complémentaires (2.2.2).
2.2.1 Intérêt de lentretien pour notre étude
Le caractère récent (la fin des années quatre-vingt-dix) des recherches relatives au comportement financier des migrants en France et les insuffisances relevées ci-dessus concernant lexpérimentation en économie nous ont conduits à utiliser lentretien comme premier moyen dinvestigation de terrain.
Rappelons que lexpérimentation en théorie des jeux consiste à observer, par des simulations en laboratoire, le comportement dune personne ou les interrelations entre un petit groupe dacteurs, en modifiant certains paramètres environnementaux notamment institutionnels de la situation examinée. La méthode expérimentale en économie sintéresse principalement aux choix des acteurs en situation dincertitude, aux négociations bilatérales, aux équilibres de marché, aux mécanismes denchères et aux jeux avec coalitions.
Linconvénient majeur est limpossibilité de transposer les résultats obtenus, souvent avec des étudiants, du laboratoire à léconomie réelle à cause des différences denjeux et de délais dapprentissage. Ces limites ont conduit au recours à la quasi-expérimentation et à la pseudo-expérimentation .
La quasi-expérimentation consiste à étudier les acteurs en situation réelle avec toutes les influences quils subissent mais où certaines variables externes, en particulier de décision, sont volontairement modifiées par lexpérimentateur pour en apprécier les conséquences. Il existe là aussi des limites intrinsèques relatives notamment à la difficulté de maîtriser certaines variables.
La pseudo-expérimentation concerne lanalyse de situations historiques spécifiques telles les grandes crises ou les transformations institutionnelles importantes dans un contexte dabsence de contrôle des grandeurs. On peut citer lexemple du changement de régime politique et de la transition économique, le passage à léconomie de marché, dans les pays de lEst ou celui de la grande crise de 1929. Lavantage de cette expérimentation pour les économistes réside dans son caractère spontané, linconvénient étant lhétérogénéité des variables en cause ou la méconnaissance de certaines dentre elles.
En revanche, les récits de vie permettent grâce aux thèmes de lentretien de repérer les différentes variables et après analyse des résultats détablir les éventuelles relations existant entre ces variables.
Aussi, lentretien peut ouvrir des perspectives nouvelles à certains champs spécifiques, comme l'économie, voire favoriser la transdisciplinarité en mettant en exergue les logiques d'interdépendance, remettant ainsi en cause le compartimentage de certaines disciplines en champs séparés (exemple de la sociologie et de l'histoire, P. Thompson, 1980). Et cela est dautant plus nécessaire que certaines questions interpellent autant le champ de l'économie que celui de la sociologie et que les récits de vie peuvent en complémentarité avec d'autres méthodes permettent d'élucider. Cest le cas, par exemple, de létude du comportement financier des migrants.
Confronté à un problème spécifique de rareté relative de données concernant notre sujet de recherche, le comportement financier des migrants maliens et sénégalais, nous étions amenés à utiliser toutes les sources de données possibles pour en tirer le meilleur parti. La méthode biographique a été pour nous un précieux instrument de découverte de phénomènes.
Le recours aux entretiens de recherche peut donc être très utile à condition de les considérer comme un premier moment dune élaboration théorique construction dhypothèses notamment qui nécessite par la suite, si besoin est, une enquête extensive par questionnaire. Lutilisation diachronique de lentretien et du questionnaire pour un même sujet détude montre que ces deux méthodes de recueil de données ne sont pas antinomiques.
2.2.2 Complémentarité entre lentretien et le questionnaire
Contrairement à l'enquête par questionnaire qui procède par agrégation de données où les informations recueillies sont séparées de leurs origines et les références personnelles éliminées, le récit de vie offre des informations qui, par leur nature intrinsèque, constituent un tout cohérent.
Bien que co-construits par le processus interlocutoire, opinions et discours nont pas la même portée en termes dinformation. Lopinion ou lattitude produite par questionnaire implique une réaction des personnes interrogées à un objet acheté qui vient de lextérieur. De plus, les résultats dun questionnaire éludent le contexte dans lequel les réponses obtenues ont été formulées ainsi que les critères de jugement qui les ont sous-tendus.
Les discours recueillis par entretien ne sont pas le fait de la question mais lexpression dune expérience réelle ou imaginaire. P. Thompson (1980) doute de la pertinence de la distinction absolue entre interprétations subjectives et faits objectifs, du fait de leur imbrication ici comme partout ailleurs. Le récit de vie permet de saisir le caractère à la fois singulier et représentatif de chaque expérience sociale vécue par une personne, c'est-à-dire qu'il constitue une illustration concrète du phénomène ou de la structure sociale étudiée.
Ainsi, le type de données recherchées est le principal déterminant du choix entre le questionnaire et lentretien. Lentretien simpose en situation dignorance dun monde de référence ou de méconnaissance dun système de cohérence interne des données recherchées. En revanche, le questionnaire se fonde sur la connaissance préalable du monde de référence ou sur la maîtrise du système de cohérence interne des informations recherchées. Alors que le questionnaire sappuie a priori sur un choix de facteurs discriminants, lentretien nexige lui aucune hiérarchie déléments déterminants.
Ainsi, pour beaucoup dauteurs, le questionnaire suppose que le chercheur dispose dattitudes étalonnables et échelonnables , alors que lentretien lui, nexige aucune hiérarchie des domaines de laction humaine. Le questionnaire élabore ainsi une discrimination a priori tandis que lentretien ne permet une différenciation qua posteriori. Enfin, lentretien est très adapté à létude de la personne et des groupes restreints, mais il ne convient pas lorsquil sagit dinterroger un grand groupe de personnes à cause du coût (élevé) et du problème de représentativité.
Généralement, les auteurs s'accordent sur le fait que la valeur d'un questionnaire dépend de l'efficacité et la plausibilité des questions choisies en fonction des hypothèses formulées au début de la recherche. L'enquête classique est donc paralysée par toute découverte qui remettrait en question ses propres termes . Or, si les hypothèses sont le produit de résultats d'entretiens de récits de vie, ce problème de remise en cause ne se pose pas dans la mesure où, par définition, l'arrêt des entretiens repose sur la saturation de l'information concernant chaque thème.
Lenquête par entretien fait apparaître la logique et le fondement dune action ainsi que son principe de fonctionnement. Le questionnaire révèle les caractéristiques de la population étudiée et aboutit souvent à établir une relation de causalité entre les caractéristiques descriptives et les comportements spécifiés. Lentretien met en exergue le déroulement des choses, spécifie les éléments contenus dans les phénomènes étudiés et leurs interrelations, le fonctionnement et la logique de fonctionnement dun système, les logiques et les conceptions des acteurs qui déterminent les types de relation dans un espace social donné.
En comparant les entretiens aux questionnaires, il devient difficile déviter de se poser la question suivante : quelle est la technique la plus adéquate pour collecter des données ? Cette question, qui semble à première vue intéressante, est fondamentalement dénuée de sens car dune part ces deux techniques ne recueillent pas le même genre de données et dautre part ces types de données peuvent et doivent être complémentaires. À y voir de plus près, les données d'enquête par questionnaires et les témoignages des personnes sur leur parcours biographique sont, tous deux, par essence même de nature subjective.
Cependant, de nombreux chercheurs accordent plus de confiance, de crédit et donc plus d'objectivité aux données recueillies par questionnaire que celles obtenues par entretien. Ainsi le déficit d'objectivité dont souffrent les récits de vie n'est guère justifié. En effet, selon D. Bertaux (1997), une étude de l'INSEE, visant à comparer les données recueillies par questionnaire et celles obtenues par entretiens de récit de vie, a conclu que les informations contenues dans les récits étaient plus riches et plus fiables que celles fournies par le questionnaire.
Il existe aussi une différence fondamentale entre ces méthodes en termes dobjectifs, qualitatif pour lentretien et quantitatif pour le questionnaire. Le tableau suivant résume, à partir des critères qualitatif et quantitatif, les principaux traits caractéristiques de ces deux méthodes.
Tableau 2.21 : Analyse comparative du questionnaire et de lentretien à partir des critères qualitatif et quantitatif.
QualitatifQuantitatifLobjectif est de découvrir, de recenser et in fine de comprendre profondément les comportements et les opinions pour aboutir, en principe, à poser de nouvelles hypothèses de travail. Le but est de décrire, de mesurer, de compter, destimer des valeurs avec la plus grande précision possible afin de vérifier éventuellement des hypothèses préalablement posées . Le recueil de linformation sopère au travers dentretiens individuels ou collectifs (entretiens de groupe) avec un échantillon diversifié.Le questionnaire, réalisé face à face, par téléphone ou par lettre, sert de support pour recueillir les données avec un échantillon statistiquement représentatif. Le traitement des données se fait par une analyse de contenu ou une analyse linguistique pour décrypter les ressorts profonds et les messages que véhicule linformation issue des discours des enquêtés.Le traitement de linformation passe par lutilisation de logiciels statistiques qui fournissent des tableaux de chiffres ou de pourcentage, des graphiques, des courbes, etc. qui seront analysés par la suite. Prenons lexemple des transferts des migrants. Se demande-t-on pourquoi les migrants font des transferts, pourquoi certains le font et dautres pas, le repérage du sens de la causalité est essentiel pour déterminer le type denquête à privilégier. Si on interroge un échantillon de personnes sur leurs pratiques faites-vous des transferts ? et sur certains éléments supposés liés à ces pratiques nombre denfants et de femmes restés au pays, type de revenu, etc. , le questionnaire mettra en relation les pratiques et les caractéristiques déterminantes de ces pratiques.
En revanche, si lon veut connaître les raisons profondes qui incitent les migrants à faire des transferts financiers, le recours à lentretien est préférable. Lentretien permettra alors de découvrir les motivations qui animent les migrants, dans leur individualité et leur sociabilité, à faire des transferts et, en particulier, les réseaux de transferts financiers quils utilisent.
Une objection peut provenir du fait que ces questions peuvent être élaborées par un questionnaire plus ou moins ouvert. Mais dans ce cas, du moins, lintérêt dutiliser lentretien est double :
il autorise, plus que le questionnaire, des réajustements et des questionnements en cours de réalisation ;
et, le plus important, il permet de comprendre les articulations logiques qui relient tous ces éléments ainsi que la portée de ces éléments dans leurs contextes économique et social dans lesquels ils sont produits.
Dune manière générale, nous refusons pour notre part, comme C. Chabrol (1983), de faire une opposition des techniques de recueil de données discursives, orales ou écrites, qui peuvent en effet être utilisées pour une même enquête et complétées par dautres sources de données tel que le questionnaire car leur usage ne peut pas permettre à lui seul de définir une démarche de recherche spécifique et explicite en sciences sociales . Lentretien reste cependant fondamental pour certains types détudes.
2.3 De lusage de lentretien : quelques exemples
Lentretien est un moyen de recherche particulièrement puissant pour ce qui a trait à la vie personnelle, aux relations entre personnes au sein dune association ou dun groupement quelconque, le mode de vie des minorités et dune manière générale, tout phénomène social recouvrant des réalités complexes qui ne peuvent être comprises au travers de questionnements préconçus. Il demeure nécessaire dexpliciter les domaines effectifs dapplication de cette méthode (2.3.1) en évoquant quelques exemples détudes fondées sur elle (2.3.2).
2.3.1 Types dentretien et domaines dapplication
Les domaines dapplication de lenquête par entretien sont nombreux. La psychologie expérimentale utilise lentretien pour étudier laction humaine, la psychologie appliquée pour traiter le malade par exemple (la démarche clinique).
Lentretien est considéré comme un outil de recherche pertinent au contenu informatif et descriptif intéressant par les ethnologues qui y ont recours. En sociologie, nombreuses sont les études de communautés dites culturalistes qui se sont appuyées sur lenquête par entretien même si dautres moyens de collecte lui ont été associés. Les travaux américains ont permis le développement de ce type de collecte avec la mise au point dune méthodologie et des techniques particulières (entretiens focalisés par exemple).
Aujourdhui, lentretien est utilisé dans presque tous les domaines de la sociologie, chaque domaine lemployant pour des études spécifiques. De manière plus générale, de plus en plus détudes sont réalisées à partir de cette méthode : analyse des processus migratoires, de la culture, de léducation, des milieux sociaux, la connaissance des besoins du consommateur, etc.
Lentretien de recherche est de plus en plus utilisé dans les sciences appliquées. Dans une perspective de recherche psychosociologique, la recherche-action fait aussi appel au questionnement participatif, souvent par le biais dentretien de groupe (ou focus groupe), pour permettre délucider les enjeux institutionnels et de déceler les situations sociales conflictuelles et consensuelles entre certains groupes.
Lentretien de groupe obéit aux mêmes exigences de préparation et de réalisation que lentretien individuel. La seule différence concerne évidemment le nombre dinterviewés. Pour A. Giami (1985), lentretien de groupe consiste donc en une réunion de sujets porteurs de variables définies et nayant aucune relation préalable : ces sujets sont réunis dans le cadre matériel et institutionnel de la recherche pour débattre de problèmes qui sont censés les concerner et les opposer, à la demande du chercheur. Il sagit dun déplacement des acteurs engagés dans des situations réelles, dans une situation non moins réelle qui favorise une production discursive dégagée des enjeux sociaux immédiats .
Les focus groupes ont été utilisés comme principal outil de recherche socio-économique par léquipe dexpertise universitaire du projet euro facile . Lobjectif de ce projet était de produire, à partir de lanalyse thématique des résultats de ces groupes de discussion, un matériel pédagogique pour laccompagnement des personnes dites fragiles personnes âgées, personnes en situation précaire et aveugles dans leur adoption de leuro. Trente groupes ont été constitués et les thèmes de discussions portaient sur le rôle social de la monnaie, son histoire et sur lidentité.
Les résultats de cette étude montrent lexistence de divergences quant aux angoisses et aux espoirs suscités par leuro au sein des publics dits fragiles des différents pays étudiés Belgique, France et Italie. Cependant, les problématiques et les éléments psychosociologiques en jeu demeurent les mêmes partout : limbrication ou non des sentiments didentité nationale et didentité européenne, le sentiment de se faire avoir, la reconstitution dune échelle des valeurs .
Les logiques et les besoins des usagers de biens et services publics et privés ainsi que lévolution des politiques sociales de lÉtat logement social, chômage, prestations sociales, etc. sont mieux appréhendés au travers dentretiens. Ainsi pour A. Blanchet et A. Gotman (1992), lenquête par entretien constitue une forme cristallisée de la sociologie de lÉtat-providence et plus largement de la recherche sociale (p. 31).
Ces deux auteurs distinguent trois types denquête selon linflexion des axes de recherche : les enquêtes sur les représentations, les enquêtes sur les représentations et les pratiques et les enquêtes sur les pratiques. Les enquêtes sur les représentations visent à déceler les manières de penser de lenquêté et sont par conséquent centrées sur les opinions et les logiques subjectives de ce dernier. Elles nécessitent la production de discours à caractère modal ; cest-à-dire un discours qui tend à refléter létat psychologique de lenquêté.
Les enquêtes sur les représentations et les pratiques cherchent à connaître un système pratique les pratiques elles-mêmes et leur fondement et reposent sur la production de discours modaux et référentiels, cest-à-dire de discours qui décrivent létat des choses. Les entretiens peuvent être à la fois axés sur les conceptions des enquêtés et les descriptions des pratiques.
Les récits de pratique dans les entretiens permettent ainsi de déceler l'articulation représentation-conduite, processus interactif qui a une grande portée heuristique. Contrairement aux deux types dentretien précédents, lenquête sur les pratiques invite lenquêté à narrer, à décrire ce quil sait pour lavoir vécu et non ses croyances. D. Bertaux (1980, p. 209) assimile lenquêté à un informateur. Le discours est ici essentiellement référentiel et son organisation accorde une importance à la chronologie.
Lenquête par entretien se caractérise par la multiplicité des usages quon peut en faire et par son utilisation possible à nimporte quel stade du processus de recherche. Toutefois, il va ainsi jouer un rôle différent selon le niveau davancement de la recherche. D. Bertaux (1997) distingue trois fonctions des récits de vie :
la fonction exploratoire sert de tour d'horizon en offrant une première appréhension d'ensemble de l'objet social étudié et permet en même temps au chercheur de s'initier aux particularismes du terrain ;
la fonction analytique, se trouvant dans le prolongement de la précédente, cherche, à travers l'analyse progressive des transcriptions, des indices pour échafauder les hypothèses, les tester par la comparaison et ne retenir que les plus plausibles pour la construction du modèle. Elle se termine lorsqu'il y a saturation du modèle ;
la fonction expressive est différente des fonctions-recherche que sont les deux premières (exploratoire et analytique) car elle propose de publier intégralement les récits de vie ; ce qui engendre de fortes réticences de nombre d'universitaires à son égard.
Pour A. Blanchet et A. Gotman, les usages possibles sont très divers :
explorer et préparer un questionnaire ; ce qui correspond à la fonction exploratoire de D. Bertaux (1997) ;
analyser un problème et constituer la source essentielle dinformation ;
compléter une enquête ou replacer dans leur contexte des résultats déjà obtenus par questionnaire ou par source documentaire.
Le but de lentretien exploratoire consiste à expliciter les aspects dun phénomène et de susciter et/ou de compléter les pistes de travail du chercheur. Lentretien exploratoire nécessite en général la production de discours modaux qui permettent dappréhender les conceptions et les logiques qui structurent les pratiques des acteurs dun univers social donné.
Lentretien exploratoire est lui-même un processus exploratoire car il autorise, de manière permanente, un déplacement du questionnement et permet de vérifier et de reformuler constamment les hypothèses (voir P. Thompson, 1980). En cela, il se différencie fondamentalement du questionnaire, celui-ci ne peut intégrer aucune découverte (ou information nouvelle) aussi importante soit-elle qui remettrait en cause la pertinence des questions choisies une fois pour toutes en fonction de lhypothèse émise au début de la recherche.
Les récits de vie constituent, pour P. Thompson (1980), une combinaison dexploration et de questionnement, dans le contexte de dialogue dans lequel le chercheur est prêt à recevoir linattendu, et où les informations sont recueillies dans un cadre densemble déterminé par la façon dont linformateur voit sa propre vie. Le chercheur doit inscrire son questionnement dans ce cadre défini par linformateur et non linverse car la forme précise de telle ou telle question ne joue pas un rôle fondamental lors de lanalyse ; et lon peut, au fur et à mesure que lenquête progresse, sintéresser à des questions nouvelles, voire déplacer le centre dattention, sans pour autant mettre en danger la cohérence de lenquête .
Lentretien exploratoire na pas pour seul intérêt la pré-élaboration de lenquête principale mais aussi peut avoir sa propre finalité. Ainsi, dans notre exemple détude du comportement financier des migrants, il a non seulement joué un rôle préparatoire et complémentaire mais et surtout va permettre denrichir la compréhension des réponses obtenues par questionnaire.
Lenquête par entretien à usage principal est le plus souvent utilisé comme mode essentiel de collecte de linformation. Lentretien à usage principal suppose que les hypothèses aient été préalablement construites à partir dun modèle explicatif. Dans ce cas, le plan dentretien doit être structuré de sorte quil puisse permettre de confronter les données recueillies aux hypothèses détude. Lavantage majeur de lentretien à usage principal, est de pouvoir permettre au chercheur de forger un modèle socioculturel à partir de représentations individuelles.
Lentretien comme complément de recherche peut être réalisé en amont ou en aval dun questionnaire ou bien après ou en même temps quun autre mode denquête. Sa contribution diffère donc selon le cas de figure envisagé. Il permet soit de construire et dinterpréter les données, soit de les compléter ou bien encore denrichir leur compréhension. Lorsquil est postérieur à une enquête, un questionnaire dobservation ou une recherche documentaire, lentretien complémentaire sert à contextuer les résultats obtenus et à faciliter ainsi leur interprétation.
Lenquête par entretien peut être aussi réalisée en amont et en aval dune enquête par questionnaire. A. Blanchet et A. Gotman (1992) donnent un exemple de la circularité et de litération entre ces deux méthodes : la découverte du conjoint (M. Bozon, F. Héran, 1987 et 1988). Lobjet de cette recherche était détudier le fonctionnement concret du marché matrimonial en France depuis la première rencontre jusquau début de la vie conjugale voire jusquau mariage.
Les chercheurs ont successivement fait un entretien exploratoire, un questionnaire et un autre entretien. Lenquête par entretien leur a permis dune part de formuler leurs hypothèses et dautre part dinterpréter les résultats obtenus par le questionnaire. Dans cet exemple, lentretien a joué un rôle prépondérant dans létude.
2.3.2 Quelques exemples détudes fondées sur lentretien
Lentretien comme technique sociologique a été utilisé par Durkheim pour étudier le suicide. Durkheim avait mis en doute les informations fournies par les suicidographes terme par lequel Durkheim désigne les auteurs qui étudient le suicide. Pour lui, les renseignements de ces derniers nétaient que leurs propres opinions sur les raisons de ceux qui se suicident, et ne pouvaient en aucun cas élucider les véritables causes du suicide.
Les motifs évoqués se fondent sur des facteurs extra-sociaux états psychopatiques, facteurs cosmiques, limitation et les états psychologiques normaux et manquent de valeur explicative puisquils ne sont que les causes apparentes du phénomène. Il considère le suicide non comme un acte individuel isolé mais comme un fait social lié aux institutions sociales.
En sappuyant sur la variation du taux des suicides en fonction des divers contextes sociaux, il élabore une typologie théorique du suicide dont les deux grands types sont le suicide égoïste et le suicide anomique. Les manifestations individuelles des faits sociaux ne sont pas des phénomènes strictement sociologiques mais des phénomènes sociopsychiques puisquelles dépendent des circonstances singulières dans lesquelles est placé lindividu. Durkheim met laccent sur la nécessité de lentretien qui permet dinterroger et de saisir le sens que donnent les personnes et les groupes de personnes à leurs actions.
Lentretien peut également sinscrire dans la tradition de la sociologie compréhensive de Weber dont lobjet spécifique est lactivité, définie comme un comportement compréhensible par le sens que lui attachent les acteurs, sens à la fois subjectif et intersubjectif.
Contrairement à Durkheim qui sen remet à la psychosociologie pour comprendre les répercussions individuelles des faits sociaux , Weber met en évidence la rationalité des comportements et non leur trame psychique et reconnaît la subjectivité de lacteur social dans les contraintes de la situation et en interaction avec autrui .
Les deux sociologues prônent, bien que se situant dans des optiques différentes, lenquête par entretien qui, à travers le discours, permet de saisir les pensées des acteurs et leurs comportements sociaux.
Entre 1926 et 1944, plusieurs ouvrages biographiques sont parus dont certains ont connu un grand succès. F. Morin (1980, p. 318) cite, par exemple, la publication de lautobiographie de Don Talayesva, Sun Chief, par Leo Simmons. Cet ouvrage a le mérite déclairer plusieurs aspects de la culture Hopi la sorcellerie, linitiation, etc. En effet, la communauté Hopi croit en une cohorte de dieux et est répartie en plusieurs clans.
Chaque clan a des responsabilités rituelles qui lui sont spécifiques. Le clan est divisé en groupes cultuels et en confréries. Chaque cérémonie religieuse se déroule sous la responsabilité particulière dune confrérie. La date, le lieu dune cérémonie ainsi que les groupes cultuels qui y ont accès sont connus de tous. Les Hopi respectent et protègent jalousement leurs rites secrets qui restent, pour une partie considérable, impénétrables aux étrangers . Cependant, Leo W. Simmons a réussi, non sans difficultés dailleurs, à convaincre Don C. Talayesva, témoin sensitif et averti du conflit entre la tradition et la modernité.
Cet ouvrage a aussi engendré des conséquences positives tant sur le plan méthodologique avec le renouvellement de la technique que sur le plan ethnologique avec lapport dune masse dinformations sur une société supposée déjà bien étudiée. Cette période coïncide avec le développement du courant de pensée Culture et personnalité dont les partisans ont des avis différents à légard de cette méthode. Daucuns, comme E. Sapir, prônent lutilisation de la biographie, alors que dautres, comme F. Boas, se méfient des histoires de vie à cause des défaillances de la mémoire.
P. Thompson (1980) propose d'étudier le changement social et ses acteurs à partir de l'utilisation conjointe des sources orales et des récits de vie . Les récits de vie introduisent la dimension temporelle dans l'analyse sociologique tandis que les entretiens d'histoire orale fournissent des éléments d'une généralisation sociologique descriptive sur une époque donnée. A travers plusieurs exemples, il montre que cette approche, qu'il qualifie d'ethno-historique, combinant l'observation et la théorisation, permet d'avoir une nouvelle appréhension de la question du changement social. Il réfute les explications des causes du changement social axées exclusivement sur les lobbies et manuvres habiles des structures institutionnelles collectives syndicats d'ouvriers, groupes de pression organisés, partis politiques et les idéologies sur lesquelles elles reposent.
Bien que ces forces jouent un rôle important comme agents de changement à travers l'expression de profondes contradictions de l'organisation économique et sociale, elles ne peuvent cependant tout expliquer. Les configurations changeantes de myriades de décisions individuelles ont au moins autant, voire plus, d'influence sur le changement social : c'est l'effet cumulatif des pressions individuelles au changement (p. 260), qui ne peut être saisi que par l'entremise des récits de vie.
Cependant, il ne considère pas l'approche biographique comme une méthode indépendante, ni comme une panacée, mais suggère de reconnaître au rôle des individus en tant que tels un statut à part entière dans la structure même de l'interprétation du changement social.
J. Poirier et S. Clapier-Valladon (1980) reconnaissent la dimension subjective inhérente aux récits de vie tout comme aux divers types de documents personnels qui expriment tous, à des degrés divers, une relation de soi à soi . Le recours aux récits permet aux auteurs de disposer simultanément de discours autobiographiques et d'informations sur la réalité sociale puisque l'enquêté est considéré comme témoin de son environnement, de son époque. Ainsi, c'est à travers des informations recueillies auprès de l'enquêté que l'on parvient à apprécier les genres de vie et les modes de pensée de son groupe d'appartenance. C'est dans cette optique que ces deux auteurs ont forgé le concept d'ethnobiographie.
B. Bensoussan et H. Pommier (1991) proposent un modèle explicatif du monde de la soierie lyonnaise, à partir dune approche ethnographique essentiellement fondée sur des entretiens de récits de vie axés sur lhistoire des artisans et le devenir de leur métier. Ces récits servaient de complément à lhistoire écrite mais et surtout ils permettaient de saisir la mémoire des savoir-faire techniques en voie de disparition ainsi que les logiques et les conditions sociales contemporaines de ce milieu artisanal.
Les artisans soyeux sont confrontés à des logiques contradictoires de conservation dune image de marque fondée sur la fabrication traditionnelle de produits de qualité, dune part, et dadaptation de leur activité à limpératif industriel de modernisation quexigent la demande et la rentabilité de la production, dautre part. Toutefois, subsiste un monde restreint dartisans soyeux qui continue de sappuyer sur lhystérésis de leur capital symbolique, cest-à-dire sur lactivité technique traditionnelle et sur léthique du travail soigné en faisant ainsi abstraction des logiques du marché . Cependant, létroitesse de la demande de soierie de luxe hypothèque la perpétuation de ce petit monde.
A.-N. Perret-Clermont et P. Rovero (1987) présentent un exemple dhistoire de vie dune famille italienne émigrée en Suisse pour mettre en exergue larticulation entre discours et pratiques dans le déroulement de la vie dune famille. Leur analyse débouche sur une conclusion-hypothèse, à savoir que le discours conflictuel, manifestation flagrante de lopposition verbale des parents, a contribué à la perpétuation de la relation de complémentarité de cette famille et au maintien du système familial en place.
Dans la perspective de psychologie clinique, D. Rapoport (1979) a réalisé une enquête par entretiens auprès de 120 mères et de leur 120 enfants qui ont bénéficié dune méthode particulière de naissance sans violence développée par le Docteur Leboyer (1974). Cette méthode visait lamélioration de lenvironnement et des conditions psychologiques pré-, péri-, et post-natal de la mère et de lenfant.
Lobjectif de cette étude était de mieux comprendre cette expérience et voir son impact. Les résultats de cette étude témoignent (dune part,) dun développement psychomoteur et dun comportement adaptatif global particulièrement évolués et équilibrés et dautre part, dun environnement psychologique favorable à la mère et au nouveau-né.
Enfin, dans une optique danalyse socio-économique de lexclusion, D. Vallat (1999) a eu recours aux récits de vie pour appréhender la diversité des parcours dexclusion et les différentes stratégies mises en uvre par les personnes interviewées pour sen sortir.
Encadré 2.31 : Lentretien de recherche comme une transaction
A plusieurs reprises, nous avons constaté lutilisation, à propos de lentretien de récit de vie, de termes tels quéchange, rémunérations, dons et contre-dons, partenaires, contrat de communication, rencontre, autant dindicateurs qui nous amènent à considérer lentretien de recherche comme une transaction au sens des institutionnalistes.
Lanalyse institutionnaliste des transactions sinscrit exclusivement dans la perspective marchande. Or dans le cas de lentretien, on ne se trouve pas dans une situation de transaction marchande ; sauf à considérer les récompenses financières ou en nature comme le prix à payer pour obtenir de linterviewé les informations recherchées. Pour les institutionnalistes, une transaction se définit non seulement par un échange mais surtout par les règles qui le régissent, en amont comme en aval.
Se pose alors naturellement la question de savoir en quoi consiste léchange et quelles sont les règles de cet échange ?
Les règles sont les droits et obligations que souscrivent en commun accord les deux partenaires et qui visent à piloter le cadre de leur échange verbal. Il est évident que le contenu des droits et obligations est différent dun contrat à lautre. Cest le contrat initial avalisé le plus souvent implicitement par les partenaires qui constitue pour nous le contrat moral ex ante, avant lentretien de recherche.
Le début de lentretien marque simultanément le début dexécution du contrat, exécution qui se poursuit bien après la fin de lentretien pour se terminer effectivement à la publication des résultats de lentretien. Au cours de lentretien, chacun des partenaires veille implicitement à lapplication des règles préétablies.
Remarquons que ce contrat de communication, que D. Bertaux (1997) qualifie de contrat dentretien , contribue certes à la réussite de lentretien de recherche mais ne le conditionne aucunement. Ce contrat moral octroie simplement un caractère légitime à lexistence de lentretien, cest-à-dire le fait que linformateur accepte, au travers des règles de léchange déjà instituées, de sexprimer sur le sujet de la recherche.
Cette situation accrédite le caractère scientifique de lentretien dans la mesure où toutes les étapes de lentretien sont connues davance et peuvent ainsi être plus facilement maîtrisées par le chercheur. Qui plus est, tout le processus de lentretien, damont en aval, peut être vérifié par des personnes tierces qui disposent désormais dinformations plus précises pour formuler éventuellement des critiques plus avisées.
Lexistence de lentretien repose sur le respect de la parole donnée, sur la confiance que lon peut avoir sur quelquun. En revanche, les paramètres qui assurent le bon déroulement de lentretien de recherche relèvent de la responsabilité de lenquêteur qui doit maîtriser ce que beaucoup dauteurs appellent la situation de lentretien (cf. supra, la réalisation de lentretien). Linterviewé participe aussi, naturellement, à la réussite de lentretien car seule la compréhension réciproque des acteurs en présence rend possible la communication.
Un manque de compréhension au cours du processus de léchange peut être fatal pour la suite ou même bloquer léchange. Car, nous disent A.-N. Perret-Clermont et P. Rovero (1987), les individus protègent leur équilibre en mettant en place des processus de défense pour tenir à labri dincompréhensions et de violences cette partie intime (leur être propre) de leur compréhension de leur propre existence (p. 121).
Quel peut être le contenu dun contrat moral dentretien ? On retrouve dans chaque contrat moral, les éléments suivants :
- un accord sur la finalité de léchange. Le chercheur évoque la nature de ses motivations et les enjeux de sa recherche. En effet, linterviewé relate tout ou partie de la trame de son existence et se sent parfois contraint, sans même sen rendre compte, de révéler des secrets qui pourront ultérieurement (après publication) compromettre sa position familiale ou sociale ;
- le résultat de la négociation des conditions de la relation de recueil du récit lieu, durée probable, conditions financières (salaires éventuels, le cas échéant son montant). La production dun récit dentretien suppose dabord de trouver des personnes qui acceptent de sexprimer sur le sujet de la recherche. Lengagement initial de linformateur se fonde, le plus souvent sur des conditions matérielles et financières.
Nombreux sont les chercheurs qui ont dû payer leurs informateurs pour obtenir leur aval : on est ici dans une situation déchange où linformateur produit un discours en contrepartie du salaire et/ou des avantages matériels reçus du chercheur. M.-O. Gonseth et N. Maillard (1987) parlent à ce propos de dons et contre-dons et donnent plusieurs exemples. Cette situation influe naturellement sur la relation entre les partenaires et par conséquent sur la production discursive.
Nous distinguons trois types de contreparties que peut recevoir linformateur du chercheur :
- une indemnité financière ;
- des avantages matériels ;
- un engagement solennel de ne pas trahir lessence de son discours, linformateur exigeant même parfois de prendre connaissance du texte avant quil ne soit publié. Dans ce cas, le récit est perçu par linformateur comme une sorte de valorisation, de caution positive (...) comme un moyen de reconstruire sa vie et de (se) donner une image de lui-même qui soit suffisamment cohérente pour être communiquée à autrui (p. 39).
P. Bourdieu (1986) dénonce cette tendance de valorisation (ou dauto-valorisation) de linformateur et parle dillusion biographique. C. Chabrol (1983) se pose même la question de savoir si la personne choisie ne considérerait-elle pas ce choix ou cette sélection comme une récompense (en se disant pourquoi moi ?). Toutefois, il considère lusage de récompenses financières comme une pratique relativement courante. Au cours des séances dentretien, des enjeux affectifs peuvent surgir favorisant ainsi des échanges significatifs de biens matériels et symboliques (O. Lewis et la famille Sanchez, par exemple).
Les personnes, comme le remarque fort justement D. Bertaux (1997), ne se confieront que si elles ont confiance ; c'est donc au chercheur d'inspirer ce sentiment de confiance. D. Bertaux (1997) parle de contrat d'entretien qu'il semble situer uniquement au moment de la première prise de contact au cours de laquelle il suggère au chercheur (ou à son intermédiaire) d'informer le sujet des intérêts de la recherche, de son objet d'étude, et de définir ainsi une orientation générale de l'entretien. Il insiste sur la clarté de l'explication pour éviter une mésentente ou une perception différente du pacte que le chercheur et le sujet ont scellé ensemble.
Conclusion du chapitre 2
Lentretien constitue un outil de recherche particulièrement intéressant, voire indispensable, pour ce qui a trait à la vie personnelle, aux relations entre personnes au sein dune association ou dun groupement quelconque, le mode de vie des minorités et dune manière générale, tout phénomène social recouvrant des réalités complexes qui ne peuvent être comprises au travers de questionnements préconçus.
Lenquête par entretien se caractérise par la diversité des usages quon peut en faire et par son utilisation possible à nimporte quel stade du processus de recherche. Toutefois, il va ainsi jouer un rôle différent selon le niveau davancement de la recherche.
Lentretien à usage principal est le plus souvent utilisé comme source essentielle de collecte de linformation. Il suppose que les hypothèses aient été préalablement construites à partir dun modèle explicatif. Le cas échéant, le plan dentretien doit être structuré de sorte quil puisse permettre de confronter les données recueillies aux hypothèses détude.
Lentretien exploratoire consiste à expliciter les aspects dun phénomène et de susciter et/ou de compléter les pistes de travail du chercheur. Il est lui-même un processus exploratoire en ce sens quil autorise, en cours de réalisation, un déplacement du questionnement et permet de vérifier et de reformuler constamment les hypothèses.
Enfin, lentretien à usage complémentaire peut être réalisé en amont ou en aval dun questionnaire ou bien après ou en même temps quun autre mode denquête. Son apport est différent selon le cas de figure envisagé. Il permet soit de construire et dinterpréter les données, soit de les compléter ou bien encore denrichir leur compréhension.
Aujourdhui, lentretien de recherche est de plus en plus utilisé dans les sciences sociales et appliquées. Les multiples exemples que nous avons évoqués dans la section 2 de ce chapitre montrent limportance du nombre de ses domaines dapplication.
Dans notre exemple détude du comportement financier des migrants maliens et sénégalais, lenquête par entretien a joué un rôle prépondérant. En effet, lentretien a non seulement joué un rôle exploratoire construction des hypothèses détude et complémentaire mais et surtout il va permettre denrichir linterprétation et la compréhension des réponses obtenues par les questionnaires.
Conclusion de la première partie
La lecture des différentes théories explicatives de la migration internationale suscite deux remarques importantes. La première est relative à la prééminence de lanalyse proposée par la théorie néoclassique standard sur celle des autres théories. Or lexplication fournie par la théorie néoclassique nest guère satisfaisante puisquelle repose fondamentalement sur une vision très étriquée et simplificatrice de la réalité. En effet, luniformité postulée du comportement rationnel de lhomo migrator est une hypothèse très réductrice de la réalité car elle ignore totalement les différences notables dun groupe de migrants à un autre.
Parmi la multiplicité des différences possibles, une seule nous semblent essentielle et mérite dêtre évoquée en ce sens quelle révèle en même temps les limites de lanalyse standard de la migration. Cette différence est que les candidats à la migration nont pas la même capacité de recherche et surtout de traitement de linformation disponible relative aux données économiques et sociales des pays de départ et daccueil. Ce constat disqualifie demblée lhypothèse dinformation parfaite et complète de la théorie standard. A cet égard les modèles de contrainte et de connaissance présentent un intérêt tout particulier en prenant en compte létat des connaissances du candidat. Mais le fait que la décision du candidat est considérée comme optimale limite la portée de ces modèles.
En effet, dans un contexte dasymétrie de linformation et de capacité cognitive limitée des agents, il paraît plus crédible et plus acceptable de parler avec H. Simon (1980) de décision satisfaisante que de décision optimale. Lidée de H. Simon (1980) est de proposer une simple règle de satisficing (satisfaction) à la place de la règle doptimisation de la théorie standard. La règle de satisfaction repose sur les principes de la rationalité limitée et de la rationalité procédurale tandis que la règle doptimisation se fonde sur la rationalité substantielle.
Dans la règle doptimisation, le candidat à la migration se situe dans un univers walrasien et par conséquent il dispose de toutes les informations nécessaires et suffisantes lui permettant de prendre une décision optimale, à savoir son pays de destination. A linverse, dans une règle de satisfaction, le candidat a une rationalité limitée car il dispose dune information limitée dont il traite pas à pas, doù la procédure. Pour chaque destination, tour à tour, il évalue les avantages et les coûts puis décide dy aller ou pas, cest-à-dire quil accepte ou rejette cette destination. Cette procédure cesse à la première destination acceptée.
La seconde remarque est liée à labsence détude approfondie sur le comportement financier des migrants, en particulier les migrants maliens et sénégalais résidant en France. Les rares études qui leur sont consacrées se sont presque exclusivement intéressées aux transferts financiers des migrants et aux investissements collectifs de leurs associations. Or il ne sagit là que deux des multiples aspects du comportement financier tel que nous lavons défini dans lintroduction générale.
La connaissance des autres aspects du comportement a nécessité, compte tenu des limites de lapproche à macro-échelle, un recours aux récits de vie. La méthode des récits de vie nétant pas utilisée en sciences économiques, il fallait donc lexposer tout en montrant son caractère scientifique et pluridisciplinaire et surtout son utilité pour la thèse.
Après avoir présenté et justifié la méthodologie générale de la thèse, il importe détudier, dans une deuxième partie, les déterminants et les conséquences du comportement financier des migrants maliens et sénégalais en France.
Partie II : Typologie du comportement financier des migrants : déterminants et conséquences
Introduction de la deuxième partie
Larticulation de deux types denquête entretiens de recherche et questionnaires répond au souci de favoriser une meilleure compréhension aussi exhaustive que possible du comportement financier des migrants maliens et sénégalais résidant en France. Dabord, lemploi des récits de vie, dont nous venons dexposer la méthode dans la première partie, va nous permettre de saisir des faits et de disposer déléments qualitatifs sur le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Le recours à loutil statistique va nous permettre dans un deuxième temps davoir des données statistiques relatives à la représentativité et à la distribution des faits ainsi mis en exergue.
Lanalyse des résultats denquête ne se fonde pas uniquement sur la théorie économique. Plusieurs économistes tels que P. Hugon (1993) et F. R. Mahieu (1990) ont reconnu la nécessité de mobiliser dautres approches disciplinaires pour étudier le comportement économique des Africains. La prise en compte déléments sociologiques et anthropologiques est indispensable pour une meilleure compréhension du comportement économique des Africains et des économies africaines. Cependant, cette nécessité dintégrer dans lanalyse économique des éléments sociologiques et anthropologiques nest pas spécifique aux Africains. Elle reste valable pour tous les acteurs économiques, et ce quelle que soit leur région de localisation.
La rationalité supposée par la théorie économique est dans le contexte africain une rationalité socialement contrainte en ce sens que le calcul utilitariste, si on ladmet en tant que tel, sopère sous le contrôle social. Par conséquent, toute étude économique des pays africains ou du comportement des Africains nest pertinente que lorsquelle intègre des inputs socio-anthropologiques. Ce constat nous invite à inscrire létude du comportement financier dans une perspective essentiellement socio-économique.
Cette partie présente ainsi un intérêt tout singulier puisqu'elle nous permet de mieux cerner le comportement financier des migrants maliens et sénégalais mais aussi de voir dans quelles mesures les migrants pourraient contribuer au développement économique de leur pays dorigine.
Cette partie va donc s'articuler autour de quatre chapitres. Le premier chapitre introductif est consacré à lexposé et à la discussion des résultats des entretiens au terme desquels seront explicitées les hypothèses relatives au comportement financier des migrants maliens et sénégalais résidant en France. Le second chapitre présentera les déterminants du comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Le troisième s'intéressera à un aspect particulier mais essentiel du comportement financier des migrants, à savoir les pratiques et logiques de lépargne collective. Le dernier chapitre traitera des conséquences du comportement financier des migrants sur le développement économique de leur pays dorigine.
Chapitre 1 : Résultats dentretiens et discussion
Pour appréhender le comportement financier des immigrés maliens et sénégalais, cest-à-dire lensemble de leurs pratiques et attitudes face à l'endettement, l'épargne et son affectation, nous avons utilisé les entretiens de récits de vie pour pouvoir fonder les hypothèses de travail sur la réalité des faits observés auprès de cette population.
Les entretiens de récits de vie que nous avons eus avec des migrants et groupes de migrants sénégalais et maliens onze au total vont nous permettre de construire nos hypothèses de travail. Celles-ci sont le fruit des conclusions de l'analyse des informations recueillies auprès de la population cible (voir annexe 4 pour la pratique et les techniques danalyse de lentretien). Quatre thèmes ont été abordés au cours des entretiens : les motivations originelles des migrants (section 1), les aides familiales et les transferts (section 2), les relations avec les institutions financières (section 3), et les projets dinvestissement (section 4).
1. Les motivations originelles des migrants maliens et sénégalais
Le comportement financier est déterminé en partie par les motivations profondes initiales de l'émigration (1.1). En effet, le migrant qui a quitté son pays à la quête d'un travail pour satisfaire des besoins précis réaliser un projet, entretenir sa famille ne se comporte pas a priori de la même manière qu'un autre motivé par l'aventure, l'envie de découvrir autre chose. Cette distinction va nous permettre de proposer une typologie des motivations de migration chez les maliens et les sénégalais (1.2).
1.1 Les mobiles de lémigration
Les raisons qui ont conduit les personnes à migrer sont en outre essentielles pour comprendre leurs comportements et leurs pratiques dépargne. L'aventure, l'envie de connaître autre chose ont souvent été évoquées par les personnes enquêtées. Rappelons que l'analyse néoclassique considère le différentiel de rémunération entre les nations , conséquence d'une division internationale de travail inachevée, comme la cause de la migration. Pour les autres théories économiques explicatives de la migration internationale, les causes, l'ampleur et la configuration des mouvements internationaux de personnes doivent être recherchées dans l'évolution même du système capitaliste.
Pour mieux saisir les causes de l'émigration d'après la Seconde Guerre mondiale, il est nécessaire de s'inscrire dans une perspective dynamique, c'est-à-dire de privilégier l'histoire très récente, à compter de cette date, des pays concernés, à savoir le Mali et le Sénégal. Dans ce cadre d'analyse, l'émigration revêt deux formes successives différentes dans le temps, chacune ayant ses propres caractéristiques. Elle comprend donc deux phases.
La première, que nous nommons l'émigration aventurière , s'étend de l'après-guerre au milieu des années 70. Elle correspond à l'appel de travailleurs immigrés notamment africains par les pays d'Europe dévastés par la guerre. La reconstruction rapide de ces nations exigeait le recours à une main d'uvre étrangère relativement bon marché et acceptant toute sorte de travail pénible délaissé par les autochtones.
Durant cette période, les économies agropastorales en Afrique se portaient bien. La croissance économique était au rendez-vous. Les échanges commerciaux de matières premières avec les pays occidentaux procuraient d'importants revenus aux agriculteurs et étaient sources d'aubaines fiscales pour les états africains. Dans cette situation, les volontaires à l'émigration n'avaient essentiellement comme justificatif que l'aventure, la découverte de la culture européenne puisque aucune cause purement économique ne pouvait être avancée.
C'est ainsi que la première génération d'immigrés sénégalais et maliens s'est constituée: c'étaient essentiellement des Sarakholés et des Toucouleurs de la région fleuve du Sénégal. A ceux-là s'ajoute une petite fraction de la première vague d'étudiants africains venus acquérir en Europe des connaissances d'administration et de gestion. Ces derniers étaient séduits par la culture occidentale, ce qui revient à valider la thèse de l'aventure.
La seconde phase est en rapport avec la dégradation de la situation des zones rurales africaines, caractérisées par un appauvrissement des terres et des conditions climatiques désastreuses. En effet, elle a démarré non pas avec le ralentissement des activités économiques productives de l'occident suite aux chocs pétroliers mais bien avec l'apparition et la persistance de la sécheresse dans les pays africains dans les années 1978-1980. Cette dernière a eu des conséquences néfastes sur les économies africaines qui furent frappées de plein fouet par la crise de la principale activité, à savoir l'agriculture. C'est l'apogée de l'exode rurale vers les centres urbains.
Les effets de la crise se propagèrent à l'ensemble des villes engendrant un chômage massif. Villes et campagnes connaissent alors des difficultés croissantes avec l'application des plans d'ajustement structurel et de leurs kyrielles de conséquences sociales. Les agriculteurs ne peuvent plus emprunter les engrais et semences à cause de la libéralisation du système ; et les emplois salariés sont encore rarissimes en ville. Cette situation de crise généralisée a favorisé la migration de la seconde génération : c'est la migration de survie économique et financière.
L'émigration est une question de survie car pour un enquêté, émigrer c'est quitter un endroit où on ne peut pas satisfaire ses besoins (économiques et financiers) pour aller dans un autre où cela est possible . L'avantage de migrer réside, nous explique un autre, dans le fait que les immigrés arrivent au moins à (mieux) vivre parce qu'en restant au Sénégal, (avec pour corollaire un taux de chômage élevé), on ne gagne pratiquement rien. Il n'y a plus d'espoir .
Le manque d'infrastructures économiques et sociales a poussé nombre de Sénégalais et de Maliens à aller dans les pays riches où ils espèrent trouver du travail. Plusieurs des migrants interrogés affirment avoir envie de réussir leur vie, l'objectif étant pour nombre d'entre eux de pouvoir entretenir leur famille restée au pays et d'aider le plus possible de parents qui en ont besoin. Par ailleurs, certaines personnes ayant un emploi salarié stable parfois très qualifié, ont préféré arrêter leur travail pour s'émigrer. Elles évoquent encore l'aventure comme argument justificatif de leur acte.
Un de nos informateurs était agent commercial technico-agricole à Dakar. Il affirme avoir eu un peu soif d'aventure et particulièrement la curiosité d'approfondir surtout mes connaissances, ce qui m'a poussé d'une part à arrêter cette activité professionnelle pour venir en France . Deux autres migrants se trouvent dans la même situation. L'un sénégalais, était employé dans une société qui s'occupait d'agroalimentaire et du bâtiment dans l'espace sous-régional ouest-africain. L'autre, malien, était électricien à Bamako. La raison avancée peut à première vue sembler idéaliste mais la réalité est tout autre. En effet, la raison profonde est d'ordre financière.
Derrière le mot aventure se cache la véritable motivation, sous-jacente, à savoir la recherche de moyens financiers suffisants pour réaliser leurs propres désirs. Ces personnes étaient des soutiens de famille. Elles ne pouvaient pas satisfaire leurs besoins propres à partir de leurs revenus composés essentiellement voire exclusivement de salaires à cause de la solidarité familiale.
Par exemple, au Sénégal, on trouve facilement plus d'une dizaine de personnes dans une maison dont une ou deux personnes seulement travaillent, et souvent pour des salaires modestes. Celles-ci assument alors généralement toutes les charges financières du ménage. Elles sont donc contraintes à limiter leurs désirs et à différer, malheureusement de manière souvent persistante, la réalisation de leurs projets.
La contrainte budgétaire est, pour ainsi dire, un facteur de blocage pour ces derniers. Il sera plus facile, pensent-ils, d'aller dans un pays développé où le pouvoir d'achat est beaucoup plus élevé et l'épargne plus facile à constituer. Ainsi, nous confie un de nos informateurs, c'est plus facile pour moi de réaliser mes projets dans un pays européen que dans un pays africain . L'idée implicite qui en découle est qu'il considère, comme bien d'autres personnes d'ailleurs, que la famille est synonyme de parasites, de prédatrice financière . A cet égard, l'immigration constitue pour certains un moyen de diminuer progressivement voire de faire disparaître la pression familiale.
1.2 Une proposition de typologie des motivations
Il ressort de lanalyse précédente trois types de motivations à l'émigration chez la population cible :
l'aventure, certaines personnes avaient envie de découvrir la culture occidentale, par curiosité ou par aspiration profonde. L'image magnifique que les populations africaines reçoivent de l'Occident en général, à travers les média, les a beaucoup influencée ;
la survie économique ou la satisfaction des besoins vitaux ! Des chômeurs sans revenu et souvent sans espoir de retrouver une situation stable et correcte dans leur pays ont préféré migrer vers les pays développés où ils espéraient trouver un travail.
la survie financière ou la recherche de l'autonomie financière suffisante pour être à même de pouvoir réaliser des projets. Il s'agit de migrants qui avaient délaissé leur travail à cause d'insuffisance de leur revenu salarial. Celui-ci ne leur permettait pas d'assurer simultanément l'aide familiale et de subvenir à leurs propres besoins.
Chacune de ces trois motivations exerce une influence différente sur le comportement financier des immigrés. Il y a aussi un effet d'entraînement dû aux retours réussis de certains immigrés qui vivent dans de très bonnes conditions. Ils se font une bonne image sociale dans leur entourage. Cette situation incite ainsi beaucoup de gens à s'expatrier puisqu'ils constatent, comme le souligne un migrant, que l'immigré a réalisé beaucoup de choses : il est parti, il est revenu, il a tout, maison, voiture, bref disons qu'il a des sous grosso modo .
Cette motivation n'est jamais explicitée par les immigrés que nous avons rencontrés mais elle n'apparaît souvent qu'implicitement dans leurs discours. Ainsi, un migrant affirme être influencé par son père qui a réussi sa vie en France ; Il a subvenu aux besoins de sa famille et a réalisé beaucoup de choses , poursuit-il. Un autre s'était inspiré de son frère migrant qui lui a donné une envie de s'expatrier. Il affirme avoir une motivation en fonction de ce que son frère a amené (argent, matériels), de ce qu'il est devenu (nouveau statut social), ainsi de suite .
Pour ce qui concerne les raisons du choix du pays d'accueil, la proximité linguistique a été le facteur le plus déterminant. Les personnes étaient très sensibles aux territoires des ex-colonisateurs. L'itinéraire de migration proches, parents ou voisins, influe aussi sur le choix de la destination des candidats au départ. C'est par référence à nos parents, par coutume, que je suis venu en France , nous précise un migrant.
Le comportement financier des immigrés ne peut être bien compris que si l'on s'intéresse aussi aux logiques de leurs pratiques de transferts financiers vers leur pays d'origine.
2. Aides familiales et transferts
En Afrique subsaharienne, les personnes sont constamment en famille. Le mode de vie est complètement différent de celui des Occidentaux ; laffirmation de la primauté du groupe sur la personne est toujours de règle. Or, la migration est synonyme d'éclatement et de multipolarisation de la famille. Ainsi, l'éloignement de la famille n'est pas une chose simple à vivre ; il peut peser énormément voire lourdement pour certains migrants.
Cependant, le contact avec la famille reste permanent. Les échanges de nouvelles se font assez régulièrement. Les aides financières se maintiennent et se manifestent au travers de transferts financiers ou en nature équipements ménagers, cadeaux. La solidarité communautaire s'effectue par le biais d'organisations de migrants notamment les associations villageoises.
Nous discernons quatre types de transferts :
les transferts contraints ou encore dits dépargne-consommation différée dans l'espace parce qu'ils sont destinés à l'entretien de la famille au sens strict (femme(s) et/ou enfant(s)). Il ne sagit donc pas à proprement parler dépargne ;
les transferts-soutiens à la famille au sens large (père, mère, frère(s), sur(s), cousin(s), tous les parents). L'aide financière aux parents se fonde certes sur la solidarité et sur l'éducation reçue mais aussi sur la reconnaissance de cette dette familiale. Nombreux sont ceux qui ont été soutenus par leur famille pour pouvoir migrer (billets d'avion) ;
dans une perspective proche se situent les transferts aux amis et parents d'amis ;
et les transferts pour constituer une épargne financière ou épargne-investissement dans le pays d'origine.
Il est évident que l'importance et la fréquence de ces types de transferts sont différentes. Si l'on peut facilement admettre que les transferts contraints sont plus réguliers et plus importants, rien ne peut être avancé quant aux autres types de transferts. Pour les années 1995-1996, le montant total des transferts courants de fonds des immigrés sénégalais de France vers leur pays sest respectivement élevé à 237 et 311 millions de francs français. Ce qui correspond à un montant moyen de transfert par Sénégalais de 6 522,64 francs en 1995 et de 8 559,24 francs en 1996 soit une progression de 31,2 %. Les Maliens de France ont envoyé, pour les mêmes années, 25 et 117 millions de francs français à leurs familles. Cela représente un montant moyen de transfert par Malien de 832,58 francs en 1995 et 4,7 fois plus en 1996, soit 3 896,49 francs.
Lépargne financière destinée à acquérir des actifs physiques ou financiers en France est bien distincte de l'épargne-retour constituée uniquement en vue du retour et souvent auprès d'organismes financiers du pays d'accueil. Cependant, ces deux types dépargnes peuvent coexister pour une même fin ou pour la réalisation de plusieurs projets. Les trois premiers types de transferts correspondent à des investissements sociaux pour entretenir des réseaux de relations et de solidarités familiales et communautaires.
En effet, ces investissements sociaux constituent une protection de l'immigré qui souhaite rentrer ultérieurement dans son pays contre tout ostracisme familial et/ou communautaire. L'incertitude liée notamment à la précarité de l'emploi incite certains immigrés à s'assurer contre le risque d'exclusion et de non-assistance en cas de besoin de la part de leurs proches. A cet égard, les dons envoyés aux parents et amis peuvent être assimilés à une prime d'assurance.
Il importe toutefois de distinguer les transferts intergénérationnels en Afrique noire des transferts financiers effectués par les migrants. Les transferts financiers sont caractérisés par une diversité de types que nous venons de définir. En effet, seuls les transferts contraints et les transferts-soutiens correspondent aux transferts entre générations. Lutilisation du qualificatif contraint trouve sa justification dans le fait quel que soit le lieu de résidence, même dans le pays dorigine, le migrant doit toujours assurer la couverture des besoins vitaux de sa famille.
Deux types danalyses ont été proposés pour expliquer les transferts financiers interpersonnels en Afrique noire. La première consiste à considérer les transferts interpersonnels comme une taxe ou un impôt communautaire obligatoire. La seconde analyse met en avant la logique de rationalité économique des Africains en considérant les transferts interpersonnels comme des assurances individuelles au sein de communautés où nexistent ni marchés de capitaux ni système de sécurité sociale. Autrement dit, les choix individuels daffectation des revenus ne sont pas contraints par les exigences de solidarité communautaire. Ainsi, les transferts interpersonnels relèvent uniquement de calculs économiques.
Chacune de ces deux analyses, prise séparément, ne peut suffire à expliquer les transferts financiers des migrants vers leur pays dorigine. Dune part, malgré lexistence de groupes communautaires en France, les migrants ne subissent pas forcément de pression communautaire. À supposer que cela soit vrai, dans ce cas seul un type de transferts financiers est affecté, à savoir les transferts contraints. Dautre part, lexistence dun système de sécurité sociale et des marchés de capitaux en France nempêche pas de considérer les transferts interpersonnels au sein des structures associatives de migrants comme système dassurance (cf. chapitre 3 de la 2e partie).
Cest en prenant en compte ces deux approches des transferts interpersonnels que lon peut analyser de manière réaliste les transferts financiers des migrants vers leur pays dorigine et les transferts inter-migrants au travers de leurs structures associatives.
On peut ainsi analyser les transferts contraints et les transferts-soutiens comme une opération de prêt ou de remboursement de crédit selon le statut des destinataires, parents ou enfants. Le migrant rembourse à ses parents le crédit de la couverture alimentaire, sanitaire et scolaire dont il avait bénéficié lorsquil vivait chez ces derniers.
De la même manière, les transferts destinés aux enfants pour assurer leur couverture alimentaire, sanitaire et scolaire constituent un prêt que le migrant accorde à ses enfants. La couverture scolaire correspond aux dépenses engagées pour la formation des enfants autrement dit des investissements en capital humain. Cependant, il sagit dune dette spéciale car ne reposant sur aucun contrat écrit mais uniquement sur un contrat tacite. Le non-respect de lengagement naboutit pas à une sanction pénale mais bien à une sanction morale et familiale qui peut passer dun ostracisme temporaire à une exclusion définitive du réseau familial et social.
Les transferts individuels sont, semble-t-il, effectués essentiellement de manière individuelle. Trois options sont ici possibles. On a tout dabord loption formelle qui consiste à utiliser les outils de transferts des institutions financières (2.1). On a ensuite loption informelle qui consiste à confier son argent à des personnes qui vont au pays (2.2). On a enfin loption semi-formelle qui consiste à sadresser à des structures spécialisées dans les transferts (2.3).
2.1 Les transferts effectués par les institutions financières
Cette option est probablement la plus courante. Cest la principale motivation dépargne bancaire, et ceci est confirmé à la fois par les enquêtes menées auprès des migrants et celles menées auprès des banques. Cest la raison pour laquelle la rémunération importe peu, les migrants recherchent avant tout la minimisation des frais inhérents aux transferts et surtout la possibilité de pouvoir disposer des fonds à leur guise et dans des délais minimum à leur retour au pays.
Au-delà de ce constat, on se heurte ici à la difficulté dobtenir des données chiffrées, tant sur les montants des comptes d'épargne des migrants maliens et sénégalais que sur leurs transferts. En particulier, il est difficile de différencier la clientèle de migrants du reste de la clientèle et de différencier pour les transferts le pays de destination.
Les problèmes évoqués par les migrants existent à la fois dans les pays d'origine et d'accueil. Au niveau de la France c'est tout d'abord la limitation du montant des transferts à un seuil de 1 000 francs par la Poste qui pose problème. Un migrant qui veut envoyer de l'argent à une même personne, 3 000 francs par exemple, doit faire trois mandats de 1 000 francs et par conséquent payer trois fois les frais de transfert. Le coût unitaire de cette opération est souvent jugé élevé par certains migrants. En particulier, ceux qui font des virements à partir de filiales, succursales ou bureaux de représentation de banques africaines. Certes plus commode, le virement coûte relativement cher à la personne qui le fait cela dépend de la banque africaine en question.
Encadré 2.11: Analyse comparative des frais de transfert
Daprès nos enquêtes, les instruments de transferts les plus utilisés en France par les migrants sont : le virement bancaire, le mandat carte de La Poste et la mise à disposition bancaire (exemple du système Western Union)
Les différences de qualité et de coût font que ces instruments sont appréciés diversement par les migrants. Prenons lexemple de trois montants de transfert et comparons leurs coûts :
Montant du transfertMandat carteWestern UnionBanque BRED7003412696,4818003916296,4835005425296,48Les frais relatifs aux ordres de transfert à létranger sont différents selon les banques. Par exemple, pour la Banque Populaire (BRED), le coût est de 96,48 francs pour tout montant de transfert inférieur à 500 000 francs. Au-delà de cette somme, la banque applique un taux de 0,12 % sur le montant du transfert. Cette formule intéressante comporte un inconvénient majeur, à savoir que le destinataire doit être titulaire dun compte bancaire. Les mandats postaux ont les coûts les plus faibles mais aussi le temps de transfert le plus long, la durée minimale étant dau moins une semaine. A lopposé, les fonds transférés par le système Western Union sont disponibles en moins dune heure mais pour un montant de frais beaucoup plus élevé.
Le tableau suivant résume les principaux avantages et inconvénients de chacun de ces instruments :
InstrumentsAvantagesInconvénientsVirement bancaire- Rapidité- Sécurité- Coût élevé- Le destinataire doit avoir un compte bancaireMandat carte- Coût faible- Simplicité- Délai longWestern Union- Simplicité- Sécurité- Rapidité extrême- Coût élevé
Louverture de comptes dépargne bancaire par certains migrants répond principalement à leurs besoins deffectuer des transferts financiers. La non rentabilité financière des opérations de transfert pour les institutions financières françaises les conduit à naccorder aucun intérêt particulier à la clientèle immigrée. Lamélioration des conditions de transfert ne peut donc provenir de ces institutions financières.
Au niveau des pays d'origine, plus particulièrement au Sénégal, la longueur du délai de réception est un problème récurrent. Daprès les migrants, il arrive souvent que les fonds ne soient pas disponibles, ce qui pose des problèmes lorsque les transferts sont effectués pour des besoins de consommation urgents. Au cours de cette période d'attente certaines familles sont obligées d'emprunter à leurs amis ou voisins pour assurer leurs dépenses quotidiennes.
Les détournements de mandats sont aussi un problème évoqué ; les migrants soupçonnent les agents de caisse de prélever régulièrement une partie des fonds, les coûts de retrait étant jugés très élevés. LUnion des travailleurs sénégalais en France/Action revendicative déclarait le 22 février 1995 que très peu sont les mandats payés à leurs destinataires dans des délais et conditions acceptables . Elle affirme aussi que les postes du Sénégal sont devenues des locaux aux caisses vides parce que les fonds destinés à payer les mandats sont utilisés par le gouvernement à dautres fins : boucher des trous que les immigrés et les travailleurs de notre pays nont pas creusé. Cette pratique a un seul nom : cest un détournement .
2.2 Pratiques de transferts informelles
Face aux problèmes évoqués lors des transferts, mobiliser les réseaux personnels apparaît plus sécurisant. Lorsqu'un adhérent part en vacances dans le pays, il est souvent sollicité par un ou plusieurs autres qui lui donnent de l'argent pour leur famille. La procédure se fait de manière totalement informelle et dans la plus grande discrétion. Confiance et proximité jouent le rôle de garanties. Lorsquil sagit de membres du même groupe, ce qui est souvent le cas, la pression sociale collective offre des garanties supplémentaires. Toutefois ce type de transfert présente quelques limites. Il ne peut en aucun cas répondre à des besoins urgents dans la mesure où il dépend des opportunités de déplacements de lentourage familial ou amical.
Par ailleurs confiance et pression sociale nexcluent pas les comportements déviants . Il arrive que la personne chargée de la commission en utilise une partie pour faire face à des besoins urgents ; sil sagit de besoins prioritaires de santé notamment , ce sera très probablement toléré par la communauté . Remarquons ici que les détournements sont beaucoup moins fréquents lorsque les deux personnes font partie du même groupe. Enfin, les migrants qui rentrent avec un montant important de devises ont souvent des problèmes avec les agents de la douane. Ainsi, certains d'entre eux préfèrent amener le minimum nécessaire pour leur séjour.
Outre les problèmes de coûts et de délais, il peut arriver parfois que la famille détourne lusage prévu de largent du transfert pour satisfaire des besoins urgents. On assiste ainsi à la mise en place dorganisations spécifiques, formelles et semi-formelles, qui cherchent à pallier aux principaux problèmes rencontrés dans les transferts officiels comme informels.
2.3 Lémergence de nouvelles pratiques
Ainsi, face aux différents problèmes évoqués, des organisations se sont créées pour offrir aux migrants des services financiers appropriés. Parmi celles-ci, nous trouvons des structures formelles et des structures qualifiées de semi-informelles dans la mesure où elles ont un statut officiel sans être institutionnalisées et pleinement reconnues par lÉtat.
Nous exposerons tout dabord lexpérience dune structure semi-formelle qui effectue des transferts financiers et en nature (2.3.1) puis celle dune structure spécialisée dans les produits dassurance et dépargne (2.3.2).
2.3.1 Pratiques de transferts semi-formelles
Ni les pratiques formelles, ni les pratiques informelles ne répondent de manière satisfaisante aux besoins des migrants notamment en matière de transfert. Ainsi, certaines structures semi-formelles proposent des produits de transfert plus adéquats.
Un système de compensation entre associés en France et dans les pays dorigine assure un transfert immédiat ; le problème de délais ne se pose plus. On assiste par ailleurs à des relations de proximité à la fois sociales et culturelles puisque ce sont des migrants qui sont à l'origine de ce type d'initiative. Les formalités sont beaucoup plus simples et plus souples que dans le système bancaire et contrastent avec l'anonymat des relations bancaires classiques. Précisons que ce type de transfert est surtout utilisé pour des transferts en nature à travers l'achat de matériel.
Nous avons rencontré une structure de ce type, implantée à Lyon, il sagit du Groupement d'Intérêt Économique (G.I.E) Sénégal Conseils. Le groupement sassocie à un réseau de correspondants à Dakar et à Paris pour proposer aux migrants sénégalais de France, voire dEurope, de transférer des fonds et de livrer divers produits (électroménagers, produits alimentaires, mobiliers, etc.) à leurs familles et parents restés au pays. Son correspondant à Dakar, la compagnie Mbaysinger qui est un groupement dentreprises familiales, assure la livraison des produits.
Le destinataire choisit les produits dont il a besoin après que le paiement ait été effectué en France par virement bancaire ou par chèque. Le G.I.E a aussi mis en place, au profit de sa clientèle, un système de paiement à terme selon un échéancier préétabli. Parallèlement, ce même système existe pour les transferts de fonds vers le Sénégal. Il ny a pas de transfert régulier de fonds, seulement des livraisons de matériels en grande quantité deux ou trois fois par an : les deux structures fonctionnent ensuite par simple compensation, ce qui assure la rapidité des transactions.
Ce système de transferts en nature ressemble à bien des égards à celui de certaines associations de migrants. En effet, ces associations ont mis en place des groupements dachats dans leurs villages dorigine qui leur permettent de faire des commandes de divers types de produits sacs de mil, de riz, et autres. Le migrant paie sur place et les produits sont livrés quelques heures après au village. Par exemple à Kayes, le destinataire est informé à travers la radio rurale de la mise à disposition des produits au magasin du groupement dachats. Ce système pratique de transfert en nature constitue en même temps un moyen de contrôle de lusage des fonds de transferts.
Outre le transfert de matériel, le G.I.E offre aux migrants deux types de services financiers. Le premier service peut être assimilé à un crédit à terme accordé aux acheteurs de matériel. Le client peut payer immédiatement. Il peut aussi opter pour un paiement en plusieurs fois, le paiement pouvant être échelonné sur six mois selon les montants.
La différence entre le prix comptant du produit acheté et la somme totale versée à léchéance constitue le coût du service ou le coût du crédit. Ce coût est donc différent dun produit à lautre, mais il représente un taux qui varie entre 10 % et 50 % du montant du produit acheté, pour des montants variant entre 800 et 4 000 francs. Il est difficile de comparer ce taux avec les taux pratiqués par les banques, dans la mesure où le crédit saccompagne dun ensemble de prestations. Cest tout dabord la rapidité des transferts qui est appréciée. La dispense des tracas de lexpédition et la lenteur des procédures administratives des services de la douane sont évitées, ainsi que le coût de dédouanement du matériel vendu.
Le second service est relatif aux transferts de capitaux des migrants, voire de certains Français, moyennant frais et commissions. Les taux sont dégressifs, variant entre 3 et 10 % selon les montants transférés. Le G.I.E envoie un fax ou téléphone à son correspondant de Dakar et largent est remis au destinataire désigné sur place. Une demande effectuée le matin en France peut être réalisée le soir même y compris le week-end. Cette activité a démarré fin 1995, le montant global des transferts financiers sest élevé à 101 878 francs entre le 22 avril et le 28 novembre 1996, soit 12 481 francs par mois en moyenne. Ces transferts, qui représentent 3 % du chiffre daffaires total du G.I.E en 1995 et 7 % en 1996, ne concernent que des particuliers. Le groupement na pas encore effectué un transfert pour une quelconque association humanitaire ou de migrants.
Notons également que le G.I.E. propose également un service de conseils et dappui gratuit. Le service conseils qui sadresse aux migrants en difficultés administratives, aux personnes désireuses dobtenir des informations sur le Sénégal et aux porteurs de projets d'investissement. Le groupement facilite les échanges techniques et commerciaux, non seulement à travers le service de fret de biens personnels, de matériels industriels et commerciaux, mais aussi en mettant en relation des partenaires potentiels français ou migrants avec des entrepreneurs sénégalais. Loffre de ce service est gratuite. Cette gratuité de l'activité de conseils confère au groupement un réel avantage par rapport aux institutions financières.
Les produits proposés ici répondent ainsi à plusieurs types de demandes. La rapidité et la sécurité des transferts, la possibilité davance, le service conseil, et laffectation de lépargne à une dépense particulière sont autant déléments recherchés et appréciés. On retrouve une épargne de type épargne projet : compte tenu des sollicitations diverses, les personnes ont besoin de cloisonner leur épargne lorsquelles ont un besoin précis. Un tel procédé constitue en même temps un gage pour que lusage prévu des fonds transférés soit effectif.
Les activités du G.I.E, notamment les services financiers, intéressent de plus en plus de migrants, notamment originaires dautres pays. Mais actuellement les services proposés se limitent au Sénégal, et ne sont intéressants que pour des transferts à destination de Dakar, puisque le correspondant y est basé.
2.3.2 Les pratiques semi-formelles dassurance santé et dépargne
Compte tenu des problèmes rencontrés par les populations pour la prise en charge de leurs problèmes de santé, a été créée en 1986 lassociation Solidarité Africaine , agréée par le ministère français des Affaires Sociales, qui propose différents produits dassurance santé et dépargne pour les populations migrantes originaires du Sud du Sahara et en partenariat avec la Mutualité Française. Les produits proposés tiennent compte des spécificités des besoins et des limites des pratiques informelles. Ces organismes proposent, outre une mutuelle santé complémentaire et une assurance-vie, un produit de rapatriement des corps et des produits destinés à des personnes en séjour temporaire. En effet, les frais de rapatriement des corps dépassent bien souvent les disponibilités financières des groupes dentraide.
Par ailleurs le fonctionnement de ces groupes est inscrit dans le temps, fondement de la réciprocité, ce qui exclut en partie les migrants en séjour temporaire. Cette exclusion nest que partielle dans la mesure où la réciprocité peut être à long terme, toutefois les personnes en séjour provisoire ont de toute évidence plus de difficultés à prendre en charge leurs problèmes de santé de manière informelle. De même les produits dépargne cherchent à répondre au mobile dépargne projet, puisquils proposent la possibilité de prêt destinés à financer des projets au pays dorigine, ce qui nexiste pas dans les produits dépargne classiques. On remarque également un souci particulier de simplicité qui facilite la compréhension des outils.
Par ailleurs, au niveau financier, la population cible se distingue par le recours non seulement au système financier du pays d'accueil mais surtout à des structures financières qu'elle a mises en place pour satisfaire ses besoins.
3. Les migrants et les systèmes financiers
Les immigrés entretiennent des relations financières avec les organismes formels (les banques, La Poste) (3.1) et ils font des pratiques financières traditionnelles au sein de structures informelles et semi-formelles (3.2).
3.1 Les relations avec les organismes formels
Les personnes interrogées possèdent un compte courant postal ou bancaire. La Poste semble être l'organisme préféré des immigrés puisque nombre d'entre eux ont ouvert leurs comptes dans cet organisme et y effectuent presque exclusivement leurs opérations de transfert.
Les réseaux de transfert parallèles qui se développent, certes avec succès, n'ont pas encore acquis une place aussi prépondérante que celle de La Poste. Qui plus est, certains immigrés n'ont pas trop confiance et se méfient de ces réseaux en évoquant que même dans le circuit classique de La Poste, il peut y avoir des problèmes. Le système de La Poste est, pour d'autres, plus avantageux en terme de coûts et plus sûr. L'aspect sécurité est très crucial pour la personne qui fait le mandat. Elle est généralement assurée d'être remboursée si jamais l'argent n'arrive pas au destinataire désigné.
Quant au système bancaire, la clientèle immigrée semble se pencher plus vers les banques françaises. La Société Générale et le Crédit Lyonnais en sont les plus sollicitées. Ce constat peut s'expliquer par le fait que le mauvais souvenir de la crise bancaire en Afrique dans les années 1980 reste toujours présent dans l'esprit des gens.
De nombreuses personnes y ont perdues leur argent. Cest le cas d'un de nos informateurs, client de la Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS), qui depuis n'a plus confiance aux banques sénégalaises et a rompu tout lien avec elles. Il a finalement ouvert un compte à la Société Générale. Cette méfiance peut être néfaste à l'ensemble des banques. Elle peut constituer un obstacle pour les clients potentiels. Ainsi, un autre migrant nous affirme avoir peur de mettre beaucoup d'argent dans son compte pour se prémunir d'une éventuelle crise bancaire.
Le système bancaire africain n'inspire nullement confiance à nombre d'immigrés. Un migrant sénégalais qui connaît bien la Banque de l'Habitat du Sénégal (BHS) et ses produits financiers, en particulier, l'épargne logement, a préféré faire ses démarches personnelles pour acquérir sa maison. Il évoque le manque de sérieux, de rigueur de ces banques.
Ces institutions financières ne font pas les choses comme cela devrait se faire alors qu'il y a des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves ajoute-t-il. Il évoque aussi la distribution clientéliste des crédits bancaires, les chefs religieux et coutumiers ont des possibilités d'avoir des déblocages financiers au niveau des banques. Alors que souvent ils n'ont pas de projets viables. Malgré les changements opérationnels effectués lors des restructurations bancaires, il demeure réservé par rapport au système. Les pays d'Afrique fonctionnent beaucoup trop sur du relationnel, sur des parrainages, sur des liens de parentés, et ça, pour lui, ce n'est pas toujours la bonne méthode .
La confiance est donc fondamentale pour pérenniser les relations financières entre les banques et leurs clients. Cependant, ces réticences ne doivent pas masquer la tendance actuellement en cours : de plus en plus d'immigrés sollicitent les banques africaines. A côté de ceux qui ont déjà un compte dans une institution financière africaine, plusieurs autres envisagent très prochainement d'ouvrir un compte dans celles qui ont un bureau représentatif ou une filiale en France. Quelles peuvent être les raisons de ce nouvel engouement pour les banques africaines ? La réponse ne paraît pas évidente. Toutefois, trois propositions peuvent être avancées :
l'angoisse d'une expulsion brutale, qui s'accompagne souvent d'une confiscation des biens et des revenus de l'expulsé, signe de la précarisation croissante de la situation administrative des immigrés changement de statut rapide ;
les défaillances, détournement de fonds par exemple, et les carences, faiblesse du montant et du nombre de crédits octroyés, des structures financières des migrants tontines et associations ;
un retour vraisemblable de la confiance des immigrés envers le système bancaire africain.
Il demeure néanmoins que les relations financières entre les immigrés au travers de structures collectives semblent beaucoup plus développées.
3.2 Les relations avec les organismes informels et semi-formels
Les entretiens de récits de vie ont montré l'existence de réseaux de solidarité financière au travers des tontines et associations de nature diverse. La contrainte communautaire est née de la nécessité de se rencontrer pour séchanger des nouvelles et sentraider. La solidarité se fait au niveau de groupements ou dassociations de migrants. Elle requiert pour sa mise en uvre des moyens financiers conséquents. Ainsi, les adhérents sont invités à sacquitter dune cotisation dont le montant et la fréquence dépendent essentiellement de lobjectif de chaque association.
Le problème du passager clandestin ne se pose pas car seuls les migrants qui respectent les contraintes collectives de cotisation et dentraide profitent des bienfaits de lorganisation associative. Cette participation financière ne doit pas être comprise comme une épargne forcée , comme on peut limaginer. Elle est plutôt une épargne-solidarité, un ticket dentrée permettant à chacun des membres de bénéficier pleinement de tous les avantages du groupe, à savoir, entre autres : la rupture avec la solitude, le partage des angoisses et lambiance familiale et communautaire.
Le besoin de se rencontrer sexplique aussi par la spécificité même de la personnalité africaine qui fait que lindividu ne se réalise quà travers un groupe qui, en retour, lui garantit son unité . Ce recours au groupe communautaire pour faire face à lhostilité du milieu daccueil est qualifié par Jacques Barou (1978) dhyper-tribalisation . A linverse, la notion de détribalisation se réfère aux migrants qui tentent de sintégrer en annihilant certaines de leurs pratiques et murs culturels. Cependant, les migrants naviguent sans cesse entre ces deux tendances au gré de laction des circonstances extérieures.
Nous présenterons dans un premier temps les pratiques financières informelles de migrants (3.2.1). Lanalyse des structures formelles créées par les migrants maliens et sénégalais sera effectuée dans un second temps (3.2.2).
3.2.1 Les migrants et la finance dite informelle
Léconomie informelle nest pas spécifique aux pays en développement. En effet, léconomie peut être subdivisée en deux secteurs : un secteur formel ou institutionnel où prime une logique productiviste et concurrentielle avec des transactions monétarisées. Le secteur informel où nexiste aucune référence institutionnelle et où dominent le troc, le travail au noir (combines et contrebandes), le travail domestique (pour ses besoins propres) et les services collectifs de voisinage.
J. Huber (1981) considère le secteur informel comme les vestiges de léconomie de subsistance communautaire de jadis et affirme que le secteur formel sest développé en absorbant et en dissolvant léconomie de subsistance communautaire . Nous considérons comme informelle toute structure, association ou tontine, qui na pas fait lobjet dune déclaration administrative auprès des services dune Préfecture. Les groupements informels rencontrés sont tous des tontines et présentent des formes variées. Michel Lelart (1989) distingue trois types de tontines :
les tontines mutuelles qui sont des fonds dépargne rotative où les levées bénéficient à chacun des membres selon un ordre préétabli, mais parfois révisable,
les tontines commerciales : le tontinier, qui est l'organisateur de la tontine, effectue une fonction bancaire par la réception des dépôts et l'octroi des prêts,
les tontines financières : l'ordre des tours est mis aux enchères, elle génère des substantiels profits et relève d'une logique d'intermédiation financière.
Les tontines se caractérisent par leur grande souplesse et leur capacité dadaptation aux besoins de ses membres. Ainsi cette typologie doit être relativisée car elle ne recouvre pas toutes les variantes de tontines existantes.
Une première typologie des tontines rencontrées peut être ainsi élaborée. Cette typologie est la suivante : une tontine familiale, une tontine de commerçants sénégalais, deux tontines de femmes sénégalaises et une tontine mixte.
Les principales motivations évoquées sont : la lutte contre la solitude, le resserrement des liens familiaux et lincitation à lépargne cest-à-dire une épargne forcée. En somme, l'épargne est ici un moyen de maintenir les solidarités sociales. La motivation financière ou économique existe bien mais elle n'est que secondaire.
Toutes les tontines rencontrées sont mutuelles, c'est-à-dire à fonds d'épargne rotative avec un ordre préétabli des levées révisable. La tontine permet ainsi de financer des dépenses précises, dont le montant n'aurait pu être accumulé compte tenu des sollicitations extérieurs et dans la mesure où il ne s'agit pas de dépenses prioritaires et vitales. Dans certaines situations, la tontine oblige le bénéficiaire à affecter le lot à lachat dun bien défini à lavance.
L'épargne tontinière peut donc être considérée comme une épargne projet, ce que l'on retrouve très fréquemment dans les pays d'origine, où chaque forme d'épargne répond à un besoin bien particulier. On peut citer lexemple de tontines de femmes qui utilisent le lot pour lacquisition de vaisselle, de bijoux ou de parures.
Il est difficile davoir des données précises quant aux montants des lots, compte tenu de léventuelle adhésion de nouveaux membres. Sur les cinq tontines rencontrées, les montants des cotisations mensuelles varient entre 100 et 500 francs, pour un nombre de membres variant entre 10 et 30, ce qui donne des lots de 1 000 à 15 000 francs. Cependant, les tontines sont beaucoup moins fréquentes que les associations.
3.2.2 Les structures formelles
Les associations de migrants accordent en général une importance toute particulière à la solidarité financière. On est très loin des associations immigrées des années 60 et 70 qui se préoccupaient plutôt de lidentité et de la culture africaine. Leur objectif est de favoriser lamitié et la solidarité financière entre les membres. Créer un lien de solidarité et d'amitié entre les membres, favoriser les rencontres et les échanges d'idées, favoriser l'amitié et la solidarité, tant morale que financière, aider tout membre en difficulté, favoriser l'éducation culturelle des enfants , sont autant de motifs évoqués par les responsables de groupements de migrants rencontrés.
Par ailleurs, ces structures trouvent leur essence dans le désir de reconstituer larchitecture de la vie communautaire originelle. En effet, les sociétés traditionnelles africaines reposaient fondamentalement sur le principe de prééminence du collectif sur lindividuel. Chaque individu est entièrement défini par rapport à son identité culturelle, ethnique et finalement par rapport à un groupe communautaire. La reconnaissance de cette conscience collective et la contrainte dappartenance constituent une obligation morale de participer à ces organisations, quel que soit lendroit où lon se trouve.
A lorigine, lassociation villageoise assumait deux fonctions : dune part, promouvoir lintégration sociale au sein de la communauté ; dautre part, améliorer le rendement des productions agricoles. Au cours du temps, elle a élargi ses domaines de compétences. De nos jours, elle assure la sécurité et la protection sociale, mais aussi et surtout la mise à disposition auprès du village des équipements dinfrastructures diverses. Elle dispose dune autonomie financière et décisionnelle. Lindividu membre de lassociation est obligé dépargner (épargne forcée) pour sacquitter de ses obligations envers le village. Il subit une contrainte, une pression sociale perpétuelle.
Daucuns, contrairement à nous, pensent que cette épargne associative est une épargne formelle. Il est donc clair que ces associations se fondent sur la solidarité communautaire. Elles favorisent une redistribution financière au sein des membres. Citons lexemple des associations villageoises sénégalaises. Elles financent des projets dutilité publique et aident les plus démunis des villages.
Les associations ne reçoivent généralement pas de subventions. Elles se contentent de la cotisation de leurs membres et de recettes issues de leurs activités au cours de lannée. Leur budget sert à financer leurs dépenses de fonctionnement , à aider certains adhérents en difficulté et à octroyer des prêts à ceux qui en font la demande.
Leurs membres bénéficient souvent de prestations financières dans des conditions très souples. Il sagit de prêts et de dons. Les dons dépendent de la nature de lévénement, heureux mariages et baptêmes ou malheureux maladies graves et décès. Loctroi de prêts se fait dans des conditions très favorables. En effet, il ny a aucun taux dintérêt et qui plus est la durée de remboursement est relativement longue, le délai maximum étant parfois de plusieurs mois six à huit mois.
Cependant, il subsiste beaucoup de restrictions contraignantes qui constituent les limites du rôle financier des structures associatives. En effet, les prêts et aides dépendent des moyens financiers dont disposent les associations au moment de la demande. Par conséquent, des besoins peuvent être non satisfaits si la situation financière de celles-ci est défavorable .
De plus, le montant total d'un prêt ne peut excéder une certaine somme, en moyenne 5 000 francs. Toutefois, cette offre de crédit nest possible que lorsque largent prêté nest pas destiné à une activité lucrative. La justification du prêt ne peut être que le souhait urgent dun membre de satisfaire des besoins pressants voire vitaux.
Les associations de migrants que nous avons recensées sont toutes régies par la loi 1901 et sont donc à but non lucratif. Certaines de ces associations réalisent des projets collectifs dans les régions dorigine. Les migrants jugent ce type dassociations très utiles. Elles ont fait beaucoup dactions notables, en particulier la construction dinfrastructures de première nécessité. Certains villages en Afrique sont parvenus à survivre d'après un migrant grâce aux initiatives salvatrices des associations. Des centres de soins primaires, des écoles, des postes, etc. ont été ainsi construites.
Lexemple des ressortissants du village de Waoundé, une association de Toucouleurs, est une illustration : ils ont construit une poste sans aucune subvention ni intervention de l'État. Cela prouve, selon la même personne, la bonne volonté des immigrés qui nattendent rien de leur État. Ils prennent leurs propres initiatives pour développer à partir dici leur village, là où ils habitent. Déjà, là-bas les gens vivent mieux , ajoute-t-il.
Certaines associations organisent aussi des collectes de fonds et de médicaments pour les envoyer aux hôpitaux de leurs pays dorigine. Récemment, une association sénégalaise de la région parisienne a offert un don de près de trois millions de francs CFA de matériel médical à lhôpital Aristide Le Dantec de Dakar.
Cependant, force est de reconnaître pour l'instant qu'une partie des migrants, dont nous ne pouvons estimer l'importance, rejette ces pratiques en parlant de système dépassé. Pour eux, la raison d'être de ces systèmes ancestraux en Afrique est compréhensible au regard de la situation qui y prévaut. L'administration n'est pas décentralisée et le système bancaire ne couvre pas tout le territoire, en particulier les zones rurales ; alors qu'en France, la situation est complètement différente, voire opposée : il y a beaucoup d'institutions financières qui proposent une gamme très variée de produits financiers avec des conditions de rémunération favorables.
Un autre argument financier a été avancé par un migrant à l'encontre des tontines. Celles-ci n'offrent aucune opportunité de gain contrairement aux organismes financiers qui rémunèrent les placements de l'épargne. Un arbitrage existe entre ce supplément de revenu que procure le placement de l'épargne dans les institutions financières et les avantages symboliques offerts par les tontines. Les immigrés membres de tontines ont presque tous conscience de ce manque à gagner. Ils privilégient les rencontres régulières et les relations suivies qui en découlent, la solidarité financière et morale. La solidarité est quelque chose de naturelle chez nous, nous rappelle un migrant. A maintes reprises nous avons cotisé pour aider telle ou telle personne ou pour un marabout .
Au fond, la tontine et les associations ne sont qu'un outil de perpétuation des habitudes culturelles. Pour autant, ceux qui n'en font pas partie ne peuvent pas être incriminés d'égoïsme ou d'individualisme, nombreux sont ceux, parmi eux, qui envoient de l'argent à leurs parents ou amis restés au pays. L'exemple de ce Malien illustre bien cette catégorie de migrants : il ne fait partie d'aucune association ni tontine et pourtant il fait des transferts régulièrement.
Il reste maintenant à voir quels types de projets envisagent et/ou réalisent les migrants sénégalais et maliens.
4. Les projets dinvestissement
L'épargne financière ou épargne-investissement est le plus souvent confiée à un parent, un ami intime ou une personne de confiance. Ainsi, certains migrants envoient leur épargne financière à un proche au pays en vue de réaliser un investissement sur place. Les projets que réalisent les migrants sont très divers (4.1). Cependant, beaucoup de migrants porteurs de projets rencontrent souvent des difficultés (4.2).
4.1 Nature des projets individuels
Il importe dabord de signaler que très peu nombreux sont les migrants maliens et sénégalais qui veulent investir dans le pays d'accueil. Un migrant, qui travaille dans l'entretien et le nettoyage, veut créer une petite entreprise dans ce domaine. Son projet ne semble pas éminent car il attend de voir toutes les autres opportunités qui s'ouvrent à lui . Il se dit avoir la capacité de diriger une équipe puisque, lorsque le patron s'absente parfois plusieurs mois, c'est lui qui gère la boîte . Ouvrir un restaurant africain à Lyon est une des ambitions dun autre migrant. De par ses relations et sa connaissance en gestion, il aide aussi des confrères à monter leurs activités en France.
En revanche, les projets individuels à réaliser dans le pays d'origine sont très divers. Cependant, ils peuvent être regroupés en un petit nombre selon l'importance de leur récurrence chez la population cible : construction de maisons, achat de cheptel au village, ouverture d'un petit commerce et culture maraîchère. Des projets plus ambitieux tels que la création de petites et moyennes entreprises sont aussi envisagés.
Un migrant, électricien malien, veut créer une petite entreprise d'électricité à Bamako au Mali. Il dit ne pas pouvoir demander de l'aide à cause de sa situation administrative ( sans papier ). Trois de nos informateurs affirment avoir des projets en cours de réalisation, il s'agit de migrants sénégalais. Le premier fait partie d'un groupe d'associés sénégalais qui veulent monter un cabinet de conseil de dimension régionale.
Le second a déjà concrétisé son projet avicole : c'est un poulailler qui, semble-t-il, marche bien. Il est géré par son collaborateur à Dakar. Il nous met en garde sur ce type de coopération : Être ici et envoyer de l'argent au Sénégal pour un projet, il faut avoir une personne de confiance sinon tu peux être trahi par une personne malhonnête .
Certains migrants envoient leur épargne à un membre de la famille ou à un ami en vue de réaliser un investissement sur place. Il y a eu des déceptions, une bonne partie se fait souvent trahir. Un migrant sénégalais que nous avons interrogé affirme connaître quelquun qui a eu ce problème. Il explique la détresse de cette personne qui, en rentrant, na pu récupérer son argent.
Le troisième avait travaillé pendant trois ans dans le technico-commercial agricole à Dakar. Il a actuellement un projet agricole en cours de réalisation au Nord du Sénégal. Il a un oncle comme partenaire dans le cadre d'un autre projet pour développer un système de culture maraîchère. Le choix et la nature de ses projets s'expliquent vraisemblablement par sa sensibilité à la terre et par son amour de l'agriculture. Aussi les migrants rencontrent-ils des difficultés pour réaliser leurs projets.
4.2 Les principales difficultés rencontrées par les porteurs de projets
Les immigrés qui ont déjà acheté des maisons sont confrontés à un choix dallocation de leur épargne. Ils veulent réaliser des investissements dans leur pays mais ils n'ont pas d'idée précise quant à leur futur projet. La tentation est toujours grande de voir leur épargne financière affectée à des dépenses généralement improductives financement de fêtes du deuxième ou troisième voire quatrième mariage, baptêmes, etc.
Pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent. Le problème, semble-t-il, est que beaucoup de migrants nont pas les connaissances nécessaires pour monter un dossier, faire une étude de faisabilité. Il existe un petit groupe de Sénégalais qui voulait monter une société de taxi à Dakar. Ils ont eu dénormes difficultés pour la mettre en place et ont finalement renoncé.
Les problèmes financiers constituent le souci majeur de nombre de migrants. Les promoteurs de projets expriment aussi leurs difficultés à trouver des informations d'ordre technique et économique ainsi que des conseils avisés sur la globalité de leur projet. Ceci est d'autant plus vrai que l'on se trouve dans une situation d'absence de référent économique. Lorsque ces données existent, bien souvent, elles ne correspondent pas à la dimension des projets à réaliser. Pour faire face aux problèmes de financement, il importe de créer ou de s'appuyer sur les structures existantes qui auront pour vocation non à financer les projets mais à participer au financement de projets individuels et collectifs.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier laspect risque qui est une composante importante dans la prise de décision dinvestir. Les migrants préfèrent ainsi investir dans des affaires beaucoup moins risquées.
Au niveau associatif, la réalisation de projets de développement dans les villages demeure toujours dactualité. Cependant, certaines associations, tout en se réjouissant de leurs actions dentraide financière, reconnaissent le caractère limité de celles-ci. Ainsi, envisagent-elles délargir le champs de la solidarité financière. Un sociétaire dune association sénégalaise propose un système daide financière aux immigrés en difficulté, y compris les étudiants et les nouveaux arrivants. Ces derniers doivent bénéficier de prêts pour financer un projet ou une activité lucrative moyennant des remboursements à des taux très bas. Deux objections peuvent être soulevées à lencontre de cette proposition. La première est relative aux ressources financières et humaines nécessaires à sa mise en place. En effet, un tel projet exige de lassociation une assise financière assez solide et une bonne gestion des affaires.
La seconde objection est quil ne faut pas perdre de vue que les personnes en difficulté ont recours aux différentes formules daides publiques en passant par les assistantes sociales. Qui plus est lassociation ne peut pas se substituer aux banques. Néanmoins, ce système peut marcher sil est complémentaire au système bancaire en finançant de micro-projets.
Conclusion du chapitre 1 : Les hypothèses détude
Au terme de cette analyse des résultats dentretiens, nous pouvons avancer plusieurs constats concernant le comportement financier des immigrés maliens et sénégalais.
D'une part, les immigrés dans leur ensemble reproduisent globalement les pratiques d'épargne et de crédits issues des pays d'origine. Ce phénomène qualifié d'incapsulation par P. Mayer [1963] reflète bien l'importance de la pesanteur socioculturelle sur le comportement des immigrés. Cependant, le contexte économique, institutionnel et social des pays daccueil ne peut être éludé puisque non négligeable. Ainsi, son impact sur le comportement financier des migrants doit être étudié.
Dautre part, le comportement d'épargne des migrants est essentiellement déterminé, pour nombre d'entre eux, par le souci majeur d'entretenir la famille, le plus souvent restée au pays, et le besoin d'entraide à travers les associations de nature et d'objectifs divers. Les conséquences en matière de pratiques financières en sont l'importance des transferts vers les pays de migration et l'accroissement du rôle financier des associations.
Ainsi, lépargne migratoire destinée aux familles et aux localités dorigine constitue à la fois un révélateur pertinent de la permanence, de létroitesse et de lintensité des relations qui lient les migrants avec leur pays dorigine. Cet attachement à la communauté et au pays dorigine explique ce que J. Barou appelle la volonté de reconstituer un univers social en France notamment au travers de structures associatives dont la finalité ultime étant la recherche dune harmonie socioculturelle.
Les opérations de transfert de revenus sont dune fréquence assez régulière. Leur nombre est considérablement élevé. Le montant moyen général, estimé en monnaies locales, est significativement important et nous semble largement supérieur au niveau moyen du salaire réel dans les pays dorigine.
En outre, il existe vraisemblablement une absence de relation (corrélative) entre le montant des transferts et les variations du pouvoir dachat dans les pays daccueil. Ce constat reste valable à la fois au niveau individuel et au niveau de lensemble de la population immigrée ouest-africaine. Ceci nexclut nullement lexistence de relation forte, a contrario évidente, entre le revenu net disponible (non déflaté) perçu par limmigré et le niveau des fonds envoyés au pays dorigine. Cependant, la régularité et le niveau du montant des transferts semblent diminuer avec laccroissement de la durée de limmigration.
Enfin, les immigrés réalisent des projets individuels et collectifs dans leur pays. Presque tous les immigrés ont au moins un projet. La nature de ces projets est très diversifiée et dépend souvent du métier exercé par son initiateur. Cependant, nous remarquons souvent la concentration de ces projets dans un petit nombre de secteurs tels que le logement, le petit commerce et le transport. Le problème majeur est la recherche de moyens financiers suffisants pour réaliser ces projets car l'épargne financière des immigrés nous semble faible.
De ces constants, nous en déduisons trois conclusions-hypothèses relatives au comportement financier des immigrés maliens et sénégalais.
Dabord, lépargne financière des immigrés nest pas importante, contrairement aux idées reçues. Sil est vrai que lépargne brute des immigrés, définie comme la partie de leur revenu non consommée, est considérable ; il nen demeure pas moins que lépargne financière, celle destinée au financement de linvestissement de limmigré et/ou aux agents à besoin de financement, semble relativement faible.
Les transferts de fonds des immigrés sont considérés comme une épargne brute dans les statistiques des pays d'accueil. En réalité ces transferts sont une non consommation dans ces pays. L'éclatement de la famille entraîne des rythmes et des espaces de consommation différents. Ainsi, cette épargne correspond le plus souvent à une consommation différée dans lespace, celle de la famille ou des parents restés au pays dorigine. Ceci explique en partie limportance et la régularité des transferts financiers.
L'épargne brute des migrants se répartit en deux parties : les transferts que nous avons déjà définis en quatre types et l'épargne brute qui reste dans le pays d'accueil. Lépargne brute peut être destinée à un ou plusieurs des usages suivants : remboursements de dettes et/ou paiements de charges diverses, investissement dans un réseau social de solidarité cotisations dans une tontine et/ou une association de migrants ou autres et investissement sur place création d'une petite entreprise, placements financiers.
Ensuite, le comportement financier doit être différencié selon des critères socio-démographiques (âge, sexe, profession); lappartenance ethnique la différence de degré de hiérarchisation des sociétés africaines peut le cas échéant expliquer, en partie, la différence de comportement financier ; la durée de limmigration et le choix de retour ou non dans le pays dorigine.
L'appréciation des différences de comportement financier des immigrés s'appuiera sur un certain nombre d'éléments. Ces derniers nous permettront ainsi de discriminer la population cible pour cerner les différences de comportement. Ces éléments d'analyse sont la capacité d'épargne et les transferts, le comportement d'endettement et l'esprit d'entreprise.
Enfin, cette étude part aussi de lhypothèse que le comportement financier est inhibé par divers facteurs quil faudrait prendre en compte dans lanalyse, à savoir : les facteurs socioculturels des espaces d'origine, les motivations profondes de lémigration et la situation des immigrés dans le tissu économique et social du pays d'accueil.
Lexploitation des résultats des questionnaires élaborés à partir de ces hypothèses vont nous permettre dexpliciter le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Lobjet du chapitre suivant est précisément dexposer les caractéristiques et les déterminants du comportement financier de ces derniers.
Chapitre 2 : Un comportement financier faiblement différencié
La discussion des résultats dentretiens de récits de vie a déjà montré une diversité de pratiques financières des migrants maliens et sénégalais. Elle a aussi révélé une spécificité de leurs comportements financiers par rapport à ceux de la population française autochtone. Cette diversité de pratiques financières exclut de fait lidée dune homogénéité du comportement financier de la population étudiée.
Cependant, la faible différenciation des comportements financiers relevés comme nous allons le constater dans ce chapitre nous conduit à préférer le singulier plutôt que le pluriel de lexpression comportement financier . Par ailleurs, les pratiques financières spécifiées et leurs logiques sous-jacentes vont incontestablement à lencontre de lhypothèse de rationalité telle que définie par la théorie économique standard.
Ce chapitre se fonde essentiellement sur les résultats du questionnaire principal (voir annexe 5). Lexposé des caractéristiques socio-démographiques de léchantillon, nécessaire à la compréhension des résultats de lenquête, fera l'objet de la première section. Les trois sections suivantes seront consacrées aux différents critères que nous avons choisis pour discriminer le comportement financier des migrants maliens et sénégalais, à savoir la répartition de lépargne, les relations avec le système financier formel et lesprit dentreprise. Le choix de ces critères nest pas arbitraire ; il repose sur le fait quon retrouve à travers ceux-ci lensemble des éléments constituant le comportement financier tel que nous lavons défini auparavant (cf. introduction générale).
1. Caractéristiques socio-démographiques de léchantillon
Léchantillon du questionnaire principal est composé de cent migrants maliens et sénégalais. Les personnes interrogées sont pour 55 % dentre elles des Sénégalais et pour 45 % des Maliens. Cette répartition répond à la logique même de constitution de léchantillon. En effet, léchantillon a été construit à partir de limportance relative de la population immigrée de chacune des communautés (voir méthodologie de lenquête dans lintroduction).
Plus de deux tiers des immigrés maliens et sénégalais sont originaires des villes de Dakar Sénégal (33 %) , de Kayes (27 %) et de Bamako (9 %) Mali. Les régions de provenance des immigrés sont très diverses. Toutes les régions du Sénégal et du Mali ou presque ont été citées comme zone de provenance. Mais les régions de naissance les plus fréquentes sont pour les immigrés sénégalais, Dakar et Saint-Louis, et pour les immigrés maliens, Kayes et Bamako.
A linstar des régions de naissance, les langues maternelles des immigrés maliens et sénégalais sont très variées. Le Wolof et le Pular sont les langues maternelles les plus présentes chez les immigrés sénégalais. En revanche, les langues les plus fréquentes chez les immigrés maliens sont le Bambara le Soninké et le Kassonkhé.
Cependant, certaines langues comme le Sarakholé et le Bambara sont parlées dans les deux pays. Il est question dans cette section de présenter des éléments informatifs relatifs à la date dentrée en France, au sexe et à lâge des migrants maliens et sénégalais (1.1) mais aussi leur statut matrimonial et leurs profils scolaire et professionnel (1.2).
1.1 Date dentrée en France, sexe et âge
Seules 4 % des personnes interrogées sont entrées en France entre 1994 et 1998 et 28 % ont vécu dix à quinze ans en France. Si lon réduit à deux les modalités de la variable date dentrée en France, moins de dix ans et plus de dix ans, on saperçoit que près des trois quarts des migrants (74 %) sont arrivés en France avant 1989, contre 26 % seulement après cette date. La durée moyenne de séjour des immigrés maliens et sénégalais en France est de 12 ans 5 mois.
La proportion de personnes ayant obtenu une bourse détudes ou une aide financière pour leur venue en France est relativement faible puisquelle sétablit à 26 %. Ainsi, plus des deux tiers des immigrés sont venus en France avec leurs propres moyens financiers. Ils ont dû réaliser des économies pour se payer le voyage et les frais y afférents.
Trois quarts des immigrés ayant bénéficié dune bourse détude ou dune aide financière ont préféré ne pas répondre à la question relative à limportance de la bourse ou de laide financière reçue. Un petit nombre dentre eux, 12 %, ont jugé cette bourse ou cette aide financière importante alors que 5 % ont affirmé quelle était très faible. La bourse détudes ou laide financière provenait pour lessentiel dun organisme public national (50 %), le gouvernement ou la municipalité, et des parents (38 %). Certains immigrés (11 %) ont eu un soutien financier de la part dautres personnes physiques et morales, en particulier dorganismes étrangers.
Le nombre dannées vécues en France ninfluence en rien le désir de retourner ou non dans le pays dorigine. Cependant, force est de constater que le souhait de retour est plus intense et plus ferme tant chez les plus anciens que chez les plus jeunes immigrés maliens et sénégalais. Sil est difficile de fournir une explication pour les plus anciens, il nen est pas de même pour ceux dont la présence en France est beaucoup plus récente. Ces deniers sont entrés en France en un moment où la situation économique et sociale était particulièrement défavorable en Europe avec notamment un chômage important. Dans une telle atmosphère de rareté relative des emplois , on comprend mieux les motivations des nouveaux venus à retourner chez eux.
Léchantillon de notre enquête est composé de 74 % dhommes et 26 % de femmes. Ces proportions signifient approximativement quil y a trois fois plus dhommes que de femmes dans léchantillon. Lâge des personnes interrogées est très dispersé avec un écart de 40 ans entre le plus jeune (20 ans) et le plus vieux de léchantillon (60 ans). La moyenne dâge de léchantillon est de 34 ans. Les classes dâge 30 40 ans et 40 50 ans prédominent avec respectivement 49 % et 34 % des immigrés maliens et sénégalais. Les personnes ayant plus que lâge de la retraite constituent 1 % de léchantillon.
L'établissement de statistiques concernant le retour des immigrés se heurte à deux difficultés majeures, qui hypothèquent la pertinence des données obtenues : la difficulté de distinguer les retours provisoires des retours définitifs d'une part, et, d'autre part, l'ignorance du pays de destination effectif des migrants quittant le territoire du pays d'accueil. On ne sait vraiment pas si ces derniers rentrent chez eux ou s'ils rejoignent un autre pays hôte. Ainsi la vraie nature d'une migration n'est véritablement connue qu'a posteriori. Car un déplacement initialement prévu pour être temporaire peut se prolonger et devenir définitif, et vice versa.
La régularité des déplacements et le choix des itinéraires migratoires sont aussi sujets à de fréquents changements. Ces éléments divers et changeants rendent compte de la complexité du phénomène migratoire et des difficultés de l'appréhender. La migration est ainsi, selon Dumont (1995, p.10) un fait social complexe dont la compréhension nécessite de distinguer la diversité de ses caractéristiques .
On peut, en revanche, appréhender au travers d'enquêtes les intentions de retour. Le désir du retour se comprend aisément si l'on s'en tient aux discriminations économiques, politiques, sociales et culturelles subies par le migrant et la quasi-impossibilité pour lui d'obtenir une réelle promotion et une ascension dans la hiérarchie sociale dans le pays d'accueil.
Les résultats de notre enquête révèlent que les migrants maliens et sénégalais sont, dans une écrasante majorité, partisans dun retour dans leur pays dorigine notamment après la retraite. Malgré les multiples discriminations subies, les travailleurs migrants espèrent rester en France jusquà leur retraite. Aussi, ce constat peut, entre autres, servir dexplication pertinente à la très faible présence dimmigrés âgés de plus de 60 ans.
1.2 Statut matrimonial, ménage et situations scolaire et professionnelle
La plupart des immigrés (40 %) étaient étudiants à luniversité avant leur arrivée en France. Agriculteur et salarié déclaré étaient les deux activités professionnelles les plus exercées par les futurs immigrés avec respectivement 18 % et 14 % de léchantillon. Létude de la différence des fréquences entre les modalités de la variable activité professionnelle dans le pays dorigine, prises deux à deux, permet de regrouper deux modalités lorsque leur différence de fréquences nest pas significative.
La modalité étudiant/élève a une différence de fréquences significative avec la modalité agriculteur et très significative avec toutes les autres modalités. Ainsi, après plusieurs regroupements successifs, on aboutit à deux modalités, travailleur et étudiant/élève . Les travailleurs (60 %) constituent la principale composante de lémigration même si la part des étudiants (40 %) demeure cependant importante.
Les immigrés maliens et sénégalais habitent dans divers types de logement. Ils sont plus nombreux à habiter dans des appartements à trois pièces F3 (29 %). Cette proportion se justifie par la part importante dans léchantillon de personnes mariées et ayant des enfants. Les immigrés qui ont une chambre (16 %) sont quatre fois plus nombreux que ceux qui ont choisi un F1 comme appartement. Il sagit de célibataires ou de personnes mariées mais vivant seules en France qui disposent dun appartement à une pièce ou une chambre. Les immigrés sont 12 % à occuper un F4, 10 % un F5 et 10 % une maison. Ainsi, 32 % des immigrés, en particulier ceux ayant des familles dites nombreuses, habitent dans un appartement spacieux.
Le test statistique met en relief un lien statistique très significatif entre le revenu mensuel et le type de logement dont disposent les migrants. Ce résultat montre que, chez les migrants maliens et sénégalais, le revenu est un élément déterminant dans le choix du type de logement. Néanmoins, il existe tout de même des migrants à haut revenu mensuel qui habitent dans des logements modestes (chambre, F1 et F2) et dautres à faible revenu qui ont des types de logement plus grands (F4, Maison).
Une large majorité des immigrés maliens et sénégalais est locataire de son logement. Ils sont en effet plus de 76 % de locataires contre près de 10 % de propriétaires. Le pourcentage de migrants propriétaires de son logement est très faible comparativement à celui de lensemble des ménages en France dont le taux était de 32 % en 1996. La proportion dimmigrés hébergés gratuitement est la même que celle des colocataires (5 %).
En revanche, il nexiste que très peu dimmigrés qui sous-louent leur logement (3 %). Le lien entre le type de logement et le statut de loccupant est significatif. Les immigrés maliens et sénégalais propriétaires habitent presque exclusivement dans des appartements dau moins trois pièces (F3). Les migrants locataires occupent divers types de logement, plus de la moitié préférant des appartements de deux pièces au maximum. La dépendance entre la situation matrimoniale et le statut de loccupant dun logement nest pas significative. Les célibataires sont généralement des locataires ou des hébergés gratuitement alors que les mariés sont davantage des locataires et dans une moindre mesure des propriétaires de leur logement.
La liaison entre le nombre dépouses et le type de logement occupé par les immigrés nest pas significative. En effet, les célibataires occupent presque exclusivement des chambres tandis que les mariés, dont la majeure partie na quune seule femme, disposent généralement dappartement de trois pièces (F3). Le lien entre le nombre denfants vivant en France et le type de logement occupé par les immigrés nest pas significatif. Nous remarquons toutefois que les immigrés qui ont plus de deux enfants habitent au moins dans un appartement de trois pièces (F3).
Les immigrés maliens et sénégalais savent presque tous lire, écrire et parler la langue française. Ils sont 15 % à ne pouvoir écrire en français et 12 % à ne pouvoir lire cette langue. En revanche, il est très rare de trouver des immigrés maliens et sénégalais qui ne parlent pas le français. Seuls 2 % des immigrés sont dans ce cas. Les immigrés maliens et sénégalais sont 17 % à affirmer navoir aucun diplôme.
Il est intéressant de rappeler quau niveau de la France le taux de personnes nayant aucun diplôme ou un certificat détudes primaires se situe à 25,7 % pour la tranche dâge des 25 49 ans en 1998 et à 36,3 % pour lensemble des personnes vivant en France âgées de 15 ans ou plus. Plus dun tiers des immigrés de léchantillon ont un diplôme de lenseignement supérieur (dont 6 % de doctorat) alors que le taux des diplômés de lenseignement supérieur est de 7,3 % au niveau de la France. Une partie importante des immigrés (36 %) possèdent des diplômes professionalisants .
Les activités professionnelles exercées par les immigrés maliens et sénégalais sont très variées. Cependant, les ouvriers (25 %), les agents de nettoyage (15 %) et les professions libérales (20 %) sont les activités les plus rencontrées chez la population étudiée. Ces résultats corroborent, dune manière générale, les statistiques de lINSEE relatives à lactivité économique des salariés étrangers en France. La proportion de salariés étrangers en France (par rapport à lensemble de leffectif salarié, français + étrangers) est restée quasiment stable entre mars 1998 (5,4 %) et janvier 1999 (5,5 %), en particulier pour les femmes salariées (4,4 % en 1998 et en 1999). Cette évolution résulte donc dune faible hausse de la proportion des hommes dans leffectif des salariés étrangers, proportion qui passe de 6,2 % à 6,4 %.
La construction, les activités immobilières et les services aux personnes sont les secteurs qui absorbent le plus la main-duvre étrangère. Entre 1998 et 1999, le taux de salariés étrangers dans lactivité de construction est resté pratiquement constant (15,2 % en 1998 et 15 % en 1999). Les effectifs des deux autres activités économiques ont connu une légère évolution ; le taux de salariés étrangers pour les activités immobilières a diminué denviron un point et demi, passant de 15,6 % en 1998 à 14 % en 1999 tandis que celui des services aux particuliers gagnait 0,6 point dans la même période, passant de 11,5 % à 12,1 %.
Trois personnes interrogées sur quatre ont déclaré avoir un contrat de travail. Deux tiers des immigrés maliens et sénégalais ont un contrat à durée indéterminée et lautre tiers un contrat à durée déterminé. Pour les fonctions libérales, il sagit notamment de migrants commerçants. Le développement des migrations alternantes sest accompagné très souvent dune activité commerciale entre les espaces de départ et darrivée.
De plus en plus de migrants, en rentrant temporairement chez eux généralement en période dhiver , achètent plusieurs marchandises y compris parfois des voitures quils vendent eux-mêmes ou par lintermédiaire de leurs associés sur les marchés locaux. Par exemple, à Dakar, on note actuellement une augmentation sensible des parcs de vente dautomobiles doccasion.
Le test du khi-2 montre lexistence dun lien peu significatif entre la langue maternelle et les diplômes obtenus par les immigrés. Les immigrés Wolof et Bambara sont les plus diplômés. La prééminence des Wolof peut sexpliquer par leur plus fort taux de présence dans léchantillon. Il nen est pas de même chez les immigrés maliens car nous avons le même taux denquêtés pour les Bambara, les Soninké et les Kassonkhé (12 %).
Il existe un lien statistique très significatif entre le diplôme obtenu et la profession des immigrés maliens et sénégalais. Cette relation est logique et semble valable pour tout le monde. En effet, il nest guère étonnant que la plupart des ouvriers naient aucun diplôme, les autres ouvriers ayant des diplômes spécialisés (catégorie Autre). Les professions libérales, les fonctionnaires et les ingénieurs ont souvent des diplômes détudes supérieures. Cependant, certains immigrés diplômés occupent des emplois qui nont rien à voir avec leur diplôme. Nous pouvons citer lexemple des agents de propreté et des agents de sécurité regroupés ici dans la modalité Employé.
Il existe un lien très significatif entre les activités professionnelles exercées au pays avant la venue en France et les motivations de lémigration. Les immigrés maliens et sénégalais qui travaillaient dans leur pays sont venus en France pour chercher un travail et les étudiants/élèves pour poursuivre leurs études supérieures. Cependant, une minorité détudiants, 4 %, a émigré en France dans le but dy trouver un travail. La même proportion de travailleurs a quitté le pays dorigine pour venir étudier ou renforcer sa formation en France.
En revanche, le test statistique met en relief labsence de lien entre la profession exercée par les immigrés et leur type de contrat. Pour presque chaque profession, nous avons des contrats à durée déterminée comme des contrats à durée indéterminée, y compris même dans ladministration (modalité Autre). Ce résultat se comprend aisément si lon sen tient à létat du marché du travail qui est caractérisé par un important chômage. Le développement des emplois précaires sexplique fondamentalement par labsence dune croissance économique soutenue et durable comme dans la période dite des Trente Glorieuses.
Pour trois immigrés sans emploi sur quatre, la durée moyenne du chômage est dun an. Cette durée est de deux ans pour lautre quart des immigrés actuellement sans travail. Lancienneté moyenne du chômage pour les trois quarts des migrants est inférieure à celle de lensemble des chômeurs en France. En effet, la durée moyenne du chômage en France est de quinze mois sur la période 1995-1998. La proportion de chômeurs de plus dun an sétablit sur la même période à 39 mois en moyenne. Cependant, le taux de chômage est très différent selon le niveau de diplôme. En mars 1997, le taux de chômage national en France était de 12,4 % alors quil était de 20,9 % pour les personnes sans diplôme et uniquement de 7,9 % pour les personnes ayant un diplôme de niveau supérieur au baccalauréat.
La plupart des migrants chômeurs ne comptent pas sur les aides publiques puisque seuls quatre chômeurs maliens et sénégalais sur dix reçoivent une indemnité de chômage. La situation administrative de certains chômeurs peut expliquer en partie ce faible taux. Néanmoins, un quart des immigrés chômeurs exerce une activité lucrative qui les permet de pallier à labsence de revenu salarial. Ces activités compensatrices sont le plus souvent non déclarées et correspondent en général à des petits commerces.
La proportion dhommes mariés (53,2 %) est très proche de celle de lensemble des hommes résidant en France en 1997 (54,8 %). En revanche, chez les femmes immigrées, la nuptialité est de 19,1 % alors quau niveau de la France une femme sur deux est mariée. Mais le taux de divorces des hommes chez les migrants est tout de même relativement important 8,5 % contre 5,4 % pour celui des hommes en France. A linverse, les femmes immigrées divorcent moins (2,1 %) que lensemble des femmes vivant en France (6,7 %).
Le contingent des célibataires est somme toute conséquent si lon prend en compte la structure des âges de léchantillon. Le taux dimmigrés célibataires (17 %) dont 12,8 % chez les hommes et 4,2 % chez les femmes semble élevé eu égard à la proportion de personnes âgées de moins de trente ans (près de 9 % de léchantillon). Ce pourcentage nest pas important au regard de celui des célibataires en France qui est de 37 % chez les hommes et 29,9 % chez les femmes.
Dautre part, il nexiste pas de lien significatif entre la date dentrée en France et le nombre dépouses. Le nombre dépouses est indépendant de la durée de séjour des immigrés maliens et sénégalais en France. Ainsi, certains immigrés avaient déjà plus dune femme avant leur venue en France. Dautres se sont mariés à plusieurs reprises après leur entrée en France.
Les couples mixtes deviennent de plus en plus fréquents. Ainsi, 14 % des personnes mariées affirment avoir une épouse ou un époux européen. Les immigrés maliens et sénégalais de France sont dans leur grande majorité monogames (84 %). La polygamie est toutefois présente chez la population immigrée même si son taux peut être globalement qualifié de modeste. Les immigrés sont 12 % à avoir deux femmes et 4 % trois femmes.
Plus des trois quarts des immigrés maliens et sénégalais vivent avec leurs épouses en France. La moyenne du nombre dépouses vivant en France avec son mari est dune femme. Seuls 5 % des immigrés polygames résident en France avec leurs deux femmes. Moins de la moitié (47 %) des femmes des immigrés maliens et sénégalais résidant en France exerce une activité rémunérée. Un tiers des femmes des immigrés maliens et sénégalais, salariées ou ayant une activité lucrative, aident leur mari en participant financièrement aux dépenses familiales.
Les immigrés maliens et sénégalais qui ont un seul enfant sont les plus nombreux (31 %). Près de 28 % des immigrés ont entre deux et quatre enfants et 24 % entre quatre et six enfants. La proportion de ceux qui ont six enfants ou plus est de 15 % dont 3 % ont au moins dix enfants. La moyenne est cependant de trois enfants par couple de migrants, soit environ de moitié inférieure à celle des pays dorigine car la fécondité est de 6,9 pour le Mali et de 5,7 pour le Sénégal en 1997.
Le nombre moyen denfants des migrants maliens et sénégalais est tout de même supérieur à celui de la moyenne nationale. En effet, lindicateur conjoncturel de fécondité en France se fixait à 1,75 enfants par femme en 1998. Les immigrés ayant un seul enfant sont 37 % à vivre avec leur enfant en France. Ceux qui ont deux enfants sont 32 % à vivre avec eux. Les immigrés ayant entre cinq et sept enfants sont 13 % à partager le toit avec leurs enfants.
En moyenne, le nombre denfants vivant avec leur parents immigrés en France est de 2,8, soit 3 enfants. La proportion denfants dimmigrés maliens et sénégalais ayant un travail est denviron 28 %. Dans 21 % des couples dimmigrés, on retrouve un enfant qui exerce une activité rémunérée. Cependant, seulement 7 % des familles dimmigrés ont deux enfants qui travaillent. Les enfants des immigrés qui ont un travail et qui aident financièrement leurs parents sont relativement nombreux (40 %). La moyenne des enfants qui aident leurs parents est de 1.
Plus des trois quarts des immigrés maliens et sénégalais nont aucune personne à leur charge si ce nest leurs femmes et leurs enfants. Les immigrés ont, en moyenne, une seule personne à leur charge. Cependant,12 % des immigrés ont entre deux et quatre personnes à leur charge et autant ont plus de cinq personnes à leur charge. Un peu plus de la moitié des immigrés maliens et sénégalais vivent en France avec les personnes qui sont à leur charge. Ce résultat ne concerne en effet que près dun dixième de léchantillon (9 personnes).
2. Premier critère de différenciation : limportance et la répartition de lépargne : linfluence de la conjoncture économique et sociale de la France
Lorsquon parle de lépargne, terme très couramment utilisé, on désigne en fait implicitement lépargne brute. Lépargne brute ou lépargne est le solde du compte dutilisation du revenu, autrement dit la partie du revenu non consommée. Le taux dépargne est égal au rapport entre lépargne brute et le revenu disponible.
Lépargne représente ainsi la part du revenu courant qui reste disponible pour acquérir des actifs physiques ou financiers. Ainsi les migrants, tout comme lensemble des ménages, peuvent utiliser leur épargne pour financer des investissements immobiliers ou constituer des placements financiers (valeurs mobilières, assurance-vie). Les facteurs qui incitent les migrants maliens et sénégalais (2.1) à épargner sont essentiels pour comprendre la répartition de leur épargne entre les différents supports physiques et financiers (2.2).
2.1 Les déterminants de lépargne des migrants
Déjà chez A. Smith au XVIIIe siècle, lépargne jouait un rôle crucial dans la dynamique daccumulation des richesses nationales. Lépargne, acte de privation et dabstinence, se justifie par le besoin daccumulation ultérieure qui est au cur de lesprit capitaliste. Pour Smith, tout ce quun individu épargne sur son revenu, il lajoute à son capital... La parcimonie et non lindustrie est la cause immédiate de laccumulation du capital . A. Marshall, analysant le comportement des épargnants dans le cadre de leur conduite économique, définit trois motivations de lépargne : la rationalité et la prévoyance, linvestissement humain et le gain issu des placements financiers, puisquil considère le taux dintérêt comme la rémunération de lépargne.
Alors que chez Keynes lépargne est un résidu, un excès du revenu sur la consommation. Cette approche par le revenu considère lépargne comme un flux qui dépend des comportements de consommation des agents économiques. En revanche, lanalyse patrimoniale repose sur une approche en termes de stock. Lépargne joue le rôle de stock régulateur pour ajuster la consommation et le patrimoine aux niveaux désirés par lagent.
La vision marshallienne nous semble la plus pertinente mais reste néanmoins incomplète. Elle élude laspect psychosociologique du comportement des épargnants ainsi que linfluence des représentations socio-institutionnelles. En France, lacte de lépargne est volontaire et vise à disposer dune réserve de précaution à court terme ou dans une perspective de long terme à préparer la retraite et éventuellement à laisser un héritage (D. Strauss-Kahn, D. Kessler 1982).
Dautres variables influent aussi sur le taux dépargne des ménages français. Ainsi, létude menée par S. A. Dieng et alii (1997) a mis en exergue deux résultats intéressants qui confortent plutôt les prédictions de la théorie économique. Dune part, le nombre de mariage, le chômage et le taux dactifs occupés ont une influence positive sur le taux dépargne brute des ménages français. Cela signifie concrètement que :
laugmentation du nombre de mariage conduit à une augmentation du taux dépargne,
lorsque le nombre de chômeurs augmente, la part du revenu disponible des ménages affectée à lépargne augmente car la précarité grandissante sur le marché du travail va conduire les ménages à épargner plus : cest lépargne de précaution.
lorsque la part dactifs occupés augmente dans la population, des personnes jusqualors inoccupées se retrouvent occupées. Elles disposent dun revenu plus élevé et vont donc augmenter leur taux dépargne ; ce qui va contribuer à la hausse du taux dépargne moyen des français.
Dautre part, le coefficient de la variable salaire annuel moyen est négatif. Cela sexplique par le fait que les ménages qui voient leur revenu augmenter ne vont pas pour autant accroître le montant de leur épargne. Cette augmentation du revenu profite davantage à la consommation quà lépargne. Ainsi, la part de leur revenu affectée à lépargne tend même à être plus faible quauparavant.
Il est aussi important de signaler un autre résultat de cette étude, à savoir que le flux dentrée nette de migrants ne faisait pas partie des variables explicatives du taux dépargne brute. Autrement dit, limmigration ne constitue pas une variable pertinente dans lanticipation du taux dépargne des Français. La venue de travailleurs étrangers en France nest donc pas perçue comme une future perte demploi et par conséquent elle ne constitue pas un facteur daccroissement de lépargne de précaution.
En Afrique subsaharienne, limportance de lépargne est largement déterminée par lesprit dentraide familiale et communautaire et le contexte déconomie de subsistance . En effet, lépargne ne peut exister que si le seuil de consommation de subsistance est dépassé.
J.-M. Servet (1996) distingue quatre types de mobiles subjectifs de lépargne en Afrique subsaharienne : rendement et spéculation, précaution et sécurité alimentaire, maintien des solidarités sociales et volonté de réaliser un projet . A ces mobiles, qui ne sont pas antinomiques parce que pouvant se recouvrir, correspondent différents supports dépargne. Ces différences sont relatives à la sécurité, à la rémunération et au degré de liquidité.
Lépargne pour mobile de précaution et de sécurité alimentaire permet de tenir compte des décalages temporels entre la perception des revenus et les flux de dépenses au cours dune même année. Elle permet de se prémunir contre déventuels risques individuels (maladie, incendie, etc.) ou collectifs (inondation ou sécheresse). Cette épargne se matérialise différemment selon quon réside en zone urbaine ou en zone rurale. Les ruraux procèdent à lacquisition de bétail, semences et divers matériels agricoles tandis que les citadins font des dépôts chez le boutiquier.
Le mobile de maintien des solidarités sociales (toutes sortes de manifestations sociales) permet la reproduction à lidentique ou élargie du système communautaire en tant que structure collective. Léthique de laccumulation symbolique prime sur celle de laccumulation matérielle qui a été à lorigine du développement du capitalisme en Occident. En effet, les consommations considérées comme économiquement improductives sont socialement valorisantes car elles contribuent à maintenir ou à améliorer le statut social.
Lépargne projet est le mobile qui saccommode le plus avec léthique daccumulation capitaliste car le projet peut être la création ou le développement dune entreprise ou le financement des frais de scolarisation des enfants. Les dépenses liées à la scolarisation peuvent être simultanément interprétées comme un investissement en capital humain et comme des créances accumulées par les parents sur leurs enfants. Ceux-ci devront rembourser leur dette lorsquils commenceront à travailler en aidant financièrement leurs parents.
Le mobile de rendement et de spéculation est le fait dune minorité dépargnants en Afrique subsaharienne. Cette minorité est constituée par les couches les plus aisées de la population qui sont de surcroît la clientèle haut de gamme des banques. Cette catégorie dépargnants est certes très sensible aux variations du taux dintérêt. Mais compte tenu de linstabilité politique et économique et du fait quune partie importante des revenus est acquise de manière illégale (corruption, activités illicites et clientélistes), ces épargnants placent très rarement leur épargne en Afrique. Aussi, le taux dintérêt créditeur nest pas considéré comme une rémunération mais bien comme une compensation pour le risque de défaillance des établissements bancaires. Ainsi une hausse des taux dintérêt réels ne permet pas une mobilisation importante lépargne intérieure.
Cette réalité contexte déconomie de subsistance et méfiance à légard des institutions financières officielles rend la proposition de Mac Kinnon, consistant à relever les taux dintérêt réels pour accroître et mobiliser lépargne privée, inopérante. Dans ces pays, linsensibilité de lépargne aux taux dintérêt se comprend ainsi aisément.
La réceptivité de lépargne au taux dintérêt est positivement corrélée avec le niveau de revenu des populations. J. D. Ostry et C. M. Reinhart (1995) concluent, en sappuyant sur des données empiriques sur treize pays en développement dont deux subsahariens (Ghana et Côte dIvoire), que le taux dépargne et son élasticité-intérêt augmentent avec le revenu. Cependant, nonobstant la faiblesse du revenu par habitant en Afrique subsaharienne, lépargne y est importante. La principale motivation de lépargne est lomniprésence des contraintes sociales la solidarité, en particulier et de subsistance. Cette substantielle épargne se dirige quasi exclusivement vers les réseaux informels. Les résultats suivants montrent pour les migrants maliens et sénégalais que les préoccupations sociales demeurent une variable explicative importante des motivations dépargne.
La majeure partie des immigrés maliens et sénégalais (31 %) ont un revenu mensuel, dorigine essentiellement salariale, compris entre 5 000 et 7 000 francs. La proportion dimmigrés qui reçoit un revenu mensuel compris entre 3 000 et 5 000 francs (21 %) est presque la même que celle qui a un revenu mensuel compris entre 7 000 et 9 000 francs (20 %). Une petite minorité dimmigrés (6 %) gagne moins de 3 000 francs par mois et 22 % ont un revenu mensuel supérieur à 9 000 francs. La moyenne du revenu mensuel moyen des immigrés maliens et sénégalais est de 5 522 francs avec une forte dispersion autour de cette valeur (2 553 francs). Ce revenu mensuel moyen est inférieur au salaire net mensuel moyen de lensemble des ouvriers non qualifiés en France (7 225 francs).
Parmi les 80 % des immigrés qui ont répondu, près de 26 % ont environ un montant dépargne brute supérieur ou égal à 2 500 francs par mois contre 33 % qui épargnent moins de 1 000 francs par mois. Le montant moyen de lépargne brute potentielle de léchantillon sélève à 1 342 francs avec une dispersion importante de 932 francs autour de cette tendance centrale. Le montant dépargne brute des immigrés est relativement élevé si lon prend en compte le niveau de leur revenu mensuel moyen. Le taux moyen dépargne brute calculé par rapport au revenu moyen est de 24 %, soit environ le double de celui des Français.
Le revenu mensuel moyen étant de 5 522 francs est relativement proche du salaire minimum. Ce faible niveau du revenu moyen sexplique par la moindre qualification des migrants et surtout par limportance du travail à temps partiel. Cependant, la grande majorité des immigrés reçoit un revenu mensuel presque équivalent au salaire minimum (SMIC) dont le taux horaire brut était de 40,72 francs au 1er juillet 1999. Ce salaire est au moins égal à celui des hauts fonctionnaires maliens et sénégalais et peut correspondre au revenu annuel dune famille malienne et sénégalaise. Ce qui témoigne de lenjeu mais aussi de la persistance et de limpact socio-économique de la migration pour les populations maliennes et sénégalaises.
La relation entre le revenu mensuel et le montant dépargne brute nest pas significative. Le revenu nest donc pas un déterminant du montant dépargne. Certains immigrés ayant un revenu mensuel élevé épargnent peu alors que dautres immigrés à revenu faible arrivent à épargner davantage voire plus que les premiers.
Le pays de provenance des migrants, la durée de leur séjour sur le territoire de lhexagone et lappartenance ethnique sont des variables qui nont aucune influence significative sur lampleur ou limportance du montant de lépargne brute. Cependant, à cause de la faiblesse et de la dispersion des effectifs de léchantillon, il est très difficile disoler les ethnies qui épargnent le plus.
En revanche, la situation économique et sociale en France influe fortement sur limportance du taux dépargne des migrants. En effet, ces résultats doivent être replacés dans le contexte social et politique de la fin des années 90 marqué par un chômage toujours persistant. Les événements politiques affaire des sans papiers et expulsions de clandestins ont, semble-t-il, davantage incité les migrants, accusés implicitement dêtre responsables de cette situation défavorable, à épargner en vue de parer à une éventuelle expulsion. Aussi, ils étaient plus nombreux à vouloir rester en France en 1995 quen 1998-1999.
Les résultats de notre enquête en 1995 ont révélé certes limportance du revenu mais aussi deux éléments déterminants : le statut étudiant/travailleur et le désir ou non de retour dans le pays dorigine. Le statut étudiant/travailleur détermine le niveau des revenus, mais surtout les obligations vis-à-vis de la famille restée au pays, qui elles-mêmes déterminent les transferts.
Ainsi la plupart des étudiants (non travailleurs) ont un comportement d'épargne à court terme. Ils ont souvent un compte dans un établissement bancaire et leurs dépôts sont destinés à une consommation immédiate. Les travailleurs en revanche sont contraints de soutenir leur famille restée au pays d'origine ; pour la plupart, leur déplacement en France vise à résoudre les problèmes de survie rencontrés au pays. On a ainsi deux groupes.
Le premier groupe, majoritaire (85,7 % de l'échantillon) est doté dune forte capacité dépargne. Parmi eux, les célibataires disposent dune forte propension à épargner ; les travailleurs mariés ont un niveau de taux dépargne financière limité par leurs responsabilités familiales. Ils ne font que les dépenses utiles , en se limitant au strict minimum nécessaire pour vivre. Il est impossible de donner des chiffres significatifs en l'absence de statistiques suffisantes, mais les enquêtes effectuées montrent que ce type de travailleurs épargnent jusqu'à 33 % de leur salaire tout en envoyant 25 % de leurs revenus à leur famille au pays pour comparaison le taux dépargne des ménages en France était de 16,4 % en 1997 et 15,6 % en 1998.
Le second groupe, minoritaire (8,6 % de l'ensemble des travailleurs interrogés) a une faible propension à épargner comparativement à la catégorie précédente, qui se justifie notamment par leur situation matrimoniale. Ils sont mariés et ont la charge de plusieurs enfants ; ils ont généralement la nationalité française et les dépenses de consommation courante (rations alimentaires, loyers, charges) absorbent une très large fraction de leurs revenus. A ceci sajoutent les biens d'équipements, qu'aucune famille ne néglige (meubles, télévision, chaîne hi-fi et autres appareils électroménagers, voiture, etc.) et les charges liées à l'éducation et l'entretien des enfants.
La plupart dentre eux saffranchissent petit à petit du fardeau de laide financière quexige la solidarité familiale et communautaire. Le relâchement de cette contrainte a de lourdes conséquences sociales à leur encontre : elles vont de lauto sanction morale à lisolement temporaire voire définitif de ces derniers par leur famille et/ou communauté.
Les raisons qui motivent les immigrés maliens et sénégalais à épargner, en 1998-1999, sont quasiment les mêmes que celles évoquées ci-dessus par J.-M. Servet (1995). Cependant, cest lépargne projet qui demeure la première motivation (44 %). Viennent ensuite lépargne retour (24 %) et lépargne précaution (20 %) avec une différence de fréquences non significative. Épargner pour aider la famille est la motivation la moins fréquente (6 %). Cela peut surprendre à première vue et ce dautant plus que la famille a été souvent un appui, financier et moral, au moment du départ à lémigration. Mais, il nen est rien car nombreux sont les immigrés qui considèrent les aides à la famille comme une charge plus ou moins obligatoire à imputer sur le revenu mensuel. Ce sont le plus souvent les mêmes immigrés qui font régulièrement des transferts financiers pour leurs parents restés au pays.
Les raisons qui ont motivé les immigrés maliens et sénégalais à quitter leur pays dorigine sont essentiellement la recherche dun travail (43 %) et la poursuite des études supérieures (36 %). Ainsi, le travail et les études supérieures expliquent à eux seuls près de 80 % des motivations de migration. Le regroupement familial vient en troisième position avec 12 % des personnes interrogées. Il sagit, le plus souvent, de femmes qui rejoignent leur mari.
Lorsque lon oppose les deux principales motivations, cest-à-dire les modalités travailleur et étudiant/élève, aux autres, on saperçoit quil existe une différence de fréquences très significative. Ce constat confirme limportance des deux principales raisons de migration, à savoir le travail et les études. Pour autant, les motivations de la migration des migrants maliens et sénégalais nont pas dimpact significatif sur le montant de leur épargne brute.
Les raisons qui ont animé les immigrés maliens et sénégalais à choisir létablissement financier dépositaire de leur épargne ninfluent pas sur le montant moyen de leurs dépôts de fonds sur leur compte dépargne. Cependant, il importe de signaler que les immigrés ayant évoqué la proximité comme raison de louverture de leur compte dépargne sont généralement ceux qui mettent le plus dargent sur leur compte.
Le test du khi-2 révèle labsence de lien significatif entre les motivations dépargne et les dépositaires de lépargne. Cette indépendance entre ces deux variables montre que, chez la population étudiée, les mobiles de lépargne ne déterminent aucunement les dépositaires de lépargne. Ainsi, on ne peut pas associer à chaque type de motivation un dépositaire particulier de lépargne. Il importe de remarquer que, quel que soit le mobile de lépargne, les migrants maliens et sénégalais confient presque exclusivement leur épargne aux établissements financiers (les banques et la Poste).
2.2 La répartition de lépargne
La répartition de lépargne dépend, dune part, de son volume et, dautre part, des caractéristiques de léconomie, des mutations intervenues dans le monde financier et de la législation. Le comportement des épargnants réagit instantanément à lévolution de lenvironnement économique et financier mais aussi aux modifications législatives. Tous ces facteurs influent sur le volume et lorientation de lépargne.
En France, lépargne a profondément évolué quant à son montant et sa composition. Le taux dépargne est passé de 18 % à 12,2 % entre 1981 et 1988, pour se fixer à 15,6 % en 1998. Cette évolution sest doublée dune recomposition de lépargne, cest-à-dire dun changement de limportance relative des différents types de placements financiers.
Lémergence de nouvelles gammes de produits favorisée par les innovations financières ont permis aux agents délargir le champ de leur choix financier. Comme les réformes fiscales et réglementaires créent des distorsions entre les produits financiers, le choix se fait en fonction des avantages propres à chaque produit financier par rapport aux opportunités quoffraient les anciens produits et la fiscalité.
La population des immigrés se caractérise par une certaine inertie de leur comportement financier, et ce en dépit de linfluence des facteurs économiques, financiers et fiscaux que nous venons dévoquer. Leur épargne se répartit essentiellement entre les transferts de fonds, les placements financiers et les encaisses transactionnelles. Nous aborderons successivement chacune des composantes de lépargne en insistant beaucoup sur la plus importante, à savoir les transferts.
La moitié des travailleurs immigrés interrogés en 1995 affirme avoir fait des placements financiers en actions ou obligations et/ou des placements en assurance, notamment en assurance-vie. La portion de lépargne destinée à ces deux types de placement ainsi que celle placée sur les tontines (cf. infra) constituent une épargne de précaution. Celle-ci est généralement immobilisée pour une période assez longue. Cet horizon temporel nest pas sans conséquence sur le choix des types de placements à effectuer. En effet, 33 % des travailleurs ont souscrit des contrats dassurance-vie.
Cette préférence pour lassurance montre la volonté dépargne de ces derniers. Ils sont obligés dépargner une somme dargent au moins égale au montant de la prime mensuelle ou annuelle à payer à leur organisme dassurance. Les indemnités dassurance-vie, pour une période et une prime données, sont connues avec certitude puisque le taux de placement est bien défini dans le contrat dadhésion. Ce type de placement constitue une sorte de gage sécuritaire car on connaît le montant des fonds à recevoir compte tenu des primes payées et de la durée du contrat. Ce qui justifie lengouement des travailleurs pour les placements en assurance.
Parallèlement, 17 % des sondés ont des placements en valeurs mobilières. Ce taux représente presque la moitié de celui des placements en assurance. Cela sexplique très probablement par une grande aversion à légard du risque. Les valeurs des titres fluctuent régulièrement selon létat du marché boursier . Les opérateurs du marché des titres nagissent pas quen fonction de la qualité économique et financière de lentreprise émettrice. Ils se bornent à suivre le mouvement densemble du marché, sinon ils perdent de largent ; ce qui rend efficient leur comportement.
Dans ce contexte on connaît le montant investi mais pas celui quon va recevoir à la fin. Ainsi, les titres de valeurs mobilières nintéressent que les immigrés qui ont le goût du risque. Or, ceux-ci ne sont pas nombreux. Cela se comprend car peu dépargnants en Afrique subsaharienne poursuivent un mobile de rendement et de spéculation. Larrivée très tardive des marchés boursiers constitue sans doute une des explications les plus plausibles du faible recours des Africains aux titres de valeurs mobilières.
La logique de retour est ici déterminante : 71,4 % des travailleurs ont fait un placement financier dans la perspective du retour après la retraite, alors que les travailleurs désirant rester en France ne sont que 17,1 % à faire de tels placements, et parmi ceux qui veulent retourner au pays avant la retraite, aucun d'entre eux n'a investi dans des placements financiers.
Actuellement, daprès les résultats de lenquête 1998-1999, les immigrés maliens et sénégalais qui placent leur épargne sont très peu nombreux. Seul un tiers dentre eux réalise des placements financiers. Lassurance-vie est le placement financier le plus fréquemment utilisé par les immigrés maliens et sénégalais (68 %). Les immigrés possèdent aussi des actions (29 %). Ils sont très rarement détenteurs dobligations (3 %).
Lassurance-vie semble le placement financier le plus convoité par les migrants car la proportion de migrants souscripteurs dassurance-vie a plus que doublé entre les deux enquêtes, passant ainsi de 33 % à 68 %. Il est aussi important de remarquer la prééminence de lassurance-vie dans la composition du patrimoine financier des ménages français. En effet, chez les Français le taux de possession de placements en assurance-vie est de 45,9 % alors quil nest que de 22,6 % pour les valeurs mobilières.
Ce succès réel de lassurance-vie auprès des migrants et des Français ne doit pas faire oublier le problème éthique quelle pose dune manière générale. Lassurance-vie est lexemple type de collision entre intérêts monétaires et préoccupations éthiques. Elle substitue une solidarité fictive du marché à une solidarité effective issue du lien social, ce qui, semble-t-il, avait obstrué son essor au XVIIIe siècle.
En effet, lassurance-vie, reposant sur une évaluation monétaire de la vie humaine, avait heurté la réticence des Américains, car elle proposait à la place du système déchange social relevant du don, caractérisé par lassistance à la famille du mort, (
) un système impersonnel de marché. Lassurance sur la vie a bouleversé radicalement la signification de la mort mais aussi sa gestion. Une bureaucratie à buts lucratifs a progressivement remplacé amis, voisins et parents qui soulageaient la misère économique de la veuve du XVIIIe siècle . Concernant les migrants maliens et sénégalais, lassurance-vie constitue moins un substitut quun complément au système dentraide et de solidarité communautaire (cf. chapitre suivant).
Par ailleurs, les résultats de lenquête (1998-1999) montrent aussi quaucune variable na une influence significative sur le recours aux placements financiers. En effet, il nexiste pas de relation entre le montant moyen des versements dans les comptes dépargne et les types de placement financier des migrants. Autrement dit, les immigrés qui versent régulièrement de largent dans leur compte dépargne choisissent indifféremment entre les types de placement financier. Cependant, leur choix se limite aux deux produits financiers quils apprécient le plus, lassurance-vie et les actions.
Le fait de réaliser des placements financiers est indépendant du souhait de retourner ou non dans le pays d'origine. Cette indépendance signifie que le souhait de retour des immigrés maliens et sénégalais ne peut expliquer leur désintérêt ou leur recours aux placements financiers.
La relation entre l'âge et le recours aux placements financiers n'est pas significative. L'âge n'est pas un critère explicatif du recours des immigrés maliens et sénégalais aux placements financiers. L'exemple de la tranche d'âge des 30 50 ans illustre bien cette indépendance. Cette tranche d'âge comprend la plus grande proportion d'immigrés qui font des placements financiers mais aussi le plus grand nombre de personnes qui s'y désintéressent.
Le sexe n'est pas aussi un élément explicatif du recours aux placements financiers. Les variables sexe et placements financiers sont indépendantes. Les hommes et les femmes ont le même comportement à l'égard des placements financiers. La différence de proportions entre les hommes et les femmes par rapport à la variable placements financiers s'explique vraisemblablement par leur inégalité de présence dans l'échantillon.
La dépendance entre la langue maternelle et le recours aux placements financiers n'est pas significative. La langue maternelle des immigrés maliens et sénégalais et par conséquent l'ethnie n'est pas un critère qui peut expliquer le recours aux placements financiers. On retrouve dans toutes les ethnies des avis partagés quant au recours aux placements financiers.
Cependant, la répartition de lépargne ou encore le partage de la rente migratoire (cest-à-dire les revenus issus de la migration) repose chez certaines communautés dimmigrés sur des règles, implicites ou explicites. Ainsi, la règle sociale de partage de lépargne du migrant sooninke repose, selon C. Quiminal et P. Lavigne Delville, sur le fait que le migrant doit participer à la reproduction économique de la famille. Dans les migrations dhivernage, lessentiel de lépargne du migrant est affectée à la famille car le migrant doit compenser le manque à gagner résultant de son absence aux champs familiaux.
Dans un contexte de risque agro-climatique élevé, la répartition du revenu des migrants répond avant tout au souci dassurer la sécurité alimentaire de leur famille. La clé de répartition est un tiers pour respectivement les dépenses de la vie quotidienne en France, lépargne personnelle et les envois réguliers à la famille.
Le lien entre le fait d'avoir un conjoint européen et le recours aux placements financiers n'est pas significatif. Avoir un conjoint européen ne favorise ni n'empêche les immigrés à recourir aux placements financiers. Les immigrés maliens et sénégalais ayant un conjoint européen ont plutôt une attitude neutre ou équilibrée à l'égard des placements financiers. En effet, la proportion de ceux qui font des placements financiers (5 %) est presque la même que celle de ceux qui nen font pas (4 %).
La dépendance entre le nombre d'enfants et le recours aux placements financiers n'est pas significative. Le nombre d'enfants parmi les familles immigrées maliennes et sénégalaises n'est pas un facteur explicatif de l'acquisition ou non de titres financiers.
Il y a une absence de lien significatif entre la date d'entrée en France et le recours aux placements financiers. La durée de séjour des immigrés maliens et sénégalais sur le territoire français n'est pas une variable qui influe sur le recours ou non aux produits financiers. Cependant, mise à part la catégorie des immigrés maliens et sénégalais qui ont vécu plus de vingt ans en France, on remarque que plus la durée de séjour en France est importante, plus les immigrés s'intéressent aux placements financiers.
Le type de contrat de travail des migrants na aucune influence sur leur décision de faire ou non des placements financiers. La dépendance entre la nationalité dorigine et lacquisition de titres financiers nest pas significative. Le pays de provenance de limmigré na aucune influence sur le recours aux produits financiers. Au vu de ces résultats, lintérêt accordé par les immigrés maliens et sénégalais aux placements financiers nest pas important.
La relation entre le recours au prêt et le recours aux placements financiers n'est pas significative. Il y a une absence de lien entre les immigrés qui ont un prêt à rembourser et ceux qui font des placements financiers. Il convient néanmoins de signaler que la proportion d'immigrés maliens et sénégalais la moins endettée est celle qui réalise des placements financiers.
3. Second critère de différenciation : les relations avec le système financier formel
Les relations des migrants maliens et sénégalais avec le système financier formel sont assez spécifiques dans la mesure où les migrants sont indifférents dans le choix des établissements de crédit français (3.1) et ont faiblement recours aux institutions financières africaines (3.2). Aussi, les migrants affichent une certaine hostilité à légard du crédit bancaire (3.3).
3.1 Une indifférence relative dans le choix des établissements de crédit français
Lépargne de transaction est une épargne à très court terme dont la finalité est de faire face aux besoins imprévus de consommation courante. Cet objectif peut être atteint soit en thésaurisant de largent liquide chez soi, soit en faisant des dépôts de liquidités sur un compte à vue postal ou bancaire. La quasi totalité des immigrés maliens et sénégalais de France (96 %) confient leur épargne aux établissements financiers. Les banques attirent 74 % des épargnants tandis que la Poste, qui semble a priori létablissement financier des immigrés, ne reçoit que lépargne de 22 % des immigrés.
En outre, il existe une différence de fréquences très significative entre les immigrés qui gardent leur épargne sous forme dencaisses liquides chez eux et ceux qui la déposent à la Poste ou dans une banque. Par rapport à lenquête effectuée en 1995, seuls 39 % des travailleurs et 80 % des étudiants déposaient leur argent auprès dun établissement de crédit. Les personnes concernées ont donc en leur possession des cartes de retrait et de paiement et/ou des chéquiers. Ceux-ci leur permettent de faire des opérations commerciales sans avoir recours à la monnaie au sens strict.
Les immigrés qui préfèrent détenir des encaisses liquides chez eux (2 %) et ceux qui confient leur épargne à leur ami (1 %) ne sont pas forcément dépourvus de compte bancaire ou postal. En effet, nombreux sont les immigrés qui ont ouvert un compte mais qui ne lutilisent pas comme instrument dépargne. Il sagit, dans leur majeure partie, de commerçants, en particulier les saisonniers, et de femmes au foyer. Ils étaient 11 % de travailleurs migrants à garder des encaisses liquides chez eux. Largent étant toujours à leur disposition, ils peuvent effectuer les achats quils souhaitent à nimporte quel moment sans avoir à se présenter au guichet dun établissement de crédit ; ce qui leur permet de réaliser un gain de temps.
Cette proportion est de 20 % chez les étudiants. Cette pratique se justifie par leur habitus . Elle provient principalement du fait que les immigrés avaient lhabitude dopérer des échanges avec la monnaie stricte (pièces et billets) quavec des chèques ou des cartes de paiement. Aussi certains voient dans ces instruments un puissant moyen dincitation à dépenser plus dargent quils nen disposent.
Les immigrés maliens et sénégalais ont en moyenne deux comptes chèques. Une proportion non négligeable dimmigrés maliens et sénégalais (11 %) na pas de compte bancaire avec chéquier. Plus des deux tiers des immigrés ont un seul compte chèque et 15 % en possèdent deux. Les immigrés qui disposent dau moins deux comptes bancaires (2 %) ont généralement un compte dans une institution financière africaine.
Faciliter les paiements et recevoir les salaires sont les deux principales raisons avancées par les immigrés maliens et sénégalais pour justifier louverture de leur compte bancaire avec chéquier. En revanche, très peu nombreux sont les immigrés qui évoquent la sécurité comme motivation essentielle de louverture de leur compte chèque. Les deux principaux mobiles évoqués par les immigrés illustrent le rôle pratique joué par le compte chèque dans leur vie quotidienne. Le compte chèque est perçu comme un instrument nécessaire qui permet tout à la fois de recevoir et dépenser de largent, et ce de façon très commode.
Les principaux établissements financiers où les immigrés ont ouvert leur compte chèque le plus utilisé, cest-à-dire le compte chèque qui enregistre le plus dopérations de dépôt et de retrait réalisées, sont le Crédit Lyonnais, la Poste, la BNP et la Société Générale. Les filiales de banques africaines établies en France sont beaucoup moins sollicitées par les immigrés maliens et sénégalais. La Banque de lHabitat du Sénégal (BHS) est linstitution financière africaine la plus présente chez la population immigrée et gère plus de 7 % de leurs comptes chèques.
La date douverture du compte chèque est très liée à la date dentrée en France. Les immigrés maliens et sénégalais ouvrent généralement un compte chèque dès les premiers moments de leur arrivée en France.
Le choix de létablissement financier par les immigrés repose essentiellement (36 %) sur la proximité de celui-ci avec leur domicile ou leur lieu de travail et sur conseil de leurs proches, parents ou amis. Le hasard (12 %), la commodité (8 %) et la confiance (7 %) sont les trois autres éléments déclarés apparaissant comme déterminants dans le choix dun établissement financier par les immigrés maliens et sénégalais vivant en France. Limportance du hasard comme critère de choix dun établissement financier met implicitement en relief lindifférence dune grande partie des immigrés. Cette indifférence de choix dune institution financière est dautant plus plausible que le critère de choix dominant est la proximité du domicile ou du lieu de travail.
Ce résultat semble sous-estimer le rôle de la confiance dans les relations monétaires. La confiance est dautant plus importante quil existe une proximité étroite entre largent et le corps, notamment chez les Africains. Le fait de transporter sur soi son argent (dans son soutien-gorge par exemple) ou de le conserver dans des coffres attenant au lit, ou sous loreiller, participe non seulement à la recherche dune certaine sécurité mais aussi au même besoin dune proximité de largent avec le corps et son intimité . Ainsi, donner son argent à une institution, banque ou poste, cest confier une partie de soi .
Les raisons de louverture dun compte dépargne sont peu dépendantes du choix de létablissement financier qui gère ce compte. Pour les migrants maliens et sénégalais, il existe une certaine spécificité particulière propre à un établissement financier ou à un type détablissements financiers. Ainsi, nous constatons que ceux qui ont évoqué comme motif la constitution dune épargne ont principalement choisi davoir un compte dépargne à la Poste et aux Caisses dépargne. En revanche, la plupart des migrants qui sont intéressés par une rémunération favorable de leur épargne ont majoritairement ouvert leur compte dépargne dans une banque, la Société Générale étant la banque la plus fréquemment citée.
Le lien entre la raison de louverture dun compte dépargne et le sexe est peu significatif. Les hommes et les femmes ont, dune manière générale, les mêmes raisons qui les incitent à ouvrir un compte dépargne. Cependant, contrairement aux hommes, les femmes nont en aucun moment raisonné en termes de rémunération favorable de lépargne pour justifier louverture de leur compte dépargne.
Un cinquième des comptes chèques les plus couramment utilisés ont été ouverts après 1993. Aussi, pour près dun cinquième des immigrés, la date douverture de leur principal compte chèque remonte à plus de vingt ans. Cependant, plus dun quart des comptes bancaires avec chéquier ont une date douverture comprise entre dix et quinze ans. La durée dexistence moyenne des comptes chèques ouverts par les immigrés maliens et sénégalais est de 9 ans 3 mois.
Les immigrés maliens et sénégalais ont souvent plusieurs comptes dépargne. Le livret A (40 %), le Codevi (26 %) et le PEL (20 %) sont les comptes dépargne les plus fréquents. Les autres types de compte, notamment le livret B, sont très rarement cités par les immigrés.
Les principaux comptes dépargne quutilisent les immigrés pour faire leurs opérations financières sont ceux qui sont les plus fréquents, à savoir le livret A, le Codevi et le PEL. Cependant, le livret A et le Codevi sont les comptes dépargne les plus couramment utilisés. Plus de la moitié des immigrés se servent de leur livret A pour effectuer leurs opérations financières alors que seul le quart dentre eux a recours au Codevi.
Les dates douverture des comptes dépargne les plus utilisés sont assez variées mais généralement récentes. La date douverture moyenne des comptes dépargne est de 7 ans. La dispersion autour de cette moyenne est assez élevée (écart type de 6 ans). En effet, 28 % des comptes dépargne ont moins de 5 ans et près du tiers a entre 5 et 10 ans dexistence. En revanche, très peu nombreux sont les comptes dépargne les plus utilisés par les immigrés qui ont plus de vingt ans (8 %).
Épargner est, pour près des deux tiers des immigrés maliens et sénégalais, la principale raison justificative de louverture de leur compte dépargne. La valorisation de lépargne est aussi un mobile important car plus dun cinquième des immigrés maliens et sénégalais a ouvert un compte dépargne pour profiter uniquement de la rémunération favorable. Ce résultat corrobore celui de J.-M. Servet (1995) qui a montré que lutilisation dun compte dépargne en Afrique subsaharienne répond essentiellement voire exclusivement à un besoin de sécuriser lépargne ou de diversifier les risques quà une quête de rémunération de lépargne. Largent mis dans ces comptes dépargne correspond, pour 9 % des immigrés, à une épargne de précaution.
Nous remarquons ainsi que la rentabilité escomptée de lépargne placée est loin dêtre le principal critère de choix dun établissement de crédit par les migrants. Ce constat insinue deux types dinterprétations alternatives au sens de la théorie économique, à savoir la rationalité ou lirrationalité des migrants maliens et sénégalais. La faiblesse marquée des disparités de taux de rémunération entre les établissements financiers, très souvent non significative, et labsence dune information complète et parfaite sur les opportunités de placements et les gains potentiels associés plaident plutôt en faveur dune rationalité limitée des migrants mais aussi des Français en général.
La Poste (32 %) et les Caisses dÉpargne (24 %) sont les deux principaux établissements financiers qui gèrent plus de la moitié des comptes dépargne des immigrés maliens et sénégalais. La Société Générale (12 %) et le Crédit Lyonnais (12 %) contrôlent une part non négligeable des comptes ouverts par les immigrés.
Dune manière générale, les raisons évoquées par les immigrés pour justifier le choix de létablissement financier qui gère leur compte dépargne le plus utilisé sont différentes de celles relatives au choix de létablissement financier pour leur compte chèque. Le critère dominant du choix dune institution financière est le couple proximité du domicile ou du lieu de travail/conseil dun proche. Le choix dun établissement financier pour le compte dépargne sest parfois fait au hasard (10 %). La confiance et encore moins la sécurité sont rarement mentionnées par les immigrés comme critères de choix dun établissement financier.
Les deux tiers des immigrés détenteurs de compte dépargne effectuent des versements réguliers sur leur compte. Parmi les immigrés maliens et sénégalais qui alimentent régulièrement leur compte dépargne, 9 sur 10 font, en moyenne, des versements mensuels. La moyenne des fréquences de versements est le mois. La valeur de cette moyenne sexplique par la faible proportion dimmigrés effectuant des versements dune périodicité supérieure au mois (10 %). Lécart moyen entre deux versements des immigrés sur leur compte dépargne dépasse très rarement le trimestre.
Une plus grande partie des immigrés effectue des versements dun montant moyen compris entre 500 et 1 000 francs. La proportion dimmigrés qui versent sur leur compte dépargne un montant moyen inférieur à 500 francs est la même que celle qui en versent plus de 2 500 francs. Le nombre dimmigrés concernés par ces deux situations extrêmes est tout de même relativement important. Cependant, la moyenne du montant moyen des versements est de 1 010 francs avec un écart type de 973 francs.
Les migrants maliens et sénégalais sont, à 80 %, détenteurs dune carte bancaire. La moitié de ces immigrés possèdent une carte de retrait et de paiement. Lautre moitié dispose uniquement dune carte de retrait. Il y a une absence de lien significatif entre la possession dune carte bancaire et lappartenance ethnique des immigrés maliens et sénégalais.
3.2 Un faible recours aux institutions financières africaines
Près de la moitié des immigrés (47 %) possèdent un compte dans un établissement financier africain. Ces comptes ont souvent été ouverts par les immigrés avant de quitter leur pays. Ainsi, plusieurs de ces comptes enregistrent très peu dopérations financières.
Une plus grande partie des immigrés nayant pas de compte dans un établissement financier africain (40 %) a jugé inutile den disposer. Certains immigrés affirment vouloir ouvrir un compte dans une institution financière africaine mais ne connaissent pas de filiales de banques maliennes et sénégalaises en France. Ils sont en revanche très peu nombreux à évoquer leur manque de confiance à légard des institutions financières africaines. Ce manque de confiance est certainement en rapport avec la récurrence des crises bancaires en Afrique (voir annexe 6).
Les immigrés disposent, à près de 80 %, dun seul compte dans les institutions financières africaines ; ce qui correspond à la moyenne du nombre de comptes ouverts dans celles-ci. Ils sont cependant minoritaires à avoir en même temps deux comptes ou plus dans ces établissements financiers.
La Banque de lHabitat du Sénégal (BHS), la Banque Internationale du Mali (BIM) et la Banque de développement du Mali (BDM) sont les banques qui gèrent le plus souvent les comptes bancaires des immigrés maliens et sénégalais. Plusieurs autres banques ont été citées mais avec des fréquences beaucoup moins importantes.
Contrairement aux raisons évoquées pour le choix dune institution financière française, la crédibilité est, selon une grande majorité des détenteurs de comptes bancaires dans un établissement financier africain (16 %), le critère de choix le plus fréquent. Ici aussi, comme dans le cas des banques françaises, la proximité du domicile ou du lieu de travail (14 %) joue un rôle déterminant dans le choix dune banque. Les choix de banque africaine faits au hasard (5 %) sont aussi importants que ceux qui reposent sur les facilités de transferts financiers.
Les migrants maliens et sénégalais détenteurs de compte dans un établissement financier africain ont tous ou presque un compte dans une institution financière établie en France. Cependant, les raisons qui les ont poussés à avoir un compte dans une institution financière en France sont indépendantes de celles qui les ont motivés à ouvrir un compte dans une banque africaine. Autrement dit, il ny a aucun lien entre les raisons évoquées pour choisir une banque établie en France et celles évoquées pour choisir une institution financière du pays dorigine. Toutefois, chez les migrants la proximité est la principale raison qui détermine le choix dun établissement financier.
La dépendance entre lappartenance ethnique des immigrés et louverture de compte dans une institution africaine nest pas significative. Il nexiste pas de lien statistiquement significatif entre le type de compte ouvert dans une banque africaine et la raison du choix de cette institution africaine. Les raisons évoquées par les migrants maliens et sénégalais sont indépendantes du type de compte ouvert dans un établissement financier africain.
Les motivations avancées sont les mêmes quil sagisse dun compte dépargne ou dun compte chèque. Ainsi, globalement, les migrants nont ni un a priori favorable ni un a priori défavorable envers les banques africaines. Cependant, il y a, dans les banques africaines, cinq fois plus de comptes dépargne que de comptes chèques ouverts par les migrants.
Les comptes ouverts par les immigrés maliens et sénégalais ont, pour plus de la moitié, moins de cinq ans dexistence. Plus du quart des comptes ont été ouverts il y a moins de cinq ans ; cest la même proportion pour ceux dont la date douverture se situe entre cinq et huit ans. La date moyenne douverture dun compte dans une institution financière africaine est de huit ans et demi.
Plus de huit comptes sur dix ouverts par les immigrés maliens et sénégalais dans les banques africaines sont des comptes dépargne. Cette prédominance des comptes dépargne sur les comptes chèques témoigne de lintérêt accordé à lépargne retour notamment en vue de financer un projet dans le pays dorigine.
Le lien entre le type de compte ouvert dans une banque africaine et lutilisation prévue des fonds de ce compte est significatif. Les fonds déposés dans les comptes dépargne vont servir le plus souvent à financer un projet futur de limmigré. En revanche, les immigrés qui souhaitent avoir un accès facile aux services bancaires dans leur pays ont ouvert, dans leur majorité, un compte chèque.
Les comptes ouverts dans les banques africaines servent généralement de supports daccumulation pour préparer le financement de projets dans le pays dorigine. En effet, plus de la moitié des immigrés maliens et sénégalais (47 %) affirment que largent mis dans leur compte servira à financer des projets au pays. Pour certains immigrés (29 %), ces comptes facilitent leurs opérations courantes au pays alors que pour dautres, ils leur permettent de réaliser plusieurs types dopérations financières, en particulier les transferts sous forme de mise à disposition de fonds au destinataire désigné.
Moins de la moitié des immigrés détenteurs de compte bancaire dans une institution financière africaine effectuent des versements réguliers dans leur compte. La majeure partie alimente leur compte de manière très irrégulière.
La fréquence moyenne des versements est mensuelle pour 88 % des détenteurs de comptes bancaires effectuant des versements réguliers. Le reste des déposants est également réparti entre ceux qui versent de largent tous les trimestres et ceux qui font des dépôts tous les semestres.
Le montant global moyen des versements effectués par les déposants réguliers sélève à 583 francs. Dans deux cas sur trois, les immigrés versent sur leur compte une somme inférieure à 500 francs et dans 16 % des cas comprise entre 500 et 1 000 francs. Parmi les 16 % effectuant un versement dun montant supérieur à 1 000 francs, un petit nombre dimmigrés (5 %) déposent régulièrement plus de 4 000 francs sur leur compte bancaire ouvert dans une institution africaine.
Il nexiste aucun lien significatif entre le montant moyen des versements ou dépôts dans un compte géré par une banque africaine et lutilisation prévue de largent mis dans ce compte. Il nempêche que les immigrés maliens et sénégalais qui désirent financer un projet dans leur pays dorigine déposent un montant moyen plus important que les immigrés qui ont dautres objectifs, en particulier le fait deffectuer facilement des opérations bancaires courantes dans le pays dorigine.
3.3 Lhostilité à légard du crédit bancaire
Plus dun cinquième des immigrés maliens et sénégalais interrogés sont en train de rembourser un ou plusieurs prêts. Ce faible recours des immigrés au crédit se justifie de manière très rationnelle parce que la principale motivation de leur venue en France est de gagner plus dargent et par conséquent dépargner le plus possible. Dans cet esprit daccumulation , le crédit ne peut être quune exception, un choix contraint, le plus souvent, par limpératif dintégration sociale. Aussi, la satisfaction des besoins, y compris monétaires, est dabord recherchée au sein des réseaux familial et communautaire. Ainsi, le migrant préfère emprunter à un des membres de son groupe ou au groupe en tant que structure collective exemple des groupes dentraide octroyant de petits crédits à leurs membres que de demander un crédit bancaire.
De manière plus générale, les migrants maliens et sénégalais ne profitent que très rarement des services bancaires qui leur sont offerts. Ce constant est bien analysé dans le rapport du Ministère de lEmploi et de la Solidarité qui souligne le faible recours des migrants aux facilités bancaires, en particulier le découvert et lemprunt.
Cette réticence à légard du crédit bancaire doit être mise en rapport avec la perception négative de la dette dans les sociétés ouest-africaines. Les termes utilisés dans un grand nombre de langues ouest-africaines pour désigner la dette montre bien son caractère négatif. Ainsi, lidée dêtre endetté, davoir des dettes ou de posséder une créance sur quelquun, se dit en diola-Fogny, en manding, en baynuk, avoir une corde, être attaché. En manding emprunter se dira prendre une corde. La traduction de dette par corde, terme identique à la corde qui attache le bétail, peut se comprendre par le lien qui attache le débiteur au créancier, lien moral qui fait que celui-ci va dépendre de celui-là ; mais aussi certains vieux affirment que le débiteur qui ne pouvait pas rembourser sa dette était attaché comme un esclave et pouvait être vendu en tant que tel . Cette représentation négative de la dette est apparemment restée ancrée dans les esprits de nombreux migrants.
Les emprunteurs sont pour la plupart des immigrés qui désirent rattraper le retard accusé en matière déquipements en biens durables ou qui souhaitent renouveler leurs anciens équipements démodés , abîmés ou en panne.
Le lien existant entre le prêteur et lutilisation de largent du prêt nest pas significatif. Lutilisation prévue de largent du prêt par les immigrés maliens et sénégalais ninflue pas sur le choix de leur prêteur. Néanmoins, nous remarquons, par exemple, que les immigrés désirant acheter une voiture ou des équipements électroménagers par crédit sollicitent essentiellement les établissements financiers.
Contrairement à lensemble des ménages résidant en France, lendettement des migrants maliens et sénégalais nest pas lié à leur niveau de revenu. Lendettement des ménages en France augmente régulièrement avec leur revenu. Ainsi, un cinquième des ménages percevant moins de 90 000 francs est endetté et doit en moyenne 70 000 francs tandis quils sont deux sur trois gagnant plus de 200 000 francs à avoir une dette moyenne de 250 000 francs, soit presque léquivalent du salaire net annuel moyen des cadres en France (254 210 francs). Alors que chez les immigrés maliens et sénégalais, le montant du dernier prêt contracté se situe entre 2 000 et 70 000 francs.
Le montant total des encours de prêts sélève à près de 500 000 francs pour 23 immigrés maliens et sénégalais. Ce qui représente en moyenne, un emprunt de 20 000 francs par personne avec une grande dispersion du montant des prêts autour de cette valeur moyenne, lécart type étant de 19 237 francs. Cependant, plus de la moitié des prêts est inférieure à 13 500 francs et un peu plus du sixième des prêts dépasse 36 000 francs. La liaison entre le recours au prêt et la nationalité dorigine est peu significative. Les immigrés sénégalais sont beaucoup plus favorables au prêt que les immigrés maliens même si les taux dendettement sont relativement faibles.
Lanalyse des correspondances multiples entre les variables prêts, nationalité dorigine et montant dépargne suggère, en dépit dune dispersion marquée du nuage de points, un regroupement des observations en deux principaux groupes. Le premier rassemble les migrants de nationalité sénégalaise ayant généralement contracté un emprunt et dont le montant dépargne brut se situe entre 1 000 et 2 000 francs par mois. Le second groupe, majoritaire, est composé de migrants maliens qui ont un montant dépargne brute supérieur ou égal à 2 000 francs par mois et qui sont créditphobes , cest-à-dire quils ne demandent pas de crédit.
Figure 3.31 : Analyse des correspondances multiples des variables prêts, nationalité d'origine, montant d'épargne
fig1
Pour affiner cette interprétation par une analyse complémentaire, on procède à une classification automatique par la méthode des centres mobiles. Cette classification repose sur la variable Date de retour qui sert en même temps de critère de répartition des individus dans les groupes. Les deux classes retenues correspondent exactement aux deux strates définies dans lanalyse factorielle. Le groupe des Sénégalais, moins nombreux mais plus dispendieux et sensible au crédit, est, par rapport à léchantillon total, beaucoup moins enclin au retour que celui des Maliens, plus économe et créditphobe . En effet, 37 % du groupe des migrants sénégalais est décidé à rentrer à tout moment alors quils sont 47 % chez les migrants maliens.
Sil nexiste aucune corrélation entre le montant du dernier prêt et le nombre dépouses résidant en France, il existe en revanche une corrélation positive entre le montant du dernier prêt et le nombre denfants résidant en France. Nous distinguons, daprès lanalyse en composantes principales, deux groupes de migrants emprunteurs, lun homogène correspondant aux migrants ayant en moyenne deux enfants ; lautre groupe étant très dispersé avec des montants demprunt très variables (voir graphique ci-dessous).
Figure 3.32 Analyse en composantes principales des variables montant du dernier prêt, nombre de femmes et nombre denfants
fig2
Par ailleurs, la relation entre le recours au prêt et le sexe nest pas significative. Les hommes et les femmes ont la même attitude face au prêt. Il ny a aucune spécificité particulière des hommes ou des femmes en ce qui concerne le recours au crédit. Le recours plus important des hommes au crédit sexplique essentiellement par leur rôle de chef de famille.
La dépendance entre lâge et le recours au prêt nest pas significative. Lâge des immigrés maliens et sénégalais na pas dinfluence sur le recours ou non au crédit. La tranche dâge 40 50 ans est la plus endettée. Il sagit essentiellement de responsables familiaux qui sont contraints de sendetter pour régler certains besoins urgents.
Il nexiste pas de lien significatif entre lappartenance ethnique et le recours au prêt. Le recours ou non au crédit est indépendant du groupe ethnique dont fait partie limmigré malien ou sénégalais. Il est important de constater quaucun immigré Soninké a sollicité un emprunt.
Le lien entre le recours au prêt et le fait davoir un conjoint européen nest pas significatif. Les couples mixtes ne sont ni plus ni moins enthousiastes que les couples dimmigrés face au crédit. Le recours au prêt est indépendant de lorigine du conjoint, africaine ou européenne.
Le lien entre le type de contrat de travail et le recours au prêt est peu significatif. Cette faible dépendance explique toutefois le recours au crédit plus important des immigrés ayant un contrat de travail à durée indéterminée. Les immigrés possédant un contrat à durée déterminée ne constituent que 15 % de lensembles des personnes ayant contracté un emprunt.
Les banques sont, de loin, les premiers prêteurs aux immigrés maliens et sénégalais. En effet, dans quatre cas sur cinq, ce sont les banques qui ont accordé un prêt aux immigrés. Néanmoins, certaines associations dimmigrés octroient des prêts à leurs membres même si cela semble très marginal au regard des résultats de notre enquête.
Les principales garanties demandées aux emprunteurs sont les fiches de paie et les justificatifs de domicile et de salaires. Les bulletins de salaire ou les justificatifs de domicile et de salaires sont alternativement les garanties exigées par les établissements de crédit pour accorder un prêt à leurs clients immigrés. A ce niveau, il ny a aucune discrimination entre les immigrés et la population autochtone. En revanche, près du quart des prêteurs, essentiellement les groupements dimmigrés, na exigé de leurs débiteurs aucune garantie.
Les prêts des immigrés ont servi, dans plus de la moitié des cas, à lachat déquipements électroménagers et à près du quart à lachat dune voiture. Les prêts sont aussi utilisés pour acquérir une maison (12 %) et pour satisfaire les besoins pressants de la famille (8 %). En somme, les immigrés ont sollicité des prêts pour séquiper en biens durables. Ce résultat contraste avec la prééminence de lendettement immobilier dans les crédits domestiques de lensemble des ménages en France.
Près des deux tiers des immigrés endettés (65 %) remboursent moins de 1 000 francs par mois alors quils sont 13 % à rembourser au moins 1 500 francs par mois. Le montant mensuel de remboursement des prêts est, dans la plupart des cas (35 %), compris entre 500 et 1 000 francs. Le montant moyen de remboursement sélève à 839 francs et représente 4 % de lencours moyen des prêts et 15 % du revenu moyen de lensemble des personnes interrogées.
Limportance du montant de remboursement des prêts par rapport au revenu et/ou au montant du crédit révèle lenvie des immigrés de se débarrasser au plus vite du fardeau de la dette. Elle montre, dautre part, et compte tenu du faible taux de personnes endettées que le recours au prêt est plutôt une exception quune règle chez les immigrés maliens et sénégalais résidant en France.
4. Troisième critère de différenciation : lesprit dentreprise
Lentrepreneuriat immigré est une réalité en France et a fait lobjet de plusieurs études. Celles-ci ne sont pas focalisées sur le cas des communautés maliennes et sénégalaises. Il importe dabord dexpliciter les facteurs explicatifs de lengouement des migrants à réaliser des projets (4.1), puis de présenter les caractéristiques de cet entrepreneuriat (4.2).
4.1 Les facteurs explicatifs de laccroissement des projets
Deux aspects nous semblent particulièrement essentiels pour servir dexplication à laugmentation des projets réalisés par les migrants maliens et sénégalais en particulier dans leur pays dorigine. Dune part, la rareté relative de lemploi en France (4.1.1) a vraisemblablement motivé nombre de migrants à tenter de créer leur propre affaire souvent en parallèle avec leur activité salariale jugée précaire. Dautre part, laccroissement des difficultés économiques et sociales au Mali et au Sénégal joint à la limitation des flux migratoires (4.1.2) par les pays développés, confrontés à un chômage important, ont davantage favorisé les initiatives privées en incitant les candidats à lémigration à créer, en association avec ou aidés par les migrants, leurs propres activités économiques.
4.1.1 La rareté de lemploi en France
Les exigences technologiques imposées par les mutations industrielles ont accentué le chômage en particulier des travailleurs sans qualification. Les immigrés ont été les premiers à payer un lourd tribut de ces restructurations industrielles. Les entreprises recherchent de plus en plus de travailleurs qualifiés et flexibles. La part des immigrés salariés est passée de 25,9 % à 15,8 % entre 1973 et 1982 et la part des immigrés dans leffectif total des ouvriers de 34,3 % à 25,5 % entre 1973 et 1979.
Lemploi des immigrés a baissé de 27 000 alors quaugmente de 40 000 celui des Français sur la même période. Le mouvement de délocalisation des entreprises en province consistait, selon O. Merckling (1986), à éviter le recrutement de la main-duvre immigrée. Il sinscrivait, selon lui, dans le cadre dune nouvelle politique demploi délibérément orientée vers la préférence des travailleurs nationaux.
La baisse des effectifs étrangers a été de 43 % entre 1979 et 1987. Au 31 décembre 1988, 10,6 % des chômeurs étrangers étaient des Africains alors quils ne représentent que 3,7 % de la population étrangère totale. Ces suppressions concernent généralement des postes de travail non qualifiés. Ces dégraissages massifs posent dénormes difficultés aux immigrés car leur reconversion semble difficile vu la faiblesse de leur niveau de formation.
Dans un premier temps, les immigrés sorientent alors vers les emplois de services en pleine croissance. Les caractéristiques de ces métiers flexibilité des horaires, faibles rémunérations et image de marque sociale peu valorisante ne leur laissent guère de perspectives davenir intéressantes. En 1990, un recensement de lobservatoire du ministère du Travail indiquait une proportion de plus de 50 % douvriers qualifiés parmi les travailleurs étrangers dont moins de 5 % sont agents de maîtrise et techniciens. À Paris, les immigrés représentent 60 à 70 % du personnel de nettoyage, du gardiennage et du blanchissage.
Ce glissement progressif de la main-duvre immigrée des emplois industriels vers les emplois tertiaires sest accompagné dune féminisation croissante de lemploi salarié immigré : entre mars 1979 et mars 1983, les femmes sont passées de 24 à 28 % du total de lemploi immigré, quand lemploi tertiaire passait de 35 à 41 %.
Par ailleurs, le Rapport du CEDEFOP (1986) a mis en exergue lexistence, en France, dun déficit de formation initiale chez les migrants dits de la deuxième génération ; ce qui les handicape sur le marché du travail. Les jeunes migrants de la deuxième génération sont beaucoup plus vulnérables au chômage que les jeunes français de milieu identique. Cette forte vulnérabilité est la conséquence de lacunes diverses, en particulier la non maîtrise de la langue française. Leurs conditions sociales les ont souvent conduits à sorienter vers les filières détudes allégées aux perspectives peu valorisantes.
La persistance de la crise économique a aussi entraîné un décloisonnement du marché du travail, les travailleurs nationaux acceptant désormais doccuper les emplois quils refusaient jadis. Les opportunités de trouver un emploi devenant de plus en problématiques, certains immigrés commencent, dans un second temps, à investir dans leur pays dorigine, dautres se mettent à exercer une activité secondaire pour épargner le maximum dargent possible. L'entrepreunariat individuel ou collectif semble ainsi l'unique alternative crédible pour échapper à l'inactivité et s'assurer un niveau de vie correct.
La peur du chômage est ainsi un puissant facteur d'incitation à l'entrepreunariat. La provenance des fonds destinés à financer l'activité entrepreneuriale source de financement formelle ou informelle n'a que peu d'importance. L'essentiel est de pouvoir démarrer l'activité choisie. Ainsi, chez les chinois, les pratiques tontinières sont moins l'expression d'un comportement culturel que la manifestation d'une éthique de subsistance dans un contexte de précarité économique . Les statistiques de lINSEE les plus récentes, celles de 1992, montrent que près dun entrepreneur sur dix est immigré (étrangers et français par acquisition). Cela témoigne de la réalité et de limportance du phénomène entrepreneurial chez la population immigrée.
Par ailleurs, la baisse continue du chômage, enregistrée depuis deux ans, bénéficie peu aux populations étrangères, encore beaucoup moins aux immigrés originaires dAfrique noire. En effet, le taux dactivité des ressortissants des pays dAfrique noire a fortement diminué (environ 4 points en moins) car il est passé de 65,2 % en mars 1998 à 61.5 % en mars 1999. Au même moment les taux dactivité du total des étrangers hors CEE et de lensemble des étrangers (y compris les ressortissants de la CEE) sont respectivement passés de 54,3 % à 53,7 % et de 56,2 % à 55,4 %, soit 0,5 et 0,8 points de baisse en un an.
La hausse du taux de chômage chez les immigrés dAfrique noire est essentiellement due à une faible augmentation de la population active masculine puisque le taux dactivité des hommes sest légèrement amélioré passant de 78 % à 78,8 %. Le taux dactivité des femmes sest considérablement réduit avec 7,4 points en moins entre 1998 (53,2 %) et 1999 (45,8 %). Cette baisse du taux dactivité des femmes doit sanalyser, eu égard au contexte favorable à lemploi, comme un reflux massif des femmes sur le marché du travail. Toutefois, les femmes immigrées actives éprouvent des difficultés pour sinsérer sur le marché du travail.
4.1.2 Laccroissement des difficultés en pays dorigine et les restrictions à limmigration
Sintéresser à laspect quantitatif et au rôle qualitatif des fonds transférés au Mali et au Sénégal, cest aussi sautoriser à sinterroger sur laffectation de cet argent par les destinataires. Jusquà une période relativement récente, ces capitaux ont souvent servi à couvrir des dépenses improductives, essentiellement à caractère mimétique, au détriment dune allocation productive ou demplois alternatifs efficients. La conception et lutilisation des dons par les bénéficiaires restés au pays sont en cours dévolution sous la double pression de laccroissement relatif de la pauvreté en Afrique et de la montée de la précarité de lemploi et de la hausse continue du chômage en terre daccueil.
La progression de la misère a favorisé une prise de conscience généralisée des populations africaines et des immigrés qui semblent être convaincues de lultime nécessité de développer leurs propres affaires. Lesprit dentreprise guette de plus en plus les individus et devient ainsi le seul moyen pragmatique de retrouver un niveau de vie et de santé décent. Il est fréquent que des parents et amis conseillent voire exercent une pression sur les migrants pour quils montent une activité lucrative pour se prémunir contre lincertitude dun futur proche et sassurer dune éventuelle réinsertion économique ou dune retraite satisfaisante au retour. Cette incitation à lentrepreneuriat privé justifie en partie le fait que les parents et amis soient, comme le montrent les résultats de lenquête, les associés préférés des migrants.
Les immigrés exigent aussi une utilisation plus réaliste et plus productive des fonds envoyés. Deux raisons principales permettent de justifier, croyons-nous, cette exigence. La première est de bien préparer le retour en Afrique occidentale. La classe dimmigrés qui veulent rentrer plus tard chez eux pensent déjà à leur insertion dans lactivité économique et sociale de leur pays dorigine.
La seconde raison est de favoriser la création dune entreprise ou dune activité économique, le plus souvent commerciale, de façon à permettre à la famille de sautogérer à partir des flux de bénéfices engendrés par lentreprise. Il sera alors possible darrêter définitivement lenvoi de capitaux ou à la limite deffectuer des transferts de fonds épisodiques suite uniquement aux cas de force majeure, événements exceptionnels heureux baptêmes, mariages, etc. ou malheureux décès.
Par ailleurs, les limitations des flux migratoires conduisent aux mêmes effets, à savoir le développement de linitiative privée chez nombre de migrants et de candidats potentiels à lémigration. En effet, la plupart des pays du Sud et des pays de l'Est sont confrontés à un chômage massif et à une pauvreté croissante. Ce qui incite, il est vrai, nombre de leurs habitants à considérer la migration internationale comme une nécessité, une solution économique de rechange .
Or, la montée du chômage depuis la fin des années soixante a conduit les pays développés à restreindre fortement par des contrôles partiels et des procédures de sélection très strictes les flux migratoires de travailleurs. Cette situation invite implicitement les migrants et les émigrants potentiels à se préoccuper de leur sort et par conséquent à se tourner vers lentrepreneuriat privé.
4.2 Les caractéristiques de lentrepreneuriat immigré
Létude de la nature des projets individuels des migrants maliens et sénégalais montre une préférence marquée pour les investissements immobiliers. Lacquisition de maisons à usage familial ou locatif demeure linvestissement le plus fréquent tant pour les projets déjà réalisés (4.2.1), les projets en cours (4.2.2) que pour les projets à venir (4.2.3).
4.2.1 Les projets réalisés
Plus dun immigré malien et sénégalais sur deux a effectivement réalisé au moins un projet. Contrairement à limportance des fonds transférés dans les pays dorigine, la proportion dimmigrés ayant réalisé un projet est relativement faible. Cela montre aussi quune infime part de largent envoyé par les immigrés est affectée au financement de projet.
La diversité de la nature des projets déjà réalisés est très notable. Les immigrés maliens et sénégalais ont déjà réalisé des projets dans presque tous les secteurs économiques. Avoir une maison semble être la première préoccupation des immigrés. Ainsi, l'achat d'une maison personnelle est parmi les projets réalisés le plus fréquent (52 % des cas). L'énormité des besoins en matière d'habitation dans les villes maliennes et sénégalaises cette remarque est aussi valable pour les villes des pays du Sud comme du ceux du Nord fait de la location de logements une activité florissante.
Les immigrés propriétaires de maisons s'adonnent souvent aux activités de location. Un projet réalisé sur dix concerne les logements à louer. Les immigrés créent et/ou participent à la création d'entreprises (16 %). Ces entreprises sont généralement de taille modeste et opèrent en général dans le secteur du commerce. Certains immigrés ont aussi investi dans des activités relatives à l'agriculture et l'élevage.
La date dentrée en France et la réalisation de projet par les migrants sont statistiquement liées. La durée de séjour en France est ainsi un critère pertinent de distinction entre les migrants qui ont déjà réalisé un projet et ceux qui nen ont pas réalisé. La dépendance entre la date de retour souhaitée et la réalisation de projet est peu significative. Il demeure toutefois que les migrants qui ont déjà réalisé au moins un projet sont beaucoup plus déterminés que les autres à rentrer chez eux à tout moment.
Lexamen à vue du principal plan factoriel (voir ci-dessous) de lanalyse des correspondances multiples entre les variables projet réalisé, date dentrée en France et date de retour (supposée) conduit à distinguer deux principaux groupes dobservations plus ou moins homogènes. Le premier regroupe les migrants ayant les attributs suivants : ils ont vécu moins de 10 ans en France, ils nont pas encore réalisé de projet et ils souhaitent rentrer après la retraite. Le second groupe comprend les migrants qui ont séjourné plus de 10 ans en France, qui ont déjà réalisé au moins un projet et qui sont prêts à retourner dans le pays dorigine à tout moment.
Figure 4.21 : Analyse des correspondances multiples des variables projet réalisé, date dentrée en France et date du retour
fig3
Le recours à la classification automatique en deux classes dimmigrés en fonction respectivement du revenu mensuel, de lépargne mensuelle et du montant des envois permet de compléter lanalyse factorielle. Les deux classes ont presque le même nombre deffectifs, 38 individus pour la première et 45 pour la seconde.
La classification selon la variable revenu mensuel est la seule qui est statistiquement valable car la différence des moyennes pour les observations et pour l'ensemble de l'échantillon est significative. Les immigrés de la première classe, que lon peut assimiler à ceux du deuxième groupe de lanalyse factorielle, ont un revenu mensuel moyen de 6 432 francs. La seconde classe correspond au premier groupe de lanalyse factorielle. Le revenu mensuel moyen de cette classe est de 4 474 francs. Nous remarquons cependant que les migrants du premier groupe ont un montant dépargne moindre que ceux du second groupe mais sont plus nombreux à faire des transferts dun montant moyen supérieur à 1 000 francs.
La dépendance entre le type de projet réalisé par les immigrés maliens et sénégalais et le choix de leur associé nest pas significative. Le choix de lassocié est indépendant du type de projet réalisé même si pour lensemble des projets réalisés, et ce quelle que soit leur nature, les parents sont les premiers associés des immigrés. Ce constat est très marqué en ce qui concerne lacquisition ou la construction de maison personnelle. Ce résultat corrobore ceux de E. Ma Mung (1996) relatifs à lentrepreneuriat ethnique. Cet auteur a montré la primauté préférentielle mais non exclusive du critère ethnique dans le choix des partenaires économiques, choix fondé sur la confiance garantie par la réputation.
Il nexiste pas de relation statistique entre le type de projet réalisé et la personne qui le gère. Cependant, les projets déjà réalisés sont essentiellement gérés par les parents des immigrés. Les associés et les amis sont gérants de certains projets, en particulier les entreprises. Le fait que les projets soient gérés par les parents et amis affirme la présence dune volonté sociale de mise en dépendance et de dette.
Les projets ont été réalisés dans près de 90 % des cas dans le pays d'origine. Les villages d'origine n'ont bénéficié que de 19 % des projets réalisés, le reste profitant aux autres régions du pays d'origine, en particulier les capitales régionales. Les projets réalisés en France par les immigrés (8 %) sont essentiellement l'acquisition de maison tandis que ceux réalisés dans le pays d'origine sont très divers.
Le lien entre le type de projet réalisé par les immigrés maliens et sénégalais et le lieu de réalisation nest pas significatif. Pour autant la plupart des projets des immigrés, maison personnelle et entreprise, sont réalisés non dans le village dorigine mais dans un autre endroit du pays dorigine. Ces lieux sont le plus souvent des capitales régionales où se concentre une multitude dactivités économiques.
Le lien entre le dernier projet réalisé et la raison de sa réalisation est très significatif. Chaque projet réalisé est conforme à lobjectif initial du promoteur. Autrement dit, pour chaque type de projet réalisé correspond un objectif bien spécifique. Par exemple, les immigrés préparant leur retour ont soit créé une entreprise ou soit acheté des logements mis en location dans leur pays en vue de gagner de substantiels revenus financiers.
Les motivations qui ont animé les immigrés maliens et sénégalais à réaliser leur projet sont très diverses. Cependant, la principale motivation de l'acquisition d'une maison par les immigrés est de pouvoir y habiter (30 %). La réalisation de projets s'inscrit aussi dans une perspective de préparation du retour dans le pays d'origine. Ils sont près de 20 % à justifier leurs investissements par le fait qu'ils souhaitent avoir ultérieurement une meilleure réinsertion dans leur pays d'origine.
Les immigrés maliens et sénégalais sont 18 % à réaliser seuls leur projet, sans associer personne. En revanche, ils sont très nombreux (82 %) à s'associer avec une personne physique ou morale pour réaliser leurs projets. Les parents (57 %) sont les premiers associés des immigrés, suivis des amis (18 %) et des institutions financières (6 %). La prédominance des parents associés se justifie, semble-t-il, par l'importance des projets relatifs aux habitations, en particulier les maisons à construire. Le parent ou l'ami joue souvent le rôle de contrôle de la bonne marche des travaux de construction de la maison. Les banques sont associées au projet lorsqu'il s'agit de création d'entreprises.
Les fonds qui ont servi à financer les derniers projets réalisés par les immigrés ont été confiés aux parents (43 %) , aux banques (43 %) et aux amis (14 %). Les liens de parenté et d'amitié sont très importants et peuvent servir a priori de gage aux promoteurs de projets. Cette confiance des immigrés envers les parents et amis explique le fait que ces derniers soient dépositaires de l'épargne de leurs projets.
Le fait de choisir comme associé un parent ou un ami contraint le migrant à honorer ses engagements jusquà la réalisation effective du projet spécifié. On retrouve cette logique de contrainte dans les pays dorigine à propos des dépôts dargent. Il arrive souvent quune personne fait des dépôts chez un parent, un ami ou une autorité locale en lui exposant la raison de ses dépôts réaliser un projet par exemple. Le déposant est contraint dépargner pour assurer les dépôts. Mais, le dépositaire peut refuser toute demande de retrait dargent non justifiée (eu égard aux raisons initialement exprimées par le déposant).
Les projets déjà réalisés par les immigrés sont à plus de 80 % gérés par les parents et les amis. Il est très rare que les immigrés gèrent eux-mêmes leurs affaires (7 %), et ce d'autant plus que plusieurs de ces projets sont réalisés dans le pays d'origine. En effet, il semble très difficile notamment pour les responsables de famille de s'occuper simultanément de ses préoccupations quotidiennes en France et de gérer une activité à distance.
Le fait que les projets soient gérés par les parents et les amis traduit dune certaine manière une stratégie permanente de mise en dépendance et de dette. La délégation du pouvoir de gestion des projets est fondée sur la confiance accordée aux parents et amis. Cette délégation de pouvoir constitue non seulement un moyen de renforcement et délargissement des relations familiales et amicales mais et surtout un moyen de réduction des asymétries dinformations entre le propriétaire et le gestionnaire du projet.
4.2.2 Les projets en cours de réalisation
Les migrants maliens et sénégalais sont relativement peu nombreux à réaliser actuellement un projet. Ils sont 32 % à affirmer avoir un projet en cours de réalisation contrairement à la proportion de personnes qui ont déjà réalisé un projet (52 %). De plus, on retrouve dans ces 32 % beaucoup d'immigrés qui ont réalisé au moins un projet. Les projets les plus courants chez les immigrés maliens et sénégalais sont aussi ceux qui sont les plus récemment réalisés. Les derniers projets les plus fréquemment réalisés par les immigrés sont respectivement l'acquisition de maison personnelle, la création d'une activité économique et la location de logements.
La nature et l'importance relative des projets courants des immigrés sont les mêmes que celles des projets déjà réalisés. Autrement dit, ce sont les maisons personnelles et les créations d'activités qui constituent les préoccupations majeures des immigrés maliens et sénégalais. Il nexiste aucun lien significatif entre lappartenance ethnique et la nature du projet déjà réalisé par les immigrés maliens et sénégalais.
Les raisons justificatives du choix des projets en cours de réalisation, maisons personnelles et petites entreprises essentiellement, sont invariablement les mêmes. Préparer le retour, c'est-à-dire créer les conditions d'une bonne réintégration économique et sociale (43 %) et disposer d'une habitation dans le pays d'origine (22 %) sont les principales raisons évoquées par les immigrés porteurs de projets en cours de réalisation. Quant aux projets en cours de réalisation, le pourcentage d'immigrés ayant un associé est presque de moitié inférieur (42 %) à celui des immigrés qui ont déjà réalisé un projet (82 %).
La moitié des immigrés maliens et sénégalais (50 %) finance leur projet en cours uniquement à partir d'une épargne préalablement constituée. Plusieurs d'entre eux (37 %) ont simultanément eu recours à leur propre épargne mais aussi à un crédit, bancaire ou d'une autre nature. Ils sont un petit nombre (6 %) à financer intégralement leur projet à partir d'un crédit bancaire. Cette faible proportion d'immigrés endettés confirme leur refus de s'endetter. En effet, la dette est souvent perçue comme une corde enroulée autour du cou ; ce qui signifie pour beaucoup d'immigrés que moins on en a, mieux on se porte.
Un peu plus de la moitié des immigrés (17 personnes) qui ont un projet en cours ont un associé. Comme pour les projets réalisés, les associés privilégiés sont respectivement les parents, les amis et les banques. Mais, pour les projets courants, l'importance relative des parents a diminué de 16 points et s'établit à 41 %. Alors que les proportions d'immigrés ayant pour associés les amis et les banques ont chacune gagné 11 points pour se situer respectivement à 29 % et 17 %.
Il y a une absence de lien significatif entre le type de projet en cours des immigrés maliens et sénégalais et le choix de leur associé. Limmigré choisit son associé indépendamment de la nature de son projet courant même si globalement les parents et les amis sont leurs associés privilégiés. Ce résultat montre la prééminence de la confiance accordée aux associés sur leurs éventuelles compétences.
En revanche, il existe une relation peu significative entre le type de projet courant et la motivation de sa réalisation. Comme pour les projets déjà réalisés, il y a une certaine adéquation entre la motivation du promoteur et la nature du projet en cours. A chaque objectif particulier correspond un projet en cours bien adapté.
La nature du projet en cours de réalisation est indépendante du mode de financement choisi par les immigrés. Dune manière générale, et quelle que soit la nature du projet, les immigrés maliens et sénégalais comptent dabord sur leur propre épargne. Le crédit bancaire est considéré comme un complément de financement qui sajoute à lépargne déjà constituée. La dépendance entre le mode de financement du projet courant et le choix de lassocié nest pas significative. Les immigrés maliens et sénégalais ne choisissent pas leur associé en fonction du mode de financement sollicité pour réaliser leur projet en cours.
4.2.3 Les projets à réaliser
La hiérarchie des priorités quant aux projets des immigrés maliens et sénégalais de France est identique tant pour les projets déjà réalisés, les projets en cours que pour les projets futurs. Les projets futurs quenvisage de réaliser plus de la moitié de la population enquêtée sont essentiellement lacquisition ou la construction de maison personnelle (44 %), la création dune activité économique (16 %) et la location de logements (5 %).
Dautres types de projets assez divers sont également envisagés mais leur fréquence est relativement faible. Parmi cette variété de projets, on peut relever la présence de projets maraîchers (4 %), agricoles (4 %) et de projets relatifs au secteur de lélevage (4 %).
Comme les projets en cours de réalisation, les immigrés maliens et sénégalais espèrent financer leurs futurs projets sur fonds propres. La logique de recours au financement externe pour réaliser un projet est très exceptionnelle. En effet, seuls 5 % des porteurs de projets envisagent de réaliser leurs projets exclusivement par financement bancaire. En revanche, ils sont plus de 51 % à constituer une épargne préalable et 35 % à compter simultanément sur leur épargne et sur un crédit bancaire.
Près des trois quarts (72 %) des immigrés qui souhaitent réaliser un projet futur sont en train de constituer une épargne préalable. Cette proportion dépargnants concerne à la fois les immigrés qui sappuient sur leurs propres moyens financiers que ceux qui vont, en sus, solliciter un prêt bancaire. Les porteurs de projets qui misent sur les deux modes de financement ont naturellement plus de chance de décrocher un prêt auprès des institutions financières que ceux qui comptent uniquement sur un financement externe, et ce quelle que soit la pertinence de leur projet. En effet, limplication et la motivation du promoteur dun projet se mesurent aussi à laune de sa participation financière. Les porteurs de projet doivent assumer une plus grande part du risque.
Limportance de lapport financier du promoteur est ainsi un indicateur de crédibilité et de viabilité du projet aux yeux des établissements financiers. La dépendance entre les immigrés qui ont déjà réalisé un projet et ceux qui envisagent den réaliser un autre est peu significative. Nous remarquons que les immigrés qui ont un projet futur sont généralement ceux qui ont déjà finalisé un projet. Ce sont les mêmes promoteurs qui souhaitent toujours entreprendre (faire quelque chose).
Il nexiste aucun lien statistique entre la nature du projet futur et le mode de financement dudit projet. Lépargne préalable et lépargne complétée par un financement externe notamment bancaire restent les modes de financement les plus dominants chez les immigrés maliens et sénégalais, et ce quelles que soient la nature et léchéance de réalisation prévue de leur projet. Aussi, la nature du projet futur na aucune influence sur la constitution ou non dune épargne préalable. Labsence de lien entre ces deux variables montre le caractère plus nécessaire, chez les immigrés maliens et sénégalais, de disposer dune épargne préalable avant de se lancer dans la réalisation dun quelconque projet.
La régularité de lépargne destinée à financer un projet ne dépend absolument pas du statut de létablissement financier dépositaire de cette épargne. Même si les banques sont les dépositaires de lépargne les plus sollicités, il nen demeure pas moins que les dépôts sont aléatoires, tantôt réguliers tantôt irréguliers. Il n'y a aucun lien entre les raisons du dépôt de l'épargne et la fréquence des dépôts. Les immigrés qui évoquent la sécurité comme raison, font le plus souvent des dépôts irréguliers. Les deux variables sont donc indépendantes.
Les raisons qui ont conduit les immigrés à confier leur épargne à un dépositaire sont statistiquement indépendantes du dépositaire choisi. Cependant, le recours des immigrés aux établissements financiers sexplique principalement par la sécurité et la confiance quinspirent ces derniers. La rémunération (incluse dans la modalité Autre), bien que dans une moindre mesure, est aussi un facteur explicatif du choix des banques comme dépositaires de lépargne des immigrés maliens et sénégalais.
Les immigrés constituant actuellement une épargne pour leur projet futur sont près de 72 % à avoir répondu à la question relative à la fréquence de leur épargne. Ils sont environ 59 % à épargner régulièrement en vue de réaliser leur projet futur. La régularité sentend ici au sens large ; la fréquence de lépargne pouvant aller du mois au trimestre.
Les immigrés maliens et sénégalais porteurs de projets futurs confient, dans leur immense majorité (95 %), leur épargne aux banques. Ce résultat confirme le précédent, à savoir que les migrants considèrent lépargne confiée aux banques établies en France comme sécurisée. Les parents et les amis ne sont que très rarement dépositaires de lépargne des immigrés destinée au financement de projets futurs. Néanmoins, les amis et les parents demeurent les associés privilégiés des immigrés.
La sécurité (40 %) et la confiance (20 %) sont les principales raisons qui ont guidé les immigrés dans le choix de leur dépositaire. La rémunération (7 %) nest pas un critère déterminant pour les immigrés dans le choix du dépositaire de leur épargne. Deux explications peuvent justifier ce constat. La première explication est lindifférence des immigrés due au fait que les établissements financiers proposent presque tous, concurrence oblige, les mêmes taux de rémunération de lépargne.
La seconde explication est linfluence de lislam, la religion de la grande majorité des immigrés maliens et sénégalais, qui interdit la prise dintérêt dans les relations financières. La prohibition de lintérêt nest pas spécifique à lislam. En effet, le prêt à intérêt a été dabord principalement considéré comme licite dans la plus haute Antiquité. Puis, assimilé à lusure, il était prohibé. Enfin, distingué de lusure, il a été accepté et réglementé. La neutralité éthique de lintérêt nest établie quà partir de laffirmation de la suprématie du pouvoir civil et de lordre marchand essor de la monétarisation de léconomie marchande à légard du pouvoir ecclésiastique.
Cependant, pour Max Weber, ce développement de lordre marchand et donc du capitalisme na été possible quavec lavènement dune éthique capitaliste reposant uniquement sur une ascèse intra-mondaine du protestantisme . Le protestantisme a ainsi constitué une caution morale pour le capitalisme et autorisé les personnes pieuses et vertueuses sur le plan éthique à sadonner aux activités capitalistes.
Cette seconde explication est beaucoup moins plausible au regard de la faiblesse du nombre de pratiquants, mais elle peut également se prévaloir dans la mesure où les valeurs religieuses font partie intégrante du système socioculturel. En effet, les pratiques et les valeurs quimpose toute religion, quelle quelle soit, sont une composante essentielle de lhabitus.
Les immigrés maliens et sénégalais envisagent presque tous (98 %) de rentrer dans leur pays dorigine. Seulement 2 % dimmigrés souhaitent rester en France. Les partisans au retour sont prêts à près de 50 % à quitter le territoire français à tout moment. Un tiers des immigrés est indécis quant à la date de retour prévue alors que 19 % des immigrés souhaitent rentrer dans leur pays après la retraite.
Il est cependant important de se rappeler que le séjour à l'étranger n'éloigne pas le migrant de l'évolution de la réalité sociale et culturelle de son pays dorigine. En effet, les nouvelles technologies de télécommunications offrent, à tout migrant qui le veut bien, la possibilité d'être informé en temps réels sur tout ce qui se passe dans son pays. L'objectif est, pour les migrants, de vivre en paix avec des proches et dans leur cadre culturel d'où l'une des principales raisons d'être de leurs structures associatives dentraide et de solidarité.
Conclusion du chapitre
Les résultats statistiques de lenquête révèlent, dune manière générale, que les migrants maliens et sénégalais constituent une épargne mensuelle somme toute importante comparativement à leur revenu moyen mensuel. En effet, le montant mensuel moyen de lépargne brute de léchantillon sélève à 1 342 francs pour un revenu mensuel moyen de 5 522 francs. Pour plus dun quart des migrants enquêtés, le montant dépargne brute (2 500 francs) est très élevé puisquil représente près de la moitié du revenu mensuel moyen ; ce revenu étant essentiellement dorigine salariale.
Labsence de lien statistique significatif entre le revenu mensuel et le montant dépargne brute mensuel montre, chez les migrants maliens et sénégalais, que le montant du revenu ne détermine pas celui de lépargne. Ceux qui ont un revenu mensuel élevé népargnent pas plus que les autres. Limportance de lépargne dépend principalement du montant des charges familiales et des sollicitations de parents restés au pays dorigine (les transferts).
Laide destinée à la famille restée sur place est souvent considérée comme une charge plus ou moins obligatoire à imputer sur le revenu mensuel, ce qui explique la fréquence des transferts dargent. Aussi, le montant dépargne brute ne dépend ni de la nationalité dorigine ni de lappartenance ethnique des migrants. Les motivations originelles de la migration ninfluent pas non plus sur le montant de lépargne brute.
Les migrants maliens et sénégalais sont peu nombreux à placer leur épargne. Daprès les résultats de lenquête 1998-1999, un tiers réalise des placements financiers alors quils étaient près de la moitié dans lenquête de 1995. Le souhait de retour ou non dans le pays d'origine ne constitue pas une variable explicative du recours aux placements financiers.
Lintérêt ou le désintérêt envers les placements financiers nest pas non plus lié à lâge, au sexe, au type de contrat de travail, à la durée de séjours en France et au fait davoir un conjoint européen. Aucune de ces variables ninflue sur la décision de faire des placements financiers. Parmi les produits financiers, lassurance-vie est le placement financier le plus fréquemment utilisé par les migrants. Elle semble aussi le placement financier le plus convoité par les migrants car, entre la période séparant les deux enquêtes, le pourcentage de migrants souscripteurs a plus que doublé, passant ainsi de 33 % à 68 %.
La constitution dune épargne répond pour la plupart des migrants à un désir de réaliser un projet dans le pays dorigine. La réalisation de projets s'inscrit dans une perspective de préparation du retour dans le pays d'origine. Lobjectif est pour les migrants de sassurer ultérieurement une meilleure réinsertion économique et sociale dans leur pays d'origine.
Les projets individuels déjà réalisés par les migrants maliens et sénégalais se caractérisent par une diversité de leur nature et surtout par une préférence très marquée pour les investissements immobiliers. En effet, lachat de maisons à usage familial ou locatif demeure linvestissement le plus fréquent tant pour les projets déjà réalisés, les projets en cours que pour les projets à venir.
Les projets ont été réalisés dans neuf cas sur dix dans le pays d'origine et plus précisément dans les capitales régionales, les villages d'origine ne bénéficiant que très rarement de ces réalisations. Les parents et les amis sont les principaux associés des migrants, notamment en ce qui concerne les projets relatifs aux habitations construction de maison personnelle ou de logements à louer. Les banques ne sont associées au projet que lorsqu'il s'agit de création d'entreprises.
Les relations des migrants maliens et sénégalais avec le système financier formel en France sont assez spécifiques. Dune part, le choix dun établissement de crédit sopère de manière plus ou moins indifférente. Dautre part, les migrants sont très hostiles à légard du crédit bancaire.
Le recours au crédit bancaire constitue plutôt une exception quune règle. Il est le résultat dun choix contraint, le plus souvent, par limpératif dintégration sociale. Cela sexplique par le fait que la satisfaction des besoins financiers est dabord recherchée au sein de la communauté. Ainsi, le migrant préfère emprunter à un des siens ou au groupe en tant que structure collective exemple des groupes dentraide octroyant de petits crédits à leurs membres que de solliciter un crédit bancaire.
Chapitre 3 : Pratiques et logiques de lépargne collective
Les membres de chaque groupe peuvent avoir des intérêts en partie congruents et en partie conflictuels. Les actions fondées sur la loyauté au groupe peuvent entraîner, à certains égards, le sacrifice dintérêts purement personnels, de même quelles peuvent procurer, à dautres égards, une plus grande satisfaction de certains intérêts personnels. (
) Lassociation de comportements égoïstes et désintéressés est lune des caractéristiques importantes de la loyauté au groupe, et lon observe ce mélange dans toutes sortes de groupements, allant des relations familiales et de voisinage aux syndicats et aux groupes de pression économique .Amartya Sen, Éthique et économie, PUF, 1991.
La plupart des réflexions théoriques et des recommandations de politique économique et financière reposent sur l'hypothèse de rationalité des agents économiques. En matière financière, la rationalité des épargnants les conduit à raisonner en termes de coût-avantage, le motif de spéculation cest-à-dire le désir de profiter dune connaissance meilleure que celle du marché en ce qui concerne lévolution future du taux dintérêt constituant un des éléments fondamentaux de cette rationalité. Or la pluralité des logiques à l'uvre chez les migrants maliens et sénégalais, l'influence des spécificités culturelles et le rôle du groupe sont autant de facteurs qui interdisent de réduire les pratiques financières à un simple comportement d'arbitrage.
Les enquêtes menées tant auprès des migrants quauprès des établissements bancaires ont montré que lépargne de spéculation ne semble pas être un mobile poursuivi par les migrants. Trois autres mobiles sont en revanche essentiels. On distingue tout dabord lépargne de précaution, qui se justifie pleinement dans un contexte de précarisation croissante de la situation demploi dun nombre de plus en plus élevé de migrants. On a ensuite lépargne projet , le projet pouvant être individuel ou collectif. On a enfin lépargne que lon peut qualifier de maintien des solidarités sociales , qui se traduit par la participation à des projets de développement local dans le pays d'origine, et/ou par des transferts vers le pays dorigine.
Il importe ici de bien tenir compte des obligations vis-à-vis de la famille qui sont un élément central de la cohésion sociale. Il s'agit tout d'abord de maintenir sa place et son statut social au sein d'un réseau communautaire, on parle à cet égard d'investissement en capital symbolique. Mais du fait de l'exigence de réciprocité, inhérente à toute relation humaine, cette assistance financière est logiquement assimilable à une forme d'épargne. En dépit de lobligation morale d'entretenir sa famille, il nous semble tout à fait rationnel, pour un migrant qui souhaite rentrer au pays, de donner régulièrement de l'argent à la famille sur place que de le placer sur un compte en vue du retour, si sa retraite est entièrement prise en charge par ses enfants.
Ainsi contrairement aux conceptions occidentales modernes, accumuler du point de vue strictement individuel des biens ou des avoirs dans des comptes bancaires ou d'épargne non seulement est un comportement qui a peu de sens, mais est une pratique jugée négative, car fondamentalement conserver passe par le don, c'est-à-dire par la médiation des autres . Un tel système ne peut perdurer que sil y a une circulation rapide de la richesse notamment sous sa forme monétaire. L'accumulation de largent n'a de sens que si elle est destinée in fine à accroître la liquidité financière du réseau social. Les structures associatives (section 1) et les tontines (section 2) en tant que réseaux communautaires jouent un rôle important dans le comportement financier des migrants maliens et sénégalais.
1. Caractéristiques et rôles des associations de migrants
La vigueur du mouvement associatif immigré se mesure à laune de limportance et de la diversité des structures collectives mises en place. Après avoir abordé les traits caractéristiques des associations (1.1) et évoqué quelques résultats empiriques de lenquête (1.2), nous montrerons que ces associations servent de moyen de protection sociale (1.3) ou dinstrument de développement économique des localités dorigine (1.4) ; ces deux fonctions ou missions des associations nétant pas exclusives lune de lautre.
1.1 Typologie des structures collectives des migrants
La majorité des migrants font partie dune association villageoise et/ou d'un groupe d'entraide. A l'instar des groupes dans les pays d'origine, les facteurs de rapprochement sont soit de l'ordre de la proximité de l'origine géographique sénégalais originaires de la Casamance par exemple , soit de l'ordre de la proximité socioculturelle étudiants, travailleurs, femmes, commerçants, etc. On trouve également des groupes qui réunissent des Français et des Africains ; c'est le cas par exemple de l'association des femmes sénégalaises, qui regroupe les épouses, françaises et sénégalaises, de Sénégalais résidant dans la région lyonnaise. Ces structures collectives apportent aussi une aide à linsertion résidentielle et (si possible) professionnelle aux migrants nouvellement arrivés en mobilisant les réseaux de relations et de connaissances des membres.
Se combinent au sein de ces structures, associations villageoises et groupes d'entraide, des motivations à la fois sociales lutter contre la solitude, partager des angoisses, retrouver une ambiance familiale et communautaire et financières, à travers le financement de projets de développement et la mise en place de systèmes d'épargne de précaution. Lépargne collective des migrants est gérée par les responsables des groupes dentraide ou des associations villageoises.
Les associations de migrants que nous avons rencontrées sont toutes déclarées en préfecture et régies par la loi 1901 ; ce sont donc toutes des associations à but non lucratif. Une classification fonctionnelle fondée sur le périmètre dintervention aboutit à deux grands types dassociations :
les associations qui interviennent uniquement au niveau du pays daccueil. Elles sont des outils de solidarité pour leurs membres. Par exemple, en cas dévénement malheureux incendie, décès, etc. , lassociation apporte une assistance financière et morale à la famille de la victime. Elles développent les liens communautaires en organisant notamment des manifestations culturelles et sportives. Nous considérons ces associations comme des groupes dentraide (cf. ci-après),
les associations qui ont créé et maintenu des relations permanentes avec les pays dorigine. Souvent, elles ont acquis dans le temps une certaine puissance financière ; laquelle leur a permis de réaliser des projets collectifs dans leur espace natif. En effet, elles ont l'ambition de participer au développement de leur village en mobilisant des ressources monétaires nécessaires dans leur pays d'accueil. Aussi, nombre dentre elles font des transferts financiers et en nature pour leurs membres.
Nous distinguons ainsi deux types de groupes dentraide :
les tontines qui sont des groupes rotatifs dépargne et de prêt dont la nature dépend des objectifs poursuivis par les membres,
et les associations qui visent en priorité à assurer l'entraide des membres, cette entraide pouvant être à la fois morale et financière.
Lentraide et la solidarité, valeurs constitutives du ciment des sociétés traditionnelles basées sur linter-connaissance et la réciprocité des relations , sont aussi le fondement des structures associatives des migrants maliens et sénégalais.
1.2 Quelques résultats empiriques
Les associations rencontrées sont à dominante sénégalaise. Cependant la proportion dassociations sénégalaises (37,5 %) est très légèrement supérieure à celle des associations maliennes (35 %). La présence dassociations mixtes regroupant des immigrés africains, en particulier des Maliens et des Sénégalais, est aussi importante. Les associations mixtes représentent 27,5 % de léchantillon total.
Le mouvement associatif intéresse plus de la moitié des immigrés maliens et sénégalais. La multiplicité et la diversité des structures associatives immigrées témoignent de cet engouement. Ainsi, les immigrés sont nombreux à militer dans les associations, en particulier les associations dimmigrés. Ils sont 16 % à être membres dans deux associations et 7 % dans trois associations différentes. Le nombre moyen dassociations dont sont membres les immigrés maliens et sénégalais est de deux.
La date de création des associations de migrants est très variable. Létendue, différence entre la date de création de lassociation doyenne et celle de la plus récente, est de 28 années. La proportion dassociations ayant moins de sept ans dexistence est de 52,5 % et celle des associations de plus de vingt-cinq ans est de 2,5 % seulement. Si lon réduit le nombre des modalités de moitié, on saperçoit que les trois quarts des associations de migrants ont moins de dix ans dexistence et 15 % entre dix et vingt ans. Les associations de migrants notamment maliens et sénégalais sont relativement jeunes. La décennie 1990 correspond ainsi à lapogée du mouvement associatif immigré, du moins si lon se focalise uniquement du point de vue du nombre dassociations qui y ont vu le jour.
Les raisons dêtre des associations de migrants, selon les responsables, sont très diverses mais nont pas toutes la même importance. Ainsi, lentraide et laide au développement du village dorigine ou dun ensemble de villages du pays dorigine sont les objectifs les plus privilégiés et les plus fréquents. Plus de 90 % des associations de migrants font de lentraide et du développement des villages leur cheval de bataille et leur principale priorité.
La prépondérance de laide au développement des villages des pays dorigine dans les préoccupations des associations de migrants se vérifie au niveau des proportions de fréquence. En effet, plus de 55 % des associations sassignent comme objectif majeur le développement des villages dorigine. Cependant, lintégration fait aussi partie des soucis de près 9 % des associations de migrants. Lappui au développement des localités dorigine (37 %), villages ou ensemble de villages, lentraide (23 %) et la recherche de partenaires pour la réalisation de projets sont les principaux services offerts par les associations de migrants à leurs membres.
Les immigrés maliens et sénégalais citent dabord lentraide, puis laide au développement et enfin les retrouvailles pour justifier leur appartenance à une association immigrée. Cependant, en termes de fréquence, cest laide au développement qui est la première raison (31 %), suivie de lentraide (29 %) et des retrouvailles (24 %). Cela montre que les immigrés sont soucieux des conditions de vie dans leur pays dorigine. Cette implication dans le milieu associatif leur permet de contribuer, à travers des actions diverses et variées, au développement économique et social de leur pays dorigine. Cest ce que nous avons appelé par ailleurs la participation consciente au développement.
Les associations immigrées ne reçoivent que très rarement des subventions de la part des autorités publiques françaises. En effet, près du tiers des associations bénéficie de subventions financières alors que la plus grande majorité ne compte que sur les cotisations et les dons des membres mais aussi et surtout sur les recettes financières issues de lorganisation de manifestations diverses et variées à dominante principalement culturelle.
Les membres des associations de migrants sont le plus souvent originaires du même pays. Plus de 35 % des associations regroupent des migrants de même origine nationale. Le poids des associations villageoises est aussi sans conteste très important (32 %). Cette importance explique le privilège et la prééminence des actions de développement dans les priorités des migrants originaires du même village. La proportion dassociations franco-africaines est également élevée (28 %).
Par ailleurs, les associations de migrants dont ladhésion repose sur lorigine ethnique sont très rares (4 %) et celles qui se fondent sur lappartenance à une même confrérie religieuse sont quasiment inexistantes. Labsence des associations religieuses dans léchantillon ne signifie guère leur inexistence mais elle constitue un indice de leur rareté relative par rapport aux autres types dassociations de migrants.
Le nombre moyen de membres des associations de migrants dépasse la centaine de personnes. Les associations de moins de 50 personnes (32,5 %) et celles de plus de 150 personnes (30 %) sont les plus fréquentes. Leurs proportions sont très voisines avec un faible écart de 2,5 points. Le montant de la cotisation des adhérents dassociations de migrants se situe dans une fourchette très large. Les montants de cotisation minimum et maximum sont respectivement de 10 et 300 francs. Le montant moyen des cotisations sétablit à 79 francs avec tout de même un montant de cotisation inférieur à 58 francs pour plus des deux tiers des associations de migrants.
Cependant pour près du tiers des associations de migrants, le montant de participation des membres excède 100 francs. La fréquence des cotisations est pour plus des deux tiers des associations de migrants le mois. Lautre tiers des associations a préféré opter pour une fréquence de cotisation annuelle. La différence de cotisation annuelle des membres, dans lun ou lautre groupe dassociations, est globalement sans importance au regard des montants de participation retenus par les associations.
Le test statistique du Khi-2 a mis en relief deux résultats intéressants relatifs aux facteurs pouvant influer sur le montant des cotisations. Dabord, il y a une absence de lien entre la nationalité et le montant de la cotisation des associations de migrants. Le montant des cotisations est très variable pour lensemble des associations de migrants et ce quelle que soit la nationalité dorigine des membres. Cependant nous remarquons que la proportion dassociations maliennes qui demandent une cotisation de 50 francs ou plus est très élevée (86 %). Les associations exigeant une cotisation inférieure à 50 francs sont le plus souvent des associations sénégalaises.
Ensuite, la dépendance entre lobjectif que se sont assignées les associations de migrants et le montant de la cotisation quelles exigent à leurs membres nest pas significative. Labsence de lien statistique entre ces deux variables ninterdit pas de souligner une remarque importante au regard des résultats obtenus au niveau des tris à plat des deux variables : le pourcentage dassociations dentraide est plus élevé parmi toutes les associations dont la cotisation est inférieure à 50 francs. Aussi, pour les cotisations dau moins 150 francs, les associations daide au développement de villages ont la proportion de fréquence la plus importante.
Les premiers projets réalisés par les associations de migrants sont marqués par leur extrême diversité. Limportance de la modalité Autres (39 %), qui regroupe plusieurs types de projets de nature très différente, témoigne de cette grande diversité. Les projets les plus fréquemment réalisés par les associations de migrants sont cependant les infrastructures scolaires et sanitaires écoles(18 %) et centres de santé primaires ou secondaires (13 %), les forages (8 %) et les coopératives (8 %).
Les constructions de tronçons de routes et de mosquées ont la même proportion de fréquence (5 %). La réalisation de routes par les associations permet de désenclaver les villages très isolés et daccroître la mobilité des villageois. La facilité daccès aux villages les plus reculés peut contribuer au développement des activités et des échanges économiques inter-villageois mais aussi entre les villages et les villes environnantes.
Les derniers projets réalisés par les associations de migrants sont essentiellement les adductions deau (22 %), les écoles (19 %) et les centres sanitaires. La création de forages est indispensable pour lutter contre les carences dalimentation en eau. Les forages sont ainsi un moyen dobtenir un meilleur approvisionnement tant quantitatif que qualitatif en eau. Ce qui justifie limportance de la fréquence des projets dadduction deau et de forages. On retrouve ici la priorité accordée à la réalisation dinfrastructures de base nécessaires au bien être des populations villageoises.
Les deux tiers des derniers projets réalisés par les migrants au travers de leurs structures associatives ont individuellement coûté moins de 50 000 francs. Le montant du financement se situe pour 15 % des projets réalisés entre 50 000 et 100 000 francs et dépasse 300 000 francs pour 6 % des projets. Le montant moyen des financements étant de 287 963 francs, seuls 6 % des projets réalisés dépassent cette somme.
Cette situation sexplique par limportance de létendue, différence entre le financement le plus élevé et celui le moins coûteux, qui sélève à plus de 1 500 000 francs. Le montant élevé de lécart type, environ 400 000 francs, conforte cette remarque et montre limportance de la dispersion des montants de financement des projets autour du montant moyen de financement. La date de réalisation des derniers projets remonte très rarement avant lannée 1996. Une très grande majorité des derniers projets (82 %) sont réalisés après 1996. Les deux tiers des projets récemment réalisés lont été après lannée 1997.
Tous les responsables d'associations de migrants rencontrés affirment avoir ouvert un compte financier pour la structure quils dirigent. Les associations de migrants sont près de 80 % à avoir un compte chèque. Une association sur cinq a préféré ouvrir un compte d'épargne sans doute pour profiter des intérêts et des avantages fiscaux que procure ce type de compte. Cependant, le type de compte ouvert par les associations de migrants est indépendant de leurs objectifs. Ainsi, il ny a aucune correspondance spécifique entre les objectifs et les types de compte ouverts.
Les associations dentraide et les associations daide au développement ont presque le même pourcentage de fréquence en ce qui concerne le type de compte ouvert. Les responsables dassociations de migrants sont également indifférents quant aux types de comptes financiers. Toutefois, nous constatons que la proportion dassociations ayant un compte chèque est trois fois plus importante que celle des associations possédant un compte épargne.
La Poste (51 %) et les Caisses d'épargne (13 %) sont les établissements financiers les plus préférés par les responsables des associations de migrants tout comme d'ailleurs les immigrés maliens et sénégalais dans leur ensemble. Cependant une diversité de banques gèrent des comptes d'associations de migrants, la Société Générale (8 %) et la BNP (5 %) étant les plus fréquemment citées.
La proximité (48 %) et la pratique (21 %) sont les deux principales raisons évoquées par les responsables d'associations de migrants pour justifier leur choix de l'établissement financier dépositaire de leur argent. Le choix de la Poste peut se comprendre aisément dans la mesure où la Poste, bien quévoluant dans un secteur concurrentiel, continue dassumer pleinement sa mission de service public. L'importance du nombre de bureaux de Poste, leur couverture du territoire et la souplesse relative de leurs heures d'ouverture (même le samedi) sont autant de variables susceptibles d'expliquer le recours massif des migrants et de leurs associations à la Poste.
Les associations de migrants naccordent généralement pas de prêts à leurs membres. Plus de quatre associations sur cinq ne sadonnent pas à une activité de prêts. Les quelques rares associations qui octroient des prêts sont très spécifiques et, qui plus est, les prêts sont souvent exceptionnels et de montant relativement faible. Il sagit dans la plupart des cas dassociations dentraide ou dassociations détudiants qui aident des membres en situation de difficultés financières.
1.3 Les associations comme moyen de protection sociale
Les associations qui octroient des aides financières à leurs membres en situation de besoin urgent sont peu fréquentes. Elles sont environ 5 % à privilégier la solidarité financière entre les membres. Plusieurs dentre elles fixent par avance les modalités de laide financière, lesquelles se fondent sur une typologie des événements susceptibles daffecter les membres. Ces services dentraide peuvent ainsi être assimilés à un système de protection sociale.
L'activité principale des associations dentraide consiste à aider financièrement les membres pour des besoins urgents. L'aide se fait soit sous forme de dons en cas dun événement particulier, malheureux ou heureux maladie, décès, baptême, mariage , soit sous forme de prêts en cas de besoins urgents autres que ceux évoqués précédemment. Les prêts sont le plus souvent sans intérêt, d'une durée souple généralement quelques mois , mais d'un montant limité, et surtout avec l'obligation de ne pas utiliser l'argent pour une activité lucrative.
Le montant minimum moyen des prêts accordés par les associations de migrants sélève à 400 francs. Les extremums du montant minimum des prêts sont respectivement 300 et 500 francs. Le montant des prêts ne dépasse guère plus de 4 000 francs. En effet, le montant maximum des prêts varie en effet entre 1 500 francs et 4 000 francs. La moyenne des montants de prêts est de 2 500 francs. Cette somme est pour le moins très significative si l'on sait qu'elle correspond environ à la moitié du revenu moyen des migrants maliens et sénégalais.
Le test statistique met en exergue labsence de lien significatif entre le montant de la cotisation et loctroi ou non de prêts par les associations de migrants. Toutefois, les rares associations de migrants qui accordent des prêts à leurs membres exigent souvent un montant de cotisation compris entre 50 et 100 francs.
Les prêts accordés par les associations de migrants ne sont pas assortis d'intérêts. Cette absence d'intérêt s'inscrit naturellement dans la philosophie de la solidarité financière entre les immigrés. Elle révèle aussi le caractère désintéressé de l'entraide et la volonté de pérenniser l'esprit de solidarité communautaire. La durée moyenne des prêts est de huit mois et demi.
La durée moyenne du prêt la plus courte est le semestre et la plus longue l'année. Cette durée maximale d'une année s'explique vraisemblablement par l'annualisation de la clôture des comptes des associations de migrants. Le bilan financier est établi en général chaque année et souvent en même temps que le renouvellement des membres du bureau exécutif des associations.
Le montant total des encours de prêts pour l'année 1997 se monte à 29 000 francs pour l'ensemble des associations de migrants qui accordent des prêts à leurs membres. Le montant total moyen des prêts est de 9 600 francs avec un écart type élevé de 4 000 francs. Un écart très important de 8 000 francs existe en termes d'encours total entre l'association qui octroie le plus de prêts et celle qui est la plus restrictive en la matière. Les membres d'associations de migrants bénéficiaires de prêts ne subissent aucune sanction lorsqu'ils ne respectent pas les termes de remboursement. Les associations les plus exigeantes, soit le tiers, se contentent de faire des relances écrites ou verbales aux emprunteurs en retard par rapport à la durée prévue pour le remboursement.
Aider les membres à rapatrier les corps des défunts au pays semble être une activité centrale compte tenu des problèmes, et notamment du coût, posés par ce type de transfert ; certaines associations se sont d'ailleurs créées au départ explicitement pour cette raison. Les associations ne bénéficient généralement pas de subventions de la part des autorités publiques. Elles vivent des cotisations de leurs membres et de recettes issues de leurs activités au cours de lannée. Leur budget sert à financer leurs dépenses de fonctionnement, à aider certains adhérents en difficulté et à octroyer des prêts à ceux qui en font la demande.
Les cotisations sont mensuelles, trimestrielles, ou annuelles ; selon les groupes, les sommes cotisées vont de 10 francs par an à 300 francs par an. Cette épargne est redistribuée aux membres, généralement à travers lorganisation dune manifestation festive gratuite pour les membres et leur famille.
Le groupe dispose éventuellement des ressources issues de manifestations payantes organisées par celui-ci (soirées dansantes par exemple). Les bénéfices seront ensuite redistribués aux membres en fin d'année, éventuellement proportionnellement à leurs dépôts : un tel système permet de rémunérer (si la soirée est bénéficiaire) l'épargne des déposants sans exiger un intérêt des emprunteurs éventuels. La plupart des groupes disposent dun compte bancaire, le plus souvent sous la forme dun compte chèque dans lequel sont déposés les surplus de trésorerie.
Sil est facile de connaître lorigine des fonds, leur estimation semble en revanche très difficile. En effet, il est difficile d'obtenir des informations précises sur les montants dont disposent ces associations, et ce dautant plus que nombre de responsables de ces structures affichent une volonté de forte discrétion. On peut cependant évaluer ces sommes, provenant des cotisations, à des montants annuels moyens variant entre 30 000 et 100 000 francs selon les groupes. Généralement ceux qui exigent les cotisations les plus faibles compensent en organisant des manifestations génératrices de revenus.
On a ici une forme d'épargne de précaution, qui joue en quelque sorte le rôle d'assurance et de sécurité sociale, qui repose sur le principe de mutualisation des risques. Les prestations versées par les groupes dentraide sont ainsi indépendantes des cotisations et versements effectués au préalable et sont identiques pour tous les membres. Les associations dentraide offrant divers services de protection sociale à leurs membres, peuvent être considérées comme des assureurs sociaux. Les cotisations des membres sont alors assimilées à des primes et les prestations reçues à des produits dassurance. Le tableau suivant donne quelques exemples de produits d'assurance proposés par des associations dentraide à leurs membres.
Tableau 1.31 : Exemples de produits d'assurance proposés par des associations de migrants
Montant de la cotisation ou primeType dévénementMontant de laide ou de la prestation240 francs par an- décès- en cas de besoins urgents10 000 francs5 000 francs de prêt maximum pour une durée dau plus six mois50 francs par mois- maladie grave- maladie non grave- mariage- baptême fêté- baptême non fêté- décès :*personne inhumée en France*corps rapatrié3 000 francs500 francs3 000 francs3 000 francs500 francs1 000 francs3 000 francs
Outre l'avantage strictement économique, l'adhésion au groupe permet d'associer la solidarité financière à une solidarité morale dans la mesure où le soutien va bien au-delà d'une aide strictement matérielle. Par ailleurs, certaines associations de migrants sinvestissent davantage voire exclusivement dans des actions de développement économique en faveur de leurs localités dorigine.
1.4 Les associations comme instrument de développement local
Pour réaliser des projets de grande envergure, certaines associations villageoises de migrants maliens et sénégalais en France se sont regroupées autour dune même structure appelée groupement de développement local. Lémergence de ces structures est une réponse originale à léchec des États dans leurs missions de services publics. En effet, depuis le début de la crise économique et financière en Afrique, les États nassurent quen partie leurs fonctions sociales de protection, de répartition, dinvestissement et de services publics.
Dans cette perspective de participation au développement local de leur village d'origine, les migrants s'organisent en France. Dans la mesure où les ressortissants du même village, voire d'une communauté de village, sont dispersés, ils ne se voient pas régulièrement, le siège de lassociation est le plus souvent à Paris, et il n'y a généralement pas d'entraide entre les membres : le but de ces organisations est essentiellement axé sur les projets collectifs. Le rôle des groupements consiste d'abord à décider des investissements à réaliser ; il s'agit ensuite de rassembler les fonds nécessaires, et de les envoyer au pays. Il arrive également que certains membres se rendent sur place pour suivre la réalisation des projets. Certaines associations bénéficient parfois de soutiens financiers de la part de collectivités territoriales. En effet, cest à partir des actions de jumelages développement que certaines collectivités territoriales françaises se sont investies dans la coopération dite décentralisée.
Au départ les projets étaient essentiellement axés sur lhydraulique, souterraine (puits), ou de surface (micro-barrages, mares). Depuis quelques années, ce sont lensemble des domaines de développement qui font lobjet dinvestissement de la part des migrants : alphabétisation, santé, protection de l'environnement, banques céréalières, pistes de production et de désenclavement, boutiques villageoises, etc. Nous pouvons citer deux exemples sénégalais : lAssociation des Ressortissants de Ndouloumadj en France (ARNF) qui, entre 1972 et 1993, a financé un portefeuille de huit projets pour un montant total de 61 050 000 francs CFA et Thilogne Association Développement (TAD) a investi une somme de 21 935 600 francs CFA pour la réalisation de quatorze projets sur la période 1977-1994.
Plus récemment encore, les migrants se mettent à investir dans la formation pour pouvoir être des relais efficaces sur le terrain pour le développement de leur village, voire pour monter leurs projets personnels sur place, une fois rentrés au village. Laccompagnement des migrants porteurs de projets figure aussi parmi la panoplie des services proposés par les associations de migrants. Mais la proportion dassociations se consacrant à ce type de service est pour le moment très faible et sétablit à près de 7 %.
Lengagement en faveur du développement des localités dorigine, souvent dépourvues dinfrastructures scolaires et sanitaires indispensables à toute communauté humaine, témoigne ainsi de la vigueur du mouvement associatif immigré. Les associations de migrants se substituent ainsi à lÉtat en sassignant une mission théoriquement dévolue à celui-ci.
Les projets courants des associations de migrants bien quétant très divers sont principalement marqués par la prépondérance dun petit nombre de projets spécifiques. Ces projets spécifiques sont toujours relatifs à lapprovisionnement en eau potable, à léducation et à la santé. Les projets actuellement en cours néchappent pas à cette spécificité puisque les centres de santé (27 %), les écoles (18 %) et les forages (18 %) sont les projets actuels les plus fréquents chez les associations immigrées.
Cependant, lélectrification devient de plus en plus une donnée importante et un enjeu capital pour le développement futur des villages dorigine. Après les infrastructures de première nécessité, lélectrification commence à préoccuper les migrants et leurs associations. Ainsi, les projets délectrification en cours de réalisation par les associations de migrants sont actuellement de 9 %.
Le montant de la cotisation dépend du coût du projet à réaliser. Lassemblée générale de chaque association fixe un montant forfaitaire que doit acquitter chaque membre. La précarité du monde du travail est souvent prise en compte car dans certaines associations les chômeurs sont partiellement ou totalement dispensés de cotisation. Les cotisations sont ensuite envoyées au village ou à un représentant des migrants sur place ou à un responsable dassociation villageoise ou inter-villageoise locale. Elles sont utilisées de manière collective pour toute opération de développement commune au village ou au groupement inter-villageois. Largent peut être utilisé de manière plus ponctuelle lors de festivités organisées par les villages.
Le test statistique conclut à labsence de lien entre le montant du dernier projet réalisé et la nature de ce dernier projet. Pour presque chaque type de projet, nous avons des montants élevés tout comme des montants beaucoup moins conséquents. Ce contraste des montants peut sexpliquer de deux manières. La première réside dans la différence relative de la dimension des projets de même nature.
La seconde explication possible est que le montant évoqué par certaines associations ne constitue quune part, peu importe son importance, du montant global du projet. Dautres acteurs en particulier locaux ou les Organisations Non Gouvernementales (ONG) appelées maintenant Organisations de Solidarité Internationale (OSI) y ont naturellement contribué. Ainsi, labsence de transparence quant à la part effective de contribution des associations de migrants participe aussi à ce dilemme relatif à la différence de coût des projets strictement de même nature.
En guise de conclusion pour cette section, il nous paraît important de faire une typologie des associations en se fondant essentiellement sur leurs objectifs. Le recours à lanalyse factorielle suggéré par lexistence dune dépendance significative entre la nationalité et la composition des membres des associations et dune dépendance très significative entre la nationalité et lobjectif des associations permet ainsi de scinder léchantillon des associations de migrants en trois groupes (cf. graphique ci-après).
Figure 1.41 : Analyse des correspondances multiples des variables nationalité des associations, objectif des associations et composition des membres
fig4
Le premier groupe est composé dassociations sénégalaises. Ladhésion à ces associations sénégalaises repose uniquement sur le critère de lappartenance à une même communauté nationale. Néanmoins, il existe un petit nombre dassociations sénégalaises dont ladhésion se fonde sur le critère de lethnicité . Les membres de telles associations sont tous de la même ethnie.
Les associations mixtes forment le second groupe. Ce groupe dassociations est caractérisé par la diversité dorigine et surtout de nationalité des membres. En effet, ces associations mixtes regroupent des Africains, notamment des Maliens et des Sénégalais, et des Français autour dun ensemble dobjectifs ayant essentiellement trait à laide au développement. Ces deux groupes dassociations ont réalisé dautres types de projets assez variés, principalement des dons de diverses natures.
Le troisième est constitué dassociations maliennes dont les membres sont principalement des personnes originaires du même village. Les associations maliennes ont construit plusieurs écoles dans les villages dorigine et elles offrent essentiellement un service dappui au développement et la promotion des migrants porteurs de projets pour le pays dorigine.
Au-delà de l'entraide associative et de lengagement actif pour le développement des localités dorigine, les migrants maliens et sénégalais organisent également des tontines. Remarquons cependant que lactivité des tontines est indépendante de celle des associations même sil nest pas rare de retrouver dans une tontine des membres appartenant à une même association dentraide ou de développement local.
2. Les tontines émigrées
Comme lont montré les entretiens de recherche, une part non moins importante de migrants maliens et sénégalais essentiellement des femmes participe à des tontines. La proportion dimmigrés maliens et sénégalais qui ne fait pas partie dune tontine est très importante (75 %). Un quart des immigrés participe au moins à une tontine. Parmi ces derniers, une personne sur deux est membre dune seule tontine alors quune personne sur quatre est simultanément membre de deux tontines. Le nombre moyen de tontines dont participent les immigrés est lunité. Les pratiques de tontines sont habituellement inscrites dans la finance dite informelle.
Il convient ainsi de prendre en compte les représentations des personnes, cest-à-dire la manière dont elles perçoivent les pratiques monétaires et financières. L'usage important d'argent liquide, la nécessité d'une proximité physique entre les individus et leur argent, qui se traduit par la garde d'argent chez soi, mais aussi par l'exigence d'une connaissance personnelle de l'individu à qui on confie son argent sont autant d'éléments propres aux pratiques financières traditionnelles africaines, et que les tontines en France permettent de retrouver, à la différence du système bancaire.
Nous allons montrer dans un premier temps limportance accordée par les migrants aux tontines mutuelles (2.1) et aborder dans un second temps le rôle joué par les tontines sur le comportement dépargne des migrants (2.2).
2.1 La prééminence des tontines mutuelles
Les immigrés maliens et sénégalais préfèrent majoritairement les tontines mutuelles, c'est-à-dire à fonds d'épargne rotative avec un ordre préétabli des levées révisable. En effet, plus de 90 % des structures rencontrées sont des tontines mutuelles. Une faible proportion de tontines (7 %) sont des tontines mutuelles avec une caisse dentraide. Cela ne veut pas dire quil ny a pas dentraide dans les tontines mutuelles simples. La différence est que dans les tontines mutuelles avec caisse dentraide, la solidarité et lentraide sont institutionnalisées et matérialisées par lexistence de fait dune caisse.
Tandis que dans les tontines mutuelles simples lentraide se manifeste spontanément et de façon individuelle et selon lintensité des rapports dintimité entre les membres lors dévénements heureux ou malheureux affectant un des adhérents. Les tontines s'organisent souvent autour de migrants de conditions similaires par exemple les tontines de commerçants et de femmes. Après avoir caractérisé les tontines rencontrées (2.1.1), nous montrerons quelles servent doutil de perpétuation de pratiques financières traditionnelles (2.1.2).
2.1.1 Traits caractéristiques des tontines rencontrées
Caractériser une tontine revient à expliciter sa nature , son fonctionnement, le nombre de membres et le montant de la cotisation et par conséquent le montant du lot et le nombre de tours. Le lot correspond à la somme totale des cotisations des membres de la tontine. Le nombre de tours correspond au nombre de membres participant à la tontine. Chaque membre recevra, périodiquement et à tour de rôle, le lot.
On sait déjà que toutes les tontines rencontrées sont mutuelles. Le nombre de membres des tontines est très variable ; il va dun minimum de 5 à un maximum de 100 membres. Les nombres de membres les plus fréquents sont 10, 20 et 30 personnes. La proportion de tontines ayant un nombre de membres compris entre 10 et 20 est la plus élevée (près de 49 %). Cette proportion est presque de moitié supérieure à celle des tontines comptant entre 20 et 30 membres. Les tontines disposant dun nombre de membres supérieur à 30 ou inférieur à 10 sont respectivement les moins fréquentes.
Les membres des tontines sont le plus souvent des personnes qui se connaissent et qui entretiennent entre elles des relations amicales. Ainsi, les tontines entre amis sont les plus fréquemment rencontrées, viennent ensuite les tontines entre immigrés parents et les tontines composées de migrants issus dune même communauté nationale dorigine.
Les tontines qui regroupent uniquement les immigrés habitant le même village sont très rares. Cependant, dans les tontines entre compatriotes, lexistence éventuelle dintérêts corporatistes impose une solidarité spontanée et une proximité entre les membres croissantes dans le temps. Cest le cas par exemple des tontines de commerçants sénégalais où lon remarque la fréquence des actions dentraide notamment financière.
Le montant de la cotisation des tontines varie très sensiblement et létendue des cotisations, cest-à-dire la différence entre le montant de cotisation le plus élevé et celui le plus faible, est considérable et se monte à 3 150 francs. Ainsi, à côté de tontines à très faible mise, on a un ensemble de tontines dont la cotisation est très importante, dépassant les 2 000 francs voire les 3 000 francs.
Lorsque lon résume les montants de cotisation en cinq classes de valeurs, on saperçoit quil y a presque autant de tontines à cotisation inférieure à 500 francs que de tontines à cotisation supérieure à 1 500 francs. Le pourcentage de tontines dont la cotisation se situe entre 500 et 1 000 francs est presque le double de celui des tontines à cotisation comprise entre 1 000 et 1 500 francs.
Ce constat semble en parfaite harmonie avec les objectifs recherchés par les organisateurs de tontines, en particulier la constitution dune épargne en vue de la réalisation dun projet quelconque. En effet, compte tenu du nombre de membres et du montant de la cotisation, le lot de certaines tontines peut correspondre à une somme importante permettant sinon de financer intégralement un projet denvergure acquisition dune maison dans le pays dorigine du moins dy contribuer très significativement.
Le lien entre le montant de la cotisation et le nombre de membres dune tontine nest pas statistiquement significatif. Les cotisations pour les tontines les plus fréquentes, celles ayant un nombre de membres inférieur à 20 personnes, se montent souvent à moins de 1 000 francs. En revanche, pour les tontines de 20 membres et plus, le montant de la cotisation est une fois sur deux supérieur à 1 000 francs. Cependant, pour lensemble des tontines, les cotisations vont de 50 francs à 3 200 francs.
Plus des quatre cinquième des tontines ont une fréquence de cotisation mensuelle (85 %). Le mois est la référence la plus courante sans doute parce quil correspond au moment où les personnes reçoivent leur paie et autres types de revenus notamment les prestations de toute nature. Les tontines dont la fréquence des cotisations est infra-mensuelle sont rares et concernent généralement des personnes qui se rencontrent régulièrement au travail ou qui habitent ensemble dans le même immeuble ou dans le même quartier. Cest notamment le cas des tontines de commerçants habitant dans le même foyer où la cotisation se fait tous les trois jours ou toutes les semaines.
La durée de vie dune tontine dépend dune part du nombre de tours et de la fréquence de rotation du lot et dautre part du nombre de renouvellements. Plus du tiers des tontines (35 %) nont pas été renouvelées et près de la moitié a été renouvelée au plus deux fois (46 %). Une minorité de responsables de tontines (17 %) ont renouvelé plus de trois fois leurs expériences. Le nombre maximum de renouvellements sétablit à onze. Dans lensemble le nombre de renouvellements des tontines immigrées dépasse très rarement trois fois.
Il importe de souligner lindépendance statistique entre les variables nombre de membres et nombre de renouvellements de la tontine. Limportance du nombre de membres na ainsi aucun effet, favorable ou défavorable, sur le nombre de renouvellements dune tontine. Malgré cette neutralité, nous constatons cependant que plus de 72 % des tontines à moins de 20 membres ont été renouvelées au moins une fois. Les tontines ayant un nombre de membres égal ou supérieur à 20 sont presque également réparties entre aucun renouvellement (45 %) et au moins un renouvellement (55 %).
Aussi le nombre de renouvellements ne dépend pas de lorigine des membres de la tontine. Toutefois, la proportion de renouvellements des tontines dAfricains est la plus faible comparativement aux autres. Au vu des résultats du tri à plat, nous avons observé que les tontines mixtes maliennes et sénégalaises ont souvent au moins trois renouvellements contrairement aux tontines sénégalaises qui en ont généralement au plus deux.
2.1.2 Les tontines : un outil de perpétuation des pratiques financières traditionnelles
Le sens du qualificatif traditionnel est ici différent de celui quutilisent les anthropologues. Ceux-ci distinguent et opposent la tradition à la modernité . La tradition, contrairement à la modernité, implique le maintien et le respect des règles du jeu séculaires socialement prescrites, et le refus ou lincapacité dintégrer des modifications susceptibles de bouleverser lordre social établi système de répartition du pouvoir, du privilège et de la propriété. Les pratiques financières traditionnelles signifient, pour nous, les pratiques financières spécifiques des pays dorigine des migrants car y ayant vu le jour et/ou y étant largement dominantes.
Les tontines organisées par les migrants révèlent à la fois lexistence et la persistance de pratiques financières traditionnelles. Elles confirment la réalité du phénomène dincapsulation, à savoir lattachement des migrants à certains de leurs us et coutumes traditionnels considérés comme très importants, fussent-ils des pratiques financières qualifiées dinformelles. Doù lintérêt de voir dune part sil y a une certaine spécificité des tontines selon la nationalité dorigine des migrants membres et dautre part si les tontines résistent à lévolution temporelle.
Les tontines regroupant des immigrés de nationalité sénégalaise sont plus nombreuses (49 %) que les tontines mixtes réunissant des immigrés originaires du continent africain (37 %). La proportion de tontines constituées uniquement de ressortissants maliens est la même que celles composées de membres maliens et sénégalais (7 %). Les pratiques tontinières sont donc présentes chez les immigrés de la diaspora africaine et davantage chez les immigrés sénégalais en particulier. La relation entre le montant de la cotisation et la nationalité dorigine des membres est significative.
Le montant de la cotisation des tontines mixtes, composées de membres originaires de plusieurs nationalités africaines, est généralement 62 % des cas supérieur ou égal à 1 000 francs. Quant aux tontines sénégalaises le montant de la cotisation est très variable, mais il est dans la plupart des cas (80 %) inférieur à 1 000 francs. On retrouve donc la même variabilité du montant des cotisations dans les tontines sénégalaises et africaines mais avec des différences de fréquences somme toute significatives.
Parmi toutes les tontines rencontrées, une seule a été créée pendant la décennie quatre-vingt (en 1987), toutes les autres ayant vu le jour au cours de la décennie 1990-1999. Les années 1996 et 1997 ont connu le même taux de création de tontines. Ce taux est le plus élevé de toutes les années. Si lon regroupe les années en quatre modalités, on remarque que près des trois quarts des tontines ont été créées après 1995 dont plus de la moitié après 1997.
En revanche, la proportion de tontines créées avant 1993 est relativement faible (environ 15 %). Ces résultats témoignent de la continuité de pratiques financières nées dans les pays dorigine. Très différentes de ce qui se fait dans le pays daccueil, ces pratiques ne semblent aucunement marginales au regard de leur importance actuelle.
Lécart de limportance de la création de tontines entre les périodes avant 1993 et après 1995 peut être analysé à partir de deux hypothèses vraisemblables. La première est en relation avec la situation économique. La crise structurelle de léconomie qui sévit depuis le milieu des années 1970 sest accompagnée dune crise de lemploi plus ou moins forte selon lévolution de la conjoncture économique.
Ainsi, il semblerait que, depuis le début des années 1990, les immigrés sont de plus en plus touchés par la crise de lemploi. Cette situation engendre un certain retour sur les pratiques et les valeurs traditionnelles, en particulier la résurgence ou lintensification de la solidarité et de lentraide communautaire.
La seconde hypothèse plausible est relative à la féminisation croissante de la population immigrée due à leffet de la politique de regroupement familial. Or, il se trouve que ce sont essentiellement les femmes qui participent aux tontines. On voit bien que limportance de la création de structures dentraide sur la période récente, en particulier les tontines, se justifie quelle que soit lhypothèse retenue.
Par ailleurs, la relation entre la date de création des tontines et le nombre de leur renouvellement est statistiquement significative. La durée de vie dune tontine dépend du nombre de membres et de la périodicité des tours ou levées. Si la première expérience sest bien passée, les participants à la tontine sont incités à la renouveler. Ainsi, le nombre de renouvellements est un indicateur de satisfaction des membres. Un examen plus approfondi des résultats du tri-à-plat de ces deux variables met en exergue trois groupes de tontines. Le premier est composé de tontines créées après 1997 dont la plupart nont connu aucun renouvellement. Le second groupe est celui des tontines créées entre 1995 et 1997 et qui ont été renouvelées au plus deux fois. Le dernier groupe rassemble les tontines créées avant 1995 et ayant un nombre de renouvellement au moins égal à trois.
Une hypothèse explicative et vraisemblablement plausible et relative à lindicateur de satisfaction des membres, évoquée ci-dessus, peut être envisagée. Dans cette optique, les tontines créées avant 1995 ont connu le plus de renouvellements parce quelles ont le plus répondu aux attentes des membres . Les non-renouvellements se justifient, dune manière générale, par lexistence dun quelconque problème entre les membres.
2.2 Mobiles dépargne et tontines
Lintérêt de la tontine pour les migrants qui y participent réside principalement dans la contrainte dépargne quelle impose et dans la possibilité de réaliser certains projets (2.2.1). En sus de cette obligation dépargne quelle implique, la tontine favorise aussi une intégration sociale tant dans le groupe communautaire dorigine que dans la société daccueil (2.2.2).
2.2.1 Tontines et motivations dépargne
Les raisons qui animent les responsables de tontines à en créer sont très diverses. Toute une panoplie de raisons ont été évoquées pour justifier lexistence des tontines. Les plus importantes sont en effet lépargne forcée (35 %), lépargne projet (22 %), les dépenses imprévues (14 %), lentraide (10 %) et la convivialité (10 %). Cependant, dautres motivations certes dimportance moindre ont aussi été avancées à savoir le désir dacquérir des parures et de se financer un voyage. Ainsi les motivations des membres sont à la fois économiques et sociales.
Les principales raisons de la participation à une tontine sont, par ordre dimportance décroissante, le fait de réaliser des économies cest-à-dire lépargne forcée (45 %), les retrouvailles avec la famille, les amis et/ou les compatriotes, la liquidité et la solidarité entre les membres. En outre, il nexiste aucun lien entre lâge et la motivation dadhésion à une tontine.
Les tontines qui exigent aux membres une utilisation précise du lot ne sont que 10 % de léchantillon total. Dans les autres tontines, il nexiste aucune contrainte dutilisation du lot. Le bénéficiaire du lot a une entière liberté de dépenser son argent.
Dans les tontines où il y a une contrainte daffectation du lot, les membres mettent généralement en place un système de contrôle pour vérifier lutilisation exacte de largent de la tontine. Les utilisations prévues sont précises et de nature très différente. Quatre types dutilisation ont été également mentionnés : il sagit de lacquisition dustensiles de cuisine, dachat de maison, de bijoux et de la réalisation dun projet. Ces tontines peuvent être considérées comme des tontines dinvestissement dans la mesure où les bénéficiaires sont astreints à acquérir un bien durable ou réaliser un quelconque projet.
Les tontines sont plus de deux tiers à noffrir aucun service particulier ni même un crédit à leurs adhérents. Cependant, elles sont nombreuses (16 %) à proposer une aide financière aux membres qui en éprouvent le besoin. Certaines tontines (10 %) révisent lordre des tours pour répondre à la demande expresse dun membre en situation de besoin. Dans une proportion beaucoup moins importante (5 %), dautres tontines font des dons lors dévénements heureux ou malheureux qui affectent un de leurs membres.
Louverture dun compte bancaire par les responsables de tontines est très exceptionnelle. En effet, une seule des 41 tontines rencontrées dispose dun compte bancaire. Cette tontine est très spécifique car elle possède un nombre de membres très élevé au vu de la moyenne de lensemble des tontines. Si la cotisation exigée par cette tontine est faible, le montant global du lot est tout de même relativement important. Ce qui explique vraisemblablement louverture du compte bancaire par le responsable même sil ne garde pas largent longtemps avec lui. Ce dernier affirme que cest par souci de transparence quil a ouvert ce compte.
Lépargne projet et lépargne forcée sont les motivations essentielles pour la plus grande majorité des migrants membres de tontines. Ainsi, comme dans les pays d'origine où existe souvent une relation étroite entre formes d'épargne et types de besoin à satisfaire, l'épargne tontinière correspond ici aussi à une épargne projet. Par son mode de fonctionnement même la tontine constitue un instrument de crédit pour les premiers membres bénéficiaires du lot et une épargne forcée pour ceux qui en bénéficient en dernier. On retrouve ici la spécificité dun comportement d'épargne fondé sur lentraide et la solidarité financière quimpose lesprit communautaire.
Dans les pays dorigine, les tontines pallient ainsi labsence de lÉtat Providence , lentraide constituant le ciment de la cohésion sociale. La tontine, à travers des versements réguliers, permet à ses membres d'échapper aux pressions distributives dues aux sollicitations diverses tant familiales quextérieures. Aussi le droit de regard sur l'utilisation du lot dont dispose le groupe permet dinterdire le gaspillage et de suggérer une affectation de lépargne à des dépenses prioritaires et vitales.
En France, le rôle de la tontine est tout autre. Au-delà des retrouvailles conviviales et amicales, la tontine offre aux migrants nayant pas accès au crédit bancaire en particulier leurs conjoints, souvent femmes au foyer la possibilité de disposer dun crédit.
2.2.2 La tontine, facteur dintégration communautaire et sociale
Lexistence dun risque réel disolement et de solitude fait de la tontine plus précisément des réunions de tontines un lieu déchanges et de rencontres conviviales et amicales entre les membres. Pour les nouveaux arrivants ainsi que pour les femmes au foyer, la tontine est de prime abord un puissant moyen dintégration sociale au sein de la communauté puisquelle permet le rapprochement entre personnes migrantes dun même lieu d'origine. Les motivations financières et économiques bien quexistantes deviennent secondaires eu égard au souci majeur de se retrouver en famille et de maintenir les solidarités sociales.
Les motivations des migrants dun âge relativement avancé et dune situation demploi stable, peuvent être qualifiées de nostalgiques contrairement à celles plus financières de jeunes migrants confrontés à la précarité de lemploi et donc à linstabilité des flux de revenus et subséquemment au moindre accès aux services bancaires, même si la recherche de convivialité demeure toujours présente.
Pour les migrants seuls, les femmes au foyer en particulier, le rôle d'intégration de la tontine est prépondérant. D'une part, la cotisation peut être analysée comme un prétexte pour se retrouver entre membres ; sans la cotisation, les rencontres seraient très probablement beaucoup moins fréquentes. D'autre part, dans la mesure où le montant du lot est souvent utilisé pour s'équiper en biens électroménagers afin de rattraper le niveau de vie français ; on peut assimiler ici aussi la tontine à un outil d'intégration sociale.
Au vu de ces résultats, nous pouvons ainsi admettre que la tontine permet donc à la fois daffirmer son appartenance au groupe et de répondre à des besoins individuels, y compris le besoin voire la nécessité dinsertion dans le tissu social du pays daccueil en particulier pour les femmes nouvellement arrivées en France.
En définitive, nous retrouvons les mobiles classiques de la tontine, à savoir le maintien des solidarités sociales, la convivialité voire lamitié, l'épargne forcée et la constitution dune épargne en vue de la réalisation dun projet. Aussi, la tontine permet à certains migrants de sintégrer autant dans la communauté immigrée dorigine que dans la société française.
Conclusion du chapitre
La plupart des migrants maliens et sénégalais sont membres dune structure associative. La diversité et limportance des structures collectives mises en place témoignent de la vigueur du mouvement associatif immigré. Ces structures reposent sur lentraide et la solidarité qui sont les valeurs constitutives du fondement des sociétés africaines basées sur la reconnaissance mutuelle et la réciprocité des relations.
Comme dans les pays d'origine, les associations regroupent souvent des personnes proches. La proximité peut être d'ordre géographique migrants originaires dun même village par exemple , ou dordre socioculturel étudiants, travailleurs, femmes, commerçants, etc.
Les motivations des migrants membres de ces structures associatives sont à la fois sociales lutter contre la solitude, partager des angoisses, retrouver une ambiance familiale et communautaire et financières, à travers le financement de projets de développement et la mise en place de systèmes d'épargne de précaution. Lépargne collective des migrants est gérée par les responsables des associations.
Lanalyse des entretiens avec les responsables avait suggéré lexistence de deux grands types dassociations : les associations dentraide et les associations de développement local. Les premières sont des outils de solidarité pour leurs membres et servent concrètement de moyen de protection sociale dans la mesure où elles apportent une assistance financière et morale à la famille de la victime en cas dévénement malheureux incendie, décès, etc. Leur périmètre dintervention se limite principalement au territoire de lhexagone. Les secondes sont, en revanche, des instruments de développement économique et social des localités dorigine. Cependant, ces deux fonctions ou missions des associations ne sont pas, dans les faits, exclusives lune de lautre.
Les résultats du questionnaire ont confirmé cette typologie. En effet, lentraide et laide au développement du village dorigine ou dun ensemble de villages du pays dorigine sont les objectifs prioritaires et les plus fréquents. Ainsi, plus de 90 % des associations de migrants font de lentraide et du développement des villages leur principale préoccupation.
La prépondérance de laide au développement des villages des pays dorigine dans les préoccupations des associations de migrants se vérifie au niveau de la diversité des projets réalisés. Ceux-ci vont des infrastructures scolaires et sanitaires aux constructions de tronçons de routes pour désenclaver les villages très isolés et pour accroître la mobilité des villageois.
Chacun de ces projets est donc cohérent avec lobjectif de développement recherché. En sengageant en faveur du développement des localités dorigine par la réalisation dinfrastructures collectives indispensables à toute société humaine, les associations de migrants réalisent des missions de services collectifs théoriquement du ressort de lÉtat.
L'activité principale des associations dentraide est daider financièrement les membres en situation de besoins urgents. L'aide se fait soit sous forme de dons en cas dun événement particulier, malheureux ou heureux maladie, décès, baptême, mariage , soit sous forme de prêts en cas de besoins urgents autres que ceux évoqués précédemment.
Les prêts accordés aux membres ne sont pas assortis d'intérêts et sont d'une durée souple généralement quelques mois , mais d'un montant limité en fonction de lassise financière de lassociation, et surtout avec l'obligation de ne pas utiliser l'argent du prêt pour une activité lucrative. Cette absence d'intérêt révèle à la fois le caractère désintéressé de l'entraide et la volonté de pérenniser l'esprit de solidarité communautaire.
Au-delà des structures associatives, les migrants maliens et sénégalais organisent également des tontines. Remarquons cependant que lactivité des tontines est indépendante de celle des associations bien quon peut trouver dans une tontine des membres appartenant à une même association dentraide ou de développement local.
La tontine présente deux avantages pour les migrants qui y participent. Le premier est quelle impose aux membres une contrainte dépargne qui leur ouvre la possibilité de réaliser certains projets. Le second avantage de la tontine est quelle permet aux participants de sintégrer tant dans le groupe communautaire dorigine que dans la société daccueil. Lexistence et la permanence dun risque disolement et de solitude, en particulier chez les femmes, fait de la tontine plus exactement des réunions de tontines un lieu déchanges et de rencontres conviviales et amicales entre les membres. Ainsi, les motivations financières et économiques bien que présentes deviennent secondaires par rapport au souci majeur de se retrouver en famille et de maintenir les solidarités sociales.
Les tontines organisées par les migrants révèlent simultanément lexistence et la persistance de pratiques financières issues des pays dorigine. Elles confirment la réalité du phénomène dit dincapsulation, à savoir lattachement des migrants à certains de leurs us et coutumes considérés comme très importants.
Par ailleurs, la résurgence de la question de laide au développement des pays pauvres nous conduit non à discuter de la quantité, de la qualité et de la pertinence de cette aide mais à nous interroger sur la possible participation des expatriés au développement de leur pays dorigine. Le chapitre suivant sera donc consacré aux implications du comportement financier des migrants maliens et sénégalais au développement de leur pays dorigine.
Chapitre 4 : Les implications du comportement financier des migrants sur le développement des pays d'origine
Mieux vaut aider les gens à pêcher plutôt que de leur donner du poisson .Proverbe chinois. La première urgence est de travailler à réduire les disparités, de contribuer au développement des pays en développement. La clef nest pas seulement laide financière. Il faut accentuer lassistance technique et se montrer moins protectionniste .Jean-Claude Paye, secrétaire général de lOCDE,La tribune de lExpansion, 12 juillet 1991.
La puissance des liens daffection qui attachent tout homme à son entourage proche, familial et amical, est telle que tout projet de migration ne peut être que le résultat dune contrainte de survie. Ainsi, pour T. R. Malthus (1798), une forte émigration implique nécessairement telle ou telle espèce de malheur dans le pays que lon fuit. Car peu de gens quitteront leur famille, leurs relations, leurs amis et leur terre natale, pour chercher à sétablir sous des climats étrangers et inconnus, sil nexiste pas de graves et persistantes difficultés là où ils sont, ou lespoir de grands avantages là où ils vont .
Cette phrase de R. Malthus résume bien les motivations qui président à la migration au sein dun pays ou à létranger. Elle montre combien létude de la migration ne peut être utile quen prenant en compte le développement économique des zones démigration. Ainsi, lanalyse du comportement financier des migrants maliens et sénégalais na de portée significative et concrète, nous semble-t-il, que si elle peut servir de base de réflexions quant aux conséquences actuelles et possibles de ce comportement financier sur le développement économique des pays dorigine.
Ainsi, le contexte socio-économique du Mali et du Sénégal est exposé dans la première section. La seconde section présente les enjeux et les conséquences socio-économiques des transferts financiers des migrants maliens et sénégalais. Dans les deux dernières sections, nous discutons dabord de la pertinence de considérer les migrants comme des vecteurs du développement économique de leur pays dorigine et évoquons ensuite les conditions dune réussite de limplication active des migrants dans le développement de leur pays dorigine.
1. Le contexte socio-économique des pays d'origine
Le Mali et le Sénégal, tout comme lensemble des pays africains de la Zone Franc (PAZF), font partie des pays dits en développement. Lespace économique sous-régional nest pas homogène si lon sen tient aux disparités de richesses nationales entre les pays. Il nest, non plus, pas polarisé puisque les PAZF ont presque les mêmes structures et difficultés économiques. Ces derniers ne sont pas complémentaires et entretiennent des relations déchange plus avec le reste du monde quentre eux.
Cette section sattachera plus particulièrement à exposer la situation actuelle du Mali et du Sénégal, situation qui, dune manière générale, ressemble fortement à celle qui prévaut dans les autres pays de la sous-région. On remarquera dans un premier temps que la situation macro-économique des deux pays le Mali et le Sénégal connaît une amélioration notable (1.1). Dautre part, lapplication des plans dajustement na pas encore produit les résultats escomptés ; la situation actuelle révélant plutôt une aggravation des difficultés sociales des populations maliennes et sénégalaises (1.2).
1.1 Une situation macro-économique qui s'améliore...
1.1.1 Vue panoramique sur la Zone franc
Depuis la dévaluation du franc CFA en janvier 1994, les pays africains de la Zone franc (PAZF) connaissent une croissance économique relativement forte avec un taux de croissance moyen annuel largement supérieur à 4 % alors que celui des économies dites avancées s'établit légèrement au-dessous de 3 %. Cette bonne performance économique des PAZF s'explique principalement par une vigueur de la demande intérieure, dopée par les effets redistributifs des recettes d'exportations agricoles. Elle s'explique aussi par la moindre sensibilité de ces économies aux turbulences financières internationales, parce que très peu intégrées aux marchés internationaux de capitaux.
La hausse des prix est de plus en plus modérée, le taux d'inflation ne dépassant guère 6 % depuis 1995. Cette maîtrise des tensions inflationnistes doit être recherchée dans la politique monétaire communautaire mise en uvre dans les deux espaces économiques de la sous-région UEMOA et CEMAC . La lutte contre l'inflation est en effet l'objectif premier des Banques centrales, l'objectif intermédiaire étant d'avoir une convergence des prix et un taux d'inflation maximum de 3 %.
Malgré les efforts de maîtrise des dépenses publiques, les États ne parviennent toujours pas à équilibrer leur budget. Les recettes budgétaires ont faiblement progressé en 1998 à cause principalement de la contraction des appuis budgétaires extérieurs, de la baisse des recettes pétrolières et de la réduction des droits intra-communautaires. S'agissant des échanges avec l'extérieur, l'instabilité de l'évolution des termes de l'échange induite par l'évolution divergente des cours des matières premières ne facilite pas l'équilibre de la balance des transactions courantes. En 1998, le déficit de la balance des transactions courantes se monte à près de 4 % du PIB pour l'ensemble des PAZF.
Toutefois, cette croissance régulière s'opère dans un contexte de fragilité économique, financière et sociale déséquilibres externes et internes, chômage important qui témoigne de la permanence des handicaps structurels au développement. Dans certains pays, la croissance économique s'est accompagnée d'importants déficits du budget et des comptes extérieurs, c'est le cas notamment du Gabon et du Congo (Brazzaville). L'équilibre financier des PAZF dépend presque exclusivement des conditions climatiques la pluviométrie et des fluctuations des cours des matières premières.
Cette situation résulte d'une part, de l'insuffisante diversification des produits d'exportation essentiellement composés de matières premières pour lesquelles la demande mondiale n'augmente que de manière marginale et d'autre part, de l'importation de produits intermédiaires ou finis dont la demande est très élastique à la croissance de l'activité économique interne. Les États doivent ainsi s'efforcer de diversifier le tissu économique, et ce d'autant plus que se réduit l'aide publique au développement sans qu'augmentent parallèlement les investissements directs étrangers. Les flux de capitaux privés étrangers sont davantage liés au rachat d'entreprises publiques privatisées qu'au financement de nouveaux projets.
1.1.2 Le cas du Mali et du Sénégal
Le Mali et le Sénégal enregistrent depuis plusieurs années une forte croissance économique. Le maintien de la croissance à un niveau élevé (5,7 %) au Sénégal en 1998 contraste avec le net recul de l'activité malienne dont le taux de croissance est passé de 6,8 % en 1997 à 3,5 % en 1998. L'économie de ces deux pays comme celle de la plupart des autres pays africains repose essentiellement sur le secteur primaire agriculture et élevage , d'où leur extrême vulnérabilité par rapport à la pluviométrie en particulier. Les arachides, le coton graine, le mil et le sorgho sont les principaux produits exportés par ces pays.
La prépondérance du secteur primaire se mesure d'abord par le poids considérable de la population active qu'il emploie actuellement : plus de 77 % au Sénégal et près de 80 % au Mali. D'autre part, sa contribution au PIB est généralement élevée, voire très forte comme c'est le cas au Mali avec environ 48 %. En revanche, l'activité tertiaire prend une importance grandissante au Sénégal avec 61 % de contribution au PIB par rapport aux secteurs primaire et secondaire.
Quant aux finances publiques, le déficit budgétaire persiste malgré les efforts d'assainissement consentis par les deux États. Ce déficit est beaucoup moins accusé au Sénégal qu'au Mali puisque les estimations sont respectivement de 8 et 36 milliards de francs CFA. L'accroissement sensible des rentrées fiscales dû, entre autres, à l'élargissement de l'assiette fiscale et au meilleur recouvrement des impôts n'a donc pas pu couvrir l'ensemble des dépenses publiques.
La situation des comptes extérieurs des deux pays est similaire. Concernant la balance commerciale, le Mali et plus particulièrement le Sénégal semblent, depuis 1992, s'installer durablement dans une situation de déficits commerciaux chroniques même si l'on note très souvent de légères améliorations. En termes d'évaluations, les montants des déficits tout comme ceux des excédents sont plus conséquents pour le Sénégal que pour le Mali. Celui-ci a toutefois connu un léger excédent de la balance commerciale en 1997 ; mais d'après les estimations de 1998, le solde commercial risque de se dégrader une nouvelle fois.
Concernant l'endettement extérieur, les deux pays restent très endettés même s'il s'agit d'une dette à long terme contractée à des taux concessionnels. Ainsi, malgré les multiples réaménagements et réductions de leur dette en particulier la très forte réduction de 67 % de la valeur actualisée nette de leur dette accordée par les créanciers publics du Club de Paris au titre des termes de Naples , l'encours total de la dette extérieure du Mali et du Sénégal atteignait à fin 1997, selon la Banque mondiale, respectivement 2,95 et 3,7 milliards de dollars.
La dette extérieure des deux pays reste insoutenable car elle absorbe la totalité des recettes dexportations. Le stock de la dette correspondait pour le Mali à 119 % de son PIB et 395 % de ces recettes d'exportations de biens et services tandis qu'il ne représentait que 83 % du PIB et 227 % des recettes d'exportations pour le Sénégal. Celui-ci fait partie des pays de l'UEMOA les plus vertueux en matière d'endettement extérieur après le Burkina et le Bénin.
Il importe aussi de signaler que ces deux pays vont très prochainement bénéficier de nouvelles réductions substantielles du stock de leur dette (pouvant aller jusqu'à 80 %) au titre de l'initiative sur la dette en faveur des pays pauvres lourdement endettés (PPTE ou HIPC Heavily Indebted Poor Countries ), mise en place en 1997 par les créanciers publics du Club de Paris lors du sommet du G 7 à Lyon.
1.2 Mais les difficultés sociales persistent malgré l'application des plans dajustement structurels
Après les indépendances, les économies subsahariennes étaient dominées par des États omniprésents. L'État avait la mainmise sur l'ensemble des activités économiques. Cette ingérence excessive dans la sphère économique se manifestait essentiellement à travers l'importance des entreprises publiques et parapubliques et la nationalisation de fait du commerce d'exportation des produits primaires. Le poids croissant de l'État résultait du fait qu'il était à la fois le plus grand entrepreneur, producteur et consommateur. Les États assuraient, généralement en régime de monopole, la production de nombreux biens et la prestation de certains services.
La fin de l'État gestionnaire s'est révélée nécessaire en raison de léchec des politiques de développement. Depuis le milieu des années 70, les États ont des difficultés de trésorerie et des arriérés de paiement tant internes quexternes. Cette situation a conduit les autorités publiques africaines et les organisations internationales à une prise de conscience générale. Sous les auspices de ces dernières, des plans d'ajustement structurels (PAS) ont été mis en uvre par ces pays sous les directives et contrôle du Fonds Monétaire International (FMI) en collaboration avec la Banque mondiale.
Les plans dajustement structurels reposent sur des fondements théoriques néoclassiques (1.2.1). Leur application a débouché sur des résultats plutôt mitigés en Afrique subsaharienne (1.2.2) et conduit à leur remise en cause. Celle-ci s'appuie sur les limites inhérentes au processus d'ajustement (1.2.3).
1.2.1 Fondements théoriques des plans dajustement structurels
Les programmes d'ajustement structurels du FMI visent à éliminer les distorsions et déséquilibres économiques et financiers. La recherche de la stabilisation macro-économique se fonde sur l'élaboration de réformes structurelles inspirées des modèles de l'orthodoxie libérale. Les plans dajustement structurels s'appuient sur deux approches théoriques : l'approche de l'absorption et la théorie monétaire de la balance des paiements.
L'explication monétaire de la balance des paiements (R. Mundell [1968], H. G. Johnson [1972] et alii) montre que l'évolution à long terme de la balance des paiements est fonction de la situation monétaire. Elle privilégie l'impact des ajustements monétaires car tout déséquilibre extérieur est d'origine monétaire. Le rétablissement de l'équilibre de la balance des paiements se fait par la maîtrise de l'inflation et du crédit interne. L'objectif de réduction du déficit de la balance des paiements, à travers l'accumulation de l'épargne intérieure, conduit à terme à un rééquilibre entre l'offre et la demande globale.
La théorie de l'absorption (Alexander [1952]) considère le solde de la balance des paiements comme le reflet de la différence entre les recettes totales des résidents d'un pays, excepté les autorités monétaires, et les paiements globaux. C'est donc la différence entre le revenu agrégé et la dépense globale. L'absorption est la somme non discriminée de la consommation et de l'investissement domestiques. Un déficit externe résulte d'un excès de la dépense intérieure (absorption) sur le revenu national global, et inversement pour un excédent. Pour rétablir l'équilibre d'une balance des paiements déficitaire, il faut comprimer la dépense nationale de sorte à pouvoir détourner une partie de la production vers les marchés étrangers et orienter la demande des agents vers les biens et services domestiques.
Ces deux approches différentes conduisent pourtant au même résultat : le financement monétaire du déficit budgétaire est la principale cause de déséquilibre de la balance des paiements. En somme, l'objectif des plans dajustement structurels est clair : libéraliser l'économie en éliminant toute rigidité et/ou restrictions réglementaires qui empêchent les mécanismes de marché de jouer pleinement leur rôle d'ajustement spontané. C'est au début des années 80 que les premiers plans dajustement structurels ont été mis en place et appliqués en Afrique subsaharienne. Il est important de faire une analyse de leurs résultats.
1.2.2 Les résultats des plans dajustement en Afrique subsaharienne
L'ajustement en Afrique subsaharienne peut se diviser en deux grandes phases. Pendant la première, de 1980 à 1984, les mesures d'ajustement ont été nombreuses et sporadiques. La majorité des pays ont lancé plusieurs plans dajustement durant cette période. Il en a résulté, globalement, un ralentissement de l'inflation, une diminution du déficit moyen des transactions courantes, hors subventions et un léger redressement de l'économie. La seconde phase, de 1985 à 1992, s'est caractérisée par un renforcement des mesures structurelles sur fond de conjoncture mondiale plutôt morose. Au cours de cette période, les termes de l'échange ont connu de fortes détériorations, de quelque 40 %.
La croissance économique s'est considérablement ralentie entre 1990 et 1992, environ 1 %, alors qu'elle avait atteint un taux annuel moyen de plus de 3 % entre 1986 et 1989. Le déficit moyen du compte courant s'est sensiblement accru, passant de 7 % à 12 % en 1992. Le taux moyen d'inflation s'établissait annuellement autour de 15 %. Ces données moyennes cachent toutefois des disparités importantes entre les différents pays.
Une étude faite par la Banque mondiale sur sept pays d'Afrique subsaharienne révèle des résultats satisfaisants dans l'ensemble. Partout sauf en Côte d'Ivoire, le PIB par tête a augmenté durant la période d'ajustement 1986-1991. Le taux de croissance moyen des sept pays s'est établi à 4,5 % contre 1 % pendant la phase de crise (1981-86). Les meilleures performances économiques ont été réalisées au Nigeria (8 %), au Ghana (8,8 %) et en Tanzanie (4 %). Le Kenya et le Burundi, dont leur situation était assez bonne, ont conservé leur rythme de croissance. Handicapés par la surévaluation du franc CFA, la Côte d'Ivoire et le Sénégal ont enregistré de médiocres performances.
D'une manière générale, le bilan global des plans dajustement structurels en Afrique subsaharienne est décevant, même si on note une reprise de la croissance dans certains pays. Ces médiocres résultats s'expliquent, selon le FMI, par la faible volonté de certains gouvernements à mettre en uvre les réformes économiques nécessaires. Les pays qui ont connu des améliorations significatives sont ceux qui ont persévéré dans la voie de l'ajustement.
Les entraves au processus d'ajustement ou l'incohérence et l'inefficacité des réformes menées conduisent inéluctablement à l'échec. Ainsi, J. Zulu et Saleh M. Nsouli [1984], C. Humphreys et W. Jaeger [1989], Saleh M. Nsouli [1993] et alii ont montré l'existence d'une étroite corrélation entre l'exécution des plans dajustement structurels, la réalisation des objectifs de l'ajustement et la performance économique. Cependant, la fragilité et l'insuffisance de la croissance ne permettent pas de relever le défi du développement et montrent en même temps les limites des plans dajustement.
1.2.3 Les limites des plans dajustement
Contrairement à l'impression courante et aux discours du FMI et de la Banque mondiale, les plans dajustement structurels ne visent pas explicitement le développement économique et social de l'Afrique mais plutôt le rétablissement de la solvabilité financière des pays. Ayant un caractère transitoire au début, les politiques d'austérité imposées par les plans dajustement structurels perdurent encore et conduisent souvent au marasme économique.
L'objectif d'équilibre des comptes extérieur et public, par l'adoption de mesures orthodoxes libéralisation et déréglementation de l'économie , a abouti à une décroissance continue de la qualité et des niveaux de vie des populations, en particulier celles des plus vulnérables et généré des réactions hostiles aux plans dajustement structurels.
Deux principales critiques peuvent être formulées, une critique interne et une critique externe (P. Jacquemot [1983]). La critique interne s'attelle à monter la fatalité de l'échec des plans dajustement structurels du fait de l'inadéquation des mesures libérales au contexte des économies subsahariennes. Le retour à l'équilibre financier est un impératif incontestable, ne serait-ce que pour éviter une situation d'endettement permanent. Mais l'application des mécanismes de marché (vérité des prix) connaît de sérieuses difficultés. En particulier, la structure des prix relatifs ne répond pas à une meilleure affectation productive des ressources financières, cela pour deux raisons essentielles :
l'inefficacité de l'ajustement des prix domestiques à court terme et l'instabilité accrue des cours des matières premières ;
l'inélasticité de la production agricole exportable par rapport aux prix dans le court moyen terme due a l'existence de rigidités techniques, commerciales caractère oligopolistique des marchés mondiaux de produits de base , financières, humaines, foncières et climatiques (instabilité pluviométrique).
Dans ce contexte, l'austérité économique contribue plus à aggraver qu'à résorber les déficits externe et interne. La Facilité d'ajustement structurel (FAS), créée en 1986, et la FAS renforcée (FASR) (1987), aides concessionnelles aux pays en développement à faible revenu, n'ont pas non plus permis de rééquilibrer leurs balances de paiements. Trente pays africains en ont bénéficiées mais sans succès notable pour plusieurs d'entre eux. Au mois de juillet 1999, cinq pays d'Afrique occidentale, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte-d'Ivoire, le Mali et le Sénégal, étaient sous programme FASR.
La critique externe consiste à réfuter les vertus autorégulatrices du marché qui sont les soubassements théoriques des plans dajustement structurels. La mobilité des facteurs de production, la fluidité des échanges externes et internes, la flexibilité des prix relatifs... sont autant d'hypothèses irréalistes.
L'univers néoclassique standard élude totalement les rapports sociaux, l'inégalité des rapports de pouvoir et d'influence, les interdépendances stratégiques et l'asymétrie d'information entre les agents économiques. Il est clair que, dans cette optique libérale, les politiques d'ajustement étaient vouées à l'échec. Les résultats globaux sont, en définitive, une paupérisation croissante et une montée importante du chômage. Même dans les pays qui ont enregistré une croissance économique, le niveau de vie ne s'est guère amélioré ou, dans le cas contraire, il s'est fait au détriment des populations pauvres effets négatifs de la redistribution.
C'est ainsi que la dimension sociale a été introduite dans la formulation des programmes du FMI. Le rapport de l'UNICEF avait préconisé six propositions, dont l'ampleur et l'interprétation varieraient d'un pays à l'autre, dont trois nous semblent très intéressantes. Il s'agit :
des mesures relatives à l'équité et à l'efficacité dans le domaine social ;
des programmes compensatoires afin de maintenir un niveau correct de vie, de santé et de nutrition des populations vulnérables ;
du suivi des niveaux de vie, de santé et d'alimentation pendant la durée de l'ajustement.
Conscient du rôle moteur du social dans le développement et prenant acte des critiques et suggestions, le FMI a injecté une dose sociale dans sa politique. Aussi, cette nouvelle orientation des institutions internationales (FMI, Banque mondiale) privilégie-t-elle l'appui d'investissements dans le capital humain, les infrastructures et la mise en place d'institutions démocratiques, solides et stables. Cependant, il faut reconnaître, avec A. Huyghe-Mauro et N. Richez (1990), que l'intégration des réalités socioculturelles dans les programmes d'ajustement a été très superficielle. Ainsi, les plans dajustement structurels sont-ils toujours sujets à discussion même s'ils connaissent en permanence des évolutions.
Actuellement, l'objectif de ces programmes demeure la poursuite des réformes structurelles déjà engagées. Il s'agit notamment de parachever les privatisations des entreprises publiques et de poursuivre les réformes fiscales. En sus de ces deux recommandations, le Mali doit restructurer la filière coton et promouvoir l'éducation primaire et la santé tandis que le Sénégal doit restructurer et rétablir l'équilibre du Fonds national de Retraite et privilégier davantage l'avancement au mérite sur l'avancement à l'ancienneté dans la fonction publique.
2. Enjeu et conséquences socio-économiques des transferts
La migration, en tant que médiation entre deux espaces, constitue un moyen privilégié déchange de biens et de valeurs culturels modes de vie et dorganisation sociale. Ces échanges, appelés transferts culturels par C. Daum (1993), ne sont pas toujours considérés comme positifs bien quayant souvent une influence positive déterminante dans la vie des populations des pays dorigine. Nous pensons en particulier aux différents savoir-faire acquis au cours de lexpérience migratoire et à la nouvelle conception du rôle et de limportance de la prévention sanitaire et de léducation scolaire. Les multiples réalisations dinfrastructures scolaires et sanitaires en sont une parfaite illustration. Ces transferts culturels ne sont pas étudiés ici. En revanche, les transferts financiers retiendront toute notre attention.
Les transferts financiers des migrants vers leur pays dorigine constituent un enjeu majeur pour les destinataires et pour les pays récepteurs et engendrent des conséquences socio-économiques notables. Il est non moins intéressant àévoquer, dans un premier temps, limportance de ces transferts et les réseaux dacheminement des fonds utilisés par les migrants (2.1). Puis, il sera question de montrer dune part limpact économique et financier des transferts (2.2) et dautre part le rôle damortisseurs de tensions sociales que jouent les transferts financiers des migrants (2.3).
2.1 Importance des transferts et réseaux utilisés
La quasi-totalité des personnes interrogées (99 %) font des transferts financiers vers leur pays d'origine. Les immigrés font des transferts pour répondre, au moins en partie, aux besoins et sollicitations diverses de leurs proches restés au pays.
Les transferts peuvent aussi sanalyser comme la contrepartie du manque à gagner engendré par labsence des migrants aux champs. Ainsi, labsence de grains en période de soudure est due à labsence des jeunes en période de culture . Cette absence les rend responsables de tous les maux du village amendes pour routes non entretenues, feux de brousse tardivement éteints, insubordination des cadets à légard de leurs aînés. Les envois dargent des migrants constituent pour les villageois le seul remède à tout cela.
Dans cette perspective, les transferts constituent une dette-devoir, une compensation. Le devoir est dette quand il est obligation non de faire, ni même de donner, mais de rendre. Il y a dette quand la tâche ou la dépense ou le sacrifice que le devoir exige est présenté, pensé comme une restitution, un retour, une compensation . Les transferts en tant que dette sont un organisateur de la vie sociale villageoise en ce sens quils permettent le tissage de réseau de liens sociaux.
Les parents, père et mère, les frères et surs, le conjoint et les enfants sont les premiers bénéficiaires des transferts financiers des immigrés (environ 70 %). Si l'on élargit le cercle familial en y incluant les cousins et les amis, 88 % des envois d'argent des immigrés maliens et sénégalais sont destinés à la famille au sens large. Ce qui explique, entre autres, la régularité des transferts financiers et dans une moindre mesure l'importance de leur montant.
L'argent envoyé par les immigrés maliens et sénégalais à leurs proches est destiné, pour la plupart du temps (44 % des cas), à régler les dépenses alimentaires. Daprès J. Condé et P. S. Diagne (1986), les transferts financiers des migrants servent à hauteur de 80 % à assurer les dépenses vitales de nourriture et dhabillement des familles. Un tiers des immigrés considèrent que leurs transferts ne sont qu'une aide ponctuelle. Cet argent sert parfois à financer un événement heureux ou malheureux (13 %). Cependant, une proportion non négligeable d'immigrés (9 %) envoient de l'argent à leurs proches pour constituer une épargne.
Ils effectuent, dans leur immense majorité (82 %), des transferts financiers réguliers. Cependant, près d'un immigré sur dix fait des transferts de manière exceptionnelle, l'adjectif exceptionnel signifiant ici un temps d'intervalle supérieur à six mois entre deux transferts financiers.
Les migrants maliens et sénégalais envoient à leurs proches une somme moyenne de 558 francs, et ce quelle que soit la périodicité. Cette somme correspond à un dixième du revenu moyen des migrants et à environ un quart de leur capacité potentielle dépargne. Cependant, il existe une forte dispersion de 269 francs autour de cette valeur moyenne. Le montant moyen des envois dépend naturellement du statut matrimonial du migrant (marié ou célibataire) et surtout, pour les migrants mariés, du fait que la famille au sens strict conjoint et enfants vit en France ou au pays dorigine.
Le montant moyen des envois est dans trois cas sur quatre inférieur à 500 francs. Plus du tiers des montants moyens des transferts financiers se situe entre 500 et 1 000 francs. En revanche, 6 % seulement des montants moyens des envois d'argent des immigrés excèdent 1 000 francs. Toutefois, bien que rare (1 %), certains montants moyens de transferts dépassent 2 500 francs. Il s'agit là d'immigrés qui envoient de l'argent tous les trimestres, voire tous les semestres.
Plus de la moitié des transferts financiers réalisés régulièrement se font, en moyenne, chaque mois et un tiers tous les trimestres. Les envois de fonds bimensuels sont peu fréquents (13 %) et les transferts semestriels sont très rares (4 %).
Les résultats de l'analyse en composantes principales entre les variables épargne mensuelle brute, montant des envois et fréquence des envois mettent en exergue l'existence d'une seule corrélation positive entre le montant des envois et la fréquence des envois. L'étude graphique (cf. figure 2.1-1) suggère de distinguer deux groupes de migrants. Le premier groupe est composé d'immigrés qui envoient des sommes d'argent beaucoup plus conséquentes mais avec des intervalles de temps plus longs, et ce quel que soit le niveau de leur montant d'épargne brute tandis que le second groupe est aux antipodes du premier. Les migrants du second groupe font des transferts financiers moins importants mais de façon plus régulière. La fréquence moyenne de leurs envois est le plus souvent le mois.
Figure 2.11 : Analyse en composantes principales des variables épargne mensuelle, montant des envois, fréquence des envois
fig5
Pour affiner l'analyse factorielle, nous avons parallèlement effectué une classification automatique par la méthode des centres mobiles sur ces trois variables par rapport à la variable Date de retour. Nous avons retenu deux classes : la première regroupe 24 observations et est fortement dominée par les immigrés partisans d'un retour à tout moment dans leur pays avec un taux de 50 % et la seconde avec un effectif de 38 rassemble la plus grande proportion d'immigrés qui sont indécis quant à la date de leur retour (34 %).
Le premier groupe correspond au second groupe de l'analyse factorielle, c'est-à-dire que les immigrés qui optent pour un retour à tout moment sont ceux qui font des transferts financiers réguliers même si ces envois se caractérisent par leur moindre importance. Le second groupe est composé de personnes qui songent moins au retour et qui effectuent des transferts avec une fréquence moyenne d'envoi très irrégulière, ce groupe correspond donc au premier groupe de l'analyse factorielle.
Les besoins de la famille restée au pays sont, pour près de deux tiers des migrants maliens et sénégalais, les éléments déterminants qui leur permettent de fixer le montant moyen de leurs transferts financiers. Le montant moyen des fonds transférés par les immigrés dépend aussi de leur situation financière (22 %) ; ce qui explique la variabilité des montants de transferts financiers et par conséquent celle des montants dépargne.
Les migrants maliens et sénégalais qui n'envoient pas régulièrement de l'argent à leurs proches restés au pays sont plus de 80 % à ne pas vouloir dépasser un an entre deux transferts financiers consécutifs. Le délai maximum que peut rester un immigré malien ou sénégalais sans envoyer de l'argent à au moins un de ses proches n'excède que très rarement l'année puisque la moyenne s'établit à dix mois.
Les réseaux de transferts financiers utilisés par les migrants maliens et sénégalais se caractérisent par leur diversité. Parmi les différents moyens de transferts financiers, le recours à un ami rentrant au pays (39 %) et le réseau postal au travers des mandats cartes (38 %) sont les plus fréquemment utilisés par les immigrés. Les transferts de fonds effectués par virement bancaire sont tout de même relativement importants (17 %). Les transferts financiers par virement bancaire commencent à prendre de l'ampleur même s'ils demeurent actuellement moins fréquents.
La sécurité (37 %), la rapidité (28 %) et la commodité (22 %) sont les avantages les plus couramment cités par les migrants. Le coût relatif des différents moyens de transfert est néanmoins pris en compte par les migrants même si la faiblesse des coûts est très peu évoquée comme avantage (8 %). Le fait que quatre immigrés sur dix profitent du voyage de leur ami pour envoyer de l'argent gratuitement réduit la fréquence de citations de l'avantage des coûts faibles.
La lenteur (42 %) est l'inconvénient majeur évoqué par les immigrés. Cette lenteur concerne les mandats cartes de la Poste. Ces mandats accusent souvent des retards, parfois considérables, au niveau des pays d'origine. Il arrive que le destinataire ne reçoive pas son argent, même si ce cas de figure est de plus en plus rare. Le coût élevé des frais de transfert (17 %) constitue aussi un inconvénient selon les immigrés. Le virement bancaire, étant le plus cher parmi les moyens de transfert les plus utilisés, est implicitement mis en cause ici par les immigrés qui y ont recours.
Très peu de migrants maliens et sénégalais (21 %) ont eu un problème avec le moyen de transfert qu'ils utilisent le plus souvent. La plupart de ces problèmes ont trait aux mandats cartes de la Poste. Le test du khi-2 montre l'absence de lien significatif entre les moyens de transferts utilisés par les migrants maliens et sénégalais et les types de problèmes rencontrés par ces derniers.
Les types de problèmes sont indépendants du réseau de transfert choisi pour envoyer de l'argent dans le pays d'origine. Il est toutefois important de remarquer que les problèmes de retard et de perte d'argent sont beaucoup plus fréquents pour les migrants qui sollicitent un intermédiaire ou qui empruntent le réseau postal (mandat carte).
Les transferts financiers des immigrés ne se déroulent pas de manière satisfaisante. Plusieurs imperfections relatives aux mandats cartes et aux intermédiaires ont été relevées. Le retard des fonds envoyés par mandat ou par l'intermédiaire d'un ami (58 %) et les pertes d'argent (42 %) sont les deux principaux problèmes que rencontrent les destinataires des transferts financiers. Bien que de moins en moins fréquents, ces problèmes subsistent aujourd'hui encore.
Les pays d'origine ne sont pas les seuls destinataires des transferts financiers. Les immigrés maliens et sénégalais envoient aussi de l'argent à leurs proches qui résident ailleurs qu'au Mali et au Sénégal. Ils sont ainsi près de 18 % à effectuer des transferts financiers vers un pays autre que les leurs, ce qui témoigne dun relatif éclatement spatial de certaines familles africaines.
2.2 L'impact économique et financier des transferts
Il importe tout d'abord de rappeler qu'au niveau économique, la France entretient des relations privilégiées avec les PAZF. La France est un grand partenaire commercial de ces pays même si elle n'est plus leur principal fournisseur du fait notamment du développement des échanges intra-communautaires (entre les pays africains). En revanche, elle demeure un acheteur important de leurs produits d'exportations, essentiellement composés de matières premières. En témoignent les chiffres des ratios exprimant le poids relatif des échanges commerciaux entre la France et les deux pays étudiés. Pour les années 1997 et 1998, les importations sénégalaises en provenance de la France sont inférieures à 10 % tandis que le taux d'importations en produits français ne dépasse guère 1 % pour le Mali. À l'inverse, la France achète près d'un tiers des exportations sénégalaises et environ 30 % des exportations maliennes.
Les transferts financiers effectués par les immigrés en faveur de leurs proches restés au pays, ou lors de leur retour définitif, sont conséquents mais très difficilement quantifiables. Les estimations des flux monétaires à partir de la balance des paiements, tant des pays de départ que des pays d'arrivée, témoignent de leur importance. Ces transferts financiers pèsent fortement dans la balance des paiements des pays de départ, leur poids pouvant atteindre jusqu'à 50 % du montant total de la balance des paiements.
Pour les deux pays qui nous concernent ici, le poids relatif des transferts par rapport au montant total de la balance des paiements se caractérise par une forte volatilité d'une année sur l'autre. Cette volatilité s'explique à la fois par la variabilité des fonds envoyés et surtout par l'instabilité accrue de l'activité économique de ces pays. Ainsi, le poids des transferts passe de 21 % en 1994 à 52 % en 1995 pour le Mali et de 22 % à 13 % pour le Sénégal. Nous avons construit et regroupé, dans les tableaux suivants, les indicateurs dits de transferts. Les calculs sappuient sur les données disponibles relatives à lensemble des transferts des travailleurs migrants maliens et sénégalais, quel que soit leur pays daccueil, et aux données macroéconomiques sur la période 1993-1995.
Tableau 2.21: Indicateurs de transferts pour le Sénégal (Tous les montants sont en milliards de francs CFA. Les calculs dindicateurs sont faits par nous.Sources : Banque de France, Service Balance des Paiements, Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et R. Blion (dir.) (1998). Épargne des migrants et outils financiers adaptés, Ministère de lEmploi et de la Solidarité, Direction de la ¨Population et des Migrations, Rapport final, tome 1, 162 p.)
AnnéeTransferts unilatéraux privésConsommation finale privéeÉpargne intérieure bruteBesoin de financement199333,21275,1107,6110,6199440,61690,4203,112199543,21700,1244,7127,6
AnnéeTransferts / Consommation privéeTransferts /Endettement Intérieur BrutTransferts /Besoin de financement19932,630,930,019942,419,936,319952,517,733,9
AnnéeSolde Balance CommercialeTransferts /Solde Balance CommercialeBesoin de financement 1993-107,530,9110,61994-129,331,41121995-136,931,6127,6
AnnéeFinancement extérieur de lÉtatDons extérieursTransferts / Financement extérieure de lÉtatTransferts / Dons19938,616,7386,0198,81994186,784,121,748,3199580,573,553,758,8Tableau 2.22 : Indicateurs de transferts pour le Mali (Tous les montants sont en milliards de francs CFA. Les calculs dindicateurs sont faits par nous.Sources : Banque de France, Service Balance des Paiements, Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) et R. Blion (dir.) (1998). Épargne des migrants et outils financiers adaptés, Ministère de lEmploi et de la Solidarité, Direction de la ¨Population et des Migrations, Rapport final, tome 1, 162 p.)
AnnéeTransferts unilatéraux privésConsommation finale privéeÉpargne intérieure. bruteBesoin de financement199326,5627,571,4103,7199446,386487,1193,9199547,81000,894,4230,6
AnnéeTransferts /Consommation privéeTransferts /Endettement Intérieur BrutTransferts /Besoin de financement19934,237,125,619945,453,223,919954,850,620,7
AnnéeSolde Balance CommercialeTransferts /Solde Balance CommercialeBesoin de financement 1993-34,177,7110,61994-56,182,51121995-57,483,3127,6
AnnéeFinancement extérieur de lÉtatDons extérieursTransferts /Financement extérieure de lÉtatTransferts /Dons199319,742134,563,1199476,797,860,447,3199590,992,452,651,7
A l'instar de C. Mercier (1979), nous avons calculé le coefficient de dépendance migratoire qui exprime, pour le pays d'origine, le rapport entre les transferts effectués par les forces de travail migrantes et la valeur absolue du déficit de la balance commerciale. La balance commerciale sénégalaise est déficitaire sur toute la période 1993-1998 avec un montant du déficit de plus en plus important. Le coefficient de dépendance calculé sur la période étudiée 1993-1995 est relativement faible ; il se stabilise autour de 31 %. Il a toutefois tendance à s'accroître graduellement au cours du temps.
A l'inverse, la balance commerciale malienne connaît certes des déficits mais ceux-ci sont beaucoup moins conséquents en termes absolus. Mieux encore, elle tend à s'équilibrer en fin de période avec un très léger excédent en 1997 et aussi un très léger déficit prévu en 1998. Cependant, les transferts financiers jouent un rôle primordial dans la couverture du déficit commercial malien. Le coefficient de dépendance dépasse très largement les 75 % sur la période 1993-1995. Pour l'année 1995, les envois de fonds des expatriés maliens ont couvert plus de 83 % du déficit commercial.
Nous constatons que, pour le Sénégal, les transferts financiers ne permettent pas de rééquilibrer la balance commerciale mais ont plutôt tendance à rééquilibrer la balance des paiements. A l'opposée, le Mali se trouve dans une situation de forte dépendance. Cela signifie que la production et l'exportation de forces de travail génère un gain certain que la production et l'exportation de marchandises ne peut engendrer. Autrement dit, il devient logiquement plus avantageux et donc plus rentable pour le Mali de favoriser l'expatriation de ses travailleurs de sorte à en tirer le maximum de profit financier.
Le rôle des transferts financiers dans l'équilibre de la balance des paiements peut ainsi inciter certains pays d'émigration à retarder la nécessaire mise en place d'une politique adéquate de plein-emploi. Actuellement, les politiques de limitation des flux d'immigration menées par les pays d'accueil conduisant à un tarissement progressif d'une des principales sources de revenus des pays d'émigration va vraisemblablement les y contraindre.
L'importance des transferts financiers pour les pays d'origine peut aussi s'apprécier au travers dautres indicateurs tels que les rapports (ou ratios) transferts sur épargne intérieure brute, transferts sur besoin de financement de l'économie, transferts sur financement extérieur de l'État et transferts sur dons extérieurs de l'État (cf. tableaux ci-dessus). Sur la période étudiée, le ratio transferts sur épargne intérieure brute est beaucoup plus élevé pour le Mali que pour le Sénégal puisqu'il varie entre 37 % et 53 % pour le premier pays et entre 18 % et 31 % pour le second. Les deux pays connaissent une évolution contrastée quant au rapport transferts sur besoin de financement de l'économie, ce rapport diminue progressivement pour le Mali passant de 26 à 21 % et il tourne autour de 33 % pour le Sénégal.
Nous remarquons, pour le Sénégal, que le poids des transferts financiers par rapport au besoin de financement de l'économie est du même ordre de grandeur que le taux de dépendance sur toute la période considérée. Concernant le ratio transferts sur financement extérieur de l'État, il s'établit en moyenne à 82 % pour le Mali et 154 % pour le Sénégal. Dans les deux pays, le montant des transferts excède celui du financement extérieur en 1993. Cette année est très exceptionnelle, en particulier pour le Sénégal où le total des transferts était presque le quadruple de celui du financement extérieur de l'État. Enfin, les transferts nets correspondent à une part importante relativement aux dons extérieurs de l'État, ils sont équivalents au montant total des dons reçus par le Sénégal et ils représentent un peu plus de la moitié des dons obtenus par Mali.
Les transferts financiers des migrants étant généralement affectés à des dépenses de consommation courante ou, dans une moindre mesure, au financement d'exploitation de projets déjà réalisés dans le pays d'origine, il est non moins intéressant de comparer ces transferts aux crédits à court terme dont la finalité est justement de satisfaire les besoins de consommation courante des particuliers et de financement du cycle d'exploitation des petites et moyennes entreprises. Sont considérés dans les tableaux suivants que les chiffres des transferts financiers privés effectués par les migrants maliens et sénégalais résidant en France vers leur pays dorigine.
Tableau 2.23: Transferts financiers privés et crédits à court terme pour le Mali (en millions de francs)
MaliAnnéeTransferts financiers privésCrédits à court terme1987112634,731198830330,3198935318,645199040319,606199139317,6199233344,46199329315,847199434469,497199525790,929Tableau 2.24 : Transferts financiers privés et crédits à court terme pour le Sénégal (en millions de francs)
SénégalAnnéeTransferts financiers privésCrédits à court terme19872242426,29719882382718,70619892872599,50119902962136,51419913321905,58819923332045,83919933242033,04419942451918,84819952371789,98Tableau 2.25 : Analyse comparative du rapport Transferts financiers privés / Créditsà court terme pour le Mali et le Sénégal
Analyse comparativeAnnéePourcentage des transferts (Mali)Pourcentage des transferts (Sénégal)198717,69,219889,18,8198911,011,0199012,513,9199112,317,419929,616,319939,215,919947,212,819953,213,2Source : Banque de France, Service Balance des Paiements et Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), Notes d'Information et Statistiques, avril/mai 1997.
Figure 2.21 : Importance relative des transferts rapportés aux crédits à court terme
fig6
En termes absolus, les transferts effectués par les migrants sénégalais sont plus conséquents ; cela s'explique probablement par leur plus fort taux de présence en France. Cependant, si l'on compare le poids relatif des transferts financiers privés par rapport aux crédits à court terme effectivement distribués aux particuliers et aux entreprises des deux pays, nous constatons trois faits intéressants :
d'une manière générale, les deux pays ont les mêmes tendances d'évolution : une première phase descendante (1987-1988) ; une deuxième ascendante (1989-1990 pour le Mali, 1989-1991 pour le Sénégal) ; une troisième descendante (1991-1995 pour le Mali, 1991-1994 pour le Sénégal avec un signe de reprise d'une tendance ascendante en 1995) ;
une volatilité du poids des transferts financiers privés par rapport aux crédits à court terme ; avec en 1989 une même proportion dans les pays étudiés (11 %) ;
une importance du poids relatif des transferts plus élevée pour le Mali sur les deux premières années et de plus en plus faible sur la période 1990-1995 où l'on relève jusqu'à 10 points d'écart pour la dernière année.
2.3 Les transferts, amortisseurs de tensions sociales
Létat relativement satisfaisant des indicateurs macro-économiques masque de grandes disparités entre zones rurales et zones urbaines et entre les personnes. La croissance économique ne profite en réalité quà une frange de plus en plus restreinte de la population. Elle tend plutôt à accroître les inégalités économiques et sociales. La croissance économique ne peut donc suffire à éradiquer la pauvreté.
La hausse substantielle du chômage combinée avec la compression des dépenses sociales et labsence de système public de protection sociale nont fait quaggraver la pauvreté. Ainsi, la majeure partie des populations malienne et sénégalaise connaît de grandes difficultés financières et ne parvient donc pas à satisfaire les besoins élémentaires essentiels. Ces difficultés financières conduisent inéluctablement à des difficultés économiques et sociales puisque, comme dans toute économie monétarisée , largent régit les relations et les activités sociales. Ce rôle crucial de largent sexplique par une marchéisation de plus en plus accrue des activités et services traditionnellement non marchands. Par exemple, aujourdhui la solidarité reste un vain mot si elle nest pas effective cest-à-dire si elle ne se traduit pas par une action concrète. Or, pour réaliser une action concrète il faut des moyens financiers et par conséquent largent demeure incontournable.
Ainsi, dans ce contexte de marchéisation croissante des activités humaines la vraie solidarité, celle qui est effective, requiert donc de largent. En sinscrivant dans cette perspective danalyse, les liens financiers unilatéraux qu'engendrent les transferts d'argent ne créent pas des liens sociaux mais ils permettent plutôt aux migrants de consolider et de densifier leurs réseaux de relations familiales et sociales existantes. Les transferts financiers peuvent sinterpréter comme une stratégie sociale permanente de mise en dépendance et de dette. Les transferts sont considérés comme des créances si le migrant n'avait reçu aucune aide de la part des destinataires lors de son départ du pays d'origine et comme un remboursement de dette dans le cas contraire.
La spécificité de cette analyse réside dans le fait que laide financière reçue par le migrant tout comme les transferts quil effectue ne sapprécient pas en termes monétaires, même si lon peut parfaitement connaître les montants de laide financière et des transferts. A linstar des échanges marchands, la monnaie joue ici un rôle neutre car il facilite les échanges sociaux entretien et élargissement des liens sociaux. Pour autant, la monnaie est ici, contrairement à lidée walrasienne de neutralité, désirée pour elle-même puisque, comme évoqué ci-dessus, elle est au cur des relations sociales.
Les transferts dargent permettent donc de parer aux difficultés financières des populations maliennes et sénégalaises. Ces difficultés sont le résultat conjugué de l'importance du chômage et de la faiblesse des revenus salariaux. Il est très fréquent de rencontrer des familles au sens large du terme une douzaine de personnes en moyenne où seules deux à trois personnes ont un emploi salarié. Encore faudrait-il que ces emplois salariés soient stables et bien rémunérés, ce qui est très rarement le cas. L'on ne peut ainsi comprendre l'enjeu économique et social que constituent, pour les familles, les transferts financiers des migrants, et ce dautant plus que les transferts des migrants peuvent représenter entre 30 % et 80 % du budget des familles restées sur place.
Dans un contexte économique de plus en plus difficile, la dépendance aux transferts et donc à la migration est devenue structurelle pour nombre de familles de migrants. Les transferts sont ainsi un instrument de lutte contre la paupérisation même si lon sait que des logiques de consommation ostentatoire ont de plus en plus envahi certaines familles bénéficiaires de transferts. Ces fonds sont pour la plupart destinés à couvrir des dépenses de consommation courante, comme lont souligné de nombreux auteurs. Le rapport transferts nets privés sur consommation finale privée nous donne une certaine idée du rôle crucial joué par les transferts dans la couverture des besoins essentiels de nourriture. Ce rapport s'établit en moyenne à près de 5 % pour le Mali et 3 % pour le Sénégal sur la période 1993-1995.
Cet enjeu économique et social des transferts peut faire de la migration le résultat d'une stratégie familiale délibérée et non celui d'un choix individuel. Cest dans cette perspective que O. Stark (1991) a appliqué à la migration la théorie de la gestion du portefeuille dactifs financiers.
La famille est ainsi considérée comme un portefeuille dont les membres sont assimilés à des actifs financiers. Pour s'assurer un revenu lui permettant de lisser sa consommation, la famille répartit ses actifs entre des marchés géographiquement dispersés et structurellement différents . Cette théorie repose fondamentalement sur la solidarité familiale, le partage du revenu total de la famille entre tous ses membres, et le fait que chaque personne gagne davantage que s'il agissait seul. La migration participe alors dune stratégie globale de survie domestique.
L'importance des transferts financiers nous conduit aussi naturellement à nous interroger sur son affectation entre la consommation et l'épargne et surtout sur la capacité des banques nationales à capter cette manne financière. En effet, si une partie conséquente des transferts financiers est effectivement allouée à la consommation des familles, il n'en demeure pas moins que l'autre soit utilisée de manière improductive suite à des comportements ostentatoires.
Certaines familles, au lieu de prévenir les risques de baisse des revenus agricoles due à la mauvaise récolte en investissant dans dautres activités lucratives ont souvent préféré délaissé lagriculture comptant quasi-exclusivement sur les revenus des transferts pour couvrir leurs dépenses en alimentation.
Dautres familles, à linverse, en profitent pour sortir de lincertitude de lagriculture pluviale pour sinvestir dans une agriculture irriguée ou dans le commerce. Il arrive que des familles thésaurisent et capitalisent une partie de largent des transferts au travers de lacquisition de cheptel, qui constitue au demeurant la principale forme daccumulation. Le troupeau joue alors un rôle économique au même titre que les activités productives (commerce, artisanat, etc.).
Le problème est que les populations africaines malienne et sénégalaise qui nous concernent ici , ne peuvent compter indéfiniment sur les transferts financiers de leurs proches expatriés. La situation de l'emploi dans les pays d'immigration, plus particulièrement en France, et la réalité de la pauvreté dans les pays de départ militent inéluctablement en faveur d'une utilisation productive d'au moins une partie des transferts financiers des migrants. Les populations locales tout comme les migrants sont ainsi invités à participer activement au développement de leur pays d'origine au travers de réalisations de projets d'investissements productifs.
3. Les migrants, vecteurs du développement ?
Sans entrer dans les controverses et thèses relatives à la notion de développement, il nous paraît important de spécifier le sens de ce concept. Le développement est un processus de changements mentaux et sociaux qui accompagne et favorise laugmentation cumulative et durable du produit réel global dune population. Limportance des montants de transferts financiers des migrants maliens et sénégalais suscite une interrogation somme toute légitime, à savoir : pourquoi cette manne financière nest pas utilisée de manière productive pour promouvoir le développement économique et social des pays dorigine ?
Beaucoup dauteurs sont convaincus que les migrants et leurs associations sont capables dêtre les vecteurs du développement de leur pays dorigine. Outre le dynamisme des structures associatives de migrants repéré au travers de réalisations dinfrastructures, dautres arguments fondamentaux concourent à la nécessité de la participation effective des migrants au processus de développement de leur pays dorigine (3.1). Il importe cependant de relativiser car, bien quindispensables, les actions tant individuelles que collectives des migrants maliens et sénégalais comportent des limites quil convient dexpliciter (3.2).
3.1 Les arguments en faveur de l'implication des migrants
Deux arguments fondamentaux plaident en faveur de limplication des migrants au développement de leur pays dorigine. La faillite des stratégies publiques de développement et les conséquences socio-économiques néfastes des remèdes préconisés par les organismes financiers internationaux ont progressivement conduit à l'émergence et au développement d'un secteur privé de plus en plus dynamique dans les pays africains.
Les migrants ont naturellement leur place dans ce secteur privé appelé à jouer un rôle de plus en plus croissant (3.1.1). D'autre part, la nouvelle politique de limmigration de la France le codéveloppement va dans le sens dune plus grande implication des migrants dans le processus de développement de leur pays dorigine (3.1.2).
3.1.1 La promotion de l'initiative privée en Afrique
En Afrique subsaharienne, la période post-indépendance sest caractérisée par une présence très marquée des États dans la sphère économique. La prépondérance des États dans léconomie se mesurait à travers limportance des entreprises publiques et parapubliques et la gestion de fait du commerce extérieur.
Durant cette période, le contexte international était très propice aux pays agro-miniers qui ont engrangé d'importantes recettes commerciales. Les États n'ont pas bien géré cette manne financière qui provenait de leurs entreprises et de l'impôt. Cette gestion laxiste des fonds publics a été lourde de conséquences à partir de la décennie 70 où l'environnement mondial était très défavorable.
L'inefficience allocative et productive des ressources a naturellement conduit à un déficit interne et externe, un chômage massif et un endettement énorme. Ce résultat décevant est logique, selon les théoriciens des choix publics. Pour ces derniers, la bureaucratie est inefficace car elle ne subit pas la contrainte d'évaluation. De plus, elle est source de croissance des dépenses publiques et donc de gaspillage. Au-delà des diverses interprétations, le constat demeure : l'échec des politiques macro-économiques étatiques. Le secteur privé doit inéluctablement prendre le relais : cest le temps des initiatives privées.
Malgré l'emprise de l'État sur la sphère économique et l'existence d'un environnement peu favorable à l'initiative privée dans le secteur formel, le secteur privé a joué et continue de jouer un rôle grandissant dans les économies subsahariennes. D'après la Société Financière Internationale (SFI), en 1994, le secteur privé a représenté plus des 2/3 du PIB, plus de la moitié de l'emploi du secteur moderne et plus de 50 % de l'investissement. Il a contribué à la croissance économique, à hauteur de 87 % du PIB au Sénégal, 65 % au Ghana et en Côte d'Ivoire. En 1997, la part de richesses créées par le secteur privé au Sénégal est estimée à plus de 91 % du PIB.
Ce dynamisme du privé montre chez les Africains le désir et la volonté d'entreprendre, qui se sont manifestés déjà depuis très longtemps chez nombre de peuples de la sous-région. La mauvaise gestion macro-économique des pays en développement doit avoir comme conséquence un accroissement et une orientation de l'aide publique internationale au profit du secteur privé pour concourir à lessor de l'entrepreneuriat.
Aussi, des groupements de tontines se sont transformés en organismes de capital-risque et opèrent dans le secteur formel. En mobilisant les ressources financières et humaines nécessaires, ces organismes se lancent dans la promotion dentreprises privées productives. Cette dynamique originale a vue le jour dans plusieurs pays.
Nous pouvons citer le plus important dentre eux et qui a atteint, par la suite, une dimension sous-régionale : il sagit du mouvement des Financières Africaines. La Financière Côte dIvoire créée le 19 juin 1988 est laînée de ce mouvement qui a progressivement gagné tous les pays de lUMOA (Union monétaire ouest-africaine), devenue UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Ce nest quaprès quatre ans de collecte dépargne que la Financière a réalisé ses premières prises de participation. Les dernières mises en place sont, en 1989, les Financières Niger, Guinée et Togo. Elles se regroupent toutes autour de la Financière Internationale, ONG internationale créée en 1989. Elle joue le rôle de conseiller et de financier des Financières nationales.
Par ailleurs, l'impuissance financière et politique des États africains est, plus que jamais, à la hauteur de la nécessité de promouvoir l'essor du secteur privé par la mise en place d'un cadre incitatif. Nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'entrepreneurs qui, malgré un environnement très contraignant, sont animés du goût du risque, prennent des initiatives et font preuve de persévérance en vue de surmonter les obstacles. Ils contribuent à bâtir une bonne image de l'entrepreneur et à lui donner le statut qu'il mérite dans la société .
La vigueur et le dynamisme du mouvement des financières africaines en est une parfaite illustration. Cette citation montre aussi lexistence dobstacles à lessor de lentrepreneuriat en Afrique (voir encadré).
Encadré 3.11 : Les obstacles socioculturels à lentrepreneuriat
Au regard de linégal développement des pays, lentrepreneuriat apparaît comme un phénomène largement tributaire de lévolution historique des sociétés. La culture entrepreneuriale relèverait donc des comportements et attitudes des individus, de leurs capacités intellectuelles et psychologiques. Ainsi, lentrepreneuriat est un phénomène multidimensionnel qui se fonde sur linteraction réussie de plusieurs facteurs environnementaux.
Cependant, lesprit dentreprise est difficile à définir. Pour W. Sombart, lesprit dentreprise désigne lensemble des qualités psychiques nécessaires à la réalisation effective dune entreprise (projet). Alors que W. Elkan (1988) le définit comme une capacité dinnover ou une aptitude à exploiter une activité industrielle complexe et de grande envergure. Lesprit dentreprise présente, pour lui, trois caractéristiques majeures : la perception de créneaux exploitables et rentables, la volonté dexploiter ce qui est perçu et les compétences organisationnelles pour mener à bien un projet.
Selon Schumpeter (1947), la fonction sociale de lentrepreneur ne consiste pas uniquement à se départir de la routine de production en exploitant une invention ou une nouvelle possibilité technique mais bien darriver à des réalisations. Car la mise en uvre effective des innovations butent sur plusieurs formes de résistances dont les plus féroces proviennent des intérêts directement menacés par celles-ci.
Ainsi pour Schumpeter, est entrepreneur linnovateur possédant des aptitudes qui lui permettent de surmonter ces résistances. Les obstacles à lentrepreneuriat africain sont essentiellement liés à lenvironnement économique et social.
Le principal facteur explicatif du retard économique de lAfrique est, pour beaucoup dauteurs dont B. Traoré (1990), le manque potentiel dentrepreneurs de qualité . Nous ne partageons pas cette assertion et pensons quil existe un important gisement potentiel dentrepreneurs dans le continent. Mais, les réalités africaines montrent que leur émergence et leur développement sont compromis par lexistence dobstacles socioculturels. Si lesprit dentreprise est peu développé, cest parce que lenvironnement économique, social et culturel semble guère favorable.
E. Bloy et C. Mayoukou (1995) retiennent essentiellement trois types de contraintes socioculturelles. Dabord, la famille exerce une pression négative sur lentrepreneur . Celui-ci gère le capital humain de manière très personnalisée en privilégiant respectivement les membres de sa famille, de son ethnie et de son clan. La solidarité familiale constitue souvent un frein au réinvestissement du surplus dégagé de la réalisation de lactivité dentreprise. En ce sens quil nexiste pas de séparation stricte entre la trésorerie de lentreprise et le budget des dépenses familiales du patron .
Aussi, léconomie de lAfrique subsaharienne est-elle une économie de subsistance où le souci majeur des agents demeure la satisfaction des besoins vitaux. Apparaissent alors deux conséquences logiques. La première, cest lassistance aux parents démunis qui devient source de diminution des potentialités dinvestissements de lentreprise. La famille est synonyme de parasite pour lentreprise. La seconde est la forte aversion au risque qui limite la capacité dentreprendre et dinnover. Car la probabilité subjective affectée au risque déchec est très élevée.
Ensuite, le comportement des entrepreneurs nest pas propice à lessor du secteur industriel . Lentrepreneuriat est essentiellement axé sur des activités où la vitesse de rotation des stocks est élevée. Ce qui leur assure le plein emploi du capital physique. Il sinscrit ainsi dans un horizon temporel relativement court. Le tertiaire, commerce et services, est très sollicité. E. Bloy y voit, en partie, une certaine influence du contact colonial.
Par ailleurs, la réussite personnelle de lentrepreneur se traduit également sous forme de prestige social car ce succès élève sa position sociale et celle de sa famille. Ainsi, leffet de démonstration joue souvent pour certains entrepreneurs ayant réussi leur pari. Ces derniers adoptent leur comportement de consommation à celui de la catégorie supérieure ou des pays riches. Ce qui réduit la propension à épargner et à investir.
Enfin, les entrepreneurs diversifient presque systématiquement leurs investissements au détriment de lintensification de lactivité principale. Le désir de posséder un portefeuille dactifs risqués nest pas mis en cause. Mais, le surplus issu dune entreprise de taille modeste devrait y être réinvesti de sorte quelle atteigne un seuil critique nécessaire à son développement.
La diversification répond ici à la reproduction de la structure et de lorganisation souvent informelles de lentreprise. Elle sopère aux dépens de lélargissement et de lapprofondissement de lactivité principale. Ce qui empêche lentreprise daccumuler et dexploiter positivement lexpérience learning by doing et les économies déchelle afférentes. Laccumulation du capital seffectue ainsi par la diversification et non pas par la spécialisation.
Aussi, lexiguïté et linstabilité des marchés, conjuguées avec la faiblesse des pouvoirs dachat absence dune demande solvable conséquente ont favorisé les entreprises informelles qui échappent aux risques dentreprises relatifs à ce contexte. Les relations de travail dans linformel se fondent sur des rapports personnels et le plus souvent familiaux avec le chef dentreprise. Guy Pourcet (1995) parle de main-duvre attachée par des rapports de clientèle dans la mesure où les salaires sont fonction des rentrées de fonds et quil existe des obligations dassistance mutuelle. Limportant pour lapprenti est dacquérir une notoriété. Ce qui lui ouvrira la possibilité dans lavenir de créer son propre atelier.
Ainsi, linformalité des relations salariales est un puissant levier de flexibilité et de souplesse de la gestion des ressources humaines. Aussi, permet-elle à lentreprise informelle de sadapter constamment aux fluctuations imprévues des marchés. Qui plus est, la concurrence dans le secteur informel est une concurrence proliférante . En effet, cette concurrence ne sexerce pas entre les producteurs mais elle oppose les producteurs aux vendeurs et est limitée par un système de coopération technique généralisée.
Louverture et lintégration des marchés nationaux, actuellement en cours, permettront de remédier au moins en partie à cette situation et de favoriser lintensité des échanges et par conséquent le développement de lactivité économique.
Il est donc indispensable et souhaitable d'améliorer le climat des affaires et l'environnement institutionnel pour stimuler l'entrepreneuriat et accroître le niveau et la qualité de l'investissement privé. Pour promouvoir l'investissement privé, il demeure impératif d'aménager un cadre propice à toutes les initiatives privées.
Les mauvaises performances de l'État entrepreneur et gestionnaire militent donc inéluctablement en faveur du passage d'une économie dirigée voire autocentrée à une économie concurrentielle, ouverte sur l'extérieur. L'État acteur économique doit s'estomper au profit d'un État régulateur et partenaire loyal du secteur privé. Celui-ci a pour rôle de créer un environnement propice au développement du secteur privé par la mise en place d'un cadre institutionnel législatif et réglementaire transparent, incitatif et efficient. La clarté et la rigueur de la mission et des actions publiques vont encourager l'initiative privée.
Les États doivent achever le processus de désengagement de l'État par la privatisation, la concession au privé de services publics, la libéralisation de l'économie et le parachèvement de la restructuration du secteur financier. Les investisseurs, nationaux et étrangers, ont donc désespérément besoin de cet État régulateur et éclairé. De la réussite de cette métamorphose du rôle de l'État dépend le retour de la confiance, seul gage d'une forte implication de l'ensemble des acteurs au développement économique et social.
Encadré 3.12 : L'instabilité politique permanente, obstacle majeur à l'essor de l'initiative privée
LAfrique subsaharienne est le théâtre de régimes politiques autoritaires et dictatoriaux. Depuis la décennie 80, une disparition progressive de ces derniers s'est amorcée au profit de structures politiques démocratiques. Des efforts de démocratisation sont entrepris dans plusieurs pays. Ils montrent la volonté des dirigeants de reconnaître et de promouvoir la liberté d'opinion et d'expression. Cette évolution en cours, hautement souhaitable, tend à faire oublier l'instabilité politique permanente qui secoue épisodiquement la sous-région, notamment à travers les coups d'États militaires.
Dans la plupart des États, le pouvoir est personnalisé. Il s'articule autour de pratiques politiques tendant à favoriser la reproduction sociale de la classe dirigeante et de ses réseaux clientélistes. Les pratiques politiques induites par le néo-patrimonialisme ont favorisé la constitution, la consolidation et lenrichissement des groupes et réseaux en mesure de marchander leur participation à la reproduction de lordre social et politique. Ces réseaux et leurs gestionnaires, personnel parasitaire et clientéliste, ont largement tiré profit de lextension et de la centralité de lÉtat . Cette remarque, faite à propos du Sénégal, est valable pour la quasi-totalité des pays de l' Afrique subsaharienne.
L'arsenal répressif est utilisé par le pouvoir pour légitimer son autorité et maintenir l'ordre. Celui-ci est souvent bafoué par des populations récalcitrantes à l'égard de la politique gouvernementale. Les révoltes, grèves, et l'absentéisme sont monnaies courantes dans ces pays. Les administrations sont engorgées de fonctionnaires guère motivés et faiblement productifs. Les personnels des entreprises publiques et parapubliques sont aussi pléthoriques que ceux des services publics. Dans ces circonstances, personne ne s'étonne de la fréquence des changements de pouvoir politique principalement dus aux putschs militaires.
Cette situation engendre de nombreuses conséquences notamment économiques. Des coûts relatifs à la mauvaise gestion des ressources publiques s'ajoutent ceux issus de la reconstruction des édifices publics et des infrastructures détruits lors des coups d'État : on est en présence d'un perpétuel redémarrage des économies du fait de changements fréquents de régime politique au pouvoir. Ce climat d'instabilité annihile ou réduit toute motivation d'investissement direct dans cette partie du monde.
Le climat des affaires est pollué par la corruption grandissante, favorisée par l'intensification des échanges internationaux et la généralisation des réformes libérales. Certains agents de l'État profitent des rallonges irrégulières versées par des entrepreneurs désireux de décrocher un marché. L'imprévisibilité des lois, règlements et directives relatives à la fiscalité, au travail et aux activités d'import-export constituent également une entrave à l'initiative privée. Celle-ci est gravement affectée par ce contexte défavorable. En effet, l'état de droit y est constamment bafoué.
Les investisseurs étrangers redoutent une perte de propriété lors d'éventuelles nationalisations d'entreprises privées performantes. Mêmes les nationaux en particulier, la classe dirigeante préfèrent investir ailleurs, principalement en Europe Occidentale. En témoigne l'importance de la fuite des capitaux provoquant souvent celle des cerveaux .
Les bailleurs de fonds internationaux sont bien conscients de cet état de fait. Ainsi, par exemple, le fait de vouloir doter la cinquième convention de Lomé dun volet politique témoigne, selon Michel Rocard, de la volonté de lUnion européenne déradiquer les diverses sources dinstabilité politique qui empêchent le développement économique. En effet, les guerres civiles, les coups détat, la corruption, la mauvaise gouvernance, les mésententes ethniques ou tribales sont des entraves au développement bien pires que lenclavement, la sécheresse ou les inondations .
3.1.2 La nouvelle politique française d'immigration : le codéveloppement
Compter sur le développement des pays d'origine pour stopper les flux migratoires revient à analyser la migration interne comme la conséquence du non-développement de la localité de départ et la migration internationale comme une alternative à l'absence de développement national. Cette conception n'est pertinente que si l'on considère le sous-emploi comme la cause principale de l'émigration. Or, nous savons, d'après la typologie proposée, que les mobiles qui animent une personne ou un groupe de personnes à migrer sont divers.
Cependant, la logique fondamentale de toute migration réside dans la recherche d'un endroit propice à la réalisation de besoins non satisfaits au lieu de départ. Ces besoins peuvent être de meilleures conditions de vie, l'emploi, la paix, la liberté, etc. Cela étant, compte tenu des motivations évoquées par les migrants maliens et sénégalais, le développement de leur pays aurait incontestablement un impact significatif sur les flux migratoires potentiels.
La structure duale de la plupart des pays pauvres notamment ceux d'Afrique subsaharienne est incontestablement une source de migration. Dans la plupart des États, le pouvoir est sous la responsabilité dune minorité de personnes et sarticule autour de réseaux clientélistes. Une petite partie de la société gère l'activité économique et les richesses et assure la reproduction sociale du système tandis que l'autre reste de plus en plus marginalisée. D'un côté, on a la classe dominante qui détient la quasi totalité des richesse et de l'autre les démunis qui deviennent de plus en plus pauvres et marginalisés.
Cette exclusion économique et sociale contraint nombre de personnes à rechercher des lendemains meilleurs dans d'autres horizons du monde. Les divers obstacles liés en partie à la distance, à l'incertitude et à l'ignorance de la situation dans le pays d'accueil ne dissuadent pas les candidats au départ.
Ce départ engendre des effets néfastes pouvant être portés au passif des conséquences de l'immigration. Lexpatriation de personnes qualifiées et dynamiques, le brain drain, constitue une perte tant en termes de productivité que de production nationales du pays d'origine. D'autre part, les inégalités économiques spatiales se creusent au profit des villages et régions où le taux d'émigration est particulièrement élevé. L'existence de zones privilégiées, les villages rentiers et les régions rentières car ne vivant essentiellement que des transferts financiers, rend plus délicate une politique de développement harmonieux de l'ensemble du territoire du pays d'origine.
A linverse, les auteurs relèvent principalement deux types d'apports des immigrés aux pays d'origine : un apport direct en cas de retour, les immigrés valorisant leurs expériences individuelles et un apport indirect à travers les transferts de fonds. Le premier est très incertain car les retours sont souvent hypothétiques.
D'autre part, les travailleurs immigrés ne retournent définitivement au pays qu'après la retraite, les retours concernent donc le plus souvent des inactifs. Les retours d'actifs potentiels sont rarissimes à cause des difficultés économiques que connaissent les pays d'origine. Dautre part, il importe de souligner avec G. Moreau et M.-H. Debart (1985) que peu nombreux sont les pays dorigine motivés à recevoir leurs expatriés du fait de leur situation de sous-emploi chronique. Laccueil de ces nouveaux travailleurs ne contribue quà accroître leurs difficultés économiques et sociales et par conséquent menacer leur stabilité économique, sociale et politique.
Le second apport est limité car les transferts sont souvent une consommation différée et non des investissements productifs potentiels. Un troisième type d'apport serait, nous semble-t-il, la rentabilisation du fait migratoire par la réalisation d'investissements productifs dans le pays d'origine. En tant quinvestisseurs, les migrants devraient être ainsi les bienvenus chez eux. Cest plus ou moins dans cette optique que sinscrit la nouvelle politique française de limmigration.
La politique de codéveloppement vise à assurer l'intégration des migrants légalement installés en France tout en les incitant à participer activement au développement de leur pays d'origine. La politique française dintégration a sans conteste souffert des discriminations de toutes sortes dont ont été victimes les étrangers, la situation de lemploi au cours de ces dernières années y contribuant certainement pour beaucoup.
Cependant, daprès S. Thave (2000), les migrants ne subissent pas vraiment de discriminations salariales car le fait dêtre migrant ne produit pas une influence négative sur le salaire lorsque les caractéristiques demploi sont identiques. Le niveau bas de leurs salaires sexplique par le fait quils appartiennent dans leur immense majorité aux catégories socioprofessionnelles non qualifiées demployés et douvriers et occupent des emplois temporaires ou à temps partiel. Il demeure néanmoins que, à caractéristiques identiques âge, sexe et diplôme égaux le risque de chômage est plus élevé pour les migrants.
Toutefois, trois principales mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour lutter contre les discriminations et remettre en marche le processus dintégration : lamélioration de laccueil des migrants, la lutte contre les discriminations dans les domaines de lemploi et du logement, et simplifier les procédures de demande de naturalisation.
Quant à la participation active des migrants au développement de leur pays, elle passe évidemment par la réalisation de projets productifs, individuels et collectifs, créateurs d'emplois et de richesses. Le développement des pays de migrations, étant synonyme d'une amélioration des conditions de vie des populations, devrait constituer un frein à l'émigration potentielle. Ainsi, le codéveloppement repose, selon J. Freyss (1999), sur une idée essentielle qui consiste à articuler les problèmes de l'immigration avec ceux du développement des pays de migrations.
L'ancienne politique de l'immigration était inadaptée dans la mesure où la fermeture des frontières entraînait des conséquences fâcheuses. Il s'agit en particulier de la précarité du statut des migrants, de leur marginalité voire de leur exclusion du système économique et social. Aussi, le recours aux moyens trop coercitifs expulsions de clandestins a souvent créé des tensions politiques entre les États sans pour autant garantir la diminution de limmigration irrégulière. Qui plus est, il conduit les clandestins à développer des stratégies plus efficaces.
Dans les pays d'origine, la politique d'émigration est aussi loin d'être pertinente. La migration est perçue comme la principale solution aux problèmes économiques et sociaux internes. Elle constitue une manne financière importante pour les économies nationales, une soupape de sécurité ou encore une pompe à finance pour reprendre la terminologie de J. Freyss. Cette manne financière est le plus souvent utilisée de manière improductive.
Le point commun entre les pays d'origine et la France était la non prise en compte dans la définition de leur politique des liens qui existent entre migration et développement. Nous avons déjà montré que les relations entre migration et développement sont biunivoques. La migration peut contribuer au développement des pays d'origine lorsque les politiques mises en place de part et d'autre sont adéquates et cohérentes.
Le codéveloppement est une de ces politiques adéquates et cohérentes : il vise non seulement à rétablir et à accompagner la mobilité des immigrés mais et surtout il place les migrants et leurs mouvements associatifs au cur de son dispositif stratégique. Les migrants sont ainsi considérés comme les vecteurs du développement de leurs pays.
Le développement, facteur de bien-être social, ne conduit pas à une suppression de la migration mais il change la nature et le contenu de la migration. Il convient aussi de remarquer que, dans un contexte démigration auto-entretenue, lamélioration même sensible des conditions économiques ne constitue pas du moins dans un premier temps un moyen de rétention des candidats à lémigration. Les promoteurs de cette politique de codéveloppement sont bien conscients des effets du développement sur la migration. C'est pourquoi, ils parlent de mobilité organisée et de mobilisation des travailleurs immigrés de sorte à valoriser le phénomène migratoire pour favoriser le développement des pays de migrations.
Cette nouvelle politique contraste à bien des égards avec celle menée vers la fin des années 1970 et durant la décennie 1980. Pendant cette période, il était plutôt question daide à la réinsertion dans le pays dorigine des travailleurs migrants salariés dentreprises en difficulté. Contre restitution du titre de séjour, le migrant rentrant bénéficiait dune prime financière qui devait lui permettre de sinsérer ou se réinsérer dans lactivité économique de son pays dorigine.
Le codéveloppement semble attirer ladhésion de nombreux auteurs spécialistes de la migration principalement du fait que les projets daide au développement ont aujourdhui montré leurs limites. Léchec de la coopération internationale sexplique dune part par la non prise en compte de facteurs économiques, culturels et écologiques dans la transposition des techniques occidentales. Aussi, les experts occidentaux font fi des avis et des besoins réels des populations concernées. La réussite des projets de développement impliquant la participation des associations de migrants et des populations locales, il devient impératif de les associer aux projets.
Limmigration est analysée par G. Abraham-Frois (1964) comme un échange particulier d'un facteur de production entre deux économies. Comme tout échange, celui-ci procure des gains certains aux partenaires et constitue ainsi un intérêt réciproque. Dès lors se pose naturellement le problème de la juste répartition des gains de cet échange entre les deux économies concernées.
Après avoir quantifié et analysé les avantages respectifs tirés de l'immigration, G. Abraham-Frois (1964) en conclut que les pays développés tirent un énorme profit de l'immigration dans la mesure où ils importent gratuitement un facteur de production. En effet, les coûts d'entretien, de formation, des divers services collectifs et plus tard de l'amortissement de ce capital humain sont le fait de la famille et du pays d'origine. Seul l'usage de ce facteur est rémunéré ; cette rémunération ou salaire constitue en effet l'unique intérêt de ce capital humain.
Compte tenu de la faible part de gains obtenus par les pays d'origine, G. Abraham-Frois (1964) propose comme compensation d'accroître substantiellement l'aide aux pays d'émigration et donc aux pays en développement. Le gaspillage de laide publique au développement doit amener les pays donateurs à transformer une grande partie de cette aide en un fonds de financement de projets dinvestissements productifs privés.
En effet, laide publique au développement, dont une partie est souvent détournée, est presque toujours utilisée de manière inefficace. Ce constat pose le problème de la pertinence de laide qui peut se résumer en deux interrogations liées : laide est-elle utile aujourdhui ? Si oui, faut-il restreindre le nombre de bénéficiaires aux seuls pays les plus pauvres ?
La réponse à la première question est évidemment positive. Dune part, les pays sont fortement endettés. Dautre part, laide demeure aujourdhui encore plus quhier nécessaire et ce dautant plus que lamélioration de la situation macro-économique de plusieurs pays notamment dAfrique francophone ne sest pas traduite par une hausse du niveau et de la qualité de vie des populations. Cette situation, invite non pas à supprimer laide mais à laugmenter et la réorienter davantage vers le secteur privé qui est plus à même de laffecter efficacement.
La seconde réponse est négative car la limitation de laide aux pays les plus pauvres élude lexistence incontestée dénormes poches de pauvreté autour des grandes villes de pays moins pauvres. Les populations pauvres doivent satisfaire leurs besoins primaires et ce quel que soit lendroit où ils vivent. Une partie substantielle de laide, si elle est bien utilisée et bien gérée, peut permettre de couvrir les besoins alimentaires, sanitaires et scolaires.
Ce changement stratégique de réorientation de laide publique au profit du secteur privé est dautant plus souhaitable que la permanence de laide nengendre que des effets pernicieux. Déjà en 1798, R. T. Malthus remarquait, à propos de lassistance paroissiale accordée aux pauvres en Angleterre, (qu) aussi cruel que cela puisse paraître dans des cas particuliers, on devrait considérer la pauvreté assistée comme honteuse. Un tel aiguillon semble absolument nécessaire pour promouvoir le bonheur de la grande masse de lhumanité ; et toute tentative quelconque daffaiblissement de cet aiguillon, quelque charitable quen soit lintention apparente, ira toujours à lencontre de son propre but .
Ainsi aider les pays pauvres à se développer, cest favoriser, par des appuis financiers directs, la possibilité et la volonté dépargner et dentreprendre des acteurs privés. Dans cette perspective danalyse, les moyens financiers qui sont déployés pour mener cette nouvelle politique peuvent être interprétés comme une manière de compenser lutilisation gratuite de la main duvre immigrée par la France. Ainsi, le Mali et le Sénégal peuvent jouir des retombées de leur contribution en termes de force de travail au développement de la France.
Une des conséquences positives attendues de la mise en uvre de cette nouvelle politique dimmigration est certainement laccroissement de la motivation des migrants porteurs de projets sans pour autant faire deux les vecteurs du développement de leur pays dorigine car existent des limites objectives de leurs actions.
3.2 Les limites de l'action des migrants
Les différentes recherches ont apporté des éclairages tant sur la portée des réalisations collectives des migrants que sur les multiples problèmes quelles ont engendrés. Il importe dabord de souligner limpact négligeable des projets individuels des migrants sur lemploi (3.2.1). Dautre part, les projets collectifs sont souvent le lieu de confrontations et de conflits tant entre les migrants quentre les associations et les autres acteurs concernés autorités publiques locales et villageois (3.2.2).
3.2.1 Des investissements concentrés sur quelques secteurs et très peu générateurs d'emplois
Nous avons déjà évoqué la concentration des projets individuels réalisés dans le pays d'origine sur un petit nombre de secteurs tels que le petit commerce, lacquisition de cheptel au village et la construction de maisons. La création de petites et moyennes entreprises est très rare et le plus souvent il sagit dentreprises dimports exports ou de transport. Cependant, linvestissement dans lhabitat demeure le principal secteur de prédilection des immigrés. Plusieurs études corroborent ce fait essentiel qui semble une réalité que lon retrouve chez tous les expatriés.
Ce choix de propriété foncière et immobilière a des conséquences socio-économiques favorables à la société et au tissu urbain. Le dynamisme des investissements de migrants internationaux sénégalais a permis en particulier de pallier aux insuffisances quantitatives et qualitatives du parc de logements insuffisances dues au désengagement de lÉtat qui a fortement réduit les subventions allouées aux sociétés immobilières. En effet, après avoir acheté et transformé des maisons, les migrants les louent à des prix abordables aux personnes à revenus modestes et celles du secteur dit informel exclues des programmes dhabitat planifié.
Après 1974, date darrêt de limmigration de travail, les migrants ont par précaution commencé à investir au Sénégal. La première vague dinvestissements a démarré en 1978 avec comme priorité la réalisation dinvestissements dordre familial ou communautaire à caractère social.
Le fait dhabiter en ville avec leur famille constitue pour les migrants dorigine rurale une certaine élévation dans léchelle sociale. Linstallation en ville leur ouvre la possibilité de bénéficier des infrastructures urbaines eau, électricité, transports, etc. et surtout lécole pour les enfants. La forte demande de logement en zone urbaine accroît la rentabilité financière des investissements immobiliers achat et construction de logements à louer et permet ainsi aux migrants dassurer, au-delà de leur retraite, lavenir de leurs enfants et daugmenter leurs investissements sociaux.
Comme on peut le remarquer ces activités, bien quétant utiles et nécessaires pour les migrants et leur famille, sont très peu génératrices demplois. Il est évident, même en labsence de statistiques relatives au nombre demplois créés ou induits par ces projets, que les populations des pays de départ ne peuvent attendre de laction des migrants une amélioration sensible de leur sort. Ainsi, les migrants ne peuvent pas être les vecteurs du développement de leur pays dorigine. Ils peuvent et doivent participer au développement, à linstar des autres acteurs privés nationaux et internationaux.
En somme, nous venons de voir que la valorisation du capital est généralement improductive car la capitalisation se fait essentiellement par lacquisition de maisons en ville ou dun troupeau au village. Ainsi, pour que leur participation au développement soit plus efficace et plus bénéfique à la société, les migrants qui le souhaitent doivent davantage investir dans les secteurs productifs et porteurs demplois. Outre lurgence dune réorientation des investissements des migrants vers les activités productives, il est urgent de mettre un terme aux affrontements que suscitent souvent les projets collectifs.
3.2.2 Les projets collectifs, sources de conflits
Il est indispensable de distinguer le collectif privé du collectif public . Le collectif privé concerne les associations de migrants et les associations villageoises tandis que le collectif public regroupe les structures locales créées et supervisées par les autorités étatiques. Limportance grandissante des actions du collectif privé est la conséquence inéluctable des défaillances du collectif public en matière de réalisations dinfrastructures de base.
Si lon peut logiquement admettre que la recherche du bien-être des populations villageoises est lobjectif commun des deux collectifs, il importe de souligner que leurs types de relations avec les villageois sont radicalement différents. Les rapports entre le collectif public et les villageois sont de type vertical, les décisions publiques unilatérales sont acceptées telles quelles parce quémanant des représentants de lÉtat. Les villageois ne sont pas associés aux décisions qui les concernent de prime abord.
À l'inverse, les relations entre les villageois et le collectif privé sont symétriques puisquelles reposent sur une concertation dont lissue permet de définir à la fois les besoins urgents et les modalités de leur résolution. Ce rapport de proximité facilite ladhésion et la participation de tous aux différents projets à réaliser. Cependant, il va de soi que ce dialogue permanent entre les villageois et les migrants peut buter parfois sur des obstacles.
Étudiant le fonctionnement des associations de migrants Haalpular et Soninké, S. Bredeloup (1994) a montré que celles-ci sont autant de lieux de confrontations et de conflits de pouvoir que (d) espaces dinitiatives et dinnovations . Ces conflits opposent généralement les cadets aux aînés, les partisans et les opposants à la primauté de la hiérarchie sociale traditionnelle et par conséquent entre ceux qui acceptent et ceux qui réfutent une gestion paternaliste de lassociation et de ses ressources financières. Ainsi, les associations peuvent être pour certains un instrument de réactualisation de rivalités ou conflits entre lignages et par conséquent de reconquête du pouvoir sur de nouvelles bases. Il sagit là dune remise en cause de certaines pratiques culturelles traditionnelles en vigueur dans les villages dorigine telles que la distance hiérarchique et la hiérarchie sociale hommes libres ou nobles, artisans et descendants de captifs.
Ce genre de conflits internes qui ne concernent que les migrants membres dune même association , pensons-nous, est révolu puisque les associations sont maintenant pilotées par des responsables compétents et ce quel soit leur statut social traditionnel. Au-delà de ces affrontements internes, les projets collectifs ont souvent engendré deux types de conflits. Le premier type oppose les migrants et leur village à lÉtat. En effet, il existe souvent un problème dadéquation entre les besoins des villageois et la politique de lÉtat notamment dans le domaine de léducation et de la santé. Disposer dinfrastructures éducatives ou sanitaires nest donc nullement synonyme de leur utilisation effective par les bénéficiaires. Ainsi, par exemple, des villageois ont attendu deux années pour avoir un infirmier à leur dispensaire.
Le second type de conflit peut être qualifié de politique car il sagit dune revendication implicite de la paternalité et du contrôle des actions de développement. On sait que les associations villageoises de ressortissants ont initié et réalisé plusieurs projets déquipements collectifs des villages. Des millions de francs ont été déjà investis témoignant ainsi leur dynamisme mais et surtout leur volonté de participer pleinement en tant que groupe social au développement de leurs localités dorigine. Ils acquièrent à travers leur pouvoir financier contribution financière au développement une légitimité auprès des villageois et subséquemment un droit de regard et de décision sur tout ce qui se fait ou va se faire au village.
Ce droit de regard et de décision place les migrants en concurrence plus ou moins directe avec les autorités publiques locales et les chefs de villages. La lutte possible de contrôle des actions du développement risque de compromettre le dynamisme de développement local déjà bien enclenché au grand dam des populations villageoises.
Aussi, importe-il de remarquer que les actions communes à plusieurs villages sont très rares dans la région (du fleuve Sénégal). Les concurrences entre villages, les rivalités pour le leadership entre les responsables des associations de migrants rendent la fédération des actions difficile . Cette fédération des actions est dautant plus nécessaire quon assiste à une prolifération désordonnée de réalisations dinfrastructures. La concertation demeure ainsi nécessaire pour rationaliser les investissements.
Ces conflits sont révélateurs du déficit voire de labsence de concertation entre les associations de migrants, lÉtat et les OSI. Cette carence de dialogue a conduit à des investissements surdimensionnés ou économiquement inefficaces car ne sinscrivant dans aucune approche globale de développement local. Les exemples ne manquent pas, en particulier la construction de plusieurs puits autour dun périmètre très étroit.
Les autorités étatiques des pays dorigine ne sont pas insensibles à cet état de fait. En effet, dans un document de travail interne du Bureau dAccueil, dOrientation et de Suivi des Actions pour la Réinsertion des Émigrés (B.A.O.S., 1997), le ministère sénégalais des Affaires étrangères visait essentiellement deux objectifs : dune part, informer les candidats à lémigration des difficultés notamment daccès à lemploi que rencontrent les expatriés et, dautre part, créer des cadres de concertation et de partenariat entre les immigrés, leurs associations, les pouvoirs publics, les établissements bancaires locaux et les organismes de développement internationaux dans le but de promouvoir un développement économique et social harmonieux du pays.
La concertation avec les migrants est dautant plus nécessaire quils mobilisent beaucoup mieux que les États ladhésion et la participation active des villageois aux processus de développement. Aussi, les migrants ont-ils démontré, de par la capacité dépargne et dinvestissement de leurs associations et des compétences techniques et organisationnelles de leurs leaders, quils sont des acteurs et des interlocuteurs incontournables dans le processus de développement. Ainsi, ce serait au moins un paradoxe et sans doute un grand manque à gagner à vouloir faire de la coopération internationale contre ou sans les immigrés .
Il est donc souhaitable et impératif, peut-être à partir des opportunités quoffre le codéveloppement, de réfléchir sur les modalités concrètes de mise en uvre dune réelle coopération entre les différents acteurs du développement local. Cette coopération permet de sassurer de linscription effective des projets collectifs dans le plan général de la politique étatique de développement territorial.
Ce sont, dune manière générale, ces limites qui font que les migrants ne peuvent être les vecteurs du développement de leur pays dorigine. Tout au plus, ils peuvent devenir des membres actifs du club plus large de lensemble des investisseurs privés. En effet, nous pensons quil nexiste pas de spécificité immigrée : un investisseur est un investisseur, ce qui lintéresse cest la sécurité et la rentabilité de son investissement. Ainsi, quand bien même existent des opportunités dinvestissements rentables dans les pays dorigine, encore faudrait-il que lenvironnement général, le cadre institutionnel en particulier, inspire confiance.
4. Les conditions d'une réussite de la participation active des migrants au développement de leur pays d'origine
La reconnaissance de laction des migrants pour le développement de leurs localités dorigine implique quils soient soutenus dans leurs initiatives. Ce soutien doit correspondre à une proposition de solutions adéquates quant aux problèmes que rencontrent les porteurs de projets (4.1). Le développement économique des pays dorigine, ne pouvant reposer sur les seules actions des migrants, requiert la participation de lensemble des acteurs privés nationaux et des investisseurs étrangers. Il demeure essentiel daménager un cadre propice à linitiative privée en général (4.2).
4.1 Répondre aux attentes des migrants porteurs de projets
Les principaux problèmes que rencontrent les migrants porteurs de projets sont comment monter un dossier, faire une étude de faisabilité, où trouver des conseils avisés et surtout où trouver un financement. Comme viennent de le suggérer les résultats de notre enquête, lépargne financière des migrants maliens et sénégalais est, le moins quon puisse dire, insuffisante pour permettre de mener à bien la réalisation dun projet.
Contrairement à dautres communautés immigrées, le problème de financement se pose avec beaucoup moins dacuité car subsiste un réseau communautaire qui participe significativement au financement des activités lucratives. Ainsi, le développement de lentrepreneuriat chinois en France repose sur le financement communautaire. Ce financement collectif, qui se fait sous forme de tontines , se fonde moins sur des impératifs économiques que sur des considérations communautaires. Cependant, une enquête menée en 1993-1994 auprès des entrepreneurs chinois à Paris par Pairault (1995) montre plutôt une prépondérance du recours aux financements extra-communautaires, en particulier les prêts bancaires. Néanmoins, lexistence dun réseau ethnique de solidarité financière constitue un atout majeur dans la réussite économique des migrants entrepreneurs.
Pour faire face à ces différents problèmes, il importe, nous semble-t-il, de créer ou de s'appuyer sur les structures existantes qui auront pour vocation non à financer les projets mais à participer au financement de projets individuels et collectifs. Dautre part, les actions collectives des migrants ne peuvent constituer un apport fécond au processus de développement que si elles sont coordonnées et non disparates comme cest le cas actuellement. Une telle approche globale permettra de fédérer les synergies dont sont porteuses les différentes actions. Le nouveau discours de développement concerté implique une participation de tous les acteurs de la coopération décentralisée de lidée à la réalisation des projets, et ce quel que soit le statut de linitiateur (Association de migrants, OSI, État). Ainsi, nous proposons trois types d'actions différenciées selon le type de projet.
Dabord, une implication active des structures d'appui serait nécessaire tant en matière de financement qu'au niveau de l'accompagnement des porteurs de projets créateurs d'emplois. Cette proposition s'inspire du système de capital-risque. En plus du financement, la structure offre des prestations de services à ses affiliés (les entreprises partenaires), à savoir de l'ingénierie financière, des études de marché, des conseils d'orientation stratégiques. Il serait intéressant à cet égard de faire suivre aux migrants promoteurs de projet des cours de gestion dentreprise. La structure joue aussi un rôle de levier en facilitant le déblocage d'emprunts bancaires et/ou des aides publiques. Pour que ces structures soient pérennes et viables, la sélection des projets doit reposer exclusivement sur la rentabilité financière attendue. Nous qualifions ce système de capital-risque à micro-échelle.
Ensuite, pour les projets peu générateurs d'emplois, il faudrait un système de financement par prêt participatif avec ou sans conseil de gestion et de management. Le choix de la formule d'intervention de la structure doit prendre en compte la nature du projet et les compétences (réelles ou supposées) du promoteur. Il serait intéressant, à cet égard, d'établir une grille des montants des prêts participatifs selon le type de projet (commercial ou artisanal) et le chiffre d'affaire anticipé.
Enfin, un système de financement complémentaire pour la réalisation des projets collectifs des associations ou groupes d'associations des migrants. Il s'agit ici d'apporter des conseils sur la cohérence, l'opportunité et la pertinence des projets collectifs, c'est-à-dire sur la rentabilité économique des projets. La participation financière peut être même nulle dans la mesure où les migrants parviennent souvent à assurer lintégralité du financement des projets de nature socio-économique. Les éventuels financements complémentaires peuvent être apportés par les organismes publics ou parapublics ou même par des bailleurs de fonds que la structure peut mettre en relation avec les associations.
Pour notre part, le financement de ces propositions par la France, justifié par lidée de compensation évoquée ci-dessus, doit se faire par simple transfert de laide publique au développement vers un fonds spécialement créé pour encourager et soutenir les promoteurs de projets productifs dans les pays dorigine peu importe quils soient migrants ou français. Aussi, les acteurs publics de la coopération décentralisée doivent multiplier leurs soutiens financiers et surtout techniques aux associations de développement local. Ils doivent jouer un rôle particulier de catalyseurs dans la réalisation de projets de grande envergure.
Il nous semble toutefois peu probable compte tenu du rôle socio-économique et financier que jouent les transferts et par conséquent la migration que le développement des villages dorigine freinerait les départs, et ce pour deux raisons fondamentales. Dune part, on sait dune manière générale que les projets réalisés tant individuels que collectifs , de par leur nature et leur envergure, ne sont pas une vraie alternative à la migration car très peu créateurs demplois. Dautre part, les revenus escomptés dune migration sont beaucoup plus importants que les revenus issus dactivités locales. Car malgré lexistence de surfaces irriguées importantes dans certaines localités, les revenus de transferts représentent quatre à six fois la valeur de la production agricole dun actif pendant une saison de culture. Aussi, la migration est-elle devenue un moyen plus rapide dascension sociale. Les revenus migratoires sont devenus dautant plus indispensables que les revenus agricoles et salariaux sont dérisoires.
Le développement des pays dorigine nécessite certes limplication active des migrants et de leurs associations mais et surtout linstauration, par les États malien et sénégalais, dun environnement favorable à linitiative privée de sorte à susciter une mobilisation de lensemble des acteurs privés nationaux et des investisseurs étrangers. En effet, linitiative privée ne peut être florissante dans un climat de déséquilibres économiques et financiers structurels et de déficiences juridiques et politiques. Linstabilité politique, les pesanteurs administratives et fiscales, la fragilité des systèmes financiers et la forte dépendance externe des économies sont autant de facteurs qui concourent à pénaliser les activités dinvestissement et de production. Doù lurgence dy remédier.
4.2 Créer et maintenir un environnement favorable à linitiative privée
Le contexte africain, malien et sénégalais en particulier, est très défavorable aux activités d'investissement en général. A côté de l'instabilité et de l'incertitude économiques subsiste un risque politique et institutionnel élevé. Pour obtenir un cadre propice à linitiative privée, il est indispensable, entre autres, d'instaurer un état de droit et de reconsidérer le rôle de l'État acteur.
L'économie de marché ne peut fonctionner qu'en présence d'un état de droit. Ce dernier revêt une importance particulière pour l'épanouissement du secteur privé. Il permet la protection de la propriété et du respect des contrats. Pour R. Coase, il y a performance des marchés, lorsque le droit de propriété est intégral. L'exclusivité et la transférabilité d'un bien, caractéristiques de celui-ci, sont nécessaires pour construire un cadre concurrentiel efficace. Mais, l'état de droit n'existe que s'il y a un système juridique et institutionnel démocratique et fonctionnellement satisfaisant. Le développement des activités privées implique la refonte des mécanismes institutionnels, la lutte contre la corruption administrative et l'instauration d'une démocratie politique.
La notion d'institution est très complexe et ambiguë. Dans un sens plus large, les institutions sont un ensemble de règles implicites et explicites, établies de façon durable soit par convention, soit par coutume (habitudes), soit par la loi décision démocratique ou autoritaire , qui rendent possible le fonctionnement d'une société. Ces règles encadrent, valorisent ou délégitiment les actions des individus. Les institutions façonnent et guident les comportements des agents économiques. Dans les temps modernes, elles sont inscrites dans un cadre juridique et englobent l'ensemble des organes de l'État.
L'idée que les hommes se font du fonctionnement des institutions et de leurs représentations est très importante. Une mauvaise appréhension de ces dernières peut conduire à des comportements hostiles aux lois, une instabilité politique, une fragilité du consensus social et une faiblesse des centres de décision (autorités publiques). Pour éviter une telle situation, l'État doit mettre en place des institutions solides, efficaces et stables. Celles-ci doivent prendre en compte les évolutions des murs, des valeurs et des idéologies de la société : l'innovation institutionnelle est ainsi possible et découlera d'un compromis entre les agents et les autorités .
Les institutions modèlent le comportement et l'environnement des agents individus et entreprises. Au-delà du débat sur l'influence des institutions sur les performances économiques, il est clair que des institutions efficaces améliorent l'allocation des ressources et réduisent les coûts de transaction. D'où l'intérêt pour les pays africains d'entreprendre des réformes institutionnelles et démocratiques pour faciliter la mobilité et la répartition efficiente des facteurs de production.
Le lien entre démocratie et développement économique est très difficile à prouver. L'expérience, ne serait-ce qu'en Afrique, montre des résultats contrastés. D'un côté, nombre de régimes autoritaires ont réussi dans leurs politiques macro-économiques. De l'autre, des démocraties ont été incapables de progrès économiques. En situation d'instabilité politique, d'aucuns préconisent l'autoritarisme comme expédient utile pour éviter les cycles électoraux et imposer des réformes impopulaires nécessaires à l'économie. En revanche, d'autres pensent que les régimes démocratiques peuvent faciliter la mise en uvre de réformes adéquates.
En effet, l'existence d'une diversité d'opinions politiques et idéologiques, la liberté de la presse, la possibilité de débattre publiquement les avantages et inconvénients de la politique gouvernementale et la sanction électorale sont autant de facteurs qui incitent les gouvernements à adopter un comportement responsable et loyal et mener à bien leur sacerdoce. Le contexte d'extraversion de plus en plus croissante des économies rend nécessaire sinon incontournable la démocratisation des régimes africains encore autoritaires pour attirer davantage les investisseurs étrangers.
Enfin, la corruption doit être combattue. Certes, elle n 'est pas spécifique à l'Afrique, mais elle y est plus visible et y atteint des proportions importantes. La floraison de ce phénomène provient essentiellement du poids excessif de l'État dans l'économie et de ses réglementations discriminantes (clientélisme) qui obstruent la libre concurrence externe et interne ; de fonctionnaires insuffisamment payés qui acceptent volontiers les pots-de-vin ; et souvent, de l'imprécision ou de la contradiction des objectifs de l'organisme public que ces derniers servent. Elle prend plusieurs formes dont la plus fréquente consiste à soudoyer les agents de douane.
Lutter contre la corruption en Afrique, c'est, nous semble-t-il, démanteler les réseaux clientélistes et mettre fin au néo-patrimonialisme. La mise en place d'un État de droit par une administration efficace et performante est nécessaire mais pas suffisante pour accroître et encourager le dynamisme privé. Les autorités publiques doivent aussi, entre autres, investir dans la formation et le capital humain.
Encadré 4.21 : Système financier et développement économique
J. L. Christensen définit le système financier comme des arrangements institutionnels permettant la transformation de l'épargne ou du crédit en investissements . Cette approche est restrictive car elle se limite aux mécanismes d'allocation des ressources financières. Une définition plus large devrait, selon J. F. Goux (1994), prendre en compte en sus du financement, la liquidité et le risque. Toutefois, au delà des problèmes définitionnels, il importe de souligner l'existence d'un lien entre structure financière et croissance. Chez beaucoup d'auteurs dont Goldsmith (1955, 1969), Gurley et Shaw (1955, 1967) et Mac Kinnon (1973, 1991), un système financier solide et efficace contribue au développement économique. Si cette relation est largement acceptée, le sens de causalité demeure sujet à discussion. D'aucuns pensent que le développement financier exogène, par l'offre de services financiers adéquats, dynamise la croissance économique. Pour d'autres, le développement financier est endogène puisqu'il est la conséquence directe de l'accroissement des besoins donc de la demande de services financiers engendré par le développement économique.
Pour l'Afrique subsaharienne, la première causalité nous paraît vraisemblablement la plus plausible. En effet, l'essor et le dynamisme du secteur informel montrent bien la présence de besoins financiers pressants. L'épanouissement de la finance informelle n'est rien d'autre que le reflet et la conséquence d'un système financier formel inadapté. D'après la classification linnéenne des systèmes financiers, élaborée par J. F. Goux (1994), les systèmes financiers africains sont fondés sur la banque et administrés par des États centralisés.
Ces derniers se sont révélés inefficaces. La mauvaise gestion des systèmes financiers a conduit à une succession de faillites bancaires dans la sous-région. Sous la pression d'organismes internationaux, imposant des réformes financières structurelles, ceux-ci tendent à devenir des systèmes financiers fondés sur la banque et libéralisés, dominés par les institutions financières. L'importance et le rôle d'un système financier efficient sur la croissance économique semblent vérifiés. Il demeure ainsi impératif de restaurer la confiance des agents dans le système financier africain.
Conclusion du chapitre
La théorie néoclassique standard, raisonnant en termes de fonctions globales de production des facteurs capital et travail, considère implicitement les transferts financiers comme des mouvements de flux de capitaux qui seront effectivement investis dans les pays récepteurs. Cette logique danalyse en termes de fonctions économiques ne peut prendre en compte les motivations et les représentations des migrants. De plus, elle contraste avec la réalité en ce sens que les transferts financiers des migrants constituent souvent une consommation différée dans lespace.
Les familles destinataires utilisent les fonds de transferts pour satisfaire leurs besoins de consommation courante, biens alimentaires notamment. Les transferts sexpliquent ainsi par léclatement de la famille en deux ou plusieurs unités ou foyers de consommation habitant dans des espaces différents. Par conséquent, les transferts financiers des migrants résultent du fait que le lieu de perception du revenu (pays daccueil) nest pas le même que le lieu de dépenses dune partie de ce revenu (pays dorigine). Cest cette partie du revenu qui correspond strictement aux montants des transferts.
Les transferts financiers et les projets sont les éléments les plus marquants du comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Lutilisation des transferts révèle une ambivalence fondamentale. Dun côté, les transferts jouent un rôle crucial pour les ménages dont les revenus salariaux sont insuffisants pour assurer pleinement lentretien de la famille. Ils servent ici à lentretien de la famille et à lexercice éventuel dune micro-activité économique locale.
De lautre, ils permettent laccumulation dun capital symbolique et social pour les familles dont la couverture des besoins vitaux est assurée. La rente migratoire permet à ces familles, au travers de dépenses ostentatoires, daméliorer ou de conforter leur condition de vie sociale et par conséquent leur place dans la communauté.
Dans les deux cas, les besoins dargent saccroissent et rendent plus quindispensables les transferts des migrants. Cependant, dans les sociétés claniques telle que la société soninké, la hiérarchie coutumière demeure inchangée, le statut social reste toujours le même. Autrement dit, la monétarisation des liens sociaux naffecte fondamentalement en rien leur nature interdépendance, amitié, solidarité. Toutefois, la situation économique et sociale actuelle des pays dorigine interdit toute conversion de largent des transferts en prestige social ; cet argent doit être investi dans des activités productives.
Les projets individuels ou collectifs réalisés, en cours de réalisation ou à venir témoignent, quelles que soient les motivations sous-jacentes, de lattachement des migrants maliens et sénégalais à leur terre dorigine. Les villages dorigine sont ainsi le réceptacle dactions de développement initiées et financées par les migrants. Ces actions sont un indicateur de valorisation du séjour en France. Malgré les insuffisances relevées ci-dessus, les réalisations des migrants sont dune manière générale décentralisées et souvent de dimension raisonnable. La réalisation de projets de développement permet ainsi de créer une dynamique économique puissant moyen de lutter contre la paupérisation du monde rural et de stimuler linitiative privée et collective des villageois.
Le dynamisme de laction des migrants bien que de portée limitée montre la nécessité de contourner les circuits habituels de laide publique au développement au profit de structures privées souples telles que les associations de migrants qui ont fait preuve de leurs capacités dinitiatives. Celles-ci doivent bénéficier des moyens financiers et techniques de la coopération internationale pour quelles puissent, en coopération avec les autres acteurs du développement local, réaliser des projets de plus grande envergure.
Par le codéveloppement, les autorités françaises tentent dorganiser de manière concertée avec les pays de migration les flux migratoires pour rentabiliser le fait migratoire en favorisant les investissements dans les pays dorigine. Pour que limmigration soit profitable aux pays de départ et daccueil, il faudrait promouvoir les investissements productifs générateurs demplois, les transferts de compétences et de techniques.
Favoriser le développement des pays de départ, le Mali et le Sénégal, cest non seulement encourager et aider par un apport éventuel de financements, de conseils avisés et de formation en gestion les migrants à investir dans leurs pays dorigine, mais cest surtout créer et maintenir les conditions dune mobilisation active des investisseurs tant nationaux quétrangers. Le développement ne peut provenir que de limplication affirmée des opérateurs privés et de lÉtat. Le rôle de celui-ci est de mettre en place des structures institutionnelles démocratiques et transparentes permettant le libre jeu des mécanismes de concurrence.
Il paraît évident, compte tenu de lanalyse positive et normative de la relation entre migration et développement, que le développement des pays dorigine nest point synonyme dun reflux des migrants maliens et sénégalais ni dun arrêt démigration. Ce nest que dans une perspective de long terme que le développement économique pourrait réduire très fortement les flux migratoires et changer leur nature.
Conclusion de la deuxième Partie
Lanalyse thématique des entretiens de récits de vie a mis en évidence trois hypothèses concernant le comportement financier des migrants maliens et sénégalais résidant en France. La faiblesse de lépargne financière des migrants constitue la première hypothèse. La seconde hypothèse postule lhétérogénéité du comportement financier selon des critères socio-démographiques, ethniques, mais aussi selon la durée de séjour en France et le désir de retour ou non dans le pays dorigine. La dernière hypothèse prend en compte linfluence que peuvent avoir certains facteurs sur le comportement financier des migrants, en particulier les pratiques socioculturelles issues des pays dorigine et la conjoncture économique et sociale du pays daccueil. Des questionnaires ont été construits pour vérifier ces hypothèses.
Les résultats statistiques des questionnaires ont confirmé plus ou moins les hypothèses émises. Ils ont affirmé le caractère différencié du comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Mais les différences de comportement sont souvent faibles et statistiquement non significatives. Aussi les résultats statistiques ont montré que lépargne financière des migrants était effectivement faible. Cette faiblesse de lépargne financière sexplique essentiellement par le poids des charges et des aides familiales. Limportance des transferts financiers vers les pays dorigine témoigne de lampleur des aides familiales. Cette situation na pas incité les migrants à solliciter des crédits bancaires pour financer leurs projets dinvestissement.
Les migrants sont généralement réticents à légard du crédit. Ce constat doit être nuancé car le recours à lanalyse factorielle conduit à distinguer deux groupes de migrants. Le premier rassemble des migrants sénégalais et le second groupe est uniquement composé de migrants maliens. Les Sénégalais sont plus dispendieux et plus favorables au crédit mais moins motivés pour retourner définitivement au Sénégal tandis que les Maliens sont plus économes et plus hostiles au crédit. Cependant, la situation économique et sociale influe fortement sur limportance du taux dépargne des migrants. Ceux-ci ont tendance à épargner davantage lorsque la conjoncture économique et sociale est défavorable (chômage important).
Quant à la réalisation de projet, deux groupes de migrants ont été identifiés. Le premier est constitué par les migrants qui ont vécu moins de dix ans en France, qui nont pas encore réalisé de projet et qui souhaitent rentrer après la retraite. Lautre groupe est opposé au premier car il concerne les migrants qui ont une durée de séjour en France supérieure à dix ans, qui ont déjà réalisé au moins un projet et qui envisagent de retourner dans le pays dorigine à tout moment. La différence significative des revenus mensuels moyens explique vraisemblablement la différence de dynamique entrepreneuriale entre ces deux groupes de migrants. En effet, le revenu mensuel moyen des migrants du second groupe (6 432 francs) est supérieur de près de 2 000 francs environ à celui des migrants du premier groupe (4 474 francs).
Enfin, létude du comportement financier des migrants maliens et sénégalais a montré lexistence et la persistance de pratiques financières collectives issues des pays dorigine. Ces pratiques financières dépargne et de crédit sorganisent autour de structures collectives qui sont essentiellement des tontines mutuelles et des associations dentraide et solidarité. Cette volonté de reproduire en terre daccueil des pratiques issues du pays dorigine est qualifiée par P. Mayer (1963) de phénomène dincapsulation.
Conclusion générale
Létude du comportement financier des migrants maliens et sénégalais résidant en France na été possible que par le recours aux entretiens de recherche ou récits de vie. Ces entretiens entrent dans le cadre dune approche dite à micro-échelle où les personnes enquêtées sont mises à contribution et participent activement à la production des informations. Ces personnes se sont librement exprimées sur les thèmes qui leur étaient proposés, à savoir les motivations originelles des migrants, les aides familiales et les transferts, les relations avec les institutions financières et les projets dinvestissement. Trois raisons essentielles justifient la nécessité fondamentale des entretiens de recherche dans cette étude.
La première, comme nous lavons développé dans le chapitre 1 de la partie 1, est que les théories économiques explicatives de la migration ne se sont pas particulièrement préoccupées du comportement financier des migrants. La lecture des différentes grilles danalyse théorique de la migration internationale montre la constance de la résurgence de certains thèmes telles que les causes et les conséquences de la migration. Parmi la multiplicité des analyses de la migration internationale, celle fournie par la théorie néoclassique standard éclipse largement les autres, et ce malgré les insuffisances patentes relevées au niveau de ses hypothèses. Cette analyse justifie la migration par les inégalités de revenus existant au sein et entre les espaces économiques nationaux.
La seconde raison, plus ou moins liée à la première, est quil nexiste que très peu détudes sur le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. Léventail des contributions qui sy intéressent sattachent à évoquer certains des aspects du comportement financier des migrants maliens et sénégalais, en particulier les transferts financiers et les investissements collectifs des associations ou groupements dassociations de migrants dans leur village ou communauté de villages dorigine. Les autres éléments constitutifs du comportement financier l'endettement des migrants, les pratiques collectives dentraide et de solidarité financières, l'épargne individuelle et son affectation (placements et autres investissements) étant totalement relégués au second plan.
La dernière raison tient au principal avantage que procurent les entretiens de recherche. En effet, les entretiens de récits de vie permettent ainsi de saisir des comportements, des relations, des activités et de construire les logiques qui leur sont liées. Ils favorisent une collecte dinformations importantes relatives aux représentations et pratiques des enquêtés.
Les hypothèses d'étude relatives au comportement financier des migrants maliens et sénégalais en France ont été élaborées à partir de lanalyse des entretiens de récits de vie. Pour tester ces hypothèses, des questionnaires ont été soumis à la population cible. Lanalyse des résultats de ceux-ci a révélé un comportement financier des migrants spécifique par rapport à celui des Français autochtones ; ce qui était certes prévisible et tout de même démontré par les entretiens de récits de vie et confirmé par les résultats statistiques des questionnaires. Dautre part, elle a montré lexistence dune différence, bien que faible et souvent statistiquement non significative, de comportement financier au sein de la population étudiée.
Lhypothèse de la faiblesse de lépargne financière des migrants maliens et sénégalais, celle destinée au financement de linvestissement du migrant et/ou aux agents à besoin de financement, a été validée par létude. En revanche, les résultats statistiques de lenquête ont montré limportance de lépargne mensuelle brute des migrants maliens et sénégalais. Le montant mensuel moyen de lépargne brute représente souvent plus du tiers voire parfois la moitié du revenu mensuel moyen.
Cependant, le revenu ne représente pas une variable déterminante dans lappréciation de la capacité et donc de limportance de lépargne brute des migrants maliens et sénégalais résidant en France. La nationalité dorigine, lappartenance ethnique et les motivations originelles nont aucune influence significative sur le montant de lépargne brute des migrants. Limportance de lépargne brute dépend essentiellement du montant des charges familiales et des sollicitations de parents restés au pays dorigine. La part substantielle des transferts dans lépargne brute explique la faiblesse de lépargne financière.
Les migrants maliens et sénégalais font rarement des placements financiers. En effet, seul un migrant sur trois effectue des placements financiers ; lassurance-vie étant le placement financier le plus fréquemment utilisé par les migrants. Ce recours aux produits financiers nest ni déterminé par lâge, le sexe, le type de contrat de travail, la durée de séjours en France ni par le fait davoir un conjoint européen. Le souhait de retour ou non dans le pays d'origine ne constitue non plus une variable explicative du recours aux placements financiers. Il reste cependant à poser la question à savoir si ce faible recours aux produits financiers est lié à la faiblesse de leur épargne financière ou à la réalisation dautres investissements (projets).
Le désir de réaliser un projet dans le pays dorigine est la principale motivation de la constitution dune épargne par les migrants. La réalisation de projets s'inscrit plus ou moins implicitement dans une stratégie de préparation du retour dans le pays d'origine. Elle permet aux migrants de sassurer ultérieurement une meilleure réinsertion économique et sociale dans leur pays d'origine. Les investissements immobiliers lachat de maisons ou de logements à usage familial ou destinés à la location sont les projets les plus fréquemment réalisés par les migrants. Les projets des migrants ont été réalisés, dans 90 % des cas, dans les capitales régionales des pays d'origine, avec comme principaux associés les parents et les amis.
Les relations des migrants maliens et sénégalais avec le système financier formel en France se caractérisent par une indifférence presque totale quant au choix de létablissement de crédit et surtout par une hostilité marquée à légard du crédit bancaire. Ce faible recours au crédit bancaire sexplique en partie par le fait que les structures collectives communautaires, notamment les associations dentraide, jouent souvent le rôle dorganisme financier en octroyant de petits prêts sans intérêts à des conditions très souples.
Lanalyse des entretiens avec les responsables dassociations de migrants suggérait deux grands types dassociations que les résultats du questionnaire ont confirmé, à savoir les associations dentraide et les associations de développement local. Les associations dentraide sont des outils de solidarité car leur activité principale est dassister financièrement les membres en situation de besoins urgents. Nous les assimilons à un système de protection sociale dans la mesure où elles apportent une assistance financière et morale à la famille de la victime en cas dévénement malheureux incendie, décès, etc. Elles accordent des prêts à des conditions très avantageuses aux membres qui le souhaitent, avec l'obligation de ne pas utiliser l'argent du prêt pour une activité lucrative.
Les associations de développement local sont en revanche des instruments de développement économique et social des localités dorigine. Elles réalisent plusieurs types de projets indispensables, en particulier des écoles et des centres de santé. Les réalisations dinfrastructures scolaires et sanitaires qui sont des biens publics en ce sens que tout le monde peut en profiter entrent dans le cadre de ce que nous appelons la participation active des migrants au développement de leur pays dorigine.
Cette participation des migrants au développement de leur pays de départ doit être encouragée par les autorités des pays daccueil et dorigine. Le pays daccueil peut aider les migrants porteurs de projets en leur apportant un éventuel complément de financement, des conseils avisés et une formation en gestion. Il doit établir une étroite coopération avec les associations de migrants pour favoriser de meilleures synergies dans les actions de développement.
Les pays daccueil doivent créer et maintenir un environnement institutionnel et politique stable afin de mobiliser les investisseurs nationaux et étrangers. Car limplication active des migrants ne peut suffire à enclencher un vrai processus de développement en raison du caractère souvent improductif et peu générateur demplois de leurs investissements. En effet, les différents projets agricoles ou autres réalisés jusquà présent nont ni favorisé lautosuffisance alimentaire ni permis une création importante demplois.
Au-delà des activités associatives, les migrants maliens et sénégalais organisent également des tontines. Il sagit uniquement de tontines mutuelles. Ces tontines mutuelles constituent pour certains membres une contrainte dépargne (une épargne forcée) en vue de réaliser des projets. Elles jouent aussi en tant que lieu déchanges et de rencontres conviviales et amicales entre les membres un rôle dintégration tant dans le groupe communautaire dorigine que dans la société daccueil.
Les tontines et les activités dentraide et de solidarité financières des associations de migrants révèlent à la fois lexistence et la persistance de pratiques financières issues des pays dorigine. Cette reproduction de pratiques dépargne et de crédits traduit le phénomène dit dincapsulation, à savoir lattachement des migrants à certaines de leurs coutumes considérées comme très importantes. Il sagit ainsi dune certaine tentative de reconstitution du schéma de la vie communautaire du village ou du pays dorigine.
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Annexes
Annexe1 : Quelques transcriptions dentretiens
Les entretiens de récits de vie que nous avons menés auprès des migrants maliens et sénégalais ont un caractère semi-directif. Ce choix arbitraire est justifié par la volonté de recueillir uniquement les informations ayant trait au comportement financier des migrants. Ainsi, deux guides dentretiens de récits de vie ont été construits. Le premier est relatif aux entretiens avec les migrants et le second concerne les entretiens avec les responsables de structures collectives des migrants.
Les entretiens avec les migrants sarticulent autour de plusieurs thèmes : les causes de lémigration, les raisons du choix du pays daccueil (la France), les relations avec la famille restée au pays, les relations avec les institutions financières, les structures collectives (tontines et associations) et les projets.
Quant aux entretiens avec les responsables de structures collectives des migrants, trois thèmes ont été retenus. Il sagit de la présentation de la structure, de son objectif et de ses activités.
Les guides dentretien élaborés à partir de cette méthode ont pour objectif déviter ou de réduire le plus possible les digressions inutiles du narrateur. Lorientation de lentretien nest pas synonyme de contraintes, bien au contraire. Linformateur a une liberté totale de sexprimer sur le thème abordé. Simplement, la rigueur de la collecte de linformation exige que soit établi a priori un plan thématique pour obtenir un meilleur agencement des informations recueillies.
Deux entretiens sont présentés ici : un entretien avec un migrant sénégalais et un entretien avec un responsable dassociation de migrants maliens.
Entretien avec M. S.
Ouvrier sénégalais résident à Lyon
Date : le 10 octobre 1997
Lieu : Lyon
Heure : 12H00
[Causes de lémigration]
Les causes ou les raisons, cest parce que tu as envie de réussir ta vie. Tu vois et
au Sénégal, il ny a pas grand chose. Il y a le chômage, il y a des choses qui entrent en jeu : la difficulté de trouver du boulot et ce nest pas facile du moment où il y a des ressources et il ny a pas dindustrie. Le Sénégal a tendance à
le politique, ils investissent dans le politique, dans le tertiaire, il ny a pas dindustrie. Pour moi, cest mon opinion personnelle, pour quun État puisse avancer, il faut de lindustrie. On a pas de ressources premières, cest-à-dire les matières premières et tout cela fait quil y a un chômage. Cela pousse les gens à lexode et à aller à lextérieur.
Moi personnellement, mon cas, parce que moi jai, dans mon village, les gens pour quils fassent quelque chose, quils réalisent un projet, ils sont appelés à sortir. Tout le monde est sorti et donc depuis les premiers, cest de génération à génération. Peut-être dans notre génération, il y en a moins. Même depuis des générations, on a vu que des gens qui viennent de la France ou dailleurs. Mais, cest plutôt la France chez moi, cest plutôt la France. Tous mes parents, moi mon père a servi la France, il a été à larmée française, tu vois. Et on a vu quil a réalisé des choses, ça tente quoi, tu vois. Cest des maisons, cest tout, il nous a satisfait, il nous donnait tout ce quon voulait. Il a subvenu à nos besoins. Donc toi aussi, tu commence à être responsable. Tu te dis cest bon, moi je nai rien à faire ici.
Enfin, je nai rien à faire, je ne vois pas quelque chose, ni dopportunités ici, donc je vais faire pareil. Je vais voir ailleurs, en France parce que lui, il a été en France. Cest plutôt ça, cest plutôt par
cest
disons que par coutume, cest par référence à mes parents. Mes parents me servent de référence pour pouvoir réussir ma vie. Bon, mais les gens qui viennent ici, généralement ils ne viennent pas pour vagabonder. Moi, les gens que je connais, ils viennent pour réaliser un projet et la première chose quils pensent faire, cest de construire une maison, se marier, faire un foyer, ainsi de suite quoi, subvenir aux besoins. Parce que nous, bon, la preuve est que lassociation dont je vais parler, cette association, elle tient depuis, je ne sais pas moi, depuis avant ma naissance. Les centres dintérêt deviennent plus amples, plus on va, plus on a des centres dintérêt parce que là lÉtat, lÉtat ne fait pas grand chose pour chez nous.
Tu imagines encore chez nous, il ny a pas délectricité. Les écoles, cest nous qui les faisons. Les écoles, les maternités, les infirmeries, tout, tout, tout, cest les villageois. On cotise, on se démerde, on fait tout, lÉtat ne fait rien. Donc si on restait là, les gens, ils sont plantés là-bas. Ils nont pas
cest la culture, tu sais, les gens, ils cultivent beaucoup ; chez nous, on cultive beaucoup : lagriculture, cest lactivité principale. Maintenant, lhivernage est pourri. Au temps, quand il y avait mes grands-parents, eux, ils pouvaient rester parce quil pleuvait beaucoup, les gens, ils avaient plus de culture, de ressources agricoles. Ils subvenaient juste pour lagriculture. Ils arrivaient à vivre de lagriculture, la pêche et tout. Là maintenant, il ne pleut plus. On a tendance à avoir la saison sèche qui se prolonge et donc on ne peut se limiter à lagriculture. Donc les gens sont obligés de sortir aussi.
[Relations avec les parents restés au pays]
Personnellement, moi jai commencé, ... moi je suis arrivé ici, cétait en 1991. Moi, jai la nationalité française parce que mon père, il a fait la France, il a fait larmée et tout. Et moi par suite, il a fait mes papiers. Jai eu la nationalité par le droit de filiation cest-à-dire les enfants de père français sont automatiquement français et donc depuis la loi ... Donc, moi jai reçu les papiers, mon père ma fait les papiers. Je suis arrivé, je suis parti à larmée française. Avant, moi je voulait faire les études pour pouvoir ... pour continuer les études, tu vois. Mais, jai vu quil y a ... A côté, jétais tenté par largent pour pouvoir faire réaliser des projets chez moi et tout. Et là tout de suite, jai pris un rendez-vous avec larmée et tout, ils mont fait un dossier, enfin, bon bref, jétais à larmée. Ils mont pris là-bas. Jai fait des concours, je suis passé sergent , tu sais, sous-officier. A partir de là, jai réalisé des choses.
Jai construit une maison au Sénégal, une villa. Je me suis marié et puis jai mis de largent à côté, jai ... Et chaque mois, chaque mois, jenvoie le maximum possible pour aider ma famille chaque mois, chaque mois, tous les mois, voire les associations qui sont à côté. Ma famille à moi, jenvoie le maximum tous les mois. Déjà, il y a ma femme, mon gosse et puis ma famille en gros. Alors que moi, mon projet plus tard, cest, si tout va bien, de minstaller là-bas. Cest pourquoi jai déjà construit une maison. Plus tard, si tout va bien, si les choses ... On est actuellement ...Je suis une personne dans lexpectative. cest-à-dire quon fait quelque cinq millions là-bas. Une fois quil y a du boulot là-bas, jarrive, jai les investissements quil faut pour pouvoir réaliser un projet là-bas. Là, cest un petit appartement, tu as vu, cest combien de mètres carrés ? Jy suis après le boulot, et ... je ne sais pas, il y a les copains.
[Quest-ce que tu penses réaliser comme projet ?]
Là, ouf. Je ne suis pas trop chaud, là je nai pas de ... Pour linstant, je nai pas un truc fixe. Cest en fonction, il faut aller sur place pour voir. Jy étais, jai vu mais ouf ! Il y a rien qui ma inspiré pour linstant. Cela peut se réaliser, je ne sais pas ... un jour. Je ne sais pas ce que je ferais là-bas parce quil ne faut pas investir dans un truc qui est éphémère et à court terme ; cela serait dommageable après de ... dêtre court de fonds après pour la continuation du projet., cela serait malheureux.
[Quels sont les moyens de transferts que tu utilises ?]
La famille, cest souvent la Poste. Moi, jenvoie par la Poste et je ...
[As-tu eu un problème avec la Poste ?]
Non, le montant maximum que je peux envoyer par mandat est de 1 000 francs. Il marrive parfois denvoyer deux ou trois mille francs. Je fais des tranches de trois ou deux mandats et jenvoie ça. Mais, enfin, une seule fois, oui. Mais ce nétait pas une grosse somme, cétait 500 francs. Je lai retrouvé après parce que la personne à qui je lai envoyé nétait pas là. Non, ladresse nétait pas ...Ce nétait pas la bonne adresse. Là après, on ma renvoyé largent.
[Relations avec les institutions financières]
Je nai pas de compte dans une banque sénégalaise. Je compte en avoir ; pour linstant, jai demandé des renseignements. Ce serait bien parce que là , avec la dévaluation et tout, à chaque fois, tu es obligé de faire la monnaie, ce nest pas commode avec les pourcentages lors des conversions. Je pense que, moi je compte en faire là. Je me suis renseigné.
Avant, javais un compte plan dépargne logement Je ne sais pas si tu en a déjà entendu parler. Cest un compte qui, cest un contrat de quatre ans et durant les quatre années tu peux retirer les sous, sinon tu romps le contrat. Pour le contrat, le minimum, cest 300 francs. Javais ouvert ça quand jétais à larmée et je faisais les constructions en même temps. Et, je voulais partir pour me marier et jétais obligé dépargner donc jai ouvert ce compte. Jai épargné le maximum dargent et là ça fait plus de quatre ans que jai débloqué les sous.
[Tu nutilises que le réseau postal. Est-ce que tu sollicites des personnes qui rentrent au Sénégal ?]
Oui, cest ce que je tai dit pour la famille. Cest-à-dire des gens qui quittent ici et qui partent là-bas en vacances. Parfois, je leur donne des commissions, cest-à-dire que je leur donne, je ne sais pas, un billet de 1 000 francs maximum. Mais là, ce nest pas beaucoup. Je ne peux pas envoyer plus car le mec qui se trouve dans la merde (la personne peut se trouver dans une situation difficile lors des contrôles effectués par les douaniers). Là aussi, il y a ..., il paraît quils sont amerdés parfois par la douane parce quils nont pas le droit de garder une certaine somme avec eux. Donc, cest limite. Bon, cest tantôt 200 francs la sur, 300 francs à la cousine, ainsi de suite. Ce nest pas beaucoup. Si jenvoie de largent, proprement dit cest-à-dire 2 000 francs minimum, là cest par la Poste que jenvoie les mandats.
[Comment organises-tu ton épargne ?]
Mon épargne, bon, mon épargne ...en ce moment, je ne suis pas trop épargnant, je suis plus dépensier. En ce moment, je suis en train de construire une maison, une autre maison, ce qui fait que tout ce que jai, je lenvoie maintenant. Je lenvoie pour quon ... parce que là, ça fait quoi, ça va faire pratiquement un an et je suis à la finition de la maison. Donc jenvoie au moins 1 000 balles .
[Tontines]
Les tontines, jen fais avec mon frère qui est à Paris. Jai un frère à Paris. Donc ça aussi, je lui envoie, tous les mois, je lui envoie 500 francs. Là, il y a une caisse, on est trois, trois frères.
[La tontine, cest uniquement entre vous trois ?]
Oui, entre frères seulement. Sinon, lassociation aussi, lassociation, cest tous les gens (les migrants) de mon village, donc, enfin, cest une forme de tontine parce quon accumule largent. Une fois que cest important, quon a une certaine somme, on lenvoie au pays, pour quils construisent des écoles, des maternelles pour scolariser un peu le village.
[Comment cela se passe pour les cotisations ?]
Les cotisations, bon, tu as trois caisses. Il y a une caisse, comme je te lai expliqué, pour la santé, une caisse pour les jeunes, pour les aider et une caisse ..., cest pour aider les vieux, les jeunes, les vieux plutôt. Les vieux, parfois, ils ont ... Quand, il y a des décès, des cérémonies de mariage, pour quils aient des sous. Les jeunes, il y a le sport, on les envoie de largent parce quils font la fête parfois, tu sais, samuser.
Les caisses, il y a une caisse qui a été créée récemment pour lassociation. La caisse, cest pour lassurance, cest 500 francs par an. Cest pour, par exemple, quand un gars de chez nous meurt ici, on peut rapatrier le corps. Avant, on travaillait avec une association française qui est ici. Ils (les gérants de cette association française) nétaient pas compétents. On a décidé nous-même de cotiser cette somme et de garder ça. Et dès quil y a un décès, on rapatrie le corps.
[Quel est le nombre de participants ?]
Tout le village ..., où ici à Lyon ?
[A Lyon]
On est à peu près une cinquantaine, et non une trentaine. Il y a (des membres) qui sont mariés, et si leurs sont ici, elles participent.
[Le nombre total de membres en France]
En France, pareil, une centaine de membres.
[Nom du village]
Cest Elega, cest dans le département de Bakel, région de Tambacounda.
[Quel est le montant des cotisations des autres caisses ?]
Les cotisations, cest 10 francs, plutôt 20 francs par caisse, par mois et par personne.
[Comment cela se passe concrètement ?]
Il y a une trésorerie, il y a un secrétaire général et un président. A la fin de chaque mois, on cotise et tout, on dit ensuite au trésorier le montant de la somme qui a été récoltée. On fait le total, on marque ça dans un cahier. Il y a un cahier des cotisations.
[Peux-tu me donner plus dexplications concernant le trésorier ?]
Il y a un compte, le compte est à Paris en fait. Ici, cest sous forme de tontines. Mais à partir de deux ou trois mois, tous les premiers mois, on envoie ça à Paris. Il y a un compte là-bas, le siège est là-bas. Les gars de Marseille, les gars de Lyon, les gars de Besançon, ils envoient tout là-bas.
[Pour la durée, cest tous les trois mois ou pas ?]
Je ne me rappelle plus si cest chaque trois mois. Il y a une somme quil faut atteindre, je ne sais pas, 10 000 francs, ils envoient ça à Paris.
[Par réseau postal ou par ?]
Les deux, les deux, généralement cest par la Poste. Parfois, ils envoient les tarifs des postes, tout, des tickets. Cest par la Poste en général. Occasionnellement, sil y a quelquun qui part (à Paris) dans la journée, on lui remet ça ; cest rare.
[Pour conclure]
Cest que lÉtat, il faut que lÉtat évolue. Il faut que léconomie soit plus stable. Il faut quelle bouge, il faut que les gens fassent quelque chose. Il faut quil ait ... pour moi personnellement, il faut changer de politique carrément là. La politique, elle vaut rien au Sénégal. Elle vaut rien, rien, rien. Cest tout ça , cest la corruption, les gens qui sont sur les trônes, ils pensent plus quà leur tête quau peuple. Ils essaient de manger plus de sous, de produire plus de sous, de lextérioriser (deffectuer des transferts vers létranger pour) une fois quils ne sont plus au pouvoir. Bon enfin, je ne parle pas tout à fait du Sénégal, mais tu as lAfrique aussi en gros. Je parle là en gros.
Plus on va, plus ça plonge. Cest inadmissible, il faut changer. Parce que moi, franchement, je ne veux pas rester ici ; je suis là malgré moi. Tu comprends ce que je veux te dire. Mais, ... je ne peux pas faire autrement. Si je ne suis pas là, le jour où je rentre là-bas, je nai rien à faire. Je vais faire quoi pour nourrir ma famille. Je ne sais pas moi, pour linstant, je nai pas de solution. Donc, en attendant je suis là. Le jour où il y aurait une solution, je serais enchanté de retourner chez moi.
Entretien avec B. S.
Trésorier de CAFO, Association
des Maliens de la région Rhône-Alpes
Date : le 22 novembre 1997
Lieu : Lyon
Heure : 11H30
CAFO, qui signifie maison ou lieu de rassemblement, regroupe théoriquement lensemble des Maliens résidant dans la région Rhône-Alpes. Créée en 1986, cette association se caractérise par son manque de dynamisme comparativement à nombre dassociations de migrants notamment villageoises qui uvrent pour la réalisation de projets dans leurs pays dorigine.
[Cause de la création de CAFO]
La création de lassociation a été le résultat dun constat dimpuissance financière due à lincapacité de mobiliser le montant nécessaire au rapatriement du corps dun défunt malien. Ce dernier a finalement été enterré à Lyon, faute de moyens financiers suffisants, dans des conditions que les Maliens nont pas voulues. Cest donc à lissue de cet événement que la décision de créer CAFO a été prise.
Lobjectif affiché est de réunir les maliens, de fédérer les bonnes intentions , daider tout membre en difficulté (problèmes de logement, maladies, etc.) et de soccuper de léducation culturelle de leurs enfants.
[Fonctionnement de lassociation]
Le fonctionnement de lassociation est assuré par un bureau exécutif composé dun secrétaire général, dun secrétaire général adjoint, dun secrétaire aux affaires sociales et dun trésorier.
Le programme des activités à réaliser est fixé au début de chaque année. Le bureau se réunit souvent pour, en particulier, déterminer les modalités de réalisation des actions envisagées.
CAFO compte environ une vingtaine de membres, tous Maliens, qui résident essentiellement dans la région lyonnaise. Il y a seulement deux membres qui habitent Saint-Étienne. Chaque membre doit se libérer dune cotisation annuelle de 300 francs. Mais, beaucoup ne sacquittent pas de cette somme, se plaint B. S., qui reconnaît dailleurs que lassociation ne fait pas beaucoup dactions. Ce qui, semble-t-il, démotive les gens. Il faut signaler aussi que cette année seule la journée des enfants a été organisée.
[Aides financières]
Les aides financières aux membres sont fixées, dans le règlement intérieur, par rapport aux événements heureux et malheureux. Par exemple, pour les naissances, lassociation donne 100 francs à 150 francs à la personne membre concernée. Cette aide tourne entre 300 francs à 400 francs pour un décès. On voit bien que cette contribution nest pas significative. Même si elle est symbolique, il nen demeure pas moins inutile si lon sait le montant nécessaire pour rapatrier un corps en Afrique. se souvient de la genèse de sa création. Il faut aussi se rappeler de la genèse de sa création. Le trésorier reconnaît que cette décision doit être revue puisquelle est inadaptée à la réalité.
Le règlement intérieur stipule que lassociation naide pas financièrement les nouveaux arrivants et noffre pas de prêts à ses adhérents.
Lassociation a ouvert un compte-épargne livret A à son nom. Elle na jamais effectué de transfert pour ses adhérents et na jamais fait une action envers le Mali. Cette situation ne signifie guère un désintérêt à légard du pays dorigine. Labsence dactions se justifie par le manque de moyens financiers et surtout par un moindre engagement de la part de ses membres. En effet, beaucoup dadhérents simpliquent activement dans des associations villageoises. Le trésorier nous a fait savoir que six membres de CAFO participent à une association de Sarakholé (une des ethnies du Mali) qui a déjà à son crédit plusieurs réalisations dans leur village. Au même moment, le cumul des cotisations impayées saccroissaient pour atteindre 14 000 francs en 1997. Cette somme montre bien la faiblesse du degré dimplication de nombre des membres de lassociation.
CAFO fait partie du Collectif des Associations Africaines de la région Rhône-Alpes (CAARA). Sa contribution au niveau de ce dernier nest pas financière. Elle participe néanmoins à lorganisation des manifestations du Collectif.
[Conclusion]
CAFO est plus une association de rencontres et déchanges culturels quun instrument dactions et dentraides financières. Comme la si bien remarqué B. S. : les gens, ils ont plein didées, quand ils parlent, ils disent plein de choses mais derrière il ny a rien .
Mais cependant, lavenir peut être prometteur dans la mesure où ce dernier insiste toujours sur la création dun fonds de financement de petits projets pour les membres qui veulent investir au Mali.
Annexe 2 : Les questionnaires
Les trois questionnaires ont été élaborés à partir des entretiens de récits de vie avec des migrants et des responsables de structures collectives de migrants maliens et sénégalais résidant en France.
1.1. Le questionnaire principal
Le questionnaire principal est celui qui a été soumis aux cent migrants maliens et sénégalais. Ladjectif principal est utilisé ici pour montrer le fait que lessentiel de létude du comportement financier des migrants repose sur ce questionnaire.
1. Depuis quand êtes-vous en France ?
2. Quelle était votre activité professionnelle dans votre pays d'origine ?
3. Pourquoi êtes-vous venu en France ?
4. Aviez-vous reçu une aide financière ou une bourse pour votre venue en France ?
5. Cette aide financière ou cette bourse d'étude était-elle ?
6. De la part de qui venait cette aide financière ou cette bourse d'étude ?
7. Quel est environ le montant mensuel de votre épargne, c'est-à-dire l'argent qui vous reste après avoir payé toutes vos charges y compris les dépenses de nourriture et transport ?
8. Pourquoi constituez-vous cette épargne ?
9. Comment se fait cette épargne ?
10. Êtes-vous en train de rembourser un (ou des ) prêt(s) ?
11. Si oui, à combien s'élève le montant de votre dernier prêt ?
12. Qui vous a accordé ce dernier prêt ?
13. Quelle(s) est (sont) la (les) garantie(s) qui vous a (ont) été demandée(s) ?
14. A quoi ce dernier prêt a-t-il servi ?
15. Quel est le montant mensuel du remboursement de ce dernier prêt ?
16. Combien avez-vous de compte bancaire avez chéquier ?
17. Pourquoi avez-vous ouvert ce(s) compte(s) bancaire(s) avec chéquier ?
18. Auprès de quel établissement financier avez-vous ouvert le compte avec chéquier que vous utilisez le plus pour faire vos opérations de dépôts et de retrait ?
19. Pourquoi avez-vous choisi cet établissement financier ?
20. Et depuis quand avez-vous ouvert ce compte avec chéquier ?
21. Quels sont les comptes d'épargne que vous avez ?
22. Quel est le compte d'épargne que vous utilisez le plus pour faire vos opérations de dépôt et de crédit ?
23. Depuis quand avez-vous ouvert ce compte d'épargne ?
24. Pourquoi avez-vous ouvert ce compte d'épargne ?
25. Auprès de quel établissement financier avez-vous ouvert ce compte d'épargne ?
26. Pourquoi avez-vous choisi cet établissement financier pour ce compte d'épargne ?
27. Faîtes-vous des versements réguliers dans ce compte d'épargne ?
28. Si oui, quelle est la fréquence moyenne de vos versements ?
29. Quel est le montant moyen de vos versements ?
30. Placez-vous votre argent ?
31. Si oui, quels sont vos placements financiers ?
32. Avez-vous ?
33. Dans combien de tontines êtes-vous membre ?
34. Pourquoi participez-vous à une tontine ?
35. Dans combien d'associations d'immigrés êtes-vous membre ?
36. Pourquoi participez-vous à une association d'immigrés ?
37. Avez-vous ouvert un ou plusieurs comptes dans une institution financière africaine (banque ou poste) ?
38. Si non, pourquoi ?
39. Si oui, combien ?
40. Quelle est l'institution financière africaine (banque ou poste) qui gère le compte que vous utilisez le plus pour faire vos opérations de dépôt et de retrait ?
41. Pourquoi avez-vous choisi cette institution africaine (banque ou poste) ?
42. Depuis quand avez-vous ouvert ce compte ?
43. De quel type est ce compte ?44. A quoi va servir l'argent mis sur ce compte ?
45. Faîtes-vous des versements réguliers sur ce compte ?
46. Si oui, quelle est la fréquence moyenne de vos versements sur ce comptes ?
47. Quel est le montant moyen de vos versements sur ce compte ?
48. Envoyez-vous de l'argent dans votre pays d'origine ?
49. A qui envoyez-vous cet argent ?
50. A quoi sert cet argent envoyé ?
51. Vos envois sont-ils réguliers ou exceptionnels ?
52. Si réguliers, quelle est la fréquence moyenne de vos envois ?
53. Et quel est le montant moyen de vos envois ?
54. Si exceptionnel, quel est le délai maximum que vous ne voulez pas dépasser ?
55. Quels sont les éléments qui déterminent le montant moyen de vos envois ?
56. Quels sont les différents moyens que vous avez déjà utilisé pour envoyer votre argent dans votre pays d'origine ?
57. Parmi ces moyens, quel est le moyen que vous utilisez le plus ?
58. Quels sont les avantages de ce moyen ?
59. Quels sont les inconvénients de ce moyen ?
60. Avez-vous eu un problème avec ce moyen ?
61. Si oui, quel était ce problème ?
62. Envoyez-vous de l'argent vers un pays autre que le vôtre ?
63. Avez-vous déjà effectivement réalisé au moins un projet ?
64. Si oui, quels sont les différents projets que vous avez déjà effectivement réalisés ?
65. Quel est le dernier projet que vous avez déjà réalisé ?
66. Pourquoi avez-vous réalisé ce dernier projet ?
67. Où avez-vous réalisé ce dernier projet ?
68. Qui étai(en)t votre (vos) associé(s) à ce projet ?
69. A qui confiez-vous votre épargne pour ce projet ?
70. Qui gère maintenant cette activité ou projet ?
71. Avez-vous actuellement un projet en cours de réalisation ?
72. Quel est ce projet ?
73. Pourquoi ce projet ?
74. Avez-vous un (des) associé(s) pour ce projet ?
75. Qui est (sont) votre (vos) associé(s) ?
76. Comment financez-vous ce projet en cours ?
77. Quel est votre projet futur ?
78. Comment comptez-vous financer ce projet futur ?
79. Constituez-vous actuellement une épargne pour réaliser ce projet ?
80. Si oui, la fréquence de cette épargne est-elle ?
81. A qui confiez-vous cette épargne ?
82. Pourquoi confiez-vous cette épargne à cette personne (association, ...) ?
83. Quel est le type de votre logement ?
84. Êtes-vous ?
85. Sexe de l'enquêté ?
86. Quel est votre âge ?
87. Quelle est votre nationalité d'origine ?
88. Quel est votre village ou votre ville de naissance ?
89. Quelle est votre région de naissance ?
90. Quelle est votre langue maternelle ?
91. Quel est votre dernier diplôme obtenu ?
92. Savez-vous lire, écrire et parler la langue du pays d'accueil ?
93. Quelle est votre activité professionnelle actuellement ?
94. Quel type de contrat avez-vous ?
95. Si chômeur, depuis quand êtes-vous au chômage ?
96. Avez-vous une indemnité de chômage ?
97. Exercez-vous une activité qui vous rapporte de l'argent ?
98. Quelle est cette activité ?
99. Combien vous rapporte-t-elle environ par mois ?
100. Quelle est votre situation matrimoniale ?
101. Avez-vous une épouse ou un époux européen ?
102. Combien avez-vous d'épouses ?
103. Combien vivent ici avec vous ?
104. Combien ont une activité rémunérée ?
105. Combien de vos épouses vous aident financièrement ?
106. Combien avez-vous d'enfants ?
107. Combien vivent ici avec vous ?
108. Combien ont une activité rémunérée ?
109. Combien vous aident-ils financièrement ?
110. Combien avez-vous d'autres personnes à votre charge ?
111. Combien vivent ici avec vous ?
112. Envisagez-vous de retourner dans votre pays d'origine ?
113. Si oui, quand ?
114. A combien s'élève votre revenu (salaire ou pension, ...) par mois ?
1.2. Le questionnaire sur les associations de migrants
L'étude du fonctionnement et du rôle des associations de migrants constitue un point important et donc un passage obligé pour la compréhension du comportement financier des migrants maliens et sénégalais ; doù lintérêt de ce questionnaire qui a été adressé aux responsables dassociations de migrants.
1. Quelle est la nationalité de votre association ?
2. Depuis quand avez-vous créé votre association ?
3. Combien de membres êtes-vous actuellement ?
4. Quel est votre objectif en créant cette association ?
5. Quel est le montant de la cotisation actuellement ?
6. Quelle est la fréquence des cotisations actuellement ?
7. Qui sont les membres de votre association ?
8. Quel est le premier projet que vous avez réalisé ?
9. Quel est le dernier projet qu'elle a réalisé ?
10. Quel est le montant du dernier projet réalisé ?
11. Quelle est la date du dernier projet réalisé ?
12. Quel est votre projet actuel ?
13. Quels sont les services offerts par votre association ?
14. Votre association reçoit-elle des subventions de la part des autorités publiques ?
15. Votre association accorde-t-elle des prêts aux membres ?
16. Quel est le montant minimum du prêt ?
17. Quel est le montant maximum du prêt ?
18. Quel est le taux d'intérêt (s'il y a un intérêt à payer) ?
19. Quelle est la durée moyenne du prêt ?
20. Quelles sont les sanctions prévues en cas de non remboursement d'un prêt ?
21. Quel a été environ le montant total des encours de prêt pour l'année dernière (1997) ?
22. Avez-vous ouvert un compte pour votre association ?
23. Si oui, de quel type est ce compte
24. Auprès de quel établissement financier avez-vous ouvert ce compte ?
25. Pourquoi avez-vous choisi cet établissement financier ?
1.3. Le questionnaire sur les tontines
Ce questionnaire était destiné aux responsables de tontines. Il a été réalisé en même temps que le questionnaire individuel et le questionnaire pour les responsables d'associations de migrants.
1. Depuis quand avez-vous créé votre tontine ?
2. Expliquez-nous comment fonctionne votre tontine ?
3. Pourquoi avez-vous créé cette tontine ?
4. Combien de fois avez-vous renouvelé la tontine ?
5. Combien de membres êtes-vous ?
6. Quelle est nationalité des membres ?
7. Quel est le montant de la cotisation ?
8. Quelle est la fréquence des cotisations ?
9. Exigez-vous que le lot soit utilisé d'une certaine manière ?
10. Si oui, quelle est l'utilisation prévue ?
11. Quels sont les services offerts par votre tontine ?
12. Exigez-vous que le lot soit utilisé d'une certaine manière ?
13. Avez-vous ouvert un compte pour votre tontine ?
14. Si oui, de quel type est ce compte ?
15. Pourquoi avez-vous ouvert ce compte ?
16. Auprès de quel établissement financier avez-vous ouvert ce compte ?
17. Qui sont les membres de votre tontine ?
Annexe 3 : Les facteurs dintensité de la migration
La migration se caractérise par une diversité de natures et de degrés dintensité. Les facteurs dintensité de la migration, cest-à-dire lensemble des éléments susceptibles daccentuer ou datténuer la pression migratoire, sont divers et variés. Dumont (1995) en distingue six : la perméabilité des frontières, les choix politiques, les facteurs économiques, lévolution des transports, les données démographiques et les évolutions géopolitiques. Parmi cet ensemble de facteurs, seuls les éléments économiques nous intéressent ici.
Le premier élément est relatif au niveau économique dun pays. Les différences entre les économies et ainsi que leurs divergences de dynamiques sont un facteur essentiel de migration. En effet, lorsquun pays noffre aucune perspective de développement favorable, et ce quelles que soient les raisons - rigidités économiques, mauvais état ou étroitesse des marchés, mauvaise politique économique -, la propension des personnes à émigrer devient très forte. Cest le cas de plusieurs pays en développement dont leur économie tend à sinstaller dans un état pathologique durable.
A linverse, certains pays présentent des niveaux économiques relativement élevés qui les obligent à faire appel à une immigration de travail. Les exemples sont nombreux ; on peut évoquer le cas des économies ivoiriennes et nigérianes durant les années soixante-dix, et celui des pays développés pendant lépoque des Trente Glorieuses. Le second aspect tient au fait que le niveau des économies nest pas figé dans le temps, il évolue. Or, il semble que les effets des évolutions économiques exercent une influence certaine sur la migration. Ainsi, plusieurs pays nont pas hésité à pratiquer un renvoi systématique de travailleurs immigrés de leur territoire lorsquils étaient confrontés à une crise économique ou de lemploi plus ou moins durable.
Lhistoire contemporaine offre plusieurs exemples bien connus. Entre autres exemples de pays qui ont procédé à des expulsions détrangers, nous pouvons citer le Ghana en 1969, le Congo en 1977, le Nigeria en 1983 et 1985 et nombre de pays développés telles que la Belgique et la France. Les déséquilibres économiques sont donc source de migration. La conjoncture économique peut générer des flux migratoires lorsquelle est défavorable - dépression économique - et encourager le retour des émigrés lorsquelle est bonne - croissance économique.
Annexe 4 : La pratique de lentretien de recherche
Les difficultés de la pratique de lentretien résident essentiellement dans son caractère spécifique quil importe dévoquer très brièvement dans un premier temps (1.1). Ensuite, il sera question de la conception (1.2) et de la réalisation dun entretien (1.3). Les techniques danalyse et dinterprétation des discours dentretiens seront abordées dans un dernier temps (1.4).
1.1. La spécificité de lentretien
Lentretien se caractérise essentiellement par un fait de paroles et se définit, selon Labov et Fanshel (1977), par un speech event (événement de paroles) dans lequel une personne A extrait une information dune personne B, information qui était contenue dans la biographie de B .
La spécificité de lentretien de recherche par rapport à la conversation, à linterrogatoire de police, à lentretien thérapeutique et au questionnaire, est quil est produit par une personne ou un groupe de personnes motivées - contrairement à linterrogatoire de police - à linitiative dun chercheur au profit de la communauté. Le propre dune information biographique est son caractère vécu et par conséquent elle est entachée dune plus ou moins grande subjectivité que certains comme A. Blanchet et A. Gotman (1992) pensent quelle est sa propriété centrale. Or, toutes les informations recueillies sont biographiques à lexception de celles obtenues lors dun événement suivi en direct par le chercheur.
La seconde caractéristique de lentretien de recherche, qui la différencie du questionnaire, est quil ne sappuie non sur un ensemble de questions pré-construites mais cherche la production dun discours linéaire sur un thème donné. Chaque campagne dentretiens doit se fonder sur un ensemble de règles adaptées en fonction de lobjectif recherché.
Comme lont remarqué fort justement beaucoup dauteurs, en particulier M. Catani (1982), lentretien est avant tout une affaire de relation qui va déterminer les conditions et les processus dengendrement de la production discursive. Lentretien procède ainsi dune démarche participative et coopérative ; il est une rencontre, un processus interlocutoire qui exige linstauration dune relation de confiance entre le chercheur et son informateur. Cette confiance interpersonnelle garantit la productivité de lentretien. La réussite de lentretien est donc variable selon le degré de confiance établi entre lenquêteur et lenquêté.
Lentretien est un outil flexible qui donne à linterviewé une liberté totale dexpression. Pour autant, cette liberté doit sinscrire dans le cadre du sujet détude. En cas de digression ou de hors-sujet, les interventions du questionneur visent à amener linformateur à recentrer son discours sur le thème abordé. En définitive, la portée heuristique de lentretien dépend donc de lintégration réussie de la dimension sociale et interpersonnelle de lentretien et aussi de la définition de règles de fonctionnement adéquates. Lenquêteur doit être à la fois proche et distant de lenquêté. Cette distance est qualifiée par C. Rogers (1945) de neutralité bienveillante. Cette neutralité est fondamentale pour accorder un crédit au discours produit par le sujet.
Tandis que le questionnaire se fonde sur les questions formulées par le chercheur, lentretien qui va à la quête des questions des acteurs eux-mêmes, accorde une place première à linformateur qui est en même temps acteur et témoin de son expérience vécue. Lentretien est ainsi un outil spécifique qui aide à élucider des faits - systèmes de représentation et pratiques sociales - à partir des paroles de linformateur. Il est ainsi particulièrement pertinent pour analyser le sens que les personnes donnent à leurs pratiques, aux événements dont elles ont pu être les témoins actifs ; pour comprendre les systèmes de valeurs et les repères normatif à partir desquels elles sorientent et se déterminent. Il a pour spécificité de rapporter les idées à lexpérience de lacteur. Il permet enfin daccéder aux idées incarnées, aux pensées construites et non pas préfabriquées, qui se caractérisent par une certaine stabilité.
Il est de la compétence de lenquêteur de circonvenir un système de relance adéquat lorsque linterviewé se trouve dans une situation de malaise, de silence ou de digressions. Selon A. Blanchet et A. Gotman (1992), les résistances produites au cours dun entretien de recherche ne peuvent provenir que de facteurs sociologiques et non psychologiques ou psychanalytiques. Ces résistances sont liées, daprès eux, à deux facteurs : le processus dobjectivation et la régionalisation des représentations. Lobjectivation découle du fait que lenquêté tente de justifier le bien fondé de lexpérience quil relate. Ce risque est toujours présent dans linterlocution puisque linterviewé ne livre pas un discours préparé a priori, mais construit en même temps quil parle. Car, nous rappelle P. Rabinow (1988), les faits existent en tant que réalité vécue, mais ils sont fabriqués au cours des processus dinterrogation, dobservation et dexpérience .
Pour D. Bertaux (1997), les sociologues qui utilisent les récits de vie sont parfaitement conscients de l'illusion biographique , phénomène qu'il appelait déjà en 1976 idéologie biographique . Ce phénomène consiste pour le sujet à rendre cohérent le cours de son existence lors de l'entretien, voire de donner un sens à un passé qui en a été dépourvu. Pour se faire, le sujet procède à des bricolages personnels utilisant comme matériaux de base des éléments de sens ou sèmes prélevés dans l'univers sociosymbolique environnant (D. Bertaux, 1980, p. 213).
La régionalisation des représentations, faisant allusion à la régionalisation des comportements , définie par E. Goffman (1973) renvoie au fait que selon les circonstances et le lieu de lentretien, certaines représentations ne peuvent pas être formulées. En effet, les représentations sont structurées en régions distinctes plus ou moins contiguës et hiérarchisées. Il peut dès lors devenir inconvenant et gênant de parler dun sujet intime ou considéré comme tel, à un interlocuteur étranger. Ainsi, certains passages peuvent être potentiellement sources de résistance de la part de lenquêté. E. Goffman (1973) distingue deux formes de communication : lexpression explicite ou la communication au sens étroit - les symboles verbaux - et lexpression indirecte ou la communication au sens large - incluant les signes symptomatiques -. Cette dernière forme non verbale est plus liée au contexte de lentretien et doit donc être prise en compte dans lanalyse du discours.
Quant à P. Vergès (1997), il distingue les représentations sociales des représentations économiques. Les représentations sociales sont, selon lui, des représentations construites dans le cadre des pratiques quotidiennes et partagées par lensemble dun groupe social au-delà des particularités individuelles . Les représentations économiques sont des représentations sociales appliquées dans le champ spécifique de léconomie. En dissociant ainsi les sciences économiques des représentations sociales de léconomie, il propose une approche des représentations économiques.
La science économique est un objet spécifique, un mode de constitution scientifique qui résulte dun découpage de la réalité sociale. En tant que tel, elle est autonome ; elle possède ses raisonnements - démarche hypothético-déductive, système de relations causales entre les variables - et son propre langage. Les représentations économiques se caractérisent essentiellement par un discours métaphorique sur la nature et létat de léconomie et par une référence à des prototypes. Cependant, les acteurs sociaux considèrent la réalité sociale comme un tout et intègrent, dans leurs représentations des aspects économiques et sociaux. Il existe en effet une interdépendance entre les éléments économiques et les éléments sociaux même si, comme le reconnaît lauteur, le langage économique domine très largement les autres langages de la société (religieux, politique, etc.).
Parmi les différentes manières danalyser les représentations sociales de léconomie - fondements mythologiques, psychanalytiques, liens entre représentations et comportements économiques, etc. -, lauteur privilégie laspect cognitif et collectif des représentations quil considère comme des formes de connaissance spécifiques. Il suppose que les acteurs sociaux disposent de trois procès cognitifs. Le premier est un procès de sélection où lacteur social choisit les éléments pertinents caractéristiques et organisateurs de lobjet ou du domaine représenté.
Le second est un procès connotatif où lacteur attribue des propriétés aux éléments quil a choisis. Ce procès lui sert de moyen pour apprécier lobjet de la représentation à partir des multiples significations des éléments sélectionnés - les valeurs, les normes, le politique, etc. Il permet ainsi darticuler éléments économiques et éléments sociaux.
Le troisième est un procès de schématisation où le sujet social construit un modèle cohérent et opératoire - relations de similitude, dopposition, de causalité, etc. entre les éléments sélectionnés - à partir duquel il interprète les situations, les faits et les informations économiques.
À ces trois procès, lauteur y ajoute un autre quil dénomme procès argumentatif qui est le résultat de la mise en discours des représentations économiques des acteurs sociaux. Ce procès diffère des autres en ce sens quil intègre le langage et la production du discours.
Les représentations économiques sont une forme sociale de connaissance et dépendent de deux processus sociaux, d'une part, l'expérience pratique des acteurs sociaux et, d'autre part, le travail effectué par la société sur les significations. Ces deux processus génèrent à partir de quatre éléments ou lieux de détermination relativement autonomes une production sociale des représentations. Le premier, la place socio-économique des acteurs, est un outil pertinent pour analyser leurs représentations. Le second, la pratique des acteurs, est à la fois un champ de référence et un lieu de mise en uvre des représentations . L'instance idéologique est le troisième élément. Elle organise les significations par les rapports sociaux et dispose d'un mode de fonctionnement propre. Enfin, les matrices culturelles d'interprétation constituent le dernier élément. Elles sont le résultat de l'actualisation (au présent), par la culture et la mémoire collective de chaque groupe ou classe sociale, de formes de pensée anciennes.
Il importe ainsi de remarquer que la fonction de connaissance des acteurs sociaux, issue de leurs représentations, correspond souvent à une méconnaissance eu égard à la connaissance scientifique. Cette remarque est la conséquence logique de l'hypothèse de P. Vergès (1997), qui stipule une différence de nature entre la science et la représentation, l'une ne pouvant être jugée à l'aune de l'autre, en particulier la science économique et les représentations de l'économie par les acteurs sociaux.
P. Vergès (1997) adopte une méthodologie appropriée pour vérifier ses hypothèses. Dans une première étape, il se fonde sur les méthodes de la psychologie expérimentale pour élaborer ses questionnaires. L'objectif étant pour lui de retrouver la trace des différents procès cognitifs à l'uvre dans un domaine spécifique de l'économie. Dans un second temps, il procède par entretien pour tenter d'observer la mise en uvre des représentations sociales dans un discours.
Les résultats auxquels aboutit P. Vergès (1997) sont très intéressants. D'abord, les acteurs sociaux ont une maîtrise certaine du langage économique. Leurs représentations sociales de l'économie dépendent de l'histoire, de la culture et de l'état de développement économique de leur pays. Ensuite, les articulations d'éléments économiques et non économiques diffèrent selon les groupes sociaux à cause de leurs pratiques sociales et de leurs champs de significations différents. Aussi, le niveau de complexité du contenu d'une représentation économique et des raisonnements associés n'est pas le même suivant les acteurs sociaux. Enfin, les représentations économiques ont une efficacité tant personnelle que sociale car elles orientent et guident un ensemble de conduites des acteurs sociaux. Elles se caractérisent par une stabilité, une grande inertie à l'évolution des relations significatives qui les fondent.
1.2. La conception de lentretien
La conception de lentretien comprend plusieurs opérations successives dont certaines peuvent parfois se superposer. Chacune de ces opérations, que sont la définition de la population, la constitution de léchantillon, le mode daccès aux enquêtés et la planification des entretiens, repose sur des options précises et engendre des conséquences particulières.
Une fois les hypothèses explicitées et le mode denquête choisi, il importe au chercheur de définir la population et de constituer léchantillon qui fera lobjet de la recherche. La population est constituée de lensemble des catégories de personnes que le chercheur veut interroger et qui détiennent a priori les réponses aux questions que se pose celui-ci. En réalité, la définition de la population est souvent incluse dans la définition de lobjet détude. Si lon souhaite étudier les représentations de largent chez les Africains ou le comportement financier des migrants, il est évident que la population à interroger se définit delle-même, sans aucune ambiguïté.
Cependant, il demeure parfois nécessaire de restreindre la population et de faire un choix raisonné de sa composition. Par exemple, concernant létude du comportement financier des migrants, se pose la question de savoir si lon va interroger ou non les migrants naturalisés ou encore les fils de migrants qui ne connaissent comme espace de vie que le pays daccueil. Cette question ne se pose plus dès lors les critères de choix de la population et de sa composition se fondent sur les hypothèses et participent de la définition de lobjet.
Lenquête par entretien se caractérise généralement par la taille réduite de léchantillon nécessaire à sa réalisation. Cela sexplique par le fait que les informations issues des entretiens sont entérinées par le contexte contrairement aux informations obtenues par questionnaires dont leur validation repose sur leur probabilité doccurrence. Le poids dune information obtenue par lentretien peut être équivalent à celui dune information obtenue plusieurs fois dans les questionnaires - fréquence doccurrence élevée -. Le statut de linformation obtenue justifie donc la différence dimportance de léchantillon dans les méthodes denquête.
Le nombre dentretiens nécessaires à une enquête dépend dun ensemble de facteurs déterminants : les dimensions du sujet de lenquête, la diversité des attitudes possibles par rapport au thème, la nature de lenquête - exploratoire, complémentaire ou principale -, le type danalyse envisagé - analyse exhaustive de contenu ou recensement de thèmes -, et les moyens (financiers et en termes de temps) disponibles. Il dépend aussi du point de saturation qui est atteint lorsque les informations recueillies au travers dentretiens diversifiés deviennent redondantes et napportent plus déléments informatifs nouveaux. Ainsi, la taille de léchantillon dune campagne dentretien est très variable et ne peut être définie de manière certaine à lavance.
La notion d'échantillon est ici relative ; ce qui importe c'est de couvrir le maximum de situations de sorte à avoir une diversité des témoignages possibles parce que chaque sujet est porteur d'un capital d'expérience biographique spécifique. Pour D. Bertaux (1997), cette variété des positions et des points de vue des acteurs est fondamentale car c'est sur elle que repose la validité des hypothèses et par conséquent celle du modèle qui en résulte.
Lentretien favorise la collecte dinformations nombreuses et utiles relatives aux représentations et pratiques de linterviewé. Il sadresse à un nombre relativement limité de personnes, ce qui, pour certains, constitue sa principale limite. Or comme le soulignent J. Guibert et G. Jumel (1997), les querelles entre les partisans des méthodes qualitatives et les défenseurs des méthodes quantitatives se sont largement estompées aujourdhui favorisant ainsi un usage conjugué de ces deux méthodes. Il devient donc envisageable, voire même souhaitable, de compléter les entretiens par des questionnaires afin de produire, au-delà des différences entre les personnes, des régularités statistiques qui relèvent limportance des déterminations sociales sur les comportements socio-économiques.
Lenquête par entretien privilégie les échantillons diversifiés en fonction déléments non strictement représentatifs mais plutôt caractéristiques de la population. Compte tenu du petit nombre deffectifs de lenquête par entretien, les échantillons statistiquement représentatifs (cest-à-dire qui ont les mêmes caractéristiques que la population et qui autorisent la généralisation des résultats obtenus) sont très rarement utilisés. La constitution de léchantillon diversifié subit une double contrainte et résulte, en règle générale, du compromis entre la nécessité de contraster au maximum les individus et les situations et, simultanément, dobtenir des unités danalyse suffisantes pour être significatives. Diversifier et non disperser. Cette diversité peut être elle-même définie en fonction de variables stratégiques, liées au thème et supposées, a priori, jouer un rôle important dans la structure des réponses ; ou bien à partir de variables descriptives classiques de positionnement, telles que sexe, âge, catégorie sociale, etc. On peut aussi, si léchantillon le permet, associer ces deux types de variables en les hiérarchisant .
Le choix du mode daccès aux informateurs doit répondre aux exigences de pragmatisme et de neutralité. On repère les modes daccès directs et les modes daccès indirects. La neutralité est lavantage majeur du mode daccès direct. Le chercheur dispose de contacts directs (porte-à-porte) et de fichiers de clients et dadministrés (annuaire téléphonique, listes électorales, etc.) quil peut utiliser, par exemple, pour les enquêtes sur le logement social, le mode de vie ou les enquêtes à thème très ciblé ne nécessitant pas une diversification particulière - par exemple, une enquête portant sur les thésards dune faculté déconomie -.
Lorsque lobjet détude impose que les entretiens soient réalisés dans les lieux fréquentés par les personnes à interroger (universités, marchés, entreprises, etc.), le risque davoir des entretiens très courts et des thèmes peu abordés est grand. Par ailleurs, lefficacité de ce mode daccès est dautant plus réduite quil existe une distance sociale entre les interlocuteurs (interviewé et enquêteur ).
Les modes daccès indirects passent par lintermédiaire de tiers, institutionnels ou personnels. Ces modes daccès principalement utilisés pour leur sélectivité, pour avoir accès à une population déterminée sur des critères extérieurs à ce qui la compose ou à une population spécifique non localisée ou encore pour maximiser les chances davoir des entretiens. Lavantage est que linterviewé semble le plus souvent contraint daccepter lentretien, et linconvénient réside dans le fait que le cadre contractuel de communication peut être faussé par lexistence de la demande de lintermédiaire.
La méthode de proche en proche se fonde principalement sur la mobilisation des liens sociaux. Le chercheur demande au premier interviewé potentiel ou effectif de le mettre en relation avec dautres personnes susceptibles dêtre interrogées et ainsi de constituer la chaîne. Elle peut être très efficace lorsque limage du médiateur, aux yeux de linterviewé, naltère pas la neutralité ou lobjectivité du discours de celui-ci, évitant ainsi les effets de censure et in fine des résultats biaisés.
Il se peut que la méthode de proche en proche ne suffise pas à fournir leffectif requis pour les entretiens, le recours à des informateurs-relais plus socialisés devient intéressant. Ces derniers sont des personnes insérées au cur de réseaux sociaux plus denses - responsables dassociations, agents municipaux, etc. - et en mesure de donner des indications précises ou de ménager une introduction du chercheur auprès de personnes concernées par lenquête.
Nous avons usé du réseau dinformateurs-relais constitués de responsables dassociations de migrants pour réaliser notre enquête. Les personnes indiquées par linformateur-relais ne sont pas obligées de répondre, ce qui évacue le rapport dobligation mais subsiste toutefois le biais de sélection de celui-ci dû aux critères de notoriété. La mobilisation des relais institutionnels permet daccélérer la démarche et daccroître les chances de succès. Cette méthode est efficace mais nest pas forcément neutre.
Le problème des refus se pose naturellement dans tous les types denquête. Ces refus peuvent par conséquent être indépendant de lenquête et sont souvent justifiés par des considérations diverses, par exemple le refus systématique de toute enquête, le retrait lié à lâge, à la position sociale, au sexe, etc. Dans ce cas, ils sont difficiles à contrôler contrairement aux refus liés au thème de lenquête qui ont une signification et donc interprétables. Ainsi le refus dun migrant dêtre interviewé sur les relations familiales porte à penser que les relations du migrant avec sa famille ne se passent pas, pour le moins, bien.
En revanche, lorsque les relations sont excellentes, le migrant, motivé par la volonté den faire part sempresse den parler. Dans cette situation, lanalyse du corpus de lentretien doit prendre en compte la probable sur-représentation des relations familiales qui sont excellentes. Certains refus peuvent être le fait déléments contingents tels que la manière de prendre contact ou la présentation de lobjectif de lenquête. Pour éviter ces types de refus, il suffit davoir une stratégie de communication simple et claire et dintégrer le plus possible les exigences de linterlocuteur potentiel - par exemple, lui laisser le choix de déterminer le lieu et lheure du rendez-vous -.
Le plan dentretien comprend le guide dentretien, ensemble organisé de thèmes à aborder au cours de lentretien et les stratégies dintervention de lenquêteur visant à orienter le discours de linterviewé dans le cadre thématique prédéfini. Lélaboration du plan est une étape importante dans la mise en uvre effective de la recherche. Le guide dentretien est un instrument qui permet à lenquêteur de veiller à ce que les informations obtenues sinscrivent bien dans lobjet de létude. Sa fonction est de structurer linterrogation et non de diriger la production discursive de lenquêté. La structure du guide dépend du sujet, de lusage de lentretien (exploratoire, principale ou complémentaire) et du type danalyse que le chercheur souhaite faire.
Le guide dentretien est différent selon le degré de connaissance du sujet traité, cest-à-dire des informations que lon dispose relatives à la perception et aux caractéristiques de lobjet. Ainsi, pour les enquêtes exploratoires, lenquêteur doit formuler une instruction définissant le thème du discours attendu et préfigurer les axes thématiques. En revanche, les entretiens à usage principal ou complémentaire supposent en plus de la consigne, un guide bien formalisé et des stratégies découte et dintervention appropriées. Lenquêteur doit maîtriser le guide dentretien de sorte à ne pas avoir besoin de le consulter.
Les stratégies dintervention constituent lensemble des moyens à mettre en uvre par lenquêteur pour obtenir les types de discours attendus. Les stratégies dintervention concernent donc lutilisation du guide dentretien et des modes de relance. Une relance est un bref commentaire sur un énoncé de linterviewé ou une paraphrase de lenquêteur visant à obtenir un discours qui réponde à lobjet de la recherche.
Un bon usage du guide dentretien permet davoir des relances pertinentes. En présence de discours factuels (séquences narratives), les interventions de lenquêteur consistent à des demandes de précisions et de compléments dinformations alors que pour les discours réflexifs (séquences informatives), les relances sont des interprétations. Lorsque lon constate une impasse ou une zone dombre récurrence concernant un thème ou un sujet, cest que ce thème ou ce sujet est vraisemblablement une parcelle des régions protégées de la parole sociale. Le schéma ci-après résume les différentes étapes de la conception dun entretien.
Schéma 1 : les étapes de la conception dun entretien
schema1
1.3. La réalisation des entretiens
Lécoute attentive du discours de linterviewé et lattitude bienveillante de lenquêteur sont certes nécessaires à la réussite dune enquête par entretien, mais ne suffisent pas à établir une méthodologie dentretien. En effet, plusieurs paramètres interviennent lors de la production discursive de linterviewé. A. Blanchet et A. Gotman (1992) distinguent trois niveaux hiérarchiques de paramètres qui dictent les principes de fonctionnement de lentretien. Ces paramètres sont : lenvironnement matériel et social, le cadre contractuel de la communication et les interventions de lenquêteur. Ces trois paramètres ont une portée dautant plus significative que lentretien est perçu comme un lien social, une situation dinterlocution et un outil de recherche.
Lheure de lentretien, le lieu, et les caractéristiques socio-économiques sont autant déléments qui déterminent, en partie, le déroulement et donc la réussite de lentretien. Tout entretien se déroulant à un moment précis par rapport à la séquence des actions quotidiennes des enquêtés, il importe de tenir compte de linfluence possible des situations antérieures à lentretien sur le discours de linterviewé. Limportance du facteur temps dépend du sujet. Par exemple, pour étudier le phénomène de lennui des femmes, M. Huguet (1976) faisait ses entretiens entre 14h30 et 16h, tranche horaire correspondant à un moment où lennui semble effectif.
Les lieux et les positions occupées par les partenaires de lentretien ont des significations sociales qui peuvent influencer sur le comportement et le discours de linterviewé. Ainsi, le contenu et le style du discours produits par linterviewé risquent fort dêtre différents selon le cadre spatial et matériel de lentretien.
La distribution des acteurs, enquêteur et interviewé, concerne leurs caractéristiques physiques, socio-économiques et démographiques. On retrouve aussi la prégnance de ces caractéristiques - sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, référence culturelle, etc. - dans la situation denquête par questionnaire. De même, chacun de ces facteurs influe sur la conception que linterviewé pense devoir jouer dans lentretien. Selon les situations sociales des acteurs, la production discursive est plus ou moins facile.
Le groupe social dappartenance des partenaires (la proximité sociale) constitue un facteur déterminant qui, selon les cas, facilite ou tend à inhiber la production discursive de lenquêté. Quel que soit son statut social, lenquêteur doit se garder de son quant-à-soi social et se conformer le plus possible aux habitudes et aux modes de présentation de la couche sociale de linterviewé. S'appuyant sur ses propres expériences de terrain, D. Bertaux (1997) affirme que le plus difficile n'est pas tant de bien mener l'entretien que de parvenir à créer une situation d'entretien. De là, il propose un ensemble de solutions adéquates à des difficultés relatives à la recherche d'informateurs, à la préparation et à la conduite de l'entretien, difficultés auxquelles un chercheur pourrait être confrontées avant et au cours des entretiens (voir D. Bertaux (1997), chapitre 4).
Pour J. Guibert et G. Jumel (1997), la situation dentretien est une situation déséquilibrée en ce sens que chacun des interlocuteurs à un objectif propre. Lobjectif de lenquêteur est instrumental car il cherche à obtenir un entretien réussi alors que celui de linterviewé est relationnel puisquil cherche à se faire comprendre. Le principe fondamental, pour lenquêteur, est de sadapter avec souplesse à la personnalité de son interlocuteur et aux circonstances particulières de la situation dentretien pour éviter dengendrer des effets inducteurs qui risquent de biaiser linformation recueillie.
La situation et le contexte de lentretien sont dune importance capitale dans la mesure où la dimension verbale de linteraction influe de façon déterminante sur la structuration et le contenu du discours. Ainsi, toutes les expressions non verbales du corps - regards, son et tonalité de la voix, postures, sudations, mimiques, etc. - sont perçues par linterviewé comme des messages quil interprète alors à sa manière. Cette interprétation est non seulement source de brouillage comme dans toute situation denquête mais elle peut également conduire à une perte dinformation considérable (M.-O. Gonseth et N. Maillard, 1987).
Lentretien est un événement singulier qui met en relation (face-à-face) deux personnes aux caractéristiques et représentations souvent différentes - situations socio-économiques, statut social, idéologie - qui influence le contenu du discours. On peut ainsi assister, de la part de linterviewé, à des changements éventuels dopinion, à des résistances de dévoilement, dissimulation ou de transformation dinformations pour tenter de répondre aux attentes de lenquêteur. Linterviewé confie à son interlocuteur ce qui a constitué la trame de son existence. Ainsi, la récolte dun récit de vie apparaît avant tout comme le fruit dune rencontre entre deux personnes (A.-N. Perret-Clermont et P. Rovero, 1987).
Les caractéristiques de la situation dentretien doivent être prises en compte pour comprendre la dynamique et les processus en jeu dans lentretien en particulier les signaux non verbaux qui échappent parfois à la conscience des acteurs en présence. Ces éléments non verbaux - gestes, intonations, les pauses qui les accompagnent - structurent implicitement le discours et construisent lintersubjectivité qui conditionne léchange verbal. Enfin, A.-N. Perret-Clermont et P. Rovero (1987) évoquent les enjeux affectifs qui naissent dans toute rencontre et qui ont un impact sur la relation entre les interlocuteurs et sur la production discursive. La perception quà linterviewé de lenquêteur et de la finalité de léchange influence la forme et le contenu de son récit mais cette perception est vouée à évoluer au cours de linteraction avec son partenaire.
Les premiers contacts entre lenquêteur et lenquêté se caractérisent par lexistence de préjugés mutuels (représentations et croyances) quant aux enjeux et objectifs de lentretien. Lenquêteur a donc le devoir dexpliquer clairement les motifs et lobjet de sa demande dinterview et dautre part de clarifier le cadre général de lentretien, à savoir le type dacte attendu - définition des frontières à lintérieur desquelles, linterviewé produit de manière autonome son discours -, les thèmes à explorer et les conditions (ou paramètres) de lentretien - lieu et durée estimée de lentretien, enregistrement -. Lenquêteur doit être le garant de ce contrat de communication établie et quil doit maîtriser tout au long de lentretien et ce dautant plus que lon sait que le jeu de lentretien repose essentiellement sur la présence ou labsence dun guidage thématique.
La relation établie entre les interlocuteurs est déterminante car elle conditionne la communication et la qualité de linformation produite. Dès lors, lenquêteur doit maîtriser ses attitudes et faire montre dune écoute attentive et intéressée et dinterventions opportunes. Les modes dintervention sont constitués des stratégies découte et de stratégies dintervention de lenquêteur dans loptique dobtenir un discours cohérent et pertinent sur le sujet de la recherche.
Lécoute attentive est une activité de diagnostic qui permet à lenquêteur dacquérir des indices en vue de préparer ses prochaines interventions. Celles-ci consistent à orienter le discours de linterviewé dans le double sens de linscrire dans le cadre du thème traité et de le rendre facilement interprétable - car le contexte du discours est connu -. Ces stratégies découte sont dautant plus efficaces quelles sont guidées par les hypothèses de lenquêteur.
Les interventions sont de divers types quil convient de connaître ainsi que leurs impacts respectifs sur le discours produit par linterviewé. Les techniques dintervention, les relances, les consignes et les contradictions, visent à obtenir un discours linéaire et structuré de lenquêteur. Chacune delles produit des effets spécifiques sur la production discursive de linterviewé. Les relances sont des interventions subordonnées au dire antérieur de linterviewé. Elles tendent à favoriser une rétroaction de ce dernier sur son propre discours et linvitent (linterviewé) à exploiter davantage ses opinions en développant le fragment de son discours mis en question par lintervention de lenquêteur.
Les consignes sont des interventions qui visent à définir les thèmes du discours de linterviewé. Elles jouent un rôle essentiel dans lentretien car elles délimitent les champs des réponses discursives permettant ainsi déviter les discours prolixes, inarticulés et incohérents. On distingue la consigne initiale ou inaugurale qui marque le début de lentretien et les consignes suivantes qui introduisent chacune une nouvelle séquence thématique.
Les contradictions sont des interventions qui sopposent au point de vue de linterviewé et qui visent à contraindre celui-ci à expliciter et à soutenir largumentation de son discours. Ce type dintervention est peu souhaitable car elle risque de transgresser le cadre spécifique de lentretien, qui veut que le discours produit par linterviewé soit autonome et abrupte de toute influence.
Les entretiens de recherche sont caractérisés par une interaction permanente entre le discours de linterviewé et les interventions de lenquêteur qui cherche à obtenir un discours pertinent. Le type dintervention dépend du mode discursif mais aussi de la formation et de lexpérience de lenquêteur - en termes de pratique dentretien -.
Dune manière générale, les discours produits par entretien sont des discours dassertion dont lobjectif est de faire part à lenquêteur un état de chose ou une opinion tenue pour être vraie. Daprès A. Blanchet et A. Gotman (1992), il existe trois types de discours assertifs :
les discours narratifs qui rendent compte de faits passés ;
les discours informatifs qui font part des convictions et des croyances de linterviewé ;
les discours argumentatifs dont le but est dinscrire le discours dans une logique donnée.
Les effets de relances sont différents selon le type de discours. Les interventions réitératives, déclaratives et interprétatives de lenquêteur ont des conséquences selon le type de discours mais elles contribuent toutes à la constitution dun discours linéaire et structuré (A. Blanchet et A. Gotman, 1992). Les réitérations manifestent de la part de lenquêteur, une écoute sensible et attentive de lexposé des pensées ou des faits et une demande dexplicitation. Elles permettent de relancer vigoureusement les discours dopinions et sont donc très adaptées à ce type de discours. Mais elles peuvent avoir des conséquences néfastes telle que la production dun discours hésitant lorsquelles sappliquent à des récits dexpérience.
Les déclarations sont des interventions qui visent théoriquement à aider linterviewé à produire un discours plus complet et plus structuré. Elles sont de deux types :
les interprétations qui ne sont ici quune reformulation de lopinion ou des sentiments de linterviewé et visent à mettre en exergue les chaînes causales des dires de ce dernier ;
les complémentations qui visent, par une inférence logique ou une déduction incertaine et hâtive, la production dun discours exhaustif.
Les interprétations confirmatives ont des effets de consentement alors que les interprétations infirmatives entraînent des effets de résistance qui obligent parfois linterviewé à rétablir une certaine cohérence de la chaîne causale de son discours.
Les interrogations ont pour fonction de susciter un registre discursif au thème exploré. Un nombre élevé de questions peut rompre la logique et la linéarité du discours de linterviewé et dautre part être assimilé à un interrogatoire. Le schéma suivant synthétise les paramètres de lenvironnement dun entretien.
Schéma 2 : les paramètres de la réalisation dun entretien
schema2
La portée de lentretien dépasse la seule dimension descriptive et réside essentiellement dans le fait de faire parler le sujet sur le thème en question. Ensuite, il appartient au sociologue (et à tout éducateur libéral) de traduire perpétuellement les épreuves personnelles en enjeux collectifs, et de donner aux enjeux collectifs leur riche dimension humaine. Il lui appartient de faire preuve, dans son travail et dans sa vie (car c'est un éducateur), de cette forme particulière dimagination sociologique (C. W. Mills, 1967, p. 198). Cette citation illustre bien le rôle déterminant du chercheur qui doit inscrire son analyse des faits expériencés dans le contexte général de lespace social. En effet, les expériences personnelles, quelle que soit leur nature, se caractérisent par leur singularité, leur situation dans le temps et dans lespace social et peuvent permettre ainsi de cerner les enjeux dune collectivité.
Cest dire limportance de lanalyse qui doit - et qui a pour finalité de - permettre effectivement de décrypter ces enjeux collectifs. Nous exposons, dans ce qui suit, les différentes techniques possibles danalyse et dinterprétation des discours, en insistant davantage sur celle que nous avons retenue pour notre étude.
1.4. Les techniques danalyse et dinterprétation des discours
Pour B. Bensoussan et H. Pommier (1991), le récit ne doit pas être considéré comme un témoignage précieux et rare, qui ne requiert aucune dénaturation. Selon ces auteurs, le récit subit souvent des naturalisations successives opérées par le chercheur qui oublie les raisons du discours dont il a contribué à la production dans des conditions où la neutralité supposée nest quillusoire. La première naturalisation consiste à dissimuler les conditions mêmes de la recherche en confondant objet et terrain et en déniant toute part active du chercheur. La seconde est de considérer lacteur comme témoin dun temps passé dont il incarne. Le chercheur occulte tout ce qui ne concerne pas la période spécifiée, en particulier lactualité des rapports de lacteur au monde, comme sil avait cessé de vivre dans notre société, comme si pour lui lhistoire avait pris fin (p. 15). La dernière est la transformation ou la naturalisation dun récit en une histoire de vie en oubliant les conditions dénonciation. Tous ces écueils, qui jalonnent le recueil et lanalyse des récits de vie, militent en faveur dune plus grande vigilance à légard de ce matériau oral.
Dans le même ordre didées, J. Copans (1974) considère l'histoire de vie comme un simple matériau brut qui exige que l'ethnologue produise du sens à travers une analyse rigoureuse des données recueillies tout en indiquant les limites de leur signification objective. Deux écoles dinterprétation des documents biographiques sont recensées en Pologne (Y. Chevalier, 1979) : la recherche dun témoignage dune expérience vécue par le sujet servant dillustration de propositions théoriques formulées ex ante par le chercheur et une analyse quantitative qui utilise un grand nombre de biographies visant à dégager dabord des résultats statistiques pour ensuite rassembler des morceaux de recueils biographiques sélection pour leur valeur expressive. Il propose de bien distinguer le texte biographique du témoignage dinformateur qui vise à compléter une observation, à préciser le sens dune attitude, la valeur et la signification sociale données, dans un contexte défini, à un comportement ou une conduite (p. 89).
Bien que pouvant servir de complément à une observation, le texte biographique se situe à un autre niveau car il cherche à saisir la perception quont les acteurs de leur espace social et de dépasser le cadre formel dune institution ou dun phénomène donné. Il sagit ici denquêtés échantillonnés pour être représentatifs de lobjet étudié. Les matériaux ainsi recueillis sont alors considérés comme données sociologiques, partiellement quantifiables, susceptibles dune interprétation ou dune analyse à la fois longitudinale et transversale (p. 90). J. Poirier et S. Clapier-Valladon (1980) attirent l'attention sur une erreur fondamentale à éviter à tout prix, erreur qui consiste à se suffire d'une seule source d'information qu'est la population de l'enquête. Ils préconisent le recours à la recherche documentaire et à l'analyse critique.
Louvrage de J. Poirier et al. (1983) propose des recettes pour lorganisation, la transcription, la codification et le traitement des données biographiques. Il suggère une transcription immédiate et une analyse à chaud des entretiens de sortes à pouvoir construire progressivement le modèle et d'améliorer le questionnement par l'intégration de résultats dans le canevas d'entretien évolutif déterminant ainsi le choix des personnes à interviewer ultérieurement. L'objectif de l'analyse n'est pas d'extraire toutes les significations qu'il peut contenir mais seulement de choisir celles qui semblent pertinentes pour l'objet de la recherche.
Quant à P. Lejeune (1980), il distingue trois systèmes de transcription :
la transcription littérale, proche de la parole, au plus près de la parole , selon ces propres termes. Ce système engendre une illusion réaliste car le passage du langage oral au langage écrit occulte, selon nous, un élément fondamental qui est le contexte même de la production discursive ;
la solution moyenne , qui consiste à opérer un toilettage du discours - suppression de toutes les hésitations, redites, corrections grammaticales -. Cette méthode a sa faveur, puisquelle permet, affirme-t-il, dobtenir un produit fini maniable, économique, et point trop infidèle et celle de la plupart des équipes scientifiques . Elle nest pas crédible sur le plan scientifique quant aux études linguistique et sociolinguistique ;
lélaboration littéraire dont lobjectif principal est la publication dun livre sur le récit dentretien.
M.-O. Gonseth et N. Maillard (1987) insistent sur le caractère profondément arbitraire de la production et de la transcription de lentretien et affirment quen remaniant le discours recueilli, nombre dauteurs cherchaient à entretenir lillusion dune transcription scrupuleuse des entretiens réalisés ; un tel respect de lénoncé, quil soit réel (fragments dentretiens adaptés et mis bout à bout) ou fictif (procédé réaliste) contribue selon nous à occulter un élément fondamental de la production dun récit de vie, à savoir quil est essentiellement aléatoire, puisquil sagit dune version parmi tant dautres, allusive et interprétative, dans laquelle interviennent constamment des critères de sélection, de focalisation, dapproximation, de simplification, etc. (p. 34). Pour eux, la crédibilité dun discours recueilli réside dans la prise en compte de son caractère hésitant et vulnérable car le propre de la production et de la transcription dun discours est leur caractère essentiellement arbitraire.
Le récit n'est pas un produit fini, mais bien un matériau, une matière première qui sert de base à un travail d'interprétation. Linterprétation du matériau biographique ne peut être univoque à cause de lexistence de plusieurs niveaux dexpressions et de réalités différents. Ce qui justifie la multiplicité des lectures possibles dun texte biographique, chacune pouvant se situer à un niveau dappréhension dune même réalité à la fois personnelle et sociale. A. Selim (1972) propose trois lectures possibles :
une lecture événementielle ou diachronique qui permet de mettre en lumière les successions chronologiques dévénements au travers de trois temporalités distinctes - le temps dominant qui va de lenfance du sujet au moment actuel ; le temps des biographies parallèles de toutes les personnes qui ont joué un rôle quelconque dans lexistence du sujet ; le temps de lhistoire sociale dans laquelle sinsère la vie du sujet -;
une lecture thématique ou synchronique qui permet de décomposer le contenu manifeste du discours en thèmes afin de saisir les normes sociales et les valeurs culturelles en vigueur dans le milieu où vit le sujet ;
une lecture symbolique, synthèse des deux premières et permet de saisir linfluence des contraintes sociales et culturelles sur le déroulement de la vie de linterviewé. Toutefois, linterprétation exige de lanalyste (...) une dé-centration par rapport au contenu même du texte biographique, lutilisation de grilles danalyse - événementielle ; thématique ; symbolique - et un effort de vérification (contrôle ; recoupement) par la multiplication des sources .
Les hypothèses et le modèle construit ont un statut d'une interprétation plausible plutôt que d'une explication stricto sensu des phénomènes observés. La comparaison, s'effectuant au travers d'un changement de terrain, demeure le meilleur moyen de consolider et d'accroître la portée potentielle d'une interprétation. Les résultats d'entretiens de récits de vie prennent une valeur de généralité lorsque l'on est en présence manifeste de récurrences et de saturation progressive du modèle élaboré. Autrement dit, lorsque les données recueillies n'apportent plus guère de valeur ajoutée ou de contribution à la connaissance de l'objet étudié.
A.-N. Perret-Clermont et P. Rovero (1987) insistent sur le danger de centrer lanalyse du sens du discours sur des déterminations extérieures et dénoncent implicitement les cadres interprétatifs qui reposent uniquement sur les approches théoriques. En effet, disent-ils, ces approches théoriques qui, en vertu de systèmes de significations dont elles se croient maîtresses, enferment par avance les significations exprimées par lindividu dans un ensemble fini dinterprétations possibles qui ne sont en fait pas nécessairement partagées par la personne concernée . Ils ajoutent en note que ces postulats de processus autoexplicatif sont un instrument subtil de domination intellectuel aux mains du chercheur qui les utilise pour expliquer les conduites dautrui. Dans leur perspective, lhistoire de vie se présente comme un artefact de la rencontre, cest-à-dire un produit co-fabriqué par les partenaires et dont linterprétation doit nécessairement être le fruit de leur interaction dans le contexte de leur rencontre. Nous déduisons de la lecture de ces auteurs que lhistoire de la (ou des) rencontre(s) des partenaires déterminent lhistoire de vie qui recouvre ainsi plusieurs significations non réductibles aux seuls schémas théoriques existants.
Les registres théoriques danalyse possibles et plausibles sont nombreux. Lanalyse des discours consiste dune part à donner un sens au corpus, le corpus étant constitué par lensemble des discours produits par lenquêteur et linterviewé et dautre part à confronter les hypothèses aux faits. Les discours peuvent être analysés sous deux angles :
une analyse linguistique - étude et comparaison de structures formelles du langage -,
une analyse de contenu - étude et comparaison des sens des discours. En psychologie sociale et en sociologie, lanalyse des discours se réduit en analyse de contenu.
Lenjeu majeur des récits de vie réside dans le fait quils permettent de constituer la réalité sociale à partir de lexpérience personnelle ou collective des acteurs sociaux. Cependant, il faut tenir compte du fait quon na pas directement accès à lexpérience réelle du sujet mais à un discours (C. Chabrol, 1983). Il importe ainsi de faire un travail délaboration et dinterprétation au cours et a posteriori de la production discursive.
C. Chabrol (1983) critique lanalyse de contenu quil qualifie de méthodologie molle en ce sens quelle réduit les textes à la seule dimension de lénoncé (le dit) et élude tout le processus énonciatif ainsi que les marques dinteractions interlocutoires propres au texte manifeste des entretiens. Ainsi, extraire des citations de propositions dans un corpus dentretien, dans le but dillustrer une démonstration, sans prendre en compte le contexte effectif, situationnel et textuel engendre inéluctablement des changements de signification très importants. Il préconise dutiliser les sciences du langage - linguistique, sémiotique, pragmatique - pour lanalyse des discours car elles permettent de rendre compte dabord et avant tout de faits langagiers discursifs considérés comme des pratiques sociales autonomes réelles ; les pratiques sociales discursives, et non de celles quelles seraient censées manifester (des significations extra-langagières) (p. 84).
La production du sens dépend de la méthode danalyse utilisée et des objectifs de la recherche. Le sens des discours dentretien nest pas donné a priori. Il résulte de la lecture du chercheur, laquelle est orientée par les objectifs de sa recherche. On distingue ainsi une pluralité de lectures selon lobjectif de la recherche et les présupposés théoriques qui les sous-tendent. Chaque lecture, chaque analyse, extrait donc du même texte un sens différent selon les hypothèses engagées. Le choix du type danalyse de contenu, comme le choix du type de collecte, est subordonné aux objectifs de la recherche et à sa formulation théorique. Il seffectue donc dans la phase de préparation de lenquête, en liaison avec la formulation des hypothèses. Lanalyse de contenu nest (donc) pas neutre. En tant quopérateur de production des résultats, elle représente lultime étape de la construction de lobjet. Les différentes analyses de contenu seront donc envisagées sous langle de leurs présupposés théoriques et dans leur cadre dutilisation spécifique (A. Blanchet et A. Gotman, 1992, p. 94).
A. Blanchet et A. Gotman (1992) distinguent plusieurs types danalyse de contenu selon le mode de découpage du corpus retenu : lanalyse par entretien, lanalyse thématique, lAnalyse Propositionnelle du Discours (APD) et lAnalyse des Relations par Opposition (ARO).
Lanalyse entretien par entretien a pour but de déterminer la logique du monde référentiel décrit par rapport aux hypothèses détudes. Elle repose sur lhypothèse que chaque entretien est spécifique et porteur dun processus psychologique ou sociologique. Elle permet de déceler et donc détudier le mode de production des processus clinique, cognitif ou biographique. Le mode de découpage est différent dun entretien à lautre et lunité de découpage est le fragment de discours ayant signification.
Lanalyse thématique consiste à mettre en exergue la cohérence thématique qui existe entre les différents entretiens. Elle sappuie sur des rubriques thématiques. Chaque thème représente un fragment de discours et est défini par une grille danalyse (ou grille de lecture). Chaque grille danalyse constitue un outil explicatif qui sert à produire des résultats. Elle permet ainsi lutilisation de modèles explicatifs de représentations et de pratiques - et non de laction. Le mode de découpage est transversal et invariable dun entretien à lautre et lunité de découpage est le thème.
Toutefois, la différence entre ces types danalyse doit être relativisée. En effet, on peut assimiler les fragments de discours significatifs aux thèmes. Dans ce cas, lanalyse par entretien consiste à parcourir les thèmes abordés par chaque interviewé séparément pour en faire ensuite la synthèse. Ainsi, R. Ghiglione et B. Matalon (1978) parlent dune analyse thématique verticale , par opposition à lanalyse thématique horizontale qui relève les différentes formes qui, dun entretien à lautre, se référent au thème. Il importe dans l'analyse thématique de dégager les contradictions, les similitudes, les nuances et les particularismes de sortes à faciliter la différenciation typologique des auteurs des récits de vie.
La définition des thèmes et la construction de la grille de lecture reposent sur les hypothèses descriptives de la recherche, éventuellement reformulées voire reconsidérées après une lecture des entretiens. Les thèmes sélectionnés en définitive servent de cadre stable de lanalyse de lensemble des entretiens. A linstar du canevas dentretien , la grille danalyse doit autant que possible être organisée en thèmes principaux et secondaires pour faciliter la désagrégation de linformation et la séparation des faits et des significations, ce qui permet de faire des interprétations crédibles.
Après avoir identifié les thèmes et items et construit la grille danalyse, il reste à découper et à classer les énoncés suivant les thèmes spécifiés. Chaque énoncé est une unité de signification dont la complexité et la longueur sont variables. Lanalyse thématique permet denvisager plusieurs types dinterprétations - par exemple, analyse des variations relatives à un thème au sein du corpus - et délaborer des typologies qui sont le résultat dagrégation de personnes à partir dun raisonnement.
LAnalyse Propositionnelle du Discours (APD) et lAnalyse des Relations par Opposition (ARO) sont des techniques danalyse de contenu qui procèdent par un mode de découpage et de codage reposant sur la structure syntaxique et sémantique du discours. Ces techniques, formalisées par des théories de la signification, sont des procédures standardisées et systématiques qui, par le retard de la phase dinterprétation proprement dite, renforcent le processus dobjectivation. Elles contraignent lanalyste à faire davantage de projection et dinduction objectives et contrôlées.
La méthode de lAPD repose sur lhypothèse que les discours sont des indices de la construction du monde référentiel des interviewés. LAPD utilise les outils de la sémantique et de la psychologie cognitive pour arriver à reconstituer limage du monde des locuteurs à partir des relations que le discours établit entre les objets (à lintérieur des propositions) :
les objets sont représentés par des référents et les objets principaux du discours sont appelés référents noyaux ou RN ;
les relations sont représentées par des verbes ; les types de relation entre les objets sont définis par des classes prédicatives - par exemple, verbes factifs, statifs ou déclaratifs, F, S ou D. Cette technique suppose que le discours soit découpé et codé de manière systématique, sans aucune catégorisation a priori.
Le codage nécessite cependant un minimum dinterprétation. LAPD repose sur les deux principes suivants :
chaque texte est composé dun ensemble de propositions, chaque proposition étant considérée comme une unité sémantique danalyse,
toute proposition représente une signification complexe et autonome en associant un modèle argumentatif.
La méthode ARO, mise au point par H. Raymond (1968), repose fondamentalement sur lanalyse structurale des récits. Elle suppose lexistence dune relation (correspondance) entre les éléments dun système pratique et les éléments dun système symbolique ; la structuration de cette relation en opposition, comme étant constitutive de la fonction symbolique. Cette méthode reconnaît ainsi à la parole lun de ses caractères fondamentaux qui est dêtre une actualisation constante de symboles . LARO est donc une technique qui révèle les relations de signification entre les signifiants (les objets spécifiés) et les signifiés - ce que le locuteur dit à propos de ces objets - qui sopposent terme à terme.
Le mode de découpage sémantique de lénoncé, constituant la première étape, seffectue soit à partir dun lexique thématique, soit à partir dune relation de signification par opposition entre le signifiant et le signifié. Ce travail de découpage, na rien de mécanique et requiert une lecture très analytique et relativement long du texte. Ce type danalyse informe sur la structure des phénomènes en même temps quelle permet de saisir le cliché, linstantané du locuteur ainsi que le fragment dun univers commun.
Lapplication de cette méthode exige lexistence dune relation stable entre les éléments pratiques et les éléments symboliques. Qui plus est, le chercheur doit faire plusieurs lectures attentives avant de repérer la relation par opposition. LARO est donc une technique qui nest pas facile à mettre en uvre car, selon A. Blanchet et A. Gotman (1992), il arrive cependant que la relation par opposition exige, pour être complétée, de prendre en compte des énoncés dispersés sur plusieurs pages. Le lecteur, alerté par lidentification des premiers éléments, poursuit la lecture en attendant les éléments correspondants (p. 113). Ainsi, pour pouvoir appliquer cette méthode, il demeure nécessaire dadopter un processus similaire lors de la conduite des entretiens de sortes à utiliser les éléments de la relation identifiée présents dans un énoncé antérieur pour relancer et ainsi obtenir des informations complémentaires. Le schéma ci-dessous présente les différents types danalyse dun entretien de recherche.
Schéma 3 : les types danalyse dun entretien de recherche
schema3
Tous les entretiens de récits de vie ont analysés à partir de la méthode thématique. Les résultats de ces analyses thématiques ont été discutés dans le second chapitre de la première partie de la thèse.
Annexe 5 : Quelques résultats statistiques des questionnaires
Les trois questionnaires ont été élaborés à partir des entretiens de récits de vie avec des migrants et des responsables de structures collectives de migrants maliens et sénégalais résidant en France. Dans les pages qui suivent seront exposés quelques résultats statistiques tableaux et analyses des tris-à-plat, des tris croisés et, le cas échéant, des analyses factorielles du questionnaire principal (1.1), du questionnaire sur les associations (1.2) et du questionnaire relatif aux tontines (1.3).
1.1. Le questionnaire principal
*Résultats des tris-à-plat
1. Date d'entrée en France
Depuis quand êtes-vous en France ?
tab1
tab2
Seules 4 % des personnes interrogées sont entrées en France entre 1994 et 1998 et 28 % ont vécu dix à quinze ans en France. Si lon réduit à deux les modalités de la variable date dentrée en France, moins de dix ans et plus de dix ans, on saperçoit que près des trois quarts des migrants (74 %) sont arrivés en France avant 1989, contre 26 % seulement après cette date. La durée moyenne de séjour des immigrés maliens et sénégalais en France est de 12 ans 5 mois.
2. Revenu mensuel
A combien s'élève votre revenu (salaire ou pension, ...) par mois ?
tab3
La majeure partie des immigrés maliens et sénégalais (31 %) a un revenu mensuel compris entre 5 000 et 7 000 francs. La proportion dimmigrés qui reçoit un revenu mensuel compris entre 3 000 et 5 000 francs (21 %) est presque la même que celle qui a un revenu mensuel compris entre 7 000 et 9 000 francs (20 %). Une petite minorité dimmigrés (6 %) gagne moins de 3 000 francs par mois et 22 % ont un revenu mensuel supérieur à 9 000 francs. La moyenne du revenu mensuel moyen des immigrés maliens et sénégalais est de 5 522 francs avec une forte dispersion autour de cette valeur (2 553 francs).
3. Montant d'épargne brute
Quel est environ le montant mensuel de votre épargne, c'est-à-dire l'argent qui vous reste après avoir payé toutes vos charges y compris les dépenses de nourriture et transport ?
tab4
Parmi les 80 % des immigrés qui ont répondu, près de 26 % ont environ un montant dépargne brute supérieur ou égal à 2 500 francs par mois contre 33 % qui épargnent moins de 1 000 francs par mois. Le montant moyen de lépargne brute de léchantillon sélève à 1 342 francs avec une dispersion importante de 932 francs autour de cette tendance centrale. Le montant dépargne brute des immigrés est relativement élevé si lon prend en compte le niveau de leur revenu mensuel moyen. Ce revenu mensuel moyen est de 5 522 francs et est très proche du salaire minimum. Ainsi, la grande majorité des immigrés reçoit un revenu mensuel presque équivalent au salaire minimum (SMIC).
4. Prêts
Êtes-vous en train de rembourser un (ou des ) prêt(s) ?
tab5
Plus dun cinquième des immigrés maliens et sénégalais interrogés sont en train de rembourser un ou plusieurs prêts. Ce faible recours des immigrés au crédit se justifie de manière très rationnelle parce que la principale motivation de leur venue en France est de gagner plus dargent et par conséquent dépargner le plus possible. Dans cet esprit daccumulation , le crédit ne peut être quune exception, un choix contraint, le plus souvent, par limpératif dintégration sociale en France.
Les emprunteurs sont pour la plupart des immigrés qui désirent rattraper le retard accusé en matière déquipements en biens durables ou qui souhaitent renouveler leurs anciens équipements démodés , abîmés ou en panne.
5. Montant du dernier prêt
Si oui, à combien s'élève le montant de votre dernier prêt ?
tab6
Le montant du dernier prêt contracté par les immigrés maliens et sénégalais se situe entre 2 000 et 70 000 francs. Le montant total des encours de prêts sélève à près de 500 000 francs pour 23 immigrés. Ce qui représente en moyenne, un emprunt de 20 000 francs par personne avec une grande dispersion du montant des prêts autour de cette valeur moyenne, lécart type étant de 19 237 francs. Cependant, plus de la moitié des prêts est inférieure à 13 500 francs et un peu plus du sixième des prêts dépasse 36 000 francs.
6. Fréquence des envois
Vos envois sont-ils réguliers ou exceptionnels ?
tab7
Les immigrés maliens et sénégalais effectuent, dans leur immense majorité (82 %), des transferts financiers réguliers. Cependant, près dun immigré sur dix fait des transferts de manière exceptionnelle, ladjectif exceptionnel signifiant ici un temps dintervalle supérieur à six mois entre deux transferts financiers.
7. Fréquence des envois
Si réguliers, quelle est la fréquence moyenne de vos envois ?
tab8
Plus de la moitié des transferts financiers réalisés régulièrement se fait, en moyenne, chaque mois et un tiers tous les trimestres. Les envois de fonds bimensuels sont peu fréquents (13 %) et les transferts semestriels sont très rares (4 %).
8. Montant des envois
Et quel est le montant moyen de vos envois ?
tab9
Les immigrés maliens et sénégalais envoient à leurs proches une somme moyenne de 558 francs. Cependant, il existe une forte dispersion de 269 francs autour de cette valeur moyenne. Le montant moyen des envois est dans trois cas sur quatre inférieur à 500 francs. Plus du tiers des montants moyens des transferts financiers se situe entre 500 et 1 000 francs. En revanche, 6 % seulement des montants moyens des envois dargent des immigrés excèdent 1 000 francs. Toutefois, bien que rare (1 %), certains montants moyens de transferts dépassent 2 500 francs. Il sagit là dimmigrés qui envoient de largent tous les trimestres, voire tous les semestres.
9. Projet réalisé
Avez-vous déjà effectivement réalisé au moins un projet ?
tab10
Plus dun immigré malien et sénégalais sur deux a effectivement réalisé au moins un projet. Contrairement à limportance des fonds transférés dans les pays dorigine, la proportion dimmigrés ayant réalisé un projet est relativement faible. Cela montre aussi quune infime part de largent envoyé par les immigrés est affectée au financement de projet.
10. Types de projets réalisés
Si oui, quels sont les différents projets que vous avez déjà effectivement réalisés ?
tab11
La diversité de la nature des projets déjà réalisés est très notable. Les immigrés maliens et sénégalais ont déjà réalisé des projets dans presque tous les secteurs économiques. Avoir une maison semble être la première préoccupation des immigrés. Ainsi, l'achat d'une maison personnelle est parmi les projets réalisés le plus fréquent (52 % des cas). L'énormité des besoins en matière d'habitation dans les villes maliennes et sénégalaises - cette remarque est aussi valable pour les villes des pays du Sud comme du ceux du Nord - fait de la location de logements une activité florissante. Les immigrés propriétaires de maisons s'adonnent souvent aux activités de location. Un projet réalisé sur dix concerne les logements à louer. Les immigrés créent et ou participent à la création d'entreprises (16 %). Ces entreprises sont généralement de taille modeste et opèrent en général dans le secteur du commerce. Certains immigrés ont aussi investi dans des activités relatives à l'agriculture et l'élevage.
11. Nombre dépouses résidant en France
Combien vivent ici avec vous ?
tab12
Plus des trois quarts des immigrés maliens et sénégalais vivent avec leur épouse en France. La moyenne du nombre dépouse vivant en France avec leur mari est dune femme. Seuls 5 % des immigrés polygames résident en France avec leurs deux femmes.
12. Nombre denfants résidant en France
Combien vivent ici avec vous ?
tab13
Les immigrés ayant un seul enfant sont 37 % à vivre avec leur enfant en France. Ceux qui ont deux enfants sont 32 % à vivre avec eux. Les immigrés ayant entre cinq et sept enfants sont 13 % à partager le toit avec leurs enfants. En moyenne, le nombre denfants vivant avec leur parents immigrés en France est de 2,8, soit 3 enfants.
13. Retour dans le pays dorigine
Envisagez-vous de retourner dans votre pays d'origine ?
tab14
Les immigrés maliens et sénégalais envisagent presque tous (98 %) de rentrer dans leur pays dorigine. Seulement 2 % dimmigrés souhaitent rester en France.
14. Date du retour
Si oui, quand ?
tab15
Les partisans au retour sont prêts à près de 50 % à quitter le territoire français à tout moment. Un tiers des immigrés sont indécis quant la date de retour prévue alors que 19 % des immigrés souhaitent rentrer dans leur pays après la retraite.
*Résultats des tris croisés
1. Date d'entrée en France x Projet réalisé
-Depuis quand êtes-vous en France ? (Recodage des modalités de la question fermée 'Date d'entrée en Fra')
-Avez-vous déjà effectivement réalisé au moins un projet ?
tab16
La dépendance est significative (chi2 = 7,23, ddl = 1, 1-p = 99,28 %).
La date dentrée en France et la réalisation de projet par les migrants sont statistiquement liées. La durée de séjour en France est ainsi un critère pertinent de distinction entre les migrants qui ont déjà réalisé un projet et ceux qui nen ont pas réalisé.
2. Projet réalisé x Date du retour
-Avez-vous déjà effectivement réalisé au moins un projet ?
-Si oui, quand ?
tab17
La dépendance est peu significative (chi2 = 4,78, ddl = 1, 1-p = 97,12 %).
La dépendance entre la date de retour souhaitée et la réalisation de projet est peu significative. Il demeure toutefois que les migrants qui ont déjà réalisé au moins un projet sont beaucoup plus déterminés que les autres à rentrer chez eux à tout moment.
3. Prêts x Nationalité dorigine
-Êtes-vous en train de rembourser un (ou des ) prêt(s) ?
-Quelle est votre nationalité d'origine ?
tab18
La dépendance est peu significative (chi2 = 4,64, ddl = 1, 1-p = 96,87 %).
La liaison entre le recours au prêt et la nationalité dorigine est peu significative. Les immigrés sénégalais sont beaucoup plus favorables au prêt que les immigrés maliens même si les taux dendettement sont relativement faibles.
4. Montant d'épargne brute x Nationalité d'origine
Quel est environ le montant mensuel de votre épargne, c'est-à-dire l'argent qui vous reste après avoir payé toutes vos charges y compris les dépenses de nourriture et transport ?
Quelle est votre nationalité d'origine ?
tab19
La dépendance est peu significative (chi2 = 8,18, ddl = 2, 1-p = 98,32 %).
Le montant dépargne brute des immigrés ne dépend pas de leur nationalité dorigine. Il nexiste aucun lien significatif entre lampleur ou limportance du montant de lépargne brute et le pays de provenance des immigrés.
*Résultats des analyses factorielles
1. Analyse en composantes principales
Variables :Montant du dernier prêt, Nombre dépouses résidant en France (Nb épouses vvici), Nombre denfants résidant en France (Nb enfants vvici).
La carte montre les positions des 3 critères et les coordonnées des 10 observations.
90 observations ne sont pas prises en compte (non-réponse à au moins un des critères).
95.5 % de la variance est expliquée par les deux axes représentés.
Chaque observation est représentée par un point.
schema4
La variable Nombre d'épouses résidant en France est positivement corrélée avec la variable Nombre d'enfants résidant en France. Il en est de même entre la variable Montant du dernier prêt et la variable Nombre d'enfants résidant en France. La première corrélation est forte tandis que la seconde reste relativement faible puisque les coefficients de corrélation sont respectivement 0,77 et 0,52. Les variables Nombre d'épouses résidant en France et Montant du dernier emprunt sont quasi indépendantes car langle quelles forment à partir de lorigine est presque un angle droit ; en témoigne la valeur de leur corrélation qui est très proche de zéro (0,16). Cela confirme un résultat déjà constaté, à savoir que le montant du dernier emprunt des migrants est indépendant du nombre de leurs épouses résidant en France. Les deux premières variables principales prennent en compte 95,5 % de la variance du nuage. La qualité de représentation des individus dans leur ensemble est relativement bonne. Le cercle des corrélations fait ressortir une bonne représentation des trois variables qui sont très proches des frontières du cercle.
Interprétation du premier axe. Les variables Nombre d'enfants et nombre d'épouses résidant en France sont les seules variables initiales à contribuer à la construction de l'axe. De plus, elles sont corrélées positivement avec la première composante principale et se situent par conséquent du même côté de l'axe. La première variable principale correspond ainsi à un facteur de taille. Le premier axe est spécifique du Nombre d'enfants et du Nombre d'épouses résidant en France : il rend compte de l'attraction privilégiée entre ces deux modalités. En effet, on a une contribution importante et une bonne représentation de ces deux variables. Le premier axe, qui synthétise donc ces deux variables, peut s'interpréter comme les caractéristiques des familles des immigrés, c'est-à-dire leur situation familiale.
Interprétation du second axe. La variables Montant du dernier emprunt est positivement corrélée avec la seconde variable principale, la variable Nombre dépouses résidant en France étant corrélée négativement. Cependant, le Montant du dernier emprunt est la seule variable à apporter une contribution très significative (69 %) et à avoir une meilleure qualité de représentation. L'axe 2 est spécifique de cette variable et s'interprète comme un axe de l'importance du montant du dernier emprunt des migrants.
Étude du plan 1-2. Les points profils n'étant pas très bien représentés par le plan, la classification devient difficile d'autant plus que le nombre d'observations est faible. Cependant, la représentation simultanée suggère néanmoins deux groupes de points. Le premier groupe est relativement homogène et correspond au profil moyen des migrants emprunteurs ayant des enfants résidant en France. Il sagit des migrants qui ont en moyenne 2 enfants. Lautre groupe est très dispersé et se compose des autres migrants emprunteurs avec des montants demprunt très variables. Le montant moyen demprunt est de 20 000 francs pour les deux groupes.
tab20
Le tableau donne, pour les 2 premières composantes, les contributions relatives (positives et négatives) des critères.
tab21
Les valeurs du tableau sont les coefficients de corrélation entre les critères.
fig7
L'épaisseur du trait joignant deux critères est proportionnelle à la corrélation de ces deux critères.
Analyse en composantes principales
Variables : Fréquence des envois (Fréq. des envois), Montant des envois(Montant des envois_), Montant dépargne brute par mois (epargne/mois).
La carte montre les positions des 3 critères et les coordonnées des 62 observations.
38 observations ne sont pas prises en compte (non-réponse à au moins un des critères).
85.9 % de la variance est expliquée par les deux axes représentés.
Chaque observation est représentée par un point.
schema5
Les résultats montrent lexistence dune seule corrélation entre les différentes variables initiales. Il sagit dune corrélation positive entre les variables Montant des envois et Fréquence des envois. Cette corrélation est faible car le coefficient de corrélation est de 0,56. La variable Epar gne /mois trop faiblement corrélée avec la variable Montant des envois (0,31) et par conséquent cette corrélation est négligeable. Ce premier constat va dans le même sens que les résultats obtenus lors de lanalyse des tris croisés.
Les deux premières composantes principales expliquent 85,9 % de la variance de lensemble du nuage. La qualité de représentation des individus est, dans lensemble, relativement bonne même si une quantitité dobservations sont proches du point moyen, cest-à-dire de lorigine des axes principaux. Les variables Montant des envois et Fréquence des envois sont bien représentées dans le cercle des corrélations correspondant aux deux premiers axes. La variable Epargne/mois a une meilleure qualité de représentation dans le cercle des corrélations.
Interprétation du premier axe. Le premier axe est spécifique du Montant des envois et de la Fréquence des envois qui sont les seules variables à contribuer à sa construction et à y être bien représentées. Elles ont des contributions positives importantes (80 % au total) et elles sont du même côté de laxe. La première composante principale est ainsi un facteur de taille. Le premier axe sinterprète comme limportance et la périodicité des transferts financiers des immigrés maliens et sénégalais.
Interprétation du second axe. La variable Epargne/mois est la seule qui a une très forte contribution positive (77 %). Les deux autres variables sont négativement corrélées avec la deuxième composante principale. La variable Fréquence des envois contribue faiblement et négativement à la constitution de ce facteur (-19 %) tandis que la contribution de la variable Montant des envois demeure négligeable. Le second axe peut sinterpréter alors comme un axe de la hiérarchie du montant mensuel dépargne brute des migrants. Toutefois, il importe aussi de souligner le fait que cet axe révèle une certaine opposition entre le montant des envois et lépargne mensuelle des immigrés. Autrement dit, plus conséquent est le montant des envois , moins importante est lepargne constituée par limmigré. Ce résultat confirme lévidence qui sous-tend cette affirmation.
Etude du plan 1-2. Sur le graphique, on repère deux groupes dimmigrés dont on retrouve leurs éléments de part et dautre du premier axe factoriel. Cela signifie que dans chaque groupe nous trouvons des membres qui ont un montant dépargne brute faible et dautres qui ont un montant dépargne plus important. Le regroupement des individus repose donc uniquement sur le premier axe. Ainsi, le premier groupe est composé dimmigrés qui envoient des sommes dargent beaucoup plus conséquentes mais avec des intervalles de temps plus longs, et ce quel que soit le niveau de leur montant dépargne brute tandis que le second groupe est aux antipotes du premier. Les immigrés du second groupe font des transferts financiers moins importants mais de façon plus régulière. La fréquence moyenne de leurs envois est le plus souvent le mois.
tab22
Le tableau donne, pour les 2 premières composantes, les contributions relatives (positives et négatives) des critères.
tab23
Les valeurs du tableau sont les coefficients de corrélation entre les critères.
L'épaisseur du trait joignant deux critères est proportionnelle à la corrélation de ces deux critères.
Classification automatique
Variables : Fréquence des envois (Fréq. des envois), Montant des envois(Montant des envois_), Montant dépargne brute (epargne/mois).
Classification obtenue par la méthode des centres mobiles.
3 variables ont été utilisées.
38 observations n'ont pas été prises en compte (non-réponse à l'un des critères)
2 classes ont été identifiées.
Classe n° 1: 24 (24.0 %)
Classe n° 2: 38 (38.0 %)
Observations de la classe 'Classe n° 1' (24 n°)
Répartition (observations) pour la variable '172.Date retour_T' :
ModalitéNb. cit.FréquenceA tout moment1250,00 %Ne sait pas 520,83 %Après la retraite416,67 %Non-réponse312,50 %Observations de la classe 'Classe n° 2' (38 n°)
Répartition (observations) pour la variable '172.Date retour_T' :
ModalitéNb. cit.FréquenceA tout moment1847,37 %Ne sait pas1334,21 %Après la retraite615,79 %Non-réponse12,63 %Observations de la classe 'Classe n° 1' (24 n°)
Spécificités pour la variable '172.Date retour_T' (l'indicateur est le rapport des fréquences) :
LOCALGLOBALINDICATEURA tout moment50,00 %42,00 %+ (1,19)Après la retraite16,67 %16,00 %+ (1,04)Non-réponse12,50 %14,00 %- (0,89)Ne sait pas20,83 %28,00 %- (0,74)Les résultats sont peu valides, le nombre d'observations concernées est faible (