caummaut c - CAPSAIS Option D - Cours IUFM PARIS
Une revue de la littérature sur le sujet (voir le chapitre 2) nous a amené à la ....
Évaluer le comportement du STI-DICO via un protocole analytique avec des ......
The genetic graph: a representation for the evaluation of procedural knowledge.
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1 - Globale RENVOIPAGE _Toc10029628 \h 19
2 - Individuelle RENVOIPAGE _Toc10029629 \h 20
3.Dispositif Pédagogique RENVOIPAGE _Toc10029630 \h 22
1 - Objectifs RENVOIPAGE _Toc10029631 \h 22
2 - Grandes lignes du dispositif RENVOIPAGE _Toc10029632 \h 22
4. Analyse de séquences pédagogiques RENVOIPAGE _Toc10029633 \h 25
1 - Compte-rendu RENVOIPAGE _Toc10029634 \h 25
2 - Commentaire et bilan RENVOIPAGE _Toc10029635 \h 27
CONCLUSION RENVOIPAGE _Toc10029636 \h 30
BIBLIOGRAPHIE RENVOIPAGE _Toc10029637 \h 31
ANNEXES RENVOIPAGE _Toc10029638 \h 32
INTRODUCTION
Jai enseigné durant de nombreuses années en maternelle ainsi quen cours préparatoire et élémentaire, classes dans lesquelles jai toujours eu le souci de donner à mes élèves le goût et lenvie décrire. Il ma fallu inventer et expérimenter différentes modalités afin de voir si lentrée dans lécrit se faisait ou non et de quelle manière. Jai mis en place divers fonctionnements tout au long de ces années pour finalement opter pour une organisation en ateliers décriture. Cela semblait répondre aux demandes et aux désirs des enfants ainsi quaux miens, tout en nous permettant datteindre des objectifs dapprentissage. Nous pouvions enfin, à lécole, écrire dans la joie et la bonne humeur! Ne plus être déformés par les habitudes de lécriture scolaire et découvrir le plaisir des mots !
Je participe moi-même à des ateliers décriture dans une association et anime parfois des ateliers avec des adultes et avec des amis. Écrire est pour moi comme une « respiration », une démarche indispensable qui mapporte plaisir, harmonie et équilibre. Je suis aussi une lectrice enthousiaste et gourmande, la lecture constitue un de mes loisirs favoris. Jaime parler des livres, et je me suis toujours sentie concernée en tant que personne et en tant quenseignante par laccès à la culture écrite des enfants, persuadée que, dans ce domaine, javais une passion à partager, un rôle à jouer. Celui de permettre la rencontre en donnant à voir un adulte qui vit et porte cet élan : un enseignant qui écrit a le désir de faire accéder ses élèves à lécriture.
Dune façon générale, lapprentissage de lécriture est lacquisition du langage écrit comme moyen dexpression et de communication. L'écrit est la marque d'un engagement qui permet de faire mémoire, de rendre visible une parole, ou encore de laisser une trace, de marquer une émotion, un passage. Lêtre humain est avant tout un être de langage et lécrit est un élément constitutif de la personnalité.
Les fonctions de lécriture sont multiples : publique, privée, éphémère, éternelle, profane, sacrée ou ludique. L'omniprésence de l'écriture est une des caractéristiques des sociétés modernes et elle manifeste son pouvoir dans le moindre aspect de notre vie quotidienne. Il n'y a pas d'évolution importante qui ne se traduise par un document écrit. Chaque activité complexe donne lieu à une trace écrite. Cest pourquoi, laccès à lécriture me paraît être un enjeu important et incontournable dans nos sociétés.
Savoir écrire compte au nombre des compétences indispensables, et cet apprentissage est une des fonctions premières de l'institution scolaire. Lécole doit offrir à ses élèves une entrée dans la culture écrite, riche , variée et passionnante.
Je pense quil est important dinscrire lacte scriptural dans une nécessité pédagogique et dans une dimension culturelle et que lécriture ne doit pas être considérée comme un don réservé à une élite.
Je me suis demandée comment, avec des enfants en I.M.P, dépasser la différence et lempêchement technique afin de leur permettre décrire et de construire leur pensée.
Les enfants déficients mentaux peuvent-ils trouver dans et par lécriture un chemin vers leur pensée ?
Écrire avec des enfants déficients, est-ce possible ou impossible ?
Quels sont alors les enjeux de lécriture ?
Comment favoriser le « vouloir écrire », les mettre en appétit décrire ?
Comment les inciter à écrire et surtout leur faire découvrir le plaisir de jouer avec les mots ?
Les jeux décriture, avec contraintes et consignes, peuvent-ils leur permettre dentrer dans lécrit et dy trouver un espace dapprentissage, de plaisir, et de construction de la pensée?
I/ ÉCRIRE
A. Pourquoi écrire ?
1. Écrire pour se souvenir
Lambiguïté du terme repose sur le fait quécrire désigne à la fois :
un processus cognitif, une production de sens, le texte
un processus moteur : la graphie, manière de former les lettres que lon appelle calligraphie
Ces deux processus peuvent dailleurs être dissociés car on peut aligner des signes sans que cela ait du sens et on peut aussi enregistrer par dautres moyens que lécriture un texte signifiant. Lécriture a deux fonctions principales :
une fonction de conservation : elle joue un rôle dans le commerce pour faciliter les échanges économiques et garder la trace de ceux-ci, dans la religion avec les inscriptions votives destinées à perpétuer le souvenir des rois, ou les grands textes religieux que les scribes fixèrent sur largile comme pour se relier à la genèse du monde, dans lexercice du pouvoir avec linscription et la transmission des lois dans des grands états.
Cest une conception utilitaire, religieuse et politique.
une fonction de transmission : elle joue un rôle dans la culture comme sauvegarde de la mémoire humaine, des faits et des légendes, cest une conception artistique et créatrice.
Dans une perspective de communication, savoir écrire est une compétence scripturale qui requiert trois composantes :
des éléments de savoir linguistique, sémiotique, sociologique et pragmatique.
des savoir-faire : textuels et graphiques.
des motivations et des représentations qui sont constituées de sentiments antinomiques dattraction et de répulsion entre lexpression de soi et lexposition à autrui, de refuge, ou disolement, de volonté de se distinguer ou de banalisation.
Un tel apprentissage ne saurait être réduit à celui de lacte graphique, il sagit bien de deux apprentissages distincts et différents :
celui de lacte graphique qui est un apprentissage dordre psychomoteur
celui de lénonciation écrite qui nécessite laccès à une fonction psychique supérieure et particulière.
Lécriture, sera ici, considérée comme une activité linguistique en elle même et non comme une activité subsidiaire de la lecture, de la copie ou de lexercice graphique. Cette réflexion sera axé sur lactivité décrivant et non sur celle du calligraphe, ni sur lécriture envisagée comme un processus dapprentissage orthographique.
La trace
Lécriture est née voilà 5000 ans pour faire des comptes et établir des listes. Aujourdhui, elle est devenue une manière de penser, de créer, dêtre.
Elle est une pratique par laquelle le sujet laisse des traces de ce quil inscrit, sinscrivant lui-même dans une situation. Elle mobilise autant quelle révèle car elle permet de se dire, de dévoiler ses sentiments, ses désirs. Il y a un pouvoir à semparer de lécriture pour exprimer sa singularité et avoir le désir de le faire : la révélation de soi dans son identité est source de développement et de fascination.
Pour J. Goody, lécriture permet de faire franchir les frontières du temps et de lespace à une pensée. Cest un instrument extrêmement efficace de communication.
Lactivité décrire est modificatrice de lobjet, elle laisse des traces, et il y a donc un produit de lactivité : on voit ce que lon a fait sur le papier, que ce soit à la main ou avec loutil informatique. La nature visuelle de lécriture lui confère une matérialité qui permet, peut-être de lappréhender plus aisément que loral. La trace va établir des liens entre. Lécriture va servir à révéler des expériences réelles ou imaginaires, elle ouvre la communication et précise ce que les mots prononcés disent trop vite.
Elle créé de la permanence, du souvenir mais aussi de la mise à distance. Or, la mise à distance est à la fois un effet et une contrainte.
Toute production écrite implique en effet, une prise de distance par rapport aux contenus et en même temps, contribue à cette prise de distance :
parce quécrire cest produire un objet, une trace matérielle cest à dire donner à voir cet objet à soi-même et aux autres
et parce que créer et gérer de la distance nécessite un contrôle intérieur, ce qui fait la spécificité de lécriture.
Le pouvoir de lécriture ne réside pas seulement dans le fait quelle est un outil mnémonique mais aussi dans le fait quelle permet de regarder ce que nous avons pu dire ou penser dun oeil nouveau.
Elle se définit presque comme une épistémologie de soi.
Le travail de mémoire
Lécriture est un outil de mémoire, et pourtant les traces de ses origines nous restent paradoxalement, encore largement inaccessibles.
Pline lAncien lavait soupçonné : Lhistoire de lhumanité repose sur le papyrus.
Le premier usage de l'écriture était bien denregistrer quelque chose grâce à quoi on peut sassurer de la fidélité de la mémoire. Lécriture est un outil intellectuel qui permet daugmenter la mémoire et de favoriser lélaboration dune réflexion abstraite et complexe.
Lorsque lon peut écrire on cesse de dépendre de la mémorisation car on peut préserver par écrit ce qui a été vécu, dit, pensé. Elle rend possible la constitution dun stock par lenregistrement. Toute une tradition savante a pu exister et se développer grâce à lécriture et avec linvention de limprimerie. Elle est bien plus quun prolongement de lécriture manuelle, elle constitue une véritable révolution dans notre histoire. Écrire fixe et rend visible les gestes et les trouvailles dune pensée qui sinon aurait sombré dans loubli.
Lécriture semble être plus durable et plus fiable que la parole dite. L écriture est une mémoire de ce qui a été pensé, un témoignage et une trace de ce que jétais, ce que je suis.
Ainsi, elle témoigne de mon existence actuelle, elle sera la mémoire de mon passé et elle peut être lexpression de mes désirs pour lavenir. Elle donne à lhomme une mémoire sans limites dans lespace et dans le temps.
La permanence de lécrit en fait un objet non déformable. Ce qui est inscrit ne change pas si lauteur nen fait pas la démarche. Lécrit est cependant modifiable, on peut reprendre son texte, le réécrire, le retravailler. Ainsi, on favorise peut-être daccueillir plus facilement le changement, puis daccepter que tout ne soit pas figé, sans que cela génère de langoisse ou une angoisse supportable. Le texte est à la fois immuable et en évolution .
2. Écrire pour penser
Lécriture est un mode de pensée. Être un être humain, cest penser. En pensant à des choses, nous les rendons présentes à lesprit par des images, par des mots. Lorsque nous pensons, nous représentons le monde par lesprit. Nos états mentaux sont des représentations.
On ne peut pas partager ce à quoi lon pense mais on peut en partager la pensée grâce au langage. Une particularité de la pensée humaine, cest la possibilité de représenter quelque chose par autre chose notamment par le langage, ce que lon appelle la fonction sémiotique.
Lapprentissage se fait par intériorisation progressive grâce au langage intérieur dans un processus de transformation des structures mentales. Apprendre cest comprendre, cest-à-dire donner un sens à une situation. Cest acquérir des informations et des capacités, intégrer des schèmes nouveaux à sa structure cognitive dans un mouvement entre savoirs et représentations.
Cest modifier ces représentations.
Le travail décriture en mobilisant la pensée est un moyen de construction des connaissances. Penser cest effectuer une opération sur une image mentale. Cest lacte de pensée de base. On peut mettre en mots cette pensée pour soi, puis lécrire pour la communiquer aux autres. On peut aussi communiquer avec lautre puis écrire sa pensée. Ainsi lécriture permet daccéder à sa pensée mais aussi sans doute, de la rendre cohérente, de la clarifier et dordonner ses idées, justement parce quelle oblige à un travail de réflexion.
Lécriture est un lieu d'analyse, de travail, de la pensée et de la langue : le lieu de la pensée abstraite. En effet, elle implique une démarche d'abstraction : les mots ne sont pas des choses, ils les représentent. Elle nest pas un « écho graphique » de la parole mais un système de représentations des idées, un outil symbolique qui permet une activité de communication. Lécriture hiéroglyphique était un système de signes indépendant de la parole qui reposait sur le principe de la métaphore. Les scribes apprenaient à manipuler des signes et des idées, ils classaient les objets, réfléchissaient sur les catégories.
Or, ce qui oblige à une classification suscite une réflexion théorique. Cest la raison pour laquelle de nombreux auteurs pensent que l'écriture a impulsé un bond intellectuel dans l'histoire de l'humanité. Lessentiel des discours philosophiques était élaboré sous une forme orale mais linvention de l'écriture fut une des conditions du développement des sciences et de la culture théorique. La civilisation de l'écrit s'impose ensuite avec l'imprimerie.
La communication par l'il et la main engendre des possibilités cognitives nouvelles par rapport à celles quoffre la communication par la voix.
Le texte écrit fonctionne comme un dépositaire des concepts, il permet de les « enregistrer » , de les conserver, de les sélectionner et les organiser en fonction de leur importance et de leur pertinence, de découvrir de nouveaux liens entre eux, puis de comparer le texte écrit avec ce qui a été pensé. La relecture du texte permet de prendre conscience de lécart entre ce que le scripteur voulait dire et le texte produit. Cest donc une activité différente de la parole car elle donne lieu à des activités de relecture et de réécriture : cest laspect circulaire et récursif de lacte décrire. Les activités décriture sont au centre des processus constructeurs de la pensée : repérer les erreurs, reformuler, retravailler le texte verra naître une production plus ou moins aboutie et une pensée plus claire.
Depuis Aristote, nous sommes persuadés que l'écriture est un outil graphique destiné à transcrire la parole. Or les systèmes d'écriture nont pas été inventés pour représenter la parole mais pour communiquer de l'information, pour se souvenir, pour représenter des événements et parce qu'ils sont lus, ils offrent un modèle à la fois à la langue et à la pensée.
Lécriture fait accéder à la conscience certains aspects du langage parmi lesquels les mots. Inventer un système décriture cest découvrir quelque chose dans la parole, apprendre à lire cest aussi découvrir quelque chose dans la parole d'autrui. Ainsi, lécriture modifie la nature même de la communication orale. Le texte écrit est par lui-même générateur dune conscience plus aiguë de la langue, des structures du langage tant syntaxiques ou grammaticales que sémantiques. L'écriture accroît les possibilités de jeu sur les éléments de la langue, sur les lettres mais surtout sur les mots, elle permet la « dissection » de la parole. La linguistique nexisterait pas sans l'écriture. La naissance de lécriture saccompagne dune transformation de la parole : on ne pense plus de la même façon dans une langue écrite. Elle a une importance décisive non seulement parce quelle conserve la parole dans le temps et dans l'espace mais aussi parce quelle transforme le langage parlé. Parce que lécriture implique une mise à distance temporelle et spatiale des individus qui communiquent, son utilisation comme outil de communication nécessite de la part du scripteur un effort dexplicitation. Elle suppose aussi l'absence d'un interlocuteur, nous sommes dans une situation de monologue, situation tout à fait différente du dialogue oral. Selon le courant de la psychologie cognitive, lécrit est à la fois outil et objet de communication, un véritable outil dapprentissage qui modifie et enrichit létat de représentations des connaissances initiales dun domaine du monde.
J.Goody étudie les listes et les liens entre culture orale et écrite. Pour lui, la liste n'est pas quun banal moyen de mémorisation, elle oblige à une classification donc à une réflexion théorique. Elle est une activité cognitive. Pour Goody, l'écriture est réflexive, quand on rédige, cela oblige à faire des phrases, reformuler des idées, choisir ses mots. La page offre un espace pour penser, la dimension spatiale du texte écrit est différente du discours linéaire. Elle permet de lier plusieurs concepts en même temps et ce niveau dorganisation est spécifique à lécrit.
Lécriture offre la possibilité de reclasser l'information, de légitimer ces transformations aux yeux des lecteurs, elle transforme les représentations du monde.
La compréhension du « pour qui » et du« pourquoi » de lécriture est une condition fondamentale de lapprentissage. Cela permet d'envisager dabord lécriture comme un outil puis comme un savoir. Il est important de réfléchir à lécole sur les modalités dacquisition de lécrit : quel est linfluence de lécrit sur les processus cognitifs constructeurs de la connaissance ? Pourquoi serait -il nécessaire de savoir écrire pour commencer à écrire ? N'est-ce pas en écrivant que lon apprend à écrire? Quand on apprend par laction, laction elle-même est source de connaissances (comment apprendre à nager en restant sur le bord dune piscine ?) Daprès Freinet, cest bien en marchant que le jeune enfant apprend à marcher, en parlant quil apprend à parler. Il progresse dans un processus universel de tâtonnement expérimental.
Lenfant va commencer à apprendre en étant amené à manipuler lécriture, à jouer avec les mots. Il va acquérir petit à petit une conscience de la langue car, quand la langue est écrite, on commence à s'occuper d'elle en tant que telle. Les mots sont distingués du contenu ce qui encourage à distinguer consciemment support, forme, contenu et intention. Ainsi le passage à lécrit peut mener à la conscience de soi et donner naissance à la notion d'idée, favorisant lexplicitation des connaissances que le scripteur découvre une fois celles-ci écrites. Écrire permet à lindividu de savoir« ce quil a dans la tête » et en cela,« le travail décriture construit de la pensée».
Écrire, ça ne sert pas quà copier, pratique courante des enfants doù cette croyance. Écrire, ce nest pas recopier, ni transcrire en dictée ou «faire du graphisme», écrire peut être bien autre chose auquel il faut leur donner accès. L'écriture donne une liberté d'expression par rapport à nos propres pensées, à notre discours silencieux et développe certaines manières de poser et de résoudre des problèmes.
Écrire, ça sert à se souvenir, à apprendre, à communiquer à lautre, à mettre à distance, à se faire plaisir.
3.Ecrire pour jouer
La consigne détermine ou plusieurs aspects du texte à écrire, elle permet de progresser dune tâche à lautre. Le cadre, la structure est une aide. Jouer avec les mots est une façon de se les approprier, une manière de trouver le plaisir à inventer, à créer. La contrainte motive, fournit une règle et une unité, libère la parole et permet léchange.
« Au fond, je me donne des règles pour être totalement libre » écrivait G.Perec.
Il faut parler, faire et laisser parler, communiquer pour instaurer un travail autour de la langue à partir du jeu et des mots. Il y a confrontation entre le sujet et lécrit : la langue, ses exigences et ses contraintes.
Parce quapprendre cest introduire des éléments nouveaux, cest passer par une succession de ruptures qui oblige à trouver un état déquilibre, toute situation dapprentissage est une situation angoissante. On rencontre toujours un moment de déséquilibre doù limportance dun cadre contenant. Ainsi quelque chose pourra peut-être se construire. La cadre permet de rompre avec le caractère anxiogène de lécriture. Il aide à supporter, à gérer langoisse et permet détablir un lien avec le monde extérieur : «je prends de ce texte, de cette consigne, jen fais quelque chose qui mappartient ». Lenfant, envahi par des émotions éparses, désorganisées a besoin quelles soient contenues. Le cadre établit un espace commun où lenseignant et lélève se rencontrent et agissent. Il canalise lexpression dans des formes définies et engendre un état de sécurité où saffirme le sentiment dexister. Les consignes jouent un double rôle en suscitant lexpression de soi, la rendant moins anxiogène et la régularisant. Elles contribuent à construire « une enveloppe à deux faces » lune tournée vers le dedans et contenant les affects, lautre vers le dehors et servant de support à la relation à lautre.
« Une pédagogie ne saurait atteindre son but sans à la fois libérer et contraindre. »
Que mettre en uvre pour cadrer ?
Un cadre temporel dabord, nous écrivons tous les vendredis entre 9h et 10h30 : cest le moment de latelier décriture. Le cadre pédagogique, fourni par les règles et consignes décriture, sert donc de contenant, de structure, et il apporte des éléments de sécurité, des points daccroche. La contrainte est une aide à la créativité.
Les inducteurs décriture constituent un cadre qui répond à un besoin détayage, cest-à-dire qui propose un appui, une activité de structuration psychique et cognitive. On nécrit pas à partir de rien, sur commande, sans préalable, ni contexte, sans lenvie de le faire, sans stimulation à cette envie. Il sagit de travailler les types de textes où prédomine la présence du sujet, et où peut alors sétablir une situation créative.
La consigne est comme un déclic qui favorise le passage à lacte décrire dans le jeu et le plaisir. Elle peut permettre une approche vivante de la langue et un déblocage par rapport à celle ci. La consigne va« pallier langoisse de la page blanche », atténuer les réticences et les angoisses vis-à-vis de lécriture. Elle offre un contact ludique avec lécriture en montrant que lon peut manipuler les mots comme les couleurs.
Le meneur de jeu invente et suscite des situations créatives en proposant des supports matériels suggestifs, un soutien temporaire et évolutif (la consigne), laquelle induit une structure dexécution et en précise les limites. A ces trois stimulations : meneur de jeu, supports matériels, consignes, sajoute le mode de réalisation collectif et individuel, lun complétant lautre.
Dans lécriture de soi, un sujet parle aux autres et donne à voir une production reconnue par les autres, ce qui peut induire une revalorisation narcissique.
La difficulté est de cerner et de laisser émerger quelque chose : ce que lon a envie décrire.
Le rôle de ladulte sera daider à utiliser les normes du code de communication quest lécrit et de favoriser louverture à une parole personnelle pour que les élèves approchent une écriture expressive et créatrice. Les consignes, le guidage avec des objectifs définis vont favoriser lentrée dans lécriture et générer de la liberté, de la confiance et des apprentissages.
Le but des jeux est de faire surgir du texte, de faciliter la mise à lacte décrire.
Lécriture est à la fois la chose la plus légère, la plus drôle, et la plus sérieuse, on va « se mettre en jeu » et faire le choix dun certain nombre de règles. On joue pour comprendre, pour être soi, pour produire du sens. Le plaisir à inventer, à créer, à découvrir, à écrire génère souvent de la liberté, de lénergie, de la confiance en soi et du changement.
Cest un moyen de mettre fin à tout ce qui est dévalorisation de soi et à la croyance que lon narrive pas à écrire. Il sagit dinstaurer un nouveau rapport entre lélève et son écriture, quelle ne lui soit plus une chose étrangère qui lui échappe mais quil se lapproprie et se sente effectivement auteur.
Ainsi vivre lacte décrire non plus comme une source deffort, voire de souffrance mais bien comme une source de plaisir.
Linteraction de la lecture et de lécriture peut aider lenfant à construire sa relation personnelle à la chose écrite. Le jeu décriture permet de banaliser, de poser des limites, détablir des repères et met dans une relation positive déchanges et dintégration : chaque texte est accepté comme une émanation de la personne. Il se produit une réconciliation avec soi, on accepte ce qui est, lexpression est autorisée, lempêchement antérieur est mis de côté et dépassé, langoisse partiellement surmontée.
La lecture est un partage qui fait quun groupe se constitue, existe, et permette une rencontre. Dans la confrontation aux autres, on découvre qui nous sommes. Les textes sont accueillis et intégrés dans une production sociale du groupe classe où ils trouvent leur place et leur justification. Ceci fonde et justifie les exigences de la mise en forme.
Ces jeux proposent du matériel à partir duquel on peut écrire, encouragent à écrire librement et changent positivement la relation que chacun a avec lacte décrire.
On écrit en se parlant et en laissant se faire le choix au fur et à mesure, sans se laisser effrayer par les abandons, les reprises qui accompagnent toute parole en se donnant la possibilité dêtre à lécoute de soi. Limportance du plaisir ressenti en écrivant est primordial.
Jacques Prévert disait : « Toute ma vie jai joué avec les mots. Ceux de tous les jours et de tout le monde, les bons et les moins bons,... Je les ai attrapés au vol et tirés au sort. Je les ai mélangés dans tous les sens et dans tout leur sens. Je me suis bien amusé... ».
Si les enfants éprouvent du plaisir lors des ateliers décriture, leur entrée dans lécrit sera gagnée.
Le jeu sous-entend la notion de plaisir. Par ces jeux, les enfants connaîtront le plaisir de créer, dexprimer des sensations, des émotions, et ceci par les mots, par lécriture.
Pourtant, il sagit bien dun travail pour lequel les élèves auront des efforts à fournir. Les contraintes de départ sont juste des outils, des clés décriture.
Les jeux de plagiat, de pastiche, pour se familiariser avec certaines règles de lécriture, se rassurer, simprégner des différentes possibilités et richesses de la langue, permettront de « sapproprier » des auteurs pour entrer dans la littérature, dans la culture, et de trouver ensuite son propre style. C'est un trésor à la disposition de chacun, un « braconnage » qui fait partie de toute création.
Lorsque nous écrivons, nous sommes toujours en relation avec dautres textes. Les textes et albums présentés, lus et travaillés en groupe, vont fournir un appui et une motivation pour commencer à écrire.
Ce sont des références, des répertoires pour le lexique, et l'organisation du texte. Ils fournissent des éléments de connaissances relatives à lécrit et à la culture écrite. Les enfants peuvent y puiser ce dont ils ont envie ou besoin. Dautre part, ils participent à la prise de conscience que lécrit est un moyen de représentation de la réalité et quil donne la possibilité dévoquer des faits qui ne sont pas directement liés au contexte immédiat de la communication.
Il est rassurant et gratifiant de produire quelque chose. Il faut prouver aux enfants quils sont capables de le faire pour quils en aient envie et peut-être par la suite, besoin.
Les jeux décriture procurent du plaisir et poussent à la mise en relation, ils favorisent lémergence de sa propre écriture, unique, incomparable, comme lest chaque personne vis-à-vis de toutes les autres.
B/ Déficience intellectuelle et langue écrite
Le langage est un « contenant de la pensée ».
Les contenants de pensée peuvent se définir comme « lintériorisation de lensemble des expériences physiques et psychiques qui permettent à un sujet dacquérir une représentation de lui unifiée spatialement, temporellement, émotionnellement, cognitivement. »
Gibello souligne que le langage permet de représenter avec un système de signifiants des contenus de pensée pour soi et de les partager avec lautre.
Chez ces enfants, le fonctionnement des contenants de pensée est altéré. Ils rencontrent des difficultés délaboration de la pensée, des troubles de lintelligence et des processus cognitifs, et de l'apprentissage de la lecture et de lécriture. Le retard mental est caractérisé par la lenteur du développement cognitif par la croyance dune incapacité à faire même dans des domaines quils peuvent aborder. L« insuffisance » mentale se caractérise par la pauvreté des idées et la brièveté des liens associatifs ainsi que la faiblesse à les combiner et au manque doriginalité du sujet. La pensée décontenancée est une pensée dont le champ se rétrécit, investie de répétitions stériles où la créativité a disparu. Cest une pensée qui semble avoir perdu sa capacité à donner du sens à des représentations psychiques, elle parait arrêtée dans son dynamisme par une relation dinconnu , daliénation. Lexercer est devenu une souffrance et non un plaisir. On se trouve face à un « méli-mélo » cognitif où se juxtaposent des modes de pensées différents et dont la conséquence est bien souvent un renoncement aux activités intellectuelles. La mémoire, la curiosité, la compréhension sexercent à dautres niveaux. La dévalorisation par le sujet lui même des compétences personnelles produit des effets sur les réalisations.
Lentrée dans lécriture peut-elle permettre à ces enfants de trouver de la joie à exercer leur pensée?
Leffet de distanciation qui se crée entre lécrit et le scripteur va permettre à la fois de mettre à distance et davoir prise sur le texte, et aussi un travail dintériorisation : à la manipulation dobjets présents se substitue la manipulation mentale dobjets absents. Ceci favorise la tolérance à labsence. Le sujet devient plus conscient de lui-même, se reconnaissant comme sujet cognitif par la prise de conscience de ses images mentales, de ses procédures, de ses démarches. Cela lui permet daméliorer ses performances, lui (re)donne la certitude de sa propre pensée.
La production écrite est un moyen de développement de limage de soi et délaboration des contenants de pensée cognitifs.
La page est là pour renforcer la faiblesse des contenants intérieurs par des contenants extérieurs, textuels.
La pédagogie de lécrit peut permettre une évolution de la pensée en fournissant la possibilité de donner un sens à des contenus de pensée qui nen avaient pas ou qui avaient des significations angoissantes et agit comme un facteur de motivation et dinvestissement des activités pédagogiques proposées. Lécriture personnelle rend possible larticulation entre les exigences éducatives et le monde intérieur de la personne cest-à-dire une articulation entre réalité externe et interne.
Vygotsky a montré que l'écriture transforme le langage en objet de réflexion et d'analyse. Il conçoit lactivité scripturale comme « une fonction psychique supérieure ». La pensée humaine se développe à partir de lacquisition linguistique, et le langage acquiert dans certaines situations et à certains moments une fonction de résolution de problèmes. Cette fonction quil appelle le langage intérieur, intervient dans le passage à lécrit. Le langage intérieur résulte de toutes les interactions provenant de lenvironnement de lenfant. Il permet en permanence dessayer notre pensée, cest-à-dire délaborer des discours, démettre des hypothèses. La maîtrise du langage, parce qu'elle facilite les manifestations de l'intelligence, est une des conditions nécessaires à l'exercice des fonctions cognitivo-intellectuelles. Et sil y a perte du langage intérieur le fonctionnement cognitif est empêché.
Le fait décrire ferait-il donc du langage un objet de conscience ?
Freud souligne limportance du langage dans le développement de la pensée, elle devient consciente par le langage : cest la pensée verbalisée qui entraîne ce changement de forme. Et pouvoir lui donner un « statut dobjet », accroît les possibilités de connaissance. Le passage à la langue écrite permet de maîtriser sa pensée. Par lécrit, lenfant fait entrer sa parole dans un ordre de réalité qui modifie le rapport quil avait jusque là entre lui-même, le langage et le monde extérieur. Elle lui donne la possibilité dêtre à lécoute de lui-même et laide à se construire des outils de pensée.
Bion a travaillé sur la question de la pensée et du langage. Le langage est éminemment articulé à la pensée. Penser, cest penser le monde et se penser dans le monde, cest renoncer à la substance de lobjet (le signifiant fait perdre la chose). Cest passer d'une pensée sur les choses à une pensée sur les représentations des choses, cest-à-dire à une pensée sur la pensée. Il développe lidée selon laquelle lêtre humain se constitue à partir de lacceptation de la perte. Se représenter lobjet, cest sen séparer. La représentation de lobjet équivaut à percevoir que lon peut prendre de la distance à son égard.
En produisant un écrit, attesté par la trace, on offre une possibilité de penser la perte, une perte sur laquelle on va pouvoir ré-élaborer en écrivant de nouveau. On offre des accès aux souvenirs, à la remémoration.
Lécole joue un rôle important dans lorigine des représentations et contribue à modeler le rapport à lécrit. Or, bien souvent à lécole, lécriture est réduite à une technique de transcription dune pensée élaborée en dehors delle. Alors que lécriture est dabord un objet de pensée qui exige une activité cognitive importante. Ce travail vise à pouvoir commencer à élaborer de la pensée par lécriture. Grâce à lécriture personnelle, celle du « je », on va créer une voie privilégiée pour articuler les exigences cognitives envers lélève et le monde intérieur du sujet.
« Lécriture ne fixe pas seulement un contenu préexistant, elle instaure quelque chose de neuf » car écrire donne la possibilité de penser autrement, et dacquérir la certitude de sa propre pensée. Si lenfant prend conscience quil a des images mentales qui sont communicables, et que lenseignant est présent, non pour penser à sa place mais pour laider à le faire, il sautorise enfin à penser : limage de soi se restaure. Lécriture va permettre aux enfants de se relier à eux-mêmes. Elle permet à des liens de se tisser. Toute pensée pose le problème du lien, de lobligation à conserver simultanément deux pensées en se détournant de lune tout en conservant lautre.
Pour produire un texte, il faut se mobiliser, et accepter la prise de risque que représente tout écrit. Chaque mot est un symbole qui va déclencher un imaginaire puis des émotions, cest-à-dire un mouvement de lindividu. Lobjectif est bien de créer ce mouvement chez lenfant qui va le faire bouger au niveau de son intellect. Il va falloir pour cela inventer et créer des ruptures.
Écrire a une valeur. Cela reflète ce que vous avez envie de dire, qui vous êtes, et que cela intéresse les autres en tant que pratique par laquelle le sujet laisse des traces quil inscrit, sinscrivant lui-même dans une situation. Le fait de disposer dune pensée verbalisée et qui peut s'inscrire sur le papier, ouvre à lexpérience de lautre, à lhistoire et à la pensée des autres. On prend alors conscience du regard de l'autre, de la construction dune image de soi à travers ce regard. Lécrit contribue à lélaboration de la conscience de soi.
La conscience de soi qui est la connaissance intuitive que chacun possède de son existence et de ce qui se passe en lui, de ses pensées, de ses actes, sédifie progressivement par différenciation davec le monde extérieur, essentiellement par la relation à autrui.
Elle se construit à partir de limage que nous avons des conduites des membres de lentourage à notre égard.
La mise en mots par écrit va permettre de redonner de la« puissance » à des enfants qui nen ont pas ou peu. Malgré la difficulté à « se dire » avec des mots pour ces enfants là, ce sont justement les inducteurs décriture qui pourraient faciliter cette démarche et offrir ce pouvoir sur soi. Ils constitueraient un moyen de connaissance et favoriseraient une conquête sur une expression jusque-là empêchée.
Le langage intérieur, puis le passage à lécriture jouent un rôle dans lélucidation de notre propre pensée, cette énonciation va éclairer sur « lêtre » parce que parler de soi, dire quelque chose de soi et essayer de se définir est un geste danamnèse, une démarche structurante. Le rapport à soi et le rapport à lécrit fonctionne de pair.
II -ÉCRIRE A LIMP
1 .Le cadre institutionnel
1 - La Structure :
Ce travail sest déroulé dans un Institut Médico Professionnel (I.M.P.) à Paris dans le ..ème arrondissement. LI.M.P. .......... est un établissement spécialisé géré depuis 1974 par lAssociation Pour Adultes et Jeunes Handicapés (lA.P.A.J.H., Comité de Paris). Cette association a signé deux conventions :
* avec lÉducation Nationale, dans le cadre de la loi de Juin 1975, qui met à disposition un directeur dÉtablissement Spécialisé et cinq enseignants spécialisés,
* avec le Ministère des Affaires Sociales (D.D.A.S.S.).
Létablissement peut accueillir des enfants relevant du régime général de la Sécurité Sociale ou de lAide Sociale à lEnfance. Ses objectifs se définissent dans la prise en charge de tout enfant et adolescent handicapé dans le but dassurer à chacun les mêmes droits quaux autres citoyens.
2 - Les enfants
LI.M.P accueille cette année quarante enfants parisiens des deux sexes âgés de trois à seize ans. Ils présentent différents handicaps : trisomie, syndrome dX fragile, épilepsie stabilisée, déficiences mentales moyenne et profonde avec troubles associés sensoriels , troubles de la personnalité dans le domaine relationnel et affectif. Les enfants qui en ont besoin bénéficient de techniques de rééducation : orthophonie, kinésithérapie et psychomotricité.
Certains dentre eux ont été scolarisés en école maternelle ou en C.L.I.S. avant dêtre admis à lI.M.P. Le temps moyen passé à ........... est de dix ans. Après décision, la famille est reçue par léquipe, un stage est organisé et la directrice propose ladmission de lenfant à la C.D.E.S. qui statuera. La famille est alors informée du projet pédagogique, éducatif et thérapeutique individuel.
La prise en charge vise à aider lenfant à développer ses capacités intellectuelles, physiques et affectives, à acquérir une indépendance pour quil puisse sintégrer à la vie scolaire et aux différentes situations rencontrées dans la vie quotidienne. Elle est adaptée aux possibilités de lenfant et de sa famille. Chaque année, tous les enfants de létablissement partent en transfert pendant des durées variables.
3 - Organisation des différentes sections :
Les enfants sont répartis dans neuf groupes, en fonction de lâge, de critères psycho-pédagogiques qui respectent la personnalité de chacun et les pathologies des enfants. Cette année, les groupes sont organisés en trois différentes sections daccueil :
* Une section déducation précoce et denseignement préélémentaire pour dix enfants de trois à six ans dont le projet est daider lenfant à découvrir les possibilités de son corps et à éveiller son intérêt pour le monde environnant.
* Une section déducation et denseignement préélémentaire et élémentaire pour vingt enfants de six à dix ans. Elle renforce les objectifs de la première, favorise les apprentissages éducatifs et scolaires et les acquisitions cognitives pour les jeunes ayant le degré de maturité leur permettant.
* Une section dadaptation à linsertion sociale et denseignement pour dix adolescents de douze à seize ans. Il sagit de faciliter la vie sociale : intégration, préparation à la vie professionnelle, apprentissage de réactions adaptées à des situations de danger ou de stress.
A la fin de chaque cycle, ladmission dans la section suivante fait lobjet dune réunion au cours de laquelle le projet pédagogique, éducatif et thérapeutique individuel est revu et discuté avec la famille dans lintérêt de lenfant. La pédagogie dans lI.M.P. est très individualisée dans une dynamique de petit groupe. Dautre part, les enfants déjeunent tous les midis à lI.M.P. avec leurs référents. Au moment des repas, un travail éducatif et pédagogique est mis en place. Ses objectifs sont lapprentissage des règles de politesse et de respect des autres, « travail » qui débute dès le matin au moment de laccueil.
4 - Léquipe
LI.M.P est doté dun personnel administratif, médical, éducatif et denseignement.
* un personnel administratif comprenant la directrice et deux secrétaires, un personnel de service, trois agents hôteliers, une gardienne.
* un personnel médical et paramédical : un médecin psychiatre, une psychologue, une infirmière, une psychomotricienne, deux orthophonistes, un kinésithérapeute et une assistante sociale.
* un personnel éducatif et denseignement : cinq professeurs des Écoles spécialisés (Éducation Nationale), trois professeurs de la Ville de Paris pour les arts plastiques, la musique et léducation physique et sportive, quatre éducateurs, un moniteur éducateur, un animateur socio-éducatif sportif, un aide éducateur emploi jeune.
Chaque mardi, une réunion de synthèse est organisée avec les différents intervenants pour discuter et réviser les différents projets, réunion déquipe qui permet de faire le point
Jai éprouvé beaucoup de plaisir à me rendre à lI.M.P. tous les vendredis où règne une atmosphère de respect, de tolérance et de gaieté. Jai été très surprise et séduite par les enfants qui adoptaient des comportements de politesse et de gentillesse très spontanés.
2- Présentation du groupe denfants
1 - Globale
Lenseignante qui maccueille en stage le vendredi a en charge un groupe de cinq enfants de dix à douze ans. Elle en est la référente. La salle de classe est agréable et lumineuse, on y perçoit une atmosphère vivante de travail. Au centre de la classe, des tables sont disposées en rectangle. Les enfants sy regroupent afin déchanger et de travailler tout au long de la journée, lenseignante et moi-même y avons notre place. Elle est organisée en différents espaces afin que les élèves puissent sy répartir selon leurs activités et leurs besoins : coin bibliothèque, jeux et informatique. Sur un mur de la classe, un grand miroir leur permet de voir leur corps dans son entier.
Des affiches décorent les murs de manière artistique et plaisante ainsi que des textes. Ils constituent la mémoire et la référence des élèves : poèmes appris, textes lus, sorties effectuées. Sur un grand tableau sinscrivent des informations et consignes pour le groupe.
Les enfants sont manifestement à laise dans ce cadre de travail, ils y ont leurs repères et font preuve dindépendance. Ils possèdent des habitudes de vie collective et des rituels.
Quand je leur ai parlé de mon projet, ils se sont montrés curieux et plutôt attentifs.
Ils semblent ouverts à ma proposition de travail avec eux. Ils réagissent avec beaucoup de gentillesse et de bonne volonté. Les élèves de cette classe présentent différents troubles et déficits :
des troubles intellectuels : anomalies de la mémorisation, instabilité de lattention, troubles du langage écrit et parlé et de la symbolisation,
des troubles de la relation à lautre et des troubles de lautonomie,
des troubles sensoriels, maladresse gestuelle et posturale, troubles de la motricité,
des troubles somatiques et moteurs.
Pendant la semaine, les enfants bénéficient de séances dorthophonie, de psychomotricité. Ils sont suivis par la psychologue de létablissement et certains sont en thérapie hors de linstitution.
2 - Individuelle
Arnaud a douze ans. Cest sa cinquième année à lI.M.P. Cest un enfant qui présente le syndrome de lX fragile. Il a un retard mental prononcé, des difficultés à sexprimer, et présente des stéréotypies. Il ne parvient pas à regarder son interlocuteur sauf par coups dil à la dérobée quand on ne fait plus attention à lui. Lorsquil est confronté à une difficulté, son angoisse se manifeste par une petite phrase : « Tu vas où là, tu vas où ? » accompagnée de mouvements rapides des doigts, mains rejetées en arrière, quaucune réponse ne semble satisfaire ou apaiser. Il est parfois dans un état dhyper-excitabilité. Cest un enfant souriant, très attentif lors des lectures dalbums qui semblent faire naître dintenses émotions en lui. Il éprouve des difficultés à écrire ou à laisser une trace sur un support même avec laide physique et les encouragements affectifs de ladulte. Pourtant, il sait écrire les lettres de son prénom. Lors des repas, il se nourrit de manière désordonnée et garde les aliments un certain temps en bouche avant davaler. Il éprouve des angoisses lors des passages de porte et des changements de lieux.
Jules est un enfant trisomique de onze ans. Il est à lI.M.P. depuis 1996 après une scolarisation jusquen moyenne section maternelle. Cest un enfant au caractère enjoué et dynamique. Il est très tonique, sportif et motivé par le travail scolaire. Il a tendance à vouloir monopoliser lattention de ladulte, aime se mettre en avant et réussir. Il adopte souvent une attitude de séduction et a besoin dêtre complimenté.
Il cherche lapprobation de ladulte et ladmiration de ses camarades. Il est bilingue et très admiratif de son père qui est un modèle pour lui et quil ne veut surtout pas décevoir. Il est conscient de son handicap et cherche toujours à prouver quil peut bien faire. Il montre une tendance à la précipitation pour le travail, ce qui est pour lui source derreurs. Il a des troubles de la phonation mais il est cependant très compréhensible lorsquil fait des efforts pour articuler. Il commence à maîtriser lécriture et parvient à copier des mots. Il désire saffirmer en leader du groupe. Il aime le sport et les livres ainsi que la musique sur laquelle il apprécie danser surtout si on le regarde.
Richard a dix ans, sa pathologie nest pas définie et tout diagnostic reste indéterminé. Il est arrivé à lI.M.P. en 1995. Il a une petite stature pour son âge et un retard moteur. Cest un garçon joyeux et curieux, souvent motivé par le travail scolaire. Il possède une bonne syntaxe et un vocabulaire assez varié. Sa voix est très nasale et aiguë. Il manque de confiance en lui et adopte parfois des comportements très immatures lorsquil est confronté à une difficulté alors quil a des capacités intellectuelles et des connaissances. Il parvient à déchiffrer un texte simple et réussit à écrire avec laide de lenseignant car il possède des capacités de transcription. Il réussit à écrire sur une ligne puis ses lettres au fur et à mesure se mettent à se chevaucher. Richard est très admiratif de Jules, limite dans ses actes et ses paroles. Cest un enfant doux et qui éprouve des difficultés à saffirmer face à ses pairs. Sa passion pour la cuisine le rend bavard et inventif dès quil sagit de recettes.
Anna a onze ans, cest une enfant dont la pathologie nest pas déterminée. Elle est arrivée à lI.M.P. en 1995. Elle paraît très passive, parfois absente, et semble extrêmement sensible à lambiance de la classe. Elle présente des troubles du langage et de lattention. Elle donne limpression de se contenter doccuper une place et a des difficultés à croiser le regard de lautre. Son apathie ne peut être quapparente, elle peut aussi faire preuve dune attention brève et soutenue. On ne sait si elle est présente ou figée dans sa pensée intérieure. Elle possède une lenteur à agir et ne comprend plus si elle est soumise à trop de demandes ou de questions de la part de ladulte.
Elle réussit déchiffrer et à lire par mémorisation globale, elle possède de nombreuses connaissances acquises on ne sait comment. Elle suit des séances de kinésithérapie pour améliorer sa motricité et travailler laisance corporelle .
Aurélie est une fillette de onze ans. Elle est entrée à lI.M.P. à lâge de six ans. Elle est très préoccupée par son aspect physique et shabille souvent de façon fort originale. Elle aime toucher ses vêtements et ses cheveux. Elle adore feuilleter les catalogues de vente par correspondance tout en se parlant à elle même. Elle est très lente à entrer dans lactivité. Tout ce qui est scolaire semble lui être pesant et rébarbatif. Elle rechigne à copier des mots mais elle aime le graphisme et lécriture. Elle paraît éprouver un réel plaisir à laisser une trace, à décorer, à arranger les choses. Elle est ordonnée et maniaque. Cest une enfant qui peut se refermer sur elle-même et avoir alors un regard très provocateur. Ce repli ressemble à de la bouderie. Elle est extrêmement despotique avec sa mère et ses camarades mais parvient à respecter les règles de la vie de classe, même si elle teste régulièrement ladulte avec qui elle cherche souvent le rapport de force. On sent quelle a besoin de limites pour pouvoir se situer. En bibliothèque, elle prend toujours le même livre, au même endroit et monologue à voix basse. Elle aime raconter au groupe et est assez cabotine. Elle nest pas à laise dans les activités motrices.
3.Dispositif Pédagogique
1 - Objectifs
Leurs diversités en font la richesse
Susciter lenvie décrire est mon objectif principal, cependant dautres objectifs viennent sy ajouter :
Stimuler la curiosité à légard de la langue en apprenant à lobserver et à la manipuler
Écrire un texte répondant à des consignes claires
Favoriser et améliorer lexpression orale
Enrichir le vocabulaire
Permettre l'accès à la pensée
Simpliquer dans un projet et le mener à terme
Donner à lire, partager ses écrits
Utiliser le traitement de texte
2 - Grandes lignes du dispositif
Cest un projet mené sur dix séances chaque vendredi pendant environ une heure et demie.
Écriture et oral sont deux formes dexpression. La mise en place de la communication est un préalable à lécriture.
Cest pourquoi, les échanges verbaux seront mis en place pour stimuler et soutenir le passage à lécrit. On ne peut favoriser lentrée dans lécriture dans une classe muette. Le langage oral permettra lémergence de ce désir décrire. En proposant des règles simples, des contraintes amusantes, il sagit de développer chez ces enfants le plaisir décrire, la capacité inventive et la prise de conscience dune pensée intérieure. Il faut fabriquer du matériel qui rende aisé et plaisant le passage à lacte décrire.
La consigne précise les limites. Les contraintes décriture proposées seront aptes à faire jaillir des textes courts, insolites, drôles, poétiques ou tendres. Afin de protéger cet élan créateur et ce bonheur dinventer, tout ce qui ressemble à la routine et susceptible dengendrer lennui sera écarté. Les jeux d'écriture doivent se dérouler dans un certain état desprit de création, de recherche, de plaisir, de partage, de surprise et pendant un temps particulier, temps de joie, de travail, de quête imaginaire.
Et le cadre est un contenant.
Déroulement dune séance type : environ 1 h 30.
Mise en condition : cinq minutes. Travail de re centration, de concentration.
Les règles des jeux sont expliquées aux élèves :
Comprendre et respecter la contrainte. Écoute de textes dauteurs ou albums, puis échanges oraux.
Temps décriture
Temps de lecture : accepter de lire ou donner à lire son texte et partager sans juger
Privilégier linteraction par la lecture et lécoute.
Tous les textes sont valorisés dans le respect et l 'écoute de lautre.
A la relecture des corrections sont possibles et encouragées.
Apprivoiser
Écrire avec du papier, des ciseaux et de la colle :
« Avant de savoir écrire, lenfant a besoin dapprendre à investir la page, à se familiariser avec ce rectangle blanc ... »
Utiliser la page comme support et exploiter toutes sortes de supports, cest-à-dire divers papiers de différentes couleurs, demballage, quadrillé, à portée, perforé..., toutes sortes de formats (du plus grand au plus petit), ainsi que différents outils scripteurs : stylos, feutres, crayons, pinceaux. Collages de mots Collages de lettres de grandeur, grosseur et caractère différent pour créer un motif figuratif.
Comme lécrit Georges Pérec : « jhabite ma feuille de papier »
Le parfum des mots : écrire en odeurs avec les feutres odorants, les faire découvrir aux enfants, la consigne est que « tune dois pas dessiner mais tu peux écrire ce que tu veux ». Écrire, humer puis identifier et nommer les différentes odeurs. Écrire tel ou tel mot : avec quelle odeur ? Des relations sétablissent entre les mots et les senteurs.
Les mots dans lespace:
Écrire un mot, plusieurs fois, vite, lentement, dans un coin, en appuyant à peine, en appuyant très fort de façon fragmentée, rythmée, petit, grand. Associer sens et espace, pression, graphie, écrire un mot magique, un mot utile, un mot secret, un mot quon aime.
Analyser
Les calligrammes :
Les lettres et les mots forment un dessin. Regarder les lettres, les mots ou les textes comme des dessins figuratifs.
Le mot qui devient image
A partir de lalbum «Les mots ont des visages ». Il sagit de tenter dinclure dans lemot un dessin qui évoque ce mot. Cest un travail entre image, dessin et écriture.
Les anagrammes:
Nous allons manipuler puis redistribuer les lettres de nos prénoms ou des mots qui nous plaisent afin den trouver des nouveaux.
Lecture du poème de P.Coran « Par le jeu des anagrammes... »
Exprimer
Acrostiche (Prénom)
La consigne est de se présenter en disposant les lettres de son prénom verticalement sur sa feuille et de réaliser un texte dont chaque ligne commence par chacune deslettresde sonprénom, la 1ère ligne commençant par la 1ère lettre, la 2ème ligne par la 2ème lettre et ainsi de suite. Chaque ligne sera réduite à un mot. Laide du dictionnaire est autorisée et encouragée.
Le jeu des 10 mots.
Faire la liste des 10 choses que tu emporterais sur une île déserte » puis la lire à voix haute. Ou la liste des dix mots qui restent après que quelque chose ait fait disparaître le langage : lecture dextrait de «La grammaire est une chanson douce » Éric Orsenna
Les inducteurs : appelés aussi embrayeurs ou déclencheurs
Le seul projet énoncé cest de produire du texte. Les inducteurs sont ce à partir de quoi on écrit. Ce sont des points de départ, pas des thèmes :
Jaime/je naime pas - Hier/aujourdhui /demain. - Je suis/je voudrais être - Je sais/je ne sais pas. Jai/ je nai pas ...
La simple opposition de deux éléments est déjà un texte dont la symétrie a un effet esthétique. On pourra constituer des textes collectifs dont chaque élément appartient à quelquun. C'est untravail de composition intéressant car il faudra choisir les éléments qui vont le mieux ensemble, ce qui peut être amusant.
« Je suis comme ».
Démarrer un texte par «je suis comme ».Outre laspect « perception de soi » que le texte révèle, ce jeu permet aussi lemploi de la métaphore dont on connaît la valeur poétique et leffet sur le plan symbolique. Un jeu très riche qui permet donc à la fois le « dire de ce qui est » et sa mise à distance. Ce jeu est à combiner avec le jeu du portrait chinois selon les réactions et motivations des élèves.
« Je me souviens»
Cest un jeu connu et célèbre. Georges Perec a rassemblé 480 souvenirs dans son livre
Y. Pommaux en a choisi et illustré quelques-uns dans son album.
Effectuer un travail de remémoration et de mise en mots
Faire appel à sa mémoire immédiate ou plus lointaine et appréhender ce quest un souvenir.
4. Analyse de séquences pédagogiques
1 - Compte-rendu
Le travail a débuté avec le groupe puis nous avons travaillé individuellement car les enfants ne sont pas assez indépendants. En effet, ils ne parviennent pas à calligraphier suffisamment rapidement et à orthographier de façon compréhensible sans laide de ladulte, de plus ils éprouvent des difficultés à exprimer leur pensée en mots.
Jai finalement après deux séances, opté pour le travail individuel et lutilisation de loutil informatique afin de résoudre les difficultés grapho-motrices des enfants et faciliter lexpression parla relation duelle.
Loutil informatique permet aux enfants handicapés daccéder à lécriture, en proposant une vitesse de calligraphie raisonnable et en mettant le sujet dans une position où la pensée devient extérieure à soi. Jai donc renoncé pour ce travail à lécriture manuelle, lessentiel étant quils produisent des textes.
La première séance de découverte semble dérouter le groupe dans un premier temps. Ils ont des difficultés pour investir la page quils vont peu à peu parvenir à apprivoiser.
Dès la troisième séance, nous avons travaillé à partir des inducteurs jaime/je naime pas. Jai la sensation dune activité plaquée, dans le sens où je ne perçois pas les élèves comme étant réellement impliqués dans le processus décriture. Jéprouve un sentiment dartificialité, avec limpression de faire faire des exercices ce qui est contraire à lesprit des jeux décriture et aux objectifs poursuivis. Ils font les exercices que je propose car ils sont disciplinés et gentils. Globalement ils éprouvent tous du mal à se dire.
Arnaud semble chercher sa pensée. Puis soudain, il marmonne très vite ce quil désire écrire et sexécute avec lenteur et angoisse mais aussi un certain plaisir. Je laide pour écrire à laide du clavier, il demande et attend soutien, approbation. Il semble extrêmement satisfait du résultat quil sempresse de montrer à linstitutrice de la classe.
Jules veut tout faire tout seul, il est avide de passer à lécriture, se trompe puis corrige avec un plaisir évident. Il regarde fréquemment lécran et paraît satisfait et heureux de voir son écriture sy inscrire. Il est toujours impatient dimprimer ses textes pour les brandir fièrement sous les yeux de sa maîtresse regarde, cest moi qui ai écrit ça!.
Lors de la séance suivante aucun enfant ne reconnaît son texte lors de la lecture. Jen suis à la fois stupéfaite et décontenancée.
Je décide de retravailler lors dune seconde séquence à partir de ces inducteurs afin de vérifier si les enfants se reconnaissent dans leur production, sils identifient celle de leurs camarades, sils désirent, essaient, parviennent à se relire, sils éprouvent le besoin de corriger, de rajouter des éléments.
Cependant quand je leur dis que nous allons écrire, tous sont motivés.
Arnaud sécrie : je veux savoir! Jules veut commencer tout de suite.
Pendant la présentation de lalbum de Ponti lîle des Zertes sur trois choses que le héros déteste par dessus tout, lécoute est très soutenue mais les enfants ne manifestent rien encore. Nous écrivons à partir de linducteur je naime pas.
Richard sait ce quil veut et désire lexprimer, il paraît content de déposer sur le papier ses choix et ses pensées. Il fait preuve desprit dindépendance pour la frappe, demande lorthographe des mots mais exige de faire tout seul. Il est toujours pressé de venir travailler avec le traitement de texte. Il se reconnaît dans ses productions et identifie celles des autres. Il sintéresse aux pensées de ses pairs sans toutefois porter de jugement. Comme Arnaud, il est très attentif lors des lectures. Richard se montre impatient de faire connaître à son institutrice ses écrits et éprouve beaucoup de fierté lorsque son texte simprime et quil possède lobjet texte en main , cela semble le rassurer. Il acquiert au fil des séances plus de créativité et de liberté dans lexpression, il cherche le mot juste et sapplique à le taper, il est consciencieux et parait éprouver de plus en plus le désir décrire, il semble désormais demandeur. Il exprime verbalement et gestuellement sa joie par des rires, des exclamations et un empressement à partager. Il semble heureux et plutôt satisfait.
Arnaud, malgré son angoisse de la trace et sa difficulté à passer à lacte décriture montre toujours du désir à écrire et même de limpatience. Il est cependant très angoissé : sa parole se fait confuse, hésitante et hachée, comme sil ne pouvait retenir et capter sa pensée, ses doigts restent suspendus aux dessus des touches sur lesquelles il ne se résout à appuyer que grâce au contact léger de ma main sur la sienne, doù une infinie lenteur. Désireux de voir son texte imprimé, il est excité par leffet et la relation touche-écran et semble séduit par la magie du traitement de texte.
Lors de latelier je me souviens, il adopte des comportements stéréotypés de recherche de souvenir et mise en route de la remémoration : un doigt posé sur le front, il dit attends, je cherche, je cherche un truc. Puis brutalement il dit :ordinateur, jen ai un, on met des jeux dedans! Il parvient ensuite à organiser ces bribes de souvenir en une phrase cohérente : je me souviens que jai joué à lordinateur avec Manuel, cétait Adibou. Parler beaucoup est indispensable pour que ses souvenirs émergent. Il montre toujours de linquiétude lors du passage à lécrit même si cest moi qui fait la presque totalité de la frappe. Il sarrête souvent, figé dans une posture interrogative Cétait quand ?......pendant les vacances de Noël... exprimant à haute voix des bribes de pensées quil réorganise quelques minutes après. Il écrit alors : Je me souviens des vacances de Noël à la campagne.
Le travail sur la liste semble beaucoup le perturber : cest avec une grande lenteur et de nombreux silences quil propose quelques mots.
Jules semble mélanger et confondre réalité et imaginaire. Il ne parait pas comprendre ce quest un souvenir. Le passage à lécriture, lécoute puis le partage des textes des autres va peut-être, laider à affiner cette compréhension. Il part dune bribe de souvenir puis se met à raconter une histoire. Il lenjolive, rajoute des détails qui le séduisent, le font rêver ou lexcitent. Il se projette dans un personnage héroïque essayant ainsi de correspondre à limage de lenfant rêvé de ses parents. Puis, aidé par les photos des années passées à lIMP, il réalise quun souvenir est un morceau de son passé qui lui appartient, quil nest pas le fruit dun désir mais bien le récit de ce qui est advenu, dune expérience personnelle, de ce qui lui est arrivé. Il est toujours très motivé pour écrire, désire être le premier à taper et recherche frénétiquement approbation et valorisation.
Anna est fascinée par lélaboration de listes. Elle adore voir le mot sinscrire sur lécran. Elle marmonne très vite ce quelle veut écrire tout en se mettant à la frappe. Parfois elle sarrête comme figée dans un blanc de pensée. Puis semblant séveiller de nouveau, elle me demande de relire ce quelle a écrit et poursuit son travail décriture.
Aurélie est presque muette tant par la parole que par lécriture. Elle ne manifeste aucun désir à écrire. Elle est séduite par la relation duelle dans laquelle elle exprime tout autre chose sans lien avec la consigne. Elle sexécute pour rentrer dans la demande de ladulte.
2 - Commentaire et bilan
Jai le sentiment que Jules cherche à transcender son handicap, à se valoriser, se parant de qualité de bravoure et dinvincibilité, pour se raconter dans ses souvenirs comme un enfant extraordinaire qui réalise ce que les adultes attendent de lui, ou ce quil imagine quils attendent de lui. Il a du mal à parler de lui. Il montre une ardeur à ressembler à un enfant normal et lenvie de gommer son handicap dont il est très conscient. Dans lécriture, il a pu exprimé ces désirs.
Arnaud semble vouloir se relier au déroulement dune pensée qui lui échappe. Je nai pas le sentiment quil cherche ses mots - cest un enfant qui possède un vocabulaire assez riche - mais bien sa pensée qui semble non pas absente, mais fuyante, insaisissable. Il rencontre peu de demandes de ce type dans sa vie quotidienne ce qui accentue sans doute un processus de flétrissement de la pensée. Cest un enfant authentique et jai eu le sentiment quil écrivait vraiment ce quil pensait. La relation duelle et lécriture lui ont permis datténuer cette angoisse démesurée quil porte en lui. Il est plus calme. Linvestissement quil a montré est sans doute motivé par son désir de grandir ainsi que par celui de faire plaisir à ladulte. Il demeure que cet enfant très angoissé par la trace a produit des textes, ce qui pour lui est déjà une victoire et une réussite.
Latelier est comme un temps de passage, un temps de travail sur la langue et lécriture.
Jai cependant, parfois ressenti un sentiment de superficialité , de saupoudrage parce quil
ma semblé que les enfants sont restés dans la mise en mots du monde, quils se sont contentés de dire ce que les choses sont, sans atteindre le plaisir du maniement de la langue et des mots.
Ils ne paraissent pas significativement plus curieux à légard de la langue, ni plus enthousiastes à la manipuler. Les inducteurs et les listes leur ont peut-être permis de produire des classements, des catégories, des mises en ordre qui ont été constructions de sens. Le simple fait décrire induit des effets positifs sur les enfants : cela leur a permis dexercer leur capacité à représenter et à symboliser.
Pour ces enfants, la mise en texte les contient, les accroche et a produit comme une stabilisation de leur propre réalité. Linducteur semble aider à cadrer la pensée, à fournir un fil conducteur, il remplit son rôle de contenant. Il permet de laisser verbaliser et déviter les digressions.
Ce type dactivité me semble très mobilisateur car écrire exige de se concentrer sur un point précis de la pensée : cest la recherche dun souvenir enfoui dans la mémoire, la volonté de mise en mots qui produit un jaillissement.
La situation de production de texte amorce un travail de mémoire et ce nest pas parce quil y a absence dévocation, quil ne reste aucune trace du passé. Se souvenir suppose deux éléments : dabord évoquer la mémoire individuelle, puis reconnaître consciemment les états mentaux évoqués. Cest atteindre un état de conscience présent qui se rapporte au passé, un morceau de vie, intime, relatif au je. Ce travail me semble primordial pour des enfants qui ont le plus grand mal à mémoriser leur propre vie.
Bien que jai souvent eu limpression quils récupéraient linformation en même temps quils rédigeaient, il est bénéfique pour ces enfants de se tourner vers eux-mêmes, daller voir qui ils sont, ce quils sont, ressentent, désirent, mémorisent et oublient.
Lutilisation de loutil informatique renforce la motivation et favorise une attitude analytique à légard de lécrit car il exige une composition lettre à lettre et le marquage des espaces. On voit le texte se composer. De plus, le clavier produit un effet sur lécran et lutilisation du traitement de texte reproduit en quelque sorte la réalité de base de lactivité de pensée. Lordinateur est un outil au service de la pensée dun individu, il place le sujet dans une position où sa pensée devient extérieure à lui, où il la met en scène, lextériorise. Il a des dispositifs dentrée ( clavier, souris) qui permettent de modifier la sortie (écran, imprimante). Les menus et icônes sont au service de lactivité intellectuelle, on peut se mettre à penser avec un outillage autour de soi. La pensée est à la fois dans notre tête et à moitié sortie de nous. Cela permet une certaine forme dabstraction et induit une proximité entre lécran et limage mentale. Le texte informatique ne subit plus la contrainte physique du support, de la matière, il est susceptible dêtre effacé, modifié , conservé et surtout, il existe aussi quand il est caché.
La lenteur des enfants fait quil faut plus de temps pour que les choses se mettent en place. Ils ont besoin dêtre rassuré , de faire du connu. En pratiquant régulièrement, chaque semaine, ces élèves quasiment non lecteurs, écrivent et investissent leur écriture. Ils se sont exprimés avec plaisir. Ils ont découvert un autre rapport à lécriture, aux antipodes de la copie. Et ce qui est essentiel nest-ce pas linvestissement de lélève dans une pratique ?
Ils ont déployé une activité qui leur était personnelle. Jai proposé des règles et des exigences, ils les ont acceptées et respectées. Il me semble que nous ayons vraiment travaillé dans ce que Vygotsky appelle la zone proximale de développement.
La fonction de lenseignant a bien ici, celle de contenant et permet à ce que Bion appelle la fonction alpha de sexercer. Il sagit de recevoir des données que lon ne comprend pas, dimaginer ce que cela peut vouloir dire et de restituer du sens. Recevoir/contenir amène un apaisement chez lenfant déficient.
La difficulté est de faire en sorte que ces jeux ne restent pas de lordre du fragment, de linachevé et dessayer de reprendre les textes pour les étoffer.
Pour faire trace, nous fabriquons un petit recueil regroupant les productions du groupe sans cependant entremêler les textes des enfants afin de ne pas perturber le travail dappropriation du texte qui commence juste à se construire. Les textes édités laissent des traces de la mémoire collective et constituent des archives du lieu.
Il serait sans doute intéressant de poursuivre le travail en laxant plus sur le groupe. Le groupe permet daccélérer les processus dapprentissages, de diversifier les points de vue, de se décentrer, dêtre plus dynamique et aussi de se constituer une identité dans la confrontation aux autres.
CONCLUSION
Le plaisir d'écrire c'est aussi celui d'explorer, d'échanger et de changer. Je crois que les jeux décriture ont offert aux enfants la possibilité dutiliser lun des instruments le plus important de notre culture, de rompre avec le caractère anxiogène de lécriture et de se forger une identité autrement que dans lexclusion. En acquérant de la confiance en eux, en leurs capacités, ils se sont construits une meilleure image de soi. En partageant leurs textes, la communication dans le groupe sest améliorée.
Ils ont changé de relation au savoir parce quils ont été confrontés à une rencontre avec des objets culturels. Lécriture fonde lécole. Il faut donner accès au savoir et à limaginaire des écrits, justement parce quavec ces élèves le processus dappropriation culturel est mis à mal.
En écrivant, ils ont fait appel à leur pensée intérieure et peut-être commencé à penser par écrit à travers leur propre écriture. Certes, les élèves se sont investis dans cette activité, mais comment évaluer lespace quils y ont trouvé pour construire leur pensée ?
Lécrit présuppose une capacité en même temps quil la façonne. Lécriture serait à la fois le reflet dun état de développement et le moyen par lequel les individus élaborent leurs compétences.
En poursuivant encore durant les deux mois à venir les jeux décriture, jaimerai juste leur laisser le temps de grandir, leur donner à vivre ce temps de maturation nécessaire qui peut être pourra entrouvrir les portes de leur pensée.
Mais déjà de nombreuses questions se posent à lissue de ce travail :
Comment travailler plus en groupe et moins en individuel? Comment donner plus dindépendance aux élèves et moins de présence à ladulte ?
Que mettre en place pour que les enfants se reconnaissent plus facilement dans leurs textes ?
Sont-ils aujourdhui capables de concevoir lécrit comme un instrument ?
Sont-ils réellement entrés dans lordre du scriptural ?
Jai envoyé régulièrement des courriers aux enfants de lI.M.P. et ce avec le plus grand plaisir, car que serait une enseignante qui voudrait donner le goût de lécriture sans écrire elle-même ?
Jaimerais conclure avec ces mots de Paul Auster :
« du moment quon a un crayon dans sa poche, il y a de fortes chances pour quun jour ou lautre on soit tenté de sen servir »
Peut-être ai-je réussi à glisser « ce crayon » dans leurs poches..?
BIBLIOGRAPHIE
GOODY.J (1979), La raison graphique, Ed.de Minuit.
BOTTERO J. (1987), Mésopotamie, Paris, Gallimard.
OLSON D.R.(1998), Lunivers de lécrit, Retz.
FIJALKOV J.(1993), Entrer dans lécrit,Magnard.
MIRAIL (1996), Lentrée dans lécrit
DE MINIAC B. (2000), Le rapport à lécriture, Presses Universitaires.
GROMER B. / WEISS M. (1996), Dire, écrire,Colin.
GIBELLO B.(1995), La pensée décontenancée, Bayard .
PEREC G. (ouvrages de )
AUSTER P(1996),Pourquoi écrire ? Babel
YAGUELLO M.(1981), Alice au pays du langage, Seuil.
RIVAIS Y(1992),Jeux de langage et décriture, Retz .
DUCHESNE/LEGUAY (1994), Petite fabrique de littérature,Magnard.
VOLKOVITCH M (2000), Verbier, herbier verbal, M.Nadeau
ORSENNA E(2001), La grammaire est une chanson douce, Stock
ALBUMS Jeunesse
HEAD B. (1974 ), Annoalphabet
KOECHLIN L.(1994), Les vacances de lalphabet , Mango.
GUENOUN J. (1999), Lesmots ont des visages, Autrement Jeunesse.
GOFFINIERES/ GOFETTE G. (2001), Oiseaux, Gallimard
SAZONOFF Z. (2002),Mots de tête, Rouergue.
SOLOTAREFF (1992), Moi, Fifi, Ecole des Loisirs.
PONTI C. (1998) Lîle des Zertes Ecole des Loisirs
POMMAUX/PEREC (1997), Je me souviens, Sorbier.
ANNEXES
Si j'étais un animal, je serais un poisson
Si j'étais une couleur, je serais orange
Si j'étais un objet, je serais de l'eau
Si j'étais un lieu, je serais la montagne
Si j'étais un fruit, je serais une pomme. ANNA
Si j'étais un animal, je serais un poisson
Si j'étais une couleur, je serais vert
Si j'étais un objet, je serais une balançoire
Si j'étais un lieu, je serais le studio
Si j'étais un fruit, je serais une tomate. RICHARD
Si j'étais un animal, je serais un cheval
Si j'étais une couleur, je serais jaune
Si j'étais un objet, je serais un livre
Si j'étais un lieu, je serais la forêt. ARNAUD
J'aime la piscine. Je n'aime pas les livres.
Je suis malade.
Je voudrais être le ciel.
Je sais faire la cuisine avec maman . Demain, je suis avec papa . Aujourd'hui, jesuis à l'école . ANNA
J'aime le sport, le foot et le basket. J'aime Paris .
Je n'aime pas nager sur le dos .
Je suis J. W. Je voudrais être un serpent très gros. C'est tout. Je sais escalader, sauter en arrière sur le trampoline et skier. Je ne sais pas jouer au bowling parce que la boule est trop lourde . JULES
J'aime la mer. Je n'aime pas
Je suis une fille. Je voudrais être un petit oiseau rouge.
Des mots que j'aime : Soleil, nuage... AURELIE
Je n'aime pas que mon chat me griffe.
Je n'aime pas les ordinateurs.
Je n'aime pas travailler sur le dictionnaire. RICHARD
Je n'aime pas quand il pleut.
Je n'aime pas le ciel gris.
Je n'aime pas que Suzanne me gronde. JULES
Je n'aime pas le bleu. J'aime jouer au ballon.
Je n'aime pas le cochon. ARNAUD
JE ME SOUVIENS D'UNE HISTOIRE.
JE ME SOUVIENS DE LA MONTAGNE. IL FAUT MONTER ET
RE DESCENDRE. Aurélie
JE ME SOUVIENS DU RUGBY France Italie.
JE ME SOUVIENSQUE JE SUIS TOMBE DANS UN TROU. Jules
JE ME SOUVIENS QUE J'AI JOUE A L'ORDINATEUR
AVEC MANUEL. C'ETAIT ADIBOU..
JE ME SOUVIENS DES VACANCES DE NOEL A LA CAMPAGNE. Arnaud
Liste des dix mots qui restent après que quelque chose ait fait disparaître le langage
Jules Aurélie
1. Pirate 1. Crocodile
2. Bateau 2. Lion
3. Voile 3. Une fois
4. Serpent 4. Eléphant
5. Grenouille 5.Là-bas
6. Vache 6. Je ne sais pas
7. Ane 7. Ver
8. Kangourou 8. Ah oui !
9. Cheval 9. Faim, fin
10. Poisson 10. Singe
Richard ANNA
1. Confiture 1 . Café
2. Ananas 2 . Lait
3. Thé 3. Maison
4. Fleur 4. Bord
5. Tasse 5. Poisson
6. Air 6. Riz
7. Café 7. Carotte
8. Théière 8. Nager
9. Tomate 9. Poids
10. Lunettes
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