Mission scientifique dans la Haute Asie
Semestre 1. CM. TD. TP. Crédits. UE 1 (Fondamentale). 8. Atelier 01. 1h 30. 4h
30. 8 ... Semestre 3. CM. TD. TP. CR. UE 9(fondamentale). 13. Atelier 03. 1h 30
...... A cet effet, et en entamant ce type d'exercice, l'étudiant ne doit pas se limiter
uniquement à la surface à aménager, mais d'évaluer les ..... I -Treillis isostatiques
.
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Fernand GRENARD
HAUTE
ASIE
Mongolie
Turkestan chinois
Tibet
à partir de :
HAUTE ASIE
par Fernand GRENARD (1866-1942)
Deuxième partie du tome VIII de
la Géographie Universelle,
publiée sous la direction de P. Vidal de la Blache et L. Gallois
Librairie Armand Colin, Paris, 1929, pages 235-394 (de 394), + 1 carte couleurs + 25 cartes et figures + 49 photographies.
On peut avec grand profit lire à titre de préface le C. R. de lecture de Jacques BACOT : La Haute Asie, d'après M. Grenard, in Annales de Géographie, 1931, t. 40, n° 223, pp. 91-97 (sur HYPERLINK "http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1931_num_40_223_10359" Persée).
Édition en format texte
par Pierre Palpant
www.chineancienne.fr
mars 2013TABLE DES MATIÈRES
Chapitre premier. HYPERLINK \l "c01" Traits généraux. La structure et la formation du relief.
I. HYPERLINK \l "c011" La formation des plis montagneux. II. HYPERLINK \l "c012" Les plissements tertiaires. III. HYPERLINK \l "c013" Les derniers soulèvements : les bassins fermés et les déserts. HYPERLINK \l "c01biblio" Bibliographie.
Chapitre II. HYPERLINK \l "c02" La Mongolie.
I. HYPERLINK \l "c021" Région du haut Iénisseï. II. HYPERLINK \l "c022" Le bassin du Sélenga. III. HYPERLINK \l "c023" La Vallée des Lacs. IV. HYPERLINK \l "c024" L'Altaï mongol. V. HYPERLINK \l "c025" Le Gobi. VI HYPERLINK \l "c026" . Le peuple mongol : formation du peuple mongol ; divisions politiques ; type ethnique ; le genre de vie ; villes ; routes et commerce ; rapports avec l'Europe ; indépendance de la Mongolie extérieure.
Chapitre III. HYPERLINK \l "c03" Le Turkestan chinois (Sin-kiang).
I. HYPERLINK "31" La Djoungarie. II. HYPERLINK \l "c032" Le Tien-chan : le Tien-chan central ; hydrographie du Tien-chan central ; chaînes marginales ; vie végétale et animale ; le Tien-chan oriental ; le Pé-chan. III HYPERLINK \l "c033" . Le bassin du Lob-nor : la végétation ; le sable ; l'hydrographie ; le Tarim ; le Lob-nor ; le Sou-lo-ho ; le dessèchement. IV. HYPERLINK \l "c034" La population : les origines ; impuissance politique ; développement de la civilisation ; oasis et villes ; le genre de vie ; agriculture ; élevage ; industrie et mines : les routes ; commerce extérieur ; relations avec l'Europe ; groupes ethniques ; l'administration chinoise.
Chapitre IV. HYPERLINK \l "c04" Le Tibet.
I. HYPERLINK \l "c041" Le Tsoung-ling. II. HYPERLINK \l "c042" Plan et géologie des chaînes tibétaines. III. HYPERLINK \l "c043" Le haut plateau du Nord-Ouest : l'Altyn-tagh et l'Oustoun-tagh ; le haut plateau désert ; le Karakoram-Himalaya ; abaissement du plateau et apparition de l'homme ; le Transhimalaya. IV. HYPERLINK \l "c044" Le Tibet méridional : le sillon Indus-Brahmapoutre ; l'Indus ; le Ladag ; le Baltistan ; le Satledj ; le Tsangpo-Brahmapoutre ; les rivières himalayennes ; l'Himalaya. V. HYPERLINK \l "c045" Le Tibet oriental : les grands fleuves de Chine et d'Indochine ; les montagnes du Tibet oriental ; le Salouen, le Mékong et le fleuve Bleu ; la région des basses vallées ; le fleuve Jaune ; le Tsadam ; le Nan-chan. VI. HYPERLINK \l "c046" Le peuple tibétain : origine et formation ; distribution de la population ; le genre de vie ; l'état social ; le cléricalisme ; l'état économique ; les routes ; le commerce ; villes et couvents ; relations avec l'Europe ; politique chinoise et politique britannique : géographie politique.
HYPERLINK \l "bibliographie" Bibliographie. HYPERLINK \l "table_figures" Table des cartes et figures. HYPERLINK \l "table_photos" Table des photographies.
TABLE DES CARTES ET FIGURES
HYPERLINK \l "carte_ht" Carte en couleurs : Distribution de la végétation et de la population dans le Turkestan chinois.
Figures :
35. HYPERLINK \l "fig035" Formation du continent asiatique.
36. HYPERLINK \l "fig036" Coupe nord-sud de la Haute Asie.
37. HYPERLINK \l "fig037" Orographie de la Haute Asie (directions des plis montagneux).
38. HYPERLINK \l "fig038" Hydrographie de la Haute Asie.
39. HYPERLINK \l "fig039" La Mongolie.
40. HYPERLINK \l "fig040" Vue schématique du Khangaï.
41. HYPERLINK \l "fig041" Distribution de la végétation et des déserts dans la Haute Asie.
42. HYPERLINK \l "fig042" Carte ethnographique de la Haute Asie.
43. HYPERLINK \l "fig043" Intérieur de la tente mongole.
44. HYPERLINK \l "fig044" Le Turkestan chinois.
45. HYPERLINK \l "fig045" Coupe des monts Tien-chan.
46. HYPERLINK \l "fig046" Grands glaciers du Tien-chan.
47. HYPERLINK \l "fig047" Dépression de Louktchoun.
48. HYPERLINK \l "fig048" Le bas Tarim et le Lob-nor.
49. HYPERLINK \l "fig049" L'oasis de Khotan.
50. HYPERLINK \l "fig050" Khotan à vol d'oiseau.
51. HYPERLINK \l "fig051" Routes du Turkestan et du Tibet.
52. HYPERLINK \l "fig052" Carte hypsométrique de la Haute Asie.
53. HYPERLINK \l "fig053" Esquisse géologique de la partie occidentale du massif tibétain.
54. HYPERLINK \l "fig054" Coupe géologique de l'Altyn-tagh, depuis la plaine du Turkestan jusqu'aux pentes Nord de l'Arka-tagh.
55. HYPERLINK \l "fig055" Coupe nord-sud du plateau tibétain.
56. HYPERLINK \l "fig056" Coupe à travers le Cachemir et le K2.
57. HYPERLINK \l "fig057" Le Tibet.
58. HYPERLINK \l "fig058" Coupe nord-estsud-ouest dans les monts Nan-chan.
59. HYPERLINK \l "fig059" Plan de Lhasa.
HYPERLINK \l "table" @
TABLE DES PHOTOGRAPHIES
XLIX. A.
XLIX. B.
XLIX. C.
L. A.
L. B.
LI. A.
LI. B.
LI. C.
LII. A.
LII. B.
LII. C.
LIII. A.
LIII. B.
LIV. A.
LIV. B.
LIV. C.
LIV. D.
LV. A.
LV. B.
LV. C.
LVI. A.B.
LVI. C.
LVI. D.
LVII. A.
LVII. B.
LVIII. A.
LVIII. B.
LVIII. C.
LIX. A.
LIX. B.
LIX. C.
LIX. D.
LIX. E.
LX. A.
LX. B.
LX. C.
LX. D.
LXI. A.
LXI. B.
LXII. A.
LXII. B.
LXII. C.
LXIII. A.
LXIII. B.
LXIII. C.
LXIV. A.
LXIV. B.
LXIV. C. HYPERLINK \l "pl049a" Extrémité est des monts Djaïr (Djoungarie).
HYPERLINK \l "pl049b" Ville éolienne à Ourkho (Djoungarie).
HYPERLINK \l "pl049c" Escarpement de grès et d'argile du Gobi. Monts Arbis-oula (Ordos).
HYPERLINK \l "pl050a" Le lac Khara-oussou et l'Altaï mongol, près de Kobdo.
HYPERLINK \l "pl050b" Campement de Toubas à Ala-sou (haut Iénisseï).
HYPERLINK \l "pl051a" Type de Mongol.
HYPERLINK \l "pl051b" Famille et hutte de Toubas (haut Ienisseï).
HYPERLINK \l "pl051c" Tente mongole, entre Ourga et Kiakhta.
HYPERLINK \l "pl052a" Le grand monastère d'Ourga.
HYPERLINK \l "pl052b" Blocs de granité sur la pente sud du Bogdo-oula.
HYPERLINK \l "pl052c" Pentes nord de la chaîne Noïn-bogdo (Altaï oriental).
HYPERLINK \l "pl053a" Crête de conglomérats dans la chaîne Noïn-bogdo (Altaï oriental).
HYPERLINK \l "pl053b" Extrémité orientale des monts Dzolin (Altaï oriental).
HYPERLINK \l "pl054a" Contreforts du Mouztagh-ata.
HYPERLINK \l "pl054b" Pont sur le Youroungkach (Khotan).
HYPERLINK \l "pl054c" Montagnes du haut Youroungkach-daria (Altyn-tagh).
HYPERLINK \l "pl054d" Ming-Uï, les Mille Grottes.
HYPERLINK \l "pl055a" Type de village au pied sud du Karlyk-tagh.
HYPERLINK \l "pl055b" Type de forêt de sapins du Tien-chan, au pied du Khan-tengri.
HYPERLINK \l "pl055c" Massif du mont Khan-tengri, dans le Tien-chan central.
HYPERLINK \l "pl056a" L'oasis de Kéria (Turkestan chinois).
HYPERLINK \l "pl056c" Ruines de Leou-lan. Désert du Lob-nor, région des « yardangs ».
HYPERLINK \l "pl056d" Indigènes et barques sur l'Ougen-daria (Tarim).
HYPERLINK \l "pl057a"Jeune koulan capturé par des indigènes du Turkestan chinois.
HYPERLINK \l "pl057b" Vallée Sud de Koutcha (Turkestan chinois).
HYPERLINK \l "pl058a" Pied nord du Tcheul-tagh.
HYPERLINK \l "pl058b" Forêt de toghraks morts au bord du lit desséché du Kéria-daria.
HYPERLINK \l "pl058c" Source de Lowaza, sur le bord Sud du Lob-nor.
HYPERLINK \l "pl059a" Le petit frère du Grand lama de Tachilhounpo.
HYPERLINK \l "pl059b" Dame noble du Tibet central.
HYPERLINK \l "pl059c" Types des hauts plateaux.
HYPERLINK \l "pl059d" Types des hauts plateaux.
HYPERLINK \l "pl059e" Cavaliers tibétains en expédition.
HYPERLINK \l "pl060a" Crête de montagne en arête entre Mékong et Salouen.
HYPERLINK \l "pl060b" Village du Tibet oriental.
HYPERLINK \l "pl060c" Village de Tingri (Tibet méridional).
HYPERLINK \l "pl060d" Le mont sacré Kailas (Tibet occidental).
HYPERLINK \l "pl061a" Lé et le château de l'ancien roi tibétain.
HYPERLINK \l "pl061b" Monastère de Séra, près de Lhasa.
HYPERLINK \l "pl062a" Vue du lac Tchigad-tso (hauts plateaux tibétains).
HYPERLINK \l "pl062b" Source du Tsangpo-Brahmapoutre et monts Koubi-gangri.
HYPERLINK \l "pl062c" Le mont Everest vu du côté tibétain.
HYPERLINK \l "pl063a" Gyangtsé-dzong (Tibet central).
HYPERLINK \l "pl063b" La rivière Kyi-tchou en aval de Lhasa.
HYPERLINK \l "pl063c" Vue de Lhasa.
HYPERLINK \l "pl064a" Le col de Karakoram.
HYPERLINK \l "pl064b" Le glacier du Baltoro (Karakoram-Himalaya).
HYPERLINK \l "pl064c" Le glacier du Baltoro, versant abrupt de droite.
Crédits photographiques
Bacot : LX. A.B.
Carruthers : L. A.B. LI. A.B. LV. A.
Descos : LV. B.
Dutreuil de Rhins : LVI. A.B. LIX. D.
Hayden : LXIII. A.
Hedin : LIV. A. LVI. C.D. LVII. A. LIX. A.C.E. LX. D. LXI. A. LXII. A.B.
Heron : LX. C. LXI. C.
Lacoste : LII. A. LIV. A.
Neel : LIX. B.
Obroutchev : XLIX. A.B.C. LI. C. LII. B.C. LIII. A.B. LVIII. A.
Pelliot : LIV. D. LVII. B.
Sella : LIV. B.C.
Stein : LIV. B.C. LVIII. B.C.
Soc. Géogr. de Paris : LV. C.
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CHAPITRE PREMIER
TRAITS GÉNÉRAUX.
LA STRUCTURE ET LA FORMATION DU RELIEF
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p.235 Le continent asiatique tout entier, de la mer Égée à la mer d'Okhotsk, est traversé par une levée large et continue de hautes terres, qui, dans sa partie centrale, prend des dimensions colossales en altitude et en surface. Du lac Baïkal à l'Himalaya, entre Krasnoïarsk, le Pamir, le Yun-nan et l'extrémité septentrionale du Grand Khingan, elle forme, dressé sur de vastes terrasses de hauteurs diverses et couvrant plus de 8 millions de kilomètres carrés, un édifice composite de plis montagneux, le plus puissant du globe (fig. 37). C'est la Haute Asie, sorte de noyau du continent, autour duquel se rangent les plaines et les vallées fertiles de l'Inde et de la Chine, les forêts et les champs de blé de la Sibérie, les steppes des Turcs Kazaks, les oasis de Transoxiane et le plateau également montagneux, mais beaucoup plus accessible et hospitalier, de l'Iran. Phénomène physique sans pareil, qui eut pour l'histoire de l'humanité des conséquences très graves. Les rides de l'écorce terrestre se pressent les unes contre les autres presque sans interruption sur une profondeur de plus de 3.000 kilomètres ; elles atteignent dans le Sud les altitudes les plus élevées du monde, et, quand au Nord elles s'abaissent à 2.000-3.000 mètres, la latitude plus haute leur laisse la même âpreté de climat. L'éloignement de la mer se joint à la disposition du relief pour réduire à l'extrême la quantité des pluies, imposer un régime de températures excessives, de cours d'eau et de lacs sans écoulement, d'aridité exclusive de la vie humaine dans une grande partie du pays. Ainsi tout concourt à la difficulté des communications. Il en est résulté une séparation profonde, jusqu'à la fin du XIXe siècle, des deux grands centres de la civilisation, le méditerranéen et le chinois. Encore aujourd'hui le rail contourne par le nord l'obstacle resté p.236 infranchissable au grand commerce, et c'est surtout le progrès de la navigation à vapeur qui a rompu l'isolement de l'Extrême-Orient. Si nous remontons à une période plus lointaine de la vie des êtres, nous voyons que ce même rempart montagneux, s'avançant au-dessous du 28e parallèle, a coupé en deux le domaine biologique subtropical qui s'étendait de l'Atlantique au Pacifique et lui a substitué sur une part notable du globe la faune et la flore des steppes.
Le fragment de la surface terrestre qui fait l'objet de cette étude comprend, en somme, les dépendances extérieures de l'ancien empire chinois et se divise en trois régions principales assez bien délimitées au triple point de vue de la nature, de la population et de la politique : la Mongolie, le Turkestan oriental, le Tibet. Mais, avant d'en aborder la description détaillée, il est nécessaire de jeter un regard d'ensemble sur l'ordonnance des montagnes qui couvrent tout l'espace dont il s'agit et en constituent le caractère essentiel. Ces montagnes appartiennent à des âges différents, elles présentent des aspects divers et suivent des orientations variées ; néanmoins elles se conforment à un plan général dont il faut dégager l'harmonie compliquée par un tableau synthétique, seul capable de mettre de l'ordre et de la clarté dans un chaos apparent.
On sait aujourd'hui que les chaînes de la Haute Asie décrivent des lignes, plus ou moins arquées et déviées, dans le sens des parallèles. Longtemps on s'en est fait une idée tout autre, et, en effet, les communications d'ouest en est ne tirent pas d'une telle disposition les facilités qu'on en pourrait attendre. Le voyageur qui vient de l'Occident rencontre devant lui dans la partie la plus méridionale le rebroussement nord-ouest de l'Himalaya ; plus au Nord, il se heurte au Pamir dont les chaînons courant d'ouest en est sont guindés sur un haut piédestal et vont buter contre l'arc de Yarkend ; puis le prolongement du Tien-chan vient s'appliquer en biais sur le Pamir, et ses courbes infléchies au nord-ouest présentent un nouvel obstacle. Si, entre le Tien-chan et l'Altaï mongol, la Djoungarie s'ouvre comme une large bouche, de forts tronçons montagneux se mettent obliquement en travers de son entrée, ne laissant libre que la « porte djoungare », passage étroit et déjà excentrique. Enfin les arcs de l'Altaï russe, recourbés au nord, complètent une illusion que les anciennes cartes traduisaient par une chaîne continue le long de la frontière occidentale de l'empire chinois. De même, à l'Orient, un géographe aussi savant et perspicace que Kropotkine émettait encore en 1904 l'hypothèse d'un raccordement de l'Himalaya au Khingan, enveloppant le grand plateau asiatique. En réalité les chaînes venant de l'Ouest sont détournées et infléchies vers le sud ou vers le nord à l'approche des massifs anciennement consolidés de la Chine, et seul le Tsin-ling poursuit sa course régulière au Levant en se glissant entre les deux môles précambriens qui occupent le Nord et le Sud de cette contrée.
La direction générale en latitude des plis de la Haute Asie est due à ce qu'ils sont essentiellement le produit de la compression de l'écorce entre les vieux continents de la Sibérie et de l'Inde. Mais l'âge différent de leur formation première et l'intervention d'autres masses anciennement affermies ont introduit dans leur orientation comme dans leur structure une diversité considérable. p.237
I. LA FORMATION DES PLIS MONTAGNEUX
Avec Suess, qui le premier débrouilla le chaos, transportons-nous à l'orée méridionale de la plate-forme archéenne de Sibérie, qui, largement étendue au Nord entre l'Iénisseï et l'Aldan, pousse un énorme promontoire au Sud jusqu'aux environs d'Irkoutsk. Elle est l'homologue presque exact du plateau hindou, équivalent en puissance et morceau lui-même de l'ancien continent indo-africain. Aplanie dès l'époque précambrienne et à peine plissée dans la suite, abandonnée par la mer depuis l'âge silurien, recouverte aux temps jurassiques de lambeaux horizontaux de terrains à lignites formés en eau douce, dits de l'Angara, elle constitue un des blocs primordiaux de la terre ferme, l'un des plus homogènes et des plus résistants. Contre elle, les plis montagneux de la Haute Asie se sont appliqués par étapes successives du nord au sud, se disposant en guirlandes et comblant progressivement le vieil océan, connu sous le nom de Téthys, qui occupait le centre du continent actuel et déployait ses nappes salées du Pacifique à la plate-forme russo-scandinave et à la Méditerranée (fig. 35).
Fig. 35. Formation du continent asiatique.
1. Aires continentales ; 2. Plis antédévoniens ; 3. Plis de l'ère carbonifère ; 4. Plis tertiaires. Échelle : 1:50.000.000.
D'abord une zone en arc de cercle convexe au Sud, large d'un millier de kilomètres en moyenne, borde le promontoire sibérien, autour duquel elle semble se propager en vibrations concentriques. Elle se compose de longues croupes monotones de roches anciennes qui s'alignent parallèlement entre Irkoutsk et le Khingan, avec une direction Nord-Est, jusqu'à la mer d'Okhotsk, et se continuent au Sud-Ouest par de petits tronçons dégradés à travers la Mongolie septentrionale. Leur direction s'infléchit graduellement pour ménager leur raccord aux chaînes Nord-Ouest qui s'étendent à l'Occident du méridien d'Irkoutsk p.238 Saïan oriental, Tangnou-oula oriental, Khangaï, Altaï mongol. C'est le plissement le plus ancien de l'Eurasie, le Faîte primitif de Suess. Nom impropre qui en suppose l'origine exclusivement précambrienne, alors qu'on y a reconnu des parties d'âge silurien et dévonien, d'ailleurs impossibles à délimiter. Nous nous contenterons de l'appeler l'ancien Faîte, en y joignant un fragment qu'en sépare l'illustre géologue, la région intermédiaire de Minoussinsk, qui comprend les branches occidentales du Saïan et du Tangnou, distinguées par leur direction nord-est. Elle semble être l'amorce d'un autre arc coupé à l'Ouest par l'Ala-taou de Kouznetsk, dont la ligne nord-sud marque la rencontre de deux domaines montagneux différents : l'ancien Faîte et les plis rattachés à l'Oural qui se sont formés entre le bouclier sibérien et le bouclier russo-scandinave.
La frontière méridionale du Faîte, à peu près parallèle à la côte septentrionale du môle sinien et à la lisière nord-orientale du bassin du Lob-nor, n'en est séparée que par un intervalle assez étroit. Il faut sans doute voir dans ce dernier bassin, pour lequel il est commode de relever l'appellation oubliée de Sérinde, un ancien massif, une grande île de la Téthys, dont le sol primitif est aujourd'hui dissimulé sous des sédiments récents. Du long géosynclinal en croissant, qui se creusait dans l'intervalle indiqué, ont sailli à l'ère carbonifère les plis pressés du Tien-chan et du Pé-chan, continués par quelques débris dans la Mongolie du Sud. Simple fragment des Altaïdes de Suess, qui se développent en vaste éventail dans la dépression touranienne, de l'Ob à l'Amou-daria ; ils y forment des courbes concentriques convexes au Sud-Ouest, dont l'amplitude s'accroît du nord au sud : Altaï russe, Tarbagataï, Ala-taou djoungare, branches occidentales du Tien-chan, Hindou-kouch. Cette immense ondulation, interrompue à l'Est ou resserrée par la Sérinde, reprend sa liberté à l'autre extrémité de la digue, s'y manifeste par le faisceau du Nan-chan, qui va à l'est-sud-est se heurter à l'éperon Sud-Ouest du môle sinien, et par les chaînes nombreuses du Tibet oriental, accumulées en arrière comme des vagues parallèles, les unes s'écoulant vers l'est, entre les deux massifs chinois, sous le nom de Tsin-ling, les autres repoussées au Sud par le bloc résistant du moyen fleuve Bleu. Au Nord-Est, les Altaïdes ont pour dernier représentant le Grand Khingan, qui embrasse le Sud et l'Est de l'ancien Faîte et constitue la frontière tectonique entre la Mantchourie et la Transbaïkalie.
En même temps, les plissements relativement étroits de l'arc de Yarkend, dont les débuts remontent à une ère antérieure, s'achevaient et commençaient à combler le bras méridional de la Téthys, le long du bord ouest et sud de la Sérinde. Ils forment les monts de Kachgar, l'Altyn, l'Oustoun et l'Arka-tagh, qui à l'Est se raccordent au Nan-chan et au Tsin-ling.
Enfin, les mouvements orogéniques de la période tertiaire firent disparaître le dernier vestige de la Méditerranée asiatique et complétèrent la construction du continent actuel en donnant naissance aux plus hauts reliefs du globe, qui sillonnent de courbes parallèles, convexes au sud-sud-ouest, une grande partie du Tibet et culminent dans l'Himalaya à la limite méridionale de la région décrite dans ces pages.
Dans l'esquisse très sommaire qui précède, la Haute Asie apparaît comme le résultat de plissements qui se sont succédé dans le temps du nord au sud, indice d'une direction inverse de la poussée subie par la matière plastique. La réalité est moins simple. Dans le Pé-chan, on croit reconnaître les traces d'un mouvement antédévonien, avorton de plis symétriques à l'ancien Faîte et de même âge. Une p.239 partie de l'Altyn-tagh remonte aussi haut dans le temps et révèle une avance au sud des terres de la Sérinde, correspondant à l'extension au nord du continent de Gondwana qui, dès le Cambrien, touchait l'emplacement de la crête actuelle de l'Himalaya.
Il est remarquable que cette dernière chaîne décrive un arc de cercle régulier, seulement un peu faussé à l'Est, avec le Lob-nor pour centre. Cet arc se creuse comme une paume prête à recevoir l'ancien Faîte projeté de Sibérie. Son sommet géométrique, ainsi que le coude du Gange près de Bénarès, est situé sur une perpendiculaire tirée au sud-sud-ouest du milieu du front sud-occidental du promontoire d'Irkoutsk. Cette ligne, qui passe par le Lob-nor, détermine l'orientation générale du segment montagneux de la Haute Asie dont elle témoigne l'unité de plan. Non que ce soit un édifice isolé ; il fait partie au contraire d'une ordonnance plus vaste. Les Altaïdes s'allongent à l'Ouest, parfois invisibles, pour se relier à l'Oural et aux ruines des monts hercyniens de l'Europe. L'Himalaya et les chaînes tertiaires du Tibet ne sont qu'une suite des plis alpins, qui les rejoignent par les arcs d'Anatolie et d'Iran. L'un et l'autre système se continuent au Sud-Est à travers l'Indochine, et vont, en décrivant des courbes très amples, former les îles rangées en festons au flanc de l'Asie orientale. La houle montagneuse, comprimée et arrêtée par le bloc solide de l'Inde, le déborde des deux côtés et s'enfonce profondément au sud dans les espaces qu'il laisse ouverts à l'Ouest et à l'Est.
II. LES PLISSEMENTS TERTIAIRES
L'action orogénique de l'ère tertiaire ne s'est pas bornée à créer le système himalayen : elle a fortement remanié les constructions antérieures. Rasées par le temps, celles-ci ont été relevées par elle sur un plan modifié, en sorte que leur aspect présent est proprement son uvre. Mais, en dehors de son domaine particulier, elle s'est exercée sur des terrains déjà solides, et non plus sur des sédiments neufs, avec des effets variant selon le degré de rigidité de la matière façonnée. Elle a produit des plis de fond, déterminés, aussi bien que ceux des géosynclinaux, par des efforts horizontaux de contraction qui compriment, rident, exhaussent, déforment et rompent l'écorce terrestre depuis les profondeurs plus fluides jusqu'à la surface plus figée. Les terrains y sont d'autant moins dociles, toutes choses égales d'ailleurs, qu'ils sont de formation plus ancienne, et les blocs archéens, sans y être à beaucoup près insensibles, y résistent au point de nous sembler, faute d'élément de comparaison supérieur, comme, des bornes immobiles contre lesquelles vient déferler le flux de la substance plastique mise en mouvement par les contractions de la croûte du globe et par les phénomènes d'isostasie. Ils n'en participent pas moins au resserrement général dans les mêmes conditions que les terres plus jeunes, et il y a dans leur comportement différence de degré, non de nature. Mais, moins ils cèdent aux plissements, plus ils subissent des déplacements d'ensemble qui les rapprochent entre eux ; aussi ne jouent-ils pas seulement le rôle passif d'obstacles contenant les matières mobiles à la manière des berges d'un fleuve, ils intensifient, en s'avançant les uns vers les autres, la pression des masses prises dans l'intervalle.
La Haute Asie embrasse toute l'étendue, relativement flexible et en quelque mesure fluide, qui est soumise aux actions opposées du promontoire d'Irkoutsk p.240 et de la plate-forme hindoue. La puissance de cet étau a déterminé l'accumulation et l'altitude exceptionnelles des plis montagneux, particulièrement saisissantes dans la partie occidentale que limite une ligne droite tirée d'Irkoutsk à Calcutta ( HYPERLINK \l "fig035" fig. 35). C'est en effet de ce côté seulement que les deux môles solides se font directement face ; leur énergie s'y fait sentir davantage, et elle s'accroît de l'intervention entre eux du bloc sérindien. Dans la subdivision orientale, au contraire, la rencontre des deux masses étant oblique et la Sérinde ne faisant plus obstacle à l'écoulement profond des matières plastiques, les crêtes s'abaissent, et, fait plus important, la hauteur moyenne du sol diminue de beaucoup. Les plus hauts pics de l'Himalaya se groupent un peu à l'ouest de la ligne de démarcation. Là sont situés le point culminant, l'Everest (8.840 m.), et sept cimes de plus de 8.000 mètres, c'est-à-dire toutes celles de cet ordre de grandeur sauf le Nanga-Parbat que compte l'Himalaya proprement dit. La carte hypsométrique jointe à ce texte ( HYPERLINK \l "fig052" fig. 52, p. 337) montre que les immenses surfaces du Tibet où ne s'observe aucun point inférieur à 4.500 mètres sont renfermées presque entièrement dans la première subdivision. D'une part, le Karakoram-Himalaya, l'arc de Yarkend et le Tien-chan atteignent respectivement jusqu'à 8.610, 7.680 et 7.000 mètres ; d'autre part, le Nan-chan et l'Ala-chan ne dépassent pas 6.350 et 3.250 mètres. Les chaînes Nord-Ouest de l'ancien Faîte, du Saïan à l'Altaï, ont des sommets de 3.500 à 4.500 mètres, tandis que dans les chaînes Nord-Est il n'y a rien au-dessus de 2.800.
L'arc himalayen marque la lisière du vieux continent de Gondwana. Il se compose de deux bandes soulevées en plis de fond à l'époque tertiaire : les sédiments anciens sans fossiles du bas Himalaya au Sud, les roches éruptives et cristallines de la haute chaîne au Nord. Parallèle au môle archéen que limite au Nord la vallée actuelle du Gange, il en borde l'extrême extension précambrienne. Cette extension est à la plate-forme hindoue ce que l'ancien Faîte est au promontoire d'Irkoutsk. Sa convexité est tournée vers l'intérieur au lieu de l'être vers l'extérieur, mais de part et d'autre les couches sont renversées vers le continent, et tout l'Himalaya est débité en nappes cassantes charriées au Sud. Dès que l'arc montagneux, après s'être développé sur 2.400 kilomètres, perd l'appui des terrains archéens, il cesse brusquement de pousser ses deux bouts vers le Nord. À l'Ouest, au delà de l'Indus, il se replie par les monts du Dardistan et passe à la direction sud-sud-ouest de la branche orientale de l'arc iranien, tandis que la courbure du bas Himalaya s'affronte le long du Tchilam (Jhelam) à la courbure inverse des derniers rameaux de l'Iran. À l'Est, au delà du Brahmapoutre, le système subit autour des terres anciennes une torsion violente pour se raccorder à la direction sud-sud-est des monts du Tibet oriental et aux chaînes Naga et Patkaï, orientées sud-sud-ouest.
Les deux cornes que poussent au Nord l'Himalaya et le vieux continent ont pour conséquence un puissant étranglement des plis montagneux contre le massif sérindien à l'Ouest et contre le môle de la Chine méridionale à l'Est. Ces plis formés dans le dernier géosynclinal de la Téthys tibétaine constituent dans l'Occident une double chaîne : au Sud, les plis de la zone fossilifère, dite zone tibétaine, en grande partie éocène, qui côtoie le versant septentrional de l'Himalaya ; au Nord, les plis calcaires crétacés du Karakoram. Les premiers sont déversés au Sud vers la marge du continent hindou, les autres, au Nord vers la Sérinde. Il est probable, bien qu'on n'en soit pas exactement informé, que la p.241 même disposition, habituelle aux formations géosynclinales, se prolonge à l'Est dans le centre du Tibet, où les plis s'épanouissent et se multiplient à mesure que le bassin du Lob et l'Inde s'écartent l'un de l'autre. La direction des plis, parallèle à l'Himalaya, c'est-à-dire sud-est, puis ouest-est, incline à l'est-sud-est en passant dans la subdivision orientale de la Haute Asie. Elle est alors parallèle au Nan-chan. Enfin, ces chaînes neuves se relient aux plis de fond sculptés dans le matériel hercynien des Altaïdes et se butent aux masses résistantes du moyen fleuve Bleu. Le bassin Rouge du Sseu-tchouan, dont les couches continentales, qui ne remontent pas au delà du Jurassique, paraissent reposer directement sur un substratum silurien ou
Fig. 36. Coupe Nord-Sud de la Haute Asie.
Échelle des hauteurs, 1 : 50.000 ; des longueurs, 1 : 25.000.000.
archéen, repousse les plis qui l'abordent. Les uns, Alpes du Sseu-tchouan et Ta-pa-chan, se moulent contre sa lisière septentrionale, avec une direction générale nord-est ; les autres sont rejetés au Sud et comprimés étroitement, comme dans un goulot de bouteille, entre le sol anciennement solidifié du Kouei-tcheou et l'extrémité du continent hindou. C'est le pendant du resserrement, encore plus contraint, de l'Ouest entre Jammu et Kilian, où la largeur de l'ensemble himalayo-tibétain est réduite à 520 kilomètres, alors qu'elle en mesure 1.360 sur le 90e méridien. À chaque étranglement correspondent une exaltation remarquable des axes et la plus grande accumulation de hauts pics.
Les mêmes mouvements qui ont fait surgir les chaînes neuves du Tibet ont redressé par des plis de fond le relief des vieux terrains de l'arc de Yarkend, l'appliquant, le poussant et le renversant contre le bassin du Lob, comme ils ont fait l'Himalaya contre l'Inde. La branche occidentale de l'arc monte presque droit au nord jusqu'à ce que, rencontrant le courant sud-sud-est qui a modelé le Tien-chan, elle adopte la direction ouest-sud-ouest de cette chaîne, de même que les plis du géosynclinal tibétain se raccordent par une courbe continue à l'Hindou-kouch. Au sud de la Sérinde, l'arc est constitué par deux chaînes, l'Altyn-tagh, qui tombe en pentes raides sur le désert, et l'Oustoun ou Arka-tagh, qui se dresse en arrière sur le plateau. L'Altyn-tagh court est-sud-est jusqu'au 82e méridien, puis à l'est-nord-est. Ses rameaux septentrionaux vont, dans cette dernière direction, se rattacher au Nan-chan par le Nord du Tsadam, tandis que p.242 les méridionaux dévient et se coudent aux environs de l'Ayagh-koum-koul pour contourner le Sud de cette région dont les marais cachent vraisemblablement un îlot ancien analogue à la Sérinde, mais plus petit. Quant à l'Arka-tagh, sa position plus méridionale lui vaut de subir à l'approche du Tsadam une flexion beaucoup plus légère. Comme l'Altyn-tagh méridional, il va rejoindre à l'Est le Tsin-ling.
En réalité l'Altyn-tagh à l'est de 82° n'est pas un front continu ; il se décompose en une série de coulisses ou d'échelons qui se relayent et peuvent être considérés comme les extrémités ployées et serrées contre le bloc sérindien des chaînes du Nan-chan et du Sud du Tsadam. Cette disposition particulière manifeste clairement l'existence d'un massif de vieille consolidation sous les sables du Turkestan chinois.
La Sérinde finissant à l'Orient, les plis montagneux qu'elle ne refoule plus prennent une direction est-sud-est, c'est-à-dire normale au flux de matière plastique qui s'écoule entre les deux parties orientales de l'Inde et de la Sibérie et que les môles chinois contiennent à l'Est ainsi qu'une berge. Les sept chaînes parallèles du Nan-chan, élevées entre les deux dépressions du Tsadam et du Kansou Nord-occidental, vont se briser contre le butoir de l'Ordos qui rejette les unes au Nord le long du fleuve Jaune et les autres au Sud-Est. Leur versant septentrional, sillonné d'une ligne de fracture continue, plonge dans la plaine allongée qui s'étend de Liang-tchéou (Nou-wei) à Sou-tchéou (Tsieou-tsiuan) à l'altitude moyenne de 1.500 mètres. Limite géographique remarquable, cette dépression se relie vers l'Est à une suite de bassins affaissés enveloppant d'une large courbe de 1.500 kilomètres le plateau des Ordos par la vallée du Weï, Ping-yang, Tai-yuen, Ta-toung. Vers l'Ouest elle se rattache à la vallée du Sou-lo-ho et au bassin du Lob. Cette profonde dénivellation ouvre la grande route entre l'Occident et l'Orient de l'Asie, elle constitue la frontière septentrionale des hauts plateaux tibétains et des reliefs accidentés de la Chine.
Les plissements alpins qui ont renouvelé le système hercynien du Tien-chan viennent du Nord-Ouest, de la région touranienne où règne le flux de substance plastique descendant de la Sibérie occidentale. La plus grande distance des môles anciens, la pression latérale moindre qui en résulte les laissent plus libres d'étaler leurs ondulations dans le sens du méridien. Mais, en s'approchant de la Sérinde, ils sont déviés à l'est-nord-est, serrés contre le bord septentrional du massif d'autant plus énergiquement que ce bord s'avance plus au Nord. Ils atteignent ainsi leur plus grand degré de compression comme leur plus grande hauteur entre 80° et 86° Est. Ils sont renversés et charriés au sud, de même que l'Altyn-tagh au nord, c'est-à-dire contre le butoir commun ; ils s'opposent, à ce point de vue, aux monts de l'ancien Faîte, qui sont poussés en sens inverse vers le promontoire d'Irkoutsk. D'une manière analogue, l'Himalaya tourne le dos à l'Altyn-tagh.
Au delà du Bogdo-oula, le Tien-chan échappe définitivement à l'influence du courant touranien, et, rentrant dans le domaine exclusif de la pression sérindo-sibérienne, il se range, avec les monts Barkoul et Karlyk, à l'orientation est-sud-est de la partie occidentale de l'ancien Faîte. Continuant leur course vers l'est, toujours appliquées contre la Sérinde rétrécie, ses chaînes septentrionales se glissent le long de l'Altaï, tandis que les méridionales, appelées Pé-chan, côtoient de très près le Nan-chan, dont le bloc de l'Ordos les écarte de nouveau de p.243 l'autre côté de l'Edzin-gol, en les infléchissant au nord-est. les unes et les autres se résolvent en fragments isolés dans le désert de Gobi. Seul le Khara-narin, pincé entre l'Ordos et l'Altaï, fait figure de haute chaîne.
Entre le Tien-chan central et l'Altaï mongol, dont les directions forment entre elles un angle assez ouvert, s'étend la dépression djoungare, la plus profonde de la Haute Asie, abstraction faite de la fosse de Louktchoun, simple accident local. Elle est presque fermée à l'Ouest par des coulisses obliques orientées au nord-est : Ala-taou, Djaïr, Barlyk, Ourkachar. Cette disposition est due à l'inflexion du flux touranien qui, dégagé sur sa gauche de la contrainte de l'ancien Faîte, tend à s'écouler au sud-est, en sorte que les plis dont il s'agit lui restent normaux. La Djoungarie est un compartiment écarté de la région touranienne.
Travaillant une matière déjà rigide, qui n'avait plus assez de souplesse, les mouvements alpins ont déterminé dans les terrains trop tendus par le plissement un grand nombre de cassures en long. Les ruptures sont d'autant plus nombreuses, plus étendues et plus raides que les couches affectées sont plus anciennes et que le rayon de courbure des plis est moins large. Le Tien-chan, l'Ala-taou, le Tarbagataï, à rayon de courbure moyen, sont plus profondément sillonnés de fractures longitudinales que les plis plus amples de l'Altaï russe. Un long fossé sépare le Bogdo-oula et le Karlyk-tagh du Pé-chan ; une série de dislocations disjonctives ont découpé en « horsts » et en fosses les monts de Djoungarie. Le Nan-chan est le produit de fractures postérieures au dépôt des couches du Gobi.
Quant à l'ancien Faîte, il doit à son âge une constitution pareille, encore plus accusée, avec plus de raideur et de lourdeur dans les cassures. L'Altaï mongol est une bande surélevée entre deux failles immenses, et dans le Nord jusqu'au Baïkal, à l'est comme à l'ouest du méridien du lac, tout le relief a la même configuration. Dans les roches dures du vieux Faîte, l'effort des plis de fond récents s'est traduit plus généralement qu'ailleurs par des dislocations disjonctives. Souvent aussi, il s'est borné à renfler le sol en larges voûtes englobant les plis morts des vieilles roches : tels sont le Khingan, le Kenteï et le Khangaï, où les grandes fractures sont absentes ou ne paraissent que peu dans la topographie. Tous ces mouvements de rupture et de gauchissement sont indépendants des anciens plis ; à l'ordinaire, ils en coupent obliquement les lignes de direction, mais ils n'en ont pas changé l'ordonnance générale.
III. LES DERNIERS SOULÈVEMENTS.
LES BASSINS FERMÉS ET LES DÉSERTS
Ces soulèvements datent du Pléistocène ou du Pliocène au plus, et ce sont eux qui sont responsables du relief tel que nous le voyons. Tous les reliefs précédents, même tertiaires, avaient été rasés. Partout apparaissent au pied des monts des lits épais de débris continentaux. Ils enterrent en grande partie les hauts sommets du Tibet et du Pamir, aussi bien que les collines basses de la Mongolie ; ils noient presque entièrement les avant-chaînes du Tien-chan, s'amassent en vastes glacis de cailloutis et de gravier à la base des monts de Kachgar, de l'Altyn-tagh, du Nan-chan, du Pé-chan, de l'Altaï, couvrent le sous-sol ancien du Turkestan chinois d'un manteau de sable apporté des monts environnants par les rivières et le vent. L'Himalaya a amassé à la lisière de la plaine du Gange une p.244 couche énorme de conglomérats fluviatiles actuels, résultat de sa propre décomposition. Autant de témoignages d'une puissante érosion de grande durée, plusieurs fois renouvelée, qui a disséqué et aplani les montagnes tertiaires de la première époque. Ces débris sont souvent plissés, ils constituent entre autres les matériaux des monts Siwalik et des collines longeant le pied méridional du Tien-chan, preuve du renouvellement des mouvements orogéniques au Pliocène et au début du Quaternaire. On remarque fréquemment les mêmes dépôts détritiques juchés à de hautes altitudes, à 6.400 mètres dans le Tibet occidental, à 4.200 dans le Nan-chan. Leur présence à de telles hauteurs ne peut s'expliquer par un phénomène de transport ; il faut qu'il y ait eu un soulèvement postérieur à leur déposition. On reconnaît d'autres signes de cette surélévation récente dans le brusque abaissement du thalweg des rivières du versant méridional de l'Himalaya, qui tombe de 2.000 mètres en moins de 20 kilomètres, dans le rajeunissement évident de ces cours d'eau qui creusent profondément leurs propres dépôts pliocènes, dans les nombreux phénomènes d'érosion remontante et de capture qu'ils manifestent. Dans son état actuel, l'Himalaya est une chaîne très jeune, et l'on a supposé que sa surrection continuait encore aujourd'hui. Les services officiels du gouvernement de l'Inde ont institué des observations pour essayer d'en faire la preuve, mais depuis trop peu de temps pour qu'on ait pu en tirer des résultats concluants.
Cela posé, il devient aisé de comprendre un phénomène très général dans la Haute Asie, dont il constitue un des traits les plus caractéristiques. Dans les plus hautes montagnes, on voit les sommets aplanis, arrondis, s'étaler à l'horizon en une surface d'un niveau presque uniforme, et la tranche supérieure des vallées affecter des formes mûres à pentes douces, tandis qu'à quelques centaines de mètres en dessous elles se convertissent brusquement en gorges abruptes, en gouffres vertigineux de plusieurs milliers de mètres. Les monts du Tibet oriental entre lesquels se creusent les tranchées formidables du fleuve Bleu, du Mékong, du Salouen comptent parmi les exemples les plus étonnants de cet aspect singulier, qui d'ailleurs ne s'observe pas moins sûrement dans certaines parties de l'Altyn-tagh, dans le Tien-chan, les monts de Djoungarie, le Tarbagataï, le Khangaï. La Mongolie et le Tibet septentrional n'en diffèrent que parce que l'érosion y agit peu. Ce sont des pénéplaines, restes usés, nivelés des monts tertiaires, qu'un mouvement subséquent a portés à leur altitude présente, en rajeunissant les forces d'érosion (pl. LIV. C).
LIV. C. Montagnes du haut Youroungkach-daria (Altyn-tagh).
Altitude presque uniforme des sommets. À l'arrière-plan, à gauche, point culminant : 7.285 mètres.
L'explication d'un tel mouvement ne semble pas requérir une autre hypothèse que celle des pressions horizontales créant les plis neufs et revivifiant les vieux. Tout se passe comme si le massif hindou s'était, par une poussée irrésistible au Nord, introduit en biseau sous le continent plus jeune et plus plastique qui lui fait face. Nous avons déjà appelé l'attention sur la disposition oblique par rapport aux parallèles de la bordure de ce massif, beaucoup plus septentrionale à l'Ouest qu'à l'Est. L'attaque prononcée suivant une pareille ligne a nécessairement pour effet de faire décroître l'exhaussement dans le sens du nord-est. Il importe d'ailleurs de se dégager des considérations purement linéaires et de se figurer le mouvement en volume. Il apparaîtra ainsi qu'il en doit ressortir un gauchissement général de la surface de la Haute Asie, qui donne la clé, si l'on tient compte de l'érosion pour les détails, de tout l'agencement des altitudes. Les terrains sont d'autant plus élevés qu'ils sont plus proches de la source du p.245 mouvement. D'abord l'énorme intumescence tibétaine, la plus exposée à la poussée, plus haute cependant à l'Ouest et s'abaissant graduellement vers l'est et vers le nord. Puis, au nord de la dépression sérindienne, qui fait exception par sa nature de vieux bloc immobile, la masse encore imposante du Tien-chan, suivie du rempart moins élevé de l'Altaï d'où l'on descend vers la fosse du Baïkal par les trois gradins successifs de la Vallée des Lacs et par le bassin du haut Iénisseï, comme par les marches d'un escalier gigantesque (fig. 36). Le gauchissement provenant de ce vaste mouvement de bascule se fait sentir jusqu'à la ligne de dénivellation de Richthofen, qui, de la frontière sibérienne au Yun-nan, par le Khingan, le Wou-taï-chan, le Taï-hang-chan, les bouts coupés à pic du Tsin-ling, les rapides d'Itchang, présente un escarpement continu du côté du Pacifique et marque la limite extrême des hautes terres de l'Asie.
Reconnaissons toutefois que cette explication n'est pas pleinement satisfaisante. On se demande comment la compression des terrains entre le promontoire d'Irkoutsk et le môle sinien n'a pas eu un effet proportionnel d'exhaussement sur le relief de la Mongolie orientale. La plus grande antiquité des couches intermédiaires, la nature moins homogène et moins consistante du môle sinien en rendent compte pour une part. Il est probable aussi que l'action de ce dernier a été contrariée par la violence du rapprochement indo-sibérien.
Tout cet ensemble immense de montagnes est assez monotone. La plupart des chaînes, quel que soit leur âge, ont peu d'individualité et de variété. En Mongolie, les lignes de faîte gardent une hauteur presque uniforme sur toute leur longueur, et les vallées s'abaissent de peu au-dessous des sommets. Dans le Tibet septentrional, les fonds se tiennent dans les environs de 5.000 mètres, alors que les cimes dépassent rarement 5.500. Le pays prend par suite un aspect tabulaire et peut être décrit comme une série de vastes plateaux étagés les uns sur les autres. Cette disposition fait obstacle à l'écoulement des eaux et favorise la formation de ces bassins fermés qui occupent en foule la plus grande superficie de la Haute Asie. La faiblesse conséquente de l'érosion, accrue par l'aridité générale, contribue à son tour à renforcer l'apparence tabulaire de la surface (pl. L. A).
L. A. Le lac Khara-oussou et l'Altaï mongol, près de Kobdo.
L'extension des sédiments du Gobi témoigne de la tendance ancienne du centre du continent à se découper en compartiments de drainage intérieur. Ces sédiments d'âge crétacé et tertiaire, conglomérats à grain fin, grès tendres et argiles, de couleur rouge ou jaune, se sont déposés, soit dans des lacs d'eau douce dont l'évaporation a produit le gypse et le sel qui y sont mêlés en grande quantité, soit plus généralement dans des bassins fermés désertiques analogues aux gobis actuels. La Mongolie en est couverte en grande partie. Ils enveloppent d'une gangue profonde les bases du Tien-chan, de l'arc de Yarkend, du Nan-chan, revêtent d'un manteau horizontal l'Ordos et la Chine Nord-Ouest jusqu'au Tsin-ling, encaissent le fleuve Jaune à l'ouest de Lan-tchéou dans une épaisseur de 1.000 mètres, pénètrent loin à l'Ouest et au Sud sur le plateau tibétain (pl. XLIX. C). Ils s'opposent aux couches lacustres des charbons de l'Angara, qui caractérisent au contraire les régions anciennes périphériques pourvues d'un réseau hydrographique bien développé à libre issue vers la mer, tel le domaine des sources des grands fleuves sibériens. Il est vrai qu'aujourd'hui les lits charbonneux s'étendent hors des limites du drainage marin, dans le Nan-chan, dans tout le pays qui borde le Tsadam au Nord et à l'Ouest jusqu'à l'Altyn-tagh, p.246 dans une partie du Pé-chan et du Tien-chan. On y doit voir une vieille région périphérique fermée récemment.
XLIX. C. Escarpement de grès et d'argile du Gobi. Monts Arbis-oula (Ordos).
L'érosion, l'aplanissement graduel des montagnes dans la seconde moitié de l'ère tertiaire conduisaient normalement à étendre le domaine de l'océan. Mais les derniers mouvements orogéniques, par les hautes barrières qu'ils ont élevées et les gauchissements de la surface qu'ils ont produits, ont reconstitué et resserré les bassins intérieurs, privé plus d'une contrée de ses communications avec la mer. Ils ont donné à l'Asie un de ses caractères les plus originaux, celui d'une grosse masse centrale résorbant ses eaux en elle-même, d'où se détachent, comme les rayons d'une roue, les fleuves grandioses de la Sibérie, de la Chine et des Indes. L'aire des bassins fermés déborde de beaucoup le cadre du présent chapitre, puisqu'elle embrasse le Touran et l'Iran presque en entier. D'autre part, des fractions importantes de la Haute Asie lui échappent : les fleuves sibériens remontent à 650 kilomètres au sud d'Irkoutsk ; le fleuve Jaune, le fleuve Bleu, le Mékong et le Salouen s'avancent de 1.300 kilomètres au cur du plateau tibétain ; une bande large de 150 à 300 kilomètres sur le versant septentrional de l'Himalaya est tributaire de l'Indus, du Gange et du Brahmapoutre. Le reste, sur près de 6 millions de kilomètres carrés, ignore la mer : vaste bassin du Lob, que parcourt un grand fleuve mourant, centre d'un réseau démembré ; rivières encore importantes qui se sont perdues en chemin, telles que les cours d'eau de la Vallée des Lacs, l'Ouloungour, l'Edzin-gol, le Sou-lo-ho ; région du Gobi, qui, sur une étendue de 2.000 kilomètres, est dépourvue d'eaux superficielles ; immense plateau du Tibet, parsemé d'une multitude de cuvettes lacustres isolées, semblables aux fragments d'un miroir brisé (fig. 38).
Les aires de drainage intérieur préparent le désert, effet que renforce l'éloignement de l'océan. C'est en Djoungarie qu'est situé le point du globe le plus éloigné de toute mer (2.500 km.). Il est vrai qu'à l'Est et au Sud la Haute Asie se rapproche sensiblement des océans Pacifique et Indien ; mais les plus récents mouvements orogéniques l'ont défendue de la mousson en élevant le colossal bourrelet ininterrompu de l'Himalaya et du Pamir. Sur le reste de son pourtour, des remparts continus, comme le Saïan et le Khingan, ou des relais incessants de barrières obliques arrêtent les vents humides. Ainsi s'est établi un régime d'aridité qu'aggravent lentement l'évaporation, la concentration saline et l'étouffement graduel des rivières et des lacs par les produits accumulés de l'érosion. Dans toute la zone médiane de la Haute Asie, dans le sens de la latitude, les sables mouvants s'amoncellent sur des espaces dont le Sahara seul offre l'équivalent. Avec quelques lacunes, ils se prolongent sur 4.000 kilomètres de Kachgar au Bouïr-nor, en suivant le pied des montagnes, arc de Yarkend, Nan-chan, plateau du Chen-si, Khingan. Une grande partie des étendues qu'ils épargnent est ensevelie sous le gravier ou l'argile saline. Entre l'Altyn-tagh et la région des grands lacs, l'altitude, le gel et l'insuffisance du drainage créent le pire désert de la planète, égal en surface à la France et à l'Italie réunies. En somme, on ne rencontre quelque abondance de végétation naturelle que dans le Nord-Ouest, près de la frontière sibérienne, et dans le Sud-Est, sur les confins de l'Inde et de la Chine. Presque partout ailleurs la végétation arborescente fait défaut, l'herbe est maigre ou absente. Au pied nord et au pied sud du Tien-chan, à la base du Tsoung-ling, de l'Altyn-tagh et du Nan-chan, dans les vallées du Tibet méridional, quelques oasis de cultures, insignifiantes au regard de la superficie totale, interrompent p.247 la stérilité dominante. Sur plus de 1.000 kilomètres au sud de 42°20', le méridien du Lob-nor ne touche aucun établissement humain même temporaire. Dans toute la Haute Asie, la densité moyenne de la population atteint à peine un habitant au kilomètre carré.
Le contraste le plus violent, le plus surprenant attend le voyageur qui, après avoir, durant des mois entiers, parcouru, du Baïkal au 28e parallèle, des espaces presque uniformément désolés, franchit l'Himalaya. En quelques heures, sans transition, tout change devant lui, passe d'un excès à l'autre. La nature l'oppressait de son avarice, elle l'accable de sa prodigalité, de l'ardeur meurtrière du soleil, de l'intempérance des pluies, du pullulement étouffant de la vie animale et végétale. En aucune autre région du globe ne s'observe une limite aussi tranchée entre deux climats aussi différents.
Bibliographie
Traits généraux du relief. Richthofen, China, t. I, Berlin, 1877. Ed. Suess, La face de la Terre (trad. Emm. de Margerie), t. I, chap. VII, et t. III, chap. II à VII, Paris, 1902-1905. Bailey Willis, Research in China, t. II (Carnegie Institution), Washington, 1907. Burrard et Hayden, A sketch of the geography and geology of Himalaya and Tibet, Calcutta, 1907-1908. L. de Launay, La géologie et les richesses minérales de l'Asie, Paris, 1911. Emm. de Martonne, L'évolution du relief de l'Asie centrale (La Géogr., 1911). Sven Hedin, Southern Tibet, t. V, Géologie, par A. Henning, Stockholm, 1915. A. W. Grabau, The Sinian system (Bull. Geol. Soc. China, t. I). Berkey et Morris (Mission de l'American Museum), Geology of Mongolia, New York, 1927 ; American Museum Novitates, 1924.
Nous sommes particulièrement redevable, pour la rédaction du chapitre I, à l'étude magistrale de Ém. Argand, La tectonique de l'Asie (Compte Rendu Congrès géol. International de Bruxelles, 1922, Liège, 1924).
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CHAPITRE II
LA MONGOLIE
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Fig. 39. La Mongolie.
Échelle : 1:15.000.000.
p.248 Située entre la Sibérie et la Chine, la Mongolie est délimitée au Nord et au Nord-Ouest par la frontière de l'ancien empire russe jusqu'à l'extrémité occidentale du grand Altaï. De là elle suit cette dernière chaîne sur environ 575 kilomètres, puis une ligne brisée dirigée au sud-est à travers un désert montagneux, et va, abandonnant au Sin-kiang (Turkestan) la vallée de l'Edzin-gol, joindre non loin de Kan-tchéou la Grande muraille qui la borne au Midi sur toute son étendue. À l'Est, elle confine à la Mantchourie. Ces limites laissent en dehors un certain nombre de tribus mongoles au sud de l'Altaï et en Djoungarie, dans les régions du Koukou-nor et du Tsadam ; elles renferment, en revanche, sur le haut Iénisseï le petit peuple turc des Toubas et des espaces presque entièrement chinoisés au nord de la partie orientale de la Muraille. À l'Ouest, elles ne répondent exactement ni à l'histoire ni à la géographie et n'ont qu'une valeur administrative, mais il est préférable de s'y tenir pour éviter la confusion. La surface ainsi définie compte environ 2.700.000 kilomètres carrés ( HYPERLINK \l "fig039" fig. 39).
Elle se divise en trois parties distinctes : la première occupe la région montagneuse du Nord-Ouest, arrosée de grandes rivières, bien pourvue d'herbages, boisée par places ; la deuxième et la plus vaste s'étend à l'Est et au Sud en steppes et en déserts accidentés de collines basses où les eaux courantes sont rares et les arbres absents ; la troisième, terre de hautes herbes mêlées de sables, de plus en plus envahie par les fermiers chinois, longe le rebord surélevé du plateau au Sud et au Sud-Est.
La première partie, restreinte aux deux septièmes de la superficie totale, comprend les sources de l'Onon et du Khéroulon, celles de l'Angara et du Iénisseï, ainsi que les bassins fermés du Soubsen-nor et du Kyrghyz-nor. Large de plus de 800 kilomètres à l'Occident, elle s'amincit à l'Est au point de ne plus former qu'un bec très étroit. C'est que l'humidité lui vient du nord-ouest ou de l'ouest par la plaine de Sibérie.
I. RÉGION DU HAUT IÉNISSEÏ
Une place à part doit être réservée au pays des sources du Iénisseï, où le caractère sibérien domine encore. Il est situé entre les monts Saïan et Tangnou, entièrement au nord du 50e parallèle. Chacune de ces deux chaînes se compose de deux branches différentes, dont les orientales, dirigées au sud-est, constituent p.249 avec le Khangaï et l'Altaï l'aile occidentale de l'ancien Faîte. Le Saïan oriental fait partie de la bordure en arc de cercle entourant comme un amphithéâtre la plate-forme archéenne d'Irkoutsk. Se développant sur 1.100 kilomètres jusqu'auprès d'Atchinsk, en Sibérie, sa crête sert de limite entre la Mongolie et la Sibérie sur les trois cinquièmes de sa longueur. Les mêmes roches cristallines y dominent que dans les autres montagnes du Faîte, associées à des roches éruptives plus récentes, signe des violents mouvements qui, à l'ère tertiaire, ont secoué cette très vieille région de la terre ferme, avec une puissance croissante d'ouest en est. Le sol y tremble encore fréquemment. Les pics sont des cônes arrondis et dénudés, striés de bandes de neige, flanqués d'éboulis de grosses pierres, quelquefois de glaciers. Dans la partie centrale, ils dépassent 2.500 mètres, rarement 3.000. Seul le Mounko-Sardyk, qui domine de sa cime toujours blanche la rive septentrionale du lac Khoubsogol, atteint 3.500 mètres. À peu de distance, à l'est de ce point culminant, le col Obo-Sarym s'abaisse à 1.860 mètres ; à l'ouest, le long de la frontière, les passages mesurent de 2.000 à 2.300 mètres.
Le Tangnou oriental s'allonge parallèlement au Saïan, de la vallée du Kha-kem à la source du Tess. À peu près sans neige en été, ses sommets sont plats et peu élevés au-dessus des cols dont le plus connu atteint 2.360 mètres. Le gneiss gris archéen et les pointements de basalte signalés sur ses deux versants permettent de le rattacher à l'ancien Faîte. Ces deux roches manquent au contraire dans les branches occidentales du Tangnou et du Saïan, orientées ouest-sud-ouest et formées essentiellement, l'une, de grès violets, l'autre, de schistes verts. La première, très uniforme, a une crête aplanie, des pentes douces en terrasses, des sommets de 2.500 à 2.900 mètres, des cols de 2.000 à 2.360, sauf le Chamar qui tombe à 1.430. La seconde comporte une double chaîne complexe de croupes discontinues, escarpées, d'aspect sauvage, dont quelques-unes sont toujours couronnées de neige, quoiqu'elles ne montent pas au-dessus de 2.700 mètres. Un petit nombre de passages, la plupart difficiles, la franchissent par 1.300-1.950 mètres.
Resserré en latitude entre le Saïan et le Tangnou, le bassin du haut Iénisseï est fermé à l'Est par l'arête transversale étroite qui suit la rive occidentale du Khoubsogol et par les monts Oulan et Khan-taïga, à l'Ouest par l'aile orientale de l'arc altaïque, le Saïloughem, dirigée du sud au nord, frontière du territoire russe. Cette chaîne de schistes paléozoïques à filons de porphyrite est la plus élevée : le col Tchaptchan, près du point où elle rencontre l'extrémité du Tangnou, atteint 3.220 mètres.
De tous les côtés de ce cadre montagneux, les eaux roulent en abondance pour former le Iénisseï, qui tire son origine du Saïan oriental. Contournant un haut massif, sorte de Pamir semé de lacs, ses deux branches supérieures, le Khamsara et le Beï-kem, descendent d'un millier de mètres sur 300 kilomètres. Le cours d'eau qu'elles forment va, avec une pente de 1 p. 1.000, brisée de rapides, se joindre au Kha-kem par 635 mètres, presque au centre géométrique du bassin. Bien qu'ayant 150 kilomètres de plus, environ 675, cette dernière rivière est d'un moindre volume, car les pluies diminuent du nord au sud. Sous le nom d'Oulou-kem, « la grande rivière », le fleuve, large de 300 mètres, se ralentit, s'étend en aval sur un kilomètre en plusieurs bras, tourne au nord, et, après s'être abaissé de 140 mètres en.200 kilomètres, il reçoit à gauche le Kemtchik issu du Saïloughem. Aussitôt il se précipite à la vitesse de 60 kilomètres à l'heure par un défilé large p.250 de 30 mètres, qui perce le Saïan, et, de cluse en cluse, de rapide en rapide, il atteint la steppe de Minoussinsk.
Les vallées du bassin sont, en général, plates et larges, dépassant parfois 10 kilomètres. Des berges à pic de quelques mètres encaissent les rivières, forment une première terrasse humide, herbeuse, parsemée de marais et d'étangs, surmontée d'une seconde plus sèche, que l'homme choisit pour ses rares cultures. Dans les parties hautes, une multitude de lacs rompt le cours régulier des eaux. Rien n'est plus étrange que l'Iisouk, affluent de droite du Beï-kem supérieur : c'est un chapelet de plusieurs dizaines de lacs aux rives marécageuses très découpées, reliés entre eux par de courts canaux. En somme, le pays a un aspect de formation glaciaire, comme le Pamir. Des moraines d'anciens glaciers descendent jusqu'à 1.100 mètres d'altitude.
Hormis la steppe ondulée qui se déploie au sud de l'Oulou-kem et du bas Kemtchik, l'intérieur du bassin est complètement couvert de montagnes ensevelies sous la neige dès le mois d'août. Verticalement il se divise en trois zones successives. En bas, la prairie habitée par l'homme ne s'élève guère au-dessus de 1.000 mètres. Puis la forêt de cèdres, de mélèzes, de sapins blancs et de bouleaux gravit les versants et coiffe souvent les sommets ; elle abrite une faune nombreuse, ours, panthère des neiges, loup, cerf wapiti, daim musqué, zibeline, hermine, glouton, loutre, castor, coq de bruyère. Tout en haut, au-dessus de 2.200 mètres, limite extrême du cèdre, les cimes déchiquetées et dénudées, aux pentes encombrées de blocs de granité moussus entre lesquels poussent des rhododendrons nains et des aunes, forment la taïga sauvage, la région des pics « sacrés et souverains » (bogdo, khan) (pl. L. B).
L. B. Campement de Toubas à Ala-sou (haut Iénisseï).
La chaîne Ogarkha-oula traverse le bassin de bout en bout, suivant de près le 52e parallèle et séparant le Kha-kem du Beï-kem qui la coupe par une gorge profonde. Elle ne le cède en grandeur à aucune des chaînes du cadre et partage le pays en deux régions distinctes. Au Nord, les rivières courent claires et rapides entre les colonnades serrées des pins et les gras pâturages ; une forêt dense, presque inextricable, ensevelit toutes choses, monts et vallées, lacs, marais et torrents, dans le silence de son ombre, que troublent seulement des nuées de moustiques et de mouches pires qu'en Afrique. Au Sud, les rivières se déroulent avec lenteur en de larges steppes peu boisées, poussiéreuses. Les grands bois reparaissent sur le versant septentrional du Tangnou, mais moins épais qu'au Nord.
La terrasse supérieure de l'Oulou-kem, caillouteuse, fauve, tachetée d'armoise grisâtre et de buissons décharnés, des mamelons de sable à quelques kilomètres de la rivière, plus loin des ravins pierreux, stériles, les karagan, disséminés sur les pentes sèches, enfin la tente de feutre remplaçant la hutte d'écorce annoncent déjà la Mongolie proprement dite.
Cinquante mille individus environ habitent ce pays de 165.000 kilomètres carrés. Ils se nomment Toubas, qui est le nom d'une rivière de la région de Minoussinsk. Ils sont appelés Ouriankhaïs par les Chinois, Ouranghas par les Mongols. C'est un mot de la langue des Iakouts, qui se disent eux-mêmes Ourangaï Sakha. Les Toubas parlent un dialecte turc, et les noms de leurs clans sont turcs pour la plupart ; quelques-uns cependant sont samoyèdes. Guillaume de Rubrouck et Rachid-ed-din parlent de la merveilleuse rapidité avec laquelle ils courent sur la neige gelée au moyen de leurs patins. Ils sont peut-être le reste du peuple qui habitait la Mongolie avant les Huns, celui dont de grossiers dessins rupestres p.251 nous montrent, à l'extrémité orientale, aujourd'hui sans bois, de l'Altaï, des hommes chassant à l'arc le renne ou l'élan. Parmi leurs cinq tribus, deux qui sont confinées dans le Nord-Est vivent de l'élevage des rennes. Ces animaux, qui ont ici leur habitat le plus méridional, sont de grande taille et souvent croisés avec leurs congénères sauvages capturés. Ils servent de montures et de bêtes de charge. Avec l'écorce du bouleau et le gibier, ils suffisent à presque tous les besoins de leurs maîtres : ils donnent la nourriture, le vêtement, assurent les transports, tandis que l'écorce de bouleau fournit la matière des ustensiles et la couverture des huttes. La carcasse de la hutte, semblable au tchioum samoyède, est composée d'un assemblage de perches en cône. Les autres tribus logent sous des tentes de feutre et paissent des moutons, des bufs, des chevaux et même des chameaux (pl. LI. B).
Le bouddhisme, qui recouvre d'un mince vernis le chamanisme primitif, a établi six couvents comprenant chacun un temple en maçonnerie, au toit chinois, entouré de cabanes et de tentes pour les moines.
LI. B. Famille et hutte de Toubas (haut Ienisseï).
Çà et là un pauvre village représente la vie urbaine. Le principal, Chakoul, sur l'Oulou-kem, est fait de cabanes de troncs d'arbres et de quelques maisons propres de marchands russes ou chinois. Il est environné de cultures irriguées, surtout de millet, oasis dans la steppe aride et sans arbres. De nombreux monuments répandus dans le pays, des tombes, des canaux d'irrigation témoignent d'une ancienne population plus nombreuse et plus prospère.
Les grandes voies de communication laissent la contrée dans l'isolement, car le trafic entre la Mongolie et la Sibérie se pratique par les sources de l'Ob et de l'Irtych. Jusqu'à une époque récente, les Toubas n'entretenaient de relations qu'avec la Mongolie par le chemin carrossable qui franchit le Tangnou au col Chamar. Mais en 1860 le premier pionnier russe apparut ; il achetait une vache pour deux paquets de tabac. Depuis, les Russes ont accaparé à peu près tout le commerce, qui consiste en simple troc. Au nombre de 5.000 aujourd'hui, ils ont fondé plusieurs établissements de colonisation aux points de rencontre de la steppe et de la forêt ; ils se livrent à l'élevage, notamment des étalons, à la chasse aux fourrures, à la culture du sol : ils récoltent la tomate et la pastèque par 52° et 53° de latitude entre 550 et 700 mètres d'altitude. Ils pêchent le poisson, dédaigné des indigènes, quand, en automne, il remonte de Sibérie ; ils exploitent enfin les mines d'or à l'amont des rivières Tapsa, Sistig et Khamsara.
Fig. 37. Orographie de la Haute Asie (directions des plis montagneux). Échelle : 1:18.000.000
La Russie impériale avait déjà étendu son influence politique sur le pays, et ses efforts de colonisation avaient, depuis 1911, fait émigrer en Mongolie des clans entiers. La révolution de 1917, sur l'intervention de Potanine et d'Adrianov, enraya le mouvement en sauvegardant les intérêts des indigènes. Enfin, le gouvernement actuel de Moscou les a organisés en République soviétiste indépendante des Toubas (1921), dont la capitale est Kem-belder, nom nouveau de Chakoul.
II. LE BASSIN DU SÉLENGA
Du pays des Toubas on passe, à l'Est, dans la Mongolie propre et dans le bassin de la rivière Sélenga qui, à ne considérer que les distances, serait la source véritable du Iénisseï. Ainsi que son affluent l'Orkhon, elle coule au Nord-Est à peu près dans l'axe de l'ancien Faîte, le long de la ligne où se rencontrent les directions opposées du Saïan et du Baïkal. La topographie assez mal établie de p.252 la région laisse discerner que, pour le Saïan, le coude du sud-est au nord-est s'effectue avant d'atteindre le Sélenga, pour le Tangnou, au delà de cette rivière, et qu'à l'est de l'Orkhon l'orientation du Baïkal règne seule dans les prolongements des chaînes de Transbaïkalie, dont le Kenteï est le principal. Au Sud, la vaste courbe, concave au Nord, décrite par la crête maîtresse du Khangaï, partage des eaux, a son sommet à la source de l'Orkhon.
Dans toutes ces montagnes apparaissent les caractères communs de l'ancien Faîte. Granité, gneiss, schistes métamorphiques, grauwacke et calcaire cristallin forment les sommets plats et les coupoles chauves du Kenteï, dont la plus élevée monte à 2.800 mètres. Syénites et porphyres témoignent de mouvements orogéniques plus récents. Des glaciers d'autrefois il ne reste que des vestiges, cirques et moraines descendant jusqu'à 1.800 mètres. Partout ailleurs on retrouve les mêmes profils usés et aplanis, les mêmes roches anciennes associées aux formations volcaniques du Jurassique. L'Orkhon et le Tchouloutou, sur une partie de leur cours, creusent leur lit dans des laves basaltiques ; de longues traînées de basalte et de mélaphyre s'étendent à l'est du Khoubsogol.
Le pays dans son ensemble figure un plan incliné du Khangaï au Baïkal ; le long de la chaîne, une ligne à l'altitude de 1.600 à 1.800 mètres marque la limite des fortes pentes, et le Sélenga cote environ 600 à la sortie du territoire mongol, à peu près 120 au-dessus du grand lac sibérien. Les crêtes montagneuses s'élèvent seulement de quelques centaines de mètres au-dessus du bas pays, très exceptionnellement de plus de mille.
La rivière principale, le Sélenga, naît sous le nom d'Éder dans le Khangaï aux environs du col Tsagasoutaï. Elle descend d'abord au nord, puis tourne brusquement à l'est, pour franchir dans un défilé de granité rouge une branche divergente, la plus septentrionale, du Khangaï. Large de 40 mètres, elle serpente en méandres sur un fond de gravier dans une vallée de deux à trois kilomètres. Une pente de 1,75 p. 1.000 la conduit, entre des terrasses sablonneuses hautes de vingt pieds, au confluent du Tchouloutou, qui vient du sud, moins long, mais non moins abondant. Prenant alors le nom de Sélenga, elle se dirige au nord-est avec une déclivité moyenne de 1,35, assez profonde et régulière pour être navigable, bien qu'elle ne soit pas utilisée, bordée d'une bande épaisse de peupliers ou de cytises, de prairies et de rares champs cultivés. Elle atteint la frontière sibérienne après avoir franchi 930 kilomètres, à 400 de son embouchure dans le Baïkal.
Peu avant la frontière, dans une large plaine de roseaux et de prés inondés, elle reçoit à droite l'Orkhon, qui n'est pas loin de l'égaler et qui se traverse en barques ou en radeaux de poutres de pin, même aux basses eaux. Rivière illustre, longue de 840 kilomètres, sa vallée supérieure a vu se succéder dans le vaste déploiement de ses prés et de ses steppes les résidences des grands conquérants turcs et ouïgours, et Khara-Khouren, capitale des premiers descendants de Tchinghiz-khan. Le Tola, qui grossit l'Orkhon à droite, arrose Ourga, capitale actuelle de la Mongolie ; ce cours d'eau tire son origine du Kenteï, dont la cime vénérée porte la tombe du grand empereur mongol, près de la source de l'Onon, témoin de sa naissance.
Fig. 38. Hydrographie de la Haute Asie.
Échelle : 1:35.000.000. 1. Limites des bassins ; 2. Bassins fluviaux tributaires de l'Océan ; 3. Bassins fluviaux sans écoulement vers l'Océan ; 4. Régions de petits bassins lacustres sans écoulement vers l'Océan ; 5. Région dépourvue d'eaux superficielles.
À gauche le Sélenga recueille deux affluents importants, le Telghir, qui découle des neiges permanentes de l'Oulan-taïga, et l'Égin, qui sort du lac de la Loutre, le Khoubsogol, nappe d'eau profonde, la plus vaste de la Mongolie. p.255 Ce lac s'allonge sur 130 kilomètres dans le sens du méridien et mesure 3.300 kilomètres carrés, près de six fois la superficie du lac de Genève. Serré dans un cadre de montagnes boisées, dont quelques-unes, au Nord et à l'Ouest, gardent un chapeau de neige toute l'année, il occupe une plate-forme de 1.600 mètres, adossée au Saïan, dominant de 100 mètres la plate-forme voisine du Dordja-nor sur le haut Kha-kem. Nous avons là un exemple réduit de cette configuration en paliers superposés caractéristique de la Haute Asie.
Si bien développé que soit le réseau hydrographique du Sélenga, il s'y observe des lacunes qui distinguent nettement ce pays de la Sibérie. Tel affluent tarit avant de s'unir au cours d'eau principal. À l'extrémité orientale du Tangnou, un bassin fermé s'isole à 1.950 mètres et contient un lac saumâtre, le Sanghin-dalaï, grand à peu près comme celui de Neuchâtel.
Pour un pays situé sous la même latitude que la France, la rigueur du climat est extraordinaire, moins à cause de l'altitude que de l'éloignement des mers. La Mongolie Nord-Ouest est très proche du centre anticyclonal du continent et du maximum des hautes pressions d'hiver. La moyenne annuelle des isobares diminue régulièrement du nord au sud jusqu'à l'Inde où elle atteint son minimum. La pression s'abaisse de même de mars à juillet, mais ne cesse d'être, p.256 dans toute la Haute Asie, plus élevée que sur les bords de l'océan Indien. D'où excès de froid ou de chaleur selon les saisons. À Ourga, par 1.300 mètres, la moyenne des extrêmes oscille de 38°,2 à 42°,6. Janvier a une température moyenne de 26°,2, juillet, de 17°,5, l'année entière, de 2°,4. Les précipitations atmosphériques sont très faibles, d'un tiers moindres qu'à Irkoutsk, soit 240 millimètres, tombant presque entièrement en été, de mai à septembre. Le vent d'est apporte les pluies, mais celui du nord-ouest domine ; il règne été comme hiver, parfois véhément au point, écrivait au XIIIe siècle frère Jean de Pian de Carpine, que le cavalier a peine à se tenir en selle. Seul le printemps vers sa fin est agréable, lorsque juin orne de fleurs multicolores les prés verts ; encore est-il dévoré de mouches et de moustiques. Après le 15 juillet, une chaleur de fournaise jaunit, dessèche les herbes, la steppe vibre sous le soleil, un furieux orage éclate chaque jour à midi. Dès octobre, l'hiver commence avec 1°,8 de moyenne et apporte les tourmentes de neige. Novembre emprisonne sous la glace les eaux qu'avril seulement délivre. En mai encore il gèle tous les matins.
C'est une région de forêts et de pâturages. À l'ouest de l'Orkhon, les robustes mélèzes patients au froid hérissent les pentes des monts, les versants des vallées, les escarpements des ravins qui regardent le nord. Mêlés de quelques cèdres, pins et bouleaux, ils forment de vastes étendues boisées, moins denses, moins sombres et moins humides que dans le pays des Toubas, mais encore assez drues et présentant çà et là des individus magnifiques. Les crêtes les plus élevées sont nues et pierreuses, ou herbues et mouchetées de bouleaux nains et de genévriers. Plus bas, à partir de 2.100 mètres, le peuplier apparaît et alterne avec le saule le long des rivières. À l'Est, dans les boucles du Tola et du Khéroulon, la suite des forêts de pins de Transbaïkalie occupe les pentes basses et moyennes. D'un côté comme de l'autre, l'exposition aux vents secs du sud clairsème les arbres et les remplace par une végétation steppique, herbes et buissons, armoise et karagans.
Au bas des pentes et dans le fond des vallées, se déroulent les prés savoureux qu'animent chevaux et bufs par centaines et par milliers, brebis innombrables et, çà et là, des yaks, dont le domaine finit au nord sur la rive du Khoubsogol. Les taches rondes des tentes de feutre gris, isolées ou groupées par dix ou quinze, et de temps à autre les palissades de bois d'un couvent bouddhiste que dominent les tuiles rouges ou les dorures des toits du temple complètent le paysage.
Telle est la contrée d'où, tour à tour, les Huns, les Turcs, les Mongols sont sortis pour conquérir une grande part de la terre habitée. On a trop accoutumé de les imaginer comme les fils du désert. Le Gobi ne fut en effet pour eux qu'une étape avancée. Comme une des inscriptions de l'Orkhon le dit des Turcs, c'étaient des peuples des monts boisés, yich boudoun. Leur origine sylvestre se reconnaît au grand usage qu'ils faisaient des chariots de bois, et aujourd'hui les Mongols, à la différence des Kazaks de la steppe, se servent de tonnelets de bois au lieu d'outrés de cuir.
Quelques cultures de blé, d'orge, de millet et de pois, que leur extrême rareté fait remarquer du voyageur, sont exploitées par des Chinois avec le concours de la main-d'uvre indigène. Elles se sont développées notablement depuis un demi-siècle entre Ourga et Kiakhta, à la faveur du lss qui recouvre en partie les vallées de cette région.
Au surplus, le bassin du Sélenga n'est pas sans manifester des tendances à tourner à la steppe ou au désert. C'est le cas de la plupart des pentes orientées p.258 au sud. De Kiakhta à Ourga se voient de grandes étendues de cailloux, de sable et d'efflorescences salines ; les dunes et les plantes désertiques y apparaissent. L'espace compris entre le coude du Tola et l'Orkhon est déjà une langue du Gobi. Très typique est l'emplacement des ruines des anciennes capitales : l'Orkhon y forme avec son affluent parallèle, le Koktchin-Orkhon, une seule vallée large de 30 kilomètres ; les pâturages occupent moins du cinquième de cette largeur en deux bandes que sépare, soit une steppe sèche et fauve, soit une lande pierreuse et vide. Ailleurs on traverse, avant d'arriver au Sélenga, des collines arides, sablonneuses, semées de dunes et de buissons épineux.
III. LA VALLÉE DES LACS
Ce caractère se marque bien davantage à l'Ouest, dans la région, d'ailleurs assez semblable, des lacs, entre le Tangnou et l'Altaï. Le voyageur, venant du haut Iénisseï, qui franchit le Tangnou, est frappé du contraste entre le paysage qu'il quitte et celui qui se déroule devant lui : d'un côté, malgré quelques signes de changement prochain, la verdure sombre et la terre brune de la Sibérie ; de l'autre, la steppe sèche et pâle, la lumière intense voilée d'une brume de poussière jaunâtre. Il reconnaît la Mongolie, même s'il ne l'a jamais vue. Cependant le pays, vaste quadrilatère adossé à l'Altaï, est loin d'être désert : il abonde en pâturages excellents, de larges rivières le sillonnent, à qui peu de chose a manqué pour joindre le Iénisseï et l'Océan. Mais, toujours barré à l'Occident par le Saïloughem et par l'épaisseur accrue de l'Altaï russe, masqué au nord par l'écran du Tangnou, il est de plus en plus abrité des vents pluvieux du nord-ouest, et sa disposition en hauts plateaux favorise l'aridité. De la Sibérie, le sol monte de degré en degré, de palier en palier jusqu'à l'Altaï mongol. Minoussinsk est par 245 mètres ; le confluent du Kemtchik avec le Iénisseï, point le plus bas du premier palier, atteint 500 mètres, le Soubsen-nor, 750, le Kyrghyz-nor, 1.000, le Khara-oussou, 1.170. Ces plates-formes superposées, balayées de vents violents, subissent une forte évaporation qui contribue à dessécher lacs et cours d'eau.
Au sud des monts Tangnou, des rivières importantes les arrosent : Tess, 600 kilomètres, Tsapkhan, 760, Kobdo, 540. Les lacs où elles aboutissent sont rangés selon une ligne nord-nord-ouest dans le prolongement du Iénisseï. Tout semble préparé pour les envoyer à ce fleuve, mais elles n'ont pas eu la force d'exécuter ce plan resté à l'état d'ébauche, et elles sont demeurées isolées derrière les barrières montagneuses qui ferment leurs bassins.
Leurs vallées ont la même structure que celles du bassin du Sélenga, très larges, à fond plat, marécageux, avec lit de gravier ou de galets entre berges basses taillées à pic. Celle du Tess, parallèle au haut Iénisseï, forme entre le Tangnou dénudé et le Khangaï boisé un ruban de verdure, de prés et d'arbres, mélèzes et grands peupliers noirs touffus. La rivière, dont la pente moyenne atteint 2,1 p. 1.000, finit dans le lac des Loutres, Soubsen-nor (Oubsa des cartes). Cette mince nappe d'eau salée et amère, couvrant quatre fois la surface du lac de Genève, fait une tache bleue sur le désert fauve qui l'entoure, rayé seulement d'étroites bandes vertes le long des affluents et du lac lui-même, du moins sur les bords septentrional et occidental, car la rive Sud-Est est aride. Au Sud-Ouest, une petite rivière descendue du mont Tourgoun se répand en canaux qui arrosent les riches prairies et les modestes cultures, orge et blé, d'Oulankom, résidence du prince des p.259 Mongols Deurbets. Là se manifeste un phénomène qui est général dans une grande partie de la Haute Asie : l'eau de la rivière s'infiltre dans le gravier du pied des monts, y disparaît entièrement, et ressort de terre à l'entrée de l'oasis.
Le Tsapkhan, né sur le versant méridional du Khangaï, à l'opposé de l'Éder, a plus que le Tess un aspect désertique. Sa vallée, presque sans arbres, ne nourrit guère qu'une végétation de steppe. Après le confluent de la rivière d'Ouliassoutaï, elle donne le spectacle d'une morne solitude, bordée de prairies alternant avec des marais salés à droite, d'une longue échine de sable à gauche. Le cours d'eau n'excède nulle part 80 mètres de largeur et deux pieds de profondeur en été. Il coupe le Khangaï en se dirigeant au Nord vers le Soubsen-nor, mais languit bientôt en deux bras vaseux, et s'endort dans le lac Kyrghyz. Il ne grossit pas en route, peut-être diminue-t-il. Seule la vallée d'Ouliassoutaï, de plus en plus boisée à mesure qu'on remonte dans la montagne, lui apporte un tribut notable. À gauche, les torrents de l'Altaï ne l'atteignent point.
Le Kobdo-gol vient du côté opposé et correspond au Kemtchik. Descendu des glaciers du grand Altaï, recueillant les torrents de cette chaîne et du Saïloughem, il est mieux armé pour triompher des obstacles. À 180 kilomètres de sa source, il a déjà 100 mètres de largeur et deux de profondeur. Une forêt drue revêt le fond de sa vallée qui s'élargit jusqu'à 15 kilomètres. Mais en aval cette végétation fait place aux plantes désertiques, et la rivière affaiblie se jette en trois bras dans le Khara-oussou, impuissante à drainer complètement ce lac dont les eaux méridionales restent salées. Un chenal médiocre unit le Khara-oussou au Dourga-nor qui lui-même envoie au Tsapkhan un émissaire anémié (pl. L. A).
Reliés entre eux, les trois grands lacs, longs de 50 à 75 kilomètres, qui terminent le Kobdo-gol et le Tsapkhan se rattachent au Soubsen-nor par une dépression ouverte entre l'extrémité occidentale du Khangaï et le Kharkira. Ils ont ainsi la fausse apparence de former avec lui une même vallée qu'on a appelée la Vallée des Lacs. C'est une vallée en puissance, qui semblait destinée à prolonger le Iénisseï jusqu'à l'Altaï.
Outre qu'il est séparé de la mer, le réseau hydrographique que nous venons de décrire est loin de drainer toute la région. Dans le Nord-Ouest, l'Ouriou-nor, lac de 20 kilomètres sur 16, constitue un petit bassin indépendant. Plusieurs torrents venant du Khangaï s'arrêtent en de petites cuvettes avant d'atteindre le Tess. De larges espaces à l'est et à l'ouest du Kyrghyz-nor et au sud du cours moyen du Tsapkhan sont dotés de menus bassins lacustres ou dépourvus d'eaux courantes, occupés en grande partie par des sables et des steppes desséchées. Partout le désert avoisine les pâturages et les lieux habités. Lacoste évoque d'une touche p.260 vive le « paysage effroyablement désolé » qui entoure Kobdo, paysage de pierres, sans arbre ni plante, sans tente ni troupeau.
Les hautes montagnes qui traversent le pays l'ont sauvé de la stérilité. La principale est le Khangaï, qui commence, sous le nom de Khan-khoukheï, au sud du Soubsen-nor et se dirige à l'est-sud-est, parallèle au Saïan oriental. C'est un fragment du vieux Faîte. Il s'étend, en largeur, du Tess au Tsapkhan sur près de 200 kilomètres, formant trois chaînes parallèles de gneiss, de schistes anciens, surtout de grauwacke, injectés de granité, et le phénomène des laves surélevées, commun dans les monts du Baïkal, s'y reproduit. Le pic granitique Otkhon-khaïrkhan est coiffé de mélaphyre. Haut de 4.000 mètres et portant un petit glacier, ce pic est une exception ; les autres sommets ne dépassent que de 300 à 400 mètres les cols plats dont l'altitude varie de 2.100 à 3.000.
Fig. 40. Vue schématique du Khangaï.
Vue prise des environs de la lamaserie de Saïn-Nom, vers le nord. (D'après Berkey et Morris, American Museum Novitates, 16 octobre 1924.)
La surface supérieure du Khangaï présente l'aspect d'un relief aplani par une érosion parvenue au dernier degré de la maturité. La figure 40, dessin pris du pied sud de la chaîne, par MM. Berkey et Morris, par environ 100° longitude Est Greenwich et 46°20' latitude, le montre d'une façon saisissante. Mais le renouvellement du soulèvement à l'ère tertiaire a rajeuni l'érosion qui a creusé des vallées relativement profondes au-dessous de la surface primitive. Celle d'Ouliassoutaï est de 850 mètres au-dessous du col Djagastaï.
À l'ouest du Tsapkhan et parallèle au Khangaï, se dresse la haute falaise du Djirgalanté que prolonge au nord du lac Dourga un puissant chaînon dominé par deux cimes de près de 4 300 mètres, le Kharkira et le Tourgoun. Ce chaînon est un « horst » limité par deux cassures qui déterminent au Nord la fosse de l'Ouriou-nor, au Sud celle de l'Atchit-nor. C'est une structure générale dans la région. On y compte quatre autres fosses très longues dirigées est-sud-est : celles du TessSoubsen-nor, du Kyrghyz-nor, du Tsapkhan, des lacs Khara-oussou et Dourga. La fosse du Tsapkhan, extraordinaire par ses dimensions, décrit un arc de cercle du 91e au 101e méridien.
L'humidité que les montagnes entretiennent a permis une vie pastorale à peine moins développée que dans le bassin du Sélenga et l'installation par les Chinois de deux centres administratifs et commerciaux d'une importance relative, Ouliassoutaï et Kobdo. De petits glaciers accompagnent les plus hautes cimes, la neige persiste toute l'année au-dessus de 3.350 mètres, limite supérieure de la végétation en général et de la flore alpestre en particulier, qui commence vers 2.100. Le bétail monte par endroits jusqu'à 2.300. Tandis que les pentes tournées au nord sont tapissées de forêts de mélèzes entre 1.900 et 2.300 mètres, les méridionales ne montrent guère que des plantes steppiques éparses. De riches pâtures verdissent les vallées ; plus bas règne une zone de steppe aride, et de nouveau les prairies s'étendent sur les rives salines et marécageuses des lacs, peuplés en été d'innombrables oiseaux qui émigrent en septembre et octobre vers le Lob-nor où ils font étape avant de se rendre dans l'Inde.
La faune de Sibérie, comme sa flore, s'avance en Mongolie dans les bassins supérieurs des fleuves. La Vallée des Lacs offre à cet égard des particularités nouvelles qui la rapprochent de l'Asie centrale. Le chevrotain, fréquent dans le Kenteï, n'y existe pas. Si le sanglier, le cerf maral et le lagopède blanc s'y retrouvent, le renne, l'écureuil, le castor, le coq de bruyère, le lyrure des bouleaux ne dépassent pas au Sud le Tangnou-oula. En revanche, on voit apparaître l'ovis ammon, la gazelle gutturosa, le cheval sauvage, le yak, la marmotte. La gazelle p.261 gutturosa, dzeren des indigènes, parcourt le bassin du Sélenga, le Khangaï, l'Altaï et le Gobi même, en troupes de centaines d'individus. La marmotte foisonne dans toute la Mongolie. Chassé pour sa fourrure dont les Mongols vendent aux marchands russes de Kobdo 1.800.000 pièces chaque année, cet animal est le propagateur le plus actif de la peste pneumonique. Il n'est d'ailleurs qu'une des vingt et une espèces de rongeurs spermophyles, gerboises, mériones, gerbilles, lagomys, lièvres qui pullulent dans le pays, minent et bouleversent le sol.
Quoique l'altitude d'Ouliassoutaï (1.700 m.) dépasse de 400 mètres celle d'Ourga, la température y est moins basse : moyenne annuelle, 0°,2 ; de janvier, 24°,2 ; de juillet, 19°,2. Le thermomètre monte jusqu'à 33°,1, descend jusqu'à 47°,3. L'inversion de température est de règle dans le Khangaï : les nomades gagnent la montagne pendant l'hiver qui est calme et clair. L'été est agité des vents ouest et nord-ouest, chaud le jour, froid la nuit. C'est la saison des pluies, qui ne dépassent pas 80 millimètres par an à Kobdo. Nous noterons au fur et à mesure les diverses nuances du climat mongol, mais en somme il est partout le même. Sec, extrême dans le chaud et dans le froid, soumis à des variations brusques et à des vents violents, il a vigoureusement trempé les hommes. Les tissus de la peau contractés, la marche du sang accélérée, les fonctions nerveuses excitées, ils y ont puisé leur énergie militaire et conquérante, et, à l'exercer, ils ont rencontré d'autant moins d'obstacles que, selon une juste remarque de Montesquieu, l'Asie n'ayant pas précisément de zone tempérée, ils touchaient sans intermédiaire des peuples énervés par un air amollissant.
IV. L'ALTAÏ MONGOL
Le Khangaï s'abaisse au Sud en pente douce par de larges terrasses vers une plaine pierreuse qui le sépare de l'Altaï, langue du Gobi réunissant le grand désert à la Vallée des Lacs. On arrive ainsi à la plus puissante chaîne de Mongolie, qui limite au Sud l'ancien Faîte et accuse plus nettement que le Tangnou le passage à la flore et à la faune de l'Asie centrale.
Elle commence à l'Ouest au massif Tabyn-oula, espèce de cheville qui assemble les deux Altaï, russe et mongol, et le Saïloughem. Celui-ci, ligne de partage entre la Russie asiatique et la Mongolie, ne constitue pas une chaîne indépendante ; c'est le produit des branches orientales de plusieurs des arcs de l'Altaï russe, écrasées contre le vieux Faîte résistant et repliées au Nord. Deux de ses cols, plats, aisés, couverts d'herbe, l'Oulan-daba (2.770 m.) et le Bogouty (2.340 m.), font communiquer le bassin du Kobdo-gol avec les sources des rivières Boukhtarma et Tchouïa, affluents de l'Ob. Leur traversée découvre entre l'aspect des deux versants la même opposition signalée plus haut au passage du Tangnou.
Du Tabyn-oula, l'Altaï se déroule à l'est-sud-est sur une longueur de 1.600 kilomètres ; il décrit une courbe concave au nord-est, dont le tracé continué côtoierait l'Ob-Irtych d'un côté, le Soungari de l'autre. Il n'est pas la suite de l'Altaï russe, dont il se distingue par sa direction comme par la large bande de gneiss qui longe son versant méridional. La chaîne même est constituée par des schistes anciens, percés de culots granitiques et traversés de filons de quartz. Le basalte tantôt recouvre les sommets (Iékhé-bogdo), tantôt affleure sur les p.262 flancs et dans les vallées, ainsi que le porphyre, le tuf porphyrique et le mélaphyre. Trois pics de plus de 4.000 mètres, dont le Kiityne monte à 4.500, dominent le massif occidental du Tabyn-bogdo. À l'Est, deux autres atteignent 4.000 mètres : Mouz-taou et Bzaoukoul. Sapojnikov a compté dans cette partie de la chaîne quarante-cinq glaciers, dont le principal est long de 20 kilomètres. Ils finissent à l'altitude de 2.700 mètres au Nord, 2.400 au Sud. Autrefois ils s'étendaient à 50 ou même 100 kilomètres plus loin. Les anciennes moraines descendent jusqu'à 1.850 et 1.400 mètres selon le versant ; ce sont elles qui ont formé les lacs Delmo, Daïn, Tal. Vers l'est, les glaciers disparaissent, l'altitude moyenne diminue, deux cimes seulement dépassent la limite des neiges permanentes (3.500 m.) : le Batyr-Khaïrkhan et le Mounkou-tsatso.
Vieille chaîne dégradée par l'âge, enterrée dans les décombres que la ruine de ses roches a accumulés à ses pieds, l'Altaï garde encore une dignité massive et morne. Vu du sud, il apparaît comme une muraille déchiquetée, aux pointes aiguës et croulantes, aux cols relativement très élevés, libres de neige profonde et praticables seulement de fin juin au début d'octobre : Ourmengtou (2.900 m.), Oulan-daban (2.800), Kézé-nour (3.000). À l'Est, il se résout en chaînons successifs, disposés en coulisses, chacun en retrait au sud sur le précédent : toit aplati du Iékhé-bogdo à demi enfoui dans le sol du désert et touchant par son faîte aux neiges persistantes ; coupole moins haute, mais plus pittoresque, du Baga-bogdo (3.630 m.) ; crête en plateau de l'Artsa-bogdo qui n'a plus que 2.200 mètres ; les trois tronçons Gourban-saïkhan, dos arrondis relevés jusqu'à 2.500 mètres au-dessus de larges vallées. Le dernier de ces tronçons marque la fin de l'Altaï sur le bassin désertique et la fin de la direction du Saïan.
De son extrémité occidentale au Iékhé-bogdo, l'Altaï est accompagné à peu de distance au nord par une deuxième chaîne un peu plus basse et plus démembrée, le Taïchir-oula. Dans l'intervalle, une série de plateaux portent le cours supérieur des tributaires du lac Khara-oussou entre 2.200 et 2.400 mètres d'altitude, puis de petits bassins lacustres sans écoulement, s'abaissant d'ouest en est de 2.200 mètres (Khoulmou-nor) à 970 (Charghy-tsagan-nor), pour se relever ensuite jusqu'à 2.100. Cette dernière partie de l'intervalle est une fosse tectonique parallèle à celle du Tsapkhan.
Au Sud, plusieurs chaînes parallèles, de constitution géologique analogue, doivent être rattachées à l'Altaï. Beaucoup moins hautes et plus ou moins fragmentées, elles forment avec lui un système unique de 300 kilomètres d'épaisseur. La plus septentrionale comprend les collines de gneiss Kyzyl-adyr, qui tombent par une faille sur la fosse du haut Irtych, limite extrême de l'ancien Faîte de ce côté, l'Adji-bogdo granitique, dénudé, dont un dôme est couvert de neige perpétuelle, l'Edereng et le Némégétou (col à 1.830 m.). Au Sud s'étend la série Khara-nourou, Iéren-nourou (1.500 m.), Tostou, Noïn-bogdo (2.400 m.) et Khourkhou (1.650 m.). Ces dernières collines surpassent de 300 mètres à peine le désert environnant et, déjà légèrement inclinées au nord-est, paraissent inaugurer la direction transbaïkalienne. Nous avons ainsi, avec l'Altaï propre, trois rangées montagneuses dont chacune s'abaisse par une fracture sur le couloir long et étroit qui la sépare de la suivante plus basse. L'ensemble constitue un escalier à trois gradins bordés de bourrelets, qui, à l'Ouest, descend sur une dépression de 720 mètres, appartenant à la Djoungarie et bornée au Sud par le Metchin-oula toujours parallèle à l'Altaï et transitoire au Tien-chan, tandis p.263 qu'à l'Est le Tostou et le Noïn-bogdo approchent de très près et sans intermédiaire l'extrémité orientale du Tien-chan. Ces chaînes dominent de 200 à 1.000 mètres au plus les corridors resserrés entre elles et sont, en outre, enfoncées dans la masse des débris amoncelés à leur base, qui leur font, du moins à l'Est, un piédestal deux ou trois fois plus élevé que les hauteurs qui s'en dégagent (pl. LII, C ; LIII, A et B).
LII. C. Pentes nord de la chaîne Noïn-bogdo (Altaï oriental).
LIII. A. Crête de conglomérats dans la chaîne Noïn-bogdo (Altaï oriental).
Végétation steppique au premier plan.
Au Sud-Ouest, le versant est très allongé ; par ses vallées profondes Le méridien du Khara-oussou divise l'Altaï en deux parties, l'une arrosée et fertile, l'autre déserte. Dans la première, qui reçoit l'humidité de l'Occident, le versant sud-ouest, contrairement à la règle observée jusqu'ici, est beaucoup plus riche en eaux, bois et pâturages que celui de Kobdo. Au Nord-Est, la pente courte et raide domine de hauts plateaux arides entre lesquels s'ouvrent de larges vallées pierreuses et étroites, de puissants torrents coupés de cascades précipitent leurs îlots bleu foncé parmi le vert mouillé des forêts et des prés. Là prend sa source l'Irtych, principal affluent de l'Ob, sous le nom de Khara-Irtsis. Grossi à gauche au sortir des monts par le Kouk-Irtsis, il tourne à l'Ouest et déroule à travers la steppe, entre des berges de sable, ses nappes tranquilles, profondes et claires. Il ne reçoit plus de tributaires qu'à droite : le Kran, qui arrose les cultures de Chara-soumé, le Bourtchoum,
LIII. B. Extrémité orientale des monts Dzolin (Altaï oriental).
qui, presque égal au fleuve, vient d'un glacier du Tabyn-oula. Navigable depuis le Kran, l'Irtych, trois fois plus gros que la Seine à Paris, franchit la frontière russe après un trajet de 500 kilomètres, et se jette dans le lac Zaïssan, 120 kilomètres plus loin. Vers le milieu de son cours mongol, il passe à une demi-lieue du lac Ouloungour, sans communiquer avec lui. Le lac est salé, plus bas (460 m.), et ne contient pas les poissons propres à l'Irtych. Environné de collines jaunes, sans végétation, il sert de déversoir à une rivière importante, l'Ouroungou, bordée de fourrés de saules, qui sort aussi de l'Altaï.
Au lieu que du côté de Kobdo la forêt, assez pauvre, presque uniquement composée de mélèzes, se tient dans une zone étroite entre 2.000 et 2.400 mètres, elle descend, touffue et splendide, jusqu'à 1.000 mètres sur le versant sud-ouest, mêlant au mélèze le cèdre, le tremble, le peuplier, le saule et le sapin. Ce dernier n'outrepasse pas au Nord la ligne de partage. Au-dessous de 1.000 mètres, c'est la végétation de la steppe djoungare ; au-dessous de 2 400, les pâturages avec bouleaux et saules nains. Plus haut enfin règnent la toundra des sommets et la flore alpestre.
Tel est le pays où Tchinghiz-khan établit la base de son expédition contre la Transoxiane, la plus grande de toutes celles qu'il entreprit. Il constitue aujourd'hui la préfecture d'Altaï, relevant du gouverneur d'Ouroumtchi, c'est-à-dire du Turkestan chinois. Avec lui finit la bande de terre mongole pourvue de grandes eaux courantes et de forêts, que, de l'Irtych à l'Onon, limite une courbe concave au nord-ouest.
Le chef-lieu, Chara-soumé, est l'extrême pointe au nord des Sartes sédentaires. Ils occupent avec les Chinois et les Tatars le groupe de maisons et de magasins qui, autour d'un monastère, d'un fort de boue et de quelques yamen, forment cette ville de 2.000 habitants. Ils cultivent les jardins potagers qui l'environnent, laissant aux Torgouts et aux Kireïs demi-nomades le soin des champs de blé et de millet.
À l'Est, la sécheresse va en progressant dans l'Altaï. Entre l'arête principale et la branche du Nord, de beaux pâturages s'étendent jusqu'au lac Ton-koul. p.264 Mais déjà la petite rivière qui alimente ce lac est privée d'eau en été. Au delà, ce ne sont que vastes lits de torrents pierreux et vides, entre lesquels quelques bois de mélèzes dans les hauteurs, quelques prairies et cultures dans les lieux bas apparaissent encore. Bientôt la désolation devient générale, les lacs taris se transforment au mois d'août en cuvettes de sel cristallisé, les plantes du Gobi prévalent. Le versant septentrional de la grande chaîne résiste mieux. Le Iékhé-bogdo et le Baga-bogdo cachent des saules et des peupliers dans leurs ravins sauvages, l'Artsa-bogdo, la montagne des genévriers, nourrit de nombreux troupeaux, et les trois Saïkhan, plus hauts et plus humides, justifient leur nom en suspendant au cur du désert le beau velours de leurs prés.
Le versant méridional, au contraire, perd ses vallées verdoyantes dès le deuxième quart de la chaîne. Après 92°, il est raide, rocheux, fendu de défilés nombreux encombrés de blocs de granité et la plupart sans eau. La zone forestière a disparu. À la végétation steppique des pentes inférieures fait suite sans intermédiaire la végétation alpestre des sommets, et celle-ci, dont la rhubarbe est le représentant le plus remarquable, au lieu de former un tapis de verdure, s'éparpille en petits groupes à la recherche d'abris contre l'ardeur desséchante qui monte du désert. En bas s'étend un immense champ de mort, le bel, plan incliné d'argile couvert d'un lit de cailloux et de gravier, où toute humidité s'enfouit ; puis les sources reparaissent à la surface, créent des lacs exigus, salés, entourés de prairies marécageuses ; enfin des mamelons de sable sont plantés de toghraks et de tamaris, qui seront désormais au Sud les arbres ou arbrisseaux habituels des solitudes de l'Asie centrale. La vie pastorale y reprend pauvrement, et cesse vers le 101e méridien. Au Midi, sur toute l'étendue des chaînes secondaires du système altaïque et des couloirs qui les séparent, le Gobi règne définitivement sous son aspect le plus désolé (pl. LII. C).
V. LE GOBI
Gobi n'est pas le nom propre d'une contrée. C'est un terme de la langue commune des Mongols, désignant une certaine catégorie d'accidents géographiques, de larges cuvettes dont le fond de rocher, très peu creux et presque uni, est revêtu de sable, de cailloux et surtout de graviers. Les plus vastes de ces dépressions sont appelées tala et comprennent quelquefois plusieurs gobis. Chaque gobi à son tour renferme de nombreux petits bassins ne dépassant souvent pas quelques centaines de mètres en étendue et descendant de 6 à 120 mètres au-dessous de la surface environnante, uvre combinée du vent qui les fouille et les vide et de la nappe d'eau souterraine qui, dès que le creusement l'atteint, ravine les rebords et tend à remplir les fonds des produits de l'érosion. L'ensemble de ces accidents constitue le grand désert de Gobi des géographes européens. Il se divise en deux parties, l'occidental, plus montagneux, entre Altaï et Nan-chan, l'oriental, entre Altaï et Khingan. Le corridor du Golyb-Gobi, entre l'extrémité de l'Altaï et les monts Khara-narin, relie entre elles les deux parties. Le Gobi mesure près de 1.200 kilomètres du nord au sud vers le 104e méridien, plus de 2.000 le long du 44e parallèle. Au Levant, il déborde de 500 kilomètres le Khingan central. Au Couchant, il ne finit qu'avec l'emploi du mot gobi ; mais en effet il se prolonge sans interruption par les déserts de la Djoungarie et du Turkestan oriental, que sépare l'un de l'autre la bande montagneuse et fertile p.265 du Tien-chan. Du Pamir jusqu'aux confins de la Mantchourie, il compte ainsi 3.600 kilomètres.
À l'est du méridien du Baïkal, nous ne trouvons plus les longues et hautes chaînes qui sillonnent la partie occidentale de l'ancien Faîte. Nous sommes en présence, entre Altaï et Khingan, d'une immense cuvette de 1.200 kilomètres est-ouest sur 800 nord-sud, réplique agrandie des gobis qu'elle contient. De ses bords, élevés de 1.600 à 2.200 mètres, elle s'incline doucement jusqu'à 850 vers son centre, le puits de Saïr-oussou. En suivant la diagonale Ourga-Pékin, le fond reste inférieur à 1.000 mètres sur 300 kilomètres. À l'Est, un large renflement de 300-400 mètres conduit à une dépression de 750 à 1.000 mètres le long du Khingan ; à l'Ouest, un autre renflement, un peu moins marqué, est limité par une dépression moins profonde (1.130 m.) au pied de l'Altaï.
Les mouvements orogéniques récents qui, brisant en long les couches occidentales du vieux Faîte, les ont soulevées en « horsts » et effondrées en fosses, n'ont pas joué ici ou n'ont agi que très peu. Nous sommes en présence de simples gauchissements de la surface encadrant les divers bassins. Mais la formation géologique est la même : énormes épaisseurs de couches archéennes et précambriennes, coupées d'éruptions granitiques du Paléozoïque inférieur, surmontées en discordance par 7.000 ou 8.000 mètres de conglomérats et grès grossiers continentaux d'âge jurassique, injectés de porphyres et de rhyolites. Dans le Sud, une série marine du Permien, intercalée entre le Précambrien et le Jurassique, indique la continuation des Altaïdes de Suess (Altaï russe, Tien-chan), qui contournent au Midi l'Altaï mongol.
Toutes ces couches fortement plissées ont été aplanies par le même cycle d'érosion, probablement tertiaire, qui a nivelé la surface supérieure du Khangaï. Une seule pénéplaine, gauchie par le soulèvement ultérieur, s'étend sur ces montagnes et sur le plateau mongol. Elle n'est d'ailleurs visible qu'en partie dans les régions hautes ; plus bas, elle est recouverte en discordance de dépôts horizontaux, crétacés et tertiaires, réduits également à l'état de pénéplaine et constituant le sol superficiel des gobis. Ces dépôts ne subsistent qu'en lambeaux plus ou moins vastes, le reste ayant été balayé par les érosions postérieures. Là où ils sont demeurés intacts, le désert règne ; là où ils sont érodés et ravinés, l'eau et les oasis apparaissent. Très minces dans les fonds, 300 mètres au plus, ces dépôts sont douze fois plus épais au pied des monts qu'ils enterrent en leur façonnant des socles en terrasses nettement découpées. Leur large diffusion dans le Gobi leur en a fait donner le nom, bien qu'au Nord ils s'arrêtent au Khangaï et qu'au Sud ils déroulent leur tapis troué jaune et rouge sur une grande partie de la Haute Asie (pl. HYPERLINK \l "pl049c" XLIX. C).
Les Chinois appellent le Gobi Han-hai, « la mer sèche ». Cette métaphore pittoresque a paru l'expression de la réalité. Richthofen lui-même a cru que les terrains dont nous venons de parler étaient d'origine marine, qu'une mer tertiaire avait tenu la place du désert. La découverte qu'Obroutchev, en 1893, et, récemment, la mission asiatique du Muséum américain d'histoire naturelle y ont faite d'os de lophiodonts et de titanothères, animaux fossiles voisins du tapir et du rhinocéros, a établi qu'il s'agit de sédiments déposés dans des lacs d'eau douce. Le gypse qui y est mêlé témoigne en outre d'un climat semi-aride que les millénaires accumulés depuis ont encore asséché sans en changer foncièrement la nature. Il n'y a pas trace de glaciation ancienne.
p.266 Bassin surélevé au fond ondulé, le Gobi n'est cependant pas d'architecture tabulaire. On y reconnaît encore les ruines d'un édifice de chaînes parallèles dirigées au nord-est. Les fragments décrépits qui en subsistent ne dépassent le niveau des vallées que de quelques mètres parfois et de 300 au plus. Nus, mornes et lugubres, ils s'enfoncent peu à peu dans la tombe qu'ils bâtissent de leurs débris. La faible altitude qu'ils conservent accroît la tristesse du paysage en fermant l'horizon à une distance disproportionnée, de 20 à 40 kilomètres. Ils soulignent la platitude, la désolation et le silence de la steppe. Des blocs de plusieurs tonnes, de gros galets parsèment les pentes supérieures ; des cailloux de plus en plus petits leur succèdent, quartz, jaspe, agate, calcédoine, sardoine, cornaline. Le gravier devient aussi fin que dans les allées d'un jardin ; plus bas, le sable en couches minces ou l'argile salée le remplace. Gravier, sable et argile font un sol dur et uni comme celui d'un hippodrome, interrompu quelquefois par de petites dunes ou des affleurements rocheux. L'armoise grisâtre, l'iris nain, le kharmyk (Nitraria Schoberi), le boudargan (Kalidium) s'aventurent dans ces plaines arides ; de rares touffes de dérissous y montrent leur verdure terne et leurs ramilles dures comme du fil de fer. Point d'arbres, seulement quelques arbustes dans les derniers 150 kilomètres Au nord de Kalgan. Dans le Gobi occidental, le tamaris apparaît, plus souvent le soulkhyr (Agriophyllum gobicum), plante herbacée ayant l'aspect d'un buisson de deux pieds, à tige épineuse et à graines comestibles. Le saksaoul (Haloxylon ammodendron), arbuste aux rameaux sans feuilles, au tronc épais quelquefois d'un pied, pouvant s'élever à 3 ou 4 mètres, forme par endroits des bosquets au milieu du sable. Il monte au Nord jusqu'au Khara-oussou ; le soulkhyr, jusqu'au 48e parallèle (fig. 41 ; pl. XLIX. A, et LII. B).
XLIX. A. Extrémité est des monts Djaïr (Djoungarie).
Monticules sans affleurements de roches, couverts de leurs propres débris. Végétation de steppe.
Fig. 41. Distribution de la végétation et des déserts dans la Haute Asie.
1. Cultures intensives d'oasis ; 2. Cultures intensives continues ; 3. Cultures espacées sans forêts ; 4. Cultures espacées avec forêts ; 5. Pâturages sans forêts ; 6. Pâturages avec forêts ; 7. Pays désert ; 8. Sables. 9. Frontières de l'empire chinois.
Échelle : 1:30.000.000.
LII. B. Blocs de granité sur la pente sud du Bogdo-oula.
Près du monastère de Tchoïro, au sud d'Ourga.
Çà et là, de très minces couches superficielles ayant une fausse apparence de lss laissent croître une herbe pauvre qui jaunit dès juillet et se distingue à peine de l'étendue fauve. Dans la grande lumière du jour tout paraît blême et blafard, enveloppé d'un suaire de poussière fine. Le matin seulement, le ciel se dégrade en nuances d'un bleu de plus en plus foncé jusqu'à la brume des lointains, des couleurs variées se discernent sur la plaine ocreuse que rehaussent par places les ombres nettes d'un rocher, d'un groupe de tentes, d'une troupe de chevaux ou d'antilopes, d'une caravane qui contourne la colline, conduite par un homme coiffé d'un haut chapeau, marchant seul en avant d'un pas roulant dans ses grandes bottes.
Ces vastes espaces se parcourent facilement, partout praticables aux chevaux, aux chameaux et aux chariots. Peu de jours se passent sans que le voyageur trouve de l'herbe et de l'eau pour ses bêtes. Dans le centre, sur plus de 700 kilomètres, l'eau courante fait défaut. Mais il suffit de creuser, ici 2 ou 3 pieds, là 2 ou 3 mètres, pour atteindre les nappes souterraines épaisses d'un pied en général, de plusieurs mètres en quelques lieux. Un petit nombre d'étangs salés se rencontrent ; un seul lac d'importance, le Iéren-dabassou, qui a 20 kilomètres de tour et fournit de son sel excellent le Nord de la Chine. Au reste, marais plutôt que lac : absolument à sec dès novembre, il est alors une simple couche de cristaux salins.
À la périphérie, les cours d'eau reparaissent. Dans le golfe désertique qui pénètre vers l'ouest entre le Khangaï et l'Altaï, on compte six rivières considérables, dirigées du nord au sud, toutes alimentées par la première de ces chaînes. Elles coulent rapides sur des lits pierreux creusés en rainures au milieu de vallées plates et se divisent en branches nombreuses : le Baïdaryk en a onze, p.267 le Touï quinze. Elles aboutissent à des lacs salés, logés dans la dépression qui suit le pied nord de l'Altaï, ceinturés de roseaux et de sables à saksaouls et tamaris. En automne et en hiver, la plus orientale, l'Onghin-gol, se perd dans la plaine avant d'arriver à l'Oulan-nor, dont elle laisse sans eau le bassin d'argile rouge. Le lac Orok, qui reçoit le Touï, se passe à gué dans certaines années. Le Booum-tsagan, plus occidental, est plus stable, mais ses eaux sont presque saturées de sel et de soufre.
Au sud d'Ourga, sur une profondeur de 240 kilomètres, le désert est çà et là parcouru de ruisseaux tronqués, sans changer sensiblement d'aspect. La végétation se fait pourtant un peu plus riche et plus variée à mesure qu'on s'approche de la vallée du Tola, et tout à coup le Bogdo-oula, la montagne sainte, qui domine la rive gauche, saisit la vue du pèlerin qui l'aperçoit par le travers : aux roches nues du flanc méridional s'oppose sans transition la forêt dense de conifères, de bouleaux et de trembles, qui, protégée par la religion, revêt la pente nord de 1.700 mètres au sommet (2.500 m.).
L'aire des grands pâturages ne s'étend pas à l'est du Tola, sauf dans la région des sources du Khéroulon. La vallée même de cette dernière rivière n'est qu'un ruban à travers le désert. Au Nord, le pays, assez différent du Gobi, forme un ensemble de cuvettes marécageuses dont une petite nappe saline, blanche comme neige, desséchée en hiver, occupe le fond argileux ; des collines larges, aplanies, à sol sablonneux garni d'un peu d'herbe, les séparent.
Parallèle aux monts de Transbaïkalie, le Khéroulon a un cours de 1.200 kilomètres, dont le volume est loin de répondre à la longueur. Large de 20 à 40 mètres, profond de 2 en pleine eau, il ne reçoit pas d'affluents. Comme le fleuve Jaune, il est un étranger en transit dans le Gobi, sans relations avec le milieu. De la résidence du Tsetsen-khan, par 1.025 mètres, au grand lac Kouloun, où il finit par 560, sa pente moyenne est la plus faible de Mongolie (0,6 p. 1.000). Le Kouloun, aux bords marécageux, retiré à 30 kilomètres de son ancien rivage, communique en temps de crue avec l'Argoun par un canal qui est le plus souvent à sec. Le Khéroulon n'a donc pas d'issue constante à la mer.
Son lit découpe une rainure sinueuse dans une vallée de deux à trois lieues, qui forme en son milieu une prairie à bosquets de saules, de plus en plus riche à mesure qu'on descend ; de chaque côté, entre la prairie et le versant caillouteux, la steppe déroule une bande de dérissous et de karagans.
De fréquentes caravanes de bufs en été, de chameaux en hiver parcourent cette vallée commode, où les troupeaux et les tentes paraissent nombreux au voyageur venant du désert. Des constructions de briques ou de bois abritent les familles princières du Tsetsen-khan et du San-beissé et le peu de marchands chinois installés à leur ombre. Avec quelques couvents, ce sont les seuls établissements stables.
Quoique la frontière de Mantchourie passe à l'ouest du lac Kouloun, les Mongols s'étendent bien au delà jusqu'aux environs de Khaïlar, surtout dans les vallées des rivières Khalkha et Ourson. Au bord de celle-ci, le grand monastère de Gandjour attire par sa foire annuelle d'innombrables visiteurs des extrémités de la Mongolie.
Au sud de la résidence du San-beissé, à l'est de la dépression centrale, le Gobi se relève à une altitude de 1.400 mètres. Ce renflement de terrain est sillonné d'assez gros ruisseaux qui vont à l'Orient se perdre dans de petits lacs p.268 sans rejoindre les courtes rivières qui descendent du Khingan en sens inverse. Entre les deux séries, la dépression qui suit le pied de la chaîne fait disparaître les eaux superficielles que la pente naturelle aurait portées au lac Bouïr (700 m.) et de là, par l'Ourson, au Kouloun-nor. Les marais salins et les étangs qui y sont épars sont alimentés par des sources souterraines. Le désert a étouffé ce qui aurait pu être la plus longue des branches supérieures de l'Amour.
En approchant du Khingan, le pays devient tout autre. Le plancher large des vallées est tapissé de hautes herbes qui montent jusqu'à la poitrine, cachent entièrement le sol et sont encore vertes à la fin d'août. Des saules et des ormeaux s'y mêlent, tandis que des bosquets de bouleaux et de petits peupliers descendent à mi-côte sur les versants. Potanine y a compté 35 jours de pluie sur 89, de juin à août, et observé la rosée matin et soir, phénomène inconnu dans le reste de la Mongolie. La région est très peuplée, et de grands troupeaux, où le chameau ne se montre plus, paissent les prairies succulentes et fleuries. Cependant le sable du Gobi se répand partout, dans les vallées, sur les pentes et les sommets, donne un aspect triste au paysage, arrondit les saillies, comble les creux, nivelle les profils. Il se distribue d'une manière unie, car l'abondance de la végétation s'oppose à la formation des dunes.
Au Dalaï-nor la dépression cesse, le terrain se relève à 1.270 mètres, le pied de la chaîne est désormais privé d'eaux courantes, et le sable rabattu par le vent d'ouest y façonne un labyrinthe de mamelons à broussailles jusqu'à la ville chinoise de Dolon-nor, située dans la boucle que décrit le Louan-ho sur le versant occidental du Khingan. De là vers le sud, l'orientation des montagnes se modifiant, les sables diminuent et laissent place à d'assez bonnes prairies.
Une déclivité douce conduit au faîte du Khingan qui se traverse en voiture. Ce n'en est pas moins une véritable chaîne, et non pas le simple rebord de la terrasse du Gobi tombant sur la plaine plus basse de Mantchourie. S'élevant à 2.100 mètres, ses pics dominent de 1.200 la dépression occidentale à 80 kilomètres de distance. De l'autre côté, la chaîne s'abaisse de degré en degré en terrasses découpées de vallées et de ravins, chargées d'une sylve luxuriante qui laisse apparaître au loin entre ses ramures l'éclat mouvant des rivières dans les plaines. On entre dans un domaine botanique différent. La végétation, plus dense, comprend des espèces absentes à l'Ouest : le chêne, le grand orme, le tilleul, le noisetier, le myrte, l'acacia. Toutefois le Mongol et le Gobi y pénètrent ensemble, occupent un large espace entre le Chara-mouren et le Nonni. Au sud du Chara-mouren ou Liao-ho, le Mongol domine encore, de plus en plus mêlé aux Chinois, de plus en plus repoussé ou absorbé par eux. D'ailleurs, au Nord comme au Sud, le nomade devient à demi sédentaire, cultive amplement le millet et le sarrasin, et la tente de feutre se transforme en hutte de joncs sans changer de configuration.
Le Khingan, limite orientale de l'ancien Faîte, est fait essentiellement de gneiss et de schistes coupés de granité. Ses plissements anciens englobés dans une voussure récente s'étendent sur 150-200 kilomètres en largeur, s'allongent entre deux bandes de roches ignées, tertiaires et quaternaires, et de volcans éteints dont le principal sur le versant occidental est le Bogdo-oula (2.260 m.) à l'ouest du Dalaï-nor. Ce lac, de 85 kilomètres de tour, couvre le fond d'une sorte de limagne encombrée de dunes, produit des fractures liées aux formations volcaniques qui l'avoisinent.
Parallèle à la côte du Pacifique, le Khingan décrit une courbe de plus de p.269 1.700 kilomètres de la basse Chilka, près de son confluent avec l'Argoun, jusqu'aux environs de Kalgan. De là, son prolongement, orienté ouest-sud-ouest, forme le rebord méridional du Gobi. Un col de 1.540 mètres, qui descend sur Kalgan (760 m.) par un puissant escarpement d'érosion, mène aux vallées rocheuses et fertiles de la Chine. C'est la porte du désert, d'où le nom de Kalgan, déformation de Khalga qui signifie « porte » en mongol. De cette ville à Koukou-khoto s'étendent de vastes champs de laves basaltiques sur une largeur de 50 à 150 kilomètres vers le nord, mornes, noirs, arides, en voussures et dépressions de quelques mètres. Suite des roches volcaniques qui longent le Khingan, ils constituent une carapace protectrice pour le rebord du plateau dont ils empêchent le démembrement. Ils en dérobent les couches inférieures à l'action des agents atmosphériques et s'opposent à l'érosion régressive des rivières chinoises. Ainsi le Gobi garde son uniformité stérile au lieu de se disséquer en vallées alpestres et fécondes.
Les hauteurs qui encadrent au sud le plateau, bien qu'elles résultent, dans leur état actuel, de fractures très jeunes, ne sont dans leur origine que la dernière et la plus élevée des vagues montagneuses qui, poussées à l'Est par les Altaïdes autour de l'ancien Faîte, déferlent contre le massif sinien. Le mouvement de plissement étant oblique par rapport à ce massif, il en est résulté une disposition en coulisses des chaînes de bordure, dont chacune par sa partie orientale déborde au Nord la suivante. Le Chara-khada, prolongement des monts des Oïrats, déborde le chaînon de Kalgan ; le Souma-khada, suite du Khara-narin, déborde les monts des Oïrats. L'extrémité du Chara-khada dans le cur du Gobi marque l'extension la plus septentrionale des arbustes sur son versant nord, le terme présent des cultures chinoises sur son versant sud. Les monts des Oïrats, Oula-chan ou Ta-tsing-chan des Chinois, In-chan de la plupart des géographes européens (1.700-2.400 m.), dominent au Nord de 600 mètres le bassin de Koukou-khoto et de 1.300 la traverse de la potence que dessine le fleuve Jaune. Leurs gneiss, granités, porphyres et roches volcaniques récentes sont accompagnés en arrière de grès carbonifère. L'influence du Pacifique y favorise la végétation. Quelques grands pins sur les hauteurs et dans les gorges inaccessibles, ailleurs des troncs épars et desséchés témoignent encore des anciennes forêts détruites. Les arbustes sont nombreux : thuyas, ormeaux, chênes nains, mûriers, abricotiers, pruniers, noisetiers. Les prairies du versant nord nourrissent des troupeaux possédés et gardés par des Chinois.
Le Khara-narin est plus aride et plus éloigné du grand fleuve dont le séparent 15 lieues de sables. Il dresse ses pics abrupts de roches archéennes à 1.000-1.200 mètres d'altitude relative, et tourne vers le Houang-ho sa pente escarpée que longe une faille énorme. Le Iabaraï (1.800 m.), chaîne décharnée de granité très démembré, usé et creusé par le vent, le prolonge au Sud-Ouest et plonge sous le plancher du désert à 120 kilomètres de Kan-tchéou (Tchang-yi). Il ne borde plus le Gobi. Ce rôle passe à l'Ala-chan (Si-chan), suite du Nan-chan rebroussée au Nord le long du fleuve Jaune, rempart large de 25 kilomètres, profondément raviné, à la crête crénelée de terrains carbonifères. Ses pics couverts d'éboulis siniens montent à 3.300 mètres, et ses cols à 2.500. Du côté occidental, exposé aux vents pluvieux, ses hautes pentes sont boisées, fréquentées par le daim musqué. De faibles ruisseaux, dont l'un arrose Ouang-ié, résidence du prince d'Ala-chan, créent autour de la base une étroite lisière d'oasis et de pâturages. À l'Ouest, jusqu'à l'Edzin-gol, le Gobi figure sur la carte une vaste poche creusée p.270 au Sud, que remplissent les sables les plus profonds de la Mongolie. C'est le pays d'Ala-chan, où des esplanades de terre glaise salée et de petits lacs minces alternent avec de longues dunes sinueuses, abruptes au Sud-Est, hautes de 10 à 40 mètres, quelquefois de 100, souvent fixées par des saksaouls, des soulkhyrs, des plantes épineuses (Oxytropis acyphilla). Dans le reste du Gobi, les dunes ont rarement plus de 10 pieds. Ce fait s'accorde avec la règle générale de la distribution des sables dans la Haute Asie en fonction de la direction dominante des vents et de l'ordonnance du relief. Potanine a bien formulé cette règle. Au nord d'une ligne Kachgar-Ourga, les sables sont seulement sporadiques, limités le plus souvent aux rives des lacs, Balkach, Ala-koul, Ébi-nor, Zaïssan, Ouloungour, Soubsen, Dourga, Khara-oussou, c'est-à-dire aux parties les plus basses. Au sud de cette ligne, ils revêtent des espaces immenses, mais les grandes épaisseurs se concentrent dans les régions les plus méridionales et les plus élevées, contre la bordure montagneuse, Taklamakan au sud du Tarim, Ala-chan, Ordos, Gobi méridional (fig. 41).
Le pays d'Ala-chan, haut de 1.100 à 1.400 mètres, s'adosse à la terrasse arrosée et cultivée des oasis du Kan-sou occidental, qui s'étend au pied du Nan-chan à une altitude variant d'est en ouest de 1.560 mètres (Liang-tchéou) à 1.460 (Sou-tchéou). Quelques menues rivières en descendent, pour aller mourir dans des mares au milieu des sables. La plus importante, celle de Liang-tchéou (Wou-wei), porte les cultures assez avant au Nord jusqu'à la bourgade de Tchen-fan, et finit dans le lac Khara-nor qui a 10 kilomètres de tour et 6 à 10 pieds de profondeur.
À l'ouest de cette rivière commence le Loung-chan, véritable avant-chaîne du Nan-chan, rocheuse et dénudée, culminant par 3.100 mètres. Elle sépare du Gobi le Hei-ho, qui coule le long de son pied méridional et la contourne, pour entrer, sous le nom d'Edzin-gol, dans le désert où il coupe l'extrémité orientale des chaînes du Pé-chan. Dans son cours mongol, la rivière, accompagnée d'un ruban de végétation, roseaux, tamaris, toghraks, traverse un terrain de sable et de pierres. L'aspect est absolument celui du Turkestan chinois. La rivière s'appauvrit en avançant, se divise en plusieurs branches qui changent sans cesse ; les arbres deviennent rabougris, leur feuillage rare, leur tronc s'épaissit. Le bras oriental aboutit au Sokho-nor, lac lors du passage d'Obroutchev en 1893, simple marais aujourd'hui. Les bras occidentaux les plus importants se jettent dans le Gachioun-nor, nappe salée de 50 kilomètres de circuit, dont les anciens bords apparaissent à 40 mètres au-dessus de la rive actuelle. Ce lac occupe le fond d'une dépression d'environ 850 mètres d'altitude, remarquable par ses prolongements à l'Est et à l'Ouest, qui forment, semblable à une gouttière immense, un arc concave au Nord, dont il est le sommet ; d'un côté, elle se relie aux gobis Goïtso et Golyb et, tournant l'Altaï, à la dépression centrale de la Mongolie orientale ; de l'autre, elle rejoint le Chourtyn-kholi-gobi, qui s'abaisse peut-être à 610 mètres et par un seuil peu important conduit à la dépression méridionale du Tien-chan, tandis qu'au Nord les derniers débris du Tien-chan la séparent seuls du Narin-khoukhou-gobi, autre sillon qui mène aux bas-fonds de Djoungarie. Cette gouttière fait pendant à celle qui, plus au Sud, va de Tai-yuen (Yang-kin) au Lob-nor et limite les grands reliefs de la Chine et du Tibet.
La flore et la faune du Gobi sont extrêmement pauvres, non seulement par le nombre des individus, mais aussi par celui des espèces. C'est ainsi que l'on compte quarante salsolacées sur le haut Irtych, trois seulement dans le Gobi.
p.271 L'Ala-chan, un peu plus riche, s'apparente à la Djoungarie et au Turkestan, notamment par l'Alhadji maurorum et la gazelle subgutturosa, à la Chine par un serpent très venimeux, le Trigonocephalus intermedias. Dans le Gobi occidental comme dans l'Altaï, errent deux des animaux les plus caractéristiques de la Haute Asie : le cheval sauvage et le koulan. Le premier, Equus Prjevalski, est un poney trapu dont on a longtemps nié l'existence. Il est rare et se rencontre seulement dans les cantons les plus retirés. Le koulan, plus fréquent, est une espèce de grande hémione, ayant l'aspect d'un mulet, qui parcourt les montagnes en été, les steppes en hiver ; il remonte au Nord jusqu'à la région de Kobdo (pl. LVII. A).
LVII. A. Jeune koulan capturé par des indigènes du Turkestan chinois.
Dans l'ensemble du Gobi, le climat est essentiellement le même qu'à Ourga, mais plus sec et comportant dans le Sud, avec des températures d'hiver un peu moins excessives, une moyenne estivale plus élevée. Sous la latitude de Naples et de Palerme, le Golyb et l'Ala-chan subissent au cours de l'année une oscillation normale de 38° (Prjévalsky, 45°, juillet 1873) à 33° et fréquemment des écarts journaliers de 40°. Il gèle encore la nuit au début de juin, et les glaces prennent les eaux du Houang-ho, au nord de sa boucle, du 15 novembre au 15 mars. Le peu de neige qui tombe s'évapore ; mais la pluie n'est pas rare en juillet et en août et dure parfois deux ou trois jours de suite. L'hiver est à peu près calme ; en été le vent du nord-ouest alterne avec celui du sud-ouest et règne seul au p.272 printemps, soufflant sans arrêt du milieu de la matinée à la fin de l'après-midi. Il déchaîne d'effroyables tempêtes sèches. Les premières heures sont calmes, mais un voile de cendre assombrit l'horizon au nord-ouest, des nuages très bas, grisâtres, rapides, approchent, tout le ciel prend peu à peu sa couleur du soir, et, soudain, dans un bruit de roulement de chars, dans une lueur jaune lugubre, l'ouragan se rue en trombe de sable et de gravier, mitraille de cailloux le voyageur obligé de s'étendre à terre ; puis, après vingt ou trente minutes, la rafale noire s'enfuit au sud, laissant derrière elle l'atmosphère paisible, claire et froide.
Comme il fait le Khingan à l'Est, le désert outrepasse au Sud sa bordure montagneuse. À l'intérieur du grand coude septentrional du Houang-ho, le pays des Ordos est un morceau de Mongolie, séparé de l'ensemble par la vallée cultivée et chinoisée du fleuve. Il appartient à une autre formation géologique, à la vieille plate-forme du continent sinien. Il est constitué, comme le Nord de la Chine, par des grès suprahouillers et des calcaires cambriens horizontaux. Mais il a le même revêtement de sédiments crétacés que le Gobi, et il appartient également à la région de déposition des sables, tandis que les plateaux du Kan-sou, du Chen-si, du Chan-si sont le domaine du lss, dont les particules plus fines se laissent transporter plus loin de leur origine. Mesurant environ 120.000 kilomètres carrés, il s'élève à 300 mètres en moyenne au-dessus du fleuve Jaune, dont l'altitude en ces parages décroît de 1.100 à 1.000 mètres. Sa région culminante est au centre ; elle atteint 1.700 mètres. Au coin Nord-Ouest, le fleuve est serré de près sur sa rive droite par l'Arbis-oula, ramification déviée du Nan-chan, collines grises, ravinées, aux sommets de 1.900 à 2.000 mètres. Limitrophe de l'Ordos au Sud, le plateau du Chen-si le domine de 300 mètres, et la différence de niveau a l'apparence d'une colline, couronnée par les ruines de la Grande muraille. Trois zones traversent le pays dans le sens est-nord-est. Au Nord, le Kouzouptchi, bande de dunes de sable jaune absolument aride, s'amincissant d'ouest en est ; puis une région de collines et plateaux bas alternant avec des vallées et cuvettes sablonneuses, qui logent des étangs salés ; enfin une zone de tsadam, c'est-à-dire de plaines argilo-salines mêlées de pâturages et de dunes, riches en mares d'eau douce et en puits où l'eau monte souvent à un mètre du sol. Le Kouzouptchi excepté, l'Ordos est beaucoup moins mort que l'Ala-chan. On rencontre partout de l'eau et souvent des tentes ; la végétation buissonneuse n'est pas rare et forme des fourrés épais ou de petits bois clairsemés d'un arbuste autochtone (Pugionum cornutum). Comme sur le versant occidental du Khingan moyen et dans le bassin du Sélenga, les Chinois viennent chercher la réglisse dans l'Ordos et en font des fagots qu'ils chargent sur leurs barques du Houang-ho. Les Mongols du pays ont pris l'habitude de l'agriculture. Ils sèment non seulement le millet et l'orge, comme au Nord, mais aussi le chanvre, le sarrasin, le sorgho et la pomme de terre. Ils sont en outre les seuls de leur peuple à se servir de l'âne.
Le plateau des Ordos fut le théâtre de la dernière expédition de Tchinghiz, dirigée contre les Tibétains du royaume Hia, au cours de laquelle le conquérant mourut en assiégeant Ning-hia. C'est depuis lors seulement que les Mongols ont occupé la contrée. Commis à la défense du camp impérial (Ordou), ils en conservèrent le nom d'Ordos. Massacrés en masse, dépouillés de leur bétail par les insurgés dounganes au siècle dernier, refoulés par les paysans chinois qui s'emparent des terres arables, surtout dans l'Est que ravinent les torrents, ils penchent p.273 à leur fin. À Edjin-khoro, dans l'angle Nord-oriental, ils continuent à monter une garde pieuse autour des tentes de feutre qui abritent les restes ou, du moins, le cénotaphe du grand chef de guerre, et son souvenir toujours vivant berce mélancoliquement le déclin de son peuple.
VI. LE PEUPLE MONGOL
Formation du peuple mongol. Les habitants de la Mongolie sont devenus mongols de nom et de langue depuis leur réunion à l'autorité de Tchinghiz-khan au début du XIIIe siècle. Auparavant ils étaient turcs, sauf sur les bords du Khéroulon et de l'Onon, qui appartenaient aux Mongols, et sur les deux versants du Khingan qu'occupaient les Toungouses. Les Turcs proprement dits avaient fondé au milieu du VIe siècle un empire qui, divisé en deux parties, s'étendit de la Mantchourie à la Caspienne. Ils ont laissé le récit de leurs exploits gravé sur deux grands monolithes de marbre gris, les plus anciens monuments de leur langue (732 et 735), qu'on voit encore, entourés chacun de sept statues de guerriers sans tête, dans la steppe déserte de Kocho-tsaïdam, sur la rive droite du Kokchin-Orkhon, à 40 kilomètres au nord du monastère Erdenitsou. Les Ouïgours les remplacèrent en 745, et furent renversés à leur tour en 840 par les Kyrghyz. Au XIe siècle, l'hégémonie appartenait aux Kéraïts, chrétiens nestoriens, dont le chef, le Ouang khan, était vaguement connu en Europe sous le nom légendaire de Prêtre Jean. Tous, Turcs, Ouïgours, Kyrghyz, Kéraïts, ne sont que des groupes différents du même peuple. Les Turcs eux-mêmes étaient les successeurs des Jeou-Jan, de souche toungouse-mantchoue, les Avares des écrivains grecs et latins, qui, vers l'an 400, avaient substitué leur domination à celle des Huns. Ceux-ci sont mentionnés par les écrivains chinois dès le VIIIe siècle avant notre ère, terme ultime de notre science historique. Les Jeou-Jan, les Turcs et les Ouïgours les réclamaient également pour ancêtres. En réalité, ces noms de peuples représentent des confédérations successives dont la tête change et dont les éléments demeurent. Les nouveaux maîtres imposent leur pouvoir, ils ne chassent pas leurs prédécesseurs en masse. On se fait communément une idée fausse des migrations dont l'histoire de l'antiquité et du moyen âge est remplie. Seuls les irréductibles lèvent le camp et vont chercher fortune plus loin. Les mémoires du sultan Baber montrent admirablement comment une poignée d'hommes peut, au sein d'une société mal organisée, partir au hasard, grossir en route de tous les mécontents et curieux d'aventures et fonder au loin un grand empire. Il n'en fut guère autrement des Mongols, sauf qu'ils restèrent étroitement liés à leur base d'opérations.
C'était à l'origine un petit peuple nomadisant autour du lac Baïkal, dans les vallées de l'Onon et du Khéroulon. Il est mentionné pour la première fois dans les Annales chinoises du Xe siècle. Leurs voisins de l'Est, au contraire, les Tatars, Toungouses habitant le Nord-Ouest de la Mantchourie, paraissent déjà dans les inscriptions de Kocho-tsaïdam, et, une fois soumis à Tchinghiz-khan, leur célébrité plus ancienne fit donner leur nom à tous les Mongols. Chose curieuse, ces Toungouses confondus avec les Mongols devinrent plus tard purement turcs de langue. Toungouses, Mongols, Turcs parlent des idiomes très différents, quoique de la même famille, mais la communauté des murs, des coutumes, du genre de vie les rapprochait, leur inspirait le sentiment d'une origine commune, les rendait p.274 capables, sous des chefs énergiques, d'une action commune. Les Mongols se rattachaient aux Che-ouei, branche des Toungouses, et par eux aux anciens Sien-pi et aux Avares ; ils se vantaient de descendre, comme les Turcs, des animaux mythiques le Loup gris et la Biche Lumière, et Rachid-ed-din, historien turc qui écrivait en persan dans les premières années du XIVe siècle, les considérait comme une simple variété des Turcs. Tchinghiz-khan eut bien soin de commencer par réunir autour de lui les Kéraïts, les Naïmans et les Ouïgours, qui étaient turcs, aussi bien que les Tatars et les Kara-Khitaï de Transoxiane, qui étaient toungouses. C'était pour lui une même famille dont l'unité était nécessaire à ses vues. Il démembra au besoin, mélangea, regroupa les tribus et eut ainsi une armée bien en main où tout le monde bientôt parla le mongol officiel. Il construisit avec elle le plus grand empire du monde. On a peine à le comprendre, à voir la misère et la faiblesse des Mongols de nos jours. Montés si haut et tombés si bas, ils étonnent également.
Ils n'ont cependant pas changé. Nomades toujours prêts au départ, rudes, robustes, endurcis par leur climat et leur vie en plein air, aussi gais après deux jours de jeûne que le ventre plein, dévoués au chef, stricts sur la consigne militaire, ils sont la meilleure pâte à soldats qu'on puisse souhaiter. On allègue à tort, pour expliquer leur décadence, l'épuisement par la conquête du fabuleux réservoir de combattants que les steppes de l'Asie auraient formé jadis. Les armées de Tchinghiz-khan n'ont jamais été nombreuses. La plus grande ne dépassa probablement pas 100.000 hommes, et c'est avec 25.000 que Souboutaï, lieutenant de son successeur, s'avança jusqu'à Vienne. Mais, depuis, l'énorme multiplication des civilisés sédentaires, la puissance des ressources économiques et des moyens de guerre des nations modernes ont réduit le nomade à néant. Les conditions anciennes étaient toutes en faveur de celui-ci, également mobile pour la défense et l'attaque, et rompu par son genre de vie aux exercices guerriers. Le Mongol en profita mieux que tout autre ; il tira une supériorité incontestable de la combinaison, dans son armement, du sabre avec un arc puissant de chasseur des monts boisés, de l'emploi savant d'un cheval de qualité exceptionnelle, qui permettait avec une rapidité et une vigueur inconnues ailleurs la concentration des troupes, l'exécution des mouvements stratégiques et tactiques, qui transportait sans se lasser les vivres et l'équipement de campagne de son cavalier, et, crevé enfin, le nourrissait de sa chair. Surtout, héritier de la vieille expérience turque, aidé d'un bon personnel d'intendants et de scribes ouïgours élevés à l'école chinoise, Tchinghiz sut porter l'organisation de son armée à un haut degré de perfection, en faire la machine la mieux montée et la plus précise qui ait été entre les légions romaines et les régiments prussiens de Frédéric II. Politiquement, il fit taire les résistances par un système de terreur auquel seules des demi-brutes impassibles et disciplinées pouvaient apporter la méthode nécessaire. Des monceaux d'ossements blanchis jalonnèrent ses routes, il massacra avec sérénité et avec ordre, par lots exactement répartis entre ses escouades, ses compagnies et ses bataillons, des peuples entiers qui le gênaient. Au demeurant, il laissa, au dire de Joinville et de Marco Polo, le renom de prud'homme sage qui procura la paix au monde. En effet, les exécutions faites, une immense tranquillité régna. Selon le mot du chroniqueur Mathieu Paris, les chiens n'osaient plus aboyer. Ses successeurs, comme lui-même, montrèrent la même indifférence dans la bonhomie envers les résignés et dans la rigueur envers les rebelles. Ils p.276 furent tolérants pour toutes les confessions religieuses, la chrétienne, la musulmane et la bouddhiste leur paraissant aussi bonnes l'une que l'autre. Ils permirent à chacun des peuples soumis de s'administrer à son goût ; ils ne souffrirent point que les routes fussent troublées ni le commerce inquiété. Par eux l'Occident et la Chine se rapprochèrent malgré les barrières physiques, l'imprimerie en caractères mobiles pénétra en Égypte et de là en Europe. Après eux, le fanatisme musulman à l'Ouest, la prudence et le dédain chinois à l'Est fermèrent de nouveau la porte.
Cependant la chute de la dynastie de Tchinghiz en Chine ne mit pas fin à la fortune de sa nation. Dès le début de leur entreprise et avant d'avoir pris Pékin, les Mantchous eurent des alliés mongols, qu'ils organisèrent sur le modèle des bannières mantchoues. C'est la Mongolie intérieure d'aujourd'hui. Mais les Mongols Djoungars refusèrent le nouveau maître, tinrent un moment la balance douteuse, et il fallut plus d'un siècle pour les réduire (1758).
Les Mongols avaient été battus et soumis par leurs cousins mantchous, comme ils avaient battu et soumis leurs cousins turcs. Depuis, ils furent inoffensifs. La politique de Pékin y mit bon ordre. Leurs princes furent surveillés par des garnisons mantchoues, liés par des honneurs, des subventions, des mariages dans la famille impériale. Le bouddhisme soutenu, réglementé, imposé à tous, absorba dans son clergé la moitié des mâles, désormais condamnée au célibat, enlevée au métier des armes, enfermée dans les couvents et la prière. L'influence des grands lamas riches et vénérés tint en échec les ambitions des chefs laïques.
Échappant à cette action débilitante, les Turcs musulmans, Kazaks de la tribu des Kireïs (nom dont Kéraït est la forme plurielle en mongol), empiètent à l'ouest sur les Mongols. Plus prospères, plus actifs et plus vivants, ils contrastent avec leurs voisins misérables et les repoussent lentement vers l'est. Ils campent en été sur l'Altaï occidental, en hiver sur le Kobdo-gol supérieur ou sur l'Irtych noir à l'abri des grands roseaux et des bosquets de peupliers et de saules. Ils ont la face moins large et moins plate que les Mongols, les pommettes moins saillantes, les yeux moins bridés, plus de poils, une taille assez haute (1,64 1,68 m.). On les reconnaît aux couleurs gaies de leurs vêtements, au vaste pantalon de cuir jaune des cavaliers, au haut turban blanc des femmes. Ils sont pâtres soigneux, hardis brigands, chasseurs intrépides qui tuent les loups à coups de fouet.
Du côté de l'Occident et du Septentrion, la Russie étendue et civilisée a dominé presque tous les Turcs, rejeté définitivement les Mongols dans leurs frontières actuelles, annexé celles de leurs tribus qui erraient dans la région du Baïkal, les Bouriates. Enfin, vers le Sud, les agriculteurs chinois montent patiemment à l'assaut de la steppe des hautes herbes et même du désert. Au nord de Kalgan, leurs fermes et leurs villages dépassaient la Muraille de 15 kilomètres en 1872, de 45 en 1899, de 110 en 1923. Ils occupent depuis longtemps la région de Se-ho (Tcheng-té) et celle de Koukou-khoto (Kouei-hoa), et, depuis le début de notre siècle, ils ont franchi le rebord du plateau qui domine cette dernière ville. Le paysan chinois profite des coulées de laves et des champs de lss répandus parmi les sables et les graviers, aménage tous les bouts de ruisseaux, creuse des puits, corrigeant la nature que le nomade subit passivement. Son gain total doit approcher présentement de 200.000 kilomètres carrés, en y comprenant des enclaves mongoles assez importantes qu'il est impossible de mesurer.
p.277 On n'a que des renseignements très douteux sur le nombre actuel des Mongols. Les résultats du recensement de l'empire chinois, publiés par la Gazette de Pékin le 27 février 1911, donnent 70.658 familles pour la Mongolie extérieure, 67.932 pour l'intérieure, sans compter l'Ala-chan, soit en tout 700.000 individus environ. Ce chiffre ne comprend ni les moines ni les serfs. Il y aurait 600.000 de ces derniers, d'après le China Year book de 1924. Quant aux moines, ils forment les cinq huitièmes de la population mâle, selon Pozdnéev, 44,6 p. 100, selon le recensement de la Mongolie extérieure, opéré en 1918. Le nombre des religieux atteindrait donc à peu près 480.000, ce qui porterait l'ensemble de la population à 1.780.000. Le recensement de 1918 donne 600.000 pour la Mongolie extérieure, chiffre probablement trop faible. En outre il peut y avoir 150.000 Mongols en Djoungarie, 20.000 dans l'Ala-chan et 70.000 dans les régions du Koukou-nor et du Tsadam. Si l'on y joint les 190.000 Kalmouks des environs d'Astrakhan, les 20.000 de la province de Tomsk et les 290.000 Bouriates voisins du Baïkal, on arrive à un total de 2.520.000 personnes parlant l'idiome mongol (fig. 42).
Fig. 42. Carte ethnographique de la Haute Asie.
1. Mongols ; 2. Turcs ; 3. Indo-Européens parlant turc ; 4. Indo-Européens parlant des langues indo-européennes ; 5. Tibétains ; 6. Chinois ; 7. Chinois musulmans ; 8. Désert ; 9. Limites de l'empire chinois ; 10. Limites de province. Échelle : 1:25.000.000.
Divisions politiques. La Mongolie est divisée politiquement en deux parties, l'intérieure et l'extérieure. La première, étroitement rattachée à la Chine depuis l'avènement de la dynastie mantchoue, comprend une large bande au nord de la Grande muraille, à l'est de l'Ala-chan, et les deux versants du Khingan. Elle est aujourd'hui partagée au point de vue administratif entre trois territoires militaires, distincts des vingt-deux provinces chinoises : Je-ho à l'Est, Tcha-ha-eul (Tchakhar) au centre, entre Dolon-nor compris et Koukou-khoto non compris, Souei-yuan à l'Ouest, entre cette dernière ville et l'Ala-chan. Souei-yuan est le nom d'une petite ville fortifiée située à 2,5 km. au nord-est de Koukou-khoto. Les Mongols de la Mongolie intérieure forment six ligues (tchoulgen) et quarante-six tribus (khochoun). Les ligues se nomment d'est en ouest : Djérim (dix tribus), Djosotou (cinq tribus), Djouda (neuf tribus), Silinggol (dix tribus), Oulan-tsab (cinq tribus), Iékhédjou (Ordos, sept tribus). À la tête de chaque tribu est un prince héréditaire, djassak, assisté d'un adjoint nommé par Pékin, à la tête de chaque ligue un président, darouga, élu par l'assemblée des djassak parmi ses membres. Le gouverneur militaire représentant le gouvernement chinois exerce un contrôle général sur l'administration des tribus et des ligues de son territoire.
L'Ala-chan forme une région à part, où campent seulement deux tribus : les Éleutes à l'Est, qui dépendent de Ning-hia, les Torgouts à l'Ouest, qui ressortissent à la province de Sin-kiang (Turkestan chinois).
Tout le reste du pays au Nord constitue la Mongolie extérieure, qui comprend deux branches de Mongols, les Khalkhas à l'Est et les Djoungars à l'Ouest, que les Russes appellent Kalmouks. Les Khalkhas se divisent, ou plutôt se divisaient avant le régime soviétiste, en quatre aïmak, primitivement corps d'armée, portant les noms héréditaires de leurs khans respectifs, descendants de Tchinghiz. Le Tsetsen-khan à l'Est sur le Khéroulon groupait vingt-trois tribus ; le Touchetou-khan, vingt, il campait près de l'emplacement de Khara-khouren ; vingt-quatre tribus étaient subordonnées au Saïn-Noïn-khan sur le versant méridional du Khangaï, dix-neuf au Djassaktou-khan au pied nord de l'Altaï. À l'ouest de ce dernier, les six tribus des Djoungars, sans lien entre elles, embrassent dans leurs territoires les quatre grands lacs de la région de Kobdo et la vallée du Tess : Baïts au Nord, Deurbets à l'Ouest, Minghits entre Kobdo et le Kyrghyz-nor, p.278 Djakhatchins au sud de Kobdo, Ouranghas au Sud-Ouest, Torgouts au Sud-Est. Sous l'ancien régime, ces tribus relevaient de l'amban mantchou de Kobdo, tandis que l'empereur exerçait sa suzeraineté sur le Djassaktou et le Saïn-Noïn par le gouverneur général commandant en chef d'Ouliassoutaï et sur les deux autres khans par l'amban d'Ourga. Mais la Mongolie extérieure, comme nous le verrons plus loin, s'est déclarée indépendante en 1911 et a établi un gouvernement central autonome à Ourga qui a pris le nom d'Oulan-bator-khoto.
Dans l'une et l'autre Mongolie, les moines bouddhistes forment une classe à part qui a sa hiérarchie et son administration propres, d'autant plus importantes qu'elles régissent la majorité de la population. En effet les serfs (chabi, pluriel : chabinar) en dépendent ; ce sont eux qui ont le soin des immenses troupeaux des couvents. Chaque tribu compte plusieurs monastères fixes ou nomades, dont le principal est établi auprès du prince. Ces couvents sont au nombre de 2.648 dans la seule Mongolie extérieure. Le premier rang dans la hiérarchie ecclésiastique appartient aux incarnations de Bouddha (khoutouktou). Il y en a une centaine, parmi lesquelles la plus haute en dignité est celle d'Ourga, le bogdo tcheptsoun dampa, incarnation de Maitreya ou Maïdari, le Bouddha futur. Ce lama suprême n'est inférieur dans l'ordre jaune du bouddhisme tibétain qu'au talé-lama de Lhasa et au pantchen-rinpotché de Tachilhounpo, et, quoique réincarné au Tibet, il l'est toujours dans la famille du touchetou-khan. Il possède à lui seul plus de 100.000 serfs. Dans les premières années qui suivirent la révolution, il présida le gouvernement autonome de la Mongolie extérieure. Mort récemment, il n'a pas eu de successeur. Après lui, l'incarnation la plus populaire paraît être le djalkhensen, résidant près de l'extrémité occidentale du lac Sanghin-dalaï. Il gouverne les éléments, guérit les maladies, et les foules se pressent à son sanctuaire.
Type ethnique. Les Mongols ne sont pas une race, c'est un groupe né des remous de la vie nomade. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver chez eux un type uniforme. En général cependant on s'accorde à leur reconnaître une plus petite taille qu'aux Turcs et aux Mantchous (1,63 1,64 m.), la face large, le nez écrasé à la racine, les pommettes saillantes, l'il bridé, les lèvres épaisses, les oreilles énormes très détachées de la tête, les sourcils et la barbe rares, les cheveux noirs et roides. Ils diffèrent nettement des Chinois : ils ont la face plus large, la brachycéphalie plus accusée ; leur peau est plutôt basanée que jaune. D'autre part on rencontre parmi eux des visages plus ovales, des nez moins épatés, des pommettes moins saillantes, très exceptionnellement des yeux bleus et des cheveux blonds ou roux. Ces caractères ne sont pas très rares chez les Turcs de l'Altaï russe. Les Annales chinoises rapportent qu'au IIIe siècle de notre ère les Kyrghyz du haut Iénisseï qu'elles appellent Kien-koun avaient les yeux gris-vert et les cheveux roux. À mi-chemin entre Kiakhta et Ourga, Kozlov a récemment découvert des tombeaux de chefs huns du IIe siècle avant J.-C., contenant des objets semblables à ceux qui ont été extraits des tombes scythes de la Russie méridionale. Les ossements dénotent une race différente de la population actuelle, et dans les monuments identiques de la Transbaïkalie et de la région de Minoussinsk les masques moulés des défunts trahissent un type dolichocéphale caucasien. On a conclu de ces faits que les Scythes européens s'étendaient autrefois jusqu'au cur de la Mongolie. Que les nomades guerriers riverains de la mer Noire p.279 aient poussé leur domination dans ces parages, il n'y aurait pas à s'en étonner plus que de l'expansion postérieure vers la Caspienne et la Russie des Avares de Mantchourie et des Mongols des bords de l'Onon et du Khéroulon. On a affaire à des peuples de même genre de vie, où le pouvoir peut naître, selon les circonstances, en n'importe quel point des vastes territoires qu'ils occupent et se développer d'un bout à l'autre sans tenir compte des races (pl. LI. A).
LI. A. Type de Mongol. En arrière, une tente.
Le genre de vie. Depuis Tchinghiz-khan et Attila le mode d'existence n'a guère changé dans la plus grande partie du pays. Chez les Ordos, dans le Sud des territoires de Tchakhar et de Se-ho, l'agriculture s'est tout à fait enracinée ; un certain nombre de Mongols habitent des maisons, ou au moins des huttes de claies, et s'habillent à la chinoise. Partout ailleurs, les hommes subsistent presque exclusivement du produit de leurs troupeaux. Moutons, chèvres, bufs, chevaux, chameaux et yaks paissent les immenses pâturages qui verdissent les contrées montueuses et arrosées du Nord et du Nord-Ouest, les pentes de l'Altaï, des monts méridionaux et du Khingan. Ils se rencontrent encore sporadiquement dans les solitudes arides du Gobi, mais, en somme, il y a environ un million de kilomètres carrés, sur les 2.500.000 restés en possession des nomades, qui sont à peu près perdus pour l'élevage. Tout ce bétail vit en plein air et en liberté, excepté les moutons, qui sont parqués dans des enceintes de pierres et de fumier, et les jeunes agneaux, que les hommes recueillent dans leurs tentes.
Fig. 43. Intérieur de la tente mongole.
Une mention spéciale est due au cheval, qui a son berceau probable en Mongolie. Il est peu élégant, trapu, a le cou fort, la jambe un peu grosse, le poil épais, mais il émerveille par sa vigueur, sa résistance, sa sobriété et la sûreté de son pied. Agile et plein de feu, il ne se laisse monter que par d'habiles cavaliers. Le Mongol vaut d'ailleurs sa bête. Il exécute avec elle de véritables tours d'acrobatie, monte et descend en plein galop, reste facilement quinze heures en selle et parcourt volontiers 75 kilomètres par jour. Avec des centaines de concurrents, sous la présidence des grands lamas, devant une foule de connaisseurs passionnés, il prend part à des courses de 50 kilomètres sur le sol rugueux de la steppe.
Chaque tribu ayant son territoire délimité, les migrations saisonnières ont une amplitude assez faible. Potanine cite comme remarquable le cas des p.280 troupeaux de Lamen-gegen dans le Khangaï, qui vont, l'été, chercher leur nourriture au pied de l'Altaï, sur les bords de l'Orok-nor, à 190 kilomètres de distance.
L'homme suit le bétail avec sa tente, qui est la plus confortable du monde, non des plus mobiles. Elle est faite de feutre épais recouvrant un squelette de bois léger. Au bas, un treillis circulaire s'élève perpendiculairement sur le sol et supporte les lattes qui convergent au sommet vers un cerceau assez étroit servant de fenêtre et de cheminée. L'ensemble figure un cône tronqué, posé sur un cylindre bas et large. La tente des Turcs Kazaks et Kyrghyz est semblable, sauf qu'elle est noire et non blanche et que la partie conique est arquée vers le bas, ce qui la rend plus commode à l'habitant et moins résistante au vent. Chez les deux peuples, la disposition intérieure est réglée par un protocole invariable, conformément à la figure 43 (pl. LI. C).
LI. C. Tente mongole, entre Ourga et Kiakhta.
La similitude de l'habitation chez les Mongols et les Turcs exprime la similitude du droit familial, de l'organisation du clan et de la tribu.
Les tentes sont, en général, réunies en groupes nommés aoul. Cinq, dix, rarement vingt tentes sont dispersées sans ordre, entremêlées de petits enclos à moutons, de grands tas de bouse et de crottin desséchés pour le chauffage, de piquets de bois où sont attachés les chevaux de selle. Les Mongols fixent ordinairement leurs campements d'hiver sur les cônes de déjection, en triangle dont la pointe est tournée vers la montagne, les côtés appuyés sur les rochers.
De loin en loin apparaissent des constructions médiocres de style chinois ou tibétain, en bois, rarement en briques, demeures privées des princes les plus riches, temples des monastères les plus importants. Ces édifices bâtis et réparés par des artisans étrangers sont l'emblème de l'étroite vassalité qui liait les chefs mongols à l'empereur chinois et de l'origine purement tibétaine de la religion locale. Autour des temples se pressent les tentes et les cabanes chétives où logent les moines, et le tout est ceint d'une haute palissade de planches. Le plus grand des couvents après celui d'Ourga, Erdenitsou, voisin des ruines de Khara-khouren, montre au milieu de la morne steppe les clochetons en partie dorés de ses soixante-deux temples derrière un mur d'enceinte de quinze pieds, en terre battue grisâtre, orné tous les vingt mètres de pylônes blanchis à la chaux. Deux mille religieux y sont inscrits. Le monastère Amour-baïaskhoulantou, entre Sélenga et Orkhon, en compte autant, d'autres plusieurs centaines, jusqu'à mille ; mais la plupart des membres de la communauté sont répandus chez les particuliers et affluent en foule à la maison mère les jours de grande fête.
Le niveau de l'existence est très modeste. C. W. Campbell évaluait à 20 livres sterling le bagage et le mobilier d'un prince dont il fut l'hôte. Les gens du commun portent des vêtements de fourrure grossière et de cotonnade, répugnants de saleté et souvent en haillons. Ils se nourrissent de laitages variés, lait caillé de vache ou de brebis, lait de jument aigri et fermenté qui est le koumys des Kazaks, fromage séché dans le sel et réduit en menus fragments « durs comme des scories de fer », dit Rubrouck, surtout de thé salé, mêlé de lait, de beurre ou de graisse avec addition de farine faite avec des grains grillés d'orge ou de millet. Les riches mangent de la viande de mouton, les pauvres ce qui leur tombe sous la main, marmotte, chien, chat, rat, loup, renard. La charogne même ne les dégoûte point. Ils se nourrissent en voyage de chair crue amortie sous le bât du chameau ou la selle du cheval. Quelques plantes sauvages leur fournissent un utile complément : graines moulues de soulkhyr, racine de rhubarbe, etc. Quant aux cultures p.281 de céréales, elles comptent à peine, sinon dans l'extrême-Sud. La plupart appartiennent à des Chinois ; le Mongol répugne au travail agricole et ne paraît dans ses champs que pour les semailles et la récolte.
Au demeurant, tout labeur le rebute. Il fait quelques ouvrages de charpente, tanne des peaux fort mal, foule du feutre, tisse des cordes de poil de chameau et de crin de cheval ; il ne tond même pas ses brebis, se bornant à recueillir la laine tombée à la mue. On estime qu'il travaille en tout un mois par an. Il a subi l'influence chinoise dans tous les détails de sa vie. À la Chine il doit la forme de ses vêtements, robe fermée au collet par un bouton de cuivre, large pantalon à mi-mollet, chapeau de feutre ou bonnet de fourrure à oreillettes, les cotonnades et soieries dont ils sont faits, les ustensiles de son ménage, le thé dont il s'abreuve.
Peu de peuples sont aussi étrangers aux arts, même les plus humbles. Parmi ses prédécesseurs, on ne sait lequel nous a légué des monuments répandus en grand nombre dans le Nord-Ouest du pays, au nord de l'Altaï : kéreksour, gros tas de pierres entourés à quelque distance d'un cercle de galets, monolithes de 2 à 3 mètres, en basalte ou en granité, gravés de dessins inexpliqués, pierres taillées en forme humaine sans bras, avec visage à la barbe en pointe. Ces uvres grossières trahissent du moins le désir de faire quelque chose de durable. Rien de tel chez les Mongols. Munis d'un alphabet par ordre de leur grand empereur Khoubilaï, ils s'en sont à peine servis pour quelques documents officiels. La chronique écrite au XVIIe siècle par leur prince Sanang Tsetsen est une exception à peu près unique, et le Tibétain est seul en usage comme langue religieuse.
Hors la garde des troupeaux, le métier principal du Mongol est celui de transporteur. Il équipe, conduit, soigne les caravanes, fait le service des voyageurs et de la poste. Au surplus, il vit de vague brocante. Musard, ivrogne, presque toujours absent, il se disperse en visites innombrables, fréquente les pèlerinages jusqu'au fond du Tibet, les foires et les fêtes sportives. Il abandonne les tâches pénibles aux femmes et aux filles et les laisse en revanche fort libres. Nul ne prend souci de leur vie déréglée, qui est générale et publique dès l'adolescence et rapporte des bénéfices réputés normaux aux familles même aisées.
Ces grands conquérants sont devenus les plus pacifiques des hommes, peu enclins au brigandage et à la maraude. Kozlov a eu connaissance de trois cas de meurtre en deux ans, et aucun n'était prémédité. Heureux progrès des murs, si l'on n'était tenté d'y voir plutôt la rupture du ressort de la vie brutale et forte d'autrefois. L'affaiblissement politique, l'impuissance où il a été réduit ont plongé la conscience du nomade dans une torpeur profonde. Guerrier et cavalier, il a perdu depuis longtemps l'emploi de ses vertus héréditaires, et il ne conçoit pas d'autre forme à son activité. Le grand fouet de ses chefs, ancêtre du knout russe, gardien de la discipline féodale et militaire, désormais vaine et sans but, n'est plus qu'un instrument d'abrutissement. Loin de relever ses fidèles, la religion bouddhiste a contribué à les démoraliser. Son enseignement très haut et très pur a plané au-dessus d'eux sans les pénétrer. Elle n'a pu supprimer les pratiques superstitieuses, la magie, les cérémonies des sorciers hystériques, les sacrifices d'animaux, le culte des monts et des lacs, les obos, tas de pierres ornés de perches, de chiffons, de queues de chevaux et de cornes, destinés à protéger le voyageur contre les mauvais esprits errant au sommet des cols. Dans son mépris de l'état laïque et de l'activité vivante, obstacles à l'acheminement de l'être vers la délivrance finale, l'Église, encouragée par la politique chinoise, a multiplié p.282 immodérément le nombre des moines célibataires et oisifs. Ceux à qui, selon l'Écriture, rien n'appartient que la joie du pauvre ont accaparé la plus grande partie du pouvoir et de la richesse terrestres et se font servir par une foule de serfs misérables. Partout les privilégiés en robe rouge flânent inutiles dans les tentes d'autrui, aussi grossiers que leurs hôtes, élément de désordre et appel puissant à la paresse. De plus, le développement des relations avec les civilisations supérieures, mais incomprises, de la Chine et de la Russie, l'humilité de la dépendance à leur égard ont achevé de déséquilibrer une société inculte mal faite pour se défendre et s'adapter. Tout marque que la Mongolie archaïque est en voie de disparaître et que, sous des dehors presque intacts, elle dissimule un corps prêt à tomber en poussière.
Villes. C'est la Chine qui a créé les villes de Mongolie, pour loger ses garnisons, assurer son contrôle administratif, établir les centres de son commerce. Autrefois le successeur de Tchinghiz-khan s'était contenté de fonder en 1234, pour y installer sa capitale, la bourgade de Khara-khouren, « l'enceinte noire », qui, selon Rubrouck, ne valait pas le village de Saint-Denis. Les ruines en ont été reconnues à 2,5 km. au nord du monastère d'Erdenitsou, sur la rive est du haut Orkhon ; elles recouvrent de leurs débris de tuiles et de briques un espace de 1.200 pas sur 800. Avant les Mongols, les Turcs Ouïgours avaient au VIIIe siècle bâti Khara-balgassoun ; les vestiges de ses remparts en briques crues couvertes de terre gazonnée forment un quadrilatère de deux kilomètres de côté, à 26 kilomètres au nord d'Erdenitsou sur la rive gauche de la rivière. Sur le versant oriental du Khingan, Li-hoan-fou, ancienne capitale des Toungouses Khitaï, a laissé les restes de ses murs et une tour de huit étages, que les Mongols nomment Tsagan-soubourga. À la lisière méridionale de la Mongolie, quelques ruines marquent l'emplacement d'anciennes résidences impériales, généralement rendez-vous de chasse. La principale fut Chang-tou, la ville des cent huit temples, près de Dolon-nor. Le dernier des Yuen, Toghon Timour, construisit, dans la vallée sainte du Khéroulon, Para-khoto, dont il subsiste des fragments.
Aujourd'hui il existe au nord de la Muraille trois marchés où aboutissent les caravanes du désert : Je-ho (Tcheng-té), Dolon-nor (Lama-miao) et Koukou-khoto (Kouei-hoa, aujourd'hui Kouei-souei). Ce sont des villes chinoises en terre mongole. Dans l'intérieur du pays, trois villes datent du XVIIe et du XVIIIe siècle : Ourga, Ouliassoutaï et Kobdo. La première est située sur la rivière Tola, vers la fin des pâturages et des forêts du Nord, sur la route la plus courte et la plus commode joignant Pékin à la Sibérie en contournant l'extrémité est des monts Saïan. Elle comprend trois parties : à l'ouest, la ville des moines, Bogdo-khouren ; au milieu, l'ancienne forteresse chinoise, carré de 500 mètres de côté ; à l'est, le faubourg ouvert du commerce, Maïmatchen, où demeurent les marchands chinois et une population en grande partie flottante de quelques milliers d'indigènes. Tout cela n'est qu'un monceau d'immondices grouillant de chiens faméliques, puant dans l'air poussiéreux, entouré d'une ceinture de squelettes, restes des morts donnés en pâture aux bêtes du ciel et de la terre. Un amas confus d'enclos de planches enfermant les tentes et les masures de 14.000 religieux forme le khouren. Au milieu s'élèvent plusieurs temples de bois, aux toits dorés, et la résidence du grand khoutouktou-khan. Cette incarnation, créée par le talé-lama de Lhasa en 1602, n'habite Ourga que depuis deux cents ans. Les p.283 Mongols ont si peu le sens d'un établissement stable que le site du monastère n'a pas changé moins de dix-sept fois au cours du XVIIIe siècle. L'agglomération d'Ourga compte au total 30.000 individus environ. Mais la fête de Maitreya, en juillet, attire 100.000 pèlerins, et à la grande foire qui se tient tous les trois ans 200.000 visiteurs sèment de leurs tentes l'immense vallée plate (pl. LII. A).
LII. A. Le grand monastère d'Ourga.
Ouliassoutaï tirait son importance relative sous l'ancien régime de son rôle administratif. Il n'a point de couvent et ne comprend, comme Kobdo, qu'un quartier muré et un entrepôt commercial. Ce sont deux bicoques sordides, la première de 4.000 habitants, la seconde de 6.000.
En outre, à la frontière sibérienne, la route de Pékin aboutit à Maïmatchen (5.000 hab.), faubourg chinois de la petite ville russe de Troïtskosavsk-Kiakhta, et sur le versant occidental du Khingan, près du lac Dalaï-nor, des chercheurs d'or chinois ont fondé vers 1810 le hameau de Tsin-ning-tcheng, Piro-khoto en mongol, qui atteint aujourd'hui 12.000 habitants. Ajoutons enfin qu'à côté des principaux couvents et des campements des princes les plus riches il existe quelques maisons et magasins de Chinois : cent auprès du Tatsin-ouang sur la rive gauche de l'Orkhon, trente auprès du Tsaïn-gegen sur l'Ourtou-tamir, quarante auprès du San-beissé sur le Khéroulon. En somme on peut dire que la Mongolie n'a pas de vie urbaine, car la population sédentaire des centres passés en revue est presque exclusivement étrangère.
Routes et commerce. Ces centres sont les nuds des routes qui traversent le pays en tous sens et qui, sans l'aide de l'art humain, permettent la circulation des voitures aussi bien que des chevaux et des chameaux de bât. Les anciens nomades étaient célèbres pour leurs grands chariots ; Marco Polo, Plan Carpin, Rubrouck rapportent qu'ils y transportaient leurs tentes toutes montées. Cette pratique a disparu ; mais on continue à user de chars à deux roues, attelés de bufs et fabriqués entièrement en bois, sauf un anneau de fer mince entourant l'essieu. Des stations de poste de dix à vingt tentes jalonnent les voies principales et fournissent des chevaux frais aux voyageurs. La grande route officielle part de Kalgan, passe par Chara-mouren et le puits de Saïr-oussou, d'où elle bifurque, d'un côté sur Ourga et Kiakhta (1.685 km.), de l'autre sur Ouliassoutaï, Kobdo, la frontière russe (2.850 km.), la vallée de la Boukhtarma ou celle de la Tchouïa. Mais le télégraphe Kiakhta-Kalgan et les caravanes marchandes suivent depuis Ourga le trajet par Iékhé-oudé, plus désert, mais plus court (1.200 km. au lieu de 1.370). Il y a été inauguré en 1917 un service d'été par automobiles couvrant en trois jours la distance Kalgan-Ourga, qui en demande huit ou neuf par la poste à chevaux, de vingt et un à vingt-trois par chameaux chargés. Cette route a perdu la plus grande partie de sa valeur depuis que le thé chinois à destination de la Russie et de l'Europe l'a abandonnée pour la voie maritime. Une route postale directe de 850 kilomètres relie Ourga à Ouliassoutaï par le Nord du Khangaï, coupant les rivières Tola et Orkhon et traversant la chaîne par de hauts cols, Téré-khanghin ou Bombotou (2.000-2.900 m.). Un trafic actif a lieu par l'itinéraire Kalgan-Khaïlar (via Dolon-nor et Piro-khoto), par la piste Dolon-norSan-beisséKouloussoutaï, et par les deux routes postales de Koukou-khoto à Ouliassoutaï, l'une, la plus fréquentée, par le Nord de l'Altaï, rejoignant la grande route près de Gorida, l'autre par le Sud, bifurquant sur Sou-tchéou et sur Koumoul.
p.284 Koukou-khoto et Dolon-nor sont les centres du trafic du bétail avec la Chine. La première de ces villes reçoit de Mongolie plus d'un million de moutons par an, de nombreux chameaux et chevaux ; Dolon-nor, 70.000 chevaux, 40.000 bufs, 350.000 moutons. Les Chinois, qui tiennent la première place sur le marché, achètent en outre du bois à Ourga, des cornes de cerf, des peaux et fourrures, du sel et vendent du thé en briques en grande quantité, des objets religieux fabriqués surtout à Dolon-nor, du tabac, un peu de quincaillerie et de soieries.
La Russie a obtenu la liberté commerciale avec la Mongolie en 1861 et établi en 1865 un service de poste entre Kiakhta et Tien-tsin. Dans les dix premières années de notre siècle, ses échanges avaient atteint une moyenne de 5 millions de roubles (13.250.000 francs) à l'exportation de Mongolie (bétail, peaux, laine, crins) et de 3.500.000 roubles (9.275.000 francs) à l'importation (cotonnades, objets fabriqués, sucre, farine), la plus grande partie par Kobdo. Ils passèrent à 9.800.000 et 3.200.000 (25.970.000 et 8.480.000 francs) en 1912-1915. D'ailleurs ils n'excèdent pas 30 p. 100 du total.
Actuellement très faible, la valeur économique du pays est susceptible d'un développement intéressant par l'amélioration de l'élevage et, à un moindre degré, de l'exploitation forestière. Le cheptel mongol, qui se compte par millions de têtes, reste bien au-dessous des possibilités, si l'on a égard aux grosses pertes causées par le défaut de soins, par les épizooties, par l'absence de foin et d'abri en hiver, si l'on songe à la multitude de moines parasites qui fait obstacle à l'accroissement des ressources. Un chemin de fer OmskKobdoTien-tsin stimulera énergiquement la production. Ce sera la voie la plus courte et la plus pratique pour exploiter la région pastorale. Ourga même sera par elle un peu plus rapproché de Moscou que par Kiakhta.
À part les salines qui alimentent une partie de la Chine, la Mongolie a peu de richesses minérales reconnues, moins encore exploitées. Les efflorescences de salpêtre (goutchir) ne servent qu'aux chameaux, qui s'arrêtent pour les lécher. On extrait un peu de plomb argentifère et de houille dans l'Altaï au Sud-Est de Kobdo. Le fer se montre dans le centre du Gobi sur la route Ourga-Kalgan, la houille et le graphite dans l'Ala-chan et à l'ouest du lac Khoubsogol. L'or a suscité plusieurs tentatives malheureuses. Il existe quatorze mines ouvertes dans le Kenteï, qui donneraient 1.000-1.200 dollars par jour. On a signalé des gîtes importants dans le Khangaï, particulièrement le long de la rivière Baïdaryk.
Rapports avec l'Europe. La facilité relative des chemins mongols a peu favorisé les communications avec l'Europe, parce qu'ils sont trop écartés et n'aboutissent qu'aux solitudes longtemps barbares de la Sibérie. Les Turcs et les Byzantins avaient échangé des ambassades au VIe siècle, mais l'Occident n'acquit des notions précises de cette contrée que depuis les conquêtes de Tchinghiz. Le pape Innocent IV chargea de mission à la cour mongole frère Jean de Pian de Carpine en 1245 et frère Ascelin en 1247 ; saint Louis y envoya frère André en 1249 et, à titre officieux, frère Guillaume de Rubrouck en 1253. Les frères Jean et Guillaume parvinrent jusqu'à Khara-khouren, et nous possédons leurs très intéressantes relations. Celle du second, notamment, compte parmi les meilleurs documents géographiques. Marco Polo rapporta également de ses longs voyages (1271-1295) des informations précieuses sur la Mongolie, dont il parcourut la lisière méridionale. Le pays rentra ensuite dans son obscurité, pour en sortir au p.285 XVIIe siècle grâce aux travaux des admirables missionnaires jésuites de Chine, qui furent l'honneur de l'Europe. Les huit voyages du père Gerbillon (1688-1698) en Mongolie ont été longtemps une de nos meilleures sources.
Cependant les Russes s'étaient étendus dans le Nord de l'Asie. La Mongolie limitrophe leur offrit une route d'accès à la Chine et prit pour eux un intérêt qu'elle n'avait point pour les autres peuples. Le traité de commerce signé à Nertchinsk en 1689 entre les gouvernements de Moscou et de Pékin multiplia les missions politiques, commerciales, religieuses qui empruntèrent la route Kiakhta-Kalgan. Mais ce n'est qu'au XIXe siècle que commença l'exploration méthodique inaugurée en 1820 par Timkovski, commissaire de la mission de l'archimandrite Kamenski ( HYPERLINK "timkovski_pekin.doc" Voyage à Pékin, Paris, 1827). On trouvera cités dans la bibliographie, p. 377, les principaux parmi les nombreux voyageurs, russes pour la plupart, qui ont, depuis lors, étudié dans toutes les directions et sous tous les aspects, les steppes, déserts et montagnes de cette grande partie de l'Asie.
Explorations, développement du commerce, création de consulats à Ourga, Ouliassoutaï et Kobdo, autant de moyens pour la Russie d'accroître son influence politique, de saper la domination chinoise. La lutte engagée entre les deux puissances, depuis leur rencontre au XVIIe siècle, pour la prédominance, dans le Nord asiatique, sur les territoires originaires des Huns, Turcs et Mongols, penchait de plus en plus en faveur de la Russie, quand la révolution de Pékin précipita les événements.
Indépendance de la Mongolie extérieure. Le 1er décembre 1911, les princes de la Mongolie extérieure, se prétendant liés seulement à la personne de l'empereur, proclamèrent leur indépendance sous la présidence du grand lama d'Ourga. Pétersbourg reconnut (3 novembre 1912) le nouveau gouvernement qu'il inspirait, mais admit le principe de la suzeraineté chinoise (7 juin 1915). En 1919, la Chine, profitant de l'anarchie russe, rétablit son pouvoir par la force. Mais la prise d'Ourga en 1921 par un chef de partisans antibolchevistes, Ungern von Sternberg, qui créa un empire éphémère par des procédés renouvelés des anciens guerriers turcs et mongols, provoqua l'intervention de l'armée des Soviets. Celle-ci s'empara d'Ourga le 6 juillet de la même année et y organisa un gouvernement révolutionnaire, populaire et représentatif, sous l'autorité nominale du lama suprême. Moscou exerça un véritable protectorat. Encore aujourd'hui les troupes russes continuent d'occuper Ourga, Kobdo et Ouliassoutaï, assurent la prédominance du commissaire soviétiste dont les agents vérifient les passeports des voyageurs jusqu'à Pang-kiang, au milieu du Gobi, à 250 kilomètres à vol d'oiseau au Nord-Ouest de Kalgan. Le 8 juillet 1924, la Mongolie extérieure se transforma en État des Conseils populaires sur le modèle du gouvernement de Moscou, avec conseils locaux, congrès annuel des conseils sous le nom traditionnel de khouroultaï, comité central exécutif (petit khouroultaï), conseil des commissaires du peuple. Le pouvoir effectif appartient au parti national révolutionnaire qui fraternise avec la IIIe Internationale sans en faire partie, n'étant pas communiste. Il comprend 4.660 pâtres, dont 2.367 pauvres, 317 lamas et 264 anciens nobles. Le régime féodal a été détruit, les princes déchus, exilés, les biens des couvents nationalisés, les troupeaux des riches partagés, les serfs affranchis et organisés en tribus. Une Église nouvelle, dirigée par un lama bouriate, le même Djordjiev qui avait servi à Lhasa la politique tsariste, substitue au khoutouktou supprimé p.286 les conciles qui ruinent systématiquement la hiérarchie traditionnelle. Dans tous les domaines, les anciennes institutions disparaissent rapidement, et des institutions calquées sur celles de l'U. R. S. S. leur succèdent. L'enseignement laïcisé est confié à des Bouriates. Des officiers bouriates instruits à l'École de Verkhné-Oudinsk remplissent les cadres de l'armée mongole. Des Russes ou des ressortissants de l'U. R. S. S. sont à la tête des services, ont la main sur les tribunaux, conseillent les ministres, inspirent le parti. Comme en U. R. S. S., le commerce est monopolisé par l'État. Les étrangers conservent, il est vrai, leurs droits conventionnels, mais l'impôt les rend illusoires. Il a été créé une coopérative nationale au capital de 5 millions de dollars et une banque commerciale et industrielle qui émet des billets. Une industrie d'État s'essaie dans la corroierie, la savonnerie, les produits chimiques, l'exploitation des mines d'or. Une société de navigation d'État a pour but d'assurer un service régulier sur le Sélenga. Ourga, ou plutôt, pour lui donner son nom officiel, Oulan-bator-khoto, la ville du héros rouge, prend un aspect presque européen avec les constructions nouvelles qui s'y élèvent. Dans toutes ces entreprises, dans tout cet effort de moderniser et de soviétiser la Mongolie, les frères et voisins bouriates jouent le premier rôle. Il semble qu'on marche vers l'unification des deux peuples.
Cependant, par un traité signé le 31 mai 1924 avec la Chine, l'Union des Républiques socialistes soviétistes a reconnu que la Mongolie extérieure fait partie intégrante du territoire de la République chinoise et s'est engagée sine die à en retirer ses troupes. Mais, quelle que soit l'issue de la rivalité des deux pays dans cette région, la Mongolie entre définitivement dans une ère nouvelle. Partie des deux extrémités du continent, la civilisation sédentaire achève de se rabattre comme deux volets sur les derniers restes des peuples nomades qui, pendant tant de siècles, avaient menacé son existence. Les minces établissements agricoles fondés à l'origine aux embouchures du fleuve Jaune et dans les régions méditerranéennes, si fragiles d'apparence devant les hordes presque infinies de barbares qui les séparaient, ont, de chaque côté, gagné le terrain lentement, pied à pied, conquérant et fixant leurs vainqueurs d'un jour, et l'énorme masse humaine qui flottait de la Baltique à la mer Noire et au Pacifique s'est consolidée peu à peu, de même que la Téthys des temps géologiques entre les fragments de continent qui tendaient à se réunir. Les Scythes du Borysthène, devenus l'avant-garde de l'Occident policé, ont rassemblé la plus grande partie de leurs frères pasteurs dans un empire immense, qui, à vrai dire, participe encore de l'instabilité du sous-sol nomade sur lequel il s'est construit un peu hâtivement. Le peuple chinois s'est avancé moins vite, mais d'un pas constant et sûr. Peu importe qu'il n'ait pas toujours gardé les positions hardies qu'il occupa à certains moments de son histoire ; l'essentiel est que sans relâche et sans retour il ait étendu son domaine, ses champs et sa culture, repoussant ou absorbant les tribus mouvantes. Le génie prévoyant qui traça la Grande muraille a indiqué un but à atteindre, qui ne l'a été solidement que dans les derniers siècles et qui est aujourd'hui largement dépassé. Que la Mongolie extérieure échappe ou non à leur suprématie, les Chinois n'en auront pas moins préparé sa soumission finale aux lois des peuples sédentaires, et ils garderont la Mongolie intérieure déjà apprivoisée, domestiquée, en partie assimilée.
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CHAPITRE III
LE TURKESTAN CHINOIS (SIN-KIANG)
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p.287 Entre la Mongolie et le Tibet s'étend la région des routes qui ont de tout temps assuré les communications continentales de l'Extrême-Orient avec l'Occident et avec l'Inde. Aussi les anciens historiens chinois l'appelaient-ils communément le pays de Pé-lou et de Nan-lou, des chemins du Nord et du Sud par rapport au Tien-chan. La plus grande partie nous en est connue sous le nom de Turkestan oriental ou chinois. Elle a été englobée en 1881 par le gouvernement de Pékin dans une province plus vaste, dite Sin-kiang, « la nouvelle marche ». Aujourd'hui cette province est bornée au Nord-Est par l'Altaï et la Mongolie, comprend à l'Est la vallée de l'Edzin-gol hors de la Grande muraille, laisse au Kan-sou le bassin du Sou-lo-ho et se termine au Sud à la limite du bassin du Tarim qui la sépare du Tibet et, sauf pour une étendue déserte contestée, de l'empire des Indes. Au Nord-Ouest, sa frontière est celle des Républiques soviétistes, qui ne se conforme point partout à la ligne de partage des eaux. La Russie a pris les sources des rivières de Kachgar et d'Aksou et celle du Tekkès, la Chine a gardé les cours supérieurs de l'Ili, de l'Émil et de l'Irtych. Le territoire ainsi délimité a une superficie de 1.700.000 kilomètres carrés à peu près (fig. 44).
Il se divise en trois parties principales : la dépression djoungare entre Altaï et Tien-chan, déserte en son centre, relevée à l'ouest dans le Tarbagataï ; le large dos bien arrosé et riche en pâturages du Tien-chan continué à l'Est par le Pé-chan aride ; le bassin du Lob-nor, colossale cuvette remplie d'énormes sables mouvants, entourée d'un collier d'oasis cultivées au pied des monts qui l'encadrent.
Fig. 44. Le Turkestan chinois.
Échelle : 1:15.000.000
I. LA DJOUNGARIE
On a gardé l'habitude de désigner sous le vieux nom de Djoungarie la partie occidentale de l'espace compris entre les crêtes de l'Altaï mongol et du Tien-chan, celle où le degré de divergence des deux chaînes s'accroît au point que l'écart de l'une à l'autre finit par dépasser 600 kilomètres. C'est une vaste dépression qui se divise en deux branches. L'une, au Nord, entre les derniers replis de l'Altaï, supérieure à 500 mètres, se relie au bassin du Zaïssan par l'Ouroungou et le haut Irtych ; l'autre s'étend au Sud jusqu'au pied du Tien-chan, descend aux environs de 300 mètres au marais de sel Khara-dabassou et de 250 au lac Ébi-nor. De là elle rejoint par le détroit de la Porte djoungare l'Ala-koul et la plaine du Balkach. C'est p.288 comme un golfe des pays bas de l'Asie russe qui pénètre au cur de la Haute Asie.
De grands plis montagneux sillonnent de nouveau le Nord-Ouest de la région ; mais ils ne dépendent plus de l'ancien Faîte. Au lieu d'être disposés en fonction du promontoire d'Irkoutsk, ils s'ordonnent selon les mouvements qui ont créé l'Altaï russe. La chaîne des Marmottes, le Tarbagataï, avec son aile droite, le Saour, et ses prolongements occidentaux, le Tchenghiz et le Koou, dessine un arc de cercle concave au Nord, qui enveloppe ceux de l'Altaï russe. Au Sud, les deux séries parallèles de chaînons, Salbourty, Sémiz-taou, Ourkachar, Barlyk d'une part, Djaïr, Maï-li, Ala-taou d'autre part, semblent représenter la partie orientale d'un segment dont la branche Nord-Ouest aurait avorté. Leur disposition oblique fermerait complètement le pays vers l'ouest, si une fracture ancienne dirigée dans le sens de la branche manquante n'avait ouvert entre l'Ala-taou d'un côté, le Maï-li et le Barlyk de l'autre, dans un décor de rochers nus et informes d'une sauvagerie extraordinaire, la fameuse Porte djoungare, défilé profond, large de 10 kilomètres, long de 74, au plancher plat balayé de vents terribles. À son niveau, de peu supérieur à 200 mètres, l'Ala-taou tombe brusquement au-dessous des hauteurs de la neige éternelle. C'est la seule interruption dans la barrière montagneuse de la Haute Asie entre l'Afghanistan et la Mantchourie. Mais les chaleurs intenses de l'été, les mauvais temps de l'hiver en rendent la traversée pénible ou dangereuse. Aussi la grande route Omsk-Sergiopol-Tchougoutchak-Ouroumtchi a-t-elle préféré franchir à 1.800 mètres d'altitude le col Djaïr, qui est carrossable.
Des deux côtés de la Porte, la constitution géologique des montagnes est la même que dans le Tarbagataï : schistes métamorphiques et calcaires cristallins du Dévonien, schistes et grès du Carbonifère, bordés d'éruptions de granité, de porphyre et de mélaphyre le long des cassures pratiquées sur le pourtour des chaînes. Ces cassures font du pays une succession de « horsts » et de fosses : fosses du haut Irtych au nord du Saour, de l'Émil entre Tarbagataï et Ourkachar, du Khobouk entre Sémiz-taou et Saour, de Moukourtaï entre Djaïr et Ourkachar. Le relief actuel, dû à des dislocations disjonctives postérieures aux plissements, est disposé en terrasses étagées et se termine par une surface uniforme de pénéplaine comme dans le Khangaï. Le point culminant est le Mouz-taou (3.650 m.) dans le Saour. Entre le Saour et le Tarbagataï, un seuil de 1.460 mètres, le col Baï-mourza, laisse passer la route de Zaïssan. À l'Ouest, le Tarbagataï se relève, atteint 2.950 mètres au Tastaou, mais dépasse très rarement la limite des neiges persistantes (2.800 m.). Ses cols varient de 1.330 à 2.300 mètres. Le Barlyk monte à 3.300 mètres non loin de la Porte djoungare, et dans cette série comme dans celle du Djaïr les altitudes vont en diminuant de l'ouest à l'est.
De ces montagnes coulent plusieurs petites rivières, dont la plus importante est l'Émil, qui sort du plateau joignant le Tarbagataï au Sémiz-taou, et se jette dans l'Ala-koul après un cours de 300 kilomètres environ. Son bassin s'enfonce comme un coin dans les hautes terres mongoles. Quoique les innombrables ruisseaux qui sortent des montagnes se perdent dans le gravier et le sable avant d'atteindre la rivière principale, la situation relativement abritée de ce canton, sa basse altitude de 300 à 700 mètres, les rives en partie boisées de ses cours d'eau, la facilité des irrigations et les excellents pâturages qui couvrent les pentes y appellent les établissements humains. Deux villes, entourées de champs de céréales et de jardins potagers, s'y sont créées : Dourbouldjin au bord de l'Émil p.289 (5.000 hab.), Tchougoutchak (9.000 hab.) au débouché des vallées du Nord. Des Dounganes, des Sartes, des Kazaks sédentaires et cultivateurs habitent çà et là des villages de tentes ou des fermes d'argile isolées. Le site de Tchougoutchak a toujours été l'un des principaux nuds de communications entre l'Orient et l'Occident. Il a vu se succéder plusieurs villes. Les premiers successeurs de Tchinghiz-khan y établirent leur résidence, les Mongols Djoungares en firent le centre de leur puissance au temps où ils disputaient aux Mantchous l'hégémonie sur le monde nomade.
À l'Est, le Khobouk, issu du Saour, disparaît dans le sol du désert et ne parvient plus au marais presque desséché Khara-dabassou. Le Djam, descendu de l'Ourka-char, finit dans l'étang Aïrik, laissant à sa gauche un étonnant amas de roches usées, trouées, façonnées par le caprice du vent en une manière de ville, dédale de tours, de piliers, de
XLIX. B. Ville éolienne à Ourkho (Djoungarie).
terrasses, de murailles, de grottes (pl. XLIX. B). L'Aïrik est isolé de son grand voisin le Telli-nor, qu'alimente la rivière de Manas. Cette rivière, longue de 450 kilomètres, est la seule, avec le Kouïtoun, entre les eaux venues du Tien-chan, qui ait résisté à la puissance d'absorption des terrains détritiques accumulés au pied des monts et à l'épuisement causé par l'irrigation des oasis cultivées. À son entrée dans la plaine, elle se partage en bras nombreux, arrose la ville de Manas, des villages et des fermes dispersées sur 60 kilomètres. Son lit principal, large de 1.000 mètres, se remplit en été ; on le passe au moyen de chariots à grandes roues, et quand en juillet-août la crue atteint son maximum, 2 mètres, les voyageurs attendent. En aval, la rivière, bordée d'une lisière forestière, se creuse un chenal, découpant dans les dépôts de sable, de cailloux et de lss mince des falaises de 15 à 30 mètres.
Deux rivières entretiennent l'Ébi-nor : à l'Est le Kouïtoun, à l'Ouest le Borotala dont la vallée, riche en prairies, longe le pied sud de l'Ala-taou. Le lac couvre une superficie de 1.150 kilomètres carrés dans le fond le plus bas de la Haute Asie à l'exception du creux de Louktchoun. Les Mongols des pâturages septentrionaux lui ont donné le nom qu'il porte, parce que de son côté souffle par bouffées le vent du sud, ébi, qui fond la neige. Les dépôts lacustres qui l'avoisinent montrent qu'à la clôture de l'époque tertiaire il avait un niveau supérieur de 300 mètres, qu'il couvrait tout le pays jusqu'à Manas et communiquait avec le Balkach. Aujourd'hui, de son rivage jusqu'au Telli-nor, le sol revêtu d'une croûte de sel dure cède sous le pas, qui enfonce dans la terre molle et poudreuse et rencontre parfois des fondrières dangereuses causées par la nappe phréatique trop rapprochée de la surface. Les dunes de sable sont reléguées vers le pied du Tien-chan et se déroulent au nord des oasis en une bande de quelques myriamètres, amincie d'ouest en est.
Après le 87e méridien, le désert est totalement dépourvu d'eaux courantes. On arrive au point du globe le plus éloigné de toute mer, à 2.500 kilomètres environ de la baie du Taz, de la Caspienne, des golfes du Bengale et du Tche-li. Le terrain se relève, et l'on entre dans la partie la plus sèche, la plus stérile du Gobi. Des rangées successives de collines mortes, aux rochers enduits d'un vernis brun, produit de la décomposition aérienne, se haussent par gradins vers l'Altaï et laissent entre elles de longs couloirs tapissés d'un gravier gris sombre qui cache la couche de sable étendue sur l'argile rouge.
De loin en loin apparaissent les plantes habituelles du désert mongol, quelques taillis de saksaouls. Les monts Baïtyk, suite occidentale du Kara-nourou, p.290 portent des bois de mélèzes et des pâturages. Mais en somme, en dehors du versant méridional de l'Altaï et de la frange d'oasis au pied du Tien-chan, la vie végétale se concentre au nord-ouest d'une ligne tirée par les lacs Ébi, Telli et Ouloungour. Là les herbages verdissent les fonds supérieurs à 500 mètres, les forêts de conifères noircissent les pentes moyennes, mélèzes jusqu'au versant méridional du Saour, sapins du Tien-chan depuis le Barlyk. Certains animaux inconnus dans l'Altaï se trouvent en Djoungarie : le chameau sauvage, l'antilope subgutturosa, la perdrix tchoukar, le tétras de l'Himalaya et, dans les fourrés des basses vallées du Tien-chan, le cerf du Cachemir et le petit tigre à poil court.
Le trait le plus original du pays est la bande sylvestre de toghraks et d'ormes, parfois gigantesques, qui s'étend tout le long du Tien-chan entre la montagne et le désert, interrompue par des fragments, tantôt sablonneux ou argileux, tantôt marécageux et couverts de roseaux. Au débouché des torrents dans la plaine, l'homme y a labouré des champs, construit des fermes, des villages et des villes. De ces parcelles isolées de cultures, les unes n'ont pas plus de quelques centaines de mètres ; les principales Tsin-ho, Chi-ho, Kourkara-oussou, Manas, Fou-kan, Fou-yen, Kou-tcheng, Tchi-tai, Barkoul s'étendent sur un ou plusieurs myriamètres. La plupart des villes qui en forment le centre ne sont que des bourgades de boue misérables ; la plus grande, Manas, a 10.000 habitants ; Kou-tcheng, 6.000. Elles constituent la chaîne d'étapes de la route du Nord, Pé-lou, et l'on comprend que les Chinois aient donné un nom de route à un pays où rien, pour ainsi dire, ne vit que la route et ses abords immédiats. Ce chemin naturel et sans art est très fréquenté ; en été et en automne, le trafic l'engorge : pêle-mêle, chameaux, chevaux, ânes chargés, hauts chariots à deux roues, légères télègues russes à quatre roues, voitures rapides à trois chevaux, Dounganes, Chinois, Sartes, Tatars, Mongols, Kazaks la parcourent sous la chaleur intense, dans la poussière étouffante, d'hôtellerie branlante et sordide en hôtellerie infecte et délabrée, où souvent l'on ne trouve qu'une eau saumâtre. Partout les traces d'un passé abominable : maisons en ruines, champs en friche, vestiges de villages désertés. En 1759, l'empereur Kien-Long, vainqueur de l'empire djoungare qui avait balancé la fortune de sa dynastie, fit égorger 600.000 hommes et ne laissa d'un grand peuple que le nom ; moins de cent vingt ans plus tard, les Chinois exterminèrent les musulmans révoltés qui avaient remplacé les Mongols. La contrée se repeuple lentement, et de vastes terrains attendent encore la charrue. Pendant de longs siècles, avant la colonisation de la Sibérie, elle avait été l'extension la plus septentrionale de la civilisation agricole en Asie, l'extrême avance des populations sédentaires du Touran. Le climat a les caractères du climat mongol avec moins de rigueur ; les chaleurs plus longues, commençant déjà en avril, permettent, outre la culture du blé, du sorgho et de l'orge, celle du coton, du riz, du maïs, du sésame, du pavot, du tabac, du melon, de beaucoup des légumes et des fruits qui nous sont familiers. La vigne est rare, et le mûrier manque.
II. LE TIEN-CHAN
Le Tien-chan central. Ce mince ruban de verdure charme le voyageur lassé du désert. Mais l'esprit est confondu de sa disproportion avec le relief formidable qui lui donne naissance. Le Tien-chan, par sa hauteur, sa largeur, l'humidité qu'il reçoit du nord-ouest et condense principalement sur ses pentes p.292 septentrionales, aurait été un libéral distributeur de vie, s'il n'engloutissait sa richesse sous les décombres intransportables qu'il accumule. Au reste il déborde de beaucoup la Djoungarie et constitue un des systèmes montagneux les plus vastes du monde. Sans parler de la série des chaînons et des accidents isolés qui témoignent de son prolongement primitif jusqu'à la Vistule et au Grand Khingan, il présente aujourd'hui un développement continu de plus de 3.100 kilomètres, qui à l'Ouest commence au 62e méridien par les collines Arslan-taou au nord de Boukhara, à l'Est finit par 99° à quelques lieues au delà de l'Edzin-gol : c'est la distance de Constantinople au cap Finisterre. Les diverses chaînes qui composent l'ensemble du Tien-chan ne couvrent pas moins d'un million de kilomètres carrés. Dans le Turkestan russe, elles divergent librement, au point que leurs extrémités embrassent un espace de plus de 800 kilomètres entre le Balkach et le Zerafchan. À l'Est le faisceau compact ne dépasse pas 300-450 kilomètres, et dans le milieu, entre 81° et 82°, les grandes crêtes bordières se rapprochent jusqu'à 120 kilomètres.
Cet étranglement, disposé en biais vers le nord-est dans la direction du Baïkal, dans la ligne des vallées de l'Indus et du Yarkend-daria, fait face au coude formé par la rencontre de l'Himalaya avec l'Hindou-kouch et à l'extrême contraction des plis montagneux entre le Pendjab et le Turkestan chinois. Tandis que l'aile occidentale du système est, dans son allure générale, singulièrement analogue à l'Hindou-kouch, l'ordonnance de l'aile orientale rappelle le Tibet, avec une chaîne méridionale qui décrit une courbe convexe au sud-ouest à la manière de l'Himalaya, et une chaîne septentrionale dont les deux branches, venant, l'une, de l'ouest-nord-ouest, l'autre, de l'est-nord-est, se rencontrent à la source du Kouïtoun et y forment un angle symétrique à celui de l'Altyn-tagh sur le cours supérieur du Kéria-daria.
La masse du relief est dirigée d'ouest en est, mais se décompose en plusieurs séries à peu près parallèles de chaînes arquées dont la courbure est beaucoup plus profondément marquée à l'Ouest en territoire russe qu'à l'Est en territoire chinois.
À partir du Nord on distingue quatre lignes de faîte successives :
1° Le Borokhoro encadre à l'Ouest la plaine du Balkach, forme à l'Est la bordure méridionale de la plaine djoungare, se continue par l'Iran-khabirga ou Iran-kharbout, le Bogdo-oula, les monts Barkoul et Karlyk, se résout enfin dans le Gobi jusqu'au nord de l'Edzin-gol en chaînons bas et interrompus, tels que Koukou-timourtou, Soukhomtou ;
2° Les monts Timourlouk-Ichkilik, suite des monts Kara-taou, Alexandre et KoungeïAla-taou, séparent à l'Est le Kounghès du Petit Youldouz, se nomment Tchargos au sud d'Ouroumtchi et depuis le méridien de Barkoul ne sont plus que des tronçons presque insignifiants ;
3° Le prolongement de la ligne TalasTerskeïAla-taou coupe les cours supérieurs de l'Aghiaz et du Koksou, devient le Sarmin entre le Petit et le Grand Youldouz, le Khaïdyk au nord du Bagrach-koul et le Tcheul-tagh au sud de Tourfan ;
4° Le Kokchal, limite des deux empires, décrit avec les monts du Ferghana une courbe très profonde convexe au Sud, symétrique à celle du prolongement occidental du Borokhoro et barrant l'aile Est-Nord-Est de l'arc de l'Alaï ; à l'Est il se continue par le Khalyk-taou, qui marque à son point d'intersection p.293 avec sa suite KoktépéBougourKourouk-tagh, dirigée est-sud-est, le lieu du plus grand resserrement du Tien-chan.
La poussée exercée du nord-nord-ouest contre le bord de la Sérinde a pour effet, non seulement de rapprocher entre eux les grands plissements montagneux qui viennent de l'Ouest, mais encore d'en diminuer le nombre. Le Borkoldaï et l'Atbach n'ont plus la place de poursuivre leur développement à l'Est. En face, dans la compression du Pé-chan contre la plate-forme du bas Tarim, même phénomène de sens inverse : les chaînes entre Kourouk et Tcheul-tagh disparaissent à l'Occident.
Fig. 45. Coupe Nord-Sud des monts Tien-chan.
Échelle des hauteurs : 1:40.000 ; des longueurs : 1:5.000.000.
Au point de vue géologique, le Tien-chan présente cette particularité que les roches sédimentaires métamorphisées, schistes sombres et calcaires clairs, constituent seules les crêtes les plus saillantes, tandis que les roches éruptives, granité, mélaphyre, porphyre, forment de puissantes masses allongées parallèlement, à quelque distance au Nord et au Sud. Les couches marines les plus récentes remontent au Carbonifère ; largement étendues tout le long du système jusqu'aux grès du Soukhomtou à l'extrémité orientale, elles en fixent la date d'émersion. Des sédiments continentaux : Angara jurassique et Gobi tertiaire, conglomérats et argiles lssiques des dépôts récents d'eau douce, colmatent le fond des vallées et constituent les plissements accessoires. Ils sont remarquables par leurs couleurs bigarrées, jaunes, rouges, vertes, qui les distinguent avec éclat des vieilles roches sombres ou blanches.
Les volcans actifs manquent, mais non les solfatares. Sources chaudes nombreuses, tremblements de terre fréquents proviennent de causes tectoniques. Le 9 juin 1887, le 22 août 1902, les 3 et 4 janvier 1911, des secousses particulièrement fortes ont produit des fissures du sol, des dénivellations et des éboulements. C'est une partie de la ceinture sismique qui fait le tour du globe aux environs du 40e parallèle.
Les mouvements de la dernière période ont démembré la vieille pénéplaine, ravivé les différences de niveau et fait du Tien-chan une des régions les plus pittoresques, les plus puissamment découpées de l'Asie. À 80 kilomètres de distance, la plaine d'Aksou est dominée de 5.000 mètres par le Saouabtchi, de 6.000 par le Khan-Tengri plus éloigné d'un tiers. Le Deusmenghen se dresse à 5.500 mètres au-dessus de Manas dont 50 kilomètres le séparent.
L'élévation augmente en général du nord au sud. L'Ala-taou djoungare surpasse le Tarbagataï, le Tien-chan l'emporte sur l'Ala-taou, et ses chaînes méridionales sur les septentrionales. De la vallée de l'Ili à la Djoungarie, le Borokhoro livre passage au Pé-lou par le col commode de Talki, qui n'excède pas 2 300 mètres entre des pics de 3.500-4.000. Les monts Timourlouk-Ichkilik se tiennent autour p.294 de 4.500, la suite chinoise du TerskeïAla-taou se hausse à 5.000-5.200, le Khalyk-taou l'égale ; le faîte du Kokchal a l'altitude moyenne la plus haute, 5.000-5.500, il touche à 6.000 dans les monts étonnamment abrupts de Saouabtchi, dépasse 6.300 dans le nud Nikolaï-Mikhailovitch où se joignent le Terskeï, le Kokchal et le Khalyk. C'est là que s'érige à 7.000 mètres, en territoire russe, la grêle pyramide de marbre blanc du Khan-Tengri, point culminant du système (fig. 45 ; pl. LV. C).
LV. C. Massif du mont Khan-tengri, dans le Tien-chan central.
Dans le Tien-chan central, les cols entaillent les crêtes plus profondément que dans l'Altaï, moins que dans l'Himalaya, en général de 1.000 à 1.500 mètres. Pour la plupart supérieurs à 3.000 mètres, ils ne se prêtent point au grand trafic. Les échancrures de la chaîne méridionale, rares à l'est du nud Nikolaï-Mikhailovitch, ne s'abaissent pas au-dessous de 3.500 mètres. Contournant la droite de ce nud, le chemin du Mouzart (3.600 m.) tente les caravanes qui cherchent la plus courte voie du Turkestan chinois aux vallées de l'Ili et de l'Issygh-koul, mais il en est peu d'aussi durs. On le franchit par des escaliers taillés dans la glace, et les squelettes des animaux de bât servent de jalons à leurs successeurs. Presque aussi difficiles, les passes du Kokchal sont plus hautes ; Tchanart (4.400 m.), Koukourtouk (4.400 m.), Bedel (4.200 m.). Le Terek oriental (3.900 m.) et le Touroughart (3.880 m.) donnent passage à deux routes très fréquentées qui unissent Kachgar au poste douanier de Narynsk et à la vallée du Tchou.
Un autre trait accuse la vigueur du relief du Tien-chan et le différencie des formes usées qui donnent un aspect de plateau à la plus grande partie de la Haute Asie : c'est la profondeur des vallées longitudinales qui s'étendent entre les rangées parallèles des montagnes et s'enfoncent en moyenne de 2.500 à 3.000 mètres au-dessous des sommets. Cependant leur plancher plat et large se maintient à une altitude absolue considérable, de 400 à 750 mètres seulement pour l'Ili, mais de 900 à 1.400 pour le Kounghès, 1.600-1.800 pour le Tekkès moyen, 2.350 pour le Petit Youldouz, 2.200 pour le Grand Youldouz. Si l'on ajoute que les chaînes de bordure au Nord et au Sud s'opposent symétriquement par la brièveté raide de leur versant intérieur et la longueur escarpée de leur versant extérieur, le Tien-chan apparaît comme un bloc surélevé, penchant au nord, morcelé d'ailleurs en blocs de détail dans le sens des parallèles par les dislocations disjonctives que manifestent les alignements de roches éruptives le long des crêtes. Les vallées longitudinales sont des fosses tectoniques. D'autre part, certains faits rappellent singulièrement le haut Tibet et les massifs mongols. Le partage des eaux entre Syr-daria et Aksou est très oblitéré ; sur un sol plat et fangeux les ruisseaux hésitent, errent au hasard d'étangs en marais, incapables de transporter les matériaux d'érosion qui enterrent la pente des monts. Le bassin fermé du Saïram-nor est juché à 2.000 mètres entre des monts dont les cols le dépassent à peine de 200-300 mètres. Le Tchatyr-koul à 3.400 mètres et les deux plateaux voisins de l'Arpa et de l'Aksaï ressemblent à des Pamirs. Au-dessus des rives septentrionales du Khaïdyk-gol et de l'Algo, de larges plateformes lacustres inclinées à l'est sont suspendues à 3.000-3.300 mètres. Autant de témoins d'un état ancien qui répondait à l'uniformité des crêtes dont encore aujourd'hui les unes, comme l'Iran-Kharbout, dessinent une ligne à peine échancrée, sans un passage sur 200 kilomètres, et les autres, très découpées, présentent néanmoins des séries de sommets d'une égalité remarquable.
La transformation résulte de l'intensité de l'érosion, ravivée par les mouvements récents du sol, favorisée par le climat. En été, les vents d'ouest et de nord-ouest apportent de grosses pluies, en particulier sur les versants septentrionaux, où sont concentrées les sources les plus importantes, même celles des rivières coulant au sud. Merzbacher a relevé neuf jours sans pluie en six mois de l'année 1907 qui fut exceptionnellement humide ; en juillet-août 1893, année normale, Roborovsky a compté trente jours pluvieux sur trente-six. L'énorme différence de température entre la haute montagne et les basses vallées largement ouvertes au soleil a pour effet que le ciel est communément clair sur les unes, chargé de cumuli sur l'autre. Au-dessus de 1.500 mètres, il pleut trois fois plus qu'au-dessous. Dès le milieu de septembre, l'hiver s'établit ; en octobre, la neige couvre le sol d'un épais manteau partout où l'altitude dépasse 1.000 mètres et, en pleine saison, s'amasse sur cinq pieds dans la vallée de l'Ili. Sur les pentes nord elle est permanente au-dessus de 3.300 mètres dans la chaîne septentrionale, de 3.800-3.900 dans la méridionale. Ces limites sont relevées de 150 mètres sur les pentes sud.
Sans égaler les régions de l'Europe et de l'Amérique situées sous la même latitude, le Tien-chan a été un puissant accumulateur de glaces. Dès qu'on atteint 1.700 mètres, on voit d'énormes masses de débris morainiques s'entasser sur les pentes ou taillées par les cours d'eau en terrasses étagées les unes sur les p.296 autres. Sur le versant du Turkestan chinois, des dépôts glaciaires forment de petites collines à 30 kilomètres
Fig. 46. Grands glaciers du Tien-chan, d'après Merzbacher.
Échelle : 1:1.000.000.
du pied de la montagne. Quatre ou même cinq périodes successives de glaciation se reconnaissent, et ces alternatives répétées d'humidité et de sécheresse sont pour beaucoup dans le modelé du relief actuel. C'est aux jeux glaciaires qu'est dû le dépècement en pics aigus d'une grande partie des chaînes. Aujourd'hui les paysages alpestres, les montagnes aux lignes hardies et variées accompagnent toujours les glaciers, qui comptent encore parmi les plus nombreux et les plus étendus de la Terre. Les principaux se rangent en une étoile gigantesque autour du pic Nikolaï-Mikhailovitch (fig. 46) ; parmi eux, l'Inyltchek a 65 kilomètres de longueur, le Koïkaf 55, le Mouchketov 45, le Semenov 35, tous à pente faible, 26 p. 1.000, chargés de boue et de débris rocheux, resserrés en des lits larges de 1.500 à 4.000 mètres entre d'immenses escarpements très dégradés et disloqués. Seule en Asie la masse des glaciers du Karakoram est plus importante. Une foule d'autres plus modestes sont répandus dans les diverses chaînes. Ils se terminent, en général, entre 3.200 et 3 600 mètres, mais descendent jusqu'à 2.750 sur le versant sud de la chaîne méridionale. N'ayant guère que six semaines de fonte depuis la première quinzaine de juillet, ils sont à peu près stationnaires.
Hydrographie du Tien-chan central. D'innombrables torrents ravinent profondément les flancs des montagnes, les sculptent en traits vigoureux, précipitent du haut de plusieurs milliers de mètres leur course coupée de petites cascades, pour aller former les rivières longitudinales dont les vallées s'étalent sur un plan large, modérément incliné, contraste saisissant avec le relief tourmenté des versants. À l'époque où la glace couvrait les plateaux, les cours d'eau passaient de lac en lac et franchissaient les chaînes par des chutes étagées. Les progrès du creusement n'ont laissé de ces lacs et de ces cascades que des résidus infimes. Les sections transversales sont devenues des cañons.
Après avoir suivi longtemps les plis montagneux, les rivières finissent toujours par les trancher perpendiculairement, en route vers les plaines extérieures ; mais leurs vallées diverses se rangent bout à bout en alignements continus tout le long du système. Sur le premier alignement se succèdent l'Ili avec sa section orientale le Kounghès, le Manas et le Loklon supérieurs. Le deuxième comprend l'Issygh-koul, le Tekkès, son affluent le Djirgalan, le Petit Youldouz, l'Algo et la dépression de Louktchoun ; le troisième se trace par le Syr-daria, le haut Aghias, le haut Koksou, le Grand Youldouz et le lac Bagrach. Cependant, cette disposition n'ouvre de communications dans le sens des parallèles que pour les besoins locaux des nomades. La vallée de l'Ili, accueillante à l'Occident, se ferme à l'Orient, et le grand trafic doit s'échapper de la montagne au Nord à travers le Borokhoro. Le resserrement du Tien-chan en est la cause. En même temps, il exhausse les vallées d'ouest en est d'un côté, d'est en ouest de l'autre, et ainsi détermine le partage des eaux entre le Levant et le Couchant.
Deux réseaux opposés et symétriques se dirigent, l'un au Nord-Ouest, l'Ili, l'autre au Sud-Est, le Khaïdyk-gol. L'Ili prend sa source dans la chaîne du Sud sous le nom de Tekkès en territoire russe. Il marche à l'est au milieu des amples prairies de sa vallée longitudinale, tourne au nord, pour couper à angle droit les monts Timourlouk en une tranchée étroite et joindre le Kounghès, dont il emprunte le nom et la direction vers l'ouest, après avoir descendu de 2.700 p.297 mètres en 400 kilomètres. Il coule alors parallèlement à son cours supérieur et en sens inverse. Il devient l'Ili, et sa vallée, toujours enfermée dans l'intérieur du Tien-chan, s'évase en une immense plaine ondulée, peuplée de villages et de villes, entremêlant les mamelons de sable à la verdure des roseaux, des herbes et des bois d'ormes. De nombreuses ruines, la plupart peu anciennes, attestent l'instabilité de ce canton favorisé de la nature, mais condamné par l'homme à une dévastation sans cesse renouvelée. Le fleuve y roule ses eaux encore torrentueuses, profondes de 6 mètres en crue, bordées au nord d'une berge abrupte. Il arrose la ville de Khouldja (10.000 hab.) et son oasis florissante, laisse à droite la bourgade militaire de Soei-toun et, franchissant la frontière, va achever dans le lac Balkach un cours total de 1.300 kilomètres.
Origine du Khaïdyk-gol, le Petit Youldouz est avec le Grand Youldouz, qui lui impose sa direction, dans le même rapport que le Tekkès avec le Kounghès. La vallée du Grand Youldouz, semblable à une valve de coquille, spacieuse, scintillant d'étangs, se resserre après le confluent en un très long défilé qui, par exception, est longitudinal. C'est un effet de l'étranglement du système montagneux. La rivière est très grosse lorsqu'elle débouche de la gorge dans la vaste cuvette du lac Bagrach, qui correspond à la vallée de Khouldja.
Cette nappe d'eau douce, située à 950 mètres d'altitude, assez profonde, transparente, mesure 2.400 kilomètres carrés. Des roseaux de vingt pieds lui font une ceinture verte. À l'Est et surtout au Sud, jusqu'auprès des montagnes, s'étend un désert de dunes très élevées, modelées par le vent du sud-ouest, produit de la désintégration du Pé-chan. Au Nord et à l'Ouest se dressent dans la plaine, marécageuse par endroits, plusieurs campements mongols et la pauvre ville doungane de Karachahr, qu'entourent 10.000 hectares de cultures. Comme la vallée de Khouldja, le Bagrach-koul est enfermé dans les plis du Tien-chan, mais un émissaire à l'extrémité occidentale lui donne, à travers la chaîne extérieure, issue au bassin du Lob-nor.
Les cours d'eau ont donc une tendance à contourner la Djoungarie et le pays du Tarim sans y entrer. La plupart de ceux qui arrosent ces régions descendent directement des crêtes de bordure et restent isolés les uns des autres. Au Nord, le Manas et le Loklon remontent seuls à la deuxième chaîne. Ils percent la première par des brèches creusées de 1.000 mètres dans la roche vive où l'observateur posté sur les hautes terrasses ne les décèle qu'au bruit de leurs rapides. Plus loin, pareils à tous les torrents djoungares, ils se fraient un passage à peine moins sauvage à travers les argiles et conglomérats récents de l'avant-chaîne, que les cartes ignorent. Quand ils arrivent à la plaine, ils ont dévalé de 1.500 mètres en 100 kilomètres.
Le versant méridional offre une exception plus importante, mais unique, l'Aksou, véritable nourricier du Lob-nor. Sa branche orientale, Sarytchas, naît dans la troisième chaîne à compter du Sud près de la source du Syr-daria. Enrichie à gauche du tribut des plus grands glaciers, elle fend le Kokchal d'un canon profond et, après avoir descendu de 1.800 mètres en 260 kilomètres, s'épanouit en quatorze bras dont le principal roule en été 200 mètres cubes le matin, 400 l'après-midi. La branche occidentale, Taouchkan-daria, sortie du deuxième rang de montagnes, se distingue par son long parcours dans une vallée longitudinale entre les avant-chaînes.
Les autres rivières du Sud sont de simples torrents. Elles creusent p.298 successivement les schistes bleu-vert de la crête méridionale, les roches éruptives de la bordure, les masses épaisses des décombres morainiques où leur lit enfoncé devient impraticable, et enfin elles tranchent un défilé découpé en tours et pyramides dans les jeunes conglomérats de la chaîne marginale avant d'atteindre le piémont de gravier. Certains de ces torrents ont un débit puissant et permanent, tels que le Mouzart, qui seul parvient au Tarim ; la plupart sont à sec une grande partie de l'année. La pauvreté relative en eau de ce versant tient plus à l'extrême perméabilité du sol détritique qu'à l'évaporation provoquée par un climat sec et chaud, mais l'accumulation des débris, plus continue et plus massive qu'au Nord, est elle-même l'effet de l'insuffisante capacité de déblaiement des eaux de fonte plus rares et
surtout moins longtemps actives au cours des âges (pl. LVII. B).
LVII. B. Vallée Sud de Koutcha (Turkestan chinois).
Chaînes marginales. Des deux côtés du Tien-chan, des chaînes secondaires s'interposent comme des degrés entre le gros du massif et les plaines de la Djoungarie et du Turkestan. Au Nord, il en existe au moins une, parallèle au Borokhoro, à l'Iran-Kharbout et au Bogdo-oula. Au Sud, on en compte trois sur une largeur de 120 kilomètres. Presque collés contre le Kokchal, les monts Markech bordent le Taouchkan-daria de leurs roches carbonifères et de leurs pics abrupts supérieurs à 3.500 mètres. Le Sogdan-taou, de même époque, longe l'autre côté de la vallée et atteint 4.000 mètres. Plus au Sud encore, une suite de hauteurs tertiaires enferme le bassin du lac Chor-koul et plusieurs petites oasis isolées, dont la plus importante est celle de Kalpin. Enterrées sous les débris de l'érosion, ces hauteurs sont parfois réduites à des monticules de 15-20 mètres, mais souvent leurs conglomérats et grès stériles aux teintes éclatantes montrent un relief contourné et déchiqueté, d'une tristesse et d'une âpreté singulières, sec au point de ne fournir aux pâtres Kyrghyz que l'eau recueillie dans les citernes. Comme le Sogdan-taou, cette chaîne se poursuit de l'Aksou aux environs de la frontière, au nord du Kachgar-daria. À l'est de l'Aksou, la suite tertiaire est reportée beaucoup plus au Nord et n'est plus séparée du faîte du Tien-chan que par une zone carbonifère très rétrécie, nouvel effet du resserrement général.
La plaine du Turkestan offre encore deux courts reliefs très usés, égarés sur sa surface unie. L'Alimazar-tagh (Tchoka-tagh) dresse en travers du Yarkend-daria ses schistes et porphyres vert foncé à 800 mètres au-dessus du fleuve ; dans son prolongement, les porphyres rouges du Mazar-tagh, émergeant de 60 mètres à peine sur le sable, vont buter contre la rivière de Khotan. Leur direction sud-est, semblable à celle des monts du Ferghana, paraît indiquer qu'il s'agit des reliques d'un arc externe du Tien-chan.
Vie végétale et animale. La plaine saline ou sableuse de Djoungarie laissée derrière soi, on entre dans les bois épais d'arbres à feuilles, qui se pressent dans les vallées du Tien-chan jusqu'à l'issue des monts. Ils deviennent rares à l'ouest de la rivière de Manas, parce que de ce côté l'Ala-taou et sa suite font écran aux vents de pluie. Pour la même raison, l'étage supérieur, aride et gris, de l'absinthe s'élève de plus en plus à l'Occident. Au-dessus, la route s'égaie peu à peu de buissons, traverse une ceinture de prés verts, passe à 1.800 mètres dans la forêt noire des sapins presque sans sous-bois, atteint à 2.800 mètres les escarpements rocheux hérissés de genévriers et d'églantiers, et enfin les p.299 plateaux palustres entre les neiges des sommets. Dans les chaînes intérieures, des herbes drues, fleuries en juin, souvent plus hautes que l'homme, feutrent le fond des vallées ; une brousse inextricable de peupliers, de saules et de lianes borde les rivières ; sur les pentes, le pommier, le prunier, l'abricotier, le poirier, le pêcher jonchent la prairie de leurs fruits agrestes, le bouleau se montre vers 1.400 mètres, les sapins déroulent leurs bataillons monotones de 1.950 à 3.000 mètres, le saule monte à 3.650 parmi les hauts pâturages. Sur le versant du Turkestan, quelques karagans nains apparaissent parmi les pierres au-dessous de 3.500 mètres, puis des groupes de conifères se disséminent sur les plans inclinés au nord et, vers 2.400 mètres, font place, dans les lieux abrités du soleil, à la végétation herbacée et buissonnante et aux grands bois de peupliers. Mais cette végétation est reléguée dans les ravins latéraux, laissant désertes les vallées principales (pl. LV. B).
LV. B. Type de forêt de sapins du Tien-chan, au pied du Khan-tengri.
Le Tien-chan appartient à la zone biologique de l'Asie centrale. Le mélèze de la zone sibérienne y est remplacé par un sapin spécial, Abies Schrenkiana. Le rhododendron y fait défaut ; on y rencontre, au contraire, en quantité extraordinaire, l'oignon, qui paraît y avoir son centre de dispersion, ainsi que la tulipe et l'élyme. Le froment sauvage est fréquent dans la vallée du Grand Youldouz et sur les montagnes au nord de Karachahr. Au point de vue zoologique, le domaine du Tien-chan se distingue de celui de l'Altaï par l'absence de la Mégalo-perdix, de la perdrix daurique et de l'Ovisammon proprement dit, par la présence de la perdrix tchoukar, du tétras himalayen, de variétés de l'Ovisammon, du bouquetin, du cerf wapiti, du chevreuil. Les tigres d'Asie centrale remontent dans la vallée supérieure de l'Ili et dans celle du Kach.
Le Tien-chan oriental. A l'Est du 86e méridien, le rapport des altitudes est renversé, et la chaîne septentrionale devient la plus élevée. Les six géants Deusmenghen, dont la rivière de Manas tranche la base, atteignent environ 6.000 mètres. Entre eux et le massif suivant, le Bogdo-oula, se creuse la dépression la plus basse, qui d'Ouroumtchi à Tourfan ne dépasse nulle part 1.400 mètres et établit la liaison la plus commode entre la route du Nord et celle du Sud. Là, plusieurs crêtes de collines basses, arides, du Carbonifère supérieur réunissent les deux parties de la grande chaîne, et la capitale du Sin-kiang, Ouroumtchi, y est située à 900 mètres d'altitude, non pas au débouché des montagnes, mais derrière la première ligne de hauteurs, qui la sépare de la plaine djoungare.
Tout près de la ville et visible de très loin, le Bogdo-oula suspend au-dessus de la brume violette le magnifique trapèze de neige que forment ses trois pics sacrés (6.400-6.500 m.), escarpement monstrueux de roches anciennes, dressé entre des séries de hauteurs mésozoïques et volcaniques qui le longent au nord et au sud en suivant des lignes de faille. Chaque année, il reçoit l'hommage d'un sacrifice officiel. Sur sa pente nord, au fond d'un entonnoir de forêts et de prairies, un temple mire les cornes de ses toits vernissés dans un petit lac morainique. La chaîne s'abaisse à l'est ; les cols n'y atteignent plus que 2.200 mètres. En même temps les bois et les pâturages s'appauvrissent sur les pentes septentrionales. Quant au versant méridional, le désert l'occupe tout entier. Il est partagé en deux sillons superposés par le Tchargos, arête parallèle de quelques centaines de mètres d'altitude relative, dont le flanc sud fracturé dans sa longueur est côtoyé de roches éruptives. Des hauteurs plus jeunes, de 100 à 500 mètres, Touz-tagh, Touyouk-tagh, où les dépôts du Gobi surmontent les couches charbonneuses p.300 du Jurassique, bordent le deuxième sillon et descendent par une faille sur la fosse de Tourfan. Comme les avant-chaînes semblables qui dominent Koutcha et Touen-houang, elles sont coupées de ravins dont des grottes nombreuses, décorées d'antiques peintures bouddhistes, creusent les parois verticales (pl. HYPERLINK \l "pl054c" LIV. C).
LIV. D. Ming-Uï, les Mille Grottes.
Au-delà règne le Pé-chan. En 130 kilomètres la dénivellation dépasse 6.600 mètres ; elle atteint 5.600 au nord en moins de 50 kilomètres. Aussi le Bogdo-oula, isolé entre des dépressions aussi prodigieuses, est-il le théâtre de perpétuelles tempêtes.
À l'est de 91°, le Tien-chan se continue par une coulisse oblique, la chaîne de Barkoul, qui prend la direction est-sud-est de l'ancien Faîte. L'articulation se fait par un ensellement qui offre à l'altitude maxima de 1.700 mètres un passage carrossable, joignant le Pé-lou au Nan-lou, de l'oasis djoungare de Tachitou à la station de Toung-yen. Insignifiante du côté septentrional, la montagne, faillée au Sud, y prend un air farouche avec ses schistes et grès déchiquetés, noirâtres, rouge ou vert foncé, de la plus étonnante aridité, qui dépassent de 300 mètres à peine leur piédestal de gravier et de cailloux. Point de cours d'eau de ce côté. Si le deuxième des sillons parallèles qui précèdent au Midi la chaîne principale ouvre le chemin le plus court de Koumoul à Tourfan, les voyageurs l'évitent avec effroi. C'est la vallée légendaire des diables (700-800 m.). Le vent y taille en constructions chimériques les dépôts livides et désolés du Gobi, y souffle en ouragan surtout du nord et du nord-ouest au commencement du printemps et à la fin de l'été, emporte des pierres grosses comme des noisettes. Aussi la route chinoise a-t-elle préféré le tour par le pied du Tien-chan, qui fournit au moins un abri relatif et de maigres ressources.
Cependant la chaîne principale se relève à l'Est à une moyenne de 3.300 mètres, allonge son gros dos aplati, échancré de cols de 2.700 mètres (Kochety-davan entre Koumoul et Barkoul), monte ensuite à 4.500 au massif, chargé de glaciers, du Karlyk-tagh qui se découpe en pics pointus et crêtes en lames de rasoir, se recourbe en arc vers l'est et semble finir en une échine de rochers nus, étroite et basse, enfoncée dans le Gobi ; mais elle n'est qu'ennoyée, et nous avons vu qu'elle reparaît plus loin jusqu'au nord de l'Edzin-gol en plusieurs anneaux détachés, qui sont comme jetés sur la surface du désert.
LV. A. Type de village au pied sud du Karlyktagh.
Sur les pentes des vallées méridionales des monts Barkoul et Karlyk, le plus souvent sous la protection d'une barrière antérieure de collines de grès, quelques hameaux de pâtres cultivateurs se nichent jusqu'à près de 2.400 mètres parmi les prairies, les saules et les peupliers (pl. LV. A). Au-dessus, l'étage des conifères s'élève à 2.700 mètres au sud, à 2.850 au nord, et les herbages tapissent le sommet même des cols supérieurs à 3.400 mètres. Il est remarquable que dans le sud-est du Karlyk les pluies font apparaître les toits en pente, fait unique chez les Sartes de la Haute Asie. Dans les deux chaînes se retrouve le mélèze, inconnu dans le reste du Tien-chan. Le domaine biologique de l'Altaï pénètre ici à la faveur du Metchin-oula, dernier rameau de l'Altaï, qui, venant en biais du nord-ouest, touche presque le Karlyk sans se confondre avec lui. Entre les deux, un plateau marécageux porte le petit lac Tour-koul, s'élargit et s'abaisse à l'ouest-nord-ouest, devient la vallée de Barkoul, qui s'étend sur une largeur de 28 kilomètres, toute verte au fort même de l'été, semée de tentes noires et de petites fermes, peuplée de bétail, surtout des chevaux de l'État. L'eau suinte partout et permet la culture sans canaux d'irrigation ; un seul cours d'eau à p.301 ciel ouvert nourrit le lac qui abreuve les gazelles et les koulans et donne son nom au pays. Atteignant 1.600 mètres à son centre où est bâtie la petite ville chinoise de Barkoul, l'altitude du bassin surpasse à peu près également celle de la plaine de Koumoul au Sud (800 m.) et de la steppe mongole au Nord (720 m.).
De végétation indigente, beaucoup plus plat et plus bas que le Tien-chan, le Metchin-oula a ses plis de schistes métamorphiques lisérés au Nord par une bande de porphyre qui, en mettant au jour l'eau dissimulée sous les dépôts tertiaires, a suscité à l'entrée de la steppe les cultures chinoises de San-to-hou et de Tsagan-tsong-tchi et celles de Nom, point extrême atteint par les indigènes du Turkestan. Ce sont comme de pauvres veilleuses de vie humaine allumées de loin en loin devant le néant du Gobi.
La plaine de Koumoul (Hami en chinois) est plus propice à l'homme. Au point de vue du peuplement, elle est, avec les dépressions du Bagrach-koul et de Tourfan, une des trois annexes de la grande cuvette du Tarim. Ces bassins secondaires offrent cette particularité, en s'échelonnant d'ouest en est, de s'enfoncer de plus en plus avant dans le système des plis montagneux : le Bagrach est dans le Pé-chan, Tourfan entre Pé-chan et Tien-chan, Koumoul dans le Tien-chan propre. Dans p.302 les sables de cette dernière plaine, l'eau de la montagne alimente une ligne discontinue d'oasis, non directement par les torrents, qui disparaissent dans les graviers, mais par les sources qui ressortent en aval. Dans l'oasis principale, de 11 kilomètres sur 8, réside un prince indigène qui, seul dans le Turkestan, a conservé sa dignité et une partie de son pouvoir sur les vingt villages de la région.
Fig. 47. Dépression de Louktchoun,
d'après Roborovsky, Obroutchev et A. Stein.
1. Oasis cultivées ; 2. Sol argilo-sablonneux à broussailles clairsemées ; 3. Argile incrustée de sel ; 4. Pentes de gravier ; 5. Dunes et sables. Altitudes en mètres : quand il y a deux altitudes pour le même point,
la première est celle de la mission russe, la seconde, entre parenthèses, celle de A. Stein.
Échelle : 1:1.500.000.
La fosse de Tourfan ou de Louktchoun n'est qu'une partie de la dépression longue et étroite qui sépare le Tien-chan du Pé-chan. Elle a sa plus grande profondeur au lac Bochanté à 130 mètres au-dessous du niveau marin. Phénomène récent et plus curieux qu'important au point de vue de la tectonique générale, cette fosse fameuse est seulement un ennoyage local. Mais la station météorologique que la mission Roborovsky y installa près de Louktchoun, à l'altitude de 17 mètres, a enrichi la géographie d'observations précieuses. D'octobre 1893 à octobre 1895, elle a enregistré la plus forte variation annuelle connue de la pression atmosphérique : 751,2 en juillet, 780 en janvier. La température a oscillé de 42,5° à 20,7°, avec une moyenne de 10,5° en janvier, de 32,5° en juillet. On a compté 24,5 jours de pluie ou de neige par an, soit 6 au printemps, 12 en été, 1 en automne, 5,5 en hiver. Les vents soufflent du nord-ouest du printemps au milieu de l'automne, du nord-est à la fin de l'automne et en hiver (fig. 47).
La partie de la fosse inférieure au niveau de la mer mesure environ 90 kilomètres d'ouest en est sur 40 du nord au sud. Enfoncée entre les deux failles qui ont rompu le Touz-tagh d'un côté, le Tcheul-tagh de l'autre, elle présente une surface d'argile dure, blanche de sel, labourée de sillons profonds de deux pieds, semée d'étangs. Le petit lac qui occupe le fond le plus bas inonde presque toute la cuvette quand les champs, cessant d'être arrosés, libèrent les eaux de la montagne. Dans le Nord du bassin et aussi derrière les premières collines qui le dominent, sont disséminées un certain nombre d'oasis d'une superficie totale de 600 kilomètres carrés. Les principales sont celles de Tourfan, ville moderne de 5.000 habitants, et de Karakhodja, site de la ville ancienne. La pénurie d'eau courante a obligé la population à recourir au système des karyz, qu'on dit venu de Perse au XVIIIe siècle, mais qu'il y a des raisons de croire autochtone. Un karyz est un canal souterrain qui amène à la surface des champs la nappe d'eau enfouie dans les conglomérats du versant montagneux. Ce système a permis de doubler à peu près l'étendue cultivée.
À l'Ouest, la dépression s'élève par la vallée aride de l'Algo, qui, gravissant 800 mètres en 60 kilomètres, rejoint très vite les hauts pâturages du Tien-chan. À l'Est au contraire elle continue au loin le long du pied nord du Tcheul-tagh. Obstruée d'abord par le Koum-tagh, large croupe qui porte à 600-700 mètres les plis tortueux d'un manteau de dunes, elle se suit au delà par le lit du Kourouk-gol qui finit à 20 mètres d'altitude et, desséché pendant plus de huit mois, reçoit de mars à juin les eaux de Koumoul. Elle en remonte la vallée en partie boisée de toghraks et de tamaris jusqu'au village de Bougas (550 m.), la quitte pour un affluent tari, le Yen-toung, qui s'élève à l'est à 1.100 mètres. Après le 94e méridien, le sol s'abaisse de nouveau le long du Boro-oula, successeur du Tcheul-tagh, jusqu'aux lacs terminaux de l'Edzin-gol (850 m.).
Le Pé-chan. Au sud de ce fossé, un vaste glacis de gravier dur et brillant comme le fer au soleil monte au rempart bas et plat qu'est le Tcheul-tagh, « la Montagne désertique », rebord septentrional d'un socle immense ridé d'arêtes p.303 rocheuses, dont la dernière, le Kourouk-tagh, « la Montagne sèche », symétrique du Tcheul-tagh, descend par une faille, que jalonnent des roches éruptives, sur le bassin du Lob-nor et la vallée du Sou-lo-ho. Cet ensemble est le Pé-chan, qui couvre 1.200 kilomètres d'ouest en est, de 150 à 240 du nord au sud. Il fait partie intégrante du Tien-chan ; mais l'aspect en diffère profondément. Il n'y a plus de neiges persistantes ni de glaciers. Les cols du Tcheul-tagh ne dépassent pas 700-900 mètres, les sommets, 1.200-1.700. À l'intérieur, les chaînes s'élèvent de 50 à 300 mètres au-dessus de leur base, rarement à 400-500. À partir du nord, le système s'étage en gradins jusqu'à la ligne des massifs culminants Toughé-tagh et Iékhé-matsoun (2.700 m.), puis redescend au sud de la même façon sur un espace moindre. On compte six de ces gradins limités par des bourrelets montagneux à peu près parallèles, plus ou moins continus (pl. LVIII. A).
LVIII. A. Pied nord du Tcheul-tagh.
Au sud de la dépression du Tcheul-tagh.
Sauf un calcaire dévonien, vestige d'un édifice antérieur, signalé dans la quatrième chaîne en venant du nord, le Pé-chan est carbonifère. Les schistes, les calcaires cristallins, le granité et le porphyre constituent les hauteurs, et dans les intervalles les formations volcaniques abondent. Tout cela est dans un état de décomposition avancée, déchiqueté, émietté, tombant en poussière, d'une affreuse désolation. Au pied des sommets et des pentes arides s'étendent les cailloux et l'argile dure des plaines çà et là couvertes de sable. Dans quelques fonds de vallée seulement, l'eau perdue sous le gravier reparaît, tantôt salée, tantôt douce. Elle crée à la surface des marais exigus qui entretiennent les plantes ordinaires du Gobi. Un homme de Louktchoun a profité d'un de ces points d'eau, à Singhir, pour y fonder, vers 1850, une oasis minuscule au milieu de la solitude, à 150 kilomètres à vol d'oiseau de Toksoun, lieu habité le plus proche. Contrairement au Tien-chan, le Pé-chan ne fournit point d'eau aux pays qui le bordent. Au Nord comme au Sud ses ravins, quand ils ne sont pas absolument secs, ne donnent qu'un court filet, épuisé dès qu'il sort des monts. Souvenirs d'un passé mort, ils déchirent inutilement la zone basse des limons du Han-hai, qu'un peu d'humidité féconderait. Sur 300 kilomètres le long du Kourouk-tagh, Sven Hedin énumère seulement neuf ruisseaux de ce genre, la plupart salés.
Distribution de la végétation et de la population dans le Turkestan chinois.
III. LE BASSIN DU LOB-NOR
Un peu à l'est du 96e méridien, le Pé-chan s'approche à quelques lieues d'un autre système montagneux qui s'élève au Sud et qui lance de biais un rameau erratique, le San-sien, jusqu'au bord du Sou-lo-ho. Ce nouveau relief, plus puissant que tous ceux que nous avons vus précédemment, est constitué par le Nan-chan, par l'Altyn-tagh, qui s'appelle à l'Est Anembar-oula, et par les monts de Yarkend, connus dans la géographie chinoise sous le nom de Tsoung-ling. Il ceint au Sud le bassin du Lob-nor, comme le Tien-chan et le Pé-chan le font au Nord. Les deux systèmes divergent à l'Ouest, s'écartent de 600 kilomètres, puis se rapprochent au point de se presque toucher en arrière de Kachgar, fermant ainsi un cercle isolant, sans autre lacune que l'étroit couloir du Sou-lo-ho, autour de la plus extraordinaire, de la plus vaste et de la plus profonde des dépressions entièrement closes. Condamnée à l'ensablement par sa disposition même et par le manque d'écoulement à la mer, elle figure un Colisée démesuré : l'arène elliptique de 470.000 kilomètres carrés, au plan incliné de 1.400 à 800 mètres, est p.304 encadrée de gradins qui s'élèvent de 5.000 et de 6.000 mètres au-dessus, excepté au Nord-Est où ils s'abaissent. La partie méridionale et occidentale de la ceinture montagneuse se lie étroitement à l'ensemble tibéto-himalayen et sera décrite avec lui (voir la carte hors texte en couleurs).
La végétation. Les monts de Yarkend ressemblent au Tien-chan, bien que plus âpres ; ils sont habités dans toute leur largeur, portent encore des forêts de sapins entre 3.650 et 3.000 mètres, des broussailles et des herbages jusqu'à 4.250. Cependant la végétation arborescente cesse à partir de 38°30' latitude. C'en est la limite méridionale dans les montagnes de la Haute Asie en dehors du Tibet oriental. Comme le Sud du Tsoung-ling, l'Altyn-tagh en est totalement dépourvu. Il ne présente de végétation herbacée que sur son versant nord au-dessous de 4.000 mètres. Les pâturages d'été, par maigres lambeaux, ne dépassent pas en général 3.500 mètres. Ceux d'hiver descendent vers 2.500, couvrant en partie les collines avancées de conglomérats et les croupes dites kyr dans la langue indigène, formées par les produits de démolition des grands monts. Côte à côte, l'humidité moisie et la sécheresse poudreuse se disputent la place. Le parfum amer de l'armoise emplit l'étendue, et sa couleur cendrée reflète le désert. Dans les derniers plis des collines, quelques taches vertes, villages entourés de champs, piquent de loin en loin la solitude grise vers 2 200-2 300 mètres au pied de l'Altyn-tagh, 1.800-2.000 au pied des Tsoung-ling. Déjà a commencé le kakyr, rappelant le serir du Sahara, plateau incliné de cailloux et de gravier stérile, épais dépôts fluviaux provenant des conglomérats et des kyr, analogues à ceux des monts Siwalik. La pente diminue, les rivières ne transportent plus que les alluvions plus fines, limon, argile et sable, l'humidité sourd de sous le gravier qui l'avait engloutie, imbibe le terrain marécageux, fait verdoyer une bande de forêt à 100 ou 120 kilomètres des sommets. C'est là que les hommes ont créé leurs principaux établissements, villes et cultures. Enfin, l'eau évaporée dans l'air, absorbée par les graviers, perdue dans les marais, bue par les champs, le désert de sable prend possession de l'espace. Cette même succession de zones se répète tout autour de l'enceinte montagneuse, mais à l'extrémité orientale, dans l'Altyn-tagh comme dans le Kourouk-tagh, les pâturages et les oasis disparaissent ( HYPERLINK \l "fig041" fig. 41, p. 271).
Des rubans sylvestres le long des rivières capables de poursuivre plus ou moins leur course interrompent seuls l'océan des dunes. La largeur en varie de 5 à 50 kilomètres. La forêt du Turkestan, que les indigènes nomment djangal, d'un terme emprunté au persan, ne répond nullement au tableau que le même mot évoque à notre imagination quand nous l'orthographions jungle, comme les Anglais de l'Inde. C'est une forêt claire où les arbres sont assez espacés pour qu'on y puisse chevaucher commodément sur le sable meuble du sol. Une brise sèche y souffle avec un bruit de papier froissé. De juin à août, on entend un vif bourdonnement de moustiques, puis la sylve rentre dans le silence. La pauvreté de sa faune l'anime à peine : troupes de sangliers, grands cerfs marais dans les profondeurs, antilopes subgutturosæ à la lisière, lièvres et chats sauvages, corbeaux, faisans, oies et canards, un petit nombre de tigres, loups, renards, lynx et reptiles. Flore aussi peu variée : presque rien que des tamaris tordant leur grêle feuillage sur les mamelons de sable amassés dans l'entrelacs des racines, des roseaux et des tchigh (Arundinella nepalensis), des argousiers et des yantaks (Alhagi maurorum), d'étiques djigdas (Eleagnus angustifolia) et surtout des p.305 toghraks résineux (Populus suaveolens ou diversifolia). Curieux arbre que celui-là, frondaison maigre et terne, feuilles coriaces une fois plus larges que longues, tronc gibbeux et bas mesurant jusqu'à 7 mètres de tour pour 1 de hauteur, rameaux tors et noueux, bois si poreux qu'il se sature de sable. La forêt arrête la poudre de lss transportée par le vent, la fixe, provoque ainsi l'exhaussement du terrain et sa propre mort. Les parties enfouies de la tige jouent le rôle des racines, celles-ci s'allongent de plus en plus, l'humidité s'éloigne, les branches, cassantes comme du verre, tombent, les troncs desséchés ne sont plus que des nids de poussière. Le détournement fréquent des cours d'eau accélère le dépérissement des bois, et les cimetières de squelettes végétaux sont un des spectacles les plus habituels et les plus étranges du pays. Mais les jeunes générations se développent à côté, en sorte que les forêts ressemblent aux villes indigènes, où la cité de cendre des trépassés se déploie au large près de celle des vivants (pl. LVIII. B).
LVIII. B. Forêt de toghraks morts au bord du lit desséché du Kéria-daria.
Le sable. Au total, les sables mouvants règnent sur 370.000 kilomètres carrés, espace dont la plus grande partie, entre le Tarim et la ligne des oasis méridionales, porte le nom de Taklamakan, solitude stérile, interdite à toute vie, qui serait d'une indicible épouvante si l'on songeait à y entrer. C'est une partie du globe qui n'existe pas pour l'homme, il en fait le tour sans y pénétrer. Il suffit des langues que le désert pousse sur la route pour troubler l'imagination du passant. L'atmosphère poudreuse éloigne et agrandit fantastiquement les objets détachés. On voit au loin presque à l'horizon un grand arbre sur une colline ; on fait quelques pas, et l'on a devant soi un tas de sable surmonté d'un roseau. Dans le silence régnant, un bruit inattendu, inexpliqué, fait rêver de mauvais génies et tinter aux oreilles les lointaines clochettes d'une caravane mystérieuse : c'est le cri de rongeurs invisibles ou le grincement des grains de sable agités par le vent.
Les sables sont disposés en dunes orientées en général nord-ouestsud-est, perpendiculairement au vent dominant qui souffle du Kourouk-tagh. Près de cette montagne, ils ne peuvent s'arrêter, toujours chassés vers le sud-ouest ; mais peu à peu ils s'accumulent. Au delà du bas Tarim, au nord de Tchertchen, ils atteignent leur plus grande épaisseur, élèvent jusqu'à 90 mètres des rangées de dunes d'une régularité extraordinaire, séparées entre elles par des bayir, cuvettes ovales au sol dur et uni d'argile craquelée, qui se suivent comme les anneaux d'une chaîne. Plus loin les bayir disparaissent, et les dunes s'abaissent. Pour la plupart d'un grain très fin, régulier, jaune pâle, mêlé de mica, le sable doit son origine première aux sédiments fluviatiles et lacustres d'un âge antérieur (postpliocène), infiniment plus considérables que ceux de notre temps. Mais, à mesure que le bassin du Lob-nor s'est desséché, le vent y a exercé son action, rongeant, creusant, limant l'argile, en poussant devant soi les particules désagrégées. En même temps, des roches des monts, décomposées par l'aridité même et les énormes différences de température entre le jour et la nuit, l'été et l'hiver, il détachait patiemment, sans relâche, d'innombrables poussières qu'il jetait sur la plaine. Il a ainsi complété l'uvre des eaux, façonné et accru les matériaux fournis par elles.
Qui a éprouvé les tempêtes printanières comprend le pouvoir du vent. L'ouragan noir, kara bouran, se déchaîne surtout de février à juin, plus particulièrement en avril, avec une force de 25 à 30 mètres à la seconde, obscurcit le jour au point qu'on ne voit plus le cheval qu'on tient à longueur de bride, submerge p.306 le voyageur dans un torrent continu de sable qui va au fond des villes remplir les chambres et les coffres les mieux fermés. Il souffle environ vingt-quatre fois par an. Un tel effort renouvelé pendant des millénaires ne peut manquer de causer un déplacement formidable ; il tend à entasser les dunes contre la barrière montagneuse du Sud et du Sud-Ouest. Les particules les plus fines sont transportées sur les hautes pentes et les recouvrent par places de couches de lss jusqu'au-dessus de 4.000 mètres. Au demeurant, il n'en résulte point de danger sensible pour les établissements humains. Une zone de végétation et d'humidité profonde les protège efficacement, et les contre-courants atmosphériques de l'ouest et du sud-ouest, qui prévalent de ce côté, font échec aux vents du Kourouk-tagh. La poussière qui pénètre néanmoins dans les oasis exhausse le sol petit à petit, mais c'est du lss fertile, et les habitants en sont quittes pour surélever au fur et à mesure le niveau des constructions neuves. Malgré la légende des trois cents villes ensevelies, l'ensablement n'est pas responsable de la disparition des quelques avant-postes très modestes qui, aux premiers siècles de notre ère, s'étaient hasardés à 50 ou 100 kilomètres au nord de Khotan, Kéria et Nia. Les ruines en sont cachées sous un lit de sable si mince qu'il en résulte un progrès en épaisseur de moins d'un pied par siècle. Tel endroit est devenu impropre à la culture, non pour avoir été enterré, mais parce que le vent a balayé son manteau de lss.
En somme le sol du Turkestan est de même formation que celui des plateaux de lss de la Chine nord-occidentale, avec cette différence qu'en Chine le lss a été fixé par l'humidité atmosphérique sur le matelas des graviers et des sables avant d'être éparpillé dans l'espace.
L'hydrographie. À première vue, il paraît étrange de voir le désert occuper la presque totalité d'une plaine que le Tien-chan, les monts de Yarkend, l'Altyn et l'Oustoun-tagh ont pourvue d'un château d'eau gigantesque et puissant. D'innombrables rivières en jaillissent. Au Sud, celles qui s'alimentent dans l'arrière-chaîne de l'Oustoun-tagh, suite presque continue de glaciers, atteignent une véritable grandeur : Karakach et Youroungkach dont la réunion forme le Khotan-daria, Kéria, Bostan-toghrak, Kara-mouren, Tchertchen. De même, à l'Ouest, le Yarkend, le Tachkourghan, le Ghez et le Kachgar. Quelques-unes, encore considérables, traversent une ou deux des chaînes antérieures. Le reste est une multitude de torrents isolés qui coupent perpendiculairement de ravins profonds le flanc extérieur des monts, surtout de l'Altyn-tagh, où nous en avons compté sur le terrain trente en 41 kilomètres. Les gens du pays les peignent d'un mot, tchap, entaille de sabre. Ils disparaissent tous dans le désert sans jamais dépasser 80 kilomètres de longueur. La plupart tarissent d'octobre à avril ou ne conservent un peu d'eau que dans l'épaisseur des monts à l'abri des vents arides de la plaine. La sécheresse augmente à mesure qu'on avance vers l'est. Au delà de Tchertchen, les ravins, aussi fortement creusés, distillent à peine en été quelques gouttes la nuit.
Les grandes rivières ont toutes le même régime. Après avoir parcouru le haut plateau qui s'étend de l'Oustoun à l'Altyn-tagh, elles précipitent leur cours limoneux à travers les divers étages de cette dernière chaîne par un boyau tortueux, impraticable, encombré de blocs énormes, recueillent des torrents clairs à la pente moyenne de 4 à 5 p. 100, cessent de s'accroître au passage des dernières collines poudreuses, sans neige et presque sans pluie, sept ou huit p.307 lieues avant d'arriver aux oasis de la plaine. À la tranchée de la crête principale, elles descendent de 20 à 25 mètres au kilomètre, de 8 en aval. Elles se taillent dans le plan de débris adossé à la montagne des couloirs encaissés dont les parois verticales s'élèvent jusqu'à 126 mètres, puis s'étalent en un ou plusieurs lits de cailloux larges de 300 à 800 mètres, sillonnés de deux ou trois filets d'eau presque claire en hiver, entièrement remplis en été d'un îlot boueux qui, dans le You roungkach, monte à 2,5 m. Là encore elles découpent à pic dans l'argile blanchâtre des falaises beaucoup moins élevées, mais creusées de grottes habitées, qui ont valu son nom à Yarkend, la ville des falaises. De la source à l'oasis principale, le Karakach parcourt 560 kilomètres, le Youroungkach 415, le Kéria 335, le Tchertchen 470, le Yarkend 720, le Kachgar 340. Les rivières appartenant au versant oriental du Pamir diffèrent des autres, surtout parce qu'elles montrent une plus grande tendance à se grouper avant de sortir des montagnes. Il y a de ce côté moins de cours d'eau indépendants que dans la région de l'Altyn-tagh, et c'est une des raisons pour lesquelles l'Ouest du Turkestan chinois est mieux arrosé. De part et d'autre d'ailleurs, même irrégularité, vice le plus grave de l'irrigation du pays. Alimentées presque uniquement par la fonte des glaciers et des neiges, les rivières ne sont pas entretenues d'une manière permanente par les pluies qui tombent peu et seulement dans la saison de la crue, d'où, pour toutes, même débit excessif, parfois dévastateur, en été, même indigence le reste de l'année. Un tel régime fait prévoir la difficulté qu'elles auront à supporter l'épreuve que leur réserve la plaine (pl. HYPERLINK \l "pl054c" LIV. C, et HYPERLINK \l "pl057b" LVII. B).
L'ellipse que celle-ci figure est doublement dissymétrique : le sillon de plus basse altitude où coule le fleuve principal est rejeté des cinq septièmes au nord, et le bassin qui en recueille les eaux s'approche de l'extrémité orientale. En soulevant davantage les monts de bordure au Sud et à l'Ouest, les mouvements orogéniques récents ont gauchi la surface du fond dans le même sens. Khotan est situé à 1.370 mètres contre Kachgar à 1.280, Kéria à 1.400 contre Aksou à 1.070, Nia à 1.390 contre Koutcha à 1.000, Tchertchen à 1.300 contre Kourla à 920 ; pareillement, les 1.250 mètres de Yarkend répondent aux 900 de Tchar-ghalyk. Pour le reste, le réseau hydrographique est d'une symétrie remarquable. Les grandes rivières se font face par couples au Nord et au Sud, le Kachgar au Yarkend, l'Aksou au Khotan, le Chahyar au Kéria, le Kontche au Tchertchen. Disposition heureuse en principe, qui fait converger toutes les eaux vers l'artère principale et semble devoir lui assurer un concours efficace de la source à l'embouchure. Mais cet avantage est annulé par la trop grande distance que les affluents, surtout ceux du Sud, ont à franchir sans recevoir de renfort. En effet, d'après le calcul de Sven Hedin, le bassin du Tarim mesure 917.000 kilomètres carrés, sur lesquels 471.000, plus de la moitié, ne fournissent pas une goutte d'eau. Toute l'humidité vient exclusivement de la haute montagne. Avant même d'avoir quitté les collines qui bordent la plaine, les rivières sont réduites à leur richesse acquise. Si puissantes qu'elles soient, l'intensité de l'évaporation dans l'atmosphère aride, de l'absorption dans la profondeur des graviers et des sables, du prélèvement par les cultures en triomphe bientôt. Seules sept d'entre elles parviennent à destination et constituent le réseau du Tarim, l'un des plus grands fleuves par l'étendue de son bassin, par l'abondance de ses sources, par la longueur de son cours (2.750 km.), l'un des plus maigres, au contraire, si l'on ne considère que le volume final.
Le Tarim. p.308 Son nom véritable est Yarkend-daria de bout en bout. On a pris l'habitude en Europe de l'appeler Tarim, d'un mot turc mal compris, qui ne s'applique pas au fleuve et signifie « lieu cultivé ». Nous le lui conserverons pour la commodité. Il sort, à 5.300 mètres d'altitude, du rameau septentrional d'un glacier colossal, le Rimou, qui du côté opposé est le berceau du Chayog, affluent de l'Indus. Pour une grande part son cours est remarquablement symétrique à celui de ce dernier fleuve, parallèle d'abord, puis exactement inverse et dans son prolongement jusqu'au confluent de l'Aksou. Dans la haute montagne il recueille à gauche le Chagskam, rivière plus courte, mais de volume double, alimentée par les glaciers du Karakoram-Himalaya, et le Tachkourghan qui naît au revers de la source de l'Amou. À Kocharab, la dernière grande chaîne passée, l'altitude n'est plus que de 1.660 mètres, à 610 kilomètres de la source et plus de 3.600 mètres au-dessous. Là, d'après les mesures de Sven Hedin en septembre 1895, le fleuve a une largeur de 78 mètres, une profondeur de 2-3, un débit de 152 mètres cubes, mais en juin-juillet il est au moins cinq fois plus fort. Jusqu'à ce point, c'est un très puissant torrent de montagne, roulant de gros blocs de rocher, nettement défini entre les parois qui l'encaissent. Bientôt il change brusquement de régime. En entrant dans la plaine, il s'épanche dans un lit immense, divisé parfois en plusieurs bras, qu'il remplit seulement en juillet-août de son flot violent. Il ne transporte plus que des cailloux et du gravier et, après Yarkend, de la boue et du sable. L'oasis de cette ville, la plus grande de la Haute Asie après celle de Kachgar, lui emprunte ses eaux pour l'irrigation des cultures et les lui rend fortement diminuées, d'un tiers en septembre. Le fleuve coule désormais entre des berges d'argile de 1 à 5 mètres, à travers des fourrés de roseaux, escorté sur chaque rive d'une bande forestière qu'entrecoupe çà et là une steppe herbacée. Son cours très ralenti, dont la pente moyenne tombe de 0,7 p. 1.000 au-dessous de Yarkend à 0,175 à partir de Laïlyk, devient étroit, profond jusqu'à 8 mètres, au reste fort irrégulier. De menues cataractes de 10 à 20 centimètres témoignent qu'il n'a point atteint son équilibre. Très sinueux en général, il forme souvent une boucle presque fermée, qu'il délaisse après quelque temps en en reliant les deux bouts par un raccourci direct, et il va plus loin en créer une autre. Capricieusement, il s'aventure en des branches nouvelles, et s'en retire, il envoie une partie de ses eaux vers Maralbachi où elles s'entremêlent en plusieurs canaux avec celles du Kachgar-daria, il en déverse une autre partie dans des lacs marginaux. De la sorte, il multiplie les effets de l'évaporation et de l'absorption, et, faute de nouveau tribut, il décroît rapidement. De grosses rivières descendent vers lui de la montagne, mais elles répugnent à l'aborder franchement, se glissent à ses côtés, coulent de conserve à distance et s'épuisent avant de l'atteindre. Ainsi le puissant Tiznab, qui arrose Kerghalyk, va mourir inutile près de Laïlyk. Pareillement le Ghez, originaire des glaciers du Mouztagh-ata, oblique à l'Est au moment de s'unir à la rivière de Kachgar et s'évapore en de nombreux bras étalés à plat sur la plaine. Le Kachgar-daria lui-même, long de 830 kilomètres, formé de deux rivières inguéables dès la fin du printemps, le Markam-sou, qui naît au pic Kaufmann dans le Transalaï, et le Kyzyl-sou qui sort de l'Alaï, s'appauvrit à irriguer les champs de Kachgar, alignés sur 80 kilomètres, et, au lieu de joindre ses dernières forces à celles du Yarkend-daria qu'il approche, les dissipe dans une longue course solitaire et parallèle. Finalement il n'amène au fleuve que deux branches à peu près sèches. Aussi mal secondé, le p.309 Yarkend-daria après le confluent débite à peine, aux eaux basses de la fin de mai, 7,5 m3 d'une onde claire, impuissante à charrier le moindre sédiment. Il ne tarderait pas à périr sans l'énorme afflux de l'Aksou qui lui donne une vie nouvelle. Cette rivière fournit 475 mètres cubes au début de juin, avant le maximum. Elle draine pourtant un bassin montagneux de 50 p. 100 plus petit ; elle est de moitié plus courte : 720 kilomètres par le Taouchkan au lieu de 1.440 ; mais elle a eu de moindres cultures à abreuver et seulement 170 kilomètres à franchir sans renfort au lieu de 775.
Aussitôt passé l'immense amas de boue et de sable apporté par l'Aksou, le Khotan-daria (1.040 km.) arrive à droite, bien différent. Si son lit n'est guère moins large, il est à sec dix mois de l'année. En août il précipite un gros flot chargé d'alluvions, qui diminue graduellement en septembre. Non que ses sources soient moins riches ; au contraire, le Karakach et le Youroungkach dont il est le produit sont de très fortes rivières absolument infranchissables en juin, alors que le Taouchkan est guéable, quoique avec peine. Mais elles arrosent une oasis plus grande que celle d'Aksou et, isolées ou rassemblées, traversent un désert beaucoup plus vaste, parcourent 540 kilomètres sans aucun tributaire. Néanmoins quelques mares d'eau claire, rencontrées de loin en loin, le long du lit tari, dans la saison la plus sèche, prouvent qu'un courant souterrain subsiste toute l'année. Sur cette rive le Tarim ne recevra plus d'eau du Sud : le Kéria-daria périt à 140 kilomètres de distance, le Nia-daria à 280.
Continuant à l'est sa marche, maintenant parallèle au Tien-chan, le Tarim reçoit à gauche une dérivation de la rivière du Mouzart qui baigne l'oasis de Chahyar. Selon la règle générale, cette rivière s'épand dans la plaine en multiples rameaux dont les principaux se tiennent à distance le long du fleuve et constituent, par leur jonction, l'Intchigé-daria qui prolonge sa mince tranchée sur 300 kilomètres avant de s'unir au Tarim, non sans s'être auparavant mêlé à lui par divers canaux. Le fleuve lui-même se sépare en deux bras : le plus ancien, dit Ougen, étroit, profond, lent, bleu et tranquille, ressemble à un canal bordé d'une belle vieille forêt ; le plus récent, au Sud, extraordinairement tortueux et variable, n'alimente que des arbres jeunes, mais il roule six fois plus d'eau, il est plus trouble, doué d'un pouvoir d'érosion plus énergique, grossi de crues trois ou quatre fois plus hautes. Des chenaux dérivés, longs ou courts, les uns définitivement abandonnés, d'autres permanents, la plupart pourvus d'eau seulement en temps de crue, se combinent avec une foison de petits lacs et de mares pour faire un dédale inextricable. En somme, tous les fils rattachés entre eux de cette trame hydrographique, circulant parmi les roseaux, les toghraks, les tamaris et les herbages, couvrent une zone large de 35 à 90 kilomètres (pl. LVI. D).
LVI. D. Indigènes et barques sur l'Ougen-daria (Tarim).
À peine toutes ces eaux se sont-elles rassemblées pour se diriger au Sud-Est dans un lit unique, parallèle au Kourouk-tagh, que l'on entre de nouveau dans un réseau enchevêtré de veines anastomosées, compliqué par l'approche, sur le flanc gauche, du Kontche-daria avec qui son grand compagnon de route multiplie les communications sans l'absorber. Cette rivière, longue d'environ 375 kilomètres, sort, avec un débit constant de 72 mètres cubes, du lac Bagrach où nous l'avons vu pénétrer sous le nom de Khaïdyk. Après avoir longé le Tarim sur une partie notable de son cours, elle finit par se confondre avec lui dans deux assez grands lacs, le Tchivilik et le Kara-koul. Auparavant le fleuve perd un quart de sa substance à remplir sur sa rive droite une série de trente-cinq dépressions p.310 perpendiculaires à son lit, creusées par le vent entre les hautes dunes du désert. Plus bas, la foule d'étangs plats, sortes de soupes de roseaux, qui se succèdent le long de son cours, les changements de lit de plus en plus fréquents, les bras innombrables, les boucles tour à tour créées et délaissées contribuent à l'épuiser. Baignant dans cette section la lisière Nord-Est des plus hauts sables du Taklamakan, le Tarim les mine, en emporte d'énormes débris dont le dépôt l'engorge, l'exhausse au-dessus de la contrée adjacente, l'amène à chercher d'autres voies. Ainsi le sol est aplani, nivelé sur un vaste espace, nouvelle condition propice à l'évaporation et à l'absorption. La pente, déjà faible, s'abaisse à 0,09, puis à 0,07, et jusqu'à 0,057 le long de la branche orientale, l'Ilek. Le fleuve atteint là ses plus grandes profondeurs, 12-14 mètres, en sorte qu'à 400 kilomètres son fond est en certains points au même niveau que la surface du Kara-kochoun. Arrivé enfin au lac terminal, il n'a plus qu'un volume moyen de 64 mètres cubes, 170 au maximum au milieu d'octobre, 20 ou 25 au minimum en août et en fin de janvier. Il a perdu en chemin près des trois quarts de sa puissance (fig. 48).
Fig. 48. Le bas Tarim et le Lob-nor, d'après Sven Hedin et A. Stein.
1. Dunes et sables ; 2. Eau profonde ; 3. Marais ; 4. Végétation ; 5. Forêts ; 6. Pentes de graviers ; 7. Yardangs (sillons d'argile) ; 8. Argile ; 9. Croûte de sel ; 10. Direction des montagnes et cols ; 11. Cours d'eau ; 12. Cours d'eau desséchés.
Échelle : 1:2.500.000
La répartition dans l'année des hautes et basses eaux varie beaucoup au cours d'un si long fleuve. Tandis que la grande crue provenant de la fonte des neiges commence avec le printemps dans la montagne et règne de juin à août à Yarkend, elle ne donne pas son plein à l'embouchure avant le milieu d'octobre. Du dégel des eaux du fleuve naît une crue secondaire qui se manifeste au début de mars à Yarkend et n'atteint l'embouchure qu'à la fin du même mois en s'amplifiant le long de la route au point d'égaler presque la crue principale.
Lors du passage de Prjevalsky en 1876, le bas Tarim coulait depuis Bacharghan dans le vieux bras occidental appelé Ettek et aboutissait près du hameau de Lob au lac Kara-bouran ou Kara-boyan, où il se grossissait du Tchertchen-daria, grande rivière de 840 kilomètres, née dans les glaciers de l'Arka-tagh, qui à son terme est encore large de 23 mètres, profonde de 3 à 4. Aujourd'hui que le Tarim a abandonné l'Ettek pour un lit neuf à gauche, il n'a plus de communication certaine avec son ancien affluent. Il atteint le lac à son extrémité nord-est, y laisse dans les roseaux ses sédiments qui élèvent sur ses rives des digues isolantes. Le Kara-bouran s'est ainsi transformé en lac marginal, composé d'une collection de mares séparées, en partie taries en été. Prjevalsky le décrit tout autrement, comme une nappe unique de 35 kilomètres sur 12.
Le Lob-nor. Après avoir côtoyé le Kara-bouran, le Tarim, butant aux premières pentes encore insensibles de l'Altyn-tagh, décrit un angle droit à l'est, pour aller, profond, étroit et clair, achever sa course, par 800 mètres d'altitude, dans le Kara-kochoun, communément connu sous le nom ancien de Lob-nor. Le Kara-kochoun participe du lac et du delta ; en effet, plusieurs courants, se faufilant en éventail entre les roseaux, y continuent le fleuve sur dix lieues au delà de son embouchure, qu'il est convenu de fixer à Koum-tchapghan. Le bassin extrêmement plat du lac est couvert d'eau sur une profondeur maxima de 5,15 m., une longueur de 100 kilomètres dans le sens est-nord-est et une superficie de 2.500 kilomètres carrés. Il est en voie de se combler, comme le Kara-bouran. Quoique le Tarim épuré y apporte moins de dépôts, les roseaux gigantesques l'étouffent de plus en plus au Sud-Ouest et retiennent les sables précipités par le vent ; cependant ils diminuent beaucoup au Nord-Est en même temps que la salinité augmente.
p.312 Le Kara-kochoun est le résidu d'un lac quaternaire qui s'étendait jusqu'à 295 kilomètres à l'Est-Nord-Est, mesurait 15.000 kilomètres carrés, et encadrait sa partie septentrionale entre les chaînons méridionaux du Kourouk-tagh. Il en reste une plaine grisâtre, presque rigoureusement horizontale, d'argile dure incrustée de sel, plissée d'une infinité de petites rides tranchantes comme des couteaux, parmi lesquelles brillent çà et là des plaques de sel mou, vestiges de marécages qui ont subsisté plus longtemps. Nul paysage plus morne ne se peut imaginer, ni terrain plus impraticable. Des bandes encore marécageuses de roseaux et de tamaris, avec quelques sources plus ou moins saumâtres, forment une ceinture partielle à l'intérieur des fragments de terrasses d'argile rougeâtre qui marquent la limite du lit lacustre. Ces murailles atteignent 12 à 15 mètres au coin Sud-Sud-Est où leur dépècement étrange à la manière de constructions humaines a donné naissance à la légende chinoise de la Ville du Dragon (pl. LVIII. C).
LVIII. C. Source de Lowaza, sur le bord Sud du Lob-nor.
Vue sur la croûte de sel qui représente l'ancien lac.
Une erreur des vieilles cartes chinoises a fait supposer que le Lob-nor avait changé de place au cours de l'histoire humaine. Mais l'ancienne position qu'on lui attribuait est occupée par des débris historiques et néolithiques. Sven Hedin, ayant découvert en 1900 une nouvelle étendue d'eau au nord du Kara-kochoun, y a vu l'indice d'un retour du lac à son premier site. Ce n'était qu'une nappe d'inondation temporaire, disparue depuis 1903. Néanmoins l'explorateur suédois a bien démontré que l'extrémité du Tarim subit un lent mouvement de balancier du nord au sud et inversement. Le village de Leou-lan, ruiné au IVe siècle de notre ère, était arrosé auparavant par le Kontche-daria, dont le vieux lit tari, plus septentrional, subsiste sous le nom de Kourouk-daria. Comme de nos jours, cette rivière accompagnait le Tarim, dont on retrouve l'ancien delta, sous forme de berges dégradées et de rangées d'arbres morts, dans le prolongement du lit actuel avant son coude brusque au sud. Le fleuve finissait vers l'extrémité Nord-Est du Kara-kochoun. Transporté à sa position présente par plusieurs changements successifs, il semble en voie de revenir à son emplacement antérieur : il s'est en effet détourné de sa branche occidentale, l'Ettek ; sa branche orientale, l'Ilek, n'a d'eau que depuis Prjevalsky, et le Tokouz-tarim, longtemps à sec, comme le prouvent les peupliers sans vie qui le côtoient, s'est ranimé récemment.
Le Sou-lo-ho. Autrefois le Lob-nor n'était pas seulement le bassin de réception du Tarim, il recueillait également sur sa rive orientale les eaux du Sou-lo-ho. Il en a été séparé avant l'âge historique, mais à un moment assez récent de la présente époque géologique. La vallée de la rivière est encore bien définie par une bande de roseaux courant entre deux hautes terrasses nettement coupées. À 70 kilomètres du lac, on rencontre un étang permanent et une cuvette lacustre desséchée en hiver, où les eaux de crue se répandent au printemps et en été. C'est la fin actuelle du Sou-lo-ho. Une trouée large de 120 kilomètres, coupée en biseau par le chaînon du San-sien, lui livre passage entre le Pé-chan au Nord, l'Altyn-taghNan-chan au Sud. C'est un mélange de gravier stérile sur les versants, de sable jeté contre les pentes méridionales, d'argile sèche taillée en terrasses et couloirs au centre, de marais sur les bords de la rivière. Le long de l'Altyn-tagh et du Nan-chan, à l'abri des conglomérats pourpres des avant-monts, s'étendent des steppes verdoyantes, mais inutiles, car la population, exclusivement chinoise, ne s'occupe pas d'élevage. Çà et là des oasis, semblables à celles du Turkestan, quoique moins pittoresques, moins peuplées d'arbres, occupent le p.313 bord des torrents, à la sortie des monts méridionaux, ou les rives du Sou-lo-ho. La principale, celle de Touen-houang ou Cha-tchéou, sur le Tang-ho, compte 340 kilomètres carrés et 40.000 habitants, dont 7.000 dans la ville, aussi misérable que célèbre. Elle a joué un rôle dans l'histoire par sa position à l'intersection des routes entre Chine et Sérinde, Tibet et Mongolie. Aujourd'hui ce rôle est tenu par Ngan-si, moins important, mais plus commodément situé sur la rivière même. En amont, au coude du Sou-lo-ho, la bourgade de Yu-men fut longtemps la porte d'entrée de la Chine, reportée plus tard à Kia-you-koan, qui domine encore au loin la plaine de ses tours à trois étages. Le pays, suite du corridor du Kan-sou, est une conquête du colon chinois, qui y a remplacé les anciens habitants, Sérindiens, puis Dounganes. À partir de Yu-men, le Sou-lo-ho tourne au sud, venant du fond du Nan-chan. Son cours total atteint 900 kilomètres. En comptant son bassin, qui administrativement dépend du Kan-sou, l'aire de drainage du Lob-nor mesure dans l'ensemble 1.060.000 kilomètres carrés et touche au versant du Pacifique.
Le dessèchement. Si depuis l'époque postpliocène les grandes lignes de l'hydrographie n'ont point changé, le volume des eaux a diminué dans une énorme proportion. Les lits actuels sont faits pour des fleuves beaucoup plus puissants. Ce qui aujourd'hui est un pauvre ruisseau s'est taillé, sur le flanc des monts, un ravin de plusieurs centaines de mètres. Le fond de la dépression était une mer d'eau douce dont on ne peut préciser les limites. Il est certain du moins qu'elle n'occupait pas seulement la croûte de sel qui marque l'emplacement du Lob-nor ancien. Une grande étendue garde à l'Ouest l'empreinte évidente d'une immersion antérieure. C'est un sol d'argile, peuplé de limnées fossiles, bizarrement raclé et cannelé par le vent, qui l'a creusé de sillons parallèles, interrompus à intervalles assez rapprochés ; des yardangs les séparent entre eux, billons étroits, découpés à l'emporte-pièce, hauts le plus souvent de 3 à 12 pieds ; mais certains ont un double étage et s'élèvent à une quinzaine de mètres. Leur formation s'explique par la présence à l'origine d'une végétation qui a protégé de la corrosion les surfaces qu'elle revêtait. Les yardangs cessent dès que la couverture de sable est assez épaisse pour garantir le substratum d'argile dure et unie qui continue très loin encore à témoigner du séjour des eaux (pl. LVI. C).
LVI. C. Ruines de Leou-lan. Désert du Lob-nor, région des yardangs.
Que la marche du dessèchement se poursuive de notre temps, on n'en saurait douter, mais elle est beaucoup trop lente pour avoir eu, au cours de l'histoire, les effets désastreux qu'on lui a attribués. Nous n'avons aucun motif de croire à une diminution du peuplement et de la culture depuis deux mille ans. Sous la première dynastie Han (201 avant J.-C. 220 après J.-C.), le Lob-nor était, comme aujourd'hui, un lac très réduit, peu profond et plein de roseaux, d'où le nom de Pou-tchang-hai que les Chinois lui donnaient alors ; la plupart des rivières se perdaient dans la plaine avant d'atteindre le Tarim ; le pays était le même désert avec les mêmes oasis dans les mêmes lieux. D'autres phénomènes que le dessèchement général ont provoqué l'abandon de certains sites dont on retrouve les ruines dans les sables : le déplacement des cours d'eau, très ample dans le cas du bas Tarim ou du Kontche-daria, restreint à quelques kilomètres dans celui du Youroungkach ou du Tchertchen-daria, a forcé les hommes à se déplacer en même temps ; les inondations d'été, fréquentes et redoutables, l'énorme charriage des débris de la montagne ont détruit ou barré des canaux qui n'ont pu toujours p.314 être reconstitués ; les eaux d'irrigation trop peu courantes se sont chargées, sur un terrain non lavé par les pluies, de dépôts salins qui ne souffraient plus la culture ; les invasions, les guerres, les épidémies, le changement des courants commerciaux ont amené des disparitions temporaires ou définitives, partielles ou complètes. La ville et l'oasis de Yarkend étaient bien loin d'avoir, dans l'antiquité, la même importance qu'aujourd'hui ; elles doivent leur développement à Abou-Bekr, prince de Kachgarie, qui y établit sa capitale au début du XVIe siècle. Après avoir longtemps dépéri pour des raisons politiques, Koutcha se relève pour des motifs de même ordre. Tchertchen a disparu trois fois, à la chute des dynasties Han et Tang, qui avaient assuré l'ordre et la paix, et à la suite du délaissement de la route méridionale entre Khotan et la Chine. Restauré enfin vers 1840 comme colonie pénale, il n'a cessé depuis de prospérer et de s'étendre. L'exemple de Domoko, entre Khotan et Kéria, est typique. L'ancienne oasis, située 20 km. au Nord, a été rejetée à sa place actuelle il y a moins de cent ans par une variation du cours de la rivière ; un retour de celle-ci à son lit précédent a permis de fonder un village non loin du premier, et cependant la construction d'une digue a sauvé la création du dernier siècle : la rivière nourrit maintenant deux oasis au lieu d'une. À l'Est, le village récent de Nia s'est substitué à un établissement qui existait sous les Han à 100 kilomètres au Nord ; il emploie en amont l'eau de la même rivière en quantité équivalente. Il y a quelques années, le sol a été remis en culture à 8 kilomètres au sud du site antique, et abandonné de nouveau, non faute d'eau, mais parce qu'une inondation a enlevé la tête du canal. S'il était prouvé que, les autres circonstances rétablies dans l'état primitif, l'irrigation ne peut plus atteindre certaines ruines, et cela n'est pas improbable, il ne s'agirait que de quelques postes d'avant-garde insignifiants. Stein a découvert au sud-est de Maralbachi, à 50 kilomètres à droite du Yarkend-daria, au milieu des dunes, une station paléolithique. Ce fait, outre qu'il peut être seulement l'indice d'un déplacement du fleuve, nous reporte à une époque assez reculée pour rendre vraisemblable une diminution d'humidité de quelque portée générale.
Quant à la supposition que des oscillations périodiques du climat plus ou moins sec auraient produit les vicissitudes de prospérité et de décadence observées dans la suite des temps, elle ne repose sur aucun fait certain. En somme les conditions météorologiques sont aujourd'hui ce qu'elles étaient il y a deux mille ans, et beaucoup de signes montrent qu'elles n'ont pas changé essentiellement dans la dernière période géologique. Aucune trace d'humidité ne se révèle dans les dépôts de lss, et, depuis l'origine, le chameau a eu pour habitat la Djoungarie et le Turkestan chinois où il erre encore à l'état sauvage dans la région du Lob-nor, dans l'Altyn-tagh oriental et dans le Pé-chan. La sécheresse a toujours été le trait dominant du climat. Elle est telle qu'après quinze ou vingt siècles le désert nous rend en grand nombre des fresques encore fraîches, des manuscrits et des comptes administratifs dont l'encre n'est pas altérée, des documents munis de leurs sceaux d'argile intacts, des charpentes de maisons et des échalas de vignes non corrompus, des arbres fruitiers morts, mais debout et rangés en ordre, des cadavres d'hommes au naturel conservés comme des momies.
Environné de montagnes de tous côtés, le bassin du Lob est situé à 2.000 kilomètres de l'océan le plus proche, dont le sépare le plus haut et le plus large relief du monde. Peu de nuages y parviennent et seulement de l'ouest, le plus p.315 souvent du sud-ouest. Il pleut ou neige très rarement, moins de vingt fois par an, toujours en très petite quantité, presque jamais en automne. Tandis qu'à Ouroumtchi, sur le versant nord du Tien-chan, les précipitations annuelles atteignent 262 millimètres, elles ne dépassent pas 44 à Kachgar sur le versant méridional. En été, les pentes des monts de Yarkend et de l'Altyn-tagh reçoivent une assez grande abondance de pluies, queue de la mousson de l'océan Indien, mais nulle part assez pour permettre la moindre culture sans irrigation artificielle.
Sous l'influence des glaciers et des hauts plateaux gelés, la température est très basse en hiver. Le thermomètre descend à 25° au-dessous de zéro à Kachgar, à 18° à Khotan avec une moyenne générale de 6° en janvier. Le soleil de la latitude de l'Andalousie et de la Grèce fait sentir sa puissance dès avril, où l'on enregistre des chaleurs de 32° (moyenne 17°). Il est au contraire un peu modéré en été par l'altitude et le voisinage des montagnes, en sorte qu'il ne dépasse pas un maximum de 35° (38,9° selon Pievtsov) et une moyenne de 24° à 27,6° en juillet. Dans les sables, la température diffère de 5° à 6°, plus basse en hiver, plus élevée en été. À Khouldja, elle est inférieure en moyenne de 3° à celle de Kachgar (température moyenne 9,1° ; janvier 9,7° ; juillet 25°). La modération des vents en dehors des grands bourans, la sécheresse de l'air rendent moins accablante la chaleur et moins âpre le froid, d'ailleurs fini dès le début de mars. Malgré les écarts du thermomètre, le climat est agréable, propice à une vie facile.
IV. LA POPULATION
Les origines. Peu de pays étaient mieux faits pour attirer les agriculteurs primitifs, ceux du moins qui étaient venus trop tard pour profiter des contrées plus spécialement favorisées, comme l'Égypte ou la Chaldée. Au débouché des montagnes, sur la lisière des sables, une foule de rivières épanchent des éventails d'alluvions fertiles dont la pente encore forte permet l'aménagement facile d'un réseau de canaux d'irrigation. Le sol est un limon riche, de travail aisé, engraissé des sels, non lavés par les pluies, que les eaux courantes arrachent à la roche des monts, et du phosphate mêlé au lss qu'apporte le vent du désert. En ces temps la sécheresse de l'atmosphère était comptée pour un avantage : l'arrosage artificiel est plus sûr, et l'abondance des précipitations prive le terrain d'une partie de ses facultés que les hommes ne savaient alors comment lui rendre. Loin de les rebuter, l'étroitesse des terres propres à la culture convenait à leurs moyens économiques et surtout à leur mode d'organisation sociale. Les plus anciens établissements sédentaires, que ce fût en Égypte, en Mésopotamie, en Chine, dans l'Inde ou dans le domaine méditerranéen, ont été l'uvre de petites communautés séparées. Mais, tandis que tous les autres se pressaient près du rivage des mers, ceux du Turkestan ont eu l'originalité de pénétrer très loin dans l'intérieur du continent.
Dès les débuts de l'histoire, nous trouvons le pays occupé par un peuple agricole. Un envoyé de l'empereur Wou-ti, Tchang-Kien, le visita entre 139 et 125 avant J.-C., et le rapport officiel qu'il fit de sa mission montre un état de choses, alors très ancien déjà, qui s'écarte bien peu du présent. À quelle époque remonte l'installation de ces cultivateurs, nous l'ignorons. C'était un rameau de ces p.316 Touraniens dont les luttes avec l'Iran remplissent le poème national de la Perse, le Chah-nameh. Encore aujourd'hui les indigènes se rattachent à Afrassiab, roi mythique de la lignée de Tour. Longtemps on s'est imaginé que le Touran légendaire représentait les Turcs et les Mongols. En réalité l'on y doit voir l'ensemble des anciens Indo-Européens de Transoxiane, frères ennemis des Iraniens proprement dits. Les uns étaient sédentaires, comme les Sogdiens de Samarkand et du Ferghana, les autres, nomades, comme les Saces du Tien-chan occidental et du Pamir. Quelques-uns des premiers ont colonisé la « Scythie d'outre-Imaüs », se sont glissés le long des chaînes, Tien-chan, Tsoung-ling, Altyn-tagh, semant au pied des monts, comme autant de graines, les oasis que nous voyons aujourd'hui, s'étendant peu à peu jusqu'à Tourfan et Koumoul et jusqu'au revers nord du Tien-chan, en Djoungarie. Ils furent avec les Aryens de l'Inde, dont le massif étranger du Tibet les sépare, la pointe la plus avancée à l'est de la civilisation indo-européenne. Autrefois comme aujourd'hui, leurs établissements ressemblaient pour les coutumes et le mode d'existence à ceux des bassins de l'Oxus et du Yaxarte, dont ils n'étaient que l'image pâlie.
Lorsque nous avons publié, il y a trente ans, le rapport de la mission Dutreuil de Rhins, une longue discussion nous avait paru nécessaire pour démontrer le caractère indo-européen des premières populations sédentaires du Turkestan chinois. Depuis les dernières découvertes archéologiques, principalement de Grünwedel, von Lecoq, Stein et Pelliot, la question ne se pose plus. De nombreux textes, datant des dix premiers siècles de notre ère, ont révélé les langues employées dans le Touran oriental. Trois d'entre elles étaient auparavant complètement inconnues et insoupçonnées. Dans la région de Khotan on écrivait en caractères brahmis un iranien aberrant, le plus oriental de ce groupe. Deux dialectes à écriture d'origine araméenne, apparentés entre eux, quoique nettement différents, se parlaient, l'un, dans l'Ouest du Turkestan, l'autre, dans l'Est jusqu'au delà de Tourfan. Ils forment un nouveau groupe de la famille indo-européenne, très éloigné de l'indo-iranien, se plaçant entre l'italo-celtique et le slave. En outre, le sogdien, branche de l'iranien, paraît avoir fait l'office de langue commerciale partout jusqu'aux confins de la Chine. Il fut longtemps le véhicule du manichéisme et a laissé au cur de la Mongolie l'inscription fameuse de Karabalgassoun (IXe siècle après J.-C.). Ajoutons qu'au IIIe siècle régnait dans l'administration du pays khotanais un prakrit en caractères kharochtis, originaire de l'extrémité nord-occidentale de l'Inde, reste probable de la domination des princes kouchans ou indo-scythes au Ier siècle.
La colonisation indo-européenne fut grandement facilitée, parce qu'elle ne gênait guère les nomades du monde turco-mongol où elle pénétrait. Ceux-ci, installés sur les pâturages montagneux, n'avaient que faire des éventails d'alluvions à l'orée du désert ; ils y souffrirent l'industrie étroitement cantonnée des sédentaires. Quand une confédération de tribus assez puissante parvenait à se constituer, comme celle des Huns au IIIe siècle avant notre ère, elle se contentait de prélever tribut sur les cités de la plaine, de leur imposer un protectorat très large, sans toucher à leur régime intérieur. Pareillement les Chinois arrivés, le siècle suivant, au contact de ce qu'ils appelaient « la contrée d'Occident », Si-yu, ne se soucièrent pas de la coloniser, n'ayant que trop de terres libres chez eux ; ils n'y cherchèrent qu'une voie stratégique et commerciale. Aussi la population primitive traversa-t-elle sans changement important toutes les vicissitudes p.317 politiques. À la fin du IXe siècle toutefois, elle subit deux dominations turques plus étroites. À l'Est, les Ouigours créèrent le royaume des cinq villes (Bech-balygh) ; la capitale en était Pei-ting, 30 kilomètres ouest de Kou-tcheng, et il s'étendait de Koutcha à Koumoul. À l'Ouest, le khan des Karlouks, descendant des Turcs proprement dits des inscriptions de l'Orkhon, annexa Kachgar, Aksou, Yarkend, et plus tard Khotan, à ses possessions dont Balassaghoun (Tokmak) était le centre. Cette fois il ne s'agit plus de protectorat, ce fut un gouvernement direct, et le turc devint la seule langue des sujets. Mais, de part et d'autre, quelques grands fonctionnaires et les troupes de confiance furent à peu près seuls à représenter les nouveaux maîtres dans les oasis. La turquisation se borna à la langue, sauf sur les pentes du Pamir et dans les vallées du Tien-chan où l'ancien élément nomade céda la place aux conquérants. Jusqu'à nos jours, malgré un certain métissage dû au voisinage beaucoup plus qu'à l'invasion, la population sédentaire a conservé les traits principaux de son type primitif, celui de l'homo alpinus : cheveux et barbe abondants et bruns, peau blanc-rosé quand elle n'est pas bronzée par l'exposition à l'air et au soleil, taille au-dessus de la moyenne (166-171 cm.), face longue et ovale, nez fin et proéminent, souvent droit, yeux bruns, non obliques, crâne court (indice céphalique, 83-85). L'adjonction de sang turc, plus marquée dans l'Est que dans l'Ouest, dans le Nord que dans le Sud, se discerne à l'absence presque totale de poils et d'yeux clairs, à la fréquence des cheveux lisses, gros et raides, aux exemples non très rares de pommettes larges et saillantes, au nez quelquefois élargi à la base et aplati. Stein souligne justement la ressemblance frappante, qu'avaient déjà remarquée les Annales des Tang, du type des Khotanais avec celui des Tadjiks du Pamir (pl. HYPERLINK \l "pl056d" LVI. D, et HYPERLINK \l "pl057a" LVII. A).
Au moral, le peuple du Turkestan chinois n'a pas changé plus qu'au physique. Tels les a peints au VIIe siècle le pèlerin bouddhiste Hiouen-Tsang, tels nous voyons encore ces hommes dont l'allure dégingandée, la haute taille affaissée, le corps projeté en avant annoncent le laisser-aller et la nonchalance. Le défaut d'énergie est leur trait dominant. Pratiques, intéressés, laborieux autant que leur condition de cultivateurs l'exige, mais au plus juste, heureux des loisirs que leur fait une terre débonnaire, toujours prêts aux divertissements oisifs, « ils semblent, dit Marco Polo, avoir été mis au monde à la seule fin de s'amuser, chanter, baller, jouer des instruments et se livrer au plaisir ». Leur gaieté facile, leur bonhomie familière, l'aisance et la simplicité de leurs murs leur permettent de résoudre à peu de frais les difficultés de l'existence.
Impuissance politique. Non pas acteurs, mais souffrants de l'histoire, ils ont été à la merci de toutes les dominations qui se présentaient : Huns, Bactriens, Chinois, Indo-Scythes, Avares, Turcs, Tibétains, Kara-Khitaï, Mongols de Tchinghiz-khan et Djagataïdes, Mongols Djoungares. Leurs nombreuses petites cités, disséminées sur un espace immense et, qui pis est, sur une seule ligne de plusieurs milliers de kilomètres, étaient hors d'état de se défendre. Chacune isolée au bas de la montagne offrait une proie facile au nomade d'en haut, qui, au printemps, partait en guerre pour se détendre de l'ennui et de l'inaction de l'hiver. Occupé alors à ses champs, l'homme de l'oasis préférait payer et acquérir contre le brigandage une assurance moins coûteuse et moins gênante que le recours aux armes. À y bien réfléchir, plutôt que de plaindre p.318 la faiblesse de ces colons, peut-être sied-il d'admirer leur séculaire patience, leur prudente souplesse, qui leur ont donné de subsister à travers les redoutables remous de la barbarie. Sans trêve encaissant les coups et payant l'amende, ils ont continué d'une âme égale, tandis que passaient les maîtres du jour, à faire valoir le capital paternel et à pousser la charrue des ancêtres.
Les conditions géographiques ont toujours opposé un puissant obstacle à la réunion en un seul corps de groupes aussi dispersés, séparés les uns des autres comme des îles au milieu de la mer, vivant d'une vie autonome et semblable, partant n'ayant rien à se prêter ni à s'emprunter, chacun enfermé égoïstement dans les mailles de ses canaux, seul lien politique à l'origine. Pline remarquait déjà qu'ils n'avaient point de dénomination ethnique commune. À la vérité, plusieurs tentatives furent faites de créer cette solidarité qui manquait. Elles vinrent d'étrangers. La dynastie turque de Boghra-khan se déclara héritière du héros national Afrassiab. Au XVIIe siècle, les Khodjas, descendants du prophète, essayèrent de renouer la chaîne en faisant remonter leur généalogie à la lignée de Boghra-khan. Mais ils ne durent le pouvoir qu'aux khans djoungares. Chassés par les Chinois le siècle suivant, ils tentèrent, avec l'aide du khan de Khokand, plusieurs coups de main d'un succès précaire, mollement soutenus par la population. Enfin, l'un d'eux, venu en 1863 à la faveur de la révolte générale des musulmans de Chine, amena avec lui un aventurier de Khokand, Yakoub-bek, qui s'empara du pouvoir pour son propre compte et s'imposa au pays tout entier. Il gouverna avec une vigueur que ses sujets goûtèrent peu. À sa chute en 1877, ils se sentirent le cur léger, satisfaits de retomber dans la servitude et la paix chinoise.
Développement de la civilisation. Ils y gagnèrent une prospérité qu'ils n'avaient probablement jamais connue au même degré. On est tenté de se faire illusion sur l'éclat de la civilisation antique du pays. L'abondance des objets exhumés des ruines y contribue. Elle est due à la conservation exceptionnelle qu'en assurent le sable et la sécheresse. De l'examen de ces vestiges, il ressort dans l'ensemble un état équivalent et souvent curieusement pareil à celui d'aujourd'hui. Les oasis et les villes n'étaient ni plus vastes ni plus nombreuses ou l'étaient moins. Le désert a envahi quelques villages et quelques champs : ils ont été remplacés par d'autres. Les Annales chinoises et les anciens voyageurs ne citent rien de considérable qui n'existe encore, leurs descriptions ne donnent pas l'impression de quelque chose de plus grand. De Khotan à Tourfan, le recensement des Han dénombre 103.000 feux, moins de 600.000 âmes, le tiers du chiffre actuel. Certains arts industriels, disparus ou dégénérés, florissaient autrefois ; ils ont subi le sort commun des métiers locaux trop débiles pour supporter la concurrence accrue de pays plus favorisés. Le bouddhisme des dix premiers siècles de notre ère a laissé une riche littérature théologique, des monuments intéressants, temples, statues, reliefs, fresques, auxquels rien ne se peut plus comparer. Les magnifiques publications de Sir A. Stein et de von Lecocq ont fait connaître cet art remarquable. Mais c'était un art indo-grec importé du Gandhara par les moines, exécuté par des maîtres étrangers ; il s'évanouit, sans laisser d'héritiers, avec la religion qui l'avait introduit. Si le Touran oriental faisait quelque figure, parce qu'il était moins disproportionné au reste du monde, la valeur absolue de sa civilisation a toujours été mince, et il n'en pouvait être autrement. Trop pauvre p.319 par elle-même, cette civilisation était trop éloignée des centres actifs de l'humanité et n'en recevait que des rayons languissants.
D'ailleurs l'Islam ne l'aida point à sortir de l'obscurité. Imposé manu militari au Xe siècle par le khan turc Satok-Boghra-khan, il vécut longtemps côte à côte avec les religions rivales, bouddhisme, manichéisme, christianisme nestorien. Son triomphe ne fut définitif et complet que dans la seconde moitié du XIVe siècle sous Toghlouk-Timour, et encore en 1420 l'ambassade de Chah-Rokh, fils de Tamerlan, trouva des bouddhistes à Tourfan. Les docteurs piétistes et sectaires de l'école de Boukhara qui le dirigèrent depuis lors se souciaient peu de littérature et d'art. Cependant ils ne réussirent pas à inculquer leur fanatisme au peuple, et les khodja, qui, devenus maîtres, menaient à coups de bâton les fidèles à la mosquée, coupaient le nez des fumeurs et la gorge des femmes de murs légères, y furent également impuissants.
Que les rigueurs de l'Islam aient peu de prise sur les esprits, la liberté des femmes le témoigne. Sur ce point il ne faut pas méconnaître le libéralisme relatif du droit coranique comparé au droit romain. Mais l'instinct populaire y a beaucoup ajouté. Les murs sont restées telles que Marco Polo les avait observées. Les femmes sortent seules à leur gré, à peine voilées pour la forme, dominent dans la foule qui se presse au bazar, accompagnent les hommes aux fêtes et divertissements, prennent la première place dans les réunions de société, sont maîtresses de leur ménage et de leurs biens propres, divorcent quand il leur plaît, et telle suppute les années par les noms de ses maris successifs. Au reste la répugnance générale à toute contrainte relâche singulièrement les liens de famille. Les garçons, majeurs à douze ans, les filles à dix, usent de leurs droits avec une précocité et un savoir-faire qui nous surprennent.
Oasis et villes. Nous avons vu que les établissements humains du Turkestan oriental sont réduits à de petits cantons situés sur le bord des rivières, aussi près que possible des montagnes et sur l'emplacement d'anciennes forêts dont les détritus ont composé un humus fécond. Ils forment un collier d'oasis, disposé en cercle autour du désert, réunies entre elles par un fil qui est la route. Comme en Égypte, la surface cultivée est insignifiante par rapport aux sables qui l'entourent ; mais, loin de se concentrer tout entière le long d'un fleuve, elle se disperse en fragments sur autant de cours d'eau différents qui, au lieu de les rapprocher les uns des autres, les éloignent au contraire. Le nombre de ces fragments est considérable, rangés sur deux lignes, les plus grands à la lisière de la plaine, les plus petits en arrière dans les premiers replis des monts. Nous en évaluons la superficie totale à 15.500 kilomètres carrés. L'oasis de Kachgar a 2.650 kilomètres carrés, celle de Yarkend, 2.100, celle de Khotan, 1.600, celles d'Aksou et d'Outch-Tourfan ensemble, 1.500. Nous en comptons trente autres dépassant 50 kilomètres carrés. Toute cette étendue n'est pas cultivée, car chaque oasis comprend des espaces déserts, marais, sable, gravier, lits de rivières. C'est sur ces territoires restreints qu'est réunie toute la population agricole et urbaine, dont la densité moyenne atteint approximativement 116 au kilomètre carré. La distribution en est fort inégale : près de 60 p. 100 sont ramassés entre Kachgar et Khotan, plus de 88 p. 100 à l'ouest de Koutcha et de Kéria. Plus on va vers l'est, plus les oasis diminuent en nombre et en grandeur, moins au pied du Tien-chan que de l'Altyn-tagh où elles ne sont plus que des points de verdure p.320 très rares, perdus dans les sables à cent lieues de la ville la plus proche. Dans l'intérieur du Tien-chan, la série septentrionale se prolonge dans les bassins du Bagrach-koul, de Tourfan, de Koumoul, séparée par la masse du Pé-chan du prolongement de la série méridionale sur les bords du Sou-lo-ho (Touen-houang, Ngan-si) ( HYPERLINK \l "carte_ht" voir la carte hors texte en couleurs).
Fig. 49. L'oasis de Khotan
d'après Dutreuil de Rhins et A. Stein.
1. Gravier ; 2. Dunes et sable ; 3. Forêt ; 4. Marais. 5. Limite des cultures ; 6. Routes ; 7. Ravins ; 8. Canaux. 9. Bazars et villages ; 10. Mazar (sanctuaires musulmans) ; 11. Ruines. Échelle : 1:600.000.
Au sortir du désert, un singulier enchantement vous saisit à voir ces îles de verdure, le réseau frais des canaux, l'éclat blanc et rose au printemps des abricotiers en fleurs, l'ombrage profond en été des peupliers et des saules. Les essences des forêts de la plaine étant impropres à la construction et les futaies du Tsoung-ling ou du Tien-chan trop éloignées, les indigènes ont planté des files serrées d'arbres le long des canaux et des chemins. Au reste il n'y a ni bois ni prairies ; ce ne sont que vergers, jardins potagers, champs de blé et d'orge, de melons et de luzerne, grands maïs où l'homme disparaît. Les eaux bourbeuses et noires frétillent d'insectes, la poussière sèche racle la gorge, voile le ciel et laisse rarement apercevoir entre les branchages les hautes murailles bleues et le faîte neigeux des montagnes (fig. 49 ; pl. LVI. A et B).
LVI. A et B. L'oasis de Kéria (Turkestan chinois).
D'après Dutreuil de Rhins, Mission scientifique dans la haute Asie. Leroux, Paris.
Les habitations sont en général dispersées dans la campagne. Çà et là on rencontre une double rangée d'échoppes en appentis, alignées à droite et à gauche de la route. C'est un bazar, lieu de marché et de foire, désert en temps ordinaire, p.321 fréquenté une fois la semaine par les gens des alentours et les marchands de la ville. Quelquefois des artisans ou cultivateurs établis à demeure près de ces boutiques forment un véritable village (kent), et dans chacune des grandes oasis une agglomération plus considérable constitue une ville (chahar), le plus souvent de 4.000 à 8.000 habitants. Yarkend, la plus importante de ces villes, compte 60.000 âmes ; Kachgar, 35.000 ; Khotan, 26.000 (fig. 50) ; Aksou, peut-être 20.000.
Fig. 50. Khotan à vol d'oiseau.
Vue prise du vieux fort vers la Grande Mosquée, d'après Dutreuil de Rhins.
Toutes se ressemblent entre elles et ressemblent aux villes du Turkestan russe, avec moins de richesse et d'élégance. L'aspect en est peu flatteur : rues tortueuses, étroites, maisons basses de torchis, au toit en terrasse, surmontées parfois d'un frêle étage de treillis de lattes ; nul monument digne de mention, quelques mosquées d'assez noble apparence sans valeur artistique. Au centre, un plafond de nattes dépenaillées ombrage les rues bordées d'échoppes, où se presse le jeudi une cohue inextricable et bruyante d'hommes et d'animaux.
Dans les oasis principales, à côté et à quelque distance de la cité musulmane, généralement ouverte, s'élève la ville chinoise, quadrilatère de murs à créneaux, percé aux quatre faces de portes imposantes dont les poutres vivement coloriées, les tuiles vernissées, les toits recourbés sont conformes au modèle commun dans tout l'empire. L'intérieur, coupé de rues droites en croix, saisit les narines de l'odeur sûre et putride qui fait reconnaître la Chine aux aveugles. Là sont réunis les yamen des fonctionnaires, les casernes des troupes, les magasins à enseignes verticales des rares marchands de la race dominante. p.322
Le genre de vie. Les maisons indigènes sont quelquefois de briques séchées au soleil, presque toujours d'argile mêlée de paille, avec une charpente de saule ou de peuplier. En hiver, sur la plaine dénudée, elles paraissent des tas de terre grise confondus avec le sol. Le trait caractéristique en est l'aïvan, sorte d'atrium, à la fois antichambre et salon ; les chambres l'entourent, et le plafond laisse une très grande ouverture carrée que recouvre, à deux ou trois pieds au-dessus, un toit supporté par des colonnettes entre lesquelles passent l'air et la lumière. Cette disposition se retrouve dans les ruines anciennes. Elle est un souvenir de la tente primitive. Dans la tente et dans la maison l'ouverture du sommet porte le même nom, tounglouk.
Demeures pour la plupart malsaines, sans vitres ni plancher, étroites, obscures, humides, sentant le moisi, meublées de feutres et de couvertures usés, de coussins graisseux, entourées de tas d'immondices et de mares artificielles d'eau croupissante. Aussi les gens s'y tiennent-ils le moins qu'ils peuvent ; ils passent leur temps sur la terrasse ou sur le seuil, quand ils ne promènent pas dans la rue leurs vêtements sales, râpés et déchirés, peu faits pour embellir les goitres, les ventres énormes et les jambes gonflées, dont la fréquence offusque la vue du voyageur.
Ces vêtements ne diffèrent de ceux du Turkestan occidental que par des nuances, notamment par la moindre vivacité des couleurs : longue chemise et larges caleçons de coton blanc ; surtout descendant à la cheville, ouvert par devant, en coton de couleur. Les fourrures, la soie de Boukhara, le drap anglais ou russe sont réservés aux riches, mais beaucoup de femmes, même de condition modeste, s'habillent de soieries de Chine.
Au point de vue de la nourriture, trois faits ont un intérêt géographique particulier. La base en est le pain de froment ou de maïs, qu'ignorent Chinois, Mongols et Tibétains ; par lui le Turkestan oriental se relie à la civilisation méditerranéenne, et c'est parce qu'ils en sont originaires que les musulmans de la Chine du Nord ont perpétué pour eux seuls la fabrication et l'usage du pain, parmi les mangeurs de macaroni et de pâte cuite à la vapeur. Confinés dans des oasis sans pâturages, les agriculteurs du Turkestan restent pourtant attachés à la consommation des laitages, par quoi ils s'opposent radicalement aux Chinois. Le pilaf de riz, d'un emploi moins commun, est également caractéristique. De Perse il s'est répandu avec les Turcs dans toute la partie du monde musulman qu'ils ont couverte, de Constantinople à l'Inde, et s'y renferme exactement.
Le sol des oasis est divisé en un grand nombre de petites exploitations tenues par des paysans propriétaires ou fermiers, dont la situation souvent précaire touche parfois à l'extrême pauvreté. Les grands propriétaires les accablent de leur prépondérance sociale et du pouvoir que leur confèrent les fonctions publiques dont ils ont le quasi-privilège. Ils doivent leur crédit moins à leur richesse médiocre qu'à leur cohorte de domestiques, à leur clientèle de fermiers, à leur armée de débiteurs, qui, enchaînés par l'usure, ne peuvent presque jamais s'acquitter, à moins de tomber dans la corporation des mendiants. Ceux-ci pullulent par dizaines de mille, organisés en syndicats dont les présidents veillent à l'équitable répartition des aumônes. Leur métier n'a rien de dégradant. Figurants nécessaires de la pièce de la création, on les traite avec une bonhomie fraternelle, et pour l'indigène leurs haillons pittoresques ont quelque chose de la majesté divine. Parmi les débiteurs insolvables, beaucoup vont coloniser les terrains p.323 nouvellement ouverts à la culture et les champs encore dépeuplés de la Djoungarie. Pour échapper à leur sort besogneux, la plupart des gens du peuple ne rêvent que de se faire marchands comme les personnages des Mille et une Nuits, et ils le seraient s'ils pouvaient amasser le pécule nécessaire. Mais le capital est rare, et nul commerçant n'a grande envergure. Tel est établi à son compte avec une mise de fonds de trois shillings, et la même somme suffit à nourrir une famille honorable durant une semaine. En somme, c'est une population misérable ; son air de contentement et d'aisance vient de son insouciance que secourent un soleil bienveillant et la fumée du chanvre.
Agriculture. Elle tire sa principale ressource du travail des champs. Les cultures supportent des altitudes très hautes : coton à Sandjou par 1.930 mètres, maïs à Saïbagh par 2.260, blé à Polour et à Loutch par 2.560 et 2.900, orge à Kara-saï par 3.070. Mais c'est dans la plaine au-dessous de 1.500 mètres que les exploitations les plus importantes sont concentrées ; en premier lieu, le maïs, qui rend de 30 à 80 hectolitres à l'hectare, puis le blé, qui donne jusqu'à 30, peut-être 15 en moyenne. Le riz est plus rare. Les légumes abondent, surtout l'oignon, la carotte, le navet et la courge. Parmi les fruits, excellent l'abricot, le raisin, la pomme, le melon et la pastèque. On les conserve en les séchant au soleil ; le raisin sec de Tourfan et le melon sec de Koumoul sont particulièrement réputés ; les abricots séchés donnent lieu à un grand commerce. Les raisins, simplement suspendus au plancher, se mangent frais jusqu'en avril. Signalons encore les mûres, que le Tien-chan limite au Nord, les grenades, qui prospèrent dans les oasis les plus méridionales. Le lin et le sésame fournissent de l'huile à manger et à brûler ; des feuilles du chanvre on prépare le hachich, et de ses fibres, des cordes. Le coton, assez répandu, sert à fabriquer un tissu rude et solide.
L'indigène travaille la terre avec soin, quoique de façon primitive. Pour labourer, il use d'un araire dont le soc ressemble à un fer de lance ; il moissonne à la faucille. La grande affaire est l'aménagement des canaux et la distribution de l'eau. Des fonctionnaires spéciaux y sont commis. Du reste, le système employé est très simple, fruit d'un sûr empirisme, jeu favori des enfants. En amont de chaque oasis, une ou plusieurs artères maîtresses, oustang, sortent de la rivière et donnent naissance le long de leur cours à de nombreux aryk, où les riverains pratiquent les saignées nécessaires à leurs champs. Ce n'est pas l'eau qui manque, il y en a quelquefois trop : des marais étendus se rencontrent entre les oasis, sans parler de ceux qui bordent le Tarim. Nul doute qu'une exploitation plus savante ne puisse gagner des espaces importants à la culture.
Élevage. Sauf quelques champs de luzerne, le fourrage fait défaut pour le bétail. L'élevage se fait dans les maquis qui longent le cours inférieur des rivières et surtout dans les montagnes. Partout les premiers plans du haut pays sont arides et poudreux ; mais à mesure qu'on s'élève l'herbe apparaît de moins en moins rare, sèche d'abord, jaune et clairsemée, puis de plus en plus verte, drue et savoureuse. Dans l'Altyn-tagh, les véritables pâturages ne couvrent qu'une zone étroite de 12 à 25 kilomètres entre 2.500 et 3.500 mètres. Sur le versant oriental du Pamir, les pâtis sont plus larges, interrompus seulement par les crêtes des chaînes. Dans le Tien-chan, ils restent assez pauvres sur le p.324 versant qui regarde la Kachgarie, mais, une fois la première grande chaîne passée, ils comptent parmi les plus excellents et les plus vastes de l'Asie et s'étendent jusqu'aux pentes qui descendent sur la Djoungarie. Les moutons innombrables, à grosse queue, à laine médiocre, mais riches en chair et en graisse, les chèvres, les bufs et vaches de faible valeur, les yaks enfin sont les animaux les plus uniformément répandus. La région de Khotan et la dépression de Louktchoun nourrissent un mouton à petite queue, dont la laine est d'une finesse remarquable ; Tourfan produit le meilleur duvet de chèvre de l'Asie. L'élevage des chevaux prospère dans le Tien-chan. Les plus réputés sont ceux des Mongols Torgouts, dont le marché est à Karachahr ; à l'Ouest, ceux des Kyrghyz, moins rapides, plus lourds, ont une résistance et une sûreté de pied admirables. Le chameau se plaît dans les mêmes montagnes : c'est le chameau de Bactriane, à deux bosses et de très grande taille, qui supporte mal la chaleur. Il descend au Sud jusqu'aux environs de Koukyar. Dédaigné des Mongols et des Kyrghyz, l'âne est élevé par les Dounganes de Djoungarie, les pâtres de l'Altyn-tagh, les riverains du Tarim.
Industrie et mines. Peu d'intérêt s'attache à l'industrie, réduite à une foule de petits métiers sans valeur. Nous mentionnerons seulement les étoffes de coton, qu'on tisse un peu partout et dont il existe 12.000 métiers à Khotan, les feutres d'Aksou et de Khotan, très inférieurs à ceux des Kyrghyz, les tissus de soie, assez mauvais, et les tapis de laine et de soie de Khotan.
Bien que les ressources minérales du Sin-kiang n'aient pas été régulièrement prospectées, elles apparaissent considérables. Les monts du nord-ouest de la Djoungarie contiennent du quartz aurifère, du charbon, de l'asphalte. Le Tien-chan est riche en houille. Des exploitations très primitives s'échelonnent tout le long de ses pentes. Au Nord et près de Khouldja, une mine qui donne quelques milliers de tonnes par an aurait, selon Mouchketov, une puissance de cent millions. Au sud de Chi-ho et de Manas, on extrait l'anthracite, qui existe également dans la vallée du Mouzart. À 60 kilomètres nord-ouest de Kou-tcheng, la houille gît à fleur de terre. Celle de Kandjougha, ouest de Kachgar, est très propre à la fabrication du coke. On a reconnu un développement exceptionnel des formations anciennes de charbon dans la vallée de Fou-kan au nord-est d'Ouroumtchi. La série pétrolifère du Ferghana se prolonge en Kachgarie jusqu'à Kou-tcha. Des sources de naphte coulent en divers endroits, entre autres au sud-ouest et non loin d'Ouroumtchi ; de ce naphte on graisse les essieux des chars. Le cuivre se trouve en minerais de haute teneur tout autour de Kachgar, près de Maralbachi, d'Aksou, de Baï, de Koutcha, d'Ouroumtchi. Des fonderies locales le traitent au charbon de bois. Les monceaux énormes de scories que l'on rencontre le long de la route montrent que la production, réduite aujourd'hui à 20 tonnes, était plus importante autrefois. Les procédés rudimentaires d'exploitation ne permettent plus de supporter la concurrence des objets fabriqués d'Europe, et les chaudronniers locaux ont avantage à prendre pour matière première de vieilles casseroles d'importation.
Le Pé-chan abonde en charbon, qui est exploité sur quelques points, ainsi que l'or, l'argent et le zinc (près de Kyzyl-Sangir), malgré l'extrême désolation de ce système montagneux. Dans les monts Tsoung-ling, on a signalé le fer et le charbon en amont de Yangihissar, le cuivre à Koukyar, p.325 le cuivre, le fer, le pétrole sur le haut Yarkend-daria, le plomb argentifère dans le Sarykol.
Chez les anciens Chinois, le Tsoung-ling et l'Altyn-tagh étaient renommés pour leur jade, pierre magique qui a donné son nom aux rivières Karakach et Youroungkach, c'est-à-dire « Jade noir » et « Jade blanc ». On continue à tirer cette pierre du lit de plusieurs cours d'eau, comme des schistes micacés à hornblende des monts voisins de Khotan, et à la travailler en petite quantité dans cette ville.
Mais l'Altyn-tagh est avant tout la montagne de l'or. Du haut Karakach à Bokalyk on ne compte pas moins de vingt et un gisements qui sont exploités ou l'ont été. Ils sont dispersés sur une distance de 1.050 kilomètres, mais quinze se concentrent sur 400 kilomètres, de la région des sources du Youroungkach à Kapa. Les uns, comme Soourgak, sont logés dans les conglomérats postpliocènes ou, comme Kapa, dans les schistes argilo-talqueux des pentes nord de l'Altyn-tagh ; les autres, en arrière de cette chaîne, sur le haut plateau, ou même, dans les schistes du pied nord de l'Arka-tagh près du 87e méridien, par 4.500 mètres d'altitude. Ce dernier gisement paraît être le plus riche ; on en tire l'or à 1 mètre de profondeur, tandis qu'à Kapa on creuse à 80 mètres et à Soourgak à 200. Quoique la teneur en minerais dépasse un peu celle des sables aurifères de Sibérie, le mode d'extraction par lavage et vannage donne de très faibles résultats, moins d'une tonne par an. Le principal de la production provient de Soourgak, Kapa et Bokalyk. Nous rangeons ici la mine de Bokalyk, située dans le Tsadam mongol sur un affluent du Baternoto, à trente jours de Tchertchen, parce qu'elle est exploitée, comme toutes les autres, par les indigènes du Turkestan.
Les routes. S'il a quelques possibilités d'avenir, le Turkestan oriental a, jusqu'à présent, été trop pauvre pour entretenir un grand commerce. Du moins jouissait-il à cet égard d'un avantage singulier. Il offrait la meilleure porte ouverte dans le rempart montagneux qui sépare de la Chine l'Iran et la Méditerranée, la voie la plus directe entre les deux civilisations, peu éloignée sur toute sa longueur du 40e parallèle, la seule qui fût pratique et à peu près à l'abri des barbares septentrionaux. Il n'en a pas tiré le bénéfice qu'on en pouvait attendre. Des dernières grandes villes de l'Iran, Samarkand ou Balkh, à Si-ngan (Tchang-ngan), l'ancienne capitale chinoise, le chemin était long : plus de 5.000 kilomètres, dont une grande partie par des montagnes difficiles et des solitudes arides. Joignez les obstacles politiques, les invasions des nomades coupant les communications, la Chine prudente et inquiète n'entr'ouvrant qu'avec précaution le guichet qui lui servait à épier l'univers étranger, plus tard l'intolérance musulmane. Partant, cette route n'eut pas l'importance de transit qu'on lui prête. Elle a dû son immense renommée au peu d'usage qu'on en faisait. Un halo de légende l'environnait. En dépit des services qu'elle a rendus avant le développement de la navigation, en dépit des échanges et des emprunts mutuels qu'elle a rendus possibles entre les mondes suspendus à ses deux bouts, elle n'a pu rompre le cercle d'enchantement où vivait l'empire du Milieu (fig. 51).
Fig. 51. Routes du Turkestan et du Tibet.
1. Grandes routes actuelles ; 2. Routes anciennes ; 3. Grande route de l'époque des Han ; 4. Route selon Ptolémée ; 5. Itinéraire de Hiouen-Tsang ; 6. Itinéraire des pèlerins bouddhistes entre la Chine et l'Inde (il existe de cet itinéraire plusieurs variantes qu'on n'a pas indiquées ici) ; 7. Route de Marco Polo ; 8. Route de Plan Carpin et de Rubrouck. 9. Ruines. 10. Voies ferrées. Échelle : 1:30.000.000.
Les auteurs de notre antiquité classique parlent du Touran oriental, qu'ils appellent Scythie d'outre-Imaüs ou quelquefois Sérinde, d'une manière très vague et incertaine. Ptolémée le décrit cependant avec latitudes et longitudes p.326 à l'appui, ainsi que l'itinéraire suivi par les caravanes qui apportaient la soie de Chine à Babylone, Tyr et Alexandrie. Ses renseignements ne sont que de quatrième main ; mais, si l'on corrige ses erreurs évidentes, élargissement du Pamir dans la proportion de 24 à 9, doublement de la différence en latitude entre Kachgar et le pied du Tien-chan, on tire de son texte une carte ressemblante où l'on reconnaît le Pamir (massif des Komèdes, Kouo-min-to des Chinois), le Tsoung-ling (Imaos), le pays de Kachgar (¬Ã¹± ÇÎÁ±), le Tien-chan (monts Audzaciens), l'Altyn-tagh (monts Kaciens), le Tarim (Oïkharde, Er-kiu des Chinois) qui, conformément à la légende, va se réunir au fleuve Jaune. L'itinéraire surtout est remarquablement exact. Il faut seulement admettre que, dans une partie au moins de son texte, Ptolémée confond deux routes différentes. L'une allait à l'est de Bactres par le Badakchan vers la gorge des Komèdes, c'est-à-dire l'entrée du Ouakhan, et de là à Kachgar par Tachkour-ghan. L'autre montait du pays sogdien au Pamir par Garm (±½¬²±Ã¹Â Ä·Â Äɽ ¿¼µ¹´É½ ¿Áµ¹½®Â) et, franchissant le poste frontière de la Tour de Pierre (Irkechtam), rejoignait la précédente à Kachgar. Là on rompait charge, et l'on formait de nouvelles caravanes à destination de la Chine, d'où le nom d'¿Á¼·Ä®Á¹¿½ donné à cette ville, seul marché signalé par les Annales des Han. De là, on passait par Koutcha, Issédon scythique, ville principale de la Scythie ultérieure à proximité de la résidence du commissaire impérial, par Touen-houang, Issédon sérique, chef-lieu des régions scythiques dépendant directement de la Chine et situées à l'intérieur de la Grande muraille ; enfin par Lan-tchéou (Thagoura), sur le fleuve Jaune, on arrivait à Tchang-ngan, Sera metropolis. Telle était en effet la route officielle chinoise qui contournait au Nord le Lob-nor par le poste et le village de Leou-lan dont Hedin a exhumé les ruines. La trace des chariots et des chevaux de bât est encore gravée dans la croûte de sel de l'ancien lac, et Stein a retrouvé, semés le long du chemin, les sous de bronze tombés d'un sac crevé il y a quinze cents ans. Il fallait sept mois de la capitale à la frontière ; les marchandises ne parvenaient donc à Babylone et à Tyr qu'après l'année révolue.
Une autre route beaucoup moins fréquentée, suivie par Hiouen-Tsang et Marco Polo, joignait Khotan à Tcharghalyk (Lop de Polo) et, par le sud du lac, atteignait Touen-houang. D'autre part, elle reliait Khotan avec l'Inde par Tachkourghan.
L'an II de notre ère fut inaugurée la voie du Nord, qui, à travers le Pé-chan, gagnait Koumoul, Barkoul, longeait le pied septentrional du Tien-chan par Kou-tcheng, Manas, pénétrait dans la vallée de l'Ili et se dirigeait sur Tokmak. Elle était destinée à supplanter les autres ; elle n'avait à franchir que 370 kilomètres de désert ininterrompu entre le Sou-lo-ho et Koumoul, tandis qu'on en compte plus de 900 de Touen-houang à Kourla, 1.200 du même point à Nia, si l'on néglige les petites oasis de Tcharghalyk et de Tchertchen, incapables de ravitailler de grandes caravanes.
De notre temps, les fonctionnaires et les voyageurs ne connaissent plus que l'itinéraire septentrional, qui met Ouroumtchi à 4.116 kilomètres de Pékin, Kachgar à 5.360. À Koumoul, une branche s'en sépare sur Tourfan, Karachahr et Kachgar. À Toksoun une traverse relie les villes de Kachgarie à Ouroumtchi, capitale de la province. Ce ne sont que des pistes naturelles, praticables cependant aux arabas, chariots à deux roues, à un cheval pour les voyageurs, à quatre chevaux pour les marchandises. À chaque étape de 35 kilomètres en moyenne, p.327 un langar, cour carrée entourée de chambres, fournit un abri, l'eau d'un puits, du foin, de la paille, des grains et de la volaille.
Les convois marchands préfèrent la voie du Gobi, qui de Kou-tcheng pique au Nord jusqu'aux monts Baïtik, puis tourne à l'Est vers Koukou-khoto et Pékin. Quoique presque déserte, elle a l'avantage d'être beaucoup plus courte, 2.600 kilomètres de Kou-tcheng à Pékin, au lieu de 3.900, et d'assurer aux chameaux une pâture convenable et peu coûteuse. Kou-tcheng, disposant de grands herbages dans ses environs, a ainsi remplacé Barkoul comme terminus des caravanes. Devenu le principal centre de triage du commerce avec la Chine, il relie les régions occidentales de l'empire aux marchés européens. Au surplus, les prix et la durée des transports sont presque prohibitifs ; il en coûte 29 livres sterling pour une tonne, de Kou-tcheng à Pékin, 40 de Kachgar ; un convoi ne parvient guère à destination avant huit ou douze mois.
Un service postal dont le centre est à Ouroumtchi a été organisé et pénètre dans les localités les plus écartées. Une lettre met douze jours de la capitale de la province à Kachgar, quarante-cinq à Pékin, trente à Londres. Le télégraphe suit la grande route mandarine, Pékin, Lan-tchéou (Koo-lan), Tourfan, où il bifurque, d'une part, sur Kachgar frontière russe, et KachgarKhotan, d'autre part, sur Ouroumtchi avec embranchements sur Ili, Tchougou-tchak, Kobdo. Il existe plusieurs stations de T. S. F., notamment à Ouroumtchi et à Kachgar.
Si l'histoire et la politique ont jeté le Turkestan oriental vers la Chine, la nature le porte vers la Transoxiane à laquelle le rattache la communauté de murs et d'origine aussi bien que la facilité des communications. Khouldja est à 410 kilomètres de Viernyi, Ouroumtchi, à 1.000 ; 491 kilomètres seulement et douze jours et demi séparent Kachgar de la gare d'Och par le col de Taldyk (3.575 m.) aujourd'hui carrossable. Une autre route de 300 kilomètres mène de la même ville à la douane russe de Narynsk.
L'Inde est beaucoup moins bien partagée. Il y a quelques années, elle n'avait p.328 d'autre moyen de communication que le chemin, seul autorisé par la Chine, de Yarkend à Lé, Srinagar et la gare de Rawal-Pindi : 1.300 kilomètres et quarante-six jours. Extrêmement rude et difficile de bout en bout, il traverse pendant neuf jours une solitude montagneuse épouvantable, des glaciers monstrueux, les cols routiers les plus hauts du monde (Karakoram, 5.600 m.) (pl. LXIV. A), dont trois
LXIV. A. Le col de Karakoram, côté sud.
sont impraticables aux chevaux chargés. Les neiges le bloquent de novembre à février, et le reste de l'année les caravanes sont rares qui le parcourent sans perte et sans accident. On prend 30 roupies par cheval jusqu'à Lé seulement (700 km.) ; il faut en plus un yak pour franchir les cols de Kilian ou de Sandjou, un autre pour le Sasser, un troisième pour le Kardong, soit 10 roupies, en tout 330 roupies la tonne. Après avoir nettoyé les nids de brigands de l'Inde Nord-occidentale, les Anglais ont ouvert dès 1893 une autre route, utilisée depuis peu, qui met Kachgar à trente-cinq jours et à moins de 1.200 kilomètres de Péchaver par Tachkourghan, les cols Ouakhdjir et Baroghil, les pays de Mastoudj, Tchitral et Dir. Elle se rapproche beaucoup de l'itinéraire généralement suivi par les anciens pèlerins bouddhistes.
Commerce extérieur. La Chine tire du Turkestan l'or et le jade ; elle y vend tout ce dont ont besoin ses nationaux établis dans le pays et, à l'usage des indigènes, les soieries et le thé de monopole en briques. La proximité et le traité de 1880, qui accordait la franchise douanière aux provenances de Russie, avaient assuré la première place à cet empire sur les marchés locaux. Le total des échanges par les douanes de Bakhty, Djarkent, Narynsk, Irketcham, Issygh-koul se montait à environ 10 millions de roubles-or , dont 5.600.000 à l'exportation en Russie (tissus de coton, feutres, tapis, laine de Khotan, duvet de Tourfan), 4.400.000 à l'importation de Russie (cotonnades, velours et soieries de Tachkent, bétail, sucre, fonte, fer, cuivre, quincaillerie, bougies, allumettes). La situation troublée des républiques soviétistes et la fermeture de la frontière par les Chinois ont supprimé provisoirement ce commerce, qui commence à renaître depuis le nouveau traité de 1924. Le trafic avec l'Inde porte sur environ 3 millions de roupies : à l'importation, cotonnades de fantaisie, peaux de chèvre tannées teintes en rouge, sucre, épices, thé, indigo et couleurs, objets métalliques ; à l'exportation, laine, duvet de chèvre, tapis, feutres, hachich, thé chinois pour le Ladag. Des lingots d'argent compensent l'infériorité des exportations. L'Afghanistan vend de l'opium (875.000 roupies) et des chevaux du Badak-chan, achète des tissus de coton et des soieries de Chine.
Depuis un demi-siècle les obstacles d'ordre politique à l'activité commerciale du Turkestan oriental sont tombés, les obstacles provenant de la distance ont diminué. Il n'en est rien résulté, parce que les nouvelles voies de Mongolie et de Sibérie ont changé les courants du trafic désormais orienté vers Moscou. Le pays est resté un cul-de-sac qui n'a aucune valeur de transit. La situation ne se modifiera qu'avec le développement de l'Asie antérieure.
Relations avec l'Europe. Jusqu'à une époque récente, la contrée qui nous occupe est restée enveloppée de mystère et n'a eu avec l'Europe que des rapports lointains et indirects. Dans l'antiquité, les négociants d'Occident n'en p.329 savaient rien que par leurs commissionnaires et leurs caravaniers. C'est par les Sogdiens et les Perses qu'ils obtenaient la soie de Chine. Le mazdéisme et le manichéisme y entrèrent par l'entremise des mêmes Sogdiens ; le christianisme y pénétra sous sa forme orientale et en quelque sorte aberrante, le nestorianisme. Les géographes arabes du moyen âge se contentèrent de renseignements de seconde main. Il en fut autrement des Chinois, qui dominèrent le pays, avec d'assez longues intermittences, de la fin du IIe siècle avant J.-C. à la fin du IVe de notre ère et du VIIe au Xe. Leur conquête eut surtout pour effet de les mettre en contact avec la Bactriane et l'Inde. Ils en reçurent le bouddhisme, l'art ecclésiastique du Gandhara et avec lui l'influence hellénistique, qui, transportée comme par une série d'écluses, vint en Chine transformer l'art national. Tel fut le grand rôle des routes de Kachgar et de Khotan, principales sinon uniques voies de communication entre l'Église chinoise et les sanctuaires de l'Inde. Les moines qui les suivirent, Fa-Hien au Ve siècle, Song-Yun au VIe, Hiouen-Tsang au VIIe, employaient des années à accomplir leurs missions, et l'un après l'autre décrit les régions traversées, avec le même air d'émerveillement et d'étrangeté. C'est que la Chine gouvernait de haut et de loin ; elle ne cherchait pas à rapprocher les peuples dont l'éloignement était confirmé par l'apparat singulier des ambassades indigènes qui, de temps à autre, se rendaient à la cour impériale.
L'empire de Tchinghiz-khan et de ses successeurs brisa les vieux cadres, ouvrit tout larges les chemins. Le Vénitien Marco Polo fut le premier Européen qui parcourut les déserts et les villes du bassin du Lob-nor, Kachgar, Yarkend, Khotan, Kéria, Tcharghalyk, Cha-tchéou (1273). Son compte rendu, sobre, juste, précis parut un conte. D'autres Européens allèrent en Chine à la même époque, tous passèrent par l'Inde et la mer. Cependant Richard de Bourgogne établit en 1338 un évêque catholique à Ili-balygh (Iliiskoïé) ; les musulmans le massacrèrent l'année suivante avec deux franciscains italiens à Almalyk près de Khouldja. Venu de Pékin, Jean de Marignola restaura l'église d'Almalyk, mais elle disparut définitivement après son départ en 1342. Remplaçant les Yuen mongols, la dynastie purement chinoise des Ming (1360-1644) se calfeutra dans un nationalisme étroit, abandonna le Turkestan au fanatisme musulman et ainsi ferma la porte à l'Europe. En 1603, le jésuite portugais Bento de Goes réussit à passer du Pamir à Kachgar par Tachkourghan ; il visita Yarkend, Maralbachi, Aksou, Koutcha, Tourfan, Koumoul, et alla mourir à Sou-tchéou en 1607, déclarant la route impropre au commerce. Après l'avènement des Mantchous, les jésuites de Pékin étendirent leurs études géographiques à cette région, et les pères d'Arocha et d'Espinha, topographes de l'armée de l'empereur Kien-Long, rectifièrent la carte par des observations astronomiques assez exactes (1756). Quelques Russes purent pénétrer dans ce qu'on appelait alors la Petite Boukharie : Trouchnikov en 1713, envoyé par le gouverneur de Sibérie, les frères Athanasov en 1790. Plus inhospitalier que jamais dans les deux premiers tiers du XIXe siècle, le Turkestan oriental vit périr l'Allemand Adolphe Schlagintweit, un des meilleurs explorateurs de l'époque, mis à mort à Kachgar par ordre du khodja Ouali-khan en 1857, et l'Anglais Hayward, assassiné en 1868. En descendant du Ladag à Khotan en 1865, Johnson fit moins un voyage d'étude qu'un coup d'audace aventureux. Cependant quatre missions russes sont accueillies à Kachgar de 1858 à 1872 : Valikhanov, Ost-Saken, Reinthal, Kaulbars. En 1868, p.330 Robert Shaw commence ses travaux excellents. En 1873, la mission Forsyth, envoyée par le gouvernement de l'Inde à Yakoub-bek, dresse le premier inventaire méthodique du pays, auquel les voyages de Kouropatkine et de Prjevalsky en 1876 apportent une utile contribution. Enfin, après le retour des Chinois en 1878, les explorateurs européens eurent le champ libre, et leurs travaux, dont on trouvera ci-après une liste écourtée, firent du Turkestan oriental un des pays connus avec le plus de précision dans ses traits essentiels.
Groupes ethniques. La dernière occupation chinoise n'a pas plus que les précédentes modifié la population du bassin du Tarim. Il n'y a pas eu de tentative de colonisation. Les Chinois sont rares, ils n'amènent pas leurs familles et se tiennent généralement à l'écart, fonctionnaires, employés, soldats, marchands, exilés, et quelques aventuriers qui vivotent de jeu, de brocante, d'occasions. Dans toutes les oasis qui s'alignent sur 700 lieues au pied du Tien-chan, du Tsoung-ling et de l'Altyn-tagh, de Koumoul à Kachgar et Khotan, on rencontre le même peuple avec le même type, la même langue, la même religion, les mêmes coutumes, le même vêtement, la même maison, le même genre de vie. Cependant les indigènes ne se donnent aucune dénomination ethnique commune. Chacun porte le nom de sa ville. Ils n'ont pas davantage de mot pour désigner la contrée qu'ils habitent ; ce sont les Européens qui l'appellent Turkestan. Les indigènes n'appliquent le mot turc qu'à leur langue, qui avec quelques nuances est celle des Sartes de Tachkent et de Samarkand, c'est-à-dire le turc oriental ou djagataï, tel à peu près qu'il fut fixé à la cour des descendants de Tamerlan. Ce peuple, auquel on pourrait donner le nom de Sartes orientaux, comprend environ 1.800.000 individus, dont 1.100.000 sont concentrés entre Kachgar et Khotan, 1.600.000 à l'ouest de Koutcha et de Kéria ( HYPERLINK \l "fig042" fig. 42).
Issus des gens de la plaine, les pâtres de l'Altyn-tagh ne s'en distinguent pas. Au contraire les pâturages forestiers qui longent au milieu du désert les rivières de Yarkend, de Kachgar, de Khotan et de Kéria sont habités par des bergers de souche turque, les Doulans. Leur langue ne diffère pas de celle des oasis, mais ils disent appartenir à la tribu kiptchak des Kazaks, et en effet ils ont un type nettement turc : pommettes saillantes, fente étroite des yeux, barbe rare et noire. Leurs femmes portent des turbans semblables à ceux des femmes kyrghyz. Leurs demeures quadrangulaires sont faites d'une grossière charpente de toghrak, dont les larges intervalles sont bouchés de bottes de roseaux. Ils sont au nombre de 50.000 environ, et 3.000 d'entre eux sont installés dans l'oasis de Kourla comme agriculteurs. Sur le bas Tarim, une dizaine de mille Loplyks de type également turc vivent dans des cabanes semblables parmi l'eau et les roseaux, et des roseaux autant que de la pêche : car cette plante leur fournit également la matière du logement, du chauffage, du couchage et de l'alimentation. Ils ont contribué dans ces dernières années à repeupler l'oasis de Tcharghalyk. Le gouvernement chinois a doté leur très pauvre région d'une sous-préfecture au petit village de Doural, qui tient lieu de l'antique Leou-lan.
Dans l'épaisseur du Tsoung-ling, la haute vallée plate du Sarykol, nulle part au-dessous de 3.000 mètres, a conservé une peuplade Tadjik qui parle un dialecte iranien, voisin de celui du Ouakhan. C'est l'extrême limite orientale atteinte par cette famille linguistique. Surtout pasteurs, les Sarykolis entretiennent de maigres champs d'orge en terrasses près de leurs hameaux, dont le principal est p.331 Tachkourghan, remarquable par le fort chinois qui couronne l'éperon de la montagne.
Ce canton excepté, tous les pâturages, qui s'étendent à l'ouest du Karakach-daria sur le versant oriental du Pamir, sur le versant méridional du Tien-chan jusqu'à Outch-Tourfan, dans la vallée du Taouchkan-daria et au sud du Tekkès, appartiennent aux Kyrghyz de l'aile droite, proches parents des Kazaks et parlant un dialecte turc particulier. Les Russes les appellent faussement Kara-Kyrghyz. Ils demeurent dans des tentes de feutre rondes, dites kara uï, à cause de leur couleur foncée, par opposition aux tentes mongoles de même forme, mais blanches (ak uï). Quoique officiellement musulmans, ils ont gardé beaucoup des pratiques d'autrefois : le culte du feu, du tonnerre, des montagnes, qu'ils honorent par des crânes de chevaux, des cornes de chèvre et des haillons suspendus à des perches, des bois sacrés, près desquels ils tiennent des lampes allumées. Ils restent fidèles à leurs vieilles coutumes, à leur droit antique de famille et de clan, et ils continuent à mener leurs troupeaux sur les pâturages héréditairement assignés à leurs familles respectives. Comme la plupart des nomades habitués aux grands espaces, ils se distinguent des peuplades défiantes, renfermées dans les vallées écartées, par l'accueil ouvert qu'ils font volontiers à l'étranger qui passe. On les évalue à 50.000 à peu près, sans compter quelques milliers établis dans la vallée de Khouldja.
Au delà des Kyrghyz, leurs frères, les Kazaks Kireïs, que nous avons déjà vus en Mongolie, ont occupé dans l'ouest du Sin-kiang une partie de la place faite par le massacre des Djoungares au XVIIIe siècle. Répandus de l'Altaï au Tien-chan à l'ouest de 91°, ils comptent 20.000 tentes en territoire chinois.
Tous les Mongols du Sin-kiang y ont été établis par la Chine après sa dernière conquête du pays en 1759. Ce sont en général des Torgouts, branche la plus occidentale des Mongols Djoungares. Au commencement du XVIIe siècle, ils avaient émigré et s'étaient installés entre le bas Oural et la basse Volga. Gênés par le développement de l'autorité et de la colonisation russes, ils revinrent en Chine en 1771 après une extraordinaire odyssée de six mois, ayant perdu les trois quarts de leur bétail et 160.000 hommes sur 400.000. Aujourd'hui ils paissent leurs troupeaux dans l'est du Tarbagataï, sur le versant nord du Tien-chan entre l'Ébi-nor et Manas, dans les monts de Khouldja, dans les vallées du Tekkès, du Grand et du Petit Youldouz et sur la pente des monts de Karachahr. Ils groupent environ 25.000 tentes. Leur chef, qui a le titre de ouang, réside à Tsagan-oussou, au sud de Chi-ho, dans un palais de bois et de briques. Bouddhistes comme tous les Mongols et plus misérables encore, ils sont toujours en querelle avec leurs voisins Kireïs, qui leur sont très supérieurs et empiètent constamment sur eux. Afin de se défendre, ils bloquent les passages conduisant à leurs prairies du Youldouz et n'y laissent venir que quelques marchands dounganes de Karachahr pour leur vendre leurs peaux de marmottes et leurs cornes de cerf. La riche vallée de Borotala est occupée par des Mongols Tchakhars, plus propres et plus prospères, qui y ont été transplantés au début du XIXe siècle.
Transformée après la chute de la puissance djoungare, la population sédentaire de la Djoungarie, du Tarbagataï et de la vallée de l'Ili a été de nouveau remaniée après la révolte musulmane de 1862-1877. Actuellement les cultivateurs issus du bassin du Tarim (Tarantchis) constituent presque les deux tiers des habitants de la plaine de Khouldja. Ils sont en nombre considérable dans p.332 les villes, villages et fermes du pied septentrional du Tien-chan, dans le Tarbagataï et jusqu'à Chara-soumé au pied de l'Altaï. Mais dans toute cette région la majorité appartient aux Dounganes ou musulmans chinois. Ceux-ci, émigrés du Turkestan oriental, principalement au XIVe et au XVe siècle, dans le Kan-sou et le Chen-si, s'y sont métissés, ont adopté la langue, le costume et beaucoup des murs de leur entourage. Malgré les massacres qui ont suivi l'écrasement de leur insurrection, ils ont maintenu ou repris une grande part de leurs positions. Très actifs, ils sont mal supportés de leurs voisins, qui leur font une réputation d'insolence, de ruse et de rapacité. Ils sont artisans, boulangers, aubergistes, commerçants, usuriers, sorciers, mais aussi agriculteurs. Ils dominent à Ouroumtchi et à Barkoul et forment d'importantes colonies dans le nord-est du Turkestan, à Koumoul, Tourfan, Toksoun, Karachahr.
Dans la plaine de Khouldja, la dynastie mantchoue victorieuse avait installé des colons mantchous des tribus Sipou et Solon, dont les descendants comptent à peu près 25.000 individus. Enfin les Chinois proprement dits se sont multipliés au nord du Tien-chan, non seulement dans les villes comme Ouroumtchi, Manas, Kou-tcheng, mais aussi dans les campagnes où ils occupent une grande quantité de fermes et des villages entiers. Ce mélange de peuples hétérogènes et antagonistes donne à la Djoungarie un air d'inquiétude qui contraste vivement avec la tranquillité plaisante du bassin du Tarim.
Le chiffre de la population de la Djoungarie est incertain. L'évaluation effectuée en 1923 par l'administration des postes donne avec vraisemblance pour le Sin-kiang entier 2.520.000 habitants. La densité moyenne serait donc de 1,6 au kilomètre carré. Mais nous avons vu combien la répartition en est inégale. Il y a d'immenses territoires complètement inhabités à côté de pâturages, très vastes encore, à population clairsemée et d'une poignée de cantons minuscules et surpeuplés.
L'administration chinoise. Après s'être débarrassé de Yakoub-bek, le gouvernement de Pékin réunit le Tien-chan-pé-lou, le Tien-chan-nan-lou et le Tarbagataï, auxquels il ajouta plus tard le district de Chara-soumé, pour en faire une nouvelle province (Sin-kiang), administrée de la même manière que les provinces de la Chine propre. Il lui donna pour capitale Ti-hoa que les musulmans connaissent sous le nom mongol d'Ouroumtchi. La position de cette ville présente pour les Chinois de multiples avantages : elle commande les passes praticables à l'artillerie, qui joignent la route du Nord à celle du Sud ; elle surveille de près l'instable Djoungarie ; elle ne s'enfonce pas assez dans les territoires indigènes pour risquer d'être coupée de la métropole ; son site montagneux et désertique la rend facile à défendre et écarte le danger d'une trop forte banlieue agricole. Néanmoins elle se développe beaucoup. Carruthers en 1912 lui attribuait 70.000 habitants avec le faubourg indigène. La cité elle-même se distingue par son enceinte de 5 kilomètres, sa haute muraille, ses six portes à trois étages, l'aspect chinois de ses rues, ses boutiques bien pourvues, plusieurs théâtres et une usine électrique.
La province comprend six préfectures (tao-yin) : Ti-hoa, Ili, Aksou, Kachgar, Ta-tcheng (Tchougoutchak), Altaï (Chara-soumé), et quarante et une sous-préfectures (hien). Les postes administratifs inférieurs sont seuls confiés à des indigènes, bek, mingbachi, yuzbachi. Tandis que les fonctionnaires chinois p.333 se réservent la justice criminelle, les kazi musulmans rendent la justice civile conformément à la chériat. On ne peut nier les bienfaits de l'administration chinoise. En dépit de certains abus, elle assure l'ordre et la paix, adoucit la tyrannie des aristocrates locaux, écarte des fonctions religieuses les docteurs trop intolérants, encourage la mise en culture de terrains déserts ; elle a l'impôt léger et laisse les gens vaquer tranquillement à leurs affaires. Elle a prouvé sa force et sa capacité politique en maintenant intacte son autorité malgré la révolution qui a agité la métropole et les troubles qui ont ébranlé le pouvoir central. Bientôt l'événement fera éclater une vérité qui peut sembler encore un paradoxe : il aura appartenu à la Chine de ramener cette population, cousine attardée de l'Europe, dans le rythme de notre civilisation.
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CHAPITRE IV
LE TIBET
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p.334 Une masse de montagnes sans égale sépare le Turkestan oriental des Indes. Elle s'étend d'un seul bloc du Pamir aux vallées du Kan-sou et à la plaine du Sseu-tchouan sur 33 degrés de longitude ; sa moindre largeur du nord au sud est de 520 kilomètres, sa plus grande de 1.360 immédiatement à l'est du Lob-nor ; sa superficie dépasse 3 millions de kilomètres carrés. Compte tenu de son altitude, elle a deux cents fois le volume des Alpes suisses. C'est un faisceau de chaînes serrées à peu près parallèles, figurant sur la carte la silhouette d'un oiseau couché sur l'Inde, dont la tête, formée par le Pamir, allonge à l'Ouest un grand bec qui est l'Hindou-kouch. Le cou se replie au Sud-Est, rétréci entre le Pendjab et la plaine de Yarkend ; la ligne de l'Himalaya marque la courbe du ventre, tandis que l'Altyn-tagh dessine le dos relevé au Nord-Est, et la queue retombe en éventail au Sud-Est jusqu'à l'Indochine. Le gros de la masse est occupé par les Tibétains, mais la bordure presque entière, surtout l'Ouest et le Nord, leur échappe. Il serait cependant mal à propos de morceler la description d'un ensemble physique qui, bien que composé de fragments d'époques diverses, constitue aujourd'hui un tout clairement défini (fig. 52).
Laissons de côté le Pamir qui, partagé entre l'Afghanistan et les républiques du Tadjikstan et du Kyrghyzistan, sort du cadre de ce chapitre. Il résulte d'ailleurs des mêmes mouvements qui ont suscité le Tien-chan et l'Hindou-kouch. Notons seulement ici qu'il représente une image réduite du Tibet dont il est l'humble appendice. Il en reproduit fidèlement les deux aspects essentiels : d'un côté, larges vallées plates très élevées, de l'autre, gorges longues profondément creusées par les rivières. Mais l'image est renversée : les gorges pamiriennes descendent à l'Occident, les tibétaines à l'Orient. En outre la médiocre largeur du Pamir a permis à l'érosion remontante de drainer tout le plateau, à l'exception de deux lacs témoins, alors que la moitié du Tibet reste le domaine de bassins fermés.
Fig. 52. Carte hypsométrique de la Haute Asie.
Altitudes : 1. Au-dessous du niveau de la mer ; 2. De 0 à 500 mètres ; 3. De 500 à 1.000 mètres ; 4. De 1.000 à 2.000 mètres ; 5. De 2.000 à 3.000 mètres ; 6. De 3.000 à 4.500 mètres ; 7. Au-dessus de 4.500 mètres ; 8. Himalaya ; 9. Pics de plus de 8.000 mètres dans l'Himalaya et le Karakoram ; 10. Pics de 7.000 à 8.000 mètres hors de l'Himalaya et du Karakoram. Les cotes représentent les points culminants des diverses régions.
Échelle : 1:25.000.000
I. LE TSOUNG-LING
À l'est, des montagnes de direction perpendiculaire, Tsoung-ling des Chinois, Bolor de nos vieux géographes, barrent le Pamir et forment le rebord occidental de la dépression du Tarim. Le ridement en latitude du plateau vient en partie y buter, en partie s'y raccorder par une conversion semblable à celle de l'Hindou-kouch. Quatre chaînes parallèles constituent le Tsoung-ling, qui s'étend p.335 sur une largeur de 120 kilomètres et une superficie équivalente à celle des Alpes franco-italiennes. Elles faisaient l'effroi des pèlerins bouddhistes obligés de les traverser pour se rendre de la Chine dans l'Inde : ils disaient que leurs sommets étaient à mi-chemin du ciel. Une rangée de croupes desséchées les précède, tout près des oasis de la plaine. Ses grès et conglomérats éocènes prolongent les couches analogues du Ferghana et attestent la pénétration de la mer tertiaire du bassin aralo-caspien dans la région de Yarkend. En arrière s'élèvent les monts de Kilian, où s'ouvrent, dans la direction du Cachemir, les cols très difficiles de Kilian et de Sandjou, tous deux à 5.000 mètres. Au Nord, les passages s'abaissent au-dessous de 4.000 mètres, mais la crête est toujours aiguë, les pentes d'une raideur extraordinaire, et les roches, micaschistes et schistes paléozoïques, démembrées à l'extrême. Puis suivent deux chaînes de gneiss et granité entre des bandes dévoniennes. La première, entaillée par les cols Khandar (5.060 m.) et Giyak (3.980 m.), a des pics de 6.300 mètres et une arête en lame de couteau. La seconde et la plus puissante de toutes, qu'on peut appeler chaîne de Kachgar, se distingue par une altitude plus grande au Nord qu'au Sud. Du Markam-sou à la rivière de Tachkourghan, elle présente une série continue de glaciers et de pics supérieurs à 6.000 mètres. Les deux Koungour comptent parmi les plus hauts de l'Asie (7.660 et 7.680 m.). Isolé un peu en arrière de la ligne de faîte, se dresse à 7.440 mètres l'énorme massif gneisso-granitique du Mouztagh-ata, centre d'une étoile de glaciers. Au Sud, dans la muraille orientale du Sarykol, les sommets ne dépassent guère 5.600 mètres. Les cols déclinent de même : Ouloughart, 5.150, Karatach, 4.980, Serghak, 4.600. Enfin la chaîne plus jeune du Sarykol, qui monte par endroits à 6.000 mètres, ouvre des passages moins élevés : Sarytach, 4.400, Nizatach, 4.500, Payik, 4.000. Moins longue que les précédentes, elle forme partage entre l'Oxus et le Tarim ; mais à ses extrémités septentrionale et méridionale les affluents du Yarkend-daria la débordent de 70 à 150 kilomètres. Ses calcaires carbonifères et triasiques la rattachent au Pamir. Elle s'articule d'un côté aux rides perpendiculaires du Rang-koul et du Mouztagh (au sud du Petit Pamir) ; de l'autre, elle est séparée de la chaîne de Kachgar par de larges vallées planes qui sont des Pamirs véritables : Petit Kara-koul au Nord (3.400 m.) et Taghdoumbach au Sud (4.500-3.100 m.) (fig. 57).
Fig. 57. Le Tibet.
Échelle : 1:15.000.000.
À l'Est, au contraire, l'aspect pamirien ne se retrouve que par exception dans les plateaux de Tchitchitlik et de Yamboulak. L'ensemble du pays figure un chaos de précipices étroits, sinueux, balayés de torrents furieux après la fonte des neiges, la plupart impraticables, dominés de 3.000-4.000 mètres par les cimes voisines. La gorge du Ghez s'enfonce même à 5.000 mètres au-dessous du Koungour et franchit les trois chaînes avec une pente moyenne de 15 p. 1000. Toutes les rivières du Tsoung-ling, après avoir suivi plus ou moins longtemps des vallées longitudinales, font des coudes brusques pour percer les montagnes à leur droite. Le Tachkourghan, avec le Yarkend-daria qui prolonge sa direction, coupe perpendiculairement d'une tranchée continue le système tout entier (pl. LIV. A).
LIV. A. Contreforts du Mouztagh-ata. Dans le Turkestan chinois oriental.
LIV. B. Pont sur le Youroungkach (Khotan). Dans les monts Karanghou-tagh.
II. PLAN ET GÉOLOGIE DES CHAÎNES TIBÉTAINES
Au Sud, le Tsoung-ling incline à l'est-sud-est. Ses deux chaînes centrales se nouent à un pic de 7.000 mètres, source du Tiznab, point où passe la ligne du plus grand resserrement des plis. Elles forment l'Altyn-tagh, qui garde la p.336 même direction jusqu'au col Kyzyl près de la rivière de Kéria. Du Kachgar-daria à ce col, la barrière du Turkestan décrit une courbe concave au nord-est, que Suess a appelée l'Arc de Yarkend. Au delà, l'Altyn-tagh oblique à l'est-nord-est et se divise en plusieurs branches qui, vues en plan, paraissent disposées les unes sur les autres comme des écailles. Elles augmentent graduellement en nombre : trois sur le Kéria-daria, quatre avant le Tchertchen-daria, six ou sept plus loin. Elles divergent ensuite pour encadrer la grande cuvette du Tsadam. Les septentrionales vont se raccorder au Nan-chan, avec lequel elles dessinent depuis Kéria un vaste arc de cercle concave au sud, dont le centre serait dans la région de Manipour. Les méridionales se rattachent par les monts Djoupar à la chaîne septentrionale du Tsin-ling. La ligne de faîte dont elles font partie, ininterrompue de la rivière de Kachgar à l'extrémité du Tsin-ling, se développe sur plus de 3.600 kilomètres.
L'Altyn-tagh constitue le rebord septentrional du plateau tibétain, comme l'Himalaya en est le méridional. À quelque distance au sud et parallèlement, court sur le haut de la table une autre chaîne, généralement plus élevée, dite tantôt Oustoun-tagh, « la montagne d'en haut », par opposition à Altyn-tagh, « la montagne d'en bas », tantôt Arka-tagh, « la montagne d'arrière ». Dans l'état actuel des explorations, elle semble commencer sur la rive droite du Yarkend-daria, à quelque 50 milles de la source, et disparaître à l'ouest dans l'étranglement des plis tibéto-himalayens. Elle se termine à l'Est avec les monts Min-chan et la chaîne méridionale du Tsin-ling. C'est elle que les géographes modernes, en la confondant d'ailleurs partiellement avec l'Altyn-tagh, ont appelée Koennliun, vieux nom chinois d'une montagne mythique que l'imagination des lettrés a promenée du Pacifique à l'Asie centrale. Géologiquement, elle se distingue par l'absence du noyau gneissique et granitique qui lie l'Altyn-tagh au Tsoung-ling, mais elle appartient au même fond de schistes et calcaires paléozoïques, particulièrement dévoniens.
Au Sud, les roches mésozoïques remplacent les paléozoïques. La branche septentrionale de l'Hindou-kouch, venue de l'ouest-sud-ouest, exécute à partir de la source de l'Oxus une conversion vers l'est-sud-est, se continue par les monts Aghil entre le Chagskam et le Yarkend-daria et rejoint le col Karakoram. À mesure que se relâche la compression entre le Pendjab et le bassin du Tarim, de nouveaux plis parallèles naissent, divergent, se multiplient jusqu'à une dizaine, forment entre l'Oustoun-tagh et l'Aling-gangri un éventail dont les calcaires crétacés couvrent la partie la plus déserte du plateau. Cette zone atteint sa plus grande largeur vers le 86e méridien, se rétrécit à l'est, en même temps que l'Oustoun-tagh et l'Himalaya se rapprochent. Ses plis se rattachent aux monts orientaux du Tibet, Koukou-chili, Dongbouré, Dzagar, Tang-la, Tatsang-la, qui se prolongent au loin dans le domaine des grands fleuves en s'infléchissant de plus en plus au sud. On en ignore la constitution géologique ; on croit cependant pouvoir attribuer à la même formation mésozoïque les calcaires et grès rouges qui prédominent entre le haut Salouen et le haut fleuve Bleu jusqu'au 99e méridien.
Au sud de ce deuxième faisceau de chaînes, nous en distinguons deux autres avant d'atteindre l'Himalaya : le faisceau Karakoram-Himalaya et le faisceau Ladag-Zanskar. Le premier comprend la chaîne du pic K2, la plus élevée, usuellement dite Karakoram, bien qu'elle n'ait rien de commun avec le col de ce nom. On a proposé de l'appeler Karakoram-Himalaya. Elle se raccorde à p.338 l'Hindou-kouch méridional (col Darkot), continue au Sud-Est par le col Saser, rejoint dans la boucle du Chayog la chaîne du Rakipouchi, suite des monts du Tchitral, borde à l'Ouest le lac Pangkong, bifurque pour former au Nord l'Aling-gangri, au Sud la rangée du Kailas, qui longe le Tsangpo successivement à gauche et à droite. Entre les deux, couvrant la région des grands lacs, un nouvel éventail de chaînes assez irrégulier a reçu de Sven Hedin le nom peu satisfaisant de Transhimalaya. Toutefois nous le conserverons provisoirement. Au dernier faisceau enfin, véritable Transhimalaya, appartiennent les monts Zanskar, qui s'alignent à peu de distance en avant de l'Himalaya, et plus au Nord la ligne de faîte du Heramoch ou du Ladag, qui suit la droite de l'Indus, puis sa gauche, et se prolonge au sud du lac Manasarovar et du Tsangpo. Ici comme plus haut, les plis croissent en nombre à mesure que l'Himalaya descend en latitude, et diminuent quand il remonte. Toutes les chaînes tournent comme l'Himalaya du sud-est à l'est-sud-est et à l'est, la conversion s'opérant d'autant plus rapidement que la chaîne est plus septentrionale.
Avec l'orientation, la nature des terrains change. Des deux côtés du haut Indus règne du nord-ouest au sud-est une zone de roches anciennes, large de 200 kilomètres. Elle comprend diverses bandes en long, dont la figure 53 indique la nature, avant d'atteindre les massifs gneissiques et granitiques de l'Himalaya. L'Indus lui-même est comme un fil dans un ruban éocène, qui à l'Est, quand les plis prennent une direction plus orientale, s'épanouit en une large bande de calcaires, de grès, de roches volcaniques, andésite, liparite, basalte. Cette bande touche au Nord à la région crétacée et au Sud à une zone de grès jurassique qui occupe la plus grande partie du bassin du Tsangpo jusqu'au versant cristallin de l'Himalaya.
À l'extrémité orientale du Tibet règnent des formations différentes. Dès que les plis prennent le sens du méridien, au sud de 32°, le granité apparaît en quantités massives. Sur la route de Ba-tang à Ta-tsien-lou, les couches sont disposées en rubans nord-sud, alternativement cristallines et paléozoïques, du Carbonifère au Précambrien. Au sud de 30°, le Salouen court entre des schistes anciens et des gneiss associés aux phyllades. Le pays lolo est silurien-dévonien, avec façade gneisso-granitique à l'Est. De même les Alpes du Sseu-tchouan dressent leur axe de granité et de gneiss au-dessus du bassin Rouge, et en arrière, parallèlement, des bandes paléozoïques s'alignent dans la direction nord-est. Nous ne savons comment à l'Ouest elles se relient aux plis nord-sud et aux plis ouest-est, mais à l'Est nous les voyons clairement s'aplatir contre le Tsin-ling. Nous rejoignons ici le faisceau septentrional des monts du plateau tibétain. Toute la contrée du fleuve Jaune supérieur et du Koukou-nor jusqu'au Nan-chan, qui ferme le Tibet au Nord-Est, se compose essentiellement de grès et schistes anciens, du Carbonifère au Silurien.
Ainsi, dans son ensemble, le bloc tibétain peut, au point de vue géologique, se comparer à une noix. La graine centrale, qui est la partie la plus développée, est mésozoïque avec une tranche éocène au milieu, la coque paléozoïque et l'écale gneisso-granitique au contact des massifs déprimés d'ancienne consolidation. Cette dernière condition manque au Nan-chan qui n'a pas de rebord cristallin.
Il convient d'insister sur l'extrême importance des formations volcaniques récentes dans le bloc entier. On les retrouve depuis les scories basaltiques de Gougourtlouk au sud de Kéria jusqu'aux volcans éteints des environs de Ta-li p.339 dans le Yun-nan. Le peu de précisions certaines que nous avons à ce sujet suffisent néanmoins, si on les rapproche des résultats des études de Hennig sur la contrée située au nord du Tsangpo, à nous ouvrir un vaste horizon à peine soupçonné jusqu'à présent. Toutes les régions sans exception abondent en sources chaudes sulfureuses et sont agitées de tremblements de terre fréquents et graves.
Fig. 53. Esquisse géologique de la partie occidentale du massif tibétain, d'après Hayden, Sven Hedin et Bogdanovitch.
1. Tertiaire récent (conglomérats, grès) ; 2. Éocène (grès, calcaires et roches volcaniques : lipante, andésite, basalte) ; 3, Calcaire crétacé ; 4. Grès jurassique ; 5. Permo-trias : grès calcaire et conglomérats dans le Sud ; calcaire carbonifère au nord de 36° ; 6. Schistes paléozoïques dans le Sud ; schistes et calcaires dévoniens au nord de 35° ; 7. Archéen, gneiss, granité. 8. Volcans éteints.
Échelle : 1:13.000.000.
Du Turkestan à l'Inde on a dix-huit chaînes à traverser selon la largeur la plus étroite et trente-six selon la plus grande. Monde énorme et sauvage de montagnes, aussi écrasant par la hauteur que par l'immensité, auprès duquel les Alpes apparaissent comme l'ornement d'un beau parc créé à la mesure de l'homme.
Fig.54. Coupe géologique de l'Altyn-tagh,
depuis la plaine du Turkestan (entre Tchertchen et Tcharghalyk)
jusqu'aux pentes nord de l'Arka-tagh, d'après Bogdanovitch.
q1, Dépôts de gravier et conglomérats ; a, gneiss ; b, schistes quartzeux cristallins ; c, grès rouge et conglomérats calcaires ; d, calcaires cristallins dévoniens ; d1, schistes argileux dévoniens ; e, schistes argilo-talqueux et argilo-gréseux dévoniens ; f, failles ; ³, granité ; ´, d'abase, diorite ; À, porphyre.
III. LE HAUT PLATEAU DU NORD-OUEST
L'Altyn-tagh et l'Oustoun-tagh. En montant du désert, on rencontre de larges ondulations de conglomérats et de grès rougeâtres (fig. 54), puis l'on entre dans une région d'escarpements nus, sans arbres, à pans immenses, de gouffres sauvages et sombres, qui ont valu à l'Altyn-tagh occidental le nom de p.340 « monts des Ténèbres », Karanghou-tagh. À 2.000 mètres de profondeur, des troncs de peupliers jetés par-dessus les rivières réunissent les flancs abrupts des gorges, distants de 25 à 45 pieds. Les forces de désintégration, exaltées par les variations extrêmes de température et par l'absence de couverture neigeuse, débitent les roches en grands quartiers qui s'accumulent sur les versants et dans les lits des torrents. De nombreux glaciers font une dentelle à la crête ; longs de 10 à 20 kilomètres, ils descendent entre 4.000 et 4.300 mètres, se terminent fréquemment par des murs de 200 pieds. Beaucoup plus bas, les anciennes moraines forment des plateaux couverts d'herbe et de dépôts de lss. Enfin, sur la ligne de faîte aux arêtes vives, aux brusques coupures, surgissent des pics de 6.000 à 7.300 mètres, entre lesquels les rivières taillent de profonds canons. Le Youroungkach coule au pied et à 4.300 mètres au-dessous du point culminant. Inaccessibles pour la plupart sont les cols, dont le moins élevé, le Kyzyl-davan, au sud de Kéria, ouvre par 5.150 mètres vers le Ladag un chemin exécrable, abandonné. Entre les rivières de Karakach et de Tchertchen, l'altitude moyenne approche de 5.800 mètres. Elle s'abaisse au delà, au-dessous de 6.000 pour les sommets, entre 4.800 et 4.300 pour les cols, dans la chaîne méridionale qui est la plus haute. La neige ne persiste toute l'année qu'au-dessus de 4.500 mètres sur les pentes septentrionales les plus humides, de 5.200 sur le faîte même. De 45 à 70 kilomètres seulement séparent les sommets de la plaine, alors que l'éloignement de l'Himalaya au plat pays atteint de 120 à 140 kilomètres. Toutes les rivières un peu importantes percent l'Altyn-tagh en décrivant un grand coude à l'Ouest et sans chercher à se réunir entre elles ; sur une même distance, cinq cours d'eau franchissent la chaîne, au lieu de deux dans l'Himalaya (pl. LIV. B et C).
Les diverses branches forment un escalier qui monte de la plaine. La dernière tombe au Sud comme un mur sombre et bas sur un plateau qui s'élargit d'Ouest en Est et se tient partout au-dessus de 4.700 mètres au sud de p.341 Kéria, de 4.300 au sud de Tchertchen. Les cuvettes lacustres s'y mêlent aux bassins fluviaux, mais elles règnent seules au delà du Tchertchen-daria. L'Atchyk-koul est un lac considérable, l'Ayagh-koum-koul, qui n'est plus qu'à 4.050 mètres d'altitude, mesure près de 600 kilomètres carrés, draine une surface sablonneuse de 20.000 kilomètres carrés, contigue au Tsadam. Au Midi, le plateau finit au pied d'une chaîne très différente, l'Oustoun-tagh ou Arka-tagh, succession de vastes dômes blancs et de glaciers, de masses arrondies de schistes effeuillés en milliards de débris criant sous les pas. S'étendant double ou triple sur une largeur de 30 à 40 milles, la chaîne ne le cède à aucune autre pour son altitude moyenne supérieure à 6.000 mètres. Les plus hauts points mesurés montent à 7.160 mètres (Deasy à l'Ouest) et à 7.360 (Dutreuil-de-Rhins à l'Est) ; ses cols dépassent en général 5.500 mètres. Dans sa plus grande partie, elle est une ligne de partage des eaux absolue, et les principaux affluents du Tarim en sortent. À ses deux extrémités seulement, le Karakach et le fleuve Jaune la traversent, phénomènes de capture. Si l'Altyn-tagh borne les établissements humains, agricoles ou pastoraux, les plus audacieuses entreprises des chercheurs d'or et des chasseurs du Turkestan s'arrêtent devant l'Oustoun-Arka-tagh.
Le haut plateau désert. Au delà néanmoins l'aspect général change peu. Des deux côtés, le même désert de haute altitude, plus inhumain que le Gobi et le Sahara, s'étend sur 800.000 kilomètres carrés entre le 75e et le 98e méridien, du Kandjout au fleuve Jaune supérieur, s'élargissant d'ouest en est jusqu'à 700 kilomètres. Une partie même de ce désert est la plus absolue des solitudes, où nul, voyageur ni chasseur, n'a jamais mis le pied. Région morte et sans bruit, point paralysé du corps planétaire. Le silence, qu'effleure à peine en été le murmure presque imperceptible des ruisseaux, est brutalement rompu dans la matinée par le hurlement du vent d'ouest, qui se déchaîne comme un fleuve forcené dans le vide de l'espace ; il croît en violence jusqu'aux premières heures de l'après-midi, puis il tourne au nord, s'apaise, et le soir tombe, muet et sinistre.
p.342 De vastes vallées, qui de haut paraissent unies comme un plancher, se déploient en latitude entre des montagnes aux cimes neigeuses, aux formes lourdes et ramassées, largement étalées. Elles se succèdent du nord au sud dans une désolation morne, avec le même modelé monotone, empâté, uvre des forces de dénudation extraordinairement actives et de l'accumulation des sédiments que n'entraîne point un drainage insuffisant. Les différences de niveau sont médiocres, mais l'altitude absolue est la plus élevée du monde : la moyenne des cols et des fonds atteint respectivement 5.550 mètres et 5.180 à l'Ouest vers 80°, 5.400 et 4 980 au centre, 5 110 et 4 910 à l'Est vers 88°. Au sud de la chaîne maîtresse, à peu près égale à l'Oustoun-Arka-tagh, qui joint les deux cols Karakoram et Tang-la, et jusqu'à la chaîne de l'Aling-gangri exclusivement, le sol s'abaisse un peu, les vallées à 4.570 mètres, les cols à 4.900 dans la partie centrale. Le point culminant connu jusqu'à présent (Dutreuil de Rhins), situé dans la chaîne du Tang-la, mesure 6.800 mètres ; mais peu de sommets touchent 6.000 : la plupart montent de 300-400 mètres au-dessus des échancrures, aucun ne domine de plus de 2.000 les plaines avoisinantes (fig. 55).
Fig. 55. Coupe nord-sud du plateau tibétain.
Échelle des hauteurs : 1:400.000 ; des longueurs : 1:10.000.000.
Les glaciers sont très rares et faibles, à cause de la sécheresse, et la limite inférieure des neiges n'est nulle part aussi élevée : 5.500 mètres sur les versants septentrionaux, 5.700 sur les méridionaux.
Tandis qu'au nord de l'Arka-tagh le régime fluvial et le régime lacustre coexistent, celui-ci règne sans partage au Sud. Les vallées sont criblées d'innombrables mares vaseuses ou vasques claires, satellites des grandes nappes d'eau échelonnées le long des chaînes, qui atteignent au maximum 300 kilomètres carrés et 48 mètres de profondeur. Le bleu de saphir de leurs eaux éclate parmi les jaunes, les rouges et les bruns de l'espace. Les cuvettes taries, les traces d'ancien niveau jusqu'à 170 mètres au-dessus du niveau présent, la forte salinité des lacs dépourvus d'émissaire dénotent une diminution de volume considérable, due à l'exhaussement de l'Himalaya. Des indices tout à fait récents prouvent la persistance du dessèchement. La faiblesse des pentes et des précipitations atmosphériques, l'extrême rapidité de l'évaporation, la nature du terrain, qui absorbe la neige et la pluie avant qu'elles puissent s'écouler en ruisseaux, empêchent la formation de rivières importantes. Les maigres eaux courantes se confinent en quelques centaines de bassins fermés. Dénué de roches dures, même sur le versant des monts en dissolution, le sol est vaseux et mouvant pendant quatre mois, solide et gelé profondément le reste de l'année. Le Tibet entier est une éponge qui détient prisonnière une masse d'eau incalculable.
Il n'est guère de climats plus sévères : 10,1° de moyenne, 36° de minimum en octobre sous la latitude de la Syrie. Seul dans notre continent Verkhoïansk est pire ; encore est-il beaucoup plus chaud l'été, car ici les moyennes de juin, juillet et août descendent à 6°, 7°, 8°, et les minima à 13°, 10,7°, 6,2°. En été, les orages de grêle sont fréquents, la neige et la pluie tombent quelquefois, surtout sur les hauteurs. En automne et en hiver, l'air est lumineux et pur, sans rien, malgré le vent, de la brume de poussière qui voile la Mongolie.
Par comparaison ce pays fait paraître le Gobi fertile. Nulle végétation sur d'immenses espaces ; de loin en loin, quelques plantes basses, coriaces, velues, à racines singulièrement longues et tenaces, un peu de mousse et de lichen, de petits tapis serrés d'herbe presque toujours jaune, à brins très gros, très durs p.343 et très courts. Des spécimens végétaux d'une petitesse anormale se rencontrent jusqu'à 5.500 mètres, l'oignon Semenovi à 5.250. Cette flore, en majorité palé-arctique, se distingue par l'extrême brièveté de la tige, une fleur souvent unique et presque sans support au centre d'une rosette de feuilles aplaties contre le sol. Certaines plantes ont une partie ligneuse presque complètement souterraine ; parmi elles, le bourtsé (Tenacetum) qui sert de combustible. Le nombre des espèces est singulièrement restreint par rapport à celui des genres, règle commune des flores pauvres et spécialement des flores insulaires. Malgré l'indigence végétale, les herbivores ne manquent pas : yaks énormes hauts de 1,70 m., koulans de grande taille, que les Tibétains appellent kiang, antilopes et en particulier l'espèce pantholops propre au Tibet. On ne cesse de s'étonner qu'ils puissent vivre que pour admirer leur faculté de déplacement. En été on en voit de longues bandes et d'épais bataillons filer vers le nord-ouest. On sait que l'Equus hemionus, dont le kiang est la variété tibétaine, se trouve à l'état fossile dans toute l'Europe. Il en a été chassé par la concurrence et relégué dans les diverses parties désertes de l'Asie. De même le lièvre arctique, expulsé de presque tout notre continent par le lièvre brun, s'est réfugié dans les hauteurs des Alpes, de l'Altaï et du Tibet. L'exaltation de l'Himalaya a isolé ce dernier pays, en a fait une véritable île biologique, asile des vaincus de la lutte pour la vie : vingt-quatre espèces de mammifères, quinze d'oiseaux sont particulières à la région comprise entre l'Altyn-tagh et le Tsangpo.
À l'ouest de 79°, le régime lacustre est étranglé entre les rivières de l'Inde et du Turkestan, dont les sources se rejoignent. Le nombre des plis montagneux diminue graduellement, de manière que, malgré leur compression, le caractère tabulaire des intervalles subsiste, mais le profil des crêtes se découpe avec plus de vigueur : dans les monts Aghil, qui dominent la région en reliant le Karakoram à l'Hindou-kouch septentrional, un pic de 7.030 mètres avoisine un col de 4.650. La zone inhabitée va se rétrécissant, se réduit à 170 kilomètres au col Karakoram, à 130 au delà. De ce rétrécissement et du contact des sources les hommes ont profité pour tracer entre le Turkestan et le Tibet une piste de commerce qui franchit le Karakoram par 5.600 mètres. On n'en peut imaginer de plus terrible par l'altitude, le froid, la stérilité. Auprès des charognes éparses de leurs congénères qui la marquent, les bêtes des caravanes passent indifférentes, trop exténuées pour renifler sur la mort (pl. HYPERLINK \l "pl064a" LXIV. A).
Le Karakoram-Himalaya. Le nom de ce col célèbre a servi à désigner, sans distinguer les chaînes différentes, tout le relief qui s'élève entre Chayog, Indus et Gilgit. Relief prodigieux, qui, sur une surface comparable à celle des Alpes suisses, rassemble trente-trois pics supérieurs à 7.300 mètres, dont vingt-deux de 7.500 à 7.900, deux de 7.900 à 8.000, quatre de plus de 8.000. Ces derniers, Gacherbroum I et II, Broad peak, K2, se pressent, du sud-est au nord-ouest, sur 24 kilomètres de la chaîne Karakoram-Himalaya. Ils culminent au K2, cône presque régulier de glace et de calcaire émergeant jusqu'à 8.610 mètres d'une base granitique et gneissique. À 5 lieues, le sol est de 4.500 mètres plus bas, de 6.000 à 20 lieues. Seul dans le monde l'Everest est supérieur, mais ses environs comportent un moindre entassement de hautes cimes et surtout ne déploient point une telle immensité de silence et de désolation.
Plus encore que les altitudes, l'énormité des fleuves glaciaires saisit p.344 l'imagination. Nulle part, sauf aux pôles, il n'y a un pareil déroulement de glaces mouvantes. Sur plus de 300 kilomètres, des glaciers gigantesques couvrent une bande de 40 à 80 kilomètres, disposée sur les deux versants du Karakoram-Himalaya ou plutôt des deux côtés de la ligne de partage entre l'Indus et le Yarkend-daria. Ceux du Sud sont les plus vastes : le Sétchen a 75 kilomètres de longueur, le Baltoro 66, le Biafo et l'Hispar, qu'un seuil presque imperceptible fait communiquer par leur tête, 59 chacun, le Tchogoloungma 55. Ils couvrent à eux cinq 1.850 kilomètres carrés, et l'on en compte quatre cent quarante-neuf autres dont la superficie totale dépasse 8.000 kilomètres carrés. Le Rimou, source du Chayog, étendu sur 38 kilomètres au sud de la ligne de partage, pousse par-dessus celle-ci une langue qui donne naissance au Yarkend-daria. Les plus grands glaciers sont en général longitudinaux, glissent sur une largeur de 1.500 à 4.000 mètres par une pente moyenne de 1,5 à 5,4 p. 100, à une vitesse supérieure à celle des glaciers alpins, atteignant 1,77 m. par jour dans le Baltoro. Commençant entre 6.400 et 5.300 mètres, ils finissent d'autant plus bas qu'ils sont plus occidentaux, c'est-à-dire qu'ils reçoivent des précipitations plus abondantes : le front du Bagrot est à 2.672 mètres, celui du Rimou à 5.000. L'énergie du rayonnement solaire les soumet à une fusion intense qui explique à la fois les aiguilles, pinacles et pyramides innombrables, dont ils sont hérissés au-dessous de la limite des neiges perpétuelles, et les trente pieds de profondeur estivale des rivières qu'ils alimentent. C'est à l'activité de la fusion, jointe à la puissance des forces de transport, qui enlèvent les débris, qu'est due l'absence caractéristique de moraines frontales, malgré le développement des moraines latérales et médianes. Enfin le ramollissement par les eaux de fonte du limon des moraines quaternaires produit des éboulements continuels suivis d'énormes coulées de boue glaciaire, mêlée de pierres et de blocs, qui vont comme des torrents de lave balayer les basses vallées. Lors de la dernière extension glaciaire, tout le pays jusqu'à l'Himalaya était sous la glace. Aujourd'hui, les glaciers paraissent stationnaires, sujets seulement à des oscillations d'avance et de recul correspondant aux périodes de Brückner. D'une amplitude particulièrement faible, ces oscillations deviennent à peu près nulles dans les glaciers les plus longs et les plus complexes, comme le Baltoro qui ne reçoit pas moins de cinquante affluents transversaux, parce que les contributions non simultanées des diverses branches se compensent. Le dernier mouvement de retrait s'est manifesté entre 1906 et 1912, d'autant plus en retard que le glacier est plus oriental.
Entre les glaciers de l'Himalaya méridional et ceux du Karakoram le contraste est grand. Là, une glace claire bleuit parmi les forêts luxuriantes et les prairies peuplées de troupeaux, au pied de cimes de neige élégantes ; ici, ni arbres, ni pâturages : la glace invisible sous les décombres ou salie par la poussière des déserts, des tours et des obélisques de granité alignés en avenues de quinze lieues, une solitude absolue où l'on n'entend que le craquement de la glace mouvante et le tonnerre des avalanches (pl. LXIV. B et C).
LXIV. B. Le glacier du Baltoro (Karakoram-Himalaya).
LXIV. C. Le glacier du Baltoro, versant abrupt de droite.
A l'arrière-plan à gauche, Mitre peak (6.237 mètres).
Abaissement du plateau et apparition de l'homme. Tandis que de ce côté nous sommes arrivés au versant de l'océan Indien, au centre de la masse tibétaine la limite de la région déserte en reste bien éloignée. Peu à peu, sans modification appréciable du paysage, l'herbe se répand, toujours dure et courte, distribuée en mottes que séparent des trous gelés ou bourbeux. En quelques p.345 endroits favorisés, dès 34° de latitude à l'Ouest, 33°15 à l'Est, aux environs de 4.650 mètres, verdissent des bosquets de saules nains et d'onbous, sortes de tamaris (Myricaria). Les loups, les perdrix, les petits oiseaux apparaissent. En été, de rares tentes noires de pâtres tibétains dressent leurs silhouettes d'araignées jusqu'à 4.900 mètres, et même jusqu'à 5.300 à l'ouest de 80°. En l'hiver, la vie humaine ne dépasse pas la zone basse, qui s'étend au nord de la chaîne de l'Aling-gangri, entre le Salouen et le lac Pangkong, se prolonge et se termine par la vallée nord-sud du Chayog supérieur. Les fonds y ont une altitude moyenne de 4.500 mètres, sillon le plus profond des hauts plateaux, vestige d'anciennes vallées fluviales symétriques à celles de l'Indus et du Brahmapoutre, reconnaissables encore malgré le remblayage constant des dépressions. Le 85e méridien devait diviser les eaux du Salouen et celles de l'Indus. Le Bogtsang-tsangpo parcourt 250 kilomètres vers l'est avant de se jeter dans le Tsoring ou Dagtsé-tso ; puis, sur 150 kilomètres, se succèdent trois grands lacs communiquant entre eux, dont le dernier, Gyaring-tso, le seul salé et le plus étendu, mesure 1.800 kilomètres carrés. Il reçoit du Nord-Est la plus forte rivière des hauts plateaux, le Sa-tchou, qui naît près de la source du Salouen. À l'Ouest, un long chapelet d'étangs aboutit au Pangkong, déjà moins élevé (4.310 m.), aux bords duquel jaunissent les premiers champs d'orge. Ce lac curieux, enchâssé en d'immenses parois de roc nu, s'étire, tortueux et étroit, sur 150 kilomètres et couvre 595 kilomètres carrés. Le coude remarquable qu'il décrit résulte de sa situation à la charnière unissant les plis sud-est aux plis ouest-est. Il comprend en réalité une suite de cinq lacs reliés par des chenaux. C'est le plus occidental, le plus profond, le seul salé, réservoir commun, que les indigènes nomment Pangkong. Il est de 54 mètres inférieur à son niveau primitif et séparé par un simple seuil de 12 mètres d'un petit affluent du Chayog, dont les terrasses, qui le dominent à 100 mètres de hauteur, attestent l'ancienne puissance.
Des pics grandioses jalonnent la chaîne qui borde au Sud la longue dépression PangkongGyaring-tso : Aling-gangri, Koubambo, Chakandjam, évalués respectivement sans certitude à 7.000, 7.200, 7.660 mètres. Au delà, l'aire des bassins fermés continue, s'enfonce comme une poche où sont rassemblés la plupart des plus grands lacs du Tibet : Nam-tso, le « lac du Ciel », que les Mongols nomment Tengri-nor (1.950 km2), Mokiou (360), Kyaring (575), Tchigad, Ngangtsé (375), Dangra-youm-tso (950), Terinam (800), Tarog (450), Nganglaring (550). Il y a plus de vie hydrographique qu'au Nord, moins de cuvettes indépendantes ; huit ou neuf cours d'eau atteignent de 100 à 180 kilomètres et débitent en été un volume considérable. Coupés de leur ancien débouché à la mer, ils paraissent aussi, d'après leur orientation et la disposition du terrain, avoir été partagés autrefois par le 85e méridien entre l'Indus et le Salouen.
L'altitude moyenne des lacs s'élève à 4.700 mètres, et à 5.550 celle des cols d'où descendent, sur le revers du versant océanique, les eaux qui les alimentent. Le sol est donc plus haut qu'au Nord ; il forme une large saillie entre la dépression PangkongGyaring-tso et les vallées supérieures de l'Indus et du Brahmapoutre, semblable et équivalente à celle que nous avons observée de l'Oustoun-tagh au Tang-la (pl. LXII. A).
LXII. A. Vue du lac Tchigad-tso (hauts plateaux tibétains).
Le Transhimalaya. Cette saillie, figurant une courbe profonde convexe au sud, embrasse le système complexe du Transhimalaya qui peut être p.346 considéré comme une ramification du Karakoram-Himalaya, comprise entre les rangées de l'Aling-gangri et du Kailas. Dans les chaînes parallèles qui le constituent, parfois réduites à de simples tronçons, la direction sud-est de l'Himalaya occidental domine jusque vers 85°30', c'est-à-dire beaucoup plus loin que dans les régions septentrionales ; puis, après un rebroussement violent au Nord, analogue à celui qui s'observe deux degrés plus haut sur l'itinéraire Dutreuil de Rhins, elle fait place à l'orientation en latitude. Selon Sven Hedin, aucune chaîne continue ne sépare du Tsangpo la région lacustre. La ligne de partage passe d'une crête à l'autre, en se tenant assez près de 30° latitude nord, mais avec des sinuosités qui indiquent un commencement d'érosion régressive aux dépens du plateau. Pourtant cette ligne est géographiquement plus importante qu'aucune des chaînes du Transhimalaya. Elle sépare deux pays profondément différents ; elle relie entre eux les plus hauts cols et les plus hauts pics. Le Tchari-Mérou dresse sur le Nam-tso, à 7.066 mètres selon de Rhins, à 7.090 selon Ryder, sa masse noire si escarpée que la neige ne peut s'y accrocher. Trois autres sommets de 7.000 à 7.200 mètres ont été relevés à l'Ouest par la mission Ryder jusque vers 84°30'.
Le versant des lacs est le plus long ; il garde l'aspect que nous connaissons de nivellement monotone et désolé, de plaines étendues entre monts arrondis, usés, bien que dépassant de plus de 1.000 mètres les nappes d'eau. Rare est la roche vive, profonds les amas de détritus. Çà et là un groupe neigeux entouré de glaciers médiocres rompt l'uniformité, le plus souvent au bord des lacs. Le Dangra-youm-tso baigne le pied du Targo-gangri, point culminant (6.820 m.).
Du côté des fleuves, la déclivité moyenne est presque double (14,4 contre 8,2). Le pays se hérisse d'un pêle-mêle de crêtes, de pics, de gorges où prévaut la roche en place. La neige et la pluie plus abondantes favorisent une érosion vigoureuse qui creuse des ravins étroits, impraticables, rong, opposés aux tang, vallées larges et planes des plateaux. Les lacs sont petits, et leur eau est douce. Les troupeaux sauvages deviennent rares. Le climat moins rude et l'altitude diminuée des vallées permettent un peuplement moins clairsemé, la substitution aux tentes errantes des demeures fixes de pierres ou d'argile, entourées de cultures. Au vrai, la vie sédentaire commence sur l'autre versant dans les plis du Transhimalaya, mais elle s'y réduit à huit établissements, dont le principal est Sendja-dzong, village très chétif au sud du Kyaring-tso.
IV. LE TIBET MÉRIDIONAL
Le sillon Indus-Brahmapoutre. Entre la ligne de partage et l'Himalaya s'allonge une zone étroite où se concentre presque toute la population. Deux grands fleuves, l'Indus et le Brahmapoutre, naissant près l'un de l'autre et se tournant le dos, parcourent cette bande de terrain en sens opposé, parallèlement à la crête himalayenne, qu'elles vont percer à ses deux extrémités pour s'échapper au sud dans le Pendjab et dans l'Assam. L'origine d'un trait aussi remarquable de la face terrestre demeure incertaine. Il existe sans doute une dépression structurale ancienne empruntée par les fleuves, semblable et parallèle à la dépression Gyaring-Pangkong-Chayog. Mais l'état actuel résulte essentiellement du creusement subséquent par les eaux, et l'écoulement dans les p.347 plaines de l'Inde est un phénomène d'érosion régressive et de capture, favorisé par l'immense différence du volume des précipitations sur les deux pentes de l'Himalaya.
L'Indus. L'Indus naît sur le haut plateau désert sous le nom de Singgi-tchou entre deux chaînes du Transhimalaya. Il coupe celle de gauche et celle du Kailas, reçoit le Gartang après 350 kilomètres de cours, suit au Nord-Ouest le revers oriental de la chaîne du Ladag, la franchit à son tour par un coude raide et bref et en longe désormais le pied occidental, séparé à sa gauche de l'Himalaya par la seule rangée parallèle du Zanskar. Sa vallée va se rétrécissant et se creusant, mais conserve en général une surface plane assez étendue, et sa déclivité moyenne n'excède pas 2,8 p. 1.000 du confluent du Gartang à Skardo (645 km.). Tantôt les eaux s'épanchent, lentes et bourbeuses, dans un lit ample entre des bancs de sable blanc, tantôt se resserrent rapides et profondes, mais sans cataracte, sauf une chute de 6 mètres au-dessous de Kharmang.
Fig. 56. Coupe à travers le Cachemir et le K2, d'après Burrard.
Échelle des hauteurs : 1:400.000 ; des longueurs : 1:5.000.000.
Le Ladag. Réduit d'abord, depuis le Gartang, à un mince couloir étranglé entre les deux régions sans écoulement du Pangkong et du Roupchou, le bassin du fleuve s'élargit en amont de Lé et rassemble par le Chayog et le Chigar, par le Zanskar et le Sourou les tributs des glaciers du Karakoram-Himalaya et de l'Himalaya propre. Toutes ces vallées se ressemblent ; elles sont longitudinales, largement ouvertes, et n'ont le caractère de gorges qu'à la traversée des montagnes qui leur barrent le chemin de l'Indus. Leur plancher horizontal est encaissé entre de hautes parois de granité nu, presque verticales, que surmontent d'innombrables pointes grises à peine saupoudrées de neige. Les nuances s'effacent dans la vive lumière ; seule se distingue çà et là la tache verte d'une oasis minuscule, tête d'épingle coloriée sur un mur. Le sol est jonché d'énormes quartiers de pierre, couvert de cailloux, de sable, de détritus de toute forme et de toutes dimensions. Des dépôts fluviaux, restes d'un âge plus humide, font des terrasses à pic, hautes de 150 mètres, ou s'entassent au débouché des vallées latérales. Certains de ces dépôts, juchés à 1.200 mètres au-dessus de l'Indus, les roches en place de la montagne, criblées par l'eau de cavités sphériques, prouvent un soulèvement postérieur très récent. Comme le dit Filippi, des forces p.348 naturelles colossales se révèlent toutes vives et actives dans ce pays en voie de formation, qui n'a pas encore atteint son équilibre. La désagrégation se poursuit sous nos yeux ; chaque jour les fractures et les fissures fraîches s'ajoutent aux anciennes, les roches se fendent, éclatent, tombent. L'aspect change en peu d'années. C'est le résultat d'une radiation intense, d'un climat extrême par la sécheresse et les écarts de température. À Lé, par 3.500 mètres, l'oscillation annuelle n'est pas inférieure à 57°, de 37° à 20°. Si l'hiver n'y est pas plus rigoureux qu'à Kachgar, il est beaucoup plus long ; il gèle dès la seconde quinzaine d'octobre (moyenne du mois, 6°). Il ne tombe que 15 centimètres de pluie par an. Les sources manquent, hormis les thermales. Ce sont les glaciers et la neige qui entretiennent la vie. Dès que s'arrête la nappe de glace, un petit village apparaît. La limite inférieure des neiges permanentes monte de 4.200 mètres sur le versant sud de l'Himalaya à 6.000 sur la ligne K2Pangkong, s'élevant graduellement du sud-ouest au nord-est, plus haute dans les chaînes intérieures, sur les pentes méridionales. L'altitude dominante du Karakoram-Himalaya lui assure de riches précipitations qui nourrissent ses glaciers et leurs émissaires. Il n'est abrité de la mousson que par des barrières sensiblement plus basses. La moyenne des cols ne dépasse pas 5.300 mètres dans la chaîne du Ladag, 5.350 dans celle du Zanskar, 4.800 dans l'Himalaya, et le Zodji-la qui débouche sur Srinagar ne mesure que 3.400 mètres. Les pics se tiennent aux environs de 6.000-6.500, à l'exception d'un seul groupe dans l'Himalaya, le Nana et le Kana (7.139 et 7.090).
Malgré ces sources de vie, la contrée intermédiaire est fort indigente, masse de roches désolées où s'accrochent de loin en loin des buissons et un bétail également rabougris. Au point de vue biologique, elle appartient à la sous-région du Cachemir, moins paléarctique que le haut Tibet, moins orientale que l'Himalaya central. Les établissements humains se confinent au creux des vallées sous forme de maigres oasis dans un désert de pierre. Le Ladag ne compte pas un habitant sur deux kilomètres carrés (pl. LXI. A).
LXI. A. Lé et le château de l'ancien roi tibétain.
Le Baltistan. Le Baltistan, plus favorisé, n'en a que quatre fois plus. Là le pays commence à changer, comme les hommes. Les vallées s'enfoncent à 4.000 mètres au-dessous des sommets, les pins et les cèdres-déodars se montrent en rares petits bouquets sur le flanc des monts, les abricotiers donnent leurs fruits dans les jardins, les platanes ombragent les villages. On ne voit plus comme au Ladag, perchées sur les hauteurs les plus inaccessibles, les constructions de pierres de la religion bouddhique, monastères pareils à des forteresses, chapelles peintes en rouge, pyramides sacrées, dites tchorten, cellules de solitaires. Toujours tibétains de langue, les Baltis sont musulmans de religion et n'ont guère plus rien du type mongolique.
De Skardo à Bantchi, l'Indus hâte sa course dans une rainure profonde de 300 mètres et en 175 kilomètres descend de 2.180 à 1.400 mètres. Sur les pentes supérieures, à 1.300 mètres au-dessus de l'eau, un sentier ardu le suit à l'aide d'échelles. Tournant droit au sud, le fleuve franchit les chaînes qui le séparent de l'Inde par des défilés à peu près inexplorés. L'Himalaya, qui s'était beaucoup abaissé depuis les sources du Gange, se relève, selon un phénomène fréquent, au voisinage de ces cluses et culmine au Nanga-Parbat par 8.120 mètres, à 7.000 au-dessus du fleuve et à 22 kilomètres de distance. De même au Nord, en approchant des abîmes de la gorge du Hanza, la chaîne du Ladag s'exalte à p.349 7.397 mètres au Heramoch, et la chaîne Sud du Karakoram-Himalaya à 7.788 au Rakipouchi. De l'autre côté de la coupure Indus-Gilgit-Hanza, les mêmes chaînes se prolongent, le bassin de l'Indus se continue, mais le pays et la population sont tout autres : ravins étroits et colossaux, parsemés de forêts, habités par des Indo-Européens.
Le Satledj. Entre les sources de l'Indus et du Brahmapoutre s'intercale le haut bassin du Satledj dont les eaux mères, sorties du versant nord des monts Zanskar, alimentent le lac des Dieux, Manasarovar ou Mobang-tso, qui s'étend sur 490 kilomètres carrés. Relativement profond (49 m. en moyenne), il s'écoule en été seulement dans le lac voisin des Démons, Rakas-tal ou Logang-tso, qui lui-même n'a plus de lien superficiel avec le Satledj. Cette rivière en apparence sourd du sol 30 kilomètres en aval ; mais l'eau douce du Rakas-tal fait présumer qu'il existe une communication souterraine. Les deux lacs, encadrés de roches colorées, entourés de vastes prairies où paissent des milliers de brebis et de vaches, sont dominés au Sud par le pic Gourla-Mandhata, point culminant de la chaîne du Ladag (7.880 m.), au Nord par le Kailas (6.715 m.), blanc capuchon pointu sur un manteau de bure. Pour les Tibétains comme pour les Indiens, le Kailas, Kangringpotché, est le plus saint des monts, axe de l'univers, aux quatre faces de cristal, de saphir, de rubis et d'or. Le Gange sacré l'enveloppe de ses îlots naissants et se partage ensuite pour former l'Indus, le Brahmapoutre, le Satledj et le Karnali. Sans cesse de nombreux pèlerins viennent apporter l'hommage de leurs prières à la montagne légendaire, en faire le tour à pied et se baigner dans le lac Manasarovar, demeure des cygnes de Chiva (pl. LX. D).
LX. D. Le mont sacré Kailas (Tibet occidental).
Toute la région des cours supérieurs de l'Indus, du Tsangpo, du Satledj constitue un vaste plateau très peu articulé, se distinguant à peine du Nord tibétain. Mais le Satledj, plus puissant que les deux autres rivières, reçoit plus d'eau de la mousson, a une pente deux fois plus rapide que celle de l'Indus (1.550 m. sur 300 km. des lacs à Chipki) et a creusé dans la couverture de débris une très profonde entaille. Son bassin, contracté entre ceux de l'Indus et du Gange, est complètement séparé de l'Himalaya. Il nourrit quelques clans de nomades brigands et une poignée de villages qui montent jusqu'à 4.480 mètres. Son cours, analogue à celui de l'Indus, tourne de même presque à angle droit pour couper la chaîne du Zanskar par la gorge de Chipki (3.050 m.), que domine de 3.720 mètres le pic Léo Pargial, et, 75 kilomètres plus loin, l'Himalaya. Entre les deux chaînes, il reçoit à droite le Spiti, qui arrose un âpre canton de monts rouges et jaunes, habité par des Tibétains, mais dépendant de l'empire des Indes. De petites plates-formes, au-dessus des falaises encaissant la rivière, supportent quelques pauvres hameaux. Les champs cultivés, seule ressource de la population, ne couvrent que 500 hectares sur 550.000. Le bassin supérieur du Spiti, dans le Roupchou, en a été détaché par un soulèvement local combiné avec l'accumulation des matériaux d'érosion. Il ne comprend plus que des lacs sans écoulement, les plus occidentaux du Tibet. Le principal est le Tso-moreri, le plus profond que nous connaissions (76 m.).
Le Tsangpo-Brahmapoutre. À l'Est du Satledj, le drainage change de direction et se fait vers l'Orient. Le faîte de partage, à peu près horizontal, est occupé par le bassin fermé d'un petit lac en quelque sorte oublié. Le p.350 Brahmapoutre, en tibétain Tsangpo, c'est-à-dire « le Fleuve », sort du Koubi-gangri (6.700-6.800 m.), suite de la chaîne du Ladag. Il coule d'abord sur 300 kilomètres par une vallée semblable à celle des hautes solitudes, d'altitude très élevée (4.740 m. en moyenne), de pente très faible (0,75 p. 1.000), puis sa déclivité s'accroît à 1,6 jusqu'à Chigatsé (3.815 m.), et retombe à 1,1 jusqu'à Pé (2.950 m.), où, après un parcours de 1.610 kilomètres, il bute contre la corne orientale de l'Himalaya. Repoussé au nord, il accélère sa marche, et bientôt se jette perpendiculairement contre la chaîne, à travers laquelle il se fraye un passage tortueux, large de 50 mètres, creusé entre deux pics d'altitude exceptionnelle, le Namtcha-Baroua, haut de 7.750 mètres, à 12 kilomètres au sud, et le Gyala-Péri de 7.150 mètres, à 6 kilomètres au nord. Avant le confluent du Po-tchou, il tombe de 950 mètres en 42 kilomètres par une foule de petites cascades, dont trois seulement ont de trente à quarante pieds et dont aucune n'est verticale. Sa pente se réduit à 11 p. 1.000 lorsqu'il descend au sud pour contourner la grande chaîne, dont il se dégage à partir de Kapou par 695 mètres, à 200 kilomètres de Pé, 1.810 de sa source, 1.350 kilomètres de son embouchure (pl. LXII. B).
LXII. B. Source du Tsangpo-Brahmapoutre et monts Koubi-gangri.
Comme tous les fleuves tibétains, le Tsangpo coule communément dans une vallée longitudinale, mais en change plusieurs fois. Vers le 88e méridien, il abandonne l'auge, que lui ménageaient entre eux les prolongements des chaînes du Kailas et du Ladag, pour passer au nord de la première, et cinq degrés plus loin il coupe ces mêmes prolongements, qui, en s'inclinant au nord-est à l'exemple de l'Himalaya, lui barrent la voie. En dehors des traverses resserrées, la vallée, bien que de plus en plus encaissée entre les monts qui la bordent, est ouverte, propice aux établissements humains et à la culture dès qu'elle s'abaisse au-dessous de 4.000 mètres, point qui n'est d'ailleurs pas atteint avant le 650e kilomètre. Les eaux jaunes entraînent de grandes masses de sable, qu'elles déposent en crue sur les rives, où le vent s'en empare pour les amonceler en dunes, et, quand le fleuve s'élargit, il s'encombre d'îlots sablonneux. Il a une puissance très supérieure à tout ce que nous avons vu jusqu'à présent dans la Haute Asie. Assez lent, il est profond de 6 mètres, large de 130 là où son lit est le mieux défini, de 550 au moment d'entrer dans les défilés himalayens. On ne connaît pas son volume, mais il n'est pas douteux qu'il ne roule déjà au Tibet une partie importante des 1.560 mètres cubes qu'il débite en maigre à sa jonction avec le Dibang et le Lohit.
Deux causes l'empêchent d'avoir un volume proportionné à sa longueur : la sécheresse du climat et l'étroitesse de l'aire de drainage, qui varie de 100 à 250 kilomètres. Celle-ci s'est développée surtout au nord du côté des bassins fermés. Tandis qu'à droite il n'existe qu'un gros affluent, le Niang-tchou qui arrose la ville de Gyangtsé, à gauche on en cite au moins quatre plus considérables : le Raga-tchou (300 km.), curieux par son cours parallèle à l'artère principale qu'il rejoint seulement lorsqu'elle a percé la chaîne intermédiaire, le Kyi-tchou (370 km.), dont la vallée marécageuse abrite Lhasa (pl. LXIII. B), le
LXIII. B. La rivière Kyi-tchou en aval de Lhasa.
Gyamda-tchou, enfin le Pot-chou (320 km.) grossi du Yigrong. Toutes ces rivières ont une médiocre déclivité générale, car elles paressent en des sillons longitudinaux avant de s'ouvrir les barrières successives dressées en travers de leur route. Du 88e méridien aux approches du 93e, elles arrivent au fleuve à angle aigu en sens inverse de sa direction. On en conclut que celui-ci devait autrefois couler pour p.352 une grande part d'est en ouest et s'échapper hors de l'Himalaya, soit par le Kali-Gandak, soit par l'Aroun.
Les rivières himalayennes. Nulle part, sauf à la fin de son cours tibétain, le Tsangpo n'est en contact avec l'Himalaya, dont la distance n'est cependant jamais supérieure à 170 kilomètres. La plus grande partie des eaux de la bande interposée s'écoulent directement dans la plaine hindoue. Les deux principales sources du Gange Baghirati et Aleknanda, sortent des massifs les plus élevés de la chaîne du Zanskar (Mana, 7.276 m. ; Kamet, 7.756). La même chaîne donne naissance au Kali. Les autres grands affluents du Gange Karnali et Bhéri, Kali-Gandak et Trisuli, Kosi remontent au prolongement de la rangée du Ladag, aussi bien que le Manas, affluent du Brahmapoutre inférieur. Le Subansiri pénètre même jusqu'à la suite du Kailas.
Ces rivières, puissantes avant d'atteindre le rempart himalayen, le franchissent par des défilés formidables, dont l'étroitesse et la verticalité étonnent autant que l'immense différence d'altitude entre la surface de l'eau et les cimes qui la dominent. Elles s'y précipitent par des cataractes vertigineuses qui se continuent sur des dizaines de kilomètres, sans cependant former de chute perpendiculaire. Le Kali-Gandak coule à 1.500 mètres d'altitude au pied de monts de 7.300, le Kosi n'a pas quitté le territoire tibétain qu'il s'enfonce de 6.200 mètres au-dessous du Makalou (8.469 m.), au sortir d'une gorge très longue où il descend de 53 mètres par kilomètre, et il entre aussitôt dans une autre plus profonde. Ces accidents grandioses suggèrent l'idée d'un récent accroissement du volume des eaux et d'une érosion régressive particulièrement active, conséquence de l'incomparable supériorité des pluies et de raideur des pentes sur le versant méridional. Il en est résulté un recul de la ligne de partage au profit du drainage hindou.
Parmi ces rivières, le Bong-tchou (haut Kosi) a le domaine transhimalayen le plus vaste, une longueur de 400 kilomètres en pays tibétain, une largeur de 200 mètres, un débit qui le cède à peine à celui de l'Indus. Il projette la ramification de ses sources à deux lieues du Tsangpo, que seule une mince paroi protège contre la conquête.
Le réseau des cours d'eau s'entremêle de plates-formes lacustres, pourvues ou non d'écoulement. Certaines Yamdog, Motretoung, Kala-tso laissent voir les traces fraîches des émissaires qui les reliaient au Tsangpo ou au Bong-tchou et qui paraissent avoir encore un flux intermittent, au moins souterrain. Le lac principal de la région, le Yamdog, dessine une forme surprenante de scorpion dont les pinces se recourbent en un anneau presque fermé. C'est un des plus grands du Tibet (880 km2). Une branche de la chaîne du Kailas y vient buter, en se redressant à une hauteur anormale de 7.200 mètres.
Ces plates-formes lacustres contribuent à l'aspect tabulaire que garde le Tibet méridional malgré les effets de l'érosion. Les vastes espaces découverts y dominent. Sans doute les vallées sont plus creuses, plus encaissées que dans le Nord, elles se transforment quelquefois en gorges, mais le plus souvent elles étalent de larges plaines où les débris de sable et de cailloux alternent avec les étangs et les fondrières. Dans les intervalles, le sol se gonfle en hauteurs arrondies, aplaties, praticables à cheval. Les altitudes sont singulièrement uniformes entre elles, peu inférieures à celles qui règnent dans les contrées septentrionales p.353 et occidentales : de 5.500 à 6.000 mètres pour les sommets, 5.150 pour les cols, 4.450 pour les lacs. Les cimes supérieures à 6.000 se remarquent, disséminées de loin en loin. Les hautes terres stériles ou couvertes de pâturages maigres occupent de beaucoup la plus grande partie de la surface. Aucun arbre ; des genévriers jusqu'à 4.500 mètres, quelques broussailles et ajoncs, çà et là l'éclat bleu ciel du coquelicot tibétain, des buissons de roses dans les ravins. À côté des troupeaux domestiques errent des bandes de kiangs et d'antilopes. Le lièvre à toison épaisse, l'ochotona, la marmotte bobac pullulent et se rencontrent encore à 5.200 mètres. Cependant le yak sauvage se fait rare, l'ours devient commun, le chevrotain à musc et l'Ovis ammon apparaissent.
Les vallées plus basses, le climat moins rude et plus humide rendent le paysage plus varié et plus avenant. Dans la région de Chigatsé, de Gyangtsé et de Lhasa, autour de 3.800 mètres d'altitude, la pluie tombe abondante et fréquente des derniers jours de juin aux premiers jours de septembre. Il est vrai que le reste de l'année les précipitations sont faibles et qu'en hiver on ne voit guère plus d'un pied de neige. Le plus souvent le ciel est sans nuages, et le sol dénudé en réfléchit l'éblouissement ; l'air ondoie, couvre la surface de mirage ; l'atmosphère sèche casse les ongles, fend la peau. Le thermomètre oscille de 40° à 23° dans l'année, varie de 38° dans le même mois, de 28° en vingt-quatre heures. Dans les journées d'été, alors que la température nocturne descend entre 3° et 6°, le vif soleil de cette latitude égyptienne s'aiguise de la ténuité de l'air et de la réverbération des flancs rocheux des vallées. Tableau peu enchanteur, mais la comparaison avec ce que nous avons vu jusqu'à présent fait comprendre que les vallées du Tsangpo et des rivières transhimalayennes, à l'est du 88e méridien, aient pu devenir le centre où la population tibétaine s'est rassemblée dans sa grande majorité. Le long des chemins, les villages se multiplient jusqu'à un par kilomètre, égayant le désert général de leurs bosquets de vieux arbres, saules et peupliers, qui ont parfois trente pieds de circonférence. Au-dessus, sur la pente escarpée des collines, s'étagent des couvents de pierres monumentaux aux teintes violentes et diverses, amas de maisons à terrasses que surmontent des constructions massives aux toits d'or, des murailles escaladent les rochers, des châteaux forts couronnent les éperons de la montagne
LXIII. A. Gyangtsé-dzong (Tibet central).
(pl. LXIII. A). On ne sait où commence l'uvre de l'homme, où finit celle de la nature. Chapelles, ermitages, autels en pyramides, monceaux de dalles multicolores à inscriptions pieuses, semblables à des digues, rocs sculptés en Bouddhas grandioses, bariolés de peintures saintes, entaillés de caractères sacrés gigantesques se succèdent aux regards étonnés. À mesure qu'on descend vers l'Orient, l'humidité s'accroît, le climat s'adoucit ; les pêchers, noyers, grenadiers mûrissent leurs fruits. À partir de 93° 30' on entre dans le pays Kongbo où les toits sont en pente. Des forêts denses de pins, cyprès, mélèzes, bouleaux, rhododendrons tapissent les collines, les perroquets et les petits singes y vivent jusqu'à 3.350 mètres en compagnie des chevrotains et des cerfs affinis. Notons ici la distribution du genre rhododendron, qui, répandu dans toute la Chine et l'Indochine, a son centre de densité dans le Yun-nan et le Sseu-tchouan où le nombre de ses espèces atteint 447. Encore considérable dans le Tibet oriental, ce nombre va diminuant vers l'ouest le long de l'Himalaya et se réduit à trois dans le Cachemir. Toutes les vallées au moment de s'enfoncer dans l'Himalaya se parent subitement d'une végétation luxuriante au-dessous de 4.000 mètres. Dans la sylve épaisse qui pend sur les escarpements, p.354 les épiphytes s'accrochent aux arbres ; dès 3.650 mètres et par 28° de latitude, les érables voisinent avec les sapins et les genévriers géants de 150 pieds, et plus bas, par 2.300 mètres, les orchidées, les bambous, les magnolias au milieu des chênes verts et des pins bleus donnent à l'extrême habitat des Tibétains un aspect semi-tropical.
Près du grand coude du Tsangpo, quand on passe dans le bassin du Po-tchou et avant d'avoir franchi l'Himalaya, les pluies suffisent pour permettre les cultures sans irrigation artificielle. C'est le pays de Po-mé (Po inférieur), célèbre dans le Tibet pour la douceur de sa température, sa faible altitude (1.700-3.000 m.), ses bois profonds plongeant jusqu'à l'écume des torrents, ses chemins suspendus, à balcons de branchages, ses champs de maïs et de millet. De ce côté, les Tibétains descendent extraordinairement bas (Rima, 1.475 m.) sur le revers Sud-Est de l'Himalaya, le long des cours supérieurs du Dibang et du Dzayoul-Lohit, qui bondissent par des rapides furieux et, aux eaux basses, jettent 765 et 950 mètres cubes au Brahmapoutre.
L'Himalaya. L'Himalaya n'est pas seulement une limite, il est en soi quelque chose d'essentiellement nouveau. Aux schistes jurassiques en décomposition du bassin du Tsangpo, il oppose ses gneiss et ses granités très durs, très peu désagrégés, au-dessus desquels les calcschistes et calcaires clairs métamorphiques forment les plus hautes cimes de la planète. Aux teintes ocre et brune des terrains tibétains succède la blancheur déjà hindoue de ses roches ; au sombre moutonnement monotone des monts du Nord, l'éclat de ses neiges, le dessin hardi et varié de sa crête. Ses nombreux glaciers, longs de 10 à 20 kilomètres, descendent à 5.000 mètres, et leurs prédécesseurs de l'âge glaciaire ont laissé d'énormes moraines 25 kilomètres en avant. Entre les cols et les sommets, la différence d'altitude atteint de 2.000 à 4.000 mètres. Le contraste est plus frappant au centre, du 83e au 88e méridien, où sur 450 kilomètres la chaîne plus élevée ramasse neuf pics de plus de 8.000 mètres et dix-sept de 7.500 à 8.000. Parmi eux, l'Everest (Djomokangkar) se dresse à 8 840, peut-être 8.900, si l'on tient un juste compte de la réfraction et des déviations de la gravité. Un monastère bâti à 5.030 mètres sur sa pente septentrionale atteste la vénération dont les indigènes l'entourent. Plus haut encore, des ermites retirés dans des grottes nourrissent de leurs mains les antilopes et les pigeons sauvages, réalisant un pâle simulacre de la paix suprême, que la vie continue à troubler. Peu à peu cependant elle cesse : les dernières plantes, Arenaria muscosa et Delphinum glaciale, disparaissent avant 6.300 mètres ; des abeilles et des papillons subsistent à 6.400, et, à 6.700, quand il n'y a plus rien, des araignées, ultime manifestation de l'être, se mangent entre elles (pl. LXII. C).
LXII. C. Le mont Everest vu du côté tibétain.
V. LE TIBET ORIENTAL
Les grands fleuves de Chine et d'Indochine. L'Indus et le Tsangpo sont en quelque sorte la gouttière du toit tibétain ; mais au Levant ce toit s'incline comme un appentis traversé de sillons parallèles, origines des grands fleuves de l'Indochine et de la Chine. Ceux-ci se divisent en deux catégories très distinctes : d'une part, le Salouen, le Mékong et le fleuve Bleu ; de l'autre, le fleuve Jaune. Nous ne nommons pas l'Iraouaddi : il n'intéresse le Tibet que pour y p.355 prendre sa source tout à fait à l'extrémité Sud-Est du territoire, dans le coin formé par la rencontre des plis montagneux Nord-Est et Sud-Est. Rien de plus étrange que le cours des trois premiers fleuves. À leurs débuts, leur aire de drainage s'étend sur 470 kilomètres ; à mesure qu'ils avancent en s'infléchissant de plus en plus au sud, elle se resserre au point de se réduire à 150. Ils semblent prêts à se réunir : un peu au nord de 28°, le Salouen et le fleuve Bleu ne sont pas éloignés de 70 kilomètres, et cependant ils divergent tant que le premier se jette dans la mer à 900 lieues du second. Non seulement ils sont délivrés de la compression qui les avait étranglés entre l'Himalaya et le massif de la Chine méridionale, mais le haut fleuve Bleu, qui devait s'écouler primitivement dans la vallée de Ta-li et de la rivière Rouge, a été capté par l'érosion remontante des eaux, qui des Alpes, bordant au Levant le plateau tibétain, dévalent vers Changhaï. L'abaissement considérable du relief à partir du 27e parallèle a facilité cette capture.
Les montagnes du Tibet oriental. Bien que suivant presque toujours des vallées longitudinales, les cours des trois fleuves sont loin de représenter le dessin du réseau montagneux, car chacun d'eux perce successivement par des cluses, à de longs intervalles, la chaîne qui l'endigue à sa droite. Ainsi ils s'infléchissent beaucoup plus au sud que les lignes de plissement. Celles-ci, entre le Salouen et le fleuve Jaune, continuent les plis occidentaux ; entre le Salouen et le Tsangpo, elles paraissent reprendre la direction est-sud-est, que le recourbement de l'Himalaya au Nord-Est avait troublée, et se comporter envers ce dernier et les chaînes transhimalayennes comme le Tien-chan à l'égard de l'arc de Yarkend. La première des rangées principales au nord du Salouen est franchie au col Tatsang-la par la grande route commerciale de Lhasa à la Chine ; le fameux Tang-la, le « col froid », traverse la deuxième que coupe le Mékong au sud de Tchamdo et, par un embranchement, le fleuve Bleu au nord de Ba-tang ; les monts Dzagar bordent au Nord le bassin du haut Mékong, enjambent le fleuve Bleu et le Ya-long et suivent la droite du voyageur jusqu'à Ta-tsien-lou ; les monts Koukou-chili ou Bayen-khara séparent le fleuve Bleu du Houang-ho. Nous avons vu qu'en approchant de l'orientation nord-sud ces chaînes changent de constitution géologique et deviennent à ce point de vue analogues aux plis parallèles qui s'alignent au Nord-Est le long et en arrière de la bordure du Sseu-tchouan. On ne sait comment les deux directions se rencontrent, car la région où se fait la rencontre, au sud de la grande boucle méridionale du Houang-ho, est la plus inconnue de l'Asie et du Monde.
Si dans l'Est du Tibet la roche en place n'est plus une exception comme dans les déserts du Nord-Ouest, la désagrégation y est fort avancée, ainsi qu'en témoignent les grès et les calcaires sculptés en niches et en corniches, et les granités de l'extrémité orientale, émiettés en boules et en grumeaux semblables à du sucre mal fondu au fond d'une tasse. Les altitudes sont un peu moindres qu'à l'Occident. La moyenne des cols s'élève encore à 4.980 mètres jusqu'au 94e méridien ; de là au 102e, elle s'abaisse à 4.740. Les sommets ne montent guère au delà de 5.500. Comme partout dans le Tibet, les grandes cimes neigeuses sont dispersées par groupes éloignés, tantôt dans une chaîne, tantôt dans une autre ; très peu atteignent ou excèdent 6.000 mètres, et l'on n'en connaît point qui ait certainement plus de 6.500. Brusquement le relief diminue un peu au sud du 28e parallèle et à l'est du 102e méridien. Les montagnes du pays p.356 lolo n'ont que 4.000-4.500 mètres du côté du Ya-long, 3.500 le long du cours nord-nord-est du fleuve Bleu. Au nord de Ta-tsien-lou, les chaînes d'orientation nord-est livrent passage aux environs de 3.500 mètres. Cependant le rebord du plateau autour du bassin Rouge redresse ses pics à 5.500-6.000 au Nord, tandis qu'au Sud ils se tiennent à 4.000 (pl. LX. A).
LX. A. Crête de montagne en arête entre Mékong et Salouen.
Le Salouen, le Mékong et le fleuve Bleu. Le Salouen (Nag-tchou, puis Giamo-nou-tchou des Tibétains) et le fleuve Bleu (Tchoumar, puis Dré-tchou ou Do-tchou) naissent dans la région des hautes plaines désertes entre le 90e et le 91e méridien, et l'aspect du pays où errent leurs premiers pas ne diffère pas de celui des bassins lacustres décrits ci-dessus : mêmes vallées plates, spacieuses, stériles, au sol chargé des débris des monts décomposés, tantôt durci par la gelée, tantôt transformé en fondrières par le soleil d'été ; un peu moins de hauteur seulement (4.600-4.800 m.) et un peu plus d'herbe. La chaîne du Tang-la sépare les deux fleuves à leur tête. Avant de tourner l'un et l'autre à l'est, le Salouen se dirige d'abord au sud, et le fleuve Bleu monte au nord, pour rassembler ses diverses branches, Dam-tchou, Toktomai, les deux Namtchoutou, dont la dernière sort de l'Arka-tagh. Ils enveloppent ainsi les sources du Mékong (Dza-tchou) auquel ils font entre eux l'aumône d'une petite bande de terre après lui avoir enlevé toute part au drainage du plateau. De cette manière, le fleuve indochinois commence immédiatement son cours par la deuxième phase, que limite approximativement une diagonale tirée du Nam-tso aux sources du fleuve Jaune. Dans cette phase, les vallées se creusent et se rétrécissent progressivement entre des murailles rocheuses. Leur profondeur se compte d'abord par centaines de mètres, puis par milliers : 3.000, dont la moitié à pic, pour le fleuve Bleu vers le 32e parallèle, 3.500 à Ba-tang, 4.000 dans les environs de Li-kiang. En même temps ces vallées perdent peu à peu leurs terrasses spacieuses, se changent en gorges continues dont le couloir tortueux ne laisse aucune place à côté des eaux et se réduit à 23 mètres de largeur sur le fleuve Bleu près de Li-kiang. Les voyageurs longent ces sombres fissures, à quelques centaines de pieds au-dessus du flot tourbillonnant, au moyen de planchers en encorbellement, soutenus sur des pieux enfoncés obliquement dans le roc.
Au demeurant, la pente générale n'est pas très forte. En territoire tibétain, le Mékong et le Salouen ont une déclivité moyenne de 2,5 p. 1.000. Dans le régime du fleuve Bleu, un peu mieux connu, on distingue nettement trois étages : 1,2 p. 1.000 sur les 800 premiers kilomètres, près de 2 jusqu'à Ba-tang, 1,2 jusqu'au confluent du Ya-long. Mais le cours de tous les fleuves et de leurs affluents est très irrégulier ; de nombreux rapides, qui ne dégénèrent jamais en cascades, alternent avec des nappes tranquilles. Les eaux, d'un bleu de turquoise la plus grande partie de l'année, sont profondes de 5 à 6 mètres, de 17 et quelquefois bien davantage dans les canons méridionaux.
Le fleuve Bleu roule en maigre 580 mètres cubes à la seconde en amont du confluent du Ya-long, mais les crues subites et violentes décuplent sa puissance. À Loukou, par 26°, on estime à 620 mètres cubes le débit du Salouen, que favorise son exposition plus directe aux précipitations abondantes du sud-ouest. Sa chaîne bordière de gauche, riche en glaciers, découpée en aiguilles, déshérite le Mékong, trop abrité d'autre part à l'Est pour recevoir une compensation suffisante des vents humides de Chine. Pour gros que soit le volume de ces cours d'eau, p.357 il ne paraît pas en rapport avec leur longueur. Le peu d'extension de leurs aires de drainage l'explique en quelque mesure. Le fleuve Bleu ne recueille aucun tribut important après avoir réuni, à moins de 500 kilomètres de son origine, les diverses branches qui constituent ses sources. Il a parcouru 2.320 kilomètres au point où il tourne à l'est par un coude à angle droit, qui lui permet de saisir au passage le Ya-long (Tsa-tchou) 200 kilomètres au-delà. Rencontre fortuite : le puissant Ya-long, sorti des monts Bayen-khara au Nord, est structuralement indépendant. Sur les 1.450 kilomètres de son cours, il ne marque aucune convergence vers son voisin de droite ; il lui reste parallèle, comme les deux autres fleuves, semblable par l'étroitesse de son bassin, le régime de ses eaux, l'aspect de sa vallée. Il forme le quatrième grand sillon du Tibet oriental. De même, le Ta-kin-tchouan à l'Est ne se distingue que par l'altitude moindre des monts où il évolue ; au sud de Ta-tsien-lou, il copie le coude du fleuve Bleu, signe d'une capture analogue qui l'amène à la grande artère de la Chine centrale. Au Mékong ne se joignent, sur les 1.090 kilomètres qu'il franchit jusqu'au 28e parallèle, que deux affluents importants, le Dzé-tchou à gauche et le Dji-tchou à droite, tous deux très en amont. Le Salouen parcourt 1.310 kilomètres jusqu'à la même limite sans recevoir rien de considérable que le Sog-tchou et le Yu-tchou à gauche. Notons, en passant, qu'une juste estime de leur cours tibétain augmente de façon notable le développement total que l'on attribue communément à ces fleuves. Il convient de compter 3.100 kilomètres pour le Salouen, 5.150 pour le Mékong, 6.140 pour le fleuve Bleu.
Que d'ailleurs on les prenne tous en bloc, ils n'apparaissent pas égaux à leur rôle, ils n'expriment que d'une manière très incomplète l'éponge tibétaine, d'autant plus profondément imbibée de ce côté qu'elle subit un climat moins aride qu'à l'Occident et même dans la région de Lhasa. Les pluies durent de mai à septembre. Glaciers rares, il est vrai, et petits, peu de neige permanente, qui ne descend pas au-dessous de 5.500 mètres, au lieu de 4.600 sur le haut Iraouaddi.
La région des basses vallées. Dans la deuxième phase de leur développement, les vallées ne portent encore que des herbes courtes, çà et là des saules nains et des genévriers et, au-dessous de 4.000 mètres, quelques hameaux entourés de maigres cultures, tels que Tchekoundo (3.800 m.) sur un petit affluent du Dré-tchou. En se creusant davantage, à l'est de 94°, entre le 32e et le 33e parallèle et d'autant plus au Nord qu'on approche de la Chine, elles revêtent leurs flancs de forêts épaisses de mélèzes, pins, sapins et bouleaux. Vers l'extrême pointe de la courbe du fleuve Jaune, cette zone boisée se relie aux forêts qui, au Nord-Est, verdissent les pentes du pays de Ngamdo et du bassin du Tao-tchou. Bientôt, en marchant au sud-est, l'on rencontre une espèce de petits singes roux qui montent en été jusqu'à 3.950 mètres, le chevrotain, le Nemorhaedus Khamensis, trois espèces de cerf, la panthère chinoise, le grand écureuil à parachute. Plus on avance dans la même direction, plus la sylve s'enrichit. Bacot la décrit bien. Au-dessous des grands pins sombres qui atteignent 4.500 et même 5.000 mètres, règne une forêt élégante de vieille tapisserie : masse de cèdres, de pins argentés et bleus, de chênes-verts, d'érables, de cerisiers, nuancée de fleurs, éclaircie de pelouses, peuplée de faisans blancs. En bas, les rivières se cachent sous la broussaille. Les fermes et les villages ornés de noyers, de pêchers et d'abricotiers se p.358 multiplient sous les châteaux forts et les couvents aux points où les confluents leur fournissent la place nécessaire. En aval, les maisons deviennent de plus en plus serrées entre elles, hautes et étroites faute d'espace ; les cavaliers se font rares ; les chèvres sont presque le seul bétail visible autour des champs en escaliers que cultivent des Tibétains à demi nus. Par 28° et 2.000 mètres d'altitude, les Mossos les remplacent, en même temps que paraissent les bambous, qui à l'Est remontent dans le pays lolo et au nord de Ta-tsien-lou. Nous touchons à la frontière de la flore et de la faune indo-malaises, du domaine des palmiers, de l'éléphant et du rhinocéros ; elle suit la chaîne entre Salouen et Mékong jusqu'au 28e parallèle, celle entre Brahmapoutre et Salouen jusqu'au 30e.
Toute cette vie, avec ses bois, ses cultures, ses constructions, est confinée dans les vallées, galeries qui forment l'étage inférieur du pays. Au-dessus, plane un autre monde semblable à un immense vélum vert ondulé, où les troupeaux de yaks et les tentes des hommes dispersent des taches noires. C'est le même plateau ridé de plis montagneux qui constitue le Tibet tout entier, changé ici en prairie par les pluies plus fréquentes, le climat moins rude. Les défilés des rivières n'y sont que de longues déchirures, invisibles à quelque distance. En haut, ils se terminent en pentes adoucies comme les vallées occidentales. Les affluents, souvent très brefs, presque collés aux flancs des cours d'eau principaux, s'achèvent en gorges à angle droit, mais en amont ils s'élargissent en une sorte de chaloupe suspendue parallèlement au pont du vaisseau. Visiblement le pays primitif ne différait point de la région actuelle des lacs, le drainage y était incomplet, peu creusé. L'énergie des fleuves de la périphérie, nourrie par la mousson, multipliée par l'énormité de la pente, a peu à peu empiété sur ce domaine mort, s'annexant l'un après l'autre les cours d'eau fragmentaires enfermés dans les vallées supérieures. Il s'est produit une série de décrochements, marqués par les cluses transversales. Ainsi s'explique l'étroitesse anormale des bassins fluviaux du Tibet. Il n'est pas sûr que cette marche à rebours ne continue point, malgré les progrès de la dessiccation, ni que les explorateurs aient délimité définitivement les extrêmes conquêtes du fleuve Bleu et du Salouen.
Le fleuve Jaune. La ligne de partage entre le fleuve Bleu et le fleuve Jaune est une limite importante en Asie. Au Nord, le climat est plus rude, la végétation moins variée. La flore et la faune du domaine mongolique se substituent à celles du domaine sino-himalayen ; on retrouve l'Agriophyllum gobicum et la Nitraria Schoberi. Déjà le bassin supérieur du Ya-long marque un changement dans la physionomie du pays. Aux sombres vallées étroites et profondes, aux torrents bruyants et rapides, aux collines escarpées, aux villages et aux cultures succèdent les vallées ouvertes et claires, les rivières lentes et silencieuses, les collines plates, le désert ou les tentes des nomades. Ce caractère s'accuse, quand, par les grosses pierres semées dans la boue glissante et par les vastes moraines du Bayen-khara, on a passé dans le domaine du fleuve Jaune. Les immenses plans horizontaux aux lignes fuyantes, interminables, les pauvres reliefs sans accent, l'épais manteau de débris recouverts d'une légère couche de lss, la lumière vibrante dans la poussière jaune donnent un avant-goût de la Mongolie. Cependant de magnifiques prairies inhabitées nourrissent de leurs hautes herbes souples des troupes innombrables de yaks, de kiangs, d'antilopes, le plus beau cheptel sauvage de la Haute Asie. Les altitudes restent p.359 élevées. Les cols, que les sommets dépassent de 200-300 mètres, atteignent encore 4.600-4.700 mètres dans le Bayen-khara et l'Amnyé-matchen. Au Nord, ils ont une moyenne de 4.000. La chaîne principale de l'Amnyé-matchen, suite de l'Arka-tagh à l'Ouest, du Min-chan à l'Est, suspend ses glaciers à plus de 4.500 mètres et dresse à 5.600 les neiges perpétuelles de la cime sainte des brigands Ngologs. Au Nord, la rangée Sarlyk-Tchakhar, haute de 5.000 mètres, rappelle l'Altyn-tagh par sa crête abrupte et déchiquetée, son profond ravinement, son noyau granitique, de même qu'à son pied septentrional le désert kachgarien revit dans la dépression de l'Obé-tchou, qui étend entre 2.600 et 3.000 mètres sa lande de marécages ou de gravier, où s'absorbent les cours d'eau, creusée de tranchées à pic, hérissée de dunes et de mamelons argileux blanchâtres. Mais le Nan-chan arrête au Nord le développement de ce paysage.
À l'est du fleuve Jaune, on peut considérer que le plateau tibétain se termine à une ligne tirée de Tao-tchéou à Tongkor le long de la route de Soung-pan à Si-ning. C'est la limite des populations tibétaines ; le sol s'abaisse au-dessous de 2.500 mètres ; la contrée perd l'aspect tibétain, à cause de l'envahissement des pentes par la couverture de lss. Néanmoins les chaînes parallèles serrées qui rident la surface de l'ouest-nord-ouest à l'est-sud-est continuent très loin en Chine, en diminuant graduellement de hauteur, et le plateau n'offre de ce côté aucun étagement sensible, aucun rebord comme celui qui domine la plaine du Sseu-tchouan.
Entre l'Amnyé-matchen et le Bayen-khara s'ouvre l'immense vallée du Houang-ho supérieur (Ma-tchou), qui prend sa source par 4.350 mètres, très près du fleuve Bleu, dans une région où le Bayen-khara, qui l'en sépare, est réduit à une étendue déserte de décombres sans relief. Il chemine par la plaine des Étoiles (Odon-tala ou Skarma-tang), vaste cuvette comblée de gravier, étincelant de flaques d'eau innombrables. Par 4.200 mètres, il traverse deux lacs jumeaux de plus de 100 kilomètres de circuit, le Tcharing, très mince, et le Ngoring, plus profond (32 m.). Au delà, il promène lentement ses méandres, accompagné de lacs latéraux, parcourt les pâturages des Ngologs, et, à 1.050 kilomètres de sa source, 900 mètres plus bas, il tourne brusquement au nord et au nord-ouest, décrivant un lacet étrangement allongé sur plus de deux degrés. Sans doute le Houang-ho primitif naissait dans les monts Amnyé-matchen, et ce qui est aujourd'hui son cours supérieur allait se jeter dans le fleuve Bleu par une des vallées marécageuses, beaucoup trop larges aujourd'hui, de ses affluents de droite. Ayant coupé par une série de gorges infranchissables l'Amnyé-matchen et les chaînes parallèles, il reprend sa marche à l'est par une vallée longitudinale au pied des monts du Koukou-nor. À Koei-tei, où il quitte les terres tibétaines à l'altitude de 2.300 mètres, il a parcouru 1.730 kilomètres, à 3.560 de son embouchure dans le Pacifique, ce qui porte sa longueur totale à 5.300 environ. Sa pente moyenne, qui était de 0,85 jusqu'à son coude méridional, passe à 1,5 de ce point à Koei-tei. Futterer a estimé sa profondeur au sud de Balekoun à 12 mètres, sa largeur à 130, son débit à 3.600 le 17 septembre, c'est-à-dire quelques semaines après le maximum.
Comme les autres fleuves du Tibet, le Houang-ho a dans ce pays un bassin très étroit. Il ne reçoit pas d'affluent considérable avant les rivières de Tao et de Si-ning, qui coulent pour la plus grande part en territoire chinois. Son aire de drainage est même curieusement restreinte à gauche par une langue du p.360 bassin fermé du Tsadam, dont un tributaire oriental, qui traverse le long lac Stongri ou Tossoun, remonte loin au sud-est dans la grande boucle du fleuve.
Le Tsadam. Le Tsadam est une dépression ovale du plateau tibétain, qui atteint 200 kilomètres de largeur et s'allonge sur 850 kilomètres à l'est-sud-est entre les rameaux, ici fort écartés, de l'Altyn-tagh. Son fond est légèrement inférieur à 2.700 mètres, soit 2.000 mètres au-dessus de la cuvette du Lob-nor et autant au-dessous des hautes vallées du Tibet. Par beaucoup de traits, elle rappelle le bassin du Tarim. Au pied de la ceinture montagneuse, trois bandes se succèdent de haut en bas, comme dans le Turkestan : le gravier stérile, le sable en petites dunes surmontées de tamaris, le limon où les prairies, alternant avec une brousse de saules nains quelquefois enterrés dans le sable jusqu'à leurs branches supérieures, remplacent la forêt de toghraks et les oasis. Mais le centre de la dépression, au lieu d'être enseveli sous les dunes, est couvert de marécages. Il est à un stade d'évolution moins avancé, parce que la cuvette est moins profonde et moins vaste et qu'elle subit des chaleurs moins continues.
Elle ne le cède guère au Turkestan pour la sécheresse de son climat. Le vent dominant de nord-ouest a perdu toute son humidité, il est aride comme un fhn. Les 11 centimètres de précipitations que reçoit le pays en été lui viennent des brises du sud et de l'est, à peu près épuisées dans leur long voyage. La température est à peine moins rude que celle d'Irkoutsk ; si elle atteint 33° en juillet, elle ne dépasse pas 2° de moyenne annuelle : 12° en hiver, 0° au printemps, 17° en été, 3° en automne. Il gèle 226 jours par an, entre le 30 septembre et le 31 mai.
L'eau qui afflue des montagnes n'a pas le temps de s'absorber et de s'évaporer. Les ruisseaux des premières pentes se perdent dans le gravier, mais ressortent plus bas en sources vigoureuses. Les rivières qui naissent derrière les chaînes de la bordure se taillent dans le même gravier des tranchées nettes de canal, puis se traînent presque immobiles dans la plaine en des lits multiples, sinueux, incertains. Tous ces cours d'eau petits et grands finissent en une multitude de marais, d'étangs, de lacs, peu éloignés, mais distincts les uns des autres. On compte onze lacs divisés en deux catégories par un relief médiocre : les septentrionaux un peu plus élevés, disposés par paires les deux Syrtyn, les deux Makhaï, les deux Tsadam, le Karlouk et le Tossoun et les méridionaux, Taitchiner, Deulesten, Holossoun. Entre eux, une croûte saline revêt la plus grande partie du sol, tantôt sèche, dure, sonnant sous le pas, tantôt molle et bourbeuse. C'est l'excès de sel, dû lui-même à l'insuffisance du drainage, non le défaut d'humidité, qui fait du Tsadam un quasi-désert. L'indolence des indigènes s'y ajoute pour expliquer la rareté des champs étouffés de mauvaises herbes. Le Mongol est un agriculteur de comédie, qui, sans quitter son cheval, pratique au moyen d'une perche les dérivations nécessaires à l'arrosage. Mais d'excellents pâturages cantonnés à la périphérie et près des lacs nourrissent de nombreux troupeaux de bêtes à cornes, moutons, chevaux, chameaux.
La moitié occidentale du Tsadam est pire. La solitude aride, que blanchissent de loin en loin des couches de sel, est balafrée de rigoles sans eau, mamelonnée de tertres d'argile rongés par le vent. Un seul petit lac, le Gas, est relégué au coin Nord-Ouest.
L'Altyn-tagh, qui de ses rocs solides ferme la dépression au Nord, apparaît rugueux, désolé, coupé de ravins, beaucoup plus bas qu'au couchant, avec des p.361 cols de 3.200 à 3.900 mètres. Sec comme le Kourouk-tagh, il est, comme lui, la proie d'une désagrégation chimique et mécanique active dont le vent emporte au loin les produits, tandis que sur les hauts plateaux ils s'empilent sans fin au pied des monts. Ses quatre chaînes parallèles enserrent entre elles des vallées discontinues, sans vie, au sol nu et dur comme l'asphalte ou la brique, parsemé d'efflorescences de sel et de gypse.
Les âpres et tristes monts de la bordure méridionale sont beaucoup plus élevés. Leurs cols ont 4.700 mètres, leurs sommets 5.500. Moins disgraciés aussi, ils donnent au Tsadam ses principales rivières, Baternoto, Naïtchi, Bayen, qui sortent de la chaîne la plus éloignée, suite de l'Arka-tagh, et tranchent d'un défilé à chute rapide les deux rangées qui la précèdent, Chougou et Bourkhan-bota, prolongements des branches méridionales de l'Altyn-tagh.
Le Nan-chan. Au Nord-Est, le Nan-chan barre le Tsadam, mais non point par une muraille continue. De ce côté les chaînes se succèdent en échelons et reçoivent entre elles, comme en des poches ouvertes et superposées, des fragments de Tsadam. Le Nan-chan est un système de montagnes plus étendu et plus élevé que les Alpes. Il a 300 kilomètres de largeur, 800 de longueur, 1.000 si l'on compte sa suite au delà du fleuve Jaune. Dans sa partie centrale, la plus élevée, les cols mesurent 4.500 mètres en moyenne, les pics, 5.150, et le point culminant atteint 6.350. Il comprend sept chaînes à peu près parallèles, dont le faisceau se rétrécit un peu vers l'Orient, en même temps que l'altitude s'abaisse. Ce sont, à partir du Sud, la chaîne méridionale du Koukou-nor, le Tarkhan-daban (Ritter), la chaîne du Chara-gol (Humboldt), le Soulo-chan (Suess) qui porte les plus grands pics, le Peita-chan (Alexandre III), le Tolai-chan, le Kan-tchéou-chan (Richthofen). Relief lourd et massif, taillé à grands pans, larges crêtes, hauteur uniforme des sommets, malgré l'audace insolite de quelques pyramides, glaciers rares et médiocres, suspendus au-dessus de 4.300 mètres, neige absente en juillet au-dessous de 4.600 mètres au Nord, de 5.000-5.200 au Sud. Couverts de plusieurs pieds de lss, des glacis caillouteux, des amas rouges de dépôts du Gobi, qui montent jusqu'à 4.500 mètres, noient les pentes. Entre les rangées des monts, les vallées ouvrent de vastes corridors de plusieurs lieues. Plus creusées que celles du Tibet lacustre, elles sont encore très élevées, de 4.300 à 3.200 mètres dans la partie centrale, et leur sol aplani offre un mélange de gravier, de sable et de dunes, de prairies et de marécages. L'ensemble est fort pareil au Pamir (fig. 58).
Fig. 58. Coupe Nord-EstSud-Ouest dans les monts Nan-chan.
Échelle des hauteurs : 1:40.000 ; des longueurs : 1:5.000.000.
Malgré la disposition du Nan-chan en lignes parallèles, il en rayonne une étoile de rivières : au Sud et à l'Ouest, les rivières du Tsadam ; au Nord, le Sou-lo-ho et son affluent le Tang-ho (500 km.) ; au Nord-Est, les rivières de Sou-tchéou p.362 (Tsieou-tsiuan) et de Kan-tchéou (Tchang-yi), dont la réunion forme l'Edzin-gol (860 km.) ; au Sud-Est, celles de Tatoung (520 km.) et de Si-ning, affluents du fleuve Jaune. Ces cours d'eau se comportent à l'ordinaire, suivent longtemps en plusieurs bras des vallées longitudinales avant de percer perpendiculairement, par des gorges inaccessibles et des cañons à rampes très rapides de 10 à 12 p. 1.000, les chaînes qui les séparent des dépressions voisines.
L'écoulement n'est cependant pas complet. Il existe deux lacs sans issue au dehors : le Khara-nor, de 80 kilomètres de tour, perché au centre à 4.030 mètres, et le Koukou-nor, appelé Tso-ngonbo, « le lac Bleu », par les Tibétains nomades qui en habitent les bords. Celui-ci est le plus grand de la Haute Asie (4.200 km2). Ses larges plages en pente douce portent au nord des mamelons de sable et au sud de riches prairies où paissent de belles vaches rousses. Ses eaux, moins salées que celles de la Caspienne, ont baissé de 60 mètres ; elles s'étendent aujourd'hui au niveau de 3.200 mètres, 600 au-dessus du fleuve Jaune, avec lequel elles communiquaient peut-être autrefois dans la direction de leur tributaire occidental, le Boukhaïn-gol. La carte montre le lac comme une urne penchée prête à se déverser dans le fleuve.
Le Nan-chan est l'ultime ressaut de l'entablement tibétain. Au Nord, on en descend, face au Pé-chan, sur la plaine désertique du Sou-lo-ho par les derniers membres osseux, rabougris et pelés de l'Altyn-tagh. Au Nord-Est, face à l'autre Pé-chan du plateau mongol, le versant extérieur des monts Richthofen mène au couloir semblable, mais plus riche d'oasis, de Sou-tchéou, Kan-tchéou, Liang-tchéou (Wou-wei). Vus de ce côté, ces monts semblables à un rempart ont un air de grandeur que le Nan-chan intérieur n'a point. Ses pics neigeux dominant la plaine de 3.000-4.000 mètres, la profondeur et l'escarpement de ses ravins et de ses gorges, les hautes collines poudreuses de grès et de conglomérats, revêtus de lss, qui l'accompagnent en avant, les lits de torrents pierreux qui s'étalent à la sortie sur le sol de gravier, tout remémore de très près l'Altyn-tagh de la région khotanaise. Mais la végétation est plus abondante. Tandis que l'Altyn-tagh n'a cessé de gagner en aridité en s'étendant au nord-est, dès que le relief tourne au sud-est l'influence du Pacifique amène un changement soudain. Les vallées verdoyantes et fleuries, les pentes boisées de sapins font penser au Cachemir. Au pied de la montagne, dans les alentours de Kan-tchéou, se montrent au voyageur venant de l'Occident les premières cultures alimentées par l'eau de pluie. À l'intérieur, du moins à l'ouest du Koukou-nor, les forêts manquent. En revanche l'herbe monte jusqu'à 4.300 mètres. Les grasses prairies, meilleures que celles du Tien-chan, sont pour beaucoup inutiles à l'homme, abandonnées aux troupes sauvages de yaks, de koulans, d'antilopes. Les Mongols à l'Ouest, les Tibétains à l'Est se tiennent prudemment à distance les uns des autres. Quant aux Chinois, ils dédaignent le pâturage, et ils n'usent que dérisoirement du combustible, qui remplit les couches prédominantes du Carbonifère, et de l'or qui se décèle de toutes parts dans les conglomérats quartzeux.
VI. LE PEUPLE TIBÉTAIN
Origine et formation. Pour les hommes aussi bien que pour les animaux, cette terre âpre et pauvre, difficile de parcours comme d'accès, n'a pu que servir de refuge à des groupes chassés de régions moins inhospitalières par des compétiteurs plus heureux. Une tradition chinoise montre les Tibétains issus p.363 de tribus transférées du moyen fleuve Jaune au Koukou-nor par un des empereurs légendaires du IIIe millénaire avant l'ère chrétienne. Historiquement, nous savons que huit siècles avant J.-C. les Jong occupaient le Kan-sou et l'occident du Chen-si. Les longues lances qui distinguaient ces barbares sont encore aujourd'hui l'un des traits remarquables de leurs descendants, les Tibétains Ngologs et Panags. D'autre part, le bassin du fleuve Bleu était à la même époque le domaine des Mans, réunion composite de peuples agricoles et sédentaires, divisés en petits groupes d'organisation aristocratique et patriarcale comme leurs voisins chinois du Nord-Est. Ils comprenaient les Thaïs (Siamois) au Sud, les Miao-tseu au Centre, les Tibéto-Birmans à l'Ouest dans le Sseu-tchouan et le Yun-nan. Ces derniers sont représentés de nos jours par leurs deux branches principales, les Tibétains et les Birmans, et par des tribus intermédiaires, Mossos, Lolos ou Nésous, Lisous. Tous ces peuples de souche Man parlaient et parlent des langues de la famille chinoise, essentiellement monosyllabiques, sans flexions, invariables ou pourvues d'un système de suffixation rudimentaire. Tandis que le chinois et les dialectes thaïs ont entre eux des rapports étroits, le tibétain est aberrant, mais néanmoins d'une parenté indiscutable.
Au point de vue anthropologique, nos renseignements ne permettent point de conclusions fermes. On croit discerner trois types différents. Les nomades du Nord-Ouest, Panags, Ngologs, Tsa-tchou-kapa, sont assez rapprochés des Mongols, peut-être par suite de métissage. Les Tibétains du Sud, beaucoup plus nombreux, sont tous bruns aux cheveux noirs et mésocéphales en moyenne. Leur peau est de couleur légèrement jaune tirant sur le rouge ; ils s'appellent eux-mêmes « les visages rouges ». Parmi eux, les uns sont petits, à face large, pommettes saillantes, yeux bridés, nez aplati, mâchoire un peu prognathe, cheveux raides, teint basané ; les autres, plus grands, bien proportionnés, ont le visage allongé, les yeux légèrement obliques un peu à fleur de tête, le nez proéminent, bien dessiné, quelquefois aquilin, le teint assez clair, des cheveux tendant à s'onduler, la barbe relativement fournie. Ce dernier type s'observe surtout dans la noblesse.
En somme les caractères physiques suggèrent une origine orientale et méridionale, tandis que le dieu-singe, totem antique du peuple tibétain, écarte l'hypothèse d'une immigration venue du Nord (pl. LIX, A, B, C et D).
LIX. A. Le petit frère du Grand lama de Tachilhounpo. LIX. B. Dame noble du Tibet central.
Quel qu'ait été le mélange ethnique, il date d'une époque où notre science ne peut remonter. Depuis longtemps les éléments primitifs se sont fondus pour constituer un peuple d'une surprenante unité. Malgré l'immensité de l'espace, malgré la difficulté des communications, malgré le manque de centralisation administrative, les différences dialectales, les nuances de murs et de coutumes sont moins marquées que dans la France d'autrefois. Montesquieu a eu bien raison de noter que la nature a coupé l'Asie en plus grands morceaux que l'Europe ( HYPERLINK \l "fig042" fig. 42, p. 275).
Au contraire des gens du Turkestan chinois, les Tibétains ont un nom commun pour désigner leur pays : Bod, Bod-youl. Les inscriptions turques du VIIIe siècle l'appellent Teu-peut, et les vieux écrivains chinois, Tou-fan ou plutôt, selon la prononciation ancienne, Tou-pat. Gênés par leur vocalisation insuffisante, les Arabes en ont fait Tibbet, forme que les Européens leur ont empruntée en la simplifiant. La première syllabe représente le tibétain Stod = teu, qui signifie « élevé » et désigne spécialement la région des hauts plateaux.
LIX. C. Types des hauts plateaux. LIX. D. Types des hauts plateaux.
p.364 Encore aujourd'hui, à quelques lieues au sud de Tchétang, on montre les ruines du château d'anciens rois tibétains, dont la construction initiale remonterait au IVe siècle avant J.-C. Mais l'histoire attribue au roi de Lhasa Srong-tsanpo la première confédération des peuples du pays, vers 630 de notre ère. Il épousa à la fois une princesse népalaise et une princesse chinoise. En même temps qu'il reconnaissait la suzeraineté de l'empire du Milieu et mettait sa noblesse à l'école des fonctionnaires impériaux, il commença de bâtir des temples bouddhistes, introduisit l'art du Népal, emprunta une écriture à l'Inde. Depuis lors, le Tibet resta partagé entre les deux influences, chinois par la politique, hindou par l'art, la littérature et la religion. Ses princes, le vieil isolement rompu, devinrent bientôt assez puissants pour se lancer dans des entreprises extérieures. Ils envahirent la Chine avec des alternatives de succès et de revers, s'allièrent aux Arabes, auxquels ils donnèrent la main sur le haut Oxus, occupèrent le pays du Tarim jusqu'au nord du Tien-chan d'une manière discontinue et incomplète du VIIe au IXe siècle. Mais les moines bouddhistes, singulièrement accrus en nombre et en pouvoir, ruinèrent avec l'unité monarchique la faculté d'expansion de la nation. Peu à peu, stimulés, appuyés par la politique chinoise, ils usurpèrent toute l'autorité temporelle et finirent par établir le régime clérical qui existe encore. Il eut pour effet de renfermer plus étroitement que jamais les Tibétains dans l'attitude de défensive ombrageuse et le sentiment de défiance envers l'étranger, naturels à un peuple de réfugiés.
Distribution de la population. La parenté des Tibétains avec les Chinois et leur communauté d'origine agricole ne sont point allées jusqu'à l'ignorance et au mépris de l'élevage. Ils ont toujours combiné les deux modes d'existence nomade et sédentaire. Il serait vain de chercher à distinguer par la race les adeptes de chacun de ces genres de vie. Les divers types se retrouvent chez les uns et les autres. À part de faibles exceptions, les nomades ne sont pas organisés en tribus indépendantes ; ce sont de simples mercenaires au service des propriétaires installés dans les villes, les châteaux ou les couvents. Il en est autrement du groupe du Nord-Est, c'est-à-dire des riverains du Tsa-tchou, du Ma-tchou et du Koukou-nor, dont l'extraction a quelque chose de particulier. Encore faut-il remarquer que, comme tous les Tibétains pasteurs, bien différents en ce point des Mongols, ils s'empressent d'ensemencer des champs et de construire des maisons partout où ils le peuvent avec avantage. Au reste la répartition entre nomades et sédentaires se fait non en surface, mais en hauteur. Si certaines contrées sont réservées exclusivement aux premiers, c'est que l'altitude en est uniformément trop élevée pour la culture. Presque toute la vie agricole se concentre le long des cours d'eau s'écoulant à la mer, dans le réseau de galeries qu'ils creusent au-dessous du plafond de l'édifice, tandis que les fragments de ce plafond qui subsistent entre elles restent consacrés aux pâturages. Elle ne commence à prospérer vraiment qu'à moins de 4.000 ou même de 3.800 mètres. Quelques cantons dans le bassin de l'Indus (Ladag, Baltistan), sur les rivières himalayennes, dans l'angle oriental du fleuve Jaune (Ngamdo) mis à part, elle se réduit en somme au coin Sud-Est du pays entre Tingri et Soung-pan. Là, dans une bande le long du Tsangpo, qui s'élargit dans la région du Salouen, du Mékong, du fleuve Bleu et de ses affluents, se rassemblent les cinq sixièmes des établissements sédentaires sur environ 450.000 p.365 kilomètres carrés. Une carte à grande échelle montrerait que de cette surface ils occupent seulement quelques minces filets interrompus, découpés en une série de points plus ou moins écartés. Cela explique la faiblesse de la population. Tous les individus de langue tibétaine, sujets du royaume de Lhasa, dépendant de la Chine ou de l'empire des Indes, ne dépassent pas 3 millions, chiffre depuis longtemps stationnaire, que la multitude des moines célibataires ne permet pas d'accroître.
Le genre de vie. Les nomades n'y figurent probablement pas plus que pour un cinquième ou un sixième. La plupart de leurs herbages ne valent pas à beaucoup près ceux de Mongolie. Ils élèvent des yaks, des moutons à laine rude, longue d'un demi-pied, peu de chevaux très médiocres, des bufs et vaches dans les régions les plus tempérées, des chèvres dans les districts escarpés comme le Ladag. Le yak domestique est le même animal que le yak sauvage, étrange bête qui a des manières anciennes, comme de quelqu'un qui se rappellerait un autre monde, grognante, lente, indolente, indocile, capricieuse. Admirablement adaptée au pays, elle porte sur la peau un manteau de laine recouvert de très longs poils qui pendent presque à terre, noirs, assez souvent gris, quelquefois blancs. Une crinière épaisse, une queue velue achèvent de la protéger. Elle est à son aise dans la rafale glaciale, contente dans le froid, heureuse dans la neige. Sa jambe fine, son sabot étroit lui donnent, malgré son apparence lourde et gauche, une agilité surprenante et une sûre démarche sur la glace et les rochers. Sa langue cornée lui permet de tondre l'herbe courte et rude des hautes steppes. Le yak transporte les bagages et les marchandises, il fournit les poils dont sont fabriquées les tentes, la viande qui, séchée au soleil et découpée en lanières, se consomme crue, les peaux pour la confection des barques et des semelles de bottes. Du lait excellent de la femelle on tire le beurre, qui se prête lui-même à une foule d'usages, alimentation, pommade pour les cheveux, vaseline pour préserver la peau du froid et du vent, huile à brûler, matière à sculpter des figurines religieuses. Le croisement du yak avec la vache produit le dzo, très employé par les agriculteurs.
La tente du nomade diffère absolument de la tente mongole. Faite d'un tissu lâche en poils de yak, elle est quadrilatérale, soutenue par un bâton horizontal et deux verticaux, fixés à des piquets extérieurs au moyen d'un grand nombre de cordes, qui donnent à l'ensemble un aspect d'araignée. Elle s'appuie à un rempart de bouse desséchée, réserve de combustible ; un petit mur de boue ou de pierres, très haut dans le Nord-Est infesté de brigands, l'entoure à quelque distance, enceinte sacrée, changeant en hôte l'étranger qui la franchit. D'énormes chiens roux, massifs, redoutables, la défendent, apparentés au dingo australien. Le foyer intérieur est en général un fourneau de maçonnerie.
La maison du sédentaire a le même fourneau que la tente et le même trou dans le toit en guise de cheminée. Souvent hutte sordide à demi enfoncée sous terre, elle s'élève par degrés à la construction typique de pierres plates non taillées, sans ciment ni crépi, carrée, plus large à la base, à deux ou trois étages, couverte d'un toit plat, de terre battue sur un lit de broussaille, que soutiennent les solives apparentes. Les étables occupent le rez-de-chaussée. Une poutre à encoches ou un escalier de pierres brutes et inégales conduit aux appartements supérieurs quelquefois disposés autour d'un hall central à ciel ouvert. En tout p.366 cas le mur supprimé d'un côté ménage une terrasse semblable à une cour suspendue. Des embrasures étroites, loin du sol, assurent moins le jour et l'air que la défense ; seule la salle d'honneur est munie de grandes fenêtres sans vitres, à volets de bois rouges. Comme les tentes, les maisons préfèrent les terrains en pente, s'accrochent aux flancs des collines, aimant à voir le passant de haut. Elles s'assemblent en villages pittoresques, entassées les unes par-dessus les autres le long de ruelles en zigzags (pl. LX. B).
LX. B. Village du Tibet oriental.
Essentiellement sédentaire et agriculteur, le Tibétain bâtit et sème dès que le climat et le sol s'y prêtent. Il existe des villages jusqu'à 4.880 mètres, qui n'abritent que des pâtres. Il n'y a pas de champs à Gartog, par 4.600 mètres, ni à Nagtchou, par 4.450. L'orge se montre à
LX. C. Village de Tingri (Tibet méridional).
4.400, mais ne mûrit pas toujours. Elle réussit depuis 4.340 mètres dans le Sud et l'Ouest, depuis 4.100 dans l'Est. Le blé s'arrête vers 3.600. Les pois, haricots, raves, choux, oignons sont les légumes les plus ordinaires. On trouve le millet à Ba-tang (2.860 m.), le tabac, le chanvre, le maïs plus au Levant au-dessous de 2.700 mètres, le riz dans le Baltistan par 2.300. Partout, excepté à la lisière du Sud-Est, l'irrigation est nécessaire ; dans les vallées orientales cependant, les céréales de printemps, moissonnées en septembre, se contentent de l'eau de pluie. La charrue est restée très primitive, simple pièce de bois recourbée, qui n'a pas toujours de soc de fer. À côté du yak, de la vache et du dzo, l'agriculteur élève le cochon, qui revêt de longues soies laineuses pour supporter l'altitude de 3.700 mètres.
La terre ingrate nourrit avec peine sa population clairsemée. Le fromage sec et morcelé, le thé battu avec le beurre et salé, dont on boit de trente à quarante tasses par jour, forment le fond de l'alimentation avec les galettes de céréales sans levain, la soupe de raves et de choux et le fameux tsamba, farine de grains d'orge grillés. On mange de la viande quand on peut, crevée au besoin, et les pauvres, c'est-à-dire à peu près tout le monde, font d'infâmes brouets avec des intestins d'animaux. Hommes et femmes portent jour et nuit une très longue houppelande de peaux de mouton ou de laine, sans linge, et, s'il n'y a que peu de degrés sous zéro, chacun la rabat à droite, laissant l'épaule nue. Le Tibétain est d'une saleté repoussante, dévoré de puces et de poux en quantité incroyable, et sa peau entièrement imprégnée de beurre rance et de crasse, où s'attache un épais tégument de poussière, de suie et de crottin, exhale une odeur énergique, dont l'originalité ne s'oublie pas.
Il est difficile de concevoir l'indigence et la dureté d'une telle vie, doublées par la rudesse du climat. On s'étonnerait de tant d'héroïsme, déployé pendant des millénaires simplement pour subsister, si l'on ne savait que l'accoutumance est la plus forte. Cet homme misérable, cet homme méfiant par tradition, par peur du brigandage, par crainte du seigneur et du moine, est doué d'une vive et plaisante gaieté, d'une insouciance heureuse, qui n'est pas seulement l'apathie de la brute et n'est point sans finesse. Il laboure, sème et moissonne en chantant. Il gagne la sympathie de l'étranger équitable qui lui reconnaît plus d'intelligence et de curiosité qu'au Mongol, plus de bravoure qu'à l'habitant des oasis du Tarim, et qui le juge très susceptible de développement.
L'état social. Insouciance et misère sont liées à l'état social aristocratique. Le Tibétain est enchaîné au sort de sa naissance, à sa famille, à la profession, à la classe de son père. Il voit son destin avec le jour et n'a plus à s'en occuper. p.367 La famille est rigoureusement patriarcale, et la polyandrie générale n'est qu'une étape dans l'évolution de cette forme de famille, étape où l'aîné, seul sui juris, est seul apte à contracter mariage. Quoiqu'on l'ait supposé, ce système n'impartit aucun avantage à la femme, à qui incombe la besogne la plus lourde et la plus rebutante. Elle soigne les enfants et le bétail, fait la cuisine, file, tisse, coud les vêtements, travaille aux champs, rassemble les yaks dispersés, ramasse au loin la bouse de chauffage, monte au haut des pentes escarpées l'eau qu'elle puise à la rivière en de pesants tonnelets attachés à son dos, charge les animaux de bât, accompagne les corvées de transport, porte les fardeaux dans les endroits difficiles, passe les voyageurs à travers les fleuves. Mais, sous ce poids incessant, elle est toujours prête à découvrir son humeur rieuse, comme, sous l'horrible cachou noir qui la défigure en la protégeant des morsures de l'air, se découvre à l'occasion la fraîcheur d'un teint rose. Énergique, active, elle est assez libre en pratique et dirige fréquemment la maison. Il en est qui sont incarnations divines ou chefs de tribu. Telles sont la « Truie-Éclair », personnification de l'Aurore, qui préside au couvent mixte de moines et de nonnes de Samding au bord du lac Yamdog, et la « reine de Somo », dont Mrs. Biddulph a célébré l'escouade de belles filles faisant sur les grands chemins office de gendarmes à cheval.
La famille autoritaire est l'image de toute la société. Le seigneur campé dans son château fort est maître du village, des champs et des troupeaux. Fermiers et pâtres sont pour la plupart ses serfs. Les propriétaires libres, qui semblent peu nombreux, sont mangés de dettes pour le profit des nobles et des moines, qui leur prêtent à gros intérêts. D'ailleurs, au genre de vie des chefs nous estimerions qu'ils ont eux-mêmes à peine le nécessaire. Leur luxe principal réside dans la nombreuse clientèle qu'ils entretiennent, fonctionnaires, secrétaires, intendants, gendarmes, artisans, domestiques, mendiants. L'organisation sociale fait obstacle au développement économique, moins par l'exploitation des petits que par l'étouffement des éléments actifs.
Le cléricalisme. À la foule des châteaux en ruines couronnant les éperons des collines, le passant perçoit le déclin de l'aristocratie laïque, remplacée en grande partie par l'ecclésiastique. Chaque communauté religieuse est en effet un noble collectif. Le nombre en est inouï, et leurs membres ne représentent guère moins du quart de la population totale. Disséminés par milliers dans tout le pays, les monastères en sont l'un des traits les plus frappants. Leurs enceintes de forteresse escaladent les hauteurs, enferment un dédale de ruelles que bordent les maisons privées des moines ; au-dessus, les édifices communs, salles de réunion, réfectoires, temples aux toits dorés, élèvent leurs puissantes masses carrées élargies à la base, couronnées de frises et de poutres sculptées, percées de massives fenêtres aux linteaux en relief, ornées de terrasses, de galeries, de portiques. Un saint lama règne sur le couvent, un trésorier l'administre, un abbé gouverne plusieurs monastères et relève lui-même du général de son ordre. Car il existe une vingtaine d'ordres indépendants, fondés à des époques différentes, chacun étant la réforme du précédent. Le plus ancien est celui des Bonpos, qui n'est pas en réalité bouddhiste ; il représente la magie et le culte naturaliste d'autrefois. Puissant particulièrement dans le Tibet oriental, où il a pour centre le couvent de Dentchin sur le Tsa-tchou, ses fidèles comptent le sixième de la population. À Tsari, dans le Sud-Est du Tibet, réside le chef des Nyingmapas p.368 encore très imprégnés de magie, qui remontent au premier apôtre Padma-Sambhava (VIIIe siècle). Ils sont presque aussi considérables que les Gélougpas. Saskya-gonpa est le centre de l'ordre de ce nom. Il eut la faveur de l'empereur Khoubilaï, et ses couvents se reconnaissent à leurs murs barrés verticalement de bandes blanches, noires, rouges, bleues et jaunes. Les Gélougpas, fondés par Tsongkapa au XIVe siècle, sont les plus récents. Ils ont, grâce à la Chine et aux Mongols, conquis l'ascendant. On les appelle vulgairement lamas jaunes, par opposition aux noirs qui sont les Bonpos et aux rouges qui comprennent tous les autres ordres. À leur tête règnent les deux plus illustres de ce que nous appelons improprement des incarnations divines ; ce sont des corps magiques, images vivantes et illusoires d'un des aspects du Bouddha. Le pangtchen-rinpotché de Tachilhounpo représente le Bouddha Amithaba, créateur des Paradis d'Occident ; le talé-lama ou gyamtso-rinpotché figure le boddhisatva Avalokitesvara ou Tchenrézi, seigneur de miséricorde. Celui-ci, plus riche, dirigeant un plus grand nombre de couvents, est devenu souverain temporel du Tibet indépendant après l'abolition par les Chinois de la royauté laïque.
Les couvents sont armés comme des places fortes, exercent une juridiction étendue sur leurs serfs, possèdent la majorité des champs et des troupeaux, conservent des trésors accumulés depuis des siècles, reçoivent des legs et des aumônes considérables et, disposant ainsi des capitaux les plus abondants, accaparent la banque et le commerce. Les moines, dont les lamas sont seulement les plus élevés en rang, s'entretiennent à leurs propres frais, apportent une dot à la communauté, lui laissent en mourant une part de leurs biens, et pour son bénéfice, ou pour vivre, pratiquent les métiers les plus divers : magiciens, médecins, apothicaires, peintres, sculpteurs, imprimeurs, écrivains, lecteurs, marchands d'objets religieux, de reliques, d'indulgences, d'amulettes, d'horoscopes, de conjurations.
On achèvera de comprendre l'importance incomparable du clergé dans la société si l'on sait que toute famille a nécessairement plusieurs des siens dans les ordres et si l'on apprécie à sa juste valeur le fait d'être maître des formules et des rites qui agissent sur les puissances mystérieuses. Le Tibétain vulgaire n'a qu'une conception vague du bouddhisme, doctrine trop haute pour des laïcs enfoncés dans la chair et la matière. Mais il a gardé toutes ses croyances primitives. Il vit dans la peur d'un pullulement de démons et de dieux. Aux pratiques de l'ancienne magie, il a joint celles de la religion nouvelle, pour acquérir sans doute des mérites en vue de l'existence future, mais surtout pour se défendre de la colère toujours imprévue des esprits invisibles. Et, sans fin, les moulins à prières tournent, les rosaires glissent sous les doigts, les bâtons d'encens fument, les grandes perches plantées près de chaque maison livrent aux vents les formules protectrices de leurs longues banderoles, les pierres s'ajoutent aux tas de pierres sacrés, les inscriptions religieuses couvrent les rochers et les murs, les cérémonies magnifiques du culte sont célébrées dans les temples, les cités bourdonnent de chants pieux que soutiennent les cymbales, les tambours, les gongs et les cloches, les mystères et les danses déroulent leurs spectacles mythiques. Et, sans fin, le Tibétain tourne autour des objets qu'il estime sacrés, tas de pierres, montagnes, lacs, temples, et accomplit des pèlerinages interminables. Parmi les lieux très nombreux, qui des coins les plus écartés attirent la foule des dévots, il faut citer la ville de Lhasa, le monastère de Tachilhounpo, le mont Kailas et p.369 le lac Manasarovar, le district de Tsari où il est interdit de cultiver la terre et de tuer les animaux, le pic Doker-la sur le Mékong, le mont Lapchékang près de la frontière népalaise, où le saint lama Milaraspa a laissé l'empreinte de son pied. Beaucoup de pèlerins font non seulement le tour sacré, mais le voyage entier, sur des milliers de kilomètres, en se prosternant continuellement et en mesurant le chemin de la longueur de leur corps. Tel reste ainsi dix années en route. Le temps ne compte pas pour le Tibétain, il n'a rien à y perdre ni à y gagner, et ces longs vagabondages lui sont un puissant divertissement à la vie quotidienne.
L'état économique. Un autre jeu non moins en vogue, le brigandage, se combine souvent avec le précédent. Il fleurit partout, hormis en quelques parages mieux protégés, comme les environs de Lhasa, de Gyangtsé, de Chigatsé. Généralement on brigande pendant six mois, et l'on consacre le reste de l'année à des occupations paisibles. Il est rare de rencontrer sur les chemins un homme qui ne soit voleur ou volé ; mais les deux positions sont interchangeables, ce qui aide à considérer la chose du point de vue sportif.
Voilà beaucoup de conditions défavorables au progrès économique. Le Tibet n'a presque point changé depuis la peinture qu'en ont faite les Annales de la dynastie Tang (VIIe-IXe siècle). L'agriculture est pauvre, l'industrie davantage. Non que l'artisan tibétain soit dépourvu d'habileté. On fabrique de bonnes couvertures et étoffes de laine et, à Gyangtsé, un admirable tissu se rapprochant du drap. C'est une industrie d'État. Le Dégé et le Poyoul sont réputés pour leurs articles de fer et de cuivre, mais leur travail est loin de suffire aux besoins. Ce sont les arts religieux qui sont le plus florissants, exercés par les moines avec talent et selon les modèles traditionnels : fresques décoratives, clochettes, statuettes de cuivre doré, de bronze et d'argent, bâtons odoriférants, livres. Les couvents entretiennent une certaine activité artistique et intellectuelle qui met le Tibet bien au-dessus de la Mongolie et du Turkestan, et il faut avouer que, si l'humanité ne tire de ce pays aucune part de sa richesse matérielle, la haute dignité morale de beaucoup de ses lamas, leur culture littéraire et leur goût de la spéculation désintéressée ont ajouté quelque chose à son trésor d'honneur.
On ne saurait se prononcer sur la valeur des ressources minérales, presque inexploitées autant par crainte superstitieuse que par incapacité. Seul le borax, qui n'oblige pas de creuser le sol, donne lieu à une exportation suivie. Le soufre abonde, la turquoise de qualité inférieure, le lapis-lazuli, le fer, le cuivre, le plomb argentifère ne sont pas rares. Il semble que la richesse en or soit considérable. On rencontre fréquemment le quartz et les conglomérats aurifères ; il n'est pas de région où des gisements d'or ne soient signalés ; partout les indigènes offrent à bas prix aux voyageurs de l'or ramassé dans les rivières. Le cours moyen du fleuve Bleu a reçu des Chinois le nom de Kin-cha-kiang, le « fleuve au sable d'or ». Le peu de mines travaillées le sont par le gouvernement. La plus connue est celle de Togdjaloung, par 4.970 mètres d'altitude, à l'est du haut cours de l'Indus ; malgré l'étendue de son champ d'extraction, elle a un rendement insignifiant.
Les routes. Il est difficile de dire si c'est la pauvreté du Tibet ou son isolement qui font le plus obstacle au commerce extérieur. Les pistes qui servent de routes sont abominables et d'une longueur démesurée. Le père Huc a décrit p.370 avec une désolation un peu comique la « grande route » postale qui relie Lhasa à Ta-tsien-lou par Gyamdo, Tchamdo, Ba-tang. Elle a 1.500 kilomètres, un profil singulièrement irrégulier, haché, saccadé, franchit plus de cinquante cols, dont quelques-uns supérieurs à 5.000 mètres, demande aux yaks trois mois et demi de marche. Traversant les régions les plus peuplées, elle peut fournir les corvées de transport aux voyageurs officiels, qui sont presque seuls à l'employer. Le commerce préfère la voie qui tourne au Nord par Nagtchouka, Tchekoundo, Kandzé. Plus longue de 300 kilomètres, elle est moins difficile, bien pourvue de pâturages. D'égal développement, mais pire à cause de son altitude excessive et de son caractère presque entièrement désert, est la route de Tongkor, qui passe par la région des sources des grands fleuves, le Tsadam, le coin Sud-Est du Koukou-nor. Li-kiang, dans le Yun-nan, communique avec la capitale tibétaine par Tse-kou et Yerkalo sur le Mékong, Drayu, Chowa, chef-lieu du Poyoul, et la vallée du Tsangpo (1.500 km.). À l'Ouest, Lhasa se rattache à Lé, et de cette place au Cachemir, par la route postale de Chigatsé, Gartog, Routog. C'est peut-être la moins mauvaise du Tibet ; c'en est aussi la plus longue (2.140 km.).
Les voies réunissant directement le Tibet à l'Inde britannique ont l'avantage d'une brièveté relative, mais la politique les a longtemps fermées, et le trafic y est encore très réduit. Trois sont actuellement ouvertes : la principale (520 km.), de Lhasa à Dordjeling par Gyangtsé, le col Tangla dans l'Himalaya, Yatoung dans la vallée de Tchoumbi ; la deuxième, de Gartog à Almora par Taklakot, le col Lipoulek ou le col Outadhoura ; la troisième, de Gartog à Simla par la vallée du Satledj. Indiquons en outre le chemin d'intérêt local Lhasa-Tchétang-Tchona-Taouang-Odalgari dans l'Assam.
Le Bhoutan et le Népal ont de tout temps communiqué avec Lhasa, le premier par la vallée de Tchoumbi, le second par la vallée du Bhotia-Kosi (Po-tchou), Tingri et Chigatsé.
L'âpreté des routes hérissées d'obstacles, l'altitude, la neige, la glace, les précipices, l'absence ou la rareté des ressources ne conviennent guère qu'aux yaks dont la solidité imperturbable triomphe de toutes les difficultés. Malheureusement ces animaux n'ont dans leurs convois rien de la belle ordonnance des caravanes de chameaux ; leur marche irrégulière et heurtée met en danger les colis fragiles ; vivant de l'herbe du chemin, ils ne parcourent que 17 ou 18 kilomètres par jour, en sorte que, de Lhasa, il leur faut cent vingt jours jusqu'à Lé, cent huit jusqu'à Tongkor, à peu près autant jusqu'à Ta-tsien-lou, un mois jusqu'à Dordjeling.
Le commerce. Rien pourtant ne détourne le Tibétain de circuler. Sur la piste informe se succèdent pèlerins isolés ou en troupes ; brigands et voyageurs tranquilles, portant semblablement le sabre droit en travers de la ceinture, le fusil à fourche au dos, la lance au poing ; simples moines à tête rase, en robe rouge foncé sans manches, les bras nus couverts d'un plaid ; cortèges pompeux, menant grand bruit d'armes, de nobles lamas en casaques de soie jaune, aux vastes chapeaux laqués de rouge et d'or ; caravanes de commerce, comprenant des milliers de yaks chargés, des centaines de cavaliers équipés en guerre. Ces caravanes, monopole du gouvernement de Lhasa, des grands couvents, des princes, vont une fois ou deux par an pratiquer les échanges aux marchés de la frontière. Leur passage est la vie des espaces qu'elles parcourent, met p.371 en mouvement les activités de paix et de rapine. Leur chef reçoit l'hospitalité, requiert le concours, règle les difficultés des agents et clients de son expéditeur, négocie ses intérêts avec les puissances locales le long du chemin et, au point d'aboutissement, avec les fonctionnaires chinois, les gouvernements du Népal ou du Bhoutan, le vizir de Lé. Aujourd'hui comme autrefois, ce sont des missions de politique autant que de commerce (pl. LIX. E).
LIX. E. Cavaliers tibétains en expédition.
Aux villes de destination, Tongkor, Ta-tsien-lou, Li-kiang, Pounakha, Katmandou, Lé, les grands seigneurs laïques et religieux, à qui est réservé le trafic étranger, entretiennent des agents à demeure qui hébergent les convois, gardent les magasins, font les opérations de vente et d'achat. À l'intérieur du pays, il n'y a de boutiques pour le commerce de détail que dans les bourgs les plus importants. Elles sont en très petit nombre, pauvrement approvisionnées, gérées par des étrangers, Népalais, Bhoutanais, Cachemiriens, musulmans de l'Inde Nord-occidentale et du Ladag. Aux besoins régionaux pourvoient des foires périodiques tenues en certains lieux, généralement autour de monastères. Quand les Anglais de l'Inde ont conquis le droit de trafic, ils se sont accommodés à ces usages en obtenant l'ouverture d'une foire à Yatoung et l'accès de deux places de commerce, Gyangtsé et Gartog, dans chacune desquelles ils ont établi un agent officiel.
Le marché de Ta-tsien-lou tient de loin le premier rang, tant parce qu'il concentre les relations du Tibet avec la partie la plus riche de la Chine que parce qu'il possède le monopole du thé. Les Tibétains ne consomment que du thé chinois de qualité inférieure, comprimé en briques de deux kilogrammes, qui servent de monnaie. Ils en achètent environ 60.000 quintaux par an. La Chine leur vend en outre du tabac, des soieries, des harnachements de cuir, des armes p.372 et de la quincaillerie, et en reçoit principalement du musc et, pour une valeur beaucoup moindre, des lainages, peaux de yaks, fourrures, cornes d'antilope, bâtons odoriférants, de la rhubarbe, du borax, du sel, de l'or (31.000 livres sterling). De ce côté, le Tibet est toujours déficitaire, et il l'est devenu récemment dans ses échanges avec l'Inde, qui ont passé de 460.000 livres sterling à 231.000 à l'exportation et de 150.000 à 551.000 à l'importation. Il fournit à ce pays le pachm, duvet fin qui, sous la laine, couvre la peau des chèvres, de la laine, des animaux vivants, du borax, du sel, des turquoises, du musc et enfin du thé chinois pour les habitants du Ladag. Il en tire des articles métalliques, des étoffes, du sucre candi, du safran, des épices, du corail, des perles de fantaisie.
Fig. 59. Plan de Lhasa, d'après Ryder et Waddell.
1. Jardins ; 2. Marais. Échelle : 1:38.500.
Villes et couvents. L'organisation économique et sociale que nous venons d'esquisser ne comporte pas de villes. Au pied de chaque château, de chaque monastère, un groupe de maisons se tapit humblement, abritant les serfs et les clients. C'est en général le couvent qui est la vraie ville, dont le village n'est qu'un faubourg. La capitale, Lhasa, fait en quelque mesure exception (fig. 59). Elle s'est formée autour de l'ancien palais des rois laïques, sombre et modeste bâtisse à trois étages, et de l'antique temple Dzokang, dont le parvis sert de place de marché. La ville couvre moins de 140 hectares, et sa population, en grande partie étrangère ou flottante, monte à peine à 15.000 individus. Les trois quarts des indigènes sont des femmes, laissées pour compte par le système monastique et polyandrique. Dominant à l'Ouest, deux collines portent, l'une, le collège de médecine, l'autre, dite Potala, le palais du talé-lama, immense amas, aussi grossier que majestueux, de constructions qui s'étagent en neuf terrasses, surmonté par les murs rouges des appartements royaux et, tout au sommet, par les temples aux toits dorés de style chinois. C'est le symbole de la souveraineté ; les vrais maîtres sont ailleurs, dans les trois gigantesques monastères disposés autour de la cité : Séra à 7 kilomètres au nord abrite 7.000 moines, Dépoung, 9.000, à 10 kilomètres à l'ouest, Galdan, 4.000, à 40 kilomètres à l'est (pl. LXI, B, et LXIII, A et C).
Outre Lhasa, il existe trois agglomérations laïques de quelque importance : Gyangtsé avec 6.000 habitants, Tchétang et Nétong, deux proches voisines sur le Tsangpo, avec 3.000 âmes chacune. Chigatsé n'est qu'une pauvre bourgade de 300 maisons, écrasée par son énorme citadelle et disparaissant dans l'éclat du monastère de Tachilhounpo, qui abrite 3.800 religieux. On en compte 3.000 à Lhabrang (Tachikyil), 3.500 à Kouboum près de Si-ning. Quelques huttes de boue forment le village de Tchamdo, dont le couvent, avant sa destruction par les Chinois, logeait 2.000 moines dans ses murs. À Ba-tang résidaient 1.800 religieux à côté de 1.500 laïcs ; Li-tang réunit 3.000 religieux et 2.000 laïcs, Kandzé 1.300 moines et 400 familles. À la frontière orientale il s'est constitué, pour les besoins du commerce, des centres qui font figure de petites villes, Ta-tsien-lou (Dartsédo en tibétain), Soung-pan, Tongkor, mais la population en est mixte, en grande partie chinoise. Quant à Gartog, dans l'Ouest, préfecture et marché international, c'est un hameau de quinze masures ; en hiver, le préfet réside en aval, à Gargounsa, à peine moins misérable. Tchaprang, autrefois capitale de royaume, assemble vingt maisons, et l'ancienne cité, dont on voit les ruines, dénombrait 500 ou 600 personnes.
LXI. B. Monastère de Séra, près de Lhasa.
p.373 Relations avec l'Europe. Dans la retraite de ses montagnes, le Tibet a toujours été hors de la circulation générale, longtemps ignoré de l'Europe. Cependant les anciens en avaient déjà quelque notion. Pline en fait en douze mots une description excellente : « La nation des Attacores, abritée par ses montagnes des vents du sud, vit sous le même climat que les Hyperboréens ». Le premier, Ptolémée mentionne le nom véritable du peuple, les Bautes, qu'il place sur le haut fleuve Jaune, au nord des Ottorokorrhes (Attacores de Pline), eux-mêmes habitant le versant septentrional des monts Emôdes (Himalaya), sur les rives d'un fleuve qui est évidemment le Tsangpo. Mais le géographe alexandrin le réunit, comme le Tarim, au fleuve Jaune qu'il nomme Bautisos. Il résulte implicitement de son texte que ce pays lui était connu par une route commerciale reliant Palimbothra
LXIII. C. Vue de Lhasa.
(Patna) à Sera metropolis (Tchang-ngan). Pian de Carpine, Rubrouck, Marco Polo parlent du Tibet sans l'avoir visité. Un moine italien du XIVe siècle, Odoric de Pordenone, dit y avoir pénétré, mais n'en donne qu'une relation insignifiante. Les géographes arabes ne sont guère mieux renseignés. Il faut descendre au XVIIe siècle pour voir le pays sortir de son obscurité. Un jésuite portugais, Antonio de Andrade, venu d'Agra, découvrit la source du Gange et fonda une mission à Tchaprang en 1624 et une autre à Routog. Un de ses successeurs, Azevedo, visita le Roupchou et Lé (1631). Cacella et Cabrai allèrent à Chigatsé en 1627 et 1628 par le Bhoutan. Deux autres jésuites, Grueber, autrichien, et Dorville, belge, firent la route Si-ningLhasaKatmandou en 1661-1662. Ces pionniers sont effacés par un Italien du même ordre, Hippolyte Desideri, qui en 1715 se rendit de Srinagar à Lé, puis à Lhasa en 1716, résida près de six ans dans le Tibet, dont il visita la plupart des provinces et en fit la meilleure description générale que nous possédions. Elle resta malheureusement en manuscrit jusqu'à la publication de Puini (Il Tibet, Rome, 1904). En 1708, les Capucins installèrent à Lhasa une mission qui subsista jusqu'en 1760 et dont le supérieur, Orazio della Penna, rédigea et publia un rapport intéressant (Noticia del Regno di gran Thibet, Rome, 1762). Mais, dans l'ignorance où l'on était des travaux de Desideri, ce fut surtout aux jésuites de Pékin que l'Europe dut, avant le siècle dernier, sa connaissance du Tibet, notamment par leurs Mémoires (1776-1816) et par la HYPERLINK "duhalde_description_1.doc" Description de la Chine, du père du Halde (1735).
Cependant les gouvernements de Pékin et de Lhasa, inquiets du développement de la puissance britannique aux Indes, s'étaient entendus pour fermer plus rigoureusement le pays aux étrangers. Warren Hastings put encore faire recevoir à Tachilhounpo deux agents, Bogie en 1774, Turner en 1783, dont nous possédons les relations. En 1811, un autre Anglais, sans caractère officiel, Manning, entré par le Bhoutan comme les précédents, réussit à pénétrer à Lhasa, mais fut bientôt expulsé. Les pères lazaristes Huc et Gabet, venus par le nord de Si-ning, eurent le même sort en 1846. Ils furent les derniers Européens à visiter le Tibet central avant l'expédition militaire des Anglais en 1904. Seuls des pandits, indigènes des régions himalayennes, dressés par le service trigonométrique de l'Inde, purent parcourir les contrées interdites et en lever une carte sommaire ; parmi eux se sont distingués Nain Singh (1865-1874) et Krishna (1878-1882). Quant à l'uvre scientifique des explorateurs européens, elle dut se cantonner aux régions limitrophes. La reconnaissance des sources du Gange, par Webb et Raper, officiers britanniques, en fut la première manifestation en p.374 1807. De nombreuses tentatives, qui réclamaient, soit un grand déploiement de moyens, soit un déguisement pénible et dangereux, resserrèrent de plus en plus le réseau autour du bloc central. Elles furent toujours arrêtées en cours d'exécution. Pour leurs auteurs, cette hostilité systématique n'eut, dans les provinces soumises à l'autorité de Lhasa, d'autres inconvénients que d'accroître les fatigues du retour ; elle engendra des conséquences plus graves dans les régions anarchiques et troublées de l'Est et surtout du Nord-Est où la plupart des voyageurs furent attaqués et où plusieurs trouvèrent la mort.
Depuis 1904, bien que les Européens n'aient été l'objet que d'une tolérance très relative et discontinue, il a été permis à quelques-uns de prolonger jusque dans les parties restées les plus secrètes les mailles des itinéraires antérieurs. Il reste beaucoup à faire ; car, si le travail des explorateurs a été souvent de meilleure qualité au Tibet qu'en Mongolie, sa densité moindre est rendue plus sensible par l'extrême complexité du système montagneux.
Politique chinoise et politique britannique. La résistance obstinée du Tibet aux visites des Européens ne s'explique entièrement que par la politique chinoise. Le gouvernement de Pékin a toujours considéré les pays désertiques environnant la Chine comme des marches propres à la défendre contre les entreprises du dehors ; son plan à leur endroit s'est composé de deux articles : en contenir les peuples turbulents et en faire des portiers aussi sévères que les circonstances paraissaient l'exiger. Pour atteindre le premier but en ce qui concerne le formidable bastion tibétain, les empereurs soutinrent le clergé bouddhiste contre la monarchie laïque. Khoubilaï conféra même la puissance suprême au supérieur général de l'ordre des Saskvapas. Quand, sous les Ming, la Chine se retira sous sa tente, les Mongols, intérimaires de l'impérialisme des Yuen, aidèrent, au XVIe et au XVIIe siècle, les premiers talé-lamas de l'ordre Gélougpa à briser la révolte des laïcs et ce qui restait de la force militaire du Tibet. En 1751 enfin, la dynastie mantchoue étouffa les derniers ferments d'agitation en exécutant le dernier roi et en investissant le talé-lama de la souveraineté temporelle. Ce fut seulement à cette date, coïncidant avec la grande puissance de la Compagnie des Indes, que le Tibet, qui avait jusqu'alors toléré des missionnaires chrétiens, commença de fermer strictement ses portes, excepté aux agents des petites principautés voisines, Bhoutan, Népal, Ladag, Baltistan.
La Chine avait rempli ses desseins. Il n'y entrait point d'administrer et de coloniser le pays. Elle se contenta de placer un commissaire (King-tchai) auprès du talé-lama et d'installer sur quelques points de petites garnisons protégées moins par leur force que par le prestige impérial. D'ailleurs le lama, mis et maintenu sur le trône par les Chinois, délivré par eux d'une redoutable invasion népalaise en 1792, avait les mêmes intérêts et ne faisait rien sans l'aveu de leur représentant. Il savait que l'empereur, maître du Ciel comme de la Terre, disposait à son gré des dieux visibles et que les signes sacrés, marquant les enfants divins, n'apparaissaient que là où il lui plaisait.
L'Inde britannique s'accommodait de cette situation. Compartiment étanche fonctionnant automatiquement, le Tibet isolé lui rendait précisément le service qu'elle en pouvait attendre, en écartant tout voisinage dangereux. À la fin du XIXe siècle, la politique russe changea les circonstances. Elle envoya à Lhasa des agents bouddhistes d'origine bouriate ou kalmouk, reçut à p.375 Pétersbourg une mission du talé-lama. Elle laissa publier des projets d'union des peuples bouddhistes sous le patronage du tsar. À vrai dire, il s'agissait de chimères, fondées sur un vain mirage, sur l'opinion vulgaire touchant l'expansion et la force du bouddhisme en Asie. Les faits en eux-mêmes inquiétèrent moins Londres que l'idée que les Tibétains s'en pouvaient faire. Ceux-ci fournirent un prétexte en n'exécutant pas les conventions anglo-chinoises de 1890 et 1893, qui ouvraient un marché à Yatoung à la frontière indo-tibétaine. Une colonne forte de 652 combattants britanniques et 2.000 Indiens prit Gyangtsé et entra à Lhasa sans coup férir le 3 août 1904. Le traité du 7 septembre suivant avec le gouvernement tibétain stipula l'ouverture de deux nouveaux marchés et l'établissement d'agents commerciaux britanniques à Gyangtsé et à Gartog et l'exclusion de toute intervention et de tout agent d'une tierce puissance. La Chine y adhéra en 1906. Mais ses efforts pour chercher une compensation dans le renforcement de son autorité sur le Tibet oriental provoquèrent des révoltes qu'elle réprima durement et dont les ramifications l'amenèrent à empiéter sur les territoires dépendant de Lhasa et à occuper militairement cette ville en 1910. La rébellion de ses troupes à la nouvelle de la révolution de Pékin mit fin à cette domination éphémère. Sous le commandement de leurs lamas, les Tibétains prirent une offensive vigoureuse, qui obligea les Chinois à accepter en 1918 un arrangement provisoire fixant la frontière peu à l'ouest de Yerkalo, Ba-tang et Kandzé, c'est-à-dire réglant en faveur de Lhasa la question du Dégé, toujours contestée jusqu'alors.
Ainsi le Tibet avait recouvré sa vertu guerrière, et ce sont les moines chargés de lui enseigner la paix qui l'ont conduit sur le chemin des batailles. Religieux et laïcs ont été d'accord pour penser que rien ne vaut la liberté. La prudente réserve de la Grande-Bretagne après la victoire servit au contraire son influence, et, instruit par l'exemple de la Mongolie extérieure, Londres en usa pour éloigner la propagande moscovite. Quoi qu'il en soit, l'isolement farouche du Tibet est entamé. Les Anglais ont pénétré dans le pays, le talé-lama et le pangtchen-rinpotché ont cherché refuge dans l'Inde et y ont séjourné, les Tibétains invoquent le droit des nationalités, ils s'ouvrent à des idées nouvelles. Leur citadelle d'un autre âge ne tardera pas à être emportée comme le reste par la puissance irrésistible que la civilisation occidentale a acquise dans le monde depuis trois quarts de siècle.
Géographie politique. Les territoires peuplés de Tibétains se divisent politiquement en trois parties : le royaume de Lhasa, les principautés et tribus relevant directement de la Chine, et divers groupes rattachés à l'empire des Indes.
L'État de Lhasa, appelé Débadjong, limité par l'Inde, les provinces chinoises de Sseu-tchouan, Kan-sou et Sin-kiang, compte environ 1.800.000 habitants, sur une superficie approximative de 1.280.000 kilomètres carrés y compris les déserts le séparant du Turkestan oriental. Il est dirigé par un roi qui, depuis 1751, est l'un des deux grands-maîtres de l'ordre monastique des Gélougpas, le talé-lama. Celui-ci gouverne avec l'assistance d'un conseil de quatre ministres laïques, kalon, présidé par un moine, le loutchen, qui pendant la minorité royale prend le titre de vice-roi, gyatsab. Un conseil permanent de contrôle comprend vingt membres, nommés par les trois grands couvents qui entourent la capitale. C'est en lui que réside le véritable pouvoir. Dans les circonstances extraordinaires, on p.376 convoque une assemblée générale, tsongdou, constituée par les délégués des principaux monastères, les grands seigneurs fonciers et les hauts fonctionnaires. Le pays est partagé en cinquante-trois districts qu'administrent chacun deux dzongpon, un religieux et un laïc égaux en droit, mais c'est le religieux qui dispose.
Au milieu du royaume, une enclave, le Tsang, a pour roi temporel l'autre grand-maître de l'ordre Gélougpa, le pangtchen-rinpotché, résidant au monastère de Tachilhounpo au-dessus de Chigatsé. Spirituellement, il est l'égal du talé-lama, et il ne lui est inférieur temporellement que parce que sa principauté est plus petite, ne comptant guère plus de 100.000 habitants ; mais il possède en dehors de très grandes propriétés répandues dans le Tibet entier. Le grand lama de Saskya est prince autonome dans le district qui environne son couvent.
Des agents diplomatiques continuent à représenter le Népal et le Bhoutan auprès du talé-lama ; mais depuis 1912 il n'y a plus de résident général chinois. Une convention, paraphée en avril 1914 entre plénipotentiaires britanniques, chinois et tibétains en vue de définir le statut international des territoires tibétains, n'a pas été ratifiée par le gouvernement de Pékin, qui, sans contester l'autonomie du royaume de Lhasa, maintient ses droits de protectorat.
À l'est de ce royaume, les pays habités par des Tibétains font officiellement partie intégrante de la république de Chine : ceux du Sud forment la région particulière de Si-kang, ceux du Nord sont rattachés au Kan-sou. En réalité la population résiste énergiquement à l'établissement d'une administration chinoise directe. Dans le Si-kang, elle est partagée entre dix-neuf petites principautés autonomes : quatre sous un roi, Tchéla (Ta-tsien-lou), Nangtchen, Lato, Lintsoung ; deux sous un déba, Ba-tang, Li-tang ; douze sous un bonbo, les cinq Hor, Nyarong, Sangen, les cinq tribus presque entièrement nomades du haut Tsa-tchou. Il faut y ajouter les tribus des Watchi entre le Toung-ho et Soung-pan. Elles se distinguent par des particularités de costume, de coutumes et de langue.
Des Chinois marchands ou agriculteurs ont pénétré à quelque distance dans ces territoires tibétains, se sont installés dans les bourgs, ont créé quelques fermes. Mais la colonisation n'entame pas l'indigène, qui, bien différent du Mongol, se défend victorieusement et impose sa race aux métis de Chinois et de Tibétaines.
Du Kan-sou relèvent les tribus nomades qui occupent les excellents pâturages du haut fleuve Jaune et du Koukou-nor. Appelés Si-fan par les Chinois, Tangout par les Mongols, ils se divisent en Panags au Nord, Ngologs au Sud. Les douze tribus des Ngologs, c'est-à-dire « rebelles », établies dans la boucle et au sud du Ma-tchou, ont un roi qui réside à Artchoun dans la vallée de ce fleuve. C'est une société de guerriers pillards régulièrement organisée. Chaque été ils font une ou plusieurs expéditions de quelques centaines de cavaliers qui vont au loin exercer leurs déprédations au profit de leurs chefs et de leur roi. Ils se signalent par leurs lances de 12 pieds, leur tête rase, leurs bonnets plats et ronds ajustés en arrière, formant visière en avant. Nul ne peut passer sur leur territoire, hormis les caravanes de certains couvents et les musulmans Salar avec qui ils ont des coutumes de commerce. Les Panags, au nombre de 200.000, sont plus tranquilles, moins systématiques dans leurs brigandages, soumis en quelque mesure à l'autorité chinoise. Ils ont aussi la tête rase et sont toujours à cheval pour surveiller leurs vastes troupeaux. À l'est du Ma-tchou, dans le Ngamdo, ils se livrent à l'agriculture, se groupent en petits villages qui ont pour centre le monastère de p.377 Lhabrang. Au nord du fleuve, dans la région de Si-ning, ils s'entremêlent avec les musulmans chinois dont ils ont adopté le costume. Sur ce méridien, la race tibétaine monte jusqu'au 38e parallèle, couvrant ainsi dix degrés de latitude.
La terreur des Ngologs fait le vide à l'ouest de leur territoire dans les belles prairies du haut Ma-tchou, et leurs voisins restent à distance, cantonnés dans la cuvette du Tsadam. Ce sont des Mongols, reste de ceux qui avaient occupé au XVIe siècle tout le bassin supérieur du fleuve. Ils en ont été chassés par les Tibétains depuis 1847, laissant seulement quelques vestiges dans le Ngamdo. Ils comprennent cinq tribus : Taitchiner, Karlouk beisé et Karlouk djassak, Djoung et Baron djassak, en outre la petite seigneurie ecclésiastique de Chang qui relève du grand lama de Tachilhounpo. Leur nombre diminue et paraît ne plus dépasser 2.000 familles.
À l'extrémité occidentale du Tibet, il existait autrefois un petit royaume indépendant, le Ladag, capitale Lé, village de 2.100 habitants, où l'on voit encore se dresser sur la pente de la montagne la haute et lourde masse du château de ses anciens rois (pl. LXI. A). Conquis par le Cachemir en 1835, il est aujourd'hui administré par un vizir du maharadjah, assisté d'un commissaire britannique. Sa superficie de 73.000 kilomètres carrés ne nourrit que 35.000 habitants, bouddhistes, tibétains de langue et de type, mais commençant à se métisser de Cachemiriens et de musulmans de Kachgarie. En aval de l'Indus, leurs voisins Baltis sont musulmans chiites, parlent un dialecte tibétain particulier assez corrompu et témoignent par leur type physique d'un long métissage avec les populations indo-européennes du Sud et de l'Ouest. Leur pays, qui était divisé en plusieurs principautés autonomes, a été soumis au Cachemir en même temps que le Ladag. Sa superficie est de 33.700 kilomètres carrés, sa population de 60.000 habitants.
La frontière méridionale du Tibet politique ne coïncide pas toujours avec l'Himalaya et laisse l'Inde et le Népal empiéter au Nord sur de longues distances. Elle ne dépasse la chaîne au Sud que dans la haute vallée de Tchoumbi entre le Sikkim et le Bhoutan et dans les vallées supérieures du Dibang et du Lohit. Mais, dans ces limites, il n'y a nulle part d'étrangers, et partout la race tibétaine atteint la ligne de faîte, débordant parfois sur les pentes du versant méridional. Elle y a fondé notamment un État autonome, le Bhoutan, dont le fond de la population est tibétain, au moins dans l'Ouest, et dont les moines appartiennent à l'ordre des Dougpas. Les Indiens donnent généralement le nom de Bhotias à ces Tibétains de l'Himalaya, dont le nombre s'élève à environ 250.000 individus.
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