Romans et Mémoires, rédigés par des diplomates - HAL-SHS
?inquième pays exportateur dans le monde, quatrième mondial pour l'accueil
des ... Quel est votre avis à ce sujet? 12. ...... massive, les nouveaux
gouvernements ont été laissés à eux-mêmes dans la définition de leur . .....
bipolarisation (f.) .... Agreement on Tariffs and Trade, ou GATT) ce texte est signé
le 30 octobre 1947.
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Laboratoire Georges-Friedmann (CNRS / Paris I),
27 avenue E. Lombart, 92 260 Fontenay-aux-Roses
Le ministère des Affaires étrangères (direction des Ressources humaines et centre dAnalyse et de prévision) a confié à une équipe de quatre sociologues du laboratoire Georges Friedmann (CNRS-Université de Paris I) le soin dune recherche approfondie sur les métiers diplomatiques.
Si le métier de diplomate est lobjet de nombreuses représentations littéraires ou historiques, il reste cependant peu étudié en sociologie du travail. Entre limage prestigieuse du diplomate, qui agit directement sur le cours des relations internationales et celle dun monde plus futile tourné vers les réceptions et les mondanités, le grand public ne sait pas à quoi sen tenir sur les métiers diplomatiques, en quoi ils consistent réellement. Contrairement à dautres emplois publics (comme ceux de lenseignement, de la police ou de lhôpital), les usagers ont peu loccasion de rencontrer des diplomates (à lexception des Français de létranger pour le personnel consulaire) ; ce qui favorise probablement fantasmes et représentations déformées de la réalité.
La demande de recherche du ministère des Affaires étrangères a été formulée dans un contexte bien particulier : à la suite dévénements qui avaient manifesté lexpression dun malaise (grèves de décembre 2003, provoquées par le manque de moyens et la modification des grilles de calcul des indemnités de résidence ; récriminations exprimées lors denquêtes internes ou sur le forum Intranet, etc.), et de différents projets de réforme (volonté de déménagement, introduction de la LOLF, etc.). Pour répondre à cette demande, le laboratoire Georges-Friedmann a mis en place un programme de recherche en plusieurs étapes sur les métiers diplomatiques. Durant la première année de recherche, une approche extensive a été entamée afin de comprendre les différentes interrogations exprimées par les agents rencontrés.
Lidée selon laquelle il existerait un « malaise » parmi les agents du MAE na pas été particulièrement confirmée durant les premiers entretiens réalisés. Dans lensemble, en effet, la plupart des personnes interrogées se sont dites satisfaites de leur travail, quelles trouvent riche de sens et valorisant (contact avec lactualité, tâches variées, rencontres enrichissantes
). Les entretiens et observations ont toutefois fait apparaître un certain nombre dinterrogations, voire de mécontentements, souvent rattachés aux évolutions de la diplomatie française. Si lon donne au terme de « crise » le sens de mise à lépreuve de lidentité et des mécanismes de régulation du groupe, de phase transitoire, cest-à-dire de destruction, mais aussi potentiellement de reconstruction, il est possible de parler ici dun contexte de crise latente.
Cette « crise » a plusieurs dimensions. Une crise politique et de légitimité tout dabord. À linstar dautres ministères, le MAE est touché par la remise en cause des services publics, jugés trop coûteux et insuffisamment efficaces. Même sil ne se voit attribuer que 1 % du budget de lÉtat, pour nombre dagents rencontrés, la diplomatie aurait servi, ces vingt dernières années, de « variable dajustement » dans le budget de lÉtat et aurait, plus que dautres administrations, fourni des efforts et fait des sacrifices dans le cadre de la réforme des services publics. Malgré cela perdure, dans lopinion publique, limage dune vie de privilégiés. À lextérieur, daprès certains de nos interlocuteurs, la place de la diplomatie française serait en recul. Avec les nouveaux entrants dans lUnion Européenne (UE), un certain nombre de crises politiques en Afrique (Côte dIvoire, Rwanda, etc.) et la montée en puissance de nouveaux acteurs (États-Unis et Chine) sur ce continent, même les bastions traditionnels de la France seraient de plus en plus remis en cause. Dans nombre de pays, lambassadeur de France aurait perdu de son prestige et de son influence dans une société internationale à la fois plus concurrentielle et plus dominée par les États-Unis.
Crise bureaucratique, également, avec les transformations (informatisation, démocratisation du recrutement, montée en puissance des missions non politiques, volonté dintroduire un plus grand souci gestionnaire, etc.) qui touchent le fonctionnement dune administration aux méthodes et à lorganisation très marquées par le passé. Des débats et conflits internes traversent ainsi le ministère autour des questions de lévaluation, de ladéquation des objectifs et des moyens, de la place des services gestionnaires et logistiques.
Dans ce cadre, linterrogation sur lavenir de la diplomatie, lexistence on non de métiers propres, la spécificité des Affaires étrangères sont particulièrement saillantes. Lobjectif de cette recherche est létude du travail des diplomates dans son contexte organisationnel et professionnel, ainsi que la conciliation, de plus en plus difficile, entre le travail et la vie privée. Dans la lignée des travaux dEverett Hugues ou dAndrew Abbott, le métier nest pas étudié comme une entité aux contours et au contenu bien délimités (ce qui sappliquerait mal au cas des diplomates), mais comme un processus complexe, fait de débats, de concurrence, de définitions croisées et évolutives, au gré de la division des tâches et des fonctions sociales. Plutôt quaux rhétoriques professionnelles (ce que le groupe veut montrer de lui-même), il faut alors sintéresser au travail effectivement réalisé.
La présente étude porte sur lanalyse pragmatique et concrète de lactivité des agents du MAE, des représentations de leur métier dans leur diversité. Elle vise à mettre en évidence les facteurs organisationnels qui facilitent ou au contraire rendent plus difficile larticulation entre lactivité réelle des diplomates et la représentation quils ont de ce que doit être leur mission. Les questions des objectifs politiques, des grandes orientations stratégiques, de lévaluation de la politique étrangère ne relèvent ni de lobjet de départ de cette recherche, ni de la compétence des quatre chercheurs de léquipe. Ces questions ne seront donc abordées que de façon indirecte et très secondaire, à travers ce que peuvent en dire les agents du MAE sollicités au cours de cette enquête.
La méthodologie mise en uvre dans cette recherche est volontairement diversifiée, afin dappréhender la complexité des métiers diplomatiques. Dans lAdministration centrale, un échantillon dune quarantaine dagents de catégorie A a été tiré au sort dans les différentes directions, afin de réaliser des entretiens approfondis sur la carrière, le travail et la conciliation avec la vie privée. Une douzaine dentretiens complémentaires a été réalisée auprès de personnes occupant des emplois ou des fonctions particulièrement stratégiques au regard de nos objectifs denquête. En outre, cinq postes (trois bilatéraux avec leurs consulats et deux multilatéraux) ont fait lobjet détudes approfondies (entretiens auprès de différentes catégories de personnel et observations). À cela sajoutent la lecture des travaux, peu nombreux, sur le travail des diplomates et les écrits danciens diplomates (mémoires, romans). Enfin, lAnnuaire diplomatique est venu faciliter létude des trajectoires et carrières des agents (mais seulement les catégories A et B).
Les entretiens individuels ont été conduits selon lhypothèse que ce que nous disent les agents est fondé, a du sens, et quil faut prendre au sérieux les satisfactions ou les griefs exprimés. Mais cela ne doit pas empêcher une mise en perspective et un croisement des différentes données recueillies : par les carrières des mêmes agents telles quelles sont présentées dans lAnnuaire diplomatique ; par les entretiens menés avec dautres agents dans les mêmes sites ; par des observations en situation du travail des agents interrogés, etc. Compléter ce que les gens disent par létude de ce quils font est nécessaire pour comprendre comment sarticulent les représentations, les discours et les contraintes structurelles et organisationnelles rencontrées. Dans la mesure du possible, la présence de deux chercheurs par site dobservation a été respectée pour mieux diversifier les points de vue ; par exemple, en suivant une même manifestation sur le terrain avec le diplomate qui en a la charge et depuis lambassade, avec ceux de ses collaborateurs qui assurent le support logistique. La comparaison entre les sites devait ensuite aider à mieux prendre la mesure des particularités locales et individuelles, du poids des structures et des jeux dinteraction.
Dans cette première phase de létude, les chercheurs nont pas voulu privilégier une définition a priori de leur champ détude, ni de qui était diplomate et de qui ne létait pas pas. Trois options soffraient alors : soit ne considérer que les agents ayant une fonction politique de haut rang ; soit définir les diplomates par la possession dun passeport diplomatique ; soit encore prendre en compte lensemble des agents du ministère. Si les deux premières options semblaient trop arbitraires et restrictives, la troisième était à la fois trop vaste pour le travail dune année de recherche et encore trop restrictif, car ne prenant pas en compte les agents des autres ministères en poste dans les ambassades. Il a donc été envisagé une solution intermédiaire : centrer les entretiens isolés sur les agents de catégorie A et réaliser des études locales prenant en compte lensemble des catégories et des agents (quils soient du ministère ou non) impliqués dans le travail diplomatique et consulaire.
Pour les différents postes visités et limplantation nantaise, des monographies ont ainsi été réalisées afin de replacer, autant que possible, létude du travail, dans son contexte local. Il ne sagit ni dun audit en organisation, ni dune description journalistique ou ethnographique, mais dune première tentative de formalisation et de conceptualisation sociologiques des pratiques observées. Pour des raisons évidentes de respect de lanonymat, mais aussi dans un souci de montée en généralité, ces monographies ne peuvent pas être reprises ici in extenso. En ont été dégagés les principaux enseignements, qui ont ensuite été mis en perspective les uns par rapport aux autres. Toutefois, le nombre encore réduit de ces monographies et labsence détudes équivalentes sur les services parisiens (abordés pour linstant de façon plus atomisée) rendent les hypothèses développées dans ce rapport intermédiaire encore fragiles.
Le présent rapport est bien un rapport détape. Cette première année de recherche a été conçue comme une phase de test pour la faisabilité dune recherche portant sur un terrain particulièrement riche et complexe. Les résultats doivent donc être considérés comme provisoires.
Pour reprendre les principales interrogations développées par les agents rencontrés, mais aussi dans le cadre dune démarche détude des métiers et du travail dans leur environnement ainsi que par rapport aux différents enjeux saillants observés, les questions abordées ont été regroupées en quatre grands chapitres largement imbriqués :
1° La question des carrières
2° La question de lorganisation et de la division du travail entre les différents services et les postes
3° Le contenu du travail, des compétences et de lévaluation du travail et du service rendu
4° Larticulation entre la vie privée et la vie professionnelle.
1 - Trajectoires et carrières
Il a longtemps été dusage, pour parler du métier de diplomate, dévoquer la « Carrière ». Celle-ci ayant traditionnellement pour objectif ultime le poste envié et prestigieux dambassadeur dans un pays important. Pour la grande majorité des cadres A rencontrés, cela reste un horizon désiré, pour lequel le parcours à mener afin dy parvenir et les chances de réussir sont évoqués lors de lentretien. Le rapport à la carrière escomptée peut être déterminant pour comprendre le rapport au travail : plus ou moins grande acceptation de la charge de travail ; sentiment dêtre reconnu dans les efforts fournis et la compétence apportée ; arbitrages avec la vie privée.
A) Les carrières : entre ladministratif et le social
Carrières et trajectoires sont, pour une part, déterminées par les règles habituelles davancement et dancienneté dans les différents corps et grades de la fonction publique, mais au sein de ce cadre général, différents cas de figure sont possibles : avancement plus ou moins rapide suivant la notation ; possibilité de se faire remarquer en bien ou en mal par un supérieur hiérarchique ou un responsable politique ; différences de prestige, de confort ou de rémunération importantes entre les postes, etc. Plus on approche du haut de la pyramide, plus la rareté des beaux postes et la proximité du politique imposent des règles moins formelles, une gestion plus individualisée des carrières. Cette complexité peut conduire certains à sinterroger sur léquité des décisions prises.
Les modalités dentrée au Quai dOrsay
Les modalités actuelles daccès au Quai dOrsay, pour les postes de catégorie A, datent, dans une large mesure, des années daprès-guerre. Durant cette période est effectivement réalisée une réforme des concours daccès consécutive à la création de lENA, dont lobjectif est de simplifier et dunifier les concours de niveau proche existant dans les administrations. Dans un ouvrage consacré à lhistoire de lAdministration française, on peut lire que « le Quai dOrsay se trouvait particulièrement touché par cette réforme : le second niveau de recrutement, celui du petit concours, disparaissait, et on nestimait plus que les tâches des agents du ministère des Affaires étrangères étaient suffisamment spécifiques pour justifier un recrutement particulier », même si était créée au sein de lENA, une spécialité « Affaires extérieures » et maintenu le concours dOrient. Les enjeux apparus alors restent dactualité dans la mesure où, au-delà de la diversité des concours daccès aux emplois de catégorie A, les évolutions de carrière laissent penser à la perpétuation dun système binaire, marqué par des différences entre les énarques et « les autres ». Le corollaire de cette première interrogation porte sur le caractère généraliste, ou non, de la « Carrière ».
Les principales voies daccès aux emplois de catégorie A sont lENA, doù sortent les conseillers des Affaires étrangères du cadre général intégrant le Quai dOrsay à leur sortie de lécole (7 postes en 2006), le concours pour laccès à lemploi de conseiller des Affaires étrangères du cadre dOrient (13 postes au titre de 2005), celui pour lemploi de secrétaire des Affaires étrangères du cadre général (17 postes au titre de 2005), le concours pour laccès à lemploi de secrétaire des Affaires étrangères du cadre dOrient (4 postes en 2005), les IRA pour les secrétaires des Affaires étrangères dadministration (1 poste en 2005) ou le concours pour laccès au corps dattaché des Systèmes dinformation et de communication. Pour la catégorie B, on a le concours de secrétaire de chancellerie et celui de secrétaire des systèmes dinformation et de communication. Enfin, pour les emplois de catégorie C, les recrutements se font dans les corps dadjoint de chancellerie et dadjoint dadministration. Ces différentes voies ont pu changer dappellation suivant les réformes concernant les corps (le concours pour laccès à lemploi de secrétaire des Affaires étrangères a « remplacé » celui de secrétaire adjoint des Affaires étrangères en 2000). Ces concours sont très courus et les candidats, pour les catégories B et C, apparaissent largement surdiplômés par rapport au niveau du concours et aux tâches quils auront à effectuer.
Après le concours commence linitiation professionnelle. La première étape en est le stage dinsertion professionnelle organisé pour chaque catégorie, que doivent suivre tous les lauréats. Il nous a été possible de suivre le stage de catégorie A, dune durée de six semaines, dont une partie à Berlin (qui na pas été suivie) et celui de catégorie C, dune durée de 2 semaines.
Comme lindiquent ses organisateurs, le stage destiné aux lauréats de catégorie C est une formation qui vise à « assurer la découverte du ministère : si vous me dites que vous ne vous êtes pas rendu compte que cétait un ministère particulier, on a raté notre coup » (conseiller des Affaires étrangères). Il sagit dun rite dinitiation à la « société des Affaires étrangères », les références aux particularités de cette dernière étant très nombreuses. Linitiation passe par des changements de lieux au cours du stage, les stagiaires découvrant les différentes implantations de lAdministration centrale, à lexception notable de Nantes : le passage par le site du Quai dOrsay laissant limpression davoir été « au cur du truc
Il y avait des départements qui avaient lair super intéressants, les directions politiques, enfin
ça doit être super passionnant ! » (adjointe de chancellerie). Durant cette initiation professionnelle, laccent est mis moins sur la présentation du ministère, de son organisation, des carrières
que sur des éléments comportementaux abordés dans tous les exposés et dont la prégnance tient justement au caractère diffus mais répété, tous les intervenants donnant des conseils convergents : « Les Affaires étrangères sont une vieille dame, il ne faut pas la bousculer, il faut en respecter les manières sinon le vocabulaire. » Laccent est, en effet, mis sur les aptitudes personnelles des agents, de façon très générale, sans rapport avec leur formation ou leurs diplômes, doù limportance accordée au « potentiel » dans lévaluation des individus, plutôt que sur leurs réalisations : « On vous pardonnera une faute technique, pas une faute relationnelle » (secrétaire des Affaires étrangères), celle-ci restant gravée dans la mémoire collective ayant une influence certaine sur lévaluation. Une telle optique rapproche le MAE des institutions de « larête tranchante », analysées par Richard Sennett : « Les jugements de potentiel ont un caractère beaucoup plus personnel que les jugements portant sur les réalisations. Dans les réalisations se mêlent circonstances sociales et économiques, chance et hasard, en sus du moi. Le potentiel ne se focalise que sur le moi. Le constat vous manquez de potentiel est beaucoup plus accablant que vous avez raté. Il sagit dune proposition plus fondamentale sur qui vous êtes ».
Parmi les sujets passés en revue pendant le stage, dans différentes interventions, on trouve la question de la rédaction, du style, les ressources du ministère (« il faut voir quon travaille toujours avec des bouts de ficelle, on est un tout petit ministère, on se débrouille beaucoup par nous-mêmes, cest vrai que ça part souvent dans tous les sens » adjoint de chancellerie), la charge de travail très différente dun service à lautre, les affectations bien sûr, évoquées dans presque toutes les présentations et renvoyant à la « DRH », à ses pratiques supposées en la matière (« mettez des postes, disons, où ça vous gêne pas trop daller
surtout si cest un poste qui est beaucoup demandé », mais jamais un poste où lon ne souhaite pas aller : « si jamais vous le mettez sur votre liste [de choix de poste], même en 10e, y a des chances quon vous le donne » adjoint de chancellerie), les rapports hiérarchiques, qui sont matière à interrogations, voire à inquiétudes. À chaque fois, les intervenants font des recommandations, y compris pour inciter les stagiaires à passer dautres concours pour changer de catégorie et bénéficier davantage du fait que, dans cette administration, « on change de vie tous les trois ans, cest rafraîchissant » (conseiller des Affaires étrangères).
Quel que soit le domaine abordé, les interventions sont loccasion de formuler des mises en garde révélatrices de la façon dont les intervenants se représentent leur auditoire et leur propre activité, ainsi que les relations au sein du ministère : accent sur la présentation de soi, sur la loyauté, sur les non-dits, autant déléments qui servent de base à lévaluation de la capacité à servir à létranger, objectif de tout « vrai » fonctionnaire du Quai dOrsay quand, à linverse, la rémunération est présentée comme une motivation illégitime à lexercice de fonctions à létranger. Dans ce sens, on pourrait dire que les agents des Affaires étrangères vivraient pour la France, mais pas de la France, pour paraphraser Max Weber ; ils ne seraient donc pas des professionnels. Une telle optique vise également à affirmer la « spécificité » du travail diplomatique, loin de toute « banalisation », mais, à limage de ce qui a pu être observé sagissant des représentations de lactivité militaire, une telle perspective, qui va avec la dénonciation des « chasseurs de primes » est de moins en moins univoque.
Cette initiation vise dabord à insérer les lauréats dans linstitution « ministère des Affaires étrangères » (se dessine progressivement une cartographie du ministère, avec des présentations plus ou moins objectives des différents services), plus que dans leur catégorie : « Ma mission
est que vous ne fassiez pas ça [agir conformément aux stéréotypes du diplomate entouré de personnels de maison] mais que vous montriez à quoi on sert » (conseiller des Affaires étrangères). La plupart des intervenants ne sont pas des pairs, même sils ont pu lêtre, suscitant quelques regrets chez les participants, même si les intervenants ont généralement reçu un accueil très positif. De même, lactivité, en tant que telle reste abordée de façon très générale : organisation du temps et du travail, communication dans lenvironnement professionnel (en fait, uniquement les relations avec lextérieur, avec les « usagers » et typologie des documents administratifs). Pour autant, limportance du groupe (75 des 77 lauréats de lannée participent au stage) limite leffet cohésif du stage : impossible, par exemple, dorganiser des activités extérieures, telle quune mission dans un poste limitrophe ou à Nantes, comme par le passé. On ne parle donc que très peu des métiers, sauf pour assurer que la comptabilité est un « métier davenir » ou que, en matière consulaire, « Nous demanderons de la rigueur, car ce sont des postes exposés » (secrétaire de chancellerie).
Vient ensuite le temps de la formation continue, assurée en interne, en vue daider les agents dans leur future affectation, formation à laquelle est dévouée une sous-direction de la DRH et dont limportance est rappelée lors du stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C : « On est passé dune formation à la carte à une formation inscrite dans un parcours professionnel doù lintérêt de réfléchir à votre parcours professionnel dès votre arrivée, en fonction de vos ambitions » (conseiller des Affaires étrangères). Mais, si la formation est importante, la demande sinscrit dans un contexte particulier : « Évitez de demander à votre supérieur hiérarchique une formation en arrivant, sinon il va sétrangler
attendez de faire partie des meubles pour demander une formation » (adjoint de chancellerie), pas question donc den faire des « droits-créances », optique qui impliquerait un rapport plus instrumental à linstitution. À plus long terme, par contre, on conseille : « Vous ne pourrez pas prendre tous vos jours ARTT ou de récupération, donc profitez-en pour les utiliser pour lapprentissage des langues » (secrétaire de chancellerie). Peut-être faut-il aussi mettre en parallèle laccent mis sur les « dispositions » avec le fait que, comme plusieurs intervenants lont dailleurs fait remarquer, les lauréats de lannée sont largement surdiplômés, avec le risque de désillusion quant aux tâches qui leur seront confiées.
Il y a, bien sûr composante essentielle pour les affectations à létranger , une formation en matière de langues, sachant que linvestissement des agents dans ce domaine est variable (ils ne cherchent pas nécessairement à acquérir telle ou telle langue « rare » parlée dans un seul pays ou alors juste des rudiments et comptent là sur laide des « recrutés locaux ». De même, le rapport à la langue est souvent très instrumental : tel agent nous explique avoir appris à parler le Néerlandais pour une de ses affectations et avoir tout perdu depuis : faute davoir pratiqué, mais aussi par désintérêt, partant de lidée quelle ne retournerait pas dans ce pays). Ainsi, 12 langues sont enseignées de façon permanente (sur 50 langues enseignées en tout), sachant que la maîtrise de langlais est impérative (il faut donc avoir un niveau minimum de 3 sur 5 pour pouvoir suivre lapprentissage dune autre langue). Deux types de formation sont organisées : une formule extensive tout au long de lannée scolaire, par session de 3 heures, en vue daméliorer lévaluation du niveau, et une formule intensive (cours dispensés entre juin et septembre) par sessions de 30 ou 60 heures en une ou deux semaines. Cette deuxième formule sadresse plutôt à des personnes partant en poste. Lassiduité est contrôlée : il faut faire signer une feuille dabsence par le supérieur hiérarchique et, au bout de trois absences non justifiées, le stagiaire est exclu de toute formation. Les compétences acquises dans ce cadre sont transmises aux gestionnaires.
Mais il y a aussi, toujours pensée en fonction du départ à létranger, la formation assurée à lInstitut de formation aux affaires administratives et consulaires (IFAAC), situé à Nantes. Cette formation occupe une place centrale : du fait de son contenu, mais aussi par linterconnaissance quelle favorise entre les stagiaires, loptique étant de créer un « esprit de promotion » (chaque groupe rédige un livre dor, se donne un nom, les stagiaires logent sauf si les 21 chambres sont occupées , dans la Villa Chantreau, située au cur de limplantation nantaise du ministère des Affaires étrangères dans le quartier du Breil-Malville, ils soccupent eux-mêmes de leur dîner, organisent des soirées dans un cadre qui se veut studieux bibliothèque, salle informatique à disposition , etc.).
Sagissant des stages organisés par lIFAAC, ils se déroulent, pour la plupart, en deux phases : un tronc commun (occasion de donner les fondamentaux en matière de nationalité, de notariat, daffaires sociales, etc.) et une période de spécialisation. Les matières enseignées sont : visa, nationalité, fraude documentaire, état civil, élection, comptabilité. Il y a cinq types de stage de durée variable :
Les stages de niveau I pour les agents de catégorie C, dune durée de neuf semaines : la DRH sélectionne les participants à partir des demandes reçues par lIFAAC (en fonction de leur cursus, de la date de leur départ en poste) ;
Les stages de niveau I pour les agents de catégorie B, dune durée de onze semaines : ils offrent une spécialisation consulaire ou comptable. Au terme du stage, les stagiaires obtiennent le brevet administratif et consulaire appliqué (BACA), diplôme maison qui facilite les affectations, en permettant de « cibler » les compétences et de rassurer les chefs de poste ;
Les stages de niveau II pour les agents de catégorie B : requis par la DRH, ils proposent une mise à jour des connaissances (ils durent trois semaines) ;
Les stages de niveau III pour les futurs consuls, nommés ou en passe de lêtre et qui nont reçu aucune formation consulaire ;
Les stages de niveau IV, destinés aux ambassadeurs nouvellement nommés qui le souhaitent et qui nont que peu ou pas de notions en matière consulaire.
Les programmes sont fixés par un comité dorientation pédagogique qui se réunit une fois par an et auquel le secrétaire général de lIFAAC soumet des modifications (de programme, dhoraires, etc.). Les formateurs sont des agents intéressés qui, ayant envoyé leur candidature, à partir de la transparence, sont sélectionnés en fonction de leur expérience dans le domaine. Il peut sagir dagents de catégories B ou C, de techniciens qui nont pas de compensation financière particulière en acceptant ces postes.
Des parcours diversifiés
Max Weber, dans son analyse sur léthique au travail, rappelle que « les bureaucraties enseignent la discipline de la gratification différée. Au lieu de juger dans limmédiat de vos activités, vous apprenez à prendre en considération un bénéfice futur qui vous est promis si vous obéissez aux ordres ». Alors, « gravir les échelons de la bureaucratie peut devenir un mode de vie ». Un tel diagnostic, très général, invite à sinterroger sur les bases de ce « mode de vie », en fonction, notamment, de la filière dentrée dans ladministration et, cela étant posé, sur les caractéristiques de ce mode de vie (constitution de réseaux, lieux de passage obligés pour « accélérer » la progression, existence de filières, etc.), à savoir quels sont les critères, les conditions qui favorisent laccession aux postes les plus prestigieux de la carrière diplomatique. Pour cela, on peut partir dun certain nombre dobservations, à partir de létude de parcours professionnels dagents de catégorie A, parcours retracés sur la base des informations disponibles dans lAnnuaire diplomatique et complétées par les entretiens.
Sur un échantillon dune trentaine dagents de catégorie A entrés la même année au ministère des Affaires étrangères (1979), on est frappé par le fait que la progression des agents issus de lENA est plus rapide que celles de leurs collègues. De fait, leurs collègues recrutés pour le même grade, mais dans le cadre dOrient, pourront atteindre le sommet de la hiérarchie , un poste dambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire , mais plus tardivement que les premiers (en termes dâge ou de durée de carrière avant laccès à ce poste). Sur ce point, il faudrait, par ailleurs, tenir compte de la hiérarchie des postes. Elle semble tenir à plusieurs facteurs : relation historique avec le pays ; contexte politique local et régional qui fait varier le taux des indemnités de résidence ; prestige du titulaire du poste. Les parcours des énarques ont dautres caractéristiques les distinguant de tous les autres agents et dessinant en creux les critères de la « bonne carrière » : diversité des postes et des fonctions ; fréquence plus grande des mouvements, avec parfois des passages très courts dans certains postes ; prédominance des fonctions politiques et/ou multilatérales, etc. En outre, la rapidité de la progression des énarques souligne là aussi, sil en était besoin, le caractère déterminant du passage par un cabinet ministériel, plus fréquent pour ces agents que pour ceux issus du concours dOrient. On peut même, pour certains, parler de « carrière politique », tant les affectations fluctuent au gré des alternances politiques nombreuses sur la période étudiée, ce qui introduit évidemment un aléa important ne remettant pas en cause la progression statutaire. Toujours à propos du passage par un cabinet ministériel, sa portée dépend évidemment du type de fonctions exercées (chargé de mission ou poste de direction), mais aussi du moment dans la carrière auquel ce passage intervient : laccélération est dautant moins forte quil est précoce. Dans ce cas, laffectation est plus technique que politique, opposition récurrente dans ladministration. Au final, le titre d« énarque » fait de ceux qui en sont titulaires une main duvre recherchée : tout « montre limportance de ce recrutement, en lien avec la DRH, et les directions
je ne dirais pas sécharpent, mais font des pieds et des mains auprès du secrétariat général pour essayer dobtenir un énarque chaque année. À chaque fois, lidée, pour chaque direction, cest de proposer comme profil de poste à lENA, des postes attractifs, pour essayer de faire venir des gens bien et pour essayer aussi davoir un arbitrage favorable » (conseiller des Affaires étrangères). Sur ce plan, si beaucoup estiment avoir un profil classique, ils admettent que le fait davoir « fait lENA » a orienté leur carrière, en termes de choix daffectations, de progression, mais, nous dit lun deux, « maintenant est-ce quil mest particulièrement utile pour le métier que je fais ?
Dans le cas de Sciences Po, oui, sans doute, parce que cest une excellente formation générale... LENA en revanche, franchement non
il ny a aucune prise en compte de la spécificité du métier de diplomate, hormis le fait que lon fait un stage en ambassade » (conseiller des Affaires étrangères). Ainsi, les énarques font plutôt figure de généralistes, sans forcément occuper tous les types de fonctions.
Les agents issus du concours dOrient ont plus souvent que les énarques une expérience dans le consulaire et exercent une bonne part de leurs fonctions dans des ambassades bilatérales ou des directions géographiques. Les conseillers des Affaires étrangères du cadre dOrient ont une fréquence de changement daffectation assez proche de celles des énarques. La question de la langue doit également être prise en compte dans les opportunités de carrière : elle constitue une ressource précieuse, puisquelle peut permettre à lagent de choisir une affectation et de se forger une spécialisation. Cependant, si elle est rare, elle peut aussi constituer un frein en limitant les possibilités de choix. En somme, « les Orients vont plus vers le bilatéral, parce quils ont une attirance pour une région ou une zone,
Je ne pense pas que la motivation soit la même chez les Orients et les ENA, chez les Orients, la vocation est plus importante sur les Affaires étrangères et sur une zone » (conseiller des Affaires étrangères). De leur côté, les agents recrutés en tant que secrétaire des Affaires étrangères accèdent plus rarement que les autres aux postes multilatéraux, à lAdministration centrale comme en poste. Par contre, ils passent des séjours plus longs, voire beaucoup plus longs à létranger. Cette dimension est, disent certains, une sorte de compensation. Cela renvoie aussi à une autre observation concernant le rythme dalternance des postes entre Paris et létranger : il varie suivant les corps et peut être aménagé en fonction des « nécessités de service ».
Ces observations illustrent lexistence dun certain nombre de filières assez cloisonnées en termes de domaines (politique-multilatéral, consulaire-bilatéral, gestionnaire-consulaire
) dont les effets en termes de progression se cumulent à ceux de la voie dentrée. Faisant également ce constat, les agents estiment quil faut, dans les choix daffectation, essayer de mettre plusieurs cordes à son arc. Ainsi, un ancien du ministère de la Coopération ajoute à sa volonté de changer de poste, lidée de « changer de zone, pour ne pas être, moi ça fait en gros
ça fait 10 ans que je suis sur les dossiers africains, je me suis dit que dans cette maison, il était bon de ne pas avoir trop létiquette dafricain, donc javais demandé une autre zone géographique » et daccepter un poste gestionnaire : « Je me dis quaprès tout, dans une carrière, ce type de poste
ça peut
ça peut faire que du bien » (secrétaire des Affaires étrangères). Beaucoup disent aussi quil ne faut pas avoir trop de cordes à son arc, la grande diversité nuisant à la linéarité de la progression, lidée étant quil faut aussi pouvoir justifier, auprès des affectataires, dune certaine logique de carrière en termes de fonctions et de domaines de compétences : il faut alors, quand on défend sa candidature au moment de la transparence, éviter de faire rimer mobilité et instabilité. La spécialisation géographique se relativise au fil des affectations, y compris chez les agents recrutés par les concours dOrient. Ainsi, à la diversité des fonctions sajoute celle des pays daffectation, autant déléments qui constitueraient lessence du métier et son attrait : « Ce quil y a de bien dans ce métier, cest que tout en ayant la même carrière, on fait un certain nombre de métiers. Jai fait du bilatéral, jai fait du multilatéral, jai fait du culturel, du chiffre aussi
On change de métier à peu près à chaque affectation, ne serait-ce que parce quon change de zone, on change de zone géographique. Maintenant, ça va peut-être tendre à plus se spécialiser, mais cette spécificité va rester, cest un des attraits du métier, le mouvement géographique et le mouvement au sein dune palette de métiers » (secrétaire des Affaires étrangères).
On a déjà parlé du rôle du passage dans un cabinet ministériel comme accélérateur de carrière, tout en présentant le risque dun « marquage » qui peut être préjudiciable sur certains postes. Cette donnée « politique » renvoie à une autre caractéristique des parcours, à un autre élément, sinon habilitant, du moins nécessaire : la constitution dun réseau. Nous sommes effectivement face à une administration de petite taille. Dans un « petit monde », linterconnaissance est possible et a des effets. Elle joue déjà au niveau des affectations : beaucoup reconnaissent se renseigner auprès de leurs collègues sur le poste, la nature des fonctions quils aimeraient occuper, mais aussi sur les autres personnes travaillant dans ce cadre ou encore sur les qualités dun candidat sur la transparence. Beaucoup ont ainsi évoqué limportance davoir des appuis, des « avis favorables » pour étendre ses opportunités de carrière : « Mon prédécesseur, que je connaissais bien, cétait un copain, puis il avait vanté mes énormes qualités au chef de poste de lépoque qui
lui-même peut-être, je ne sais pas exactement comment ça sest passé, lorsque la DRH a proposé des candidats
a dû dire que je ne devais pas être si mal ou quelque chose comme ça, donc ça peut se passer comme ça » (secrétaire de chancellerie). Si ce genre dinterventions nest pas toujours, loin sen faut, perçu comme légitime, il paraît normal : « Quand je vais partir, il y aura quelques prétendants à mon remplacement, cest normal que le chef de poste vienne me voir Tartempion, vous le connaissez ? Est-ce que vous pensez quil peut faire laffaire ? parce que, en plus, on peut
on peut avoir un avis tout à fait
tout à fait judicieux
donc ça peut être un service à rendre aussi
à la personne qui est candidate et de pouvoir lui dire : Écoute, fais attention, cest pas le meilleur poste pour toi en ce moment, il vaut mieux que tu fasses un autre type de poste, un petit poste » (id.) Il sagit dune des dimensions de la construction de la réputation et de lévaluation, sur un mode informel mais déterminant, des agents du Quai dOrsay, dimension qui vaut pour toutes les catégories, avec des points de passage valorisants comme « SOS compta » pour les comptables ou, aux dires de certains, la DRH, affectation « stratégique » (« On est bien placé pour comprendre comment ça marche. »)
Enfin, dernière observation sur les parcours professionnels au sein du ministère des Affaires étrangères, les filières renvoient aussi à des rapports au temps différents. On peut, en effet, distinguer temps court et temps long : le « temps court » cest celui de ceux qui changent fréquemment daffectation, dont la progression est rapide et « exposée » ; le « temps long » est celui des agents qui, pour le dire rapidement, passent presque systématiquement leurs trois ans dans une affectation. On est ainsi face à une filière flexible et à une filière plus homogène ou « polarisée ». Deux options, deux logiques induisant un rapport différent au métier car, rappelle Richard Sennett, la durée permet un investissement dans les tâches accomplies, une compréhension du métier, quil définit notamment en insistant sur le fait quil sagit de faire une chose pour elle-même et de bien la faire. « Plus on comprend comment bien faire une chose, plus on sen soucie. Les institutions fondées sur des transactions à court terme et des tâches sans cesse renouvelées nengendrent pas cette profondeur ». La vision de Richard Sennett est assez schématique. Létude des parcours professionnels au Quai dOrsay montre que ces deux logiques (spécialisation versus mobilité), qui sont au cur de la gestion des Ressources humaines, la placent dans une tension difficilement évitable.
Justesse et justice dans les carrières
Pour plusieurs des personnes rencontrées, les critères dattribution des postes ne seraient pas suffisamment transparents, contrairement au nom de la téléprocédure présentant la liste des postes vacants. À cela sajoute la question cruciale des nominations à létranger. Pour des raisons financières (notamment catégories B et C), le poste à létranger est souvent recherché comme un moyen daugmenter un salaire jugé trop faible. De plus, un certain nombre dagents (notamment catégorie A) ont choisi les métiers diplomatiques pour la découverte de pays étrangers, les voyages
Le rapport à la carrière, sil est vécu plutôt sereinement par une majorité des personnes rencontrées, peut, chez certains agents, être teinté dun sentiment dinjustice : les différentes façons de concevoir la reconnaissance du « mérite », la contradiction entre le désir de voir reconnu le mérite personnel et la valeur dégalité des traitements sont autant de portes ouvertes aux doutes et aux interrogations.
Daprès les entretiens menés, ces interrogations portent notamment sur la légitimité des « coups de pouce » offerts par les réseaux ou les interventions de personnages importants. Certains dénoncent lexistence de « coteries ». Parmi celles-ci, le rôle de lENA comme « facilitateur » a plusieurs fois été évoqué, comme en témoignent les expérience suivantes.
Proche de la retraite, ayant eu une carrière heurtée et lente (il a connu une mise au placard suite à une « erreur » sur un dossier), ce conseiller des Affaires étrangères, qui nest ni énarque, ni Orient estime que les anciens de lENA bénéficient dune sorte de protection du groupe, quel que soit leur mérite personnel : « Les énarques, sils font des bêtises, ils sont mal vus de leurs collègues, il y a une sorte de jugement par les pairs, ils sont comme dans un ordre de chevalerie, quand ils font des bêtises, ils sont mal vus par leurs pairs, mais ça ne les empêche pas de faire carrière, cest plus ou moins brillant, mais ils arrivent toujours à être ambassadeurs » (sic, ce qui nest pas tout à fait exact).
Au nom du mérite également, ce jeune énarque déplore la prime à long terme qui serait accordée aux anciens de lENA : « Avoir un beau poste à la sortie de lENA, je trouve que cest normal, jen ai bénéficié, jen suis très content, il est clair quaprès, la politique dévaluation au sein du ministère dun poste à un autre doit aussi rebattre un peu les cartes. Si quelquun est très bon cest normal quil puisse faire une excellente carrière, quel que soit son statut dorigine, que ce soit secrétaire cadre dOrient, conseiller cadre général et ça serait illégitime que quelquun qui est très bon, parce quil a cette différence de statut, ait des barrières à des possibilités de faire des métiers dont il pourrait relever les défis. Dun autre côté, je pense quil est aussi injuste que quelquun, parce quil a fait lENA, il y a dix ou vingt-cinq ans, continue à bénéficier de postes importants et intéressants, au détriment dun autre, alors quon sait que ce nest pas un grand travailleur ou quelquun qui na pas fait ses preuves
Je pense que la DRH le sait, il y a des dossiers, ça se fait au cas par cas, mais jai limpression quon pourrait aller plus loin et améliorer une politique de juste valorisation et de juste rémunération de la compétence, du dynamisme » (conseiller des Affaires étrangères). Il faut noter que plusieurs des énarques interrogés se sont montrés assez critiques vis-à-vis dune formation qui ne les aurait pas spécialement préparés à leur métier de diplomate : « formation très générale » ; « machine à classer plus quécole transmettant des compétences précises ». Ce type dautocritique se retrouve également parmi les énarques dautres ministères.
Dautres agents évoquent, de façon plus générale, la capacité des corps à défendre leur intérêt collectif, ce qui profiterait à tous les membres du corps, en partie indépendamment du mérite de chacun (les moins bons bénéficiant de la bonne image des meilleurs de leurs corps), ce qui est parfois mal vécu par ceux qui nen font pas partie (entrés par concours interministériels, IRA, etc.).
Autre facteur de variabilité parfois dénoncé dans les carrières et les affectations, les « interventions » font lobjet de jugements partagés. Pour certains agents, la nécessité de travailler en commun, surtout dans les postes diplomatiques, se justifie du fait que les supérieurs, notamment les ambassadeurs, privilégient les collaborateurs dont ils ont déjà pu apprécier le travail, les compétences et le caractère. Il y aurait là une forme de reconnaissance du mérite, plus fiable que la notation administrative, pas toujours explicite ni très sincère (« Il faut du courage pour dire ouvertement du mal et tout le monde nen a pas. ») Dailleurs, les interventions ne sont pas toujours acceptées par la DRH et cela peut même devenir un sujet de conflit, comme lévoque ce directeur : « Ça, cest illégal, jai eu un conflit de plusieurs mois avec la direction des Ressources humaines : il fallait remplacer un sous-directeur et javais trouvé un spécialiste, disponible, ici à Paris en plus, pas de changement à faire, qui sennuyait là où il était et qui voulait ce poste et qui avait de lexpérience dans le domaine et on me la refusé parce quil navait pas le grade, alors quil est rentré avec moi ou un peu avant, mais lui, il a pas le même concours. Et là, jai eu un conflit assez dur, dans lequel jai triomphé, et il ma été donné. Jai refusé tous leurs candidats, parce quils navaient aucune expérience dans mon secteur. » Ici, largument de la compétence spécialisée est avancé contre celui des règles statutaires et des corps.
Mais dautres agents insistent sur les effets pervers de ce système : il introduirait ainsi un facteur chance, dans la mesure où certains ont pu croiser, et faire auprès de lui leurs preuves, un futur ministre des Affaires étrangères, secrétaire général ou grand ambassadeur, bénéficiant par la suite dun soutien important, tandis que dautres resteront, suivant une expression plusieurs fois entendues « plus loin du soleil ». Cette « chance » ne serait dailleurs pas totalement liée au hasard, dans la mesure où le concours dentrée et les premières affectations (par exemple dans un grand poste, une direction prestigieuse) augmentent les chances de se faire remarquer dun futur grand (lui aussi présent dans les mêmes « filières » prestigieuses).
De plus, cela inciterait les agents à mener des stratégies pour se faire bien voir, se mettre en avant ou courtiser les puissants. Albert Cohen en a donné, avec lexemple dAdrien Deume, fonctionnaire carriériste de la Société des Nations, une illustration savoureuse. Le « copinage » politique, amical ou social (entraide entre les grandes familles, ou les familles de diplomates) occuperait une place trop importante au détriment de la compétence, notamment la compétence linguistique et celle en management. Il y aurait là une explication à la résistance passive opposée à un certain nombre de réformes en cours ou envisagées (évaluation à 360°, LOLF, management par objectifs, etc.).
Certains agents interrogés ont ainsi évoqué la métaphore de la « société de cour » pour décrire les relations hiérarchiques au Quai dOrsay ou en poste. Si ce jeu social peut apparaître justifié au sommet de la hiérarchie, où les contacts avec les directeurs, les ambassadeurs, les responsables politiques sont fréquents et naturels (le travail nécessite un bon contact personnel), il paraît plus artificiel, voire déplacé, de la part dagents plus modestes, pris dans des structures plus bureaucratiques.
Cest le cas pour cet agent qui, ayant exercé auparavant dans une autre administration, déplore lexistence, aux Affaires étrangères, de manigances pour être bien vu des supérieurs, de jalousies sur les nominations et du système de « protecteurs », dans lequel il refuse dentrer : « Vous savez, lorsquon vous annonce un poste, lorsquon vous annonce tiens vous allez partir à tel endroit, çà y est cest presque fait, et puis quau dernier moment, on vous téléphone, et quon vous dit bien non écoutez, bien finalement çà ne sera pas là, parce que lambassadeur, de lendroit en question, a fait intervenir, enfin est intervenu, parce quil préfère prendre quelquun dautre à votre place , ça fait quand même un peu mal, voyez. Et toutes ces interventions-là, moi je dis, moi je suis pour une réglementation stricte, cest-à-dire que les affectations, je pense quelles devraient se faire sur des motifs objectifs daccord, et là en loccurrence, cest rarement le cas » (agent catégorie C).
Toutefois, au moins pour les catégories A et B, lAnnuaire diplomatique permet à tous de vérifier et de connaître lavancement et les affectations de leurs collègues et au chercheur dobjectiver un certain nombre de régularités afin de ne pas limiter lanalyse au seul ressenti des agents.
B) Ce que peut nous apprendre lAnnuaire diplomatique
Objet présent sur de nombreux bureaux des diplomates que nous avons rencontrés, lAnnuaire diplomatique est consulté avec intérêt par les agents. Georges Sédir, diplomate et romancier évoquait avec humour lattente et la lecture fébrile de la nouvelle livraison dans les postes : qui a été promu et où ; les condisciples de la même promotion ont-ils progressés moins vite ou plus vite, etc. Aujourdhui, la consultation de Diplonet permet une connaissance encore plus rapide de ces mouvements.
Un travail danalyse et de synthèse sur les parcours qui y sont rassemblés permet davoir des données de cadrage indispensables pour analyser les éléments qualitatifs apportés par les entretiens dont la représentativité nest pas encore suffisante.
1 - Anatomie des « belles carrières » au MAE
Quels sont les critères et les conditions qui favorisent laccession aux postes les plus prestigieux de la carrière diplomatique ? Grâce à lAnnuaire diplomatique, il est possible de mettre au jour un certain nombre de critères et de régularités. Dans lannuaire 2006, 36 postes « importants » ont été choisis, afin de faire la synthèse des caractéristiques et des parcours types des titulaires de ces beaux postes. Ces choix ont été faits a priori. Outre les quatre premiers emplois plus politiques, les responsables de grandes directions ont été retenus, ainsi que les ambassadeurs dans les pays importants pour la France (de par leur taille, leur importance économique ou politique, leur lien avec la France, leur place dans les relations économiques, la diversité de leurs aires géographiques dappartenance) et, enfin, les deux représentants permanents les plus importants.
Méthodologie
Pour chacune de ces 36 personnes, les informations clés de son parcours ont été synthétisées dans un tableau. Ces informations sont tirées de lAnnuaire diplomatique 2006, de lAnnuaire diplomatique 1979, du Whos who 2006 et du Bottin mondain 2006 (ces deux derniers pour avoir lorigine et le « capital » social des personnes). Toutes ces informations sont publiques ; lanonymat peut donc ne pas être totalement respecté. Le nombre de postes à létranger, comme celui des passages par des cabinets ministériels ou assimilés (présidence de la République, service interministériel) prend en compte le nombre de passages : un troisième secrétaire, qui devient deuxième secrétaire dans le même poste ne sera compté quune fois. Par contre, une personne qui, à deux moments différents de sa carrière, travaille dans le même poste (avec dautres localisations entre temps) sera compté deux fois. Pour les citations au Whos who et au Bottin mondain, la citation de la personne est comptée, plus celles, éventuelles, des membres de sa famille afin de tenter de rendre compte de limportance des réseaux familiaux.
Le tableau de départ a ensuite été retravaillé pour réaliser un certain nombre de regroupements apparemment significatifs (regroupement par diplôme, moyennes diverses).
La faible présence des non-diplomates
Une plainte parfois exprimée par les diplomates de carrière (notamment aux États-Unis), mais aussi particulièrement dans les années soixante-dix quatre-vingt en France, est de voir de beaux postes, notamment dans des ambassades prestigieuses, attribués à des non-diplomates, souvent en vertu de liens personnels ou partisans ou pour remerciement des services rendus au pouvoir en place. Ces nouveaux venus sont alors accusés de prendre la place de diplomates ayant menés une longue carrière et se trouvant ainsi injustement coincés dans lentonnoir de la hiérarchie, mais aussi de ne pas avoir toutes les compétences requises pour exercer leur métier. Sur les 36 beaux postes étudiés, on nen compte toutefois que deux qui soient occupés par des non diplomates. Cest peu, dautant quil sagit de postes ne pouvant pas être véritablement considérés comme des débouchés normaux de la carrière, mais, au contraire comme très particuliers et liés à des orientations politiques : la directrice de cabinet du ministre de la Coopération et le directeur général de lAdministration. Ces deux personnes, en outre, bien que nayant pas une carrière de diplomate, ont été amenées à travailler depuis plusieurs années dans le domaine des relations internationales. Elles ne peuvent pas être totalement considérés comme des outsiders parachutés du jour au lendemain au MAE.
La directrice de cabinet de la ministre déléguée à la Coopération, après un diplôme dun Institut régional dadministration, a été attachée dadministration au ministère des Finances, puis administratrice civile aux Impôts. Elle devient ensuite directrice adjointe, puis directrice du cabinet de la ministre déléguée à lOutre-Mer, Madame Girardin, quelle suit à la Coopération.
Le directeur général de lAdministration, ancien inspecteur des Impôts, énarque, conseiller dÉtat a été le directeur adjoint de cabinet du ministre de lÉconomie, des finances et de la privatisation, Édouard Balladur, pendant le gouvernement Chirac (de 1986 à 1988) ; puis, en 1993, lorsque Édouard Balladur a été Premier ministre, il le suit dans son nouveau cabinet ministériel. Il devient ensuite directeur général de la CFD (Caisse française de Développement) pour être finalement nommé DGA au MAE, avant de devenir, tout récemment, ambassadeur de France au Brésil.
Si on ne compte pas les deux personnes qui nont pas fait leur carrière aux Affaires étrangères (la directrice de cabinet de la ministre déléguée à la Coopération et le directeur général de lAdministration), il est possible de repérer certaines caractéristiques fortes des « belles » carrières au MAE.
Une origine sociale élevée
Longtemps, la diplomatie a pu être considérée comme une activité réservée à une certaine élite sociale, voire même aux familles aristocratiques. La nécessité de représenter dignement le souverain de son pays, lobligation davoir de bonnes manières pour fréquenter les dirigeants du pays daccueil, lintérêt de disposer de réseaux et de contacts internationaux, lutilité de richesses personnelles pour recevoir et tenir son rang ont fait apparaître les candidats dorigine sociale élevée comme plus adaptés aux besoins du métier. Ces temps sont aujourdhui révolus. Sur les 20 reçus au concours en 1877, 17 avaient un nom à particule (85 %). En 1900, il ny avait plus que trois noms à particule sur huit (37 %) ; pour les trois années 1949, 1950 et 1951, sur 24 admis (ENA et cadres dOrient), 5 ont encore des noms à particule (21 %). En 1976 et 1977 (dates moyennes dentrée des titulaires de beaux postes étudiés ci-dessous), sur 47 admis (ENA et cadres dOrient) 2 seulement ont des noms à particule (4 %). Enfin, de 2003 à 2006, plus que 2 noms à particule sur 71 admis (moins de 3 %) !
Un nom ou une origine prestigieuse peuvent-ils toujours être des atouts dans la carrière ? Sur les 34 postes retenus, on compte sept noms à particules, ce qui est effectivement une proportion importante : plus de 20 % à comparer avec les 4 % entrés en 1976 et 1977 ! Cela dit, le nom à particule nest quune approximation : certaines grandes familles nobles peuvent ne pas avoir de nom à particule et certains noms à particule peuvent être portés par des familles plus ou moins anciennes dans la noblesse. Huit des 34 diplomates étudiés ont une citation dans le Bottin mondain, dont deux qui nont pas de noms à particule. Mais ce sont les grandes familles qui cumulent le plus de citations (31 pour lune ; 13 pour une autre).
Sur les 34 personnes de notre panel, il est possible, grâce à leur notice dans le Whos Who, de connaître la profession du père dans 25 cas (les autres, soit, nont pas de notice dans le Whos Who, soit, nont pas indiqué la profession de leur père). Trois seulement ont leur père qui était déjà recensé dans une édition antérieure du Whos who.
Parmi ces 25, lorigine sociale se situe très majoritairement dans les catégories sociales supérieures avec sept chefs dentreprise (industriels, directeurs de société, publiciste), sept hauts fonctionnaires (préfet, receveur des impôts, professeur duniversité, ambassadeur de France) dont deux diplomates, six cadres supérieurs (ingénieur, cadre commercial), deux professions libérales (avocat et dentiste), deux difficiles à déterminer (fonctionnaire et éducateur) et un cadre moyen du public (inspecteur de police). Parmi les 25 professions citées, on trouve un député et un ministre ! Il faut également noter quun des diplomates du panel, en plus des 25, na cité que le métier de sa mère (enseignante), peut-être mère célibataire.
Peu de femmes : le plafond de verre
Sur les 34 titulaires de beaux postes ayant fait carrière au MAE, il ny a quune seule femme ! Cest-à-dire un taux de féminisation dà peine 3 %. Comme dans dautres administrations, plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Daprès le rapport Le Pors et Milewski sur laccès des femmes aux emplois publics supérieurs « alors que les femmes représentent 45 % de la population active, il ny aurait toujours, fin 2005, que neuf préfètes sur 117 postes, 18 ambassadrices sur 179, sept trésorières payeur générales sur 110 et sur 1 857 emplois de chefs de service déconcentrés, seulement 168 femmes. Encore ces postes ne tiennent pas compte des différences de prestige et de rémunération ». Les ambassadrices, en effet, sont généralement en poste dans des « petits » pays, dont limportance sur la scène internationale ou pour la France nest pas primordiale (deux exceptions relatives dAnne Gazeau-Secret qui a été ambassadrice aux Pays-Bas et au Danemark et Joëlle Bourgois qui a été ambassadrice en Afrique du Sud et en Belgique). La première femme ambassadeur, Marcelle Campana en 1972, est nommée au Panama. Aucune femme na été ambassadeur en Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Russie (ou URSS), États-Unis, Israël, Japon, Inde ou Chine ! De même, il ny a jamais eu aucune femme ministre des Affaires étrangères ni secrétaire général du Quai dOrsay.
En ce qui concerne le MAE, largument selon lequel la plus grande difficulté ou réticence pour les femmes à assumer des postes à létranger expliquerait leur moindre réussite doit être relativisé. En effet, les « belles carrières » des énarques, encore moins féminisées que celles des « Orient » se font avec une moyenne de postes à létranger plus faible que celle des « Orient », plus féminisées. On trouve dailleurs des femmes ambassadrices ou numéro deux dans des pays en guerre ou dangereux. Ce sont plutôt les postes prestigieux et non les postes périlleux qui leur sont pour linstant fermés !
La carrière de la seule et unique femme de notre panel de beaux postes représente un parcours exceptionnel à plus dun titre. La directrice des Nations Unies et des organisations internationales, arrivée à ce poste à 52 ans, est aussi la seule « Orient » à occuper un poste multilatéral de haut niveau. Entrée au MAE par le concours de secrétaire des Affaires étrangères du cadre dOrient, elle est dabord vice-consul à Hong-Kong, puis troisième et deuxième secrétaire à Pékin, premier secrétaire à Moscou, puis sous-directrice dAsie avant de repartir à la RP près de lONU, de retourner à lAdministration centrale comme chef du service de la politique étrangère pour devenir ensuite représentante permanente auprès du Comité politique et de sécurité de lUE et pour finir directrice des Nations Unies. Elle a occupé six postes à létranger, soit plus que ses homologues masculins occupant des beaux postes multilatéraux.
Leffet du concours
Sur les 34 personnes étudiées, 24 ont fait lENA et dix seulement sont entrées par un des deux concours dOrient. LENA est donc bien un atout pour accéder à un « beau poste ». La carrière est en outre plus rapide pour ceux qui ont fait lENA, par rapport à ceux entrés au concours dOrient, puisque lancienneté moyenne dans notre panel de « beaux postes » de ceux qui ont fait le parcours type IEP/ENA est de 28,3 ans, celle de ceux qui ont fait lENA avec une autre formation de 26,7 ans, contre 33,5 ans pour les Orients.
Comment comprendre cet « avantage » des ENA par rapport aux « Orient » ? Il faut tout dabord remarquer que lanatomie des carrières nest pas la même. Les Orients ont en effet occupé en moyenne beaucoup plus de postes à létranger (7,6) que les IEP/ENA (4,3) ou que les autres ENA (4,8) ; comme si, pour accéder à un « beau poste » quand on nest pas énarque, il fallait davantage faire ses preuves par la réussite à létranger. Par contre, les énarques sont plus souvent passés par des cabinets ministériels, la présidence de la République ou des fonctions interministérielles : 1,5 passage en moyenne pour les IEP/ENA, 1,1 pour les autres ENA et 0,7 pour les « Orient ». On peut penser que le passage par lENA, surtout après Sciences Po, favorise la constitution de contacts et de réseaux en dehors du MAE, lesquels, à leur tour, peuvent augmenter les chances de se faire appeler dans une fonction plus politique (cabinet interministériel, présidence), remarquer par un responsable politique important et, éventuellement, recevoir en retour une promotion plus rapide. Ces différences de réseau liées à la scolarité pourraient être renforcées par des inégalités liées à lorigine sociale. Par exemple, les IEP/ENA et les autres ENA ont en moyenne respectivement 2,11 et 2,8 citations pour eux-mêmes ou leur famille au Bottin mondain contre 0,4 pour les Orients. De même, les deux fils de diplomates présents dans notre échantillon sont tous deux énarques.
Il est également possible de faire une hypothèse complémentaire : les Orients seraient plus attirés et sollicités par une carrière à létranger, donc plus loin du pouvoir et des possibilités de se faire remarquer et promouvoir (au moins, avant davoir atteint le rang dambassadeur). « Loin des yeux, loin du cur » ! Dailleurs, les Orients ont occupé davantage demplois dambassadeurs. Pour grossir le trait, lon pourrait dire que les Orients ont surtout fait leur carrière à létranger en faisant valoir leurs qualités lorsquils étaient ambassadeurs, tandis que les énarques ont privilégié Paris pour la construction de leur carrière, et ceci, dans des fonctions politiques ou de direction. À condition, bien évidemment, davoir fait leurs preuves et montré leur disponibilité et leur capacité à supporter des horaires de travail très lourds.
Les premiers postes occupés sont aussi importants. À lAdministration centrale, les énarques de notre échantillon avaient, le plus souvent, débuté par des postes dans des directions gestionnaires ou généralistes (Économie et finance, Personnel, etc.), tandis que les Orients avaient plutôt commencé dans des directions géographiques. À létranger, les premiers postes occupés par les énarques étaient généralement plus prestigieux (Washington, Moscou, à la RP auprès de la CE ou de lONU), que ceux des Orients (plus souvent nommés dans un pays moins important). Les premiers postes ont ainsi permis plus ou moins facilement de constituer un réseau intéressant, de se faire remarquer par des diplomates importants et influents.
Le type de « beau poste » occupé au moment de létude en 2006 est encore plus tranché : Alors que neuf Orients sur les dix de léchantillon sont dans des postes dambassadeur bilatéral ou de directeur géographique, ce nest le cas que de 10 énarques sur 24 (soit 41 %), les 14 autres étant dans des directions gestionnaires, politiques, multilatérales, ou des représentations multilatérales. La carrière des Orients débouche donc quasi exclusivement sur des beaux postes géographiques ou bilatéraux, même sil leur faut passer, avant de percer, par une variété daffectations (en consulaire, en multilatéral, dans des petits pays, etc.) qui peut apparaître comme autant de détours imposés avant datteindre la consécration.
Dans lensemble, les carrières les plus rapides, les plus « cohérentes » et les plus « brillantes » sont celles dénarques qui ont très tôt su se constituer une spécialisation, notamment en multilatéral auprès de lUE. Par exemple, le directeur de la Coopération européenne a été au cabinet du ministre délégué aux Affaires européennes, puis deuxième conseiller à la RP auprès de lUE. Ses passages par Washington en début de carrière et Rome avant dêtre directeur, à quarante-quatre ans, de la Coopération européenne peuvent être vus comme renforçant ses compétences politiques et multilatérales. Autre carrière rapide, celle du directeur de cabinet du ministre des Affaires européennes à quarante-et-un ans, après avoir été conseiller technique au ministre de lÉconomie du ministre délégué aux Affaires européennes et avoir occupé quatre postes à la RP auprès de lUE. Son seul poste bilatéral est un poste de deuxième conseiller à Varsovie, mais la Pologne est un des piliers des « nouveaux entrants » dans lUE ; cette expérience semble cohérente avec ses autres affectations. Enfin, le représentant permanent auprès de lUE, a commencé sa carrière à la direction des Nations Unies et des organisations internationales. Il est ensuite conseiller technique au cabinet du ministre du Commerce extérieur, puis premier secrétaire à la RP auprès des communautés européennes, avant dêtre détaché un an auprès du ministère du Commerce extérieur, puis doccuper un poste interministériel pour les questions de coopération économique européennes. Il sera également RP adjoint auprès de lUE et directeur de la Coopération européenne. Sa seule « escapade » est un poste de premier conseiller à Rome, une grande capitale européenne. De même, sa spécialisation sur le commerce extérieur ne peut être quun atout dans son parcours. À cinquante ans, il devient RP auprès de lUE. Daprès un observateur américain de la diplomatie française, les énarques les plus brillants seraient envoyés en priorité vers des carrières auprès de lUE.
Les situations sont moins tranchées pour les postes liés à lONU, mais restent assez cohérentes. La richesse et la diversité des questions traitées à lONU permettent et demandent une expérience un peu plus ouverte. Outre lexception déjà notée de la directrice des Nations Unies et dorganisations internationales, il faut évoquer le parcours du représentant permanent auprès de lONU, où il est parvenu à cinquante-quatre ans. Entré par la direction des affaires économiques, il devient ensuite conseiller technique au cabinet du ministre des Affaires étrangères, puis chargé de mission au cabinet du ministre des Affaires étrangères, avant de partir comme deuxième conseiller à la RP auprès de lONU. Il est un temps directeur aux Affaires malgaches et africaines, avant de revenir à la RP à New York comme premier conseiller. Puis il est ambassadeur au Caire, conseiller à la présidence de la République pour ensuite revenir, mais cette fois comme chef de poste, à la RP près de lONU.
Laccès des énarques aux beaux postes « politiques » du MAE est aussi assez significatif, même si les fonctions quils impliquent auraient pu réclamer des compétences et des expériences variées. Le directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères (à cinquante-trois ans) a été, à létranger : deuxième secrétaire à Londres, à lInstitut, pour les problèmes de sécurité Est-Ouest (New York), puis deuxième conseiller, et onze ans plus tard, RP à lUE. À Paris, il est passé par la direction de lInformation, le cabinet du ministre délégué aux Affaires européennes, le Développement et la Coopération scientifique et a été directeur de la Coopération européenne. Le secrétaire général du MAE (à cinquante-six ans) a dabord occupé deux postes à la Centrale (Convention administrative et Affaires africaines et malgaches), avant de partir à Washington comme deuxième conseiller, puis premier conseiller à Madrid (deux grandes capitales). Après dix ans de disponibilité, il devient ambassadeur à Mexico, Rabat puis secrétaire général. Pour finir, le directeur général des Affaires politiques, agrégé de lettres modernes a été six ans enseignant, avant dentrer à lENA. Au MAE, il sera successivement rédacteur à la direction dAsie et dOcéanie, premier secrétaire à la représentation auprès des Communautés européennes, puis à Madrid, puis encore à la représentation auprès des Communautés européennes, directeur de la Communication, consul général à Jérusalem (poste très particulier de quasi-ambassadeur, du fait de la situation politique et symbolique : non reconnaissance par la France de Jérusalem comme capitale dIsraël, contact avec les Palestiniens qui nont pas « de pays » et les arabes israéliens), puis ambassadeur à Madagascar, pour accéder, à cinquante-six ans, à son poste actuel.
Moins typiques, les énarques qui deviennent ambassadeurs bilatéraux dans des pays importants ont parfois des carrières plus diversifiées. Mais certains peuvent, là aussi, faire des parcours rapides et brillants. Il faut citer ici lexemple de lambassadeur de France en Israël à lâge de cinquante ans : polytechnicien, il travaille à lENSAE et au ministère des Transports, avant de faire Sciences Po et lENA. Il est alors nommé deuxième, puis premier secrétaire à Tel-Aviv. Il devient ensuite premier secrétaire, puis deuxième conseiller, à Washington. Il rentre alors à Paris pour être sous-directeur des Affaires communautaires, puis conseiller au cabinet du ministre de la Défense. Par la suite, il repart comme RP adjoint auprès de lOTAN, puis devient directeur des Affaires stratégiques, avant dêtre nommé à Tel-Aviv. Son expérience précoce en Israël et sa spécialisation sur les questions de sécurité et de défense ont sûrement été des atouts pour sa nomination dans ce pays difficile et « brûlant » au niveau international. Dans lensemble, toutefois, laccès à des grandes ambassades, pour les énarques comme pour les Orients semble récompenser des carrières plus longues et variées.
Les Orients, qui, nous lavons vu, sont quasi exclusivement dans des beaux postes bilatéraux ou géographiques ont donc, encore plus nettement, des parcours variés avec des « détours » et des changements, dont il est difficile de déterminer de lextérieur la cohérence densemble (ce qui ne veut pas dire quil ny en ait pas eu une du point de vue des intéressés). Ainsi, lambassadeur au Japon (à cinquante-neuf ans) a connu dix postes à létranger (Japon à trois moments différents de sa carrière, Philippines, Vietnam, Inde, Cambodge, Zaïre, Côte dIvoire et Libéria). En poste dans des pays en guerre ; cinq fois ambassadeur. Doté dune expérience consulaire, il a conquis ses gallons sur le terrain et non dans les cabinets ministériels. Autre exemple, celui de lambassadeur de France en Italie (à soixante-trois ans). Il a connu neuf pays étrangers différents (Jordanie, Yemen, Syrie, Maroc, Égypte, Tchad, Irak, Tunisie et Italie), la maîtrise de lArabe layant fait accéder à une relative cohérence géographique (il a logiquement été directeur dAfrique du Nord et du Moyen-Orient). Lui aussi, il a connu des pays en guerre. Une belle ambassade comme celle de Rome apparaît bien comme une « récompense », en fin de carrière, pour les services rendus.
Les autres Orients se rapprochent de ces deux parcours : nombreux postes à létranger, diversité des postes (dominante de bilatérale, mais avec des détours dans le consulaire, le multilatéral), variété des pays (même si, souvent, la maîtrise dune langue « orientale » garantit un minimum de cohérence géographique ou culturelle), notoriété acquise par la réussite dans plusieurs postes dambassadeurs (les Orients ont été, en moyenne, 2,9 fois ambassadeurs, contre 1,5 fois pour les IEP/ENA), en commençant par des « petits » pays.
Cest seulement pour une grande ambassade à vocation internationale que lon retrouve un parcours dOrient qui se rapproche davantage des parcours dénarques. Lambassadeur de France aux États-Unis (à cinquante-six ans) est passé par le cabinet du ministre des Affaires étrangères et deux fois, par la présidence de la République. Il a connu deux postes bilatéraux dans des grands pays (Chine en début de carrière, États-Unis, à la fin) et trois postes multilatéraux (deux fois, à des moments différents aux Nations Unies à New York et une fois, aux Nations Unies, à Genève). Son accès à lambassade la plus prestigieuse qui soit est à la fois le résultat de ses passages réussis par le cabinet du MAE et de la présidence, ainsi que de résultats importants obtenus dans des grandes négociations internationales. Il est lOrient de léchantillon à avoir connu le moins de postes à létranger (5).
C) Filières et spécialisations
La lecture de lAnnuaire diplomatique et les entretiens réalisés nous montrent que la plupart des carrières ne suivent pas un parcours aléatoire, mais quil existe de grandes tendances dans lesquelles les écarts sont rares. Trois grandes « filières » peuvent ainsi être distinguées :
une « filière » bilatérale, avec, le plus souvent, une entrée par le concours dOrient et, assez souvent, une spécialisation sur une aire géographique. Quand il y a passage par une expérience multilatérale, cest précisément, en général, pour soccuper de questions ayant trait à cette zone géographique. En Centrale, le passage par la direction géographique concernée est aussi fréquent. Il y a parfois une expérience consulaire, utile pour pouvoir ensuite soccuper de ces questions en tant quambassadeur. En fin de carrière, en cas de réussite, plusieurs emplois dambassadeurs) sont tenus, du plus petit pays au plus grand (avec lexception du Saint-Siège, « petit » poste occupé en fin de carrière).
une « filière » multilatérale, avec une progression dans lune des RP importantes (UE, Nations Unies) et, souvent, une spécialisation technique dominante (questions stratégiques et darmement, questions économiques et financières). Les passages en Centrale renforcent souvent la spécialisation. Les expériences consulaires sont rares ; quand il y en a, cest plutôt en début de carrière, parfois dans des « consulats » bien particuliers (comme le consulat général à Jérusalem ou le consulat général à Hong-Kong avant la réunification, dont la dimension politique et internationale est importante). Des expériences en ambassades bilatérales sont faites essentiellement dans des grandes capitales (Londres, Washington
) ayant une dimension internationale marquée.
une « filière » consulaire, qui commence parfois par un premier poste en catégorie B, et qui se termine, pour les belles carrières de ce type, par un poste de consul général, voire parfois dambassadeur dans un petit pays. En Centrale, les passages par Nantes, la DFAE permettent daugmenter les compétences. Des postes administratifs (secrétaire général dambassade, chef de SAF) sont parfois occupés en milieu de carrière.
La fusion du MAE avec le ministère de la Coopération est trop récente pour que lon puisse évoquer ou réfuter lexistence dune « filière Coopération-Développement », où lalternance de postes à la DGCID et en ambassade dans les SCAC constituerait lossature principale, avec, pour aboutissement, un poste dambassadeur dans un pays en voie de développement. Les entretiens menés avec des anciens de la Coopération ou de jeunes diplomates à la DGCID ou dans les SCAC semblent indiquer, au contraire, des parcours plus variés. Pour les anciens de la Coopération, expérience et compétence en gestion semblent leur ouvrir les portes de postes intéressants en Centrale (DGA). Quant aux jeunes diplomates, ils mettent en avant les plus grandes opportunités et responsabilités quils peuvent avoir à la DGCID ou en SCAC, par rapport à dautres secteurs au même âge. Mais cet avantage est souvent perçu comme un moyen de poursuivre ensuite, dans une autre direction, grâce à lexpérience ainsi accumulée, plutôt que comme le début dune carrière centrée sur la coopération et le développement.
Tous les diplomates interrogés ne sont pas cantonnés à lune des trois filières évoquées, mais la plupart des entretiens évoquent une certaine cohérence. Au point que ceux qui ont eu un parcours atypique le signalent lors de lentretien : « Il y a deux stratégies, la stratégie dhyperspécialisation ou celle des gens moins sérieux comme moi, qui profitent des opportunités, qui papillonnent. Cest une anti-stratégie de carrière. Jai cherché à faire des choses différentes ; alternance Paris/étranger et variété à létranger : on peut faire du bilatéral, du multilatéral, il y a une infinité de cas de figure. Vous pouvez faire des métiers très très différents » (ministre plénipotentiaire).
Concentrer sa carrière dans une filière dominante, avec au maximum une bifurcation, est un moyen daccumuler à la fois des compétences et des savoirs spécialisés. Cest aussi se construire une réputation, être reconnu par ceux qui se trouvent aux postes de direction dans cette même filière et avec qui lon pourra être amené à travailler plusieurs fois à différents moments de la carrière.
Lexistence de filières assez étanches limite, pour une part, lunivers des possibles pour les agents (« Une fois que vous avez pris un couloir, vous nen sortez pas facilement ! »), tout en contribuant à la perpétuation de la hiérarchie des domaines au sein du ministère. Parmi les raisons avancées pour expliquer cette situation, outre la voie daccès au ministère, certains évoquent lexistence deffets de cliquet, dirréversibilité et distinguent notamment linfluence des premiers postes, considérés par beaucoup comme déterminants et dautre part, celle de la spécialisation, qui peut venir renforcer le premier type deffets.
Sur le premier point, lon rejoint la question des réseaux et de la réputation : beaucoup font référence à leur premier ambassadeur, à leur premier chef de poste (davantage, dailleurs quà leur premier sous-directeur ou directeur en Centrale) comparé à un « parrain » au sens où il leur a transmis un certain nombre dusages, en même temps quil a pu les faire entrer dans un groupe, voire dans une équipe : celle de la Coopération européenne, celle des spécialistes du Moyen-Orient : « Cest un petit ministère
on est peu nombreux, le ministère cest 9 000 fonctionnaires, en fonctionnaires de catégorie A
cest quand même pas beaucoup, en conseillers des Affaires étrangères ENA, cest encore moins
donc les gens se connaissent, en plus comme il y a grosso modo, comme il y a des filières, il y a la filière Affaires stratégiques, il y a les filières communautaires, il y a les filières Coopération internationale
il y a les arabisants, donc, les gens se connaissent dans leur filière et souvent ça a un effet, je veux dire, on commence sa carrière dans une filière, puis on va faire autre chose et puis on est rattrapé au 3e ou 4e poste, parce quon se souvient de vous, on se dit machin, il connaît bien le sujet, donc on va le nommer là, donc ça se fait plus par réputation » (conseiller des Affaires étrangères).
En matière de spécialisation aussi, on retrouve le poids des réseaux. Ainsi, si certains postes détachés dans des organisations internationales sont particulièrement recherchés et difficiles à obtenir, des craintes sexpriment à propos de la mobilité à lextérieur du ministère. Un tel départ, même temporaire et participant pleinement de « lidéal » du changement de poste au cours de la période, représente un certain nombre de risques : « Pourquoi pas faire un passage à lONU, mais ça, cest au titre, je veux dire, cest ma carrière bien sûr, mais cest parce que ça mintéresse aussi
cest sûr que de toutes façons, je sais très bien que si je fais un passage dans un poste bien à lONU, ça peut aussi me servir dans ma carrière en France, alors que malheureusement, souvent, quand les gens sont en détachement, cest un peu loin des yeux, loin du cur
on a limpression que, quand ils reviennent, il faut quils se refassent une
on perd vite en fait, quand on nest pas dans la maison, quand on nest pas dans le circuit Étranger ou Centrale, on perd vite, on est vite oublié » (conseiller des Affaires étrangères).
Si lon sintéresse maintenant plus directement aux spécialisations, elles apparaissent aussi déterminantes pour expliquer létendue plus ou moins large des choix ouverts aux agents. On peut déjà dire que le fonctionnaire peut vouloir se spécialiser en fonction de sa formation et choisir ses affectations suivant ses critères : « Jai une formation en finances et jai une formation classique Sciences Po
ce sont les deux majeures que jaimerais développer dans ma carrière » (secrétaire des Affaires étrangères). Reste quil doit aussi tenir compte, dans ses choix, des attentes de la DRH. Cest peut-être là que linfluence de la spécialisation est la plus forte : les affectations successives viennent la confirmer. Cette confirmation, cette construction dune spécialisation, parfois au corps défendant dagents qui souhaiteraient élargir le champ de leurs compétences, serait, pour certains, liée à une attitude timorée des affectataires : « Ce sont des gens, si vous voulez, quand vous allez les voir, jai tel ou tel souhait : Cher ami, vous ny pensez pas, vous venez de la sous-direction de la comptabilité, vous nallez pas aller dans un service culturel, vous plaisantez
Donc si vous voulez, une fois que vous avez, dans un premier temps, embrassé tel ou tel, je dirais, secteur de la carrière, cest très difficile den sortir » (secrétaire des Affaires étrangères).
À linverse, celui qui décide de sortir du parcours, en quelque sorte balisé, qui est le sien, en fonction de sa voie dentrée et accepte une fonction peu valorisée, dans le domaine de la gestion ou dans le consulaire, prend un risque, encore quelle lui confère un titre pour lavenir, et une source de légitimité : « Une carrière idéale, cest
cest effectivement avoir un certain fil conducteur, pas une spécialité, mais un domaine où je serais plus à laise, avoir des compétences géographiques ou techniques qui soient reconnues, sans quelles soient exclusives. Ça, cest la première chose. La deuxième chose, cest avoir une carrière variée, ne pas tourner simplement entre Bruxelles, Berlin, Londres et lAdministration centrale, mais aller aussi dans des petits postes, en Afrique, en Asie. Avoir une carrière longue, quon puisse se dire : Celui-là, il a plus travaillé sur le multilatéral, mais il na pas fait que ça, sil se retrouve ambassadeur quelque part, il sait ce quest le consulaire
» (secrétaire des Affaires étrangères).
Cette division des tâches sinspire dune conception de lactivité diplomatique selon laquelle « le diplomate est une espèce dindividu descendu des cieux, ne soccupant que de matières nobles et ne pouvant pas considérer un instant que sa dignité lautorise à faire de la gestion » (conseiller des Affaires étrangères). On est ici au cur de la conception française de ce qui élève, tel que lanalyse Philippe dIribarne : « En France, limage mythique de lhomme libre nest ni le propriétaire, protégé par la loi de lintervention de quiconque dans ce qui le concerne en propre, ni celui qui gère, en commun avec ses pairs, les affaires de la communauté. Cest le vrai noble, à travers qui lhumanité sélève au-dessus de la trivialité du quotidien, et dont le sens du devoir est à la hauteur des privilèges que lui vaut son état », avec, en arrière-plan, une opposition entre le pur et limpur, le politique étant considéré comme lactivité noble par excellence.
Il existe des passerelles entre domaines, qui confortent lexistence des filières. On peut sen faire une idée à partir des opportunités de carrière des agents de catégorie B. Lun deux nous expliquait : « En ambassade, je peux être éventuellement chef du service administratif et financier, en catégorie B, en catégorie B, en gros, si joublie pas grand-chose
en Centrale, il y a plusieurs possibilités, il y a donc consul, enfin vice-consul, les métiers consulaires, chef de SAF, donc là, cest ladministration de lambassade, les budgets, mais aussi tout ce qui est administratif, entretien des bâtiments
ensuite il y a
secrétaire général du service de Coopération et daction culturelle, le SCAC
je crois que cest tout, il y en a dautres aussi, mais, on peut travailler en SCAC, secrétaire général cest un peu comme chef de SAF, cest un peu organiser les équipes, du budget et tout ça
Donc cest plus du gestionnaire ? Oui, du gestionnaire et du consulaire » (secrétaire de chancellerie). Ces deux domaines, qui communiquent entre eux, ont en commun dêtre moins valorisés au sein du ministère, par rapport, notamment, aux fonctions politiques et/ou multilatérales la croyance dans la valeur débouchant toujours sur le jugement de valeur. Passerelles aussi, du fait de la fusion du ministère des Affaires étrangères avec celui de la Coopération, fusion illustrant certaines rigidités des parcours, certains « anciens de la Coop », comme ils se nomment eux-mêmes, étant encore « marqués » par leur origine.
D) La construction de la réputation et la reconnaissance
Comment sont évalués les diplomates et reconnues les compétences et les qualités qui permettront de gravir les différents échelons jusquaux postes les plus recherchés ?
La perception par les agents
De lavis général, lévaluation administrative, faite par le supérieur, reste très formelle et na que peu deffets sur lavancement. Ce qui compte est alors plus la « réputation » que se forge lagent lors des différents emplois occupés, mais celle-ci est plus complexe à cerner.
« Il y a lévaluation quotidienne, je veux dire
mais si vous pensez plus à lévaluation notation
ben ça, cest une fois par an, par le directeur, enfin je pense que vous avez vu le format un peu des évaluations. Lévaluation a été modifiée ces derniers temps, bon ça reste effectivement assez, il y a des questions, il y a des barèmes, je pense quil y a
cest un peu plus formaté, oui formaté, pour quil y ait peut-être moins de place pour larbitraire et quon puisse mieux comparer aussi les agents entre eux, donc, cest une fois par an. Lévaluation quotidienne, cest dans les rapports quotidiens avec ma hiérarchie, mais qui sont très informels, enfin je veux dire, on présente un papier, il nest pas bien, on le refait dans le dialogue avec le directeur, la directrice adjointe, les collègues, donc ça, cest assez informel » (conseiller des Affaires étrangères).
« Parfois, on voit retourner la note quon a écrite avec la mention très bon papier, là on sait. Quand il faut recommencer 15 fois une note, là on comprend que ça ne va pas ! » (secrétaire des Affaires étrangères).
Cette question nest pas toujours facile à aborder pour les agents interrogés : « On a un peu limpression de faire partie dune espèce de grande mécanique un peu anonyme, il faut bien le dire et encore cest un petit ministère, donc est-ce que vraiment ça
oh
cest pas une chose qui me préoccupe vraiment parce que
votre question me trouble un peu parce que jai pas
jai pas pensé vraiment à la conséquence de la feuille dévaluation qui est utilisée je sais pas trop comment dailleurs : pour les promotions, pour les nominations, le cas échéant » (conseiller des Affaires étrangères).
Cela est dautant plus mal vécu quil existe un sentiment dinjustice : « Il se trouve que jai été mal noté et que cétait mérité. Il y avait un dossier important que jai traité un peu à la légère, comme je suis tombé sur un sous-directeur hargneux, il ma poursuivi de sa hargne pendant toute ma carrière, mais cétait mérité. Il y a un secret pour faire une belle carrière, il faut être constamment sur le qui-vive, il ne faut pas avoir de passage à vide, il faut être constamment disponible, je ne parle pas des énarques, on ne leur demandera pas de faire leurs preuves, parce quils les ont faites à lENA. Eux, ils ont moins ce genre de problème quun agent A de mon type, qui nest pas énarque et qui a grimpé les échelons un à un » (conseiller des Affaires étrangères).
Une jeune conseillère qui dit ne pas savoir si elle pourra terminer sa carrière aux Affaires étrangères évoque la pression quelle ressent par rapport à la réputation : « Lévaluation, il ny a pas que ça, cest un travail au quotidien. Une réputation, ça met la pression, tout le temps : si vous avez une bonne réputation, il faut la maintenir, si vous nen avez pas, il faut la construire, si vous avez une mauvaise réputation, il faut à tout prix la corriger
Vous êtes tout le temps sous pression ! »
Cette difficulté peut être accrue quand la réputation dépend également déléments que lagent ne maîtrise pas totalement. En effet, la réputation est vue comme une affaire en partie collective : « La reconnaissance, cest plus lié au service quà mon poste. Donc, moi jai limpression plutôt que ce quon fait, enfin ce que je fais est bien pris en compte. Cest un service qui a plutôt une bonne image » (conseiller des Affaires étrangères).
La réputation est également affaire collective, par les effets détiquette pouvant coller à une affectation et le type dinteractions avec les collègues, qui vont sy nouer : « Si un jeune diplomate est affecté dans un pays Africain où il ne se passe rien, il va revenir au bout de trois ans avec la réputation de quelquun de pas très travailleur. Sil est affecté auprès dun ambassadeur difficile, caractériel, avec qui il va avoir des problèmes, il va revenir avec la réputation dêtre une personnalité difficile. Donc, dans le communautaire, il y a une réputation de travailleur » (secrétaire des Affaires étrangères).
Par contre, plus on se trouve à un poste à responsabilité, plus lappréciation devient personnelle, plus il faut endosser la responsabilité de la bonne marche du service, y compris au niveau politique, ce qui peut entraîner une certaine instabilité : « Jai une évaluation personnelle : le Président est-il content ?, le Premier ministre est-il content ? et le ministre est-il content ? la ministre déléguée est-elle contente ? A priori je marrête là. Un de mes prédécesseurs, il est resté longtemps, le ministre tout dun coup nétait plus content, en trois jours, il avait changé de poste. Lévaluation dans un poste aussi sensible est assez simple ! Un jour, le ministre nest pas content, il faut bien trouver un bouc émissaire, cest normal, je nai pas vraiment une mentalité de sacrifice, donc je me défends toujours quand jai des arguments mais
» (ministre plénipotentiaire).
La construction dune réputation, à la fois collective et individuelle, se fait donc dans les réseaux avec lesquels lagent a été en contact lors de sa carrière, ce qui a pour effet de renforcer les effets de filière évoqués précédemment : « Les gens se connaissent dans leur filière et souvent ça a un effet, je veux dire, on commence sa carrière dans une filière, puis on va faire autre chose et puis on est rattrapé au 3e ou 4e poste, parce quon se souvient de vous, on se dit machin, il connaît bien le sujet, donc on va le nommer là, donc ça se fait plus par réputation
par filière, par réputation ensuite, machin, oh oui, machin, cest un bon, il a bien travaillé, ah oui, machin, il était à Washington donc cest quil est solide ou alors oui, machin, cest vrai, il a été à Oulan-Bator, donc cest mauvais signe
voilà, ça fonctionne plutôt comme ça, en fait, moi, je vois comment se font les recrutements ici, quand il y a des rotations, en fait, on aspire des gens dautres directions qui travaillent avec nous dont on sest aperçu quils travaillaient bien dans notre direction, sils veulent changer, on leur dit ben pourquoi vous viendriez pas chez nous ?. Parce que voilà, on a repéré quils étaient bons, mais ça ne repose pas sur
une évaluation formelle ou sur le fait quon dise ah oui, lui, il a toujours rempli ses objectifs cest pas ça » (conseiller des Affaires étrangères).
Controverses autour de lévaluation
Les quelques responsables rencontrés ont généralement confirmé quà leurs yeux, lévaluation administrative quils faisaient de leurs subordonnés nétait pas la plus importante pour la suite de leur carrière, même si certains estiment quil est possible de lire entre les lignes pour voir, derrière des appréciations généralement élogieuses, les nuances qui permettent de distinguer les bons et les moins bons. Par contre, il peut leur être demandé un avis informel, souvent issu dune conversation téléphonique avec un collègue en qui ils ont confiance, sur tel ou tel collaborateur, avant quil ne soit recruté dans un nouveau service. Mais cest par les contacts avec différents responsables, que le jeune diplomate devra faire valoir sa valeur.
Pour plusieurs responsables rencontrés, le MAE est un petit ministère et « lon finit toujours par savoir qui est bon et qui ne lest pas ».
Toutefois, les mécanismes de jugement permettant de parvenir à ce résultat ne sont pas toujours aisés à décrypter : disponibilité, capacité dadaptation, facilités relationnelles, initiatives personnelles doivent être contrebalancées par lesprit déquipe, le respect de règles non écrites et dune certaine conformité (y compris dans la façon de parler, de shabiller), un esprit de synthèse. Ces deux tendances, en partie contradictoires, peuvent difficilement faire lobjet dune évaluation formelle. Cest pourquoi, pour beaucoup de hauts diplomates (directeurs, ambassadeurs, etc.) rencontrés, notamment dans les postes et dans les directions politiques et géographiques, lévaluation informelle, par la bande, est un mal nécessaire. Il ne serait pas possible de ne prendre en compte que des éléments totalement objectivables, voire quantifiables. Et cela, pour plusieurs raisons (telles quelles sont données par certains agents interrogés) :
La qualité du travail diplomatique est une donnée complexe : la réussite lors dune négociation, nest pas toujours facile à déterminer. Elle dépend du rapport de force, de la qualité des instructions, des objectifs parfois sophistiqués, voire contradictoires. Il en est de même de la pertinence dune analyse, du travail de représentation, etc. Si une grosse erreur ou un coup réussi peuvent être facilement identifiés, les situations intermédiaires sont moins claires. Par ailleurs, surtout pour les jeunes diplomates en début de carrière, léchec ou la réussite sont aussi une affaire déquipe, de contexte, de bonnes relations avec la hiérarchie.
Les qualités attendues par les supérieurs peuvent être contradictoires : un jeune diplomate brillant, volontaire et très actif peut aussi être perçu comme trop individualiste, doté dun caractère difficile. Dans certains cas, notamment en poste, un collaborateur moins percutant, mais au bon caractère sera préféré. Léquilibre à trouver entre les deux nest jamais donné davance et celui qui veut être bien vu doit pouvoir sentir à quel moment il peut se mettre en avant, saffirmer et à quel moment il doit faire preuve dun plus grand conformisme.
De plus, le mérite, les difficultés, ne seront pas les mêmes dun poste à lautre : contexte politique délicat, pays dangereux ou peu confortable, etc. Il nexiste pas de typologie officielle des postes permettant de tenir compte de ces variables. Lévaluation informelle est donc indispensable. De plus, si des règles formelles étaient décidées (du type « on ne peut accéder à un beau poste à responsabilité que si on est dabord passé avec succès dans un certain nombre de postes difficiles »), il faudrait sans cesse réévaluer la liste des postes difficiles (au moins à la marge) pour tenir compte de lactualité internationale et de lévolution des pays. En outre, cela risquerait davoir pour effet pervers de renforcer encore la difficulté, pour les femmes diplomates, daccéder aux postes supérieurs, les femmes en haut de la hiérarchie étant plus nombreuses en Centrale quen poste.
Enfin, il semble que le jugement sera forgé de façon différente suivant les agents, leurs caractéristiques personnelles (âge, sexe, hexis corporelle
), leurs ambitions, leur destin probable
Pour certains, la grande diversité des agents du MAE par rapport à dautres administrations est une richesse quil ne faudrait pas perdre par une évaluation trop standardisée. « Les profils au Quai dOrsay sont extrêmement variés. Les personnes, cest parfois fatigant à gérer, pas toujours dune efficacité optimale mais très intéressant, vous allez à la direction du Trésor, jai pas mal de collègues qui y sont, vous enlevez Mr X, vous le remplacez par Mme Y, ça prend un mois et vous avez pratiquement le même produit qui sort, la même note, cest une mécanique bien huilée. Au Quai dOrsay, vous avez de tout » (conseiller des Affaires étrangères).
Toutefois, malgré ces difficultés pour proposer une évaluation formelle, standardisée et totalement transparente, une partie des personnes rencontrées estime quune telle démarche serait non seulement possible, mais même souhaitable. Cette position, qui entre parfois en conflit avec la première se retrouve notamment chez les agents de directions ayant des fonctions administratives, de gestion ou de support logistique. Pour eux, des outils flexibles et intelligents peuvent être inventés ou adaptés (en prenant exemple sur des expériences étrangères, sur dautres ministères).
Direction par objectif, évaluation à 360°, création dun board autonome dévaluateurs, mise en place dun parcours type minimal pour aboutir à telle ou telle fonction prestigieuse, etc. sont présentés comme des nécessités, tant pour améliorer lefficacité du MAE, que pour éviter de démoraliser les jeunes agents brillants dont les mérites ne seraient pas assez reconnus : « À Berlin, mais surtout chez les Britanniques, lévaluation à 360° où en gros, lidée, cest quon est apprécié par ses pairs, on monte, il y a un mouvement à la fois spiralien et circulaire (gestes à lappui) et puis, au fur et à mesure que lon arrive vers les sommets, on est regardé par le haut et cest le haut qui vous tire ; vous êtes poussé par la base et, à un certain moment, vous êtes aspiré par le haut, le haut étant, effectivement, réduit à une direction collégiale dune dizaine de personnes. Je pense que cette culture est un modèle dont on peut difficilement séloigner, on peut sen inspirer pour y trouver quelques améliorations propres à nos cultures à nous, je pense quon va tendre vers ça. Le problème, cest quon laborde à nouveau selon un mode qui est un mode hiérarchique et donc ça devient
dabord un apanage ou une priorité du haut de la hiérarchie : on évalue à 360° les ambassadeurs et un certain nombre de directeurs, très précautionneusement, beaucoup trop précautionneusement
on se pose de graves questions sur le fait quun regard extérieur puisse être intégré à ce mode dévaluation, à savoir un ambassadeur en poste, on pourrait aller demander son avis au représentant des élus des Français de létranger, dun patron dentreprise ou autre, si jétais Britannique, je dirais its ridiculous, chez eux, ça ne pose aucun problème et cest même un facteur de pondération important dans la vision des gens, je pense quil faut quon arrête les pudeurs de jeunes vierges sur ce genre de sujets, il faut banaliser lévaluation, il faut la répandre très vite » (conseiller des Affaires étrangères).
2 Pouvoir et coopération
Le ministère des Affaires étrangères est une administration très particulière, qui a la charge de fonctions très variées, assurées à la fois par différentes administrations centrales et par un double réseau (consulaire et dambassades) à létranger. Son action se répartit sur cinq programmes LOLF, à savoir (dans lordre dimportance des masses financières gérées) : « Solidarité à légard des pays en voie de développement » ; « Action de la France dans lEurope et dans le monde » ; « Rayonnement culturel et scientifique » ; « Français à létranger et étrangers en France » et « Audiovisuel extérieur ». La fusion avec le ministère de la Coopération a débouché sur la création de la DGCID qui, en regroupant trois programmes LOLF, représente 61 % des masses financières gérées dans le cadre de cinq programmes LOLF.
Les ambassades sont de petites organisations comportant des services et des personnels très différents. La question de la régulation densemble apparaît donc comme importante. Comment simplique lambassadeur dans la régulation de cet ensemble ? Comment est assurée la coopération tant en interne quavec lAdministration centrale ? À linverse, quelle sont les forces de dispersion ou de conflit ? Comment se manifestent déventuels intérêts personnels ou leurs représentations ? Quels liens avec les logiques de carrière ? (réalité de la polyvalence ou filières cloisonnées ; stratégies et enjeux différents suivant la position que lon occupe ; possibilités de carrières). Comment travaillent ensemble des personnes au statut, au salaire (parfois pour un même travail) et à lhistoire administrative hétérogènes ?
A) Statuts, grades et hiérarchies sociales
Les hiérarchies semblent, notamment daprès les agents B et C, relativement marquées, y compris dans les pratiques de sociabilités affinitaires (« la femme dun B ne va pas copiner avec la femme dun C » a-t-il été précisé en entretien, même si des contre-exemples peuvent être trouvés). Quelles sont les conséquences sur le collectif de travail, la capacité à produire un sens partagé vis-à-vis des tâches et des contraintes rencontrées ? Avec qui peut-on parler de son travail ? En Centrale et notamment à Nantes, il est facile de rester entre soi sans être isolé du groupe de travail. En poste, si les contacts se limitent aux homologues, cela veut dire très peu de monde, semble-t-il (pas plus de deux trois personnes). Doù un risque de sentiment disolement, renforcé par lexpatriation et surtout la difficulté à constituer un collectif de travail porteur de règles et de valeurs communes, capables de donner un sens partageable et de légitimer les actions et efforts entrepris.
Les agents de catégorie C, souvent très diplômés et/ou doté dune solide expérience se sentent parfois mal reconnus et mal employés. La disparition et la transformation de la fonction classique de secrétariat (en fait de sténo-dactylo), à cause de linformatisation, au profit dun rôle dassistante ne sest pas faite totalement. Si cela se passe plutôt bien dans les postes, cela est moins bien vécu par des agents de la Centrale qui se sentent sous-utilisés.
Excursus sur les « grandeurs »
Pour mieux comprendre les métiers et les modalités de leur exercice, on peut emprunter aux travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot portant sur les économies de la grandeur. Sans forcément reprendre lensemble de la théorie développée par ces deux auteurs, on peut retenir ici une de leurs hypothèses de méthode, qui a en partie guidé notre démarche de recherche : « Les personnes ont compétence à évaluer la nature des situations dans lesquelles elles se déplacent et cest de cette compétence que lon doit partir. » Reste à analyser les critères sur lesquels se fondent les personnes pour évaluer les situations, ce que les auteurs nomment des « grandeurs », sorte de système déquivalences partagées « permettant à chacun de trouver des repères qui vont fonder ses relations dans la situation, lui fournir des éléments de caractérisation de celle-ci. »
Sans suivre forcément les auteurs sur « les mondes » dans lesquels se déploient ces grandeurs, on peut retenir le concept pour esquisser quelques pistes danalyses.
Les grandeurs des métiers de la diplomatie varient considérablement selon quon les évalue de lintérieur ou de lextérieur. Vus de lextérieur, malgré le discours stéréotypé concernant leur dimension mondaine, supposée dominante, ces métiers conservent un prestige considérable. Avoir une plaque diplomatique sur sa voiture change immédiatement le regard que lon porte sur vous. Ces métiers apparaissent dautant plus grands quon nen sait pas grand-chose. Être diplomate est grand, même si cela ne dit rien sur le rang que lon occupe. Ambassadeur est un titre particulièrement prestigieux. Consul lest également, même si cest à un moindre degré. Vue de lintérieur, léchelle des grandeurs est infiniment plus subtile et nuancée. Le titre dambassadeur est naturellement envié, mais mille éléments sont immédiatement pris en compte pour en nuancer la grandeur : limportance du pays ou de linstitution auprès duquel ou de laquelle on exerce cette fonction, lâge auquel on est nommé, le parcours que chacun vérifie minutieusement dans lAnnuaire
Les diplômes que lon possède ; les concours que lon a passés ; la manière dont on les a passés (voie interne ou externe) ; le rattachement dorigine (Coopération ou Affaires étrangères), tous ces éléments servent à évaluer la grandeur, éléments qui ne prennent que très peu en compte, finalement, les qualités intrinsèques des individus qui ne se révèlent que dans laction. Faire une carrière repose sur une capacité très fine à lire la « grandeur » des différents emplois occupés et la combinaison de leurs grandeurs. Tous les interlocuteurs rencontrés commencent par apprécier leur possibilité davenir en fonction des emplois préalablement occupés : « Je suis condamné au consulaire », « Jai fait du bilatéral, maintenant je suis dans du multilatéral, il faut que je passe en Centrale si je veux
» À lintérieur de lAdministration centrale, les directions sont elles-mêmes hiérarchisées, sans parler des services nantais, plus ou moins perçus comme terre de relégation. Léconomie des grandeurs internes ne correspond guère à celle en vigueur à lextérieur. La place dans une échelle de prestige est plus importante à lextérieur quà lintérieur, ce qui nest pas le cas dans la grande majorité des professions. Comment cela joue-t-il pour les individus ?
La grandeur des métiers varie considérablement selon quon est « en poste » ou non. Dans les postes bilatéraux, en terre étrangère, les jugements de grandeur varient selon la place que lon occupe pour les émettre. Les chauffeurs et le « petit » personnel de lambassade jugent lambassadeur à sa courtoisie, sa bienveillance ou, au contraire, sa distance. Il en va de même pour tous les autres diplomates. Il y a ainsi des « grands messieurs », par contraste avec des « très petits ». Dans une ambassade, les grands sont les diplomates, les vrais, toutes les autres pièces rapportées étant considérées avec distance, à la fois parce quils ne sont pas « nous », mais aussi, comme on a pu souvent le constater, par une grande méconnaissance des grandeurs en vigueur en dehors de la diplomatie. Ces diplomates, censés avoir une ouverture particulière sur le monde sont parfois frappés dun ethnocentrisme redoutable. Échappent un peu à cet ostracisme les militaires, qui ont la chance de porter leur grandeur sur les épaulettes et qui, par bien des aspects exercent des métiers proches ou complémentaires de ceux des diplomates. Les consuls jouissent également, tant aux yeux de leurs compatriotes, que des étrangers, dun singulier prestige. Pour lambassadeur, le logement dans une résidence souvent remarquable et pour les autres diplomates, quel que soit leur rang, un niveau de vie souvent supérieur à celui quils auraient en métropole sont des conditions qui peuvent modifier le regard quils portent sur leur propre grandeur. Au sein de lambassade, les choses changent, les hiérarchies se reconstituent, mettant chacun à sa juste place. En dehors de lambassade, les « grandeurs » ne se mélangent pas ! Il nen reste pas moins que la proximité avec lambassadeur, loccasion réitérée de rencontrer des ministres et des personnalités de passage, aussi bien que les personnalités locales modifient les grandeurs objectives. Une sorte de transfert de grandeur sopère du sommet à la base. Le chauffeur de lambassadeur nest pas un simple chauffeur. Au cours des entretiens, ce sentiment de grandeur gomme souvent le poids des servitudes qui peut être très lourd, jusquà en décourager certains. Il est, dans tous les cas, difficile de ne pas se « laisser prendre au jeu ».
La situation est un peu différente dans les Représentations permanentes, sans doute parce que le champ de laction est beaucoup plus circonscrit au sein dun milieu composé lui-même de diplomates et dexperts formés de manière différente ou nayant pas les mêmes références pour juger dune situation. « Avec lentrée de certains pays de lEst, on a vu arriver des diplomates très jeunes, complètement différents de ce à quoi on est habitué. Mais finalement, ils ne se débrouillent pas si mal ! » Voilà qui conduit chacun à se comparer à ses pairs des pays membres, quils soient ambassadeurs ou simples conseillers, ce qui conduit objectivement à relativiser les grandeurs.
Au sein du Département, tout change. La hiérarchie des postes se construit avec des effectifs beaucoup plus conséquents. Lancien ambassadeur « ministre plein pot » nest plus quun parmi dautres, jusquà une prochaine et éventuelle affectation. Les fonctions de directeur sont certes prestigieuses, mais ne bénéficient daucun des attributs visibles accordés aux représentants de la France à létranger. Il est un haut fonctionnaire comme les autres. La chute est tout aussi rude pour les autres catégories de diplomates. Ce nest pas la même chose pour un agent de catégorie C, de travailler dans un consulat ou de se retrouver au Service de lÉtat civil à Nantes. Il en va de même pour un secrétaire général dambassade, lorsquil se retrouve chef de bureau. Lécart de grandeur est sans doute plus grand encore pour les catégories dexécution que pour les cadres car, au-delà de limage, les personnels de ces catégories disposent sans doute dune beaucoup plus grande autonomie dans leur travail en étant en poste à létranger.
Ces grandeurs « variables » dans le temps sont très difficiles à gérer pour les individus et sans doute pour leur famille. Il nest pas facile de passer du statut dambassadeur à celui de haut fonctionnaire. Les conditions de vie dans une résidence, malgré la charge de travail qui y est associée, ont peu à voir, sans doute, avec celles que lon est amené à vivre dans un appartement parisien. Ces changements de grandeurs, particulièrement visibles pour les postes les plus élevés, revêtent la même ampleur relative pour les postes les plus modestes. Il est peu de métiers qui connaissent de telles oscillations de grandeur au cours dune carrière pour les individus qui les exercent. Certains ne sen remettent pas, qui continuent à se comporter comme sils étaient toujours détenteurs du poste occupé pendant un temps. Dautres narrivent pas à ajuster leur mode de vie au niveau plus modeste de rémunération quils ont une fois en France. Ces variations de grandeur peuvent poser problème aux individus qui les vivent, mais elles en posent aussi à leur famille, non seulement en termes de mode de vie, mais tout autant quant à la place occupée dans la société, à limage de soi inévitablement renvoyée. Cest sans doute un vrai métier, que dêtre femme dambassadeur, comme en témoignent les mémoires de certaines dentre elles. Mais cest un métier que lon ne peut exercer quà condition, précisément, de ne pas en avoir. De même, les variations de grandeur naffectent pas seulement les diplomates, elles touchent aussi directement leurs familles, voire limage que celles-ci se font de ce quils sont. Il ne suffit sans doute pas dinscrire dans une fiche métier quil faut être mobile, pour permettre de prendre la mesure de ce que représente cette exigence. Il faut beaucoup de ressources personnelles pour arriver à vivre cette mobilité.
Les « grandeurs » ne sont pas seulement celles des personnes et des titres, mais aussi celles des tâches et des emplois. Même si les appréciations peuvent varier, pour une part, dun individu à lautre, il existe tout de même une hiérarchie implicite, qui transparaît dans les récits de carrière. Henri Froment-Meurice, par exemple, en milieu de carrière, vient de terminer une mission (1963-1965) de « chargé daffaire en pied », où il a relancé les relations diplomatiques avec lÉgypte (rompues en 1956, suite à lintervention militaire conjointe dIsraël, de la Grande-Bretagne et de la France contre la nationalisation par Nasser, du canal de Suez). Sans en avoir le prestige, il occupe donc la fonction dambassadeur dans un moment historiquement important.
« À lissue de mon séjour au Caire, je nétais pas facile à caser. Trop jeune encore, me dit-on, pour prendre une direction géographique à la direction politique, trop jeune encore pour occuper les fonctions de ministre conseiller dans une grande ambassade, à Washington, Londres, Bonn ou Moscou. Pour cela, il fallait être ministre plénipotentiaire. Tout dun coup, la hiérarchie me retombait sur le dos. Certes, jaurais pu solliciter une fonction ambassadoriale dans lun de ces nouveaux états africains que nous avions récemment amenés à lindépendance, à un quelconque Ouagadougou ou Niamey ? Mais le plaisir de mettre quelques plumes à mon chapeau ne suffisait pas à me faire trouver intéressant ce genre de poste » (p. 278). Il est finalement nommé, « sans enthousiasme », à la tête du service des « Échanges culturels et scientifiques » à la direction des Relations culturelles scientifiques et techniques. Il doit alors recevoir éditeurs, producteurs et artistes qui « quémandent » de laide pour soutenir financièrement leurs projets au nom de laction culturelle de la France ; subir les pressions de pouvoirs politiques soutenant tel ou tel malgré labsence de talent, pestant contre « lhabitude quont tant de gens de considérer lÉtat comme une vache à lait » (p. 278).
« Faut-il utiliser des diplomates à choisir des livres, des disques, des films ? Sont-ils les mieux placés pour dire quel est le meilleur écrivain à envoyer en Amérique Latine ou le meilleur médecin au Japon ? [
] Bien des tâches dexécution ne me paraissent pas relever de la compétence dun ministère des Affaires étrangères. » (p. 287) Bien que dissonante avec la volonté de contrôler toutes les relations avec lextérieur, cette position témoigne de la prérogative accordée aux diplomates concernant ce qui serait noble : le politique, laissant le reste aux autres pour mieux professionnaliser la diplomatie.
Personnel statutaire, contractuels et locaux
Dans les postes bilatéraux, les personnels expatriés du ministère des Affaires étrangères (statutaires) sont confrontés à dautres catégories de personnel, avec lesquelles ils travaillent ou doivent collaborer.
1) les personnels détachés (détachés) des autres ministères sur les postes « dattachés » : attaché de défense, attaché économique, attaché scientifique, etc. Ces personnels sont détachés sur ces postes par leur ministère dappartenance (Défense, Finance, Éducation Nationale, Équipement, etc.). Ils ont des statuts dexpatriés. Même sils sont assurés de retrouver un emploi dans leur ministère dorigine au retour, ce dernier nest pas toujours cohérent, du point de vue des agents, avec lexpérience accumulée en détachement (exemple des attachés culturels ou scientifiques qui redeviennent enseignants après avoir eu des fonctions de coordination de projets ou de gestion de réseaux relationnels).
2) les personnels recrutés sous contrat de travail à durée déterminée (contractuels) par le ministère des Affaires étrangères, pour remplir des tâches dexperts : architecte, informaticien, etc. Ces personnels sont recrutés en France pour être expatriés. Leurs conditions dexpatriation sont moins intéressantes que celle des statutaires, mais restent des conditions dexpatriés (versement de primes). En revanche, une fois le contrat rempli, le ministère na aucune obligation envers eux, et cest donc à eux de trouver un nouveau poste, au sein du ministère ou ailleurs.
3) Les personnels recrutés localement (locaux), en général pour remplir des tâches de service ou dexécution (chauffeurs, femmes de ménage, vigiles, etc.), mais aussi pour des tâches administratives (comptables, secrétaires, agent daccueil, agent de guichet, etc.). Les conditions salariales sont celles du pays, même si la politique générale est de donner des salaires supérieurs au niveau général : « Il ne faut pas que nos employés soient les clochards de la ville » (agent de catégorie A). « Pour le salaire, par rapport aux autochtones, les autres, je veux dire moi, jai un salaire de cadre, pour une assistante de gestion, je trouve que jai un salaire de cadre, qui nest pas celui dun directeur dentreprise ou autre » (recrutée locale).
Les conditions statutaires sont différentes selon les pays, puisque chaque pays a sa propre grille de salaire. Les conditions demploi sont celles du pays (alignement sur le droit du travail du pays). Le poste peut recruter en CDD ou en CDI. À lintérieur de ce groupe, on peut trouver deux catégories de personnel, différentes selon leur degré dintégration dans le pays :
La première catégorie correspond au personnel dont le pays est le lieu de résidence stable et souvent définitif (locaux installés). Ce sont soit des personnels de nationalité du pays, soit des Français installés dans le pays (souvent des compagnes de nationaux). Pour ces personnels, un emploi à lambassade ou au consulat est une aubaine (un des chauffeurs rencontrés explique ainsi que son recrutement dans ce poste représente pour lui des conditions de vie inespérées).
La deuxième catégorie correspond au personnel en situation dexpatriation dans le pays (compagne ou compagnons dexpatriés). Ils ne sont installés que provisoirement dans le pays (locaux expatriés). Leur emploi dans le poste est donc une situation transitoire. Dans ces derniers cas, ils acceptent souvent des postes exigeant des qualifications moindres ou différentes de celles quils prétendent avoir. Les salaires leur paraissent faibles et le contrat désavantageux, car ils comparent leur situation à celle des expatriés.
On pourra remarquer que la catégorie de « statutaire » est la catégorie de référence. Le passage des concours du MAE constitue pour les recrutés locaux ou les contractuels, la possibilité dintégrer le MAE et donc, datteindre cette situation réputée enviable du statutaire. Néanmoins, le passage des concours oblige lagent recruté localement, sil réussit, à prendre un poste pour un minimum de trois ans en France, avant despérer une affectation à létranger, qui ne sera pas nécessairement dans le pays de départ. Pour beaucoup de recrutés locaux, les contraintes familiales ou dinstallation dans le pays sont incompatibles avec un tel projet. Ils y renoncent alors. « Après (les concours) il faut que je passe deux ou trois ans en France, parce que je souhaite repartir, en plus, jaurais préféré rester dans le pays, donc ça veut dire que je sais que je naurai pas tel pays, même si je dois voyager quand même, tout ça cest très aléatoire, cest-à-dire quil va falloir faire énormément de sacrifices, cest-à-dire quil va falloir déjà que je trouve de largent pour un examen que je ne suis pas sûre de réussir, déjà pour les trouver, ça va être assez difficile, et après, il faudra que jaille vivre en France deux ou trois ans, ce que je nai pas forcément envie de faire, mes enfants étant encore petits
Ce qui fait que, moi, mes perspectives en terme demploi, cest vrai que je souhaiterais quon me donne assez de motivation pour continuer à faire mon travail et à améliorer ce que je suis en train de faire ici. Ça, sest sûr, après, si ce nest pas le cas, jessaierai de trouver ailleurs » (recrutée locale en CDI).
En revanche, un certain nombre dagents statutaires rencontrés sont danciens recrutés locaux ou contractuels, ayant accepté, parfois au prix de sacrifices familiaux importants, les contraintes de la carrière de statutaire.
Les situations de travail et demploi de ces quatre groupes de personnel sont à différencier selon leur position dans la division du travail, linscription de cet emploi dans une trajectoire professionnelle ou familiale, le niveau de rétribution perçu (financière ou symbolique). Par la suite, on pourrait se servir de ces trois variables et de leur articulation pour établir une typologie de ces situations.
Division du travail et coordination entre personnels statutaires et locaux
Le recrutement des personnels non statutaires est inversement corrélé au niveau hiérarchique. Les recrutés locaux, notamment les vacataires ou les CDD, occupent les fonctions administratives les moins prisées. En ce sens, on peut dire que la différenciation statutaire suit la hiérarchie sociale du travail, telle que définie par Everett Hughes. Les tâches nobles et valorisantes sont effectuées par les statutaires ou détachés, alors que le « sale boulot » est plus facilement confié à des locaux. Cette différence retraduit alors peu ou prou la frontière entre travail politique de la Chancellerie et travail administratif du consulat. En effet, cest dans les consulats que lon trouve, en proportion, le plus de recrutés locaux. Dans certains consulats, le ratio locaux/statutaires est plus favorable aux locaux. Ce qui peut soulever des questions par rapport à la délivrance des visas ou létablissement dactes officiels.
Par ailleurs, les détachés ou contractuels occupent, eux, des positions dexperts, liées à des compétences de métier, marquant en cela la différence avec les statutaires, qui ne sont pas des spécialistes, mais des « généralistes ». Cette expression est très largement utilisée par les statutaires, pour manifester leur polyvalence. En effet, le passage dun poste à un autre suppose un changement dactivité (de lactivité consulaire à lactivité de chancellerie, du culturel à la Presse, de la comptabilité aux visas, etc.). Mais là encore, dans cette répartition, cest le travail généraliste qui est considéré comme noble avec, comme figure idéale, celle de lambassadeur.
En contrepartie, lengagement demandé aux non statutaires est moindre, en terme de disponibilité. Ils se tiennent aux horaires de leur contrat, alors que les statutaires dépassent régulièrement les horaires, travaillent le week-end. Cette « corvéabilité » des statutaires est justifiée par le paiement de lindemnité de résidence : « On a bossé comme des bêtes avant, pendant et après. Jai dormi 3/4 dheure. Cest la vie. Cest dans la fiche de poste également » (agent de catégorie A). « Cest vrai quen temps de visites, ou de choses difficiles, que ce soit sur un plan politique ou autre chose, on vient de nous-même, moi je suis venue samedi travailler, je suis venue lundi, cétait férié, bon voilà, je veux dire, ça fait partie un peu, et puis la DRH nous dit assez que ça fait partie de lindemnité de résidence, donc on est absolument disponible, et puis voilà » (secrétaire).
Cependant, si les statutaires occupent les emplois les plus nobles ou les plus élevés dans la hiérarchie, ce nest toujours que pour un temps déterminé, court au regard des postes tenus par les contractuels les plus anciens et notamment les contractuels installés. Ainsi, la mémoire du poste diplomatique est détenue par les contractuels : mémoire des procédures, des événements, des personnes, des réseaux relationnels, etc. Lexemple le plus flagrant est certainement celui des attachés de presse. Dans lun des postes observés, lattaché de presse connaît les journalistes personnellement. Cette proximité va jusquau tutoiement, à la connaissance des numéros de portables personnels, etc. Le conseiller presse doit donc sappuyer sur lattaché de presse. On peut remarquer le même genre de connaissances fines du pays, de ses contraintes, des contacts importants, détenues par des secrétaires recrutées localement. La maîtrise de la langue locale est, dans certains cas, une dimension supplémentaire de lintégration dans les réseaux locaux. Les recrutés locaux connaissent aussi les procédures techniques diverses (logiciel spécifique, routine particulière, législation locale, etc.). Dans le vocabulaire de lanalyse stratégique développée par Michel Crozier et Erhard Friedberg, on peut dire que les recrutés locaux maîtrisent une « zone dincertitude » au détriment des statutaires. Dans certaines circonstances, cette maîtrise peut entraîner une répartition du pouvoir au profit des locaux, engendrant des conflits avec les statutaires. Cest ce constat dune maîtrise informelle (même relative) de lorganisation, qui peut faire dire à certains statutaires que ce sont les locaux qui « tiennent la maison ».
Trajectoires différentielles des locaux et des personnels statutaires
Comme nous venons de le voir, la dimension temporelle de loccupation des postes est une donnée fondamentale dans la division du travail. Elle est fondatrice des logiques dacteurs, mais plus fondamentalement encore, de la manière dont ils se représentent leur situation. En effet, à un moment donné, la situation de travail est à réinscrire dans une trajectoire professionnelle, familiale et géographique. Cette trajectoire diffère selon les catégories dagents.
Statutaires : Assurés davoir un emploi au sein du ministère, les statutaires nen demeurent pas moins confrontés à trois incertitudes articulées, celle de leur carrière, celle de leur affectation géographique et celle du contenu de leur poste. Pour faire face à cette incertitude, ils adoptent plusieurs stratégies (voir précédemment la partie sur les stratégies de carrière). Loccupation dun emploi, à un moment donné, est donc toujours le résultat (positif ou non) dune stratégie, en même temps que cet emploi sert à préparer la prochaine affectation. Lemploi au temps « t » est un moment dune trajectoire professionnelle marquée par une mobilité géographique, fonctionnelle et parfois aussi familiale (voir dernière partie). Mais cette mobilité est assumée.
Contractuels : pour ces derniers, loccupation de lemploi nest pas pensée dans le temps long de la carrière, mais plutôt dans le temps court de lopportunité. Lincertitude sur lavenir est donc présente au quotidien, dans une situation où les stratégies à mettre en uvre pour la limiter sont plus difficiles (moindre connaissance et maîtrise des réseaux) et plus aléatoires que pour les statutaires (obstacles juridiques, économiques, etc.). Pour les contractuels, la mobilité ne peut sinscrire dans un projet à long terme, sauf pour ceux qui, par diverses voies (recours légal, concours) obtiennent finalement une titularisation au MAE. Les récriminations envers le MAE, accusé de ne pas leur assurer davenir, tout en les enfermant dans des fonctions non reconvertibles ensuite sur le marché de lemploi, sont nombreuses.
Locaux expatriés : pour eux, loccupation de lemploi est pensée sur le temps de la trajectoire du conjoint. Lemploi reste la source dun revenu complémentaire, une occupation, une possibilité de sintégrer professionnellement à la communauté française. Mais il nest pas pensé sur le mode de lengagement professionnel personnel. Lexpatriation, comme lemploi détenu, sont des éléments dadaptation à la carrière du conjoint. La mobilité est assumée en tant que mobilité du conjoint. Dans certains cas, cette situation conduit les agents à passer les concours pour essayer de construire une double carrière au sein du MAE. Cette situation entraîne alors de nouvelles difficultés en terme de trajectoires professionnelles ou familiales, en raison des négociations de la mobilité quelle implique au sein du couple (voir dernière partie). Lincertitude est celle de lhorizon de lemploi : les agents sont dépendants des décisions de reconduction de leur contrat de travail, quil sagisse de vacations ou de CDD.
Locaux installés : la configuration est différente pour ces derniers. La trajectoire professionnelle est pensée au sein dune même unité géographique : le pays. La mobilité nest pas concevable. Compte tenu du niveau de rémunération proposé, loccupation de lemploi est vécue sur un temps long (de plusieurs années, à toute une vie), surtout si leur contrat de travail est à durée indéterminée. Dans le cadre de contrats reconductibles et selon la législation du travail du pays et le marché de lemploi local, lincertitude sur lavenir peut être plus ou moins prononcée. Mais dune manière générale, cet emploi est plutôt vécu sur un temps long et non comme un passage.
Dans ces circonstances, la négociation de conditions salariales ou statutaires plus favorables est un élément clef de lengagement dans le travail. Les conflits relatifs à ces questions dans certains postes semblent ainsi sexpliquer par limportance des conditions de lemploi au regard dune trajectoire professionnelle où il nest vécu ni comme passage, ni comme opportunité.
Rétributions et cercles dinclusion : Être du ministère versus travailler pour le ministère
Lexistence de rangs, statuts et parcours hétérogènes produit des effets de cercles, des logiques dinclusion et dexclusion. Le premier cercle est celui des diplomates de catégorie A qui comptent, ceux essentiellement qui interviennent dans la dimension politique et valorisée du travail. Évoquant les titulaires dune ambassade, un premier secrétaire déclare : « Nous sommes une minorité : lambassadeur, deux conseillers plus moi, plus les deux consuls, et les secrétaires et chiffreurs. » (il en oublie en fait un certain nombre
cette partition du monde nest pas innocente. En fait, il ne cite pas les personnes titulaires, mais les personnes qui comptent : il ne rajoute les secrétaires et les chiffreurs quà la fin).
Les personnels de catégorie C, et plus encore les locaux, évoquent la hiérarchie interne à lambassade. Ainsi, lors dune discussion avec deux locaux : « Il y a un cercle politique tout là haut » et « people are ranked » (une partie de lentretien sest faite en anglais car lun des deux interviewés parle très peu français. Ils ont tous les deux moins de 30 ans). Ces deux agents font état de frontières très nettes entre eux et les diplomates. Dans un ouvrage de mémoires, Délia Mondart, qui est entrée comme agent contractuel au MAE avant dêtre titularisée catégorie C, écrit dès lintroduction : « Deux mondes vont alors se côtoyer sans se mélanger, ou si peu ! Soigneusement mis à lécart, le personnel dit dexécution ne sera jamais à de rares exceptions traité en collaborateur. Plus ou moins sensible à Paris, où les agents sont en quelque sorte logés à la même enseigne, les écarts en poste sont énormes ». Cette séparation peut rejaillir sur la question des définitions de lactivité : du point de vue des « personnels dexécution », le travail politique et dinformation de lambassade nest pas toujours très compréhensible, ce qui peut développer chez certains le sentiment quil ne sagit pas dun vrai travail et entraîner des critiques par rapport à des écarts de salaires de prestige et de privilèges (immunité diplomatique, bureau, logement
) pas toujours acceptés : « Cest sur le petit personnel que repose la marche de lambassade et on nest pas reconnu. »
Le deuxième grand cercle est constitué, justement, par le personnel dexécution statutaire, les catégories C, cercle dans lequel on trouve les locaux expatriés (souvent conjoints de statutaires de lambassade ou dautres fonctionnaires expatriés, comme les militaires). Mais ce cercle peut être fragilisé par des divisions internes (par exemple, les secrétaires de la Chancellerie versus les agents du consulat) et les cas de médisance ou de jalousie interne ne sont pas rares. La bonne ambiance dans ce groupe est vécue comme un élément important de la qualité du poste.
Le dernier cercle est constitué par les locaux appartenant au pays et qui peuvent parfois se sentir exclus du fait de leur appartenance ethnique : « Tout au début, javais eu, quand je faisais mon contrat, ça a été une anecdote qui ne ma pas quitté, parce que jai vu que la personne, je veux dire, vraiment voulait peut-être me rabaisser, me disait écoutez vous nêtes pas française, jétais en contrat, cétait tout au début, il y avait une réception chez lambassadeur, je crois quil invitait, cétait pas le 14 juillet, cétait plutôt autre chose, et il y avait la présentation des vux, je pense, et cétait pas sur carte, mais cétait une note de service qui était sortie, moi, je me suis dit cest une note de service, donc ça regarde tout le monde normalement, et juste au moment de sortir, à la personne avec qui je travaillais juste avant, jai posé la question :Est-ce que vous allez à la réception ? », il ma dit Oui, et la personne me dit Vous y allez aussi ? jai dit Je ne sais pas, comme par hasard, jallais dire Oui, mais jai dit Je ne sais pas, et il ma dit Ça métonnerait que vous soyiez invitée, vous savez, cest réservé, je lui ai dit De toute façon, je navais pas lintention dy aller. Le lendemain, jai des collègues qui mont croisé, français comme du pays, et qui mont dit On ne ta pas vu à la réception ; On ma dit que je ne faisais pas partie des gens qui étaient invités ; Ce nest pas possible, tout le monde était invité !. Et après, je me suis dit, je laisse tomber, cest pas grave ! Mais il mest arrivé davoir des accrochages avec des personnes de nationalité française, et jai dû leur montrer que je suis fière de mon origine, mais ça ne veut pas dire que vous devez me manquer de respect. Et puis, moi, je vouvoie les gens avec qui je travaille, mais il y en a qui vous tutoie très facilement, et cest un peu, je veux dire, même si on demande la permission ou pas, il y en a qui le font, automatiquement. Donc moi, je veux dire, je suis bien avec tout le monde, mais il y a quand même des limites, il y a des choses que je ne peux pas supporter, quon me traite comme si
voilà quoi. Je fais mon travail, je mérite dêtre là parce que jai travaillé pour y arriver. » Par contre, la difficulté de nouer des liens en interne peut être compensée par la possibilité de contacts et dinsertion naturels avec la société locale. Les recrutés locaux du pays peuvent avoir leur propre représentation syndicale, leurs filières dinterconnaissances pour le recrutement et léchange de menus services.
Létanchéité entre ces trois grands cercles nest heureusement pas totale. Au gré du caractère de chacun, des rapports interpersonnels, des arrangements locaux construits dans chacune des micro-histoires des postes, des intersections et des points de contact existent. Ainsi sur tel ou tel projet, les diplomates peuvent faire participer les agents subalternes de façon plus poussée ; pour faciliter lexécution du service ou la vie quotidienne dans certains pays au régime politique complexe, un passeport diplomatique peut être demandé aux autorités locales pour des personnels de catégorie B ou C (ce qui entraîne certains avantages : détaxes, facilitation des démarches administratives, protection et immunité en cas de litige, invitation doffice à certaines cérémonies) ; telle ou telle secrétaire peut être invitée à une réception importante en reconnaissance de son investissement dans le travail de préparation.
Mais le côté informel et très peu systématique de ces pratiques nest pas sans entraîner des jalousies, des rancurs, des stratégies individuelles de recherche de petits avantages. Ceux qui sont exclus de ces petits privilèges ou qui voient leur travail rendu plus difficile peuvent sen plaindre. Un chauffeur de lambassade venu chercher lun des chercheurs à laéroport sexcuse de navoir pas pu garer sa voiture au parking diplomatique. En plus limpression du ticket de parking na pas fonctionné ; il demande au chercheur dêtre témoin et de justifier quil a bien dépensé la somme.
Les invitations à des cérémonies, événements et autres cocktails cristallisent bien souvent ces situations mal vécues et entraînent un sentiment dinjustice. À la fin dun entretien, le chercheur demande à une dame de la comptabilité si elle sera là à la réception du soir. Gaffe : « Non je ne suis pas invitée. Ça naurait pas été pareil du temps de lancien ambassadeur. » Lors dune observation dun agent de catégorie C recevant du public dans un consulat, son supérieur direct passe le voir pour lui demander sil est invité au cocktail à la résidence, alors quil sait probablement très bien que ce nest pas le cas. « Je nai pas lhonneur de fréquenter les hautes sphères », lui répond lintéressé, apparemment blessé par cette humiliation devant le public et le chercheur.
B) La valorisation du politique et ses remises en cause
La vision partagée de ce que doit être la mission centrale du MAE, son « cur de métier », comme le disent certains, a longtemps été fondée sur la centralité des missions politiques perçues comme plus prestigieuses par rapport à léconomique, au consulaire ou à ladministratif. Cette situation est en pleine évolution, pour plusieurs raisons. Tout dabord, la part de la diplomatie politique traditionnelle dans le budget global du ministère est de plus en plus faible. Daprès Alain Bry, le coût de la diplomatie (négociation et représentation) absorbait, en 1900, lessentiel du budget du ministère ; en 1950, les 4/5e et le 1/3 en 1999. De plus, dans le cadre de la modernisation des services publics et des systèmes dinformation, les fonctions gestionnaires et de support, comme celles dont le « service rendu aux usagers » est aisément identifiable (tant pour le consulaire que pour le soutien aux entreprises), pourraient voir leur importance et leur prestige revalorisés.
Or, pour les agents dune organisation, le pouvoir mobilisateur du sens de la mission partagé est un élément important de la coopération et de la motivation au travail. Les agents rencontrés sont fortement investis dans leur travail et prêts, en cas de besoin, à fournir des horaires de travail importants. Mais certains, dans les fonctions non politiques, ont le sentiment que leur travail nest pas assez reconnu. Étant donnée la nature multiple des buts et des missions du MAE, le risque est celui dun brouillage du système de valeurs : transition ou affrontement entre ce qui constituerait une diplomatie « traditionnelle » et une « diplomatie moderne ».
La mission politique reste centrale
Dans les ambassades bilatérales visitées, la vision dominante du sens de la mission reste plutôt traditionnel. Pour lun des ambassadeurs interrogés, « être un bon ambassadeur
cest dabord développer, améliorer, enrichir la relation avec le pays auprès duquel vous êtes. Ça peut aussi se décliner en plein dautres
cest aussi informer nos autorités sur le pays, faire connaître le pays dans lequel vous êtes, ses enjeux, ses risques. » Lorganisation et le management ne viennent que dans un deuxième temps : « Il y a plusieurs niveaux, cest aussi bien faire fonctionner les services placés sous votre responsabilité, pas de façon cloisonnée, mais de façon transversale. »
Matériellement et culturellement, la chancellerie diplomatique est le centre névralgique de lambassade. Ceux qui y travaillent et ceux qui sont autorisés à sy rendre librement sont ainsi dotés dun prestige certain. Dans une des ambassades visitées, celui qui est extérieur à la chancellerie doit se faire ouvrir la grille par quelquun de lintérieur. Un détail est très révélateur sur la façon de marquer les hiérarchies dans cette ambassade : lentrée principale (sous la chancellerie) du bâtiment est gardée par des gendarmes. Il y a un portique de détection et une double porte avec sas et ouverture différée après passage devant les gendarmes (derrière une vitre teintée). Or, il y a sur le côté (à cinquante mètres) une petite porte non surveillée (juste à proximité de lentrée du consulat, donc là où il y a le plus de passage de personnes extérieures), qui permet daccéder exactement aux mêmes endroits (mais par un escalier et non un ascenseur). En fait, la porte principale a une fonction plus de hiérarchisation que de sécurité : seuls les « importants » (selon une hiérarchie subtile, qui ne se limite pas au grade officiel) ont le droit de lemprunter. Un agent du SCAC, lorsquil est « diplomate de permanence » souhaite, pour réduire son parcours vers le bureau quil occupe alors, passer par la porte principale, mais le gendarme lui fait remarquer quil ne doit pas le faire !
Lexclusion des agents extérieurs à la chancellerie est généralement vécue de façon négative : « Cette bipolarisation est encore complètement sensible dans une ambassade comme celle-ci qui est un gros monument et qui fonctionne encore sur cette division-là. Cette division était évoquée récemment, cest drôle de voir les cohérences entre ce que je vous dis là et le vécu au quotidien, de petites choses qui reflètent la réalité
vous avez remarqué quil y a un premier étage à cette ambassade avec une grande grille, il faut y accéder en appuyant sur un bouton, cest normal, pour des raisons de sécurité je ne dis rien là-dessus. Cette grille conduit encore à ce que les personnels de lambassade vivent cela comme une séparation, on a le sanctuaire des sanctuaires, la chancellerie diplomatique, qui est donc létage où est lambassadeur, associé à ses collaborateurs directs, cest-à-dire le conseiller de presse et le premier conseiller. Lambassadeur est là, avec dun côté, le pôle militaire, lattaché de Défense, et de lautre côté, un service technique important, le service du Chiffre, maintenant ça sappelle service de Communication, ça envoie les télégrammes et tout ce qui est confidentiel, il est dans la chancellerie diplomatique pour des raisons de sécurité plus que pour des raisons politiques. On a là un noyau, au premier étage, qui est à part du reste, la grille est le symbole de ça. Quelquun me faisait la remarque, récemment, on me dit comment se fait-il que nous ne puissions pas être introduits, nous sommes des agents des Affaires étrangères titulaires, même pas agent recruté local, et parce que nous ne travaillons pas au premier étage, parce que nos fonctions font que nous devons aller au deuxième et au troisième étage, nous devons montrer patte blanche pour rentrer dans ce qui nous est interdit quasiment. Je caricature un peu les choses, mais je suis sûre que si on faisait une psychanalyse des gens, ça ressortirait. Moi, jy vais quand je veux, jappuie sur le bouton, jai un code, jai pas de problème, mais je ressens ça. Je vais vous faire une confidence pour vous montrer combien cest vrai
le prédécesseur de lactuel premier conseiller, jarrive avec un parapheur, et il mavait dit au départ Vous me soumettez le moins de choses possibles, vous prenez en charge le maximum dembêtements, je veux en entendre le moins possible
dans le temps on avait devant la grille un huissier local, pour des raisons de sécurité, cet homme avait dit quil nétait pas à sa place et quil fallait lenlever. Mais quand les gens des étages, en particulier les recrutés locaux, viennent porter des dossiers, des parapheurs, ils ne peuvent pas rentrer, il faut quils sonnent, donc il faut un bouton, pour que les secrétaires viennent chercher les dossiers
le bouton était mal réglé, la sonnette était trop forte, ce jour-là jarrive dans le bureau du premier conseiller, la sonnette sonne, il me dit dun ton irrité : Je ne comprends pas comment ladministratif peut à ce point interférer dans le politique
cest véridique, je suis restée hébétée, cétait il y a deux ans, cétait la première année où jétais là, jai rien répondu, je lui ai tendu le parapheur, il a signé et je suis repartie du bureau. Je me suis dit cest impossible
Jétais secouée, ça mest toujours resté » (agent administratif).
Par rapport aux fonctions politiques, les fonctions administratives et consulaires se sentent insuffisamment reconnues. Pour cet agent déjà cité : « Il faut que lintendance suive et on na pas à sen occuper. [
] Cest la vocation des Affaires étrangères de faire du politique, quoique le président de la République ait dit, depuis longtemps dans ses bagages et dans ses valises il traîne des représentants de sociétés, donc il est aussi dans léconomique maintenant, et plus dans le pur politique, cest clair. Mais ça reste une unité
tout ce qui est fonction de soutien nest pas le politique, et franchement si je devais résumer en un mot mon administration, cest un ministère qui est vraiment bipolaire, dun côté le politique et de lautre le non politique. Naturellement le non politique est moins respectable, moins digne
mais le non politique a besoin de reconnaissance, cest un message quil faudra que vous fassiez passer à notre directeur des Ressources humaines. »
C) Auditoires, publics et conflits dinfluence
Les différents services, tant en Centrale que dans les postes, se distinguent quant aux publics visés par leur action, les auditoires avec lesquels ils sont en contact et à partir desquels ils seront jugés. Pour les directions politiques, géographiques et multilatérales en Centrale, la notion de public est très simple. Comme le dit un directeur : « Moi, mes usagers, je fais la liste, cest le président de la République, le Premier ministre, le ministre, ministre délégué. Alors, il y a dautres usagers qui viennent de plus en plus souvent
cest les entreprises. » Pour la DFAE, le public, comme son nom lindique, est tout différent, beaucoup plus vaste et proche dun public classique de guichet. La DGCID, quant à elle, a un public également assez complexe, fait dinstitutions françaises et étrangères, de coopérants techniques, dONG. Les nombreux débats et conflits autour, par exemple, de la place des ONG dans la politique extérieure de la France offrent une illustration parmi dautres des conflits qui peuvent surgir autour de la définition des auditoires. Le phénomène est encore plus visible dans les postes où les différences dauditoires se superposent parfois à des conflits de personnes.
Lanalyse stratégique « classique », proposée par Michel Crozier et Erhard Friedberg, ne semble pas très opérationnelle pour saisir léquilibre fragile qui se joue entre institution et organisation et comprendre le fonctionnement, tant des ambassades que des services en Centrale. En ladaptant librement et en la détournant en partie de son objet, il semble plus pertinent demprunter à Andrew Abbott son concept décologie, « un système déléments aux interactions multiples et, pour la plupart, indépendants
Le mot désigne une structure sociale moins unifiée que ne lest une machine ou un organisme, mais beaucoup plus solidaire, unifiée que ne le sont les unités atomiques du libéralisme classique ». Une écologie comprend trois éléments : « des acteurs, des lieux, des liens ». Lambassade est ainsi composée de plusieurs écologies plus ou moins liées entre elles. Il faudrait beaucoup plus de temps denquête que celui quont eu les chercheurs, pour détailler la topographie des différents types dambassade. Même si lapproche est encore un peu « impressionniste », il est possible de repérer les « auditoires » externes et internes, les spécialisations et les superpositions ou les concurrences qui en découlent.
Tous les fonctionnaires présents au sein de lambassade nappartiennent pas, tant sen faut, au MAE. Leur ministère dappartenance est un auditoire plus ou moins important pour eux. Pour le conseiller économique, la référence première est le ministère de lÉconomie. Il est évalué et jugé sur les résultats quil obtient à partir des objectifs qui lui sont fixés par son ministère et, dune certaine manière, le jugement de lambassadeur lui importe peu. Toutes les demandes dinformations spécifiques formulées par lambassadeur sont plus ou moins perçues comme perturbant la machine bien huilée des tâches quotidiennes à accomplir pour « son » ministère. Dans une des ambassades étudiées, le conseiller économique affirme que 50 % de lactivité de son service sont consacrés à des demandes formulées par lambassadeur, ce qui reste à vérifier. Il est par ailleurs très satisfait de lisolement géographique de son service, « mais si, pour des raisons déconomie, il fallait se regrouper avec dautres services, on le ferait ». Il ne connaît lenvironnement économique local quà travers les notes rédigées par ses attachés, lui-même ne parlant pas la langue. Ces derniers sont aussi en liaison avec des agents du ministère de lÉconomie du pays daccréditation, avec les centres de recherche en économie et sur ce dernier point, ils partagent le même auditoire que lattaché scientifique.
Le conseiller économique se considère surtout au service des entreprises françaises, pour les aider à simplanter et obtenir des débouchés au sein du marché local. Mais « les entreprises françaises », ça ne veut pas dire grand-chose ! Elles nexistent que si elles viennent solliciter les services de lambassade. Beaucoup se contentent de la chambre de commerce et les plus grandes dentre elles nont besoin de personne. Le conseiller économique fait également en sorte que les liens de ses attachés sectoriels avec lambassade restent aussi distants que possible, afin de maintenir un monopole daudience auprès de lambassadeur. Ce choix est facilité par le fait quà lexception du conseiller commercial adjoint et de lattaché agricole, tous les autres attachés sont des recrutés locaux pris en charge par le ministère des Finances.
Lauditoire des consulats est essentiellement composé de deux publics, parfois nettement séparés : les nationaux résidants dans le pays ou simplement de passage ou le public local, notamment pour obtenir des visas à destination de la France. Le consulat est un passage obligé pour un certain nombre dactes, mais cette « clientèle captive » nest pas toujours bien délimitée. Beaucoup de Français installés à létranger nestiment pas nécessaire de signaler leur présence au consulat et des touristes nationaux, à qui il arrive éventuellement malheur lors dun séjour à létranger, peuvent sy adjoindre. Cet auditoire est atomisé et composite, mais il est aussi, pour une de ses composantes, relativement organisé : les diverses associations de Français à létranger peuvent revendiquer des relations privilégiées avec le consulat. Leurs représentants sont fréquemment présents dans les murs, pour aider tel ou tel demandeur ou faire avancer un projet ou une revendication. Ils peuvent, comme en Belgique, disposer dun bulletin dinformation pour y défendre leurs intérêts et idées. Cette communauté que lon peut qualifier pour partie de « fictive », devient une communauté réelle en cas de catastrophe. Il faut pouvoir la protéger et laider, ce que lon pourra faire dautant mieux que lon sest donné les moyens de la connaître.
Pour le consul et les agents consulaires, ce public est perçu comme tout à fait important dans la politique et limage de la France à létranger et le sentiment que cela nest pas assez pris en compte par les autres diplomates sexprime à plusieurs reprises. Lors dune réunion de service, un diplomate qualifie les consuls honoraires de « veaux marins » et met en doute lintérêt de la réunion annuelle avec eux. Le consul en est très choqué et voit au contraire les consuls honoraires comme des personnalités à honorer pour leur important travail largement bénévole en faveur de la France et de la communauté française.
Dans une autre ambassade, le consul général rapporte une anecdote assez proche : pour une visite ministérielle, lambassadeur a demandé à chaque chef de service une liste dinvités. Puis il a demandé à chacun de la réduire de 20 %, au prétexte quil y avait trop de monde. Le consul général avait mis dans sa liste ses « îlotiers » (des français qui se portent volontaires pour être relais du consulat en cas de problèmes de sécurité : chaque Français est inscrit dans un îlot de sécurité pour être regroupé en cas de crise). Lambassadeur lui a demandé de les supprimer de la liste, en disant quils nétaient pas très importants ; le consul général a été outré par son mépris pour ces personnes : « Vous comprenez, les îlotiers, cest souvent des chefs dentreprises depuis longtemps dans le pays, ils ne sont pas toujours très fins, physiquement comme au point de vue culturel, alors, pour lambassadeur, ça ne fait pas bien dans le décor. Mais ils sont efficaces et ils donnent de leur temps pour la France. Cest une responsabilité quils acceptent, alors moi, je trouve normal de les remercier en les invitant. En plus, ils ne viennent pas tous, ils nont pas forcément le temps, il y en a qui viennent de loin. Mais lambassadeur, ça ne la pas empêché de me dire Vos îlotiers, vous croyez vraiment quils sont indispensables ? »
Les divergences ne se limitent pas à la liste des invités, mais aussi au choix de celui qui représentera la France dans certaines occasions. Cela est notamment le cas quand le consul général peut être invité aux mêmes manifestations que lambassadeur. Une anecdote illustre, là encore, ce type de situation. Une grande entreprise française organise un événement et invite le consul avec qui les liens de travail sont réguliers. Mais lambassadeur fait valoir, de façon polie mais ferme, quil compte sy rendre : « Vous vous excuserez, moi jy serai car je nai pas pu venir à plusieurs invitations précédentes ». Pour le consul qui revient quelques jours plus tard sur lanecdote : « Les difficultés avec lambassadeur, cela vient du fait que moi aussi je suis chef de poste, mais il ne peut y avoir quun seul soleil, et je fais de lombre. » En fait, le conflit est aussi lié à une divergence dans la définition des auditoires respectifs de chacun : cette entreprise relève-t-elle de la sphère relationnelle du consul général ou de lambassadeur ?
Le service de presse de lambassade a des relations privilégiées avec les journalistes tant locaux, que français de passage ou correspondants permanents. Lors des visites officielles, présidentielles ou ministérielles, le service de presse doit également prendre en charge les journalistes qui accompagnent la délégation. Dans certains pays, il doit prendre éventuellement en compte lassociation locale des journalistes de langue française. Cependant, le « champ » journalistique auquel sintéresse le service de la chancellerie nest pas identique à celui dautres services. Dans deux des ambassades visitées existait un désaccord entre le service de presse et le SCAC ou linstitut culturel qui navait pas la même conception en matière de communication. Dans une ambassade, le service de presse reproche à lattaché de presse du service culturel davoir une vision trop restreinte des publics à viser. Dans une autre, le responsable du SCAC sestime mal représenté par le service de presse et veut assurer sa propre communication. Pour le responsable presse de lambassade : « Le SCAC a envie de faire telle ou telle chose, je nai pas suffisamment de moyens, donc ça ne me dérange pas que le SCAC le fasse, mais quil le fasse sans me prévenir, ça ne va pas, ce qui fait que moi, jai vraiment lair dun guignol avec des interlocuteurs qui viennent de voir le responsable du SCAC sur un sujet qui relève de mes compétences, et voilà
cest accentué par mon manque de moyens qui fait que je nai pas le temps de suivre un certain nombre de sujets
du coup de lautre côté, ça avance plus vite
Mais cest désagréable, on prend une décision et puis on se rend compte que la décision inverse a été prise de lautre côté. Il y a un conflit aussi, entre guillemets, sur la question de telle région, je men occupe du point de vue politique et eux sen occupent du point de vue coopération. Cest une région où tout est conditionné par le contexte politique, il y a une rébellion et tout doit passer par un angle politique, y compris les projets de coopération, mais la coopération fait ce quelle veut, jessaie sans arrêt de dire attention, il y a ça ou ça, mais je ne suis pas du tout entendu, je ne veux pas quon fasse nimporte quoi, je connais énormément les gens là-bas, jy vais régulièrement, et les gens me parlent de coopération, jai une légitimité à dire attention, mais dès que je lève le petit doigt, cest un scandale ! »
Comme dans le cas du consul général évoqué précédemment, il ne sagit pas seulement dun conflit de personnes, mais dun chevauchement de ce que chacun des protagonistes considère comme son auditoire naturel, sur lequel il est nécessaire de conserver un certain contrôle pour pouvoir bien faire son travail.
Le service de presse a aussi un auditoire interne, avec les différents services de lambassade qui font appel à lui pour obtenir une revue de la presse locale spécialisée sur leurs domaines dintervention respectifs ; pour connaître le nombre de fois où leur action est citée dans les médias locaux, pour produire des analyses ou des outils de communication sur telle ou telle question, etc. Face à un service de presse souvent débordé et qui souhaite pouvoir garder du temps pour les contacts avec les journalistes, il peut y avoir une concurrence entre les demandeurs internes, chacun estimant que ses besoins sont prioritaires. Toutefois, quand un visiteur officiel est présent à lambassade (ministre, parlementaire), cest dabord pour lui que le service de presse doit fournir en priorité de larges revues de presse (locale, française et internationale). Lauditoire politique redevient prioritaire.
Chacun des services de lambassade a ainsi des auditoires spécifiques locaux et nationaux qui sont ambivalents. Les auditoires nationaux contribuent à prescrire le travail : linstrumentation de gestion du ministère des Finances (tant dunités de tâches quotidiennes, etc.), le manuel prescrivant ce qui doit être transmis et à échéance donnée comme revue de presse ou dépêches à tel ou tel visiteur en fonction de son rang, mais ils peuvent être sollicités pour une aide, une information, le protocole, etc. À la prescription et à laide sajoute aussi lévaluation. Celle-ci est faite à distance à partir de critères plus ou moins objectifs : par exemple le nombre de télégrammes, le délai de réaction à lévénement et leur qualité respective, critère dont la pertinence peut être contestée localement : « Nous produisons relativement peu de télégrammes parce quon a fait le choix dun autre investissement » (premier conseiller) ou délégué : le chef de service évalue ses subordonnés, etc. Elle peut être faite aussi par le biais dune mission dinspection qui vient contrôler sur le terrain les bonnes pratiques de gestion, mais dont lobjectif réel, tel quil est perçu localement, est un objectif déconomies à réaliser, comme la souligné un ambassadeur lors de la réunion de service.
Les auditoires locaux sont aussi complexes, dans la mesure où la majorité dentre eux ne sont pas donnés a priori mais sont lobjet même dun important travail didentification et de reconnaissance. Ce travail sur le local est au cur de lactivité de certains postes au sein de lambassade. Il ne suffit pas dattendre que les Français résidants viennent sinscrire au consulat, il faut aussi « aller à la pêche à linformation », « faire feu de tout bois » pour actualiser les fichiers. Lélaboration dun plan dévacuation conçu à partir dun système dîlotage oblige à une vérification régulière de ladresse des chefs dîlots, de la pertinence du choix effectué. « Les acteurs de souveraineté » sont les interlocuteurs naturels de lambassadeur. Ils népuisent pas le réseau de relations quil faut tisser avec les hommes et les femmes dinfluence à différents niveaux.
La spécificité de ces auditoires peut aussi être un enjeu de lutte à tous les échelons. Dans une des ambassades, lattachée culturelle revendique une possibilité dintervention auprès des consuls honoraires que le consul considère comme un auditoire spécifique au champ dintervention du consulat. La même attachée culturelle fait du « fund rising » auprès des grandes entreprises françaises pour le financement de telle ou telle manifestation sans passer par le service économique. En détaillant avec lui son emploi du temps, il apparaît que tel premier conseiller se réserve des rencontres avec un conseiller du Premier ministre local : « Cest quelquun qui parle parfaitement le français et qui est un très bon informateur
Jessaie de déjeuner régulièrement avec lui
Jai discuté avec lui des gens que lon pourrait envoyer en mission à Paris. » Il prendra un petit déjeuner avec un journaliste particulièrement bien informé : « Il est au courant de tout ce qui se passe et cest important, car ça me permet dorienter les visiteurs vers tel ou tel. » Lusage fait de ce journaliste nest pas celui quen fait lattaché de presse.
Il faut aussi étendre les auditoires à ceux des autres ambassades. Lorsque Lawrence Durell évoque des « Scènes de la vie diplomatique » , il décrit (en 1951) un monde de l« entre soi » qui est probablement en voie de disparition. En analysant son agenda de la semaine, le premier conseiller explique quil ne sest finalement pas rendu à une réception donnée par lambassade dun autre pays, parce quil déteste les réceptions entre diplomates : « On nest pas là pour rester entre nous, on est là pour voir les gens du pays. » Cet « entre nous » signifie bien lappartenance à un même monde. Il nen reste pas moins que les auditoires des divers services de lambassade sont aussi ceux des ambassades des autres pays. Les Français ne sont pas les seuls à vouloir que les étudiants du pays viennent faire une partie de leurs études en France. Le développement de lenseignement du français est un enjeu majeur auquel beaucoup dambassadeurs accordent une importance primordiale ; ce qui peut les opposer à dautres services ou administrations, telle lÉducation nationale, avec les programmes de langues dans les lycées, sur lusage du français dans les négociations, etc.
Soutenir la pénétration du marché local par les entreprises françaises se heurte aux stratégies identiques des autres pays. Le comportement des autres chancelleries à légard de ce que fait lambassade est aussi important. La responsable dun des services de presse tient à préciser quelle met systématiquement en ligne la revue de presse quotidienne et quelle ne manque pas de recevoir de fréquents coups de téléphone de ses homologues dautres ambassades, lui demandant éventuellement des renseignements complémentaires sur les articles traités. Elle précise aussi quelle ne met pas forcément en ligne la totalité de la revue de presse. Ce quelle estime plus stratégique pour lambassade est traité à part dans la revue de presse et destiné à la seule chancellerie. Cest elle qui dit décider seule, éventuellement après discussion avec lattachée de presse, de ce qui ne doit pas figurer sur le site, pour préserver la confidentialité de ce quelle estime être une information stratégique, une préoccupation ou un intérêt spécifique accordé par la chancellerie à un problème particulier.
Toutes celles et ceux que lambassade accueille quasiment quotidiennement, accueil susceptible de mobiliser plusieurs services de lambassade et qui contraint à une très grande réactivité, constituent un auditoire composite. Dans différentes ambassades, on a ainsi pu suivre lorganisation de visites de ministres, de parlementaires, de responsables politiques, y compris de lopposition. Dans un espace restreint, il faut arriver à accueillir des publics qui ne partagent pas forcément les mêmes idées, préserver à légard de tous la même neutralité. Chacun de ces visiteurs constitue un auditoire qui teste, apprécie et juge la performance de lorganisation et qui la contraint. Et lenjeu nest pas mince : le jugement de certains sur la réussite ou non de sa capacité de « réception » peut avoir des conséquences lourdes pour lambassadeur et certains de ses collaborateurs. Des anecdotes, difficiles à vérifier, courent sur le remplacement dun ambassadeur, suite à la plainte dun parlementaire mécontent de son accueil.
Les pouvoirs politiques constituent naturellement le premier auditoire de lambassade. Le président de la République, le chef du gouvernement, les différents ministres sont les interlocuteurs institutionnels des services de lambassade. La qualité des relations entretenues est un facteur de performance pour tous les services. Là encore, les stratégies sont complexes. Dans une des ambassades, lattaché de Coopération éducative dira avoir passé beaucoup de temps à renouer des liens avec la ministre de lÉducation locale, liens distendus par une intervention de lambassadeur lors dune visite du Premier ministre en France. Sur la suggestion, semble-t-il, de lambassadeur, le président de la République française sest en effet plaint auprès de son interlocuteur de la politique menée par son ministre de lÉducation concernant la place de lenseignement du français dans les cursus scolaires.
Il faut ajouter à cet auditoire « institutionnel » la société locale elle-même, auditoire que lambassadeur et son équipe souhaitent privilégier, quand bien même le MAE y attacherait une importance moindre. Par le biais des visas dans les pays à forte immigration, le rôle du consul général auprès de la société locale est tout à fait important (le consul général peut être amené à donner des interviews à la presse, à répondre à des pressions de responsables locaux, etc.).
Par société, on évoque tous les éléments de la société « civile » ou « politique » susceptibles dêtre « intéressés » par la présence de lambassade. On a déjà évoqué le monde des journalistes. Lattaché scientifique passe beaucoup de temps dans les universités, pas seulement pour essayer de développer des échanges, mais pour faire savoir que ce qui se fait localement intéresse la France. Les instituts culturels peuvent chercher à donner une place aux productions culturelles locales, au côté des artistes français. La politique de coopération ne se développe que sur la réciprocité des intérêts. Les ambassadeurs peuvent être particulièrement sensibles à limportance de lopinion locale et donc à la nécessité de montrer ce que lon fait en utilisant les médias. Dans plusieurs pays, « tout le monde connaît lambassadeur de France », parce quil fait leffort de se faire connaître. Un agent évoquait ainsi le cas de lambassade où il avait travaillé auparavant : « Il y a des postes qui ont été éliminés, le poste du chiffreur, et lambassadeur a décidé de créer un poste dattaché de presse à la place, qui était totalement inutile là-bas, mais cétait son souhait. Il voulait communiquer vers lextérieur, mais cest un petit pays francophone, et la langue officielle est étrangère, mais il ny a que deux journaux quotidiens dans cette langue qui répètent la même chose, il ne se passe rien, il ny a pas de mouvement politique, il ny a rien. Mais lui voulait faire des communiqués de presse de lambassade dans lautre langue locale, cétait son objectif [
] Il y avait eu une inspection quelques années auparavant, ils avaient dit que le poste dattaché de presse était inutile et quil fallait le supprimer. Il a été supprimé à la retraite de lattaché de presse titulaire. Entre temps, il y a eu changement dambassadeur, le nouveau a dit Je veux mon attaché de presse et il a supprimé un poste pour en créer un autre qui na pas de sens. »
Outre les journalistes, les principaux leaders politiques tant de la majorité que de lopposition font lobjet de relations suivies de la part du conseiller politique, qui doit aussi savoir apprécier à lavance celui qui pourra un jour occuper un poste important pour nouer des contacts personnels avec lui. « Il ny a pas très longtemps, jai trouvé un moment pour déjeuner avec le chef dun parti dopposition. Il a accepté très volontiers mon invitation à déjeuner, et au fil de la conversation, il ma dit Moi, je ne suis jamais venu au 14 juillet, je lui ai dit Je vous invite régulièrement pourtant
Il ma dit Mais je croyais que vous étiez plus proche de telle tendance politique
Je réponds Mais pourquoi ? Parce que ce que je lis dans la presse
Je dis Ah bon
mais de toute façon on peut se voir
il me dit Mais on ne sest jamais vu
en revanche, je suis souvent invité par les Américains
Cétait une manière de dire Si vous ne venez pas me voir, je vais voir les autres. Ce type-là, cest pas quelquun de très important actuellement dans la politique, mais il est jeune, il a 40 ans, il peut représenter quelque chose dans 10 ou 15 ans et il se souviendra toujours de la façon dont on le traite ici, et ça, il y en a des tas, je ne peux pas les connaître tous, jessaie de voir les ténors et leurs proches, jessaie danalyser les gros partis, ceux qui vont compter dans les prochaines élections, mais jai pas le temps de voir les autres, ceux qui sont autour et qui, dans 15 ou 20 ans, seront peut-être les gros et ça, à mon avis, cest pas forcément bon. »
Lorganisation de lambassade est faite, à première vue, pour être aisément lisible. Lorganigramme « standard » évoque une hiérarchie claire dans une organisation où les règles sont plus ou moins prégnantes et plus ou moins contraignantes, relativement standardisées (la règle dit que X, compte tenu de son rang, a droit à « n » distributions quotidiennes des dépêches qui arrivent à lAmbassade, mais si X ne connaît pas ses droits
on peut être stratège !). Le protocole est le même partout, tout comme les règles de gestion du service économique ou la LOLF. Mais, confrontée à une forte contingence, cette organisation sappuie sur un fonctionnement par « mandats » (plus ou moins clairs), assez étroitement contrôlés en amont par la hiérarchie et en aval par les résultats. Cette organisation est également contrainte par une multiplicité dauditoires présents, tant en France que dans le pays.
La coopération entre les services au sein dune ambassade
Lexistence dauditoires, tant internes quexternes, au sein des ambassades, rend la coopération entre services parfois difficile. Une ambassade de taille moyenne, du type de celles qui ont été étudiées comporte, outre la chancellerie politique, un service de presse directement rattaché à la chancellerie (son responsable est en même temps deuxième conseiller), un service de Coopération et dAction culturelle (SCAC), un attaché humanitaire également rattaché à la chancellerie, un secrétariat général (service de gestion unifié regroupant lensemble des compétences de gestion) et un consulat ou un consulat général. Il sy trouve également des services dautres ministères :
Défense, avec lattaché de Défense et chef de la mission de Coopération militaire et de défense (physiquement localisé à la base militaire française et non à lambassade).
Intérieur, avec le service de Coopération technique internationale de police (SCTIP)
Finances, avec la Mission économique (qui fournit essentiellement une aide aux entreprises françaises).
Équipement, avec lantenne régionale du service de lÉquipement, qui soccupe, sur 13 pays de la sous-région, du patrimoine immobilier affecté au ministère des Affaires étrangères. Son domaine dintervention comprend les bâtiments diplomatiques (ambassades, consulats, résidences), les établissements scolaires du réseau AEFE, le parc de logements de fonction et les centres culturels.
Un service des Affaires maritimes.
Dautres ambassades plus grandes peuvent avoir dautres services spécialisés (agriculture, etc.). Au-delà de ces découpages, quels sont les grands pôles pertinents pour comprendre lactivité quotidienne ? On peut distinguer le Politique (autour de la chancellerie ; on y trouve alors rattaché le service de Presse, la Coopération et le Culturel, le Militaire, même sil relève dun autre ministère) ; lÉconomique (mission économique, AFD) souvent jugé comme un monde à part ; lAdministratif et financier assurant au quotidien la bonne marche de lintendance, des moyens et le Consulaire (auquel on peut rattacher le service de Coopération technique internationale de Police, plus en contact avec le consulat quavec les autres services. Chacun se voit comme le plus important ; le Politique est au-dessus du reste, marque du caractère régalien du MAE.
Le SCAC
Daprès la présentation officielle du site Internet du MAE, « le service de Coopération et dAction culturelle » (SCAC) est responsable de linstruction et de la mise en uvre de programmes de coopération culturelle, éducative, scientifique et technique. En matière daction culturelle, « le SCAC assure la promotion de la culture et de la pensée françaises, de la francophonie et de la diversité culturelle. Il a la tutelle du réseau détablissements scolaires à programme français et de celui des instituts culturels et alliances françaises. »
Le rayon daction dun SCAC, notamment dans les pays en voie de développement, est à la fois très étendu (culture, éducation, santé, développement, coopération scientifique) et limité par les moyens à sa disposition et la présence sur ses champs dintervention dautres acteurs (AFD, Instituts culturels et linguistiques, ONG, Forces armées françaises, autorités locales, organisations internationales comme la Banque mondiale). Son rôle est essentiellement un rôle de mise en contact, de pilotage de projets aux multiples intervenants, de gestion dassistants techniques, dexpertise et de suivi pour différents programmes qui ne dépendent pas en priorité de lambassade.
Recevoir les assistants techniques qui viennent de France travailler dans la coopération, assister à des réunions de coordination, donner des avis techniques sur des projets en consultant les assistants techniques qui sont au plus près du terrain, lire des rapports, des études sur les programmes en cours ou réalisés constitue lessentiel du travail des agents du SCAC, répartis en différents services spécialisés (santé, développement durable, éducation, culture
).
Les agents du SCAC interrogés apprécient cette richesse de contact, mais déplorent lobligation de faire un travail très réactif, de courir de réunion en réunion, de lire rapport sur rapport, de devoir répondre rapidement à la fois à un grand nombre de sollicitations pour avoir lappui de la France à telle ou telle action et à des demandes dexpertise technique, sans pouvoir mener des actions de fond, construire des projets sur le long terme.
En outre, le flou des attributions entre structures (« qui » doit soccuper de « quoi ») dans une période de réformes rend plus difficiles les actions suivies. « Les choses évoluent de façon progressive : moins dinterventions au niveau bilatéral, la Santé ne fait pas partie de laccord sur la Coopération, lAFD na pas vraiment repris ce secteur, peut-être sur un plan régional. On aura moins de gestion de projets en direct et un travail de veille de surveillance des programmes de santé ici. Il y a beaucoup daides, dintervention de programme et il faut arriver à avoir une vision claire de la mise en uvre de ces programmes, de lévaluation
Là par exemple, il y avait une mission de la Banque mondiale et on a eu une séance de travail, le chef de file, cétait lOMS. Grâce aux agents techniques, on peut réaliser ce travail de coordination. Mais on est obligé de faire des choix. Il y a une spécificité du pays : la Première dame et le président du pays sont très impliqués par des fondations de santé. La semaine dernière, nous avons suivi une convention sur le cancer. La semaine davant, nous avons soutenu un atelier de validation de la politique nationale de santé. Dans le domaine de la cardiologie, il y a aussi une initiative de la présidence. [
] Dans la convention de coopération signée en 2005, on se dirige à moyen terme vers des missions de courte durée des experts au lieu dune assistance technique résidentielle. Nous préparons un projet de partenariat avec les structures locales » (attachée, pôle Santé). Cet agent explique ne pas avoir eu envie de continuer dans le domaine de la Coopération du fait des réformes qui rendent la mission moins claire, les responsabilités et les moyens plus éclatés : « Après avoir travaillé sur deux terrains, connaissant les difficultés que rencontre le ministère dans la mise en place de la réforme, je nai pas trop souhaité retourner travailler à la DGCID. Je préfère avoir une certaine distance, observer comment les choses vont évoluer, et puis revenir éventuellement plus tard sur les questions de coopération
».
Ce rôle de coordonnateur dun auditoire assez différent de celui de lambassade et de veille sur des programmes nombreux et diversifiés conduit parfois les SCAC à développer un mode de gestion très particulier, qui peut sembler proche du privé, entre autres, en animant une communication propre (doù de possibles conflits avec le service de presse) : « Au bout de trois mois après mon arrivée, jai demandé aux équipes de se réunir et je les ai emmenées en séminaire fluvial, on a remonté le fleuve pendant deux jours, je voulais que les agents réfléchissent à leur métier en terme de communication, comment est-ce quon parle de ce quon fait, est-ce quil faut en parler, à qui, comment
donc on a sorti un plan de com au bout de deux jours qui a été validé par lambassadeur et qui maintenant gère lensemble de lambassade, ça fait six mois que je me bats pour avoir une ou un volontaire international pour maider à faire ce job, je ne lai pas, ça me prend 30 % de mon temps depuis quatre mois. Cest pas normal, jemmerde tout le monde, cest laffaire de tout le monde la com, mais on a besoin davoir les moyens de sa politique et jai un peu de mal, en terme budgétaire je me suis débrouillé
ça permet de faire ce quon a fait hier, de mobiliser 5 000 personnes à un concert, davoir la presse avec nous, les radios, la télé, de pouvoir habiller toute la population locale de tee-shirts à la gloire de la Coopération française, il ny a pas de secret, si on veut exister, il faut sen donner les moyens. Pour avoir une politique cohérente, il faut aussi la ressource humaine, mais cest pas une dimension que la maison a parfaitement pris en compte, ça commence » (responsable de SCAC).
Les services extérieurs : lexemple de lattaché de Défense et de la Mission économique
Lobservation rapide des relations avec les différents services nous a montré que lentente, tant au niveau des objectifs de travail que des caractères personnels, était souvent assez bonne avec lattaché de Défense. Il est consulté pour les questions militaires importantes dans les relations politiques avec le pays partenaire, des questions dintendance et dinfrastructures (les moyens militaires peuvent être mis au service des visites officielles, les services médicaux de lArmée peuvent être utilisés par les agents de lambassade, notamment le personnel de recrutement local sans couverture sociale), la gestion éventuelle des crises (préoccupation apparemment toujours présente dans beaucoup de pays). Cest pourquoi lattaché de Défense fait partie intégrante de la chancellerie diplomatique dans lorganigramme.
Daprès Alain Bry, lattaché de Défense, dont le rôle est celui dun correspondant spécialisé sur les questions militaires est, parmi les représentants des autres ministères, un des plus impliqués. « Les militaires sont le plus souvent, dans une ambassade française, un élément solide, stabilisateur. Ils reçoivent beaucoup, bien et souvent gaiement, ce qui est encore mieux ». Souvent proches, par le rôle des forces armées françaises, des pouvoirs politiques locaux et bien formés en langue, ils sont « un renfort précieux. »
Lors de la première visite dune des ambassades étudiées, guidée par le premier conseiller, celui-ci sarrête devant la Mission économique (fermée, car on est samedi) où il y a une très grande plaque murale (1,5 mètres de large sur 60 cm de haut) aux couleurs du ministère des Finances. « Vous voyez, ici, cest un monde à part, ils ont leur propre décoration pour bien marquer les différences : on ne mélange pas les torchons et les serviettes. » Pour lambassadeur, sil dit quil na pas de problèmes avec sa Mission économique, il remarque tout de même que de façon générale, les relations avec les Finances sont teintées dune certaine méfiance. Ainsi, à propos de la grève de 2003 et du nouveau calcul des indemnités de résidence : « Les relations entre le ministère et Bercy ne sont pas toujours très bonnes. Moi, ça ma fait bondir
ce sont peut-être des camarades, mais ils remettent en cause nos rémunérations
» Dans le travail quotidien, il est apparu que la chancellerie, le SCAC ou le consulat général travaillaient peu avec la Mission économique.
Un autre ambassadeur, non sans le déplorer, pense quil na quune faible capacité dintervention en matière économique, parce que « Bercy a tout verrouillé » ; il délaisse donc cet aspect au profit du culturel et du politique, pour lesquels ses efforts pour défendre la position de la France lui semblent mieux récompensés. Pourtant, le conseiller le plus laudatif à légard de cet ambassadeur est le conseiller économique et commercial, à qui il ne demande rien et qui interprète cette indifférence manifeste comme un signe de confiance. Au sein de son service, le conseiller économique adopte une posture strictement hiérarchique. Il est très flatté davoir une adjointe « énarque », laquelle a réussi à obtenir ce poste pour suivre son mari muté dans le pays par son entreprise. Avec les autres attachés, il garde une attitude strictement fonctionnelle. À lexception de lattaché agricole expatrié et qui entretient plus de liens avec son ministère dorigine quavec celui des finances, tous les autres attachés sont des recrutés locaux à qui il fait sentir le poids de son autorité. Un attaché rencontré, de la nationalité du pays daccueil mais docteur en économie dune université française, déplore que le conseiller nait pas fait leffort dapprendre la langue locale et souligne les limites de cette incapacité à communiquer avec les acteurs économiques locaux. Il a un problème de bourse détudes pour ses enfants et ne sait pas à qui avoir recours pour trouver une solution à son problème. Pas question den parler à son chef et il « ne connaît personne à lambassade ».
Les relations entre les postes et lAdministration centrale : une marge dautonomie
Comment lAdministration centrale coordonne-t-elle et contrôle-t-elle laction des postes ? Divers instruments se trouvent à la disposition du ministère et des services interministériels : instructions et éléments de langages envoyés régulièrement, plan daction rédigé par lambassadeur au début de sa mission pour en définir les grandes lignes, visites de lInspection, etc. Sans entrer dans les détails, deux points peuvent tout dabord être rapidement soulignés : le sentiment disolement et danonymat des postes et la relative autonomie dans les grandes orientations données par lambassadeur.
Vue des postes, la Centrale apparaît parfois comme trop lointaine. Deux reproches réguliers ont pu être entendus.
Le premier : les informations, demandes et avis envoyés par lambassade ne sont pas toujours assez entendus, ou du moins, le retour manque pour savoir dans quelle mesure cela aura été jugé utile et pertinent. Au-delà de la petite pointe dorgueil personnel à être pris en considération, certains observateurs estiment que face à la montée et à laccélération de la production dinformations au niveau mondial, la Centrale ne serait plus assez bien dotée en personnel qualifié pour synthétiser et analyser toutes ces données ; notamment avec un réseau qui reste très étendu : « Un géant avec une toute petite tête ». Ensuite, les instructions envoyées pour certaines dentre elles , de façon indistincte, à tous les postes ne tiendraient pas assez compte des contraintes ou des opportunités locales.
Le second : lautonomie relative des ambassadeurs. Une fois réalisé un certain nombre de tâches obligatoires (réponse à des demandes dinformation, démarches, organisation de visites officielles
), la façon dont la relation bilatérale va être construite laisse de plus grandes marges de manuvre et il est difficile pour la Centrale de la déterminer avec précision. Comme le remarque Meredith Kingston de Leusse, « La diversification des activités justifie une implication des chefs de mission en fonction du lieu daccréditation, de la taille de lambassade et de la conjoncture locale. Lambassadeur de France au Népal consacre par exemple, une grande partie de son temps aux affaires culturelles, scientifiques et techniques, regroupant elles-mêmes un ensemble hétérogène dactivités, notamment lanimation dun centre culturel, la formation de népalais en France dans différents domaines et les visites de Français au Népal. Lambassadeur de France au Sri-Lanka, quant à lui, suit plus particulièrement le dossier des Droits de lhomme. À cet effet, il sintéresse notamment aux activités des organisations internationales sur place, telles que le Haut commissariat aux réfugiés, évalue la fiabilité des déclarations des demandeurs dasile pour la DFAE, se renseigne sur les personnes internées au titre de lois dexception et sur certains programmes de réhabilitation. Chaque ambassadeur investit donc divers domaines dactivité en fonction de choix personnels, de lhistoire des postes diplomatiques, de la définition des situations locales. »
Nos observations ont globalement confirmé ce point de vue. Un des ambassadeurs, face à la montée en puissance de lAFD et des organisations internationales, trouve que son SCAC est trop doté en personnel et souhaiterait pouvoir transférer des ETP vers le consulat qui travaille à flux tendu. Un autre ambassadeur, à qui cela était rapporté, trouvait cette position « idiote », le culturel devant être à ses yeux le moteur de la relation bilatérale. Cest ce que confirme un troisième, pour qui « lambassade na pas été conçue pour jouer les nounous auprès des Français de passage ». Par contre, cette relative autonomie des postes bilatéraux (surtout dans les pays de taille et dimportance moyennes) contraste avec la faible autonomie des représentations permanentes, particulièrement soumises aux instructions de Paris et aux règlements de lOrganisation internationale daccréditation.
3 Contenu et organisation du travail
Que font les diplomates et avec quels outils leur activité est-elle organisée et évaluée ? Linformatisation a fortement contribué, ces dernières années, à transformer le travail diplomatique. Linformatisation du MAE sétait pourtant faite avec retard et réticence. Au début des années quatre-vingts, les rapports des ambassadeurs Pérol et Viot envisageaient avec crainte les risques à leurs yeux de linformatisation du MAE. Daprès Alain Bry, « Après des débuts difficiles (logiciels inadaptés, matériel peu performant) linformatique a plus transformé et amélioré laction du Quai dOrsay que les quinze ou vingt rapports consacrés au ministère ». Les premières machines électroniques sont dédiées à la gestion des salaires, à lÉtat civil à Nantes
De 1987 à 1990 : première phase dinstallation dordinateurs individuels. De 1992 à 1999, les postes et la plupart des agents pour lesquels cela est utile sont reliés au réseau Intranet (serveur EOLE), les consulats au Réseau mondial de visas.
Présenter de façon générique le travail des agents du MAE nest pas aisé, tant les conditions dexercice du travail et son organisation varient entre la Centrale (Paris et Nantes) et les différents types de postes. Pour saisir cette variation et les enjeux que cela peut impliquer, une approche par les temporalités et les rythmes de travail est nécessaire, tout comme la distinction entre les types dactivité (Centrale, postes bilatéraux ou multilatéraux, consulaire).
A) Outils techniques et modernisation des systèmes dinformation
Linformatique et les nouvelles technologies de linformation et de la communication ont, comme ailleurs, pris une place centrale au MAE, même si, sur certains plans, ce rôle nest pas très ancien (que lon songe par exemple au fait que, pour des raisons de sécurité, les agents ne disposaient pas dInternet sur leur poste de travail). Une telle prépondérance a évidemment des effets sur lactivité quotidienne des agents et sur les relations de travail. Dans les deux cas, elle modifie des « habitudes » presque séculaires (on pense notamment au télégramme). Pour autant, si changement il y a, il est sans doute rapide de parler de rupture dans la mesure où lintroduction massive des NTIC vient en quelque sorte accentuer des éléments déjà présents (que lon songe, par exemple, à lexistence dun réseau de communication global, étendu à lensemble des postes diplomatiques et consulaires : ils communiquent avec le centre mais aussi entre eux).
Informatique et communications au cur de lactivité
On peut ici évoquer trois situations distinctes où linformatique et Internet et plus largement les télétransmissions ont eu un impact important sur lactivité. Dans les trois cas, lécrit et le papier occupent une place moindre, transformation de taille pour une institution où règnent lun comme lautre.
Le premier « cas » est celui des rédacteurs dans les directions politiques de lAdministration centrale. La diffusion de leurs notes en réseau représente pour eux un avantage non négligeable, notamment parce quelle permet un gain de temps considérable : ils peuvent faire corriger ces notes de façon quasi simultanée et instantanée, tout comme leurs propositions dinstruction, d« éléments de langage », par leurs nombreux interlocuteurs : quil sagisse dautres administrations, de collègues (par exemple, le représentant auprès de lUE, précisément le correspondant qui siège dans tel ou tel groupe correspondant au champ de compétences du rédacteur en question) et, bien sûr, cette dimension étant essentielle dans lapprentissage professionnel des rédacteurs, à leur hiérarchie (chef de bureau, sous-directeur, qui consacrent une partie de leur temps à viser, corriger les papiers soumis par les rédacteurs : « Je vais passer pas mal de temps à lire et à corriger des notes de mes collaborateurs [
] pour des dossiers dentretien, soit pour demander des instructions au cabinet, soit pour des dossiers de visite, donc cest une direction qui produit beaucoup de papiers, de notes danalyses, de synthèses et donc, je passe pas mal de temps à lire ça, à corriger, à parler avec les rédacteurs » (conseiller des Affaires étrangères). Autre aspect, central à tous les niveaux, linformatique véhicule un flux très important dinformations dont le traitement occupe, là encore, une partie importante de la journée, avec lidée dun tri à faire, notamment, dans les quatre collections de télégrammes quotidiennes (même si ce tri est effectué par lexpéditeur et que le logiciel Archibald y contribuait aussi, en permettant également de lire sur écran les télégrammes et déviter ainsi dimprimer tout pour tout le monde, chacun lisant ce quil est habilité à lire). Ainsi un agent rencontré à Paris expliquait : « Je prends pas mal de temps à lire les messages, à y répondre, à entrer dans une sorte de moulinette déchanges dinformations et délaboration de positions » (conseiller des Affaires étrangères). On ajoutera que les transmissions de notes par messagerie électronique sont, du moins avant la mise en place du système Schuman, interdites pour des raisons de sécurité, sachant, et là laccord est général du côté de ceux chargés des questions de sécurités, au MAE, que « Internet est un des pires endroits où on puisse aller » (secrétaire des Systèmes dinformation et de communication).
Deuxième « cas », les Affaires consulaires et notamment, le Service central dÉtat civil (SCEC) à Nantes ont vu, ces dernières années, leur activité profondément refondue avec la quasi-généralisation du traitement informatique des demandes. Au SCEC, cela se traduit par la mise en uvre dune quinzaine dapplications actuellement. Plusieurs de nos interlocuteurs ont évoqué un travail de réorganisation ayant pour objectif « daboutir idéalement à deux logiciels polyvalents
un, pour toutes les applications de délivrance, lautre, pour la rédaction » (conseiller des Affaires étrangères), objectif appelant des investissements conséquents et une collaboration étroite avec la direction des Systèmes dinformation. Il sagit de rationaliser le travail, nous dit-on, pour arriver « à amenuiser au fil des années le stock de retard », sachant que désormais lessentiel des demandes est dématérialisé (8 000 demandes par lettres chaque semaine contre 30 000 demandes en ligne). Sagissant du retard, les effets de linformatisation se font sentir, puisque les délais de délivrance tiendraient davantage aux délais postaux (les réponses étant envoyées sous plis affranchis au tarif économique), lobjectif étant, là encore, daller plus loin dans la dématérialisation, avec des délivrances dématérialisées, pour certaines catégories de demandeurs, dont les notaires. Conséquence pour les agents : ils passent beaucoup de temps à travailler sur écran (dans la mesure aussi où la quasi-totalité des actes archivés à Nantes est désormais numérisé), alors quauparavant, la délivrance dactes détat civil impliquait un travail de recherche dans des registres difficilement manipulables, et prenait beaucoup plus de temps. Ainsi, une personne travaillant dans un bureau de délivrance évoque les changements récents dans la charge de travail des services de délivrance : « Il y a eu dénormes changements, avec les demandes dématérialisées, qui ont beaucoup réduit lactivité, mais à côté, on a eu 40 % de travail en plus avec la demande de copie intégrale dacte de naissance pour le passeport
[avec linformatique,] cest plus aisé, bien quon ait linconvénient de travailler sur écran toute la journée, mais cest vrai que cest moins lourd que quand il fallait aller chercher dans les registres et pourtant, je ne suis pas de la génération informatique ! » (secrétaire de chancellerie).
Enfin, troisième « cas », très important, linformatisation a considérablement modifié lactivité des chiffreurs. Ce corps a dailleurs disparu, même si lappellation demeure : il faut désormais parler dASIC et de SESIC, mais aussi de CRASIC. Touchés de plein fouet par linformatisation, ils ont dû, au cours des années quatre-vingt-dix se reconvertir, changer de fonctions et, pour ceux restés dans ce domaine, repenser leur activité, tout en restant les gardiens de la sécurité des transmissions. La réforme la plus importante est la conséquence du développement de la micro-informatique : les services informatiques et le chiffre ont fusionné pour donner naissance à CXI : « Les agents ont dû sadapter à lévolution des technologies, on continue de le faire bien sûr, on suit en permanence les évolutions
mais cétait une révolution dans les années quatre-vingt-dix, puisque cétait lacquisition dun nouveau métier » (attaché des Systèmes dinformation et de communication). Un tel changement et une telle diversification de lactivité ont souvent été mal vécus par un groupe dont beaucoup de ses membres reconnaissent quil avait un corporatisme très fort. De fait, les bouleversements touchant aux transmissions au sein du réseau diplomatique et à leur moyen emblématique, le télégramme, les concernent au premier chef. En termes dactivité, les chiffreurs ont hérité depuis une dizaine dannées des aspects informatiques et de la téléphonie. Linformatique occupe une très grande partie de leur temps, alors quau départ cela était assez marginal : les chiffreurs soccupent de linfrastructure (câblage), du réseau, de la gestion du serveur, de la maintenance des postes informatiques des agents, etc. : en somme, ce sont des gestionnaires du parc informatique avec une mission de surveillance du réseau pour maintenir son imperméabilité (ils rappellent la norme dans ce domaine et le fait quen poste, leurs bureaux sont accessibles de façon très restrictive).
Ils ont donc essentiellement une activité de soutien, peu reconnue, une mission de prestataire de services y compris pour les autres administrations présentes en poste, même si cela ne fait pas partie de leurs missions. Cest dailleurs ainsi que se définit la direction des Systèmes informatiques dont ils relèvent, sachant que les diplomates « ne sont pas toujours des clients faciles en termes de formation » (ingénieur des télécommunications). Leur rôle va être à nouveau bouleversé par larrivée de Schuman : les rédacteurs de télégramme vont pouvoir produire des documents, sous un format proche de celui dun traitement de texte de type Word, et les protéger. Cest « un outil collaboratif centralisé et accessible partout », une sorte de « bourse des télégrammes », ce qui entraîne divers problèmes en matière de capacité de transmission de volumes dinformations beaucoup plus conséquents. Sur ce plan, un effort important a, semble-t-il, été fait pour moderniser le réseau, notamment pour augmenter le débit, alors que, jusque-là, le chiffre était une plaque tournante pour les télégrammes, définissant les destinataires. Avec le nouveau système, « ça va changer, le télégramme ne sera plus dans les mains des rédacteurs, alors que beaucoup se reposaient sur le chiffre, par exemple pour avoir les en-têtes » (attaché des Systèmes dinformation et de communication). Ironie du sort, les agents des systèmes dinformation et de communication seront chargés de former les utilisateurs de Schuman, de leur apprendre à se passer deux sur une dimension « traditionnelle » de leur légitimité. Avec le logiciel, chaque agent ou presque disposera dune carte à puces, quil pourra insérer dans le clavier de son ordinateur et qui lui donnera accès à la messagerie du réseau, à des degrés différents en fonction de leur degré dhabilitation.
De certaines limites de la technique appliquée à lactivité diplomatique
Le premier élément de complexité qui vient du nombre des applications informatiques utilisées au ministère des Affaires étrangères paraît tout à fait important. Il y en a 180 propres au MAE ou qui ont été tellement modifiées quon peut considérer quelles lui sont propres. Sy ajoutent 120 autres, non spécifiques à cette administration. Pour la DSI, « celles qui génèrent du travail, ce sont les 180 applications métiers : ça peut être soit une réalisation, soit une adaptation dun progiciel disponible dans le commerce. » (Ingénieur des télécommunications). Lobjectif des informaticiens est dassurer la cohérence entre les différentes applications, dopérer une rationalisation technologique (par exemple, en utilisant le même langage de programmation), mais aussi de ne pas multiplier les applications au stade fonctionnel : « Si trois directions demandent un logiciel de préparation budgétaire, on ne va pas en faire trois. » Du côté des agents, cette quantité dapplications est en elle-même problématique : leur connaissance est à la fois une ressource de taille et un obstacle, notamment quand un agent change de secteur, passe du consulaire à la comptabilité. Ainsi, une partie des questions posées à « SOS compta » concerne justement les logiciels et les difficultés rencontrées par les agents à les utiliser. Lefficacité attendue nest pas toujours au rendez-vous, quand les agents se trouvent dans une situation particulièrement difficile. De plus, les applications ne correspondent pas toujours aux besoins du service, à son organisation. Ainsi, si elles permettent de traiter les demandes en les passant au crible de différents fichiers et applications, les versions peuvent paraître archaïques. Par exemple, pour le traitement des demandes de carte nationale didentité, le logiciel date de 1994, ce qui fait que la télétransmission nest pas applicable. Sensuit une lourdeur qui freine lactivité du service, alors même que les données reçues sont similaires à celles obtenues pour les passeports. Cest leur traitement qui diffère complètement.
Sagissant des technologies utilisées au MAE, le deuxième élément de complexité apparaît dans le rapport au temps, lui aussi source, sinon de difficultés, du moins de tensions. En facilitant le travail en réseau et les mouvements de va-et-vient entre différents interlocuteurs, les communications par messagerie accélèrent le rythme de travail des agents en les poussant à améliorer leur réactivité, tout en suscitant de nouvelles occasions de réagir. Si elle peut être un moyen dagir, la messagerie appelle, en effet, plutôt lagent à réagir en lintégrant à un flux quasi-continu de données, de notes, et en le soumettant à des sollicitations aussi nombreuses que diverses. Il lui faut réagir très rapidement, si ce nest instantanément, suivant les principes implicites de ce genre de technologie, de la même façon que le rédacteur attend les corrections demandées, les visas à accorder, et faire en sorte que ces informations soient traitées de façon à pouvoir envoyer sa note avec un délai suffisant pour que son correspondant ait le temps den prendre connaissance avant la réunion au cours de laquelle elle doit être utilisée. Dans de nombreux services, on nous dira : « On a de la pression sur le dos, il faut travailler très vite, il faut que la réponse soit donnée dans les heures qui suivent
» (secrétaire des Affaires étrangères). De fait, les messageries raccourcissent les distances et font entrer dans un temps ramené à limmédiat, même si le décalage horaire constitue une donnée incontournable réglant lorganisation du travail à lAdministration centrale : « Nous, avec le décalage horaire plus tôt, on sy met plus tôt si cest vraiment urgent pour nos collègues à létranger
parce que, si on attendait midi pour le faire, la plupart des postes de notre zone seraient déjà fermés, par exemple le pire, je crois que cest Sydney, on arrive à les avoir à une heure le matin, cest tout quoi, et encore, en arrivant à 7 h et demi, parce quaprès, le décalage horaire fait quon ne peut plus les joindre. Donc on fait ça le matin de préférence » (adjoint de chancellerie).
Cette urgence, induite par les moyens de communication, raccourcit inévitablement les délais de réflexion, qui peuvent finir par être assimilés à une prise de risques. Ceci fait resurgir la question du temps disponible pour la réflexion personnelle, le travail de fond : « Le bon travail, cest avoir du temps, du temps pour réfléchir et ça, jai pas encore mais
jaime bien rentrer le soir assez tôt pour ça aussi, cest ce qui manque
Quand vous réfléchissez, vous avez un avantage comparatif sur plein de monde » (conseiller des Affaires étrangères). Autre dimension du rapport au temps, notamment sensible avec le rapport aux archives. Les « professionnels » des archives détachés au MAE sinquiètent de ce que « les diplomates travaillent sans précédent » : les archives de poste sont fréquemment rapatriées, au point que le poste ne dispose plus (pour des raisons de place) que de trois années darchives sur place, évidemment ; ce qui aboutit à une sorte de « perte de mémoire ». Le service des archives fait alors office d« aide-mémoire » dans un ministère qui entend entretenir un rapport très étroit à lHistoire (que lon songe aux premières pages de lAnnuaire diplomatique).
Enfin, le dernier élément de complexité tient aux données recueillies, à la masse dinformations, souvent problématique. On pourrait lillustrer avec la fréquence des références à Diplonet, présenté comme une mine dinformations touchant à tous les aspects de lactivité du MAE, puisquon y trouve des informations réglementaires en matière de Ressources humaines, des traités, des fiches pays censées aider les agents candidats à lexpatriation
une mine exploitable pour tous les agents. Devant cette masse dinformations, à laquelle sajoutent la quantité de messages reçus, les télégrammes
il est parfois difficile de dégager du temps pour un travail de fond sur les dossiers suivis, de prendre connaissance de la littérature sur le dossier traité, davancer un travail personnel de rédaction de « petits mémos qui serviront lorsque jinterviens dans des réunions, des consultations avec des visiteurs étrangers, donc il faut que jarrive à me dégager au moins un tiers de mon temps sur la semaine pour que je travaille aussi pour moi » (conseiller des Affaires étrangères). Travail plus personnel, apparemment, mais en apparence seulement, puisque les notes ainsi préparées seront utilisées ultérieurement pour faire « avancer les dossiers ». De plus, la quantité dinformations à trier peut nécessiter le recours à des spécialistes, particulièrement ceux des archives, à qui la recherche est déléguée, alors même que les informations peuvent être directement accessibles sur Diplonet (par exemple pour un traité).
De nouvelles relations de travail ?
On peut commencer par rappeler lobservation faite par Everett Hughes dans son étude sur le travail dinfirmière : « Tout changement de technologie médicale soulève la question de savoir qui, du médecin ou de linfirmière, assurera, dans les différentes circonstances qui peuvent se présenter, les nouvelles tâches. La frontière entre le médecin et linfirmière na jamais été aussi sensible et fluctuante quaujourdhui. Il ny aurait guère dintérêt à étudier le poste de travail des infirmières sans prendre en compte, plus franchement quà laccoutumée, les évolutions de cette frontière ». Cela posé, on peut sintéresser à une dimension du partage des tâches qui paraît affectée par la généralisation de linformatique. Dans quelle mesure la diffusion de linformation modifie-t-elle les rapports hiérarchiques au sein du ministère et le rapport que les agents qui y travaillent peuvent entretenir à cette institution ?
La multiplicité des applications soulève, on la vu, un certain nombre de questions. Reste que leur mise en uvre peut aussi être loccasion dune réflexion sur lactivité, sur les métiers, au sein de laquelle la DSI joue un rôle central, un rôle unificateur dans un contexte où le besoin se fait sentir dun langage commun à construire : « Si on demande aux agents ce quest un poste diplomatique, on aura autant de réponses que dagents interrogés » (ingénieur des télécommunications). Ainsi, pour un informaticien, « pour réaliser un logiciel, il faut avoir une direction qui comprenne le métier. » À ce sujet, certains informaticiens regrettent dêtre souvent : « tout seul dans le bateau » ; cest eux qui font les propositions, initient certaines modifications, séloignant, de ce fait, de leur rôle de soutien ou daide à la décision propre à la DSI. Ce nest pas le cas de toutes les directions ; certaines « ont compris limpact de linformatique pour leur propre informatique
ils ont compris les enjeux de notre métier et collaborent parfaitement avec nous ». Une telle attitude devrait assurer aux informaticiens une efficacité plus grande. Mais, dans lensemble, « dans ce ministère, on na pas cette notion de métier, de gestion des compétences des agents
ça gêne personne daffecter un comptable sur les visas, etc., regardez le profil des C de cette année, ça complique encore le jeu de la DRH. Mais ce problème est surtout visible sur les secteurs un peu complexes comme la comptabilité
alors, on va avoir des comptables qui sont là pour 3-4 ans, un peu par hasard
au bout du compte, il est difficile davoir
des personnes qui ont une vision globale » (ingénieur des télécommunications).
Ces constats appellent une réflexion sur lorganisation du ministère dans son ensemble et sur les parcours des différents agents : le passage par la DSI pourrait, par exemple, être intégré dans le parcours des « diplomates ». Un autre informaticien explique qu« une piste à creuser sérieusement en termes de parcours professionnels, cest de proposer à des ASIC ou des SESIC daller passer quelques années au sein dune direction métier pour aider à formaliser les choses
en plus, on a intérêt à promouvoir la mobilité pour ne pas passer pour un service complètement cloisonné, complètement autiste. » Car si, avec la fusion du chiffre et des services informatiques, « tous les agents se sont tournés vers nous pour le fonctionnement des ordinateurs et les problèmes de sécurité à létranger quand on travaille sur linformatique », la question sest posée de la reconnaissance de ces nouvelles activités : « Le chiffreur a toujours été enfermé dans sa pièce, derrière sa porte blindée, cest toujours les coins les plus isolés, les plus reculés, les plus protégés, ce qui fait que lagent avait peu de contacts avec ses collègues, sauf avec le chef de poste
linformatique a changé tout ça, le chiffreur est devenu prestataire de services pour tous les agents » (secrétaire des Systèmes dinformation et de communication). Mais, de ce fait, linformatique, élément central, reste perçue comme un moyen, un aspect de lintendance indispensable au travail mais qui, à ce titre, ne doit pas faire lobjet dun intérêt particulier. Sur ce plan, linfluence de la variable générationnelle mériterait dêtre testée de façon plus précise. Assiste-t-on à un changement dans lattitude par rapport à cet outil ? Tous en attendent beaucoup, mais certains nen évoquent pas moins certains regrets : « Dans les directions, on na pas forcément compris les enjeux liés à linformatique
ils considèrent tous un peu quil faut que ça suive » (ingénieur des télécommunications).
De manière générale, le développement des moyens de communication, la souplesse annoncée du système Schuman vont dans le sens dune meilleure diffusion de linformation au niveau horizontal. Une telle évolution, selon Richard Sennett, bouleverse la structure des entreprises, mais aussi de lÉtat. Cet auteur en met en évidence les effets induits, en soulignant notamment que la mise au point de nouvelles technologies de communication et de fabrication permet à linformation dêtre diffusée jusquau sommet instantanément et sans médiation. Pour lui, « la révolution de linformation a eu, entre autres conséquences, celle de remplacer la modulation et linterprétation des ordres par une nouvelle espèce de centralisation. » De même, « lautomation, autre aspect de la révolution technique, a affecté la pyramide bureaucratique en profondeur : une institution na plus nécessairement besoin dune large base
Du fait de cette capacité technique, linclusion des masses lélément social du capitalisme social peut dépérir. »
Les moyens informatiques sont présentés comme des outils damélioration de la « productivité » des services ; ainsi de lÉtat civil, qui traite de très nombreuses demandes venant des « usagers ». Ils sont partie prenante des procédures dévaluation devant être mises en uvre dans le cadre de la LOLF : « Ce qui est nouveau, cest les objectifs fixés à un haut niveau
mais bon, moi, jai pas lil fixé sur les indicateurs dactivité, on nest pas des commerciaux » (secrétaire des Affaires étrangères). Ce chef de service estime nécessaire de « faire en sorte que tout le monde soit au travail, cest une préoccupation normale, on na pas à faire attendre lusager au-delà de ce qui est nécessaire. » Il connaît la « production » de chacun de ses agents : « Ça ne me gêne pas de dire à quelquun que son rythme de travail nest pas suffisant
il y a la qualité du travail, mais aussi le rendement » (id.). Ce dernier est fixé individuellement et lintroduction de cette mesure a suscité des polémiques, certains refusant dailleurs de jouer un rôle quils jugent « policier ». Pour autant, les outils sont là et les chiffres sont connus : chaque chef de bureau, de service peut connaître la « production » et, le cas échéant, réunir ses « troupes » pour les remobiliser en cas de retard. Ce qui introduit une autre dimension dans lactivité dencadrement.
Enfin, autre aspect des relations de travail qui se trouve modifié : les rapports avec lusager, avec la personne qui fait une demande dactes via les formulaires mis en ligne. Ces rapports sont, en quelque sorte, distendus : la technologie protège toute intrusion, jusquà la réclamation, rappelant sinon, que lusager existe, du moins, quil vient rompre une perspective uniquement productiviste. À linverse, les rapports avec les postes chargées de transmettre les informations, les demandes à lAdministration centrale paraissent plus proches : les communications sont facilitées, ce qui favorise les échanges, les contacts pouvant tout aussi bien concerner des aspects hors-travail (questions sur la qualité de vie en vue dune future affectation à létranger, etc.). De même, la généralisation des adresses électroniques soumet les organes centraux à des sollicitations plus nombreuses et pressantes dans un système de communication généralisée : les voilà obligés de revoir, ou en tout cas, de poser la question de leurs modes de fonctionnement, ce qui, selon Bertrand Badie, est une des manifestations de « lagonie de la puissance », manifestations dautant plus sensibles que lon est ici dans le cadre dun ministère qui manifeste cette puissance. On peut parler de lentrée de lopinion dans une arène dont elle était jusque-là tenue pour partie à lécart. Tout ceci concourt en fait à lémergence dune « diplomatie publique ».
La LOLF
La mise en uvre de la LOLF a démarré en janvier 2006. Il est encore trop tôt à notre sens pour en voir des effets tangibles. Nous ne pouvons que formuler un certain nombre dhypothèses sur les effets à terme dun tel changement des pratiques comptables et des pratiques dévaluation des performances.
Notons, tout dabord, que limplantation de la LOLF passe par deux volets distincts, mais articulés : le volet « comptable » et le volet « contrôle de gestion ».
Le volet comptable consiste à mettre en uvre une nouvelle nomenclature comptable et donc budgétaire, de façon à imputer les coûts de fonctionnement sur des « programmes ». Ce premier volet a concerné essentiellement les services financiers (SAF) du fait du remplacement de lancien logiciel de comptabilité.
Le second volet suppose la mise au point dindicateurs de mesure de lactivité et donc de la performance. Il est pour linstant encore au stade embryonnaire, sauf pour les activités consulaires. Cette différence dans lapplication des directives LOLF est révélatrice des enjeux distincts des filières dactivité et de métier du MAE et de leurs dynamiques à terme.
Nous développons ci-après trois de ces enjeux qui nous paraissent être activés par la mise en uvre de la LOLF.
Nouvelles compétences comptables et création de parcours de carrière « gestionnaires »
Le premier constat concerne le volet comptable en application depuis début janvier 2006. Le basculement vers le nouveau logiciel a nécessité une charge de travail très lourde pour les comptables, avec, dune part, lapprentissage de nouvelles techniques (manipulation du logiciel), et dautre part, la mise en place de nouvelles procédures comptables en rupture avec les règles de la comptabilité publique traditionnelle. Cest essentiellement le deuxième point qui induit un changement dans les pratiques professionnelles des comptables et dans la représentation de leur rôle. En effet, les nouvelles règles donnent plus de responsabilité aux comptables et chefs de SAF, dans la mesure où le système ne bloque plus de lui-même les engagements de dépenses dans la limite des crédits disponibles. Les agents se doivent donc de vérifier en permanence que les dépenses ordonnées ne dépassent pas les fonds octroyés. « Jusquà lannée dernière, quand on passait un bon de commande, ça défalquait immédiatement largent, ce qui était une sécurité pour moi, je ne pouvais pas engager une dépense qui navait pas les crédits nécessaires. [
] Je trouve ça anormal que le logiciel de gestion ne permette pas un meilleur suivi des dépenses et cest extrêmement dangereux de nous laisser passer des commandes alors quon na pas forcément les crédits. On peut très bien vous donner une AP (autorisation de programme), on peut vous autoriser à dépenser 10 000 euros, mais on vous donne une délégation de crédits de 5 000 euros, en vous disant On vous donnera une délégation de crédits plus tard pour le reste et rien ne vous empêche, dans le logiciel, dengager pour 10 000 euros, alors que dans la machine vous avez 5 000 euros, le logiciel ne vous bloque pas » (un agent comptable).
Cette nouvelle situation met les chefs de SAF en position de conseillers par rapport aux ambassadeurs, responsables en dernier recours, des dépenses. Ils se doivent de les alerter, de les raisonner, de leur montrer les écarts de dépenses et les possibilités (fongibilité des fonds, etc.) bien plus quavec lancien système, qui laissait finalement moins de marge de manuvre. Cest donc une nouvelle expertise qui émerge, donnant aux chefs de SAF un rôle de gestionnaires, qui pourrait savérer incontournable. Cette expertise savère dautant plus cruciale, avec le regroupement budgétaire et la centralisation des crédits matérialisés dans la création des SAFU (Services financiers unifiés). Le chef de SAF devient le contrôleur budgétaire de lensemble des fonds du poste. Il est donc amené à avoir une vue densemble de la rationalité des choix de gestion de lambassadeur. « Jespère que la LOLF va mettre en lumière la véritable dimension de la fonction de gestion et de gestionnaire et permettre détablir un lien justement entre limpact que peut avoir une politique de gestion et la politique tout court. Laspect budgétaire, financier et humain a un impact sur le déroulement même de la politique, par exemple demain, moi, je suis capable de dire, en tant que gestionnaire des crédits de lÉtat ici, et en tant que citoyen, que la décision prise par lambassadeur, le parlementaire demain, au titre de la LOLF, va être examinée, que je vais regarder à quoi ont servi les crédits et ce qui ressort de cette décision. Moi, en tant que citoyen, je me pose des questions et en tant que fonctionnaire aussi, je dis que cest de largent qui est fichu en lair » (un chef de SAF).
On peut penser que la LOLF va donner au rôle de gestionnaire une nouvelle légitimité à travers la création, puis la revendication, par les chefs de SAF, dune nouvelle expertise. Il semblerait même que ce rôle de gestionnaire ne soit pas lexclusivité des chefs de SAF. La LOLF importe dans lunivers public des principes de management privé, dont certains agents de catégorie A peuvent se faire les relais et porteurs, augurant, de cette façon, de nouvelles définitions du métier de diplomate. Nous y reviendrons dans un troisième point.
Nouvelles règles budgétaires et reconfiguration du pouvoir
De plus, la création des SAFU semble entraîner une reconfiguration des positions de pouvoir entre lambassadeur et le consul, en faveur du premier, renforçant par là-même la traditionnelle suprématie symbolique du rôle politique sur le rôle administratif.
En effet, cest maintenant le chef de poste qui centralise le budget et décide de son affectation sur des lignes où les consuls avaient auparavant de lautonomie. On comprend bien comment cette nouvelle configuration budgétaire met les consuls dans une situation renforcée de sujétion à lambassadeur. Dans un contexte où les conflits daudiences et les conflits statutaires entre ambassadeurs et consuls sont déjà importants, ces nouvelles règles budgétaires ne font quexacerber les tensions. Elles manifestent ouvertement ce dicton largement entendu en poste « il ne peut y avoir quun seul soleil ».
Il est encore trop tôt pour savoir ce que la LOLF modifiera des relations entre les chefs de poste et la Centrale. Compte tenu des acquis sociologiques concernant la mise en uvre doutils de gestion dans les organisations, il est possible de penser que le rééquilibrage du pouvoir ne se fera pas nécessairement au profit de la Centrale. La transparence attendue de la LOLF sur la gestion des postes ne pourrait être quillusoire et entraîner des jeux assez complexes de bricolage des procédures pour conserver aux chefs de poste une relative opacité sur leur gestion, et donc, sur lévaluation de leur travail et lactivité du poste. On peut penser, en effet, que le système sera adapté pour conserver a minima les règles informelles dévaluation actuelle. Néanmoins, il sera particulièrement important dobserver ce que lintroduction dun tiers acteur dans ce système dévaluation (les parlementaires) va bouleverser dans les configurations actuelles.
Nouvelle évaluation du travail et réévaluation des « grandeurs »
Le volet « contrôle de gestion » de la LOLF suppose de trouver des indicateurs pour chaque activité inscrite à lintérieur dun programme. Ces indicateurs doivent mesurer lactivité, la comparer à des objectifs fixés, afin den évaluer la performance. Un certain nombre dindicateurs ont été imaginés et proposés par la Centrale aux postes, en fonction des programmes. Ces propositions ne sont pourtant, pour linstant, quindicatives et les postes nont pas encore commencé à transmettre un suivi régulier, systématique et homogénéisé dindicateurs. En dautres termes, il ny a pas encore de « reporting » organisé. On peut penser quun tel reporting ne sera pas effectif immédiatement, tant le choix des indicateurs à retenir provoque de débats.
Ces débats sont particulièrement vifs concernant les indicateurs des programmes 105 et 209. Pour les intéressés, la question est de savoir comment la performance dune chancellerie politique ou dun SCAC peut être appréciée à partir dindicateurs. Par exemple, peut-on mesurer lactivité de la chancellerie politique, via le service presse, à travers le nombre darticles de presse parus sur la France dans le pays ? Pour un certain nombre dagents, cet indicateur ne rend pas compte du travail, puisque le nombre darticles peut dépendre de lactualité. Par ailleurs, est-ce le nombre darticles quil faut compter ou le nombre darticles renforçant limage de la France ? Et dans quel type de presse ? Ce type de débat peut être reproduit sur dautres indicateurs : nombre de conventions ou accords signés, nombre de visites, nombre de personnalités politiques rencontrées, etc. Ils renvoient à lépineuse question de lévaluation des activités tertiaires immatérielles pour lesquelles la performance ne peut être corrélée à un quota de production.
En revanche, les débats nont pas les mêmes enjeux pour le programme 151 concernant les activités consulaires. En effet, sil sagit là aussi dune activité de service, celle-ci se rapproche, sur plusieurs plans, dune activité de production. Il est possible de compter nombre de dossiers traités, nombre dactes ou de visas délivrés, de bourses accordées, etc. De tels indicateurs ont dailleurs, depuis longtemps, été calculés par les responsables consulaires pour mesurer la productivité de leur service. En dautres termes, ces indicateurs ne sont pas nouveaux pour les consuls, qui sen sont toujours servis à des fins de pilotage interne de leur service. En revanche, ce qui est nouveau et introduit des éléments de débat, cest la possibilité, pour ces indicateurs, de servir au pilotage externe. Pour les intéressés, ces indicateurs ne peuvent servir à des fins de comparaison entre les consulats, les facteurs de contingence externes étant trop aléatoires. Par exemple, un consulat ne peut être tenu pour responsable de la chute ou de laugmentation du nombre de visas accordés. Ou encore, certaines caractéristiques du pays rendent la comparaison avec les normes établies pour lensemble des consulats, impossible : « Ça reflète assez mal ce quon pense être notre activité (nombre dactes dressés, nombre de dossiers envoyés à Nantes). Parce que selon les tableaux, un acte dressé prend 30 minutes. Mais en fait, sil faut le transcrire, cest à peu près le double (il faut faire les relances). Avec les refus et les sursis, ça peut faire 2 ou 3 heures de travail ; moi, je donne le nombre dactes traités, mais ça ne représente pas la charge de travail réel (donc on ne peut pas faire des comparaisons avec les autres postes) » (agent consulaire, B).
Cependant, au-delà de ces considérations, il semble possible de chiffrer et de mesurer lactivité consulaire. « Pour le consulaire, cest plus facile, savoir combien de français sont immatriculés, etc., ce sont des chiffres, on peut les fournir facilement
on veut sassurer que les gens font leur travail consciencieusement, mais si on fait ce métier, en général, cest quon le fait consciencieusement » (agent administratif, B).
Cela rapproche lactivité consulaire dune activité industrielle, caractéristique qui néchappe dailleurs pas aux agents, lorsquils associent le consulat à « une usine », à lendroit « où les choses se font », etc.
Finalement, la LOLF renforce les caractéristiques différenciées des activités dun poste, mais elle a tendance à produire un renversement des ordres de grandeur. En effet, avant la LOLF, cétait les tâches politiques qui représentaient le cur noble de la diplomatie. Leur immatérialité garantissait aussi leur subtilité, le nécessaire recours à des compétences rares, enfin, la grandeur de ceux qui en étaient les acteurs. Or, les tâches administratives et consulaires sont aussi bassement matérielles, chiffrables et mesurables dans leur simplicité, réalisées par des personnes interchangeables aux qualifications standardisées. Pour reprendre le vocabulaire de léconomie des grandeurs de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, ce sont deux mondes hiérarchisés selon un ordre de grandeur. Le monde politique étant au-dessus du monde industriel. Larrivée de la LOLF semble vouloir bouleverser cet ordre de grandeur, puisque la possibilité de mesure devient le signe de la grandeur. La production et sa comptabilisation deviennent nobles, quand ce qui ne peut être mesuré devient suspect.
Il nous semble ainsi que les débats techniques sur les indicateurs manifestent les enjeux des acteurs autour de la subversion possible de cet ordre de grandeur. Mais il ne sagit pas seulement de questions statutaires. Il est fondamentalement question, à travers ces débats, de dire quelle est la définition légitime du travail diplomatique. De même quil est question de logiques professionnelles opposées à une logique bureaucratique. En effet, si les indicateurs définissent ce quest le vrai métier et comment il convient de le faire, alors, la possibilité pour le groupe professionnel de déterminer ses propres indicateurs manifeste son autonomie. En revanche, si ces indicateurs sont imposés par le haut, par une logique bureaucratique ou managériale, ils manifestent plutôt la réduction de cette autonomie professionnelle, au profit du pouvoir dun groupe dexpert en « gestion ». À ce stade, on retrouve la possibilité démergence dune nouvelle configuration dacteurs, faisant ressortir lexpertise gestionnaire, à la fois en tant que parcours professionnel et en tant que grandeur.
Ces constats ne sont, pour linstant, que des hypothèses nourries de premières observations. Elles ne sauraient être tenues pour des résultats acquis.
B) Rythmes et temporalités dans le travail diplomatique
Lénigme à résoudre est celle de la concordance des temps. Le temps de lambassadeur nest pas celui de ses conseillers, le temps des tâches entre souvent en conflit avec le temps des missions, avec le rythme collectif. Les durées ne se mesurent pas à la même aune selon que lon sait que lon est là pour trois ans ou pour une vie, quil sagit dune étape dans une carrière ou dun destin, dune escale ou dun port dattache.
Cest lambassadeur qui fixe le tempo. Lors de la réunion de service élargie, plus dune heure a été consacrée, en fin de réunion, à examiner son emploi du temps pour les six semaines à venir. Voilà événement qui mérite attention.
Le tempo
Cette discussion sur lagenda a une dimension symbolique évidente. Elle réaffirme la place occupée par le chef de poste, dont le travail résume et subsume lactivité de tous. Les rencontres, les événements auxquels lambassadeur doit prendre part concernent directement ou indirectement tout le personnel de lambassade et donnent, en partie, sens au travail effectué. Sa présence ou non marque limportance attribuée à un événement et, naturellement, chacun la souhaite pour les manifestations quil organise. « Est-ce que ça vaut vraiment la peine que jy sois ? » revient régulièrement dans la conversation. On sent bien à certaines remarques que telle ou telle rencontre lui pèse. Il nen fera naturellement rien paraître, donnant à chacun de ses visiteurs le sentiment de son importance. Lorsque sa présence est indispensable, mais quelle est totalement incompatible avec son emploi du temps, le premier conseiller est là pour le remplacer. Chaque rencontre donne ainsi lieu à négociation, parce que cest pour lui que le temps est le plus compté. Sa présence étant parfois nécessaire en deux lieux simultanément, il faut inventer la solution qui va lui permettre de participer aux deux : un petit-déjeuner sera servi à deux étages différents et il passera de lun à lautre, donnant à ses visiteurs le sentiment de sa disponibilité et de leur importance. Chaque rencontre programmée donne lieu à un important travail dorganisation, orchestré par le premier conseiller. Un « dossier » est ouvert, distribué aux différents services concernés. Pour les dossiers les plus importants, un point est régulièrement fait et suivi jusquà la dernière minute, pour vérifier que le « timing » de la visite est parfait. Rien nest laissé au hasard. Un ministre doit venir à la fin du mois. Il souhaite voir une réalisation scientifique soutenue par des fonds européens. Lambassadeur rappelle en quelques mots le cadre des contraintes. On na pas les moyens de lemmener très loin. Il faut une certaine « visibilité » concernant ce quon lui propose de visiter, notamment pour que la presse puisse en rendre compte : « Qui a une idée ? » Plusieurs sites sont évoqués par les uns et les autres. On sarrête à la première proposition raisonnable et on passe à autre chose. Le travail dorganisation vient après. Il faut vérifier que lidée proposée a un sens, que sa réalisation est possible, trouver une autre proposition si celle avancée savère irréalisable et en rediscuter éventuellement lors de la prochaine réunion de service.
Pour chaque dossier, le travail dorganisation est considérable. Il ny a pas de détail futile. Un parlementaire qui conduit une enquête arrive par le même avion quun ancien Premier ministre. Naturellement, les autorités locales ont réservé le salon dhonneur pour recevoir le Premier ministre. Comment accueillir les deux personnalités en même temps ? Le seul moyen de sen sortir est de permettre laccès au salon dhonneur pour le parlementaire : « Après tout, il est vice-président du Sénat : ça devrait passer. » Cela signifie une démarche supplémentaire auprès des autorités locales. Ce travail dorganisation est dautant plus considérable, que le dossier nest vraiment « bouclé » quune fois la visite achevée. À peine une solution est-elle trouvée, quelle risque déjà dêtre compromise pour mille raisons, y compris les souhaits et désirs des visiteurs variant dans le temps. Un grand dîner est prévu en lhonneur du Premier ministre. Une place y est naturellement réservée pour le parlementaire. Ce dernier fait savoir quil ne souhaite pas y participer, prétextant la fatigue du voyage. Que faire de lui pour cette soirée ? Le plus remarquable, dans ce travail dorganisation construit sur un timing dune rigoureuse précision est la capacité des acteurs à ne jamais être pris au dépourvu face aux « imprévus ». Paradoxalement, cest parce que lorganisation est dautant plus stricte, quelle est dautant plus adaptable. Le premier conseiller dit consacrer sa matinée du lundi à passer en revue tous les dossiers en cours et à organiser, à partir de cet examen, le travail de la semaine. Il entre dans le métier de lambassadeur et du premier conseiller, la capacité à gérer limprévisible dans un temps très contraint. Cette capacité ne renvoie pas seulement à des traits de personnalité : du sang-froid, du savoir-faire diplomatique, etc. Il sagit bien dune compétence construite dans le temps : lambassadeur peut improviser un discours, si nécessaire, sur une multiplicité de sujets, ce qui suppose évidemment, bien au-delà dun talent oratoire, un travail daccumulation de connaissances considérable. Cette capacité sappuie sur une organisation « mobilisable » à nimporte quel moment. La réactivité temporelle de lorganisation repose sur « lengagement dans le travail » qui est, dans le contexte analysé, dabord un engagement temporel. Cest le secrétaire général de lambassade qui tiendra compagnie au sénateur et lemmènera dîner. Cest le consul qui consacrera « un dimanche de plus » aux anciens combattants. Cest le chiffreur, qui prendra immédiatement un avion pour aller remplacer le central défaillant de lambassade voisine, qui reçoit le lendemain le ministre des Affaires étrangères
La liste des exemples de cette disponibilité est très longue. Elle est particulièrement manifeste de la part du personnel de la chancellerie, mais aussi des consulats, en cas de crise politique et daccueil des communautés françaises évacuées.
Cette capacité à faire face à la contingence sappuie aussi sur lexcellence des réseaux. Ceux-ci, pour être efficaces, ne peuvent pas se limiter aux seuls membres du gouvernement local. Le ou la responsable du service de presse connaît en général tous les journalistes. « Si je leur demande personnellement de venir, parce quon veut quun événement soit couvert, ils viennent. » Il faut connaître personnellement tous les hauts fonctionnaires susceptibles de prendre rapidement une décision pour débloquer telle ou telle situation. Il faut aussi maintenir des liens avec la communauté qui gravite autour de lambassade : « On est très attentif à lattribution de décorations ». Cette attention est bien une manière dhonorer une personnalité, mais aussi dinvestir pour lavenir.
Le temps compté
Ce dont disposent le moins les diplomates est le temps. Non seulement, ils travaillent en permanence sous la pression de contraintes externes quils ne maîtrisent pas, mais la durée de leur séjour local est statutairement limitée. Dans tel poste, lambassadeur a réussi à faire nommer un ou deux collaborateurs dont il se sent très proche, mais la concordance de leurs séjours aura été finalement brève, deux ans tout au plus. Réussir à mobiliser une équipe dont les membres ont des statuts hétérogènes et dont certains sont sur le départ, alors que dautres arrivent nécessite un savoir-faire très particulier. Il est surtout difficile, dans ce contexte, de conduire une politique. Pour réussir, lambassadeur est presque condamné à concevoir son action sur le mode de « coups répétés ». Certaines circonstances exceptionnelles peuvent révéler les dimensions remarquables dun individu. Cela est beaucoup plus difficile dans le contexte dun pays européen et francophile. Le seul moyen pour « être vu » est de médiatiser le moindre événement. Un navire de guerre français doit mouiller dans les eaux locales. Des hélicoptères sont prévus pour transporter à bord les personnalités. Lambassadeur demande immédiatement quun hélicoptère soit réservé aux journalistes pour quils puissent couvrir correctement lévénement. Tel universitaire doit venir au Salon du livre dune des villes du pays. La question immédiate est celle de savoir sil vaut la peine de linviter à faire une conférence qui « fera de laudience »
Ces coups, plus ou moins importants, sont le seul moyen « dinformer » Paris de lactivité de lambassade et de la visibilité locale de son action.
Une difficulté de lobservation et de la compréhension du travail des diplomates est lécart entre la réalité du travail quotidien et lidéal, tel quil peut être mis en avant quand un diplomate cherche à expliquer ce quest son travail. Tout comme la « belle affaire » chez les policiers, le « beau cas » pour les médecins hospitaliers, les anciens diplomates (surtout ceux qui ont été ambassadeurs) aiment particulièrement évoquer les quelques « coups » diplomatiques quils ont réalisés dans leur carrière. Pour un haut responsable du ministère, par exemple, cétait, lorsquil était ambassadeur en Chine, de faire venir le Premier ministre français en pleine crise du SRAS, permettant de manifester ainsi la force des liens entre les deux pays. Pour Bernard Dorin, cest de faire inviter le Québec à une conférence sur la francophonie, comme sil sagissait dun État indépendant, manifestant ainsi le soutien au désir dautonomie de la province par rapport à lÉtat fédéral. Un « précédent » était ainsi créé sur lequel les québécois pourraient sappuyer à lavenir.
Pour synthétiser, le coup est une opération audacieuse, voire risquée, et souvent individuelle permettant de faire avancer limage et les intérêts de la France, essentiellement sur un plan symbolique. Le coup est généralement repris à son compte par un responsable politique (Premier ministre ou Président), qui en tire alors lessentiel du bénéfice. Le rôle en coulisse du diplomate qui en est à lorigine est alors occulté (sauf en cas déchec, où il devra en subir toutes les conséquences, jusquà une éventuelle mise au placard durable). Il ne reste plus quà apprécier le rôle du diplomate en connaisseur, ou à tenter de le faire comprendre aux autres en décrivant les quelques coups réalisés. Lintérêt du coup est de représenter de façon concrète et palpable ce que veut dire « travailler à la grandeur de la France ».
Si le coup occupe une grande place dans le cur de son initiateur (dautant plus quil a pour effet de le faire sortir de lanonymat), il nest pas représentatif du travail quotidien, beaucoup moins spectaculaire et valorisant, qui, lui, risque alors dêtre présenté comme moins intéressant, voire comme du « sale boulot ». Ce mythe du coup peut masquer, déformer, voire « polluer » la représentation du reste du travail, à moins que le travail quotidien puisse être « anobli » pour être présenté et peut-être aussi vécu, comme un succédané de coup, un « coup permanent » (à la façon dont certaines brigades de police, mais pas toutes, arrivent à donner une certaine noblesse aux contrôles routiers). Ce qui serait une façon dentrer dans la compréhension de ce qui fonde le plaisir au travail. Seule la combinaison de lobservation et des entretiens permet de comprendre comment est surmontée ou non la contradiction entre la valorisation du coup et sa rareté objective dans le travail réel.
Ce fonctionnement par coups est aussi la marque de lactivité de certains services, dont les tâches peuvent être difficilement prescrites. Lattaché culturel a une réelle autonomie pour proposer des manifestations, trouver le cas échéant les financements pour les réaliser. Cette obligation dêtre à laffût de tout ce qui peut faire événement pour lInstitut culturel nécessite de se tenir informé par le biais dun réseau efficace. On voit aussi dans le bulletin bi-mensuel dinformation sur les manifestations programmées, des « routines » destinées à des publics spécifiques : par exemple, un séminaire thématique de lEHESS qui permet davoir tous les mois un conférencier. Il apparaît aussi que certains conférenciers, bien connus des services culturels du ministère, font ainsi le tour des ambassades, chacun observant ce qui se fait ailleurs via les sites Internet. Linnovation nest pas permanente, tant sen faut. Lors des entretiens, ces routines ne sont pas évoquées : le coup, cest ce quaucune autre ambassade ou service culturel na fait. Le coup réussi, cest celui qui aura attiré un large public et dont on rendra compte dans la presse.
Les dissonances de rythme
Les différents services ne travaillent pas au même rythme. La chancellerie est toujours dans lurgence. Le rythme de travail des missions économiques est réglé par des indicateurs de gestion fixant le nombre de tâches quotidiennes à accomplir dans le cadre dune durée du travail de 35 heures hebdomadaires. Effets pervers de ces indicateurs, les services sont ouverts à heures fixes et, au moins quand on les a visités, les bureaux sont vides à partir de 17 h, alors quà la même heure, le service de presse travaille à plein régime. Le personnel administratif des instituts culturels a des horaires de bureau plus ou moins denses selon la période de lannée, mais toujours réguliers. Le consulat a une activité saisonnière marquée (passeports, bourses, visas
connaissent des pics à différents moments de lannée). Il y a naturellement la routine des traitements, pensions et bourses, mais il y a aussi des pics dactivités beaucoup plus difficiles à gérer. Lorganisation des élections des représentants des Français à létranger se fait sous une contrainte temporelle forte, à la fois parce que les consignes sont transmises à la dernière minute et que la masse des tâches à effectuer conjecturalement est très supérieure aux moyens matériels et humains dont dispose le consulat. La saison dété, qui voit un afflux de touristes est aussi une période très chargée à un moment où les expatriés sont souvent absents. De plus, quand tous les expatriés ne parlent pas la langue locale, la charge de travail saccroît alors pour les recrutés locaux devant aller voir un accidenté à lhôpital et servir dinterprète ou régler avec les autorités locales les mille et un problèmes que peuvent rencontrer les touristes.
Cette difficulté à prescrire un certain nombre de tâches donne à beaucoup dattachés une réelle autonomie (au sens étymologique : liberté de se fixer ses propres règles). Cest lengagement dans le travail qui fait alors la différence. Mais cet engagement nest pas simplement un fait de nature humaine, un trait de personnalité. Il dépend aussi de la trajectoire professionnelle et des perspectives davenir. Lattaché qui sait quil a épuisé ses droits à expatriation, le contractuel expatrié dont le contrat ne peut être renouvelé naura pas forcément la même ardeur à investir que le diplomate de carrière.
La discordance des temps
Pour tous les expatriés, le temps de la mission est limité entre trois et exceptionnellement, quatre ans. Comme tous narrivent et ne partent pas en même temps, le poste vit un peu au rythme des arrivées et des départs. Ceux qui restent, en nombre croissant, sont souvent les « locaux ». Dans une des ambassades visitées, au moins deux dentre eux occupent des postes de responsabilité (premier secrétaire et chef du service de presse). Cette place accordée aux « locaux » ne va pas de soi. Des opinions hostiles à leur présence à ces postes apparaissent dans un entretien, opinions qui ne visent pas les personnes, mais le principe : plus on recrutera localement (y compris des Français), moins on pourra offrir de postes aux fonctionnaires du ministère. Le premier conseiller pense, au contraire, que le développement du recrutement local est inéluctable, ne serait-ce que pour des raisons financières. Une grille salariale a été élaborée, le droit du travail local appliqué. Cela ne va dailleurs pas sans poser problème, notamment dans un institut culturel où certains salariés refusent de signer un contrat de travail ne mentionnant pas lÉtat français comme employeur.
La question difficile est alors celle de leurs carrières, entendues ici au sens strict du terme. Les possibilités de promotion sont faibles. La quasi-totalité des postes de responsabilité étant tenue par des expatriés, il ne reste plus quune mobilité horizontale entre des postes de travail situés dans les différents services : le consulat, linstitut culturel et la chancellerie (aucune mobilité na été observée entre le service économique et les autres services). On reviendra ultérieurement sur les conséquences de ces temporalités différentes sur le travail selon les statuts. Dans la situation observée, les « locaux » ont une ancienneté forte et, pour plusieurs dentre eux, une réelle diversité dexpériences fonctionnelles. Ils sont aussi la mémoire de lambassade. La compétence reconnue de la responsable du service de presse tient à son investissement durant plusieurs années dans le milieu des journalistes. La mémoire que développent les « locaux » est une mémoire « archivistique » (si lon peut oser ce terme). Ils sont au courant des « routines », mais aussi des solutions trouvées à des problèmes similaires et que lon peut réutiliser. Lattaché scientifique dit sêtre beaucoup appuyé sur sa secrétaire pour savoir quoi faire quand il est arrivé. Cette mémoire est aussi anecdotique. Il est difficile, pour les locaux, de déceler une orientation politique concrète (ce qui ne veut pas dire quils ne repèrent pas les orientations idéologiques des uns et des autres). Ils ne retiennent de lambassadeur et des conseillers que des traits de personnalité quils ont appréciés ou dont ils ont pâti : « Jen ai vu défiler des ambassadeurs ! Certains étaient vraiment méprisants
Celui-là est beaucoup plus humain, il plaisante avec nous » (chauffeur). Parce quils savent quils resteront (même si certains commencent à avoir des inquiétudes sur leur avenir après la réduction des effectifs opérée à lInstitut culturel, ils observent avec un regard dentomologiste les expatriés de passage et le regard porté nest pas toujours élogieux.
Cette discordance des temps rend difficile la construction de ce que les gestionnaires nomment une « culture dentreprise », à même de suppléer aux incomplétudes de lorganisation. Mais elle fragilise aussi une certaine conception de la relation à lemploi. La première secrétaire (agent contractuel local) sinquiète du départ de lambassadeur. Elle nest pas du tout certaine que son successeur la maintiendra à ce poste. Les entretiens fourmillent dexemple de mutations liées au fait du prince. Cette incertitude quant au maintien dans le poste que lon occupe, et donc, quant au métier que lon exerce, nest-elle pas aussi un moyen daffirmer le lien de subordination au sens où Georg Simmel entend ce terme ? On peut aussi formuler autrement cette idée : seuls les expatriés bénéficient dune autorité légitime, parce quils sont adoubés par Paris. La responsable du service de presse, au détour dune phrase, déplore la nomination dun premier secrétaire local, peut-être parce quelle-même aurait souhaité avoir le poste, surtout parce quelle pense que les liens avec le Département seront plus incertains et moins institutionnels.
C) La spécificité des métiers diplomatiques
La difficulté à objectiver et à faire reconnaître ce qui est « produit » par le corps diplomatique est sans doute un des aspects du métier. Limage du diplomate traditionnel repose sur lidée dune certaine discrétion, de préparation « dans lombre » ou au moins confidentielle, des négociations internationales.
Sur le site Internet du MAE, on peut ainsi lire : « Les pères de la SDN croyaient quune diplomatie conduite sur la place publique préserverait mieux la paix que la traditionnelle diplomatie secrète. La diplomatie multilatérale répond dans une certaine mesure à leurs vux. Les débats de lONU sont publics, au risque de se tenir pour la galerie. Mais, en pratique, chacun sait que les séances du Conseil de sécurité sont précédées de pourparlers officieux où la négociation confidentielle reprend ses droits. La diplomatie multilatérale est en réalité plus collective que parlementaire ; les assemblées plénières réunissant toutes les délégations, parfois en public, ne font en général quentériner le résultat de tractations en coulisse entre groupes dÉtats unis par des affinités diverses, où lingéniosité des diplomates trouve à sexercer ». À dautres occasions, sur ce même site, on peut également retrouver lidée que la diplomatie est autant un art quune technique. Dans ce cadre-là, il est difficile de formaliser et de quantifier, voire de « protocoliser » une activité qui semble ainsi échapper à une rationalisation gestionnaire.
Peut-être plus encore que dans dautres métiers de la haute fonction publique, les diplomates rencontrés ont souvent reconnu avoir des difficultés à définir ce qui fonderait de façon spécifique la compétence du diplomate, si ce nest, justement, une capacité dadaptation à des tâches et des contextes dexercice très divers. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette difficulté :
multiplicité des tâches et des fonctions au sein du ministère ou dans les postes : on peut distinguer, par exemple dans une ambassade, le politique, la coopération et le développement, le culturel, le militaire, le commercial, ladministratif et la gestion, le consulaire, etc. Chacun de ces domaines possède ses objectifs, ses critères dévaluation, ses auditoires internes et externes, ce qui, parfois, redouble des conflits de personnes ;
le passage possible par différentes fonctions, qui nécessite une polyvalence, même si certaines régularités peuvent être observées (notamment la difficulté à passer de ladministratif ou du consulaire au politique, même si linverse est plus fréquent, ce qui montre bien lexistence de hiérarchies : un bon politique est plus facilement perçu comme capable de faire de la gestion/administration quun bon administratif ne sera reconnu comme apte à assurer des responsabilités politiques) ;
le fait que lactivité jugée la plus noble soit aussi la plus difficile à objectiver : comment mesurer la contribution à la « grandeur de la France » au moyen des différentes actions entreprises ; comment rendre compte de lactivité complexe de négociation malgré la nécessaire discrétion au sujet des échanges et compromis réalisés ; qui est juge dune réussite ou dun échec politique : le président de la République ou le gouvernement, les électeurs, les médias, le secrétaire général du Quai ? Par contre, dans le domaine du consulaire ou de ladministratif, il est sans doute plus simple de rendre compte de lactivité. Lintroduction de normes issues de la nouvelle gestion publique risque ainsi de perturber les hiérarchies de valeur officielles, sans forcément avoir la légitimité suffisante pour en imposer de nouvelles ;
lalternance entre des situations de pouvoir et dautonomie importante (par exemple en poste), des situations de forte soumission à un ordre hiérarchique strict (notamment en centrale) et de servitude (accueil de responsables politiques ou délus notamment, mais aussi dans les contacts avec les journalistes et, parfois, les Français de létranger).
Interrogés sur la spécificité de leur métier, les diplomates rencontrés ne peuvent quévoquer un petit nombre de traits :
le sens du contact, des relations humaines : « Cest un métier, je dirais de médiation, un métier de mise en contacts, dintermédiaire, enfin, beaucoup de relations humaines, de contacts, finalement on est toujours dans un processus daller vers dautres pour négocier, pour recueillir de linformation, pour donner de linformation » (conseiller des Affaires étrangères) ;
une vision plus globale, plus internationale : « La spécificité du Quai dOrsay, je pense, cest quand même dêtre au contact dautres réalités et cest la confrontation entre les intérêts français et un contexte international ou la prise en compte dintérêts différents de nos partenaires et
le Quai dOrsay est peut-être le mieux placé dans lappareil dÉtat français pour faire des arbitrages, pour conduire à des arbitrages, pour faire davantage prendre en compte la globalité dun sujet. Je suis souvent frappé de voir que, dans dautres ministères, on a une vision quand même beaucoup plus franco-centrée, donc nous, on est là pour élargir un peu le spectre, cest en cela que le MAE a une plus-value dans lappareil administratif français » (conseiller des Affaires étrangères). Les diplomates du Quai dOrsay auraient ainsi une meilleure vision politique de la place et des intérêts de la France dans le monde ; de la cohérence densemble de la position française. Les anciens ambassadeurs ajoutent généralement une bonne connaissance de lhistoire internationale comme moyen de comprendre les enjeux actuels et la « psychologie des peuples ». Mais lHistoire nest plus la discipline centrale de létude des relations internationales et les jeunes générations y semblent moins sensibles ;
Une certaine ouverture aux autres et au monde, une vision moins ethnocentrique que dans les autres ministères : « Vous ne pouvez pas réussir à létranger si vous ne partez pas du principe que vous navez pas la science infuse
que les autres agissent peut-être de manière étrange, mais quils ont leurs raisons et quil faut comprendre leurs raisons. Donc je pense que cest une spécificité diplomatique, et quelle est partagée par tous au Quai dOrsay » (conseiller des Affaires étrangères). Cette capacité des diplomates ferait deux de bons analystes des stratégies des uns et des autres, dutiles traducteurs pour la France, des positions étrangères.
De façon un peu étonnante, la maîtrise des langues étrangères (en plus de langlais) est très peu signalée par nos interlocuteurs comme une des compétences spécifiques de base. Au contraire, ladaptation et la polyvalence sont très souvent citées, sans constituer pour autant des compétences spécifiques.
La polyvalence et le métier
Le terme de polyvalence revient comme un leitmotiv dans la majorité des entretiens. Il nest pas certain, cependant, quil reçoive la même acception de la part de tous ceux qui en usent. « Lorsque je suis rentré aux Affaires étrangères par concours, le directeur général de lAdministration nous a accueillis en nous disant : Félicitations, vous avez réussi un concours de bon niveau et vous allez voir, ce sera formidable. Vous aurez loccasion deffectuer plusieurs métiers au cours dune même carrière. Donc, cette exigence de polyvalence est quelque chose de porté très haut dans notre maison
Et cette adhésion à la polyvalence, vous lavez chez tous
Il est intériorisé de la part de chacun quau cours dune carrière, on aura à faire la preuve de multiples facettes de
une personnalité suffisamment riche pour
une capacité à effectuer des tâches dans un registre suffisamment large. Je pense que cest la non-spécialisation qui nous est demandée. » Mais ce consul sapercevra vite « quà lintérieur de cette non-spécialisation, les cloisons paraissent à peu près étanches entre
le politique, le culturel et le consulaire. » Cette expérience illustre de manière exemplaire toutes les équivoques portées par cette définition de la polyvalence, qui peuvent se résumer à une dichotomie : changer de métier plusieurs fois dans sa vie ; être « non-spécialisé » dans lexercice de la fonction que lon occupe. Le problème réside en ce que ces deux définitions « indigènes » sont contradictoires à plus dun titre, ce que pressent bien le consul dans sa conclusion : lexistence de filières permettant le développement dune professionnalisation croissante, au sens où Pierre Naville entend ce terme. Lidée même de changer de métier plusieurs fois dans sa vie évoque le discours dominant, répété à lenvi dans tous les secteurs de la vie économique et dont la répétition finit par produire un effet normatif. Lidée nest pas pour autant fausse, sous réserve den gommer la dimension généralisante, mais son expression pose problème. Dans sa définition première et donc historique, le métier est laffaire dune vie, à la fois parce quil faut une vie de travail pour le maîtriser pleinement, mais aussi parce quil repose sur une conception patrimoniale de la qualification. « Jai un métier, je suis libre » sexclame Proudhon. Dans ce sens, le seul patrimoine professionnel dont disposent les agents du MAE (et ce nest pas rien) est le concours auquel ils ont été reçus et le statut auquel il donne accès. Pour le reste, ils exercent des fonctions auxquelles on accole abusivement le nom de métier.
On peut retenir de la citation du consul deux acceptions différentes de la polyvalence. La première renvoie au contenu des fonctions à exercer et à la manière de lexercer : « La capacité à effectuer des tâches sur un registre suffisamment large
Une personnalité suffisamment riche pour
», la seconde évoque la mobilité : « Cest la non-spécialisation qui nous est demandée. » Il faut également compléter ces deux conceptions de la polyvalence par une troisième idée, qui en quelque sorte en encadre lexercice : lexistence de filières relativement cloisonnées. Cette question a déjà été abordée. On a donc pu observer divers modes dexpression de lexercice de cette polyvalence.
Le premier tient à la relative imprécision de la définition des fonctions. Certaines tâches peuvent être clairement prescrites, mais le contour des fonctions évolue au gré des circonstances et reste fortement affecté par la contingence. Le fait dêtre dans un pays touristique conduit à lafflux saisonnier de nationaux qui, naturellement, ont des problèmes à prendre en charge. Rien cependant ne définit clairement la limite de cette prise en charge. Elle peut être purement administrative, elle peut aller au-delà, jusquà la visite régulière à lhôpital en dehors du temps de travail dun Français gravement accidenté et qui a perdu sa compagne dans laccident. La limite de cette prise en charge nest définie que par le détenteur de la fonction. On peut traiter les consuls honoraires comme des « veaux marins » ou comme des personnalités à honorer. Le travail au sein de lambassade implique un investissement personnel qui contrevient en partie à la définition bureaucratique des tâches, parce que lusager des services quelle est censée rendre ne peut pas toujours être traité de manière totalement impersonnelle. Cela devrait être le cas dans les services de lÉtat civil et de visas (où, même là, il peut y avoir des « passe-droits », comme on a pu lobserver dans certains postes où lattribution de visas peut se faire pour des motifs politiques). Mais pour le reste, la définition des « droits » de lusager est trop imprécise pour que son traitement puisse être standardisé. La polyvalence des agents tient en grande partie au fait que lambassade ne peut pas fonctionner selon des règles strictement « bureaucratiques ».
Le second mode dexpression de cette polyvalence tient au type de fonctionnement de lambassade, confrontée à une incertitude permanente. Lactivité de lambassade est en grande partie programmée par des événements qui lui échappent. On la vu, il faut jongler avec des visites sur lesquelles lambassade na que peu de maîtrise, autant quavec des événements fortuits. Faire face à lévénement, petit ou grand, repose à la fois sur une bonne répartition des rôles et sur un partage du « sale boulot », considéré comme tel, à chaque niveau de la cascade résultant de la spécialisation des professions par externalisation, phénomène que les travaux des interactionnistes, entre autres, tendent à montrer. Les médecins laissent aux infirmières les tâches quils ne veulent plus faire, ces dernières les confiant à leur tour aux aides soignantes, etc. Faire face à lévénement implique souvent que chacun sorte de son rôle. Le secrétaire général ira dîner avec le sénateur qui ne veut pas se mêler à un repas organisé pour un ancien Premier ministre, le conseiller scientifique donnera un coup de main « en douce » à un collègue. Chacun doit savoir « bricoler » pour faire face à la situation, ce qui signifie aussi que chacun est au courant de la situation et développe une conception large et non-routinière de sa fonction. Mais il ny a pas dobligation à cela. Dans le cas observé (sous réserve de vérifications complémentaires), le conseiller économique ne sort pas, ou le moins possible de son rôle. Lengagement dans le rôle nest pas seulement une réponse structurelle à la situation, il est aussi affaire dinterprétation individuelle conditionnant les formes dinclusion dans le collectif. La capacité à mobiliser ce collectif fait partie intégrante du travail de lambassadeur et de son adjoint.
Si la définition des tâches ne peut pas être standardisée ou planifiée du fait de limprévu et de la complexité des situations, il est difficile, en-dehors de certains postes comme celui de chiffreur, de parler de compétence spécialisée pour les agents de lambassade. Cest plutôt la polyvalence, ladaptabilité et linterchangeabilité qui priment. Ainsi, les diplomates doivent passer, au cours de la carrière, au moins en théorie, par des fonctions et des activités variées (politique, management, gestion, information
) et le travail politique, le plus valorisé, demande plus une culture générale quune compétence technique spécifique.
Pour les catégories C également, la gestion des Ressources humaines dans lambassade seffectue comme si les compétences spécialisées nétaient pas primordiales et que chacun devait pouvoir sadapter à tous les emplois : « Cest tout à fait dommageable au ministère, pourquoi ? Parce quon saperçoit quil y a un certain nombre dagents qui sont en Centrale, qui sont affectés dans une ambassade, auxquels on dit bon bien voilà, on vous affecte ici sur un poste de Nationalité au consulat par exemple, donc ces agents-là, tout à fait naturellement, demandent avant de venir en poste, une formation dans la matière quils exerceront, là en loccurrence la Nationalité, ils se forment à lIFAC à Nantes, puisquon a un institut de formation à Nantes qui sappelle lIFAC, bon, ils se forment en un certain temps à Nantes, donc ça, ça coûte de largent au ministère, et puis quand ils arrivent en poste, pensant prendre le poste de Nationalité quon leur avait annoncé, on leur dit, lorsquils arrivent, Ah bien non, finalement on va vous mettre ailleurs, on va vous mettre à la comptabilité, ou on va vous mettre à lÉtat civil, donc ça je trouve que quelque part cest un gâchis, en termes humains déjà, et puis aussi en terme de financement, en matière budgétaire, parce que toutes ces formations, elles ont un coût. Et on saperçoit que souvent elles ne servent à rien. Si vous voulez, le problème, cest que, là je vais être un petit peu direct, mais bon. Le problème, cest que, lorsquen avril-mai, les ambassades savent déjà quels agents vont leur être envoyés, ça, ils le savent, donc ils ont, entre guillemets, le pedigree de chaque agent, quest-ce qui se passe ? Dans chaque ambassade, connaissant la liste des gens qui vont venir, les chefs de services se réunissent. Et là, je dirais, encore entre guillemets, ils font leur marché, cest-à-dire que les agents, tel agent qui devait initialement être envoyé sur tel poste, si le chef de service dà côté le veut, il va dire oh ben non, moi je préfèrerais, parce cet agent, il a déjà travaillé dans tel secteur, donc il mintéresse, etc.. Et cest comme ça quon se retrouve avec, souvent, des agents qui ne prennent pas le poste pour lequel on les avait programmés. Voilà, donc, je pense quil y aurait une amélioration à faire à ce niveau-là. Cest-à-dire que, disons, ne pas empêcher les mouvements internes dans lambassade, cest pas ça, mais simplement les décaler dans le temps. Cest-à-dire les anticiper. Ces fameuses réunions de chefs de services de lambassade, les faire suffisamment tôt pour pouvoir ensuite avertir la DRH, de manière à ce que la DRH avertisse les agents, et leur dise de manière sûre et certaine sur quel poste ils vont aller, de manière à ce quils se forment judicieusement, je dirais. Voilà. Moi je pense que là, enfin sur ce point-là, il y a vraiment des choses à améliorer » (agent catégorie C).
La polyvalence des individus
La seconde acception « indigène » de la polyvalence renvoie à labsence de « spécialisation » comme le formule le consul, ce qui signifie, en fait, la capacité de changer de fonctions. Pour les agents du MAE, ce changement est souvent induit par la nécessité, pour suivre son conjoint, daccepter de prendre un poste qui ne correspond pas toujours à son grade ou à sa spécialité. Après sêtre occupé de lÉtat civil, on a pu rencontrer un agent qui a accepté de soccuper de la comptabilité, pour pouvoir suivre son époux. Cette polyvalence sobserve surtout chez les contractuels : avocat de formation, un premier secrétaire sest occupé du pôle Emploi au consulat, avant dêtre sollicité pour la fonction quil occupe. La coopération scientifique, effectivement réalisée, a parfois peu à voir avec lancienne spécialisation académique de luniversitaire qui en est chargé, etc. On pourrait multiplier les exemples. La polyvalence désigne ici la capacité des individus, à tous les niveaux de lorganisation, à changer rapidement de « métier ». A contrario, la responsable dune médiathèque se plaint de labsence de polyvalence des agents de la médiathèque, recrutés à un niveau insuffisant.
Dune certaine manière, cette affirmation de la polyvalence renseigne sur la qualité des individus et souligne avec éclat limpertinence dune approche par les métiers. Cette observation nest pas tout à fait généralisable. Les chiffreurs constituent bien un métier à part, mais il nest pas du tout certain quils naient pas assez rapidement à se transformer en techniciens de maintenance informatique. Jusquà présent du moins, les chiffreurs interrogés ont fait toute leur carrière dans le chiffre, ce qui ne veut pas dire que le métier na pas profondément changé au fil des innovations technologiques.
D) Le travail et son organisation dans les postes bilatéraux
Le travail de chancellerie, un travail réactif, diversifié et subordonné
Le travail politique dans une chancellerie est le cur de lambassade, au propre comme au figuré. En quoi consiste-t-il ? Daprès la convention de Vienne, signée en 1961 pour réguler et codifier les relations diplomatiques bilatérales, celles-ci doivent remplir cinq grandes fonctions : représenter lÉtat dorigine dans le pays daccréditation ; défendre les intérêts de lÉtat dorigine dans le pays daccréditation ; négocier avec le gouvernement du pays daccréditation ; sinformer, par des moyens légaux, de la situation et du développement dans le pays daccréditation et en référer à lÉtat dorigine ; promouvoir des relations amicales entre le pays dorigine et le pays daccréditation en développant tout ensemble leurs relations économiques, culturelles et scientifiques. Cette présentation peut difficilement servir de guide pour rendre compte des activités que nous avons pu observer ou que nous ont relatées les personnes interrogées.
« Défendre les intérêts de lÉtat dorigine dans le pays daccréditation » et « promouvoir des relations amicales entre le pays dorigine et le pays daccréditation » constituent, certes, les préoccupations de fond des diplomates de la chancellerie, mais cela noffre pas un guide précis pour laction au quotidien. De ce que nous avons pu en comprendre au cours de nos entretiens, cette activité renvoie au suivi des relations avec les élites du pays, au choix des bonnes personnes à inviter lors des réceptions et événements organisés par lambassade, etc. Ce travail est réparti de façon calculée, mais parfois conflictuelle, entre lambassadeur, le consul général, les différents diplomates de la chancellerie et même parfois la femme de lambassadeur (par exemple, pour ne pas déplaire au pouvoir en place dans certains pays, ce dernier peut limiter ses contacts avec lopposition, mais lépouse dun leader de lopposition est en droit de faire passer des messages à lépouse de lambassadeur).
Daprès Alain Bry, les démarches constituent parfois une activité pénible pour les ambassadeurs : devoir faire le siège de personnalités officielles peu pressées de vous recevoir, subir les foudres dun pays peu content de la politique de la France
Par ailleurs, les demandes de lAdministration centrale concernant les démarches sont faites à tous les postes, quels que soient leur taille et létat de leur relation avec la France. Cest ce quexplique ce conseiller : « Par exemple, notre poste a un agent dépêché dans le pays voisin, où il ny a pas dambassade de France et où il doit tout faire tout seul. Et bien, comme tous les postes, il a reçu instruction, il y a trois jours, de demander audience aux autorités locales pour solliciter un soutien pour lélection de la France à la Commission des Droits de lHomme de lONU. Mais il a déjà un emploi du temps hyper chargé et, en plus, un Français qui vient dêtre emprisonné là-bas et quil doit visiter et soutenir. Il ma demandé ce quil devait faire et je lui ai répondu de laisser tomber les démarches auprès des autorités. Mais pour un agent, cest toujours difficile de ne pas répondre aux instructions. »
Les « relations économiques, culturelles et scientifiques » sont plutôt gérées par le SCAC, lAFD et la mission économique. Bien évidemment, la question de la coopération économique est éminemment politique et lambassadeur suit cet aspect-là du dossier, mais la promotion économique et le développement ne sont pas les sujets majeurs de la chancellerie. Dans les ambassades étudiées, les ambassadeurs ont volontairement fait le choix de laisser la grande part de cette action aux services spécialisés, préférant concentrer leur action sur le politique et le culturel.
Le travail de négociation internationale, comme il a pu être observé, est plutôt géré directement par les autorités politiques des deux pays, lambassade ayant un rôle daccompagnement et de préparation des délégations ministérielles. Tout se joue dailleurs dans les tractations en amont, pour lesquelles lambassadeur est essentiellement un intermédiaire. Il reste toutefois tout un ensemble de « petites » négociations (parfois longues et fastidieuses), indispensables pour assurer le succès de la visite : convaincre des interlocuteurs locaux importants de consacrer de leur temps au visiteur officiel français, obtenir des autorités locales un bon accompagnement logistique et en sécurité, etc.
Finalement, parmi les tâches mises en avant par la convention de Vienne de 1961, celle qui concerne la collecte et la diffusion dinformations paraissant la moins diminuée par les évolutions récentes de lactivité diplomatique est le travail dinformation (« sinformer, par des moyens légaux, de la situation et du développement dans le pays daccréditation et en référer à lÉtat dorigine »). Ce travail repose essentiellement sur le conseiller politique et presse de lambassade. Son travail consiste dabord à suivre la presse du pays, soit, parfois, une vingtaine de quotidiens, et cinq ou six hebdomadaires. Ce qui concerne la France et lambassade est relevé en priorité. Souvent, le temps et le budget manquent pour lire la presse française. Il coordonne également la communication faite par les différents services de lambassade et peut déplorer parfois le manque de coopération avec dautres services. Ces éléments sont regroupés et mis à jour sur le site Internet de lambassade. La communication, cest aussi organiser des conférences de presse, appeler les radios et les télévisions, mobiliser le réseau de journalistes constitué par le service de presse. Dautres outils de communication peuvent aussi être mis en place : un agenda de lambassade de France ; des plaquettes dinformation ; la « Lettre de lambassade » (un magazine luxueux en quadrichromie et distribué à « lélite du Pays »). En contact avec de nombreux journalistes, le service de presse est souvent sollicité pour avoir « la position de la France ». Tous les communiqués de presse sont visés par le premier conseiller, parfois directement par lambassadeur. Mais il faut également être capable de répondre dans lurgence. Pour avoir plus décho et de poids auprès des journalistes, le service de presse doit entretenir de bons rapports avec eux, les aider dans leurs démarches (recherche dinformations et de contacts, obtention de visas, etc.). « Si on ne les brosse pas dans le sens du poil, on va avoir des articles négatifs. »
Linformation se passe également en interne : cest au service de presse de réaliser quotidiennement des revues de presse pour les différents agents de lambassade ; un résumé est diffusé par Internet (les « points chauds » de lambassade). Lambassadeur tient à avoir sa « collection » (revue de presse plus dépêches AFP) personnelle tirée sur papier, quil ne lit pas en entier, mais utilise en cas de rendez-vous ou de questions sur des dossiers précis.
Enfin, le travail dinformation se fait en direction de la Centrale. Voici la façon dont un ancien ambassadeur (Froment-Meurice, 1998) décrit son travail comme jeune conseiller à Moscou entre 1956 et 1959 : « De part et dautre dun couloir crasseux souvraient des cellules où les diplomates, bénédictins de la prestigieuse Carrière, se crevaient les yeux à déchiffrer journaux et revues soviétiques. [
] Lambassade de Moscou était le laboratoire où se décantait la matière première qui, travaillée sur place, était expédiée à Paris pour y être mise par la direction dEurope en pilules, destinées au flacon ministériel et gouvernemental. Le travail était réparti au gré des convenances et des capacités, lessentiel étant que le champ de la politique intérieure et extérieure fût couvert. Tombèrent dans ma corbeille les questions militaires et donc les relations entre le parti et lArmée, les relations soviéto-américaines et la question allemande [162-163] [
] La purge du groupe antiparti, ainsi que fut rebaptisé le trio Molotov-Malenkov-Kaganovitch, donna lieu, à lambassade, à un superbe épisode de kremlinologie. Un matin de juin, lisant dans notre Pravda quotidienne la liste de membres du Politburo ayant la veille assisté à un spectacle du Bolchoï, nous constatâmes, dune part, que les noms de ces personnages manquaient, dautre part que le délégué Pospelov, jusque-là membre suppléant, figurait maintenant, selon lordre alphabétique en usage, parmi les membres pleins. On pouvait en conclure quun remaniement capital avait eu lieu. Mais le devait-on ? Nous tentâmes de convaincre lambassadeur de télégraphier à Paris le fait, au moins, à titre dhypothèse. Il sy refusa énergiquement, estimant la base trop fragile pour en tirer une conclusion aussi énorme. Il manqua ainsi lun des scoops de sa vie ».
Si les informations produites émanent pour une part du service presse, cest sous la responsabilité de lambassadeur et du premier conseiller que sont produits les télégrammes diplomatiques (TD). Sil na pas été possible dobserver la production de lensemble des TD réalisés par la chancellerie, ce qui a pu être entendu en observation, aussi bien que dans les entretiens montre que lambassadeur privilégie en priorité une certaine rapidité de réaction (« Au fait, je ne signerai plus de TD relatifs à des événements qui se sont passés il y a plus de deux semaines. On se ridiculise. Si on ne fait pas de TD dans des délais plus rapprochés, cest quon na pas jugé bon den rendre compte immédiatement ; donc ça ne sert à rien » (ambassadeur lors dune réunion de service). Dautre part, les TD qui rendent compte de lactivité de lambassade, du succès des initiatives prises apparaissent comme les plus importants à faire partir.
Un travail dorganisation et de gestion des visites officielles
Georges Balls, un haut fonctionnaire du département dÉtat américain sous ladministration Johnson, à qui le Président Carter proposait un poste dambassadeur dans une capitale prestigieuse laurait décliné en précisant quil ne voulait pas « devenir un tenancier dhôtel pour membres du congrès en visite ».
Lors de nos observations, nous avons pu assister à la préparation de plusieurs visites : parlementaires, ministérielles et dautres responsables politiques. Fréquentes dans des postes dimportance régionale comme ceux que nous avons visités, elles donnent lieu à une préparation intense. Échanges de mails, de courriers, établissement de programmes progressivement réévalués et négociés (tant avec les autorités françaises quavec les autorités locales), voire parfois venue de « précurseurs » à lambassade.
Ce type de visite est programmé plus ou moins à lavance et peut être très dépendant de lactualité politique (par exemple, dans un même poste ont eu lieu les visites, la même semaine, de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy, ce dernier ayant changé ses dates au dernier moment). Même quand la visite peut être prévue longtemps à lavance, les impondérables sont toujours nombreux. Ils peuvent venir, soit des visiteurs (parlementaires, cabinets ministériels
), soit, des autorités locales.
Les visiteurs sont souvent animés par la volonté de « rentabiliser » au maximum leurs déplacements : rencontrer le plus de personnalités, importantes, faire des gestes symboliquement significatifs, avoir des retombées médiatiques, etc. Cela peut encore être renforcé par leffet de concurrence au sein des cabinets ministériels. Vers la fin dune visite ministérielle, lambassadeur, dans une discussion informelle avec ses collaborateurs revient sur les causes du programme surchargé et du retard qui en a découlé : « On ne tient pas le programme ! Le problème, avec les cabinets ministériels, cest quavant la visite, ils veulent toujours quon en fasse plus et après la visite, ils nous reprochent davoir programmé trop de choses. Je me rappelle, quand jétais au cabinet du ministre, chacun essayait de proposer son truc pour se faire bien voir et après on avait des programmes impossibles. Surtout que lui, il voulait toujours se déplacer. Son avion ne se posait que pour faire refroidir les moteurs. »
De plus, les visiteurs peuvent réagir aux propositions qui leur sont faites, avoir de nouvelles idées, de nouvelles exigences, juste avant leur arrivée. Même si le programme est prêt depuis longtemps, ils ne sy intéressent dans le détail bien souvent que quelques jours avant, étant eux aussi soumis à un rythme intense et à un travail réactif. Ainsi, un vendredi soir, le premier conseiller (qui nétait pourtant pas lorganisateur de cette visite pour lambassade) reçoit un mail du chef de cabinet dun ministre devant arriver le lundi soir, lui demandant de préparer pour le lundi matin un bureau avec connexion Internet pour les membres de sa délégation. Le responsable des systèmes dinformation devra y passer une partie de son week-end. Le même premier conseiller, samedi à 15 heures, alors quil déjeune au restaurant avec son épouse, reçoit un appel sur son téléphone personnel dun attaché parlementaire pour une visite de parlementaires devant arriver dans la nuit. Lun dentre eux demande à lambassade dacheter une gerbe à déposer pour la cérémonie du 8 mai. « Un samedi à 15 heures ! Ils se rendent compte quon nest pas à Paris ? Allez trouver une gerbe dans cette ville où il ny pas de fleuristes et où tout est fermé le week-end
Eh puis je ne sais même pas si il y aura un dépôt de gerbe ! Ils auront lair malin, les parlementaires, sils sont les seuls à déposer une gerbe ! » Il doit donc contacter la base militaire pour vérifier quil y aura bien un dépôt de gerbe et se débrouiller pour en trouver une.
Dautre part, les changements et incertitudes peuvent aussi venir des autorités locales, réputées mal organisées et imprévisibles dans beaucoup de pays en voie de développement. Lincertitude est dailleurs un moyen de pression dans les négociations politiques. Ainsi, le doute a pesé jusquà la fin sur la présence du Président local pour une commémoration. Sans sa présence, la cérémonie aurait perdu de sa charge symbolique. Cette présence a ainsi pu être « monnayée » (notamment contre des visas) et mise en balance avec dautres impératifs du Président (notamment un voyage aux États-Unis pour se rendre à lONU). Cette incertitude a conduit les organisateurs à revoir plusieurs fois le programme et, au final, à mettre en place une solution complexe notamment pour les transferts des délégations dun lieu à lautre. Les diplomates en charge de la visite ont du adapter leur dispositif au dernier moment (rendez-vous, véhicules pour se déplacer, navettes, repas et boissons, etc.).
Cela développe une certaine appréhension par rapport aux imprévus, aux changements de programmes. Lors dun entretien, un ambassadeur déclare : « Les choses les plus délicates, cest toujours les choses visibles. Pour les visites officielles
On nest pas chez soi. On est tributaires des autres (le pays daccueil). Quand jai tous les leviers en main, je nai pas de stress. Mais sinon on sait que ça peut foirer pour des choses dont on nest pas responsable, là il peut y avoir un stress. On est de toute façon toujours responsable et on est jugé ». Dans un des postes étudiés, le premier conseiller, recevant le chercheur (ce qui constitue aussi une forme de visite à gérer), lui précise, à propos des dangers du pays : « Vous devez faire attention ! Cest un peu contraignant, mais quand on a une mission, la vôtre ou une autre, on a à cur quil narrive rien aux gens qui viennent. Bon le dernier jour, vous pourrez partir plus à laventure [rires], si vous le voulez, mais au début, faites attention ! Lorganisation dune mission, cest toujours un très gros travail pour nous, pour négocier préparer le programme, prendre des rendez-vous et on na pas envie que tout tombe par terre parce que la personne en mission est malade dans son lit, ni quelle rentre avec un mauvais souvenir de sa mission. »
Une fois la visite commencée, il est également nécessaire de pouvoir gérer les différentes personnes qui la composent. Le premier conseiller déjà cité remarque encore : « Il faut bien rester sur vos gardes lors de la visite, car il y a des moments où on attend, on na rien à faire (par exemple pendant un entretien officiel entre deux responsables politiques, où les accompagnateurs de lambassade restent dans lantichambre) et des moments où il faut que ça aille vite, la logistique, quand la délégation doit se rendre sur un autre lieu le plus vite possible. Tout le monde remonte dans les voitures et les bus et on part. Il faut toujours réduire ces temps de logistique, pour maximiser les temps productifs. Si on flâne un peu à lécart, on risque dêtre laissé sur place, comme cela arrive parfois avec des journalistes. Il faut excuser par avance mes collègues chargés de vous piloter lors des visites et qui auront beaucoup de choses à faire et de stress et ne pourront pas toujours être disponibles pour vous. »
Se plier aux désirs et exigences des visiteurs, même celles que lon désapprouve est souvent nécessaire. On ne peut pas envoyer promener un ministre ou un parlementaire ! Lors de lune de nos observations, il était prévu que nous suivions une délégation de quatre parlementaire prévenus, auparant, de la présence dun sociologue. Pourtant, lun deux a été très désagréablement « surpris » dapprendre quil serait observé et a catégoriquement refusé la présence du sociologue. Le premier conseiller, bien que gêné, de même que le consul qui avait organisé un repas, ont dû demander aux chercheurs de ne pas venir, malgré leur embarras et sans bien comprendre le refus de ce parlementaire.
Même sils ne sont pas aussi exigeants ni traités avec les mêmes égards que les ministres ou élus, les journalistes, peuvent également être difficiles à gérer : ils peuvent se disperser au moment de partir dun lieu de visite, avoir des demandes ou des impératifs techniques compliqués, quand ils ne font pas tout cela en même temps ! Lors de la visite ministérielle et en la présence, cette fois, des chercheurs, survint un épisode pittoresque. Après une quinzaine de minutes dinterview avec les journalistes sur une île, le Président et sa suite repartent sur le bateau présidentiel. La conseillère presse de la délégation française en visite demande au responsable presse de lambassade si les journalistes de LCI peuvent aller avec lui pour être rapidement en ville afin denvoyer leur reportage pour le journal de 13 heures. Il négocie avec les marins qui acceptent sans problème. Mais les journalistes ne sont pas là. La conseillère de la délégation et le responsable presse de lambassade les cherchent et trouvent la journaliste mais pas le cameraman. La journaliste dit quelle part le chercher et sen va. Le marin du bateau présidentiel déclare quil ne peut pas attendre. Le bateau sen va quand arrive le cameraman seul, sans la journaliste. Le responsable presse de lambassade arrive à le faire embarquer sur le navire dassistance et de protection de la suite présidentielle qui sen va rapidement. Quand la journaliste arrive tout essoufflée, il ny a plus de bateau pour elle. Le responsable presse de lambassade trouve au bout de deux-trois minutes un particulier qui rentre avec son bateau sur la capitale et lui demande de prendre la journaliste. Problème, il ne va pas au même débarcadère. Il faut donc téléphoner au chauffeur de lambassade quil prenne dabord le cameraman à un endroit, puis la journaliste dans un autre port !
Si ce type de travail demande de sadapter rapidement, de garder son calme et sa bonne humeur malgré tout, il est aussi éloigné de lidéal du diplomate qui ne traite que de grandes questions politiques valorisantes et prestigieuses. Lors des visites, les temps dattente passés à régler de petits détails occupent le temps et lénergie. Ainsi, pendant la visite ministérielle, le responsable presse de lambassade ne pourra pas participer pleinement aux événements les plus intéressants : lors de la visite, il doit soccuper des divers problèmes des journalistes au moment du repas, il doit passer des coups de téléphone et envoyer des fax (il doit notamment récupérer durgence, pour la ministre, un article de presse publié en France). Lors de la visite et de la signature de laccord, il doit attendre dans lantichambre larrivée du Premier ministre, puis lentrevue avec la ministre française se fait sans lui ; finalement, il doit attendre encore dans la salle larrivée des officiels. Ce travail est accepté, car limportance des détails est bien connue de la part des diplomates rencontrés (« le diable est dans les détails » est souvent revenu lors de cette étude), même sil peut devenir frustrant à la longue et quand ces efforts ne sont pas reconnus.
Au final, le travail de chancellerie est essentiellement réactif, du fait de lobligation de coller à lactualité, de suivre le rythme des visites, de répondre aux demandes de lAdministration centrale (information, démarches auprès des autorités locales pour un vote dans une organisation internationale
). « Ce que je ne supporte pas, cest daccumuler des retards, pour moi cest inconcevable, et ce que je vois tous les jours sur mon bureau je ne le supporte pas. Tous les matins, je me dis Cest pas possible, il faut que je le fasse, et je suis pris dans le mouvement de la journée, et à la fin de la journée je me demande ce que jai fait, jai été pris dans limmédiat en permanence, et puis résultat, je nai pas fait du tout ce que javais prévu de faire dans la journée et ça saccumule, il y a des moments où lon est usé » (conseiller politique). Le temps manque pour faire des rapports précis sur la situation politique et le contexte des différentes actions de la France ; pour avoir une démarche plus proactive.
Lorganisation des moyens dans lambassade
Organiser le travail consiste à définir les tâches de chacun, le contenu des postes de travail. Cest au fond ce dont il sagit dans le cadre de leffort fait pour constituer une nomenclature des métiers de diplomate. Plus on sélève dans la hiérarchie des emplois, plus cette définition devient délicate, plus le contenu des tâches devient imprécis, laissant la place à des définitions qui se réfèrent à des qualités ou à des talents de la personne censée occuper le poste. Qualifier les postes et choisir les hommes dont les compétences correspondent aux exigences du poste ou au contraire, adapter la définition des postes aux compétences des hommes qui les tiennent est un débat qui remonte aux débuts de la rationalisation du travail et dont les solutions oscillent entre les deux pôles. Quel que soit le choix opéré pour qualifier les postes ou les hommes, lenjeu réel sous-jacent est celui dun classement et donc de la construction dune hiérarchie, activité fondamentale de toute vie en société si lon en croit les travaux des anthropologues.
On sait aussi que, concrètement, la qualité du travail fourni est le fruit dune conjonction entre un homme et un poste et cela est dautant plus vrai que les tâches à accomplir sont plus difficilement prescrites. Le mode de raisonnement qui consiste à définir des contenus demplois, quelle que soit la qualification donnée métiers, poste, sorte de passage obligé de toute réflexion sur lorganisation du travail , ne résout quune partie du problème auquel est confrontée toute volonté organisatrice. Il ne permet pas, sauf à penser que le taylorisme absolu nest pas une utopie, de résoudre la question de larticulation des postes entre eux. Cette question est dautant plus importante dans le contexte qui nous occupe que les postes (les métiers) définis in abstracto sous forme didéaux-types prennent corps dans des contextes très différents : ambassades ou représentations de taille et dimportance très variées, services centraux. En outre, ces postes sont classés sous une forme pyramidale qui définit, en pointillé, des carrières possibles, des apprentissages successifs, des parcours plus ou moins prescrits selon lobjectif visé. Cet objectif nest pas indépendant de la manière dont, par ailleurs, on tient lemploi quon occupe, emploi qui conjugue plus ou moins, selon les ambitions, réalisation et anticipation dans son effectuation.
Certains postes observés ont des contenus techniques clairement délimités que seuls leurs détenteurs peuvent effectuer : le chiffre en est un bon exemple. Ils sont lexception et de plus en plus dagents non spécialisés sont responsables du chiffre dans des petits postes. Dans la majorité des cas, la délimitation du périmètre des responsabilités est clairement définie sans que cela empêche les recouvrements (« overlapping ») selon la personnalité qui loccupe. Ici, cest le secrétaire général qui trouve que son travail nest pas assez reconnu. Parlant en dernier lors des réunions de service, il ne dispose que dun temps de parole réduit. Le temps dattention porté à ses propos est pour lui le signe manifeste de labsence de considération portée à son travail, alors que cest lui « qui fait tourner lambassade ». Là, cest le consul général et lambassadeur qui sont en concurrence sur la participation à une manifestation, le second suggérant au premier de ny pas participer, lui seul estimant être habilité à représenter la France en loccurrence. Ailleurs, cest le conseiller culturel qui empiète sur les compétences du conseiller économique en sollicitant directement laide des entreprises pour le soutien à des manifestations culturelles sans passer par les services économiques.
Dans la vie courante des ambassades, les incidents de frontière entre les responsabilités sont fréquents ! Mais ce brouillage des frontières peut être aussi provoqué par la charge de travail très variable dans le temps. Tel sénateur de passage, chargé dune mission dévaluation qui ne veut pas pour x raisons participer au dîner organisé par lambassadeur en lhonneur dune personnalité éminente également de passage est pris en charge par le secrétaire général de lambassade, seul disponible pour assurer cette mission. Presque tout le monde doit être capable à tout moment de boucher les trous. Dans ces conditions, il est parfois difficile dans ces conditions de reprendre « sa » place et de ne pas penser que lon peut prétendre à autre chose quà la mission assignée. La définition des postes, quel que soit le niveau auquel on se situe repose sur une sorte de norme moyenne où les routines ont une place prédominante. Cela savère pertinent dans un certain nombre de tâches : les rédacteurs en Centrale, par exemple (cela ne veut dire en aucun cas que le travail est facile à réaliser !). Mais cela ne fonctionne pas bien dans un régime qui repose sur lexception. Une ambassade gère quasiment en permanence des aléas et des urgences. La réponse adaptée à lévénement implique une capacité de mobilisation qui a raison des frontières imposées à lorganisation du travail. Dans telle ambassade, lattachée de presse ne se contente pas délaborer une revue de presse quotidienne et dentretenir des relations avec les journalistes. Le cas échéant, elle fait une note politique sur tel ou tel sujet, repère les personnalités « montantes » empiétant ainsi sur le rôle assigné au conseiller politique, voire sert de traductrice si la langue du pays est peu maîtrisée par les diplomates.
À de rares exceptions près (les militaires, les chiffreurs
), les métiers sont clairement identifiés autour dun noyau dur correspondant à la prise en charge de certains dossiers spécifiques : lagriculture, le social, le consulaire, etc. Mais chacun de ces métiers est entouré dun halo, dont le périmètre est flou et qui dépend à la fois des compétences plus ou moins larges du détenteur du poste et de la sollicitation qui lui est faite, dagir à la périphérie de sa compétence. Le contexte joue un rôle très important. On nest pas sollicité de la même manière en ambassade et en Centrale, ce qui donne le sentiment que les emplois sont plus ou moins standardisés selon leur lieu dexercice.
Toutes les ambassades ont la même organisation formelle. Tous les postes y sont définis de la même manière, même si tous ne sont pas présents selon la taille de lambassade. Les réunions de service se déroulent partout avec le même ordre de prise de parole, confirmant ainsi la hiérarchie officielle dimportance des fonctions. Dans leur fonctionnement interne, toutes les ambassades se ressemblent. Rien dexceptionnel à cela, ce que démontre lapproche institutionnelle des organisations. En effet, tout concourt à ce que les ambassades et les représentations se ressemblent : elles remplissent les mêmes buts, font travailler des hommes et des femmes formés de manière identique pour exercer leur métier, sont gérées de la même manière. Ce mimétisme organisationnel est aussi très fonctionnel. La mobilité instituée des personnels est congruente avec cette homologie des organisations. Les points de repère fixes permettent une adaptation au travail à effectuer très rapide des fonctionnaires mobiles. Le formalisme de lorganisation, les rituels sont des facteurs puissants de coordination du travail. Mais ressemblance ne veut pas dire clonage. Lair de famille nefface pas les différences de personnalité.
Les différences observées tiennent en premier lieu à des facteurs de contingence. Pays daccueil, taille de lambassade, ancienneté de son installation, prestige des locaux, etc. expliquent nombre de ces différences. Plus importante sans doute est lalchimie singulière qui se noue au sein dun collectif éphémère. Dune certaine manière, une ambassade est une énigme organisationnelle. Entre le début et la fin de son mandat, il est très probable que son chef se trouve à la tête dun effectif dont une bonne moitié aura été renouvelée par un personnel quil na souvent choisi que par défaut à moins quil ne lui ait été imposé. Une différence très importante entre les ambassades ou représentations observées à ce jour tient au poids des « locaux ». En règle générale, ces derniers sont stables, dautant plus quun effort est désormais fait pour stabiliser leur situation (contrat de travail en règle, ce qui na pas toujours été le cas). Dans tous les postes observés, ils soccupent de lintendance : chauffeurs, cuisiniers, secrétaires mais aussi archivistes, rien dexceptionnel à cela. Par contre, le poids quils occupent dans les fonctions exercées traditionnellement par des « expatriés » est croissant dans certaines ambassades, notamment, sans doute, dans des pays dont la langue est peu pratiquée en dehors du territoire. Si ces locaux sont stables, cest avec tous les avantages et les inconvénients que cela représente. Ils deviennent ici la mémoire de lorganisation, jugent à partir dun point fixe et par comparaison ceux qui passent. Ils savent faire le gros dos en attendant la fin de la tempête, parce quils savent que cette fin est programmée. De ce point de vue, la différence est forte entre les postes bilatéraux et les postes multilatéraux, épargnés par cette politique de recrutement. Quant à leur statut, quel que soit le poste de responsabilité quils occupent, et même sils sont de nationalité française, il ne leur donnera jamais le pouvoir reconnu aux expatriés. La subordination quimplique un contrat de travail de droit privé na rien à voir avec le devoir dobéissance, inclus dans le statut de la fonction publique. Compte tenu des spécificités organisationnelles des ambassades, la pondération entre effectifs locaux et expatriés repose sur un point déquilibre qui mérite dêtre réfléchi et approfondi dans les investigations à venir.
Ce dispositif composite implique un pilotage plus sophistiqué quil ny paraît à première vue. Il explique aussi en partie le poids considérable du « sommet » de la hiérarchie. Seul lambassadeur a une visibilité. Visibilité extérieure, cela va de soi, puisquil est seul habilité à représenter officiellement la France, à délivrer son message. Visibilité interne aussi car, au moins dans les postes bilatéraux, cest son agenda qui rythme le travail du cur de lambassade même si, par ailleurs, les services culturels et économiques peuvent avoir leur vie propre. Ajoutons que lagenda de lambassadeur lui est aussi largement imposé par des événements sur lesquels il a peu de maîtrise. Le problème est différent dans les représentations permanentes où le rythme est imposé par lorganisation qui les accueille et où lorganisation interne de lambassade doit se plier aux contraintes qui lui sont imposées. Conseillers et experts issus de différents départements ministériels participent aux diverses commissions, aux groupes de travail rassemblant, selon leur importance, des acteurs de différents niveaux. Le travail de coordination en amont est là beaucoup plus important et les éléments de langage servent à cadrer lintervention de chacun.
Le fonctionnement interne de lambassade repose sur un binôme : lambassadeur et le premier conseiller. Il repose également sur lexpertise propre de chacun des acteurs qui contribue à lactivité collective. Certains services jouissent dune autonomie plus forte que dautres en raison de leur dépendance institutionnelle. Le service économique, souvent situé à lextérieur de lambassade est évalué au moyen dindicateurs élaborés par le ministère des Finances dont il dépend. Le service culturel a une inertie propre liée, le cas échéant, aux fonctionnements des institutions dont il a la charge. Pour leur grande majorité, ses membres sont issus de lÉducation nationale. Les missions des services consulaires leur imposent des contraintes de fonctionnement spécifiques. Enfin, les militaires disposent également de leur domaine dexpertise réservé, tout comme les antennes de la DGSE. Reste le noyau dur des conseillers, du service de presse, du chiffre : la chancellerie. Sous lunité de lemballage se cache donc un dispositif composite, dont la tendance naturelle est à lentropie. Il revient à lambassadeur et au premier conseiller de faire travailler ce dispositif, de construire une cohérence entre les actions menées par ses différentes composantes, les politiques sectorielles aussi bien politiques, économique ou militaire contribuant à fournir autant que faire ce peut, une image unifiée de la politique française.
Dans les différents postes observés, le mode de coordination du travail est assez semblable. Les réunions de service servent à la fois à mutualiser les informations sur des résultats obtenus et à programmer les activités à venir. Lambassadeur procède par mandats confiés à un ou à plusieurs en vue dun objectif plus ou moins rapproché : la visite dun ministre, telle manifestation, telle action à conduire. Il revient au premier conseiller le soin de veiller à la réalisation concrète de chacun de ces mandats ; de préciser et de décliner avec chacun, le cas échéant, la marche à suivre ; de veiller aux échéances fixées ; daider à résoudre les difficultés imprévues. Il a la lourde charge de lisser le dispositif pour ne présenter à lambassadeur quun produit fini. De même, il lui revient le tri des télégrammes pour ne transmettre à lambassadeur que les plus importants. Il doit aussi gérer le personnel, régler les éventuels conflits de territoire et de susceptibilité. Il lui revient de plein droit le fameux « sale boulot » dont parle Everett Hugues. « On ma dit, quand jai été nommé : tu verras, il y a dieu et tu es sous dieu. » Sous dieu ou demi-dieu ? Le système ne peut marcher, que sil existe une très grande confiance entre les deux hommes, bien quils ne se soient pas toujours forcément choisis. Le premier conseiller a de fortes probabilités de devenir à son tour ambassadeur, lambassadeur a souvent lavantage de lavoir été, mais le passé peut soublier. La place très singulière de lambassadeur conduit chacun à ne vouloir avoir à faire quà lui. Le système hiérarchique en place peut se heurter aux stratégies des uns et des autres. Ici, cest le conseiller économique qui ne veut avoir à faire quà lambassadeur. Là, cest le consul qui déplore le manque de considération dont il estime être la victime. Ailleurs, cest le secrétaire général qui revendique une importance similaire à celle du premier conseiller. On le voit bien, la définition des métiers ne suffit pas à en épuiser le contenu. Le poids des personnalités est considérable et le personnel apprécie très vite les moindres failles existantes dans les relations de confiance : « Lambassadeur et le premier conseiller étaient en concurrence, ça se sentait ! Ça rend le travail beaucoup plus difficile ! ». Au-delà des missions propres de lambassadeur, faire fonctionner une ambassade est un exercice particulièrement difficile. Sa réussite repose beaucoup sur la compétence des agents, sur leur investissement : lune et lautre sont remarquables dans les cas observés. Limportance de la personnalité, des « qualités personnelles » des « responsables » jouent un rôle prégnant que lon observe rarement dans dautres organisations. Ces dimensions sont difficiles à prendre en compte dans la définition dun métier.
E) Les représentations permanentes auprès des organisations multilatérales
En 1999, la diplomatie multilatérale (conférence, négociation, discussions) occupe entre la moitié et les deux tiers de laction diplomatique. Le travail de négociation autour dune table « où il se passe quelque chose » occupe une place centrale du travail en multilatéral, qui a, comme le bilatéral, ses adeptes inconditionnels. En période de restriction budgétaire, les services consacrés à la politique européenne ont vu leurs effectifs croître rapidement. Une grande Représentation permanente (RP), comme celle auprès de lUE est en contact permanent avec Paris, jusque tard dans la soirée. Près de 20 000 Coreus sont échangés chaque année avec les correspondants européens. La RP auprès de LUE compte 150 agents et 2 000 experts y passent chaque année. Les différents conseils et autres réunions génèrent près de 400 passages de ministres par an. La technicité et la promptitude des décisions prises à Bruxelles exigent une grande compétence. Dans les COREPER (et surtout le I), les ordres du jour et les thèmes abordés ressemblent à de véritables puzzles ou des inventaires à la Prévert. Si le SGCI (maintenant SGAE) est la source principale des instructions, il reste à la RP à jauger les niveaux de contraintes que représentent les positions non validées, les documents internes, les messages non signés et à jouer les Janus intermédiaires entre lUE et Paris. Tout va très vite et cela produit parfois le sentiment dun certain isolement entre les étages de la représentation permanente (RP).
La RP auprès des Nations Unies a perdu la première place. Pour le RP, près de 60 % de sa charge de travail est liée au Conseil de sécurité (le nombre de résolutions votées est passé de 2 en 1954 à 60 en 1998). À la RP et à lONU, du fait des sessions de nuit, le décalage horaire avec Paris, lactivité et lagitation sont quasi permanents, fax et instructions de Paris arrivant régulièrement entre les multiples rendez-vous et réunions. Mais la patience est aussi nécessaire : tout est palabre, langue de bois, lentes négociations au mûrissement incertain
Parfois, une mobilisation générale est décrétée dans tous les postes, pour faire passer une position française pourtant minoritaire.
Il nexiste aucune uniformité dans les autres RP, même si « la mécanique reste la même : grand-messe annuelle, encycliques, liturgie des comités et sous-comités, résolutions adoptées ou rejetées, fréquent tutoiement entre les délégués ». Mais lambiance et les sujets varient fortement suivant la spécialité : militaires à lOTAN, intellectuels et artistes à lUNESCO, etc.
Létude a porté sur deux RP bruxelloises et ne peut être étendue à toutes les RP. Il a toutefois été tenté de généraliser ces observations, qui devront être complétées par des études sur dautres postes multilatéraux.
Daprès les personnes rencontrées, le multilatéral serait un métier différent du bilatéral : « Trois choses sont différentes, la première, cest que ce sont des choses concrètes, très concrètes, parce que cest un travail, jallais dire, plus concret que le travail que lon peut faire en ambassade bilatérale, en ce sens que vous participez directement à la négociation, vous êtes un acteur des négociations, et ça débouche sur des choses très concrètes, cest-à-dire qui changent la vie des gens
cest ça qui me plaît. Et vous avez votre imput direct, cest-à-dire que quand vous demandez quelque chose, etc., vous voyez ce que vous avez gagné parce que ça se retrouve dans le règlement ou la directive, ou dans les conclusions qui, après, vont elles-mêmes entraîner des directives, donc ça, cest la première chose. La deuxième chose, cest que cest une sorte de jeu aussi, cest amusant, cest un jeu, comme une sorte de feuilleton : quest-ce qui va se passer la prochaine fois, etc. La troisième chose, cest quil y a aussi
, ce nest plus du travail pur, cest-à-dire quil y a moins de mondanités quen travail bilatéral. Et intellectuellement aussi, cest plus satisfaisant, parce que ce sont des questions complexes au cur de lactivité du gouvernement et pas uniquement au niveau des Affaires étrangères, au cur de lactivité du gouvernement, et sur lesquelles vous avez une prise réelle, parce que cest vous qui négociez, vous assistez le ministre qui est à côté de vous, parce que vous, vous préparez les décisions, donc, vous êtes vraiment une partie, vous êtes un maillon du législateur, donc ça, cest très, très satisfaisant, vous avez une prise sur une machine qui produit quelque chose, qui produit des lois, des directives, des programmes, qui a cent milliards deuros par an de moyens financiers, donc cest quelque chose de très tangible » (conseiller des Affaires étrangères).
Des audiences restreintes
La première particularité du travail diplomatique en multilatéral est que les diplomates y travaillent et sont en contact avec un auditoire externe restreint, spécialisé et bien délimité, essentiellement celui de leurs homologues étrangers : le représentant permanent est en contact régulier avec les autres représentants permanents, les conseillers politiques ou techniques avec les autres conseillers sur les même thèmes, etc.
Et dans le temps qui nest pas passé en négociations officielles, il faut faire un travail de lobbying et de recherche dinformations. « Cest dabord inviter à déjeuner, créer des liens personnels, cest beaucoup discuter avec les collègues du groupe de travail, et puis parler avec des partenaires institutionnels, la Commission, et donc là, cest discuter dans les couloirs, aller voir les gens. Il est extrêmement important de bien connaître ses collègues du groupe, dune part, parce que la négociation, cest quand même une relation interpersonnelle : si votre collègue ne peut pas vous encadrer, quand vous avez des positions conciliables, il ne vous soutiendra pas et si vous avez un avis opposé, il va vous enfoncer ! Donc, il faut essayer davoir de très bonnes relations et notamment avec ceux qui ont lhabitude davoir des positions très opposées, comme ça, vous arrivez quand même à lui dire je comprends ta position, mais ma capitale me demande de faire ça, ils vont mengueuler. Et si ils vous aiment bien, en général, ils essaient de trouver une solution. Et puis, il faut connaître des gens un peu stratégiques à la Commission, qui vont être capables de vous raconter des choses
».
En interne également, les contacts sont limités par la division du travail en services spécialisés sur des thèmes précis (« chacun a un portefeuille dont il est responsable ») et les agents déplorent parfois le fait de ne pas avoir le temps de connaître leurs collègues des autres services. « Cest vrai que les uns et les autres, on est tous pris par des réunions à droite, à gauche, etc., donc on se voit très rarement en fait, collectivement » (conseiller spécialisé). Les réunions sont courtes et peu nombreuses pour gagner du temps et les contacts se font beaucoup par téléphone ou mail, bien que tous les bureaux soient rassemblés dans le même bâtiment. Les représentants permanents et leurs adjoints (Antici et Mertens à la RP auprès de lUE) jouent le rôle de synthèse et sont les seuls (avec les services administratifs et techniques) à être en contact avec tous les services.
Les instructions viennent de la Centrale et les contacts avec les partenaires économiques, les groupes dintérêt, les parlementaires sont faits en principe par Paris, qui a pour rôle dassurer les arbitrages éventuels. Toutefois, les conseillers ayant un peu dexpérience peuvent, sils en trouvent le temps, développer un peu leurs contacts avec les groupes dintérêt. Mais ce nest pas la norme dominante. Toutefois, il existe une tendance récente, à la demande notamment des instances politiques, surtout pour lUE, à élargir les auditoires : « Maintenant, ce quon essaie de faire, cest à la fois de faire connaître notre action, vis-à-vis de la presse, vis-à-vis des Think Tanks, bon et puis, on essaie dappliquer les consignes politiques qui sont de tenter de rapprocher lEurope des citoyens » (conseiller des Affaires étrangères).
À lOTAN également, les « audiences » sont construites par lorganisation englobante (lOTAN) et ces audiences sont affectées à des conseillers. Il existe probablement une hiérarchie des audiences. Les enjeux de certains groupes de travail sont sans doute plus importants que dautres et on confie les plus complexes aux conseillers les plus expérimentés.
Laudience de lambassadeur est essentiellement constituée du secrétaire général et de tous les autres ambassadeurs. « On est tout le temps ensemble. Quand on voyage, je suis toujours assis à côté du même collègue, puisquon est installé par rang dancienneté. »
À côté de lambassadeur, il existe un représentant permanent adjoint qui joue en dautres lieux le rôle de premier conseiller. Comme ailleurs, et on trouve là un trait commun à lorganisation de toutes les ambassades : il a la charge de faire vraiment tourner la maison. Il coordonne et suit le travail des conseillers, veille à ce quils disposent des « éléments de langage », suit tous les dossiers. À la RP auprès de lUE, toutefois, le représentant permanent adjoint ne peut pas être totalement comparé à un numéro deux dambassade, ce rôle étant en partie délégué aux conseillers Antici et Mertens.
Une organisation du travail fortement contrainte par lorganisation internationale
Le travail est rythmé par celui du conseil européen ou de lOTAN. Il y a des périodes dactivité très intenses comme les Conseils des ministres, les Sommets qui demandent une forte préparation et un travail plus « routinier », mais intense, de suivi des différents groupes de travail et des COREPER. La position spécifique de la France, tant au sein de lUnion (membre fondateur et moteur, mais fragilisé par le non au référendum) que de lOTAN (position souvent dopposition aux américains) fait quil faut cependant en permanence être sur le qui-vive, connaître parfaitement ses dossiers. Dailleurs, les uns et les autres ont le sentiment de travailler sur des dossiers très importants. Ce sentiment est accentué par la présence, dans les grands médias français, du résultat des négociations en cours. Cette importance est aussi avivée par le souci permanent de lOTAN accordé à la sécurité, sécurité des bâtiments et des personnes mais surtout sécurité du secret.
Mais le travail au quotidien est structuré par de longues négociations formelles, leur préparation et les comptes rendus. « La charge de travail, elle est énorme. On essaye de venir avant neuf heures, ça, ça dépend de létat de la forme, et on ne part pas avant 21 heures, 22 heures voire 22 h 30. Donc, cest vraiment en continu et moi, souvent, je rogne sur mon déjeuner. Donc, on fait des journées en continu. Après, il y a deux semaines-types différentes, il y a les semaines de préparation de Conseils des ministres européens, donc une échéance de niveau supérieur. Donc là, vous passez votre temps en groupes de négociation, celui dont vous êtes membre, et puis vous participez également aux enceintes qui sont au-dessus de vous et qui vont préparer les conseils, le COREPER. Donc, vous vous déplacez et vous assistez jusquà la fin, ça peut être 9 h. Dans les COREPER, on arrête à 9 h à cause des interprètes, mais dans les groupes de travail, il ny a pas de limite. [
] Ça, cest la semaine tunnel. Et la semaine dite normale, quand vous navez pas de grandes échéances à préparer, et que vous avez, entre guillemets, juste vos groupes de négociation à gérer, à ce moment-là, on a juste deux groupes par semaine, donc on peut appeler Paris avant pour avoir les instructions et essayer dinfléchir les instructions dans le sens que vous souhaitez, parce que, des fois, vous pouvez avoir une position plus ou moins radicale et donc vous expliquez à votre capitale pourquoi vous ne pouvez pas obtenir ça.» (conseiller politique). Le même rythme de travail se retrouve pour de nombreux conseillers.
La collaboration interministérielle
Une autre particularité des deux postes multilatéraux bruxellois, cest que le travail est partagé avec des experts venant dautres ministères (essentiellement des militaires à lOTAN).
De lavis général, cette coopération se passe bien et est plus efficace que dans les postes bilatéraux où les différents services peuvent apparaître comme cloisonnés. « Quelque chose que jaime beaucoup ici cest que justement cest pluridisciplinaire, il y a des gens vraiment, vous avez des conseillers détat, des ingénieurs des Ponts, des télécoms, des ingénieurs, des juristes, des économistes, etc., des vétérinaires, des agronomes, vous avez vraiment un
cest larche de Noé de ladministration ici, en quelque sorte, et ça, je trouve ça très intéressant justement de vivre et de travailler avec tous ces gens qui ont cette espèce de palette, et que je ne consulte pas simplement, enfin que je ne vois pas simplement pour leurs dossiers, mais ça veut dire aussi que jai un expert dans ce domaine, donc, si jai un problème en matière denvironnement qui se pose (tiens il y a un problème agricole, etc.), je peux appeler lagronome aussi, vous voyez ce que je veux dire, donc, ça permet vraiment davoir justement des tas de talents très différents, de ne pas avoir une seule culture, parce que vous avez des énarques, des polytechniciens, enfin des gens des grands corps de métiers, etc., donc vous avez différentes cultures et cest ça qui fait la richesse de la RP, parce que vous avez ici, cette richesse formidable de variétés de compétences, avec des gens qui ont tous la trentaine, qui sont les meilleurs de leur génération » (conseiller des Affaires étrangères).
Daprès les conseillers appartenant à dautres ministères, la culture partagée du résultat, de la négociation et de lefficacité parviendrait à gommer les éventuelles divergences. « Cest un des rares endroits en France, enfin dans ladministration française où, entre guillemets, les conflits, les petites rivalités entre ministères, sont quand même en grande partie gommés, on travaille tous pour la même maison, pour la défense des mêmes intérêts » (conseiller spécialisé).
À lOTAN, toutefois, où la coopération est bipolaire, les risques de conflits sont plus importants. La Délégation comprend deux sections, une section politique et une section militaire. Il existe aussi une représentation militaire avec, à sa tête un général ayant le titre de représentant militaire. Il y a parfois eu des dissensions entre le représentant militaire et lambassadeur. Cela ne sest jamais produit avec lactuel ambassadeur, mais cela se serait produit par le passé. En cas de désaccord, larbitrage entre les positions est opéré par lÉlysée. Cet exemple abstrait permet de montrer que, dans un régime démocratique, le militaire est certes, soumis au politique, mais quil nen garde pas moins une certaine autonomie dopposition, jusquà bénéficier dun arbitrage au sommet. Le général représentant militaire peut sopposer à linterprétation dun conseiller politique sur un problème technique. Dans tous les cas, toutefois, « il est inconcevable que la dissension soit publique. » Lautonomie de la représentation militaire porte, semble-t-il, sur tous les aspects strictement militaires, notamment lorsque les troupes de lOTAN sont engagées sur le terrain.
Un travail très spécialisé, mais aussi très encadré
À la RP auprès de lUE ou de lOTAN, la division du travail est plus forte quailleurs et fondée sur les compétences techniques et lexpertise (moins de profils généralistes que dans les autres postes). Mais peut-on pour autant parler dune « bureaucratie professionnelle », au sens de Mintzberg (où chaque groupe dexpert serait autonome et responsable sur sa part technique de lactivité) quand le travail est à ce point déterminé par lOrganisation internationale concernée et préparé à Paris par les services compétents ? Le travail des experts en multilatéral est paradoxalement plus « other directed », prescrit, que le travail des généralistes en bilatéral, plus « inner directed », autonome et lié aux initiatives locales. « On nest jamais tenu comptable, parce que la hiérarchie nous couvre ! À Bruxelles, vous négociez en fonction des instructions quon vous a données » (conseiller politique).
Toutefois, quand les centres de décision ne sont pas sur place, la difficulté est dadapter en permanence les instructions aux évolutions de la situation. « Donc, ce que vous faites, cest : vous essayez davoir les instructions pour négocier et souvent les instructions se font en temps réel, cest des choses extrêmement compliquées comme ce que jai fait lundi dernier ou vous êtes tout le temps avec Paris au téléphone, il faut que vous ayez un compromis, il faut appeler pour dire voilà la situation maintenant. Et ensuite, après tout le temps que vous avez passé à négocier, vous devez rendre compte. Et le problème, cest que si vous avez une négociation qui a duré un peu longtemps, eh bien, votre compte rendu il prend votre soirée » (conseiller politique).
Cette situation de dépendance vis-à-vis de Paris est parfois jugée négativement, notamment par les experts extérieurs au MAE, dont lintérêt pour la « négociation pure », « le jeu » nest pas assez important pour accepter de sen tenir aux seules instructions de Paris : « Le B. A. BA, cest dêtre proactif et réactif, les deux à la fois, pour sadapter à tout changement, et si possible les anticiper au maximum, doù limportance des contacts bilatéraux quon peut avoir par téléphone ou autre, sans arrêt rester en éveil, et essayer daller puiser linformation en amont pour informer Paris, alimenter Paris, en disant : Attention, la situation est en train de changer, enfin, là, je peux bien vous en parler, car jai un dossier, cest exactement ça en ce moment, donc Attention, telle délégation est susceptible de changer sa position, léquilibre est susceptible dêtre modifié boum il faut réagir, donc, Donnez-moi vos instructions ou est-ce que vous êtes daccord si on fait ci, ou si on fait ça, bon après, cest en bonne intelligence avec le SGAE, avec le ministère en disant bon Donnez-moi votre feu vert informel, ou autre, parce quon na pas besoin forcément dun télégramme dinstructions en bonne et due forme, mais cest vrai que là, on est les seuls à pouvoir leur donner ce signal, parce que vu depuis Paris, cest vrai que ça fait loin Bruxelles, et parfois, selon les sujets, la définition dune position interministérielle est très difficile à élaborer, donc une fois élaborée, cest quasiment gravé dans le marbre, et donc eux, ils considèrent que ça y est, le travail est fait, on a notre position française, et après tout va bien. Or ici, le temps que la position française soit définie, le sujet peut avoir évolué de une, deux ou trois phases déjà, doù limportance de les alimenter en temps et en heure, si possible de façon anticipée et, en bonne intelligence, de définir ou darriver à adapter ou à moduler la position, pour sadapter, en fait, à lévolution de la discussion » (conseiller spécialisé).
Le travail de négociation peut aussi sembler parfois routinier, voire ennuyeux. Dans les COREPER ou les groupes de travail, certains textes traînent et reviennent régulièrement pendant de nombreux mois. Si lon ne se prend pas au jeu de la négociation, le sentiment de faire un travail fastidieux et peu utile arrive vite : « Le multilatéral, le problème cest quon perd énormément de temps sur des bêtises, on perd énormément de temps à discuter de textes, alors, cest encore plus vrai aux Nations unies. Cétait rigolo, car la négociation cest drôle, voilà, et puis bon, si on choisit la diplomatie, généralement, cest quon aime la négociation, mais, le fruit de tout ça, cétait quand même pas, enfin moi, je ne ressentais pas ça comme dune très grande portée. Et on a parfois la même chose à lUE, surtout maintenant, où à vingt-cinq, cest une grosse machine, vous verrez, le COREPER, cest une espèce de truc où il y a cent personnes dans la salle, et parfois, on passe des heures à discuter vraiment daffaires de corne-cul, passez-moi lexpression. »
À lOTAN également, le travail est très fortement prescrit. Le secrétaire général de lOTAN souhaite être prolongé jusquen 2009 afin de pouvoir fêter lanniversaire de la conférence de Washington : « Les Américains sont daccord. On demande à Paris la position de la France ». Un dossier difficile est évoqué ; ladjointe de lambassadeur précise quelle distribuera les éléments de langage. Ce cadrage très fort pourrait donner le sentiment quil nexiste aucune marge de manuvre. Alors, pourquoi mettre des fonctionnaires ayant des formations aussi longues et coûteuses sils ne sont que des rapporteurs de consignes ? Sans doute parce que cest dans un tel contexte que sexprime vraiment une certaine conception de lart de la diplomatie. Et puis, il y a manière et manière de dire les choses, surtout quand il sagit de dire que lon nest pas daccord. Il y a le moment de les dire : « Tout le monde attend la position de la France. » Il y a aussi tout un travail à effectuer pour trouver des alliés sur chaque position, les alliances nétant ni systématiques, ni universelles. Il est difficile de travailler dans un milieu hostile, dominé par un acteur qui a les moyens dimposer sa volonté. « Les Américains ont des positions extrêmement rigides et ne font aucune concession. Cela ne tient pas seulement à lactuelle Administration. Jai rencontré Madame X, Démocrate, qui a exprimé des positions aussi rigides que celles des Républicains. Ils ne peuvent entendre un désaccord. Cest extrêmement difficile. » Larrivée des pays de lEst déséquilibre des rapports de force soigneusement construits. Il faut recommencer le travail, sécuriser les alliances. Bref, cest sans doute dans de tels contextes que se donne le mieux à voir le grand art de la diplomatie.
F) Le travail consulaire
Avant de pointer ce qui fait les caractéristiques du travail consulaire, il paraît nécessaire de rappeler quelques éléments organisationnels et démographiques susceptibles déclairer la position des consulats ou sections consulaires au sein de la hiérarchie morale du travail du MAE. Lactivité consulaire consiste essentiellement en un travail de réception dusager, de courrier et de traitement de dossiers (actes détat civil, pièces didentité, visas, bourses, assistances ponctuelles). En cela, lactivité est souvent comparée à celle dune mairie ou dune petite préfecture. Pour lessentiel, les tâches sont effectuées par des agents de catégorie C, encadrés par des agents de catégorie B. Les agents recrutés localement y sont souvent majoritaires (en tous cas pour les postes étudiés) et ce sont eux qui sont le plus directement en contact avec le public (accueil, réception) pour des activités de « front office ». Le travail de « back office » (au sens de lanalyse des dossiers) et la prise de décision finale (notamment pour lattribution des visas), sont effectués par les titulaires.
Les trois consulats observés sont différents tant par la taille, le cur de lactivité que par leurs rapports avec lambassade. Néanmoins, au-delà de ces différences, et peut-être même les expliquant, ce qui détermine lactivité dun consulat, cest le public auquel il sadresse. On peut dire ainsi que les agents définissent leur métier comme étant « au service du public ». Cest lui qui, par ses demandes, ses exigences, ses pratiques donne le rythme du consulat et ses cadences quotidiennes. Enfin, ce sont les catégories de public auxquelles le consulat sadresse qui fondent la nature de lactivité et les pratiques des agents qui les servent.
Au service du public
De façon unanime, les agents, titulaires ou recrutés locaux, se disent être au service du public. Ils ont des « devoirs » envers les usagers. Ils se disent « être là pour
» eux, les accueillir, éviter de les faire attendre, les aider, les renseigner et finalement leur donner satisfaction. Les agents sassocient régulièrement, étant Français à létranger eux-mêmes, à ces compatriotes quils accueillent. Quant aux étrangers à qui ils délivrent des visas, il est important pour eux de les servir correctement, car cest par lefficacité de leur travail que se joue finalement « limage de la France ».
Ainsi, cette notion de service public est-elle très directement rattachée au sentiment davoir à représenter dignement la France à létranger. La comparaison du service rendu avec celui offert par les consulats des autres pays est régulière. Elle manifeste une revendication dun travail bien fait, consciencieusement et efficacement.
Ce devoir de service public est également celui des consuls qui lassument à un autre niveau. Ils revendiquent une fonction de représentation auprès de la communauté des Français expatriés. Le point dhonneur quils mettent à célébrer le mariage de Français expatriés considérés comme des personnalités importantes (de par leurs fonctions professionnelles) ou à organiser une réception du 14 juillet conviant les membres éminents de la communauté française sont autant de signes de cette volonté dassurer pour les Français sur place une présence, un lien, un symbole.
Le public donne le rythme
Cest ce public à « servir » qui détermine lactivité des agents. Les usagers se présentent à laccueil, téléphonent, confient leur dossier, veulent des passe-droits, etc. Des files dattente se forment, les dossiers sentassent, des pressions et interventions diverses proviennent des supérieurs hiérarchiques ou des personnalités influentes, dans le but daccélérer un dossier ou de favoriser une décision. Il faut aller vite pour éviter que les usagers simpatientent ou sénervent dans la salle et traiter les dossiers pour que les bannettes ne débordent pas et quon ne puisse tenir les délais promis. « Il y a des jours, selon nos difficultés perso, on ne se sent pas pour faire le public. Alors, si on peut, on ne le fait pas, cest physique. Le consul nous dit : Il faut durer, mais si on cumule le retard, ça nous rajoute du stress. Ça se cumule, les gens appellent. Moi, je ne peux pas imaginer une armoire pleine de dossiers. » « Et en plus, rajoute une agente présente, il y a un côté humain. Ce sont des individus ; il ne faut pas quon les bloque à une frontière. » « Et puis, reprend le premier agent, cest limage de la France. Cest parfois même la première image quils en ont. On a des plaintes, mais aussi des compliments sur notre qualité. La qualité, cest ouvrir à lheure pour permettre le traitement des dossiers le plus rapidement possible » (agent consulaire B).
On pourrait caractériser cette situation par le terme de « pression du public », largement entendue au cours des observations. Elle na rien dexceptionnel par rapport à dautres organisations de service, dans lesquelles les usagers sont en contact direct ou rapproché avec les agents (CAF, La Poste, Commissariats, etc.). Néanmoins, la situation spécifique du consulat, enclave française isolée en terre étrangère, semble renforcer le sentiment de proximité avec les usagers. Il est vrai que les agents sont eux-mêmes ces « Français à létranger », « représentant la France à létranger ». Les relations quils nouent dans leur vie privée leur rappellent sans cesse ce statut et les inscrivent dans cette communauté quils servent ou représentent. Le public semble, à ce titre, plus sacré, et la pression quil occasionne (ou plutôt que se donnent les agents) plus forte. Néanmoins, nous verrons plus loin que ce constat est à nuancer : comme dans toute relation de service, le public est aussi jugé, catégorisé et remis à sa place dès que sa présence menace les pratiques professionnelles.
Cette pression du public a deux conséquences majeures : la première concerne les cadences de travail ; la seconde, lorganisation des lieux et du temps mis en place pour les limiter.
Cadences
Lactivité des consulats est réactive et non proactive. Elle dépend des demandes du public, difficilement régulables. Les usagers ont leurs propres urgences (qui ne sont pas celles du consulat). Ils nanticipent pas suffisamment les délais pour obtenir un passeport ou un visa et reprochent ensuite aux agents de ne pas pouvoir les servir « à temps ». Leurs demandes suivent également une saisonnalité (vacances du pays).
Une grande partie de lactivité du consulat consiste à réguler ces demandes du public, soit, en mettant en place des procédures adéquates (prises de rendez-vous par téléphone, par exemple) ; soit, en embauchant du personnel supplémentaire. Malgré ces ajustements, le personnel se sent en permanence « sous pression », au bord de la « rupture ».
Organisation des lieux
Dans ce contexte, les stratégies de limitation de la pression du public sont courantes. Elles concernent principalement laménagement des lieux, de façon à créer des frontières symboliques ou réelles pour garder les usagers à distance.
Par exemple, dans un des consulats, la salle dattente des visas est déjà équipée dhygiaphones. Mais ces derniers ne permettent pas déviter le regard inquisiteur et suspicieux des usagers. Les agents ont donc demandé linstallation de rideaux, pour se protéger de cette pression du regard : « Ya toujours cette pression. On essaie de se préserver. »
Dans un autre consulat, la file dattente des demandeurs de visa est à lextérieur des locaux et cest un vigile qui laisse entrer les usagers, veillant à ne pas surcharger lintérieur de la salle. Seuls les agents au guichet sont visibles derrière les hygiaphones : les agents en back-office sont séparés deux par des paravents.
Une autre stratégie consiste à réguler les flux dusagers en instaurant des rendez-vous obligatoires ou des plages horaires. Pourtant, cela nempêche pas certains usagers de se présenter en urgence, ou en dehors des créneaux qui leur sont réservés. Par exemple, dans un des consulats, les usagers se présentent avec un mois davance sur leur rendez-vous, feignant de sêtre trompés. Cest alors aux agents daccueil de rappeler aux usagers les règles de ladministration. Les interactions qui sen suivent ne sont pas toujours faciles, puisquelles confrontent des attentes différenciées, celles des agents avec celles des usagers. « Des fois, ça se passe très mal. Ils nous insultent : je me suis fait traiter de raciste devant tout le monde. Les plus virulents sont ceux qui ne sont pas en règle avec leur dossier. Ou alors, cest les préfectures qui ne répondent pas. Mais cest toujours nous qui sommes responsables. Jai déjà eu des menaces : Vous avez de la chance que je men aille demain. Ou alors, jai été accusé de racisme. Mais je pense que les collègues en France ou en préfecture doivent avoir ce genre de réactions. Mais on la aussi de la part de franco-français : ils me disent : Je suis là depuis trente ans, vous me faites chier avec vos papiers. Cest un peu facile pour eux » (un agent daccueil, C).
Quelle que soit lorganisation des lieux ou du temps de réception, les interactions avec les usagers restent inévitables. En effet, linteraction est aussi le moment où lagent peut être confronté à la plainte de lusager : plainte sur le temps dattente, plainte sur la décision (un refus de visa ou de bourse par exemple), sur la qualité du travail, etc. Cest un sentiment « dusure », de « stress » que lon retrouve dans ces consulats. Ce sentiment est ouvertement exprimé et largement repris par les responsables consulaires pour justifier lamélioration des moyens mis à disposition par le consulat (moyens humains et matériels).
Catégories de public et définition du métier
Tous les consulats ne reçoivent pas le même type de public. La catégorisation actuelle mérite dêtre approfondie dans la mesure où elle na été établie quà partir de lobservation de trois consulats (une section consulaire et deux consulats généraux).
Il faut dabord distinguer les caractéristiques du public français : expatriés aisés appartenant aux classes sociales favorisées, Français installés de longue date dans le pays, bi-nationaux, expatriés dans des conditions précaires. Ces différences mettent les agents dans des positions sociales équilibrées ou déséquilibrées (dans un sens ou dans lautre) selon les cas, positions qui peuvent avoir des répercussions sur les représentations du métier. Si, dans certains cas, ils peuvent développer le sentiment dêtre dans une position « servicielle » vis-à-vis de compatriotes qui les dominent socialement, dans dautres, ils peuvent se sentir investis dune mission sociale face à des « gens paumés » quil faut aider. Ou bien, ils sestiment être gardiens de la loi en empêchant les fraudes se rapportant à la nationalité française. Dans chacun des cas, les agents développent une définition spécifique du métier et une représentation de lusager idéal. Pour les titulaires qui ont vécu dautres situations dans dautres postes ou qui ont reçu des formations à Nantes avant de partir, il peut y avoir un écart important entre le travail prescrit et le travail réel. Par exemple, dans un pays démigration, le travail détat civil peut être transformé en travail denquête, dès lors quil faut avant tout lutter contre les fraudes à la nationalité (mariages blancs, faux extraits dactes de naissance, etc.).
Il faut ensuite regarder les caractéristiques des demandeurs de visas et notamment la présence dun risque migratoire. Si dans tous les cas, la délivrance de visa se rapproche dune activité policière de contrôle, celle-ci est dautant plus fortement ressentie par les agents que le risque migratoire est fort. Le sentiment de « mal faire son travail » est alors vécu différemment. Quand le risque migratoire est fort, surgit la peur daccorder un visa à tort. Un malaise peut alors sinstaller chez les agents, lorsque des interventions de la hiérarchie ou dofficiels du pays (ministres, etc.) pèsent sur linstruction neutre des dossiers, car ils ne peuvent alors appliquer sereinement les directives professionnelles (instructions ministérielles). Quand le risque migratoire est plus faible, ce sont les refus et leur justification auprès des intéressés qui posent problème : les demandeurs sont souvent instruits, défendus par des avocats « procéduriers ». Peut alors survenir de façon injustifiée, la peur des plaintes ou simplement celle de « bloquer quelquun à la frontière ».
Ces constats, même incomplets à ce jour, montrent que la définition du métier, au sens de « ce quil y a à faire et de comment cela doit être fait » varie selon les consulats. Elle est dépendante du public et surtout de sa représentation par les agents. Cette représentation est elle-même au croisement dune représentation ancrée dans la mémoire de lorganisation et de représentations apportées par les titulaires et issues de leurs trajectoires précédentes. Elle est donc aussi à lorigine des malaises, notamment du sentiment de stress et de son expression.
G) Lactivité de lAdministration centrale à Paris
Les entretiens menés à Paris portaient davantage sur le métier de diplomate, ses contraintes et ses aspects positifs que sur lorganisation des services. De plus, dans chaque secteur, le nombre de personnes rencontrées est resté limité. Contrairement aux études menées dans les postes, il est plus difficile de rendre compte de façon précise et avec le recul, de lanalyse du travail dans son contexte institutionnel. En nous appuyant sur la littérature disponible et sur les descriptions du travail faites par les agents interrogés en centrale, nous pouvons tout de même avancer quelques éléments danalyse et hypothèses.
Qui décide au MAE ?
La politique étrangère de la France ne se limite pas aux sphères de décision internes. Le président de la République, le Premier ministre, les instances interministérielles (comme le SGAE) donnent les grandes impulsions et réalisent les arbitrages nécessaires. Plusieurs des diplomates rencontrés se sont plaints du poids trop important à leurs yeux de la cellule diplomatique de lÉlysée. Ce qui aurait, en outre, selon certains, leffet négatif de favoriser lexistence deffets de « phénomènes de cour » autour du Président et une coupure excessive vis-à-vis des informations et analyses produites par le MAE. Ces remarques doivent toutefois être tempérées dans la mesure où nombre de conseillers diplomatiques auprès du Président sont des diplomates de carrière pour lesquels cette expérience est loccasion dun échange dinformations et dun brassage dexpertise.
Le rôle joué par le ministre des Affaires étrangères dépend de sa personnalité et de ses rapports avec le Président de la République. Les appréciations portées par les diplomates sont variables, même si les ministres qui ne sont pas issus de la Carrière bénéficient généralement dune moins bonne image. Cette variation est souvent liée à des raisons politiques (certains citant plutôt comme « grand ministre », des personnalités essentiellement de Droite, dautres essentiellement de Gauche). Quelques critères communs sont toutefois avancés : Le « grand ministre » est celui qui sait défendre les intérêts et le budget du MAE, qui est capable de défendre avec panache la position de la France dans les grandes enceintes internationales, qui prend la peine découter ou de lire et en tient compte dans ses choix les analyses des directeurs, sous-directeurs, voire même rédacteurs sur des questions pointues, du Quai dOrsay.
Le cabinet du ministre a été critiqué par le rapport Picq (1993) pour son fonctionnement en circuit fermé. Doù les critiques de certains diplomates interrogés : « Les Américains, ils nont pas de cabinet, le ministre est en prise directe avec les directeurs, je ne vois pas ce quapporte le cabinet en plus. Le système français du cabinet, cela a été mis en place parce quon avait la continuité de ladministration, les directeurs restent quelle que soit la majorité au pouvoir, donc la courroie politique est le cabinet. Dans la pratique, à part les fonctions de relations avec le Parlement, la presse, les autres sont des conseillers techniques qui ne sont pas politiques, je ne vois pas la valeur ajoutée » (conseiller des Affaires étrangères). Ceux qui ont fait lexpérience du cabinet ont en général trouvé intéressante lexpérience, mais ont regretté le manque de temps et le travail dans lurgence. Les contraintes de réactivité et celles de lactualité internationale imposent en effet une très forte charge de travail.
La coordination entre les différentes directions est plutôt assurée par le secrétaire général (poste créé en 1914 pour Jules Cambon, qui ne pouvait plus être ambassadeur en Allemagne), dont voici les tâches :
le secrétaire général assiste le ministre dans lorientation générale et la conduite des affaires (décret du 2 novembre 1979) ;
il accueille des personnalités de passage, tient des consultations régulières avec ses homologues des principaux pays, reçoit les ambassadeurs étrangers, remplit des missions à lextérieur ;
il préside à lorganisation et au suivi de la mission des ambassadeurs et aux réunions dinstruction avant leur départ. Puis, après six mois, examine les « plans daction » que chaque ambassade doit présenter ;
il est le coordonnateur et larbitre des services, réunissant les directeurs au moins deux fois par semaine ;
il veille au bon fonctionnement du ministère ;
il est, moralement, le chef de corps des diplomates.
Le centre dAnalyse et de prévision, mis en place par Michel Jobert en 1973, devait être un lieu de réflexion à moyen et long terme pour le MAE. Il fonctionne avec des représentants de différentes administrations du MAE et un représentant de la Défense ainsi que des consultants permanents et occasionnels, souvent issus du monde académique. Le CAP réalise, spontanément ou à la demande du ministre des Affaires étrangères, une soixantaine de rapports spécialisés par an. Depuis 1989, il gère un programme dinvitation des personnalités davenir étrangères. « Linfluence réelle du CAP est cependant fonction de lintérêt que lui porte le ministre des Affaires étrangères ».
Linspection générale (créée dés 1920) est chargée des missions daudit et de contrôle, dabord des postes à létranger, et enfin, depuis 1979, de façon ponctuelle, et, par la suite, régulière après 1994, des services parisiens et nantais. En 1994, le préavis dinspection a été ramené de deux mois à dix jours. « Les chefs de postes sont rodés à la procédure et attendent les inspecteurs avec le calme des vieilles troupes ». Un tableau de bord, avec des fiches dinspection doit être tenu de façon permanente afin de faciliter les choses.
Les quinze diplomates de linspection partent en équipe de deux ou trois pour visiter les postes. « Lenquête porte sur les éléments psychologiques autant que sur les comptes ou la gestion administrative ». Certaines enquêtes, notamment à la demande du cabinet, peuvent porter sur des thèmes précis (exemple : les frais de représentation). Un mécanisme de suivi un an après est basé sur des réunions ad hoc, présidées par le secrétaire général (environ une tous les deux mois). En vingt ans (1980-2000), trois ambassadeurs ont été rappelés suite à des inspections. Mais, le plus souvent, les rapports de linspection servent aux chefs de poste pour régler sans douleur des problèmes ou des récriminations qui détruisent la bonne humeur dans léquipe : « Il faut bien le faire puisque linspection la recommandé ! »
Les grandes directions politiques
Les quatre directions géographiques ont une organisation et une charge de travail dictées par lactualité internationale et les voyages présidentiels variables. Depuis 1980, la direction dAMNO et dAfrique et Océan Indien ont été constamment sur la brèche du fait des nombreuses crises. Les voyages présidentiels ou ministériels impliquent trente à quarante administrations différentes et doivent être coordonnés par la direction géographique concernée. Elle doit aussi préparer le premier jet des grands discours et le communiqué final qui sera revu et corrigé de nombreuses fois jusquau dernier moment. Sil existe au Quai dOrsay une « école géographique » militant pour la spécialisation des agents dans des aires géographiques, cette position nest pas celle privilégiée depuis vingt ans par la DRH. Ceux qui veulent se spécialiser ainsi doivent batailler pour ne pas avoir à travailler à un moment ou à un autre de leur carrière sur des dossiers « techniques » (économique, culturel, gestionnaire, communautaires, sociaux
), contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. Dotées de moyens limités, les directions géographiques ont alors du mal à ne pas sengluer dans lactualité immédiate et la rédaction des multiples notes quelles génèrent. « Le rédacteur de base doit donc être pour un tiers bénédictin, un tiers journaliste à laffût de lévénement, un tiers auteur dun feuilleton sans-cesse recommencé ». Si la « cellule de crise » a pour but justement de limiter le risque de débordement (et dabsorption) des directions géographiques par des catastrophes naturelles ou aléas politiques touchant la région, elle emploie des agents de permanence qui viennent bien souvent de la direction géographique concernée. Celle-ci se trouve ainsi provisoirement démunie en personnel.
Voici, à titre dillustration, la façon dont un sous-directeur géographique présente son travail : « Cest une direction géographique
on est un peu la tour de contrôle qui veille à la cohérence de lensemble de la relation avec les pays concernés
ce quon fait, ce sont des journées-types, il y a une grande partie de la journée qui consiste à lire les télégrammes, les dépêches, on lit linformation en fait
une partie on sinforme, lautre partie on produit et on organise. Tout dépend, dans la direction géographique, on fait la réalité du travail quotidien depuis les plus petites tâches, les messages de félicitations pour les fêtes nationales, jusquaux documents de réflexion sur la stratégie quon devrait avoir vis-à-vis de telle région ou tel pays. Il y a toute la gamme, on gère lintégralité de la relation bilatérale, cest nous qui envoyons les instructions aux ambassadeurs, qui gérons les visites dans les deux sens
On gère aussi les relations multilatérales de la zone
on a aussi la spécificité dêtre membre à part entière dune organisation régionale
il suffit de voir ma pile, il y a des notes qui sont des instructions, des notes pour recommander des actions
Il y a aussi des demandes, demain, je fais lorganisation dun déplacement officiel ; il y a de linterministériel au niveau des services, sur la crise sanitaire que connaissent plusieurs pays de la région. »
Un de ses collègues, de la même direction, insiste en premier lieu sur la préparation des visites officielles dans les pays de son portefeuille : « À chaque fois, le ou la ministre avait un dossier qui faisait le point sur tous les problèmes concernant le pays, il ou elle avait des projets de discours, il avait des éléments de presse, donc tout ça, cest nous qui le faisons, cest notre première tâche, et moi, je suis très attaché à ce que cette tâche soit remplie du mieux possible, cest-à-dire quon essaie de respecter les délais et on sadapte au personnage que lon sert, cest-à-dire quon nécrit pas de la même façon pour le Président, que pour la ministre de la Coopération ou que pour M. Douste Blasy et cest un peu la pédagogie que jai avec mes collaborateurs, quils comprennent quils doivent se mettre dans la peau de ceux qui vont les lire. » Il place en second le travail quotidien dinformation : « Nous faisons de la synthèse, de la synthèse courte, adaptée à nos lecteurs, qui sont des personnes qui ont des responsabilités élevées, et qui nont pas le temps de lire, encore une fois, je dis souvent à mes collaborateurs, Ici, on nest pas au CNRS, on na pas le temps de faire une analyse de fond, même si cest passionnant de faire une analyse tribale, parce que ceux qui nous lisent et ceux qui décident nont pas le temps de rentrer dans ces détails. Donc, le but cest de faire de linformation courte, synthétique, en une page, que je peux diffuser à lÉlysée, à La Défense, à Matignon, au cabinet du ministre, et chez Mme Girardin. » En troisième lieu, il évoque la réponse aux questions posées par le porte-parole du MAE, à qui sont fournis des éléments de langage pour les points presse et les divers contacts avec les médias. À la suite de questions sur le service rendu aux usagers dans le cadre de la modernisation de lÉtat, ces deux sous-directeurs ajoutent des remarques sur la place croissante accordée au soutien aux entreprises voulant exporter ou investir dans les pays de leur portefeuille.
La comparaison entre ces deux sous-directeurs révèle lexistence de conceptions en partie différentes du travail et de lorganisation de leur service. Pour lun, issu de lENA, limportant est la régularité dans le travail de production et de synthèse de linformation dans la chaîne qui va des ambassades aux décideurs politiques en passant par les rédacteurs, les sous-directeurs puis le directeur. Limportant est de transmettre des données claires, objectives et adaptées à la prise de décision. Il estime que les rédacteurs doivent rester à leur place, dans tous les sens du terme : ne pas vouloir produire directement des analyses et conseils aux décideurs et ne pas vouloir se rendre dans le ou les pays dont ils ont la charge (« On ne peut pas à la fois suivre son pays à Paris et être en voyage. ») Il emploie dailleurs comme rédacteurs, pour faire face au grand nombre de pays à suivre, des stagiaires de Sciences Po qui restent six mois dans son service. « Je marrange pour laugmenter en effectif, je recrute des élèves de Sciences Po, dans le cadre du stage quils ont à faire, entre la deuxième, la troisième, non cest la quatrième ou cinquième année, ils ont des stages lourds de six mois à faire, jai deux stagiaires permanents ici, auxquels je donne un travail de quasi-rédacteur, donc un demi-travail de rédacteur. » Il a essayé les stagiaires de lENA, mais limportance de leur note de stage les détournait dun travail pratique au quotidien. Quant aux titulaires de DESS, ils ont des cours, des mémoires à rédiger, les éloignant, certains jours, du ministère. « Je suis finalement retombé sur Sciences Po, parce quils sont bien formés, et puis surtout, je les ai complètement, cest-à-dire que je les prends pendant 6 mois, ils sont là du matin au soir, je ne les surcharge pas, parce quils ont aussi à étudier, mais je sais que mes stagiaires, quand ils ont la charge dun pays, ils le suivent tout le temps, donc si je leur demande quelque chose, cest eux qui le suivent, cest eux qui écrivent, et en général, au bout dun mois et demi, ils sont parfaitement opérationnels. » Disponibilité et capacité de synthèse sont donc les principales qualités attendues du jeune diplomate et en un mois et demi, un élève de Sciences Po peut être opérationnel. Cette vision plutôt bureaucratique et technocratique ne reconnaît donc pas, au moins au niveau du rédacteur, une spécificité et une compétence propres au métier de diplomate.
Lautre sous-directeur, qui a passé le concours de cadre dOrient, qui est très attaché à la zone géographique dont il a la charge et exprime un désir de spécialisation plus fort, développe une autre conception de la compétence du rédacteur : « Il faudrait que les rédacteurs puissent connaître les pays dont ils soccupent. Moi jai beaucoup voyagé dans ma zone, mais les nouveaux rédacteurs, ce nest pas normal quils ne puissent pas voir à quoi ressemble le pays sur lequel ils écrivent tous les jours. Y aller au cours des six premiers mois, cest évident que ça ne remplace pas, même si on a sur place des collègues qui ont des très bons contacts sur place avec les syndicats, la société civile, les journalistes, etc. ». Pour lui, un bon diplomate nest pas seulement un homme de dossier capable de faire des synthèses de données diverses. Cest aussi une personne qui a su accumuler une connaissance personnelle et variée des sociétés dont il a la charge. Outre les voyages, cela implique aussi, y compris pour les rédacteurs, de recevoir des ressortissants du pays dans son bureau, de discuter directement avec eux.
Les rédacteurs interrogés dans différentes directions géographiques confirment lexistence de ces deux tendances : à la fois un important travail de synthèse, de mise en ordre, en fiches administratives, mais aussi une volonté de participer autant que possible au travail noble : lanalyse politique et le passage du terrain à la participation au cadrage de la décision. « Faire du bon travail, pour moi, cest faire le travail dans les temps, faire du travail opérationnel, cest-à-dire pas seulement des analyses, mais aussi des propositions dactions concrètes, je le dis dautant plus que parfois jai du mal à en faire, ne pas avoir de langue de bois, ne pas répéter la même chose sur un sujet et travailler suffisamment bien et suffisamment tôt pour pouvoir garder le contact avec tout le monde, rendre service au poste, aux postes étrangers à Paris qui comptent sur vous pour avoir des informations. »
Une rédactrice travaillant sur un pays très présent dans lactualité explique que son travail est pour une large part occupé par la rédaction (en collaboration avec son directeur et le cabinet du ministre) des éléments de langage pour le point presse. Avec une nouvelle organisation, notamment lappel à des stagiaires, elle espère pouvoir passer plus de temps pour faire de la prospective et des propositions, revoir des visiteurs et déléguer une part du travail moins noble et plus routinier aux stagiaires.
La direction des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement (qui a vu son rôle augmenter ces dernières années) est une des directions de la direction générale des Affaires politiques et de sécurité (DGP). Elle est composée de cinq sous-directions (du Désarmement et de la non-prolifération nucléaire, du Désarmement chimique et biologique et de la maîtrise des armements classiques, des Affaires stratégiques, de la Sécurité, des Questions multilatérales). Bien que située au cur des bâtiments de limplantation du Quai dOrsay, cette direction est isolée : la porte vitrée quil faut passer pour y pénétrer avec un badge spécifique, marque un espace réservé à des questions sensibles à propos desquelles les interlocuteurs choisis ont gardé une réserve prudente dans leurs réponses aux « intrus », pourtant dûment habilités. On y traite de nombreux sujets liés aux questions de Défense, dans un contexte international marqué par lapparition de nouvelles formes de menaces, la dilution du cadre guerrier et lambition dassurer la stabilité et la sécurité internationales sur un mode plus multilatéral.
On comprend alors que les rédacteurs aient des relations étroites avec le ministère de la Défense, avec des militaires dont ils ne partagent pas nécessairement les logiques professionnelles : ainsi sur un dossier thématique, un secrétaire des Affaires étrangères nous dit : « Les instructions résultent dun travail interministériel avec le ministère de la Défense, le ministère de la Défense établissant la ligne rouge en termes de sécurité nationale : il donne une ligne rouge et ensuite on essaie de synthétiser avec les grandes tendances, les positions globales des autres États sur ces sujets et en prenant en compte les inquiétudes et les préoccupations de la société civile en la matière. » Un autre explique : « En même temps, tout en ayant un leadership, on fait pas non plus le travail des autres à leur place, cest-à-dire que chacun est vraiment dans son rôle
on nessaie pas de marcher sur les plates-bandes des autres, donc ça se passe bien et puis, en plus, dans un cas comme lIran qui est vraiment une crise majeure de sécurité internationale et qui a été au moins jusquil y a quelques semaines une négociation aussi majeure
le rôle du ministère des Affaires étrangères nétait pas contesté, je veux dire, cétait vraiment un dossier pour nous, peut-être que là, dans les mois qui viennent, si les choses tournent vraiment mal, ça va devenir un dossier du ministère de la Défense
mais jusquà présent, notre rôle nétait pas contesté » (conseiller des Affaires étrangères). Sont alors à luvre deux logiques politiques povant être complémentaires, mais aussi, parfois, contradictoires, quand les militaires rappellent quils ne peuvent pas tout faire, que les risques de « surchauffe » sont réels
Ce caractère sensible de lactivité se traduit aussi dans le rythme de travail caractéristique qui fait que ces postes sont peu demandés : « Cest lourd dune façon générale, je dirais, en termes dhoraires notamment, cest une plainte, sur ce genre de poste, qui est récurrente, on finit assez tard » (conseiller des Affaires étrangères), surtout du fait que les rédacteurs peuvent avoir des portefeuilles très importants et soccuper ainsi de questions thématiques (désarmement, prolifération nucléaire, armes conventionnelles, etc.) pour lensemble des pays et/ou de certaines zones géographiques, là encore très étendues, « une bonne partie de la planète », comme le souligne lun deux. La lourdeur est encore accentuée par les relations avec dautres services : « Cest assez lourd notamment parce quon dépend en partie des autres services, nous on est en bout de chaîne, cest nous qui allons tout finaliser, on a besoin déléments dautres services, ça on la souvent en fin de journée » (conseiller des Affaires étrangères). Il peut alors être difficile de « faire du bon travail », la tendance étant toujours à la réaction quand il faut valider des instructions pour telle ou telle représentation permanente dans des délais très courts, quand lactualité vient bouleverser le rythme : « Sur un sujet politique, il faut parfois en 24 heures donner la position de la France : la France ne peut pas se permettre dêtre silencieuse sur quelque sujet que ce soit, la France étant
en gros, il y a une quinzaine dÉtats qui suivent tous les dossiers et qui donnent leur avis sur tous les dossiers, à linverse, par exemple, la Hongrie regarde les dossiers où elle a des intérêts, sinon, elle suivra la position de lUE. Nous, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, cela nous oblige à une couverture permanente sur lensemble des sujets de sécurité » (secrétaire des Affaires étrangères).
Autre contrainte de poids, que lon retrouve dans toutes les directions : ce que lon pourrait appeler « lorthodoxie doctrinale ». Les positions élaborées doivent être conformes à la doctrine française en la matière, ce qui pose évidemment la question de sa formalisation, autrement que par la répétition et de son explicitation, de son interprétation, celle-ci pouvant varier selon les personnes chargées de vérifier la conformité des textes rédigés à la position française ; il peut alors y avoir des problèmes « de positionnement », liés aussi au découpage des juridictions des bureaux, services, etc. : « Notre service est un service assez jeune, créé il y a quelques années
cest pas toujours simple, je dirais il y a des tensions récurrentes, il y a des tiraillements sur des problèmes de signature, cest des problèmes dadministration typiques » (conseiller des Affaires étrangères). Il faut aussi veiller à ce que la France parle « dune seule voix » : « On travaille pour
valider au maximum en amont de façon à
veiller à ce que ce quon envoie soit bien en phase, coordonné avec ce quon envoie dans dautres enceintes, notamment à New York » (conseiller des Affaires étrangères).
La direction des Nations Unies et des organisations internationales (NUOI) fait aussi partie de la DGP (au même titre que la direction de la Coopération militaire et de défense, le service de la Politique étrangère et de sécurité commune et la mission de liaison avec les Organisations internationales non gouvernementales. NUOI se décompose en trois sous-directions (des Affaires politiques, des Affaires économiques et des Droits de lHomme et des Affaires humanitaires et sociales) et comprend aussi la mission des fonctionnaires internationaux dont le rôle est de promouvoir la présence de personnels français dans les organisations internationales.
On est face à une direction prestigieuse, prestige lié aux types de sujets traités et aux types denceintes : on retrouve la dimension multilatérale de la diplomatie associée au « cur du métier », le politique. Cela expliquerait quelle attire un certain type dagents, une certaine « élite » : là, cest « très sérieux, très élitiste, très conceptuel, il y a beaucoup de normaliens
» (conseiller des Affaires étrangères). De son côté, un adjoint de chancellerie qui a, comme première affectation, été nommé au sein de cette direction, au CAD précisément, affirme : « Jai trouvé ça très intéressant, je suis arrivé dans une direction politique, direction des Nations unies et Organisations internationales, jétais au CAD, il y avait beaucoup de boulot, mais en même temps, il y avait vraiment des tas de choses intéressantes qui me passaient entre les doigts, donc cétait intéressant. »
La direction de la Coopération européenne est une direction multilatérale qui se décompose en deux pôles principaux : « Un pôle bilatéral qui a vocation à traiter les questions bilatérales entre la France et les pays membres et les pays candidats ayant ouvert des négociations en vue de ladhésion
et un pôle communautaire
là on rentre dans le vif des questions européennes, les communautés européennes à Bruxelles, la législation, etc. » (secrétaire des Affaires étrangères). Ces deux pôles sont eux-mêmes divisés en plusieurs sous-directions (des Affaires communautaires internes, des Relations extérieures de la communauté, des Affaires générales, etc.). Dans cette étude, nous nous intéresserons ici surtout au deuxième pôle dont le prestige a été évoqué dans les entretiens, de même que son rôle important, preuve, pour beaucoup, de limportance prise par la diplomatie multilatérale et, dans ce cas précis, par la construction européenne, pour la France. Reste que le rejet du projet de constitution européenne par les Français lors du référendum de mai 2005 a pu ternir le blason dune direction qui avait porté ce projet.
Là encore, la direction soccupe de mettre en place des instructions pour la représentation de la France auprès de lUE : « Cest nous qui instruisons, qui donnons des instructions à notre ambassadeur » (secrétaire des Affaires étrangères), précisément au correspondant du rédacteur siégeant dans tel ou tel groupe. Daprès la direction, cet aspect du travail occupe lessentiel du temps des rédacteurs, au détriment dun travail de fond sur les dossiers dont ils soccupent. Ce travail de mise en forme peut prendre un temps variable suivant les questions traitées. Elles peuvent, effectivement, concerner plusieurs autres administrations dont il faut alors recueillir laval : « Par exemple, pour les questions douanières, Bercy est aussi concerné, donc il y a tout un travail de coordination qui est fait au sein de lancien SGCI : il consolide linstruction avec une prime au MAE parce quon a le leadership sur ces questions. Jenvoie mes instructions
je le fais en me fondant sur la position générale de la France sur lélargissement
Mon travail repose aussi sur les positions quon prend en bilatéral avec les pays concernés, il faut savoir comment articuler notre position à Bruxelles mais en se fondant aussi sur nos intérêts propres hors UE, donc il faut demander lavis à la direction européenne compétente. Il faut voir aussi comment [le pays est traité] dans dautres instances : ONU, direction des Affaires stratégiques et du désarmement, etc. il y a tout un travail de consolidation que je dois faire pour envoyer une instruction à Bruxelles » (secrétaire des Affaires étrangères).
À un échelon plus élevé, cette production déléments de langage occupe aussi beaucoup de temps : il sagit de viser les instructions formalisées par les rédacteurs, de les corriger et ainsi, on la dit, de sassurer de leur conformité à la position française « traditionnelle », si lon reprend les types de fondements de la légitimité définis par Max Weber : « Je vais passer pas mal de temps à lire et à corriger des notes de mes collaborateurs, puisque lactivité de cette sous-direction, cest de préparer des notes soit pour des dossiers dentretien, soit pour demander des instructions au cabinet, soit pour des dossiers de visite, donc cest une direction qui produit beaucoup de papiers, de notes danalyses, de synthèses » (conseiller des Affaires étrangères). Cette observation illustre la centralité du poste de sous-directeur, notamment au travers du rôle socialisateur assuré auprès des agents placés sous sa responsabilité.
Autre caractéristique de cette direction, qui peut expliquer aussi son importance, la proximité du politique sur un sujet très publicisé, ce qui reste effectivement assez exceptionnel en matière de politique étrangère : « On voit même assez souvent directement le ministre. Par exemple, on a tous les mois un conseil Affaires générales à Bruxelles, qui traite des sujets de cette direction, en particulier des sujets externes, et donc, tous les mois, on a un rendez-vous avec le ministre ou la ministre déléguée, son directeur de cabinet, pour préparer cette réunion, donc ça donne quand même une régularité des contacts qui est quand même exceptionnelle dans cette maison, parce que bon, dans dautres directions, je pense que des directeurs voient assez souvent le ministre, mais des niveaux inférieurs peut-être moins souvent et ici, les niveaux inférieurs, même jusquaux rédacteurs, voient assez souvent le ministre. Ils sont très souvent associés à tous les contacts sur les sujets européens, donc cest un travail effectivement où
on na pas le sentiment quon écrit quelque chose et puis que ça se perd au-delà, quon ne sait pas très bien ce quon en fait : on voit directement le résultat, dailleurs on le voit même dans la presse parce que ce sont des sujets qui sont très largement relatés dans la presse, donc
ça cest un élément aussi dailleurs qui est important dans notre travail quotidien : comment la position française est perçue par lopinion publique, comment on peut corriger les malentendus
ça a toute une dimension très importante, cest très propre aux questions européennes qui sont très largement diffusées » (conseiller des Affaires étrangères). Le résultat serait ainsi plus directement tangible comme lassure ce même agent : « Sur des négociations qui ont quand même une durée de vie assez courte, on voit si on a réussi à infléchir une négociation dans le sens favorable aux thèses françaises et ça, cest un boulot très gratifiant aussi parce quon le voit assez vite sur des négociations qui durent un an, même un mois, si on a réussi à faire comprendre à nos partenaires nos positions, à les faire accepter et finalement à peser sur le résultat final » (conseiller des Affaires étrangères).
La direction des Affaires économiques et financières traite, en liaison avec dautres ministères des dossiers nombreux et complexes dont elle doit assurer la cohérence en termes de position officielle de la France. Dautres services importants (notamment la DRH) nont pas encore été étudiés et le seront dans les phases ultérieures.
La direction générale de la Coopération internationale et du développement
La DGCID est née de la fusion du ministère de la Coopération avec la direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques du MAE. Avant la fusion, cette dernière souffrait dun déficit dimage important, ses actions nombreuses et variées (promotion du français ; enseignement à létranger jusquen 1989 ; accueil de boursiers ; audiovisuel
) étant oubliées des médias. Les 160 centres culturels français à létranger intéressent peu les français expatriés, mais attirent souvent un nombreux public local. Les fonctionnaires du Quai dOrsay y étaient minoritaires (environ 1/5e).
Un jeune chef de bureau décrit ainsi sa journée de travail dans lactuelle DGCID : « En général jarrive le matin de bonne heure, je regarde les e-mails, mon courrier quand jen ai, je trie mon courrier rapidement, je le lis, je le distribue aux agents de mon bureau et ça jusquà 9 h 30-10 h. Après en général il y a des réunions, soit des entretiens, directement ici dans mon bureau, soit des réunions chez mon sous-directeur ou dans dautres directions. En général, il peut y avoir une ou deux réunions le matin, après lheure du déjeuner, trois possibilités ; soit je vais manger à la cantine avec mes collègues, soit jai un déjeuner où je vais déjeuner avec dautres collègues, soit au 37 Quai dOrsay, soit rue La Pérouse, soit Boulevard St. Germain, ou alors je vais déjeuner à lextérieur avec des amis, je profite du déjeuner comme dun moment de temps libre, et laprès midi, en général, il y a quelques moments où je travaille avec mes collègues sur lélaboration de notes, je travaille beaucoup par ordinateur sur les emails pour répondre aux sollicitations, répondre aux commandes, passer des instructions, en général il y a encore des réunions, soit en début daprès-midi, soit jusquà 18 h, 18 h 30. La fin de journée est un moment spécifique aussi, cest le moment où ma hiérarchie, qui est importante (il y a un sous-directeur, directeur, directeur général), est un peu plus tranquille, ce sont des moments où je travaille vraiment avec ma hiérarchie et où je leur demande des instructions, on parle du fond des dossiers, on se retrouve un peu après une journée de travail consacrée à la gestion des affaires courantes et aux réunions. Le soir est un moment privilégié qui peut avancer jusque tard dans la soirée où lon sait que chacun va avoir le temps de consacrer quelques minutes à une difficulté particulière, un problème particulier, voilà une journée typique. » Lorganisation et la division du travail semblent moins rigides et traditionnelles que celle issues du Quai dOrsay.
H) Lactivité de lAdministration centrale à Nantes
Parler de limplantation du ministère des Affaires étrangères, cest parler dune administration décentralisée et déconcentrée, ce qui pose, bien sûr, la question des rapports entre centre et périphérie, même sil conviendrait plutôt de parler de « centre périphérique », dans la mesure où les services installés à Nantes font partie de lAdministration centrale. Parler de lAdministration centrale à Nantes, cest aussi évoquer une structure éclatée sur plusieurs sites, la plupart dentre eux étant concentrés dans un même quartier nantais, le « Breil-Malville », qui donne son nom aux bâtiments.
En outre, la périphérie nest pas uniquement géographique : elle tient aussi, pour beaucoup dagents que nous avons rencontrés, aux domaines dactivités qui prévalent à Nantes (essentiellement du consulaire ou de la gestion). Si ce point suscite des appréciations négatives, les jugements sont beaucoup plus positifs sur les attraits de la localisation géographique : lopinion est unanime, mettant en avant le fait que ces appréciations positives sont récentes. La confrontation des deux ordres dévaluation fait évidemment apparaître des contradictions, voire des tensions : Nantes est, en effet, à la fois une affectation recherchée et dépréciée, pour des raisons finalement assez proches tenant justement à son caractère périphérique, variable mobilisée différemment par les agents dun côté et par les services affectataires, de lautre (il en sera question plus avant, lorsque sera abordée lactivité des différents services présents à Nantes). On pourrait presque parler dune « double périphérie » dont les effets sont loin dêtre univoques comme le rappelait cet agent travaillant depuis plus de trente ans à Nantes : « Vous savez ici, il y a 80 % de petites catégories et 80 % de femmes ce qui pose certains problèmes
dans le même temps, dannée en année, les affectations à Nantes sont de plus en plus difficiles parce que cest très demandé » (secrétaire de chancellerie).
Une « géographie » particulière, la périphérie : repoussoir ou avantage ?
La décision dimplanter à Nantes une partie des services du ministère des Affaires étrangères a été prise dans le courant des années soixante, dans la logique de lintérêt pour les questions daménagement du territoire sous la « République gaullienne ». Les sites nantais sont montés progressivement en puissance, avec une accélération dans les années soixante-dix. En 1964, ce sont quarante agents du Service central dÉtat civil qui sinstallent à Nantes. Ils seront ensuite rejoints par des agents du personnel, des archives, de la comptabilité
la dernière délocalisation remontant à 1993 pour le service de la circulation des étrangers en France (SDCE). Cette histoire, les raisons qui ont poussé à choisir Nantes, sont surtout évoquées par les agents les plus anciens. Ils rappellent également que, au départ, le recrutement était exclusivement et explicitement local. Ce nest que récemment, quune rotation a été effectuée, faisant de Nantes une affectation « comme les autres » ou « parmi dautres » : des agents revenant de létranger étaient affectés à Nantes, alors quà ceux qui étaient sur place, il était proposé de partir à létranger, dans le cadre de la mise en uvre de la « double vocation » et ce, à partir de 1992, date qui marque, pour Alain Bry, le moment où « la greffe nantaise a pris réellement ».
Les effets de ce changement sont encore limités : 50 % des agents nauraient jamais quitté Nantes ; cette part pourrait se réduire dans les années à venir du fait du rythme des départs et des arrivées (en 2005, il y a eu 117 départs et 130 arrivées, en 2006, 142 départs et 120 arrivées). Les agents qui restent à Nantes ont néanmoins été soumis à une mobilité fonctionnelle entre les services, suivant un rythme plus ou moins rapide (tous nont cependant pas changé de service : pour des raisons personnelles et, plus souvent, à la demande de leurs supérieurs qui voulaient conserver des « bons éléments »). Une personne ayant commencé en catégorie D et étant maintenant, après avoir réussi deux concours, en catégorie B explique ainsi que les concours auraient pu la faire changer daffectation géographique : « Jaurais pu être affectée ailleurs quà Nantes, mais il se trouve que, dans léquipe, on avait besoin de moi, parce quil y avait peut-être quelquun qui partait. À chaque fois, jai pu être nommée sur place avec une évolution de
mais cest vrai que, maintenant, tout ça, ça se passe moins bien parce que les agents
par exemple, les agents qui sont en poste et qui ont des concours de catégorie B dans la maison, alors quils sont C, doivent rentrer en Centrale et puis apprendre dautres activités pour après pouvoir repartir au bout de deux ou trois ans » (secrétaire de chancellerie).
Avant 1992, seuls certains corps avaient « vocation » à partir à létranger, mais aucun de ceux auxquels appartenaient les agents recrutés sur place qui, dailleurs, visaient, pour la plupart dentre eux, plus à entrer dans ladministration en général, profitant des postes ouverts sur place, quà partir à létranger. Il sagit essentiellement de femmes qui recherchaient un « revenu dappoint » quand lactivité de leur mari nétait, de toute façon, pas compatible avec une expatriation. Certains ont dailleurs toujours refusé de partir, malgré les pressions quils disent subir à cet endroit, et ceux qui lont fait nen gardent pas toujours un bon souvenir.
Cette position périphérique na posé problème quà partir du moment où il sest agi de partir et de revenir à létranger, le retour à Nantes nétant pas garanti sur le papier, mais pratiquement dans les faits. Parmi les « anciens », beaucoup évoquent une sorte de relégation liée à leur position périphérique, à leur éloignement de Paris et donc, des dimensions les plus prestigieuses de lactivité diplomatique. Ce sentiment reste vivace dans plusieurs services où prédomine limpression de ne pas être écouté « par Paris », par le « centre » dont ces services sont pourtant, organiquement, partie prenante. Faisant référence au recrutement particulier à Nantes dans les années soixante et soixante-dix, un agent explique que « les imprimeurs ou les magasiniers ont fait la réputation de Nantes : en gros, beaucoup de muscles et pas trop de matière grise, cétait ça la réputation et ça lest toujours un peu
on ressent toujours une sorte de mépris, on est oublié dans les notes de service par exemple
on est oublié au mieux, méprisé au pire » (secrétaire de chancellerie). Il est frappant de constater que, concentrant pourtant une grosse partie des effectifs de catégorie C de lAdministration centrale, les sites nantais nont fait lobjet daucune présentation spécifique durant le stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C, mis à part lors de la journée consacrée aux archives : les quelques lauréats affectés à Nantes ont donc tout découvert eux-mêmes en arrivant, certains ayant tout de même lavantage dêtre déjà établis sur Nantes. Lun deux expliquera que, ayant pris contact avec le bureau RH2C une fois la réussite au concours connue, « on lui a bien fait comprendre quon respectait les intérêts personnels et la vie familiale donc, quil y aurait pas de souci pour avoir cette affectation » (adjointe de chancellerie).
Cette position périphérique explique le fait que laffectation à Nantes faisait plutôt figure de repoussoir, certains assurant même quelle a longtemps été considérée et/ou vécue comme une punition, peut-être plus pour certaines catégories dagents que pour dautres : rares étaient ceux qui, parmi les agents de catégorie A, acceptaient dêtre affectés à Nantes, de crainte justement dêtre éloignés de Paris, des réseaux qui sy nouent, dêtre « enterrés », sachant que ces postes de catégorie A sont assez peu nombreux du fait de la structure des grades à Nantes (ils se répartissent comme suit : 7,5 % de A, 16,2 % de B et 76,3 % de C). Ceux qui lont accepté à lorigine et qui ont pu y revenir y ont gagné une légitimité forte sur place et une position centrale. Comme pour leurs successeurs, il semble possible de parler de laffectation à Nantes comme dune aventure sur un terrain dont tous saccordent à dire quil est « particulier ». Reste que, toujours à propos des agents de catégories A, beaucoup cest particulièrement manifeste pour les chefs de service sont dans la dernière phase de leur carrière : on peut penser que le risque est moindre pour eux de se voir « loin du soleil », vu quils ont déjà fait leurs preuves par ailleurs. Leur départ de Nantes nest pas aisé. Tel est le cas dun chef de service qui, ayant mis son poste sur la transparence, se présente comme « partant », mais reconnaît quil ny a pas de candidats pour le remplacer, condition pour quil puisse partir et obtenir le poste quil espère. Dans le même ordre didées, accepter, en début de carrière, une affectation à Nantes fait plutôt figure dexception, même si cette option peut être présentée comme la résultante dun choix raisonné sur le plan professionnel, répondant à la nécessité dajouter une « corde gestionnaire » à son arc.
Il semble que, comme le montrent les références fréquentes aux négociations entre services suivant les affectations, on est affecté « à Nantes » avant de lêtre dans un service particulier, un peu comme on peut être affecté à létranger pour toutes les catégories. Néanmoins, on assisterait, du côté des agents, à un changement progressif dattitude qui ne peut que renforcer la concurrence pour être affecté à Nantes, changement qui se diffuse de la base vers le sommet, en écho aux difficultés rencontrées à Paris par les agents de toutes catégories : « Autant, quand je suis arrivée ici, les agents de catégorie A ne voulaient pas venir à Nantes, les agents en général ne voulaient pas venir à Nantes, parce que
enfin, les agents de catégorie C, si, parce que compte tenu du salaire de catégorie C, on vit mieux à Nantes, mais les catégories A se sont aperçues quon vivait aussi mieux à Nantes, que ce nest quun passage, quavec le même salaire, on vit mieux à Nantes quà Paris, alors on est plus loin du bon dieu, cest moins glorieux, mais les gens qui ont bien compris, les gens de catégorie A, enfin pas quen catégorie A, en B et en A aussi, les gens qui nont compris que ce nétait quun passage obligatoire
quand vous avez une famille
cest quand même plus facile de vivre à Nantes que de vivre à Paris ! » (secrétaire des Affaires étrangères). Il faut noter, ici, linfluence prêtée à linstallation de lInstitut de formation aux Affaires administratives et consulaires (IFAAC) à Nantes : passages obligés pour de nombreux agents, les stages à lIFAAC nont pu que montrer la qualité de vie à Nantes.
De manière générale, les raisons avancées pour accepter daller à Nantes sont, en effet, moins dordre professionnel, à la différence de celles mises en avant pour les affectations à Paris, que relevant du hors-travail : « Cest vrai que la vie est plus facile quand même à Nantes mais
pour le travail, moi je préfère Paris, si javais à choisir professionnellement et quil ny avait pas de soucis financiers, je préférerais travailler à Paris » (secrétaire de chancellerie). Pour la plupart des agents, il sagit dun autre choix de vie : vient en tête la question du logement et de son coût moindre à Nantes quà Paris, sont ensuite évoquées la « qualité de vie » dans son ensemble, caractéristique dune ville de province également métropole régionale (avec une vie culturelle
), la vie près dun centre urbain avec les avantages de la vie rurale ou semi-rurale, et puis, dun point de vue plus anecdotique, la proximité de la mer (argument que lon entend aussi pour les affectations à létranger). À titre dexemple, écoutons les raisons avancées par un agent pour expliquer sa satisfaction davoir pu être affecté à Nantes à son retour de létranger : cela le rapprochait de sa famille vivant en Bretagne, mais surtout : « Nous quand on est revenu à Nantes, on a trouvé ça tout de suite
on sest senti tout de suite bien
et puis pour la scolarité des enfants, cétait beaucoup mieux quà Paris, parce que, encore une fois, cest un problème de moyens, avec nos modestes salaires, on est obligé, carrément obligé daller en banlieue
de louer une HLM en banlieue
et
donc, ça veut dire aussi scolariser nos enfants dans des écoles à problèmes et tout ça quoi
Alors que là, sur Nantes, on a pu les scolariser dans le centre ville ! » (adjoint de Chancellerie).
Cette option pour un autre mode de vie est loin dêtre minoritaire, même sil nest pas sans créer des difficultés, par exemple, en matière de déplacements (plusieurs personnes ont évoqué les embouteillages matinaux, dus aux travaux dans le centre-ville, les obligeant à arriver de bonne heure le matin, occasion aussi de partir plus tôt le soir et de profiter justement de ce cadre de vie particulier). Ces raisons sont évidemment partagées par ceux qui veulent rester à Nantes et ne pas se soumettre aux principes de la « double vocation » : ils mettent en avant leurs attaches locales. De tels arguments laissent augurer dun autre rapport à lactivité professionnelle. Ses impératifs doivent coexister avec dautres liés à la « vie privée » ; lun et lautre doivent établir une coexistence pacifique, ce qui ne veut pas dire quil ny ait pas de tensions. Ces choix suivent ainsi des logiques que lon retrouve pour les affectations à létranger (présence dune école française, niveau de sécurité dans le pays, mode de vie
). Comme lexpliquait un agent finissant sa carrière nantaise de près de quarante ans, « Maintenant, ils choisissent de venir à Nantes
Nantes, les gens, ça se bouscule au portillon pour revenir à Nantes, il y a une qualité de vie quon na pas forcément à Paris » (secrétaire de chancellerie). Au vu de ces avantages, laffectation à Paris fait figure de repoussoir et ce, dautant plus quune partie des conséquences négatives de léloignement géographique a été comblée par larrivée du TGV, qui facilite les déplacements vers le Centre, déplacements fréquents (une fois par semaine pour les membres du secrétariat général de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa ; pour des réunions régulières concernant dautres personnels, qui peuvent même être amenés à passer plusieurs jours à Paris, etc.). Le chemin inverse est également effectué, évolution récente là encore. Parmi les personnes rencontrées disant se rendre à Paris régulièrement (plusieurs fois par mois), lune précise avec satisfaction : « Avant, toutes les réunions étaient sur Paris, maintenant non, cest pas un problème de distance, cest un problème de méthode de travail
» (secrétaire des Affaires étrangères).
Face à cette concurrence, la question est de savoir comment opérer un choix pour les services affectataires, comment réguler la forte demande. Lune des personnes rencontrées, à linstar dautres, expliquera : « Maintenant, il y a des critères pour venir à Nantes ; pour les petites catégories, on va privilégier les gens les plus en difficulté ; les personnes qui nont pas denfants ou qui sont parties en poste double, on les envoie plutôt à Paris » (secrétaire de chancellerie). Une telle solution présente évidemment le risque de stigmatiser les agents travaillant à Nantes : il nest pas rare quon en parle comme de « bras cassés » qui cumuleraient les difficultés personnelles. Cette représentation est notamment défendue au sein de la Mission pour lAction sociale (MAS) où sont reçus les agents demandant un logement, une aide pour la garde de leur(s) enfant(s), etc. « Il y a un gros, gros travail dassistance
les personnes sont repérées, puis on essaie dintervenir en douceur et avec discrétion
vous savez, il y a vraiment de grosses détresses, cest effrayant. »
Cette perception dun personnel nantais sélectionné sur des critères sociaux finit par être largement partagée, au point quon en oublierait presque que ces agents ne constituent quun groupe de taille réduite. Elle influence les affectations, sur fond dassistance importante, et colore lappréciation portée sur le travail. La stigmatisation se trouve dailleurs renforcée par le fait que ces critères sociaux sont perçus comme incompatibles avec les critères professionnels : « Il y a un souci général sur Nantes
je pense quon affecte en fonction de critères sociaux qui ne sont pas toujours
les meilleurs. Si on ne met sur Nantes, parce que la vie y est plus cool, y est plus facile, que des gens en difficulté, faut pas sattendre
mais cest vrai partout, dans le privé et dans toutes les administrations et dans tous les services
davoir des agents qui ne soient pas à 100 % opérationnels. Cest pas catastrophique, si cétait catastrophique, je pense quon prendrait dautres
on essaie de neutraliser ces agents-là, mais on a des agents, quand on compte les équivalents temps plein
cest équivalent, hein ! » (secrétaire des Affaires étrangères). On est ici face à ce que beaucoup voient comme une particularité nantaise qui expliquerait par exemple « labsentéisme légal » important : il y a beaucoup dagents travaillant à 80 %, mais aussi des agents en congés longue maladie
Particularité qui conditionne aussi les modalités de gestion des Ressources humaines, tout comme la situation locale de limplantation nantaise, elle-même marquée par léclatement.
Aspects de l« éclatement » local
La plupart des bâtiments du ministère des Affaires étrangères à Nantes se situent dans le quartier Breil-Malville de Nantes, quartier lui-même périphérique (il faut 10 minutes de trajet en tramway pour gagner le centre-ville) et situé près dune cité qualifiée par certains de « chaude ». Il y a plusieurs autres implantations : « Casterneau » pour les archives (qui occupent une ancienne caserne de gendarmerie), limprimerie et le magasin, des locaux dans un immeuble près de la gare SNCF pour lAgence pour lenseignement français à létranger (AEFE) et « Orvaux » à nouveau pour les archives. Pour essayer déclairer la situation, on peut utiliser la notion décologie, ainsi définie par Andrew Abbott : « Un système déléments aux interactions multiples et, pour la plupart, indépendants
Le mot désigne une structure sociale moins unifiée que ne lest une machine ou un organisme, mais beaucoup plus solidaire, unifiée que ne le sont les unités atomiques du libéralisme classique ». Une écologie comprend trois éléments : « des acteurs, des lieux, des liens ».
Les bâtiments du Breil-Malville, où travaillent lessentiel des agents affectés à Nantes, sont numérotés de I à IV. Ils se situent sur une même emprise, mais avec différentes adresses. On peut aller de lun à lautre sauf à Breil I à condition davoir les badges ad hoc, car il ny a, en effet, pas de système de badge unique, en passant par le parc où se trouve la villa Chantreau, où sont logés les stagiaires de lIFAAC. Le bâtiment Breil I date de 1966. Il héberge la comptabilité et dispose de son propre parking. Le bâtiment Breil II (1976-1977) a été rétrocédé à la Trésorerie générale de lÉtranger et à divers services de la direction des Impôts. Breil III, dune architecture plus audacieuse, a été construit dans la première moitié des années quatre-vingts : il abrite la direction des Systèmes dinformation. Dimportants travaux y sont prévus très prochainement, travaux avec locaux occupés, ce qui complique évidemment la tâche. Là encore, il y a un parking propre pour ce bâtiment. Breil IV, enfin, est le plus récent des bâtiments nantais : il a été inauguré en 1993. Le Service central dÉtat civil (SCEC) occupe lessentiel de ce bâtiment de trois étages. On y trouve aussi les RHN (Ressources humaines Nantes), le service de la Circulation des étrangers (SDCE), les bureaux de lIFAAC, la mission dAction sociale (qui occupe le sous-sol du bâtiment), le secrétariat général de la Commission de recours contre les décisions de refus de visas (CRV), le Centre de Traitement des documents sécurisés (CDTS) et la cantine où viennent manger tous les agents du MAE présents à Nantes.
Les archives, le magasin et limprimerie se situent à une dizaine de minutes en voiture du Breil-Malville. Ces deux bâtiments se font face. Les archives ont été récemment agrandies. Elles disposent dune autre implantation sur Nantes, sur le site dOrvaux, qui est dévolue à la conservation des archives, notamment celles rapatriées des postes. Le site de « Casterneau », en effet, dispose, lui, dune salle de lecture fréquentée essentiellement par des universitaires et des étudiants. Latmosphère qui règne dans le bâtiment des archives tranche avec celle des autres locaux : ici, les restaurations successives ont cultivé, si lon peut dire, le « charme de lancien » (poutres apparentes, sols imitation tommettes
à quoi sajoute le mobilier de style). Le bâtiment de limprimerie et du magasin est récent, lune et lautre occupant leur propre espace. Ces deux services sont en voie dextinction : leur activité a été réduite ces dernières années notamment par la sous-traitance des impressions et la délocalisation des commandes de matériel, fournitures, etc., autrefois centralisées à Nantes. Pourtant, leur disparition nest pas encore explicitement annoncée.
Au final, on peut parler de plusieurs pôles, le pôle de référence étant Breil IV : du fait de la présence de services communs comme les RHN, la cantine, la mission dAction sociale, lIFAAC, mais aussi grâce à la présence du plus important, en effectifs, des services de Nantes, lÉtat civil. Cette diversité des services délocalisés à Nantes pose en premier lieu la question de leur coordination. Dune manière générale, la cantine constitue lunique lieu de rassemblement de lensemble des différents sites (une navette par autocar assure le déplacement des agents des autres sites vers la cantine de Breil IV, les 45 minutes de trajet sont comptées sur le temps de travail) : « Il y a quand même une unification qui se fait autour de la cantine
les gens, même si vous ne connaissez pas leur nom, vous les voyez
à part ça non
mais cest pas mal quil y ait cet élément unificateur
[à Paris], quand vous êtes rue La Pérouse, vous restez rue La Pérouse » (secrétaire de chancellerie), chacun des principaux sites parisiens disposant effectivement de sa propre cantine (ou à proximité pour celui du boulevard des Invalides). Ce point de ralliement est évoqué par plusieurs personnes qui disent, par exemple, y retrouver des collègues avec lesquels elles ont pu travailler par le passé. Cela peut aussi être loccasion de croiser les stagiaires de lIFAAC, dévoquer tel ou tel dossier autour dun café
La fonction de coordination entre les services relève de la sous-direction des Ressources humaines à Nantes (RHN), notamment du fait de son rôle transversal souligné par un rapport de lInspection générale des Affaires étrangères. Plus complexe, la réalité vient éclairer certaines caractéristiques du fonctionnement administratif de lensemble de lAdministration centrale : le lien entre les RHN et les autres services nest pas un lien hiérarchique, ni même un lien fonctionnel, les prérogatives en matière de Ressources humaines restant, pour lessentiel, du ressort des services parisiens qui font régulièrement le déplacement à Nantes. De même, les chefs des autres services, notamment les plus importants dentre eux, peuvent être plus gradés que le responsable des RHN et des services généraux, doù lidée avancée par certains de nommer à ce poste un ministre plénipotentiaire ou, au moins, de faire du sous-directeur des RHN un délégué du directeur général pour lAdministration. Les relations entre les services sont néanmoins cordiales, dit-on pour aussitôt ajouter que chacun a sa propre logique et ses liens avec Paris : avec son supérieur hiérarchique direct et/ou avec la DRH. Dès lors, les réunions de service organisées par les RHN, à linitiative du prédécesseur de lactuel sous-directeur des RHN, servent moins son rôle de coordination que sa mission « de déminage ». Il faut évoquer, sagissant des liens existant entre les différents services, le rôle joué par lIFAAC : les chefs de service sont membres de droit de son jury et cette mission de formation leur paraît très importante.
Pour le reste, même pour les services relevant de la même direction (celle des Français à létranger et des étrangers en France) et qui cohabitent dans le même bâtiment, la matière traitée (létat civil, les visas), lemporte sur le lien hiérarchique, sachant que ces services relèvent chacun dun service particulier (Français à létranger et étrangers en France). Ceci est sans doute une façon de délimiter les contours des « juridictions » (des territoires) respectives : sur ce plan, le cloisonnement semble être sur ce plan une tactique sûre, qui limite en même temps lautonomie des services à Nantes. Demeure un point qui na pu être abordé au cours de la mission : à Nantes, « cest un pôle où se sont concentrées les affaires détat civil » (y compris en matière juridictionnelle, puisque les litiges en la matière sont jugés par les tribunaux de Nantes), ce qui compte évidemment dans la compréhension de lenvironnement du SCEC.
Cette situation, cette sorte de « balkanisation », est particulièrement sensible au moment des affectations. Plusieurs personnes ont expliqué que lannée 2006 a été une année difficile pour les RHN, qui a vu son rôle très limité sur ce plan : jusquà 2005, ce service se chargeait deffectuer les affectations à Nantes ou participait à leur élaboration, occasion de négocier avec les différents services qui navaient alors que les RHN pour interlocuteur. Or, en 2006, les affectations ont, apparemment, été préparées complètement à Paris, en partie pour des raisons de calendrier. Dès lors, le rôle des RHN nest pas celui dun « tiers départageur » dans le cadre des négociations intra-organisation ; il se limite plutôt à une action sur des cas particuliers, quand des services refusent tel ou tel candidat qui leur est proposé ou alors à un rôle en matière daffectations inter-services (changements habituels ou, au contraire, conséquences dune situation difficile, dune inadéquation) pour les agents qui restent à Nantes. Ce rôle peut permettre aux RHN de disposer dune ressource par rapport aux autres services qui doivent passer par elle et ce, dautant plus que lon retrouve ici la question des critères de sélection présidant à certaines affectations à Nantes.
Quant aux promotions dans le cadre des commissions administratives paritaires, les RHN ne semblent pas non plus avoir un rôle vraiment porteur : lorsque, de manière générale, il semble que, « à mérite égal, le bon agent à Nantes na rien », « au final, cest le chef de service qui avait le plus de relations avec Paris qui faisait avancer ses troupes » (attachée dAdministration centrale). Une telle situation ne laisse pas de surprendre certains agents de Nantes estimant que les RHN devraient davantage être écoutées, car elles portent la voix de plus de 1 000 agents. On est loin ici de la « fonction tribunicienne », qui pourrait être reconnue à ce service local : là encore, la centralisation est forte et imprime sa marque aux modalités de la représentation. Les RHN ont plutôt un rôle dans la transmission dinformations nécessaires aux gestionnaires du personnel à Paris : sur les congés maladie, le temps partiel
mais les gros services peuvent également être tentés de court-circuiter les RHN sur ces points, par exemple, parce quils disposent dun bureau des Affaires générales qui rassemble toutes ces informations. Notons que les agents peuvent également adopter une tactique de contournement analogue en sadressant directement à leur « guichet unique » à la sous-direction des RH2. Ce nest pas lajout des services généraux dans le giron des RHN ou dautres réformes de son champ de compétences qui leur ont assuré une position plus forte : la dimension verticale, et donc les liens organiques avec Paris, priment sur la dimension horizontale, ce qui est finalement conforme à la logique bureaucratique : les RHN se situent sur le même plan que les autres services, le poids des effectifs en moins. Peu clair, son mandat ne comporte pas lidée dune fonction représentative. Les attentes des agents rencontrés restent néanmoins fortes sur ce plan, mais déçues par le faible rôle prêté aux RHN : les décisions sont prises ailleurs, indépendamment ou presque de leur action.
Ce défaut de « cohésion » renforce la fragmentation qui caractérise la vie des services à Nantes, fragmentation présentant certaines analogies avec celle prévalant dans la société féodale : les différents bâtiments qui, sauf pour Breil IV, abritent un service, sont autant de fiefs dont les titulaires ont peu de rapports avec leurs homologues à Nantes. Ils orientent leurs « hommages personnels » vers le Centre : vers leurs hiérarchies respectives, mais aussi vers un service comme la DRH ou vers le secrétaire général, seuls à même de les départager dans les rivalités pouvant les opposer, par exemple, concernant les affectations du personnel, de lattribution de postes, etc. La faiblesse des liens existant entre eux localement, voire les rivalités qui peuvent apparaître en matière daffectations (chacun cherchant à attirer vers lui sinon, les agents les plus compétents, du moins, ceux ayant le moins de difficultés, par rapport à la force des relations avec Paris) font quil est difficile de parler de « pouvoir périphérique » pour les services nantais, même si le « pouvoir » de cette implantation périphérique dans son ensemble ou, plus exactement, son autonomie par rapport à Paris nest pas nulle. À Nantes, les services tiennent davantage aux agents dans leur ensemble, notamment, par exemple, à la question des horaires de travail et à la structure de la pyramide des grades.
Il faut évoquer aussi le rôle des RHN en matière de dialogue social, mission importante au vu de la forte mobilisation des agents affectés à Nantes dans les élections professionnelles et de la présence des syndicats, fréquemment évoquée dans les entretiens (on compte treize permanents syndicaux à Nantes, qui nont pu être rencontrés). Ce point a été abordé à travers la consultation organisée auprès du personnel à Nantes à propos du règlement intérieur : faut-il appliquer celui en vigueur à Paris ou ladapter (la question centrale, elle reviendra dans presque tous les entretiens, est celle de la mise en uvre des horaires variables et du maintien ou non des plages fixes dont on verra que le sens qui leur est donné localement nest pas celui quon leur donne à Paris) ? Un questionnaire a été mis en ligne entre le 19 au 26 octobre auprès des agents nantais. 357 agents ont répondu, soit moins dun tiers : 198 (55,5 %) en faveur du projet n° 1 (maintien des plages fixes pour pointer) et 159 (44,5 %) pour le second (horaire de référence souple à préciser, par service). Le projet retenu par la consultation devait être soumis pour avis au CTPS du 1er décembre, puis au CTPM du 6 décembre pour une mise en vigueur début 2007. Il maintenait, par rapport à cette question, des horaires cet autre aspect de la « spécificité nantaise ». Celle-ci senracine également, et peut-être même surtout, dans lactivité des différents services présents à Nantes.
Des activités administratives et techniques
Pour lessentiel, lactivité des services nantais se répartit entre le consulaire (SCEC, SDCE, CRV) et des tâches de soutien (comptabilité traitement, carrières et pensions, comptabilité centrale et informatique). Mais, on la dit, cela ne veut pas dire que les relations entre ces services soient intenses cette situation qui tient peut-être aussi (mais cette variable nest pas vérifiable en létat actuel de la recherche), aux titulaires des postes. Par contre, la situation prévaut dans le cas dun poste où un même agent peut être conduit à faire du visa et de létat civil. Il sagit de tâches peu valorisées dans lensemble du ministère. Sur ce plan, la situation périphérique et les sentiments mitigés quelle induit sen trouvent encore renforcés. On touche ici à une autre dimension des « particularités nantaises » telles quelles sont fréquemment évoquées, discours qui participe cependant pleinement à celui sur la spécificité des Affaires étrangères et qui, de ce fait, maintient un lien par ailleurs jugé ténu.
Le Service central dÉtat-civil est chargé de la gestion de létat-civil des Français de létranger : Français de naissance ou naturalisés. En son sein, on distingue notamment les bureaux de délivrance, chargés de délivrer des actes demandés par des particuliers, des notaires
, et le service de la rédaction, chargé de la retranscription dactes, des ajouts de mention sur les livrets de famille, etc. Dans les deux cas, le travail est perçu et présenté comme un « travail de production » : « Cest un sujet extrêmement intéressant, létat civil, mais dans un bureau de délivrance, on a un peu une impression de stakhanovisme, dune course à la délivrance des actes
le travail est perçu comme répétitif et les agents font ce quils peuvent pour repartir le plus vite possible » (conseiller des Affaires étrangères). Il sagit en effet dopérations répétitives, le nombre dactes à délivrer étant très important. Ainsi, les agents sont astreints à un nombre minimum de délivrances quotidiennes (100 à 150) pour faire face aux demandes reçues, désormais en grande partie dématérialisées (le service reçoit en moyenne 8 000 lettres par semaine, contre 16 000 en 2 000 et il y a 4 500 demandes en ligne chaque jour, certaines pouvant être faites en double ou plus, venant notamment de particuliers sinquiétant des délais de délivrance : « Les gens peuvent faire trois demandes, on répond trois fois ! » ; quant au guichet, ouvert au rez-de-chaussée du bâtiment Breil IV, le public y est accueilli à partir de 8 h 30 le matin et jusquà 11 h 30, le guichet fermant entre 12 h et 13 h, puis à 16 h, la journée terminant à 16 h 30, cette demi-heure permettant d« écluser » les demandes déposées dans la journée. 1 000 personnes environ se présentent chaque mois au guichet du Service central dÉtat civil, chiffre finalement assez limité au vu de lensemble des demandes reçues par ce service. Le rapport à « lusager » reste donc à Nantes largement indirect, la mise en ligne du formulaire de demande dacte ayant encore accentué cette caractéristique.
Malgré la généralisation du travail sur écran grâce à la télétransmission (pour les visas aussi, les demandes sont transmises par les postes via linformatique), « Il y a toujours un retard à rattraper » (conseiller des Affaires étrangères), retard structurel omniprésent dans tous les entretiens avec limage dagents qui « nen finissent jamais ». Pour le limiter, chaque agent du SCEC, même les secrétaires du sous-directeur doivent délivrer quotidiennement des actes, « système de solidarisation » (idem) qui présenterait en outre lavantage dintroduire de la diversité pour lensemble des agents. Des opérations « coup de poing » ont également lieu pour permettre de traiter les demandes en instance et de réduire drastiquement leur nombre : elles mobilisent les agents dautres bureaux du SCEC. Reste quelles déplacent souvent le problème : les services qui arrêtent de travailler voient le travail saccumuler, limpression et lexpédition fonctionnent, elles, à plein rendement : 6 à 8 000 plis sont envoyés chaque jour, mais, pour réduire le stock induit par une opération coup de poing, il faudrait en faire partir 20 000.
Au vu de ces chiffres, de ceux traités dans les autres services (ainsi le centre de Traitement des documents sécurisés (CDTS) traite chaque année en moyenne 200 000 demandes de passeport et 100 000 demandes de carte nationale didentité, CNI), certains posent alors la question de savoir sil est utile de délivrer ces actes : des décisions politiques en termes de pièces justificatives peuvent avoir un impact direct et très rapide sur lactivité de ces services, aussi bien au SCEC, à la SDCE quau CDTS. La demande peut aussi varier au cours de lannée. Cest le cas, notamment, au CDTS. Ce service reçoit et traite les demandes de passeports, par voie informatique, et celles de cartes nationales didentité, sur papier, avant de les transmettre aux services chargés détablir ces documents : pour les cartes nationales didentité, « cest une demande qui est saisonnière, au début du printemps on a le pic le plus important, le deuxième, cest fin novembre, avant les fêtes » (secrétaire des Affaires étrangères). Dans ce cas, difficile dêtre proactif, les agents estiment ne faire que « réagir » : « Cette année, on a pris une grosse claque en délivrance avec le nouveau passeport qui a suscité une importante inflation de la demande
nous subissons les grands mouvements » (idem).
Sagissant de la comptabilité, les informations recueillies confirment celles obtenues en poste : il sagit dune tâche très technique et peu recherchée. Pour autant, quand un agent a commencé à sy intéresser, il entend, en quelque sorte, rentabiliser son investissement de départ. Reste que si, lors du stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C, ceux-ci ont pu entendre à plusieurs reprises que la comptabilité était, au ministère des Affaires étrangères, « un métier davenir », les candidats restent peu nombreux pour une tâche qui nest pas toujours très bien perçue et dont la réputation ne sort pas grandie par les difficultés rencontrées par certains agents « bombardés » comptable en poste. Le remplacement des agents qui partent peut alors savérer difficile dans cette sous-direction qui soccupe à la fois des traitements des agents (recueil des informations à transmettre à la Trésorerie qui effectue les paiements) et des pensions. Le sous-directeur de la comptabilité note que la formation se fait souvent sur le tas, mais certains ajustements avec les autres services sont parfois nécessaires. Il ajoute : « Si jai besoin dune compétence particulière, surtout pour SOS compta, je le fais savoir, cest un mot magique SOS compta, on connaît les besoins de léquipe, ses qualités, son utilité, donc on ne me pose pas trop de problèmes là-dessus » (conseiller des Affaires étrangères).
Cette « section » du bureau de lAssistance et du développement informatique a effectivement une responsabilité importante : il dépanne, au sens propre du terme, les comptables qui, en poste, rencontrent des difficultés. Cette responsabilité tient à limportance accrue prise par la comptabilité et à celle de la gestion, notamment dans le cadre de la LOLF, branches qui ne semblent pas avoir fait lobjet dun réel investissement de la part des agents appelés à devenir chefs de poste, même si, au vu des chiffres de ceux qui suivent le stage de niveau IV à lIFAAC qui leur est destiné et qui aborde, entre autres, les questions de comptabilité, les choses sont peut-être en train de changer. Grande responsabilité aussi dans la mesure où « les problèmes qui ont pu surgir, ils sont très rares mais quand ils se produisent cest énorme, cest de lordre de deux à trois par an, cest peu, mais les sommes sont considérables parce que cest un individu qui a réussi à dissimuler des détournements sur plusieurs années » (conseiller des Affaires étrangères). Sur ce plan, on attend beaucoup des comptables quand la vigilance de leurs supérieurs hiérarchiques ne doit plus être prise en défaut. Enfin, le travail à la comptabilité, par exemple au service des traitements, connaît des variations saisonnières : lété est particulièrement chargé avec les départs en poste et la nécessité de préparer les dossiers des partants, situation qui pose des difficultés dans la mesure où les agents en charge des dossiers sont eux-mêmes en congés.
Dans lensemble, tous les cadres rencontrés estiment que pour la plupart des agents de retour de létranger, larrivée à Nantes est difficile : le travail est moins intéressant, car ils ont moins de responsabilités quen poste, moins de possibilité dinitiative : « Cest dur pour eux, ils ont à létranger souvent du travail beaucoup plus intéressant, beaucoup plus varié, là on leur dit quils feront de la délivrance, moi je dis quil faut être humble dans le travail, on a de la chance de pouvoir partir, de gagner sa vie, il faut le dire, et de faire du travail qui est motivant
justement, quand on revient de létranger, on doit être capable de se débrouiller dans les tâches détat civil on va dire » (secrétaire de chancellerie). La différence est aussi importante par rapport à Paris, mais pour dautres raisons : « Il est plus difficile pour eux de séclater dans leur travail ici, il y a un côté un peu usinier dans leur travail, alors quà Paris vous êtes proches des dossiers plus intéressants
» (chargée de mission). Conclusion dun agent travaillant au SCEC qui fait référence à la noblesse du métier diplomatique, référence obligée, mais qui pose évidemment la question du statut de ceux qui ne le pratiquent pas : « À BR2, ils font des actes à longueur de journée, ils reconstituent létat civil, cest pas folichon !
Il y en a certainement pour qui cest très dur, mais bon, ils ont cette capacité de se réadapter
ici, cest pas forcément le plus noble, je ne pense pas que les sous-directeurs se bousculent au portillon, cest comme une entreprise, hein, létat civil » (secrétaire de chancellerie). Dans ce cas, faire du bon travail, cest ne pas laisser le retard saccumuler, ce serait trouver des moyens de fluidifier les flux
comme laffirment beaucoup dentre eux. On retrouve ici cette conception particulière de ce qui élève, qui serait, à suivre Philippe dIribarne, propre à la France : « On trouve en France la conception de la grandeur propre à une caste attachée à son rang, qui ressent comme une atteinte insupportable toute demande deffectuer des tâches indignes de celui-ci », conception aristocratique sil en est, qui donne toute sa valeur au statut de lindividu.
Les agents qui reviennent de létranger sont confrontés à ce « sale boulot » dont Everett Hughes explique que « tous les métiers [en] comportent
Il est difficile dimaginer un métier dont les membres ne sont pas, de manière récurrente, pratiquement obligés dapparaître dans un rôle dont ils pensent quils devraient avoir un peu honte. Dans la mesure où un métier implique une conception du moi, une notion de dignité personnelle, ses membres devront probablement, à certains moments, faire quelque chose quils considèrent comme infra dignitate ». Cette dimension est tempérée par les aspects positifs de laffectation à Nantes et par lassurance quelle ne constitue quune parenthèse avant un autre séjour à létranger. Elle peut cependant alimenter les difficultés rencontrées par une population dont une partie, on la dit, est sélectionnée en fonction de profils particuliers, ces deux points, celui relatif à la difficulté de larrivée à Nantes et celui concernant les caractéristiques de certains agents travaillant à Nantes étant mis en évidence par les mêmes personnes. Une des solutions possibles pour limiter les effets du « sale boulot » est de le déléguer : cest le cas au SCEC, par exemple au bureau de lAccueil et de la communication où une vingtaine dagents soccupe de limpression et de lexpédition des actes délivrés, dont trois quarts sont des vacataires. De manière générale, à lÉtat civil, ces derniers sont, tous les mois, une soixantaine de vacataires ; ils ne peuvent effectuer plus de cinq heures par jour, vingt jours par mois et ne sont recrutés que pour deux mois au maximum. Il est également possible de faire diversifier lactivité au sein de la journée : ainsi les agents qui assurent laccueil du public au guichet le matin, ne le font pas laprès-midi. Lactivité peut présenter en elle-même des moyens de sortir de tâches jugées pénibles : cest le cas des demandes dactes sur papier. Une personne, affectée depuis peu dans un bureau de délivrance estime ainsi : « Il y a les demandes papiers, ça, ça mintéresse plus parce quau moins on a limpression de
de chercher un petit peu plus
daller un peu loin
alors que sur lécran, cest coché, cest comme ça, ça part » (adjointe de chancellerie). Ces lettres peuvent constituer des parenthèses dans le travail : parenthèse positive quand elle alimente limagination sur la vie des demandeurs, parenthèse négative quand elles viennent compliquer la tâche faute de précisions nécessaires sur le type de document demandé, ladresse où envoyer la réponse
(dans les cas où il nest pas possible de répondre, cest le flot des réclamations qui croît), etc.
Quand elle est fonction de lactualité, la fluctuation de la demande donne du sens à une activité la plupart du temps routinière : cest principalement le cas des visas qui « vous ouvrent sur le monde entier et sur
la politique, et sur
léconomie et sur tout. Le visa, cest vraiment une matière
il se passe nimporte quoi dans le monde : les Coréens décident de faire
un essai nucléaire et bien ça a des conséquences
quand les tours reçoivent deux avions dans le ventre, ça a des conséquences, vous voyez, cest tout
un ministre se déplace, ça a des conséquences. On est au cur de lactualité
nationale, internationale
» (secrétaire des Affaires étrangères). Cette situation, en lui donnant une autre dimension, liée au « cur du métier », facilite linvestissement dans le travail pour un service dont le domaine de compétence est déjà dun ordre particulier, puisquil sagit de traiter les demandes de visas pour lesquelles des consultations sont nécessaires, cest-à-dire, les visas qui ne peuvent être attribués directement par le poste où la demande est faite : consultations auprès du ministère de lIntérieur et des partenaires de la zone Schengen. Cette dimension particulière du travail, le fait que la matière soit soumise à des aléas extérieurs à la stricte logique administrative (le risque migratoire et le risque sécuritaire) conduisent aussi les agents qui y sont soumis à travailler dans lurgence et peuvent être source de pression, car la matière visas est exposée aux interventions auxquelles un bureau spécifique est chargé de répondre à la SDCE. Ces interventions peuvent émaner du cabinet ou, pour lessentiel, des parlementaires qui relaient des demandes faites par des particuliers ou des associations. Elles peuvent aller jusquà un OD, un ordre de délivrance : la logique politique lemporte alors sur la logique administrative pour des dossiers dont le service estime que le dossier ne présente pas les garanties suffisantes. Sur ce plan, les agents qui travaillent à la SDCE relaient lexpertise des agents affectés dans les postes et la renforcent en transmettant des informations obtenues notamment de leurs autres partenaires : mise en évidence de réseaux de fraudes documentaires, antécédents de non-respect des délais de séjour en France, etc.
En comptabilité aussi, linvestissement dans le travail est notable, particulièrement au service SOS compta. On est ici face à lélite des comptables : on vient les chercher, on les interroge, y compris à propos des affectations, signe de létendue de leur champ de compétence. Le passage par cette section étant, pour les agents, un signe de reconnaissance de leur compétence en matière comptable et une promesse pour les postes ultérieurs et ce dautant plus quelle est loccasion de continuer à se former à partir de cas difficiles, ce qui ne serait pas possible ailleurs : « Cest un travail intéressant, on aide les postes, ce côté SOS compta ça apporte quelque chose de plus quon ne retrouve pas en poste
» (secrétaire de chancellerie). Au final, « les gens qui viennent là, il faut quils connaissent
que ce soit des comptables confirmés
les agents de SOS compta, les ambassadeurs se les arrachent un peu » (adjoint de Chancellerie), dans la mesure où ils offrent toutes les garanties pour éviter que des problèmes ne surgissent et permettent aux chefs de postes de se reposer sur eux, de ne pas trop simpliquer dans une matière moins noble. Limportance de ce service est dailleurs telle quelle place ceux qui y travaillent dans une position plus indépendante des voies hiérarchiques, les questions arrivant là de partout, sans forcément suivre la voie hiérarchique, par ailleurs plus présente.
Le poids des structures administratives
Conséquence des caractéristiques des tâches accomplies, la répartition des agents entre les différentes catégories fait apparaître une large prédominance des agents dexécution qui représentent les trois quarts des effectifs. Précisément, en octobre 2006, on comptait 92 agents de catégorie A (dont 36 contractuels), 199 agents de catégorie B (dont 7 contractuels) et 939 agents de catégorie C, dont 6 contractuels, soit un total de 1 230 agents, soit respectivement 7,5 %, 16,2 % et 76,3 %. Leffectif global apparaît aussi féminisé : les femmes représentent 66 % de leffectif total et 35 % des agents de catégorie A, 51 % des B et 76 % des C. Si lon sintéresse aux agents travaillant à temps partiel, pour les agents de catégories A et B, ils sont 24 dont 14 à 80 % et 10 à 90 % (mais sur les 24, il ny a que 4 A) ; pour les C, il y a 157 agents, soit un sur 6, qui travaillent à temps partiel, là encore majoritairement à 80 % (140).
Au vu de ces chiffres, on peut faire plusieurs observations qui complèteront des points évoqués précédemment. Sagissant du prestige des postes de catégorie A, dimension très importante dans lévaluation personnelle et collective, celui, assez faible, des postes de Nantes, montre que la hiérarchie des postes ne dépend pas uniquement, voire pas du tout, des effectifs à la tête desquels on se trouve. Si lon sintéresse maintenant aux agents des autres catégories, on peut remarquer que leur fort taux de féminisation à Nantes confirme lhypothèse de femmes travaillant pour avoir un revenu dappoint. Enfin, un agent de catégorie C rentrant en France et affecté à Nantes se trouve intégré dans une structure administrative de grande taille. Même sil était à létranger dans un poste lui-même important en termes deffectifs, son « prestige » est désormais moindre : il est placé dans un ensemble anonyme où les tâches sont très parcellisées : « Aujourdhui, lorsque vous êtes affecté au SCEC et que vous rentrez de létranger, vous êtes rédacteur, le poids de la hiérarchie est encore très fort
le problème que vous régliez à létranger, vous devez maintenant demander au chef, qui lui-même demande à son chef, etc., donc ça va prendre deux ou trois mois » (attaché dAdministration centrale). Ceci ne peut que nourrir les inquiétudes par rapport à « tout ce qui, en France, dune manière ou dune autre, entretient des rapports avec la place attribuée à chacun dans la société » et ce, même si, pour certains, « la structure en pyramide est assez développée, ce qui offre la possibilité de révéler les capacités dencadrement, y compris pour les agents de catégorie C » (conseiller des Affaires étrangères). Pour autant, on ne saurait ignorer le fait que, depuis plusieurs années, les agents qui ont réussi le concours de catégorie C sont largement surdiplômés, ce qui pose évidemment la question de leur rapport aux fonctions quils ont à occuper : « Certains lont compris et veulent passer des concours, dautres ne sadaptent pas, ne comprennent pas que ce quon leur donne à faire, cest des tâches techniques, répétitives » (conseiller des Affaires étrangères), situation qui peut aller jusquà la radiation à la fin de lannée de stage. Pour eux aussi, la perspective du départ à létranger peut être un moyen de « tenir ».
Dans lensemble des services nantais, la question de lencadrement prend une acuité particulière. Des agents qui, ayant gravi les différents échelons de la hiérarchie, occupent désormais des fonctions « à responsabilité », estiment que leur rôle est « de motiver léquipe, lencadrer, la conseiller et regarder
distribuer le travail en quelque sorte. » En somme, « on essaie de moduler, cest pas facile, cest un peu le stress des gens davoir tant de travail à faire... il faut tenir compte des différences, par exemple sur la vitesse de travail
je ne le vois pas comme un travail de gardes-chiourmes, il faut que ça se passe dans le dialogue » (secrétaire de chancellerie). Le souci pour la répartition du travail est dimportance pour une hiérarchie administrative. Ainsi, au service des traitements de la comptabilité, il faut répartir les pays entre les agents en tenant compte du nombre de dossiers à traiter pour arriver à une répartition aussi égalitaire que possible, cette division du travail étant révisée « tous les ans
parce quil y a des évolutions dans chaque pays : lAfghanistan, pendant une période il ny avait que deux agents, maintenant, y en a peut-être dix, et puis ainsi de suite pour tous les pays, il faut rééquilibrer » (secrétaire de chancellerie). Tâche qui doit également tenir compte du fait que certains peuvent travailler à temps partiel
et que cette possibilité est rarement refusée à un agent (si un agent demandait à travailler à temps partiel et que cela risquait de gêner le fonctionnement du service, par exemple parce quil est ouvert au public sur des horaires plus longs, on préférerait changer la personne de service ou avoir recours à des vacataires plutôt que de le lui refuser).
Reste que, au Service central de lÉtat civil (et dans une moindre mesure à la SDCE), du fait de limportance des demandes et dans un souci de rationalisation, les agents ont des objectifs individuels, parce que des objectifs « par bureau, ça marche pas ». Cela peut modifier la situation et partant, lintégration des agents à leur activité. Ces objectifs ont été établis sur la base détudes faites pour savoir combien un agent peut délivrer dactes : « Les gens, ils savent le travail quils ont à faire, cest pas toujours bien perçu, mais bon, on ne peut pas faire autrement » (secrétaire de chancellerie) : les agents sont placés dans une logique de résultats à court terme dont certains pensent quils sont contrôlés grâce à des « mouchards informatiques. » Mais, à la différence des institutions de « larête tranchante » décrites par Richard Sennett, les agents peuvent continuer davoir des « bénéfices prévisibles à long terme » et faire perdurer une image du moi investi dans une administration qui reste solide. Et de fait, malgré les difficultés évoquées dans les entretiens ou les observations faites dans les services, la loyauté institutionnelle reste forte : elle est sans doute fonction des gratifications à long terme offertes par la carrière (que lon songe notamment aux départs à létranger) et par le souci de « bien faire son travail », condition du respect de soi.
Autre point notable en matière dactivité et dorganisation du travail dans une structure très administrative : la durée du temps de travail. À Nantes, elle est décomptée sur un mode qui sest rigidifié : on parle effectivement de « plages fixes » de pointage, les agents devant, chaque jour, travailler au moins de 9 h 30 à 11 h 30 et de 14 h à 16 h, sachant quils pouvaient pointer à partir de 7 h 30 le matin. Or, au vu des entretiens, les agents sont non seulement très attachés à ce système, mais ils lont en quelque sorte détourné : la plupart considèrent les plages fixes comme des horaires fixes et expliquent que leur journée de travail va de la première heure du matin et la première heure de pointage possible de laprès-midi pour la sortie. Une telle attitude renvoie à une possibilité dinterprétation des contraintes de lorganisation, une « modulation interprétative ». Or, remarque Richard Sennett, « il en va dans les sociétés comme à larmée : on peut être malheureux dans une institution tout en lui étant fortement attaché ; même si elle nest généralement pas heureuse, une personne à qui on laisse le loisir de donner du sens à ce quelle fait sur son petit territoire se lie à lorganisation ». On peut noter aussi que le règlement sapplique de façon identique à tous les services, sans tenir compte de certaines nécessités (accueil du public, etc.). Cest ce que regrette en ces termes une personne rencontrée : les agents « senferment dans un rythme qui ressemble à celui de lusine, mais pourquoi est-ce que ça doit être appliqué à tous les services ? » Ce rythme, partiellement vérifié lors des observations conduites sur place, est justifié par ceux qui ladoptent par les encombrements sur la route : arriver et partir tôt (car beaucoup viennent travailler en voiture) permettrait de les éviter. On entend aussi dautres évaluations de ce respect alors jugé « scrupuleux » des horaires de travail : il serait le signe dun investissement moindre dans le travail : « On fait ses heures et on sen va. »
De manière générale, lexpérience acquise, fonction du temps passé à un même poste, est perçue comme une compétence notable et reconnue. Elle peut permettre de gagner en autonomie. De leurs côtés, les changements fréquents dans les équipes, avec un turn over dun tiers en moyenne chaque année (dû à la double vocation et à la mobilité interservices), qui pourraient rendre plus difficile le développement de la confiance informelle au-delà de lappartenance à une « même maison » et, partant, poser des problèmes de cohésion, ne suscite presque aucun commentaire négatif. Si tous estiment quil faut un temps dadaptation, beaucoup partagent le sentiment que « quelquun qui a été dans plusieurs postes, qui est habitué à la mobilité, il sadapte plus facilement, il sait sadapter à des situations un peu particulières » (secrétaire des Affaires étrangères). On retrouve alors le thème de la polyvalence. Rares sont ceux qui sinquiètent de ce que ceux qui arrivent naient quune idée : repartir, et dont on estime, ce jugement étant courant, quils ne sinvestissent que peu dans leur travail.
La « spécificité » nantaise
Pour finir, revenons sur le discours sur la « spécificité ». Récurrent dans tous les entretiens, il renvoie à trois éléments principaux : la localisation par rapport à Paris (Nantes, une Administration centrale décentralisée), le type dactivité (la prédominance des activités consulaires et de soutien, quil sagisse de la comptabilité et de linformatique) et la pyramide des grades (prédominance des agents de catégorie C). Un tel discours, dont un des aspects est la récurrence de la référence aux ouvriers imprimeurs comme « fil rouge » entre ces trois dimensions, même si, et peut-être justement parce que, ce groupe professionnel a vu ses effectifs fondre, ne peut que nourrir lidentification à ces sites, mais aussi à la catégorie. On pourrait rapprocher la situation à Nantes, cette fois du côté des agents, dune communalisation, le lien entre eux étant fondé sur un sentiment subjectif dappartenance. Un tel lien est évidemment facteur de cohésion et, pour suivre Anthony Obershall, nourrit la mobilisation sociale en ce que cette forme du lien entre les acteurs se double dune distance par rapport au centre du pouvoir. Là serait peut-être la plus manifeste des « spécificités nantaises ».
4 Limbrication du travail et du hors-travail
La particularité du MAE, soulignée par beaucoup dagents et fortement rappelée par le DRH est lalternance des postes, notamment entre la France et létranger qui, si elle existe dans dautres administrations, est plus forte et généralisée quailleurs.
Un travail familial
Le conjoint, un assistant bénévole ?
Plus que dans dautres métiers exercés en France, le travail en ambassade à létranger implique une forte imbrication de la vie privée et professionnelle. Tout dabord, un certain nombre de tâches effectuées par les diplomates, celles liées à la vie sociale, aux visites, réceptions et dîners se font plus facilement en couple. Lobservation dune réception donnée par une grande entreprise française à loccasion dune biennale dart contemporain montre bien ce travail en couple : on y croise lambassadeur et son épouse et la plupart des responsables du SCAC. Les rencontres et les interactions sont à la fois amicales et professionnelles (occasion de se tenir au courant des initiatives artistiques, dentendre les demandes et doléances, de rappeler limplication de la France dans le développement culturel du pays, etc.). La présence du conjoint permet de donner un ton plus amical, plus détendu aux propos.
Être seul peut parfois être problématique pour linvestissement dans la vie sociale. Lambassadeur de Suède à Washington remarquait quaprès le départ de son épouse (qui avait été un an avec lui aux États-Unis au début de sa mission) en Suède où elle devait occuper un nouvel emploi, ses sorties le soir sétaient nettement réduites, car il se sentait mal à laise daller seul à des dîners où les autres se rendaient habituellement en couple. Le premier conseiller dune des ambassades visitées fait remarquer : « Quand on fait des dîners et quon invite Mr et Mme en face, cest pas forcément évident de le faire quand on est seul, cest aussi bête que ça ! »
De plus, les épouses ou conjoints jouent un rôle considérable dans ladaptation au pays, la création dun nouveau réseau social, la recherche de solutions pratiques (école pour les enfants, logements, domestiques, etc.). Dans la répartition traditionnelle des tâches au sein des familles internationales, lhomme impulse la mobilité et la femme stabilise la famille.
Diplomate est aussi un métier qui implique la famille du fait de la mobilité généralisée (changement tous les trois ans, deux ans parfois pour les chefs de poste). Cela est souvent justifié par la nécessité de ne pas être trop proche et embourbé dans le pays daccréditation. On risquerait alors de perdre son objectivité ou son enthousiasme. Parfois, cela permet de mieux supporter les situations ou les collègues difficiles (« ce nest quun mauvais moment à passer »). Enfin, cest aussi un moyen de faire tourner les agents, notamment sur les postes les plus convoités.
Mais cela peut également poser des problèmes, tant sur le plan du travail (continuité dans les services et dans laction, adaptation en profondeur au pays, sa culture, ses institutions, sa langue, ses habitants
) que pour lorganisation de la vie privée : déménager, perdre ses anciens réseaux de relation, etc. De lavis de beaucoup de personnes interrogées, psychologiquement aussi bien que matériellement, il est préférable dêtre en couple pour supporter ces passages.
Daprès de nombreuses personnes, avec lévolution de la société, la plus grande égalité hommes-femmes et la timide féminisation du corps diplomatique français, la division traditionnelle des tâches dans le couple de diplomates serait aujourdhui remise en cause.
La lecture de mémoires de femmes dambassadeurs et de travaux historiques permet de reconstruire une sorte didéal-type de lépouse traditionnelle de diplomate et laide quelle apportait à son mari dans sa carrière et son travail. Issue dun milieu social élevé, elle possède le savoir-faire et le savoir-être nécessaires pour recevoir les élites de la société locale comme nationale, superviser lentretien de la résidence et animer ou participer à la vie féminine des expatriées et des épouses de dignitaires locaux. Par sa famille, elle dispose dun capital relationnel et économique qui facilite lentrée de son mari dans les réseaux dinfluence. Si elle nexerce pas dactivité rémunérée, des activités artistiques et sociales permettent de revaloriser la bonne image du couple dans la haute société locale.
À titre dillustration, on peut évoquer la vie de Geneviève Olivier, dont le mari a été ambassadeur à Chypre et aux Philippines. Elle a fait lécole du Louvre, ce qui lui permet de faire montre dune certaine culture lors des discussions mondaines. Une de ses filles fera de même. « Pour lamour dun diplomate jai épousé le Quai dOrsay, qui ma entraînée de Rabat à Manille via Tokyo, Dakar, Rio, Chicago, Chypre. Coéquipière à plein temps de mon mari, jexerçais selon les heures les fonctions dhôtesse, restauratrice, assistante sociale, agent de voyage, décoratrice, attachée de presse et dautres comme celle de déménageur, qui font moins rêver malgré le flou artistique qui auréole la vie diplomatique. Lorsque vous roulez pour limage de la France, vos hôtes étrangers sattendent à ce que vous reflétiez Dior, Balzac et Versailles réunis, mais vous navez pas toujours les moyens de recruter un cuisinier talentueux, ni dacheter vos robes chez un grand couturier. Recevoir est un métier qui doit avoir lair dun plaisir, quil sagisse dune petite tasse de thé ou dun grand dîner en lhonneur dun ministre français ou dune épouse coréenne. » (p. 11). Plus loin, elle ajoute : « Ces mondanités, loin dêtre futiles, exigent un professionnalisme que jai appris à acquérir. Le sens de la communication et des bonnes relations sont indispensables » (p. 23).
À propos de son passage à Chicago où son mari est consul, elle précise que les célibataires sont peu invités dans les dîners et cocktails, doù la nécessité dêtre en couple, surtout pour une femme. Avec les nombreux changements de pays, le retour régulier à Paris, le récit met bien en évidence également limportance et lutilisation du réseau familial, amical et professionnel : à chaque passage par Paris, on leur prête un appartement (ils feront de même plus tard), lors de leurs déplacements, ils ont presque toujours des contacts dans les pays où ils se trouvent.
Elle parle très peu du travail de son mari ou sur un mode amusé : elle se moque gentiment de sa constance à défendre la position grecque face à des chypriotes turcs impossibles à convaincre (« Nous ne faisions jamais que ce que Paris nous demandait »), où pointe la contradiction quil y a, à son sens, à demander à son mari ambassadeur à Manille au temps de Marcos « de faire la leçon » au dictateur tout en développant les échanges commerciaux. Clairement, dans la façon de raconter sa vie et en comparaison avec les mémoires rédigées par des ambassadeurs, il est visible que la diplomatie politique nest pas une affaire de femmes !
En fait, dans le couple, elle a surtout une tâche de relations sociales, de représentation (y compris en animant et en participant régulièrement à des uvres sociales : par exemple, à Manille, elle vend des parfums français, en réquisitionnant laide des épouses de diplomates, au profit dassociations de bienfaisance). Elle représente son mari dans des manifestations où il ne peut aller pour des raisons politiques ou de disponibilité. Ainsi, lorsquelle est à Chicago, Paris demande à son mari dorganiser une cérémonie religieuse pour les obsèques du Général de Gaulle. « Mon mari étant retenu en mission en France, jai dû men occuper seule. Nous connaissions bien lévêque grâce à qui jai pu tout organiser à la cathédrale [
]. Toute de noir vêtue, je métais mise au premier rang, symétriquement au consul adjoint. Javais prêté des cravates noires à tous les membres du consulat qui nen avaient pas. À la sortie de la cathédrale, tout le monde membrassa comme si jenterrais mon mari ! » (p. 92).
Elle parle toutefois du travail de son mari comme dune entreprise familiale à la division du travail bien établie : « On nous avait proposé de partir en Nouvelle-Zélande, mais cétait trop loin étant donné le problème de notre fille Muriel qui devait rester en France [elle est en institution du fait de son handicap]. Lorsquon nous a proposé le poste dambassadeur à Chypre, île chargée dhistoire, nous avons accepté avec plaisir » (p. 100). « Lorsquon nous a proposé le poste dambassadeur aux Philippines, cela nous a paru intéressant. Nous avons recommencé à plier nos affaires. Non seulement les déménagements étaient devenus beaucoup plus simples, dans de grands containers métalliques, mais en outre lorsquon arrive au poste dambassadeur, on sinstalle dans une résidence toute équipée et il nest plus nécessaire demporter son mobilier ni sa vaisselle personnelle. » (p. 114).
En conclusion, elle revient sur les effets que son mode de vie aurait eu sur ses enfants. « Bénédicte ma reproché de lavoir abandonnée tous les soirs de sa jeunesse, elle aurait aimé voyager mais à condition de garder toujours un point fixe. Certes, nous aurions pu imiter les diplomates britanniques qui laissent leurs enfants pensionnaires en Angleterre et les font venir en poste pendant les vacances aux frais du Foreign Office. Mais en France, nous avons peu de ces collèges à vivre, en revanche le réseau des écoles françaises à létranger est le meilleur du monde, qui sen plaindrait. Elle a maintenant trouvé son bonheur, un charmant mari, et depuis des années, ses mêmes placards, ses fleurs et ses confitures ! Ariane, elle, a gardé la manie de changer de maison sans arrêt, avec ses cinq enfants et son mari chirurgien. Quant à Jean-Luc, il a fait sa vie aux États-Unis. Enfant, il se plaignait : vous offrez du champagne à tout le monde, alors que vous refusez de macheter un pull-over ! Sil est vrai que le champagne est un élément incontournable du travail de représentation, ce nest pas pour autant que lon met beaucoup dargent de côté. On ne choisit pas ce métier-là pour faire fortune, mais pour défendre une noble cause : limage de son pays. Jai été plus femme que mère, paraît-il. Les ambassadrices qui mont succédé à Manille ne venaient plus quà Noël et aux grandes vacances. Option bien souvent fatale au couple ! »
Ce rôle traditionnel de femme dambassadeur serait en effet de plus en plus remis en cause par des conjoints (encore majoritairement des femmes, mais un peu moins rarement des hommes) refusant ce rôle bénévole et exigeant de représentation. En outre, une relative démocratisation des recrutements et des sociétés des pays daccréditation rendrait parfois moins nécessaire cette fonction dinterface avec la haute société locale. De plus en plus de femmes semblent refuser les tâches qui ne leur semblent pas valorisantes, mais acceptent toutefois den conserver certaines : la participation a des cocktails ou réceptions, sil est possible de nen sélectionner que quelques-uns, est plutôt plaisante. Une femme dambassadeur, ayant pu conserver son activité professionnelle, rencontrée dans un des postes étudiés expliquait quelle ne voulait pas sinvestir dans la gestion de la résidence ou dans les mondanités, mais acceptait de rencontrer des épouses dopposants au régime que son mari naurait pu voir sans indisposer le pouvoir en place (« Ça, ça ne me dérange pas, cest intéressant ! »).
Quils le veuillent ou non, les conjoints, à partir dun certain niveau, sont toujours soumis à des contraintes fortes de représentation. Plusieurs diplomates dâge moyen nous ont raconté comment ils avaient pu être rappelés à lordre par lambassadeur ou son épouse pour le comportement de leur épouse : tenue vestimentaire trop décontractée ; contact jugé trop proche avec le « petit personnel » local, etc. Certains conjoints, et surtout les hommes, préfèrent ne pas accompagner leur conjoint en poste pour éviter ces contraintes.
Dautres, notamment les conjoints réunis en association, demandent une reconnaissance du statut de conjoint avec la protection sociale, les points de retraites, voire un revenu, afférant. Les arguments avancés étant la difficulté à poursuivre une activité et le risque élevé de divorce laissant lépouse démunie, sans reconnaissance pour les efforts passés.
La carrière du conjoint et les arbitrages familiaux
Si beaucoup dagents de catégorie C choisissent le départ à létranger à loccasion dune rupture familiale, cest que le changement de poste tous les trois ans pose de grosses difficultés pour la prolongation de la carrière du conjoint qui doit suivre lagent. Dans les postes visités, beaucoup dagents ont leur conjoint qui travaille comme statutaire ou comme recruté local à lambassade ou au consulat. Quand les deux agents sont titulaires, la possibilité davoir un poste double existe : elle est très bien vécue par les agents : « Moi, jai joué franc jeu avec la DRH, bon normalement, ce quon appelle un poste double, cest un poste qui concerne soit des personnes mariées ou alors pacsées, réglementairement, légalement cest ça. Bon, nous, nous ne sommes que concubins. Mais moi, jai joué franc jeu avec la DRH, je leur ai dit : Je demande un poste double parce que nous vivons ensemble
. La DRH na pas été trop regardante, enfin, cest vrai quelle aurait pu appliquer la réglementation stricto sensu, mais elle ne la pas fait. Bon, de ce côté-là, elle nous a quand même relativement aidés et elle nous a permis de partir en poste tous les deux au même endroit » (agent catégorie C).
La gestion des postes doubles est toutefois un peu plus difficile concernant les emplois de haut niveau. Dans ce cas, le conjoint a moins de choix et est parfois obligé daccepter un emploi ne correspondant pas à ses souhaits professionnels ou inférieur à celui auquel il pourrait prétendre du fait de son grade.
Quand le conjoint nest pas titulaire, il a aussi la possibilité de trouver un emploi de « recruté local », notamment au consulat. Le salaire proposé est très inférieur à celui des titulaires, mais peut constituer un revenu dappoint dans les couples. Le travail consulaire peut être attrayant pour le contact avec le public, mais aussi usant. Les conjoints qualifiés préfèrent donc généralement chercher ailleurs. « Et puis, ce pays, je ne lavais pas choisi, jétais toujours proche de mon conjoint, dabord jétais en Administration centrale, donc je ne pouvais partir dans un premier temps, mon mari avait un travail à Paris, donc il nétait pas question que je parte, et puis, au bout de quinze ans, il sest retrouvé au chômage, et on a dit : Cest le moment ou jamais de bouger, et on ma proposé ce poste, voilà. Moi, je navais pas choisi. [
] Et bien ici, mon conjoint, il a trouvé par ses propres moyens dans une société pharmaceutique, qui la complètement
du moins, il sest débrouillé par lui-même parce que cest pareil, soit-disant les aides, les aides quon fait miroiter à la Centrale ou les stages pour les conjoints, en disant soutien, etc., bon, cest vrai quon nest pas assisté, mais je veux dire quil ny a eu aucun, aucun soutien, aucune aide de lambassade, il a trouvé son boulot tout seul, en démarchant tout seul, en faisant ses lettres lui-même, bon, il a eu de la chance de trouver du travail quelques mois après être arrivé ici, heureusement, parce que franchement, travailler aux visas cest la seule possibilité et franchement, déjà travailler dans le même endroit que son mari ce nest pas évident, enfin, on est quand même séparés, on nest pas dans le même bâtiment, à la limite on nest pas non plus, mais bon lui préférait aussi trouver en dehors, si possible, de lambassade. De toute façon, déjà, les salaires locaux ici sont minables, je veux dire, il a un poste de directeur actuellement et il touche à peine plus que la personne qui est aux visas, en plus, il est imposable de je ne sais pas combien sur le territoire du pays, donc ça revient vraiment, je ne sais même pas sil ne touche pas moins que mes collègues des visas ici. Mais bon, en attendant, il a un boulot qui lui plait, il encadre des gens, et puis cest bien comme ça, mais la rémunération est nulle, je veux dire, ici, expatrié, cest pas grand-chose, mais ça lui permet au moins de ne pas se couper du monde et de ne pas être à la maison à attendre » (agente catégorie C).
Cette autre femme, agent C, a vu sa carrière très liée à celle de son mari. Pour suivre ce dernier, elle part en Afrique du Nord où elle découvre lexpatriation et la possibilité de travailler pour les Affaires étrangères. Après avoir réussi le concours du MAE, elle est affectée dans un poste multilatéral en Europe. Dans un premier temps, son mari est au chômage, puis trouve un poste de recruté local à la bilatérale. Ses enfants se plaisent dans le pays et elle sarrange, en tournant dans les services, pour y rester huit ans. Elle part ensuite à Nantes, avec ses enfants, mais sans son mari resté sur place pour préparer les concours et pouvoir suivre sa femme en ayant un poste. Or, les enfants vivent mal la séparation et elle doit redemander un poste dans cette capitale européenne : « Jai demandé un rapprochement familial, je suis retournée là-bas, ce qui a eu quelque part des conséquences sur, disons, lavancement, puisque déjà, je ne passais pas les concours dans un premier temps, et puis, cest vrai quà Nantes, ça sest mal passé dans la mesure où jai un enfant qui a fini à lhôpital, cest-à-dire quil a fait une dépression et il sest retrouvé à lhôpital, donc là, jétais complètement coincée. Donc, javais réussi à trouver un travail qui me plaisait, mais javais des gros problèmes avec mon fils hospitalisé qui a dû réapprendre à marcher, enfin, qui a eu beaucoup, beaucoup de problèmes psychologiques, la petite que jamenais régulièrement aux urgences, parce quelle ne supportait pas non plus. Donc on ma proposé de retourner là-bas, enfin, je lai pas mis en avant, mais jai eu lopportunité de retourner dans cette ville, bon, je naime pas spécialement le secrétariat, mais la seule possibilité cétait de faire du secrétariat. » Il se trouve que son mari réussit le concours et doit aller à Paris. Puis, ensuite, elle divorce et en profite pour demander un autre poste à létranger. Elle avait mis le pays où elle se trouve actuellement à la fin de sa liste de vux, parce quil fallait un « choix » supplémentaire et quelle pensait quon ne lui donnerait pas (elle ne pensait pas que cela conviendrait à sa fille venue avec elle, les enfants plus grands étant restés en Europe). Si elle se plait professionnellement dans son poste (après avoir essayé plusieurs poste), sa fille, elle, sy adapte très mal : « Bon, ma fille, de toute façon, elle est déjà
le problème familial qui joue, donc, je veux dire, je pense que je ne peux pas, je ne peux pas me baser sur ma fille, en plus, bon cest vrai quelle est en préadolescence, il y a beaucoup de changements qui se passent à la préadolescence, mais cest vrai, effectivement, quelle qui avait énormément dactivités, parce que, bon, jai des enfants précoces, et elle, elle avait à peu près une dizaine dactivités para-scolaires, culturelles, quand on était en Europe, et ici, elle ne veut rien faire et il y en a beaucoup moins, mais il y aurait des choses plus intéressantes, basées sur le pays, alors je ne sais pas, mais je pense quil y a une conjugaison des deux, il y a la pré-adolescence, le fait que pour elle, son pays, comme à chaque fois que pour retrouver mon mari, je suis retournée en Europe et je suis restée longtemps, parce que mon mari, une première fois navait pas de travail, donc cétait mieux de rester sur place pour quil puisse faire ses études, après, cétait mieux dy rester, parce quil avait trouvé un travail de recruté local, jy suis retournée pour le rejoindre puisquil restait pour passer le concours interne, et là, jy retourne pour elle, je veux dire que pour elle, son pays, cest en Europe, donc le problème de mes enfants, cest quen fait, après, ils nont pas assez bougé. Je pense que sils avaient changé souvent, ils auraient eu
malheureusement pour eux, cette expérience na pas été positive, parce que moi, jai été freinée dans mon élan par rapport à lévolution de carrière que jaurais eue, parce que, par exemple, jai été plusieurs fois admissible, etc., mais javais pas le temps, ni la disponibilité morale de passer des concours, mais eux nont pas profité, ils auraient pu senrichir, et de ce fait, ils ne se sont pas enrichis du tout, je veux parler de louverture desprit par rapport à la découverte dautres pays. » Sa responsable hiérarchique sest donc débrouillée, bien quelle ne lait pas demandé, pour lui trouver un poste à lambassade du pays européen où elle a longtemps vécu.
Quand il ne sagit pas de postes « Affaires étrangères », les personnes interrogées déplorent le manque de soutien de la part de ladministration pour aider le conjoint dans sa recherche demploi. « Mon épouse est universitaire, quand jai commencé à vouloir partir, on a proposé telle capitale, je navais pas envie dy aller, mais je lui en ai parlé, elle ma dit :Cest génial, on y va
. Elle a été voir son Président, un accord avec lUniversité machin, elle commence à écrire, il y avait un centre de recherche qui dépendait du ministère des Affaires étrangères
et puis ça ne sest pas fait. Ensuite, on ma proposé une capitale asiatique
Très bien, cest dans sa zone de spécialités, elle connaissait des gens, des universitaires, elle retourne voir son Président
Ça ne sest pas fait, le poste a été supprimé. On ma alors proposé une grande capitale, on a discuté, elle ma dit :Cest de toute façon intéressant en terme professionnel, même si je nai pas dactivité, je peux rencontrer des gens
elle a fait son choix, je nai pas pesé sur la décision, si elle avait dit non, jaurais dit non, simplement cétait en milieu dannée. Je suis parti en janvier, à Pâques, elle a pris des contacts, une dispo, elle a rencontré des gens. Et puis après, on ma proposé un poste à Paris en milieu dannée, donc elle a fini lannée universitaire, et puis elle est revenue et a repris ses fonctions. Quand elle est revenue dans des structures que vous connaissez bien, très mauvais accueil
Cétait bien les vacances à létranger, ici tu es en France, ton cours, cest machin qui la repris. Deux ans où elle rame à essayer de retrouver ses étudiants, etc., au bout de trois ans, je lui dis :Jaimerais bien partir, elle retourne voir son Président qui lui dit :Mais vous avez la bougeotte ou quoi ? Ce que je conçois
on a dû trouver une autre formule ici, et aucun appui du Quai dOrsay, zéro
on sest débrouillés, parce quelle est maligne, quelle travaille à lInternational et quelle connaissait des gens ici, voilà, cest comme ça que ça sest fait, et il y avait un accord entre les universités. Et encore, ça nest pas vraiment fait
cest pas forcément facile à gérer. [
] Mais je pense que tout ça doit être un minimum pris en compte, au moins dans ce qui est laccès à linformation. Quand mon épouse a téléphoné au service culturel du poste précédent pour dire : Voilà, mon mari vient dêtre nommé, est-ce que vous pourriez me donner la liste des universités avec lesquelles lAmbassade entretient des relations particulières, le type lui a répondu : Ce nest pas mon boulot un futur collègue ! vous navez quà regarder sur Internet. Dans le fond, au-delà du caractère désagréable de la remarque, ce nest pas son boulot, lui nest pas là pour placer Mme Machin ou Bidule, mais quand même
Cest limite, ça na pas été mon copain
Je nai pas de solution, mais il faut faire attention, jessaie de faire attention aux situations individuelles des gens, et je vois bien que de plus en plus, on a cette difficulté à gérer ça et à tous les niveaux. »
Parfois le conjoint, le plus souvent lépouse, doit changer de métier pour exercer une activité plus « exportable ». Cest le cas évoqué par plusieurs diplomates interrogés : telle épouse juriste de haut niveau ne pouvait pas trouver du travail à létranger, elle a fini par suivre une formation pour devenir ébéniste dart. Telle autre, médecin, a repris des études pour être enseignante dans les lycées français. Les pratiques artistiques et lenseignement sont souvent jugés compatibles avec lactivité du mari, mais labandon de lactivité antérieure, parfois plus prestigieuse, nest pas forcément bien vécu. Une épouse dambassadeur, journaliste politique, ne peut continuer son travail en poste étant donnée la fonction de son mari. Elle trouve un emploi dans le secteur de la communication qui lui convient moins et estime que ce sacrifice lui fait hésiter à suivre son mari dans son prochain poste. Plusieurs diplomates ayant épousé des femmes étrangères, celles-ci ont voulu profiter de la maîtrise de leur langue maternelle pour faire de lenseignement linguistique ou de linterprétariat, parfois avec lespoir de rentrer au Quai dOrsay. Mais les concours ou examens nécessaires sont très difficiles et bien peu y parviennent, devenant mères au foyer ou ayant juste une activité très réduite de quelques heures par semaine. Malgré le souhait de certaines, il nest pas facile déchapper à lactivité quasi bénévole risquant dapparaître plus proche du passe-temps dépouse que de la véritable activité professionnelle.
Les difficultés de la vie à létranger
Vivre et travailler dans une capitale étrangère est à la fois une aventure exaltante et une source de complications dans la vie de tous les jours. Si le coût de la vie est très bas dans beaucoup de pays en voie de développement, vivre en centre ville, avec des standards de vie occidentaux peut être tout de même assez onéreux, surtout pour les recrutés locaux de nationalité ou dorigine française : hausse du loyer dans les grandes villes, prix élevés des produits importés, pratiques locales de prix plus élevés pour les « Blancs », les Occidentaux, etc.
Autre difficulté liée au développement des grands centres urbains, le transport, avec une circulation qui devient de plus en plus dense daprès la plupart des personnes rencontrées : importants travaux dinfrastructures routières, création de nouvelles bretelles dautoroute, augmentation de la circulation automobile sont le lot commun de nombreuses mégalopoles du Sud. « En règle générale, je vais essayer de my tenir de sortir un petit peu plus tôt car ça mévite davoir une heure et demi de transport, comme jai eu les soirs où je suis rentrée tard. Si je pars plus tôt jai 25 minutes, ça fait quand même une différente entre 25 minutes, et la dernière fois jai mis ¾ dheure, cest quand même autre chose quune heure et demi, deux heures » (recrutée locale, expatriée).
Dans une ville du Sud, les difficultés de la vie quotidienne peuvent être gérées, notamment pour les agents titulaires qui en ont les moyens, grâce au recours à du personnel de service. Mais cela demande une certaine compétence. Daprès Marine de Labriolle, épouse de diplomate et psychologue spécialisée dans laccompagnement des familles dexpatriés, « le personnel de maison, on ne sen rend pas compte quand on na pas vécu ça, mais cest un vrai problème. Moi, au début, quand jentendais les femmes de diplomates qui parlaient tout le temps entre elles de leurs bonnes, je ne comprenais pas ; je me demandais où jétais tombée. Mais gérer du personnel de maison, cest quelque chose qui ne va pas de soi. Par exemple, si on a un boy musulman, on ne peut pas faire nimporte quoi : on ne peut pas lui demander de soccuper de son linge intime, ou utiliser sa cuisine quand il est là. Mais il y a des femmes qui le font, elles ne voient même pas où est le mal. Les Affaires étrangères nen parlent jamais de ça. Il y a juste les chefs de poste qui sont un peu formés là-dessus, mais là cest normal, parce que, dans les grandes résidences, ils peuvent avoir beaucoup de personnel à gérer. »
Un agent de catégorie A présente cela comme un véritable travail : « Lavantage, ici, cest quon peut recruter du monde pour soccuper des enfants, cest même indispensable, il ny a pas de garderie, il ny a rien, on a donc du personnel à la maison, cest presque une PME. On a une cuisinière, une femme de ménage, une nounou, un jardinier et un gardien de nuit et un chauffeur, mais cest indispensable. La nuit, il faut un gardien, le jardin est grand, en plus il appartient à lÉtat, on ne peut pas le laisser totalement dépérir, on nous le reprocherait. Il y a une répartition des tâches qui fait quon ne peut pas demander à la cuisinière de faire aussi le ménage, et on voulait quelquun à plein temps pour les enfants, on a trois enfants, quelquun qui ne soccupe de la cuisine pendant que les enfants vont éventuellement courir
. Et le chauffeur cest indispensable pour aller chercher les enfants à lécole, on travaille tous les deux et on ne rentre pas à midi
le minimum, mais en même temps, cest vrai que cest beaucoup. »
Sociabilité au sein des communautés dexpatriés
La littérature (William Boyd, Pierre Jean Remy, etc.), tout comme certaines recherches sociologiques ont largement décrit la vie des communautés dexpatriés, notamment dans les pays en voie de développement : vie « entre soi » dans des lieux spécifiques, coupés des locaux. Si cela peut avoir un effet protecteur face aux difficultés dadaptation à une autre société, cette coupure peut aussi être frustrante pour ceux qui étaient justement attirés par la découverte de lautre. « Moi, où jai beaucoup souffert ici, cest de ce cloisonnement, je trouve ce cloisonnement, enfin, bon, cest vrai que jai peut-être trop envie davoir une ouverture, mais je trouve quici on a un cloisonnement épouvantable, cest-à-dire quon est uniquement en contact avec les services français. Et, cest, cest étouffant parce que je trouve que cest pas une bonne chose davoir une vie privée et une vie professionnelle qui soient trop liées, parce que cest source de problème, fatalement il y a des problèmes, il y a des commérages, il y a des choses, enfin, je trouve que cest pas du tout une bonne chose, même si jessaie davoir un maximum de contacts et donc, jai des contact avec tout le monde, je trouve quon na pas assez de contacts avec les gens des autres ambassades, mais ça, donc je disais, cest certainement parce que jai une expérience dans un poste multilatéral en Europe dans une ville très cosmopolite, donc je pensais au moins avoir une ouverture vers les ambassades extérieures, ce nest pas possible, jai essayé, ce nest pas possible, et jaurais aimé aussi avoir des contacts avec la population locale, parce que jai lu beaucoup sur la région, donc jai lu tous les auteurs que je pouvais, je connais pas mal de types de peintres, je vais à tous les spectacles qui sont organisés, enfin beaucoup de spectacles du service culturel et jessaie den voir à lextérieur, mais par contre les contacts avec la population locale sont complètement faussés par le problème des visas » (agente catégorie C).
Certains agents de catégorie C se plaignent en outre de la segmentation au sein même de la communauté des expatriés. Les différences hiérarchiques se feraient sentir, y compris dans les relations de sociabilité, restreignant ainsi la sphère des amis possibles, dautant que les contacts avec des collègues de même catégorie dans les autres ambassades seraient inexistants, au moins pour les catégories C.
La vie à la française dans un pays étranger pose également des problèmes de décalages dans la vie quotidienne : « Mais une fête comme le 8 mai et le 11 novembre, lambassade a toujours préféré ne pas travailler, ça a toujours été comme ça
ne pas travailler ces jours-là plutôt que les jours qui sont fériés ici, ça peut poser problème. Un, ils sont là, je veux dire les gamins nont pas école, la bonne nest pas là, il faut réussir à organiser le temps, enfin bon, il faut être au boulot et en même temps à la maison, ça cest pas possible, je crois quil faudrait y réfléchir, il faudrait vraiment réfléchir. Je ne sais pas comment ça se passe dans les autres pays, mais je pense quil faudrait vraiment réfléchir au niveau des ambassades à saccorder avec le pays » (recrutée locale, expatriée).
Mais cette vie dexpatriée est aussi « un mécanisme de défense », une façon de reconstruire un petit « village français » à létranger. Une ambassade, daprès la métaphore développée par Alain Bry, est à la fois un sous-marin en eaux étrangères (dont le périscope permet, à travers la presse et les contacts personnels, dobserver le pays) et un Landerneau bien français, lieu disolement relatif autour de la culture et de la langue nationale (doù les risques et les dégâts des mésententes individuelles et des conflits).
Lors de la visite dune manifestation artistique avec un conseiller culturel et son épouse, il fut possible dobserver comment relations de travail et amitié étaient indissociablement liées. Participer à ce genre dactivité sociale est une façon de se retrouver entre soi, de prendre des nouvelles des connaissances. Cest très recherché. Être invité à de tels événements importe et ceux qui, du fait de leur grade, de leur statut (recruté locaux) ou de leur nationalité ne sont pas invités souvent le vivent en général très mal.
Expatriation et scolarisation des enfants
Parmi les enjeux concernant lexpatriation, les problèmes liés à léducation des enfants sont fréquemment évoqués, quil sagisse de leur prise en charge, des rythmes scolaires, des différences de niveaux : il y a la question de la langue, la possibilité de scolariser les enfants dans une école française (possibilité qui dépend de la présence dune telle école, certes, mais aussi du coût de la scolarité), le calendrier scolaire (par exemple un agent affecté dans un pays de lhémisphère sud et qui y arrive au mois de septembre, en plein milieu de lannée scolaire, ce qui peut provoquer un redoublement à larrivée dans le pays étranger ou au retour en France), etc. Voilà qui résume lattitude des agents quant aux effets de lactivité diplomatique sur la vie familiale : « Oh, la vie familiale ! Cest un métier compliqué, à la fois ça unit une famille, mais ça
ça crée beaucoup de perturbations pour les enfants qui perdent leurs amis, leur environnement
pour [l]épouse qui a dû sarrêter de travailler, qui reprend et puis, pof, on repart
elle est obligée de nouveau de sarrêter, de rechercher, donc ça, cest compliqué
La deuxième chose, cest financièrement : du coup quand vous, vous perdez énormément dargent, à chaque fois re-déménager, repayer plein de choses
Donc, cest une vie passionnante, mais, en même temps, il y a de vrais inconvénients sur la vie personnelle » (conseiller des Affaires étrangères).
Daprès les témoignages recueillis, ce sont surtout les enfants qui auraient des difficultés dadaptation : « Larrivée dans le pays, pour les enfants, ça a été catastrophique. Je veux dire ça fait à peu près
, cest maintenant, au moment de partir, quils regrettent presque, quils voudraient rester
mais, lors de larrivée, ça a été dur. Le rythme scolaire nest pas le même, ils ont tous les après-midis de libres, donc, ils ont une surcharge de travail pas possible dans la matinée, il faut quils avalent le programme, alors, je suppose en beaucoup moins de temps que sils étaient en France puisque, je veux dire, ils ne travaillent que le matin et le rythme est épuisant, franchement, et puis à sacclimater au pays, aux gens, ils ont eu du mal, vraiment. Et maintenant ils ne veulent plus partir » (agente catégorie C).
Aux États-Unis, il existe toute une littérature sur les enfants ayant grandis dans différents pays étrangers, baptisés « Third Culture Kids » ou « global nomads ». Si cette expérience peut favoriser le multilinguisme et louverture aux autres cultures, elle peut aussi entraîner des difficultés de réinsertion dans le pays dorigine, des difficultés de communication avec ceux qui nont pas connu cette enfance multi-expatriée, parfois des tendances dépressives.
Une des principales questions, qui revêt une dimension plus large que les seules questions de scolarité des enfants, renvoie aux compensations financières de lexpatriation, au coût de la vie, à celui de la scolarité. Plusieurs personnes interrogées se retrouvent ainsi sur le constat que « certains pays sont moins attractifs. La vie en poste, cest pas toujours rose, ça crée des frais, on y laisse des plumes : ça coûte plus cher en logement, plus la scolarité des enfants et puis, il faut aussi faire bonne figure. Les postes de la zone dollar sont les plus difficiles. Certaines reviennent avec des dettes. Par exemple, je connaissais une secrétaire qui était en poste à Washington et qui ne gagnait pas assez pour scolariser sa fille au lycée français. Donc elle la mis dans le système américain. Au final cétait bien pour elle, puisque, après deux ans, elle était parfaitement bilingue » (conseiller des Affaires étrangères). Il semble, en effet, que la majoration familiale couvre les frais de scolarité, le « frais décolage », comme on les appelle ici, sauf aux États-Unis ou au Canada, où ils ne sont couverts quen cas de poste double (les avis divergent sur la possibilité que les agents ont de demander une bourse scolaire pour les aider). Ainsi, la situation peut être difficile, mais présenter des avantages sur le long terme, que les enfants pourront valoriser dans leur cursus. La réponse de ce conseiller contient ainsi la plupart des enjeux liés à la scolarité et permet dévoquer les stratégies mises en uvre par les agents pour contourner les effets jugés les plus négatifs et donc à ce titre, susceptibles de réduire leur mobilité professionnelle.
On pense dabord au fait que certains refusent de partir parce quils ont des enfants, même si ce nest pas lunique raison. Ce refus peut être permanent ou lié à une période de la vie des enfants (« parce quil se trouve que jai des enfants qui sont en âge scolaire et qui me donnent du souci, jai besoin de les suivre donc cest une des raisons pour laquelle on nest pas parti » conseiller des Affaires étrangères), notamment ladolescence. Les conseils qui sont donnés aux agents lors des diverses formations sur le sujet vont dans le même sens. Pour beaucoup, les ruptures induites par lexpatriation sont moins bien vécues à cet âge. En même temps, lexpatriation peut présenter le risque dattachement, qui rendrait plus difficile, voire impossible, le retour en France : ainsi, le cas dun agent partant à létranger avec un enfant de dix-sept ou dix-huit ans pouvant rencontrer quelquun là-bas et y rester pour y faire sa vie, situation rarement envisagée, mais à propos de laquelle certains émettent des mises en garde. Ce cas rejoint les réticences des parents à partir avec des enfants en âge de passer le bac ou qui commencent des études supérieures : il est alors plus facile de les laisser en France vivre une forme particulière dindépendance, trait dominant de la période pour ces classes dâge.
Un des critères dans le choix des affectations à létranger pour les agents ayant des enfants est la possibilité de scolariser les enfants dans un établissement français. Nombreux sont dailleurs ceux qui se félicitent de ce que la France est « le premier pays au monde à avoir un réseau scolaire à létranger, ça, cest indéniable, les écoles françaises, quand vous allez à X, on vous dit que les hommes politiques ont tous fait leurs études à lécole au lycée français de X » (adjointe de Chancellerie) ou « vraiment, nous avons de la chance, nous avons des lycées français presque partout, ce sont de meilleures conditions, ce sont à peu près des écoles privées » (secrétaire de Chancellerie). Car pour beaucoup, effectivement, ces écoles présentent non seulement lavantage de maintenir le lien avec la scolarité en France en termes pédagogiques, de rythme, etc., mais aussi, celui dêtre de « bons établissements », des établissements élitistes. Dès lors, on explique que « ça a été le critère, un des critères pour accepter un poste cest quil y ait un lycée français » ou « à lépoque on a demandé des postes où il y avait des écoles françaises ; comme on a le plus gros réseau décoles françaises, ça na pas été
jusquau bac, ça na pas été un souci. Après, ils font leurs études en France, donc pas de problème » (adjointe de Chancellerie). Létendue du réseau des établissements français facilite évidemment la satisfaction sur ce point. Cest dans ce cadre particulier que beaucoup des enfants dagents du ministère des Affaires étrangères font leur scolarité dont les parents saccordent très généralement pour dire : « À chaque fois, jai été très content de la scolarité quont eue mes enfants, eux-mêmes ne sen sont jamais plaints » (conseiller des Affaires étrangères).
Certains se demandent néanmoins si ce système détablissements français est encore vraiment adapté, sil ne faudrait pas aller vers des systèmes bilingues, voire internationaux au moment où « de plus en plus de gens mettent leurs enfants dans des écoles internationales, même si elles sont plus chères : nos écoles françaises ne sont quand même pas données, il faut voir ça aussi, mais beaucoup de gens, ça je lai entendu à X, vont vers les écoles internationales » (adjoint de Chancellerie). Cette interrogation qui va de pair avec des questions sur le niveau réel de ces écoles. Il faut dailleurs rappeler que les avantages de lexpatriation pour le « niveau scolaire » des enfants, les connaissances quelle apporte, notamment au niveau linguistique, ne sont pas simplement liées à la scolarisation dans un établissement français, du moins dans les pays non francophones dont la langue est enseignée en France et utilisable plus largement : le simple fait de vivre dans un cadre étranger, peut permettre à des enfants de faire « plus de progrès en cinq ans quen France pendant les cours despagnol, dans un collège ou un lycée français » (secrétaire des Systèmes dinformation et de communication).
Autre façon de limiter les effets « pervers » de lexpatriation en matière de scolarité des enfants, celle de leur assurer une certaine stabilité : pour cela, certains agents demandent à rester dans le poste où ils sont affectés, à y rester quatre ou cinq ans lors de chaque séjour, au lieu de six (deux affectations successives de trois ans), quitte à rentrer directement à lAdministration centrale au terme de cette période, ou alors à prolonger au maximum le séjour en France. Dans ce cadre, cest toute une série de ruptures qui se trouvent ainsi évitées, ce qui sera traité plus loin.
Il est aussi notable que la question de la scolarité, souci et un investissement constants de la part des parents est une « affaire de famille », qui se pose également au retour en France, surtout si lagent est affecté à Paris et si ses revenus ne lui permettent pas dhabiter Paris : il demandera alors dêtre affecté à Nantes : « Pour la scolarité des enfants, cétait beaucoup mieux quà Paris, parce que, encore une fois, cest un problème de moyens, avec nos modestes salaires, on est obligé
daller en banlieue et bon avec
avec les problèmes quil y a actuellement en banlieue, cétait clair que on
donc, ça veut dire aussi scolariser nos enfants dans des écoles à problèmes et tout ça quoi
Alors que là, sur Nantes, on a pu les scolariser dans le centre ville, bien quoi, ils ont
mes enfants étaient bilingues en revenant de Y, on les a scolarisés au lycée Guisthau, au collège Guisthau, où ils avaient des classes internationales et tout, ça a vraiment été pratique quoi, un bon encadrement scolaire
non, il ny avait vraiment que des avantages à venir ici » (adjoint de Chancellerie).
Déménagements et ruptures de cadre de vie
On aborde ici un autre aspect de lexpatriation qui concerne, cette fois, lensemble des agents et illustre très bien la problématique du travail à létranger. Il implique une atténuation, si ce nest une disparition, de la frontière entre travail et hors-travail dans la mesure où cest toute la vie de lagent qui se trouve modifiée, même si, à la différence du ministère de la Défense, la prise en charge de lagent à létranger nest pas totale. La comparaison avec linstitution militaire peut aussi éclairer les particularités de lexpatriation des agents du ministère des Affaires étrangères. Sa fréquence est, pour lessentiel, fonction des « opérations extérieures » conduites par les armées. Le séjour à létranger peut alors se répéter, causant une « surchauffe » au sein des armées, mais sa durée reste limitée à quelques mois. Dans ce cas, le militaire part seul et il vit, là encore la plupart du temps, dans un environnement militaire. Pour lagent du MAE au contraire, la durée est plus longue. Cest tout le cadre de vie qui se trouve modifié ou, plus exactement, lagent se doit den reconstruire un du fait de son expatriation (logement, réseau de sociabilité, etc.). Sur ce plan, les changements daffectation et leur rythme sont proches de ceux que connaissent les militaires, surtout les officiers, au sein du territoire national. Une telle situation peut, évidemment, être problématique, même si elle constitue une des dimensions de lintérêt que représente le fait de travailler dans ce ministère, le départ à létranger étant effectivement fréquemment avancé comme motivation pour la « carrière ».
Le fait que certains aient, eux-mêmes, fait lexpérience de lexpatriation dans leur enfance peut faciliter les choses : « Ça ne me pose pas de problème, jai vécu beaucoup, quand jétais enfant, dans des endroits différents
je trouve que ça, cest plutôt un plus. Ça enlève certaines choses, et ça en rajoute et dans le monde dans lequel on vit aujourdhui, je pense que cest plutôt un plus... Le problème est plus vis-à-vis du conjoint que des enfants, surtout nous, dans les postes où lon va, il y a toujours des écoles françaises intéressantes, je vois les enfants des collègues, ils parlent pas mal de langues
ils ont ce sentiment un peu nostalgique davoir été ballottés, mais dans le monde daujourdhui je pense que cest un plus » (conseiller des Affaires étrangères). Et, de fait, lexpatriation est vécue comme un enrichissement malgré les déplacements fréquents : « Pour la famille, la vraie contrainte, cest les changements, il ny a que les préfets qui savent ce que cest, cest à la fois merveilleux parce quaprès, cest des souvenirs, ça enrichit, mes enfants ont des amis dans toute lEurope et ils ne regrettent rien, mais vous avez à gérer des périodes de transition, alors que vous-même, vous êtes très occupé, qui sont redoutables, et lintérêt, quand vous avez une épouse qui travaille ou qui ne vous accompagne pas, je ne sais pas comment font les gens parce que vous navez absolument pas le temps de gérer les problèmes matériels qui se posent, tout : les transports pour lécole, parce que rien nest prévu ! en poste, à partir dun certain niveau hiérarchique, vous avez normalement un logement que vous payez, de plus en plus cher dailleurs, sauf quand vous êtes ambassadeur, mais pour le reste, quand vous débarquez
on vous laisse faire, cest pas comme les Britanniques, qui ont une liste, un service, là, vous vous débrouillez, vous êtes obligé de gérer le stress de votre famille, de trouver un logement, cest un peu compliqué, une fois que cest fait, cest vrai, cest extraordinaire, mais il y a de vrais stress de famille
» (conseiller des Affaires étrangères).
Lenrichissement mis en avant enrichissement personnel, enrichissement humain , dépend sans aucun doute des postes daffectation, mais, beaucoup de parents notent que, sauf exception, leurs enfants ont pris goût aux voyages, voire à lexpatriation : à propos de lattitude de ses enfants par rapport à lexpatriation, un agent assure : « Ils ont tous beaucoup apprécié. Il y en a qui pensent aller sinstaller à létranger
On a quand même une bonne qualité de vie à létranger mais cest un choix. Je crois quil vaut mieux partir jeune pour shabituer. Mais il y a une chose, il faut être super organisé, il faut veiller à reformer tout de suite votre cocon familial, il faut tout de suite retrouver ses repères et sinvestir pour se plaire dans lendroit où vous êtes » (adjoint de chancellerie). À chaque fois, on touche aux satisfactions éprouvées par les individus à exercer leur métier et leur investissement au sens où, selon Richard Sennett, « Le métier requiert de sinvestir dans lobjet de son travail comme une fin en soi : comme dit Auden dans ce poème, de soublier dans une fonction », tant cette dernière est liée à lexpatriation.
Pourtant, ce changement induit un certain nombre de ruptures que laide apportée par linstitution natténue que partiellement, aide relevant plutôt du mode de lassistance. Elles ont été présentées au cours du stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C. Les agents peuvent bénéficier dune indemnité de changement de résidence, un seul paiement forfaitaire versé à tout le monde couvrant tout ou partie des frais de déménagement, mais qui est parfois effectué tardivement. Ensuite, ils ont la possibilité davoir une ou deux avances sur traitement à rembourser durant les six premiers mois à létranger, sachant que, lorsque lagent doit rembourser deux avances, sa situation financière peut devenir difficile, son traitement étant amputé dun tiers pendant six mois. Les informations recueillies auprès du service des traitements montrent que cette possibilité est largement saisie par les agents sachant que la première avance est automatique. Pour la deuxième avance, un agent soccupant des traitements estime qu« il y a plus de la moitié des agents qui en font la demande, ah oui
oui. Cest très rare quand on nous dit Monsieur Untel est arrivé et ne sollicite pas de 2e avance » (secrétaire de chancellerie).
Parmi les désagréments induits par lexpatriation, il y a lincertitude, le fait de « ne pas pouvoir dire aux enfants comment va être lavenir, ça, les miens me le demandent souvent, ils me demandent si je peux garantir quon va rester ici encore deux ans, ça, cest un vrai problème » (conseiller des Affaires étrangères). Cette incertitude est dautant plus grande que le niveau de responsabilité est élevé et que le poste est exposé à des contraintes politiques. Dautres évoquent la question de la distance entre le lieu daffectation et la France, certains nhésitant pas à privilégier des affectations limitrophes. Cela peut favoriser la proximité avec la famille (souvent les ascendants cette fois) restée en France. Selon cet agent, lidée est alors de « pouvoir faire un travail qui me plaît dans un contexte personnel, je dirais, viable, parce quon sait que dans ce métier, les contraintes personnelles sont quand même lourdes. Jusquà présent, je nen nai pas trop souffert, parce que déjà, je ne me suis pas trop éloigné, le plus loin où je suis allé, cest Bruxelles » (conseiller des Affaires étrangères). Une affectation proche peut également permettre déviter que la famille ne quitte la France. Lagent fait alors le choix du « célibat géographique » : « Justement, jai demandé des postes près de la France, donc dans la mesure du possible, elle restera sur Paris et on fera des allers-retours » (conseiller des Affaires étrangères) , ce qui a bien sûr un coût. Mais lavantage est ici indéniable, compte tenu des attentes des deux conjoints, notamment en termes professionnels. On aborde ici un moyen dêtre « libres ensemble » : le conjoint de lagent expatrié va pouvoir continuer à exercer son activité professionnelle, alors que ceux ou celles qui ont dû labandonner pour suivre leur mari ou, plus rarement, leur femme, le vivent souvent mal : « Mon épouse na plus dactivité. Elle nen a pas retrouvé, elle a été obligée de me suivre et de laisser son travail. Jaimerais bien quelle en retrouve un et elle aussi. Elle se sent inutile
elle a du mal à rester à la maison et le moral en a pris un coup. Cest un handicap [
] Cest un des points faibles de notre métier. Jen connais qui partent en laissant leur épouse à Paris. Cest un point très important, cest un des points qui fera quon aura du mal à terme à recruter de bons agents à létranger. On trouvera toujours des jeunes célibataires ou des préretraités, les autres ce sera plus difficile à cause de la baisse de lindemnité de résidence, de laccroissement du travail des conjoints, à moins bien sûr davoir un poste double, mais là cest vraiment lexception » (secrétaire des Affaires étrangères).
De fait, cest là le mérite essentiel des postes doubles, qui permettent de concilier linconciliable, même si létendue des choix nest pas forcément très large. Du côté de ladministration aussi, ce type daffectation présente des avantages car elle permet d« assurer la stabilité des agents
cest pas tout rose lexpatriation, cest pas du tourisme ! » (attaché principal des Systèmes dinformation et de communication). Peut-être même cela permet-il datténuer les difficultés au retour en France, car celui-ci peut aussi être problématique, notamment quand les agents doivent retrouver un logement, etc. Il y aurait même, ce qui sajoute aux ruptures en termes dactivité, de responsabilité, un « symptôme de létranger », surtout pour ceux qui en reviennent et arrivent à Nantes où lon est beaucoup plus « anonyme » et où il peut être plus difficile de repérer les problèmes. Ceux-ci semblent bien liés à ces retours : « Tous les ans, une nouvelle tranche dagents qui, de par leur départ à létranger et leur retour en France, sont un peu déphasés » (secrétaire de chancellerie) ; on évoque ainsi des « agents qui revenaient de létranger et qui ne le voulaient pas, qui avaient des problèmes dargent
qui, parfois, se consolaient avec de lalcool » (secrétaire des Affaires étrangères).
Les questions soulevées à larrivée concernent dabord le logement que les agents doivent trouver souvent dans lurgence. Sur ce plan, beaucoup regrettent que ladministration ne les aide pas (à linverse de ce qui se passe au retour en France ou juste à larrivée), alors que les attentes sont fortes, comme cela a été signalé aux futurs agents de catégorie C : « Vous nallez pas vous loger dans un logement social local, on nattend pas ça de vous » (secrétaire de chancellerie) et quil nest pas forcément facile de se loger à bon prix et/ou à proximité du lieu de travail dans certains pays, les bailleurs locaux faisant parfois grimper les prix pour les personnels expatriés. Les insatisfactions sont nombreuses, certains critiquant ce quils estiment être « honteux », comparant notamment la situation dautres expatriés, par exemple ceux du privé ou des agents des ministères des Affaires étrangères dautres pays, dont le logement peut être pris en charge (à des degrés divers : recherche, loyer, etc.) par leur administration. Ceci expliquerait que beaucoup hésitent à repartir, la grève de 2003 et le changement des modalités de calcul des indemnités de résidence étant dans tous les esprits, même parmi ceux qui parlent dune grève « denfants gâtés ». Les idées sont alors légion pour améliorer la situation. Un agent, dont cest la première affectation à létranger, rappelle que « les départs en poste
tout ne va de soi, ce qui serait bien, cest quil y ait un guichet départ en poste si vous voulez, quil y ait des gens qui toute la journée répondent au téléphone en disant ça, cest ça ; ça, cest ça, expliquer les démarches quoi, je pense quun guichet unique départ en poste ce serait très, très utile au ministère » (secrétaire de chancellerie). De façon plus concrète, dautres évoquent la question dune amélioration de la prise en charge du coût des transports pour aller faire les « repérages » nécessaires avant linstallation (la prise en charge est possible si lagent prend ses congés avant sa prise de fonction et en profite pour faire toutes les démarches nécessaires à son installation sur place), pour retourner en France, qui pourrait justement faciliter ces retours et, partant, la vie des agents sur place en atténuant certains effets de léloignement.
Pour tous et surtout pour ceux qui, de toute catégorie, estiment nêtre pas assez aidés par ladministration , il reste les pairs, dont la présence est précieuse : « Lorsque vous partez la première fois, il ne faudra pas vous étonner, vous passez trois à six mois difficiles, cest à ce moment-là que les collègues qui sont déjà sur place vous seront très, très utiles
il y a une solidarité sur place entre collègues, ce nest pas un vain mot » (secrétaire de chancellerie). Plusieurs agents ont ainsi fait référence à laide reçue de la part des agents déjà sur place, du prédécesseur ou des futurs collègues, sachant que cette aide commence bien en amont dès le début de la transparence, ce canal dinformations étant jugé le plus fiable (tant sagissant autant de lactivité, de la fonction, que du cadre de vie) : « Il est fréquent de sappuyer sur les gens qui sont déjà en poste : vous reprenez la voiture du collègue, lappartement du collègue, la petite amie du collègue, le chien du collègue » (secrétaire de chancellerie). Tous avec plus ou moins dhumour , vantent cette solidarité, dautant plus forte, que les agents appartiennent au même corps, parfois assimilé à une « famille » (on pense ici notamment aux chiffreurs) qui entre en ligne de compte dans les modes de vie sur place.
C) Modes de vie et niveaux de vie en France et à létranger
Dans limaginaire collectif, laisance des agents du ministère des Affaires étrangères, en particulier celles des agents de catégorie supérieure, nest plus à démontrer. Pourtant, comme le montre la question de la prise en charge des frais de scolarité, la réalité est tout autre. Il reste frappant de constater que lon retrouve ce type danalyse dans les perceptions des motivations au départ. Ressemblant à celles des militaires du rang désirant partir en opérations extérieures, elles seraient avant tout matérielles : lappât du gain guiderait des choix certes intéressés, mais fondés sur les passions et à ce titre non-rationnels, illégitimes eu égard aux façons de concevoir le métier dans son aspect noble, loin des considérations matérielles : « Il y a dans cette maison un rapport un peu bizarre à largent du fait du hiatus entre ce que vous gagnez en France et ce que vous gagnez à létranger, beaucoup y pensent, mais cest inélégant den parler » (conseiller des Affaires étrangères). Le même conseille alors de demander des simulations « pour choisir parmi plusieurs affectations mais cest dommage si cest le seul critère de choix. »
Sans aller jusque-là, nombreux sont les agents soulignant le risque que représente lexpatriation : elle pourrait subvertir le rapport à la réalité, surtout quand elle est prolongée. Travaillant à létranger, lagent peut disposer dun certain nombre de facilités : personnel de maison, chauffeur, grand logement, etc., surtout dans les pays où la main duvre est bon marché, mais qui sont tout de même nombreux au vu de létendue du réseau diplomatique et consulaire français. Ces avantages expliqueraient que beaucoup préfèrent rester à létranger et éprouvent des difficultés à revenir en France. Certains, parmi les plus anciens, y restent et y resteront après leur départ à la retraite. De ce point de vue, un agent, au départ critique à lencontre de la « double vocation » (alternance des postes entre létranger et la France), explique que « ça remet les choses en place, on ne perd pas de vue la réalité, car lorsquon est à létranger, on a une vue biaisée » (adjoint de chancellerie). Cest quil faut aussi veiller à son statut, à agir en conformité avec son rôle, tout lêtre étant mobilisé dans cette perspective, comme nous lexplique un agent : « Je ne peux pas me meubler non plus comme jétais quand jétais étudiant, je ne peux pas non plus rouler en 2CV même si jaime bien les 2CV, il faut que je machète des vêtements, des costumes, des cravates » (secrétaire de chancellerie). Il faut pourtant faire des efforts, pour les enfants, « pour les suivre scolairement, et deuxièmement aussi pour leur dire que la vie en poste, ce nest pas la vie normale, donc ce ne sont pas des gosses de riches » (conseiller des Affaires étrangères).
Le stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C est à ce titre tout à fait révélateur des enjeux liés à lexpatriation. Pour beaucoup dintervenants, il sagit de déminer le terrain à partir des raisonnements supposés tenus par les impétrants. On leur rappellera notamment quils doivent effectuer trois ans en Administration centrale, voire plus sils changent entre-temps de catégorie par concours. Il importe de calmer les attentes de ceux qui sont supposés navoir quune idée en tête : partir à létranger. Les intervenants entendront aussi « dégonfler » le mythe du départ à létranger comme voyage ; ainsi, par exemple, aux Seychelles, « il y a le sable, la mer
mais un petit poste peut être un enfer, ça peut être un collègue que vous ne supportez pas » (conseiller des Affaires étrangères). De même, les affectataires insistent pour dire quil faut parler de soi, dire ses difficultés car « létranger est sans pitié, cest un révélateur » (mais aussi un démultiplicateur de problèmes : on les résout rarement en séloignant de France, leur explique-t-on. Autre argument avancé : si les affectataires tiennent compte des « appétences » des agents, en respectant le principe de les aider « à avoir le parcours professionnel le plus adéquat », le critère déterminant resterait « lintérêt du service ». Doù une ultime mise en garde : « Si vous restez anonyme, nous ferons peut-être des erreurs pour votre affectation à létranger » (secrétaire des Affaires étrangères). En somme, explique un cadre de la DRH, « le choix dune affectation, ce nest pas simplement gagner plusieurs milliers deuros
cest plus compliqué. »
Pourtant, cest lindemnité de résidence qui concentre toutes les attentions. Elle est aussi à la source de nombreux « fantasmes », dans un contexte où beaucoup estiment quon assiste à une baisse généralisée, preuve éventuelle que le budget du ministère des Affaires étrangères servirait, entre autres, de variable dajustement dans léquilibre des finances publiques. Son montant peut venir guider les choix des agents qui sont candidats au départ à létranger. Or, précise un agent lors du stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C, « une bonne indemnité de résidence, comme un train, cache toujours quelque chose : soit cest un risque, un pays en guerre, soit cest les difficultés de la vie quotidienne avec lécart de niveau de vie, soit cest parce que le niveau de vie est très élevé » (adjoint de chancellerie). De fait, si lindemnité de résidence peut atteindre des montants importants dans certains pays où il y a peu doccasions de dépenser, lagent affecté dans un tel pays pouvant alors « senrichir », « les rémunérations, quand elles sont importantes, compensent des sujétions, des risques
les chasseurs de primes ont le plus fort taux de mortalité » (secrétaire des Affaires étrangères). Les indemnités de résidence sont établies en fonction de grilles spécifiques (il y en a trente) alors que le traitement indiciaire est attaché au grade. Cette grille tient compte à la fois de la situation dans le pays (en termes de sécurité), du niveau de vie et de la fonction occupée par lagent. Reste que ces indemnités ne suppriment pas tout souci de « fins de mois difficiles », certains agents cherchant des revenus annexes, par exemple en donnant des cours.
Les indemnités de résidence sont censées compenser certaines sujétions particulières liées à lexpatriation, telles les astreintes au cours desquelles lagent doit être joignable pour faire face à des urgences (accident, visa exceptionnel, etc.) : « Nos compatriotes à létranger sont des gens épouvantables, ils sont dune exigence ! » (secrétaire de chancellerie). Linsistance est aussi récurrente pour dire que malgré limportance de la somme versée à titre dindemnité de résidence, les surprises peuvent être importantes à larrivée en termes de pouvoir dachat, tout autant que de sollicitations : « Le pouvoir dachat est très différent dun pays à lautre, les personnes que vous serez amenés à rencontrer à lextérieur, il y aura un décalage plus ou moins important en termes de niveau de vie et donc des sollicitations plus ou moins nombreuses » (secrétaire de chancellerie). Le montant des indemnités de résidence expliquerait que le départ à létranger soit parfois vu du côté des cadres comme une bouée de sauvetage financier pour certains agents : « Un agent qui est décidé à partir, il fera tout pour partir », ajoute un secrétaire de chancellerie. Les motivations au départ en poste étant alors surtout financières : « Cest très criant à Nantes aussi, parce quil y a beaucoup de petites catégories pour lesquelles il sagit de partir pour vivre mieux » (secrétaire de chancellerie). Certains agents peuvent alors être aidés, soutenus pour obtenir laffectation demandée, voire un départ anticipé. À linverse, le certificat médical daptitude, qui pourrait révéler certains risques à envoyer tel ou tel agent à létranger, est fait une fois que laffectation est établie doù lidée de « faire un travail en amont sachant quun agent qui a un problème daddiction et qui veut partir à létranger, il va le cacher » (secrétaire de chancellerie).
Si lon sintéresse maintenant aux cadres de vie en général, les préoccupations exprimées peuvent rejoindre celles liées à la scolarité des enfants : « En fonction des pays quon vous propose il faut voir sil y a un lycée pour les enfants, les conditions dhygiène, ça joue beaucoup bien sûr, beaucoup de gens qui ont des enfants en bas âge préfèreraient des pays plus développés » (secrétaire des Affaires étrangères), mais alors, le dépaysement sera plus ou moins important, le départ pour un pays plus « exotique » étant alors décalé dans le temps. Suivant le type de pays aussi, le degré de dépaysement, si lon peut dire, le rapport avec les autres expatriés sera différent : la proximité sera forte dans les petits pays, dabord avec les « compatriotes », pour re-créer une communauté, qui rattache à la « grande » communauté imaginée, avec les difficultés que cela comporte : « Dans les petits postes, vous êtes dans un microcosme purement français, vous tournez en rond, alors, si lambiance est bonne ça va, sinon, il suffit dun ambassadeur caractériel pour rendre les choses très difficiles
» (secrétaire de chancellerie). À linverse, ce besoin de contacts avec les expatriés paraît se faire moins sentir dans les postes de pays de niveau et de mode de vie proches de ceux de la France, phénomène que lon observe aussi dans lactivité consulaire. Dans ce type de pays, le système social est généralement développé, ce qui fait que les expatriés se tournent moins vers le consulat que dans des pays où le niveau de prestations est inférieur à celui existant en France.
Lors des stages dinsertion professionnelles ont pu être évoqués certains aspects de lexpatriation (ce qui est emporté de France quand on a « besoin de [son] environnement familier [car] ça peut avoir un effet rassurant » rappelle un secrétaire de chancellerie) ; types de logements, immunités, « bénéfices » liés à ces immunités (achats détaxés contingentés, normalement réservés aux titulaires dun passeport diplomatique, mais dont ces derniers peuvent faire bénéficier leurs collègues quand ils nutilisent pas tous leurs droits). Mais ces aspects restent difficiles à aborder, faute dobservations. Il faut aussi évoquer la question du statut des conjoints sachant que « beaucoup de pays ne reconnaissent pas le PACS, cest encore plus rare pour le concubin » (secrétaire de chancellerie), sachant également que la situation de conjoints de nationalité étrangère peut aussi être difficile et limiter létendue des pays dexpatriation possibles : « Dans certains pays, aucune immunité nest reconnue, ce qui représente un facteur supplémentaire de pression, alors quil y a déjà des pressions quand on est regardé comme le représentant dune puissance étrangère » (secrétaire de chancellerie). La question des immunités revient fréquemment dans les entretiens ; on prend soin de rappeler que lexpatrié nest pas « dispensé de respecter les lois du pays daccueil » : « Si vous avez une amende, si vous ne la payez pas, elle passera par le bureau du protocole et arrivera sur le bureau de lambassadeur. » Belle occasion de démentir limage des « diplomates qui profitent de tout, qui se garent nimporte où » (secrétaire des systèmes dinformation et de communication) et dêtre digne de son « rôle de représentant de la France à létranger » (idem), souci qui rejoint celui, largement diffusé, de limage de la France à létranger.
Les agents, et daprès ce quils en disent, la plupart du temps leur conjoint, présentent souvent le choix de lexpatriation comme une volonté personnelle, généralement expliquée surtout parmi les catégories A par une expérience dans lenfance ou la jeunesse, de vie à létranger : « Comment en êtes-vous arrivé à ce métier ? Ah
comment ; euh
jai. Jai passé mon enfance et ma jeunesse à létranger » (ambassadeur) ; « Il y a un élément biographique de mon enfance, je suis né en Afrique et jai vécu douze ans dans un autre pays africain, en tout, quinze ans en Afrique avec des parents coopérants, enseignants, jai toujours eu le goût de lexpatriation en fait, jai toujours aimé voyager, être à létranger et je voulais un métier qui me fasse voyager » (secrétaire des Affaires étrangères) ; « Mon expérience de coopérant militaire, ça existait encore de mon temps, jétais coopérant en Afrique du Nord, javais de grands contingents. Je ne connaissais pas létranger, le travail ma plu, à lépoque jétais déjà fonctionnaire, jai fait des pieds et des mains pour rester à létranger » (conseiller des Affaires étrangères).
Pour les catégories B et C interrogées, lentrée aux Affaires étrangères est plutôt le fruit de circonstances de la vie, de bifurcations biographiques : échec à un autre concours de la fonction publique, rencontre avec un agent des Affaires étrangères, nécessité de trouver du travail lors de lexpatriation du conjoint, informations sur les Affaires étrangères grâce à un autre contrat, etc.). Mais, dans tous les cas, le départ à létranger est recherché pour des raisons financières et lattrait des voyages, le dépaysement. Il est parfois lié à une rupture familiale rendant possible ou souhaitable le départ : chômage du conjoint ; divorce ou séparation, mutation à létranger du conjoint.
Pour les recrutés locaux dont le conjoint ne travaille pas à lambassade, le choix de la résidence à létranger est souvent le fruit dune histoire personnelle complexe : « Cest vrai que, déjà le choix de ce pays, était un choix de qualité de vie. Jai habité neuf ans Paris, je ne voulais pas élever mes enfants en France. Jétais de locéan Indien, mais je ne préférais pas parce que cétait un peu loin, donc, cest déjà un choix au départ, et cest vrai que si je savais que jallais travailler dans ladministration, jai fait une licence dAES aussi, donc jaurais très bien pu faire un concours au départ, mais ça ne sest pas passé comme ça parce que je comptais faire de laménagement appliqué aux pays en voie de développement, ce que je nai pas fait, bon ce nest pas grave, ce qui fait que bon maintenant, je me vois mal passer un concours. Premièrement, financièrement je nen ai pas les moyens. Parce quil faut deux billets davion aller/retour, et sans être sûr, bien entendu, davoir le concours, ce qui est tout à fait normal, donc ça demande un investissement quand même assez élevé, il faut les examens, les machins, etc., après il faut que je passe deux ou trois ans en France, parce que moi je souhaite repartir, en plus jaurais préféré rester ici, donc, ça veut dire que je sais que je naurais pas ce pays, même si je dois voyager quand même, tout ça cest très aléatoire, cest-à-dire quil va falloir faire énormément de sacrifices » (recrutée locale, expatriée).
Conclusion
Les remarques et analyses faites ci-dessus ne correspondent quà une phase intermédiaire de létude et ne sauraient constituer une analyse achevée. Certains points nont pas pu encore être suffisamment développés, portant en particulier sur tout ce qui concerne les transformations en cours de la diplomatie et les réformes du Quai dOrsay. Un des grands classiques de la littérature sur les diplomates est de présenter ce qui serait le passage dune diplomatie moderne à une diplomatie « post-moderne » (plus centrée sur le multilatéral, la diplomatie publique, le rôle de gestionnaire et de coordinateur des relations extérieures, etc.). Il est souvent difficile de démêler, dans ces analyses, ce qui relève de lobservation empirique de ce qui ressortit au discours rhétorique dailleurs pas si nouveau que cela. Très rapidement, la lecture des travaux dhistoriens et de mémoires ou de romans danciens diplomates a permis de faire quelques remarques sur ce qui semble avoir changé et ce qui est resté très proche. Si les conflits autour des auditoires, la hiérarchisation des fonctions (prédominance du politique sur le consulaire par exemple), les débats sur la carrière et les affectations, les risque de dérive vers une société de cour, etc., sont restés quasiment inchangés, la charge de travail, sous leffet de la mondialisation et de laccélération de linformation ont rendu plus difficiles, et dans beaucoup de postes impossibles, le dilettantisme et lexcentricité parfois décrits par le passé. Les nouveaux moyens de communication, le nombre accru déchanges de toutes sortes, lajout de nouvelles fonctions (diplomatie économique, humanitaire, publique, etc.) nont en rien réduit limportance des anciennes fonctions politiques et dinformation. Quant aux réformes en cours ou prévues (LOLF, évaluation à 360°, etc.) le recul manque pour en mesurer les effets. Il semble toutefois que lorganisation du ministère, notamment le réseau à létranger, ait une grande capacité à digérer les réformes. Ainsi, certains de nos interlocuteurs en Centrale ont fait grand cas des nouveautés importantes introduites à leurs yeux par la LOLF. Mais dans les postes, y compris les représentations permanentes, limpression est tout autre : la LOLF ne changera rien, si ce nest en apportant quelques contraintes inattendues : par exemple ne plus pouvoir recruter ponctuellement des employés « locaux » sur des budgets de fonctionnement ; ne plus pouvoir utiliser les reliquats dheures supplémentaires ou de vacation pour les primes de fin dannée.
Autre changement dont nous navons pas pu suffisamment prendre la mesure : larrivée, encore timide, de femmes dans les grades les plus élevés. Est-ce que cela aura des effets sur le travail, son organisation (notamment la grande amplitude horaire), la place des conjoints
Pour finir, les effets à moyen terme de la fusion avec le ministère de la Coopération auraient mérité une attention plus soutenue.
Face aux transformations des sociétés comme des relations internationales, mais aussi en raison du déficit de légitimité parfois ressenti par les diplomates, il est courant dévoquer la nécessaire modernisation des métiers diplomatiques. Plusieurs débats et enjeux peuvent ainsi être signalés par les agents rencontrés :
Le premier est celui de lévaluation et de la plus grande visibilité de laction des diplomates. Pour certains(notamment les directions gestionnaires et logistiques), les objectifs et indicateurs développés dans le cadre de la LOLF vont favoriser une logique defficacité et démonstration de lutilité de lactivité diplomatique. Dautres sont plus critiques face à des indicateurs quantitatifs qui apparaissent trop simplistes et défendent une évaluation plus qualitative des objectifs et de leur réalisation. Une totale transparence est aussi parfois jugée impossible, du fait de la confidentialité de certaines négociations ou pour ne pas vexer nos partenaires pour qui nos succès peuvent apparaître comme leurs échecs.
La question de lévaluation est aussi liée à celles des moyens que beaucoup jugent insuffisants, face aux restrictions budgétaires et en effectif dans un contexte de demande accrue. Certain insistent toutefois sur la nécessaire réallocation des moyens : réductions du nombre dactions prioritaires, de la carte diplomatique, etc. Les ambassadeurs itinérants, ayant plusieurs pays dans leur portefeuille sont évoqués, mais souvent avec scepticisme. Une plus grande compétence en gestion et finance permettrait aussi de mieux résister aux pressions de Bercy.
Un troisième défi est posé par la multiplication de sujets de négociation internationale de plus en plus complexes, variés et techniques qui supposent une plus grande expertise spécialisée de la part de ceux qui gèrent les dossiers. Toutefois, si les diplomates doivent parfois développer leurs connaissances techniques spécialisées, beaucoup insistent sur le fait quils doivent aussi conserver leur capacité dapproche globale, leur polyvalence. Pour surmonter cette contradiction potentielle, il est parfois préconisé de développer la formation et les possibilités de la suivre régulièrement ou de mieux reconnaître lexpérience acquise dans les filières spécialisées, y compris en restant plus de trois ans dans les postes qui requièrent un long apprentissage. Pour mieux démontrer leur utilité il est souvent jugé préférable davoir des diplomates qui connaissent bien le pays et sa langue. Une autre issue est aussi de développer le travail collectif, en réseau (avec les pairs, les homologues étrangers, les experts dautres ministères
) ce qui nécessite des relations de confiance dans la durée.
Un autre défi est représenté par la multiplication des sujets traités dans des négociations multilatérales, notamment au sein de lUE. Si cela ne rend pas redondant le travail des ambassades dans les pays de lUnion, ce dernier sen trouve changé. Une vigilance accrue sur lactualité rapide des multiples dossiers bilatéraux et européens est indispensable pour rester utile à la relation bilatérale. Mais quand cela est le cas, la présence sur place, les contacts personnels sont précieux, pour les négociations et une meilleure information.
Les systèmes politiques, les sociétés et les économies sétant complexifiées, les contacts traditionnellement privilégiés avec les seules élites politiques ne semblent plus suffisants (même sils restent indispensables). Il faut y ajouter des relations avec des segments plus diversifiés de la société, les milieux économiques, associatifs, les groupes de réflexion (Think Tank).
Pour cela, il est parfois suggéré que le corps diplomatique se diversifie dans sa composition, notamment en souvrant aux femmes, aux minorités visibles et aux postulants issus de différentes filières détude afin dêtre plus à limage de la société quil représente.
Le développement des TICS conduit à une accélération et une multiplication des informations qui oblige à une attention constante (veille collective sur Internet grâce à des réseaux déchange), mais aussi à un partage plus aisé, passant moins par les traditionnels télégrammes diplomatiques quand cela nest pas indispensable.
Pour finir, beaucoup de nos interlocuteurs ont évoqué la difficulté croissant pour les conjoints daccepter une mobilité qui remet en cause leur carrière.
Dans une deuxième phase, les questions qui seront apparues les plus importantes (notamment aux yeux du comité de suivi) dans ce rapport intermédiaire seront approfondies par de nouveaux entretiens, des observations prolongées de certaines phases de travail et éventuellement par une étude quantitative. Pourront être envisagées notamment :
la réalisation dun questionnaire envoyé par mail à un échantillon important dagents du MAE ;
des observations dans des postes, cette fois-ci centrées sur des services précis (service de presse, chiffre
). Il est éventuellement envisagé de revoir des postes déjà observés. Mais des postes différents seraient également intéressants à étudier (petit pays ; très grand poste
). La possibilité détudier un poste multilatéral à Paris, donc à un moindre coût, sera aussi exploitée ;
des études prolongées (une à deux semaines dentretiens et dobservation) de deux des chercheurs de léquipe dans différentes directions ou sous-directions de la centrale à Paris (une direction géographique ou politique et surtout un ou deux services à la DGCID encore peu étudiée). Cela sera aussi un moyen de mieux connaître le travail et les aspirations des agents C et B. Des entretiens dispersés se sont révélés utiles pour aborder le rapport au métier, les satisfactions et les contraintes ressenties, mais insuffisants pour comprendre lorganisation du travail et les relations informelles dans chaque service ;
des observations et entretiens dans des ambassades étrangères à Paris (États-Unis, Grande Bretagne, Belgique, Suisse, Espagne notamment). Le but nest pas de faire du « benchmarking », mais de faire ressurgir, par la comparaison, les régularités liées au travail et au milieu diplomatique et celles davantage liées à lorganisation du MAE français.
Différentes actions de valorisation de la recherche en partenariat avec le MAE pourront aussi être mises en uvre à la fin de cette deuxième phase, notamment :
la publication dun ouvrage de synthèse sur les métiers diplomatiques
lorganisation dun colloque international sur le travail diplomatique réunissant des chercheurs en sciences sociales (sociologie, histoire, ethnologie, sciences politiques) ayant réalisé des études empiriques sur les métiers diplomatiques et des diplomates ayant procédé à un travail de réflexion sur leurs pratiques et leurs activités.
Bibliographie
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Annexe : les membres de léquipe de recherche
Léquipe de recherche se compose de quatre chercheurs ayant une spécialisation et des objets détude complémentaires :
Françoise Piotet, professeur à lUniversité de Paris I, directrice du laboratoire Georges Friedmann, mène depuis plusieurs années des recherches sur lévolution et la transformation de différents métiers (notamment médecins du travail, militaires de carrière, conseillers financiers à La Poste, etc.). Marc Loriol, chargé de recherche au CNRS (et responsable de la coordination du projet « métiers diplomatiques »), travaille sur la fatigue, le stress et lennui au travail (études sur les infirmières, les travailleurs sociaux, les policiers, les conducteurs de bus, les médecins généralistes). Il sintéresse en particulier aux conditions organisationnelles qui favorisent le développement dun sentiment de malaise, ou au contraire de satisfaction, au travail et à la manière dont les salariés expriment ces perceptions (sous la forme de pathologies, telles que la dépression, à travers revendications et actions collectives, par exemple). Valérie Boussard, maître de conférences, a, quant à elle, mené plusieurs recherches sur la mise en place et les conséquences de nouveaux dispositifs de gestion dans différentes administrations publiques et privées. Vincent Porteret, ingénieur de recherche au CNRS, travaille sur les mutations contemporaines de lemploi de la force armée par les États occidentaux.
Sommaire
Pages
Introduction
. 2
1 Trajectoires et carrières
6
Les carrières : entre ladministratif et le social
... 6
Ce que peut nous apprendre lAnnuaire diplomatique
.. 16
Filières et spécialisations
.. 23
La construction de la réputation et la reconnaissance
...
26
2 Pouvoir et coopération
30
Statuts, grades et hiérarchies sociales
...
30
La valorisation du politique et ses remises en cause
.
40
Auditoires, publics et conflits dinfluence
42
3 Contenu et organisation du travail
..... 53
Outils techniques et modernisation des systèmes dinformation
.. 53
Rythmes et temporalités dans le travail diplomatique
..
64
La spécificité des métiers diplomatiques
.. 69
Le travail et son organisation dans les postes bilatéraux
..
74
Les représentations permanentes auprès des organisations multilatérales
83
Le travail consulaire
.. 88
Lactivité de lAdministration centrale à Paris
.
92
Lactivité de lAdministration centrale à Nantes
.... 100
4 Limbrication du travail et du hors-travail
.
.. 116
Un travail familial
...
116
Les difficultés de la vie à létranger
.... 122
Modes de vie et niveaux de vie en France et à létranger
... 130
Conclusion
.
. 134
Bibliographie
...
137
Annexe : les membres de léquipe de recherche
...
.. 142
À ne pas confondre avec la notion de « crise » dans létude des relations internationales : « Une crise est une situation qui menace les buts essentiels des unités de prise de décision, réduit le laps de temps disponible pour la prise de décision, et dont loccurrence surprend les responsables », daprès Hermann C. F., « Some Issues in the Study of International Crisis », in Charles F. Hermann (ed.) : International Crises : Insights from Behavioral Research, The Free Press, New York ; Collier-Macmillan London, 1972 : 13, cité par Lagadec P., La gestion des crises - outils de décisions à l'usage des décideurs, Mac Graw-Hill, 1991 : 51.
Voir par exemple, létude internationale dE. Suleiman, Le démantèlement de lÉtat démocratique, Paris, le Seuil, 2005.
Pour beaucoup des personnes rencontrées, on trouverait là la cause profonde des grèves de 2003, la question des indemnités de résidence nétant quun déclencheur, « la goutte deau qui a fait déborder le vase ».
Les mémoires danciens ambassadeurs sont marqués par cette nostalgie de lépoque gaullienne où la France aurait eu une autre dimension. À ce sujet, voir le récent dossier dAlternatives internationales, « La France a-t-elle encore les moyens de ses ambitions ? », n° 34, mars 2007 : 48-59.
Voir Bazouni Y., Le métier de diplomate, LHarmattan, 2005.
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Pour une présentation de léquipe, voir annexe en fin de rapport.
Les catégories C sont présentes dans lIntranet (Diplonet) du ministère, mais léquipe de recherche na pu y avoir directement accès.
Baillou J. (dir.), Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, tome II 1870-1980, Paris, Éditions du CNRS, 1984 : 885.
Les données chiffrées sont issues de lAnnuaire diplomatique 2006.
À titre dexemple, le concours de catégorie B en 2005 offrait 10 places pour la voie interne et autant pour la voie externe : pour la première, 451 candidats ont été convoqués, 279 se sont présentés et 34 ont été déclarés admissibles ; pour la seconde voie, ces chiffres étaient respectivement : 2593 ; 1116 et 32 (chiffres donnés lors du stage dinsertion professionnelle des lauréats de catégorie C).
Balandier G., « Le pouvoir des anthropologues », in Grawitz M. et Leca J. (dir.), Traité de science politique 1. Lordre politique, Paris, PUF, 1985 : 326.
Sennett R., La culture du nouveau capitalisme (trad.), Paris, Albin Michel, 2006 : 102.
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Porteret V., État-nation et professionnalisation des armées, Paris, LHarmattan, 2005 : 133-144.
Schnapper D., La communauté des citoyens, Paris, Gallimard, 1994 : 190 sq.
Les agents peuvent également suivre des cours particuliers visant surtout à la compréhension et à lexpression orales, que lon peut obtenir « à la demande de laffectataire ». Certains bénéficient aussi dun système dimmersion linguistique, dune durée comprise entre trois semaines et trois mois.
Linstitut a changé récemment de nom : il sappelait auparavant lIFAC, Institut de Formation aux Affaires Consulaires. Y sont organisés aussi les stages de langue pour les agents affectés à Nantes.
Les deux premiers types se divisent en deux phases : un tronc commun avec au terme un contrôle de connaissances qui doit permettre de se rendre compte si lagent révèle plus daptitudes pour le domaine consulaire ou la comptabilité si le choix de loption du stage est fait par lagent, « cest un choix un peu orienté » et une phase de spécialisation. En cas déchec au tronc commun, lagent peut être invité à suivre un stage mono matière pour atteindre le niveau requis et avoir accès au tronc commun.
Liste des emplois vacants ouverts à la mutation, maintenant disponibles sur Diplonet.
Cité dans Sennett R., La culture du nouveau capitalisme (trad.), Paris, Albin Michel, 2006 : 33.
Cf. Dulong D., Moderniser la politique. Aux origines de la Ve République, Paris, LHarmattan, 1997 et, pour une illustration, Hamelin F., « Le combattant et le technocrate. La formation des officiers à laune des modèles des élites civiles », Revue française de Science politique, 53, 3, 2003 : 435-463.
Lodge D., Un tout petit monde (trad.), Paris, Rivages poche, 2003 (1984).
Sennett R., La culture du nouveau capitalisme (trad.), Paris, Albin Michel, 2006 : 89.
Ibid.
Dubet F., Injustices. Lexpérience des inégalités au travail, Le Seuil, 2006.
Eymeri J-M., La fabrique des énarques, Economica, 2001.
Lanalyse des entretiens fait ressortir le registre lexical de la « chance » pour exprimer les étapes de carrière.
Cohen A., Belle du seigneur, Paris, Folio, 1998 (1968).
Et Diplonet, pour les catégories C.
Sédir G, Les diplomates, Paris, Julliard, 1971.
Directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères ; directeur de cabinet du ministre délégué aux Affaires européennes ; directrice de cabinet du ministre délégué à la Coopération, au développement et à la francophonie ; secrétaire général du Quai dOrsay ; directeur général des Affaires politiques et de sécurité ; directrice des Nations Unies et des organisations internationales ; directeur des Affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement ; directeur de la Coopération européenne ; directeur dAfrique et de lOcéan indien ; directeur dAfrique du Nord et du Moyen-Orient ; directeur des Amériques et des Caraïbes ; directeur dAsie et dOcéanie ; directeur des Affaires économiques et financières ; directeur général de lAdministration ; directeur des Ressources humaines ; directeur des Systèmes dinformation ; directeur général de la Coopération internationale et développement ; directeur des Français de létranger et des Français en France ; directeur de lInformation ; ambassadeur en Afrique du Sud ; ambassadeur en Algérie ; ambassadeur en Allemagne ; ambassadeur en Arabie Saoudite ; ambassadeur au Brésil ; ambassadeur en Chine ; ambassadeur en Espagne ; ambassadeur aux États-Unis ; ambassadeur en Grande-Bretagne ; ambassadeur en Inde ; ambassadeur en Israël ; ambassadeur en Italie ; ambassadeur au Japon ; ambassadeur en Russie ; ambassadeur au Sénégal ; représentant permanent auprès de lOrganisation des Nations Unies ; représentant permanent auprès de lUnion européenne.
Il ne sagit pas dun échantillon représentatif des carrières au MAE, mais bien dun échantillon significatif des carrières exceptionnelles, donc par nature éloignées de la norme habituelle (réussite précoce pour certains, cohérence plus élevée des postes et des spécialités, etc.).
Par ailleurs, il est bien connu que laisance dans les langues étrangères est fortement corrélée à lorigine sociale, les « grandes familles » ayant dans ce domaine des pratiques dinitiation précoces : nurses étrangères, voyages chez des cousins ou alliés à létranger, écoles privée plus internationales, etc., comme le rappellent M. et M. Pinçon-Charlot, Voyage en grande bourgeoisie, PUF, 1997 ou Eymeri J.M., op. cit.
Le Pors A. et Milewski F., Piloter laccès des femmes aux emplois supérieurs, Rapport du comité de pilotage pour laccès égal des hommes et des femmes aux emplois supérieurs de la fonction publique, La Documentation française, 2002.
Et aucun, dans notre échantillon, nest entré comme SAE du cadre général, ce qui est significatif.
Cette différence nest pas liée, bien au contraire, à lâge dentrée au ministère, mais au fait que les « beaux » postes occupés par les Orients sont davantage des postes de fin de carrière que ceux obtenus par les énarques de notre échantillon. La comparaison est toutefois délicate, car le type de « beaux postes » occupés par les énarques et les Orients nest pas le même.
Cogan C., Diplomatie à la française, Paris, Jacob-Duvernet, 2005.
DIribarne P., Létrangeté française, Paris, Seuil, 2006 : 12-13.
Ibid., : 55 sq.
Ceci renvoie aux processus dévaluation ; Boudon R. et Bouricaud F., « Valeurs », in Boudon R. et Bouricaud F., Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 2000 (1982) : 663-670.
Boudon R., Le sens des valeurs, Paris, PUF, 1999 : 11.
Seydoux de Clausonne F., Le métier de diplomate, Paris, France Empire, 1980.
Dalak E., « Les femmes diplomates au Quai dOrsay dans les années 1990 », in Femmes et diplomatie. France-XXe siècle, sous la dir. dYves Denéchère, Peter Lang, 2005 : 111-125.
« Lhexis corporelle est un ensemble de dispositions pratiques corporelles, manières de se tenir, de parler, de marcher et de se présenter, socialement construites et incorporées, qui tiennent leur logique du contexte social et du système des représentations qui les produisent. » (Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, éd. de Minuit, 1980).
Seydoux de Clausonne F., Op. cit.
Bry A., Les cent métiers du Quai dOrsay. 1980-2000, Paris, 2000, édité par A. Bry.
Boltanski L, Thévenot L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
Froment-Meurice H., Vu du Quai (1945-1983), Paris, Fayard, 1998.
Une exception semble se dégager, celle des Français célibataires installés dans le pays, qui ne peuvent pas compter sur un deuxième salaire et doivent pourtant assurer un standard de vie à leuropéenne (logement, mode de vie, scolarisation des enfants).
Hugues E. C., « Pour étudier le travail dinfirmière », in Le regard sociologique (trad.), Paris, éd. de lEHESS, 1996.
On retrouve cette distinction entre généralistes et spécialistes à lintérieur du groupe des statutaires. Elle y marque également la frontière entre les activités les plus nobles (travail politique, travail de négociation, etc.) et les activités techniques, matérielles, les moins valorisées (travail consulaire, gestion budgétaire, logistique, etc.).
Crozier M. et Friedberg E., Lacteur et le système, Paris, Le Seuil, 1977.
Le corollaire de la polyvalence est notamment le changement de fonctions et donc, lapprentissage de compétences techniques nouvelles. Pour parer à ces difficultés, les agents de catégorie B ou C peuvent suivre des formations avant leur départ. Cependant, ils ne sont jamais assurés que leur emploi, une fois sur place, sera celui officiellement annoncé. Des changements, décidés par les responsables du poste, sont susceptibles dintervenir dès la prise de fonction, comme en cours de route. Dans ce cas, les formations peuvent savérer inutiles (à court terme) et les apprentissages « sur le tas » sont fréquents. Ces derniers sont, par définition, inhérents aux prises de fonction des agents de catégorie A, généralistes par définition. On pourra remarquer que les incertitudes quant au contenu de lemploi, entraînent une incertitude sur le rapport subjectif à ce dernier. Les agents racontent leur parcours et la succession des emplois comme autant de moments dalternance entre « intérêt », « passion », « richesse » dun côté et « ennui » ou « désintérêt » de lautre.
Mondart D., Les miettes de la diplomatie. Une vie au service des ambassadeurs, LHarmattan, 2005 : 7.
Bry A., Op. cit.
Ce qui se compte reste vil, comme pour la noblesse le calcul était une pratique réservée aux bourgeois.
Cohen S. (dir.), Les diplomates. Négocier dans un monde chaotique, Autrement, coll. « mutations », 2002.
Crozier M. et Friedberg E., Lacteur et le système, Paris, Le Seuil, 1977.
Abbott A., « Écologies liées : à propos du système des professions », in Menger P. M. (dir.), Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisation, évolutions. Paris, éd. de la MSH, 2003.
Il reste à éclaircir les liens entre la chambre de commerce qui figure sur lannuaire de lambassade et le service économique.
Fait significatif, lors de la réunion élargie, tous les attachés du service culturel sont présents, alors que le conseiller économique vient toujours seul.
Dans son roman Les Ambassades, Roger Peyrefitte relate lorganisation, à lambassade de France à Athènes dans les années trente, dun dîner en lhonneur du Roi de Grèce : lambassadeur voulant, pour des raisons politiques, limiter les invités aux grandes familles grecques, lattaché de défense « déclara que si le président des anciens combattants nétait pas de la soirée, il déclinerait lhonneur dêtre du dîner ». Le second secrétaire, quant à lui, plaida pour les familles françaises. Ne jugeant pas leurs épouses assez distinguées, lambassadeur eut lidée de ninviter que les maris, avant de devoir reculer devant les protestations.
Durrell L., Affaires urgentes. Scènes de la vie diplomatique, Paris, Nil éditions, 2004.
Bry A., Op. cit., 2000 : 142.
On a pu rencontrer un seul attaché sectoriel.
Par exemple : Bry A, Op. cit., 2000 ; Dorin B., Appelez-moi excellence, Stanké, 2001.
Kingston de Leusse M., Diplomatie. Une sociologie des ambassadeurs, Paris, LHarmattan, 1998.
Bry A, Op. cit. : 278.
La dématérialisation concerne aussi les visas et les passeports et donc, les agents chargés de traiter ces dossiers : dans les postes et à Nantes.
Parmi les schémas directeurs en matière dinformatique, il y avait lobjectif dun poste de travail unique pour tous les agents, avec la contrainte, quel que soit lendroit où il se trouve, de veiller à cibler les outils logiciels en fonction des agents (« qui a droit à quoi ? », de faire les réglages nécessaires pour que la personne lise ce quelle a le droit de lire, etc.). Tout cela, en lien avec les services de Nantes où les applications propres au MAE, par exemple pour tout le consulaire, sont mises en forme. Le Quai dOrsay dispose de beaucoup dapplications propres, en plus grand nombre que ses homologues étrangers. La consigne est désormais den réduire le nombre.
La mission dassistance a une conséquence organisationnelle : celle de la création de postes régionaux, qui ont la responsabilité de plusieurs postes, dont aucun na de chiffreur à demeure, mais des « agents ressource », qui « font du chiffre », entre autres. Ils sont appelés à traiter eux-mêmes les problèmes informatiques. Sils ne peuvent pas, ils appellent la capitale régionale : aide au téléphone ou déplacement. Par ailleurs, les chiffreurs du poste régional se déplacent dans tous les postes satellites deux fois par an.
Ils avaient aussi le rôle dessayer de limiter certains effets pervers du télégramme, dont beaucoup estiment que cest un outil conçu pour montrer quon existe. Dès lors, « tout est bon pour être lu » : préciser « immédiat », le type de destinataires, le secret, etc, critères qui sont attribués à laide dun autre logiciel : « Compostel ».
Bauman Z., La modernité et ses exclus (trad.), Paris, Payot, 2006 (2004) : 201.
Hugues E. C., « Pour étudier le travail dinfirmière », in Le regard sociologique (trad.), Paris, éd. de lEHESS, 1996 : 70.
Sennett R., La culture du nouveau capitalisme, (trad.), Paris, Albin Michel, 2006 : 42.
Ibid.
Badie B., Limpuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations internationales, Paris, Fayard, 2004 : 260.
Par ordre dimportance : « Action de la France dans lEurope et dans le monde » ; « rayonnement culturel et scientifique » ; « Français à létranger et étrangers en France ». Il faudrait ajouter également le programme « Solidarité à légard des pays en voie de développement », partiellement géré par le MAE et non pris en compte dans la présente étude, et « Audiovisuel extérieur ».
Cet apprentissage sest fait par un travail accru des agents et par le recours au service « SOS compta » de Nantes.
Boussard V., Maugeri S. (sous dir.), Du politique dans les organisations, Paris, LHarmattan, 2003 ; Segrestin D., Les chantiers du manager, Paris, Armand Colin, 2004.
Gadrey J., Socio-économie des services, Paris, La Découverte, 2003.
Boltanski L, Thévenot L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
Freidson, E., Professionalism, The third Logic, Cambridge, Polity Press, 2001.
Thompson E. P., Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, La Fabrique éd., 2004.
Dans cette ambassade, Il ny a pas de réunion de service quotidienne, mais une seule réunion hebdomadaire élargie, une fois par mois, à lensemble des attachés, au principal du Lycée français, au directeur de lInstitut culturel.
De Terssac G., Les temporalités sociales : repères méthodologiques, Toulouse, OTARES, 2006.
Dorin B., Op. cit.
Voir Loriol M. et Boussard V., « Le travail policier et les figures de lusager », Montréal, Actes du Colloque « La police et les citoyens », 2005.
Voir, à cet égard, louvrage de Simon H. A., (1947), Administrative Behavior, New York, NY : Macmillan.
Simmel G., 1908, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation. Trad. française, Paris, PUF, 1999 [chap. 3 : « Domination et subordination » : 161-264].
Site du MAE / Missions et organisation du ministère / La diplomatie multilatérale.
LIndien Kishan Rana, ancien ambassadeur devenu spécialiste académique de la diplomatie bilatérale (cf. Bilateral Diplomacy, New Dehli, Mans Publications, 2002) remarque : « Une des raisons pour lesquelles les praticiens de la diplomatie ne sont pas suffisamment reconnus comme des professionnels est que leurs compétences et leur expertise sont générales, pas assez pointues et spécialisées. La diplomatie revendique sa spécificité en termes dexpertise globale, mais cette même compétence est aussi importante dans dautres activités », dans The 21st Century Ambassador. Plenipotentiary to Chief executive, Oxford University Press, 2005.
De Senarclens P. et Ariffin Y., La politique internationale. Théorie et enjeux, Armand Colin, 2006.
« Langlais nest plus une langue étrangère », déclarait ainsi, lors de laccueil dune nouvelle promotion de catégorie A, le DRH.
Naville P., « Lemploi, le métier, la profession », dans le Traité de sociologie du travail, 1961.
À linverse, Delia Mondart (Les miettes de la diplomatie, LHarmattan, Paris, 2005), évoque comment, à son arrivée en Israël, elle est placée, sans préparation aucune, à un poste daccueil du public (immatriculation) sans formation spécialisée (elle avait exercé avant des fonctions de secrétariat), parce que, dernière arrivée, elle doit prendre ce que les autres ne veulent pas.
Bry A., Op. cit., 2000.
Froment-Meurice H., Op. cit. : 175.
Cité dans Shaw J., The Ambassador: Inside the Life of a Working Diplomat, New York, Capital Books, 2006.
Powel P. J. et di Maggio W., « The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, vol. 48, 1983 : 147-160.
Daprès Bry A., Op. cit.
Ibid. : 332.
Les « éléments de langage » sont un moyen très important de coordination du travail, dautant plus important que les multiples réunions auxquelles participent les conseillers sont toujours accompagnées dun PV, qui revient à la Délégation et qui atteste de ce qui a été dit.
Mintzberg H., Structure et dynamique des organisations, Les éditions dOrganisation, 1982.
Hughes E.C., in Le regard sociologique, éd. de lEHESS, op. cit.
Weller J.M., « La modernisation des services publics : évolution des approches ces dix dernières années », Recherches et Prévisions, n° 54, déc. 1998 ; Loriol M. « Quand la relation devient stressante. Difficultés et adaptations lors du contact avec les usagers », Humanisme et entreprise, 2004, n° 263/4 : 1-22.
Boussard V, Loriol M., Caroly S., « Catégorisation des usagers et rhétorique professionnelle. Le cas des policiers sur la voie publique », Sociologie du travail, vol. 48, n° 2, 2006 : 209-225.
Jeantet A., « À votre service. La relation de service comme rapport social », Sociologie du travail, 45, 2003.
Freidson E, La profession médicale, Payot, 1986 : 218.
Bry A., Op. cit., 2000 : 109.
Bry A., Op. cit., 2000.
Ibid : 114.
Ibid : 120.
Cf., par exemple, Hassner P., La violence et la paix. De la bombe atomique au nettoyage ethnique, Paris, Seuil, 2000.
David C.-P. et Roche J.-J., Théories de la sécurité, Paris, Montchrestien, 2002.
Weber M., Économie et société (trad.), Paris, Plon, 1995 (1922) : 301-319.
Cf. Cohen S. (dir.), Lopinion, lhumanitaire et la guerre. Une perspective comparative, Paris, Economica, 1996.
Daprès A. Bry, Op. cit.
Bernstein S., La France de lexpansion 1. La République gaullienne 1958-1969, Paris, Seuil, 1989.
Bry A., Op. cit. : 345.
Une centaine dagents ont suivi les stages, tous niveaux confondus, au cours de lannée 2005.
Il est intéressant de noter que plusieurs agents rencontrés et qui nétaient pas affectés à Nantes au début de leur carrière, ont cherché à y obtenir un poste pour renouer avec leurs origines géographiques, avec une région quils avaient quittée pour « monter » travailler à Paris, signe de la vigueur des attaches locales ; Genestier P. et Laville J.-L., « Au-delà du mythe républicain. Intégration et socialisation », Le Débat, nov.-déc. 1994, n° 82 : 154-172.
À la différence de la situation parisienne, le MAE dispose à Nantes dun parc de 25 logements, il sagit dun « parc de réservation », les logements étant la propriété de bailleurs sociaux. En 2005, 46 demandes de logement ont été déposées, 23 concernaient des agents de retour de poste, 20 des agents de lAdministration centrale et 3 des lauréats, 4 étaient le fait dagents de catégorie B, 42 dagents C. 15 familles ont bénéficié de logements attribués hors du parc de réservation, 9 sur le parc de réservation. Parmi les dossiers restants, seuls 4 nétaient pas satisfaits, les autres ayant trouvé dautres solutions, y compris après avoir refusé des propositions faites par le « secteur social ». Au 31 août 2006, 31demandes avaient été déposées (22 pour des retours de poste, 9 pour des agents en fonctions à lAdministration centrale, dont 13 ont été satisfaites (9 dans le parc de réservation et 4 en-dehors). Le rapport précise que le nombre de demandes va être inférieur aux autres années en 2006 (les chiffres présentés montrent quil baisse depuis 2003) du fait du retour dagent « ex-nantais » disposant déjà dun logement (44 sur 100 affectations).
Abbott A., 2003, « Écologies liées : à propos du système des professions », in Menger P. M. (dir.), Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisation, évolutions, Paris, msh, 2003.
Abbott A., 1988, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labour, Chicago, University of Chicago Press, 1988.
On peut rappeler, sur ce point, quun rapport du Conseil économique et social de 1997 regrettait le manque dautonomie des unités installées à Nantes ; Bry, op. cit. : 378.
Cf. Lavau G., À quoi sert le PCF ?, Paris, Fayard, 1981. Par ces termes, lauteur entend que le PCF se voyait affecter par les partis de gouvernement une fonction de représentation dintérêts populaires, rôle non reconnu institutionnellement.
Bloch M., La société féodale, Paris, Gallimard, 1996 (1939).
Gremion P., Le pouvoir périphérique, Paris, Seuil, 1976.
Il faut mettre à part ici la Commission de recours contre les décisions de refus de visas qui, à ce titre, nentretient que des rapports limités avec la SDCE dont elle constitue la voie de recours. Sa localisation même, à létage à lautre bout du bâtiment de la SDCE, entend « signifier lindépendance dune commission interministérielle ». Les contacts existent, ils sont à vocation informative.
On trouve un discours très analogue à propos de la Défense qui, finalement, a été peu analysé en tant que tel ; voir Boëne B., « Permanence et relativité de la spécificité militaire : examen critique de la littérature existante, esquisse dune synthèse », in Boëne B. (dir.), La spécificité militaire, Paris, Armand Colin, 1990 : 188-240 ou Dabezies P., « La spécificité militaire : esquisse dune approche globale de lArmée », Arès, III, 1980 : 77-105.
Est évoquée lidée de faire une journée continue mais elle se heurte, nous dit-on, à lopposition des syndicats.
Daprès le rapport dactivité 2005 du SCEC, au niveau de lexploitation des actes, plus 1,5 million de copies et extraits dactes ont été délivrés en 2005, en augmentation de 2,8 % par rapport à 2004. La part des demandes dématérialisées est de 60 %, celles-ci étant, pour 95 % dentre elles, traitées dans un délai de 4 à 5 jours ouvrés. Les demandes dapposition de mentions et les interventions sur les livrets de famille progressent, elles, plus nettement, respectivement de 4,3 % et 5,5 % (176 700 mentions et 48 644 interventions sur les livrets de famille). Les chiffres repartent à la hausse pour 2006.
DIribarne P., Létrangeté française, Paris, Seuil, 2006 : 97.
Bureau de rédaction 2.
DIribarne P., Ibid. : 49.
Hugues E., « Le travail et le soi », in Le regard sociologique, (trad.), Paris, éd. de lEHESS, 1996 : 81.
Les données obtenues sur place ne permettent pas de connaître la part de femmes travaillant à temps partiel.
DIribarne P., Op. cit. : 84.
Ibid. : 44.
Et donc non « liquide » ; Bauman Z., La vie liquide (trad.), Rodez, Le Rouergue/Chambon, 2006 (2005).
Hirschman A. O., Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.
Richard Sennett explique que « le développement dun talent, quel quil soit, nécessite une part de métier : le plaisir de bien faire ; et cest cet élément qui nourrit lamour-propre, le respect humain. Il ne sagit pas tant dascension que de devenir intérieur » ; Sennett R., Respect. De la dignité de lhomme dans un monde dinégalité (trad.), Paris, Hachette (pluriel), 2005 (2003) : 26.
Ibid., 2005 (2003) : 36.
Weber M., Économie et société (trad.), Paris, Plon, 1995 (1922) : 78-82. Weber distingue la communisation de la sociation, fondée sur un « compromis dintérêts motivé rationnellement ».
Obershall A., Social Conflict and Social Movements, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1973.
Shaw J., The Ambassador: Inside the Life of a Working Diplomat, New York, Capital Books, 2006.
Wagner A.C., Les élites de la mondialisation, Paris, PUF, 1998.
Dasque I., « Être femme de diplomate au début du XXe siècle », dans Femmes et diplomatie, sous la dir. dYves Denechère, Peter Lang, 2004 : 23-42. On retrouve cela dans la biographie dHuguette Pérol, Femme dambassadeur, Paris, F. X. de Guibert, 2002.
Olivier G., Mariée avec le Quai dOrsay. Survol dune Vie, Paris, éd. Pasquier-Fay, 2001.
Wagner A. C., Les élites de la mondialisation, Paris, PUF, 1998.
Bry A., Op. cit., 2000.
Pollock D. C et Van Reken R. E., Third Culture Kids : The experience of growing up among worlds. Yarmouth, Nicholas Brealey/Intercultural Press, 2001.
Une telle référence, sans critère dâge, mériterait dêtre creusée, à la suite notamment de Singly F. de, Les Adonaissants, Paris, A. Colin, 2006 ou Yonnet P., Famille I. Le recul de la mort. Lavènement de lindividu contemporain, Paris, Gallimard, 2006 : 337 sq.
Ferrand M., Imbert F., Marry C., Lexcellence scolaire : une affaire de famille. Le cas des normaliennes et normaliens scientifiques, Paris, LHarmattan, 1999.
Pour une analyse de certains effets de ces missions, cf. : Prévot E., Linfluence des nouvelles missions sur le sens du métier militaire. Fonctions identitaires des représentations professionnelles dans une armée en cours de professionnalisation, Thèse de sociologie, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2006.
Sennett R., Respect. De la dignité de lhomme dans un monde dinégalité (trad.), Paris, Hachette (pluriel), 2005 (2003) : 99.
Les droits à congés avec billets davion varient en fonction de la zone où lon est : les postes de zone A (très difficiles), cest tous les dix mois, les postes de zones B (difficiles), tous les vingt mois, les postes de zones C, tous les trente mois.
Hirschman A. O., Les passions et les intérêts (trad.), Paris, PUF, 2005 (1980).
À létranger, la rémunération se compose du traitement indiciaire de base, auquel sajoutent le supplément familial de traitement, la majoration familiale, identique maintenant pour tous les grades et lindemnité de résidence.
Anderson B., Limaginaire national. Réflexions sur lorigine et lessor du nationalisme (trad.), Paris, La Découverte, 1996 (1983).
Les agents de catégorie C sont généralement sur la liste des personnels techniques et administratifs dambassade : ils disposent dun passeport de service, qui nest pas un passeport diplomatique.
Porteret V., Prevot E., Le patriotisme en France aujourdhui, Paris, Les Documents du C2SD, 2004 : 151-155.
Pour une présentation assez institutionnelle de ces réformes, voir : Bazouni Y., Le métier de diplomate, LHarmattan, 2005.
Voir, par exemple, Berridge G. R., Diplomacy. Theory and practice, New York, Palgrave, 2005 ou Rana K. S., Bilateral Diplomacy, New Dehli, Mans Publications, 2002.
Comme le montre Yvan Bazouni (op. cit.), ces discours existent depuis la mise en place de la SDN en 1919.
Vincent Porteret a été recruté grâce au soutien financier du MAE. Ayant trouvé un emploi, il arrêtera sa participation à létude à la suite de la remise du présent rapport intermédiaire. Il devrait être remplacé par David Delfolie.
DATE \@ "D/MM/YY" 17/04/08
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