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LE LYCEE FRANÇAIS DE LOS ANGELES
LISTE DE TEXTES POUR LES EPREUVES ANTICIPÉES DE FRANÇAIS DE LA SERIE L
SESSION 2017-2018
SEQUENCE 1:
OBJET DÉTUDEEcriture poétique et quête du sens du Moyen Age à nos jours
Problématique
En quoi la section « Spleen et idéal » du recueil Les Fleurs du Mal exprime-t-elle une tension entre les souffrances et les aspirations du poète ?
ISBN-13: 978-2035861566 (Amazon.fr livre de poche 2.00 euros)
Pour lexposé
Lectures analytiquesTexte 1 : « LAlbatros » (II) (mouvement descendant : de lIdéal au Spleen)
Texte 2 : « Elévation (III) (mouvement ascendant contraire : liturgique)
Texte 3 : « La Beauté » (XVII) (allégorie de la beauté ; recherche de la beauté inaccessible et douloureuse)Texte 4 : « Parfum exotique » (XXI) (rêverie et idéal ; synesthésie : importance des sens pour aller vers lidéal)Texte 5 : « La chevelure » (XXIII) (correspondance ; blason ; invitation au voyage)Texte 6 : « Spleen » (LXXVIII)
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
La structure des Fleurs du Mal : cycle Jeanne Duval (XXII « Parfum exotique » à XXXIX) ; cycle de Mme Sabatier, surnommée « La Présidente », du poème XL (« Semper Eadem ») à XLVIII ; Les poèmes XLIX (« Le Poison ») à LVIII forment le cycle de Marie Daubrun, actrice puis le cycle des héroïnes secondaires, des poèmes LVIII à LXIV.
Textes étudiés en classe :
I. Textes échos à « Parfums exotiques » :
Document A : Baudelaire « Le Port », Le Spleen de Paris (1869)
Document B : Baudelaire « Correspondances » « Spleen et Idéal » IV
Document C : Platon « le mythe de la caverne » (extrait)
Groupement de textes 1 : travaillé sous forme de devoir sur table:
Document A - René Daumal, « Les dernières paroles du poète »
Document B - Paul Éluard, Conférence prononcée à Londres, le 24 juin 1936 (extrait)
Histoire des artsPeinture : Gustave Courbet, Le Bord de la mer à Palavas inspiré par Le moine au bord de la mer de C. D. Friedrich.Textes et documents personnels
SEQUENCE 2 : LA FONCTION DE LA POESIE
OBJET DÉTUDEEcriture poétique et quête du sens du Moyen Age à nos jours
Problématique
« Quelles images du poète et de la fonction de la poésie, les auteurs des textes du corpus proposent-ils ? »
Pour lexposé
Lectures analytiques
Groupement de textes
Textes et documents en relation avec la séquence poésie :
Groupement de textes 2 : Les fonctions du poète
Texte 1 : Hugo, « La fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840).
Texte 2 : Hugo «Souvenir de la nuit du 4 », Châtiments (1853).
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Le mouvement du Parnasse :
Document D : T. Gautier: Émaux et Camées, « l'Art »
Groupement de textes 1 : travaillé sous forme de devoir sur table:
Document A - Louis Aragon, « Le discours à la première personne » (extrait)
Document B - Pierre Reverdy « La saveur du réel » Plupart du temps, 1915-1922, 1945.
Document C - Francis Ponge, Proêmes, 1948.
Histoire des arts- Chanson de Léo Ferré : interprétation de « LArt poétique » de Verlaine HYPERLINK "https://www.youtube.com/watch?v=4AbfVj0DCDc" https://www.youtube.com/watch?v=4AbfVj0DCDc
SEQUENCE 3
OBJET DÉTUDELa question de l'Homme dans les genres de l'argumentation du XVIème à nos jours
Problématique
En quoi ce conte de Voltaire permet-il de faire réfléchir le lecteur sur la nécessité de penser avec justesse ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Corpus : une uvre intégrale : Voltaire Micromégas (1752)
ISBN-13: 978-2035861566 (Amazon.fr Livre de poche 1.50 euro)
Lectures analytiques :
Texte 1 chap. I « Voyage dun habitant du monde de létoile de Sirius dans la planète de Saturne ». (en entier)
Texte 2 - chap. II « Conversation de lhabitant de Sirius avec celui de Saturne » (du début à « ...que je fais dans ce monde. »)
Texte 3 - chap. VI « Ce qui leur arrive sur le globe de la terre » (de « Insectes invisibles... » jusquà « dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu. ».
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupement de textes sur les genres de largumentation travaillé sous forme de devoir sur table:
Les différents genres de largumentation :
Document A -Voltaire, Micromégas, 1752.
Document B -Voltaire, Candide, 1759.
Document C -Voltaire, article « Guerre», Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
Document D - Plantu, dessin.
Lecture cursive
Voltaire Candide (1759)Documents en relation avec les langues et cultures de lAntiquitéHercule chez les Pygmées.
Les Titans, fils dOuranos et de la Terre, apparaissent dans lIliade ; les Géants (Les Cyclopes) dans lOdyssée dHomère.
Les géants dans la Bible : cf. David contre le géant Goliath mais aussi Adam.Textes et documents personnels
SEQUENCE 4 : les personnages face à ladversité
OBJET DÉTUDELe personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Comment, à travers la construction des personnages principaux, le roman exprime-t-il une vision du XVIIème siècle ?
Pour lexposé
Lectures analytiques
Etude dune OI, Corpus : - Mme de La Fayette (1634-1693) La Princesse de Clèves (1678)
ISBN-13: 978-2290336663 (Amazon.fr Livre de poche 2.00 euros)
Texte 1 - Le portrait de Mlle de Chartres
Texte 2 - La rencontre avec M. de Clèves
Texte 3 - La rencontre avec M. de Nemours
Texte 4 - Le vol du portrait
Texte 5 - La mort de M. de Clèves.
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceHistoire littéraire
La préciosité.
Le classicisme.
Groupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table: la parole du personnage de roman.
Document A : Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830
Document B : Balzac, Le père Goriot, 1835
Document C : Flaubert, Madame Bovary, 1857
Document D : Zola, Germinal, 1885 Histoire des artsLe personnage (portrait) en peinture :
Document 1 : Hans Holbein, Les Ambassadeurs (1533) (lanamorphose).
HYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ambassadeurs" https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ambassadeurs
Document 2 : Arcimboldo, portrait de Rodolphe II (empereur romain) en Vertumnus
HYPERLINK "https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/arcimboldo/rodolphe2envertumne.htm" https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/arcimboldo/rodolphe2envertumne.htm (15901591), le dieu romain des saisons, de la végétation et de la transformation.
Document 3 : Courbet, Un enterrement à Ornans (1849-1850).
HYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_enterrement_%C3%A0_Ornans" https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_enterrement_%C3%A0_OrnansTextes et documents personnels
SEQUENCE 5 : Lentrée en scène du personnage de roman
OBJET DÉTUDELe personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Quelles sont les principales caractéristiques de lincipit narratif ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Texte 1: Abbé Prévost Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731)
Texte 2: Camus LEtranger (1942)
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceGroupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Lincipit de roman
Document A Marivaux, La Vie de Marianne (1734)
Document B Marivaux, Le Paysan parvenu (1734-1735)
Document C Diderot, Jacques le Fataliste (écrit en 1765- publié en 1783)
Document D Bernardin de Saint Pierre, Paul et Virginie (1787)
Textes et documents personnels
SEQUENCE 6 : LE THEATRE
OBJET DÉTUDELe texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Comment, dans cette pièce, le dramaturge du XXe siècle reprend-il les caractéristiques du théâtre classique pour exprimer des inquiétudes contemporaines ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesuvre intégrale : Corpus : Beckett En attendant Godot (1953)
ISBN-13: 978-2707301482 (Amazon.fr Edition de Minuit 6.90 euros)
Texte 1 : de la première page, jusquà ESTRAGON. - Les mêmes? Je ne sais pas. Silence. » (pp. 9-10)
Texte 2 : de « ESTRAGON. - Qu'est-ce qu'on lui a demandé au juste ? » à « VLADIMIR. - Notre rôle ? Celui du suppliant. » (pp. 23-24)
Texte 3 : de « Pozzo. - Sans lui je n'aurais jamais pensé » à « Pozzo. (
) Ceux qui peuvent se le permettre. » (pp. 45-46)
Texte 4 : de « Pozzo (qui n'a pas écouté). - Ah oui, la nuit
» à « Pozzo (
) Cest comme ça que ça se passe sur cette putain de terre. Long silence. » (pp.51-52).
Texte 5 : de « VLADIMIR Si tu les essayais? » à « ESTRAGON. Elles sont trop grandes. » (pp.96-98)
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceGroupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Document A - Molière, LAvare, acte II, scène 5, 1668.
Document B - Samuel Beckett, En attendant Godot, acte I, 1953.
Document C - Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte I, 1959.
Document D - Alain Satgé, « Mises en scène » dEn attendant Godot, 1999.
Documents en relation avec les langues et cultures de lAntiquitéOrigines religieuses du théâtre : fêtes de Dionysos.
La tragédie grecque : Sophocle, Eschyle et Euripide.Textes et documents personnels
SEQUENCE 7 : LHUMANISME
OBJET DÉTUDEVers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme
Problématique
Pantagruel : une uvre sérieuse ou comique ?
Pour lexposé
Lectures analytiques
Une uvre intégrale : Gargantua de Rabelais (1532) ou encore :
La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel.
ISBN-10: 2081257092 Amazon.fr Flammarion 4.90 euros)
Texte 1 - Prologue de lauteur.
Texte 2 « Comment Gargantua naquit en façon bien étrange » Chap. VI
Texte 3 « Lever matin nest point bonheur ... » Chap. XXI
Texte 4 « Cependant Monsieur lAppétit venait ... » Chap. XXIII
Texte 5 « Comment certains gouverneurs de Pichrocole par conseils précipité, le mirent au dernier péril » Chap. XXXIII
Texte 6 « Comment était réglée la vie des Thélémites » « Fais ce que voudras » Chap. LVII
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupements de textes travaillés sous forme de devoirs sur table :
Lhumanisme face à la guerre:
Document A : Joachim Du Bellay, « Je ne veux point fouiller au sein de la nature » Les Regrets, 1558, sonnet I (orthographe modernisée)
Document B : Ronsard, « Ne prêche plus en France une Évangile armée » Continuation du Discours des misères, 1563, v. 119 à 142.
Document C : Agrippa d'Aubigné, « Je nécris plus les feux de lamour inconnu » « Misères », Les Tragiques, 1615, v. 55-96.
Lhumanisme et la satire sociale:
Document A : Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet 150, 1558Document B : Érasme, Éloge de la Folie, chapitre LVI, 1511. Traduction de Pierre de NolhacDocument C : Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, édition posthume 1577. Adaptation en français moderne par Myriam Marrache-GouraudDocument D : Montaigne, Essais, livre III, chapitre X, 1592. Adaptation en français moderne par André Lanly.
Histoire des artsRenaissance et humanisme.
Caricature de Daumier.Textes et documents personnels
SEQUENCE 8 : Les réécritures
OBJET DÉTUDELes réécritures, du XVIIème siècle jusqu'à nos jours
Problématique
Peut-on parler doriginalité en littérature ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Objet détude n° 7 : La réécriture
Corpus : un groupement de textes littéraires au choix du professeur.
De la poésie à la prose : le blason de la chevelure
Texte 1 : Baudelaire : « La chevelure » in « Spleen et Idéal » Les Fleurs du Mal (1857)
Texte 2 : Baudelaire : « Un hémisphère dans une chevelure » « Le Spleen de Paris » (1869).
De la prose à la poésie : à partir d un fait historique
Texte 1 : Hugo Histoire d un crime (1877) (IV, 1 Les faits de la nuit " La rue Tiquetonne)
Texte 2 : Hugo «Souvenir de la nuit du 4 », Châtiments (1853).
D un registre à un autre : les représentations variées du spleen
Texte 1 : Baudelaire « Spleen » (LXXVIII) extrait de « Spleen et Idéal » in Fleurs du Mal (1857)
Texte 2 : Paul Verlaine (1844-1896) « Il pleure dans mon cur », Romance sans paroles, 1873.
Texte 3 : Jules Laforgue « Spleen », Le sanglot de la terre (recueil de poèmes écrits entre 1878 et 1883 mais publiés posthumément en 1901).
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Document A - Jean de La Fontaine, « La Cigale et la Fourmi », Fables, l, l, 1668-1694.
Document B - Jean Anouilh, « La cigale », Fables, 1967.
Document C - Françoise Sagan, « La Cigale et la Fourmi », Lire c'est partir, 1992.
Document D - Jean de La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau », Fables, l, 22, 1668-1694.
Document E - Raymond Queneau, « Le peuplier et le roseau », Battre la campagne, 1968.
Document F - Jean de La Fontaine, « Le pouvoir des fables », Fables, VIII, 4, 1668-1694.
Documents en relation avec les langues et cultures de lAntiquité
Lorigine grecque et latine des fables.
DEsope à Boileau.Textes et documents personnels
8 SEQUENCES ET 35 TEXTES
Signature du professeur Signature de ladministration
SEQUENCE 1:
OBJET DÉTUDEEcriture poétique et quête du sens du Moyen Age à nos jours
Problématique
Dans quelle mesure peut-on dire que cette uvre, de forme traditionnelle, est à la fois originale et moderne ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesUne partie substantielle dune uvre intégrale n° 1: Baudelaire, section «Spleen et Idéal» des Fleurs du Mal (1857)
Les différentes facettes du spleen : les apparences versus la triste réalité ; le spleen au cur même de lhomme ; lidéal toujours hors datteinte ;
Texte 1 : « LAlbatros » (II) (mouvement descendant : de lIdéal au Spleen)Texte 2 : « Elévation (III) (mouvement ascendant contraire : liturgique)Texte 3 : « La Beauté » (XVII) (allégorie de la beauté ; recherche de la beauté inaccessible et douloureuse)Texte 4 : « Parfum exotique » (XXI) (rêverie et idéal ; synesthésie : importance des sens pour aller vers lidéal)Texte 5 : « La chevelure » (XXIII) (correspondance ; blason ; invitation au voyage)Texte 6 : « Spleen » (LXXVIII)
Texte 1
LAlbatros
1
5
10
15Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!L'un agace son bec avec un brûle-gueule,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l'archer;Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Texte 2
La Beauté
1
5
10Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,Est fait pour inspirer au poète un amourEternel et muet ainsi que la matière.Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;J'unis un cur de neige à la blancheur des cygnes;Je hais le mouvement qui déplace les lignes,Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.Les poètes, devant mes grandes attitudes,Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,Consumeront leurs jours en d'austères études;Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!
Texte 3
Parfum exotique
5
10 Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone:
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'il par sa franchise étonne.
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,
Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
Texte 4
La Chevelure
1
5
10
15
20
25
30
35Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir (1) !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve (2) obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt (3),
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment (4) longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle (5) qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs (6), de flammes et de mâts (7) :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire (8),
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis (9) caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé (10)!
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc (11) et du goudron (12).
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume (13) à longs traits le vin du souvenir ?
(1) nonchaloir : en langage littéraire. Nonchalance (=laisser-aller, mollesse).
(2) alcôve : renfoncement dans le mur d'une chambre où l'on place un ou plusieurs lits.
(3) défunt : mort
(4) se pâmer : être transporté d'un sentiment vif et agréable.
(5) houle : mouvement des vagues
(6) rameurs : personnes qui sont en train de ramer.
(7) mâts : longue pièce de bois ou de métal dressée verticalement le long d'un voilier.(8) moire : reflets changeants et chatoyants d'une surface, d'un objet.
(9) roulis : mouvement alternatif d'un bord sur l'autre que prend un navire sous l'effet du vent ou de la houle.
(10) embaumé : qui sent bondissant
(11) musc : liquide fortement odorant servant en parfumerie.
(12) goudron : produit obtenu par carbonisation des bois (on les brûle)
(13) humer : sentir
Texte 5
Élévation
1
5
10
15
20Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !
Texte 6
Spleen
1
5
10
15
20Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie, étalant ses immenses traînées,
D'une vaste prison imite les barreaux
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambour ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
LXXVIII.
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
La structure des Fleurs du Mal : cycle Jeanne Duval (XXII « Parfum exotique » à XXXIX) ; cycle de Mme Sabatier, surnommée « La Présidente », du poème XL (« Semper Eadem ») à XLVIII ; Les poèmes XLIX (« Le Poison ») à LVIII forment le cycle de Marie Daubrun, actrice puis le cycle des héroïnes secondaires, des poèmes LVIII à LXIV.
Textes étudiés en classe :
I. Textes échos à « Parfums exotiques » :
Document A : Baudelaire « Le Port », Le Spleen de Paris (1869)
Document B : Baudelaire « Correspondances » « Spleen et Idéal » IV
Document C : Platon « le mythe de la caverne » (extrait)
Groupement de textes 1 : travaillé sous forme de devoir sur table:
Document A - René Daumal, « Les dernières paroles du poète »
Document B - Paul Éluard, Conférence prononcée à Londres, le 24 juin 1936 (extrait)
Document C - Louis Aragon, « Le discours à la première personne » (extrait)
Textes étudiés en classe :
I. Textes échos à « Parfums exotiques » :
Document A : Baudelaire « Le Port », Le Spleen de Paris (1869)
Document B : Baudelaire « Correspondances » « Spleen et Idéal » IV
Document C : Platon « le mythe de la caverne » (vision platonicienne)
Le mouvement du Parnasse :
Document D : T. Gautier: Émaux et Camées, « l'Art »
Document A
Le port
1
5Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir.
Document B
Correspondances
1
5
10
La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Document C
1
5« Figure-toi , écrit Platon, des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte quils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient dun feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. »
Platon, La République, livre VII
Document D
« LArt » de Théophile Gautier
1
5
10
15
20
25
Oui, l'uvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :
Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
30
35
40
45
50
55Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Groupement de textes 1 : travaillé sous forme de devoir sur table:
Document A « Les dernières paroles du poète »
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30Et le poète, dans sa prison, se frappait la tête aux murs. Le bruit de tambour étouffé, le tam-tam funèbre de sa tête contre le mur fut son avant-dernière chanson.
Toute la nuit il essaya de s'arracher du cur le mot imprononçable. Mais le mot grossissait dans sa poitrine et l'étouffait et lui montait dans la gorge et tournait toujours dans sa tête comme un lion en cage.
Il se répétait :
« De toute façon je serai pendu à l'aube. »Et il recommençait le tam-tam sourd de sa tête contre le mur. Puis il essayait encore :
« Il n'y aurait qu'un mot à dire. Mais ce serait trop simple. Ils diraient :
- Nous savons déjà. Pendez, pendez ce radoteur. »Ou bien ils diraient :- Il veut nous arracher à la paix de nos curs, à notre seul refuge en ces temps de malheur. Il veut mettre le doute déchirant dans nos têtes, alors que le fouet de l'envahisseur nous déchire déjà la peau. Ce ne sont pas des paroles de paix, ce ne sont pas des paroles faciles à entendre. Pendez, pendez ce malfaiteur !Et de toute façon je serai pendu.Que leur dirai-je ?
On entendit des bruits de baïonnettes et d'éperons. Le délai accordé prenait fin. Sur son cou le poète sentit le chatouillement du chanvre et au creux de l'estomac la patte griffue de la mort. Et alors, au dernier moment, la parole éclata par sa bouche vociférant :« Aux armes ! À vos fourches, à vos couteaux,à vos cailloux, à vos marteauxvous êtes mille, vous êtes forts,délivrez-vous, délivrez-moi !je veux vivre, vivez avec moi !tuez à coups de faux, tuez à coups de pierre !Faites que je vive et moi, je vous ferai retrouver la parole ! »Mais ce fut son premier et dernier poème.
Le peuple était déjà bien trop terrorisé.Et pour avoir trop balancé pendant sa vie, le poète se balance encore après sa mort.
Sous ses pieds les petits mangeurs de pourriture guettent cette charogne qui mûrit à la branche. Au-dessus de sa tête tourne son dernier cri, qui n'a personne où se poser.(Car c'est souvent le sort - ou le tort - des poètes de parler trop tard ou trop tôt.)
René Daumal, "Les dernières paroles du poète", extrait final, Le Contre-ciel, 1936
Document B Extrait d'une conférence prononcée à Londres, le 24 juin 1936.
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5Depuis plus de cent ans, les poètes sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n'ont plus de dieux, ils osent embrasser la beauté et l'amour sur la bouche, ils ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse et sans se rebuter, essaient de lui apprendre les leurs.
Peu leur importent les sarcasmes et les rires, ils y sont habitués, mais ils ont maintenant l'assurance de parler pour tous. Ils ont leur conscience pour eux.
Paul Éluard, L'Évidence poétique, 1937
Document C "Le discours à la première personne" (extrait)
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[...] J'aurais tant voulu vous aiderVous qui semblez autres moi-mêmeMais les mots qu'au vent noir je sèmeQui sait si vous les entendez
Tout se perd et rien ne vous toucheNi mes paroles ni mes mainsEt vous passez votre cheminSans savoir ce que dit ma bouche
Votre enfer est pourtant le mienNous vivons sous le même règneEt lorsque vous saignez je saigneEt je meurs dans vos mêmes liens
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Quelle heure est-il quel temps fait-ilJ'aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdantAvoir été peut-être utile
C'est un rêve modeste et fouIl aurait mieux valu le taireVous me mettrez avec en terreComme une étoile au fond d'un trou
Louis Aragon, "Le discours à la première personne", section 3, Les Poètes, 1960. (Gallimard, Paris 1969).
SEQUENCE 2 : LA FONCTION DE LA POESIE
OBJET DÉTUDEEcriture poétique et quête du sens du Moyen Age à nos jours
Problématique
« Quelles images du poète et de la fonction de la poésie, les auteurs des textes du corpus proposent-ils ? »
Pour lexposé
Lectures analytiques
Groupement de textes
Textes et documents en relation avec la séquence poésie :
Groupement de textes 2 : Les fonctions du poète
Texte 1 : Hugo, « La fonction du poète », Les Rayons et les Ombres (1840).
Texte 2 : Hugo «Souvenir de la nuit du 4 », Châtiments (1853).
Texte 1
« La Fonction du poète »
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25Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.
C'est lui qui, malgré les épines,
L'envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l'avenir.
Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l'éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l'âme
D'une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
30Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d'en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l'étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !
Hugo Les Rayons et les Ombres (1840).
Texte 2
« Souvenir de la nuit du 4 »
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L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son il farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des [appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses [plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la [lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa [tempe !
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du [cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
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On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République !
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires ;
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
Jersey, 2 décembre 1852 Châtiments, II, 3.
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Le mouvement du Parnasse :
Document D : T. Gautier: Émaux et Camées, « l'Art » (extrait)
Groupement de textes 1 : travaillé sous forme de devoir sur table:
Document D - Pierre Reverdy « La saveur du réel » Plupart du temps, 1915-1922, 1945.
Document E - Francis Ponge, Proêmes, 1948.
Document A
« LArt » de Théophile Gautier
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Oui, l'uvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rhythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :
Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
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55Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Document B « La saveur du réel »
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5Il marchait sur un pied sans savoir où il poserait l'autre. Au tournant de la rue le vent balayait la poussière et sa bouche avide engouffrait tout l'espace.
Il se mit à courir espérant s'envoler d'un moment à l'autre, mais au bord du ruisseau les pavés étaient humides et ses bras battant l'air n'ont pu le retenir. Dans sa chute il comprit qu'il était plus lourd que son rêve et il aima, depuis, le poids qui l'avait fait tomber.
Pierre Reverdy, Plupart du temps, 1915-1922, 1945.
Document C
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Comme après tout si je consens à l'existence c'est à condition de l'accepter pleinement, en tant qu'elle remet tout en question ; quels d'ailleurs et si faibles que soient mes moyens comme ils sont évidemment plutôt d'ordre littéraire et rhétorique ; je ne vois pas pourquoi je ne commencerais pas, arbitrairement, par montrer qu'à propos des choses les plus simples il est possible de faire des discours infinis entièrement composés de déclarations inédites, enfin qu'à propos de n'importe quoi non seulement tout n'est pas dit, mais à peu près tout reste à dire.
[...] Le meilleur parti à prendre est donc de considérer toutes choses comme inconnues, et de se promener ou de s'étendre sous bois ou sur l'herbe, et de reprendre tout du début.
Francis Ponge, Proêmes, 1948
SEQUENCE 3
OBJET DÉTUDELa question de l'Homme dans les genres de l'argumentation du XVIème à nos jours
Problématique
En quoi ce conte de Voltaire permet-il de faire réfléchir le lecteur sur la nécessité de penser avec justesse ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Corpus : une uvre intégrale : Voltaire Micromégas (1752)
Lectures analytiques :
Texte 1 chap. I « Voyage dun habitant du monde de létoile de Sirius dans la planète de Saturne ». (en entier)
Texte 2 - chap. II « Conversation de lhabitant de Sirius avec celui de Saturne » (du début à « ...que je fais dans ce monde. »)
Texte 3 - chap. VI « Ce qui leur arrive sur le globe de la terre » (de « Insectes invisibles... » jusquà « dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu. ».
Texte 1
Chapitre 1 (en entier)
Voyage d'un habitant du monde de l'étoile Sirius dans la planète de Saturne
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50Dans une de ces planètes qui tournent autour de létoile nommée Sirius, il y avait un jeune homme de beaucoup desprit, que jai eu lhonneur de connaître dans le dernier voyage quil fit sur notre petite fourmilière ; il sappelait Micromégas, nom qui convient fort à tous les grands. Il avait huit lieues de haut : jentends, par huit lieues, vingt-quatre mille pas géométriques de cinq pieds chacun.
Quelques géomètres, gens toujours utiles au public, prendront sur-le-champ la plume, et trouveront que, puisque M. Micromégas, habitant du pays de Sirius, a de la tête aux pieds vingt-quatre mille pas, qui font cent vingt mille pieds de roi, et que nous autres, citoyens de la terre, nous navons guère que cinq pieds, et que notre globe a neuf mille lieues de tour ; ils trouveront, dis-je, quil faut absolument que le globe qui la produit ait au juste vingt-un millions six cent mille fois plus de circonférence que notre petite terre. Rien nest plus simple et plus ordinaire dans la nature. Les États de quelques souverains dAllemagne ou dItalie, dont on peut faire le tour en une demi-heure, comparés à lempire de Turquie, de Moscovie ou de la Chine, ne sont quune faible image des prodigieuses différences que la nature a mises dans tous les êtres.
La taille de Son Excellence étant de la hauteur que jai dite, tous nos sculpteurs et tous nos peintres conviendront sans peine que sa ceinture peut avoir cinquante mille pieds de roi de tour : ce qui fait une très jolie proportion. Son nez étant le tiers de son beau visage, et son beau visage étant la septième partie de la hauteur de son beau corps, il faut avouer que le nez du Sirien a six mille trois cent trente-trois pieds de roi plus une fraction ; ce qui était à démontrer.
Quant à son esprit, cest un des plus cultivés que nous ayons ; il sait beaucoup de choses ; il en a inventé quelques-unes ; il navait pas encore deux cent cinquante ans ; et il étudiait, selon la coutume, au collège le plus célèbre de sa planète, lorsquil devina, par la force de son esprit, plus de cinquante propositions dEuclide. Cest dix-huit de plus que Blaise Pascal, lequel, après en avoir deviné trente-deux en se jouant, à ce que dit sa sur, devint depuis un géomètre assez médiocre, et un fort mauvais métaphysicien. Vers les quatre cent cinquante ans, au sortir de lenfance, il disséqua beaucoup de ces petits insectes qui nont pas cent pieds de diamètre, et qui se dérobent aux microscopes ordinaires ; il en composa un livre fort curieux, mais qui lui fit quelques affaires. Le muphti de son pays, grand vétillard, et fort ignorant, trouva dans son livre des propositions suspectes, malsonnantes, téméraires, hérétiques, sentant lhérésie, et le poursuivit vivement : il sagissait de savoir si la forme substantielle des puces de Sirius était de même nature que celle des colimaçons. Micromégas se défendit avec esprit ; il mit les femmes de son côté ; le procès dura deux cent vingt ans. Enfin le muphti fit condamner le livre par des jurisconsultes qui ne lavaient pas lu, et lauteur eut ordre de ne paraître à la cour de huit cents années.
Il ne fut que médiocrement affligé dêtre banni dune cour qui nétait remplie que de tracasseries et de petitesses. Il fit une chanson fort plaisante contre le muphti, dont celui-ci ne sembarrassa guère ; et il se mit à voyager de planète en planète, pour achever de se former lesprit et le cur, comme lon dit. Ceux qui ne voyagent quen chaise de poste ou en berline seront sans doute étonnés des équipages de là-haut : car nous autres, sur notre petit tas de boue, nous ne concevons rien au-delà de nos usages. Notre voyageur connaissait merveilleusement les lois de la gravitation, et toutes les forces attractives et répulsives. Il sen servait si à propos que, tantôt à laide dun rayon du soleil, tantôt par la commodité dune comète, il allait de globe en globe, lui et les siens, comme un oiseau voltige de branche en branche. Il parcourut la voie lactée en peu de temps, et je suis obligé davouer quil ne vit jamais à travers les étoiles dont elle est semée ce beau ciel empyrée que lillustre vicaire Derham se vante davoir vu au bout de sa lunette. Ce nest pas que je prétende que M. Derham ait mal vu, à Dieu ne plaise ! mais Micromégas était sur les lieux, cest un bon observateur, et je ne veux contredire personne. Micromégas, après avoir bien tourné, arriva dans le globe de Saturne. Quelque accoutumé quil fût à voir des choses nouvelles, il ne put dabord, en voyant la petitesse du globe et de ses habitants, se défendre de ce sourire de supériorité qui échappe quelquefois aux plus sages. Car enfin Saturne nest guère que neuf cents fois plus gros que la terre, et les citoyens de ce pays-là sont des nains qui nont que mille toises de haut ou environ. Il sen moqua un peu dabord avec ses gens, à peu près comme un musicien italien se met à rire de la musique de Lulli quand il vient en France. Mais comme le Sirien avait un bon esprit, il comprit bien vite quun être pensant peut fort bien nêtre pas ridicule pour navoir que six mille pieds de haut. Il se familiarisa avec les Saturniens, après les avoir étonnés. Il lia une étroite amitié avec le secrétaire de lAcadémie de Saturne, homme de beaucoup desprit, qui navait à la vérité rien inventé, mais qui rendait un fort bon compte des inventions des autres, et qui faisait passablement de petits vers et de grands calculs. Je rapporterai ici, pour la satisfaction des lecteurs, une conversation singulière que Micromégas eut un jour avec M. le secrétaire.
Texte 2
CHAPITRE II.CONVERSATION DE LHABITANT DE SIRIUSAVEC CELUI DE SATURNE.
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Après que Son Excellence se fut couchée, et que le secrétaire se fut approché de son visage : « Il faut avouer, dit Micromégas, que la nature est bien variée. Oui, dit le Saturnien ; la nature est comme un parterre dont les fleurs
Ah ! dit lautre, laissez là votre parterre. Elle est, reprit le secrétaire, comme une assemblée de blondes et de brunes, dont les parures
Eh ! quai-je à faire de vos brunes HYPERLINK "https://fr.wikisource.org/wiki/Microm%C3%A9gas/Chapitre_II" \l "cite_note-1" [1] ? dit lautre. Elle est donc comme une galerie de peintures dont les traits
Eh non ! dit le voyageur ; encore une fois, la nature est comme la nature. Pourquoi lui chercher des comparaisons ? Pour vous plaire, répondit le secrétaire. Je ne veux point quon me plaise, répondit le voyageur ; je veux quon minstruise : commencez dabord par me dire combien les hommes de votre globe ont de sens. Nous en avons soixante et douze, dit lacadémicien ; et nous nous plaignons tous les jours du peu. Notre imagination va au-delà de nos besoins ; nous trouvons quavec nos soixante et douze sens, notre anneau, nos cinq lunes, nous sommes trop bornés ; et, malgré toute notre curiosité et le nombre assez grand de passions qui résultent de nos soixante et douze sens, nous avons tout le temps de nous ennuyer. Je le crois bien, dit Micromégas ; car dans notre globe nous avons près de mille sens, et il nous reste encore je ne sais quel désir vague, je ne sais quelle inquiétude, qui nous avertit sans cesse que nous sommes peu de chose, et quil y a des êtres beaucoup plus parfaits. Jai un peu voyagé ; jai vu des mortels fort au-dessous de nous ; jen ai vu de fort supérieurs ; mais je nen ai vu aucuns qui naient plus de désirs que de vrais besoins, et plus de besoins que de satisfaction. Jarriverai peut-être un jour au pays où il ne manque rien ; mais jusquà présent personne ne ma donné de nouvelles positives de ce pays-là. » Le Saturnien et le Sirien sépuisèrent alors en conjectures ; mais, après beaucoup de raisonnements fort ingénieux et fort incertains, il en fallut revenir aux faits. « Combien de temps vivez-vous ? dit le Sirien. Ah ! bien peu, répliqua le petit homme de Saturne. Cest tout comme chez nous, dit le Sirien ; nous nous plaignons toujours du peu. Il faut que ce soit une loi universelle de la nature. Hélas ! nous ne vivons, dit le Saturnien, que cinq cents grandes révolutions du soleil. (Cela revient à quinze mille ans ou environ, à compter à notre manière.) Vous voyez bien que cest mourir presque au moment que lon est né ; notre existence est un point, notre durée un instant, notre globe un atome. À peine a-t-on commencé à sinstruire un peu que la mort arrive avant quon ait de lexpérience. Pour moi, je nose faire aucuns projets ; je me trouve comme une goutte deau dans un océan immense. Je suis honteux, surtout devant vous, de la figure ridicule que je fais dans ce monde. »
Texte 3
Chapitre sixième
Ce qui leur arrive sur le globe de la terre
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« Insectes invisibles, que la main du Créateur s'est plu à faire naître dans l'abîme de l'infiniment petit, je le remercie de ce qu'il a daigné me découvrir des secrets qui semblaient impénétrables. Peut-être ne daignerait-on pas vous regarder à ma cour; mais je ne méprise personne, et je vous offre ma protection.»
Si jamais il y a eu quelqu'un d'étonné, ce furent les gens qui entendirent ces paroles. Ils ne pouvaient deviner d'où elles partaient. L'aumônier du vaisseau récita les prières des exorcismes, les matelots jurèrent, et les philosophes du vaisseau firent un système ; mais quelque système qu'ils fissent, ils ne purent jamais deviner qui leur parlait. Le nain de Saturne, qui avait la voix plus douce que Micromégas, leur apprit alors en peu de mots à quelles espèces ils avaient affaire. Il leur conta le voyage de Saturne, les mit au fait de ce qu'était monsieur Micromégas; et, après les avoir plaints d'être si petits, il leur demanda s'ils avaient toujours été dans ce misérable état si voisin de l'anéantissement, ce qu'ils faisaient dans un globe qui paraissait appartenir à des baleines, s'ils étaient heureux, s'ils multipliaient, s'ils avaient une âme, et cent autres questions de cette nature.
Un raisonneur de la troupe, plus hardi que les autres, et choqué de ce qu'on doutait de son âme, observa l'interlocuteur avec des pinnules braquées sur un quart de cercle, fit deux stations, et à la troisième il parla ainsi : « Vous croyez donc, monsieur, parce que vous avez mille toises depuis la tête jusqu'aux pieds, que vous êtes un... Mille toises ! s'écria le nain ; juste Ciel ! d'où peut-il savoir ma hauteur ? mille toises ! Il ne se trompe pas d'un pouce. Quoi ! cet atome m'a mesuré ! il est géomètre, il connaît ma grandeur; et moi, qui ne le vois qu'à travers un microscope, je ne connais pas encore la sienne ! Oui, je vous ai mesuré, dit le physicien, et je mesurerai bien encore votre grand compagnon. » La proposition fut acceptée; Son Excellence se coucha de son long : car, s'il se fût tenu debout, sa tête eût été trop au-dessus des nuages. Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un endroit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d'appeler par son nom, à cause de mon grand respect pour les dames. Puis, par une suite de triangles liés ensemble, ils conclurent que ce qu'ils voyaient était en effet un jeune homme de cent vingt mille pieds de roi.
Alors Micromégas prononça ces paroles: « Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente. O Dieu ! qui avez donné une intelligence à des substances qui paraissent si méprisables, l'infiniment petit vous coûte aussi peu que l'infiniment grand; et, s'il est possible qu'il y ait des êtres plus petits que ceux-ci, ils peuvent encore avoir un esprit supérieur à ceux de ces superbes animaux que j'ai vus dans le ciel, dont le pied seul couvrirait le globe où je suis descendu.»
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupement de textes sur les genres de largumentation travaillé sous forme de devoir sur table:
Les différents genres de largumentation :
Document A -Voltaire, Micromégas, 1752.
Document B -Voltaire, Candide, 1759.
Document C -Voltaire, article « Guerre», Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
Document D - Plantu, dessin.
Document A
Micromégas, géant de trente-deux kilomètres de haut originaire de la planète Sirius, voyage à travers l'univers. Parvenu sur terre en compagnie d'un habitant de Saturne - un « nain » de deux kilomètres de haut , il recueille dans sa main le navire d'un groupe de savants qui revient d'une expédition scientifique au cercle polaire. Il réussit à converser avec ces « insectes » presque invisibles pour lui et admire leur intelligence et leurs connaissances scientifiques. Il les croit aussi doués de toutes les qualités morales...
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À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête; et l'un d'eux, plus franc que les autres, avoua de bonne foi que, si l'on en excepte un petit nombre d'habitants fort peu considérés, tout le reste est un assemblage de fous, de méchants et de malheureux : « Nous avons plus de matière qu'il ne nous en faut, dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière, et trop d'esprit, si le mal vient de l'esprit. Savez-vous bien, par exemple, qu'à l'heure que je vous parle il y a cent mille fous de notre espèce, couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban, ou qui sont massacrés par eux, et que, presque par toute la terre, c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial? » Le Sirien frémit et demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s'agit, dit le philosophe, de quelques tas de boue grands comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions d'hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ces tas de boue. Il ne s'agit que de savoir s'il appartiendra à un certain homme qu'on nomme Sultan ou à un autre qu'on nomme, je ne sais pourquoi, César. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit, et presque aucun de ces animaux qui s'égorgent mutuellement n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent.
-Ah, malheureux! s'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée? Il me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins ridicules. - Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu'au bout de dix ans il ne reste jamais la centième partie de ces misérables; sachez que, quand même ils n'auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l'intempérance les emportent presque tous. D'ailleurs, ce n'est pas eux qu'il faut punir: ce sont ces barbares sédentaires qui, du fond de leur cabinet, ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d'un million d'hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu solennellement. »
Voltaire, Micromégas, chap. VII, 1752.
Document B
Le jeune Candide, chassé du château où il a été élevé, enrôlé dans l'armée des Bulgares, découvre le champ de bataille.
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Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté; ensuite, la mousqueterie1 ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum2 chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin; il était en cendres: c'était un village abare 3 que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il appartenait à des Bulgares et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.
Voltaire, Candide, chap. III, 1759.
1. Mousqueterie: décharge de mousquets (ancienne arme à feu, posée au sol sur une petite fourche et qu'on allumait avec une mèche). 2. Te Deum: chant religieux de louange et de remerciement à Dieu. 3. Abares: peuplade asiatique qui, au VIe siècle, avait envahi l'Europe centrale.
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«Guerre»
Le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire est composé d'articles classés par ordre alphabétique: l'auteur en fait une arme de combat militaire qui aborde les principaux thèmes du combat philosophique des Lumières.
Le merveilleux de cette entreprise infernale1, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n'en remercie point Dieu; mais lorsqu'il y en a eu environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue2, composée dans une langue inconnue 3 à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes4. La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres: ce qui n'est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.
La religion naturelle a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née n'en a pas la volonté; une âme tendre s'en effraye; elle se représente un Dieu juste et vengeur. Mais la religion artificielle encourage à toutes les cruautés qu'on exerce de compagnie, conjurations, séditions, brigandages, embuscades, surprises de villes, pillages, meurtres. Chacun marche gaiement au crime sous la bannière5 de son saint.
On paye partout un certain nombre de harangueurs6 pour célébrer ces journées meurtrières; les uns sont vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau écourté; les autres ont une chemise par-dessus une robe; quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps; ils citent ce qui s'est fait jadis en Palestine, à propos d'un combat en Vétéravie 7.
Le reste de l'année, ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points et par antithèses que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin8 sur leurs joues fraîches seront l'objet éternel des vengeances éternelles de l'Éternel; que Polyeucte et Athalie 9 sont les ouvrages du démon; qu'un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée10 un jour de carême fait immanquablement son salut, et qu'un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables.
Misérables médecins des âmes11, vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres d'épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux dans la nature entière.
Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes yeux, qui s'ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirant sous des mines, le tout pour des prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas? Voltaire, article « Guerre », Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
1. Entreprise infernale: la guerre. 2. Une chanson assez longue: le Te Deum, louange à Dieu. 3. Langue inconnue: le latin d'église.
4. Barbarismes: fautes de langue. 5. Bannière: étendard, drapeau. 6. Harangueurs: personnes qui discourent interminablement; désigne ici les prêtres qui font des sermons. 7. Vétéravie: ancien nom de la Rhénanie, région du Rhin. 8. Carmin: colorant rouge vif qui servait à se maquiller. 9. Polyeucte: tragédie de Corneille; Athalie: tragédie de Racine. 10. La marée: le poisson. Dans la religion catholique, pendant la période du Carême, on ne devait pas manger de viande. 11. Misérables médecins des âmes: les prêcheurs qui transmettent la parole de Dieu.
Document D
SEQUENCE 4 : les personnages face à ladversité
OBJET DÉTUDELe personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Comment, à travers la construction des personnages principaux, le roman exprime-t-il une vision du XVIIème siècle ?
Pour lexposé
Lectures analytiques
Etude dune OI, Corpus : - Mme de La Fayette (1634-1693) La Princesse de Clèves (1678)
Texte 1 - Le portrait de Mlle de Chartres
Texte 2 - La rencontre avec M. de Clèves
Texte 3 - La rencontre avec M. de Nemours
Texte 4 - Le vol du portrait
Texte 5 - La mort de M. de Clèves.
Texte 1
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25Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le vidame de Chartres, et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la conduite de madame de Chartres, sa femme, dont le bien, HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "vertu" la vertu et HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "merite" le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté ; elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Madame de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d' HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "eclat" éclat et d' HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "elevation" élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance. Mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même, et par un grand soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être aimée.
Cette héritière était alors un des grands partis qu'il y eût en France ; et quoiqu'elle fût dans une extrême jeunesse, l'on avait déjà proposé plusieurs mariages. Madame de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu'elle arriva, le vidame alla au-devant d'elle ; il fut surpris de la grande beauté de mademoiselle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "grace" grâce et de HYPERLINK "http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/portrait.html" \l "charme" charmes .
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15Le lendemain qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la reine, et s'était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d'un grand seigneur que d'un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise ; et mademoiselle de Chartres ne put s'empêcher de rougir en voyant l'étonnement qu'elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sans témoigner d'autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui devait donner pour un homme tel qu'il paraissait. Monsieur de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu'il ne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu'elle devait être d'une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c'était une fille ; mais ne lui voyant point de mère, et l'Italien qui ne la connaissait point l'appelant madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement. Il s'aperçut que ses regards l'embarrassaient, contre l'ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l'effet de leur beauté ; il lui parut même qu'il était cause qu'elle avait de l'impatience de s'en aller, et en effet elle sortit assez promptement. Monsieur de Clèves se consola de la perdre de vue, dans l'espérance de savoir qui elle était ; mais il fut bien surpris quand il sut qu'on ne la connaissait point. Il demeura si touché de sa beauté, et de l'air modeste qu'il avait remarqué dans ses actions, qu'on peut dire qu'il conçut pour elle dès ce moment une passion et une estime extraordinaires. Il alla le soir chez Madame, soeur du roi. 1ère Partie
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La reine dauphine faisait faire des portraits en petit de toutes les belles personnes de la cour pour les envoyer à la reine sa mère. Le jour qu'on achevait celui de Mme de Clèves, Mme la Dauphine vint passer l'après-dînée chez elle. M. de Nemours ne manqua pas de s'y trouver; il ne laissait échapper aucune occasion de voir Mme de Clèves sans laisser paraître néanmoins qu'il les cherchât. Elle était si belle, ce jour-là, qu'il en serait devenu amoureux quand il ne l'aurait pas été. Il n'osait pourtant avoir les yeux attachés sur elle pendant qu'on la peignait, et il craignait de laisser trop voir le plaisir qu'il avait à la regarder.
Mme la Dauphine demanda à M. de Clèves un petit portrait qu'il avait de sa femme pour le voir auprès de celui que l'on achevait; tout le monde dit son sentiment de l'un et de l'autre; et Mme de Clèves ordonna au peintre de raccommoder quelque chose à la coiffure de celui que l'on venait d'apporter. Le peintre, pour lui obéir, ôta le portrait de la boîte où il était et, après y avoir travaillé, il le remit sur la table.
Il y avait longtemps que M. de Nemours souhaitait d'avoir le portrait de Mme de Clèves. Lorsqu'il vit celui qui était à M. de Clèves, il ne put résister à l'envie de le dérober à un mari qu'il croyait tendrement aimé; et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu'un autre.
Mme la Dauphine était assise sur le lit et parlait bas à Mme de Clèves, qui était debout devant elle. Mme de Clèves aperçut par un des rideaux qui n'était qu'à demi fermé, M. de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n'eut pas de peine à deviner que c'était son portrait, et elle en fut si troublée que Mme la Dauphine remarqua qu'elle ne l'écoutait pas et lui demanda tout haut ce qu'elle regardait. M. de Nemours se tourna à ces paroles; il rencontra les yeux de Mme de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu'il n'était pas impossible qu'elle eût vu ce qu'il venait de faire.
Mme de Clèves n'était pas peu embarrassée. La raison voulait qu'elle demandât son portrait; mais, en le demandant publiquement, c'était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et, en le lui demandant en particulier, c'était quasi l'engager à lui parler de sa passion. Enfin elle jugea qu'il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu'elle lui pouvait faire sans qu'il sût même qu'elle la lui faisait. M. de Nemours, qui remarquait son embarras, et qui en devinait quasi la cause, s'approcha d'elle et lui dit tout bas:
"Si vous avez vu ce que j'ai osé faire, ayez la bonté, Madame, de me laisser croire que vous l'ignorez; je n'ose vous en demander davantage."
Et il se retira après ces paroles et n'attendit point sa réponse.
Mme la Dauphine sortit pour s'aller promener, suivie de toutes les dames, et M. de Nemours alla se renfermer chez lui, ne pouvant soutenir en public la joie d'avoir un portrait de Mme de Clèves. Il sentait tout ce que la passion peut faire sentir de plus agréable; il aimait la plus aimable personne de la cour; il s'en faisait aimer malgré elle, et il voyait dans toutes ses actions cette sorte de trouble et d'embarras que cause l'amour dans l'innocence de la première jeunesse.
Le soir, on chercha ce portrait avec beaucoup de soin; comme on trouvait la boîte où il devait être, l'on ne soupçonna point qu'il eût été dérobé, et l'on crut qu'il était tombé par hasard. M. de Clèves était affligé de cette perte et, après qu'on eut encore cherché inutilement, il dit à sa femme, mais d'une manière qui faisait voir qu'il ne le pensait pas, qu'elle avait sans doute quelque amant caché à qui elle avait donné ce portrait ou qui l'avait dérobé, et qu'un autre qu'un amant ne se serait pas contenté de la peinture sans la boîte.
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La reine dauphine faisait faire des portraits en petit de toutes les belles personnes de la cour pour les envoyer à la reine sa mère. Le jour qu'on achevait celui de Mme de Clèves, Mme la Dauphine vint passer l'après-dînée chez elle. M. de Nemours ne manqua pas de s'y trouver; il ne laissait échapper aucune occasion de voir Mme de Clèves sans laisser paraître néanmoins qu'il les cherchât. Elle était si belle, ce jour-là, qu'il en serait devenu amoureux quand il ne l'aurait pas été. Il n'osait pourtant avoir les yeux attachés sur elle pendant qu'on la peignait, et il craignait de laisser trop voir le plaisir qu'il avait à la regarder.
Mme la Dauphine demanda à M. de Clèves un petit portrait qu'il avait de sa femme pour le voir auprès de celui que l'on achevait; tout le monde dit son sentiment de l'un et de l'autre; et Mme de Clèves ordonna au peintre de raccommoder quelque chose à la coiffure de celui que l'on venait d'apporter. Le peintre, pour lui obéir, ôta le portrait de la boîte où il était et, après y avoir travaillé, il le remit sur la table.
Il y avait longtemps que M. de Nemours souhaitait d'avoir le portrait de Mme de Clèves. Lorsqu'il vit celui qui était à M. de Clèves, il ne put résister à l'envie de le dérober à un mari qu'il croyait tendrement aimé; et il pensa que, parmi tant de personnes qui étaient dans ce même lieu, il ne serait pas soupçonné plutôt qu'un autre.
Mme la Dauphine était assise sur le lit et parlait bas à Mme de Clèves, qui était debout devant elle. Mme de Clèves aperçut par un des rideaux qui n'était qu'à demi fermé, M. de Nemours, le dos contre la table, qui était au pied du lit, et elle vit que, sans tourner la tête, il prenait adroitement quelque chose sur cette table. Elle n'eut pas de peine à deviner que c'était son portrait, et elle en fut si troublée que Mme la Dauphine remarqua qu'elle ne l'écoutait pas et lui demanda tout haut ce qu'elle regardait. M. de Nemours se tourna à ces paroles; il rencontra les yeux de Mme de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu'il n'était pas impossible qu'elle eût vu ce qu'il venait de faire.
Mme de Clèves n'était pas peu embarrassée. La raison voulait qu'elle demandât son portrait; mais, en le demandant publiquement, c'était apprendre à tout le monde les sentiments que ce prince avait pour elle, et, en le lui demandant en particulier, c'était quasi l'engager à lui parler de sa passion. Enfin elle jugea qu'il valait mieux le lui laisser, et elle fut bien aise de lui accorder une faveur qu'elle lui pouvait faire sans qu'il sût même qu'elle la lui faisait. M. de Nemours, qui remarquait son embarras, et qui en devinait quasi la cause, s'approcha d'elle et lui dit tout bas:
"Si vous avez vu ce que j'ai osé faire, ayez la bonté, Madame, de me laisser croire que vous l'ignorez; je n'ose vous en demander davantage."
Et il se retira après ces paroles et n'attendit point sa réponse.
Mme la Dauphine sortit pour s'aller promener, suivie de toutes les dames, et M. de Nemours alla se renfermer chez lui, ne pouvant soutenir en public la joie d'avoir un portrait de Mme de Clèves. Il sentait tout ce que la passion peut faire sentir de plus agréable; il aimait la plus aimable personne de la cour; il s'en faisait aimer malgré elle, et il voyait dans toutes ses actions cette sorte de trouble et d'embarras que cause l'amour dans l'innocence de la première jeunesse.
Le soir, on chercha ce portrait avec beaucoup de soin; comme on trouvait la boîte où il devait être, l'on ne soupçonna point qu'il eût été dérobé, et l'on crut qu'il était tombé par hasard. M. de Clèves était affligé de cette perte et, après qu'on eut encore cherché inutilement, il dit à sa femme, mais d'une manière qui faisait voir qu'il ne le pensait pas, qu'elle avait sans doute quelque amant caché à qui elle avait donné ce portrait ou qui l'avait dérobé, et qu'un autre qu'un amant ne se serait pas contenté de la peinture sans la boîte.
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40Cependant M. de Clèves était presque abandonné des médecins. Un des derniers jours de son mal, après avoir passé une nuit très fâcheuse, il dit sur le matin qu'il voulait reposer. Mme de Clèves demeura seule dans sa chambre ; il lui parut qu'au lieu de reposer, il avait beaucoup d'inquiétude. Elle s'approcha et se vint mettre à genoux devant son lit, le visage tout couvert de larmes. M. de Clèves avait résolu de ne lui point témoigner le violent chagrin qu'il avait contre elle ; mais les soins qu'elle lui rendait et son affliction, qui lui paraissait quelquefois véritable et qu'il regardait aussi quelquefois comme des marques de dissimulation et de perfidie, lui causaient des sentiments si opposés et si douloureux qu'il ne les put renfermer en lui-même.- Vous versez bien des pleurs, Madame, lui dit-il, pour une mort que vous causez et qui ne vous peut donner la douleur que vous faites paraître. Je ne suis plus en état de vous faire des reproches, continua-t-il avec une voix affaiblie par la maladie et par la douleur ; mais je meurs du cruel déplaisir que vous m'avez donné. Fallait-il qu'une action aussi extraordinaire que celle que vous aviez faite de me parler à Coulommiers eût si peu de suite ? Pourquoi m'éclairer sur la passion que vous aviez pour M. de Nemours, si votre vertu n'avait pas plus d'étendue pour y résister ? Je vous aimais jusqu'à être bien aise d'être trompé, je l'avoue à ma honte ; j'ai regretté ce faux repos dont vous m'avez tiré. Que ne me laissiez-vous dans cet aveuglement tranquille dont jouissent tant de maris ? J'eusse, peut-être, ignoré toute ma vie que vous aimiez M. de Nemours. Je mourrai, ajouta-t-il ; mais sachez que vous me rendez la mort agréable, et qu'après m'avoir ôté l'estime et la tendresse que j'avais pour vous, la vie me ferait horreur. Que ferais-je de la vie, reprit-il, pour la passer avec une personne que j'ai tant aimée, et dont j'ai été si cruellement trompé, ou pour vivre séparé de cette même personne, et en venir à un éclat et à des violences si opposées à mon humeur et à la passion que j'avais pour vous ? Elle a été au-delà de ce que vous en avez vu, Madame ; je vous en ai caché la plus grande partie, par la crainte de vous importuner, ou de perdre quelque chose de votre estime, par des manières qui ne convenaient pas à un mari. Enfin je méritais votre cur ; encore une fois, je meurs sans regret, puisque je n'ai pu l'avoir, et que je ne puis plus le désirer. Adieu, Madame, vous regretterez quelque jour un homme qui vous aimait d'une passion véritable et légitime. Vous sentirez le chagrin que trouvent les personnes raisonnables dans ces engagements, et vous connaîtrez la différence d'être aimée, comme je vous aimais, à l'être par des gens qui, en vous témoignant de l'amour, ne cherchent que l'honneur de vous séduire. Mais ma mort vous laissera en liberté, ajouta-t-il, et vous pourrez rendre M. de Nemours heureux, sans qu'il vous en coûte des crimes. Qu'importe, reprit-il, ce qui arrivera quand je ne serai plus, et faut-il que j'aie la faiblesse d'y jeter les yeux !Mme de Clèves était si éloignée de s'imaginer que son mari pût avoir des soupçons contre elle qu'elle écouta toutes ces paroles sans les comprendre, et sans avoir d'autre idée, sinon qu'il lui reprochait son inclination pour M. de Nemours ; enfin, sortant tout d'un coup de son aveuglement :- Moi, des crimes ! s'écria-t-elle ; la pensée même m'en est inconnue. La vertu la plus austère ne peut inspirer d'autre conduite que celle que j'ai eue ; et je n'ai jamais fait d'action dont je n'eusse souhaité que vous eussiez été témoin.
Histoire des artsLe personnage (portrait) en peinture :
Document 1 : Hans Holbein, Les Ambassadeurs (1533) (lanamorphose).
HYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ambassadeurs" https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ambassadeurs
Document 2 : Arcimboldo, portrait de Rodolphe II (empereur romain) en Vertumnus
HYPERLINK "https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/arcimboldo/rodolphe2envertumne.htm" https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/arcimboldo/rodolphe2envertumne.htm (15901591), le dieu romain des saisons, de la végétation et de la transformation.
Document 3 : Courbet, Un enterrement à Ornans (1849-1850).
HYPERLINK "https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_enterrement_%C3%A0_Ornans" https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_enterrement_%C3%A0_Ornans
Document 1
INCLUDEPICTURE "https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/88/Hans_Holbein_the_Younger_-_The_Ambassadors_-_Google_Art_Project.jpg/1024px-Hans_Holbein_the_Younger_-_The_Ambassadors_-_Google_Art_Project.jpg" \* MERGEFORMATINET
Document 2
INCLUDEPICTURE "https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/arcimboldo/vertumnerodolphe2.jpg" \* MERGEFORMATINET
Document 3
INCLUDEPICTURE "https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a0/Gustave_Courbet_-_A_Burial_at_Ornans_-_Google_Art_Project_2.jpg/1920px-Gustave_Courbet_-_A_Burial_at_Ornans_-_Google_Art_Project_2.jpg" \* MERGEFORMATINET
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceHistoire littéraire :
La préciosité.
Le classicisme.
Groupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table: la parole du personnage de roman.
Document A : Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830
Document B : Balzac, Le père Goriot, 1835
Document C : Flaubert, Madame Bovary, 1857
Document D : Zola, Germinal, 1885
Document A : Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830 (II, 41) « Mon crime est atroce, et il fut prémédité »
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« Messieurs les jurés, « L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune. « Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Madame de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société. « Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés... » Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu'il avait sur le cur ; l'avocat général, qui aspirait aux faveurs de l'aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Madame Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l'adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour madame de Rênal... Madame Derville jeta un cri et s'évanouit.
Document B : Balzac, Le père Goriot, 1835.
Au moment de son agonie, un vieil homme, le père Goriot, ancien commerçant sans noblesse et devenu pauvre, évoque le comportement quil a eu avec ses deux filles, aujourdhui mariées à des aristocrates, et qui ne viennent plus le voir.
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25- Ah ! si jétais riche, si javais gardé ma fortune, si je ne la leur avais pas donnée, elles seraient là, elles me lécheraient les joues de leurs baisers ! je demeurerais dans un hôtel, jaurais de belles chambres, des domestiques, du feu à moi ; et elles seraient tout en larmes, avec leurs maris, leurs enfants. Jaurais tout cela. Mais rien. Largent donne tout, même des filles. Oh ! mon argent, où est-il ? Si javais des trésors à laisser, elles me panseraient, elles me soigneraient ; je les entendrais ; je les verrais. Ah ! mon cher enfant, mon seul enfant, jaime mieux mon abandon et ma misère ! Au moins, quand un malheureux est aimé, il est bien sûr quon laime. Non, je voudrais être riche, je les verrais. Ma foi, qui sait ? Elles ont toutes les deux des curs de roche. Javais trop damour pour elles pour quelles en eussent pour moi. Un père doit être toujours riche, il doit tenir ses enfants en bride comme des chevaux sournois. Et jétais à genoux devant elles. Les misérables ! elles couronnent dignement leur conduite envers moi depuis dix ans. Si vous saviez comme elles étaient aux petits soins pour moi dans les premiers temps de leur mariage ! (Oh ! je souffre un cruel martyre !) je venais de leur donner à chacune près de huit cent mille francs, elles ne pouvaient pas, ni leurs maris non plus, être rudes avec moi. Lon me recevait : "Mon père, par-ci ; mon cher père, par-là". Mon couvert était toujours mis chez elles. Enfin je dînais avec leurs maris, qui me traitaient avec considération. Javais lair davoir encore quelque chose. Pourquoi ça ? je navais rien dit de mes affaires. Un homme qui donne huit cent mille francs à ses deux filles était un homme à soigner. Et lon était aux petits soins, mais cétait pour mon argent. Le monde nest pas beau. Jai vu cela, moi ! Lon me menait en voiture au spectacle, et je restais comme je voulais aux soirées. Enfin elles se disaient mes filles, et elles mavouaient pour leur père. Jai encore ma finesse, allez, et rien ne mest échappé. Tout a été à son adresse et ma percé le cur. Je voyais bien que cétait des frimes, mais le mal était sans remède. Je nétais pas chez elles aussi à laise quà la table den bas. Je ne savais rien dire. Aussi quand quelques-uns de ces gens du monde demandaient à loreille de mes gendres :
- Qui est-ce que ce monsieur-là ?
- Cest le père aux écus, il est riche.
- Ah, diable ! disait-on, et lon me regardait avec le respect dû aux écus.
Document C: Flaubert, Madame Bovary, Deuxième partie, chapitre 12
Emma Bovary se dispose à abandonner Charles, son mari pour suivre Rodolphe, son amant.
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Quand il rentrait au milieu de la nuit, il nosait pas la réveiller. La veilleuse de porcelaine arrondissait au plafond une clarté tremblante, et les rideaux fermés du petit berceau faisaient comme une hutte blanche qui se bombait dans lombre, au bord du lit. Charles les regardait. Il croyait entendre lhaleine légère de son enfant. Elle allait grandir maintenant ; chaque saison, vite, amènerait un progrès. Il la voyait déjà revenant de lécole à la tombée du jour, toute rieuse, avec sa brassière tachée dencre, et portant au bras son panier ; puis il faudrait la mettre en pension, cela coûterait beaucoup ; comment faire ? Alors il réfléchissait. Il pensait à louer une petite ferme aux environs, et quil surveillerait lui-même, tous les matins, en allant voir ses malades. Il en économiserait le revenu, il le placerait à la caisse dépargne ; ensuite il achèterait des actions, quelque part, nimporte où ; dailleurs, la clientèle augmenterait ; il y comptait, car il voulait que Berthe fût bien élevée, quelle eût des talents, quelle apprît le piano. Ah ! quelle serait jolie, plus tard, à quinze ans, quand, ressemblant à sa mère, elle porterait comme elle, dans lété, de grands chapeaux de paille ! on les prendrait de loin pour les deux surs. Il se la figurait travaillant le soir auprès deux, sous la lumière de la lampe ; elle lui broderait des pantoufles ; elle soccuperait du ménage ; elle emplirait toute la maison de sa gentillesse et de sa gaieté. Enfin, ils songeraient à son établissement : on lui trouverait quelque brave garçon ayant un état solide ; il la rendrait heureuse ; cela durerait toujours.
Emma ne dormait pas, elle faisait semblant dêtre endormie ; et, tandis quil sassoupissait à ses côtés, elle se réveillait en dautres rêves.
Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, doù ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut dune montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur senvolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets deau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. Cest là quils sarrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée dun palmier, au fond dun golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces quils contempleraient. Cependant, sur limmensité de cet avenir quelle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à lhorizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais lenfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne sendormait que le matin, quand laube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait les auvents de la pharmacie.
Document D : Zola, Germinal, 1885
Laction se situe dans le monde des mines de charbon, lors dune grève ; un personnage, Etienne Lantier, prend la parole devant ses camarades, dans une réunion improvisée au cur dune clairière.
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Voyant la dispute séterniser, il sempara tout dun coup de la foule, il monta sur un tronc darbre, en criant :
- Camarades ! camarades !
La rumeur confuse de ce peuple séteignit dans un long soupir, tandis que Maheu étouffait les protestations de Rasseneur. Étienne continuait dune voix éclatante :
- Camarades, puisquon nous défend de parler, puisquon nous envoie les gendarmes comme si nous étions des brigands, cest ici quil faut nous entendre ! Ici, nous sommes libres, nous sommes chez nous, personne ne viendra nous faire taire, pas plus quon ne fait taire les oiseaux et les bêtes !
Un tonnerre lui répondit, des cris, des exclamations.
- Oui, oui, la forêt est à nous, on a bien le droit dy causer... Parle !
Alors, Étienne se tint un instant immobile sur le tronc darbre. La lune, trop basse encore à lhorizon, néclairait toujours que les branches hautes ; et la foule restait noyée de ténèbres, peu à peu calmée, silencieuse. Lui, noir également, faisait au-dessus delle, en haut de la pente, une barre dombre.
Il leva un bras dans un geste lent, il commença ; mais sa voix ne grondait plus, il avait pris le ton froid dun simple mandataire du peuple qui rend ses comptes. Enfin, il plaçait le discours que le commissaire de police lui avait coupé au Bon-Joyeux ; et il débutait par un historique rapide de la grève, en affectant léloquence scientifique : des faits, rien que des faits. Dabord, il dit sa répugnance contre la grève : les mineurs ne lavaient pas voulue, cétait la Direction qui les avait provoqués, avec son nouveau tarif de boisage. Puis, il rappela la première démarche des délégués chez le directeur, la mauvaise foi de la Régie, et plus tard, lors de la seconde démarche, sa concession tardive, les dix centimes quelle rendait, après avoir tâché de les voler. Maintenant, on en était là, il établissait par des chiffres le vide de la caisse de prévoyance, indiquait lemploi des secours envoyés, excusait en quelques phrases lInternationale, Pluchart et les autres, de ne pouvoir faire davantage pour eux, au milieu des soucis de leur conquête du monde. Donc, la situation saggravait de jour en jour, la Compagnie renvoyait les livrets et menaçait dembaucher des ouvriers en Belgique ; en outre, elle intimidait les faibles, elle avait décidé un certain nombre de mineurs à redescendre. Il gardait sa voix monotone comme pour insister sur ces mauvaises nouvelles, il disait la faim victorieuse, lespoir mort, la lutte arrivée aux fièvres dernières du courage. Et, brusquement, il conclut, sans hausser le ton.
- Cest dans ces circonstances, camarades, que vous devez prendre une décision ce soir. Voulez-vous la continuation de la grève ? et, en ce cas, que comptez-vous faire pour triompher de la Compagnie ?
Un silence profond tomba du ciel étoilé. La foule, quon ne voyait pas, se taisait dans la nuit, sous cette parole qui lui étouffait le cur ; et lon nentendait que son souffle désespéré, au travers des arbres.
SEQUENCE 5 : Lentrée en scène du personnage de roman
OBJET DÉTUDELe personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Quelles sont les principales caractéristiques de lincipit narratif ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Texte 1: Abbé Prévost Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731)
Texte 2: Camus LEtranger (1942)
Texte 1
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J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas! que ne le marquais-je un jour plus tôt! j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n'affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du Ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l'ascendant de ma destinée qui m'entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. je l'assurai que, si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu'elle m'inspirait déjà, j'emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents, et pour la rendre heureuse, je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d'où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m'exprimer; mais on ne ferait pas une divinité de l'amour, s'il n'opérait souvent des prodiges. J'ajoutai mille choses pressantes. Ma belle inconnue savait bien qu'on n'est point trompeur à mon âge; elle me confessa que, si je voyais quelque jour à la pouvoir mettre en liberté, elle croirait m'être redevable de quelque chose de plus cher que la vie. Je lui répétai que j'étais prêt à tout entreprendre, mais, n'ayant point assez d'expérience pour imaginer tout d'un coup les moyens de la servir, je m'en tenais à cette assurance générale, qui ne pouvait être d'un grand secours pour elle et pour moi.
Texte 2
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20Aujourdhui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. Jai reçu un télégramme de lasile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. Cétait peut-être hier.Lasile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres dAlger. Je prendrai lautobus à deux heures et jarriverai dans laprès-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. Jai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il navait pas lair content. Je lui ai même dit : « Ce nest pas de ma faute. » Il na pas répondu. Jai pensé alors que je naurais pas dû lui dire cela. En somme, je navais pas à mexcuser. Cétait plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, cest un peu comme si maman nétait pas morte. Après lenterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.Jai pris lautobus à deux heures. Il faisait très chaud. Jai mangé au restaurant, chez Céleste, comme dhabitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste ma dit : « On na quune mère. » Quand je suis parti, ils mont accompagné à la porte. Jétais un peu étourdi parce quil a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.Jai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, cest à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à lodeur dessence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. Jai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, jétais tassé contre un militaire qui ma souri et qui ma demandé si je venais de loin. Jai dit « oui » pour navoir plus à parler.
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceGroupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Lincipit de roman
A Marivaux, La Vie de Marianne (1734)
B Marivaux, Le Paysan parvenu (1734-1735)
C Diderot, Jacques le Fataliste (écrit en 1765- publié en 1783)
D Bernardin de Saint Pierre, Paul et Virginie (1787)
DOCUMENT A
Première partie
Avertissement
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35Comme on pourrait soupçonner cette histoire-ci d'avoir été faite exprès pour amuser le public, je crois devoir avertir que je la tiens moi-même d'un ami qui l'a réellement trouvée, comme il le dit ci-après, et que je n'y ai point d'autre part que d'en avoir retouché quelques endroits trop confus et trop négligés. Ce qui est de vrai, c'est que si c'était une histoire simplement imaginée, il y a toute apparence qu'elle n'aurait pas la forme qu'elle a. Marianne n'y ferait ni de si longues ni de si fréquentes réflexions : il y aurait plus de faits, et moins de morale ; en un mot, on se serait conformé au goût général d'à présent, qui, dans un livre de ce genre, n'est pas favorable aux choses un peu réfléchies et raisonnées. On ne veut dans des aventures que les aventures mêmes, et Marianne, en écrivant les siennes, n'a point eu égard à cela. Elle ne s'est refusée aucune des réflexions qui lui sont venues sur les accidents de sa vie ; ses réflexions sont quelquefois courtes, quelquefois longues, suivant le goût qu'elle y a pris. Elle écrivait à une amie, qui, apparemment, aimait à penser : et d'ailleurs Marianne était retirée du monde, situation qui rend l'esprit sérieux et philosophe. Enfin, voilà son ouvrage tel qu'il est, à quelque correction de mots près. On en donne la première partie au public, pour voir ce qu'on en dira. Si elle plaît, le reste paraîtra successivement ; il est tout prêt.
Avant que de donner cette histoire au public, il faut lui apprendre comment je l'ai trouvée.
Il y a six mois que j'achetai une maison de campagne à quelques lieues de Rennes, qui, depuis trente ans, a passé successivement entre les mains de cinq ou six personnes. J'ai voulu faire changer quelque chose à la disposition du premier appartement, et dans une armoire pratiquée dans l'enfoncement d'un mur, on y a trouvé un manuscrit en plusieurs cahiers contenant l'histoire qu'on va lire, et le tout d'une écriture de femme. On me l'apporta ; je le lus avec deux de mes amis qui étaient chez moi, et qui depuis ce jour-là n'ont cessé de me dire qu'il fallait le faire imprimer : je le veux bien, d'autant plus que cette histoire n'intéresse personne. Nous voyons par la date que nous avons trouvée à la fin du manuscrit, qu'il y a quarante ans qu'il est écrit ; nous avons changé le nom de deux personnes dont il y est parlé, et qui sont mortes. Ce qui y est dit d'elles est pourtant très indifférent ; mais n'importe : il est toujours mieux de supprimer leurs noms.
Voilà tout ce que j'avais à dire : ce petit préambule m'a paru nécessaire, et je l'ai fait du mieux que j'ai pu, car je ne suis point auteur, et jamais on n'imprimera de moi que cette vingtaine de lignes-ci.
Passons maintenant à l'histoire. C'est une femme qui raconte sa vie ; nous ne savons qui elle était. C'est la Vie de Marianne ; c'est ainsi qu'elle se nomme elle-même au commencement de son histoire ; elle prend ensuite le titre de comtesse ; elle parle à une de ses amies dont le nom est en blanc, et puis c'est tout.
Quand je vous ai fait le récit de quelques accidents de ma vie, je ne m'attendais pas, ma chère amie, que vous me prieriez de vous la donner toute entière, et d'en faire un livre à imprimer. Il est vrai que l'histoire en est particulière, mais je la gâterai, si je l'écris ; car où voulez-vous que je prenne un style ?
Marivaux, La Vie de Marianne (1734)
DOCUMENT B
Ce roman prend la forme de pseudo-mémoires : le narrateur, qui a réussi une ascension sociale remarquable dans la société du XVIIIe siècle, se rappelle comment, jeune Champenois de dix-neuf ans, il est allé chercher fortune à Paris
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Première partie
Le titre que je donne à mes Mémoires annonce ma naissance; je ne l'ai jamais dissimulée à qui me l'a demandée, et il semble qu'en tout temps Dieu ait récompensé ma franchise là-dessus; car je n'ai pas remarqué qu'en aucune occasion on en ait eu moins d'égard et moins d'estime pour moi.J'ai pourtant vu nombre de sots qui n'avaient et ne connaissaient point d'autre mérite dans le monde, que celui d'être né noble, ou dans un rang distingué. Je les entendais mépriser beaucoup de gens qui valaient mieux qu'eux, et cela seulement parce qu'ils n'étaient pas gentilshommes; mais c'est que ces gens qu'ils méprisaient, respectables d'ailleurs par mille bonnes qualités, avaient la faiblesse de rougir eux-mêmes de leur naissance, de la cacher, et de tâcher de s'en donner une qui embrouillât la véritable, et qui les mît à couvert du dédain du monde.Or, cet artifice-là ne réussit presque jamais; on a beau déguiser la vérité là-dessus, elle se venge tôt ou tard des mensonges dont on a voulu la couvrir; et l'on est toujours trahi par une infinité d'événements qu'on ne saurait ni parer, ni prévoir; jamais je ne vis, en pareille matière, de vanité qui fît une bonne fin.C'est une erreur, au reste, que de penser qu'une obscure naissance vous avilisse, quand c'est vous-même qui l'avouez, et que c'est de vous qu'on la sait. La malignité des hommes vous laisse là; vous la frustrez de ses droits; elle ne voudrait que vous humilier, et vous faites sa charge, vous vous humiliez vous-même, elle ne sait plus que dire.Les hommes ont des murs, malgré qu'ils en aient; ils trouvent qu'il est beau d'affronter leurs mépris injustes; cela les rend à la raison. Ils sentent dans ce courage-là une noblesse qui les fait taire; c'est une fierté sensée qui confond un orgueil impertinent.Mais c'est assez parler là-dessus. Ceux que ma réflexion regarde se trouveront bien de m'en croire.La coutume, en faisant un livre, c'est de commencer par un petit préambule, et en voilà un. Revenons à moi. Marivaux, Le Paysan parvenu (1734-1735)
DOCUMENT C
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Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils? Que vous importe? D'où venaient-ils? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils? Est-ce que l'on sait où l'on va? Que disaient-ils? Le maître s ne disait rien;
et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.
LE MAITRE. - C'est un grand mot que cela.
JACQUES. - Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d'un fusil avait son billet.
LE MAITRE. - Et il avait raison...
Après une courte pause, Jacques s'écria : « Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret!
LE MAITRE. - Pourquoi donner au diable son prochain? Cela n'est pas chrétien.
JACQUES. - C'est que, tandis que je m'enivre de son mauvais vin, j'oublie de mener nos chevaux à l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit; il se fâche. Je hoche de la tète; il prend tin bâton et m'en frotte un peu durement les épaules. Un régiment - passait pour aller au camp devant Fontenoy, de dépit je m'enrôle. Nous arrivons; la bataille se donne.
LE MAITRE. - Et tu reçois la balle à ton adresse.
JACQUES - Vous l'avez deviné; un coup de feu au genou; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux de ma vie, ni boiteux.
LE MAITRE. - Tu as donc été amoureux?
JACQUES - Si je l'ai été !
LE MAITRE. - Et cela par un coup de feu?
JACQUES - Par un coup de feu.
LE MAITRE. - Tu ne m'en as jamais dit un mot.
JACQUES. - Je le crois bien.
LE MAITRE. - Et pourquoi cela?
JACQUES. - C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.
LE MAITRE. - Et le moment d'apprendre ces amours est-il venu ?
JACQUES. - Qui le sait?
LE MAITRE. - A tout hasard, commence toujours... »
Jacques commença l'histoire de ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait tut temps lourd; son maître s'endormit. La nuit les surprit au milieu des champs; les voilà fourvoyés. Voilà le maître dans une colère terrible et tombant à grands ' coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup : « Celui-là était apparemment encore écrit là-haut... »
Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait. Quest-ce qui m'empêcherait de marier le maître et de le faire cocu? d'embarquer Jacques pour les îles ? d'y conduire son maître? de les ramener tous les deux en France sur le même vaisseau? Qu'il est facile de faire des contes! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai.
Diderot, Jacques le Fataliste (écrit en 1765- publié en 1783)
DOCUMENT D111//11111
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40Sur le côté oriental de la montagne qui s'élève derrière le Port Louis de l'Île de France, on voit, dans un terrain jadis cultivé, les ruines de deux petites cabanes. Elles sont situées presque au milieu d'un bassin formé par de grands rochers, qui n'a qu'une seule ouverture tournée au nord. On aperçoit à gauche la montagne appelée le Morne de la Découverte, d'où l'on signale les vaisseaux qui abordent dans l'île, et au bas de cette montagne la ville nommée le Port Louis ; à droite, le chemin qui mène du Port Louis au quartier des Pamplemousses ; ensuite l'église de ce nom, qui s'élève avec ses avenues de bambous au milieu d'une grande plaine ; et plus loin une forêt qui s'étend jusqu'aux extrémités de l'île. On distingue devant soi, sur les bords de la mer, la Baie du Tombeau ; un peu sur la droite, le Cap Malheureux ; et au-delà, la pleine mer, où paraissent à fleur d'eau quelques îlots inhabités, entre autres le Coin de Mire, qui ressemble à un bastion au milieu des flots.
A l'entrée de ce bassin, d'où l'on découvre tant d'objets, les échos de la montagne répètent sans cesse le bruit des vents qui agitent les forêts voisines, et le fracas des vagues qui brisent au loin sur les récifs ; mais au pied même des cabanes on n'entend plus aucun bruit, et on ne voit autour de soi que de grands rochers escarpés comme des murailles. Des bouquets d'arbres croissent à leurs bases, dans leurs fentes, et jusque sur leurs cimes, où s'arrêtent les nuages. Les pluies que leurs pitons attirent peignent souvent les couleurs de l'arc-en-ciel sur leurs flancs verts et bruns, et entretiennent à leurs pieds les sources dont se forme la petite Rivière des Lataniers. Un grand silence règne dans leur enceinte, où tout est paisible, l'air, les eaux et la lumière. A peine l'écho y répète le murmure des palmistes qui croissent sur leurs plateaux élevés, et dont on voit les longues flèches toujours balancées par les vents. Un jour doux éclaire le fond de ce bassin, où le soleil ne luit qu'à midi ; mais dès l'aurore ses rayons en frappent le couronnement, dont les pics s'élevant au-dessus des ombres de la montagne, paraissent d'or et de pourpre sur l'azur des cieux.
J'aimais à me rendre dans ce lieu où l'on jouit à la fois d'une vue immense et d'une solitude profonde. Un jour que j'étais assis au pied de ces cabanes, et que j'en considérais les ruines, un homme déjà sur l'âge vint à passer aux environs. Il était, suivant la coutume des anciens habitants, en petite veste et en long caleçon. Il marchait nu-pieds, et s'appuyait sur un bâton de bois d'ébène. Ses cheveux étaient tout blancs, et sa physionomie noble et simple. Je le saluai avec respect. Il me rendit mon salut, et m'ayant considéré un moment, il s'approcha de moi, et vint se reposer sur le tertre où j'étais assis. Excité par cette marque de confiance, je lui adressai la parole : « Mon père, lui dis-je, pourriez-vous m'apprendre à qui ont appartenu ces deux cabanes ? » Il me répondit : « Mon fils, ces masures et ce terrain inculte étaient habités, il y a environ vingt ans, par deux familles qui y avaient trouvé le bonheur. Leur histoire est touchante : mais dans cette île, située sur la route des Indes, quel Européen peut s'intéresser au sort de quelques particuliers obscurs ? Qui voudrait même y vivre heureux, mais pauvre et ignoré ? Les hommes ne veulent connaître que l'histoire des grands et des rois, qui ne sert à personne. - Mon père, repris-je, il est aisé de juger à votre air et à votre discours que vous avez acquis une grande expérience. Si vous en avez le temps, racontez-moi, je vous prie, ce que vous savez des anciens habitants de ce désert, et croyez que l'homme même le plus dépravé par les préjugés du monde aime à entendre parler du bonheur que donnent la nature et la vertu. » Alors, comme quelqu'un qui cherche à se rappeler diverses circonstances, après avoir appuyé quelque temps ses mains sur son front, voici ce que ce vieillard me raconta.Bernardin de Saint Pierre, Paul et Virginie (1787)
Bernardin de Saint Pierre,
SEQUENCE 6 : LE THEATRE
OBJET DÉTUDELe texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours
Problématique
Comment, dans cette pièce, le dramaturge du XXe siècle reprend-il les caractéristiques du théâtre classique pour exprimer des inquiétudes contemporaines ?
Pour lexposé
Lectures analytiquesuvre intégrale : Corpus : Beckett En attendant Godot (1953)
Texte 1 : de la première page, jusquà ESTRAGON. - Les mêmes? Je ne sais pas. Silence. » (pp. 9-10)
Texte 2 : de « ESTRAGON. - Qu'est-ce qu'on lui a demandé au juste ? » à « VLADIMIR. - Notre rôle ? Celui du suppliant. » (pp. 23-24)
Texte 3 : de « Pozzo. - Sans lui je n'aurais jamais pensé » à « Pozzo. (
) Ceux qui peuvent se le permettre. » (pp. 45-46)
Texte 4 : de « Pozzo (qui n'a pas écouté). - Ah oui, la nuit
» à « Pozzo (
) Cest comme ça que ça se passe sur cette putain de terre. Long silence. » (pp.51-52).
Texte 5 : de « VLADIMIR Si tu les essayais? » à « ESTRAGON. Elles sont trop grandes. » (pp.96-98)
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25Route à la campagne, avec arbre. Soir.
Estragon, assis sur une pierre, essaie d'enlever sa chaussure. Il s'y acharne des deux mains, en ahanant. Il s'arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Vladimir.
ESTRAGON (renonçant à nouveau). - Rien à faire.
VLADIMIR (s'approchant à petits pas raides, les jambes écartées). - Je commence à le croire. (Il s'immobilise.) J'ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable, tu n'as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) - Alors, te revoilà, toi.
ESTRAGON. - Tu crois
VLADIMIR. - Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON. - Moi aussi.
VLADIMIR. - Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t'embrasse. (Il tend ta main
Estragon.)
ESTRAGON (avec irritation). - Tout à l'heure, tout à l'heure.
Silence.
VLADIMIR (froissé, froidement). - Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
ESTRAGON. - Dans un fossé.
VLADIMIR (épaté). - Un fossé! Où ça?
ESTRAGON (sans geste). - Par là.
VLADIMIR. - Et on ne t'a pas battu ?
ESTRAGON. - Si... Pas trop.
VLADIMIR. - Toujours les mêmes?
ESTRAGON. - Les mêmes? Je ne sais pas.
Silence.
Texte 2
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ESTRAGON. - Qu'est-ce qu'on lui a demandé au juste ?
VLADIMIR. - Tu n'étais pas là ?
ESTRAGON. - Je n'ai pas fait attention.
VLADIMIR. - Eh bien... Rien de bien précis.
ESTRAGON. - Une sorte de prière.
VLADIMIR. - Voilà.
ESTRAGON. - Une vague supplique.
VLADIMIR. - Si tu veux.
ESTRAGON. - Et qu'a-t-il répondu?
VLADIMIR. - Qu'il verrait.
ESTRAGON. - Qu'il ne pouvait rien promettre.
VLADIMIR. - Qu'il lui fallait réfléchir.
ESTRAGON. - A tête reposée.
VLADIMIR. - Consulter sa famille.
ESTRAGON. - Ses amis.
VLADIMIR. - Ses agents.
ESTRAGON. - Ses correspondants.
VLADIMIR. - Ses registres.
ESTRAGON. - Son compte en banque.
VLADIMIR. - Avant de se prononcer.
ESTRAGON. - C'est normal.
VLADIMIR. - N'est-ce pas ?
ESTRAGON. - Il me semble.
VLADIMIR. - A moi aussi.
Repos.
ESTRAGON (inquiet). - Et nous ?
VLADIMIR. - Plaît-il ?
ESTRAGON. - Je dis, Et nous ?
VLADIMIR. - Je ne comprends pas.
ESTRAGON. - Quel est notre rôle là-dedans ?
VLADIMIR. - Notre rôle ?
ESTRAGON. - Prends ton temps.
VLADIMIR. - Notre rôle ? Celui du suppliant.
Texte 3
POZZO Et SON « KNOUK »
On est au milieu du premier acte. Estragon vient d'être frappé par Lucky, qu'il avait pris en pitié. Pozzo entreprend d'expliquer aux deux amis la nature et l'histoire de sa relation avec son serviteur.
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10Pozzo. - Sans lui je n'aurais jamais pensé, jamais senti, que des choses basses, ayant trait à mon métier de - peu importe. La beauté, la grâce, la vérité de première classe, je m'en savais incapable. Alors j'ai pris un knouk.
VLADIMIR (malgré lui, cessant d'interroger le ciel). - Un knouk ?
Pozzo. - Il y aura bientôt soixante ans que ça dure... (Il calcule mentalement) ...oui, bientôt soixante. (Se redressant fièrement.) On ne me les donnerait pas, n'est-ce pas ? (Vladimir regarde Lucky) À côté de lui j'ai l'air d'un jeune homme, non? (Un temps. A Lucky) Chapeau! (Lucky dépose le panier, enlève son chapeau. Une abondante chevelure blanche lui tombe autour du visage. Il met son chapeau sous le bras et reprend le panier.) Maintenant, regardez. (Pozzo ôte son chapeau. Il est complètement chauve. Il remet son chapeau.). Vous avez vu ?
VLADIMIR. - Qu'est-ce que c'est, un knouk ?
Pozzo. - Vous n'êtes pas d'ici. Êtes-vous seulement du siècle ? Autrefois on avait des bouffons. Maintenant on a des knouks. Ceux qui peuvent se le permettre.
Texte 4
L'ÉCHEC DE LA POÉSIE
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20Pozzo (qui n'a pas écouté). - Ah oui, la nuit. (Lève la tête.) Mais soyez donc un peu plus attentifs, sinon nous n'arriverons jamais à rien. (Regarde le ciel) Regardez. (Tous regardent le ciel, sauf Lucky qui s'est remis à somnoler. Pozzo, s'en apercevant, tire sur la corde.) Veux-tu regarder le ciel, porc! (Lucky renverse la tête.) Bon, ça suffit. (Ils baissent la tête.) Qu'est-ce qu'il a de si extraordinaire ? En tant que ciel ? Il est pâle et lumineux, comme n'importe quel ciel à cette heure de la journée. (Un temps.) Dans ces latitudes. (Un temps.) Quand il fait beau. (Sa voix se fait chantante.) Il y a une heure (il regarde sa montre, ton prosaïque) environ (ton à nouveau lyrique) après nous avoir versé depuis (il hésite, le ton baisse) mettons dix heures du matin (le ton s'élève) sans faiblir des torrents de lumière rouge et blanche, il s'est mis à perdre de son éclat, à pâlir (geste des deux mains qui descendent par paliers), à pâlir, toujours un peu plus, un peu plus, jusqu'à ce que (pause dramatique, large geste horizontal des deux mains qui s'écartent) vlan ! fini! il ne bouge plus! (Silence.) Mais (il lève une main admonitrice) - mais, derrière ce voile de douceur et de calme (il lève les yeux au ciel, les autres l'imitent, sauf Lucky) la nuit galope. (la voix se fait plus vibrante) et viendra se jeter sur nous (il fait claquer ses doigts) pfft ! comme ça - (l'inspiration le quitte) au moment où nous nous y attendrons le moins. (Silence. Voix morne.) Cest comme ça que ça se passe sur cette putain de terre.
Long silence
Texte 5
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VLADIMIR Si tu les essayais?
ESTRAGON Jai tout essayé.
VLADIMIR Je veux dire, les chaussures.
ESTRAGON Tu crois?
VLADIMIR Ça fera passer le temps (Estragon hésite). Je tassure, ce sera une diversion.
ESTRAGON Un délassement.
VLADIMIR. Une distraction.
ESTRAGON Un délassement
VLADIMIR Essaie.
ESTRAGON Tu maideras?
VLADIMIR Bien sûr.
ESTRAGON On ne se débrouille pas trop mal, hein, Didi, tous les deux ensemble?
VLADIMIR Mais oui, mais oui. Allez, on va essayer la gauche dabord.
ESTRAGON On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner limpression dexister?
VLADIMIR (impatiemment) Mais oui, mais oui, on est des magiciens. Mais ne nous laissons pas détourner de ce que nous avons résolu. (II ramasse une chaussure) Viens, donne ton pied. (Estragon sapproche de lui lève le pied.) Lautre, porc! (Estragon lève lautre pied) Plus haut! (Les corps emmêlés, ils titubent à travers la scène ? Vladimir réussit finalement à lui mettre la chaussure) Essaie de marcher. (Estragon marche) Alors?
ESTRAGON. Elle me va.
VLADIMIR (prenant de la ficelle dans sa poche) On va la lacer.
ESTRAGON (véhémentement). Non, non, pas de lacet, pas de lacet
VLADIMIR Tu as tort. Essayons lautre. (Même jeu) Alors?
ESTRAGON Elle me va aussi.
VLADIMIR Elles ne te font pas mal?
ESTRAGON (misant quelques pas appuyés) Pas encore.
VLADIMIR Alors tu peux les garder.
ESTRAGON Elles sont trop grandes.
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquenceGroupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Document A - Molière, LAvare, acte II, scène 5, 1668.
Document B - Samuel Beckett, En attendant Godot, acte I, 1953.
Document C - Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte I, 1959.
Document D - Alain Satgé, « Mises en scène » dEn attendant Godot, 1999.
DOCUMENT A
Harpagon, vieillard d'une avarice extrême, est veuf et veut épouser la jeune Mariane que son fils Cléante aime en secret. Pour réaliser ce mariage, Harpagon a recours à une entremetteuse, Frosine, qui le flatte pour en obtenir de l'argent.
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FROSINE -Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour les aimer! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux , pour donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragoût il y a à eux !
HARPAGON. - Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a des femmes qui les aiment tant.
FROSINE. - Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable! est-ce avoir le sens commun? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins ? et peut-on s'attacher à ces animaux-là ?
HARPAGON. - C'est ce que je dis tous les jours, avec leur ton de poule laitée et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs perruques d'étoupe leurs hauts-de-chausses tout tombants et leurs estomacs débraillés.
FROSINE. - Eh! cela est bien bâti auprès d'une personne comme vous ! Voilà un homme cela! Il y a là de quoi satisfaire à la vue, et c'est ainsi qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.
HARPAGON. - Tu me trouves bien ?
FROSINE. - Comment! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre. Tournez-vous un peu, s'il vous plait. Il ne se peut pas mieux. Que je vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre et dégagé comme il faut, et qui ne marque aucune incommodité.
HARPAGON. - Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci: Il n'y a que ma fluxion qui me prend de temps en temps.
FROSINE. - Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez grâce à tousser.
HARPAGON. - Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? n'a-t-elle point pris garde à moi en passant ?
FROSINE. - Non. Mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait un portrait de votre personne, et je n'ai pas manqué de lui vanter votre mérite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme vous.
HARPAGON. - Tu as bien fait, et je t'en remercie.
FROSINE. - J'aurais, Monsieur, une petite prière à vous faire. (Il prend un air sévère.) J'ai un procès que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent, et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès si vous aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir qu'elle aura de vous voir. (Il reprend un air gai.) Ah ! que vous lui plairez! et que votre fraise à l'antique fera sur son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmée de votre haut-de-chausses, attaché au pourpoint avec des aiguillettes. C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilletté sera pour elle un ragoût merveilleux.
HARPAGON.- Certes, tu me ravis de me dire cela. Molière, LAvare, acte 11, scène 5, 1668.
DOCUMENT B
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VLADIMIR. - Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision.) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur.
ESTRAGON (piqué au vif). - Et après ?
VLADIMIR (accablé). - C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900.
ESTRAGON. -Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie.
VLADIMIR. - La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ?
ESTRAGON. - Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ?
VLADIMIR. - Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m'écouter.
ESTRACON (faiblement). -Aide-moi !
VLADIMIR. - Tu as mal ?
ESTRAGON. - Mal ! Il me demande si j'ai mal !
VLADIMIR (avec emportement). - Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles.
ESTRAGON - Tu as eu mal ?
VLADIMIR. - Mal ! Il me demande si j'ai eu mal !
ESTRAGON (pointant l'index). - Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner.
VLADIMIR (se penchant). - C'est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser aller dans les petites choses.
ES T RAGON. - Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment.
VLADIMIR (rêveusement). - Le dernier moment... (Il médite.) C'est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ?
ESTRAGON. - Tu ne veux pas m'aider ?
VLADIMIR. - Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire ? Soulagé et en même temps... (il cherche)... épouvanté. (Avec emphase.) É-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ça alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin... (Estragon, au prix d'un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre sil n'en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau dans la chaussure, les yeux vagues.) - Alors?
ESTRAGON. - Rien.
VLADIMIR. - Fais voir.
ESTRAGON. - Il n'y a rien à voir.
VLADIMIR. - Essaie de la remettre.
ESTRAGON (ayant examiné son pied). - Je vais le laisser respirer un peu.
VLADIMIR. - Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. (Il enlève encore une fois son chapeau, regarde dedans, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet.) Ça devient inquiétant. (Silence. Estragon agite son pied, en faisant jouer les orteils, afin que l 'air y circule mieux.) Samuel Beckett, En attendant Godot, acte 1, 1953, HYPERLINK http://éd.de éd. de Minuit.
Document C
Au début de la pièce, deux amis se retrouvent, dans une ville où une étrange maladie, « la rhinocérite », transformera peu à peu les habitants, sauf Bérenger, en rhinocéros. Cette transformation constitue une image de la montée du nazisme ou d'autres formes de totalitarisme.
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35JEAN l'interrompant. - Vous êtes dans un triste état, mon ami.
BÉRENGER. - Dans un triste état, vous trouvez ?
JEAN. - Je ne suis pas aveugle. Vous tombez de fatigue, vous avez encore perdu la nuit, vous bâillez, vous êtes mort de sommeil...
BÉRENGER. - J'ai un peu mal aux cheveux...
JEAN. - Vous puez l'alcool !
BÉRENGER. - J'ai un petit peu la gueule de bois, c'est vrai !
JEAN. - Tous les dimanches matin, c'est pareil, sans compter les jours de la semaine.
BÉRENGER. - Ah non, en semaine c'est moins fréquent, à cause du bureau...
JEAN. - Et votre cravate, où est-elle ? Vous l'avez perdue dans vos ébats !
BÉRENGER, mettant la main à son cou. - Tiens, c'est vrai, c'est drôle, qu'est-ce que j'ai bien pu en faire ?
JEAN, sortant une cravate de la poche de son veston. - Tenez, mettez celle-ci.
BÉRENGER. - Oh, merci, vous êtes bien obligeant. (Il noue la cravate à son cou.)
JEAN, pendant que Bérenger noue sa cravate au petit bonheur. - Vous êtes tout décoiffé ! (Bérenger passe les doigts dans ses cheveux.) Tenez, voici un peigne! (Il sort un peigne de l'autre poche de son veston.)
BÉRENGER, prenant le peigne. - Merci. (Il se peigne vaguement.)
JEAN. -Vous ne vous êtes pas rasé ! Regardez la tête que vous avez. (Il sort une petite glace de la poche intérieure de son veston, la tend à Bérenger qui s'y examine; en se regardant dans la glace, il tire la langue.)
BÉRENGER. - J'ai la langue bien chargée.
JEAN, reprenant la glace et la remettant dans sa poche. - Ce n'est pas étonnant!... (Il reprend aussi le peigne que lui tend Bérenger, et le remet dans sa poche.) La cirrhose' vous menace, mon ami. BÉRENGER, inquiet. - Vous croyez ?...
JEAN, à Bérenger qui veut lui rendre la cravate. - Gardez la cravate, j'en ai en réserve.
BÉRENGER, admiratif. -Vous êtes soigneux, vous.
JEAN, continuant d'inspecter Bérenger. - Vos vêtements sont tout chiffonnés, c'est lamentable, votre chemise est d'une saleté repoussante, vos souliers... (Bérenger essaye de cacher ses pieds sous la table.) Vos souliers ne sont pas cirés... Quel désordre! ... Vos épaules...
Bérenger. - Qu'est-ce qu'elles ont, mes épaules ?...
JEAN. - Tournez-vous. Allez, tournez-vous. Vous vous êtes appuyé contre un mur... (Bérenger étend mollement sa main vers Jean.) Non, je n'ai pas de brosse sur moi, cela gonflerait les poches. (Toujours mollement, Bérenger donne des tapes sur ses épaules pour en faire sortir la poussière blanche; Jean écarte la tête.) Oh là là... Où donc avez-vous pris cela ?
BÉRENGER. Je ne m'en souviens pas.
JEAN. - C'est lamentable, lamentable ! J'ai honte d'être votre ami.
BÉRENGER. - Vous êtes bien sévère... Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte 1, 1959.
Document D
Costumes : le choix de l'« uniforme »
Beckett ne donne aucune autre indication que celle des chapeaux melon. D'où peut-être l'idée du « non-costume », qui revient plusieurs fois : Blin suggère un moment que les acteurs portent leurs propres costumes; Krejca leur demande... de les fabriquer eux-mêmes.
Ce «vide » dans les didascalies laisse au metteur en scène une marge de liberté qui a été finalement peu exploitée. On trouve peu de diversité dans le traitement des costumes : une image commune s'est vite imposée, et reproduite (silhouettes noires, et presque abstraites, costumes bourgeois défraîchis, « uniformes » de clochard).
Le choix des costumes implique pourtant des enjeux essentiels, à commencer par la détermination de l'époque. Autant ou plus que le décor, les costumes situent la pièce dans le temps - ou hors du temps. Rares sont les metteurs en scène qui aient rompu avec l'image des « vagabonds intemporels », et opté pour l'historicisation (Jouanneau). Les costumes déterminent aussi le système des relations entre les personnages ; ils permettent de les individualiser ou de les indifférencier, de les hiérarchiser ou de les mettre à égalité. Ici encore, on constate une tendance à l'uniformisation. À la création, Blin joue sur une forte opposition entre Pozzo et les autres : le gentleman farmer porte une cravate, une culotte de cheval et des bottes. Lucky, avec sa vieille livrée rouge (qui contraste avec son maillot de corps rayé et ses pantalons trop courts), est nettement caractérisé comme domestique. Au fur et à mesure des reprises, Blin gomme ces différences : en 1978, Pozzo et Lucky sont habillés comme Vladimir et Estragon, donc « clochardisés » à leur tour.
Dans la mise en scène de Beckett à Berlin, le traitement des costumes manifeste la volonté de mettre en valeur symétries et inversions à l'acte I, Vladimir porte un veston noir et un pantalon rayé, Estragon un veston rayé et un pantalon noir ; c'est l'inverse à l'acte II. De même Pozzo porte un pantalon à carreaux : on retrouve des carreaux sur la veste de Lucky... Krejca reprend et varie l'idée, en donnant l'impression que les personnages auraient échangé leurs costumes (pantalon trop large et veste trop étroite pour Estragon, l'inverse pour Vladimir). Au-delà du jeu « formel », le procédé met en lumière un thème essentiel de la pièce, celui de la permutation et de la circularité.
Alain Satgé, « Mises en scène » dEn attendant Godot, 1999, coll. Études littéraires, PUE
SEQUENCE 7 : LHUMANISME
OBJET DÉTUDEVers un espace culturel européen : Renaissance et humanisme
Problématique
Gargantua : une uvre sérieuse ou comique ?
Pour lexposé
Lectures analytiques
Une uvre intégrale : Gargantua de Rabelais (1532)
Texte 1 - Prologue de lauteur.
Texte 2 « Comment Gargantua naquit en façon bien étrange » Chap. VI
Texte 3 « Lever matin nest point bonheur ... » Chap. XXI
Texte 4 « Cependant Monsieur lAppétit venait ... » Chap. XXIII
Texte 5 « Comment certains gouverneurs de Pichrocole par conseils précipité, le mirent au dernier péril » Chap. XXXIII
Texte 6 « Comment était réglée la vie des Thélémites » « Fais ce que voudras » Chap. LV
uvre Complète Rabelais Gargantua - 1534 -
TEXTE 1 Prologue
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Buveurs très illustres et vous, vérolés très précieux, - car à vous, non aux autres, sont dédiés mes écrits -, Alcibiade, dans le dialogue de Platon intitulé Le Banquet, louant son précepteur Socrate, sans controverse prince des philosophes, entre autres paroles le dit être semblable aux Silènes.
Silènes étaient jadis petites boites, telles que voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, peintes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de harpie, satyres oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs limoniers, et autres telles peintures contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire (tel fut Silène maître du bon Bacchus) mais au-dedans lon réservait les fines drogues comme baume, ambre gris, amonon, musc, civette, pierreries et autres choses précieuses. Tel disait être Socrate, parce que, le voyant au dehors et lestimant par lextérieure apparence, nen eussiez donné un coupeau doignons, tant laid il était de corps et ridicule en son maintien, le nez pointu, le regard dun taureau, le visage dun fou, simple en murs, rustique en vêtements, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inapte à tous offices de la république, toujours riant, toujours buvant dautant un chacun, toujours se guabelant, toujours dissimulant son divin savoir; mais, ouvrant cette boite, eussiez au dedans trouvé une céleste et impréciable drogue : entendement plus quhumain, vertu merveilleuse, courage invincible, sobresse non pareille contentement certain, assurance parfaite, déprisement incroyable de tout ce pourquoi les humains tant veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.
A quel propos, à votre avis, tend ce prélude et coup dessai ? Pour autant que vous, mes bons disciples, et quelques autres fous de séjour , lisant les joyeux titres daucuns livres de notre invention,comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte , La Dignité des braguettes , Des pois au lard cum commento , etc. jugez trop facilement nêtre au dedans traité que moqueries, folâtreries et menteries joyeuses, vu que lenseigne extérieure (cest le titre), sans plus avant enquérir est communément reçue à dérision et gaudisserie . Mais par telle légèreté ne convient estimer les oeuvres des humains, Car vous-mêmes dites que lhabit ne fait pas le moine, et tel est vêtu dhabit monacal, qui au-dedans nest rien que moine, et tel est vêtu de cape espagnole, qui en son courage nullement affert à lEspagne . Cest pourquoi faut ouvrir le livre, et soigneusement peser ce qui y est déduit . Lors connaîtrez que la drogue dedans contenue est bien dautre valeur que ne promettait la boîte, cest-à-dire que les matières ici traitées ne sont tant folâtres comme le titre dessus prétendait.
Texte 2
« Comment Gargantua naquit en façon bien étrange »
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20Par cet inconvénient furent au-dessus relâchés les cotylédons de la matrice par lesquels sursauta lenfant, et entra en la veine creuse et gravant par le diaphragme jusquau dessus des épaules (où ladite veine se part en deux), prit son chemin à gauche, et sortit par loreille senestre .
Soudain quil fut né, ne cria comme les autres enfants : « Mies, mies ! », mais à haute voix sécriait: « A boire ! à boire ! à boire ! » comme invitant tout le monde à boire, si bien quil fut ouy de tout le pays de Beusse et de Bibarais .
Je me doute que vous ne croyez assurément cette étrange nativité. Si ne le croyez, je ne men soucie, mais un homme de bien, un homme de bon sens, croit toujours ce quon lui dit et quil trouve par écrit. Est-ce contre notre loi, notre foi, contre raison, contre la Sainte Écriture? De ma part, je ne trouve rien écrit dans les Bibles saintes qui soit contre cela. Mais, si le vouloir de Dieu tel eût été, diriez-vous quil ne leût pu faire ? Ha, pour grâce, nemburelucoquez jamais vos esprits de ces vaines pensées, car je vous dis quà Dieu rien nest impossible, et, sil voulait, les femmes auraient dorénavant ainsi leurs enfants par loreille.
Bacchus ne fut-il pas engendré par la cuisse de Jupiter ? Rocquetaille ne naquit-il pas du talon de sa mère ? Crocquemouche de la pantoufle de sa nourrice? Minerve ne naquit-elle pas du cerveau par loreille de Jupiter ? Adonis par lécorce dun arbre de myrrhe ? Castor et Pollux de la coque dun oeuf, pondu et éclos par Léda ?
Mais vous seriez bien davantage ébahis et étonnés si je vous exposais présentement tout le chapitre de Pline auquel parle des enfants étranges et contre nature; et toutefois je ne suis point menteur tant assuré comme il a été. Lisez le septième Livre de son Histoire naturelle, chapitre III, et ne men tabustez plus lentendement.
Chap. VI
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« Lever matin nest point bonheur ; Boire matin est le meilleur. »
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30Il dispensait donc son temps de telle façon que, ordinairement, il séveillait entre huit et neuf heures, fût jour ou non ainsi lavaient ordonné ses régents théologiques alléguants ce que dit David : vanum est vobis ante lucem surgere . Puis se gambayait, penadait, et paillardait parmi le lit quelque temps, pour mieux esbaudir ses esprits animaux et shabillait selon la saison, mais volontiers portait-il une grande et longue robe de grosse frise, fourrée de renards après se peignait du peigne dAlmain, cétait des quatre doigts et le pouce, car ses précepteurs disaient que soi autrement peigner, laver et nettoyer était perdre temps en ce monde. Puis fientait, pissait, rendait sa gorge , rotait, pétait, baillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et se morvait en archidiacre, et déjeunait pour abattre la rosée et mauvais air : belles tripes frites, belles carbonnades , beaux jambons, belles cabirotades , et force soupes de prime Ponocrates lui remontrait que tant soudain ne devait repaître au partir du lit, sans avoir premièrement fait quelque exercice. Gargantua répondit :
« Quoi ? Nai-je fait suffisant exercice ? Je me suis vautré six ou sept tours parmi le lit devant que me lever. Nest-ce assez ? Le pape Alexandre ainsi faisait par le conseil de son médecin juif, et vécut jusques à la mort, en dépit des envieux. Mes premiers maîtres my ont accoutumé, disants que le déjeuner faisait bonne mémoire ; pourtant y buvaient les premiers . Je me trouve fort bien, et n en dîne que mieux. Et me disait maître Tubal, qui fut premier de sa licence à Paris, que ce nest tout lavantage de courir bien tôt, mais bien de partir de bonne heure aussi nest-ce la santé totale de notre humanité boire à tas, à tas, à tas, comme canes, mais oui bien de boire matin ; unde versus :
Lever matin nest point bonheur
Boire matin est le meilleur, »
Après avoir bien à point déjeuné, allait à léglise, et lui portait-on, dedans un grand panier, un gros bréviaire empantouflé , pesant, tant en graisse quen fermoirs et parchemin, poi plus poi moins , onze quintaux six livres. Là oyait vingt et six ou trente messes. Cependant venait son diseur dheures en place empaletoqué comme une dupe et très bien antidoté son haleine à force sirop vignolat . Avec celui marmonnait toutes ces kyrielles et tant curieusement les épluchait quil nen tombait un seul grain en terre. Au partir de léglise, on lui amenait, sur une traîne à boeufs, un farat de patenôtres de Saint-Claude aussi grosses chacune quest le moule dun bonnet, et, se promenant par les cloîtres, galeries ou jardin, en disait plus que seize ermites.
Puis étudiait quelque méchante demie heure, les yeux assis dessus son livre mais, comme dit le Comique son âme était en la cuisine.
Chap. XXI
TEXTE 4
« Cependant Monsieur lappétit venait... »
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45Ce fait, était habillé, peigné, testonné , accoutré et parfumé, durant lequel temps on lui répétait les leçons du jour davant. Lui-même les disait par coeur et y fondait quelques cas pratiques et concernants létat humain, lesquels ils étendaient aucunes fois jusque deux ou trois heures, mais ordinairement cessaient lorsqu il était du tout habillé. Puis par trois bonnes heures lui était faite lecture.
Ce fait, issaient hors , toujours conférants des propos de la lecture, et se déportaient en Bracque , ou ès prés et jouaient à la balle, à la paume, à la pile trigone galantement sexerçants les corps comme ils avaient les âmes auparavant exercé. Tout leur jeu nétait quen liberté, car ils laissaient la partie quand leur plaisait, et cessaient ordinairement lorsque suaient parmi le corps, ou étaient autrement las. Adonc étaient très bien essuyés et frottés, changeaient de chemise, et, doucement se promenants, allaient voir si le dîner était prêt. Là attendants, récitaient clairement et éloquemment quelques sentences retenues de la leçon.
Cependant Monsieur lAppétit venait, et par bonne opportunité sasseyaient à table. Au commencement du repas, était lue quelque histoire plaisante des anciennes prouesses , jusques à ce quil eût pris son vin. Lors, si bon semblait, on continuait la lecture, ou commençaient à deviser joyeusement ensemble, parlants, pour les premiers mois, de la vertu, propriété, efficace et nature de tout ce que leur était servi à table: du pain, du vin, de leau, du sel, des viandes, poissons, fruits, herbes, racines, et de lapprêt dicelles. Ce que faisant, apprit en peu de temps tous les passages à ce compétants en Pline, Achénée, Dioscorides, Julius Pollux, Galien, Porphyre, Oppian, Polybe, Héliodore, Aristotèles, Elian et autres. Iceux propos tenus, faisaient souvent, pour plus être assurés, apporter les livres susdits à table. Et si bien et entièrement retint en sa mémoire les choses dites, que, pour lors, nétait médecin qui en sut à la moitié tant comme il faisait. Après, devisaient des leçons lues au matin et, parachevant leur repas par quelque confection de cotoniat , sécuraient les dents avec un trou de lentisque , se lavaient les mains et les yeux de belle eau fraîche et rendaient grâces à Dieu par quelques beaux cantiques faits à la louange de la munificence et bénignité divine
Ce fait, on apportait des cartes, non pour jouer, mais pour y apprendre mjlle petites gentillesses et inventions nouvelles, lesquelles toutes issaient darithmétique. En ce moyen entra en affection diceIle science numérale, et, tous les jours après dîner et souper, y passait temps aussi plaisantement quil soulait ès dés ès cartes. A tant sur dicelle théorique et pratique, si bien que Tunstal, Anglais qui en avait amplement écrit, confessa que vraiment, en comparaison de lui, il ny entendait que le haut allemand.
Et non seulement dicelle, mais des autres sciences mathématiques comme géométrie, astronomie et musique; car, attendants la concoction et digestion de son past , ils faisaient mille joyeux instruments et figures géométriques, et de même pratiquaient les canons astronomiques. Après sesbaudissaient à chanter musicalement à quatre et cinq paries, ou sur un thème, à plaisir de gorge. Au regard des instruments de musique, il apprit à jouer du luc , de lépinette , de la harpe, de la flûte dallemand et à neuf trous, de la viole et de la scaquebutte .
Cette heure ainsi employée, la digestion parachevée, se purgeait des excréments naturels ; puis se remettait à son étude principale par trois heures ou davantage, tant à répéter la lecture matutinale quà poursuivre le livre entrepris, quaussi à écrire et bien traire et former les antiques et romaines lettres .
Ce fait, issaient hors leur hôtel, avec eux un jeune gentilhomme de Touraine nommé lécuyer Gymnaste, lequel lui montrait lart de chevalerie ? Changeant donc de vêtements, montait sur un coursier, sur un roussin, sur un genet, sur un cheval barbe, cheval léger , et lui donnait cent carrières , le faisait voltiger en lair, franchir le fossé, sauter le palis , court tourner en un cercle, tant à dextre comme à senestre . Là rompait, non la lance, car cest la plus grande rêverie du monde dire : « Jai rompu dix lances en tournoi ou en bataille », un charpentier le ferait bien ; mais louable gloire est dune lance avoir rompu dix de ses ennemis. De sa lance donc, acérée, verte et raide, rompait un huis, enfonçait un harnais , aculait un arbre , enclavait un anneau, enlevait une selle darmes, un haubert, un gantelet. Le tout faisait armé de pied en cap.
Chap. XXIII
TEXTE 5
Rabelais Gargantua Chap. 33 Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier péril
Grandgousier a essayé de faire la paix, mais rien n'y a fait; cal' Picrochole (dont le nom en grec signifie « bile amère ») s'entoure de mauvais conseillers qui le poussent toujours plus loin dans la violence. Ce chapitre est une satire de la vantardise: les conseillers, toujours au château, expliquent, en affabulant, à Picrochole comment grâce à eux il a déjà conquis la moitié du monde, alors qu'il n'a pas encore attaqué son voisin (entre Lerné et Chinon, il n'y a que quelques kilomètres !) Prenant pour modèle Alexandre le Grand, ils entraînent: Picrochole, par pure folie verbale, de Lerné jusqu'au Tigre et à l'Euphrate.
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25- [...] Prise Italie, voilà Naples, Calabre, Appoulle et Sicile toutes à sac, et Malte avec. Je voudrais bien que les plaisants chevaliers, jadis Rhodiens, vous résistassent, pour voir de leur urine !
- J'irais (dit Picrochole) volontiers à Laurette.
- Rien, rien (dirent-ils) ; ce sera au retour. De là prendrons Candie, Chypre, Rhodes et les îles Cyclades, et donnerons sur la Morée. Nous la tenons. Saint Treignan, Dieu garde Jérusalem! car le sultan n'est pas comparable à votre puissance!
- Je (dit-il) ferai donc bâtir le Temple de Salomon.
- Non (dirent-ils) encore, attendez un peu. Ne soyez jamais tant soudain à vos entreprises.
Savez-vous que disait Octavien Auguste? Festina lente. Il vous convient particulièrement avoir l'Asie Mineure, Carie, Lycie, Pamphylie, Cilicie, Lydie, Phrygie, Mysie, Bithynie, Charazie, Satalie, Samagarie, Castamena, Luga, Savasta jusqu'à Euphrate.
- Verrons-nous (dit Picrochole) Babylone et le Mont Sinaï?
- Il n'est (dirent-ils) jà besoin pour celte heure. N'est-ce pas assez tracassé dea avoir transfreté la mer Hircane, chevauché les deux Arménies et les trois Arabies ?
- Par ma foi (dit-il) nous sommes affolés. Ha, pauvres gens!
- Quoi? dirent-ils.
- Que boirons-nous par ces déserts? Car Julien Auguste et tout son ost y moururent de soif,
comme l'on dit.
- Nous (dirent-ils) avons jà donné ordre à tout. Par la mer Siriace vous avez neuf mille quatorze "grandes nefs, chargées des meilleurs vins du monde; elles arrivèrent à Japhes. Là se sont trouvés vingt et deux cent mille chameaux et seize cents éléphants, lesquels aurez pris à une chasse environ Sigeilmes, lorsqu'entrâtes en Libye, et d'abondant eûtes toute la caravane de la Mecque. Ne vous fournirent-ils pas vin à suffisance?
- Voire! Mais (dit-il) nous ne bûmes pas frais.
- Par la vertu (dirent-ils) non pas d'un petit poisson un preux, un conquérant, un prétendant et aspirant à l'empire univers ne peut toujours avoir ses aises. Dieu soit loué qu'êtes venus, vous et vos gens, saufs et entiers jusqu'au fleuve du Tigre!
Texte 6
« Comment était réglée la vie des Thélémites »
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Toute leurs vie était ordonnée non selon des lois, des statuts ou des règles, mais selon, leur bon vouloir et leur libre arbitre. Ils se levaient quand bon leur semblait, buvaient mangeaient, travaillaient, et dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les réveillait, nul ne les contraignait à boire, à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Pour toute règle, il n'y avait que cette clause, Fais ce que tu voudras; parce que les gens bien libres, bien nés et bien éduqués, vivant en bonne compagnie, ont par nature un instinct, un aiguillon qui les pousse toujours à la vertu et les éloigne du vice, qu'ils appelaient honneur. Ces gens-là, quand ils sont opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la crainte, détournent cette noble inclination par laquelle ils tendaient librement à la vertu, vers le rejet et la violation du joug de servitude ; car nous entreprenons toujours ce qui nous est dit et nous convoitons ce qui nous est refusé.
C'est cette liberté même qui les poussa à cette louable émulation : faire tous ce qu'ils voyaient faire plaisir à un seul. Si l'un ou l'autre d'entre eux disait : « Buvons », ils buvaient tous ; s'il disait : « Jouons », tous jouaient ; s'il disait ; « Allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. S'il s'agissait de chasser à courre ou au vol, les dames, montées sur de belles haquenées suivies du palefroi de guerre portaient sur leur poing joliment gantelé un épervier, un laneret ou un émerillon. Les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait parmi eux homme ni femme qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu'en prose. Jamais on ne vit de chevaliers si vaillants, si hardis, si adroits au combat à pied ou à cheval, plus vigoureux, plus agiles, maniant mieux les armes que ceux-là ; jamais on ne vit de dames si fraîches, si jolies, moins acariâtres, plus doctes aux travaux d'aiguille et à toute activité de femme honnête et bien née que celles-là.
C'est pourquoi, quand arrivait le temps où l'un d'entre eux, soit à la requête de ses parents, soit pour d'autres raisons, voulait quitter l'abbaye, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'aurait choisi pour chevalier servant, et ils se mariaient ; et s'ils avaient bien vécu à Thélème en amitié de cur, ils continuaient encore mieux dans le mariage, et ils s'aimaient autant à la fin de leurs jours qu'au premier jour de leurs noces.
Chap. LVII
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupements de textes travaillés sous forme de devoirs sur table :
Lhumanisme face à la guerre:
Document 1 : Joachim Du Bellay, « Je ne veux point fouiller au sein de la nature » Les Regrets, 1558, sonnet I (orthographe modernisée)
Document 2 : Ronsard, « Ne prêche plus en France une Évangile armée » Continuation du Discours des misères, 1563, v. 119 à 142.
Document 3 : Agrippa d'Aubigné, « Je nécris plus les feux de lamour inconnu » « Misères », Les Tragiques, 1615, v. 55-96.
Lhumanisme et la satire sociale:
Document A : Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet 150, 1558Document B : Érasme, Éloge de la Folie, chapitre LVI, 1511. Traduction de Pierre de NolhacDocument C : Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, édition posthume 1577. Adaptation en français moderne par Myriam Marrache-GouraudDocument D : Montaigne, Essais, livre III, chapitre X, 1592. Adaptation en français moderne par André Lanly.
Document A
Du Bellay propose ici un nouveau rapport entre le poète et son uvre.
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Je ne veux point fouiller au sein de la nature,Je ne veux point chercher l'esprit de l'univers,Je ne veux point sonder les abîmes couverts,Ni dessiner du ciel la belle architecture.Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :Mais suivant de ce lieu les accidents divers,Soit de bien, soit de mal, j'écris à l'aventure.Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret :Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,Comme étant de mon cur les plus sûrs secrétaires.Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,Et de plus braves noms ne les veux déguiserQue de papiers journaux ou bien de commentaires. Joachim Du Bellay, Les Regrets, sonnet I (orthographe modernisée)
Document B « Ne prêche plus en France une Évangile armée »
Ronsard a choisi le camp catholique pour lutter mais il ne peut oublier qu'il connaît bien ceux qui ont choisi l'autre camp dans les années 1550 tous les lettrés fréquentaient les mêmes Muses : aujourd'hui, les conflits religieux les dressent les uns contre les autres. Ronsard dans ce HYPERLINK http://discours.il discours, il lance un appel à l'entente, qu'il adresse â un ancien ami, Théodore de Bèze. Autrefois poète humaniste composant des poésies amoureuses, T. de Bèze n'écrit plus désormais que des uvres sacrées et enseigne le grec en Suisse. Devenu le conseiller principal de Calvin, il a en charge les opérations militaires des troupes réformées. Ronsard tente de le rappeler à la HYPERLINK http://littérature.au littérature, au nom de Dieu et de la France.
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Ne prêche plus en France une Évangile armée,
Un Christ empistolé tout noirci de fumée,
Portant un morion en tête, et dans la main
Un large coutelas rouge du sang humain
Cela déplaît à Dieu, cela déplaît au Prince,
Cela n'est qu'un appât qui tire la province
A la sédition, laquelle dessous toi
Pour avoir liberté, ne voudra plus de Roi,
Certes il vaudrait mieux à Lausanne relire
Du grand fils de Thétis les prouesses et l'ire,
Faire combattre Ajax, faire parler Nestor,
Ou reblesser Vénus, ou retuer Hector
En papier non sanglant, que rempli d'arrogance
Te mêler de combats dont tu n'as connaissance,
Et traîner après toi le vulgaire ignorant,
Lequel ainsi qu'un dieu te va presque adorant.
Certes il vaudrait mieux célébrer ta Candide ,
Et comme tu faisais, tenir encore la bride
Des cygnes Paphians, ou près d'une antre au soir
Tout seul dans le giron des neufs Muses t'asseoir,
Que reprendre l'Église, ou pour être vu sage
Amender en saint Paul je ne sais quel passage
De Bèze, mon ami, tout cela ne vaut pas
Que la France pour toi prenne tant de combats.Ronsard, Continuation du Discours des misères, 1563, v. 119 à 142 (orthographe modernisée),
Document C « Je nécris plus les feux de lamour inconnu »
Les Tragiques sont divisés en sept chants. Le premier, Misères, est consacré aux misères de la France déchirée par les guerres civiles. Au début de ce chant, D'Aubigné justifie son projet littéraire : les événements lui font abandonner la poésie profane et légère pour une poésie grave et tragique.
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Je n'écris plus les feux d'un amour inconnu,
Mais, par l'affliction plus sage devenu,
J'entreprends bien plus haut, car j'apprends à ma plume
Un autre feu, auquel la France se consume.
Ces ruisselets d'argent, que les Grecs nous feignaient,
Où leurs poètes vains buvaient et se baignaient,
Ne courent plus ici ; mais les ondes si claires
Qui eurent les saphirs et les perles contraires
Sont rouges de nos morts ; le doux bruit de leurs flots,
Leur murmure plaisant heurte contre les os.
Telle est en écrivant ma non commune image
Autre fureur qu'amour reluit en mon visage ;
Sous un inique Mars, parmi les durs labeurs
Qui gâtent le papier et l'encre de sueurs,
Au lieu de Thessalie aux mignardes vallées
Nous avortons ces chants au milieu des armées
En délaçant nos bras de crasse tout rouillés',
Qui n'osent s'éloigner des brassards dépouillés
Le luth que j'accordais avec mes chansonnettes
Est ores étouffé de l'éclat des trompettes
Ici le sang n'est feint, le meurtre n'y défaut
La mort joue elle-même en ce triste échafaud
Le juge criminel tourne et emplit son urne
D'ici la botte en jambe, et non pas le cothurne,
J'appelle Melpomène en sa vive fureur,
Au lieu de l'Hippocrène éveillant cette sur
Des tombeaux rafraîchis, dont il faut qu'elle sorte
Échevelée, affreuse, et bramant de la sorte
Que fait la biche après le faon qu'elle a perdu.
Que la bouche lui saigne, et son front éperdu
Fasse noircir du ciel les voûtes éloignées,
Qu'elle éparpille en l'air de son sang deux poignées
Quand épuisant ses flancs de redoublés sanglots
De sa voix enrouée elle bruira ces mots :
« Ô France désolée ! ô terre sanguinaire,
Non pas terre mais cendre ! ô mère, si c'est mère
Que trahir ses enfants aux douceurs de son sein
Et quand on les meurtrit les serrer de sa main !
Tu leur donnes la vie, et dessous ta mamelle
S'émeut des obstinés la sanglante querelle;
Sur ton pis blanchissant ta race se débat,
Là le fruit de ton flanc fait le champ du combat.
Agrippa d'Aubigné, « Misères », Les Tragiques, v. 55-96 (orthographe modernisée), Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard, Paris, 1969.
Document A
Joachim Du Bellay, Les Regrets, 1558.
[Dans ce sonnet, Du Bellay se moque des courtisans, « les singes de cour », dont il critique l'hypocrisie.]
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Seigneur1, je ne saurais regarder d'un bon ilCes vieux singes de cour, qui ne savent rien faire, Sinon en leur marcher2 les princes contrefaire3, Et se vêtir, comme eux, d'un pompeux appareil.
Si leur maître se moque, ils feront le pareil, S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire,Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire4, La lune en plein midi, à minuit le soleil.
Si quelqu'un devant eux reçoit un bon visage5,Ils le vont caresser, bien qu'ils crèvent de rage : S'il le reçoit mauvais, ils le montrent du doigt.
Mais ce qui plus contre eux quelquefois me dépite6,C'est quand devant le roi, d'un visage hypocrite,Ils se prennent à rire, et ne savent pourquoi...
1. Apostrophe conventionnelle en début de sonnet. Du Bellay adresse son poème à un puissant.2. Leur façon de marcher.3. Imiter.4. Plaire.5. Reçoit un bon accueil du roi. 6. Me contrarie.
Document B
Érasme, Éloge de la Folie, 1511.
[Dans cette uvre, c'est la Folie qui parle. Elle fait la satire des grands de ce monde.]
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15Que dirai-je des Gens de cour ? Il n'y a rien de plus rampant, de plus servile, de plus sot, de plus vil que la plupart d'entre eux, et ils ne prétendent pas moins au premier rang partout. Sur un point seulement, ils sont très réservés; satisfaits de mettre sur leur corps l'or, les pierreries, la pourpre et les divers emblèmes des vertus et de la sagesse, ils laissent de celles-ci la pratique à d'autres. Tout leur bonheur est d'avoir le droit d'appeler le roi « Sire », de savoir le saluer en trois paroles, de prodiguer des titres officiels où il est question de Sérénité, de Souveraineté, de Magnificence. Ils s'en barbouillent le museau, s'ébattent dans la flatterie; tels sont les talents essentiels du noble et du courtisan. Si vous y regardez de plus près, vous verrez qu'ils vivent comme de vrais Phéaciens1, des prétendants de Pénélope2. [...] Ils dorment jusqu'à midi; un petit prêtre à leurs gages3, qui attend près du lit, leur expédie, à peine levés, une messe hâtive. Sitôt le déjeuner fini, le dîner les appelle. Puis ce sont les dés, les échecs, les devins, les bouffons, les filles, les amusements et les bavardages. Entre-temps, une ou deux collations4 ; puis on se remet à table pour le souper, qui est suivi de beuveries. De cette façon, sans risque d'ennui, s'écoulent les heures, les jours, les mois, les années, les siècles. Moi-même je quitte avec dégoût ces hauts personnages, qui se croient de la compagnie des Dieux et s'imaginent être plus près d'eux quand ils portent une traîne plus longue. Les grands jouent des coudes à l'envi pour se faire voir plus rapprochés de Jupiter, n'aspirant qu'à balancer à leur cou une chaîne plus lourde, étalant ainsi à la fois la force physique et l'opulence5.
1. Peuple imaginé par Homère, réputé pour mener une vie de plaisirs et de fêtes.2. Dans l'Odyssée d'Homère, épouse du roi Ulysse. Elle attend le retour de son mari pendant vingt ans. Durant cette attente, elle est courtisée par de nombreux prétendants.3. Prêtre à leur service.4. Repas légers.5. Abondance de biens.
Document C
Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1577.
[Dans ce discours, Étienne de la Boétie exhorte ses contemporains : pour lui, l'oppression politique prend naissance dans leur consentement.]
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20Toutefois, en voyant ces gens-là qui courtisent le tyran pour faire leur profit de sa tyrannie et de la servitude du peuple, je suis souvent saisi d'ébahissement devant leur méchanceté, et quelquefois j'éprouve de la pitié devant leur sottise. Car, à dire vrai, s'approcher du tyran, est-ce autre chose que s'éloigner davantage de sa liberté, et pour ainsi dire, serrer à deux mains et embrasser la servitude1 ? Qu'ils mettent un instant de côté leur ambition, qu'ils se débarrassent un peu de leur cupidité, et puis qu'ils se regardent eux-mêmes et qu'ils apprennent à se connaître : ils verront alors clairement que les villageois, les paysans, qu'ils foulent aux pieds tant qu'ils le peuvent, et qu'ils rendent pires que des forçats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que ceux qui sont ainsi malmenés sont toutefois, par rapport à eux, chanceux et d'une certaine façon libres. Le laboureur et l'artisan, même s'ils sont asservis, en sont quittes en faisant ce qu'on leur dit. Mais le tyran voit les gens qui sont près de lui quémandant et mendiant sa faveur : il ne faut pas seulement qu'ils fassent ce qu'il dit, mais qu'ils pensent ce qu'il veut, et souvent, pour lui donner satisfaction, qu'ils préviennent encore ses pensées. Il ne leur suffit pas à eux, de lui obéir, il faut encore lui complaire, il faut qu'ils se brisent, qu'ils se tourmentent, qu'ils se tuent à travailler pour ses affaires; et puis qu'ils se plaisent à son plaisir, qu'ils délaissent leur goût pour le sien, qu'ils forcent leur tempérament, qu'ils se dépouillent de leur naturel, il faut qu'ils soient attentifs à ses paroles, à sa voix, à ses signes, et à ses yeux, qu'ils n'aient ni il ni pied ni main qui ne soit aux aguets pour épier ses volontés et découvrir ses pensées. Cela, est-ce vivre heureux ? Cela s'appelle-t-il vivre ? Est-il chose au monde moins supportable que cela, je ne dis pas pour un homme de cur2, je ne dis pas pour un homme bien né, mais seulement pour un homme ayant du bon sens ou, simplement, une face d'homme ? Quelle condition est plus misérable que de vivre de telle sorte qu'on n'ait rien à soi, tenant d'autrui son plaisir, sa liberté, son corps et sa vie ?
1. État de dépendance totale envers une personne.2. Qui a du courage.
Document D
Montaigne, Essais, 1592.
[Dans cet extrait, Montaigne insiste sur la nécessité de faire la différence entre l'homme et la fonction. Pour lui, cette séparation est la condition de sa liberté.]
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10La plupart de nos occupations sont comiques. « Mundus universus exercet histrionam. »1. Il faut jouer notre rôle comme il faut, mais comme le rôle d'un personnage emprunté. Du masque et de l'apparence il ne faut pas faire une chose réelle, ni de ce qui nous est étranger faire ce qui nous est propre. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C'est assez de s'enfariner le visage sans s'enfariner le cur. Je vois des hommes qui se transforment et se transsubstantient2 en autant de nouvelles formes et de nouveaux états3 qu'ils prennent de charges et qui font les prélats4 jusqu'au foie et aux intestins, et entraînent leur fonction publique jusque dans leur cabinet d'aisance5. Je ne peux pas leur apprendre à distinguer les saluts qui les concernent personnellement de ceux qui concernent leur charge ou leur suite ou leur mule. « Tantum de fortunae permittunt, etiam ut naturam dediscant. »6. Ils enflent et grossissent leur âme et leur parler naturel à la hauteur de leur siège magistral7. Le Maire8 et Montaigne ont toujours été deux, par une séparation bien claire.
Le monde entier joue la comédie.2. Changement complet d'une substance en une autre. 3. Missions ou fonctions.4. Membres du haut clergé. 5. Toilettes.6. Ils s'abandonnent tellement à leur haute fortune qu'ils en oublient la nature.7. À la hauteur de leur importante fonction.8. Montaigne a été maire de Bordeaux.
SEQUENCE 8 : Les réécritures
Pour lexposé
Lectures analytiquesGroupement de textes :
Objet détude n° 7 : La réécriture
Corpus : un groupement de textes littéraires au choix du professeur.
De la poésie à la prose : le blason de la chevelure
Texte 1 : Baudelaire : « La chevelure » in « Spleen et Idéal » Les Fleurs du Mal (1857)
Texte 2 : Baudelaire : « Un hémisphère dans une chevelure » « Le Spleen de Paris » (1869).
De la prose à la poésie : à partir dun fait historique
Texte 1 : Hugo Histoire dun crime (1877) (IV, 1 Les faits de la nuit " La rue Tiquetonne)
Texte 2 : Hugo «Souvenir de la nuit du 4 », Châtiments (1853).
D un registre à un autre : les représentations variées du spleen
Texte 1 : Baudelaire « Spleen » (LXXVIII) extrait de « Spleen et Idéal » in Fleurs du Mal (1857)
Texte 2 : Paul Verlaine (1844-1896) « Il pleure dans mon cur », Romance sans paroles, 1873.
Texte 3 : Jules Laforgue « Spleen », Le sanglot de la terre (recueil de poèmes écrits entre 1878 et 1883 mais publiés posthumément en 1901).
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Document A - Jean de La Fontaine, « La Cigale et la Fourmi », Fables, l, l, 1668-1694.
Document B - Jean Anouilh, « La cigale », Fables, 1967.
Document C - Françoise Sagan, « La Cigale et la Fourmi », Lire c'est partir, 1992.
Document D - Jean de La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau », Fables, l, 22, 1668-1694.
Document E - Raymond Queneau, « Le peuplier et le roseau », Battre la campagne, 1968.
Document F - Jean de La Fontaine, « Le pouvoir des fables », Fables, VIII, 4, 1668-1694.
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Un hémisphère dans une chevelure
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Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air. Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco. Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris
Texte 2
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55Il mentraîna dans une rue obscure. On entendait des détonations, au fond de la rue on voyait une ruine de barricade. Versigny et Bancel, je viens de le dire, étaient avec moi. E. P. se tourna vers eux.
Ces messieurs peuvent venir, dit-il.
Je lui demandai :
Quelle est cette rue?
La rue Tiquetonne. Venez.
Nous le suivîmes.
Jai raconté ailleurs* [Renvoi à notre poème dans Les Châtiments.] cette chose tragique.
E. P. sarrêta devant une maison haute et noire. Il poussa une porte dallée qui nétait pas fermée, puis une autre porte, et nous entrâmes dans une salle basse, toute paisible, éclairée dune lampe.
Cette chambre semblait attenante à une boutique. Au fond on entrevoyait deux lits côte à côte, un grand et un petit. Il y avait au-dessus du petit lit un portrait de femme, et au-dessus du portrait, un rameau de buis bénit.
La lampe était posée sur une cheminée où brûlait un petit feu.
Près de la lampe, sur une chaise, il y avait une vieille femme penchée, courbée, pliée en deux, comme cassée, sur une chose qui était dans lombre et quelle avait dans les bras. Je mapprochai. Ce quelle avait dans les bras, cétait un enfant mort.
La pauvre femme sanglotait silencieusement.
E. P., qui était de la maison, lui toucha lépaule, et dit :
Laissez voir.
La vieille femme leva la tête, et je vis sur ses genoux un petit garçon, pâle, à demi déshabillé, joli, avec deux trous rouges au front.
La vieille femme me regarda, mais évidemment elle ne me voyait pas ; elle murmura, se parlant à elle-même.
Et dire quil mappelait bonne maman ce matin!
E. P. prit la main de lenfant, cette main retomba.
Sept ans, me dit-il.
Une cuvette était à terre. On avait lavé le visage de lenfant ; deux filets de sang sortaient des deux trous.
Au fond de la chambre, près dune armoire entrouverte où lon apercevait du linge, se tenait debout une femme dune quarantaine dannées, grave, propre, pauvre, assez belle.
Une voisine, me dit E. P.
Il mexpliqua quil y avait un médecin dans la maison, que ce médecin était descendu, et avait dit : Rien à faire. Lenfant avait été frappé de deux balles à la tête en traversant la rue « pour se sauver ». On lavait rapporté à sa grandmère « qui navait que lui ».
Le portrait de la mère morte était au-dessus du petit lit.
Lenfant avait les yeux à demi ouverts et cet inexprimable regard des morts où la perception du réel est remplacée par la vision de linfini. Laïeule, à travers ses sanglots, parlait par instants : Si cest Dieu possible! A-t-on idée! Des brigands quoi!
Elle sécria :
Cest donc ça le gouvernement!
Oui, lui dis-je.
Nous achevâmes de déshabiller lenfant. Il avait une toupie dans sa poche. Sa tête allait et venait dune épaule à lautre ; je la soutins et je le baisai au front. Versigny et Bancel lui ôtèrent ses bas. La grandmère eut tout à coup un mouvement.
Ne lui faites pas de mal, dit-elle.
Elle prit les deux pieds glacés et blancs dans ses vieilles mains, tâchant de les réchauffer.
Quand le pauvre petit corps fut nu, on songea à lensevelir. On tira de larmoire un drap.
Alors laïeule éclata en pleurs terribles.
Elle cria : Je veux quon me le rende.
Elle se redressa et nous regarda et elle se mit à dire des choses farouches, où Bonaparte était mêlé, et Dieu, et son petit, et lécole où il allait, et sa fille quelle avait perdue, et nous adressant à nous-mêmes des reproches, livide, hagarde, ayant comme un songe dans les yeux, et plus fantôme que lenfant mort.
Puis elle reprit sa tête dans ses mains, posa ses bras croisés sur son enfant, et se remit à sangloter.
La femme qui était là vint à moi et, sans dire une parole, messuya la bouche avec un mouchoir. Javais du sang aux lèvres.
Que faire, hélas? Nous sortîmes accablés.
Il était tout à fait nuit. Bancel et Versigny me quittèrent.
Hugo Histoire d un crime (1877) (IV, 1 Les faits de la nuit " La rue Tiquetonne)
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15Il pleure dans mon coeurComme il pleut sur la ville ;Quelle est cette langueurQui pénètre mon coeur ?Ô bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits ! Pour un coeur qui s'ennuie,Ô le chant de la pluie !Il pleure sans raisonDans ce coeur qui s'écoeure.Quoi ! nulle trahison ?...Ce deuil est sans raison.C'est bien la pire peineDe ne savoir pourquoiSans amour et sans haineMon cur a tant de peine !
Paul Verlaine (1844-1896) Romance sans paroles, 1873.
Texte 4
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Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,En bas la rue où dans une brume de suieDes ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.
Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,Et machinalement sur la vitre ternieJe fais du bout du doigt de la calligraphie.Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.
Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds...
Je mange, et bâille, et lis, rien ne me passionne...Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun dort !Seul, je ne puis dormir et je m'ennuie encor.
Jules Laforgue « Spleen », Le sanglot de la terre (recueil de poèmes écrits entre 1878 et 1883 mais publiés posthumément en 1901).
Pour lentretien
Textes et documents en relation avec la séquence
Groupement de textes travaillé sous forme de devoir sur table :
Document A - Jean de La Fontaine, « La Cigale et la Fourmi », Fables, l, l, 1668-1694.
Document B - Jean Anouilh, « La cigale », Fables, 1967.
Document C - Françoise Sagan, « La Cigale et la Fourmi », Lire c'est partir, 1992.
Document D - Jean de La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau », Fables, l, 22, 1668-1694.
Document E - Raymond Queneau, « Le peuplier et le roseau », Battre la campagne, 1968.
Document F - Jean de La Fontaine, « Le pouvoir des fables », Fables, VIII, 4, 1668-1694.
Document A
La Cigale et la Fourmi
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20La Cigale ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister .
Jusqu'à la saison nouvelle.
«Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal.»
La Fourmi n'est pas prêteuse:
C'est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez? j'en suis fort aise:
Eh bien, dansez maintenant. »
La Fontaine, Fables, l, l, 1668-1694.
Document B
La cigale
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50
55La cigale ayant chanté
Tout l'été,
Dans maints casinos, maintes boîtes,
Se trouva fort bien pourvue
Quand la bise fut venue.
Elle en avait à gauche, elle en avait à droite,
Dans plusieurs établissements.
Restait à assurer un fécond placement.
Elle alla trouver un renard,
Spécialisé dans les prêts hypothécaires,
Qui, la voyant entrer l'il noyé sous le fard,
Tout enfantine et minaudière,
Crut qu'il tenait la bonne affaire.
« Madame, lui dit-il, j'ai le plus grand respect
Pour votre art et pour les artistes.
Largent, hélas! n'est qu'un aspect
Bien trivial, je dirais bien triste,
Si nous n'en avions tous besoin,
De la condition humaine.
Largent réclame des soins.
Il ne doit pourtant pas devenir une gêne.
À d'autres qui n'ont pas vos dons de poésie,
Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat
De gérer vos économies,
À de trop bas calculs votre art sétiolera.
Vous perdriez votre génie.
Signez donc ce petit blanc-seing
Et ne vous occupez de rien. »
Souriant avec bonhomie,
« Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi,
Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu'aux muses! »
Il tendait son papier. «Je crois que l'on s'amuse»,
Lui dit la cigale, l'il froid.
Le renard, tout sucre et tout miel,
Vit un regard d'acier briller sous le rimmel
«Si j'ai frappé à votre porte,
Sachant le taux exorbitant que vous prenez,
C'est que j'entends que la chose rapporte.
Je sais votre taux d'intérêt.
C'est le mien. Vous l'augmenterez
Légèrement, pour trouver votre bénéfice.
J'entends que mon tas d'or grossisse.
J'ai un serpent pour avocat.
Il passera demain discuter du contrat. »
Lil perdu, ayant vérifié son fard,
Drapée avec élégance
Dans une cape de renard
(Que le renard feignit de ne pas avoir vue),
Elle précisa en sortant:
«Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement ... »
(Ce dernier trait rendit au renard l'espérance.)
«Oui, conclut la cigale au sourire charmant,
On dit qu'en cas de non-paiement
D'une ou l'autre des échéances,
C'est eux dont on vend tout le plus facilement. »
Maître Renard qui se croyait cynique
S'inclina. Mais depuis, il apprend la musique.
Jean Anouilh, Fables, 1967, La Table ronde.
Document C
La Cigale et la Fourmi
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La Fourmi, ayant stocké
Tout l'hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu:
Qui lui prendrait ces morceaux
De mouches ou de vermisseaux?
Elle tenta de démarcher
Chez la Cigale sa voisine,
La poussant à s'acheter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison prochaine.
« Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l'août, foi d'animal,
Intérêt et principal. »
La Cigale n'est pas gourmande;
C'est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps froid?
Dit-elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous en déplaise.
- Vous stockiez? J'en suis fort aise:
Eh bien! soldez maintenant. »
Françoise Sagan, « La Cigale et la Fourmi », Lire cest partir (1992)
Document D
Le Chêne et le Roseau
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Le Chêne un jour dit au Roseau:
«Vous avez bien sujet d'accuser la Nature;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête,
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon; tout me semble zéphir.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l'orage;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusques-là dans ses flancs.
LArbre tient bon; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.
Jean de La Fontaine, Fables, l, 22, 1668-1694.
Document E
Le peuplier et le roseau
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À cheval sur ses branches
le peuplier dit au roseau
au lieu de remuer les hanches
venez faire la course au trot
Le peuplier caracole
il fait des bonds de géant
c'est tout juste s'il ne s'envole pas;
le roseau, lui, attend
l'arbre se casse la gueule
expire chez le menuisier
et servira de cercueil
à quelque déshérité
amère amère victoire
le roseau qui n'a pas bougé
ne retirera nulle gloire
de s'être immobilisé. Raymond Queneau, Battre la campagne, 1968, Gallimard.
Document F
Le pouvoir des fables
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Dans Athènes autrefois, peuple vain et léger,Un orateur , voyant sa patrie en danger,Courut à la tribune; et d'un art tyrannique,Voulant forcer les curs dans une république,Il parla fortement sur le commun salut.On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut A ces figures violentesQui savent exciter les âmes les plus lentes:Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.Le vent emporta tout, personne ne s'émut; L'animal aux têtes frivoles,Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter;Tous regardaient ailleurs; il en vit s'arrêterA des combats d'enfants et point à ses paroles.Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.« HYPERLINK "http://www.lafontaine.net/lesFables/afficheFable.php?id=150" \l "7#7" Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour Avec l'anguille et l'hirondelle;Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant, Comme l'hirondelle en volant,Le traversa bientôt.» L'assemblée à l'instantCria tout d'une voix: « Et Cérès, que fit-elle? - Ce qu'elle fit? Un prompt courroux L'anima d'abord contre vous.Quoi? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse! Et du péril qui la menaceLui seul entre les Grecs il néglige l'effet!Que ne demandez-vous ce que Philippe fait?» A ce reproche l'assemblée, Par l'apologue réveillée, Se donne entière à l'orateur: Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,Au moment que je fais cette moralité, Si Peau dâne m'était conté, J'y prendrais un plaisir extrême.Le monde est vieux, dit-on: je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
Fables, Livre VIII Fable 4 Extrait v. 34 à 70.
Plante dont la fibre sert à fabriquer des cordes.
Balancé : hésité.
De micros, petit, et de megas, grand.
De vétille : chose sans importance.
Partie du ciel la plus élevée, que les anciens regardaient comme le séjour des divinités célestes.
Savant Anglais, auteur de la Théologie astronomique, et de quelques autres ouvrages qui ont pour objet de prouver lexistence de Dieu par le détail des merveilles de la nature ; malheureusement, lui et ses imitateurs se trompent souvent dans lexposition de ces merveilles : ils sextasient sur la sagesse qui se montre dans lordre dun phénomène, et on découvre que ce phénomène est tout différent de ce quils ont supposé ; alors cest ce nouvel ordre qui leur paraît un chef-duvre de sagesse. Ce défaut, commun à tous les ouvrages de ce genre, les a discrédités. On sait trop davance que, de quelque manière que les choses soient, lauteur finira toujours par les admirer.
Fontenelle (1657-1757). Célèbre pour sa littérature scientifique, quil aborda dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686).
La vertu : a. Vieilli. Force avec laquelle l'homme tend au bien*; force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale définie par la religion et la société. - Morale; devoir (pratique du devoir). b. (1677). Vieilli Chasteté (d'une femme). - Honnêteté, pudeur.
Le mérite : (1628). Le mérite (de qqn), ensemble de qualités intellectuelles et morales particulièrement estimables. - Valeur.. - Mérite supérieur, distingué - Distinction, grandeur.
Léclat : (1604). Littér. ou style soutenu. Caractère de ce qui est brillant, magnifique. - Apparat, effet, faste, luxe, majesté, magnificence, pompe, richesse. L'éclat des grandeurs, des richesses. Éclat de son rang, de ses titres... Spécialt. Renommée éclatante. L'éclat de sa vertu, de son nom. - Auréole, célébrité, gloire, grandeur, prestige.
Lélévation : Fig. (Abstrait). (1665). Qualité qui élève moralement l'homme. - Noblesse; distinction, grandeur. L'élévation de son caractère et de son esprit. Une grande élévation de sentiments, de pensée. Manquer d'élévation. - Hardiesse, hauteur (de vues), largeur (de vues).
La Grâce. - (XIIe) Charme, agrément qui réside dans les personnes, les choses. - Attrait. La grâce «n'est pas précisément la beauté; c'est ce charme secret qui fait qu'elle touche et qu'elle attire» (Trévoux). Grâce qui réside dans la douceur, l'harmonie, l'élégance, la simplicité d'une personne, d'une chose.
Le charme Puissance magique. Qualité de ce qui attire, captive*, plaît sans qu'on puisse en analyser la cause.
Voiture tirée par des chevaux.
Innocemment.
Issues des études religieuses.
Le pouvoir.
Drogues: remèdes désagréables.
Godelureaux: élégants prétentieux.
Ragoût : goût.
Étoupe: résidu tiré du chanvre ou du lin.
Hauts-de-chausses: pantalons.
Fluxion : bronchite chronique.
Fraise: collerette amidonnée et tuyautée qui se portait autour du cou, sous Henri IV
Pourpoint: veste.
Aiguillettes: sorte de lacets.
Maladie du foie.
Metteur en scène de la pièce de Beckett
Id.
Id.
Pozzo et Lucky sont, avec Vladimir et Estragon, les personnages principaux de En attendant Godot.
Monstre ailé â tête de femme et corps de vautour.
Compagnons de Bacchus qui ont un corps et des jambes de boucs.
Les « oisons comme les « lièvres cornus », sont des monstres.
A qui on a mis un bât comme à une bête de somme.
Attelés entre les limons comme les chevaux.
Dieu du Vin.
Matière précieuse sortant de lestomac du cachalot.
Parfum tiré dune plante exotique.
Substance odorante en parfumerie.
Autre nom de la ciboulette.
Morceau.
Sa première femme était contrefaite, la seconde acariâtre.
Prêt à trinquer avec chacun.
Se moquer
Inappréciable.
Sobriété
Mépris.
Fous de loisir, oisifs.
Buveur de pinte.
Titre facétieux.
Cum commento : avec commentaire, parodie dun titre latin douvrage sérieux.
Sinformer.
Plaisanterie.
«Affert» : convient ; les Espagnols sont célèbres peur leur courage, mais aussi pour leur vantardise.
Développé.
Parce que le ventre est encombré.
Sest ouvert le placenta.
Aujourdhui la veine cave.
Grimpant.
Gauche.
Aussitôt que.
Entendu.
Beusse dans la région de Chinon, et Vivarais (prononcé Bibarais à la gasconne) évoquent le verbe boire.
Emberlificotez.
Dieu du Vin, né prématurément et que Jupiter, son père, mena à terme en le mettant dans sa cuisse, selon la mythologie grecque.
Légende inconnue Rabelais crée un effet burlesque en alignant ces deux exemples à la suite.
Minerve sortit bien du cerveau de son père, mais non de son oreille.
Myrrha, mère dAdonis, fut changée en arbre ; le jour de la naissance, lécorce se fendit en deux.
Léda fut aimée par Jupiter, qui avait pris la forme dun cygne ; de leurs amours naquit Pollux, alors que Castor naquit de Léda et de son mari Tyndare ; mais ils vinrent au monde comme deux frères jumeaux.
Auteur latin, passionné dhistoire naturelle et de géographie.
Tarabustez.
Selon quil faisait jour ou nuit
Cest pure vanité de vous lever avant le jour (verser du Psaume CXXVII, détourné de son sens).
Animer les éléments porteurs de lénergie vitale.
vomissait
grillades de viande
grillades de chevreau
tranches de pain trempées dans du bouillon et que lon mangeait, dans les communautés religieuses, à prime (6 heures du matin)
par conséquent ils étaient les premiers à y boire.
« doù les vers »
enveloppé dans un sac comme dans une pantoufle
plus ou moins
lecteur en titre du livre de prières.
Enveloppé comme une huppe
ayant modifié son haleine en buvant du vin.
Térence auteur de comédies latines.
coiffé
arrangé
faisaient durer quelquefois
tout à fait
sortaient
allaient au jeu de paume du Grand Bracque
dans les prés
jeu de balle à trois joueurs placés en triangle
gaillardement
alors
celles des chansons de geste et des romans du Moyen Age
efficacité
auteurs de lAntiquité grecque (à lexception du Latin Pline).
Confiture de coings
trognon dune variété darbrisseau
prit goût à cette
avait lhabitude de le faire dans les dés
alors il sut de celle-ci
Assimilation et digestion de son repas
lois
senhardissaient
luth
ancêtre du clavecin
trombone
tracer et former les caractères gothiques (employés au Moyen Age) et romains (en usage au XVIe sciècle).
Divers types de chevaux
le faisait courir cent fois dans la carrière du manège
palissade.
Autant à droite quà gauche
Solide
une armure
abattait un arbre
enfilait
Les Pouilles, en Italie.
Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, remarquables soldats, chassés de Rhodes en 1530
« Pour voir ce qu'ils ont dans le ventre ».
Pèlerinage très célèbre de Notre-Dame-de-Lorette, en Italie.
La Turquie.
Patron des Écossais, juron qui n'a rien à faire ici.
Fils du roi David, qui régna au Xe siècle av. J-C. et qui fit bâtir le temple de Jérusalem.
« Hâte-toi lentement », maxime attribuée à l'empereur Auguste.
Mélange de noms de pays connus et inconnus.
Déjà.
Vraiment.
Traverser.
La mer Caspienne (mer intérieure entre l'Europe et l'Asie).
On distingue la grande et la petite Arménie, lArabie heureuse, déserte, pierreuse.
Fous.
Flavius Claudius Julianus (331 ou 332 - 26 juin 363), nommé Julien l'Apostat par la tradition chrétienne, également appelé Julien le Philosophe doit son surnom d' « apostat » à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l'empire romain, alors qu'il avait été élevé dans la religion chrétienne. Il a produit des écrits critiques contre le christianisme qui, avec le Discours Vrai de Celse, sont le meilleur témoin de l'opposition païenne au christianisme.
Armée.
Selon la tradition, son armée avait péri de soif dans le désert.
Mer de Syrie sur laquelle se trouve le port de Jaffa.
Ville dAfrique, disparue aujourdhui.
Par sucroît.
Ville sainte dArabie Saoudite, dans laquelle tout musulman doit se rendre au cours de sa vie ; doù labondance et la richesse des caravanes qui sy rendent.
Le juron habituel est « vertu dun petit poisson ».
Profond, que lil ne peut sonder.
Sujets dune uvre littéraire.
Evénements.
Casque
Sédition : Soulèvement concerté contre l'autorité établie
. Ne plus reconnaître la foi catholique, c'est ne plus reconnaître le roi.
Ville suisse, où enseigne De Bèze.
Ronsard propose à De Bèze, professeur de grec, de traduire des passages de L'Iliade, en particulier l'épisode de la colère (l'ire) d'Achille, fils de Thétis.
Autre héros de L'Iliade.
Le sang qui coule en littérature n'est que fictif.
Nom de la dame célébrée par De Bèze dans ses poésies amoureuses, avant sa conversion.
Cygnes de Vénus adorés dans lîle de Paphos.
Les réformés corrigeaient les traductions des textes sacrés qui leur semblaient fautives.
Abandon de la poésie amoureuse, voir " la littérature réformée "
Dans la mythologie grecque, les Muses se baignent dans la source Hippocrène ; « feindre » signifie « imaginer », représenter par l'art
Qui s'occupent de sujets sans consistance.
Pour rivales ; les eaux (« ondes » ) avaient une pureté qui pouvait rivaliser avec celle des saphirs et des perles.
Annonce les deux points à la fin du vers : « voici quelle image inattendue je vais donner à mes vers " (non plus le visage de l'amour mais celui de la guerre).
Mars est le dieu de la Guerre « sous un inique Mars » : pendant une injuste guerre.
Dans la poésie grecque, vallée réputée pour sa fraîcheur et son calme.
Gracieuses.
Au lieu de l'expression attendue, faire naître la poésie, D 'Aubigné emploie cette image de l'avortement, pour signifier qu'il donne le jour malgré lui à une poésie macabre (liée à la mort).
En ôtant la cuirasse qui couvre le bras, le brassard.
Les soldat- n'ont pas le temps de nettoyer leur cuirasse entre chaque bataille.
Les soldats ôtent leur cuirasse mais ne s'en éloignent pas, car le combat reprend incessamment.
Désormais.
Par.
A partir de ces vers, D 'Aubigné oppose la réalité de la guerre à l'imitation que la littérature, le théâtre en particulier. Peut en donner ; ainsi le sang qui coule n'est pas une imitation ; il s'agit d'un sang bien réel, non d'une métaphore littéraire.
N'y manque pas.
DAubigné poursuit l'idée des cers précédents : comme le sang coule réellement au lieu d'être une simple imitation, la mort est effectivement présente, cc n'est pas un acteur de théâtre qui tient son rôle ; la scène de théâtre est nommée « échafaud , : les planches qu'on a assemblées pour jouer vraiment ce sombre drame ne forment plus une scène mais le plancher du gibet (= HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/instrument/" Instrument HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/servant/" servant HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/au/" au HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/supplice/" supplice HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/de-1/" de HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/la-1/" la HYPERLINK "http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/pendaison/" pendaison).
L'urne est la boite dans laquelle on dépose la sentence dans un procès : ici le juge " criminel " (qui ne cherche donc que la condamnation agite son urne (qui devrait, au contraire, par sa stabilité symboliser un procès équitable, serein) et la remplit (donc ne cherche qu'à condamner le plus de gens possible).
D'Aubigné se chausse dune botte, chaussure militaire et non du cothurne, chaussure de l'acteur de la tragédie grecque.
Muse de la tragédie.
Source où les Muses se baignent.
Faisant sortir la Muse non de la source mais des tombes fraîchement creusées.
Geste de deuil, mais accentué, car les anciens jetaient en l'air deux poignées de cendre.
Quand ils sont encore au
Les étrangler de sa propre main.
Se bat pour le lait.
Double construction : « le fruit de ton flanc » signifie le corps de la mère en un champ de combat (', fait de ton flanc le champ du combat »).
Bise: vent du nord.
petit vers.
le printemps.
août.
capital.
Qu'il ne vous en déplaise.
Qui rapporte
qui fait des manières
terre-à-terre.
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