Td corrigé 3.1 Le cervelet - TEL (thèses pdf

3.1 Le cervelet - TEL (thèses

Le sujet de cette étude est de participer à la compréhension du traitement des durées courtes. ...... A 1 an, il existe un effet principal lié à la phase [F(2,26) = 4, 35; p<.05] : les ...... 29,69. SD. 134,23. 26,44. 3 ans. 2013. Moyenne. 494,91. 18, 32. SD. 172,16 ...... Griffiths, T. D., Johnsrude, I., Dean, J. L., & Green, G. G. R. ( 1999).




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e réalisée.
En premier lieu, je tiens évidemment à remercier tous les membres du jury qui ont consacré de leur temps à évaluer ce travail.
Cette thèse n’aurait pu être accomplie sans la confiance que m’a accordée Henriette Bloch lorsqu’elle m’a proposé ce sujet au sein de ce laboratoire, confiance qui m’a été renouvelée par la suite par François Jouen.
Mais ce travail est avant tout le résultat d’une collaboration étroite et complice avec Joëlle Provasi que je tiens à remercier très sincèrement pour sa disponibilité, son amitié (et sa bonne humeur) et bien entendu son aide en toute circonstance. Toutes ses qualités ont permis d’effectuer un travail parfaitement encadré, guidé et à l’origine de nombreux échanges.
Je souhaite aussi remercier Isabelle Carchon, Françoise Morange, Marianne Barbu-Roth, Marie-Thérèse David, Céline Leblond, Florence, Elsa et toutes les autres personnes qui ont fait ou qui font partie de ce laboratoire pour leur accueil et leur amitié ayant contribué à une atmosphère de travail motivante.
Ma gratitude va aussi vers Claude Kervella et Pierre Canet qui par leur soutien technique et leur aide ont permis à ce travail de bien débuter. Ce travail résulte aussi de la contribution des responsables des crèches et écoles maternelles sollicitées (Mme Gallois, M. Martin et Mme Berruer) ainsi que celles des parents et de leurs enfants ayant participé aux expériences. Merci particulièrement à Brigitte, Sylvie et Catherine que j’ai tellement souvent dérangées dans leurs activités de classe mais surtout je tiens à les remercier pour leur participation active et enthousiaste. Je n’oublie pas toutes les personnes de ces structures qui m’ont toujours très bien accueilli.
Enfin je pense aussi à toutes les personnes de mon entourage, et mon mari Christophe avant tout, mes parents, mon frère Pierre, Marianne, Clotilde, ma belle-famille et tous mes amis pour leur soutien.
RESUME
La dimension temporelle est fondamentale pour la vie des organismes vivants. En l’absence d’organe dédié à la perception de cette grandeur physique, comment ces organismes parviennent à extraire cette information de leur milieu. Les connaissances actuelles permettent de catégoriser différents modes de traitement temporel en fonction de l’échelle de temps à évaluer. Les durées les plus communément traitées sont les durées dites courtes (inférieures à l’heure). Il existe au sein de ces durées courtes une distinction relative au mode de traitement : perception et estimation de la durée. La perception de la durée concerne les durées inférieures à la seconde et consiste à extraire des informations perçues de l’environnement pendant ce présent subjectif une représentation mentale de cette durée qui pourra être exploitée par l’individu. Les données de la littérature convergent en faveur d’un mécanisme central de traitement possédant à sa source une base de temps. De nombreuses expériences ont permis de déterminer les caractéristiques psychophysiques et neurobiologiques du fonctionnement de cette horloge interne. Ces informations ont permis l’élaboration de modèles théoriques plus ou moins aboutis. Les connaissances actuelles sont synthétisées dans une première partie de ce document. Elles permettent notamment de mettre en évidence des lacunes et des contradictions quant à la mise en place de ce système de traitement au cours de la petite enfance.
Selon un modèle développemental, le traitement temporel repose sur une période de référence. La sensibilité du système de traitement temporel serait meilleure pour des durées proches de cette période endogène particulière. Compte-tenu des ambiguïtés soulevées par les données de la littérature, nous nous sommes attachés à étudier ces paramètres du traitement temporel (période de référence et seuil de sensibilité) chez les enfants entre 1 et 4 ans par des tâches de perception et de production. Nos résultats ont permis de déterminer les étapes développementales de la mise en place du système de traitement et d’énoncer de nouvelles hypothèses, valables pour cette période critique du développement psychomoteur, cognitif et neurobiologique, quant à ces paramètres fondamentaux. Ainsi, la période de référence, reflet de la base de temps de l’horloge, reste constante pendant la petite enfance mais gagnerait en stabilité. Parallèlement, un seuil de sensibilité deviendrait effectif. Il a été retrouvé à la fois lors de tâches de production et de perception et il ne permet pas de vérifier que le traitement est meilleur à proximité de la période de référence. Par contre, nos résultats suggèrent que ce seuil de sensibilité doive être considéré en valeur absolue et non en valeur relative.
SOMMAIRE

INTRODUCTION : le traitement des durées courtes
PARTIE 1 : Revue de la recherche
 TOC \o "1-3" \h \z  HYPERLINK \l "_Toc23146645" 1 Spécificités de l’étude du traitement des durées courtes  PAGEREF _Toc23146645 \h 6
 HYPERLINK \l "_Toc23146646" 1.1 Perception & estimation temporelle  PAGEREF _Toc23146646 \h 6
 HYPERLINK \l "_Toc23146647" 1.2 Mode de traitement en unité perceptive  PAGEREF _Toc23146647 \h 7
 HYPERLINK \l "_Toc23146648" 1.3 Relation entre perception et production de durées courtes  PAGEREF _Toc23146648 \h 9
 HYPERLINK \l "_Toc23146649" 1.4 Les paramètres d’étude du traitement des durées courtes  PAGEREF _Toc23146649 \h 10
 HYPERLINK \l "_Toc23146650" 1.5 Influence de la modalité sensorielle  PAGEREF _Toc23146650 \h 11
 HYPERLINK \l "_Toc23146651" 2 Données de la psychologie expérimentale et les analyses psychophysiques  PAGEREF _Toc23146651 \h 13
 HYPERLINK \l "_Toc23146652" 2.1 L’existence d’un rythme endogène : le Tempo Moteur Spontané  PAGEREF _Toc23146652 \h 13
 HYPERLINK \l "_Toc23146653" 2.2 Perception et discrimination temporelle  PAGEREF _Toc23146653 \h 17
 HYPERLINK \l "_Toc23146654" 2.3 Reproduction et synchronisation  PAGEREF _Toc23146654 \h 23
 HYPERLINK \l "_Toc23146655" 2.4 Tâche de continuation  PAGEREF _Toc23146655 \h 28
 HYPERLINK \l "_Toc23146656" 2.5 Informations apportées par l’étude de la variabilité  PAGEREF _Toc23146656 \h 30
 HYPERLINK \l "_Toc23146657" 2.6 Interaction avec d’autres processus cognitifs  PAGEREF _Toc23146657 \h 33
 HYPERLINK \l "_Toc23146658" 3 Les données neurologiques  PAGEREF _Toc23146658 \h 37
 HYPERLINK \l "_Toc23146659" 3.1 Le cervelet  PAGEREF _Toc23146659 \h 37
 HYPERLINK \l "_Toc23146660" 3.2 Les noyaux gris centraux  PAGEREF _Toc23146660 \h 41
 HYPERLINK \l "_Toc23146661" 3.3 Le cortex  PAGEREF _Toc23146661 \h 45
 HYPERLINK \l "_Toc23146662" 3.4 Les noyaux suprachiasmatiques  PAGEREF _Toc23146662 \h 47
 HYPERLINK \l "_Toc23146663" 3.5 Les neurotransmetteurs  PAGEREF _Toc23146663 \h 48
 HYPERLINK \l "_Toc23146664" 4 Modèles du temps psychologique  PAGEREF _Toc23146664 \h 52
 HYPERLINK \l "_Toc23146665" 4.1 Le multiple timer model (Ivry & Richardson, 2002)  PAGEREF _Toc23146665 \h 53
 HYPERLINK \l "_Toc23146666" 4.2 Le striatal beat frequency model (Matell & Meck, 2000)  PAGEREF _Toc23146666 \h 55
 HYPERLINK \l "_Toc23146667" 4.3 Le modèle développemental issu de la Théorie de l’Attention Dynamique (Drake, Jones & Baruch, 2000)  PAGEREF _Toc23146667 \h 57
 HYPERLINK \l "_Toc23146668" 5 Bilan & problématique  PAGEREF _Toc23146668 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc23146669" 5.1 Synthèse sur le mécanisme de traitement des durées courtes  PAGEREF _Toc23146669 \h 60
 HYPERLINK \l "_Toc23146670" 5.2 Caractéristiques et sensibilité du traitement des durées courtes  PAGEREF _Toc23146670 \h 61
 HYPERLINK \l "_Toc23146671" 5.3 Questions relatives au fonctionnement de l’horloge avant 4 ans  PAGEREF _Toc23146671 \h 63




PARTIE 2 : CONTRIBUTION EXPERIMENTALE
 HYPERLINK \l "_Toc23146672" 1 Développement des capacités perceptives des enfants entre 3 et 4 ans : étude de la discrimination de tempo  PAGEREF _Toc23146672 \h 70
 HYPERLINK \l "_Toc23146673" 1.1 Méthode  PAGEREF _Toc23146673 \h 73
 HYPERLINK \l "_Toc23146674" 1.2 Résultats  PAGEREF _Toc23146674 \h 77
 HYPERLINK \l "_Toc23146675" 1.2.1 Adéquation du protocole  PAGEREF _Toc23146675 \h 77
 HYPERLINK \l "_Toc23146676" 1.2.2 Evolution des performances au cours des séances  PAGEREF _Toc23146676 \h 78
 HYPERLINK \l "_Toc23146677" 1.2.3 Comparaison des performances entre les séances  PAGEREF _Toc23146677 \h 79
 HYPERLINK \l "_Toc23146678" 1.2.4 Comparaison des groupes d’âge  PAGEREF _Toc23146678 \h 79
 HYPERLINK \l "_Toc23146679" 1.2.5 Comparaison des performances de chaque groupe d’âge en fonction des séances  PAGEREF _Toc23146679 \h 81
 HYPERLINK \l "_Toc23146680" 1.3 Discussion  PAGEREF _Toc23146680 \h 81
 HYPERLINK \l "_Toc23146681" 2 Développement des capacités de production d’intervalles rapides entre 1 et 4 ans : Influence de stimulations rapides  PAGEREF _Toc23146681 \h 87
 HYPERLINK \l "_Toc23146682" 2.1 Méthode  PAGEREF _Toc23146682 \h 91
 HYPERLINK \l "_Toc23146683" 2.2 Résultats  PAGEREF _Toc23146683 \h 96
 HYPERLINK \l "_Toc23146684" 2.2.1 Analyses statistiques  PAGEREF _Toc23146684 \h 96
 HYPERLINK \l "_Toc23146685" 2.2.2 Absence d’influence de la démonstration par l’expérimentateur  PAGEREF _Toc23146685 \h 96
 HYPERLINK \l "_Toc23146686" 2.2.3 Analyse du TMS et de sa variabilité  PAGEREF _Toc23146686 \h 97
 HYPERLINK \l "_Toc23146687" 2.2.4 Etude de la médiane réduite des IRI  PAGEREF _Toc23146687 \h 98
 HYPERLINK \l "_Toc23146688" 2.2.5 Etude de la variabilité  PAGEREF _Toc23146688 \h 104
 HYPERLINK \l "_Toc23146689" 2.2.6 Analyse du renforcement  PAGEREF _Toc23146689 \h 108
 HYPERLINK \l "_Toc23146690" 2.3 Discussion  PAGEREF _Toc23146690 \h 112
 HYPERLINK \l "_Toc23146691" 3 Développement des capacités de production d’intervalles lents entre 1 & 4 ans : Influence de stimulations lentes  PAGEREF _Toc23146691 \h 119
 HYPERLINK \l "_Toc23146692" 3.1 Méthode  PAGEREF _Toc23146692 \h 120
 HYPERLINK \l "_Toc23146693" 3.2 Résultats  PAGEREF _Toc23146693 \h 122
 HYPERLINK \l "_Toc23146694" 3.2.1 Absence d’influence de la démonstration  PAGEREF _Toc23146694 \h 122
 HYPERLINK \l "_Toc23146695" 3.2.2 Analyse du TMS et de sa variabilité  PAGEREF _Toc23146695 \h 122
 HYPERLINK \l "_Toc23146696" 3.2.3 Etude de la médiane réduite des IRI  PAGEREF _Toc23146696 \h 124
 HYPERLINK \l "_Toc23146697" 3.2.4 Etude de la variabilité intra-individuelle  PAGEREF _Toc23146697 \h 127
 HYPERLINK \l "_Toc23146698" 3.2.5 Analyse du renforcement  PAGEREF _Toc23146698 \h 132
 HYPERLINK \l "_Toc23146699" 3.3 Discussion  PAGEREF _Toc23146699 \h 133
 HYPERLINK \l "_Toc23146700" 4 Comparaison entre les séances A et R  PAGEREF _Toc23146700 \h 139
 HYPERLINK \l "_Toc23146701" 4.1 Absence d’effet de l’ordre de passage des séances  PAGEREF _Toc23146701 \h 139
 HYPERLINK \l "_Toc23146702" 4.2 TMS1  PAGEREF _Toc23146702 \h 139
 HYPERLINK \l "_Toc23146703" 4.3 Comparaison des TMS2  PAGEREF _Toc23146703 \h 141
 HYPERLINK \l "_Toc23146704" 4.4 Comparaison pour les 2 séances du premier essai de synchronisation avec le TMS initial  PAGEREF _Toc23146704 \h 141
 HYPERLINK \l "_Toc23146705" 4.5 Comparaison de la médiane des IRI pendant la phase de synchronisation  PAGEREF _Toc23146705 \h 142
 HYPERLINK \l "_Toc23146706" 4.6 Comparaison de la variabilité au cours de la phase de synchronisation  PAGEREF _Toc23146706 \h 143
 HYPERLINK \l "_Toc23146707" 4.7 Comparaison du renforcement  PAGEREF _Toc23146707 \h 145
 HYPERLINK \l "_Toc23146708" 4.8 Bilan  PAGEREF _Toc23146708 \h 146

PARTIE 3 : DISCUSSION GENERALE, CONCLUSIONS & PERSPECTIVES EXPERIMENTALES
 HYPERLINK \l "_Toc23146709" 1 Discussion générale  PAGEREF _Toc23146709 \h 150
 HYPERLINK \l "_Toc23146710" 1.1 Evolution de la période de référence entre 1 et 4 ans  PAGEREF _Toc23146710 \h 150
 HYPERLINK \l "_Toc23146711" 1.2 Seuil de sensibilité du fonctionnement de l’horloge  PAGEREF _Toc23146711 \h 157
 HYPERLINK \l "_Toc23146712" 1.3 Analyse du fonctionnement du système de traitement  PAGEREF _Toc23146712 \h 159
 HYPERLINK \l "_Toc23146713" 1.4 Influence sur le rythme endogène  PAGEREF _Toc23146713 \h 161
 HYPERLINK \l "_Toc23146714" 1.5 Interactions avec d’autres paramètres  PAGEREF _Toc23146714 \h 162
 HYPERLINK \l "_Toc23146715" 2 Conclusions  PAGEREF _Toc23146715 \h 164
 HYPERLINK \l "_Toc23146716" 3 Perspectives de recherches  PAGEREF _Toc23146716 \h 167

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

INDEX DES TABLEAUX

INDEX DES ILLUSTRATIONS

INTRODUCTION
La 4ème dimension de notre univers reste à l’heure actuelle la plus énigmatique. Sans aborder les considérations philosophiques, cette dimension est indispensable à l’appréhension des 3 autres qui constituent l’espace. Sans temps, il ne peut y avoir mouvement, ni changement d’état et la conséquence la plus basique serait un univers figé ; il va sans dire que les implications seraient en fait inconcevables. Le temps, parce qu’il fait partie intégrante de tous les phénomènes physico-chimiques, est aussi fondamental dans la vie des organismes. Chaque organisme expérimente ainsi en permanence les modifications de son environnement. L’intégration de l’information temporelle permet à l’organisme d’adapter son comportement à son environnement. Une souris s’étant camouflée à la vue d’un danger potentiel va devoir laisser s’écouler un délai optimal pour sa survie avant de poursuivre sa quête de nourriture. La question essentielle est alors de savoir par quels moyens un organisme est capable d’extraire ce type d’information. Il n’existe aucune grandeur physique autre que le temps lui-même pour appréhender cette dimension. Ainsi, cette extraction ne peut se faire qu’à partir des informations perçues par les sens, suivie par un traitement spécifique au niveau central. Le temps apparaît comme une dimension impalpable et pourtant fondamentale à prendre en compte pour un organisme.
L’information temporelle peut être de 2 natures : elle concerne soit l’ordre des évènements (Carr & Wilkie, 1997 ; Wittman, 1999), soit leur durée. Cette dernière caractéristique est particulièrement intéressante. Une durée n’est informative que si elle peut être comparée de façon relative ou absolue à d’autres durées de référence. Au quotidien, cette nécessité correspond à la question de savoir à partir de quel moment il n’est plus nécessaire d’attendre un événement, comme par exemple l’arrivée d’un ascenseur après avoir appuyé sur le bouton d’appel. Dans cet exemple, même en l’absence de signe perceptible de modification de notre environnement immédiat, nous sommes capables de juger que le délai usuel est écoulé et de conclure que l’ascenseur est probablement en panne. Sans multiplier ici les exemples, cette capacité est utilisée de façon permanente et ce pour des durées très variables.
Une caractéristique de cette dimension est d’ailleurs l’étendue des échelles de temps. Elles sont très nombreuses et pour notre quotidien, elles s’étendent de la fraction de seconde lorsque nous arrivons à rattraper un verre en train de tomber, à quelques secondes qui fait que nous savons que nous pouvons traverser la route devant cette voiture qui arrive, à quelques minutes qui nous permettent d’enclencher la première vitesse juste avant que le feu ne passe au vert. Au partir de durées de l’ordre de l’heure, les points de repère tels que la luminosité prennent le relais, et le jugement temporel ne découle plus uniquement de ce que nous percevons. Et si nous nous réveillons juste avant la sonnerie du réveil, c’est par le mécanisme spécifique de notre horloge circadienne qui cale nos activités physiologiques à l’échelle de la journée. Le traitement des durées circadiennes et des durées ultradiennes, que nous appellerons durées courtes (allant jusqu’à plusieurs minutes), présente des caractéristiques différentes. Le traitement des durées courtes est en effet moins précis relativement au traitement circadien, mais il est par contre bien plus flexible (Meck, 1996). Il suffit de penser aux conséquences d’un décalage horaire. Notre horloge circadienne possède une forte inertie, qui la rend longue à s’adapter. Par contre, elle est précise : si nous nous réveillons avec une précision inférieure à 10 minutes par rapport à l’heure du réveil, alors cette horloge circadienne possède une marge d’erreur inférieure à 0,5% ! A l’inverse, nous sommes capables de juger n’importe quelle durée courte, mais avec une erreur relative plus importante. Une heure à patienter dans la salle d’attente du médecin sera évaluée avec une erreur de quelques minutes, soit de l’ordre de 10%. Il s’agit de 2 mécanismes de traitement bien différents, chacun faisant l’objet d’études spécifiques.
Parmi ces 2 échelles de temps, les durées courtes sont celles que notre cerveau traite en permanence à partir d’une multitude d’informations qu’il perçoit. Intuitivement, il est facile d’imaginer que les processus de mémorisation, l’expérience, les stratégies cognitives ou même l’attention interviennent dans la quantification de durées et particulièrement celles supérieures à quelques secondes. La mémorisation, qu’elle soit à long ou à court terme, intervient systématiquement lorsqu’il s’agit d’expérimenter une durée très usuelle (le moment où la bouilloire va siffler) mais aussi lorsque dans une situation plus inédite vous devez comparer 2 délais, l’un servant de référence à l’autre (lors de l’attente à un arrêt de bus, vous comparez le délai qui s’écoule entre 2 bus successifs pour 2 lignes différentes). Un joueur de tennis expérimenté saura évaluer le moment où la balle, arrivant à grande vitesse, va arriver sur lui et se placera en conséquence pour la renvoyer de façon à marquer le point ; ce type de tâches ne peut être réalisé avec la même précision chez un débutant. Ces 2 exemples illustrent le fait que l’expérience puisse améliorer l’évaluation des durées. Par ailleurs, les stratégies cognitives prennent facilement le relais d’un traitement intuitif. Le comptage est la stratégie la plus évidente, comme dans le cas de l’exécution d’une instruction du type « attendre 5 secondes ». Il ne faut pas oublier les stratégies indirectes, comme de se référer à la densité de personnes à attendre sur le quai pour juger que le métro est en retard. Enfin, il est aussi facile de mesurer l’influence des phénomènes attentionnels. Ce feu de circulation en sortant de chez vous, vous paraît terriblement long le jour où vous êtes très en retard ; dans ce cas, votre attention est complètement dédiée au délai du feu. A l’opposé, une émission de radio intéressante fera paraître votre trajet quotidien plus court que d’autres jours, parce que votre attention a été partagée. L’évaluation d’une durée apparaît donc comme le résultat d’un ensemble de phénomènes complexes où des processus additionnels peuvent prendre le relais ou concurrencer notre évaluation directe, intuitive.
Cependant, si les durées sont beaucoup plus courtes (quelques centaines de millisecondes), les traitements parallèles cités ci-dessus ne disposent pas d’assez de temps pour être exécutés. Il ne nous est absolument pas possible de compter pour évaluer ces durées. Or, nous sommes tout à fait capables de déterminer précisément ce type de durées courtes : les spectateurs lors d’un rappel applaudissent de façon parfaitement synchronisée ; il est facile aussi de battre la mesure, que se soit avec le pied ou avec la main, d’une musique, même inconnue. Dans ce cas, l’évaluation est donc le résultat d’un traitement direct des informations : nous mettons en œuvre uniquement le processus mental à la base de nos jugements temporels. Ce processus correspond à un mécanisme capable de mesurer le temps entre 2 évènements qui marquent le début et la fin de la durée. Ce processus est donc assimilable formellement à une horloge interne, avec à sa source un mécanisme de chronométrage. Elle doit donc posséder une base de temps, des événements qui se produisent à intervalles réguliers, qui permettent à l’horloge de quantifier le temps écoulé. Cette vue est actuellement la plus répandue mais d’autres hypothèses alternatives existent. Ce mécanisme de base est complété par des mécanismes périphériques permettant l’acquisition et le traitement des informations sensorielles tout autant que l’exécution de comportements.
Pour comprendre comment nous sommes capables de traiter ces durées, l’objectif premier est d’élucider le fonctionnement propre de ce système de traitement. Des études sont menées depuis longtemps pour préciser nos capacités à percevoir et à produire des durées brèves et à en modéliser les processus. Parallèlement, d’autres études visent à identifier les mécanismes et les structures biologiques de ces processus. Expérimentalement, les durées très courtes sont privilégiées car elles présentent l’avantage de minimiser les artefacts (Church, 1997) en limitant les processus parallèles comme les stratégies cognitives (telle que le comptage). Par ailleurs, puisque les durées sont courtes, il faut tenir compte du fait que les performances mesurées sont très dépendantes des techniques d’études : l’émergence de l’informatique a permis d’obtenir des données plus en plus précises. Enfin, la compréhension de ces processus de traitement ne peut se faire sans intégrer les données neurologiques. L’ensemble des données doit aboutir à l’élaboration de modèles devant avoir une réalité biologique.
Un autre point fondamental est de s’intéresser au développement des compétences du traitement temporel au cours des premières années de la vie. Les études montrent que nos capacités d’évaluation des durées courtes varient sensiblement au cours de notre vie d’adulte (Vanneste, 1996 ; Vanneste, Pouthas & Wearden, 2001) mais aussi et surtout pendant l’enfance. La notion de temps mets plusieurs années à être assimilée explicitement (Droit-Volet, 2000). Mais, dès les premières années de la vie, le cerveau de l’enfant est capable de traiter l’information temporelle intuitivement ne serait-ce que par son comportement. Quel est le profil d’évolution des compétences ? Quelle est l’aptitude développée en premier ? Avec quelle précision l’enfant traite-t-il l’information de durée ? Si les connaissances concernant l’adulte permettent de construire un modèle de fonctionnement de l’horloge, les données développementales apportent des informations complémentaires. Hormis la détermination propre des compétences de l’enfant, elles conduisent pour l’essentiel à décrire la chronologie de la mise en place des différents processus et à faire un parallèle avec la maturation des structures cérébrales impliquées. Ces informations conduisent aussi à préciser les hypothèses sur le fonctionnement de l’horloge.
Le travail expérimental présenté ici s’intéresse directement au développement fonctionnel du système de traitement des durées courtes. L’objectif est d’apporter des données sur les capacités de traitement temporel des jeunes enfants. Ces toutes premières années de la vie ont été très peu étudiées alors même qu’au cours de cette période s’élabore l’essentiel du développement cognitif et psychomoteur. L’intérêt et les implications de ce travail expérimental seront précisés dans une première partie de cet ouvrage consacrée à une revue des connaissances actuelles.

PARTIE 1

Revue de la littérature
Spécificités de l’étude du traitement des durées courtes
Comme il vient de l’être mentionné, l’évaluation du temps qui s’écoule est de nature complexe. Le sujet de cette étude est de participer à la compréhension du traitement des durées courtes. En conséquence, ce premier paragraphe est destiné à décrire les caractéristiques et les limites propres à l’étude du traitement des durées courtes.
Perception & estimation temporelle
Spontanément, nous faisons une distinction entre 2 échelles de durées courtes. Ainsi, pour les durées de plusieurs minutes, nous disons « combien de temps estimez-vous avoir à passer pour lire ce document ? » alors que pour les durées plus brèves, nous disons plutôt « j’ai perçu ce son pendant une fraction de seconde ». A partir de ce type de constatations, Fraisse (1948) a défini une catégorisation : « La durée est dite perçue lorsque nous croyons saisir du même coup ses limites et tous les événements qui la remplissent » (page 199) renvoyant à la notion de présent subjectif (James, 1890 ; Wundt, 1911 cité dans Szelag, Kowalska, Rymarczyk & Pöppel, 2002). Lorsque la durée dépasse la limite ainsi définie, la durée est estimée. Pour la mesurer sans instrument, il nous est indispensable, toujours selon Fraisse, de recourir à des moyens indirects et de faire appel à notre expérience : position du soleil, sensation de faim ou de fatigue, impatience lors d’une attente ou sensation de brièveté d’une activité de loisir.
La limite entre perception et estimation se situe pour de nombreux auteurs autour de quelques secondes, 1 à 3 secondes le plus souvent (Block, 1990 ; Fraisse, 1984 ; Pöppel, 1978, 1994, 1997), bien que la limite maximum postulée ait été 7 à 8 secondes (Fraisse, 1948 et pour une revue Wittmann, 1999). En se référant à la définition de Fraisse, il est difficilement envisageable que nous soyons capables d’appréhender tous les évènements remplissant une période de 7 secondes. Une démonstration simple consiste à compter seconde par seconde jusqu’à 7. Non seulement, nous mettons en œuvre une stratégie cognitive, mais les événements qui nous servent à compter sont indépendants et ne peuvent faire partie d’un même présent subjectif. La limite entre durée perçue et durée estimée est donc plus probablement proche de la seconde.
Cette distinction se matérialise expérimentalement. La loi de Vierordt (1868, cité dans Szelag & al., 2002) montre que les durées brèves sont surévaluées et les durées plus longues sont sous-évaluées, tandis que les durées de 2 à 3 secondes sont les mieux évaluées. Cette loi souligne l’existence d’un seuil temporel pour lequel les phénomènes physiques et subjectifs à l’origine de ce biais s’équilibrent. Les protocoles expérimentaux s’intéressent soit à des durées de plusieurs de centaines de millisecondes soit à des durées supérieures à la seconde et jusqu’à quelques minutes. Ces 2 types approches sont aussi corrélées au fait que lors de l’étude des durées les plus courtes, il est quasiment impossible que le sujet puisse biaiser sa réponse par l’intervention de stratégies cognitives (Church, 1997) ou par l’exécution de séquences comportementales calibrées (observé en particulier chez les animaux, mais aussi chez l’homme). La perception fait intervenir un minimum de processus cognitifs. La distinction entre l’étude de la perception et celle de l’estimation temporelle renvoie ainsi à des questions théoriques différentes qui doivent être abordées expérimentalement par des études spécifiques.
Cette catégorisation renvoie donc aussi à l’existence de 2 modes de traitement spécifiques. Une durée perçue est traitée comme un tout. Lorsqu’une durée est estimée, nous devons en plus mettre en œuvre des références comme indice de mesure et donc faire intervenir en complément des processus cognitifs (Rammsayer & Lima, 1991). Fraisse (1948) remarque que « tout se passe comme si la perception à mesure que la durée s’accroît devenait de plus en plus imprécise et comme si nous recourrions insensiblement aux moyens indirects de l’estimation » (p. 200). Compte-tenu de cette relative continuité et d’une frontière assez floue, il est envisageable que le même processus régisse l’ensemble du traitement des durées courtes. Une horloge interne serait l’instrument de base de la mesure de la durée. Avec l’augmentation de la durée à traiter, d’autres processus prendraient progressivement le relais et viendraient préciser le traitement réalisé par l’horloge interne. Pourtant, on ne peut exclure totalement la possibilité de 2 mécanismes indépendants. L’étude du traitement des durées courtes est donc soumise à cette ambiguïté. La suite de cette revue privilégiera donc les études impliquant des durées inférieures à la seconde dans la mesure où elles permettent d’approcher au mieux le mode de traitement des durées courtes.
Mode de traitement en unité perceptive
Les durées perçues sont donc limitées à une durée maximum d’une seconde et sont analysées comme un tout, appartenant à notre présent subjectif. La quantification d’une durée requiert par ailleurs l’analyse des informations issues de l’environnement, ne serait-ce que pour identifier les événements qui délimitent cette durée. Dès lors, comment arrivons-nous à traiter du même coup un ensemble d’informations pour en extraire une évaluation d’une durée perçue ?
Stroud (1955, cité dans Burle & Bonnet, 1997) a émis l’hypothèse que le système sensoriel segmente le flot continu d’informations en épisodes perceptifs. Dans ce délai, les événements successifs sont vus comme appartenir à un même groupe temporel, quels que soient leur niveau d’organisation ou leur modalité. Au-delà de la limite de cette fenêtre temporelle (Fraisse, 1957), ils sont traités comme des événements isolés, même s’ils se produisent périodiquement (Fraisse, 1957 ; Povel, 1981).
La fenêtre temporelle qui délimite ce traitement en épisodes ou unités perceptives possède certaines caractéristiques qui ont pu être déterminées expérimentalement. Ainsi, pour un même type de tâche, l’étendue de la fenêtre temporelle est relativement stable au cours du développement, tout au moins à partir de 6 ans (Szelag & al., 2002). Toutefois, les capacités de traitement temporel au sein de cette fenêtre temporelle est lui dépendant du développement cognitif et donc de l’âge (Szelag & al., 2002). Ces caractéristiques sont fondamentales dans la mesure où elles suggèrent que lors d’une étude développementale, les résultats expérimentaux puissent être comparer entre eux et que les interprétations de ces résultats ne sont pas liées à la quantité d’information perçues mais bien aux spécificités développementales du traitement temporel.
Pour être traitées, les informations sont incorporées dans une mémoire de travail. Cette zone tampon maintient transitoirement les informations acquises. Les processus de traitement supérieurs (codage, analyse) ont ainsi accès à ces informations tant qu’elles y sont maintenues (Preusser, 1972). Les nouvelles informations remplaceraient progressivement les anciennes au fur et à mesure qu’elles sont perçues.
Ce système présente l’avantage de ne pas générer de surcharge mnésique et de permettre une analyse efficace de l’information. En comparaison, si les informations étaient stockées de façon indépendante et cumulative, le traitement des informations en temps réel nécessiterait une importante capacité de mémorisation et serait moins efficace du fait des délais successifs de transduction et de traitement. Le groupement des informations perçues en unité perceptive permet non seulement une analyse au sein d’une même unité mais aussi entre unité (Lashley, 1951, cité dans Drake, 1998). Une telle organisation qui optimise les ressources est donc tout à fait cohérente avec la fugacité et la complexité des informations à traiter. Le même type de segmentation temporelle, en unité perceptive, a été démontrée dans différents types de tâche nécessitant une intégration temporelle, comme la parole, la synchronisation sensorimotrice ou encore des tâches perceptives et cognitives (Szelag & al., 2002). Cette convergence renforce l’hypothèse que des processus neuraux communs contrôlerait la perception, l’action et la parole (Szelag & al., 2002).
La compréhension de la perception des durées nécessite en premier lieu d’étudier ce mode de traitement en unités perceptives. L’étude des durées inférieures à la seconde apparaît donc prioritaire pour élucider ce mode de traitement particulier.
Relation entre perception et production de durées courtes
Empiriquement, postuler un mécanisme de traitement temporel commun entre la perception et l’action n’est pas illusoire. Une très bonne illustration est la performance des musiciens capables de reproduire des schémas rythmiques qu’ils ont préalablement entendus. Ces musiciens possèdent une représentation mentale de l’information temporelle. Elle est créée à partir des informations perçues lors de l’acquisition du schéma rythmique. Elle leur permet d’élaborer un programme moteur nécessaire à toutes productions motrices. Cette représentation mentale constitue un lien entre perception et production de la durée.
Toutes les études expérimentales convergent en faveur d’un mécanisme commun responsable de la perception et de la production des durées courtes (par exemples : Fraisse, 1963 ; Michon, 1967 ; Keele, Pokorny, Corcos & Ivry, 1985 ; Summer, Bell & Burns, 1989 ; Treisman, Faulkner & Naish, 1992 ; Ivry & Hazeltine, 1995). Dans une tâche de perception, la durée est extraite à partir des informations sensorielles afférentes. La réponse à cette tâche dépend uniquement de l’information temporelle perçue et n’engage pas de processus supplémentaire. L’étude de la perception des durées est donc un moyen fiable d’avoir accès à la représentation mentale des sujets. Dans une tâche de production d’une durée, le sujet doit le plus souvent se construire une représentation mentale de la durée pour pouvoir ensuite la produire. L’exécution de la tâche de production implique nécessairement des processus temporels. La réponse va donc être dépendante et de la performance de perception du sujet, et de sa performance d’exécution. Pour comprendre comment le cerveau parvient à mesurer une durée, l’approche perceptive apparaît la plus directe. Cependant, les tâches de production présentent des avantages pratiques qui tiennent essentiellement à la simplicité des tâches expérimentales. Notamment, elles sont bien adaptées à l’étude du traitement temporel chez les jeunes enfants chez qui la notion de temps n’est maîtrisée que tardivement (Droit-Volet, 2000).
La représentation mentale de la durée peut donc être analysée au travers de tâches de production ou de perception selon la question posée.
Les paramètres d’étude du traitement des durées courtes
Il convient ici de spécifier les paramètres dont vont dépendre les études expérimentales. Une durée est caractérisée par la durée de l’événement (au sens large) qui la constitue mais aussi par sa date d’arrivée par rapport aux autres événements perçus dans la fenêtre temporelle. Ces informations ne sont pas les seules à être pertinentes et un certain nombre de paramètres peuvent influencer la perception.
Ainsi, pour les durées courtes, il apparaît qu’un intervalle dit vide, c’est-à-dire délimité par 2 signaux, est perçu plus précisément qu’un intervalle dit plein (un signal continu) (Grondin, Meilleur-Wells, Oulette & Macar, 1998). D’autre part, compte-tenu de la brièveté des durées à étudier, l’utilisation de plusieurs intervalles successifs plutôt qu’un intervalle unique est plus approprié. En effet, il a été montré que les performances du traitement temporel sont d’autant plus précises que le nombres d’intervalles augmentent. Selon le modèle d’observations multiples de Drake & Botte (1993), le sujet affine la trace mnésique de la durée de l’intervalle en moyennant les intervalles successifs et en déterminant un indice de leur dispersion, plutôt que de garder en mémoire la durée de chaque intervalle successif. Les séquences isochrones appelées tempi sont donc le moyen privilégié pour étudier le traitement temporel des durées courtes.
Les tempi sont caractérisés par leurs propres paramètres. Le principal est l’intervalle entre 2 stimuli successifs (noté ISI pour Inter Stimuli Interval) qui définie la durée étudiée : un tempo d’ISI de 300 ms ou plus simplement de 300 ms correspond à un stimulus qui se reproduit à l’identique toutes les 300 ms. Le stimulus défini ainsi un intervalle vide dont la durée est de 300 ms et qui est répété à plusieurs reprises. Seul ce paramètre d’ISI est discriminant ; ni la durée des stimuli, dans la mesure où elle est suffisamment différente de celle des intervalles, et donc ni la durée qui sépare la fin d’un stimulus du début d’un autre, ni même la durée totale de la séquence n’interviennent dans les performances du sujet (Drake & Botte, 1993 ; Schultze, 1989 ; Vos, Mates & van Kruysbergen, 1995). Il est à noter que par contre, dans un contexte d’étude de séquences rythmiques ou musicales, c’est-à-dire où la durée entre les événements n’est plus la seule caractéristique pour définir la séquence, d’autres paramètres peuvent influencer la perception, comme la hauteur des sons, le type de fin de la séquence ou les accents musicaux (Boltz, 1992, 1995, 1998).
Compte-tenu de la plus grande facilité de traitement des durées lorsqu’elles sont présentées sous forme de tempo, ce type de séquence isochrone est l’outil expérimental qui apporte le plus d’informations précises sur les capacités de traitement temporel et donc sur le mode de fonctionnement de la perception de la durée. La très grande majorité des résultats expérimentaux qui seront présentés dans cette partie et tous ceux qui ont été utilisés dans nos études expérimentales sont basés sur l’utilisation de tempi.

Influence de la modalité sensorielle
En l’absence d’organe dédié à la perception du temps (comme les yeux pour la vue, la langue pour le goût, etc…), l’information temporelle est extraite à partir des informations sensorielles disponibles. La question est de savoir si toutes les modalités sensorielles, et essentiellement la vision et l’audition, permettent des perceptions équivalentes entre elles. La précision de la perception est fondamentale pour comprendre précisément quelles sont les capacités du système central de l’horloge afin de pouvoir en modéliser son fonctionnement. La modalité sensorielle utilisée pour les études expérimentales est donc un facteur à prendre en compte.
Le temps de transduction d’une information varie d’une modalité à l’autre : alors que les cellules ciliées de l’audition transmettent le signal en 0,1 ms, les photorécepteurs de la rétine mettent 10 à 50 ms (Torre, Ashmore, Lamb & Menini, 1995). Comme nous nous intéressons à des durées courtes, ces différences de temps de transduction au niveau périphérique ont donc des conséquences sur le temps de traitement global. La réponse du sujet enregistrée expérimentalement dépend donc de la modalité utilisée. Ainsi par exemple, 2 événements auditifs successifs seront perçus comme distincts s’ils sont séparés dans le temps par environ 17 ms. Pour 2 événements perçus par le système somesthésique, il faudra qu’ils soient séparés par 2 fois plus de temps, et 4 fois plus de temps lorsqu’ils sont perçus par le système visuel (Artieda & Pastor, 1996). Dans cette tâche, la résolution temporelle en modalité auditive est donc nettement supérieure à celle des autres modalités et les résultats expérimentaux en seront d’autant plus précis. Cette plus grande précision de la modalité auditive par rapport à la modalité visuelle a été confirmée dans d’autres types de tâches temporelles, en particulier en discrimination (Grondin & al., 1998 ; Drake & Botte, 1993). L’étude précises du traitement des durées courtes est donc optimale lorsque les stimulations sont auditives.




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En résumé, pour comprendre comment nous sommes capables d’évaluer les durées courtes, les études expérimentales doivent prendre en compte 3 aspects.
En premier lieu, il existe une frontière entre les durées perçues et les durées estimées qui se situe autour de 1 seconde. Lors de la perception d’une durée, notre cerveau intègre sous forme d’unité perceptive les informations perçues par notre système sensoriel. Au-delà de cette limite, les mécanismes perceptifs qui nous permettent de chronométrer une durée sont relayés par d’autres mécanismes, dont l’importance relative est encore indéterminée. Les recherches expérimentales doivent donc donner la priorité à l’étude du traitement des durées inférieures à la seconde.
En second lieu, pour obtenir des données précises sur nos capacités de traitement, il est indispensable de réunir les conditions expérimentales adéquates. Tout d’abord, pour que le sujet perçoive le plus précisément possible une durée fixée, les études montrent que les durées doivent correspondre à des intervalles vides, c’est-à-dire délimité par 2 événements courts et que cet intervalle doit être répété. Le meilleur outil est donc un tempo.
Enfin, toujours dans l’objectif d’obtenir des données précises, la modalité auditive est la plus appropriée. La large majorité des études présentées ci-après concerne donc des tempi auditifs. Cet outil expérimental privilégié a permis de mettre en évidence les caractéristiques psychophysiques du traitement des durées.

Données de la psychologie expérimentale et les analyses psychophysiques
Les études de psychologies expérimentales ont permis de mettre en évidence les performances du traitement temporel relativement à différentes catégories de compétences et de tâches temporelles. Ce paragraphe aborde ces capacités de traitement et souligne les informations qu’elles apportent sur le fonctionnement formel du système de traitement.
L’existence d’un rythme endogène : le Tempo Moteur Spontané
Sans revenir sur l’omniprésence des rythmicités dans notre quotidien, force est de constater que nous sommes capables de produire des séquences temporelles d’une régularité remarquable, sans aucun indice extérieur, et ce dès le plus jeune âge (Pouthas, Provasi & Droit, 1996). Notre système de traitement des durées courtes possède donc, dès la naissance, une base de temps qui lui permet de générer ces intervalles comportementaux très réguliers. Les particularités de cette aptitude peuvent être étudiées au travers d’une tâche spécifique : le Tempo Moteur Spontané (TMS). Il constitue un indice de référence très utilisé dans les études de traitement temporel.
Définition
La tâche consiste à demander à chaque sujet de frapper, le plus souvent avec la main, à la cadence qui lui est la plus confortable (i.e. spontanée). Cette tâche est indépendante de l’effecteur utilisé (Keele & al., 1985 ; Collyer, Broadbent, Church, 1992), ce qui est conforme à l’idée d’un unique mécanisme central de traitement. Le TMS reflète donc la sortie motrice d’un mécanisme central capable de générer des intervalles de temps régulier, en l’absence de toute autre information. Ce concept, issu de la terminologie de Fraisse, est décliné en fonction des auteurs en « rythme de frappe auto-entretenu » par Collyer, Broadbent et Church (1994) ou encore en l’expression motrice de ce qui est appelé « tempo interne » ou « personnel » par Semjen, Vorberg & Schulze (1998). La détermination des performances du TMS constitue donc une source d’informations essentielle pour déterminer les spécificités de la base de temps du système de traitement.
Valeurs chez l’adulte
Pour la grande majorité des adultes, le TMS est situé autour de 600 ms, c’est-à-dire que l’intervalle entre les frappes successives (noté IRI pour Inter Response Intervals) est de 600 ms (Fraisse, 1974 ; Drake, Jones & Baruch, 2000). Le TMS est une valeur très stable chez un même individu (faible variabilité intra-individuelle). Par contre, les différences inter-individuelles sont, elles, très importantes, tout au moins à l’âge adulte (Fraisse, 1974 ; Gérard & Rosenfeld, 1995). Le TMS varie ainsi selon les individus de 380 ms à 880 ms (Fraisse, 1974). Le TMS est donc une valeur caractéristique d’un individu et fondamentale dans la mesure où elle reflète le fonctionnement de l’horloge d’un individu en particulier. Cette variabilité inter-individuelle doit donc être considérée pour comprendre voire expliquer les performances individuelles.
Une analyse plus fine a révélé que la distribution des IRI, tout sujet et tout essai confondus, était bimodale plutôt qu’unimodale. Elle correspondrait à la combinaison de 2 distributions normales, avec un mode à 272 ms et le second à 450 ms (Collyer & al., 1994). Ces 2 valeurs de mode sont plus faibles que celles rapportées habituellement dans la littérature (en moyenne 600 ms). Dans cette analyse, les valeurs de TMS ont été moyennées sur tous les sujets et il est à noter que ces valeurs diminuaient au cours des séances, expliquant probablement ces valeurs plus faibles que celles communément trouvées dans la littérature. Ces résultats ont été mentionnés ici, bien que seuls ces auteurs les aient rapportés, car ils ont permis l’élaboration d’un modèle intéressant à considérer et qui sera évoqué plus loin (§  REF _Ref23155388 \r \h 2.4).
Description de l’évolution du TMS avec l’âge
Dès 1954, Fraisse s’est intéressé à l’évolution du TMS au cours de l’enfance (entre 7,5 ans et 12,5 ans). Ses résultats ont montré un ralentissement progressif du TMS de 365 à 550 ms. A remarquer dans cette étude, la courbe d’évolution du TMS avec l’âge fait apparaître une légère dépression (environ 150 ms d’amplitude) centrée autour de 7,5 ans ; jusqu’à cet âge, le TMS s’accélère (jusqu’à une valeur moyenne de 350 ms) pour ralentir ensuite.
L’évolution du TMS au cours du développement a été confirmée par des études ultérieures. Globalement, il est inférieur à 450 ms avant 6 ans (Provasi & Bobin-Bègue, 2003, Drake & al., 2000 ; Jacquet, Gérard & Pouthas, 1994) puis supérieur à 450 ms après cet âge (Drake & al., 2000) ( REF _Ref23043916 \h Figure 1).

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Figure  SEQ Figure \* ARABIC 1 : Synthèse des données de différentes études concernant l’évolution du TMS au cours de l’enfance

Dans le détail, les données sont assez divergentes et la tendance de l’évolution n’est pas claire, particulièrement avant 6 ans. Le développement de la capacité à exécuter le TMS n’intervient probablement que très peu dans une tâche aussi simple et ce d’autant plus qu’elle est parfaitement non contrainte. Un autre argument est l’omniprésence des mouvements rythmiques dès la naissance (Pouthas & al., 1996), conférant une certaine expérience des mouvements réguliers et spontanés au jeune enfant. Les valeurs de TMS devraient donc être relativement homogènes d’une étude à l’autre. De plus, comme la variabilité inter-individuelle augmente avec l’âge (Drake & al., 2000), ce facteur ne devrait pas influer sur le calcul des moyennes rapportées par ces différentes études. La tâche étant relativement simple, les moyens utilisés pour le chronométrage des frappes sont probablement peu impliqués. L’évolution du TMS chez l’enfant est donc encore mal connue. Par ailleurs, les données sont rares voire non disponibles avant l’âge de 3 ans.
Cependant, il faut remarquer que l’amplitude des différences rapportées est au maximum de 100 ms pour un âge donné, ce qui est plus faible que la gamme de TMS observée chez l’adulte (amplitude de 500 ms, allant de 300 ms à 800 ms). Les valeurs, du même ordre de grandeur pendant l’enfance, sont ainsi nettement plus faibles que les valeurs moyennes obtenues chez l’adulte. Ainsi, grossièrement, ces résultats confirment l’hypothèse d’un ralentissement du TMS avec l’âge à l’échelle de la vie d’un individu. Cette hypothèse d’un ralentissement continu au cours de la vie est d’ailleurs confirmée par le fait que ce ralentissement est aussi observé au cours du vieillissement adulte. En effet, les jeunes adultes (âge moyen : 26 ans) ont un TMS significativement plus rapide que des personnes plus âgées (âge moyen : 69 ans) : il passerait en moyenne sur tous les sujets de 536 ms à 747 ms (Vanneste & al., 2001).
Un autre paramètre intéressant concerne la variabilité intra-individuelle. Elle caractérise la régularité des frappes et est donc un bon indicateur de la stabilité du système. Au cours de l’enfance, la régularité des frappes augmente avec l’âge (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Parallèlement, la variabilité inter-individuelle augmente avec l’âge (Drake & al., 2000). Enfin, aucune différence liée au sexe n’a été rapportée.
Manipulations du TMS
Puisque le TMS est l’expression d’un mécanisme central, des expériences dérivées de la tâche de TMS constituent un autre moyen d’appréhender le fonctionnement de ce mécanisme. Ainsi, l’étude des vitesses de frappe maximum et minimum permet de donner une limite aux capacités « périphériques » à la base de temps et principalement à la composante motrice mais aussi à la composante attentionnelle.
Le tempo le plus rapide qui peut être généré par un individu donne la limite motrice de la production d’intervalles réguliers. Il a été montré que ce tempo maximum accélère peu avec l’âge. A 4 ans, il est à peine inférieur au propre TMS de l’enfant et à l’âge adulte, il est aux environs de 150 ms (Drake & al., 2000). Ces informations indiquent que le TMS n’est pas contraint par les capacités motrices ; mais par contre, il est proche de cette limite motrice chez le jeune enfant.
Le tempo le plus lent qui peut être généré est quant à lui une bonne indication de la limite maximum pour que 2 événements successifs constituent une séquence. Pour l’adulte, elle est de 2 secondes. Cette valeur rejoint celle de la fenêtre temporelle (Slezag & al., 2002 ; Drake & al., 2000 ; Wittman, 1999 ; Drake, 1998). Du point de vue développemental, c’est à partir de 6 ans que ce tempo minimum ralentit nettement : il passe de 600 ms avant 6 ans à 1,2 secondes dès 8 ans. Il est nécessaire de préciser qu’il est admis que les enfants ont beaucoup de mal à inhiber un comportement, et ce d’autant plus qu’ils sont jeunes. Le TMS étant une valeur robuste chez les individus, il apparaît normal que le TMS minimum chez l’enfant soit plus rapide que chez l’adulte, l’inhibition de leurs frappes étant difficile. Cette notion interfère donc avec les données issues du tempo minimum et doit être prise en compte dans l’interprétation de ce type de données.
La gamme entre le tempo le plus rapide et le plus lent s’élargit donc très fortement avec l’âge, en s’écartant de plus en plus de la valeur du TMS enregistrée pour chaque âge (Drake & al., 2000).

En résumé, le TMS, en tant que valeur privilégiée de sortie du système, représente un indice fondamental pour caractériser la base de temps de notre système de traitement des durées. Cette base de temps semble exister dès la naissance et se ralentir avec l’âge. Cependant, les informations concernant les caractéristiques de son évolution au cours de la petite enfance ne sont pas déterminées précisément. Des investigations complémentaires du TMS sont nécessaires, en particulier avant 6 ans, pour spécifier si cette base de temps se met en place progressivement et dans ce cas pour en déterminer les étapes de sa mise en place.
D’autre part, s’il existe une base de temps à la source du traitement temporel, d’autres processus complémentaires sont nécessaires pour réaliser d’autres tâches temporelles.

Perception et discrimination temporelle
Percevoir une durée est une tâche plus complexe que la tâche de TMS car le système de traitement doit intégrer des informations du milieu extérieur pour réaliser le traitement adéquat. Notamment, les informations les plus pertinentes sont celles qui délimitent la durée à traiter. Les tâches de traitement perceptif représentent donc une source d’information additionnelle pour comprendre l’ensemble du mécanisme de traitement des durées courtes. Plusieurs grands types de paradigmes expérimentaux sont utilisés pour en évaluer les performances :
L’estimation verbale : le sujet doit donner la valeur absolue (et non pas relative) de la durée qu’il vient de percevoir. Cette procédure nécessite d’avoir une notion explicite du temps et d’en avoir une certaine expérience. En conséquence, elle ne peut pas être utilisée chez les enfants ou les animaux. Cette tâche est en outre très difficile pour des durées inférieures à la seconde.
La généralisation temporelle : cette procédure est issue d’expériences réalisées chez les animaux. Le sujet est habitué à une durée standard. Puis des durées variées lui sont présentées. Sa réponse consiste à signifier s’il a perçu la durée présentée comme étant identique au standard. Là encore, cette tâche demande que le sujet connaisse une durée de façon absolue et non pas relative. D’autre part, une phase d’apprentissage est nécessaire. De plus, il est difficile d’utiliser cette procédure pour des durées inférieures à la seconde.
La bissection temporelle : le sujet a appris à maîtriser 2 durées standards très différentes. A la présentation de durées tests, le sujet doit les assimiler à l’un des 2 standards. Cette procédure nécessite un véritable jugement. De plus, elle nécessite de garder en mémoire la représentation mentale de chacun des standards, ce qui requiert des ressources supplémentaires. De plus, un processus de comparaison doit être mis en oeuvre. Même si cette tâche peut convenir aux durées courtes, elle est caractérisée par l’engagement de processus additionnels qui ne sont pas adaptés à l’exploration du fonctionnement de base du traitement temporel.
La comparaison de durée : une paire de durées est présentée et le sujet doit signifier si la seconde durée présentée est plus courte, égale ou plus longue que la 1ère. Des procédures plus simples peuvent être envisagées, comme uniquement demander au sujet quelle est la durée la plus courte. Dans ce type de tâche, il faut que le sujet sache ce qu’est une durée plus courte et donc doit avoir acquis une notion de temps. La comparaison de durée est donc utilisable de façon fiable uniquement chez l’adulte.
La discrimination : le sujet doit signifier si les durées sont identiques ou non. Elle ne demande pas de quantification du temps écoulé. La charge mnésique est par ailleurs limitée. Cette tâche nécessite le minimum de pré requis et un minimum d’instructions. Cette tâche peut être facilement adaptée aux enfants, même très jeunes.
Chaque grand type de procédures brièvement décrit ci-dessus est évidemment spécifique de la question théorique posée par une expérience, des variantes pouvant être proposées en fonction des contraintes expérimentales. La discrimination de durée est le type de procédure le plus simple et le plus universellement applicable pour connaître les limites des performances du système de traitement. Parmi ses avantages, elle ne nécessite pas d’apprentissage d’une valeur particulière, ce qui impliquerait d’autres fonctions cognitives. Elle ne nécessite de ne mettre en œuvre qu’une comparaison immédiate. Par ailleurs, elle n’implique pas d’avoir de véritable notion du temps, elle peut donc être utilisée chez l’enfant sans difficulté. Enfin, elle est parfaitement adaptée à l’étude de la perception des durées de quelques centaines de millisecondes, par l’utilisation de tempo.
Mais l’avantage le plus intéressant de cette procédure est la détermination du seuil de discrimination. En réduisant la différence entre les 2 durées à discriminer, il est possible de déterminer la limite à partir de laquelle 2 durées sont perçues comme différentes (et en dessous de laquelle ces 2 durées sont traitées comme identiques). Les valeurs limites d’un système quel qu’il soit sont de bons indicateurs du mode de fonctionnement de ce système et permettent d’en déterminer la sensibilité. L’étude des performances et surtout des seuils de discrimination représente donc un très bon outil pour appréhender le fonctionnement du système de traitement des durées.
Caractéristiques des performances de discrimination
Lorsque la tâche consiste à demander à un sujet de comparer la durée de 2 d’intervalles simples (qu’ils soient pleins ou vides) l’adulte est capable de discriminer une différence de 6 à 10% entre les 2 durées qu’il a perçues (Allan, 1979 ; Creelman, 1962 ; Getty, 1975, 1976) mais à la condition que les intervalles soient choisis dans une gamme de 200-2000 ms. La même précision a été trouvée lorsque la tâche consistait à détecter un changement dans la durée de 1 ou 2 intervalles d’une séquence qu’elle soit régulière ou rythmique (Drake & Botte, 1993). Par contre, conformément au modèle d’observation multiple, la précision est supérieure lorsqu’il faut comparer 2 tempi (que la comparaison porte sur les ISI des tempi qui sont différents ou sur un décalage de phase du second tempo par rapport au premier entendu). Dans ces cas, la précision est de l’ordre de 3% (Drake & Botte, 1993 ; Michon, 1964 ; McAuley & Kidd, 1998).
Il est important de noter que ces seuils de discrimination sont très dépendants des tempi à discriminer. Le seuil varie de 1,6 à 6% pour des tempi de 100 à 1500 ms (Drake & Botte, 1993). La meilleure performance est obtenue pour un tempo de 600 ms : les sujets ont été capables de discriminer un tempo de 600 ms d’un autre de 610 ms ce qui est d’une remarquable précision (cependant, cette excellente performance a été obtenue avec des sujets avertis après de nombreux essais). En effet, cette différence de 10 ms est de l’ordre de la valeur du seuil de détection de la simultanéité (Artieda & Pastor, 1996). Elle est par ailleurs inférieure au seuil de discrimination de 2 stimuli en modalité auditive (18,1 ms, Artieda & Pastor, 1996). Ce seuil de 1,6% de différence détectée constitue une valeur limite. Sans considérer spécifiquement cette valeur, les performances de discrimination sont inférieures à 3 % entre 300 et 800 ms (Drake & Botte, 1993). Plus globalement, les seuils de discrimination décrivent une fonction parabolique dont le minimum se situe à 600 ms. Toutes les études convergent vers ce profil de performances (Fraisse, 1957, 1967 ; Drake & Botte, 1993). Les discriminations les plus fines sont donc obtenues pour des tempi proches des valeurs du TMS observées chez l’adulte. Ce résultat suggère que le tempo de traitement optimal est le tempo correspondant au TMS. Il existe donc une dépendance entre le processus à l’origine du TMS et celui responsable de la perception des durées. Cette dépendance est compatible avec l’idée que le système de traitement des durées utilise un processus perceptif pour fournir en entrée des informations utilisées ensuite par la base de temps pour accomplir la tâche requise.
Evolution des performances de discrimination
Ces informations sont apportées par l’étude des performances de discrimination chez les enfants, mais les données disponibles sont rares. Aucune étude ne fournit les seuils de discrimination chez les enfants. Il est donc impossible de vérifier si le système de traitement est en place très tôt au cours du développement ou s’il subit une maturation tout comme semble le subir la base de temps à l’origine du TMS et dans ce cas, d’identifier les étapes de la mise en place de ce système de traitement. Les seules informations disponibles fournissent et comparent les performances de discrimination entre des tempi qui diffèrent de 15% (qui est une valeur communément testée dans la littérature).
Ainsi, dans une de ces études, la tâche consistait à discriminer un tempo standard d’un tempo 15% plus rapide (Drake & Baruch, 1995). Elle a permis de montrer que les performances s’améliorent avec l’âge. Les tempi standards testés étaient 100, 300, 600, 1000 et 1500 ms. A 4 ans, les enfants ne discriminent les 2 tempi que si le standard est de 300 ms ; à 6 ans, la discrimination devient possible pour des tempi standards de 100, 300, 600 ms ; à 8 ans, ils y arrivent en plus à 1000 ms et à 10 ans, à tous ces tempi ainsi qu’à 1500 ms c’est-à-dire que leurs performances sont similaires à celles des adultes.
Ainsi, les capacités de discrimination semblent s’élargir à une gamme de tempi plus étendue avec l’âge (Drake & Baruch, 1995). Il apparaît aussi que cette gamme de tempi accessibles à la discrimination évolue de façon à toujours contenir la valeur du TMS à l’âge concerné. Cette gamme de tempi accessibles s’élargit donc en se « recentrant » sur la valeur du TMS de l’individu selon son âge (Drake & al., 2000). Cette tendance est observée à partir de 4 ans par cette étude.
La question qui en découle est de savoir si cette tendance peut être généralisée à des âges plus précoces. Il a été montré que les tout jeunes enfants (dès 2 mois) sont capables d’intégrer une relation temporelle entre des événements (Demany, McKenzie & Vurpillot, 1977 ; Chang & Trehub, 1977). Ils possèdent donc un système de traitement des durées courtes. A 2 mois et à 4 mois, ils discriminent un tempo de 600 ms d’un tempo 15% plus rapide, mais aucun résultat significatif n’a été obtenu pour les autres tempi testés (100, 300, 1500 ms) (Baruch & Drake, 1997).
Ces résultats sont contradictoires avec ceux obtenus chez l’enfant de plus de 4 ans. Selon les résultats de Drake & Baruch (1995), la gamme de tempi accessibles au traitement temporel s’élargit avec l’âge. L’extrapolation de cette analyse conduit à l’hypothèse que les bébés aient accès à une gamme de tempi plus limitée que celle des enfants de 4 ans voire qu’elle soit uniquement limitée au tempo correspondant à leur TMS. Or, si le TMS ralentit avec l’âge, alors le tempo correspondant au TMS devrait être inférieur à 400 ms (celui de l’enfant de 4 ans étant légèrement supérieur à cette valeur). Or, les résultats expérimentaux montrent que les bébés discriminent 2 tempi si le tempo standard est 600 ms, alors que selon l’hypothèse mentionnée plus haut, ils devraient discriminer 2 tempi si le tempo standard est de 300 ms (qui correspond à un tempo plus proche de la valeur théorique du TMS). De plus, les performances de discrimination devraient être inférieures à celles d’enfants plus âgés. Or, même pour un tempo sensé être éloigné de leur tempo de traitement optimal (le TMS) tel que 600 ms, les bébés discriminent une différence de 15%. Cette différence de 15% correspond aussi à celle discriminée par les enfants de 4 ans, mais en ce qui les concerne, uniquement pour le tempo le plus proche de leur TMS. Il existe donc une contradiction évidente entre les données expérimentales et les hypothèses développementales formulées.
Si l’hypothèse selon laquelle la gamme de tempi accessibles au traitement temporel contient la valeur du TMS est vraie, alors l’hypothèse du ralentissement du TMS de façon strictement monotone (au sens mathématique) doit être remise en question, au moins pour les premières années de développement. L’alternative qui consiste à remettre en question que le TMS ne soit pas inclus dans la gamme de tempi pouvant être traités est peu réaliste, dans la mesure où le TMS constitue une valeur endogène propre à chaque individu et qu’elle est issue de son système d’horloge.

Une autre information importante à prendre en compte expérimentalement concerne le sens de variation utilisé pour les procédures de comparaison. L’expérience de discrimination chez le bébé (Baruch & Drake, 1997) a mis en évidence que si les bébés discriminent un tempo 15% plus rapide que celui de 600 ms utilisé pour l’habituation, ils n’y parviennent pas si le tempo est 15% plus lent (toujours par rapport à 600 ms mais aussi par rapport aux autres tempi testés, c'est-à-dire 100, 300 et 1500 ms). Il existe donc une dissymétrie entre les 2 sens de variations possibles pour tester la discrimination (en ce qui concerne les protocoles expérimentaux qui, le plus souvent, utilisent un tempo variable qui doit être comparé avec un tempo standard). Cette dissymétrie est souvent traitée comme un facteur marginal : en effet, les protocoles expérimentaux privilégient de façon quasiment exclusive le sens de l’accélération. Il est possible que ce « biais expérimental » traduise une plus grande difficulté à traiter les durées relativement plus lentes que les durées relativement plus rapides par rapport au tempo standard bien maîtrisé. Dans cette hypothèse, cette dissymétrie apparaîtrait donc comme un facteur important à intégrer dans la compréhension du fonctionnement du traitement des durées.
Manipulations de la perception temporelle
Marginalement au sujet qui nous intéresse ici, d’autres types d’études doivent être mentionnés. En effet, une autre façon de comprendre le fonctionnement central du traitement temporel est d’observer l’impact d’une entrée perceptive proche de celle supposée être générée au niveau central. Les résultats de ces perturbations apportent des informations qui viennent compléter les modélisations.
Ainsi, par exemple, Penton-Voak, Edwards, Percival & Wearden (1996) ont testé les effets d’une série de click émis toutes les 200 ms ou toutes les 40 ms (fréquence de 5 ou de 25 Hz) sur la durée perçue subjectivement. De précédentes recherches avaient suggéré qu’une telle manipulation puisse accélérer la base de temps de l’horloge interne du sujet et donc conduire à une sous-estimation. Les résultats montrent que lorsque les clicks précèdent les durées à juger, la longueur subjective est modifiée de manière largement cohérente avec l’idée que la vitesse de l’horloge ait pu être accélérée, en moyenne de 10%. Le même type d’expériences a été réalisé par Treisman et ses collaborateurs (Treisman, Faulkner, Naish & Brogan, 1990 ; Treisman & al., 1992 ; Treisman & Brogan, 1992) et a permis d’estimer que les pulsations de la base de temps de l’horloge interne se produisent toutes les 20 ms environ.

En résumé, l’étude de la perception et en particulier de la discrimination temporelle a permis de mieux comprendre le fonctionnement du système de traitement des durées courtes. Tout d’abord, le cœur du système possède une base de temps dont la fréquence de pulsation, chez l’adulte, est toutes les 20 ms. Cette base de temps est influencée par la perception (préalable) de stimulations auditives. L’étude du TMS avait montré qu’il existait un intervalle privilégié (valeur de IRI du TMS) reflétant la sortie motrice de la base de temps. L’étude de la perception et des seuils de discrimination à montrer que le TMS correspondait aussi au tempo de traitement optimal. Le système de traitement des durées est donc plus performant pour des intervalles proches des IRI produit spontanément par l’individu. D’autre part, il apparaît que le système de traitement améliore sa sensibilité avec l’âge. En effet, la gamme de tempi traitée s’élargit avec l’âge et les résultats suggèrent l’hypothèse que les seuils de discrimination diminuent avec l’âge. Cependant, ces caractéristiques du traitement perceptif ne sont pas vérifiées du point de vue développemental soit en raison de données contradictoires, soit en raison d’une absence de données. En conséquence, aucune hypothèse ne peut être validée à propos de la mise en place du système de traitement des durées. Pourtant ces informations apporteraient un éclairage complémentaire sur le fonctionnement du traitement des durées.

Reproduction et synchronisation
Les tâches de reproduction, malgré le fait qu’elles fassent intervenir des processus supplémentaires aux travers des effecteurs, sont aussi de bons outils d’analyses. Elles permettent de retranscrire assez précisément et indépendamment de toute notion de temps explicite, l’image mentale que le sujet s’est faite d’une durée. La tâche consiste à demander au sujet de reproduire au travers d’un dispositif une durée qui lui a été présentée et ce, le plus fidèlement possible. Evidemment, la tâche nécessite beaucoup de précision pour les durées courtes.
De la même façon que le tempo est utilisé pour l’étude des capacités de perception d’un sujet, le tempo est là aussi un outil permettant d’obtenir des données précises via une tâche de synchronisation. Celle-ci consiste simplement à ce que le sujet reproduise en temps réel les intervalles qui lui sont présentés : les réponses du sujet doivent avoir la même périodicité et être en phase avec le tempo perçu simultanément. Elle requiert donc que le sujet adapte son rythme de frappes aux stimulations externes. Il ne s’agit donc plus d’une tâche non contrainte comme celle du TMS, mais d’une tâche contrainte. Le système de traitement temporel intègre donc la durée à produire (c’est-à-dire l’ISI) via les informations perçues et adapte le déclenchement de frappes (IRI) à cette même durée.
Performances de synchronisation
Là encore, les meilleures performances sont obtenues pour des tempi compris entre 400 et 800 ms (Fraisse, 1966). De même, les performances s’améliorent au cours de la vie : le taux de synchronisation augmente avec l’âge. Dès 4 ans, les enfants, synchronisent leurs frappes avec une séquence isochrone (Fraisse, Pichot & Clairouin, 1969 ; Drake & al., 2000). Au moins à partir de 6 ans, les enfants sont capables de reproduire des durées courtes de 500 et 1000 ms aussi bien que l’adulte, si ce n’est que leurs frappes sont plus variables (Fraisse, 1948). Ils en sont capables que la durée soit pleine ou vide, confirmant qu’ils perçoivent bien la durée pour elle-même. Ces données confirment que les enfants possèdent une bonne représentation mentale des durées, même si la notion de temps n’est pas maîtrisée.
Avant 4 ans, les données sont rares. Les enfants de 2,5 et de 4 ans sont capables de participer à une tâche de synchronisation et de modifier leur TMS pour obtenir un renforcement (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Pourtant, à 3 ans, ils ne parviennent pas à frapper dans leurs mains de façon synchrone avec un métronome, tâche qu’ils parviennent à accomplir dès 4 ans (Fitzpatrick, Schmidt & Lockman, 1996). Les nouveau-nés, tout comme les enfants de 2 mois, sont incapables de synchroniser leur allure de succion à une allure 15% plus rapide ou plus lente que leur activité spontanée (Provasi & Marks, 1994). La tâche de synchronisation est donc difficile à réaliser chez le très jeune enfant, même si les résultats expérimentaux suggèrent qu’au moins à partir de 2,5 ans, l’enfant semble influencé par les stimulations extérieures.
Là encore, les données suggèrent que le système de traitement des durées courtes se mette en place progressivement au cours de la petite enfance, mais les données expérimentales très limitées ne permettent pas d’en caractériser les étapes.
Variabilité de la synchronisation
Un bon indice expérimental de la capacité à traiter une durée courte et de la sensibilité du traitement est la variabilité des frappes lors d’une tâche de synchronisation.
Les résultats expérimentaux sont contradictoires : soit la variabilité décrirait une fonction parabolique, passant par un minimum entre 300 et 800 ms (Barlett & Barlett, 1959 ; Michon, 1967 ; Peters, 1989), soit elle augmenterait brusquement pour des ISI supérieurs à 300 ms (Peters, 1989). Dans cette dernière étude, pour des ISI inférieurs à 300 ms, la variabilité reste quasiment constante et au-delà, elle augmente linéairement avec l’ISI. Cette frontière coïnciderait au passage d’un mode de frappe automatique à un mode contrôlé. Le mode de frappe automatique se produirait lors de la synchronisation avec des durées très courtes, où le facteur limitant est le délai d’exécution motrice. Pour les durées plus longues, le mode contrôlé correspondrait au véritable processus de synchronisation. L’horloge mesurerait l’intervalle entre les frappes en tenant compte du délai moteur. Le traitement temporel des durées dans les tâches de production ne serait donc pas réalisé avec la même sensibilité pour toutes les durées.
Pourtant, chez le jeune enfant, il apparaît que la variabilité des frappes n’est pas dépendante de l’ISI à produire ; cependant, les frappes sont plus variables que lors d’une tâche de TMS (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Ce résultat révèle l’existence d’une évolution dans la sensibilité du traitement des durées, qui est probablement corrélée à la maturation générale du système de traitement.
Anticipation
Lors d’une tâche de synchronisation, le sujet doit anticiper son mouvement de frappe pour que cette dernière se produise simultanément au stimulus. Mais, les observations montrent qu’il existe une véritable anticipation de la frappe sur le stimulus. Les musiciens, experts en traitement des durées courtes, anticipent plus que les personnes sans expérience musicale (Gérard & Rosenfeld, 1995). Ainsi, une bonne synchronisation se matérialise par une légère avance de la frappe par rapport au début du son. L’anticipation est même inévitable pour que le sujet soit synchronisé subjectivement. Des expériences ont montré que si en cours de synchronisation, les stimuli étaient modifiés pour se produire en synchronie objective à la frappe, les sujets rétablissaient une anticipation (Fraisse & Voillaume, 1971 ; Vos & al., 1993).
Le phénomène d’anticipation peut s’interpréter comme suit. Dans une tâche de synchronisation, c’est le centre perceptif du son qui est encodé au niveau central (Vos & al., 1995) et c’est ce paramètre qui est utilisé par le système de traitement des durées pour la synchronisation subjective. L’horloge, en plus de calculer la durée entre les frappes, intègre les délais de transduction afférents et efférents (Mates & Aschersleben, 2000). La conséquence est cette légère anticipation de la frappe, appelée aussi asynchronie négative. Ainsi, même si le sujet parvient à frapper avec une période équivalente à celle requise, un décalage de phase va apparaître pour se maintenir ensuite. L’anticipation permet en plus d’exclure l’hypothèse selon laquelle les sujets agiraient par un processus de réaction aux stimulations (Aschersleben, 1994 cité par Semjen & al., 1998).
Ce phénomène d’anticipation est cependant limité aux durées courtes et son amplitude varie progressivement avec l’ISI. A un tempo rapide (300 ms), la synchronisation est pratiquement parfaite. Pour des ISI intermédiaires (autour de 500 ms), l’anticipation varie de 20 à 40 ms (Gérard & Rosenfeld, 1995). Enfin, pour un tempo très lent (2000 ms) la frappe intervient en réaction du stimulus (Mates, Radil, Muller & Pöppel, 1994). Ainsi, pour les ISI très courts, il n’est mécaniquement pas possible au sujet d’anticiper sa frappe (matérialisé par l’absence d’anticipation à 300 ms) ; cette explication rejoint celle de Peters sur un mode de frappe automatique avant 300 ms. A l’opposé, lorsque l’ISI devient supérieur à la fenêtre temporelle de perception, c’est-à-dire quand les stimuli sont perçus indépendamment les uns des autres, le processus à l’origine de l’anticipation laisse place à un processus de temps de réaction.
L’anticipation est un phénomène bien plus informatif que la performance de synchronisation elle-même. C’est pourquoi un autre indice de performance est étudié dans les tâches de synchronisation : il s’agit du délai séparant la réponse du sujet du stimulus (Hary & Moore, 1985, 1987), couramment noté SRI (Stimulus Response Interval). Il permet d’analyser plus finement les capacités de synchronisation, en particulier lorsqu’elles sont imparfaites comme chez les enfants. Il a ainsi pu être montré que les jeunes enfants de 2,5 et de 4 ans, anticipent le stimulus auditif lorsqu’ils doivent se synchroniser avec un tempo de 600 ms, et frappent sans anticipation pour un ISI de 400 ms (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Ce résultat est synonyme d’une véritable performance de synchronisation chez le jeune enfant à 600 ms. De plus, l’absence d’anticipation à 400 ms semble indiquer qu’il est difficile à ces âges de modifier légèrement son TMS. Ces résultats suggèrent que le mécanisme de synchronisation, et probablement aussi le système de traitement dans sa globalité deviennent plus flexibles au cours du développement, confirmant ainsi les hypothèses issues de l’étude du traitement perceptif.
Importance du rétrocontrôle sensoriel
Bien que l’essentiel du contrôle temporel des mouvements soit traité au niveau central (Delcomyn, 1980), les informations sensorielles jouent aussi un rôle dans la qualité de la synchronisation. Le couplage d’un repère sensoriel issu de la réponse avec le centre perceptif du stimulus permet en retour au mécanisme central de vérifier la qualité de la synchronisation sous la forme d’un rétrocontrôle (Fraisse, Oléron & Paillard 1958 ; Mates, Radil & Poppel., 1992 ;  ; Mates & Aschersleben, 2000 ; Aschersleben & Prinz, 1995, 1997 ; Billon, Semjen, Cole & Gauthier, 1996). Le rôle de ce rétrocontrôle se vérifie expérimentalement car les sujets maintiennent leurs frappes synchronisées même lorsque les ISI sont irréguliers (Schulze, 1992).
Le repère sensoriel le plus important est le repère kinesthésique, qui peut être appuyé par le repère tactile et avec une moindre importance, le repère auditif (Fraisse & al., 1958). Ce système d’ajustement possède une résolution plus fine que celle mise en jeu dans les traitements temporels conscients (Repp, 2000). Une tâche de synchronisation met donc en œuvre un processus d’ajustement complexe au niveau central dont il est nécessaire de tenir compte dans la modélisation du fonctionnement de l’horloge.
L’information issue du rétrocontrôle sensoriel peut modifier localement 1 des 2 paramètres de la synchronisation. Ces 2 paramètres sont la période des réponses (IRI), qui doit correspondre à celle requise des ISI, et la différence entre les phases de ces 2 périodes, qui doit être subjectivement nulle (elle est matérialisée par l’anticipation des frappes).
La correction de phase est une stratégie suffisante pour maintenir la synchronisation avec le tempo stable d’un métronome. Ce processus prend comme paramètre en entrée l’asynchronie précédente, voire les 2 précédentes pour des ISI rapides, et ajuste d’une fraction de cette valeur le prochain intervalle (Hary & Moore, 1987 ; Mates, 1994a, b ; Schulze, 1992 ; Vorberg & Wing, 1996 cité par Semjen & al., 1998). Une autre stratégie, qui implique des processus plus lourds, est de corriger les différences entre la période moyenne de l’horloge et la période des ISI (Mates, 1994a, b ; Michon, 1967 ; Vos & Helsper, 1992). Cette dernière hypothèse est à l’heure actuelle moins soutenue dans la mesure où les prédictions de la correction locale de la phase concordent avec les observations (Semjen, Schulze & Vorberg, 1998, 2000). Expérimentalement, ces 2 types de corrections contribuent différemment à la synchronisation, avec une prédominance pour la correction de phase. La correction de période n’intervient qu’au début de la synchronisation ou lorsque la période de la stimulation externe varie (Semjen & al., 1998, 2000 ).

La synchronisation est donc une tâche qui engage des processus complémentaires au fonctionnement de l’horloge (par rapport à un traitement perceptif). Elle présente l’avantage d’être facilement réalisable expérimentalement et reflète les caractéristiques de fonctionnement du système de traitement. Les études déjà réalisées ont permis de proposer des hypothèses sur le traitement des durées. Un point intéressant est que les performances apparaissent être différentes selon les durées à traiter chez l’adulte, alors que chez l’enfant, cette sensibilité différentielle n’a pas été mise en évidence. Ce résultat souligne donc que les processus de traitement se mettent en place progressivement, comme l’ont déjà suggéré l’étude développementale de la perception des durées courtes et du TMS. Les tâches de synchronisation représentent ainsi une source d’information complémentaire pour construire un modèle de fonctionnement du mode de traitement des durées.

Tâche de continuation
La tâche de continuation est réalisée après une phase de synchronisation et consiste pour le sujet à maintenir son rythme de frappe en l’absence de toute stimulation externe. La phase de synchronisation permet au système d’élaborer une représentation mentale de la durée et de caler la période et la phase des frappes sur les stimulations externes. En phase de continuation, cette période doit donc être maintenue sans information de correction. Les IRI requis sont différents du TMS afin d’obtenir une image de la représentation mentale d’une durée particulière ainsi que de la façon dont elle peut être produite en l’absence d’indice externe.
Les tâches de continuation sont bien réalisées chez l’adultes : il a été montré que la distribution des IRI (tout IRI requis confondus grâce à un calcul de normalisation) est bien décrit par une loi de Laplace (Collyer & Church, 1998). Cependant, les IRI obtenus sont légèrement différents des ISI cibles (Gérard & Rosenfeld, 1995). Les analyses des IRI produits pendant la phase de continuation montrent qu’ils ne varient pas exactement proportionnellement aux ISI de la phase de synchronisation (Collyer et al., 1992, 1994). Il existe un biais résiduel systématique, spécifique à chaque sujet, très stable au cours du temps et indépendant de l’effecteur utilisé, appelé « oscillator signature » (signature d’oscillateur). Ces erreurs de reproduction traduisent la façon dont le sujet se représente et contrôle les intervalles temporels. L’importance des erreurs est fonction de l’IRI cible (i.e. l’ISI de la phase de synchronisation) : pour certaines valeurs, IRI et IRI cible sont très proches et l’erreur est donc faible ; pour d’autres valeurs d’IRI cibles, l’IRI du sujet s’écarte de la valeur requise et donc l’erreur augmente. Ces résultats démontrent que le système d’horloge ne peut se synchroniser de façon continue avec une stimulation externe ; il ne peut générer que des valeurs discrètes d’intervalles (valeurs d’IRI cible où l’erreur est faible). L’apparente continuité des valeurs des IRI est obtenue par un ajustement local entre l’intervalle endogène discret produit et l’intervalle cible (rétrocontrôle sensoriel lors des tâches de synchronisation).
D’autres auteurs suggèrent que si l’IRI requis est équivalent à un multiple du TMS, alors la performance sera meilleure que pour des valeurs quelconques. Cependant, le TMS étant une valeur endogène, cette analyse sous-entend qu’aux valeurs proches mais différentes du TMS (ou d’un de ses multiples), il sera plus facile à l’horloge de ne pas modifier sa période. Localement, l’erreur sera donc une fonction de l’IRI requis : elle devrait augmenter jusqu’à un seuil à mesure que l’IRI requis s’éloigne du TMS et être quasiment nulle lorsqu’elle est égale au TMS. Cependant, quelle que soit l’interprétation, tous ces résultats suggèrent que les IRI produits dépendent de la capacité de l’horloge à générer les intervalles cibles et que ceux-ci ne représentent pas une fonction linéaire des IRI cibles.
Chez l’enfant, aucune réelle donnée n’est disponible. Une étude fournit cependant des informations (Provasi & Bobin-Bègue, 2003) à interpréter avec prudence. Dans cette expérience, les enfants réalisaient une tâche de synchronisation suivie d’une tâche de TMS. Pour eux, le jeu consistait uniquement à frapper pour obtenir un renforcement. Après la phase de synchronisation, aucune information explicite ne leur permettait de savoir qu’à chaque frappe, ils obtiendraient un renforcement (tâche de TMS). Pour cette raison, cette tâche s’apparente à une tâche de continuation. Les résultats ont montré qu’à 2,5 et 4 ans, les IRI étaient modifiés significativement par rapport à leur TMS enregistré en début d’expérience, uniquement si l’ISI cible était de 800 ms (soit en moyenne 2 fois plus lent que le TMS enregistré). Lorsque l’ISI cible était de 600 ms, en l’absence de stimulations auditives, les enfants retrouvaient leur rythme de frappes spontané initial. Ces résultats suggèrent qu’il est plus facile de traiter des multiples du TMS. Cependant, 2 réserves doivent être émises concernant cette interprétation. Tout d’abord, cette expérience ne fait apparaître qu’un sens de variation pour le traitement, celui du ralentissement. Or, celui a été mentionné être probablement plus difficile à traiter que celui de l’accélération. D’autre part, cette phase expérimentale de TMS suivant une phase de synchronisation peut aussi être assimilée à une expérience de manipulation du TMS (stimulations auditives précédant une tâche de TMS).

Ainsi, synthétiquement, dans une tâche de continuation, le système d’horloge doit modifier son fonctionnement sans indice extérieur que la représentation mentale qu’il a acquise pour s’adapter à la production d’une durée imposée. Il est donc prévisible que la variabilité des frappes soit plus grande que lors d’une tâche de TMS ou de synchronisation. L’analyse de la variabilité des IRI en continuation notamment a permis d’émettre des hypothèses quant au fonctionnement général de l’horloge.
Informations apportées par l’étude de la variabilité
Dans la mesure où les tâches de traitement temporel sont généralement bien réalisées par l’adulte, la variabilité intra-individuelle, en particulier celle issue des tâches de TMS et de continuation, constitue un moyen pour comprendre le fonctionnement de notre mécanisme de traitement des durées. A l’heure actuelle, les protocoles expérimentaux permettent des relevés précis de la date des réponses et donc de leur variabilité. Ce paragraphe synthétise les informations apportées par l’étude de la variabilité relevée chez l’adulte dans différentes tâches temporelles en présentant les modèles mathématiques construits à partir de ces informations.
La loi de Weber (1834, cité dans Sternad, Dean & Newell, 2000) a été le point de départ de l’étude de la variabilité du traitement temporel (Allan & Kristofferson, 1974 ; Allan, 1979). Elle postule la proportionnalité entre le seuil de discrimination et l’intensité du stimulus, quelle que soit la modalité perceptive considérée. Un corollaire de cette loi de Weber est que la variabilité des IRI est proportionnelle (fraction de Weber) à la moyenne des IRI. En ce qui concerne l’étude du traitement temporel, l’idée la plus communément admise est que c’est la variance qui augmente linéairement avec l’ISI (McGill & Gibbon, 1965 ; Wing, 1980 cités dans Collyer & Church, 1998 ; Creelman, 1962). D’autres auteurs postulent eux que l’écart-type progresse linéairement en fonction de l’ISI (« Scalar Timing Theory ») (Gibbon, 1977, 1991 ; Gibbon, Church & Meck, 1984 ; Ivry & Hazeltine, 1995).
Les études pour modéliser la variance ont montré qu’elle peut être décomposée en 2 sources de variance, l’une temporelle et l’autre non liée au temps (Wing & Kristofferson, 1973 a, b ; Ivry & Hazeltine, 1995 ; Semjen & al., 1998, 2000). Le modèle de Wing et Kristofferson (1973a, b) a établi la relation suivante sur les délais entre les réponses (IRI) :
In = Tn* + Mn - Mn-1 (1)
Pour le nième intervalle de la séquence de TMS, In représente le nième IRI. Tn* est la représentation centrale du nième intervalle à produire. Mn-1 et Mn sont les délais d’exécution motrice. Selon cette relation (1), un IRI mesuré est donc la transcription de l’intervalle généré au niveau central (Tn*) auquel il faut ajouter le délai moteur pour produire la réponse (Mn) et soustraire le délai moteur de la frappe précédente (Mn-1 qui marque le début de l’intervalle In). L’intervalle généré par l’horloge et les délais moteurs sont assimilés dans ce modèle à des variables aléatoires indépendantes de variances respectives (T² et (M². En conséquence, la variance mesurée se décompose comme suit :
Var (In) = (T² + 2.(M² (2)
Une source de variance des IRI est liée au fonctionnement de l’horloge interne qui génère des intervalles statistiquement équivalents. Cette source de variance dépend directement de l’intervalle cible à produire. L’autre source est liée au délai moteur qui englobe à la fois le délai de transduction du signal et la production motrice proprement dite. Cette variance est indépendante de l’intervalle à produire. Ce modèle à 2 niveaux de variances (composante centrale et composante motrice) rend compte de la propriété de linéarité issue de la loi de Weber. En effet, 1 des 2 sources de variances (la composante centrale) varie linéairement en fonction des IRI et que l’autre (la composante motrice) est constante, l’ensemble constitue donc une fonction linéaire (Wing, 1980, cité dans Wing, 2002) et permet de retrouver la loi de Weber.
Un autre point essentiel de ce modèle est qu’il repose sur l’hypothèse que les IRI adjacents sont corrélés négativement et que les IRI non adjacents ne sont pas corrélés entre eux (cf. équation (1)). La relation de covariance est la suivante :
cov (In-1, In) = - (M² (3)
Pratiquement, cette corrélation permet de calculer la variance liée à la composante motrice à partir de la covariance négative entre les IRI adjacents. La variance de la composante centrale est obtenue par soustraction de la variance totale (cf. équation (2)). Ce modèle permet ainsi d’estimer la variabilité liée strictement à l’horloge, indépendamment de la composante motrice (qui peut être perturbée dans certaines études cliniques par exemple).
Le modèle résumé ci-dessus représente une première approximation du fonctionnement de l’horloge. Cependant, il est basé sur les tâches de TMS essentiellement. Ce modèle a donc été étendu par la suite aux tâches de synchronisation, afin de modéliser de façon globale le mécanisme de production d’intervalles. Ce travail a conduit à des ajustements des équations pour tenir compte de l’influence du rétrocontrôle sensoriel. Une correction linéaire de l’intervalle généré par l’horloge a ainsi été introduit (Vorberg & Wing, 1994, 1996, cités dans Semjen & al., 1998 ; Semjen, & al. 2000 ; Schulze & Vorberg, 2002). L’équation initiale (1) n’est pas modifiée, seul le terme dépendant de l’horloge l’est comme suit :
Tn* = Tn - ± . An-1
L intervalle généré initialement par l horloge est Tn. Cet intervalle est corrigé en soustrayant une proportion fixe (facteur () de l asynchronie précédente (An-1) (cette correction peut être étendue aux 2 asynchronies précédentes, en faisant intervenir un facteur de proportionnalité ( supplémentaire). Comme il l’a été mentionné plus haut, la période des intervalles de l’horloge est adaptée initialement (Semjen & al., 1998) et elle est stabilisée pendant la phase de synchronisation (Semjen & al., 2000). L’horloge corrige seulement les différences de phase entre les ISI et les réponses, en ajustant localement l’intervalle Tn en tenant compte de la dernière erreur de synchronisation An (importance du rétrocontrôle dans la phase de synchronisation). Cette nécessité d’ajustement local de la réponse est par ailleurs en accord avec l’interprétation de Collyer (Collyer & al., 1992, 1994) selon laquelle les valeurs prises par la période de l’horloge sont des valeurs discrètes.
Ce modèle est l’objet d’études spécifiques incluant le calcul d’estimateurs des différents paramètres et des simulations d’autant plus complexes que le modèle se généralise (Semjen & al., 2000). Caractériser les intervalles produits par l’horloge (composante centrale de la variabilité) à partir des intervalles mesurés expérimentalement est donc un exercice complexe qui fait intervenir de nombreux paramètres, eux même à évaluer.
Il doit être précisé que ces modélisations ne présagent en rien de la façon dont les intervalles Tn sont eux-mêmes produits fondamentalement. Cependant, il existe des hypothèses sur les moyens qui permettent à l’horloge de mettre en relation la valeur de l’intervalle qu’elle produit (Tn) et la valeur de l’ISI cible lors d’une tâche de synchronisation. Ces moyens sont eux-mêmes sources de variabilité car l’horloge interne doit opérer une approximation de l’intervalle cible en utilisant les ISI perçus. Selon les auteurs, les valeurs des ISI sont moyennées au fur et à mesure qu’ils sont perçus (multiple-look model, Drake & Botte, 1993) ou c’est la distribution des valeurs déjà présentées qui permet de déterminer la valeur de l’intervalle à générer (Scalar Timing Theory, Gibbon & al., 1984). Dans ce dernier cas, la réponse est produite quand le temps perçu est suffisamment proche de la valeur échantillonnée en mémoire. La proximité de l’intervalle Tn avec la valeur cible est mesurée par l’écart à la moyenne :
(Tn -m) / m
Dans cette relation, m est la valeur échantillonnée. La frappe suivante est produite lorsque ce ratio est inférieur à un seuil (par exemple : 10%).
Ces prédictions ont été confirmées par les données expérimentales (Wing, 2002) et ont donné lieu à des méthodes d’estimation de différents paramètres et à des simulations mathématiques (Kampen & Snijders, 2002). A noter qu’il semble exister un biais par rapport aux prédictions lié à un nombre trop faible d’IRI dans la séquence (Wing, 1979 cité dans Wing2002) ; à l’inverse dans les séquences trop longues d’IRI, un effet de dérive est observé (Madison, 2001).

A l’heure actuelle, les modélisations des sources de variabilité sont en cours de développement. Leur intérêt est de formuler des hypothèses quant au fonctionnement formel de l’horloge, la question fondamentale étant de savoir comment l’intervalle Tn est mesuré au sein de l’horloge et quelles en sont les bases biologiques. Par ailleurs, ils ne rendent pas compte de tous les phénomènes et ne font pas intervenir le concept de fenêtre temporelle, ni les phénomènes cognitifs comme par exemple l’attention dédiée à la tâche de traitement temporel (Schulze & Vorberg, 2002).

Interaction avec d’autres processus cognitifs
Une tâche temporelle est rarement limitée au seul traitement de la durée. D’autres processus peuvent intervenir et de par leur déroulement s’influencer mutuellement. Sans mentionner l’effet de l’entraînement à une tâche qui résulte en un fonctionnement plus précis du mécanisme de traitement temporel (Hick & Allen, 1979 ; Hick & Miller, 1976 ; Macar & Besson, 1985) ni les stratégies cognitives (par exemple : Guay & Wilberg, 1983) qui concernent plus spécifiquement les durées supérieures à la capacité de la fenêtre temporelle, 2 autres facteurs méritent d’être évoqués.
Influence de l’attention
L’activité psychologique lors d’une tâche cognitive requiert une certaine quantité de ressources (mémoire, raisonnement, etc.). L’attention dédiée à une tâche correspond à la distribution sélective et volontaire des ressources par rapport aux tâches concurrentes (l’attention est elle-même soumise à l’état de vigilance et d’autres facteurs psychologiques). L’importance de l’attention dans les tâches de traitement temporel a été abondamment étudiée pour des durées supérieures à la limite de la fenêtre temporelle. Cependant, il apparaît qu’un défaut d’attention affecte aussi la perception des intervalles de très courtes durées (100 à 500 ms) (Nichelli, Clark, Hollnagel & Grafman, 1995 ; Casini, Macar & Grondin, 1992 ; Grondin & Macar, 1992 ; Zakay & Block, 1996 ; Zakay, 1992 ; Arlin, 1986).
Globalement, si l’attention est détournée pendant l’acquisition de l’information temporelle, alors la tâche non temporelle en mobilisant des ressources fait que l’intervalle est systématiquement sous-estimé. A l’inverse, lorsqu’il s’agit de reproduire une durée en ayant son attention diminuée par le traitement d’une autre tâche, alors la durée produite est plus longue que ce qu’elle devrait (Fortin & Rousseau, 1998). Les performances sont bien entendues meilleures lorsque toute l’attention est dédiée à la tâche temporelle. Cependant, son importance dépend de la durée.
Les durées courtes ont la particularité de composer une unité perceptive. La collecte d’informations est donc globale. Les informations temporelles sont incorporées dans la mémoire de travail pour être traitées. Dans ce cas, toute tâche concurrente, mobilisant des ressources et divisant donc l’attention, perturbe l’acquisition de ces informations, à l’origine par exemple d’erreurs de reproduction (Fortin & Rousseau, 1998).
Ainsi, il existe une interaction entre les processus de traitement temporel et les processus attentionnels. Pour le sujet qui nous intéresse ici, ce facteur n’est que secondaire dans la mesure où pour approcher le fonctionnement central, les protocoles d’études limitent au maximum les traitements concurrents. Le problème est par contre posé lors d’études développementales. En effet, les capacités attentionnelles varient en fonction de l’âge et les différences de performances peuvent être imputées à ce facteur (Block, Zakay & Hancock, 1998, 1999). Les enfants, en particulier pour les tâches temporelles, possèdent des ressources attentionnelles limitées par rapport à l’adulte (Zakay & Block, 1997 cité dans Szelag & al., 2002 ; Zakay, 1992). La conséquence est que, dans les études développementales, ce facteur ne peut être complètement négligé et nécessite de mettre au point des protocoles rigoureux qui correspondent aux capacités attentionnelles des enfants.
Par ailleurs, ces capacités varient au cours de la journée et en particuliers chez l’enfant. Le niveau d’attention est soumis à des variations ultradiennes (Batejat, Lagarde, Navelet & Binder, 1999) ainsi qu’à des variations au cours de la semaine. Lors d’étude chez les enfants, ce facteur doit être aussi pris en compte.
Concernant les différences interindividuelles, qui peuvent être importantes, les expériences doivent s’attacher à prendre des populations de sujets homogénéisés. Ainsi, une population d’enfants scolarisés est assujettie à une régularité dans les demandes attentionnelles de par les activités organisées tous les jours. Pour un même âge et un même niveau, l’importance de l’attention accordée à la tâche expérimentale d’un individu à l’autre peut être approximativement considérée comme équivalente et représentative d’un âge.
En l’état actuel des connaissances, l’importance de l’attention n’a pas été clairement démontrée pour les durées qui nous intéressent. Les données qui doivent être traitées sont maintenues dans la mémoire de travail, nécessitant moins de ressources. Il n’en reste pas moins que les capacités attentionnelles sont plus limitées chez l’enfant et il convient donc d’être prudent en focalisant l’attention de l’enfant par un protocole adapté.
Influence des rythmes circadiens
Tout comme l’attention, de nombreuses fonctions physiologiques et cognitives sont soumises à des variations circadiennes basées sur des oscillations endogènes (Aschoff & Wever, 1981 cité dans Wittmann, 1999 ; Aschoff, 1984 cité dans Ivry & Hazeltine, 1992). Le jugement des durées n’y fait pas défaut (Siffre, 1964 cité dans Fraisse, 1982). Ainsi, des sujets isolés pendant plusieurs semaines de tout indice temporel (libre court), estiment des durées de l’ordre de 1h à 24h mais pas précisément. Cette relative inexactitude de l’estimation pour ces ordres de grandeur a été attribuée au cycle veille/sommeil (Campbell, 1990). L’estimation d’un intervalle d’une heure est corrélée avec la durée de veille et la longueur du cycle circadien (Aschoff, 1985). A l’opposé, les intervalles plus courts sont estimés indépendamment de la période circadienne. Ces observations confirment qu’il existe 2 échelles de temps différentes l’une dépendante de repères circadiens, l’autre, concernant les durées courtes, impliquant des mécanismes plus spécifiques.
Cependant, il ne peut pas être conclu que le traitement des durées courtes est indépendant du fonctionnement de l’horloge circadienne. En effet, il existe des indices en faveurs d’interdépendances indirectes entre ces 2 horloges. Tout d’abord, l’intensité lumineuse influence l’estimation temporelle pour des durées de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes et n’influence pas celles de l’ordre de l’heure (Aschoff & Daan, 1997). Or, la principale source d’informations pour la synchronisation de la périodicité circadienne avec l’alternance jour/nuit est l’information lumineuse. Par ailleurs, une des sorties de l’horloge circadienne est la température corporelle. Or, un écart de température par rapport à la normale entraîne des estimations erronées des durées (Lockhart1967 ; Wearden, Penton-Voak, 1995). Etant donné que la température joue un rôle prépondérant sur les vitesses de réaction (métabolique), il est imaginable que la température, soumise à son rythme circadien, induise une modification du niveau d’activation du système de traitement temporel. Il est possible qu’il existe une interrelation entre le système circadien et le système de traitement des durées.

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En résumé, les données issues des études de psychologies expérimentales ont permis de caractériser les performances de traitement temporel. Ainsi, il est possible, dès le plus jeune âge, de générer une durée particulière de façon répétée et spontanée. Cette valeur est mesurée au travers du tempo moteur spontané (TMS). Le TMS a pour caractéristique d’être propre à chaque individu, tout en étant compris dans une fourchette allant de 300 à 800 ms. Le TMS ralentit avec l’âge, tout au moins à partir de la petite enfance. De plus, dans ce type de tâche, les frappes (pour un même individu) deviennent plus régulières avec l’âge. Le TMS est une valeur endogène privilégiée qui apparaît être une sortie motrice du système d’horloge. Ce système semble donc se mettre en place progressivement.
L’analyse des tâches perceptives renforce l’idée que le TMS puisse être un indice central du traitement des durées. En effet, la perception des durées apparaît optimale pour les durées proches de celle du TMS. De plus, la manipulation du traitement perceptif a montré qu’il existait une base de temps au sein du système d’horloge dont les pulsations étaient de 5 par secondes.
Les tâches de production, qui permettent d’accéder simplement à la représentation mentale d’une durée, ont révélé que la perception des durées était subjective et se référaient à un centre perceptif. Une conséquence est le phénomène d’anticipation observé dans les tâches de synchronisation. D’autre part, ces expériences ont mis en évidence que la production d’une durée en synchronie faisait intervenir des processus d’ajustement locaux à partir des informations issues du rétrocontrôle sensoriel.
Ensuite, les données issues de l’étude de la variabilité des frappes pour différentes tâches temporelles, il a pu être mis en évidence que la sensibilité du traitement dépendait de la durée à traiter.
Enfin, les études développementales révèlent que le système d’horloge se met en place progressivement en place et que les étapes essentielles se déroulent au cours des 4 premières années. Cependant, elles ne peuvent être déterminées clairement dans la mesure où les données et les interprétations sont le plus souvent contradictoires.

L’ensemble de ces données a ainsi permis de formaliser le fonctionnement de l’horloge, en particulier chez l’adulte, mais cependant, il manque un point fondamental : quelles sont les bases biologiques du traitement des durées ?
Les données neurologiques
Le paragraphe suivant vise à mettre en évidence les structures cérébrales qui apparaissent jouer un rôle dans le traitement temporel des durées courtes. L’objectif n’est cependant pas de faire un véritable état des lieux exhaustif des connaissances accumulées jusqu’à maintenant, mais plus de rapporter la tendance générale des hypothèses formulées. En effet, les sources d’information concernant les structures cérébrales sont très diverses. Chez l’homme, il s’agit aussi bien d’études cliniques, pharmacologiques, électrophysiologiques ou encore d’imageries cérébrales. Chez l’animal, ces mêmes études sont conduites de façon plus précise (études de lésions, micro-injections…) mais les types de tâches temporelles peuvent diverger. Dans l’ensemble, toutes ces techniques ont des contraintes très fortes, elles ne peuvent pas être réalisées sur un grand nombre de sujets et les résultats peuvent être équivoques. En conséquence, il n’existe pas de convergence absolue des données (pour une revue, voir par exemple Harrington & Haaland, 1999).

Le cervelet
Une autre des principales structures d’intérêt s’avère être le cervelet. Son rôle n’est en effet pas limité aux fonctions motrices et à l’apprentissage sensorimoteur. Il est aussi impliqué dans nombres de fonctions cognitives de par ses nombreuses connections avec d’autres structures cérébrales. Le cervelet est considéré comme un systèmes de neurones de même complexité que le système cortical (Arriada-Mendicoa, Otero-Siliceo & Corona-Vasquez, 1999).























Figure  SEQ Figure \* ARABIC 2 : Anatomie du cervelet

En particulier, il existe une interrelation entre le cervelet et le cortex : le noyau dentelé du cervelet latéral a des projections vers le cortex prémoteur (à partir du noyau dentelé dorsal) et vers le cortex préfrontal dorsolatéral (aires 9 et 46 particulièrement) (à partir du noyau dentelé ventral). Les opérations traitées par le cervelet, et en particulier celles faisant intervenir des informations temporelles, peuvent donc être à l’origine d’une réponse motrice et envoyer des informations vers la mémoire de travail (localisée dans le cortex préfrontal).
La partie médiane du cervelet projette, elle, vers la moelle épinière contrôlant l’activité musculaire et donc l’exécution motrice d’une tâche (Harrington & Haaland, 1999).

Un autre aspect important à considérer ici est le développement de cette structure avec l’âge. Corrélé à la maturation tardive des fonctions cognitives, le cervelet (tout comme le cortex préfrontal) atteint sa maturité en plusieurs années (Diamond, 2000).
Implication du cervelet dans le traitement temporel
Etant donné son rôle dans l’exécution de programme moteur bien maîtrisé et nécessitant une précision de l’ordre de la milliseconde, le cervelet est un candidat privilégié pour l’identification des bases biologiques du traitement temporel. Les études ont rapidement permis de vérifier son implication dans le traitement des durées courtes (Braitenberg, 1967). Le cervelet intervient à la fois dans la réalisation de tâches perceptive et des tâches de production (Ivry & Keele, 1989 ; Ivry, 1993 cité dans Mangels, Ivry & Shimizu, 1998 ; Jueptner, Rijntjes, Weiller, Faiss, Timmann, Mueller & Diener, 1995 ; Nichelli, Alway & Grafman, 1996) en particulier pour des durées de l’ordre de la centaine de milliseconde. Pour beaucoup d’auteurs, il semble que la gamme de durées traitées par le cervelet soit limitée à cette échelle de temps. En effet, des lésions du cervelet ne perturbent pas la perception des durées en deçà de 300 ms et au delà d’une seconde, où les perturbations sont imputées à des déficits dans les processus attentionnels (Nichelli & al., 1996 ; Mangels & al., 1998).
Régions du cervelet spécifiquement impliquées
Le cervelet étant une structure nettement impliquée dans le traitement temporel, l’organisation complexe du cervelet a conduit à rechercher une éventuelle régionalisation du traitement temporel. Les études cliniques (analyse de la variabilité des réponses de patients avec des lésions focales selon le modèle de Wing & Kristofferson) et d’investigation fonctionnelle (imagerie cérébrale) convergent.
Les parties latérales du cervelet, impliquées dans la coordination motrice fine, sont associées au mécanisme central du traitement temporel. Elles sont activées bilatéralement lors de la réalisation d’une tâche perceptive (Jueptner & al., 1995).
La partie médiane, qui est impliquée dans la dynamique globale d’un mouvement, est responsable strictement à l’exécution de la réponse (Ivry, Keele & Diener, 1988 ; Jueptner & al., 1995 ; Griffiths, Johnsrude, Dean & Green, 1999).

Coupe horizontale de cervelet :
Localisation des noyaux

a : Pont.
b : cavité du 4ème Ventricule.
c : Cortex cérébelleux.
d : Embolus.
e : Globulus.
f : Noyau du Toît (ou Noyau du Faîte).
g : Noyau Dentelé.Figure  SEQ Figure \* ARABIC 3 : Coupe du cervelet et localisation des noyaux gris

Cette dissociation est en accord avec les modèles neuroanatomiques qui font ressortir des projections ascendantes depuis le cervelet latéral et des projections descendantes depuis le cervelet médian. Le mécanisme central du traitement temporel serait localisé essentiellement au niveau de cortex cerebelleux (néocervelet) et impliqueraient le noyau de la région dentelée et ainsi que le noyau interpositus (Ivry & Keele, 1989 ; Clarke, Ivry, Grinband, Roberts & Shimizu, 1996 ; Rao, Harrington, Haaland, Bobholz, Cox & Binder, 1997).
Il est probable que les informations temporelles soient représentées dans le cortex cerebelleux du néocervelet qui reçoit les afférences sensorielles en provenance du cortex. Les informations transiteraient ensuite par les noyaux cérébelleux (Clarke & al., 1996) pour fournir la réponse en fonction de la tâche.
Les interprétations de ces études ne sont pas homogènes. Tout d’abord, en ce qui concerne les échelles de durée, la majorité des auteurs reconnaissent que le cervelet peut être impliqué dans le traitement des durées inférieures à la seconde. La boucle cervelet-cortex interviendrait alors dans les mouvements balistiques. Cependant, l’implication du cervelet a été décrite pour des durées de plusieurs secondes (Tracy, Faro, Mohamed, Pinsk & Pinus, 2000) remettant en question cette interprétation. De plus, cette conclusion n’a été que partiellement vérifiée chez l’animal dans la mesure où les effets observés n’étaient que transitoires. La cause serait une réorganisation des régions lésées (Clarke & al., 1996). Par ailleurs, la pathologie des patients sujets de ces expériences est à prendre en considération. Pour une bonne interprétation des résultats, les sujets doivent présenter des lésions focales du cervelet. Cependant, ces patients sont plus rares que ceux présentant une dégénérescence du cervelet. Les dégénérescences sont non seulement rarement focalisées à une région mais elles ont aussi des répercutions sur la transmission d’informations avec le cortex cérébral. Or, un certain nombre d’interprétations sont issues d’études portant sur des patients présentant les 2 pathologies, voire seulement une dégénérescence du cervelet non focalisée, et parfois le type de pathologie n’est pas précisé (Harrington & Haaland, 1999). Ces problèmes expérimentaux expliquent les divergences d’interprétation de la littérature.
Globalement, il apparaît que le cervelet intervient au moins dans certains aspects du traitement temporel des durées courtes et très probablement son intervention se limite aux durées de l’ordre de la centaine de millisecondes. Les résultats de ces expériences ont permis l’élaboration d’un modèle de traitement des durées impliquant le cervelet qui sera évoqué dans la prochaine partie.

Les noyaux gris centraux
Les noyaux gris centraux, appelés aussi ganglions de la base sont situés dans la région sous-corticale du cerveau. Ils constituent un système composé d'ensembles de neurones - qualifiés de noyaux - reliés entre eux. Ces noyaux régulent les mouvements involontaires en assurant la coordination des mouvements. Ils ont pour charge essentielle de réaliser (phase de préparation) et de contrôler (phase d'exécution) une succession d'actions motrices planifiées (volontaires). Les ganglions de la base fonctionnent non pas de manière autonome, mais en relation avec d'autres structures du système nerveux central.
Figure  SEQ Figure \* ARABIC 4 : Localisation des noyaux gris centraux
Les noyaux gris centraux, de par leur rôle de relais et par leurs implications dans la gestion des comportements dans le temps, sont devenus un candidat privilégié pour la recherche des structures nerveuses impliquées dans le traitement temporel.
Une des pistes privilégiées pour comprendre leur implication dans le traitement temporel est l’étude de patients souffrant de la maladie de Parkinson. Cette maladie correspond à la dégénérescence de neurones d’un des noyaux gris centraux appelé substance noire. Ces neurones émettent des prolongements connectés au striatum et ils y libèrent un neurotransmetteur, la dopamine. Lorsque ces neurones meurent, comme c’est le cas dans la maladie de Parkinson, de moins en moins de dopamine parvient au striatum entraînant une perturbation de la transmission des influx entre ces 2 noyaux (substance noire et striatum). Il en résulte les symptômes de la maladie, essentiellement des troubles moteurs mais aussi des troubles cognitifs. Les patients Parkinsoniens présentent en outre des troubles dans le traitement des durées. La caractérisation précise de ces troubles est un moyen de déterminer le rôle des noyaux gris centraux comme base biologique du système de traitement des durées courtes.
Rôle des noyaux gris centraux dans le traitement temporel
La participation des noyaux gris et particulièrement du striatum aux processus de traitement temporel a ainsi pu être démontrée par des études cliniques sur des patients Parkinsoniens mais aussi par des études de neuro-imagerie chez des sujets sains (O’Boyle, Freeman & Cody, 1996 ; Haarington, Haaland & Hermanowicz, 1998 ; Jueptner & al., 1995 ; Rao & al., 1997).
Les études portent sur des patients Parkinsoniens et des sujets sains ayant le même profil (sujets contrôles) exécutant des tâches perceptives et de productions de durées courtes. L’analyse de la variabilité lors des tâches de production révèle une variabilité centrale et motrice (analyse de la variabilité selon le modèle de Wing & Kristofferson décrit précédemment) significativement plus élevée que chez les contrôles. Ce résultat sur l’augmentation de la variabilité central souligne la nécessité de l’intégrité de ces noyaux pour le fonctionnement normal du traitement temporel.
Lorsque les sujets suivent un traitement médical spécifique à cette pathologie, ces 2 composantes de la variabilité diminuent (O’Boyle & al., 1996). En particulier, la variabilité motrice des sujets sous traitement est comparable à celle de sujets sains (Harrington & al., 1998 ; Ivry & Keele, 1989 ; O’Boyle & al., 1996). Ces patients Parkinsoniens traités sont donc les plus à même de permettre l’étude du fonctionnement de l’horloge. Certaines analyses ont ainsi montré que ces sujets présentaient spécifiquement une variabilité centrale élevée suggérant que l’horloge puisse être localisée au niveau de ces noyaux gris centraux.
Il faut préciser que certains résultats contredisent cette conclusion (Duchek, Balota & Ferraro, 1994 ; Ivry & Keele, 1989). Cependant, une explication peut être avancée. Les résultats et les interprétations des études cliniques consistent en une analyse de la variabilité de la composante centrale (selon le modèle de Wing & Kristofferson). Or, le calcul de cette valeur est obtenu par soustraction de la variabilité de la composante motrice. La composante centrale de la variabilité dépend donc du calcul de la variabilité motrice. Or, cette variabilité motrice dépend directement de l’état de médication des patients (puisque celle-ci est comparable à la normale lorsque le patient est traité). Il est donc primordial que les études expérimentales précisent l’état de médication des patients, ce qui n’est pas toujours le cas. Ce dernier point est à l’origine de divergence en ce qui concerne les interprétations de ces résultats cliniques.
Les études perceptives ont été plus rares. Cependant, elles mettent en évidence une dégradation de la perception des durées que les patients soient traités ou non (Harrington & al., 1998 ; Artieda, Pastor, Lacruz & Obeso, 1992 ; Pastor, Artieda, Jahanshahi & Obeso, 1992). Ces résultats confirment donc l’implication des noyaux gris centraux dans le traitement temporel et notamment ici, dans le traitement perceptif.
Bien qu’il existe des résultats équivoques (Ivry & Keele, 1989 ; et pour une revue voir Harrington & Haaland, 1999), la littérature s’accorde à postuler l’intervention des noyaux gris centraux dans le traitement des durées. Des expériences complémentaires réalisées chez l’animal, ont permis de mieux cibler le rôle de chacun de ces noyaux.
Importance relative des différents noyaux
Compte-tenu des interconnections entre les noyaux gris centraux ainsi que leurs relations avec d’autres structures cérébrales, il est apparu intéressant d’explorer dans ce contexte les relations fonctionnelles entre ces structures ( REF _Ref23045160 \h Figure 5).


Figure  SEQ Figure \* ARABIC 5 : Boucles de contrôle : Interrelations fonctionnelles entre les noyaux gris centraux, le cortex et le thalamus

L’afférence majeure des noyaux gris centraux est une entrée excitatrice en provenance du cortex cérébral (et du thalamus) vers le striatum (noyau caudé et putamen). Les neurones du striatum sont généralement au repos ; leur activité est générée par cette information excitatrice. Deux boucles peuvent être alors activées. La première est une voie directe et relie le striatum au globus pallidus (pallidium) puis au thalamus et au cortex (en jaune sur le schéma). Ce circuit cortico-strio-thalamo-cortical constitue en fait la principale boucle de régulation des noyaux gris centraux. Le second type de boucle fait partie des 4 circuits striataux accessoires identifiés. Ce sont des voies indirectes qui partent du striatum pour relier de façon intermédiaire soit la partie externe du pallidium puis les noyaux subthalamiques pour revenir au pallidium (partie interne) soit la substance noire (boucle impliquée dans la maladie de Parkinson). Ces boucles de contrôle apparaissent jouer un rôle fondamental dans le traitement des durées courtes, tout au moins pour des durées supérieures à la seconde (Meck, 1996 ; Matell & Meck, 2000). Le striatum apparaît être la principale structure impliquée dans le fonctionnement de l’horloge. L’ensemble des résultats recueillis (et qui n’ont pas été détaillés ici) a permis d’élaborer un modèle de fonctionnement de l’horloge intégrant les données neurobiologiques. Ce modèle sera évoqué plus loin dans cette partie. Cependant, il faut noter qu’il existe une limite à la généralisation de ce modèle liée à l’échelle de temps traité : la plupart des résultats concernent des durées supérieures à la seconde.
Le cortex
Le cortex préfrontal
Le cortex frontal au sens large intervient dans les processus attentionnels (Harrington & Haaland, 1999). Plus spécifiquement, le cortex préfrontal apparaît fortement impliqué dans le traitement temporel. En effet, il possède de nombreuses connexions réciproques avec les aires associatives (pariétales, temporales et occipitales) mais surtout avec les principales structures sous-corticales dont les noyaux gris centraux et le cervelet, et en particulier le noyaux dentelé (mais aussi le thalamus, l’amygdale, l’hippocampe, les noyaux du tronc cérébral). Il est ainsi largement connecté aux zones motrices, perceptives et limbiques. Fonctionnellement, il est impliqué dans la planification motrice et comportementale, et il est particulièrement important pour les conduites autogénérées. Ces fonctions sont exactement celles requises dans les tâches expérimentales de traitement temporel.
Les résultats tendent à valider l’hypothèse que le cortex préfrontal est impliqué dans toute la phase de traitement telle que l’acquisition, la maintenance et l’organisation de l’information temporelle stockée dans la mémoire de travail (Roland, Skinhøj & Lassen, 1981 ; Nichelli, Clark, Hollnagel & Grafman, 1995 ; Mangels & al., 1998 ; Rubia, Overmeyer, Taylor, Brammer, Williams, Simmons, Andrew & Bullmore, 1998).
La structure cérébrale plus spécifiquement associée à la fonction de mémoire de travail est le cortex préfrontal dorso-latéral (Posner & Dehaene, 1994 ; Gibbon Malapani, Dale & Gallistel, 1997). L'une de ses fonctions majeures consiste à sélectionner les stimuli pertinents et à activer temporairement les traces mnésiques nécessaires au choix de l'action appropriée, particulièrement si la situation est inédite. Si la tâche devient bien maîtrisée, le traitement est alors délocalisé pour être assuré prioritairement par le cervelet (cependant, on peut imaginer que toutes les tâches ne sont pas alors traitées de la même manière, même si certains auteurs tendent à penser qu’il serait le siège de l’horloge interne pour les durées courtes (Block, 1992). L’implication de la fonctionnalité de la mémoire de travail dans les tâches temporelles a été confirmée par des expériences psychologiques (Fortin & Breton, 1995 ; Block, 1996 ; Fortin & Rousseau, 1998) en particulier pour les durées de l’ordre de quelques secondes.
Lors de l’exécution de tâche temporelle, les données électrophysiologiques ont mis en évidence une onde, appelée CNV (contingent-negative variation) prédominante aux environs du cortex préfrontal. Elle se développe pendant l’intervalle séparant 2 événements successifs, environ 300 ms après la présentation du 1er événement. Elle apparaît si la personne anticipe l’attente d’un événement, tel qu’un intervalle temporel, un stimulus, ou peut être même un mouvement (Macar & Vitton, 1979). La CNV est un indice supplémentaire de la participation du cortex au traitement temporel.
Le cortex préfrontal semble donc jouer un rôle périphérique dans le traitement des durées. Il ne serait pas le siège de l’horloge proprement dite mais interviendrait en gardant en mémoire les informations sensorielles contenues dans une unité perceptive. L’importance de son intervention dans les processus de traitement augmenterait avec la durée à analyser.
Participations d’autres structures corticales
Certains autres sites corticaux semblent participer à l’exécution d’une tâche temporelle, comme par exemple l’aire motrice supplémentaire (SMA) (Rao & al, 1997 ; Macar, Lejeune, Bonnet, Ferrara, Pouthas, Vidal & Maquet, 2002) ou le cortex pariétal inférieur (Roland & al., 1981 ; Haarington & Haaland & Knight, 1998). Le cortex pariétal partage en effet des connections avec les noyaux gris et le cervelet.
Cependant, ces hypothèses émergent essentiellement d’études en imagerie cérébrale qui nécessitent de soustraire une activité témoin à l’activité expérimentale, opération qui peut conduire à certains biais. D’autre part, la très large majorité de ces recherches ne cherchait pas à mettre en évidence la participation d’autres éléments corticaux mais était focalisée sur les noyaux gris centraux, le cervelet et/ou le cortex préfrontal. La participation des structures citées ici a souvent été mise en évidence de façon concomitante au cours de ces études. Cependant, compte-tenu des nombreuses interconnections corticales et sous-corticales, leur participation peut être envisagée au moins en ce qui concerne les processus périphériques liés au traitement des durées supérieures à la seconde.

Les noyaux suprachiasmatiques
Les données de psychologies expérimentales suggèrent que le traitement des durées courtes puissent être sous l’influence de l’horloge circadienne. L’horloge circadienne est localisée au niveau des noyaux suprachiasmatiques (NSC), une petite structure paire de l’hypothalamus. Une étude portant sur une seule patiente, ayant des lésions des NSC, a montré qu’elle présentait des déficits dans le traitement temporel des intervalles courts (Cohen, Barnes, Jenkins & Albers, 1997). Dans une tâche de continuation, ses IRI sont très supérieurs à ceux des sujets contrôles. Ses réponses sont similaires à celles rapportées dans les études de patients ayant des lésions du cervelet. Ce sujet présente également une variabilité supérieure de la composante centrale et motrice. Du point de vue perceptif, les résultats ont indiqué de graves perturbations lors de tâche de discrimination.
Il apparaît donc que cette structure de l’horloge circadienne doit être intacte pour permettre un traitement des durées courtes. Ces résultats suggèrent qu’il existe une relation hiérarchique entre le traitement des durées à l’échelle circadienne et celui des durées courtes.
Dans ce contexte, les NSC sont une structure tout à fait intéressante : elle influence et est capable de réguler de nombreuses activités physiologiques. Parallèlement, elle reçoit les informations du milieu extérieur, essentiellement l’information lumineuse, pour se synchroniser à la périodicité de l’alternance jour/nuit, signifiant qu’elle est capable d’ajuster localement sa phase et sa période. Une particularité intéressante est que les NSC sont eux-mêmes le siège d’oscillations endogènes capables de se maintenir en culture in vitro. Ces oscillations correspondent à des variations circadiennes de l’activité électrique mais aussi métabolique des NSC. Les différentes populations de neurones qui les composent présente des variations circadiennes, propre à chaque type de neurone, de leur synthèse en neurotransmetteurs (Servière & Lavialle, 1996). Par ailleurs, les astrocytes des NSC présentent des modifications circadiennes de leur morphologie et par voie de conséquence engendre les mêmes modifications dans leurs interactions avec les neurones. La physiologie de la plasticité de ces oscillations est plutôt bien connue (Gillette, Tischkau, 1999 ; Lavialle, Bègue, Papillon & Vilaplana, 2000). Par ailleurs, le fonctionnement de cette structure s’altère avec l’âge, et les études physiologiques montrent une diminution de l’amplitude des oscillations (Satinoff, Li, Tcheng, Liu, McArthur, Medanic & Gillette, 1993).
Un fonctionnement autonome et des oscillations qui pourraient servir de base de temps sont autant de propriétés nécessaires à l’horloge du traitement des durées courtes. Les NSC constituent donc, en plus de leur influence hiérarchique, un bon exemple physiologique de modélisation.
Les neurotransmetteurs
Hormis les structures cérébrales potentiellement impliquées et leurs interconnexions, il est indispensable d’identifier la nature de ces interrelations et les schémas fonctionnels. En cela, les études pharmacologiques peuvent apporter des informations essentielles à la compréhension du traitement des durées courtes.
Les études pharmacologiques se basent le plus souvent sur l’administration de différentes drogues, agonistes ou antagonistes du neurotransmetteur étudié. Des modifications systématiques de l’expérience subjective peuvent être ainsi obtenues. Il est évident que toutes ces expériences sont réalisées généralement sur des modèles animaux, principalement le rat, capable d’exécuter des tâches temporelles de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes. Les résultats sont donc à considérer comme des pistes de réflexions pour conceptualiser le fonctionnement de l’horloge interne, mais avec toutes les restrictions qui en découlent. Par ailleurs, l’essentiel des informations concerne la dopamine et les noyaux gris centraux, ce qui est restrictif par rapport au rôle du cervelet. Cependant, les informations recueillies permettent d’élaborer un modèle de fonctionnement.
La dopamine, très présente dans les noyaux gris centraux, est un neurotransmetteur essentiel au fonctionnement de l’horloge : l’administration d’un antagoniste (l’halopéridol, un neuroleptique) provoque des surestimations ; quant à celle d’une substance qui favorise la libération de dopamine (méthamphétamine) elle provoque des sous-estimations. Les neurones à dopamine sont donc largement impliqués dans le mécanisme central de l’horloge (Meck, 1996 ; Maricq & Church, 1983 ; Maricq, Roberts & Church, 1981). Au niveau postsynaptique, ce sont les récepteurs D2 de la dopamine qui jouent un rôle majeur dans la détermination du taux d’intégration de l’information temporelle (Meck, 1996 ; Rammasayer & Vogel, 1992). L’étude des synapses à dopamine combinée à l’analyse de la répartition postsynaptique des récepteurs dopaminergiques ont conduit à émettre une hypothèse fonctionnelle : d’une part, le striatum ventral (nucleus accubens) serait impliqué dans les processus motivationnels stimulants et dans la détermination des propriétés de la récompense (approche et action) d’un stimulus, les 2 contribuant à établir une association avec l’importance de la réponse. D’autre part, le striatum dorsal (caudate & putamen) serait lui impliqué dans les processus d’intégration sensorimotrice (association stimulus/réponse par exemple pour coordonner une réponse avec une entrée sensorielle).
Ces précédentes conclusions concernent là encore des durées supérieures à la seconde. D’autres études suggèrent que le mécanisme de traitement à l’origine de la discrimination temporelle pour les durées de l’ordre de la milliseconde est indépendant du niveau effectif de dopamine dans le cerveau et qu’il existe 2 mécanismes distincts (Rammsayer & Vogel, 1992 ; autres Rammsayer ?). Il faut cependant préciser que les substances utilisées dans ces expériences ne sont pas les mêmes (halopéridol et éthanol) et que leurs propriétés peuvent expliquer cette divergence. Il existe donc une ambiguïté dans les résultats liée à cette dualité au sein des durées courtes.
















Figure  SEQ Figure \* ARABIC 6 : Relation entre neurotranmetteurs et structures cérébrales impliquées (d’après Meck, 1996) Acétylcholine (Ach) ; Dopamine (DA) ; Récepteurs à la dopamine (D1 et D2) ; Encéphaline ; acide ³-aminobutyrique (GABA) ; L-glutamate (Glu) ; Substance P .

Par ailleurs, la dopamine est un neurotransmetteur que l on trouve dans le cortex préfrontal et de plus en plus d études montrent qu un de ses récepteurs particuliers, le récepteur D1, joue un rôle critique dans l’efficacité de la mémoire de travail (Block, 1992). Certaines drogues qui influencent les jugements temporels prospectifs agiraient ainsi parce qu’elles influencent ces récepteurs D1 de la dopamine dans le cortex préfrontal. Les agonistes tendent à allonger la durée jugée en prospective (i.e. ils augmentent la durée subjective), alors que les antagonistes de la dopamine tendent à raccourcir la durée prospective (Hicks, 1992).
La dopamine n’est pas le seul neurotransmetteur engagé dans les circuits neuronaux du traitement temporel. Le glutamate est aussi impliqué, par le biais de son interaction avec la dopamine. Cette interaction au sein du striatum influerait sur la détermination de la vitesse de l’horloge interne. Un rétrocontrôle négatif via une boucle cortico-striato-thalamo-cortical servirait à protéger le cortex d’une surcharge d’information et d’une hyperstimulation. Ainsi, anatomiquement des neurones excitateurs (glutamate) projettent du cortex au striatum, les inhibiteurs (GABA) projettent du complexe striatal (probablement via les noyaux subthalamiques) vers le thalamus et des excitateurs (glutamate/aspartate) du thalamus vers le cortex.
D’autres études ont montré l’implication de la sérotonine (Ho, Velázquez-Martínez, Bradshaw & Szabadi, 2002).
Les boucles striato-cortical constitue le meilleur candidat comme base de fonctionnement à l’horloge interne dans la mesure où ces circuits ont été les plus systématiquement étudiés dans le cadre du traitement des durées supérieures à la seconde. Le principal neurotransmetteur serait donc la dopamine, confirmant par la même l’hypothèse d’une localisation de l’horloge dans les noyaux gris centraux. Cependant, compte-tenu de résultats contradictoires, des recherches complémentaires sont indispensables pour élucider complètement les mécanismes à la source de l’horloge et toujours avec la réserve que ces résultats concernent des durées supérieures à la seconde.

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La première conclusion de cette revue des données neurologiques est que les résultats ne convergent pas pour désigner une structure cérébrale particulière comme siège de l’horloge. Les données sont difficiles à interpréter sur un même plan en raison des contraintes expérimentales, de problèmes méthodologiques et des questions posées par les auteurs. Tous ces points sont encore fortement dépendants de l’étude en question.
Les 2 structures cérébrales qui semblent être le siège de l’horloge sont le cervelet et les noyaux gris centraux. Globalement, les résultats des études mettent en évidence la scissure entre durées perçues et durées estimées. Un certain nombre d’auteurs suggèrent qu’il existe 2 structures de traitements distinctes (Hazeltine, Helmuth & Ivry, 1997 ; Wittman, 1999). Le traitement des durées allant de quelques fractions de secondes à quelques secondes relèveraient de cervelet et celui des durées de quelques secondes à quelques minutes dépendrait des noyaux gris centraux. Chacune de ces structures aurait son propre mode de traitement de représentation des durées. Le cervelet aurait un mécanisme basé sur un système d’intervalles qui servirait de référence. Le système localisé dans les ganglions de la base reposerait sur un mécanisme type horloge, où l’existence d’une base de temps, sous forme de pulses, permettrait de quantifier (par comptage des pulses écoulés) la durée. Ces 2 systèmes ont été respectivement à l’origine du développement d’un modèle correspondant qui seront évoqués dans le chapitre suivant.
Pour finir, il ne faut pas négliger le rôle du cortex, et du cortex préfrontal en particulier dans les processus périphériques. Il serait responsable de la rétention des informations perçues pendant une unité perceptive dans la mémoire de travail. Enfin, il est envisageable que les noyaux suprachiasmatiques, siège de l’horloge circadienne, chapeautent ou interagissent avec les autres structures et qu’ils puissent influencer le traitement des durées courtes.

Modèles du temps psychologique
L’ensemble de ces données expérimentales, tant psychologiques que neurobiologiques, représente autant d’informations qui visent à comprendre de quelle manière une durée est représentée et traitée par le cerveau. De très nombreux modèles ont été évidemment développés pour rendre compte de tout ou partie des observations. La plupart sont axés de façon privilégiée sur une catégorie d’information relativement pointue : par exemple, le modèle de Collyer de ses collaborateurs (1992, 1994) cherche à expliquer « l’oscillator signature », celui de Povel et Essens (1985) le traitement de séquence rythmique.
Parallèlement, plus les données s’accumulent, plus les modèles deviennent complets et leur nombre diminue. En effet, l’objectif d’une modélisation est d’élaborer une théorie unique et générale qui intègre à la fois les données obtenues chez l’homme et chez l’animal et surtout qui permet d’expliquer les résultats aussi bien en perception qu’en production et ce idéalement, pour toutes les échelles de temps et quel que soit le type de distribution des événements (d’aléatoire à prévisible). Assez peu de modèles tendent à approcher cet objectif, ceux qui sont présentés dans la suite de ce paragraphe en font partie. Par ailleurs, leur validité est directement dépendante de leur cohérence et de leur réalité biologique.
Il est question ici de modéliser uniquement les jugements temporels prospectifs, c’est-à-dire que le traitement de la durée porte sur un événement qui va avoir lieu ou qui est déjà en cours. A l’opposé, les jugements temporels rétrospectifs demandent aux sujets de se souvenir et d’évaluer la durée déjà écoulée. Le traitement temporel rétrospectif ne fait pas du tout appel aux mêmes mécanismes que celui dont il est question dans cette revue : la durée étant écoulée, la quantification ou le jugement relatif de la durée fait appel qu’à des processus mnésiques pour l’essentiel (réf o( //Wittman1999 ? & //DrakeHDR1998 Concept de traitement de l’info indépendamment d’une horloge : Allan1979 ; Block1990 ; Ornstein1969 ; Michon1972). En ce qui concernent les jugements prospectifs, la distinction entre estimation de la durée et perception du présent subjectif, révélée expérimentalement, suggèrent des mécanismes quelque peu différent, même si une base commune peut être envisagée.
Deux grandes catégories de modèles s’opposent selon que le fonctionnement de leur horloge interne est basé ou non sur des oscillateurs. Le concept d’oscillations endogènes, constituant une base de temps par le biais de leur période, est le plus communément adopté pour expliquer le fonctionnement de l’horloge interne.
L’objectif de ce paragraphe n’est pas de redémontrer les modèles existants mais de présenter 3 modèles reconnus et cohérents avec les données de la littérature.
Le premier modèle, non oscillant est celui issu des travaux d’Ivry et de ses collègues. Il met en avant le rôle du cervelet. Le mécanisme de l’horloge est basé sur des intervalles qui lui servent de référence. Il présente l’avantage d’avoir été développé à partir de données dans la gamme de durées qui nous intéresse ici (ordre de la centaine de millisecondes). Mais, il n’est pas encore suffisant pour rendre compte de toutes les observations.
Le deuxième modèle, basé sur des oscillations au sein des noyaux gris centraux, est présenté ici dans la mesure où il est à l’heure actuelle le plus complet (il intègre une grande variété de sources d’informations), le plus réaliste biologiquement et sans doute aussi pour ces raisons l’un des plus reconnus dans la littérature. Cependant, il est basé sur des résultats d’études traitant de durées de quelques secondes à plusieurs minutes, et donc intégrant plusieurs unités perceptives.
Enfin le dernier modèle, basé lui aussi sur des oscillateurs, est celui dont le cadre théorique est le mieux adapté aux études présentées. Il est en effet le seul modèle à fournir des hypothèses développementales à l’évolution des capacités de traitement temporel des durées courtes.
Le multiple timer model (Ivry & Richardson, 2002)
Dans ce modèle, les durées sont mesurées par un système d’intervalles. La représentation temporelle repose sur un ensemble d’intervalles de durées variables, assimilables à autant de sablier. Un des arguments en faveur de ce modèle est que cette représentation par un nombre fini d’intervalle rend compte de la limitation de ce mécanisme à une échelle de durée et qui peut expliquer la discontinuité des performances temporelles ; à l’opposé, les systèmes d’oscillation permettant un grand nombre de combinaisons suggèrent une continuité dans le traitement des durées, quelle que soit l’échelle, ce qui ne correspond pas exactement à la réalité.
Une des particularités de ce modèle concerne les tâches de production. Si ce modèle admet un mécanisme central à l’origine du traitement perceptif et de la production temporelle, il postule l’existence de plusieurs unités de traitement, chacune ayant une spécificité temporelle. La représentation d’intervalles particuliers nécessite la coordination de plusieurs de ces unités. De plus, ces unités sont spécifiques à un type de tâche. Certaines unités sont ainsi dédiées aux tâches motrices et les informations produites en sortie sont destinées aux effecteurs. D’autres unités sont particulières aux tâches perceptives et leurs spécificités sont liées à la modalité qu’elles reçoivent en entrée. Ce système offre l’avantage d’une plus grande précision lorsque plusieurs unités de traitement travaillent de façon accordées (par exemple, moindre variabilité pour une tâche de production lorsqu’elle est bimanuelle par rapport à une exécution unimanuelle).
Ce modèle postule que les unités génèrent des signaux indépendamment pour chaque effecteur impliqué dans la tâche de production. Ces signaux (pris globalement lorsque plusieurs effecteurs interviennent) sont globalement assimilés au niveau central dans la modélisation des sources de variabilité selon Wing & Kristofferson (1973). Les informations obtenues respectivement en sortie correspondent au signal de déclenchement du mouvement. Ces signaux ne sont pas directement envoyés aux effecteurs mais sont traités par un processus central du type porte de sortie. Ce processus synthétise les signaux pour générer un unique signal cohérent (les signaux destinés à chacune des 2 mains sont moyennés pour n’en faire qu’un qui permettra aux 2 mains d’exécuter un mouvement en phase lors d’une tâche temporelle). Les simulations ont permis de retrouver la relation entre variabilité et intervalle cible (loi de Weber). De plus, en même temps qu’il déclenche le mouvement, il réinitialise les unités de traitement pour un nouvel intervalle. Ce processus de synthèse en sortie confèrerait la plus faible variabilité observées avec plusieurs effecteurs plus que ne le ferait l’intégration seule des informations obtenues en retour du mouvement (rétrocontrôle). Les informations issues du rétrocontrôle serviraient à améliorer la précision du prochain intervalle à produire (lors d’une tâche de synchronisation), ce qui est tout à fait conforme au modèle de Wing & Kristofferson.
Du point de vue biologique, les différents intervalles de temps résultent du temps de transmission d’un influx nerveux au sein d’un groupe de neurones modulés par les différentes excitations et d’inhibitions. Le cortex cérébelleux serait le siège de la représentation temporelle des différents intervalles. Cependant, le cervelet serait uniquement impliqué dans le traitement des durées inférieures à la seconde. Les intervalles de temps d’une durée supérieure aux capacités cérébelleuses feraient intervenir d’autres systèmes. Cette idée est cohérente avec le concept de fenêtre temporelle : au-delà d’un traitement perceptif, d’autres mécanismes interviendraient, essentiellement des processus mnésiques. Le processus de sortie serait lui localisé au niveau des ganglions de la base via la boucle fermée cortico-striatale.
Ce modèle présente l’avantage de concerner essentiellement les durées de l’ordre de la centaine de millisecondes. Cependant, il est encore incomplet et certaines faiblesses demeurent. Les travaux menés par Ivry et ses collègues se sont largement intéressés à l’implication du cervelet, peut être au détriment d’autres structures et d’une vue plus globale du traitement des durées. Par ailleurs, ce modèle est essentiellement construit sur des données de production et aucune prédiction n’émerge clairement quant aux tâches de perception. La construction de ce modèle doit se poursuivre pour fournir des bases biologiques plus réalistes et plus complètes et être généralisable à toutes les tâches temporelles.
Le striatal beat frequency model (Matell & Meck, 2000)
Ce modèle est l’un des nombreux modèles issus du développement de la « Scalar Timing Theory » (ref//Meck1996). La Scalar Timing Theory est un modèle mathématique des propriétés observées lors de tâches temporelles et notamment la proportionnalité entre durée testée et variabilité mesurée (loi de Weber). Elle a constitué un contexte théorique pour le développement de nombreuses théories du traitement de l’information temporelle.
Toutes ont cependant en commun qu’elles postulent l’existence de 3 composants essentiels. Le premier correspond à une base de temps : il génère un signal répétitif, des pulses, selon une loi de Poisson (Meck, 1996). La vitesse d’émission des pulses est modifiée par certaines drogues, maladies, par la modalité de la stimulation tout comme par la température corporelle. Les processus attentionnels peuvent aussi avoir un impact. Une alternative a été proposée par Treisman (1963, …), dans laquelle les pulses sont émis à intervalle fixe. Une unité de calibration, sujette aux influences attentionnelles, applique un facteur de gain qui permet d’adapter l’intervalle des pulses à la tâche. Généralement, pour quantifier une durée, les pulses sont stockés dans un accumulateur. Le nombre de pulses est caractéristique d’une durée. Ce type de système rend très bien compte des phénomènes de sous-estimation ou de surestimation liés à la prise de différentes substances dites chronomutagènes : selon que la vitesse d’émission des pulses est plus rapide ou plus lente, un même nombre de pulses conduira respectivement à une surestimation de la durée ou à une sous-estimation. La base de temps peut soit fonctionner en continue, soit être déclenchée par la stimulation : de toute façon un signal doit parvenir à ce composant, soit pour déclencher le comptage, soit pour déclencher les pulses. L’information obtenue par l’accumulateur est ensuite transmise à une mémoire de référence (2ème composant essentiel), qui stocke à long terme pour chaque durée expérimentée une distribution de valeurs de pulses. Cette proposition est tout à fait cohérente avec le modèle selon lequel les sujets élaborent une représentation mentale de la durée à traiter d’autant plus précise qu’elle est issue de la perception de plusieurs intervalles (expliquant l’utilisation dans les protocoles expérimentaux de tempi). Un 3ème composant est un comparateur qui permet de réaliser la comparaison entre la valeur obtenue et les distributions de référence.
Dans ce modèle, ce sont les noyaux gris centraux qui sont le siège de l’horloge et de son émetteur de pulses. En particulier, le striatum servirait de relais entre les informations en provenance du cortex vers ces noyaux sub-corticaux. Cette structure reçoit aussi des entrées modulatrices dopaminergiques de la substance noire, très impliquée dans la gestion des renforcements. Les informations issues des ganglions de la base sont transmises au cortex via des relais thalamiques. Ainsi, c’est une boucle cortico-striato-thalamo-corticale qui fournirait la base nécessaire au traitement de l’information temporelle. La fonction du striatum serait d’agir comme un « détecteur de coïncidences » entre les signaux en provenance du cortex et ceux en provenance du thalamus. Au niveau cellulaire, cette fonction résulte de l’intégration par un neurone de différentes stimulations dendritiques arrivant dans un même intervalle de 5 à 20 ms. L’importance de certaines afférences seraient modulées par des phénomènes de potentialisation ou de dépression à long terme (qui sont les mécanismes cellulaires privilégiés de l’apprentissage et de la mémorisation). Les neurones du striatum détecteraient les coïncidences entre les différentes oscillations reçues du cortex : chaque oscillation par sa période coderait une durée particulière et c’est la coïncidence de plusieurs périodes qui permettrait de coder toutes les durées à traiter (ce processus est assimilable à celui qui permet en mathématique de trouver le plus petit commun multiple à différents entiers). Les signaux dopaminergiques en provenance de la substance noire (pars compacta) permettraient de contrôler les signaux inadaptés à la tâche. Le fonctionnement biologique de la composante horloge est donc modélisé ici assez précisément.
L’intérêt de ce modèle est qu’il prend en compte de très nombreuses données et différents types mécanismes à l’échelle neuronale tout à fait réaliste. Cependant, en laissant entendre que cette hypothèse de fonctionnement pourrait s’appliquer à toutes les échelles de durées, les auteurs mentionnent toutefois l’hypothèse selon laquelle le cervelet puisse jouer un rôle dans les durées de l’ordre de la milliseconde. Là encore, ce modèle bien que très complet doit être perfectionné pour rendre compte de la distinction entre ces 2 échelles de durées courtes. D’autre part, il ne permet pas de rendre compte de certains résultats fondamentaux de psychologie expérimentale comme l’existence du TMS.
Le modèle développemental issu de la Théorie de l’Attention Dynamique (Drake, Jones & Baruch, 2000)
Ce modèle est avant tout un modèle psychologique. Il est basé sur une théorie développée en premier lieu pour expliquer le traitement de séquences rythmiques complexes. La Théorie de l’Attention Dynamique de Jones (Jones, 1976 ; Jones & Boltz, 1989) modélise dynamiquement la construction de la représentation mentale d’une séquence auditive complexe (telle qu’un rythme, une musique, mais aussi toutes les séquences de l’environnement). Dans ce modèle, toutes les séquences sont considérées comme pouvant être décomposées en différents niveaux hiérarchiques de régularité temporelle. Ce modèle présente 2 particularités intéressantes. La 1ère correspond à l’élaboration dynamique de la représentation mentale, c’est-à-dire que les événements sont intégrés en temps réel. D’autre part, ce modèle explique comment se construisent les attentes attentionnelles du sujet (nous possédons de très bonnes représentations mentales des musiques que nous aimons). Cette gestion des attentes attentionnelles est aussi en accord avec une optimisation des ressources car il limite les surcharges mnésiques. Enfin, ces attentes attentionnelles sont hiérarchisées par rapport à un niveau privilégié de traitement.
Ce modèle postule que l’attention va se focaliser prioritairement et spontanément sur les événements de la séquence qui se produisent à une certaine périodicité. Cette période, nommée période de référence, est spécifique à chaque individu et indépendante de l’environnement. Elle correspondrait à un tempo subjectif intra-individuel qui peut être approximé par la mesure du TMS.
La période de référence est générée par un oscillateur particulier et unique. Lors de la perception d’une séquence, cet oscillateur va se caler sur la périodicité de la séquence la plus proche de sa propre période (ce processus est appelé ajustement). Un exemple illustratif est celui d’un auditeur ou d’un musicien qui battra la mesure avec son pied : le tempo qu’il aura spontanément choisi parmi tout ceux disponibles dans la séquence musicale sera celui qui lui est le plus confortable. Le sujet a focalisé son attention sur un certain tempo, qui détermine le niveau de référence. Le choix du niveau de référence est donc lié à la période de référence mais est aussi influencé par les caractéristiques propres du stimulus (comme par exemple les accentuations particulières de certains événements).
Selon ce modèle, le sujet peut, à partir du niveau de référence, déplacer son attention vers des niveaux hiérarchiques supérieurs ou inférieurs. Le sujet peut ainsi prédire l’arrivée de certains événements ou encore analyser des événements qui se produisent avec une périodicité plus rapide que celle à laquelle il bat la mesure. Il accède donc à une représentation plus complète de la séquence. L’accession (par la focalisation de l’attention) à des niveaux hiérarchiques supérieurs ou inférieurs est permise par d’autres oscillateurs (dont les périodes sont des multiples ou sous-multiples de la période de référence). Ainsi, les attentes ou les analyses qui peuvent être faite d’une structure musicale sont la résultante du fonctionnement d’un ensemble d’oscillations internes (appelées rythmes d’attentes : « attending rhythms ») concordants des rythmes externes. Ces oscillateurs ont une période adaptable, dans une certaine mesure, par de petites variations (Large & Jones, 1999). Cette adaptabilité des périodes d’oscillation permet de rendre compte de la flexibilité du système en particulier lors de légères irrégularités temporelles.
Ce modèle, s’il reste très théorique et encore limité au traitement musical, présente l’intérêt d’être aussi applicable aux traitements des tempi. La période de référence est très bien adaptée pour expliquer les performances obtenues avec l’enregistrement du TMS, les tâches de synchronisation et de continuation dans la mesure où plus les événements se produisent avec une régularité proche de celle de la période de référence mieux ils seraient traités. Par ailleurs, l’évolution des performances a été analysée selon une perspective développementale.
L’extension du modèle du point de vue développemental
Les hypothèses à la base de ce modèle permettent aussi de prédire le développement des compétences temporelles. Ainsi, la période de référence ralentirait avec l’âge. Cette prédiction suggère que non seulement le TMS ralenti avec l’âge. Mais il suggère aussi que les performances de synchronisation chez les enfants sont optimales (moindre variabilités entre les frappes) pour des tempi plus rapides que le tempo de traitement optimal chez l’adulte. Parallèlement, les capacités de traitement concernent une gamme de tempi de plus en plus large dans la mesure où le développement correspond au passage de l’utilisation d’un oscillateur principal (correspondant à la période de référence) à celle de plusieurs oscillateurs. Cette hypothèse permet d’expliquer pourquoi, lors des tâches de discriminations de tempo notamment, la zone de traitement optimale s’élargit entre l’enfance et l’âge adulte. De même, cette hypothèse explique pourquoi, dans les tâches de synchronisation et de discrimination, l’ajustement temporel et donc la précision sont mieux maîtrisés avec l’âge.
Ce modèle, bien qu’il n’intègre pas de données issues des études neurologiques, constitue un point de départ théorique particulièrement bien adapté pour comprendre et poursuivre la modélisation de la mise en place progressive des processus de traitement temporel. De la compréhension de cette mise en place du système de traitement temporel émergeront des propositions complémentaires pour développer un modèle global mais aussi pour postuler un parallèle entre l’évolution développementale précise des structures cérébrales et les performances de traitement. Ce point de vue particulier nécessite au préalable de souligner les quelques questions soulevées par les résultats expérimentaux recueillis jusqu’à présent et ce, à la lumière des connaissances actuelles sur le fonctionnement du système de traitement et surtout des hypothèses de ce modèle développemental.
Bilan & problématique
Synthèse sur le mécanisme de traitement des durées courtes
Cette revue des connaissances disponibles aboutie à la conclusion que le ou les mécanismes de traitement des durées ne sont pas encore élucidés. Il ressort néanmoins que le traitement des durées courtes se caractérise par différentes propriétés. La caractéristique principale est qu’il existe une dualité entre perception de la durée et estimation de la durée ; et cette dualité se trouve matérialisée au travers d’un grand nombre de résultats expérimentaux. Les données ne permettent pas de trancher entre l’existence d’un processus général dont le fonctionnement dépend de la durée (mécanisme de base dédié à la perception relayé par des traitements cognitifs pour les durées plus longues) ou l’existence de 2 processus distincts, l’un dédié à l’estimation, l’autre à la perception.
Les durées courtes constituent une échelle de temps que nous expérimentons quotidiennement dès la naissance. Il est probable que la perception soit issue du fonctionnement d’un mécanisme de mesure du temps proprement dit et qu’à mesure que les durées augmentent, des processus cognitifs prennent le relais et conduisent à une estimation des durées. L’estimation est donc la conséquence de processus plus nombreux, et possède ses caractéristiques propres. Mais aucune donnée biologique ne peut valider cette hypothèse.
Dans ce contexte ambigu, comprendre comment nous arrivons à avoir une représentation précise des durées courtes nécessite en premier lieu d’étudier les caractéristiques directement impliquées dans le mécanisme central à l’origine du traitement des durées courtes, relevant de la perception.
La perception d’une durée fait référence à l’intégration des informations perçues au travers de notre présent subjectif, c'est-à-dire que nous percevons du même coup un ensemble d’événements arrivant dans une fenêtre temporelle n’excédant pas 1 à 2 secondes. Ces informations perçues ensemble définissent une unité perceptive. Le cœur du mécanisme de traitement repose sur un système d’horloge qui utilise ces informations pour quantifier la durée écoulée. La représentation mentale de la durée ainsi extraite peut alors être exploitée par des processus complémentaires soit pour donner un jugement sur cette durée (tâches de perception), soit pour la reproduire (tâches de synchronisation ou de continuation).
Plusieurs hypothèses portant sur les bases biologiques ont été formulées. Le cervelet serait plus particulièrement responsable du traitement des durées inférieures à la seconde et les noyaux gris centraux prendraient le relais pour les durées supérieures, c'est-à-dire les durées estimées. Deux mécanismes différents ont été proposés. Le cervelet serait caractérisé par une moindre flexibilité. Dans la gamme de durées qu’il traite, il ne disposerait pour quantifier une durée donnée que d’un nombre limité de valeurs (des intervalles de référence). Les noyaux gris centraux, eux, disposeraient d’un système de détection de coïncidences au travers de boucles de contrôles complexes. Le point commun de ces 2 mécanismes est le stockage des informations d’une unité perceptive au sein de la mémoire de travail dont le siège serait le cortex préfrontal. Enfin, les noyaux suprachiasmatiques, base biologique de l’horloge circadienne, pourraient interférer avec ces mécanismes.
Caractéristiques et sensibilité du traitement des durées courtes
Expérimentalement, le moyen le plus fiable pour étudier les performances de traitement est d’utiliser des séquences auditives isochrones appelées aussi tempi. Il s’agit de présenter plusieurs fois un intervalle de temps particulier, défini par l’ISI du tempo. La modalité auditive et la présentation multiple de la durée à traiter permettent au sujet de bien se représenter cet intervalle. Une autre contrainte expérimentale consiste à veiller à ne pas diviser les ressources attentionelles du sujet. Il est aussi nécessaire qu’elles soient équivalentes d’un sujet à l’autre (moment de la journée fixe, en particulier chez les sujets aux capacités attentionnelles réduites comme l’enfant).
Les principales caractéristiques du traitement temporel sont les suivantes. Tout d’abord nous sommes capables de générer spontanément des intervalles de temps très régulier (TMS). Pour un adulte, son TMS sera en moyenne de 600 ms, mais cette valeur est très variable d’un individu à l’autre. Cette valeur ralentit avec l’âge, au moins à partir de l’enfance. Cet indice qui correspond à la période de référence d’un individu, reflète le fonctionnement de l’horloge en l’absence de tout processus additionnel (comme un jugement perceptif, ou la planification d’une réponse motrice).
Une autre capacité est celle de discrimination entre 2 durées. Les performances de discrimination ont plusieurs caractéristiques. Ainsi, elles sont dépendantes des durées à discriminer. Il existe une gamme de durées pour lesquelles notre seuil de discrimination sera plus bas (c'est-à-dire optimal), et cette gamme est centrée sur la période de référence de l’individu (mesurée par la valeur du TMS). Cette zone de tempi accessibles s’élargit avec l’âge, au moins à partir de 4 ans, parallèlement à l’accès à plus grand nombre d’oscillateurs complémentaires (par rapport à celui à l’origine de la période de référence). En fonction des tempi à discriminer, le seuil de discrimination décrirait une fonction en forme de U : le seuil optimal serait pour des tempi proches de la période de référence et ce seuil augmentait progressivement en s’éloignant de cette valeur.
En ce qui concerne les tâches de production (synchronisation et continuation), les performances révèlent aussi certaines informations quant à nos processus de traitement. Nous sommes capables d’extraire la durée de l’intervalle pour exécuter une frappe. La représentation mentale s’améliore avec le nombre d’intervalles perçus. Une fois que l’horloge a intégré cette durée, elle est capable de définir un programme moteur pour que la frappe se produise au moment de l’événement délimitant l’intervalle (synchronisation) ou périodiquement (continuation). Cependant, des biais sont constatés. En synchronisation, les frappes arrivent de façon anticipée. L’importance de cette asynchronie négative est relative à l’intervalle à produire. Elle est faible pour des ISI courts en raison de contraintes motrices (mode automatique pour des ISI inférieurs à 300 ms). Elle disparaît pour des intervalles supérieurs à la limite d’une unité perceptive (1 à 2 secondes) : la frappe intervient en réaction au stimulus. Entre ces 2 valeurs extrêmes, l’anticipation est de l’ordre de 30 ms chez l’adulte. Elle est la conséquence de la perception du centre perceptif du stimulus (qui lui-même constitue une durée très brève) et de l’intégration des délais moteurs ainsi que des informations issues du rétrocontrôle sensoriel des frappes précédentes (mode contrôlé).
Les tâches de continuation s’affranchissent de cette information de rétrocontrôle. Cependant elles font apparaître une autre caractéristique du fonctionnement de l’horloge centrale : l’horloge ne peut générer fidèlement toutes les durées. Elle ne peut produire que des valeurs discrètes d’intervalles.
Ces tâches de production nécessitent en effet que l’horloge, capable de générer spontanément un intervalle particulier (TMS), adapte cette valeur pour en produire d’autres. Cette discontinuité est le reflet de contrainte de fonctionnement de l’horloge : soit celui-ci est basé sur un nombre limité d’intervalles de référence (multiple timer model) soit sur un nombre limité d’oscillateurs dont la période est très peu adaptable (théorie de l’attention dynamique). Cependant, quel que soit le mécanisme à la base de l’horloge, ces performances de production sont assez robustes aux irrégularités des stimulations, révélant un mécanisme central performant, capable d’intégrer les informations sur plusieurs intervalles.
Questions relatives au fonctionnement de l’horloge avant 4 ans
Si les données recueillies chez l’adultes sont nombreuses, il n’existe que très peu d’informations quant au fonctionnement de l’horloge chez le jeune enfant. La principale question est de savoir quelles aptitudes se développent prioritairement et avec quelle précision. Ces questions théoriques sont abordées dans le cadre du modèle développemental qui propose des hypothèses quant à l’évolution du mécanisme d’horloge avec l’âge.
La première question théorique concerne la période de référence de l’horloge à ces âges. Peut-on valider l’extrapolation de l’hypothèse d’un ralentissement de la période de référence dès le plus jeune âge ? Les caractéristiques de la période de référence sont-elles les mêmes dès la naissance ? Comment ces caractéristiques évoluent-elles avec l’âge et comment peut-on les interpréter dans le cadre de la mise en place du système de traitement temporel ?
La seconde question théorique concerne la précision du traitement temporel. Est-elle dépendante de la période de référence ? S’améliore-t-elle parallèlement à la maturation du système de traitement ? Même si le mécanisme de traitement est commun, il n’en reste pas moins que des processus différents interviennent lors des tâches perceptives et lors des tâches de production. Dès lors, la précision du traitement est-elle la même en perception et en production ? Aborder ces questions par ces 2 approches doit permettre de mieux cerner le fonctionnement et les propriétés du mécanisme central.
Expérimentalement, les moyens pour répondre à ces questions théoriques générales sont de mesurer le TMS et de définir la sensibilité de ces processus par des tâches de perception et de production. Ainsi, en perception, le moyen expérimental adapté pour déterminer cette sensibilité est l’étude des capacités de discrimination. Ce type de paradigme permet de mettre en évidence un seuil au-delà duquel 2 durées sont traitées comme étant différentes. En dessous de ce seuil, les durées ne diffèrent pas assez pour être analysées comme différentes par l’horloge. Le seuil de discrimination reflète donc directement la sensibilité de l’horloge. Ce seuil de sensibilité, puisqu’il est caractéristique du fonctionnement de l’horloge, doit pouvoir être mis en évidence dans des tâches de production. Ce seuil doit se matérialiser par une incapacité à produire 2 durées physiquement distinctes mais trop peu différentes subjectivement pour être produites différemment. Ce seuil doit refléter une incapacité de l’horloge à générer distinctement ces 2 durées. Cependant, il est tout à fait imaginable que ces 2 durées soient, malgré tout, perçues comme distinctes.
Trois points principaux sont donc à étudier pour explorer les capacités de traitement de l’horloge chez le jeune enfant : la détermination de la période de référence, le seuil de discrimination entre 2 durées en perception et le seuil de production de 2 durées différentes.
Caractérisation de la période de référence chez l’enfant
Dans le contexte du modèle développemental de Drake & al. (2000), la période de référence représente la durée courte la mieux traitée (c’est-à-dire avec le plus de précision) par le système de traitement temporel. L’hypothèse principale issue de ce modèle est que cette période de référence ralenti avec l’âge. Cette caractéristique a été montrée chez l’adulte, mais chez l’enfant, les données sont encore peu homogènes (voir §2.1). D’autre part, très peu de données concernent les enfants de moins de 4 ans. Il apparaît donc nécessaire de pouvoir compléter ces données afin de pouvoir esquisser le profil de développement de la période de référence, en continuité avec les observations faites chez l’adulte. D’autre part la détermination de ses caractéristiques telles que sa variabilité inter-individuelle, mais aussi et surtout sa variabilité intra-individuelle, reflet de la stabilité du mécanisme à sa source sont des informations primordiales pour préfigurer les étapes de développement et potentiellement préciser le mécanisme du traitement des durées.
Evolution des capacités de discrimination de tempo avant 4 ans
Les données et les hypothèses présentées dans cette partie mettent en évidence des lacunes et des contradictions concernant les capacités de discrimination temporelle de l’enfant avant 4 ans. L’extrapolation du modèle développemental de Drake et al. permet de faire des prédictions quand aux capacités des enfants plus jeunes.
Certains résultats laissent supposer que les enfants sont capables de traitement temporel. En effet, il a été montré que les bébés interagissent avec une séquence temporelle auditive (Provasi, 1988 ; Pouthas & al., 1996 ; Chang & Trehub, 1977 ; Demany & al., 1977). Qu’en est-il des capacités de discrimination ? Selon le modèle développemental, les enfants de moins de 4 ans doivent pouvoir discriminer 2 tempi s’ils sont situés aux environs de leur période de référence, et donc par approximation si les valeurs de ces tempi sont proches de celle de leur TMS. Très peu de données permettent de confirmer ces hypothèses. En effet, le seuil de discrimination n’a jamais été déterminé chez l’enfant, seules des différences de 15% ont été testées (Drake & Baruch, 1995) et ce uniquement dans le sens d’une accélération du tempo. De plus, il est difficile de relier les performances obtenues à la période de référence puisque celle-ci n’est pas déterminée. Enfin, une étude s’est intéressée à la discrimination de tempo chez le bébé de 2 et de 4 mois (Baruch & Drake, 1997). Dès ces âges, les bébés discriminent un tempo de référence de 600 ms d’un tempo 15% plus rapide (i.e. 510 ms). Par contre, ils n’y parviennent pas pour les autres tempi de référence testés (100, 300, 1500 ms) ni lorsque le tempo à comparer est plus lent que celui de référence. Ces résultats suggèrent donc que la période de référence des bébés serait plus proche de 600 ms que des autres valeurs testées et que probablement, le seuil de discrimination serait inférieur à l’unique valeur testée (15% d’écart entre les 2 durées). Ce résultat va en outre à l’encontre de l’hypothèse d’un ralentissement du TMS avec l’âge, puisqu’elle serait située vers 450 ms à 4 ans. De plus, ces données suggèrent une dissymétrie dans le traitement des durées : l’analyse dans le sens d’une accélération serait plus facile à réaliser que dans le sens d’un ralentissement. Cette question n’a jamais été explicitée, pourtant la très grande majorité des études expérimentales se basent sur un traitement dans le sens de l’accélération.
Capacités de production d’intervalles avant 4 ans
L’enfant est capable d’adapter son rythme de frappe spontané pour produire des intervalles différents (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Puisqu’il existe un seuil en dessous duquel 2 durées distinctes ne sont plus discriminées et que l’horloge est responsable du traitement des durées et en perception et en production, alors ce seuil doit exister en production. Il est représentatif du fonctionnement et de la sensibilité de l’horloge. Ce seuil de sensibilité doit donc pouvoir être retrouvé au travers de tâches de production.
Par ailleurs, la probable dissymétrie rapportée pour les tâches de perception doit aussi être retrouvée dans le cadre d’une tâche de production, puisque les mécanisme sont les mêmes. Si le mécanisme est central, alors le seuil de sensibilité doit être identique pour le traitement des durées plus rapides que pour celles des durées plus courtes. Expérimentalement, le même seuil doit pouvoir être mis en évidence. Pourtant il faut tenir compte du fait que la littérature rapporte une difficulté à inhiber un comportement très prégnant chez l’enfant. Ce facteur doit être pris en compte pour l’interprétation des résultats expérimentaux.
Enfin, une étude a mis en évidence que chez l’enfant, une tâche de production, comme une synchronisation, peut induire une modification du tempo moteur spontané (Provasi & Bobin-Bègue, 2003). Ce résultat est cohérent avec les résultats expérimentaux obtenus chez l’adulte lors d’expérience de manipulation de la base de temps de l’horloge (Penton-Voak & al., 1996). Mais cette influence n’est pas confirmée et doit être précisée d’un point de vue développemental. Ces informations pourront éclairer les étapes de la mise en place de la période de référence.
Difficultés méthodologiques chez le jeune enfant
Une explication à ce manque de données est que les études chez le bébé et chez le jeune enfant présentent des difficultés méthodologiques. Les tâches qui sont demandées au sujet, pour obtenir une bonne précision et des résultats fiables nécessite une attention soutenue et une bonne compréhension de la tâche. Or, la notion globale de temps se met en place très tardivement chez l’enfant (à 8 ans, Droit-Volet, 2000). Il est donc nécessaire de développer des protocoles simples qui ne nécessitent pas de maîtriser explicitement la notion de temps.
Par ailleurs, pour que la tâche intéresse l’enfant et qu’il y participe pleinement, la tâche expérimentale doit s’apparenter à un jeu captivant. Cette nécessité est généralement contradictoire avec la précédente, rendant l’élaboration des protocoles difficiles.
L’intérêt d’un protocole ludique va aussi au-delà d’une simple bonne participation de l’enfant à l’expérience. Il a été mentionné l’importance de la mobilisation de toutes les ressources attentionnelles pour la tâche, pour avoir des résultats fiables. Il est ainsi important chez l’enfant de tenir compte du moment de la journée pour la tâche expérimentale (influence circadienne sur le niveau attentionnel). Les moments choisis doivent être équivalents d’un enfant à l’autre.
D’autre part, le développement cognitif des jeunes enfants est variable d’un individu à l’autre. Pour limiter ce biais, les enfants doivent être recrutés dans des structures collectives où ils exercent tous le même type d’activité au cours d’une journée bien structurée. Les sujets doivent ainsi être testés pendant cette phase où leur activité cognitive est calibrée.
Une dernière contrainte fondamentale est lié à la diversité des protocoles. Compte-tenu de la vitesse de développement des compétences psychomotrices en l’espace de 4 ans, un même protocole n’est pas adapté à une différence d’âge de plus de quelques mois. Or, pour réaliser des études comparables, il est indispensable de modifier un minimum de paramètres.
Toutes ces exigences sont autant de facteurs limitants à l’étude des compétences chez le jeune enfant. Mais étant donnée l’importance de ces informations, il apparaît nécessaire de trouver des protocoles adaptés pour répondre aux interrogations soulevées plus haut.
Objectif du travail expérimental
L’objectif de ce travail expérimental est de déterminer les caractéristiques de traitement temporel chez l’enfant de moins de 4 ans. Plus spécifiquement, nous nous sommes intéressés aux propriétés du système de traitement en mesurant sa période de référence et son niveau de sensibilité en perception et en production. Les paramètres étudiés pour approcher ces valeurs sont le TMS, le seuil de discrimination entre 2 tempi et le seuil au-delà duquel l’enfant est capable de produire des intervalles différents de ceux produits spontanément (TMS).
L’objectif secondaire était de s’intéresser à plusieurs groupes d’âge afin de pouvoir réaliser des comparaisons développementales. En conséquence, la priorité n’a pas été donnée à la détermination précise des compétences de traitement temporel, mais à l’exploration de ces capacités entre 1 et 4 ans.
Le corollaire de cet objectif a donc été d’explorer les moyens expérimentaux adaptés à plusieurs groupes d’âge (à des fins de comparaison) pour évaluer ces paramètres de l’horloge.
Le TMS en reflétant le tempo de traitement optimal de l’horloge constitue un indice de référence pour comprendre l’évolution des capacités de traitement. De la même manière, la détermination du seuil de discrimination permet de connaître les limites du fonctionnement de l’horloge à ces âges.

Des hypothèses de travail ont donc été établies relativement à ces questions théoriques. Elles ont été développées à partir du modèle développemental et peuvent se formuler ainsi :

Le système de traitement temporel se développe progressivement, parallèlement à la maturation des structures cérébrales responsable de ce traitement.
Le même mécanisme central préside à toutes les tâches de traitement temporel.
Il est caractérisé par une période de référence, mesurable par le TMS.
La période de référence existe et ralentit dès la naissance jusqu’à l’âge adulte.
La période de référence devient plus stable avec l’âge.
Le traitement temporel est optimal à proximité de la période de référence.
Le traitement devient plus précis au cours de la petite enfance.
Il existe un seuil en dessous duquel 2 durées différentes sont traitées comme étant identique, compte-tenu de la sensibilité du système de traitement.
Le traitement d’une durée plus rapide qu’une durée de référence est plus facile que le traitement d’une durée plus lente que la durée de référence utilisée dans la tâche de traitement temporel.
La période de référence est influençable, notamment par des stimulations externes.

PARTIE 2

Contribution expérimentale

Développement des capacités perceptives des enfants entre 3 et 4 ans : étude de la discrimination de tempo
La première question expérimentale que nous nous sommes posée a été de trouver un moyen de déterminer la sensibilité du traitement temporel d’une part en perception et d’autre part à des âges où aucune donnée de ce type n’est disponible. L’indice le plus adapté est le seuil de discrimination entre 2 durées car il reflète directement les limites du fonctionnement de l’horloge. Ce seuil permettra de préciser en dessous de quelle limite temporelle 2 durées sont traitées comme identiques, le système de traitement n’ayant pas une résolution assez fine pour détecter la différence.
L’idée générale est de pouvoir, à partir de ces informations nouvellement obtenues, esquisser le profil de développement de cette sensibilité du système de traitement et de suggérer des hypothèses quant aux étapes de la maturation de ce système. De plus, ces données pourront être mises en relation avec les valeurs théoriques de la période de référence à chaque âge et ainsi permettre de confirmer ou infirmer les extrapolations du modèle développemental (c'est-à-dire que le traitement temporel est optimal à proximité de la période de référence).
Le problème théorique de cette étude a consisté à choisir le tempo standard pour lequel le seuil de discrimination sera déterminé. La contrainte, dans ce contexte d’exploration des capacités de discrimination chez le jeune enfant, est que la détermination de ce seuil permette une comparaison avec d’autres données pour offrir une perspective développementale quant à l’évolution des capacités de traitement temporel au cours de la vie.
Pour résoudre ce problème, il est logique de choisir le tempo qui décrira le mieux les capacités de discrimination c'est-à-dire celui où le seuil de discrimination est optimal. Si l’on se réfère au modèle développemental, ce tempo devra donc être choisi proche de la période de référence, c'est-à-dire proche du TMS. Cette propriété a été en effet bien démontrée chez l’adulte (Drake et al., 2000) : les meilleures performances de discrimination sont obtenues chez l’adulte pour des tempi situés entre 300 ms et 900 ms et décrivent une fonction en forme de U (Drake & Botte, 1993) dont le minimum correspond à la valeur du TMS de l’individu (en moyenne 600 ms).
Chez l’enfant, il existe des données sur les capacités de discrimination mais aucune ne détermine un seuil de discrimination, et ce quel que soit le tempo standard (proche ou non du tempo de référence). Les seules données disponibles concernent les performances de discrimination pour un seuil fixe de 15%. Les tempi standards testés étant 100, 300, 600, 1000 et 1500 ms (Drake et Baruch, 1995), les enfants de 4 ans discriminent seulement à 300 ms, à 6 ans à 100, 300 et 600 ms, à 8 ans à 100, 300, 600 et 1000 ms et à 10 ans, ils y parviennent pour tous les tempi testés tout comme l’adulte. Non seulement, la gamme de tempi accessibles s’élargit avec l’âge, mais elle se décale progressivement vers des tempi plus lents parallèlement au ralentissement de la période de référence (Drake & al., 2000). Ces résultats chez l’enfant de plus de 4 ans, sont conformes au modèle développemental. Cependant, il faut noter que ni le tempo de discrimination optimale (reflétant le tempo de traitement optimal, correspondant théoriquement à la période de référence), ni la valeur du seuil de discrimination ne sont identifiés.
Avant 4 ans, les seules données de discrimination concernent les bébés : à 2 et 4 mois, les bébés discriminent seulement un tempo de 600 ms d’un tempo 15% plus rapide (i.e. 510 ms) ; ils n’y parviennent pas pour les autres tempi (100, 300 et 1500 ms) et ni parviennent pour aucun de ces tempi lorsque ceux-ci doivent être comparés à un tempo 15% plus lents (Baruch & Drake, 1997). Là encore, le seuil de discrimination n’est pas déterminé. La seule information est que pour ces âges, à 600 ms, le seuil de discrimination est inférieur à 15%. Ces données laissent supposer que la période de référence chez le bébé serait plus proche de 600 ms que de 300 ms comme le suggèrerait l’hypothèse selon laquelle la période de référence ralentie avec l’âge. En effet, dans la mesure où la période de référence est inférieure à 450 ms à 4 ans, le traitement optimal et donc la discrimination à 15% devrait être obtenue plutôt pour le tempo de 300 ms que celui de 600 ms. L’hypothèse du ralentissement de la période de référence ne semble donc pas valable à cet âge.
La remise en cause de cette hypothèse est renforcée par les données se rapportant au TMS chez l’enfant. Il a été souligné dans la première partie de ce document que les données n’étaient pas homogènes et que l’hypothèse du ralentissement du TMS avec l’âge ne semblait pas s’appliquer avant 7 ans.
Dans le contexte du modèle développemental, il existe donc une ambiguïté entre les résultats obtenus chez l’enfant et ceux obtenus chez le bébé : il semble que l’hypothèse du ralentissement de la période de référence dès la naissance et que celle du traitement optimal des durées pour des intervalles proches de la période de référence ne puissent s’appliquer ensemble au jeune enfant de moins de 4 ans. Ces données conflictuelles démontrent en outre que le système de traitement des durées courtes suit une évolution particulière entre ces âges. Celle-ci serait probablement liée aux nombreuses maturations subit par les structures cérébrales de l’enfant au cours des premières années de sa vie, et notamment les maturations subit par le cervelet (qui est un bon candidat aux traitement des durées courtes même si aucune structure n’a été proposée dans le modèle développemental).
Dès lors, en raison de cette ambiguité, choisir le tempo le plus proche de la période de référence pour obtenir un seuil de discrimination optimal n’est pas le choix le plus adapté pour explorer les capacités de discrimination du point de vue développemental. Nous avons donc préféré choisir un tempo indépendamment de la période de référence, l’objectif de cette étude étant de pouvoir déterminer et comparer le seuil de discrimination. Le tempo retenu est de 600 ms. En effet, cette valeur est une valeur de référence dans la littérature et plusieurs raisons ont motivé ce choix. Tout d’abord, ce tempo est celui de la période de référence chez la plupart des adultes. D’autre part, cette valeur est également bien traitée chez les bébés, leur seuil de discrimination à 600 ms devant être inférieur ou égal à 15%. Ensuite, les enfants de 4 ans, s’ils ne discriminent pas un tempo de 600 ms d’un tempo 15% plus rapide peuvent être capable d’une discrimination à 600 ms mais pour un seuil légèrement supérieur. Ainsi, il apparaît que chaque individu, dès 2 mois jusqu’à l’âge adulte, est capable de discriminer un tempo de 600 ms d’un autre, le seuil de discrimination évoluant probablement avec l’âge aux environs de 15%. La comparaison des performances d’un point de vue développemental sera donc favorisée par ce choix de tempo.
Par ailleurs, cette étude est ciblée sur les enfants de 3 et 4 ans. En effet, l’absence de données se situant entre 1 et 4 ans, nous avons choisi de nous intéresser à ces âges afin que les résultats nous permettent de faire le lien avec les résultats obtenus dès 4 ans. Pour des raisons d’adéquation du protocole expérimental, seul un écart de quelques mois pouvait séparer les groupes d’âge. De plus, les enfants ont été recrutés au sein d’un même niveau scolaire afin de limiter les variations inter-individuelles de développement cognitif.
Pour répondre aux contraintes de ces âges, nous avons choisi d’élaborer un protocole qui n’impliquait pas de notion de temps explicite. Une particularité de ce protocole est que les tempi à discriminer n’ont pas été choisis selon les paradigmes expérimentaux habituels. Plutôt que d’utiliser la valeur 600 ms comme tempo de référence et faire varier un second tempo, nous avons utilisé 2 tempi variables. Cette méthode présente 2 avantages. Le premier est qu’il évite un effet d’apprentissage au fur et à mesure des séances qui biaiserait les résultats. L’expertise est en effet un facteur d’amélioration des performances de traitement temporel, même chez l’enfant (Drake, 1998 ; Drake & al., 2000). Dans le cas d’un tempo standard fixe comparé à un tempo variable, l’enfant aurait été amené à se construire un repère absolu pour le tempo de 600 ms, ce qui aurait été une aide du type expertise pour discriminer les 2 tempi. Or, nous ne souhaitions pas faire intervenir ce facteur et ce d’autant plus que les capacités d’apprentissage peuvent varier d’un individu à l’autre. D’autre part, les études déjà menées montrent que les bébés en particulier discriminent un tempo standard d’un tempo plus rapide, mais ne parviennent pas à le faire si le tempo variable est plus lent. Choisir 2 tempi variables permettait de ne pas favoriser un sens de variation et de s’affranchir de ce paramètre. La variation entre les tempi à discriminer a donc été définie de la façon suivante : 600 ms ( X%.
Les conditions expérimentales étant ainsi déterminées, l’objectif était donc de situer le seuil de discrimination pour un tempo de référence de 600 ms. L’objectif secondaire était de vérifier que les performances de discrimination s’améliorent avec l’âge et évidemment que ces performances diminuent avec la difficulté de la discrimination. Notre travail était donc basé sur les hypothèses suivantes :
Les enfants entre 3 et 4 ans sont capables de discrimination de tempo autour de 600 ms
Le seuil de discrimination à 600 ms se situe aux environs de 15%
Les performances de discrimination augmentent avec l’âge
Le seuil de discrimination diminue avec l’âge
Méthode
Sujets
L’étude a concerné 48 enfants répartis de la façon suivante : 26 enfants âgés de 4 ans (8 filles et 18 garçons ; âge moyen = 3,79, SD = 0.06, écart : 3,70-3,96) et 22 enfants âgés de 3 ans (10 filles et 12 garçons ; âge moyen = 3,23, SD = 0.06, écart : 3,17-3,36). Neuf enfants supplémentaires ont participé à l’expérience, mais ont été exclus de l’analyse en raison de leur comportement face au jeu proposé. Tous les enfants sont issus de la même école maternelle (Paris, 5ème) : les 2 classes de petite section ont été concernées, sur 2 années scolaires. De plus les enfants ont été testés en 2ème partie d’année scolaire : il peut être ainsi postulé que les différences inter-individuelles de développement cognitif sont réduites par ces 6 premiers mois d’apprentissage scolaire. Pour tout ces enfants, les parents ont préalablement donné leur autorisation après avoir été dûment informés.
Matériel
L’expérience s’est déroulée dans une petite pièce isolée et contiguë à une des 2 salles de classe. L’enfant, seul avec l’expérimentateur, était assis sur une chaise face à une table de tailles adaptées. Sur la table était disposés un ordinateur portable connecté à 2 gros boutons (de 4 cm de diamètre) fixés sur un support en bois et à un haut-parleur. Les 2 boutons étaient suffisamment écartés (20 cm entre les 2 boutons) pour permettre à l’enfant d’appuyer dessus confortablement. Sur le support, sous chaque bouton, étaient placées 2 images équivalentes représentant l’une un lapin (bouton de gauche), l’autre une tortue (bouton de droite). Cette disposition était la même pour tous les sujets et tout au long de l’expérimentation. L’écran de l’ordinateur, orienté convenablement pour le regard de l’enfant, était destiné à faire apparaître une image de renforcement (image de 200 pixels de dimension 20 cm x 20 cm) consécutivement à une réponse correcte.
Le logiciel a été spécialement développé pour cette expérience. Il a été conçu pour générer des séquences isochrones de 10 sons (50 ms, 1000 Hz). Le programme élaborait 1 paire de séquences (une séquence rapide et une séquence lente) à partir d’un paramètre de variation (X%). Pour la séquence rapide, l’intervalle entre les sons (ISI, Intervalle Inter Stimulus) était défini comme étant égal à 600 ms-X% ; pour la séquence lente, l’ISI était de 600 ms+X%. Les 2 ISI présentaient donc une variation symétrique par rapport à un tempo de 600 ms. La paire d’ISI ainsi définie est notée 600 ms±X%.
La séquence rapide était associée au lapin, tandis que la séquence lente était associée à la tortue. Après la diffusion de chaque séquence, l’ordinateur enregistrait la réponse de l’enfant. Celle-ci correspondait au premier appui sur l’un des 2 boutons. Elle devait intervenir dans un délai de 5 secondes après la fin de la diffusion de la séquence. Si la séquence qui venait d’être diffusée était la séquence rapide, la bonne réponse correspondante était un appui sur le bouton de gauche (associé au lapin) et faisait apparaître simultanément sur l’écran l’image du lapin (identique à celle placée sous le bouton) pendant 1 seconde. Respectivement, une réponse correcte après la diffusion d’une séquence lente était un appui sur le bouton de droite et faisait apparaître l’image de la tortue. Une réponse incorrecte n’avait pas de conséquence (aucune image n’apparaissait).
La diffusion de la séquence suivante était commandée par l’expérimentateur, quand ce dernier avait obtenu l’attention de l’enfant. La succession des séquences était aléatoire.
Procédure
L’expérience était divisée en 5 séances, chaque séance ayant eu lieu un jour différent. Le délai entre la 1ère séance et la dernière a été de 11 jours (moyenne = 10,94 jours, SD = 4.24). Chaque séance durait environ 15 minutes. Elles avaient pour objectif d’évaluer les performances de discrimination (taux de bonnes réponses) pour une paire de séquences. Ainsi, la 1ère séance correspondait aux 2 ISI 600 ms ± 50% (300 ms vs. 900 ms), la 2ème à 600 ms ± 20% (480 s vs. 720 ms), la 3ème à 600 ms ± 15% (510 s vs. 690 ms), la 4ème à 600 ms ± 10% (540 s vs. 660 ms) et la 5ème à 600 ms ± 5% (570 s vs. 630 ms). La 1ère séance a été conçue pour être particulièrement facile afin de s’assurer que la tâche puisse être comprise et réalisée par les enfants de cet âge ( REF _Ref22962986 \h Tableau 1).

Caractéristiques de la séanceSériesConditionsComposition de la sérieSéance 1 : 600 ms ± 50%
ISI séquence rapide : 300 ms ISI séquence lente : 900 msDémo“Ecoute le lapin” “Ecoute la tortue”1 séquence rapide 1 séquence lenteSérie 1Aidé10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 2Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 3Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSéance 2 : 600 ms ± 20%
ISI séquence rapide : 480 ms ISI séquence lente : 720 msDémo“Ecoute le lapin” “Ecoute la tortue”1 séquence rapide 1 séquence lenteSérie 1Aidé10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 2Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 3Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSéance 3 : 600 ms ± 15%
ISI séquence rapide : 510 ms ISI séquence lente : 690 msDémo“Ecoute le lapin” “Ecoute la tortue”1 séquence rapide 1 séquence lenteSérie 1Aidé10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 2Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 3Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSéance 4 : 600 ms ± 10%
ISI séquence rapide : 540 ms ISI séquence lente : 660 msDémo“Ecoute le lapin” “Ecoute la tortue”1 séquence rapide 1 séquence lenteSérie 1Aidé10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 2Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 3Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSéance 5 : 600 ms ± 5%
ISI séquence rapide : 570 ms ISI séquence lente : 630 msDémo“Ecoute le lapin” “Ecoute la tortue”1 séquence rapide 1 séquence lenteSérie 1Aidé10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 2Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentesSérie 3Sans aide10 séquences rapides + 10 séquences lentes(NB : les séquences étaient diffusées dans un ordre aléatoire)
Tableau  SEQ Tableau \* ARABIC 1 : Synthèse des caractéristiques du protocole expérimental en fonction des séances
Chaque séance se déroulait de la façon suivante : une démonstration suivie de 3 séries de 20 séquences (10 rapides et 10 lentes en ordre aléatoire). Durant la démonstration, l’expérimentateur disait simplement : « écoute le son du lapin (/tortue) » suivi de « donc, il faut appuyer sur le lapin (/tortue) et regarde ! ». La 1ère série, réalisée avec l’aide de l’expérimentateur, était destinée à ce que l’enfant associe la séquence rapide et le lapin, et la séquence lente et la tortue. Les 2 séries suivantes étaient réalisées sans aucune aide. La comparaison des performances entre ces 2 dernières séries permettra d’évaluer un éventuel effet de l’apprentissage ou d’ennui. Un éventuel effet d’un coté préféré pour les réponses sera quant à lui mis en évidence par une performance de 50% de bonnes réponses (les séquences rapides et lentes, en nombre équivalent, étant diffusées dans un ordre aléatoire).
Résultats
L’analyse a été basée sur le nombre de réponses correctes. Une note (allant de 0 à 20) a donc été attribuée pour chaque série, sur la base d’un point par bonne réponse.
Afin de déterminer si les réponses des enfants étaient statistiquement différentes de réponses données au hasard, les notes de tous les enfants, pour chaque essai de chaque séance, ont été comparées à la note théorique de 10/20 par un chi² (cette note de 10 correspond à des réponses données au hasard). Les autres analyses ont été des analyses de variance (ANOVA) basées sur 2 facteurs inter-individuels (âge et sexe) et 2 facteurs intra-individuels (séance et série). Le plan d’expérience était le suivant :
S x Séance5 x Série2
Adéquation du protocole
Les résultats de l’analyse par chi² ont montré que les enfants ne répondaient pas au hasard ( REF _Ref22962823 \h Tableau 2) au cours des 4 premières séances. Les réponses recueillies au cours de la dernière séance ne sont, elles, pas différentes du hasard.
Ces résultats permettent de réfuter l’hypothèse selon laquelle les enfants auraient pu répondre en fonction d’un coté préféré.
Le protocole était donc adapté aux aptitudes des enfants entre 3 et 4 ans.

SéanceSérieNombre de SujetsNote par essaiTaux de réponses correctesChi²p