L'explication de texte littéraire : un exercice à revivifier - Lettres
Chacun s'accorde à reconnaître que ce bel exercice de l'explication littéraire, ...
Devant le cadavre ? la page arrachée au livre et que l'on épingle, devenue un .....
de la littérature, un peu méprisée ces dernières années dans l'approche littéraire.
... Le texte n'est pas sans référence ; ce sera précisément la tâche de la lecture ...
part of the document
Lexplication de texte littéraire :
un exercice à revivifier.
Intervention au séminaire interacadémique sur les nouveaux programmes de lycée.
IA-IPR de Lettres / Professeurs formateurs.
Les 16 et 17 mars 2010.
Pour une discipline, la parution de nouveaux programmes, les infléchissements et objectifs rénovés quils proposent, sont une occasion précieuse de réfléchir aux exercices canoniques qui sont en usage dans les classes. Chacun saccorde à reconnaître que ce bel exercice de lexplication littéraire, tel quil se pratique aujourdhui dans beaucoup de cours de lettres, est, sinon à refonder, du moins à rénover. Cest Valère Novarina, le grand promoteur de la Parole vive au théâtre, qui a sans doute porté lestocade la plus fatale mais aussi la plus salutaire. Lisons-le une fois encore, pour prendre la mesure dun problème connu de beaucoup mais surtout pour nous efforcer de travailler à rendre caduque lactualité de ce texte et den faire bientôt, au plus vite, un document daté, un mauvais souvenir largement dépassé :
« La scène la plus comique du Malade imaginaire est celle où le jeune Thomas Diafoirus, pour la charmer, propose à sa fiancée une séance de dissection : ainsi procèdent les manuels scolaires qui présentent un fragment duvre recouvert dun compliqué appareillage : notes, notules, astérisques, encadrés, flèches pointillées, renvois, rubriques, sous-notules. Un morceau de littérature soffre à nous comme le buf en effigie chez le boucher : gîte à la noix, macreuse, tendron, contre-filet, second talon, bavette, flanchet, échine et jambonneau
Un morceau de texte est là comme un cadavre sur la page, ouvert et prêt à être décortiqué
Juste à côté, la panoplie de scalpels : adjuvants séquentiels, dislocuteur-sujet, morphème vectorisant, charmeur sensoriel, moteur de temporalisation, levier métaphorique, pinces carnatives, transvaseur potentiel, locutant, brumisateur spatiotemporel, prélocuteur second, écarteur de doute, phonorisateur de e muet, vecteur de métachronie, agent discursif, désagisseur vocalisant, excitant du circuit il-corde vocale dans la lecture subvocalisée, mobilisateur oculaire du nominateur par défaut, dénominateur causal, agent chronotrope.
205. Devant le cadavre la page arrachée au livre et que lon épingle, devenue un objet étale et fléché- livré aux Sciences de la Communication, élèves et professeurs deviennent médecins légistes. Tout le monde est rassemblé et les instruments sont prêts pour que souvre une leçon de Littérature légale.
206. Seul le cadavre sera atteint
Lutilité dune dissection est surtout de nous enseigner comme la vie nous échappe : lesprit du texte ne peut être touché par le scalpel
Lesprit du texte, cest le souffle donné par toi, lecteur : laction de ton haleine qui soulève les mots, trouve le mouvement, lémotion, rassemble les pages, les nage, redonne vie aux lettres mortes et fait du livre un seul corps dansant. Lesprit du texte, son souffle, est une réalité matérielle invisible et très concrète, qui restera à jamais hors datteinte des flèches pédagogiques. (
)
212. En ces temps de communication galopante, cest à dessein que les manuels coupent le souffle. Otent lesprit. Ils veulent faire de chacun dentre nous des écouteurs de signaux, des obéisseurs dociles, des exécuteurs à deux temps, des parleurs monosyllabiques. De parfaits sujets dressés à acheter, rire et pleurer, sindigner, senthousiasmer tous ensemble où il faut, quand il faut ; ils nous ôtent le souffle pour tenter de nous assujettir aux formules, slogans et que nous devenions des animaux bien dressés à exécuter, à brandir des mots creux : abrégés, comprimés, décharnés, compactés, formatés et vite dits, des « mots surgelés » - et que nous devenions des télégraphes à saisir au plus vite et à instantanément transmettre les signaux reçus ! Cest très-très sciemment que la chair très obscure et très impure du langage : son ombre, son sous-sol, sa mémoire, ses méandres, son esprit spiral, ses volutes, sont partout interdits et de partout chassés , et quil faut désormais parler clair en langue aseptique et écrire en déjà traduit.
213. Au lieu quil faudrait descendre de plus en plus dans le langage, dans son corps profond, dans son labyrinthe, dans sa caverne incandescente, dans son drame. Parce que, dans lintériorité du langage,- dans la profondeur de son corps, dans son passage inverse, dans son théâtre paradoxal, dans son carnaval de renversement opèrent en toi et devant toi , tagissent, les forces qui régissent le monde matériel
Aussi les hommes ne devraient-ils plus dire : « Voyons le monde et par le langage communiquons nos idées et nos impressions », mais : « Descendons dans le langage pour en savoir plus ! (
)
215. Les forces qui régissent lunivers et celles qui architecturent le langage sont identiques.
216. Cest pourquoi, le texte mort, écartelé, découpé, brisé, accablé de flèches, perclus de notes, il convient de le relire sans cesse, dy nager jusquà lunir dun souffle en le brûlant par notre respiration. La vie le souffle , il nen a pas ; il le recevra par le don de celui qui la pris dans ses mains.
217. « Brûlez les livres de votre respiration ! » Cest une leçon de physique séraphique.
Texte très jubilatoire, provocateur mais roboratif, dinspiration très rabelaisienne par ses allusions à la page célèbre du Quart-Livre sur les « paroles gelées ». Il nous lance aujourdhui un défi : comment ne pas abandonner lexplication de texte aux possibles Diafoirus ? Comment « dégeler » les pratiques et les discours ?
I. De lintérêt des apports de la nouvelle critique. Lhéritage « formaliste ».
Rien de plus contraire à la tradition et à la sérénité dune discipline que les virages à 180 degrés. Le « retour du sens » dans les cours de Lettres et la pratique de lexplication de texte, souhaité et souhaitable, ne signifie pas quil faille maintenant tourner le dos au meilleur de deux ou trois décennies de recherches universitaires qui ont, rappelons-le, beaucoup fécondé le champ épistémologique des études littéraires. Rénover lexplication de texte ne signifie pas, mécaniquement, revenir à on ne saurait quelle époque bénie du passé, forcément idéalisée par la nostalgie. A une idolâtrie formaliste, substituer maintenant, comme par un brutal retour de balancier, une idolâtrie inverse des contenus de sens, des idées ou du « message » des textes, soutenu par une approche impressionniste voire effusive des auteurs, serait tout autant dommageable. En prenant dailleurs un certain recul historique, on mesure quune tension, féconde en elle-même, a toujours prévalu dans les réflexions sur lenseignement des lettres et notamment sur lexplication de texte littéraire. Tension entre une approche plus soucieuse de « poétique » au sens rhétorique du mot, et une tradition plus sensible aux « humanités ». Concurrence, en vérité ancienne, entre deux formes de génie herméneutique, que Ricoeur appelle dun côté la « génialité romantique », assumant pleinement sa subjectivité et ses audaces interprétatives, et la « virtuosité philologique », éprise dobjectivité et soucieuse de rigueur formelle. Selon les époques, lune lemporte sur lautre, à lexcès parfois, doù la nécessité de corriger alors les dérives pour rééquilibrer les approches. Ainsi, en 1947, Marcel Cressot sinsurgeait contre une didactique de lexplication de texte peu sensible à leur forme, et fossilisée, déjà, dans des pratiques très mécaniques les réduisant souvent aux « idées » :
« Voilà trente ans quon pratique lexplication française, parfois avec talent, souvent dans la routine, avec des cadres préétablis quon garnit de trois ou quatre lieux communs, la paraphrase se chargeant du reste. Nul nignore, au surplus, quà partir de la troisième, la grammaire est éliminée avec tout ce quelle comporte au profit des « idées ». Aussi nest-il pas au baccalauréat dépreuve plus décevante que lexplication française »
Incontestablement, il y eu autrefois de très bons maîtres ; il y en eu aussi de moins bons
Et il y eu autrefois des explications de texte, adeptes du catalogue des idées, qui nexpliquaient rien du tout ! En 1899, Antoine Albalat déplorait de son côté les fadeurs dun cours de littérature et les platitudes des usages explicatifs de son temps, à luvre par exemple dans le commentaire dune fable de La Fontaine, « Lhirondelle et les petits oiseaux » :
« Le plan est bien suivi. Le poète nous met lhirondelle sous les yeux
Cette incidente est dun effet charmant
Les expressions sont pleines de délicatesse. Cette comparaison est pleine dà-propos. »
Incontestablement, lancienne critique (prompte à refermer la liberté du jeu herméneutique) et par conséquent les anciennes pratiques de lexplication qui lui étaient liées, souffraient souvent dun certain « malthusianisme interprétatif ». Ressassement dévidences, axiologie très marquée, redites souvent plate des textes, objets de relevés (déjà !), mais plutôt celui des idées (les passions chez Corneille ou Racine), ponctuellement complétés par celui des élégances de style pour pimenter lanalyse. Heureusement, Proust vint avec le Contre Sainte-Beuve, et la nouvelle critique à sa suite, qui redonna une autonomie à luvre, à sa logique propre, à sa structure interne ; qui refusa de considérer que les textes étaient subordonnés au seul vouloir dire de leur auteur et au message clair qui sen déduirait pour réévaluer la complexité de ce noyau dopacité quest le texte.
A cet égard, lapport très fécond de la « nouvelle critique », qui a battu en brèche les deux piédestaux sur lesquels reposait le commentaire de texte (lesthétisme et lhistoricisme) pour redonner primat au texte, a libéré un véritable tonus interprétatif quil sagit aujourdhui de ne pas perdre. Eloignés que nous sommes maintenant de la fameuse querelle Barthes/Picard, on peut aujourdhui sereinement relire lexcellent livre de Serge Doubrovsky, Pourquoi la nouvelle critique (sous titré A quoi sert la littérature), qui na pas pris une ride, tant il est riche méthodologiquement, en vérité très mesuré dans ses propositions épistémologiques :
« Eh quoi, pour prétendre parler de Racine aujourdhui, il ne suffirait plus de mettre la main sur le cur en criant : « que cest beau ! ». Il ne suffirait plus de connaître les règles de la tragédie au XVIIème siècle, ni de savoir avec qui Racine a couché, quand et comment. Lhistoire de la littérature ne serait plus une suite danecdotes attendrissantes ou croustillantes ; pour comprendre Racine, il faudrait pouvoir confronter toute une conception de lhomme, la nôtre, avec toute une conception de lhomme, la sienne. »
Contre lidée que lon a parfois des excès formalistes de la « nouvelle critique », bien des pages suggestives de son ouvrage confirmeraient quune certaine approche humaniste nétait pas absente des démarches herméneutiques alors envisagées :
« En soulignant le primat de luvre, nous navons pas voulu un seul instant promouvoir le formalisme dont sinspire souvent la critique anglo-saxonne. Pour nous, le sens est bien dans la matière sensible de lobjet ; mais lobjet ne se referme point sur lui-même, de sorte que lexamen de ses structures ne renverrait à rien dautres quau miracle de son équilibre interne. Tout objet esthétique, en fait, est luvre dun projet humain . Interroger luvre et luvre seule, comme nous le disions précédemment, cest donc tenter de saisir, à travers elle, lappel dun esprit au nôtre, pour nous proposer une quête, et nous offrir, en définitive, un salut. A travers le texte écrit ou la pièce jouée, à travers la beauté des mots ou la rigueur de la construction, un homme parle de lhomme aux hommes. Lobjet esthétique, sur ce point, ne constitue quun cas particulier des relations avec autrui, un mode spécial dapparition de lAutre (
). Ou encore, si nous percevons luvre comme un ensemble de structures littéraires, cest à condition de ne pas oublier que nous saisissons, à travers elle, selon la formule de J. Starobinski, « lexpression dune conscience structurante. »
Cest donc moins la recherche universitaire elle-même qui est en cause que la traduction didactique qui en a parfois été faite. Novarina dailleurs ne sy trompe pas, qui stigmatise moins les professeurs (il en est beaucoup qui dominent encore très bien lexercice) que les manuels.
Suivons donc Antoine Compagnon qui, dans la leçon inaugurale quil donna au Collège de France (La Littérature pour quoi faire ?),nous invite à ne pas nous laisser enfermer dans une fausse alternative :
« Jai toujours résisté à ces dilemmes imposés et refusé les exclusions mutuelles qui semblaient fatales à la plupart de mes contemporains. Létude littéraire doit et peut réparer la cassure de la forme et du sens, linimitié factice de la poétique et des humanités. »
De fait, cest bien cette tension, inconfortable mais féconde, qui fait la spécificité de notre discipline. On peut dailleurs ici élargir à toute la littérature la fameuse formule de Valéry appliquée au poème : « cette hésitation prolongée entre le son et le sens ».
Deux excellents chapitres du livre de Paul Ricoeur (Du texte à laction), « quest-ce quun texte ? » et « expliquer et comprendre », sattachent à fonder philosophiquement cette exigence de synthèse. Il rappelle létat de la question et lobjectif de conciliation herméneutique quil se donne :
« Une position purement dichotomique du problème consisterait à dire quil ny a pas de rapport entre une analyse structurale du texte et une compréhension qui resterait fidèle à la tradition herméneutique romantique. Pour les analystes, partisans dune explication sans compréhension, le texte serait une machine au fonctionnement purement interne auquel il ne faudrait poser aucune question réputée psychologisante-, ni en amont du côté de lintention de lauteur, ni en aval du côté dun sens, ou dun message distinct de la forme même, cest-à-dire de lentrecroisement des codes mis en uvre par le texte. Pour les herméneutes romantiques, en revanche, lanalyse structurale procèderait dune objectivation étrangère au message du texte inséparable lui-même de lintention de son auteur ; comprendre serait établir entre lâme du lecteur et celle de lauteur une communication, voire une communion, semblable à celle qui sétablit dans un face à face.
Ainsi, dune part, au nom de lobjectivité du texte, tout rapport subjectif et intersubjectif sera éliminé par lexplication ; dautre part, au nom de la subjectivité de lapproche du message toute analyse objectivante sera déclarée étrangère à la compréhension.
A cette mutuelle exclusion, joppose la conception plus dialectique dune interpénétration entre compréhension et explication. Suivons le trajet de lune à lautre
»
En analysant finement comment la tradition de « lexplication », issue initialement des sciences de la nature, a elle-même évolué en sappuyant plus spécifiquement sur les sciences du langage, de fait moins hétérogènes à son objet et appartenant à la même sphère, Ricoeur en fait ainsi valoir les vertus herméneutiques et souligne, en sappuyant sur les travaux des structuralistes, la légitimité de leur méthode, exemples à lappui. Fort des approfondissements conceptuels venus de ce que lon nomme souvent « lesthétique de la réception », il montre en parallèle combien lart de la « compréhension » de son côté, progressivement dégagé dune psychologisation excessive et exclusive, plus proche dun art de linterprétation au sens musical du mot est à même désormais de susciter une attention à lactualisation du sens, à son appropriation fine et authentique par le sujet lecteur, soucieux de se forger, par la bibliothèque intérieure, une compréhension plus riche de soi et du monde :
« Par appropriation, jentends ceci que linterprétation dun texte sachève dans linterprétation de soi dun sujet qui désormais se comprend mieux, se comprend autrement, ou même commence de se comprendre. (
) Dun côté, la compréhension de soi passe par le détour de la compréhension des signes de culture dans lesquels le soi se documente et se forme ; de lautre, la compréhension du texte nest pas à elle-même sa fin, elle médiatise le rapport à soi dun sujet qui ne trouve pas dans le court-circuit de la réflexion immédiate le sens de sa propre vie. Ainsi faut-il dire, avec une force égale, que la réflexion nest rien sans la médiation des signes et des uvres, et que lexplication nest rien si elle ne sincorpore à titre dintermédiaire dans le procès de la compréhension de soi ; bref, dans la réflexion herméneutique ou dans lherméneutique réflexive , la constitution du soi et celle du sens sont contemporaines. »
On le voit, une didactique rénovée de lexplication de texte trouverait avantageusement dans les analyses subtiles de Paul Ricoeur des appuis théoriques solides, propres à dépasser des querelles, qui nen sont déjà plus.
II Enjeux de lexplication de texte aujourdhui.
la compréhension littérale
Sassurer authentiquement dune bonne compréhension « littérale » des textes étudiés nest pas un luxe. Peut-être arrive-t-il encore, quand les textes deviennent prétextes, que certaines pratiques passent trop vite sur ce temps (qui nest dailleurs pas chronologiquement, ni de façon systématique, forcément premier, comme un éternel préalable ennuyeux par lequel passer pour chaque texte ; je ne le distingue ici que pour les besoins de lanalyse).
De quoi parlent les textes ? La question vaut. Ainsi Vincent Jouve écrit-il qu « il ne suffit pas de constater que luvre nous parle de quelque chose, il faut savoir ce quelle nous en dit.» Sans dévaluer la fonction dite « poétique », selon les termes usuels empruntés à Jakobson, il sagit peut-être de réévaluer sérieusement, à loccasion de lexplication de texte, la fonction « référentielle » de la littérature, un peu méprisée ces dernières années dans lapproche littéraire. On en connaît certes toutes les capacités dillusion, mais elle nen demeure pas moins effective et décisive dans lélaboration du sens. Il sagit bien toujours, notamment pour les textes littéraires, selon lexpression de Paul Ricoeur, « deffectuer la référence ».
« Le texte nest pas sans référence ; ce sera précisément la tâche de la lecture en tant quinterprétation, deffectuer la référence. Du moins, dans ce sens où la référence est différée, le texte est en quelque sorte « en lair », hors du monde ou sans monde »
Mais reconstituer le monde de référence des textes ne devrait pas être un pensum. Oui, les textes parlent des hommes, du monde. Ils le pensent, à leur manière, selon un mode « littéraire » qui ne laisse pas à la seule philosophie le monopole de lactivité spéculative. Sans doute serait-il dailleurs utile de se tourner vers lun deux pour retrouver (je pense par exemple aux travaux de Jacques Bouveresse) la capacité des textes littéraires à dire sérieusement et singulièrement quelque chose de lhomme et du monde.
Expliquer, cest étymologiquement « défaire les plis » ; la compétence sollicitée est ici moins celle du prélèvement que du déploiement. Effectuer la référence ne consiste donc pas à mettre des notes en bas de page, ou son équivalent oral ; il sagit plutôt de donner aux textes du corps, du volume, de la résonnance. Ce que dit Proust des papiers japonais, dans le célèbre passage du souvenir involontaire et de la petite madeleine, pourrait servir dappui métaphorique à cette part de lexplication :
« Et comme dans ce jeu où les Japonais samusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli deau, de petits morceaux de papiers jusque-là indistincts, qui, à peine y sont-ils plongés, sétirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même
»
Cet appel à un souci de littéralité sensible nest donc pas une plaidoirie pour lintronisation de la paraphrase dans les séances dexplication de textes. Intégrée pleinement à lacte de lecture, et non réduite à un préalable obligatoire dont il faudrait formellement sacquitter, cette sollicitude pédagogique requiert soin et inventivité. Lecture à haute voix du professeur ou des élèves, en ouverture, pendant ou en fermeture de lexercice ? Proposition de questionnaire rénovés (plutôt que « Qui parle à qui ? », et si la littérature nest pas seulement auto-référencée à son propre jeu et à sa propre structure : « De quoi ça me parle ? ») ceci afin de soutenir mieux linvestissement fictionnel dun lecteur, demblée moins « savant » quimpliqué ? Prendre au sérieux ce temps de la littéralité sensible nest pas promouvoir une approche purement subjective des textes, mais un moyen de passer, en circulant entre les deux questions, du « De quoi ça me parle ? » inévitablement subjectif à un « De quoi ça parle ? » plus objectif et plus construit ; deux questions qui ne se superposent jamais complètement mais redonnent au professeur des occasions renouvelées denrichir la signification et de lajuster. Trois domaines dajustement du sens sont à garder bien présents à lesprit pour cette exploration référentielle très nécessaire. Celui dune appréciation attentive du contexte historique qui, nous le savons bien, conditionne toujours une bonne réception des uvres. Celui de la langue ; soit dans son historicité, qui donne aux mots des textes anciens un sens autre (bien évaluer par exemple la saveur du lexique cornélien, historiquement marqué et qui renvoie à son éthique de la « générosité »), soit dans son actualité, pour entrer plus subtilement dans le jeu toujours élaboré de la langue littéraire et des écarts quelle sautorise parfois. Celui de lintertextualité enfin, sans lequel nombre de textes perdent littéralement leur sens. Le monde de la référence à effectuer, quand le monde réel est oblitéré au profit du monde littéraire, imaginaire, cest donc parfois aussi celui des textes antérieurs et de la bibliothèque implicite dont la page étudiée est issue, réécrite :
« A la faveur de cette oblitération du rapport au monde, écrit encore Ricoeur, chaque texte est libre dentrer en rapport avec tous les autres qui viennent prendre la place de la réalité circonstancielle montrée par la parole vivante.
Ce rapport de texte à texte, dans leffacement du monde sur quoi on parle, engendre le quasi-monde des textes ou littérature. »
Consacrer du temps et du soin à établir de façon vivante le sens littéral dun texte se justifie donc amplement, et dabord pour des raisons stratégiques. Dans certaines classes difficiles, on ne fera peut-être guère davantage, et ce ne sera déjà pas rien. Sagissant de lexplication de texte, aussi haute soit notre ambition, nos objectifs, selon les situations, pourront être modestes, réalistes. Expliquer un texte pour le donner simplement à comprendre, littéralement, ce nest jamais perdre son temps. Après tout, Proust dit souvent, dans ces réflexions sur la lecture, quil ny a au fond pas de meilleure explication des textes littéraires que la simple lecture. La « simple » lecture, tout un art en vérité savoureux den bien « souligner » le sens, qui ne se confond pas exactement avec une sinistre paraphrase. Mais sattacher dans cet exercice à la littéralité fine des significations vaut aussi pour des raisons symboliques. Cest à force darraisonner techniquement les textes, de les faire entrer prématurément dans des cases et de les soumettre demblée au lit de Procuste de tous les tableaux énonciatifs imaginables quon a installé dans lesprit des élèves lidée que la littérature navait rien à dire, et que, ne servant à rien dautre quà évaluer sa propre maîtrise, sa fonction sociale ou humaine, était par conséquent quasi inexistante. Antoine Compagnon propose dailleurs de remplacer aujourdhui la traditionnelle question sartrienne « Quest-ce que la littérature ? » par « Que peut la littérature ? » nhésitant pas, à ce moment-là de son propos, à rappeler la fameuse déclaration de Zola quil est bon ici de redire : « La vérité est que les chefs-duvre du roman contemporain en disent beaucoup plus long sur lhomme et sur la nature que de graves outils de philosophie, dhistoire et de critique. » Dailleurs, à un moment où il est sans doute pertinent de réfléchir à lanticipation de lenseignement de la philosophie avant la classe de Terminale, il est bon de redire parallèlement combien lenseignement des Lettres conserve sa pleine capacité à faire réfléchir aussi (surtout ?) sur lhomme et le monde. Antoine Compagnon dajouter :
« Procédant de la méfiance de Wittgenstein à légard des systèmes philosophiques et des règles morales, le retour éthique à la littérature se fonde sur le refus de lidée que seule une théorie faite de propositions universelles puisse nous enseigner quelque chose de vrai sur la vie bonne. Le propre de la littérature étant lanalyse des relations toujours particulières qui joignent les croyances, les émotions, limagination et laction, elle renferme un savoir irremplaçable, circonstancié et non résumable, sur la nature humaine, un savoir des singularités. »
Pas question dinstrumentaliser la littérature pour en faire un livre de morale. Mais par lesprit de complexité dont elle est gardienne, comme la si bien montré Kundera, à travers les « études de cas » qui démultiplient lexpérience humaine et les arrêts sur image que propose tel ou tel passage, ne permet-elle pas cependant lémergence dune certaine sagesse ? « Prenez-mesure du cur dhomme ! » : linjonction du poète est aussi celle de nombre de textes. Car, faut-il le rappeler : la condition humaine nest pas sans conditions.
Telle est dailleurs le titre dun livre de Jean-Pierre Lebrun, dans lequel il sintéresse entre autre aux deux pathologies majeures de la jeunesse actuelle, quil dit être laddiction et labsence à soi-même. Labsence à soi-même, sensible notamment dans cette mise entre parenthèse du sens moral (dont Michel Terestschenko a montré quelle avait prévalu chez les Allemands qui ont participé au fonctionnement de la machine de mort nazie sans pour autant avoir adhéré au nazisme du même nom). Particulièrement inquiet du développement chez les adolescents de cette « absence à soi-même » dont, citant aussi les travaux dHannah Arendt sur la banalité du mal et sur la monstruosité mécanique consécutive à une dé-subjectivisation de lêtre, il montre quil est le ferment toujours possible dune nouvelle forme de totalitarisme à venir, il met au défi lécole de ne pas contribuer à le fabriquer :
« Sinterroger sur cette absence à soi-même devrait nous aider à comprendre comment de nouvelles tragédies, très différentes dAuschwitz mais éventuellement tout aussi destructrice, pourraient bien encore survenir aujourdhui. Nous ne sommes nullement à labri dune telle répétition car nous ne sommes pas exemptés du risque de produire des individus absents à eux-mêmes. A vrai dire, je pense que nous serions même plutôt enclins aujourdhui à les fabriquer.
Preuve sil en fallait, on est étonné de retrouver aujourdhui ce symptôme dabsence à soi-même dans les écoles, un lieu où, de prime abord, on ne sy attend pas du tout. Les enseignants témoignent souvent de ce quils sont en présence délèves qui sont là sans être vraiment là, capables dappliquer des consignes, de remplir correctement les tâches demandées, mais totalement désinvestis subjectivement. Si bien que les professeurs ont limpression dêtre face à des zombies ou à des anges
»
Si lexplication de texte ne se réduit pas à un très formel relevé des champs lexicaux, au remplissage de tableaux ou au démontage de lhorlogerie des textes sans aucun enjeu de sens, si elle ne sattache pas à engager durgence une authentique participation des intelligences, des curs et du sens moral qui ont aussi leur part dans la lecture des textes, elle sera pour ce qui la concerne en peine de relever un tel défi.
Une attention renouvelée au sens premier, littéral des textes, enrichie dinnovations didactiques qui restent encore à trouver, ne doit donc faire lobjet daucun mépris ; elle ne saurait pourtant, au risque dinfidélité à la spécificité même de notre discipline, oublier les jeux du langage, ses ruses et ses chausse-trappes. Le retour du signifié signifie-t-il pour autant la disqualification des ressorts essentiels du signifiant ?
2) la compréhension littéraire.
Entendre les textes bien sûr, mais aussi les sous-entendre. Sous bien des aspects, le texte littéraire est toujours plus ou moins allusif. Cest bien dans lexercice de lexplication de texte que se construit laccès des intelligences au « second degré », à limplicite, à lhumour
La compétence visée, cest bien de permettre aux élèves, sagissant des énoncés, dentendre ce qui se dit dans ce qui est dit, et de se convaincre, il y va de leur liberté, quil y a toujours plus à entendre dans ce qui est dit que ce que ce dire même prétend signifier. Comme le dit Novarina, descendre (ou monter !) dans le langage pour en savoir plus.
On pourrait faire de la pièce de Nathalie Sarraute, Pour un oui pour un non, une métaphore intéressante du travail en profondeur de lexplication en ce quelle a vocation à explorer le dessous des mots, leur revers surprenant, inverse parfois de leur envers. On se souvient de largument de cette petite pièce remarquable. Deux amis de trente ans (on songe à la belle interprétation dAndré Dussolier et de Jean Louis Trintignant disponible en DVD chez Arte-vidéo) se retrouvent, éprouvent comme le sentiment confus dun malaise entre eux, sans pourtant que jamais ils naient eu « des mots ». Mais ces mots, ils les ont pourtant échangés, avec une charge de violence qui a investi, dans la sous-conversation chère à Nathalie Sarraute, leurs échanges verbaux apparemment les plus ordinaires. Toute la pièce se passe à explorer ces quelques expressions de la conversation (notamment « cest bien ...ça ! ») et de ce quelles cachent en vérité. Significativement, à un moment de répit dans le combat quils se livrent, lun évoque leur passé où ils partageaient une passion commune pour la plongée. Toute explication est toujours, en écho à ce souvenir, comme une plongée dans les remous du langage, autrement dit, dans sa réversibilité, ses ambiguïtés, sa polyphonie.
Tout le postulat de lancienne critique reposait sur la foi en une univocité du dire : une uvre « veut dire » et ne fait quun avec ce quelle dit. A quoi Bernard Pingaud répond que « ce quun écrivain veut dire ne se confond jamais avec ce quil dit ». Serge Doubrovsky réfléchissant à cette question consacre quelques pages lumineuses à expliquer dans Andromaque la scène 3 de lacte V :
« Qui te la dit ?demande magnifiquement Hermione à Oreste, coupable davoir confondu ce quelle disait et ce quelle voulait dire, en réclamant la mort de Pyrrhus. Le critique peut-il être aussi naïf quOreste, sans être aussi coupable et peut-être aussi fou que lui ? Car ce quOreste découvre à son dam, et ce contre quoi vient, dentrée de jeu, buter la critique, cest tout bonnement lambiguïté fondamentale du langage. »
Impossible aujourdhui de parler de littérature et de lexpliquer sans sêtre interrogé sur le langage ; impossible de sinterroger sur le langage sans connaître, bien sûr les travaux de la linguistique mais aussi ceux de la psychanalyse. Cette science humaine a ceci de commun avec lart de lexplication de texte quelle se propose découter le signifiant, et par association ou attention à certains mots, dentendre, du coup, mieux ce qui se dit dans ce qui se dit. Si un train peut en cacher un autre, un mot aussi, et un coupable également : cest tout le dynamisme interprétatif dun Pierre Bayard, inspiré de lenquête policière mais très nourri dune solide culture psychanalytique : on rêverait dimporter son tonus herméneutique dans les explications de texte !
La lecture littéraire est donc une lecture qui ne veut pas glisser trop vite et trop uniquement sur la surface lisse du texte. Imposer silence au sens évident, cest ce quEdmond Jabès visait par un célèbre jeu de mots : « Commentaire : comment taire. Commenter ; cest faire taire un sens déjà établi, un sens figé ». Pour cela, il faut donc malmener un peu le texte, le casser, léclater (ainsi Rabelais, dans le fameux prologue de son Gargantua invite à « casser » los pour atteindre la substantifique moelle). Héritier de la discipline herméneutique issue de la tradition juive du Talmud, et fort de lidée que « le langage nest pas un miroir où le monde sensible se reflète dans une transparence idéale, où les mots disent avec exactitude les êtres et les objets », Marc-Alain Ouaknin consacre à la méthode talmudique et à ce quelle peut inspirer aux pratiques de lecture un ouvrage dense, intitulé Lire aux éclats. Selon lui, lire commence toujours par le « sacrifice » de lévidence, auquel il faut consentir ; dans la lecture littéraire, une capacité à renoncer au sens trop obvie, à procéder dune disponibilité à la « dé-signification » :
« La dé-signification consiste en leffacement particulier de tel ou tel sens du monde, dun objet ou dune personne, dé-signification jusquà la perte du sens, jusquà atteindre le degré zéro du sens pour pouvoir resignifier à partir de la problématicité ainsi posée. Le monde ne devient jamais une évidence.
La dé-signification, ici le Qorban, est la possibilité même de la vie parce que refusant le mensonge dune vérité qui simposerait comme sens absolu.
Par le Qorban comme dé-signification, sinstaure la possibilité dun « dynamisme de signification » qui est lessence même de la vie, de lexistence, devenir incessant, surpassement de soi-même, perfectibilité. Ce dynamisme ne tombe pas dans le nihilisme. Car le nihilisme pose le non-sens radical du monde. Le Qorban envisage au contraire la possibilité dune réévaluation incessante des sens du monde à partir dune situation de perte de sens.
La perte de sens nest pas la « terrible immobilité des suicidés » pour laquelle il ny a pas de retour mais un moment de crise qui fait comprendre et vivre un nouveau rapport au monde. Les choses ne sont jamais ce quelles étaient avant, à savoir simplement posées-là dans le monde. Les choses deviennent problématiques, brisées, et acquièrent de nouveaux sens, à chaque fois, à partir de cette brisure. »
Cette vivifiante réévaluation incessante du sens à partir dune situation de perte de sens permet la « lecture aux éclats », une lecture qui « égare, entraîne dans des incertitudes aux lieux et à la place de la positivité promise ou escomptée ». Elle produit alors des « éclats de lire », comme autant déclats de rire ou de sourire, tant elle créé, par lespace de jeu quelle ouvre et libère, lespace mental de lhumour et du ludique, constitutif aussi de la tradition herméneutique juive. Cest bien un dé-lire continu qui fonde un lire aux éclats.
Cette lecture qui déroute, qui dé-lire, a trouvé, dans le champ interprétatif des études littéraires, un remarquable importateur de ses possibles virtuosités, en vérité souvent profondes, en la personne de Pierre Bayard. Pratiquant une critique « décalée », familier des approches paradoxales qui ne craignent pas de réinterpréter, voire daméliorer ou voire encore de désapproprier les textes, lauteur de Comment améliorer les uvres ratées ? nhésite pas, en se permettant la construction de dispositifs herméneutiques ludiques, à faire rire et sourire, « faisant subir à la théorie littéraire le sort que réserva jadis Sterne au roman ».
La compréhension littéraire est donc bien une lecture au second degré, assumée, qui sautorise le jeu libre avec les signifiants et lécoute fine et futée des significations. Elle ne redoute pas les approches paradoxales. Elle combat lesprit de sérieux, et les dogmatismes qui vont avec. Elle sait jouer du texte, comme dune balle ou dun violon, et se jouer de lui. Elle sait en déjouer les attendus et en rejouer les contenus. Elle fait du théâtre, en somme, comme Toinette, qui est bien la meilleure réponse à Diafoirus (et à Novarina !). Dans Le malade imaginaire, cest elle en vérité le bon et le vrai médecin ; celui qui déchiffre finement cet énigmatique et pathologique texte quest Argan, dont elle diagnostique si bien les symptômes. Elle joue des mots, connaît leur valeur symbolique, enlève les coussins du mauvais confort, décale le mal (le poumon !), met à table. Toinette, bon modèle de lexplication de texte ? A creuser
Car lire cest guérir, tel est aussi le sous titre dun autre ouvrage de Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie. Sil est vrai que la névrose est toujours enfermement dans un scénario qui se répète, il sagit toujours douvrir une brèche, en ouvrant une histoire. Un peu de jeu et dhumour et de tonus interprétatif dans les explications de texte y contribuerait avantageusement:
« On pourrait résumer lentreprise de la bibliothérapie par la formule suivante : il sagit de transformer le destin en Histoire. Lhomme destiné est le point de départ pour la désubjectivisation, la déresponsabilisation et la déshumanisation. La bibliothérapie cherche, par la lecture, le commentaire et la traduction, essentiellement à permettre à lhomme déchapper à un enfermement du destin. »
3) « Dé-lire », mais pas délirer
Si on admet, avec Pierre Bayard « lidée que lécrivain nest pas au courant de tout ce qui se produit dans ses livres et que, dans lunivers littéraire comme dans le monde réel, on ne nous dit pas tout », le champ interprétatif reste largement ouvert, et pour longtemps.
On voit pourtant le risque. Peut-on tout dire des textes, tout et nimporte quoi ? Umberto Ecco a réfléchi sur ce risque permanent de manquer laltérité véritable du texte, par lexcès mal contenu dune interprétation pouvant aller jusquà la dissipation de luvre originelle, devenue le miroir servile de lego du commentateur. Si la lettre du texte na pas dimportance et que seul compte le désir du lecteur, nul besoin dun texte pour explorer « les possibilités de message que le hasard et la nature mettent à notre disposition » !
Lherméneutique exige une forme de discipline, pour ne jamais devenir ni une gnose ésotérique réservée aux seuls initiés patentés, ni une occasion de sortir de lécoute rigoureuse des textes, pour leur substituer on ne saurait quelle glose échevelée qui les réduirait finalement à des prétextes. Tenons le paradoxe : si un texte dit toujours plus que ce quil prétend dire, un texte ne dit jamais rien dautre que ce quil dit. Il y va de la crédibilité que nous accordons, in fine, au signifiant. Deux courts récits peuvent à cet égard servir de modèle épistémologique pour lexplication littéraire. Le motif dans le tapis de James dabord. Tout texte, par son tissage complexe, est bien un tapis dont il faut chercher le motif secret. Son dessin ne saute pas immédiatement aux yeux et requiert une vigilance de lintelligence, que Claudel, par une étymologie fantaisiste mais suggestive (intus-legere), définissait comme lart de lire au-dedans, entre les lignes. Entendre finement ce qui se dit dans ce qui est dit, ne pas être dupe de la lettre et avoir un peu desprit ! Mais, les psychanalystes le savent bien, il suffit finalement pour cela de ne rien faire quécouter ce qui est dit, ostensiblement. Ne pas chercher lesprit ailleurs que dans la lettre, qui le manifeste toujours. Cest alors La lettre volée de Poe qui nous apprend à ne pas manquer le signifiant en évidence sur la cheminée, quand tous lont cherché soigneusement dissimulé. Ainsi de la célèbre lettre damour n°48 que Valmont écrit sur le dos de sa maîtresse à la Présidente ; un sommet rhétorique de sous entendus et dimplicites. Qui est de cette lettre le bon lecteur ? Sans doute pas la présidente, qui va recevoir cette déclaration enflammée trop naïvement, au « premier degré » dirions-nous. Davantage, Emilie, sur le dos de laquelle est rédigée la missive, figure du lecteur plus avisé, complice de la manigance, capable de prendre plaisir à décrypter les paroles à double entrée. Mais lira bien qui lira le dernier
Une autre lectrice, dans lombre, qui doit lire et poster cette lettre, vient troubler le jeu énonciatif et sa réception complexe. La Merteuil ne fera curieusement jamais allusion à cette prouesse épistolaire pourtant propre à lui plaire. Nentend-elle pas déjà, dans les zones profondes du désir de Valmont, la naissance dun sentiment qui lui échappe. Ne craint-elle pas ce quelle lit, car « ce qui est écrit est écrit » ? Au-delà de ce que Valmont, encore tout à son libertinage, en perçoit, au cur même du jeu rhétorique, ne peut-on pas lire, déjà, un authentique sentiment amoureux qui, en lui, cherche sa voie, sa voix ? Aussi, le « troisième degré » revient ici, en vérité, à requalifier le premier
Bien entendre les textes ne signifie donc pas autre chose que dentendre exactement ce quils disent, à la lettre. Cest sans doute le sens profond de la fameuse phrase de Rimbaud à qui lon demandait des comptes sur la signification de ses poèmes : « cela veut dire ce que ça veut dire, littéralement et dans tous les sens ».
Conséquence pratique pour lexplication de texte. Sil est légitime douvrir largement le champ interprétatif, voire de soumettre les textes à des modèles dinterprétation qui lui sont extérieurs (linguistiques, historiques, génétiques, sociologiques, psychanalytique, jusquà la dernière pratique de Pierre Bayard qui tente la « critique de désappropriation » pour relire, par exemple, LEtranger de
Kafka), il importe de contrôler cette traque dynamique du sens, pour réduire le risque de la surinterprétation.
Cétait déjà le souci de Michel Charles dans la méthode explicative rigoureuse quil proposait. Il distingue quatre étapes dans la progression de lexplication. La première consiste à construire une première cohérence interprétative du texte (à dominante culturelle). Un deuxième temps sattache à repérer les objets dont elle ne rend pas compte. Doù la nécessité dun troisième moment où sélabore une nouvelle construction interprétative, laquelle, dernier temps, est toujours soumise à vérification. La rigueur de cette ultime contrôle va même jusquà lexigence dun sceau interprétatif ultime, « lintégration dun dernier élément non examiné auparavant », susceptible dauthentifier in fine linterprétation. A sa suite, dans la réflexion quil conduit sur la lecture littéraire, Vincent Jouve consacre également tout un développement à lart de « contrôler le sens », en sattachant notamment aux vertus de la cohérence.
Cest donc bien la nature complexe du texte littéraire («intransitif et intransitoire » disait Valéry) qui rend toujours complexe et inconfortable, instable, mais vital lacte interprétatif. Tandis que la communication et lunivers médiatico-politique croient aux « messages » que des énoncés efficaces diffuseraient, la littérature échappe à cette instrumentalisation du langage. De la poule ou de luf, comme de la lettre ou de lesprit, qui peut revendiquer la préséance ?
III Trois modestes propositions pour revitaliser lexercice.
Reste maintenant à ouvrir un chantier nouveau pour traduire de façon pratique, dans les classes, ces principes épistémologiques et leur donner quelques prolongements didactiques. Nous ne partons pas de rien et pouvons avancer par inflexions des pratiques des professeurs (dont certaines, il faut le redire, restent de grandes qualités) plutôt que par révolution radicale de leurs habitudes.
Je propose trois leviers possibles, trois points dattention qui libéreraient peut-être le dynamisme interprétatif souhaité et aiderait à la revivification dun exercice parfois fossilisé.
1) Procéder de la singularité du texte.
Ce que nous déplorons souvent dans les mauvaises pratiques, cest le placage mécanique de questionnaires, de tableaux, ou de protocoles de lecture inappropriés ; un triste cadastrage des textes, qui procède à leur arraisonnement technique ; un professeur note par exemple au tableau, en début de cours : « séquence 4 : le biographique. Séance 3 : support (sic): Chateaubriand » ; ainsi présentée, lexplication qui va suivre na demblée plus toutes ses chances
Faisons valoir cette idée : le mode dexplication du texte procède du texte. Il y a dailleurs souvent dans les textes, à condition dy être attentif, un élément qui suscite une certaine manière de les aborder. Une disposition du texte lui-même à soffrir à telle approche critique plutôt quà telle autre.
Pour filer la métaphore médicale inaugurée par Novarina, à chaque texte sa pharmacopée ! Avec une préférence pour une approche plus organique, souple, capable dépouser les lignes vives du texte plutôt quune approche mécaniste qui en écorche les muscles et les artères.
Cest ici quil faudrait retrouver la notion de genre, mais aussi la singularité des écritures. Une compréhension plus spécifiquement littérale pourra ainsi dominer dans un texte didées (et encore, pas tous !). Une « interprétation » de Montesquieu, au sens herméneutique du mot, pourra être vaine. Plus on simprègne simplement de la minutie lumineuse dune de ses pages, plus on en savoure le sens et la clarté argumentative, sans ombres. Il nen sera peut-être pas exactement de même avec une page de Voltaire, plus volontiers duplice, faut-il le rappeler ? Dans ce même ordre didée, on nexplique bien sûr pas un extrait de roman comme un poème, ni un poème comme une scène de théâtre (à quand une interprétation véritablement dramaturgique du texte théâtral !). Est-il toujours pertinent, par exemple, détablir mécaniquement le plan dun texte. Certains nen ont pas, qui ont un plutôt mouvement, ou même pas.
Sous leffet des concours, on a pris en outre lhabitude de calibrer les passages pour lexplication elle même (20 à 30 lignes). La mécanique ne commence t-elle pas là ? Que chaque explication fonde plus judicieusement son propre terrain. Plusieurs pages au théâtre parfois, tandis que quelques vers, quelques lignes seulement de René Char dans Fureur et Mystère ou Feuillets dHypnos peuvent suffire. Cest même une réelle compétence de lecture à développer que daccommoder lexplication à la longueur et à la nature du texte proposé. Relisons la belle leçon inaugurale au Collège de France du grand shakespearien Michael Edwards, consacrée entièrement au seul vers dHamlet « to be au not to be », pour nous convaincre que le commentateur qui a vraiment quelque chose à dire nest pas en peine de le faire à partir dune si petite mesure.
Contre la raideur des lectures plaquées, retrouver donc la souplesse dune authentique disponibilité au texte et dune attention à sa singularité. Les textes, on loublierait, ne sont pas écrits pour lexplication, mais bien lexplication au service des textes. En son temps déjà, Péguy invitait à sortir dune époque qui « ne se servait plus des textes pour éduquer, mais qui éduquait pour expliquer les textes »
Cest sans doute le sens du sous-titre très poétique de Lire aux éclats de Marc-Alain Ouaknin : « Eloge de la caresse ». Dans le monde de la communication, on se « saisit » peut-être dun certain nombre de messages, peut-être jamais vraiment dun texte littéraire. Un texte nest pas un objet (même quand il est « objet détude ») ; plutôt, selon Ouaknin, un anti-objet :
« Lobjet est de lordre de la prise, du prendre et du comprendre. Lanti-objet existe dans lévénement qui consiste à ouvrir la main, à se dessaisir : caresse.
La lecture littéraire, par distinction avec dautres lectures, notamment la lecture philosophique, si elle veut atteindre son but, consiste bien souvent à abdiquer le cogito souverain. Se disposer à recevoir donc, plutôt quà prendre. Une certaine féminité de la posture, qui ne serait pas étrangère à certains accents que Proust donne à sa méditation sur la lecture, est ici requise. Lire, ce nest pas seulement développer la maîtrise dune compétence, mais aussi se disposer à recevoir la grâce dun don. Le professeur expliquera dautant mieux les textes quil consentira lui-même à cette recherche authentique du sens, à cette écoute intérieure des textes sur lesquels on ne plaque pas a priori des schémas interprétatifs tout faits et interchangeables. Cest à cette condition (sexposer vraiment au texte) quil transmettra à ces élèves, par lexemple silencieux de son propre rapport à la littérature, la possibilité de trouver en elle des parts jusque-là inexplorées du moi. Cest ce que Ricoeur dit aussi :
« Contrairement à la tradition du cogito et à la prétention du sujet de se connaître lui-même par intuition immédiate, il faut dire que nous nous comprenons par le grand détour des signes dhumanité déposés dans les uvres de culture. (
). Dès lors, comprendre, cest se comprendre devant le texte. Non point imposer au texte sa propre capacité finie de comprendre mais sexposer au texte et recevoir de lui un soi plus vaste. »
Cest ce que montre si bien la toile de Rembrandt où il peint sa mère lisant la Bible. En vérité, il y peint la lecture ; une certaine capacité de lecture, attentive, intérieure, souple. Ouvert comme des portes à deux battants, sans arrêtes vives à aucune de ses pages, le livre soffre à elle généreusement. En réponse, le visage en retrait, les yeux baissés, et derrière la main qui lentraîne : tout le corps légèrement avancé, comme pour dire quon lit avec tout son être. Elle ne lit pas avec sa tête, elle lit comme un aveugle du braille. La main, belle main de vieille femme, burinée par lâge et les vicissitudes de la vie, est bien lorgane de la lecture. Comme pour matérialiser lécoute, elle caresse la page, ne tient pas même le livre. La toile équivalente de lélève Gérard Dou, peinte dans le même atelier sur le même sujet, est presque meilleure, « photographiquement ». Elle nen dit cependant pas tant sur la lecture, quelle nenvisage que de façon bien extérieure et anecdotique.
Rembrandt, Portrait de la prophétesse Anne lisant la Bible, 1631, Rijksmuseum, Amsterdam
Gerard Dou, Vieille femme lisant la bible, 1630, Rijksmuseum, Amsterdam
2) Le détail. Pour une histoire rapprochée de la littérature.
Comparé à dautres exercices de notre discipline et dautres modes de lecture, qui développent la vue densemble ou la hauteur de vue, cest tout lintérêt de lexplication de texte daccorder du crédit à la vision de près des textes ; de permettre une scrutation du petit, seul capable, dans une évaluation rapprochée et attentive du jeu du signifiant, douvrir pour linterprétation des chemins de traverse, des biais nouveaux, de risquer des rapprochements parfois incongrus mais suggestifs. Lexplication de texte suppose comme un credo : il faut croire à la vérité de limperceptible. Stendhal serait à cet égard lauteur emblématique, lui qui se plaît à si souvent dissimuler dans le petit détail, qui risque de passer inaperçu, lessentiel du sens.
Lexplication de texte perd son relief et sera moins incisive si elle procède trop du « balayage » des textes, sur lesquels elle glissera au risque du superficiel et de linterchangeable. Toute explication relèvera toujours de la microlecture, ces « lectures du petit », « petites lectures », sur lesquelles Jean-Pierre Richard a écrit des pages lumineuses :
« La lecture ny est plus de lordre dun parcours, ni dun survol : elle relève plutôt dune insistance, dune lenteur, dun vu de myopie. Elle fait confiance au détail, au grain du texte. Elle restreint lespace de son sol, ou comme on dit en tauromachie, de son terrain. »
Myopie en vérité vigilante et clairvoyante, en quête dun petit quelque chose à saisir, « dans le tramé le plus étroit et le plus menu de lexistence textuelle, dans lextrême détail qui la constitue, justement, comme texture »
Proust nous a montré, avec le fameux « petit pan de mur jaune » de La vue de Delft de Vermeer, combien la vérité dune uvre dart doit parfois à la singularité mystérieuse de lun de ses détails, jusquà devenir la clé interprétative et sensible de luvre. A cet égard, dans les réflexions récentes sur la lecture de limage, deux propositions pourraient mutatis mutandis nous inspirer. Elles pourraient fournir, au prix dun petit détour épistémologique, deux exemples méthodologiques à importer dans nos pratiques littéraires. Pensons tout dabord au passionnant travail de Daniel Arasse intitulé Le détail Pour une histoire rapprochée de la peinture. Lenjeu pour lui est assez proche du nôtre : réveiller, par une attention accrue au détail problématique des toiles, certains usages très académiques de lhistoire de la peinture, dont il regrette le déficit interprétatif au seul bénéfice dune histoire faite exclusivement « de classifications et de nomenclatures de cimetières, un monument construit aux morts. »
« Dans le tableau, quelque chose fait signe, appelle celui qui regarde à sapprocher, et suscite le désir de détailler lintimité de la peinture. (
)
Cette expérience est au cur de ce livre, nourri de ces « surprises » que suscitaient tels ou tels détails, vus inopinément ou progressivement découverts. Les étonnements éprouvés étaient dautant plus forts que le détail se manifestait alors comme un écart ou une résistance par rapport à lensemble du tableau ; il semblait avoir pour fonction de transmettre une information parcellaire, différente du message global de luvre ou indifférente à celui-ci. Et le plaisir pris dans ce rapport à la « beauté du détail » méritait que lhistorien le prît en considération. Très différent du regard lancé de loin, celui qui est posé de près, celui qui, selon Klee « broute » la surface, fait affleurer le sentiment dune intimité, quil sagisse de celle du tableau, du peintre ou de lacte même de la peinture. »
Cette disponibilité à la singularité du détail était déjà en partie au cur de la proposition de Roland Barthes dans La chambre claire - Note sur la photographie, de distinguer dans lintérêt porté à une photographie la « co-présence » de deux éléments :
« Le premier, visiblement, est une étendue, il a lextension dun champ, que je perçois assez familièrement en fonction de mon savoir, de ma culture ; ce champ peut être plus ou moins stylisé, plus ou moins réussi, selon lart ou la chance du photographe, mais il renvoie toujours à une information classique : linsurrection, le Nicaragua, et tous les signes de lun et de lautre : des combattants pauvres, en civil, des rues en ruines, des morts, des douleurs, le soleil et les lourds yeux indiens. Des milliers de photos sont faites de ce champ, et pour ces photos je puis, certes, éprouver une sorte dintérêt général, parfois ému, mais dont lémotion passe par le relais raisonnable dune culture morale et politique. Ce que jéprouve pour ces photos relève dun affect moyen, presque dun dressage. Je ne voyais pas, en français, de mot qui exprimât simplement cette sorte dintérêt humain ; mais en latin, ce mot, je crois, existe : cest le studium, qui ne veut pas dire, du moins tout de suite, « létude », mais lapplication à une chose, le goût pour quelquun, une sorte dinvestissement général, empressé certes, mais sans acuité particulière. Cest par le studium que je mintéresse à beaucoup de photographies, soit que je les reçoive comme témoignages politiques, soit que je les goûte comme de bons tableaux historiques ; car cest culturellement (cette connotation est présente dans le studium) que je participe aux figures, aux mines, aux gestes, aux décors, aux actions.
Le second élément vient casser (ou scander) le studium. Cette fois, ce nest pas moi qui vais le chercher (comme jinvestis de ma conscience souveraine le champ du studium), cest lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer. Un mot existe en latin pour désigner cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument pointu ; ce mot mirait dautant mieux quil renvoie aussi à lidée de ponctuation et que les photos dont je parle sont en effet comme ponctuées, parfois même mouchetées, de ces points sensibles : précisément, ces marques, ces blessures sont des points. Ce second élément qui vient déranger le studium, je lappellerai donc punctum ; car punctum, cest aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure et aussi coup de dés. Le punctum dune photo, cest ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne).
Dans les photos mais aussi dans les textes, un détail peut donc passer, « comme un ange passe » dit Barthes. Ce petit rien (un mot, une phrase ?) fait tilt, et ouvre alors toutes les expansions imaginaires possibles. Puissent les textes proposés aux élèves, par la richesse de leurs détails ou de leur écriture, provoquer ce « petit ébranlement » du punctum, qui interdit les explications plaquées, toute faites : « Ce que jajoute à la photo, et qui y est déjà » dit Barthes.
Cest par le détail, son grain, sa résistance que lon peut réveiller une lecture moins plate et plus problématique des textes. Sans forcément écorcher les textes pour en déduire à la façon de Diafoirus des nomenclatures insensées, pratiquer lincise dans le tissu musculaire de la page. Dans chaque texte, il faudrait ainsi trouver le scrupule, au sens presque étymologique, ce « petit caillou » dans la chaussure, qui empêchera que les lieux communs du sens marchent trop bien ; comme une petite gêne précieuse, qui fera boiter un peu les discours tout faits. Comme un « noyau dolive » encore, selon la métaphore dErri de Luca :
« Retenir en bouche un acompte de mots durs, un noyau dolive à retourner dans ma bouche. »
La vertu du détail, cest précisément dintroduire une faille dans le texte, un « dysfonctionnement », dira Michel Charles, « condition nécessaire de la dynamique du texte, laccident qui permet de passer dun équilibre à un autre. » . Ce qui rejoint en partie « les lieux dincertitudes » dun texte, selon les termes de lesthétique de la réception, repris par Vincent Jouve :
« Des unités de sens qui suscitent la perplexité de lensemble des lecteurs parce quelles constituent des infractions au principe de cohérence et de non-contradiction qui régissent le sens global. »
Le détail est en un sens un petit détonateur efficace de la « lecture aux éclats », prônée par Ouaknin, qui selon lui « égare, entraîne dans des incertitudes aux lieux et à la place de la positivité promise ou escomptée. Il ajoute :
« Le texte ne sera plus abordé dans sa linéarité mais dans sa spatialité, son volume. Ou peut-être doit-on dire que léclatement est ce qui va permettre le passage du texte-ligne au texte volume. »
Peut-on imaginer, dans cet amour du détail , une authentique explication littéraire qui ne sarrête pas un peu longuement sur telle phrase du texte, qui ne rêve pas, au sens bachelardien du mot, sur telle notation apparemment anodine. Cest ce que Vincent Jouve propose comme exemple convaincant quand il se livre à un long examen du verbe graisser, dans la phrase : « Pendant six mois, à quinze ans, Emma se graissa donc les mains à cette poussière des vieux cabinets de lecture ». Lépaisseur dun mot ouvre toujours des perspectives :
« Les mots je limagine souvent - sont de petites maisons, avec cave et grenier. Le sens commun séjourne au rez-de-chaussée, toujours prêt au « commerce extérieur », de plain-pied avec autrui, ce passant qui nest jamais un rêveur. Monter lescalier dans la maison du mot cest, de degré en degré, abstraire. Descendre à la cave, cest rêver, cest se perdre dans les lointains couloirs dune étymologie incertaine, cest chercher dans les mots des trésors introuvables. Monter et descendre, dans les mots mêmes, cest la vie du poète. Monter trop haut, descendre trop bas est permis au poète qui joint le terrestre à laérien. Seul le philosophe sera-t-il condamné par ses pairs à vivre toujours au rez-de-chaussée ? »
Sil est une compétence que les pratiques actuelles de lexplication de texte développent largement, du collège au lycée, cest bien celle du relevé. Tâchons cependant quune vigilance interprétative nouvelle oriente cet art du relevé vers celui du détail signifiant, du détail résistant. Plaidons moins des prélèvements dorganes textuels, à la Thomas Diafoirus, que pour des prélèvements dindices, à la Pierre Bayard, capables de rejouer linterprétation et de montrer que le criminel nest pas toujours celui quon croit.
Pour un lecteur « impliqué » autant que savant.
Trois points dattention possibles, pour une meilleure implication des lecteurs dans lexercice.
Le choix des textes. Un soin à retrouver.
Si nous avons à transmettre un patrimoine littéraire parce que nous reconnaissons de la valeur aux grands textes de la tradition, prenons garde aux effets délétères dune patrimonialisation excessive, très bien analysés par Marcel Gauchet dans Conditions de léducation. Dans un chapitre intitulé « des savoirs privés de sens », il montre comment le souci légitime du patrimoine peut aussi entretenir chez les élèves une relation totalement extérieure à ce quil lise. En outre, les usages scolaires réduisent souvent la littérature aux « éternels même textes », imbattables au hit-parade des listes de baccalauréat (en dehors desquels les professeurs dailleurs hésitent trop à interroger, quand précisément certaines listes souvrent plus largement). Il y a, dans laddition mécanique des incontournables « passages » canoniques et de leur explication académique, un possible syndrome Bouvard et Pécuchet et une fossilisation redoutable de lexercice. « Pourquoi le choix de tel auteur, de telle uvre, de tel texte ? » demandera linspecteur sans arrière-pensée. « Parce que cest au programme
» répondra le professeur sans conviction. Réponse institutionnellement inattaquable, mais tellement triste
Le choix des textes expliqués gagnerait à être davantage le produit dun véritable désir du professeur (son propre désir de lire), non dune habitude ou dun usage, la plupart du temps désinvestis durgence et denjeux authentiques. A moins que les professeurs ne sautorisent pas à cet engagement-là : charge à nous de lever alors cette dommageable auto-censure. Dans sa conférence douverture du séminaire de Villeurbanne consacré en 2009 à lenseignement du Théâtre, Olivier Py nous interpelle par cet incipit retentissant :
« Ny a-t-il pas en vous, comme en moi, ce sentiment que rien nest plus noble, rien nest plus nécessaire et substantiel que de parler à la génération qui vient. »
Sans actualisation démagogique, ayons à cur en effet de choisir, dans un large patrimoine qui nen manque pas, des textes qui parlent aux élèves, sans quoi, « ça ne leur dira rien », à tous les sens de lexpression.
Sans tomber dans leffusion admirative ni prendre trop à la lettre la formule de Dostoïevski pour qui « la beauté sauvera le monde », ayons soin aussi de partager avec eux de beaux textes (on a presque limpression de dire un gros mot en disant cela !) et ne pas interdire ni refouler systématiquement ladmiration dans létude littéraire. Car ladmiration, voire lémotion constituent aussi des ressorts herméneutiques. Contre la morosité ambiante et le désenchantement, noublions pas aussi les textes lumineux, les textes drôles, ceux qui savent quil y a tout dans le cur de lhomme : le pire bien sûr ; mais aussi le meilleur. Un peu de Stendhal, et pas seulement du Maupassant !
Limplication du professeur
Comment espérer une meilleure implication des élèves si limplication du professeur fait défaut ? Sil est absent du commentaire, producteur dune parole quil nhabite pas ? Que sagit-il in fine de transmettre ? Une liste de textes dûment expliqués et dûment consignés sur la sacro-sainte liste du baccalauréat ou un désir interprétatif authentique, un parcours interrogatif et peut-être une quête de vérité dont les textes sont aussi le lieu et loccasion. Un professeur de lettres ne peut guère tenir longtemps la position de ceux que Proust appelle les « célibataires de lart », qui nextraient rien de leur impression sensible et limitent la relation esthétique à lérudition sans engager lhumain. Cest de sa capacité à témoigner de la vérité de son propre désir de lire, de la qualité de son propre engagement interprétatif, ouvert et dynamique, que le professeur tirera son autorité authentique. Lexplication de texte ne peut sans doute pas aujourdhui se faire depuis une position énonciative distanciée, prétendument neutre. Cette neutralité existe-t-elle dailleurs ?
« Le commentateur, même le plus sincèrement admiratif, tout à fait désireux de seffacer, comme on dit souvent, au profit de luvre même, ne peut devenir médiation, ouverture invisible par laquelle le lecteur pourrait sans effort et en toute clarté voir luvre de X. Le commentateur, en dépit de sa modestie affichée, intervient inévitablement beaucoup plus quil ne le dit ou quil ne le croit lui-même
Dès lors, peut-être faut-il plutôt affirmer sa manière de cheminer au lieu de prétendre à lillusoire parfaite transparence du commentateur idéal. Il faut se refuser à revendiquer une invisibilité qui permettrait de découvrir luvre en vérité. »
Si, au cours des études littéraires, il y a aussi une sagesse à creuser, celle de la vie bonne, il na pas sans doute pas, en Lettres notamment, de vérité à enseigner. Il ny a donc jamais un sens vrai du texte qui serait révélé par linterprétation ; mais il y a sans conteste une interprétation vraie dun texte. Ce qui est tout autre chose.
Lexplication de texte nest jamais là pour apporter des réponses, bien énonçables sous forme de maximes, mais pour élargir une attention et creuser le désir. Proust a donné sur cet aspect de la lecture quelques lignes définitives :
« Cest là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour lauteur ils pourraient sappeler « Conclusions » et pour le lecteur « Incitations ». Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de lauteur finit, et nous voudrions quil nous donnât des réponses, quand tout ce quil peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous quen nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis datteindre. Mais par une loi singulière et dailleurs providentielle de loptique des esprits (loi qui signifie peut-être que nous ne pouvons recevoir la vérité de personne, et que nous devons la créer nous-mêmes), ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que cest au moment où ils nous ont dit tout ce quils pouvaient nous dire quils font naître en nous le sentiment quils ne nous ont rien dit. (
)
Tant que la lecture est pour nous linitiatrice dont les clés magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous naurions su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de lesprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par leffort de notre cur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous navons quà prendre la peine datteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos du corps et de lesprit. »
Limplication de lélève
Cest à elle, bien sûr, quil nous faut arriver. Que les explications de texte ne sollicitent pas seulement la tête ! Il faut y mettre loreille, et y instiller force pantagruélion. Tout un champ didactique souvre là, qui pourrait sinspirer de la réflexion de Christian Montelle, lequel part du constat bien partagé par beaucoup dune insuffisante prise en compte de loralité à lécole, et notamment dans les classes de Lettres. Il propose denrichir le dyptique cher à notre discipline du Lire-écrire par celui de lEcouter-dire, et propose quelques pistes pédagogiques intéressantes. Il faut y mettre aussi la bouche. Contre le nominalisme desséchant des taxinomies de Thomas Diafoirus, cest ici encore linvitation de Toinette, le bon médecin, à se mettre vraiment à table. A la table de la parole : celle qui remet les mots dans le corps, ou qui les lui redonne. On rêverait dexplications de textes qui laïciseraient le rituel juif de la manducation de la parole, en lui donner un équivalent sécularisé : la diction des textes à voix haute en est peut-être une forme, ou encore leur possible transposition scénique.. Même Nietzsche en appelle à la bouche, et à cet art dune lecture « ruminante » ; en final de son Avant-propos à la Généalogie de la morale, il écrit :
« Certes, il manque, pour pratiquer cette sorte de lecture, comme un art, une chose surtout que lon sest ingénié à oublier de nos jours et cest pourquoi la « lisibilité » de mes écrits requiert que du temps passe encore, une chose qui exigerait presque que lon soit une vache et, en tout cas, pas un « homme moderne » : de ruminer. »
Ruminer, butiner. Autre image, chère à Montaigne, pour dire le secret travail de la lecture authentique, qui est toujours travail de lesprit :
« Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thym ni marjolaine. Ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien : à savoir son jugement. »
Pour réussir cette implication de lecteur, pourquoi ne pas y mettre aussi du cur ? Le cur, dans la part quil peut prendre à commenter de façon sensible et vivante la littérature, nest pas forcément le lieu de la sensiblerie, il peut être aussi celui de lintelligence. Oui, il y a une intelligence du cur, quil sagit de ne pas refouler dans les classes de Lettres, ni à loccasion de lexplication de texte. Et la meilleure façon de convoquer le cur sans tomber dans leffusif, cest encore de solliciter à cette occasion le « par cur ». Que George Steiner plaide pour le « par cur », on ne sen étonnera pas :
« Apprendre par cur, cest conférer au texte ou à la musique une clarté et une force vitales durables et intimes. Le terme d « ingestion », forgé par Ben Jonson, convient parfaitement dans ce contexte. Ce que nous savons par cur devient une force active au sein de notre conscience, un « stimulateur » dans la croissance et la complexification vitale de notre identité. (
) Les questions qui sont ici en jeu sont politiques et sociales au sens le plus fort. Le fait de cultiver et dentretenir des souvenirs communs permet à une société de conserver un contact naturel avec son passé. Qui plus est, la mémorisation assure la sauvegarde du noyau de lindividualité. Ce qui est gravé dans la mémoire et donc susceptible dêtre remémoré - garantit la stabilité du moi. Les pressions exorbitantes de la politique, le détergent que constitue la conformité sociale, ne peuvent pas la faire disparaître. Dans la solitude publique ou privée, le poème remémoré, la partition jouée à lintérieur de soi, sont les gardiens qui nous permettent de nous ressouvenir (mot quelque peu archaïque, dont ma démonstration tirera parti) de ce qui résiste, de ce qui doit rester inviolé dans notre psyché. En dépit de la censure et des persécutions, une bonne part de la grande poésie russe contemporaine a été transmise de bouche à oreille et récitée intérieurement. Les indispensables réserves de protestation, de souvenirs authentiques, dironie que lon trouve chez Akhamatova, chez Mandelstam et chez Pasternak ont été préservées et publiées en silence aux éditions de la mémoire individuelle. »
Le poète Yves Bonnefoy ne dit rien dautre :
« Et plutôt que dinitier les élèves à la critique textuelle, il faut utiliser les quelques années, ce nest pas trop tôt, de lécole primaire et du secondaire à apporter des poèmes, et les faire apprendre par cur, au moins quelques uns, car cest de ce seul fait quils pourront accompagner les enfants dans leur existence à venir, prêts, en eux, à parler non à leur place mais avec eux, prêts à nourrir de leur résonances et même de leur pensée une pensée cette fois toute incarnée, une pensée du vécu les événements graves au sein desquels chaque personne un jour ou lautre sengage : ils laideront à passer avec soi et dautres êtres le nécessaire serment de fidélité à la vérité de la vie.
Et je sais bien, disant cela, que je semble exclure du lycée la considération de la littérature expérimentale, celle qui fait du jeu sur la forme et ses significations propres un des ressorts de ce qui peut être, je ne loublie nullement, un rapport sérieux à la vie. Mais non, aucun vrai poème ne souffre davoir été simplement montré. (
)
Donnons en vrac les poèmes, quils savancent dans lesprit de lécolier ou du lycéen comme une foule obscure et trébuchante, mais quon sent qui cherche en avant, et du sein de laquelle montent ici ou là les accents dune musique inconnue. »
Enfin, sans doute nest-il pas dimplication véritable dans la lecture sans y mettre la main, et la plume. Le commentaire écrit est la forme classique du Lire-écrire. Mais il en est dautres, encore timides dans nos pratiques de classes. Lexercice dinvention, avec ces contraintes, répond-il pleinement à cette ambition ? Faut-il retrouver lart du pastiche, dans lequel certains de nos grands écrivains, ont taillé leur plume ? Une page réussie « à la manière de Flaubert » vaut bien des explications savamment ordonnées.
Là encore, les recherches de Pierre Bayard ouvrent des pistes et des idées didactiques, en cela quil sautorise une double transgression, salutaire, propre à lever deux tabous. Il ne sépare pas la théorie de la fiction, et il nhésite pas à pratiquer avec humour une critique « interventionniste » :
« Un autre point commun entre ces méthodes est quelles insistent sur la mobilité du texte littéraire. « Mobilité » peut sentendre dans son sens courant, mais aussi dans sa référence à luvre de Calder, dont on sait que les créations étaient agitées par le moindre souffle dair. Limage que je me fais du texte littéraire est celle dun objet instable que la présence du lecteur, et surtout son inconscient, ne cesse danimer. Et un troisième point est que ces méthodes tendent elles-mêmes à accentuer cette mobilité en pratiquant une sorte dinterventionnisme critique. Loin de demeurer inactif devant les uvres et les auteurs, comme la plupart de mes confrères, je nhésite pas à intervenir pour leur faire subir des transformations et les rendre plus conformes à ce quils pourraient ou devraient être. »
Comment faire que lécriture, sous différentes formes, vienne authentiquement soutenir et enrichir lexplication de texte ? Nous ne partons pas de rien, mais il reste sans doute encore à imaginer.
Encourager les professeurs à mieux choisir les textes, en adaptant notamment lexplication à leur nature, à leur longueur et à leur enjeu, savoir être très attentif aux détails pour dynamiser le commentaire, avoir le souci dune meilleure implication personnelle des élèves dans la lecture et linterprétation des textes : trois perspectives dont nous pouvons espérer quelles renouvellent les pratiques de lexercice.
CONCLUSION
A Novarina qui nous met au défi de nous relever du diafoirisme des manuels, peut-être pouvons-nous répondre en regardant la belle « Leçon danatomie du Docteur Tulp » de Rembrandt. Bien davantage que Thomas Diafoirus, cette toile célèbre aurait vocation à servir demblème à lart dexpliquer les textes.
Que voyons-nous ? Dans le profond silence de la toile, la belle parole dun professeur !
Le cadavre est bien là et la main est dûment écorchée pour la leçon danatomie. A une époque où la dissection de cadavre ne se pratiquait quen terre protestante, la composition est certes un bel hommage à la science naissante et à sa démarche expérimentale. Le livre, qui cadre la toile dans son coin inférieur droit, séclaire avantageusement de la confrontation très pratique avec ce qui fait le fonctionnement bien réel dune main.
Rembrandt, La leçon danatomie du Dr. Tulp, 1632, Mauritshuis, La Haye.
Pourtant, certains élèves ne sy trompent pas, qui regardent et écoutent là où ça se joue également. Pas seulement autour de la main industrieuse du professeur, qui dun geste sûr, incise, avec la pointe du ciseau, muscles et nerfs à vifs, pour en bien souligner lordonnancement. Car, sagissant de percer le secret de la vie, une main vivante en dit plus long que la main dun cadavre. Sur le beau fond noir dune veste qui en rehausse tout le relief et le mouvement, lautre main du professeur ne sert à rien dautre quà incarner la parole, et à en prolonger lintelligence et la beauté. On disait du professeur Tulp quil était un grand maître
A linstar de cette éloquente leçon de Rembrandt, puisse lexplication de texte littéraire se faire à deux mains. Peut-être avions-nous un peu oublié limportance de la deuxième main ?
Valère Novarina, Lumières du corps, « brûler les livres », P.O.L 2006, p 111-119. (Une lecture de ce texte a été donnée par Daniel Mesguish lors des premières journées de la BnF, « Métamorphoses du livres et de la lecture à lheure du numérique », consultable sur le site : http://eduscol.education.fr/pid25134/seminaire-metamorphoses-livre-lecture.html)
Paul Ricoeur, Du texte à laction, essais dherméneutique II, Le Seuil, 1986, p.161
Marcel Cressot, Le style et ses techniques, Presses universitaires, 1947, p.231
Cité par Maurice Deleforge, La littérature apprend-elle à vivre ?, Ligel, 1966, p.53
Lexpression est de Serge Doubrovsky, Pourquoi la nouvelle critique, Denoël, 1972 (« La critique de Raymond Picard est un malthusianisme qui lutte en vain contre une explosion sémantique », p.58)
Sur lautonomie du texte, produit dun autre moi que le moi social de lécrivain, rappelons le constat bien connu de Proust : « un livre est le produit dun autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices », Contre Sainte-Beuve, Gallimard, Folio, 1954, p.130
Serge Doubrovsky, op.cit., p.13
En italiques dans le texte original
idem
Serge Doubrovski, op.cit., p.71
Antoine Compagnon, La littérature pour quoi faire ?, Leçon inaugurale au Collège de France, Fayard, 2007
Paul Valéry, « Le poème cette hésitation prolongée entre le son et le sens », Rhumbs, Tel Que II, Gallimard, Idées, 1943, p.63
Paul Ricoeur, op. cit., p.183.184
Ibid, p 170.171
Vincent Jouve, Pourquoi enseigner la littérature ?, Armand Colin, 2010
La fonction poétique du langage est, rappelons-le, définie par Jakobson comme « visée du message en tant que tel, accent mis sur le message pour son propre compte », lactivité artistique consistant à mettre en évidence « le côté palpable des signes ». Essais de linguistique générale, Minuit, 1963, p 218
Cf par exemple Michael Riffaterre, « Lillusion référentielle », in Littérature et réalité, Points Seuil, 1982 ou Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », in Poétique du récit, Points Seuil, 1977.
Paul Ricoeur, op.cit., p.157
ibid, p.157
Jacques Bouveresse, La connaissance de lécrivain, Sur la littérature, la vérité et la vie, Agone, 2008
A la question récemment posée à la responsable pédagogique dun théâtre parisien sur « quel souvenir gardez-vous de vos classes de français ? », cette redoutable réponse : « Beaucoup dheures à balayer les textes pour relever les champs lexicaux »
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Gallimard, la Pléiade, tome 1, p.47
Paul Ricoeur, op.cit., p.157
Antoine Compagnon, op.cit., p.34
ibid, p62.63
Notamment dans LArt du roman.
Saint-John Perse, Chronique, Poésie Gallimard, p.102
Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine nest pas sans condition, entretiens avec Vincent Flamand, Denoël, 2010
Michel Terestchenko, Un si fragile vernis dhumanité. Banalité du mal, banalité du bien, La Découverte, Mauss, 2005
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Gallimard, Folio-Histoire n°32, 1963
Jean-Pierre Lebrun, supra, p.43.44
Cf louvrage de notre collègue IA-IPR de lettres, Evelyne Martini, LEcole a-t-elle un cur ? Bayard, 2011
Nathalie Sarraute, Pour un oui pour un non, Gallimard, (« Tu te rappelles ces plongées, quand tu mentraînais ? » p.30)
Serge Doubrovsky, op.cit., p.53-54 (voir aussi p.57 à 63)
Pierre Bayard, en particulier : Qui a tué Roger Ackroyd ? Minuit, « double », 2008
Cité par Marc-Alain Ouaknin, Lire aux éclats, Seuil, essais, p.289
On trouvera dans lapologue de los quelques lignes décisives sur lart de lire ; il faudrait sarrêter sur chacune des attitudes du chien avec son os-texte : « Mais veistes-vous oncques chien rencontrant quelque os médulare ? Cest, comme dit Platon au Livre II de la République, la beste du monde plus philosophe. Si veu lavez, vous avez peu noter de quelle dévotion il le guette, de quel soing il le guarde, de quel ferveur il le tient, de quel prudence il lentomme, de quelle affection il le brise et de quelle diligence il le sugce. » Rabelais, uvres complètes, Seuil, lIntégrale, p 39.
Marc-Alain Ouaknin, op.cit. p.134
ibid, p.226
, ibid, p.180
Cf le livre qui lui est consacré par plusieurs de ses collègues universitaires et amis écrivains : Pour une critique décalée, autour des travaux de Pierre Bayard, éditions Cécile Defaut, 2010
Laurent Zimmermann, ibid, p. 10
Jai modestement tenté ce mode de lecture paradoxale, dans Les plus belles pages de la littérature française, Gallimard, 2007, notamment sur la lettre de madame de Sévigné qui relate la mort de Vatel, sur la dernière lettre persane ou encore sur la célèbre lettre 48 des Liaisons dangereuses
Marc-Alain Ouaknin, Bibliothérapie, lire cest guérir, Seuil, 1994
Ibid, p.361
Pierre Bayard, « Comment jai fait régresser la critique » in Pour une critique décalée, cf supra, p.24
Umberto Ecco, Luvre ouverte, Seuil, 1965
Pierre Bayard, Et si les uvres changeaient dauteur ?, Minuit, Paradoxe, 2011
Michel Charles, Introduction à létude des textes, Seuil, 1995, p.61
Vincent Jouve, op.cit.p. 194 à 198
Michael Edwards, Leçon inaugurale au collège de France, jeudi 7 décembre 2000, « sur un vers dHamlet »
Cité par Maurice Deleforge, op.cit., p.57 58
Marc Alain Ouaknin, op.cit. p.227
Cf Proust, Sur la lecture, Actes sud, 1988
A cette occasion, comment ne pas évoquer lhistoire de Louisette, rapportée par Annie Wellens dans « Lecture et écriture, un don à conquérir », La Rochelle, Histoire et culture, 2005 et repris dans La lecture ou louange des abeilles, Cerf, 2011 : « Louisette faisait partie de ceux quon appelle des « simples desprit ». Dorigine rurale, placée à lhospice de son bourg natal, elle y effectuait de petits travaux. Lhospice étant devenu le secteur psychiatrique de lactuelle maison de retraite, elle ny travaillait plus mais continuait dy résider, rendant des services, essentiellement dordre relationnel, aux employés ainsi quaux pensionnaires. Elle sortait peu, mais ne manquait pas la messe dominicale à léglise paroissiale. Après une célébration, quelques personnes vendaient les missels de la nouvelle année liturgique. La femme sapproche, tendant largent nécessaire pour obtenir un livre, mais lune des vendeuses bondit : » Ah, non, pas pour elle, elle ne sait pas lire. » La phrase assassine fige sur place la femme, déclenchant une avalanche de larmes silencieuses. Pour moi qui connaissais Louisette depuis longtemps je savais quelle ne souhaitait pas un missel pour faire comme tout le monde mais quelle aimait les livres : avant chaque Noël elle me demandait de lui en apporter un quelle me laissait choisir. Et là où elle vivait, les livres nabondaient pas dans les chambres des résidents. Jai reçu les larmes silencieuses de Louisette non comme une manifestation de dépit ou de sensiblerie, mais comme la révélation de son désir de lecture. Je crois quelle avait reçu le don de lire sans avoir jamais eu les moyens de le conquérir, alors que lenseignante en retraite qui lui refusait le missel montrait quelle avait conquis la lecture en oubliant den recevoir le don. »
Paul Ricoeur, op.cit., p. 116 117
Comment, par exemple, ne pas oublier que toute La Chartreuse de Parme est écrite autour de la mort de Sandrino, lenfant de Clélia et Fabrice, un apparent « détail » de lintrigue. Ou encore, tout le parti à tirer de la notation concernant le « lapin » dans une phrase telle que : « Julien Sorel fit bon accueil à tous, même au lapin. » Cf commentaire Le Rouge et le Noir, Balises, Nathan, p. 52
Jean-Pierre Richard, Microlectures, Seuil, 1979, p.7
ibid, p.10
Daniel Arasse, Le détail - Pour une histoire rapprochée de la peinture, Champs Flammarion, 1996
ibid, p.412
ibid, p. 7
Roland Barthes, La chambre claire, Note sur la photographie, Cahiers du cinéma, Gallimard Seuil, p. 48 et 49
Comment ne pas penser ici à la rêverie proustienne sur les Noms et celle, notamment, sur celui de Parme (« un nom compact, lisse et mauve ») et aux perspectives quelle ouvre pour lexplication du titre de Stendhal
Roland Barthes, op.cit., p.89
On se souvient de la formule de Cocteau : « La vraie beauté boîte. »
Erri de Luca, Noyau dolive, Arcades Gallimard, 2002, p.37
Michel Charles, op.cit.p.167
Vincent Jouve, op.cit.p. 191
Marc-Alain Ouaknin, op.cit.p ; 180
« Voilà bien des détails, mais parce que je les aimerais en pareille occasion » dit Madame de Sévigné.Tout professeur, à linstar de la marquise, devrait aimer les détails ; moins pour le pittoresque quils promettent, que ce quils cachent, en vérité. Cf notre commentaire de la « Lettre sur le suicide de Vatel », in les plus belles pages de la littérature française, op.cit. p. 129 à 137
Cf la rêverie proustienne sur les noms : « Le nom de Parme, (
) mapparaissant compact, lisse mauve et doux » ou encore : «
je limaginais seulement à laide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout de que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes ; » op.cit. p.388
Vincent Jouve, op.cit.p. 41,42, 43
Gaston Bachelard, La poétique de lespace, PUF, 1957, p.139
Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi, Conditions de léducation, Stock, 2008, p.69 à 88
Olivier Py, La parole comme présence à soi et au monde, conférence inaugurale du séminaire national « Enseigner le théâtre au collège et au lycée aujourdhui », Villeurbanne, 4 décembre 2009, consultable sur le site du Théâtre de lOdéon
Roger Laporte, Ecarts, sur Derrida, Fayard, 1973, p.210
Marcel Proust, Sur la lecture, Actes sud, 1988, p.32-38
Le Pantagruélion, cette herbe rabelaisienne mirifique dont on se souvient quune des vertus majeures est de déboucher les oreilles. Il y a peut-être urgence : si lon en croit le père dHamlet, et si lon médite sur les moyens du crime, il arrive quon meure par empoisonnement doreille !
Christian Montelle, La parole contre léchec scolaire, la haute langue orale, lHarmattan, 2005, p.22
« Dans la société juive médiévale, le rituel de lapprentissage de la lecture était célébré de façon explicite. Lors de la fête de Shavuot qui célèbre le jour où Moïse reçut la Torah des mains de Dieu-, on drapait dans un châle de prière le garçon qui allait être initié avant que son père le conduise au maître. Celui-ci prenait le garçon sur les genoux et lui montrait une ardoise où figurait lalphabet hébreu, un passage des Ecritures et les mots « puisse la Torah être ton occupation ». Le maître lisait chaque mot à haute vois et lenfant répétait. Ensuite, on enduisait lardoise de miel et lenfant la léchait, assimilant ainsi physiquement les mots sacrés. On inscrivait ainsi les versets bibliques sur des ufs durs épluchés et des gâteaux au miel que lenfant mangeait après les avoir lus au maître à haute voix. » Israël Abraham, cité par Alberto Manguel dans Une histoire de la lecture, Actes Sud, Babel, 1998, p.113
Olivier Py note justement lintérêt de faire dire aux élèves les textes, ce qui peut être, plus que le tableau récapitulatif à remplir, lenjeu final de lexercice : « Cela commence par la lecture à vois haute, la lecture pour les autres. Et pour certains enfants, ce sera la première fois que leur voix sélève. Je dois le dire encore, il faut que la gravité de cette phrase ne nous échappe pas car elle fonde la responsabilité de notre geste de transmission. Pour certains enfants, ce sera la première fois que leur voix s élève. Ce nest pas une métaphore. Ils sadresseront pour la première fois à un auditoire plus grand, plus universel que leur alter ego et leur famille. Ils ont déjà crié, ils ont parlé fort dans les combats, mais leur vois ne sest jamais élevée. Pour sélever, elle va commencer par sélever au-dessus delle-même, au dessus deux-mêmes, au dessus de cette identité de trois sous. Elle va présupposer un auditoire plus grand, elle commence à tutoyer luniversel, elle saventure hors du temps » op.cit ; p.6
Nietzsche, Généalogie de la morale, 10/18, p.124
Montaigne, Les Essais, Livre I, chapitre 26.
Voir à ce sujet Alain Finkielkraut, Un cur intelligent, Stock Flammarion, 2009
Evelyne Martini, op.cit.p. 60
Georges Steiner, Réelles Présences, Gallimard, 1991, p.28 29
Yves Bonnefoy, Entretien donné au Monde de lEducation, septembre 1999.
Pierre Bayard, Pour une critique décalée, op.cit.p.20
PAGE
PAGE 24