SOMMAIRE - cultures-algerie
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MINISTERE DE LENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE ABDERAHMANE MIRA BEJAIA
FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES
ECOLE DOCTORALE DE FRANÇAIS
THESE DE D O C T O R A T
Option : Sciences des textes littéraires
Pratiques décritures de femmes algériennes des années 90
Cas de Malika Mokkedem
Soutenue par :
M. BENAMARA Nasser
Directeurs de recherche :
Professeur BOUALIT Farida,
Université A/ Mira, Béjaia
Dr. CALLE-GRUBER Mireille
Université Paris 3
JUIN 2010
-SOMMAIRE-
Introduction
1
Chapitre 1 : Ecritures de femmes ou écriture féminine : Etat de la question
..23
I Ecrire au féminin et lire au masculin
1. Les écrivains et les écrivaines dans lespace social algérien
. 24
2. La posture du lecteur masculin
..26
3. Lécriture au féminin : une « contre littérature »
30
II Ecriture féminine ou écritures de femmes ?
1.Théorisation et approche universitaire de lécriture-femme et/ou écriture féminine
.37
2. Poétique de la différence sexuelle
.41
3. Le concept décriture féminine
..45
4. Des écritures de femmes algériennes
..53
Chapitre 2 : Ecritures de femmes algériennes depuis leur apparition jusquaux années quatre-vingt
..60
I Sur la critique de la littérature féminine algérienne.
1. Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne
...61
2. Lapport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie
...65
II Les romancières étrangères ayant écrit sur lAlgérie : dans la lancée du féminisme
1. Sur le féminisme
... 67
2. Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme
. 70
3. Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale
... 73
III Premiers pas.
1. Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche, du côté du roman
.77
2. Assia Djebar ou la résistance de lécriture
.79
3. A lombre dAssia Djebar
...84
IV Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles.
1. De la subversion formelle au « référentiel »
...87
2. Métissage et mixité : lexemple de Leïla Sebbar
89
Chapitre 3 : Les écritures de femmes algériennes dans le contexte des années 90 : le contexte de lurgence
93
I Un contexte de violence, une écriture de lurgence.
1. Un contexte de violence
.93
2. Une profusion de textes écrits par des femmes
..98
3. Rendre compte durgence dune situation par la littérature
101
4. Plumes conjoncturelles : témoigner dune tragédie
..106
II La dimension du tragique.
1. Une tragédie au présent
... 108
2. Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort
..111
3. Une structure tragique : le resserrement de lespace et du temps
.113
4. Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation
.119
III Lexemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem.
1. Maïssa Bey : Au commencement était la mer
...121
2. Malika Mokeddem
123
IV Ecritures confirmées : Au cur de la tragédie.
1. Assia Djebar
.129
2. Hawa Djabali
133
Chapitre 4 : Lécriture de Malika Mokeddem : une écriture de femme sur la femme
... 138
I Parcours dune écriture et écriture dun parcours.
1. Transgression par lécriture
..139
2. Pour une transgression des genres biologique et grammatical : lexemple de LInterdite
..148
3. La métaphore de la « greffe »
...150
II La fiction menée de front avec le récit autobiographique.
1. Un parcours singulier................................................................................... 157
2. La figure de laïeule ou la « scène primitive » dune uvre à caractère autobiographique
161
III Pratiques autobiographiques.
1. Sur lautobiographie
167
2. Du « féminin pluriel » au « féminin singulier »
.. 171
3. Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout
.
... 174
IV La parenthèse dune écriture de lurgence.
1. Rêves interdits et assassins
...195
2. Ecrire la tragédie à distance
..200
Chapitre 5 : Lécriture de Malika Mokeddem : une poétique au féminin singulier
.203
I Poétique du Divers et identité en devenir.
1. Pour une Poétique du divers
.204
2. Rupture avec une définition identitaire par lorigine
207
3. Lécriture dun lieu de type « rhizome »
..216
II La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de lécriture.
1. Le recours à loralité du conte ou lécriture en procès
.228
2. De la confusion entre « style oral » et « style parlé »
...230
3. Le Souffle Irrésistible Du Conte
.235
III Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.
1. Le nomadisme des mots
...261
2. Suspension narrative et Projet romanesque en suspens
...264
Conclusion
.267
Bibliographie
.276
INTRODUCTION
Introduction
La critique, dans son ensemble converge vers le fait que la littérature algérienne de langue française des années quatre vingt-dix, écrite par des hommes ou des femmes, se caractérise par une profusion de productions littéraires. Ces productions, dans leur diversité, se caractérisent par ce que Charles Bonn, dans Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner dune tragédie ? désigne par « retour du référent », « retour du réel » déjà perceptible à partir des années 80.
La littérature féminine algérienne limitée, à ses débuts, à quelques noms de pionnières, à lexemple de Djamila Debêche, des Amrouche, et de Assia Djebar, fut assez lente à émerger.
Il faudra attendre les années 80 pour constater une percée des écritures féminines. Cette production, selon Bouba Mohammedi-Tabti de luniversité dAlger, enseignant-chercheur sur les littératures contemporaines de langue française « offre un large éventail allant des écritures stéréotypées décrivaines criant leur message à des uvres beaucoup plus achevées. Parfois, en effet, les romans sont plus préoccupés dinformation, de témoignage que de réelle recherche et de création. »
La percée constatée dans les années 80 prendra de lampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence. On assistera à une véritable explosion de textes produits aussi bien par des écrivaines confirmées que par de nouvelles écrivaines qui entameront une uvre abondante en quelques années.
Notre hypothèse de recherche est quil existe un lien, dont la nature reste à démontrer entre ces écritures de femmes algériennes de langue français et le contexte tragique des années 90.
Cerner ce lien nous permettra de montrer que ces uvres peuvent constituer un objet détude en tant que paradigme ayant une caractéristique littéraire spécifique.
Les éléments qui ont autorisé cette hypothèse sont la profusion de ces productions et le contexte démergence de ces productions.
La profusion des productions de langue française de femmes algériennes
Cest en constatant que ces productions thématisaient le contexte des années quatre vingt-dix, sinscrivaient dans ce contexte, et traitaient de ce contexte que nous déduisons cette détermination dans la relation entre les uvres de femmes et le contexte tragique.
Beaucoup de critiques littéraires et journalistiques sintéressant à la production littéraire de cette période ont relevé une profusion douvrages écrits durant cette décennie, tous genres confondus, écrits par des femmes ou par des hommes, tel que le constate ou Ghania Hamadou, dans le Préambule à louvrage de Rachid Mokhtari, :
« Au plus fort de la crise, la plus terrible quait connu leur pays depuis la fin de la colonisation française, des Algériens, dont rien dans litinéraire ne laissait supposer pour les lettres, se sont mis à écrire, investissant un espace où seulement quelques auteurs avaient réussi, en dépit des fourches caudines de la censure de lEtat, à simposer. »
Dans ce sens, Rachid Mokhtari parle dune cinquantaine douvrages, écrits par des hommes ou des femmes, et ayant été publiés entre 1993 et 1997 alors que dans Noûn, Algériennes dans lécriture, Christiane Achour répertorie soixante-dix uvres de femmes publiées entre 1990 et 1998, et en ne comptabilisant, de 1947- date de la première uvre en français- à 1990, que cent vingt uvres éditées, tous genres confondus.
Abondant dans le sens que nous défendons, à savoir, lémergence de ces écritures de femmes qui ne se limite pas au seul fait de la littérature, Christiane Achour remarque que
« La place que les femmes prennent sur le devant de la scène, au début des années 90, nest, bien entendu, pas le fait de la seule littérature. Mais la littérature est présente aussi et on peut constater une manifestation de leur présence dans ces genres où elles éditaient peu. »
Cette profusion de voix féminines telle que nous la considérons dans sa dimension groupale, reste liée à contexte tragique. Ce que confirme, dans un essai consacré à ce qui est appelée la tragédie algérienne, Benjamin Stora :
« De nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans laventure de lécriture, à partir du conflit qui déchire leur pays. »
Lhistorien affirme par ailleurs, chiffre à lappui, cette profusion décritures de femmes algériennes :
« De 1992 à 1999, trente-cinq femmes algériennes ont fait paraître quarante ouvrages, en langue française, à propos des années infernales ».
Ce chiffre relatif aux ouvrages écrits par des femmes apparaît relativement élevé lorsque Benjamin Stora précise le nombre total des auteurs, hommes et femmes confondus, ayant écrit sur ces « années infernales ».
« Il existe, en tout, prés dune cinquantaine dauteurs algériens qui ont publié au moins un ouvrage sur cette séquence »
Abondant dans le même sens que notre point de départ, à propos de ce lien qui existerait entre ces écritures de femmes algériennes de langue française et le contexte tragique des années 90, Susan Ireland parle de :
« Lémergence dune série de textes écrits par des algériennes et qui ont comme sujet la situation actuelle en Algérie.»
Notons que la critique universitaire na abordé cette littérature des années quatre vingt-dix quoccasionnellement, lors de colloques à linstar de celui portant sur les « Littératures algériennes contemporaines » depuis la fin des années quatre-vingt, tenu à Toronto en 1999 avec la présence décrivains ( Abdelkader Djemaï, Malika Mokeddem, Réda Bensmaïa et Alek Baylee Toumi). Cependant un colloque, tenu dans le cadre dune convention interuniversitaire (Université dAlger/Université de Villetaneuse), sous le titre Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner dune tragédie ? » a retenu notre attention. Les actes de ce colloque, sous la direction de Charles Bonn et Farida Boualit, ont étés publiés chez LHarmattan en 1999. Louvrage questionne les relations quentretiennent les uvres de cette décennie avec leur référent historique. « La tragédie » du référent et son témoignage par le biais de lécriture est au centre des préoccupations des différentes communications.
Létat des lieux de cette littérature faite par Charles Bonn sous le titre « Paysages littéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin » fait ressortir limportance de la parole littéraire, qui « grâce peut-être à son aspect dérisoire, est probablement le seul lieu où linnommable risque dentrevoir un sens, qui permettra de vivre malgré tout. »
Ainsi, cette production littéraire, selon Charles Bonn, « ne peut ignorer la quotidienneté de lhorreur en Algérie. Plus encore : cette horreur quotidienne va nécessairement développer une écriture différente. »
La signification de cette littérature raccrochée, certes à lactualité sanglante du pays, peut sexpliquer aussi « par lévolution littéraire de lensemble de la littérature maghrébine, dans la décennie qui suit lattribution du prix Goncourt au Marocain Tahar Ben Jelloun en 1987. »
Charles Bonn avance que dans les années quatre-vingt, la période de la génération des « monstres sacrés » (Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni
) sachève puisque les auteurs nécrivent plus ou écrivent des textes différents.
La fin des années quatre-vingt entrant dans le postcolonialisme littéraire, en rupture définitive avec le mythe de lorigine, marquerait la fin relative dans la littérature maghrébine, dune écriture iconoclaste, tant sur le plan de la forme que du contenu. La primauté de la subversion formelle sur celle des thèmes nest plus de mise, à lexemple des textes circonstanciels comme FIS de la haine, ou de Lettres algériennes et de romans liés directement au contexte du jour, comme Timimoun et de La Vie à lendroit de Rachid Boudjedra.
Ainsi, « le référentiel prend le pas sur lélaboration littéraire » selon Charles Bonn, à lexemple de nouveaux écrivains comme Abdelkader Djemaï dans Un été de cendres, « une chronique mi-réelle mi romancée de la quotidienneté dAlger en période de terrorisme », où la banalité de lhorreur reste le thème majeur.
Chez les auteurs confirmés, Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et lautobiographie dune mémoire collective pour dérouler la longue procession des morts, directement nommés. Dissémination de textes doù toute fiction est à présent exclue dans Le Blanc de lAlgérie.
Selon Mireille Calle-Gruber « Lécrivain ( Assia Djebar) naura jamais collé daussi près à lactualité (fait divers, fait privé, fait politique) et cependant jamais elle naura cessé de se tenir au cur de la langue de poésie. »
Dans lintroduction au recueil détudes issu dun colloque international sur les littératures algériennes tenu à Toronto en 1999: « Algérie : nouvelles écritures », Charles Bonn, Najib Redouane et Yvette Bénayoun-Szmidt, pour donner « un sens à ces textes surgis de lhorreur et collant davantage à ce référent quà une cohérence discursive ou littéraire » parlent décritures de « résistance », un concept qui caractériserait « le surgissement depuis une vingtaine dannées décritures féminines en Algérie, ou à propos de lAlgérie ». Les femmes, concernées en premier lieu dans leur quotidien par la violence, émergent en nombre en répondant à lattente dun public qui participe de ce retour du contexte de violence. La question est posée de savoir si ces écritures féminines avaient, peut-être, « davantage vocation que des écritures masculines, à coller à lépaisseur dun vécu quotidien, trivial ou intime, que les lecteurs post-modernes recherchent davantage maintenant que la subversion formelle qui caractérisait les monstres sacrés à la virilité scripturale exacerbée des années soixante-dix. »
Ces écritures féminines sont appréhendées par groupes et constituent un objet détude en tant que paradigme avec des caractéristiques littéraires spécifiques, à lexemple de « Les voix de la résistance au féminin » regroupant trois voix féminines Assia Djebar, Maïssa Bey et Hafsa Zinaï-Koudil dans leur rapport à lactualité sanglante, ou de cet ensemble décrivaines qualifiées d « écrivaines de lautre rive », composé de Malika Mokeddem, Leïla Merouane et Latifa Benmansour, dont, « la violence du quotidien quelles décrivent repose grandement sur une occultation de la mémoire, collective ou culturelle, dans la constitution faussée dune identité nationale usurpée, essentiellement virile, doù les voix des femmes comme celle de lhistoire ou des cultures multiples de lespace algérien ont été grandement bannies » selon Charles Bonn, Najib Redouane et Yvette Bénayoun-Szmidt
Le Contexte démergence de ces productions.
Nous commencerons par affirmer, en nous fondant sur une appréhension tout à fait empirique du phénomène, que le contexte des années quatre vingt-dix a sa littérature: une littérature « connectée » principalement sur la tragédie du référent, même si une querelle sémantique persiste quant à la dénomination de cette « crise ».
Benjamin Stora nous rappelle que « les perpétuelles hésitations pour caractériser le conflit, les batailles de mots autour de cette terrible situation traduisent bien un désarroi devant le réel. »
Les termes de « guerre », « guerre civile », « événements », « terrorisme », « tragédie », « drame », « malédiction », selon les différents points de vue des protagonistes de ce conflit meurtrier, montrent les difficultés qui peuvent surgir dans la définition de ce que nous appelons « contexte de violence », le contexte sociopolitique des années quatre-vingt dix.
Farida Boualit relève que « Il ne fait aucun doute que la thèse de la tragédie sest fortement imposée sur la scène internationale », alors quil nen est pas de même du concept de crise beaucoup plus utilisé dans des «contextes spécialisés ». Le recours à cette notion de tragédie permet, selon Farida Boualit de « placer la question de la situation historique de lAlgérie sous le signe prédominant dun pathos : celui de la douleur, de la souffrancedun sujet qui en est victime. »
Lhistorien de la littérature a constaté la relation de concrescence entre cette littérature prolifique des années 90 et le contexte socio-historique de lAlgérie de cette période. Lune des raisons qui confirme cela est que cette littérature du référent sest considérablement atténuée à la fin de la décennie quatre vingt-dix qui a connu une relative diminution de la violence.
Charles Bonn note que « la barbarie qui secoue le pays ne sy est pas trompée, qui commença par choisir pour cibles les créateurs » en citant « le premier de cette longue série noire (que) fut Tahar Djaout » Il rajoutera plus loin que « malgré cet environnement parfois terrifiant, et peut-être en relation directe avec lui, la production littéraire continue et se renouvelle. Mais elle ne peut ignorer le contexte politique ou tout simplement la quotidienneté de lhorreur en Algérie».
Cependant, le point de vue que nous défendons est que ces écritures de femmes se caractérisent davantage que les écritures masculines par leur présentation du référent, par leur rapport à lactualité sanglante, à travers une représentation non pas mécaniste de la société dans luvre, mais une « création », une reproduction, et cest là que réside, à notre sens, lintérêt de ces uvres dans le processus de la production de sens.
Cest ce discours littéraire féminin, certes, marqué par un contexte tragique, nourri dun référent, celui de lAlgérie daujourdhui, celui que Domenach appelle : « le matériau ordinaire de la tragédie (
), la souffrance, le deuil, les larmes » qui nous interpelle.
La question, qui, inévitablement nous interpelle dans ce contexte de crise des années 90, a trait au choix entre une écriture répondant à lurgence dune situation exceptionnelle poussant dailleurs même des femmes à écrire sans aucune prétention littéraire, sentant la nécessité de témoigner et de dénoncer, sans le retrait nécessaire dans un acte de création, et une écriture qui met en avant la médiation esthétique par-dessus-tout. .
Farida Boualit dans La littérature algérienne des années 90 : « Témoigner dune tragédie » note dabord que « La nécessité décriture durgence a été lancée par les écrivains algériens eux-mêmes pour mettre laccent sur la concomitance des faits et de leur écriture, autrement dit lexigence est de faire coïncider dans le temps le réel et la fiction ».. Elle conclura plus loin sur cette notion « décriture durgence » pour retenir « quil se dessine une stratégie scripturaire qui plaide pour le souci de la responsabilité morale : lécriture a pour finalité de conjurer la mort en sauvant la mémoire »
Lurgence est ainsi associée à la « hâte », tel que lexplique Farida Boualit : « lécriture de lurgence draine dans sa mémoire le sème de prématurité. Lécriture serait cet acte réalisé dans un rythme dune excessive rapidité, empêchant le contrôle et donc « bâclé » ; danger dautant plus menaçant que les écrivains en sont en majorité à leur premier livre, publié sans le concours des grandes maisons dédition. »
De même, sur cette prolifération décrivaines du témoignage et de la dénonciation, durant cette décennie, Christiane Achour note que « la période de turbulences et de violences que traverse lAlgérie a eu une incidence certaine sur les productions. Celles qui étaient dans la création ont été privées du nécessaire retrait et de la solitude que requiert lacte décrire et ont été lancées dans la tourmente, par le témoignage et la dénonciation».
Aussi, toujours selon Christiane Achour, « lécriture des femmes (
) est prise dans une urgence qui ralentit son épanouissement serein et prospectif. »
Elle fera remarquer que « cette précipitation de lHistoire acculant la créatrice dos au mur à dire le sang et les flammes de sa terre a, sans doute aussi, des effets bénéfiques puisquil révèle certains talents et incite un plus grand nombre à écrire. »
Ainsi, le terme « durgence », selon Achour, réintroduit les textesautres que littéraires, alors que le terme de création les exclut.
En dautres termes, il y aurait une situation exceptionnelle, le contexte tragique des années quatre vingt-dix, qui aurait poussé des femmes à prendre la plume sans pour autant parler décrivains.
Christiane Achour précisera ce terme « durgence » de la manière suivante : « Il ne sagit pas décriture bâclée, élaborée dans la superficialité. Urgence, cest lobligation où se trouve lAlgérienne de dire et de témoigner. »
Beaucoup décrivains sinterrogent sur ce « dit » de lurgence tout en se questionnant sur la légitimité sur la « greffe » de lesthétique sur le tragique à lexemple dAssia Djebar qui continue à écrire sans que le tragique du réel, plus destructeur pour les femmes que pour les hommes ne diminue de sa verve créatrice :
« Quest-ce qui a guidé ma pulsion de continuer, si gratuitement, si inutilement, le récit des peurs, des effrois, saisis sur les lèvres de mes surs alarmées, expatriées ou en constant danger »..
La recherche dune vérité de la forme, semble être le souci premier dune écrivaine comme Assia Djebar. Il ne sagit pas de « faire du beau » par-dessus du drame, mais de mettre en avant la médiation esthétique sur tout autre « vérité ».
Pour la critique journalistique, le rôle de la littérature dans un tel contexte est, avant tout, de témoigner dune tragédie, lintrigue littéraire ne devant être quun « prétexte » pour faire passer le message.
Ainsi ,dans un article sur Des Rêves et des assassins de Malika Mokeddem, roman dédié au dramaturge algérien Abdelkader Alloula et au-delà, aux innombrables victimes du drame algérien, le journaliste algérien Hakim Sadek va jusquà refuser quun écrivain algérien reconnu puisse écrire sur autre chose que lactualité sanglante de son pays :
« Car cest bien ce drame aux dimensions de nos prodigieux espoirs dhier, que la romancière a placé au cur dune intrigue littéraire qui nen est que le prétexte. Comment sen étonner à un moment où il paraîtrait presque indécent dexiger dun écrivain digne de ce nom, quil puise ses sujets dans des sources autres que lactualité désolante dune Algérie meurtrie dans son âme et sa chair ? Que serait une littérature algérienne et quimporte ici la langue qui ne simposerait pas, dabord, le devoir de témoigner. ».
Dans ce sens, il est vrai que les thématiques développées restent liées de très près à lactualité, en prise directe avec le réel, un réel inconnu jusque là, un réel déstabilisateur. Cest en cela que ces écrits, au-delà, parfois, de leur qualité littéraire, peuvent être appréhendés en tant que documents de témoignage de leur temps et de la société qui les a impulsés.
- Plumes reconnues, Plumes émergentes, Plumes conjoncturelles.
Le regard posé sur la réalité algérienne par les femmes écrivains, dans cette production romanesque des années quatre-vingt dix, se veut lucide en inscrivant une vraisemblance suggestive, réaliste, afin de dénoncer le paroxysme de la violence en Algérie, au présent, tout en en dénonçant la déstabilisation annoncée avant le déclenchement de cette violence.
Cependant, parmi ces voix féminines, certaines nétant pas forcément destinées à une carrière littéraire, ou nayant jamais pensé à se lancer dans lécriture, ont écrit en réponse au contexte socio-historique tragique. Cest cette conjoncture de violence qui a poussé ces femmes à prendre la parole sans que la nécessité par la suite, une fois la violence atténuée, sen soit fait de nouveau sentir. Epuisement de la matière dans le cas de ces écritures de témoignage centrées sur le référent, chroniques dune Algérie déstabilisée, où la violence, à légard de la femme, objet de discours de ségrégation et dexclusion au début du conflit, est des plus atroces ?
Ces textes sont appréhendés comme objet détude en tant que paradigme ayant des caractéristiques littéraires spécifiques, à savoir une littérature répondant à lurgence du moment pour témoigner dune tragédie, à travers une réécriture du tragique, réécriture « au service », dirons nous, dun témoignage qui constitue la priorité de ces nouvelles écritures qui émergent en nombre dont nous citerons, pêle-mêle, Fériel Assima, Malika Ryane, Latifa Ben Mansour, Soumya Ammar Khodja, Salima Ghezali, Malika Boussouf, Leïla Marouane, Leïla Hammoutene, Nayla Imaksen, , Fatiah, Nina Hayet, Zineb Labidi, Ghania Hammadou.
Cette littérature de lurgence surgit dans un paysage littéraire marqué par la présence de plumes reconnues, à savoir : Assia Djebar, la « doyenne » des femmes écrivains algériennes, Yamina Mechakra, , Hawa Djabali,, Leïla Sebbar. Il est à remarquer que les femmes écrivains ayant entamé leur carrière littéraire, bien avant les années quatre-vingt dix, ne sont pas pour autant appréhendées par la critique comme écritures confirmées, à lexemple de Hafsa Zinaï Koudil, qui « rejoint » ces écritures du témoignage dans Sans Voix, alors que parmi ces écritures de témoignages souvent inégaux et éphémères qui se multiplient, des femmes écrivains de grande valeur s'affirment, à lexemple de Malika Mokeddem Maïssa Bey, et, tout en étant parfois difficilement « classables », Nina Bouraoui ou Leïla Sebbar.
- Pourquoi Malika Mokeddem ?
Une écrivaine algérienne des années quatre-vingt dix, Malika Mokeddem, qui dit « lintranquillité » qui sest manifestée très tôt chez elle, va suivre un cheminement particulier, bercée par loralité de sa grand-mère, une nomade sédentarisée, et structurée, par les livres, jusquà la rébellion, la fuite, lexercice de la médecine en France, puis lécriture. Elle sera vite rattrapée par la tragédie algérienne. Elle naura que les mots pour résister :
« Je noircis des pages de cahier, dune écriture rageuse. Sans ces salves de mots, la violence du pays, le désespoir de la séparation mauraient explosée, pulvérisée(
) Je fais partie de ceux qui, cloués à une page ou un écran, répondent par des diatribes au délabrement de la vie, aux folies des couteaux, aux transes des kalachnikovs(
) Certes, jai toujours eu des cahiers près du lit pour noter les mots qui, après des heures passées à se dérober, à résister, surgissent impromptus dans linsomnie. »
Dans ces écritures de femmes algériennes, la perte de sens devant lhorreur et par lhorreur, provoque, paradoxalement, chez certaines écrivaines, lespoir dune littérature, dun art, dune esthétique de résistance, seuls alternatifs à la violence, à lexemple de Malika Mokeddem .
En effet, le risque de tomber dans la banalisation de lhorreur est grand sans création littéraire véritable, sans médiation symbolique nécessitant retrait, distance, et solitude. La postface de Dib à Qui se souvient de la mer? est là pour nous le rappeler.
« Comment faire afin que tout ce quil y a à dire puisse être encore entendu et ne soit pas absorbé par cette immense nuée démoniaque qui plane au dessus du monde depuis tant dannées, ne se dissolve pas dans lenfer de banalité dont lhorreur a su sentourer et nous entourer ? ».
Il est indéniable quune partie de luvre de Malika Mokeddem sinscrit dans cette problématique dune écriture de lurgence dans le contexte des années quatre-vingt dix, principalement dans deux de ses romans : LInterdite et Des Rêves et des assassins, parus respectivement en 1993 et en 1995, et à un degré moindre dans La nuit de la lézarde un texte qui se veut « serein », qui se démarque du texte contestataire, un texte où la violence persiste, mais à travers « le souffle dune tragédie qui se joue loin de leur désert ».
Dans cette deuxième phase de son parcours décriture, Malika Mokeddem sengage à dire la violence de lAlgérie postcoloniale et dénoncer la vision idéologique de lintégrisme, source première de cette violence.
LInterdite, tout en condamnant les violences intégristes nen souligne pas moins les liens existant entre la montée de lintégrisme comme situation sociopolitique conjoncturelle qui nest que la partie visible de liceberg et une société patriarcale où les références à la tradition de lIslam historique (la Sunna) et lobéissance à des traditions coutumières ( al adat ) règlent la conduite de la femme tant à lintérieur quà lextérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base déquilibre de la famille musulmane
Des Rêves et des assassins peut être lu comme le roman dun combat entre le rêve, comme dépassement du réel, ne saccomplissant que par lécriture, et la violence, incarnée par des assassins intégristes qui dénient ce droit au rêve des femmes libres. Le titre, Des Rêves et des assassins, qui donne à lire linterdiction de rêver, peut être lu en écho au titre du roman LInterdite.
Cependant, la motivation au niveau de lécriture chez Malika Mokeddem est à situer sur un autre plan quant aux autres textes parus avant et après ces deux romans, sur lensemble de luvre constituée de neuf ouvrages.
Cela ne sera que justice rendue dans le sens où la critique, des deux côtés de la Méditerranée, ne semble pas exigeante quant à la valeur esthétique de ces écrits de femmes en donnant la priorité au témoignage social par rapport à lacte de création littéraire
Luvre de Malika Mokeddem, à notre sens, reflète parfaitement cette tension entre « urgence » (immédiateté) et « création » (médiation esthétique) à laquelle correspondrait la relation entre le « politique » et le « poétique », entre « réalité » et « fiction ».
Cette écrivaine des années 90, Malika Mokeddem, dans un itinéraire singulier, entame un « combat » littéraire pour ne pas sombrer dans linsignifiant de lhorreur. Le réel « brut » investi tel quel, dans LInterdite et dans Des Rêves et des assassins, reste une étape transitoire dans un parcours où se dégage deux états que lon pourrait classer en romans de conteuse et en romans où lacte autobiographique, intimement lié à son parcours personnel, apparait comme une exigence décriture, exigence, qui, jusquà son dernier roman, reste de mise pour mieux « coller à lépaisseur dun vécu quotidien, trivial ou intime, que les lecteurs post-modernes recherchent davantage maintenant que la subversion formelle qui caractérisait les monstres sacrés à la virilité scripturale exacerbée des années soixante-dix », tel que le souligne Charles Bonn, Najib Redouane et YvetteBénaoun-Smidt dans leur introduction aux actes du colloque « Algérie : nouvelles écritures.
Malika Mokeddem prend conscience de la nécessité dune certaine distanciation dans lécriture, pour ne pas tomber dans le piège dune écriture de lurgence qui place bien évidemment la tragédie algérienne au centre de ses préoccupations, « pour ne plus exister comme seule représentation de la barbarie ou comme sujet générateur de peine et de douleur venues du pays lointain » selon le point de vue de Najib Redouane.
Ce que confirme lauteur dans le cadre dun projet de collection douvrages aux éditions La Source, intitulé « Autour des écrivains maghrébins », lancé à Toronto en 1999, projet consistant en la constitution de monographies dauteurs sous forme douvrage collectif :
« (Mes) deux premiers romans sont ceux dune conteuse. Mais, à partir du moment où les assassinats ont commencé en Algérie, je nai plus pu écrire de cette façon- là. Mes deux premiers livres, Linterdite et Des rêves et des assassins, sont des livres durgence, ceux de la femme daujourdhui rattrapée par les drames de lhistoire
Maintenant, après mûre réflexion, je me dis que je ne laisserai pas cette tragédie maliéner non plus ! Que continuer à nécrire que sur ce thème là, ce serait apporter de leau au moulin des médias occidentaux qui ne disent plus de ce pays que la barbarie. Ce serait une injustice supplémentaire infligée à un peuple qui résiste malgré tout et, malgré tout retrouvera un jour sa joie de vivre ».
Malika Mokeddem, sans négliger limportance du témoignage et sa fonction de médiation, va valoriser, après la réaction, dans lurgence, aux événements sanglants en Algérie, dans LInterdite et dans Des Rêves et des assassins, une écriture plus poétique, à limage de La Nuit de la lézarde où elle emprunte une nouvelle piste, lallégorie. Il est, par ailleurs, aisé de constater que dun ouvrage à lautre, lauteur « tisse » limage du moi en mêlant divers registres et genres en mettant en place une poétique qui transcende les limites génériques, en passant du pamphlet à la narration, de la fiction à lautobiographie assumée de La Transe des insoumis et de Mes Hommes. Auparavant, dans ses deux premiers romans, Le Siècle des sauterelles, et à un degré moindre, Les Hommes qui marchent, lauteur sest attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française, de par ses origines nomades.
Ce qui nous a interpellé, en tant que lecteur, cest dabord lomniprésence de cette matière de loralité contique inscrite dans la trame romanesque, et ensuite et surtout, cette volonté de sapproprier les formes dénonciation de loralité dans le passage en texte de la tradition orale à loralité.
Par ailleurs, pour Malika Mokeddem, écrire, pratiquer lécriture est une donnée existentielle.
« Ecrire, noircir le blanc cadavéreux du papier, cest gagner une page de vie, cest reprendre un empan de souffle à langoisse, cest retrouver par-dessus le trouble et le désarroi, un pointillé despoir. Lécriture est le nomadisme de mon esprit sur le désert de mes manques, sur les pistes sans autre issue de la nostalgie, sur les traces dune enfance que je nai jamais eue ».
Cest cette foi dans lécriture comme pratique existentielle recelant une immense information sociale et politique, comme pari à exister comme écriture, mais aussi comme tentative esthétique nouvelle dinscrire ce quelle est dans sa société, en tant que femme, dans un processus de transformation de la tradition orale et écrite sans jamais tomber dans le mimétisme, qui nous interpelle.
Cest cette liberté de création contre le ressassement de la même histoire des femmes toujours recommencée que revendique Malika Mokeddem, la liberté dexprimer véritablement ce que les femmes ont emprisonné en elles, la chance pour la littérature de s'enrichir d'imaginaires inédits.
Aussi, lune des tâches de ce travail, est de montrer une femme écrivain qui résiste « envers et contre tout », et dont lunivers romanesque concordant souvent avec sa propre biographie, se distingue dans la littérature algérienne de langue française, des années quatre-vingt dix, par une écriture singulière, une poétique au féminin singulier. Une uvre singulière dans le sens où les schèmes traditionnels de la représentation sont interrogés de manière originale jusquà bousculer lordre symbolique, étape nécessaire dans la revendication dune identité et dune subjectivité féminines, à travers une prise de parole autobiographique mais où le caractère fictif, sous-tend tout le projet romanesque dune « nomade », en quête de liberté.
Avant daborder le projet « poélitique » de lauteur, où la recherche dune forme, dune vérité de la forme où le politique et le poétique restent liés, nous nous questionnerons dans notre premier chapitre intitulé « Ecriture de femmes ou écriture féminine : état de la question » sur les notions même d«écriture féminine » et d«écriture de femme », pour ensuite faire une halte dans notre second chapitre sur les « Productions littéraires des femmes algériennes », et cerner ainsi, dans notre troisième chapitre, ce qui caractérise les « Ecritures de femmes algériennes dans le contexte des années quatre-vingt dix ». Le quatrième chapitre « Lécriture de Malika Mokeddem : une écriture de femme sur la femme» mettra en évidence ce qui semble marquer la production littéraire de Malika Mokeddem comme une écriture de femme dont le sujet principal reste la femme, dans le sens où on part du principe quil existerait des constantes formelles et thématiques de cette écriture, tel que lannonçait déjà Béatrice Didier dans Lécriture-femme, édité en 1981, en sinterrogeant sur lexistence dune spécificité de l'écriture féminine. Cette spécificité, difficile à définir, semble surtout dépendre de la "culture" plus que de la "nature". A partir d'un certain nombre d'études de textes écrits par des femmes, elle s'interroge sur quelques constantes de cette « écriture » comme les thèmes, les registres, et les modes d'écriture.
Le principe selon lequel, pour suivre Béatrice Didier, dans son préambule à Lécriture-femme, quun livre sur lécriture masculine « soit impensable, alors que « (
) un livre sur lécriture féminine est malgré tout pensable, caractérise bien la marginalité de lécriture féminine et les ambiguïtés de la différence». Cela nous amène à tenter de lever les ambiguïtés encore en usage par lemploi précautionneux du syntagme « pratiques décritures de femmes » au lieu d«écriture féminine », voir décriture spécifiquement féminine.
Cest dans notre cinquième et dernier chapitre intitulé « Lécriture de Malika Mokeddem : une poétique au féminin singulier » que nous tenterons de montrer que luvre de Malika Mokeddem, commencée au début des années 90, reste lune des écritures de femmes algériennes les plus en vue, de par son pari à exister singulièrement comme écriture, une écriture rebelle qui participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à lencontre des femmes. Un auteur qui ne considère pas que les algériennes représentent un groupe monolithique, se refusant à se déclarer porte-parole, revendiquant un territoire décriture.
Cest justement dans ce sens que nous considérons que la Poétique au féminin singulier de Malika Mokeddem est sous tendue à notre sens à une Pensée qui préserve des pensées du système qui fonctionne selon le principe des mythes fondateurs, qui, tel que lexplique Edouard Glissant « est de consacrer la présence dune communauté sur un territoire, en rattachant par filiation légitime cette présence, ce présent à une Genèse, à une création du monde ». LHistoire, qui est donc fille du mythe fondateur sera revisitée par Malika Mokeddem, dans une écriture envers et contre les chants et la légitimation de celle-ci.
Cest dans cette optique, à notre sens, que les romans de Malika Mokeddem, à linstar des romans algériens dexpression française écrits dans une situation dexil insistent sur le thème de lexpérience de lémigration-immigration, ainsi que sur la rupture rigoureuse avec une définition identitaire par lorigine et ce en battant en brèche les discours dordre historique, politique ou social, basés sur lidée de lhomogénéité et de lunité.
Cest dans ce sens que nous abordons, dans ce chapitre, la fonction sémiotique de la signifiance comme fondement décriture.
Aussi,, lintégration du conte ou le recours à loralité du conte, dans les deux premiers romans, est déjà, à notre sens, une pratique du détour, détour, dirions nous, de linflexibilité de la filiation.
Cet axe qui consiste en une lecture du texte comme rythme, comme « mode de signifier » qui déborde le signe, modulant à son gré le signifiant du texte qui affiche ses marques dappartenance à un espace didentité dans lequel loralité puise sa substance de la tradition orale, principalement le conte, mais aussi le mythe, la légende, lépopée
Le processus de production de sens du texte de Malika Mokeddem à partir des axes de lecture que nous relevons, à savoir, une lecture du texte comme description de la cohérence dune totalité à travers une écriture qui ne tourne pas le dos à la représentation réaliste ; une lecture du texte comme rythme, comme « mode de signifier » ; et une prise de parole autobiographique dune femme qui a choisi la rupture, la transgression, par la voie/voix autobiographique dont plusieurs critiques littéraires ont souligné la tendance, permet dapprécier les modalités mises en place pour ouvrir le texte sur dautres espaces, sur plusieurs possibilités grâce à la non-clôture du récit et aux suspensions narratives dont use lauteur. Cest dans ce sens que nous parlons de « Projet romanesque en suspens » où le véritable territoire-refuge des protagonistes reste celui de lécriture.
CHAPITRE I
ECRITURES DE FEMMES OU ECRITURE FEMININE
ETAT DE LA QUESTION
I Ecrire au féminin et lire au masculin
1- Les écrivains et les écrivaines dans lespace social algérien.
2 - La posture du lecteur masculin.
3 - Lécriture au féminin : une « contre littérature ».
II - Ecriture féminine ou écritures de femmes ?
1-Théorisation et approche universitaire de lécriture-femme.
Et/ou écriture féminine.
2- Poétique de la différence sexuelle.
3- Le concept décriture féminine
4- Des écritures de femmes algériennes.
I- ECRIRE AU FEMININ ET LIRE AU MASCULIN
1° - Les écrivains et les écrivaines dans lespace socioculturel algérien
Un nombre important de femmes algériennes se sont mises à écrire, à raconter des destins de femmes en butte à la violence sociale des années 90, à mettre en scène des destins dexception refusant la normalité « enlisante » de la société traditionnelle, doublée dune autre violence, lactualité sanglante du pays qui, pour certains auteurs, comme Malika Mokeddem, semble inscrite depuis toujours dans le paysage et lespace même de ce pays.
Cest limplication de ces écritures de résistance dans un contexte sociopolitique et historique donné qui fait lintérêt premier de ces uvres, sans oublier bien entendu le projet esthétique de ces mises en écriture dans lesquelles la question de la langue reste au centre des préoccupations, car intrinsèquement liée à une quête de soi en devenir.
Ces textes narratifs constituent, selon notre point de vue, un objet détude en tant que paradigme ayant des caractéristiques littéraires spécifiques, avec une interaction intéressante, dans notre cas, entre littérature et contextes sociaux.
En effet, lacte décriture sinscrit dans un corpus juridico-sociologique qui implique, ici, lirruption de nombreuses voix féminines algériennes dans le champ social autant que dans le champ littéraire, à limage de ces nombreuses autres écritures féminines de résistance avec comme figure de proue Assia Djebar.
Cependant, il nous paraît inévitable, pour souligner lintérêt détudier ces écritures de femmes algériennes, dévoquer labsence de ces femmes dans la représentation qua lopinion publique du champ littéraire algérien.
De ce point de vue, les textes élus et transmis sont dabord et avant tout des textes écrits par des hommes.
Ainsi, à lexception du public averti ou initié, peu de personnes, même parmi les femmes elles-mêmes, ne peuvent citer plus dun nom de femme écrivaine algérienne, à lexception de celui dAssia Djebar qui reste lune des rares à être connue et reconnue, sans dailleurs être forcément lue, à cause sans doute de sa notoriété. Celle-ci, de surcroît fortement médiatisée depuis quelques années, dépasse le cadre de lAlgérie surtout depuis son admission, en juin 2005, à lAcadémie française. En outre, en 2002, Assia Djebar avait obtenu le Prix de la Paix, qui est en Allemagne, la plus haute distinction pour un « engagement politique et éthique de la pensée ».
Les monstres « sacrés » de la littérature algérienne se déclinent donc au « masculin ». Il sagit toujours de Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni et certains autres plus récents comme Yasmina Khadra. Ils sont considérés, par cette opinion publique évoquée plus haut, de « référents » culturels.
Certes, de nos jours, quelques écrivaines, Malika Mokeddem par exemple, réussissent à sortir de lanonymat mais sans infléchir la tendance. Le statut et la place occupée par la composante masculine dans la conception, par limaginaire collectif, du champ littéraire ne laissent pas despace à la composante féminine. Envisagé sous langle sociologique, ce phénomène peut être interprété comme un des effets de la situation de la femme en butte à la violence sociale et prisonnière dun ordre symbolique phallocentrique.
2° - La posture du « lecteur au masculin »
Notre découverte de textes de la littérature de femmes algériennes, dailleurs absents des programmes des collèges et lycées en Algérie, nous a permis de prendre conscience quil nous serait difficile de rester « neutre », dans notre lecture au masculin, de respecter la nécessaire distanciation vis-à-vis de ces textes, afin de parvenir à des lectures objectives, ou du moins aux lectures les moins subjectives possibles.
Lire le féminin dune part, nous dérangeait parce que cet acte nous renvoyait forcément à notre condition dhomme. Sest posée alors pour nous la question de savoir comment échapper au discours masculin de pouvoir, à la Loi dune Domination masculine, à cette « doxa ». Nous comprenons la « doxa » au sens de Pierre Bourdieu qui y voit, de la manière dont elle est imposée et subie, « lexemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de la violence symbolique insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui sexerce pour lessentiel par les voies purement symboliques de la connaissance ou, plus précisément de la méconnaissance ou, à la limite, du sentiment ».
Cette notion de « doxa » définie par Pierre Bourdieu comme « lensemble des croyances ou des pratiques sociales qui sont considérées comme normales, comme allant de soi, ne devant pas faire lobjet de remise en question » reflète parfaitement cette domination masculine qui est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne lapercevons plus, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question.
Mais, dautre part, lire le féminin nous séduisait par lambivalence « masculin/féminin » quimpliquait notre posture de lecteur. Le féminin étant une sorte de valeur ajoutée à lhomme, pour reprendre une réflexion de Virginia Woolf :
« Il est néfaste dêtre purement un homme ou une femme, il faut être femme masculin ou homme féminin ».
Il sagit donc pour nous dassumer notre posture de lecteur masculin. En effet, en nous référant à Pierre Bourdieu, qui considère que le modèle paradigmatique reste lordre des sexes et que les normes sociales fonctionnent sur le modèle des normes sexuelles, nous disons quil y a « lecteur » et « lectrice » et quil faut se prémunir de lillusion quil ny aurait quune lecture, quune seule interprétation dont le sujet serait neutre.
En étudiant ces textes de femmes, notre objectif nest pas de découvrir une spécificité de lécriture féminine, si tant est quelle existe, mais de relier féminin et masculin qui sont tous les deux à luvre dans lespace scripturaire, sachant que la dominante sexuée de lénonciateur a une incidence plus ou moins grande sur sa manière de symboliser son vécu (quelle quen soit la forme).
Postuler une conformité à une norme masculine ou féminine, une identité reconnue, poserait problème dans le sens où notre objectif, qui est de placer la différence sexuelle en tous genres, est de déconstruire le code des marques sexuelles et de réinterpréter le sujet.
Cest ce postulat, placé au cur même de notre problématique, à savoir la lecture du féminin, qui nous amène à questionner notre posture de lecteur masculin, avec une identité sexuelle, une identité socioculturelle, etc. Cest ainsi que nous comptons dépasser la simple dichotomie homme/femme et interroger le discours littéraire en terme dambivalence en prenant en considération le « masculin » de lécrivaine et le « féminin » du lecteur que nous sommes. La « lecture au masculin » est entendue, ici, non pas dans le sens dune « lecture passive » par un homme de ce qui leur est offert à lire, mais dans le sens dune « lecture active ». Cette lecture est dite « active » dans la mesure où notre histoire personnelle en tant que sujet-lecteur, notre origine socioculturelle et notre identité sexuelle jouent un rôle important dans lappréhension de ces textes, dans lengouement ou le rejet qui restent tributaire de cette culture commune à lauteure et au lecteur.
Aussi, nous pouvons nous poser la question de savoir si notre lecture au masculin de cette littérature féminine algérienne peut comprendre la même appréciation quune lecture au féminin à même de décrypter les signes de la féminité ou du féminin dans les uvres féminines :
« Il faut laisser lire, dit Derrida , pour aller à la rencontre avec lautre et tenter de répondre au texte de lautre ».
Accueillir en soi lautre est une expérience qui transforme, voire une loi de lhospitalité qui, selon Derrida est « terrifiante », la « loi des lois qui veut que lhôte (host), linvitant, donne ce quil a de plus précieux à lhôte (guest), linvité, et devienne alors, en vérité, comme lautre, lhôte de son hôte, pour ne pas dire son otage » .
Ce désir dhospitalité est avant tout poétique : « un acte dhospitalité ne peut être que poétique », déclare Derrida pour qui, « lhospitalité doit être tellement inventive, réglée sur lautre, que chaque expérience dhospitalité doit inventer un nouveau langage ».
En fait, il sagit de passer de la question du singulier à la question du pluriel dans le sens où il y a échange dans lécriture à exploiter, dune écriture dans la langue de lautre, dans ce passage de lidiome dans sa forme esthétique que lauteur crée, au pluriel du langage collectif, du langage dun legs intellectuel. Cest cette langue du colonisateur comme langue daccueil, une langue de lordre du politique mais aussi du poétique qui oblige Malika Mokeddem à négocier entre les deux et à instituer des formes daccueil dune langue, dune culture autre, à travers loralité de lécriture héritée de sa grand-mère, conteuse nomade, et dépasser ainsi les discours dominants, qui proposent des représentations de la différence sexuelle, représentations en général stéréotypées, ou parfois, comme cest le cas pour lauteur, inédites.
3° - Lécriture au féminin : une « contre littérature »
La prise en compte de la dimension sexuelle, au même titre que celle du contexte historique et social par exemple, nous permet de mieux comprendre la portée du passage de certains éléments de la réalité à la fiction. La politique, la guerre, lamour, la souffrance, la maternité, la langue, etc., sont traités différemment en littérature. Cette différence participe à ce qui confère à cette littérature un statut de « contre littérature », une sorte de « paradis (féminin) perdu » que le lecteur au masculin ne cesse de rechercher selon Zineb Ali-Benali :
« De cette séparation hommes/femmes, qui structure la société et donne sens à la place et au rôle de chacun, naît le fantasme du regard qui va au-delà de linterdit. Le rêve de lhomme, quil soit étranger au groupe ou quil en fasse partie, est dêtre dans lintimité des femmes sans être vu, de regarder sans se faire détecter».
La lecture au masculin est ce « regard qui va au-delà de linterdit », « dans lintimité dune littérature au féminin ». La littérature nest-elle pas, selon Marcelle Marini :
« le lieu privilégié où sopèrent indissociablement la subjectivation et la socialisation. Le jeu entre réalité et langage, permet de desserrer les modèles socio-individuels didentité et, en particulier, ceux de lidentité sexuée et de la différence sexuelle. Les identifications y sont multiples, on glisse des unes aux autres, on peut les désirer aussi violemment que les refuser : et cela tant au niveau de lhistoire racontée quau niveau des points de vue narratifs, des métaphores, des phrases, c'est-à-dire au niveau de lénonciation elle- même. Grâce à la littérature on entre dans une pratique plus libre du langage où il devient possible de sexpérimenter comme sujet parlant ».
Selon Bernard Mouralis, « Le statut dun texte nest réductible ni à la permanence ou à la pesanteur dune tradition, ni à des caractères objectifs propres à celui-ci. Il renvoie aux lignes de force qui parcourent la société globale, cest-à-dire, en définitive, aux efforts déployés par les uns pour maintenir et renforcer le pouvoir quils détiennent sur le plan de linitiative culturelle, et aux réactions que les autres expriment face à cette prérogative.».
Cest ainsi que ces voix de la résistance au féminin en Algérie, ces « nouvelles femmes dAlger», selon Assia Djebar, présentent leurs textes comme des uvres de combat : combat de femmes, mais combats également littéraires de femmes écrivains, qui, depuis plus dune vingtaine dannées, résistent au quotidien en refusant de se taire et en investissant les espaces socioculturels et symboliques de lAlgérie des années 90, lAlgérie de la violence généralisée , mais surtout de la violence contre les femmes. Elles exercent, de fait, des contre-pouvoirs en tentant de faire bouger les frontières de genre au sein dun système patriarcal qui définit clairement les rapports sociaux de sexe, par la place , le rôle, et la position assignés aux hommes et aux femmes dans la société.
«Faire bouger les frontières de genre » revient, en tant quécrivain(e), à déplacer cet « ordre des sexes », si ordre il y a, à placer La Différence sexuelle en tous genres », genres grammaticaux, genres biologiques, genres littéraires...
Cest donc dans la langue que La différence sexuelle en tous genres sécrit : Cette différence sexuelle : « cest la langue qui le dit. Dabord la langue. Devançant la pensée, le pensable ; pensant limpensable peut-être, par la façon, couturière, de la syntaxe ici qui articule en une fluctuante jonction le différentiel entre « sexes » et « genres ».
La difficulté à admettre cette réflexion est due au fait que la langue française ne dispose que dun seul mot, « sexe », pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale. Ainsi, parler de « différence des sexes » reviendrait à dire quil sagit dune donnée naturelle et universelle, en ne distinguant pas entre le biologique et le culturel.
En tant que lecteur, il sagit de faire ce déplacement par rapport à La Loi du genre afin détablir la distinction entre les sexes comprise non pas comme biologique ou naturelle mais comme socioculturelle et historique.
La référence à Judith Butler permet de faire cette distinction grâce à la notion de « Gender » (genre) employée pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun : la féminité serait avant tout une construction sociale, une obligation culturelle dun devenir-femme en maîtrisant des comportements distincts de lautre genre au risque dêtre exclu du groupe. Judith Butler dénonce ainsi les rapports entre hommes et femmes comme des rapports de pouvoir et de domination, dans lesquels les normes sociales reproduisent les normes sexuelles. Cette conformité à la norme masculine ou féminine pour obtenir une identité reconnue peut être déjouée grâce à une juxtaposition du féminin et du masculin dans diverses combinaisons qui ne spécifient pas la masculinité ou la féminité.
La frontière des genres peut être fragilisée par une énonciation ambivalente permettant une certaine porosité entre le féminin et le masculin. Lexemple dIsabelle Eberhardt dont Malika Mokeddem revendique la filiation, est édifiant à ce titre dans le sens où elle joue entre lappartenance masculine arabe par la tenue de cavalier arabe quelle affiche dans le sud algérien et une volonté fréquente de sécrire au masculin lorsquelle se met en scène alors que les passages où elle se confie sont au féminin.
Dans Journaliers, présenté par ses éditeurs comme « une plongée dans un quotidien insolite qui révèle comment se vivait une femme, une aventurière habillée en homme », lénonciation qui se fait au masculin implique beaucoup de questionnements sur ce déplacement de « lordre des sexes » à tous les niveaux, de cette Différence sexuelle en tous genres : genres grammaticaux, genres biologiques, genres littéraires, ... dont parle Mireille Calle-Gruber.
Le début du « Premier journalier » commence ainsi et indiquera que cet « habillement » est conjointement un « habillage » de lénonciation :
« Cagliari, le 1er janvier 1900.
Je suis seul, assis en face de limmensité grise de la mer murmurante
Je suis seul
seul comme je lai toujours été partout, comme je le serai toujours à travers le grand Univers charmeur et décevant, seul, avec, derrière moi, tout un monde despérances déçues, dillusions mortes et de souvenirs de jour en jour plus lointains, devenus presque irréels.
Je suis seul, et je rêve
»
Dans son second long reportage, Sud Oranais, beaucoup de passages soulignent limportance dune allure masculine qui la protège et qui lui permet de vivre et dêtre acceptée par la communauté. Isabelle Eberhardt est à Perrégaux et attend son second train pour le Sud :
« Le soir, jallais métendre sur une natte, devant un café maure (
) je goûtais la volupté profonde de la vie errante, la joie dêtre seule, inconnue sous le burnous et le turban musulmans, et de regarder en paix le jour finir en des lueurs rouges sur la simplicité des choses, dans ce village où rien ne me retenait, et que jallais quitter à la tombée de la nuit ». (p.12).
Ce jeu sur les identités de genre se concrétise dans des passages où le choix privilégié du masculin est délaissé au profit dune oscillation entre Masculin et Féminin.
« Men aller, vagabond et libre, comme je létais avant même au prix de nimporte quelle souffrance nouvelles ! (
) membarquer humble et inconnue et fuir, fuir enfin pour toujours (
) Certes, je ne suis venue ici que pour pleurer, pour regretter, pour me débattre dans lobscurité et ses angoisses, pour souffrir, pour être prisonnière ! A quand le départ radieux ? »
Tenter lidentification à limaginaire et à la parole de lautre sexe afin déchapper à une vision monolithique de lidentité masculine due à une richesse de lhéritage masculin dans un champ socio-symbolique où la séparation hommes/femmes structure fortement la société, permet déjà de lutter Contre leffacement des sexes, pour reprendre le titre dun article de Sylviane Agacinski, et au-delà, de dépasser le clivage masculin/féminin.
A lexemple de la vie et la légende d'Isabelle Eberhardt qui rendent instables les frontières entre identité européenne et maghrébine, entre identité masculine et féminine, et soulignent ainsi la nature arbitraire de maintes relations binaires sur lesquelles nos conceptions de l'identité reposent, Malika Mokeddem met en place un espace de fiction qui permet à ses protagonistes féminines, de redéfinir lidentité féminine, de vivre librement sans contraintes et sans violence.
Il y a lieu de souligner que nous parlons ici, non pas de cette littérature de femmes globalement acceptée par le public algérien, cette littérature de la tradition orale légitime, jouant un rôle important dans la conservation du patrimoine traditionnel, cette littérature « du dedans » , mais de cette littérature de la création , « du dehors , celle dune écriture individualisée , livrant la parole féminine à lespace public , hors des frontières , de la tribu , comme si elle soffrait au premier venu» .
Dans Mes Hommes de Malika Mokeddem, le je de la narratrice-auteure est seul face aux mots, aux hommes et au monde. Elle ne raconte pas les histoires des autres comme Shahrazade qui a aliéné son existence pour sauver sa vie. Elle raconte sa vie, son combat contre le silence imposé et contre lequel elle écrit, son exil pour apprendre la liberté, « la liberté jusque dans lamour des hommes ». Elle refuse de parler par procuration, par délégation.
Fawzia Zouari nous explique justement que le rejet de la conteuse des Mille et Une nuits est nécessaire car elle n'a pas pu avancer dans sa société à visage découvert ; elle ne se raconte pas elle-même. Ce modèle de la conteuse qui raconte les histoires des autres pour distraire l'homme et sauver sa vie serait devenu écrasant, étouffant pour toute créatrice arabe :
« Chaque fois que je fus tentée de parler, il y eut un nouveau conte de Shahrazade qui m'assigna au silence. Ses contes ne se terminent jamais, là est mon tourment ! » .
Ne pas accepter cet effacement de sa propre parole pour ne pas mourir. Il faut pouvoir dire sans être menacée, sans être contrainte par l'écoulement du temps des hommes et de ses sentences contre les femmes. Ces rapports entre résistance et littérature composent chez ces auteures une structure autobiographique où sinscrit la différence des sexes et qui, selon Mireille Calle-Gruber à propos dAssia Djebar « constitue (à son sens) un des points de tension par excellence de lépoque que lon dit postcoloniale ».
Ce sont ces écritures au féminin, ces contre-littératures auxquelles on ne reconnaît quune place marginale, qui permettent de desserrer les modèles socio-individuels didentité et, en particulier, ceux de lidentité sexuée et de la différence sexuelle. Cest cette pratique plus libre du langage qui vaut aux femmes-écrivaines en Algérie dêtre lobjet de lostracisme de la société patriarcale. Dans ce sens, les propos de Bernard Mouralis à propos des contre-littératures auxquelles on ne reconnaît quune place marginale, à lexemple des expressions reconnues comme infralittérature, paralittérature, littérature de masse, peuvent aussi renvoyer, selon nous, à ces littératures au féminin qui exercent des contre-pouvoirs dans un contexte culturel marqué par lautorité patriarcale soutenue par le discours religieux.
Cest grâce à une innovation esthétique que cette identité sexuée stigmatisée va échapper à une classification sous la tendance « différentialiste », à lexemple des uvres dAssia Djebar, ou plus récemment de Malika Mokeddem. Dans la lutte pour la définition du « féminin », les femmes ont désormais leurs mots à dire en prenant leurs distances avec les représentations dominantes. Lintention déchapper socialement et symboliquement aux jugements se traduit par la description de tout ce qui les incarne comme mouvant, en se démarquant de toute définition unitaire de leur identité.
II- Ecriture féminine ou écritures de femmes?
1- Théorisation et approche universitaire de lécriture-femme et/ou écriture féminine.
Sil est clair quil existe une littérature « féministe », engagée dans un combat pour les droits des femmes, qui ne fait pas lobjet de notre recherche, ce qui lest moins est une littérature « féminine », c'est-à-dire une écriture définie par des thématiques et des structures particulières aux femmes.
Il est intéressant de noter dailleurs, avant même quil ne soit question décriture féminine, que la possibilité quune femme soit considérée comme un auteur à part entière na pas toujours été bien admis, même dans la tradition européenne. Ainsi, Delphine Naudier soutient que « si les femmes ont toujours écrit, cette pratique était limitée à la sphère privée ou bien liée à leur activité au sein de congrégations religieuses, ou bien encore réservées à celles dont les origines sociales étaient élevées». Delphine Naudier part du constat dun déni de lexistence dune généalogie littéraire féminine qui reste lié non seulement à la question du partage du pouvoir dans la société et entre les sexes mais aussi à la question du savoir de par le pouvoir quil confère.
Au XIXème siècle le statut de femmes auteurs comme catégorie à part place ces femmes comme exceptions et lorsquune femme telle que George Sand sera reconnue, elle sera qualifiée dhomme, de romancier., selon Christiner Plante citée par Delphine Naudier. Une écrivaine comme Colette , par exemple, se voit qualifiée de romancier non-intellectuel, plutôt intuitif, préférant les sensations aux idées : « Colette na pas dimagination et pas didées. Elle a des yeux et des sentiments. ».
En Algérie, les femmes-écrivains restent méconnues, hormis le cas dAssia Djebar, une des rares voix connues et reconnues. Cette situation reste dailleurs lune des principales motivations de notre travail.
Pour en revenir au vocable « écriture féminine » force est de constater quil renvoie à différentes interprétations et à différentes approches critiques. Le principe de base qui se dégage des débats sur ce que serait une écriture dite « féminine » est que « lécriture féminine » offre délibérément une écriture autre, autre par rapport aux modèles existants majoritaires (masculins). Lidée centrale est que lécriture féminine doit se produire, et se produit en dehors de lordre symbolique phallocentrique, Lécriture féminine viendrait donc se situer, et exister face à une autre pratique décriture (une écriture qui serait masculine). En effet, selon Patricia Smart, « entre le réalisme » consacré par la culture patriarcale et le « réel » tel quil se présente dans lécriture des femmes il y a un monde, et une distinction qui vaut la peine dêtre explorée ».
Dans Les mots et les femmes, Marina Yaguello estime que les femmes peuvent avoir un autre rapport aux mots et cite comme exemple Marie Cardinal, Hélène Cixous, Annie Leclerc, Xavière Gauthier qui posent ces questions dans de multiples ouvrages. Ainsi, « Les femmes ne vivent pas, ne ressentent pas le langage de la même façon, elles se sentent à létroit, mal à laise dans une langue modelée par les hommes, investie par eux ». Les mots employés par les femmes nauraient donc pas la même valeur car ils seraient chargés de connotations différentes, selon Marina Yaguello, et le langage courant prétendant à luniversalité saligne sur les normes masculines, et porte la marque des hommes en reflétant leurs valeurs, leurs prétentions et leurs préjugés.
Lauteur cite Hélène Cixous qui sattache à laffirmation de le différence entre écriture féminine et écriture masculine : « Les femmes qui écrivent, pour la plupart, jusquà maintenant ne considéraient pas quelles écrivaient en tant que femmes mais quelles écrivaient en tant quécriture. Elles en étaient à déclarer que la différence sexuelle, ça ne veut rien dire, quil ny avait pas de différence assignable entre le masculin et le féminin dans lécriture
Quest-ce que ça veut dire, pas de parti-pris quand on dit je ne fais pas de politique, tout le monde sait ce que ça signifie ! cest la meilleure façon de dire : je fais la politique de lautre ! Eh bien, en écriture cest ça, la plupart des femmes sont comme ça : elles font lécriture de lautre, cest -dire de lhomme, et, dans la naïveté, elles le déclarent et le maintiennent, et elles font, en effet, une écriture qui est masculine ».
Aussi, le recours à lexpression « écritures de femmes » nous permet déviter demblée la référence à une écriture intrinsèquement féminine identifiable à la lecture de par ses spécificités. Elle rend compte de notre conception dune écriture qui prend ses distances par rapport à celles élaborées par une vision masculine du monde. Ceci nous amènerait à nous poser la question sur ce quest une écriture « masculine », à un débat que nous ne comptons pas trancher dans létat actuel de la recherche sur cette problématique en parlant dabord d « écritures de femmes ». Ces écritures de femmes sont identifiées en tant que telles de par le nom dauteur, sans trancher au préalable sur une identification décritures spécifiquement féminines qui seraient définies par des structures particulières aux femmes. Les écritures de femmes algériennes dont nous parlons sont réinvention de la langue contre la doxa masculine, et introduisent à une réflexion sur ce qui marque la condition féminine en Algérie.
Cest précisément à cause de la différence sexuelle que lon peut postuler que la femme agit et sexprime autrement que lhomme. La « différence » existe, quon la pense naturelle (résultat de différences biologiques) ou artificielle et fabriquée (fruit des influences sociales). Peu importe son origine, les deux théories admettent que la « différence » existe. Lhomme et la femme ne perçoivent pas la réalité de la même façon, et de ce fait, ne la transcrivent pas de la même façon. Cest la conclusion donnée par Claudine Sandra Quinn.
Il serait, à notre avis, plus judicieux, et cest la piste que nous privilégions, dexploiter la dichotomie « logocentrisme, ethnocentrisme, phallocentrisme des hommes vs écritures autres et de lautre », c'est-à-dire les idiomes, les dialectes de tous les exclus, des gens de la marge, dans lesquelles nous situons cette « écriture féminine », espace dexpression signé par des hommes comme par des femmes, espace de la poésie, des formes fictionnelles.où le sujet nest plus « logocentré », « phallocentré », « ethnocentré ». Cette nécessité dun travail de lécriture permet darracher la pensée de la différence sexuelle aux dichotomies. La scène par excellence de la déconstruction du code des marques sexuelles discriminantes, reste la langue, selon Mireille Calle-Gruber.
Le féminin dans la littérature reprend donc sa place dans le projet qui consiste à définir à nouveau, et de manière critique, les pouvoirs du discours. Le féminin apparaît ici comme étant ce qui résiste dans le modèle logocentrique de la représentation, à savoir la marge, le non-dit, la métaphore, la subversion virtuelle dune manière dêtre dépourvue de centre.
2- Poétique de la différence sexuelle.
Lécritures de femmes », serait un phénomène historique, circonscrit aux années 70. Si on remonte à cette période, il paraît évident quune certaine génération de femmes sest reconnue plus ou moins dans une écriture dite féminine, dailleurs un peu dans lesprit du moment culturel général de mai 68, qui a également soulevé la question dautres types décritures communautaires. Cette notion décriture féminine est accompagnée dune activité de recherche semployant à sa théorisation,à linstar dHélène Cixous qui élabore une poétique de la différence sexuelle ou de Luce Irigaray (CNRS) qui analyse la sexuation dans les langues.
Dans la France des années 1970, les femmes ont collectivement et massivement pris la plume en donnant à leur travail le nom décriture féminine. En effet, à la suite des événements de Mai 68 et dans le sillage d'auteures et de penseurs féministes (dont Hélène Cixous, Luce Irigaray et Julia Kristeva), s'est développée une littérature féminine qui se donne comme but d'interroger les schèmes traditionnels de la représentation et de bousculer l'ordre symbolique afin de faire entendre les voix féminines trop souvent reléguées au silence.
Cest ce que ne manque pas de souligner Mireille Calle-Gruber dans lanalyse de lémergence de ces formes narratives inédites saisies à travers la formule « littératures au féminin » : « Les littératures au féminin les ouvrages de Marguerite Duras, dAndrée Chedid, dHélène Cixous, de Jeanne Hyvrard, de Monique Wittig, pour ne citer que les plus exemplaires sont réinvention de la langue contre le logocentrisme ; réinterprétation de notre héritage culturel contre la doxa, désir de passage à lautre et dadresse à létranger. Cest dire que le débat esthétique et philosophique engagé par les littératures au féminin est laffaire de tous signataires masculins comme signataires féminins. Elles donnent la parole à une humanité dun genre nouveau ».
Dans les théories féministes anglophones, le débat entre constructivisme et essentialisme a également permis par de faire des écrivains femmes un groupe puis des sous-groupes à part entière, et daffirmer lexistence dune identité féminine spécifique. Dailleurs, pour certaines théories critiques, on peut distinguer une évolution dans la terminologie qui catégorise la littérature des femmes.
Dabord cette littérature était qualifiée de «féminine» : elle sappuie sur les schémas narratifs et les thèmes de la tradition des écrivains masculins. Ensuite, elle est dite «féministe» : elle tend à contester ces schémas et revendique son droit à lautonomie. Enfin elle est dite «de femme» : elle impose et revendique son propre genre en ce quil associe corps et écriture.
Peu connue en France avant la traduction en français de son essai Trouble dans le genre, Judith Butler, professeur à Berkeley, est l'une des principales théoriciennes de ce que l'on appelle aux Etats-Unis les gender studies, c'est-à-dire les «études sur le genre», discipline enseignée dans les universités américaines et dont l'objet est la distinction entre les sexes comprise non pas comme biologique ou naturelle mais comme sociale et historique.
Judith Butler conteste ce que les féministes s'emploient généralement à montrer, à savoir ce que l'identité féminine a de culturel en récusant précisément pour cette raison la notion de «sexe» au profit de celle de «genre», comprise comme le produit d'une construction sociale. Elle conteste ainsi l'idée même d'identité féminine, qu'elle soit fondée sur le sexe ou sur le genre. Pour les féministes, lidentité féminine nexisterait que par rapport à lidentité masculine. Pourtant il sagirait dune identité elle-même constituée didentités multiples et contradictoires. Delles découlent des identités de gender. De ce point de vue, lidentité est définie en tant que rôle : les faits de caractère de lindividu ne sont pas des qualités autonomes mais des fonctions en relation avec une culture et une histoire données.
Loin d'une vision étroite du féminisme, Judith Butler renouvelle la réflexion sur l'identité sexuelle et fait voler en éclats ce qui semblait jusque-là une évidence, à savoir que dans lespèce humaine, les individus de sexe « mâle » sont masculins et les individus de sexe »femelle » sont féminines. Butler questionne ce qui semble « aller de soi » : la difficulté en France dadmettre cette idée en raison même de lobstacle lexical : la langue française ne dispose que dun seul mot, « sexe », pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale. Ainsi, parler de « différence des sexes » revient à postuler quil sagit dune donnée naturelle et universelle, sans distinction entre le biologique et le culturel.
Aux Etats-Unis, cette distinction est faite, et le mot « gender » (genre) est employé pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun : la masculinité et la féminité seraient avant tout une construction sociale, une obligation culturelle dun devenir-femme en maîtrisant des comportements distincts de lautre genre au risque dêtre exclu du groupe.
Cette conformité à la norme masculine ou féminine pour obtenir une identité reconnue peut être déjouée grâce à une juxtaposition du féminin et du masculin dans diverses combinaisons qui ne spécifient pas la masculinité ou la féminité. Ainsi, la pensée queer, « à ne pas limiter aux emblèmes spectaculaires et théâtraux », manifesterait, selon Judith Butler, ce que nous tentons docculter, le mouvement gay ou lesbien traditionnel. Judith Butler, montre dans les passages sur les « transgenres » et les « transsexuels(le) » que lentre-deux, la transformation interrogent sur ce quest une identité « genrée » et quil est difficile, voir impossible détablir une corrélation entre les pratiques « drags » ou transgenres et les pratiques sexuelles.
Ainsi, en bousculant l'ordre sexuel existant et en imaginant d'autres formes de genre, les transexuels, drag kings ou queens, et autres représentants d'une sexualité «queer» - autrement dit, étrangère aux normes - manifesteraient un pouvoir de subversion et révéleraient le caractère incertain du genre.
Le point de départ de Judith Butler dans Trouble dans le Genre, le Féminisme et la subversion de lidentité est donc de prendre appui sur ces exceptions pour penser la règle, comme modèle dinvention de nouvelles formations du sujet, à lexemple du drag, c'est-à-dire le travesti, qui détourne et retourne lassignation normative.
La démarche de Judith Butler peut se résumer en quelques idées phares qui balisent les grandes lignes de son projet :
désolidariser la notion de genre du couple féminin/masculin ;
mettre à nu le jeu des normes derrière l'apparence de la nature ;
revisiter la notion de genre dans son rapport à la sexualité ;
proposer des approches subversives dans les fragilités de la matrice hétérosexuelle, hégémonique et hiérarchisée ;
montrer que le genre comme le sexe résultent du processus de construction ;
prouver que le genre est performatif (il prend forme par le fait même d'être énoncé et mis en pratique, joué) ;
s'appuyer sur la généalogie critique (propre à Michel Foucault) et la déconstruction (propre à Jacques Derrida) pour conceptualiser la démarche ;
refuser toute identité stable et avancer l'idée que la notion de genre est trouble et génère un trouble dans le genre ;
s'éloigner d'un communautarisme identitaire afin de remettre en cause la matrice hétérosexuelle en la dénaturalisant.
Judith Butler qui définit ainsi un féminisme de la subversion par le genre pour penser historiquement et politiquement lordre sexuel et ses normes postule que le corps est ainsi inscrit dans un contexte social. Les féministes intègrent à la notion de corps en tentant déchapper à la catégorisation systématique de lessentialisme. Le corps, défini en terme de gender, constituerait le siège des idées et des pensées. Les féministes se sont ainsi approprié ces théories postmodernes afin de démontrer que le corps devient la source de lécriture féminine. Ce qui implique également que le corps (contrairement à lessentialisme) diffère en fonction des cultures et de lévolution historique.
3- Le concept décriture féminine.
Le vocable « écriture féminine », dans sa combinaison des deux termes au singulier: « écriture » + « féminine », établit demblée une contradiction : ladjectif « féminine » suscitant une connotation essentialiste, alors que le substantif « écriture », est, selon Merete Stistrup Jensen, « plutôt chargée dune valeur inverse, renvoyant à lidée moderne du sujet comme un effet de discours, comme traversé par de multiples voix ».
« Ecritures de femmes », et non pas « littérature de femmes », implique que nous considérons que ces nombreuses voix féminines « écrites » des années quatre-vingt dix ne sont pas toutes littéraires : toutes les écrivaines nayant pas forcément opté pour une médiation esthétique sans pour autant opter pour le témoignage pur ou lessai historique ou sociologique.
En outre, de nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans laventure de lécriture, au moment de ce qui est appelé « la décennie noire » de lAlgérie des années 90. Leurs récits offrent par le biais du roman-témoignage ou de lautobiographie, une perception singulière de cette tragédie. Il sagit dune entrée en littérature pour certaines dentre elles qui, sans ce contexte de violence qui les a « sollicitées », nauraient peut-être jamais tenté cette « expérience » de lécriture.
Par ailleurs, lexpression « écritures de femmes », placée dans la perspective du débat animé sur ce que serait une écriture de femme ou une écriture féminine, nous ramène à notre postulat de départ, à savoir que nous parlons d« écritures » au pluriel ; « des écritures » réunies en fonction du dénominateur commun d « écrits de femmes ». Ces écrits auraient une parenté qui reste à cerner, et qui ne concernerait pas les « écrits dhommes », expression que dailleurs peu de critiques se hasardent à utiliser.
Le titre du livre édité en 1981 par Béatrice Didier, Lécriture-femme, expression radicalement différente d« écritures de femmes », révèle un certain malaise à employer celle d « écriture féminine », laquelle pourtant apparaît plusieurs fois dans le livre. Béatrice Didier, dans son préambule, sinterroge sur la pertinence détablir des points communs entre les écrits de femmes pour en faire un paradigme :
« Sil était peut-être difficile, sinon impossible de traiter de façon théorique de lécriture féminine, il est vrai que, dans la pratique, les écrits de femmes ont une parenté quon ne trouverait pas dans les écrits dhommes, et que, malgré tout, il peut apparaître légitime de réunir dans un même volume des études portant sur des textes aussi différents que La princesse de Clèves ou Le ravissement de Lol V. Stein » .
Béatrice Didier souligne limportance du facteur social dans la création artistique pour souligner la difficulté décrire un livre sur « lécriture féminine » :
« Etant donné limportance du facteur social dans la création artistique, comment traiter de la même façon des femmes qui appartiennent à des sociétés aussi différentes que celles ou vécurent Sapho, Murasaki-shikibu, George Sand ou Virginia Woolf ? Viendrait-il jamais à lidée de quelquun décrire un livre sur lécriture masculine en traitant indifféremment de Sophocle, de Saint Jean de la Croix, de Stendhal, de Claudel ? Le fait même que ce livre soit impensable, alors quun livre sur lécriture féminine est malgré tout pensable, caractérise bien la marginalité de lécriture féminine et les ambiguïtés de la différence ».
Les éléments socio-historiques récurrents chez les femmes-auteures sont rappelés par lauteur, à lexemple de femmes ayant vécu en marge du système familial, le recours à un pseudonyme masculin pour se faire éditer une création en général, soit précoce soit tardive, une écriture cachée devant lhostilité de la société.
Béatrice Didier, en privilégiant lanalyse thématique, fait ressortir limportance des sujets en rapport avec lintimité, linscription de lidentité dans le texte, le thème de lenfance, le corps et le désir de la femme dans ses manifestations peu admises par la société. Toujours selon Béatrice Didier, Les genres récurrents chez les femmes-auteures sont les « genres du je » : le roman autobiographique, le journal intime, le genre épistolaire, la poésie, ... Ainsi, la question est posée de savoir si, dans la tradition européenne du moins, certains genres, ou sous-genres, nont pas eu, un certain temps, la préférence des femmes, à lexemple du genre épistolaire ou du roman damour visant un public féminin.
« Lécriture femme » reste une expression esthétique et théorique. Elle a été formulée par un nombre restreint dauteures parmi lesquelles figurent Hélène Cixous, Chantal Chawaf, Jeanne Hyvrard, Luce Irigaray ou encore Michèle Montrelay. Lautre grande tendance du mouvement des femmes, les « égalitaristes », au contraire, remet en question lidée dune spécificité féminine.
Le débat sur lécriture féminine permet daffirmer une position esthétique de la lutte des femmes en la transposant dans le champ littéraire et dans le champ universitaire. Cette théorisation esthétique va allier pratique littéraire et production critique. Une alliance qui contribuera à légitimer cette expression esthétique et théorique quest l «écriture féminine » à partir de 1975. Le concept décriture féminine, évoqué pour la première fois dans les écrits de Hélène Cixous, est considéré comme un espace qui accueille du discours. Luce Irigaray, à lorigine du «parler femme», montrera que les différences entre homme et femme sinscrivent dans une perspective symbolique puisque le corps devient un espace de discours. Julia Kristeva va pousser plus loin lanalyse en montrant que le langage employé par les femmes écrivaines viendrait directement du corps.
Lécriture féminine nest pas une écriture arbitraire. Comme les branches du mouvement qui lont précédée, l « écriture féminine » a le même adversaire quelles : le patriarcat. La littérature de femmes est une littérature parallèle, marginale, se devant justement dêtre analysée en marge et ne pouvant véritablement être comparée à la littérature masculine.
En fait, les critiques ne tentent pas toujours de découvrir une vérité différente, une parole particulière, mais ils sefforcent plutôt de stigmatiser le texte écrit par lécrivaine en le définissant uniquement en fonction dautres textes, soit les textes dauteurs masculins. Ils ne sinterrogent donc pas sur la perspective spécifique de lécrit puisque la spécificité définie par les critiques est dabord perçue négativement.
Dire quil sagit dun « livre de femme », d « écritures de femmes » situe ces écritures dans une catégorie particulière, à lintérieur de cette littérature parallèle quest la « littérature féminine ». Ainsi, depuis notre intitulé, le fait de parler décritures de femmes algériennes, de faire donc référence au sexe de lauteur est un risque que nous prenons dans le sens où cela peut déclasser lécrivaine ou la situer dans une sorte de ghetto littéraire. Dailleurs, viendrait-il à lidée dun critique de parler décritures dhommes algériens ? Il est à parier quun tel intitulé prêterait plutôt à sourire.
Pourtant, lévocation dun certain rapport à la vie, rapport particulier que seules vivent les femmes puisquelles partagent une même réalité physiologique, politique et sociale, remet en cause un autre rapport à la vie, celui des hommes. Cela ne signifie pas que leur littérature est spécifique et obligatoirement différente de la littérature masculine, mais tout simplement que les écrivaines partagent une conception du réel qui savère souvent distincte de celle de leurs homologues masculins.
Selon Patricia Smart :
« Entre le réalisme consacré par la culture patriarcale et le réel tel quil se présente dans lécriture des femmes il y a un monde, et une distinction qui vaut la peine dêtre explorée ».
Difficile, donc, de parler dune spécificité féminine, de même quil est impossible daffirmer que toutes les femmes observent le monde à travers le même prisme, mais les écrivaines, en partageant certaines valeurs, certains référents au monde, tiennent un langage quelles seules peuvent tenir. La difficulté de parler de cette écriture sexuée est certaine.
Lidentifier serait la contraindre et la ramener à ce qui est familier, selon Hélène Cixous qui pointe du doigt cette difficulté de parler de cette écriture sexuée: « Il est impossible de définir une pratique féminine de lécriture, car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, lenfermer, la coder, ce qui ne signifie pas quelle nexiste pas. Mais elle excédera toujours le discours qui régit le système phallocentrique ».
En choisissant de « révéler », en se présentant comme un être humain de sexe féminin qui a sa propre façon de voir, lécrivaine affiche une revendication de spécificité et doriginalité qui va plus loin que la revendication dégalité.
Lapparition de la notion d « écriture féminine » reste liée à Hélène Cixous, une des figures de proue du mouvement universitaire français sur les questions de la différence sexuelle. Hélène Cixous née à Oran en 1937, de confession juive, a vécu son identité comme un stigmate. Elle poursuit ses études au lycée dAlger et de Sceaux, puis ses études supérieures en Sorbonne. En 1968, professeur de Lettres anglaises à luniversité de Vincennes, elle participe à la transformation du système universitaire à travers lappropriation des lieux de savoir par linstitutionnalisation des disciplines récemment développées comme la linguistique, la critique littéraire. Luniversité de Vincennes va acquérir une notoriété internationale, surtout avec la création de séminaires sur la différence des sexes. Hélène Cixous se consacre à la réflexion de la question de la différence sexuelle, dès 1974, année où elle crée le Doctorat de Troisième cycle en Etudes Féminines à Paris VIII.
Elle publie La jeune née, suivie dans la même année dun essai, Le rire de la méduse, dans un numéro de lArc consacré à Simone de Beauvoir, puis dun autre essai, La venue à lécriture, publié en 1977, année durant laquelle des revues comme Sorcières ou Revue des Sciences humaines consacrent des numéros spéciaux à la question de lexistence dune écriture féminine.
En 1975, dans Le Rire de la méduse, Hélène Cixous circonscrit lespace de la production de lécriture femme, pour en faire la seule écriture légitime pour ses contemporaines et appelle à la révolution identitaire symbolique des femmes en récusant toute la tradition littéraire féminine antérieure au nom de sa soumission au modèle patriarcal. La rupture est annoncée dès les premiers mots du texte : « Je parlerai de lécriture féminine : de ce quelle fera. Il faut que la femme sécrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à lécriture dont elles ont été éloignées aussi violemment quelles lont été de leur corps ».
Hélène Cixous exhorte les femmes à écrire leur « féminité ». Les écritures qui inscrivent la féminité étaient si rares, selon Hélène Cixous, « quon ne peut en sillonnant les littératures à travers temps, langues et cultures, revenir queffrayée de cette presque vaine battue (
). Pour feuilleter ce que le XXème siècle a laissé sécrire, et cest bien peu, je nai vu inscrire la féminité que par Colette, Marguerite Duras et
Jean Genêt ». Cest dans ce sens que Simone de Beauvoir serait identifiée, selon Hélène Cixous, à cette tradition dépassée.
Selon Hélène Cixous, dont la théorie reste fondée sur lordre symbolique plus difficilement ébranlable que lordre social traditionnellement établi auquel saffrontent les « égalitaristes », la difficulté de parler de cette écriture sexuée est certaine et la caractériser serait la contraindre et la ramener à ce qui est familier : « Il est impossible de définir une pratique féminine de lécriture, car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, lenfermer, la coder, ce qui ne signifie pas quelle nexiste pas. Mais elle excédera toujours le discours qui régit le système phallocentrique ».
En 1975, elle rejoint la maison dEdition Des Femmes où elle publie Souffles et le manifeste de lécriture femme Le rire de la méduse dans lequel elle expose sa théorie de la différence entre les sexes :
« Je soutiens quil y a des écritures marquées ; que lécriture a été jusquà présent, de façon beaucoup plus étendue, répressive, quon ne le soupçonne ou quon lavoue, gérée par une économie libidinale et culturelle- donc politique, typiquement masculine- un lieu où sest reproduit plus ou moins consciemment et de façon redoutable car souvent occultée, ou parée des charmes mystifiants de la fiction, le refoulement de la femme ».
La femme doit sécrire : « Ecris-toi, il faut que ton corps se fasse entendre (
) cest en écrivant, depuis et vers la femme, et en relevant le défi du discours gouverné par le phallus, que la femme affirmera la femme autrement quà la place à elle réservée dans et par le symbole, cest-à-dire le silence ». En sécrivant, en choisissant de se dire, lécrivaine apporte une revendication de spécificité et doriginalité qui va plus loin que la revendication dégalité
Cependant, comme le dit Hélène Cixous : « Ce nest pas parce que cest signé avec un nom de femme que cest une écriture féminine ».
Ainsi, Marguerite Yourcenar a une prose souvent qualifiée de virile, en revanche lécriture de Colette, qui précède lépoque du féminisme contemporain et celle de « lécriture féminine », montre que ce genre décriture nest pas uniquement le résultat dune évolution dans la pensée féminine, mais quelle est une tendance « innée » chez certaines femmes, une façon démettre une voix distinctement féminine à travers son écriture.
Le féminin est donc perçu indépendamment du sexe de lauteur. Il existerait donc du féminin chez les auteurs masculins. Lapproche que nous privilégions du féminin est justement conçue comme ce qui échappe à la norme, nincarnant pas spécifiquement des traits propres aux femmes, mais toutes les formes dinterdit de la société élaborées par une vision masculine du monde.
4- Des écritures de femmes algériennes.
En partant du principe de lexistence dune écriture intrinsèquement féminine immédiatement identifiable à la lecture de par ses spécificités, le risque de « ghettoïsation » de ces écritures et celui de reproduction du clivage social seront plus grand.
La question est dautant plus problématique quand il sagit décrivaines maghrébines francophones. Malika Mokeddem signale à juste titre le danger de ghettoïsation en tant que femme originaire du Maghreb :
« Tout à coup, être femme, algérienne et romancière devenait emblématique. Jy vois plutôt un danger quun sujet de satisfaction. Il y a là un risque de jugement caricatural, donc réducteur. De la même façon que je nai pas voulu quon menferme dans un ghetto pour ce qui concerne le monde de lédition, je naime pas, non plus, quon mette mes livres dans un fourre-tout. A nous de combattre les clichés ! ».
Selon Malika Mokeddem, son parcours décriture reflèterait sa volonté déchapper à des jugements simplistes et à des clichés qui limiteraient son statut décrivaine à cause de ses origines :
« Jai abordé lécriture après un parcours singulier. Mon tempérament révolté ne pouvait minscrire dans une quelconque continuité. Du reste, il y a une telle différence entre mes premiers livres et les derniers. Cela reflète la progression dans mon écriture mais aussi une réaction contre tous ceux qui voudraient menfermer dans des perceptions exotiques ou des clichés sur « lécrivaine du désert, la femme engagée
»
Ce serait donc une erreur de négliger limportance du facteur social dans la création artistique pour distinguer masculin et féminin, lesquels reposent aussi sur des comportements sociaux où les rapports de force priment. Aussi, il y a lieu de répéter que si les femmes en Algérie, déjà durant la colonisation, nont pas eu accès à la création littéraire écrite, cest parce quelles ont reçu une formation scolaire plus tardivement et ont donc accusé un retard dans la maîtrise dune langue décriture. Durant la colonisation, la scolarisation des enfants colonisés a été très sélective et na concerné quune infime minorité. Les filles ont connu une ségrégation supplémentaire. Christiane Achour relève, en se référant au Bulletin de lEnseignement des Indigènes de lAcadémie dAlger les discours contradictoires relatifs à la scolarisation des filles qui se limitait à un enseignement conçu comme artisanal et ménager.
«Quant il sagit des filles, les discours dominants ne sembarrassent pas de contradiction. Les coutumes quon jugeait rétrogrades pour les garçons deviennent recevables lorsquil sagit des filles. Il ne faut pas choquer les indigènes, il ne faut pas faire de ces jeunes filles des déclassées
des pseudo-françaises portant jupons et chapeaux, mais seulement (
) des femmes de ménage sachant à peu près lire et parles français, ayant quelques notions de morale et dhygiène, sachant manier laiguille et le savon. »
Lécole renforce donc linégalité des rapports entre sexes et confirme les hommes comme seuls héritiers légitimes et futurs détenteurs de la créativité culturelle. De plus, publier pour une femme relève du domaine public, dun acte qui ne participe pas des rôles communément fixés à la femme pour qui lacte décrire et de se dire sur la scène publique signifie la transgression dun interdit.
Ainsi, au Maghreb, dans les après indépendances, la place des femmes, peu nombreuses à écrire, traduit parfaitement le partage traditionnel des espaces publics séparant les hommes des femmes. Ce que soulignaient déjà, en octobre 1977, un groupe décrivains maghrébins qui présentait la littérature féminine dans lavant propos dun numéro des Temps modernes :
« En ces états de la pensée et de lanalyse propre à la génération daprès les indépendances, la parole féminine quasi-absente, ne se reporte pas sur sa condition et son devenir. Plus queffet de quelque carence, ce manque majeur désigne la difficile mutation créatrice des femmes en des ensembles si profondément marqués par le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères dappartenance sexuelle ».
En fait, par production « quasi-absente », ce nest pas tant le critère de quantité que le critère de qualité qui nous intéresse. Certaines uvres se distinguent surtout par leur force créatrice et symbolique : Leila, jeune fille dAlgérie (1947), Aziza (1955), de Djamila Debèche, La soif (1957) de Djebar, La grotte éclatée (1973) de Yamina Mechakra.
Cependant, il reste tout à fait compréhensible que les femmes fussent peu nombreuses à la moitié du XXème siècle à se lancer dans laventure de lécriture. Cela expliquerait limportance du thème de lécole et de la lecture dans de nombreux romans. La lecture, par exemple chez Malika Mokeddem, reste le refuge suprême, et lexpression dont use lauteur « le savoir est le premier des exils » peut sexpliquer par le contexte socio-historique dans lequel elle poursuit sa scolarité du primaire jusquaux études de médecine, c'est-à-dire de 1954, date du début de la guerre de libération, jusquen 1977. Les premiers pas scolaires, à linstar dautres écrivaines algériennes, prennent une place importante dans les romans « autobiographiques » de Malika Mokeddem, au point où lécole est présentée comme lunique espace démancipation pour une fille. La lecture, unique rempart à lenfermement du désert, des dogmes, et des traditions, nourrit limaginaire de lenfant Malika Mokeddem :
« Enfant, jentrais déjà à corps perdu dans la lecture. « Et lire cétait écrire » déjà comme le dira Duras dans « Ecrire ». Quand la lecture tient de la survie, forcément ».
Myriam Ben, Leïla Sebbar, Hawa Djabali vont ouvrir la voie à des genres décriture divers : roman, poésie, nouvelle et conte, essai, récit de vie. Ces écrivaines doivent tenir compte des nombreuses pressions sociales quelles doivent quotidiennement affronter pour se faire entendre, en inventant différentes stratégies défensives telles que la recherche de lanonymat par lusage de pseudonymes, le décentrement ou le détournement de la narration au profit dun personnage masculin:
Dailleurs, si les femmes ont toujours été présentes dans lHistoire de LAlgérie, voire du Maghreb, les chroniques et les livres dHistoire ont surtout été écrits par des hommes. Une voix de femme ne pouvait se faire entendre dans lespace public, il ny a pas si longtemps. Le regard porté par la société sur ce statut public décrivaine, de créatrice fait de leur geste décriture quelque chose de surprenant, de dérangeant, voir dinacceptable.
Selon Christiane Achour et Simone Rezzoug « lécriture féminine introduit dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui nont pas coutume dêtre exposés au débat collectif : psychologie, logique, gestuelle féminines ».
De même, Zineb Ali-Benali, souligne que la parole de la femme en Algérie est rarement prise au sérieux :
« Cette interdiction de la parole sérieuse explique peut-être pourquoi les femmes nont produit quassez tardivement et très timidement des textes de réflexion, des essais. (
). Les femmes sengagent bien plus tard que les hommes dans laventure de lécriture. Parce quelles ont accès à lécole bien après eux. Parce quil leur faut franchir les murs bien réels et sociaux de la claustration. Parce que laventure de la parole publique, érigée en pérennité dans lécrit, est un voyage périlleux ».
Avant den arriver à lécriture, dautres espaces devaient être investis par ces femmes qui ne se confinent plus dans lespace silencieux de la maison, lHistoire se faisant au cur même de la cité, de lespace masculin, dune société qui lui refusait le droit de parole. Aussi, poser la question de la place de la femme dans les espaces de vie revient à poser la question des mutations profondes dans le statut du féminin au sein dune société patriarcale, musulmane.
Cette attitude qui consiste à privilégier les valeurs et les comportements masculins au détriment de valeurs traditionnellement reconnues comme féminines, exclut cette « écriture féminine. Le « féminin » ferait passer une liberté dans lécriture, une écriture poétique, doublée dune image de femme puissamment subversive, à limage de Malika Mokeddem dont le trajet décriture sinscrit dans la problématique de lécriture féminine algérienne comme référent dune nouvelle écriture de femmes des années 90. Une écriture qui déconstruit les stéréotypes du genre et amène à une réinterprétation du sujet-femme.
Cest dans cet espace « symbolique », espace des écritures de résistance « envers et contre tout », dans un contexte socio-historique où la littérature reste étroitement liée à un référent doublement tragique pour les femmes, que nous situons le cas de Malika Mokeddem, écrivaine des années 90, pour qui « écrire, noircir le blanc cadavéreux du papier, cest gagner une page de vie ».
Il ny aurait pas une « écriture féminine » mais des « écritures de femmes », selon Malika Mokeddem en réponse à une question relative à sa définition de lécriture féminine :
« Il ny a pas une écriture féminine mais des écritures de femmes ! On écrit avec une histoire -la sienne inscrite dans celle dune contrée ou construite contre elle -, avec une pensée, une sensibilité, un corps. Certes, nous partageons toutes quelques aspirations, parfois dans des contextes similaires. Tout ce qui relève des émotions est universel. Mais nous navons pas les mêmes préoccupations ni les mêmes objectifs lorsquon naît aux USA, en Suède ou en Algérie
Cependant, la prouesse de tout écrivain, cest aussi de se mettre dans la peau de lautre ».
Ces écritures de femmes impliquées dans un contexte dont la situation socio-politique conjoncturelle des années quatre-vingt dix nest que la partie visible de liceberg dune société patriarcale où les références à la tradition de lIslam historique (la Sunna) et lobéissance à des traditions coutumières ( al adat ) règlent la conduite de la femme tant à lintérieur quà lextérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base déquilibre de la famille musulmane.
À lintérieur du corpus des textes de femmes algériennes de langue française, des années quatre-vingt dix, nous situons lécriture de Malika Mokeddem comme un référent dune nouvelle « écriture de femme », entre algérianité et féminité, écriture dans laquelle lauteur sattelle à une déconstruction de stéréotypes de genre et à une réinterprétation du sujet Femme.
Ecrire, pratiquer lécriture devient, pour Malika Mokeddem, une donnée existentielle. Cette foi dans lécriture comme pratique existentielle recelant une information sociale et politique, comme pari à exister, est aussi, nous le verrons, une tentative esthétique nouvelle dinscrire ce quelle est dans sa société, en tant que femme.
CHAPITRE II
ECRITURES DE FEMMES ALGERIENNES DEPUIS LEUR APPARITION JUSQUAUX ANNEES QUATRE-VINGT.
I- Sur la critique de la littérature féminine algérienne. PAGEREF _Toc246662125 \h 65
1-Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne.
2- Lapport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie.
II- Les romancières étrangères ayant écrit sur lAlgérie : dans la lancée du féminisme.
1-Sur le féminisme : PAGEREF _Toc246662128 \h 71
2- Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme. PAGEREF _Toc246662129 \h 74
3- Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale. PAGEREF _Toc246662130 \h 77
III- Premiers pas.
1- Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche, du côté du roman. PAGEREF _Toc246662131 \h 82
2- Assia Djebar ou la résistance de lécriture. PAGEREF _Toc246662132 \h 84
3- A lombre dAssia Djebar. PAGEREF _Toc246662133 \h 90
IV- Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles. PAGEREF _Toc246662134 \h 92
1-De la subversion formelle au « référentiel ».
2- Métissage et mixité : lexemple de Leïla Sebbar.
I- Sur la critique de la littérature féminine algérienne de langue française.
1- Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne.
Un regard sur la littérature des femmes algériennes ne peut avoir prétention à lexhaustivité, non seulement à cause de létendue de ce phénomène extrêmement riche et extrêmement varié de par les genres adoptés par cette littérature, même si le roman reste la forme dominante, -et cest dailleurs sur ce genre que nous nous attarderons le plus-, mais aussi à cause dune part de subjectivité de notre part, en tant que lecteur, qui fait retenir certaines uvres et passer dautres sous silence.
Une lecture de ces productions littéraires de femmes algériennes de langue française, dans le genre du roman, mais non exclusivement, sera faite, à travers le temps, par souci déclairage dans la progression de ces productions. La littérature de femmes algériennes, de langue française, comme toute littérature, se construisant en fonction dantériorités.
Les premières recherches sur les écritures des femmes algériennes post-indépendantes sont principalement menées par des universitaires femmes algériennes à partir des années quatre-vingt dix. Il nous semble donc impératif de tenir compte des travaux de ces universitaires algériennes qui ont tenté de circonscrire ce champ relativement autonome sur le plan institutionnel, de la littérature féminine algérienne dexpression française.
Le but de ces universitaires est de faire connaître cette littérature qualifiée de « peu abondante », mais qui en fait est freinée par un certain nombre dobstacles et dont le premier reste la méconnaissance et le manque dintérêt pour ces créations. Il faut aussi signaler quen dehors dune critique journalistique ponctuelle et réduite, ces études universitaires restent assez rares.
A notre connaissance, le premier travail qui mérite dêtre souligné reste le fruit dun laborieux travail dune équipe de recherche composée duniversitaires femmes de luniversité dAlger, dirigée par Christiane Achour : Le Diwan dinquiétude et despoirdont les recherches ont été menées de 1983 à 1987. Le Diwan réunit un corpus comportant 43 titres de récits, romans et recueils de nouvelles écrits entre 1947 et 1987.
Tout en rappelant les nombreux handicaps qui freinent cette production dont la méconnaissance totale de ces créations, la mise à lécart des littératures dites dexil, les difficultés pour les femmes à se faire éditer, Christiane Achour et Simone Rezzoug soulignent les nombreuses pressions sociales que subissent ces productions féminines :
« A ces difficultés générales, sajoute pour lécriture féminine un contexte social particulier. Lacte scripturaire, au Maghreb entre autres, ne participe pas des rôles communément fixés à la femme, et il semble signifier toujours, à quelque degré, la désertion dun poste, voir la transgression dinterdit. Lécriture féminine introduit dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui nont pas coutume dêtre exposés au débat collectif »
Le fruit du travail de léquipe a commencé à être connu lors dune manifestation organisée le 8 mars, journée de la femme, en 1987 à luniversité dAlger, en présence de quelques écrivaines qui créèrent lévénement, à lexemple de Myriam Ben, Souad Khodja et Hawa Djabali. Le Diwan ne finit par être édité quen fin 1991.
Loin des querelles « féministes » occidentales, ces essais tentent de cerner lémergence dune parole féminine algérienne doublement aliénée :
Dabord, en tant que femme colonisée rappelant son rôle dans la lutte de libération pour affirmer son droit à la parole. Dans ce sens, Christiane Achour et Simone Rezzoug soulignent la particularité de la revendication de la voix féminine algérienne : « la revendication sollicite la reconnaissance de la voix féminine au sein et non contre une communauté masculine », contrairement aux écritures féministes dautres pays qui mettent en lumière la domination masculine et du système patriarcal, et qui luttent pour un changement général et global de la société.
Ensuite, en tant que femme maghrébine musulmane, reléguée dans lespace « privé », espace de la réserve et du silence, et dont la voix investissant lespace du « publié » donc du public, est considérée comme illicite dans une société patriarcale, musulmane.
Lautre travail méritant dêtre rappelé, Noûn, Algériennes dans lécriture de Christiane Achour , paru en 1998, couvre toute la période allant de 1989 à 1998. Cet ouvrage inévitable pour quiconque sintéresse à lémergence et à lévolution de lécriture féminine algérienne, rend compte de la diversité de ces écritures où se mêlent uvres littéraires et expressions personnelles de revendication et de témoignage. Louvrage « se propose, selon lauteur, dêtre un essai, un espace danalyse, un document, un espace de lecture ».
Lessai porte sur la réception et lhistoire littéraire de lécriture féminine, sur limage des combattantes dans les romans, comme dans les albums de BD, en plus doffrir des études suer luvre dAssia Djebar et des « portraits » dHawa Djabali, de Latifa Benmansour, de Malika Mokeddem, et de Malika Ryane. Dans la dernière partie intitulée « Recherches sur les écritures de femmes algériennes : un parcours », lauteur revient sur le fruit du laborieux travail de léquipe de recherche duniversitaires femmes de luniversité dAlger, Le Diwan dinquiétude et despoir, où les écrits de femmes algériennes, de 1947 à1987 ont été classés systématiquement.
Un autre ouvrage de Christiane Achour publié en co-édition (ENAP/ Bordas), Anthologie de la littérature algérienne de langue française*, paru en 1990, consacre un chapitre à la littérature féminine algérienne sous lintitulé « Femmes écrivains 1962-1987) ».
Lauteur justifie ce regroupement dabord par le fait que les femmes algériennes écrivent surtout depuis 1962, ensuite par la place particulière quelles occupent dans lensemble de la production littéraire : « Depuis une dizaine dannées, les femmes écrivains introduisent une marque originale dans cette littérature, proposant des écritures nouvelles, des regards différents sur la réalité culturelle algérienne, reprenant dune manière novatrice le geste ancestral de la femme créatrice. »
Lauteur souligne la rareté des anthologies consacrées à ces écritures nouvelles : « Excepté pour Assia Djebar ou Aïcha Lemsine, rares sont les anthologies ou les panoramas de la littérature qui accordent une place un peu conséquente à ces écritures. Cest donc à une sorte de « marge » du corpus littéraire que nous désirons procéder. »
Notons que ces recherches universitaires allaient provoquer un déclic hors des espaces strictement universitaires à lexemple du groupe « Aïcha », groupe de recherche et décriture de femmes algériennes créée en 1989 ou des recherches entamées sur la littérature des femmes en arabe grâce à une arabisante, Faïka Medjahed..
2- Lapport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie.
Jean Déjeux est de loin, dès les années quatre-vingt, le premier critique masculin étranger à sêtre penché sur lécriture des femmes au Maghreb. Il présente lécriture des Maghrébines en la situant dans son contexte socio-historique en en traçant lémergence et lévolution.
En plus des nombreux ouvrages sur la littérature maghrébine, il sest intéressé à la littérature féminine algérienne et a publié entre autres :
- Femmes dAlgérie. Légendes, Traditions, Histoire, Littérature, en 1987.(La Boîte à Documents, 1987.)
- Assia Djebar, romancière algérienne, cinéaste arabe, en 1994. (Sherbrooke, Ed Naaman,)
-La littérature féminine de langue française au Maghreb,2003.(Karthala).
Un article, « Littérature féminine de langue française au Maghreb » publié dans Itinéraires et contacts des cultures, en 1989 constitue le jalon de la présentation du phénomène de lécriture féminine au Maghreb dans les années quarante. Larticle a été repris, élargi et actualisé dans son essai majeur, La littérature féminine de langue française au Maghreb, dans lequel il brosse un panorama historique prenant en compte un corpus littéraire publié jusquen 1991. Cet ouvrage peut servir de tremplin pour quiconque sintéresse à cette littérature afin de cerner quantitativement et qualitativement cette littérature.
Cet essai critique de Jean Déjeux propose une approche historique de cette littérature en cernant les étapes cruciales dont la période coloniale reste le repère essentiel pour un souci de lisibilité :
-La première période concerne ce qui sest écrit avant même la conquête française de lAlgérie en 1830. Cette période concerne aussi bien des voyageuses venues dailleurs que des femmes résidentes en Algérie, issues de la communauté européenne implantée en Algérie, et plus particulièrement des récits de femmes françaises ayant écrit sur lAlgérie.
-La deuxième grande période concerne ce qui sest écrit durant la période coloniale, que ce soit par des écrivaines algériennes ou par des françaises nées ou non en Algérie, y ayant vécu, avec cependant une subdivision en sous-périodes historiques ayant engendré des ruptures dans ces écritures, à lexemple de 1954, début de la guerre de libération, qui marque une rupture historique dans la littérature algérienne dexpression française, quelle soit écrite par des hommes ou des femmes.
-La troisième grande période relative à laprès-indépendance de lAlgérie, à partir de 1962, est axée exclusivement sur les écritures de femmes algériennes, avec une subdivision en plusieurs étapes afin de cerner lévolution de ces écritures de femmes ayant fréquenté au départ, pour la plupart, lécole française avant lindépendance, et ayant reçu un enseignement en français, dans les premières années de lindépendance.II- Les romancières étrangères ayant écrit sur lAlgérie : Dans la lancée du féminisme.
1-Sur le féminisme :
Il convient pour commencer de revenir sur lapparition de ce quon appelle la littérature « féministe » intrinsèquement liée à lémergence du mouvement féministe au XXème siècle qui a mis en évidence, parfois au premier rang de ses préoccupations, un débat en termes nouveaux sur les rapports du masculin et du féminin, à tous les niveaux, y compris celui du littéraire.
Aussi, la littérature dite « féministe » est à distinguer de la notion « décriture féminine ». Le féminisme, notion trop générale et trop complexe ne peut être saisie sans avoir au préalable posé la question du terme lui même.
Le terme apparu au XIXème siècle et attribué à la pensée utopique de Fourier, est employé par Alexandre Dumas fils en 1872, puis sera présent dans la plupart des textes et thèmes féministes après 1890, en France, et à létranger.
Dans larticle consacré aux femmes et au féminisme dans « lEncyclopédie Universalis », Geneviève Fraisse, note que « Dumas emprunte le mot au langage médical, qui fabrique ce néologisme, autour de 1870, à des fins nosographiques pour qualifier un arrêt de développement et un défaut de virilité chez des sujets masculins ». Elle notera sans sétonner que : « le vocabulaire politique sempare du mot féminisme pour caractériser les femmes qui revendiquent légalité avec les hommes, semblent vouloir leur ressembler, tandis que le vocabulaire médical a usé de ce terme pendant quelques décennies pour caractériser des hommes dapparence féminine ».
Les usages historiques du terme lui donnent un sens politique, par la double référence à Fourier et à Dumas fils, à partir des deux courants théoriques et politiques du XIXème siècle : la pensée utopique socialiste et marxiste, et la pensée républicaine et démocratique.
Lavènement de la IVème République en France, voit lapparition du néologisme «féminisme » où lindividu « citoyen » évoque une forme de neutralisation de la différence sexuelle. Lunité doctrinale du féminisme reste la volonté dégalité entre les sexes.
Cette volonté dégalité, formulée comme identité, ressemblance ou analogie, et même complémentaire reste une constante à travers lhistoire depuis le XIXème siècle jusquen 1970, considérée comme lannée « zéro » du féminisme, année de lémergence du MLF, le « Mouvement de libération des femmes », qui reste un mouvement social et politique, expression dun groupe social porteur dune demande de changement général de société.
Cependant, lalliance conflictuelle du féminisme avec le socialisme et le marxisme a rendu la tache difficile à la pensée féministe, la lutte des classes étant historiquement plus déterminée que la lutte des sexes.
Le M.L.F, né juste après mai 1968 rencontre la même contradiction où les femmes militantes de gauche forment des « groupes femmes » autonomes à lintérieur puis à lextérieur de ces institutions. Cette double appartenance politique dadhésion et de tension crée une situation paradoxale, voir intenable. Le MLF, recherche un équilibre politique difficile : La « sororité », concept politique ayant permis la diffusion du féminisme dans les diverses classes sociales, reste un concept ambigu, voir utopique, avec ses revers et ses récupérations.
La volonté de mettre les femmes en position de sujets et non pas dobjets de discours a pour effet lentrée des femmes dans les diverses instances du pouvoir social et politique. La constitution française inscrit en 1946, dans ses principes, légalité entre les sexes. Ainsi, les différences avec les étapes antérieures embrassent tous les domaines : le rapport à la loi, lautonomie sociale et familiale, et enfin la possibilité de parler du corps féminin. Dune part, la question du lien familial, et dautre part, le corps lui-même, représenté comme lieu de désir, dune libération.
En fait, on fait de la vie privée un lieu politique : « le privé est politique » affirment les féministes, qui, du coup, en mettant en lumière la domination masculine du système patriarcal, produisent un discours critique sur leur pouvoir propre : pouvoir du corps, de la séduction, de la maternité. On en vient aujourdhui, après la réflexion théorique née de la pratique militante, à sinterroger sur la différence des sexes où lusage du concept de genre, plutôt que de sexe qui domine dans les pays anglo-saxons, tend à placer en premier lieu dans lanalyse de la différence sexuelle, lidée que lexistence des deux sexes traverse lensemble des champs du savoir. Cela implique que ce concept de genre, qui en français est aussi pluriel (genres) désignant par là les domaines grammatical, sexuel, littéraire, devienne une composante de tout travail théorique.
2- Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme.
« Des voyageuses venues dailleurs qui avaient fait de cette terre, pour des raisons diverses, leur port dattache ou leur halte et des résidentes issues de la communauté européenne implantée » avaient décrit le pays avant lémergence dune littérature féminine algérienne, nous dit Christiane Achour.
Jean Déjeux nous rappelle quavant même la conquête de lAlgérie en 1830, dès 1823, un roman paraissait signé par une française. Il faudra attendre 1853 pour voir la publication dun roman par une autre française.
Jean Déjeux comptabilise seize romans parus en quarante-cinq ans, de 1853 à 1898, écrits par douze auteurs parmi lesquels : Joséphine de Voisins dAmbre, signant Pierre Cur, qui publie quatre romans où se reflète lidéologie de lauteur, partisan de lassimilation totale des Algériens, en montrant aux lecteurs « la part dombre et de barbarie des Arabes, avec tous les poncifs de cette époque fin de siècle ».
Selon Jean Déjeux, les françaises ayant connu le Maghreb ont écrit sur le Maghreb avant les maghrébines, de lintérieur, en véhiculant ainsi : « les poncifs, les clichés, les exagérations qui étaient fonction de lidéologie coloniale ».
En Algérie, Hubertine Auclert, citée par Jean Déjeux, publie un essai en 1900, Les Femmes arabes en Algérie, dans la lancée du féminisme, après un court voyage doù elle revient avec des « pages généreuses sur lémancipation des algériennes », car nayant quune connaissance « partielle » de la société algérienne.
Isabelle Eberhardt (1877-1904), dorigine russe devenue française par son mariage avec un maréchal des logis des spahis, Slimène Ehnni est citée à part comme personnalité exceptionnelle : « Généreuse mais tourmentée, éprise dabsolu(
) elle navait rencontré que certains milieux féminins, se plaisant dans la marginalité ».
En outre, Les Endormies dAngèle Maraval-Berthoin et de Magali Boisnard, paru en 1909, est lu par Jean Déjeux, comme un titre très « significatif » de cet impact du féminisme français. Cependant, sur limpact du féminisme français en Algérie, lauteur note que cest de 1919 à 1939 que fleurissent les romans de françaises sur la colonie : « En Algérie, on allait donc se pencher sur le sort de nos surs musulmanes pour les relever et les faire monter vers la civilisation et la culture apportées par la France ».
Limpact de la scolarisation sur le nombre limité dalgériennes à se lancer dans laventure de lécriture est souligné par lauteur, contrairement aux juifs algériens, devenus citoyens français depuis le décret Crémieux de 1870, qui avaient rejoint lécole française, alors que les musulmans, et surtout les musulmanes, ont connu une ségrégation supplémentaire dans la scolarisation.
Christiane Achour cite à ce titre le Bulletin de lEnseignement des Indigènes de lAcadémie dAlger de janvier 1900 pour démontrer la « ségrégation supplémentaire » quont connu les filles par rapport à une « sélection drastique » pour le droit à la scolarisation. Ainsi, il ne sagit pas de faire de ces jeunes filles « des pseudo-françaises portant jupons et chapeaux, mais seulement [
] des femmes de ménage sachant à peu près lire et parler français, ayant quelques notions de morale et dhygiène, sachant manier laiguille et le savon ».
Les quelques exemples de femmes algériennes ayant pu bénéficier dune scolarité, à linstar de Fatma Aït Mansour mère de Jean et Taos Amrouche font partie dun chiffre infime de filles ayant pu échapper à la politique contradictoire de la France afin de ne pas choquer les indigènes en respectant les « mentalités ».
De 1940 à 1962, Jean Déjeux compte vingt-cinq auteurs pour trente-cinq romans qui paraissent dans un contexte politique différent : occupation de la France en 1940, montée du nationalisme et de ses revendications, et guerre dindépendance (1954-1962).
En fait, mis à part les écrits dIsabelle Eberhardt, figure dailleurs très prisée par Malika Mokeddem, tous ces romans, selon Jean Déjeux, passaient sous silence un aspect important de la promotion des femmes et de leur libération, relatif aux durcissements du milieu algérien qui « préservait les femmes comme dernier refuge de la résistance et contre linvestissement de la société dans ses profondeurs ».
Cela conduit ces auteures à ne dénoncer que les travers vus dans le milieu musulman, à travers un féminisme qui ne tient pas compte des particularités ethniques, socioculturelles, politiques, reposant uniquement sur une volonté dégalité des sexes.
3- Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale.
Déjà, en 1947, Djamila Debèche, directrice dune revue féminine « LAction », participait à Paris, au Congrès féminin international où étaient représentées cinquante trois nations.
La revendication sociale était au cur du problème. Des unions de femmes, citées par Jean Déjeux existaient déjà : LUnion franco-musulmane des femmes dAlgérie crée en 1937 ; lUnion démocratique des femmes dAlgérie dans la mouvance du Parti communiste algérien, le PCA ; LUnion des femmes algériennes (UFMA) créé en 1947 par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Il est important de noter quen 1947, le droit de vote de la femme en Algérie existait, mais quil était assorti de restriction.
En 1949, paraît Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir qui met à nu la condition de la femme : « Les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde à égalité ; et aujourdhui encore, bien que sa condition soit en train dévoluer, la femme est lourdement handicapée. En presque aucun pays, son statut légal nest identique à celui de lhomme et souvent il la désavantage considérablement. Même lorsque ses droits lui sont abstraitement reconnus, une longue habitude empêche quils ne trouvent dans les murs leur expression concrète ».
Les mots de Simone de Beauvoir reviennent encore chez bon nombre dessayistes et décrivaines maghrébines pour lesquelles la féministe française demeure toujours un référent.
La référence au Deuxième sexe revient chez Malika Mokeddem et chez dautres écrivaines comme le premier apprentissage vers la libération des femmes ; apprentissage relaté par lauteure par ses importantes références livresques : « Je bûche et je lis tard. Des lectures importantes balisent mes insomnies. Rimbaud, Colette, Giono, Sartre, Beauvoir dont Le Deuxième sexe mouvre des horizons et me conforte ».
Cependant, il est à noter que jusque en 1954, à lexception de Djamila Debeche, les algériennes ne prennent pas vraiment part au débat public. Zineb Ali-Benali2 cite les conférences que Djamila Debèche a tenues à Alger entre 1946 et 1951 :
-« La femme musulmane dans la société », texte dune conférence prononcée à Alger, repris dans la revue Contacts en terre dAfrique3
-« les musulmans algériens et la scolarisation » ,conférence faite à Alger, le 15 janvier 1950, sous légide du comité de scolarisation et de lutte contre lanalphabétisme (créé en 1947 par le SNI) ; publié par la librairie Charras.
-« Lenseignement de la langue arabe en Algérie et le droit de vote aux algériennes, conférence faite à Alger le 8 juin 1951 ; publiée en brochure par la librairie Charras.
Nous noterons que Djamila Debèche, dans ses interventions orales, séloigne de la politique pour mener une action sociale. Il sagit de permettre à la femme de sortir de sa « chrysalide » grâce à la scolarisation. Ce terme sera dailleurs repris comme titre par Aîcha Lemsine dans son premier roman, La Chrysalide 4.
Le statut de lAlgérie française nest nullement remis en cause, même si lauteur rappelle que le pays devenu français a un passé, une Histoire, religieuse surtout. Le rôle de lislam qui permet à la femme de se libérer, et la colonisation qui lui ouvre les voies de la modernité, sont mis en parallèle. Cela autorise Djamila Debèche à revendiquer déjà le droit à lenseignement de la langue arabe et le droit de vote pour les femmes.
Jean Déjeux remarque que « lauteur (Djamila Debèche) na pas attendu les années quatre-vingt pour sexprimer et que, dès cette époque, son uvre ne fut pas centrée uniquement sur sa propre personne comme celle de Taos Amrouche mais directement sur la revendication sociale ». Dès 1954, les femmes engagées dans la lutte de libération sortent de la réserve, prennent moins la parole en tant que femme quen tant que combattante à part entière.
Au lendemain de lindépendance, Fadela Mrabet lance un cri pour protester contre lordre de priorité des problèmes à régler après lindépendance en laissant de côté la libération de la femme. Cest dans le domaine de lessai quelle fera grincer des dents au lendemain de lindépendance, en décortiquant sans complaisance la place réservée à la femme dans la société algérienne.
« Tant de problèmes se posent en Algérie (
) que le moment est mal venu, dira t-on, den soulever un autre : celui de la libération de la femme », nous dit Fadela Mrabet .
Si ces paroles se donnent comme plurielles, pendant la période de la guerre de libération(1958-1962), ce ne sera quaprès lindépendance que se feront entendre les accents particuliers des voix de femmes, toujours plus nombreuses. Selon Fadela Mrabet, lavenir nest pas complètement bouché, lespoir se dessine derrière les cris de révolte. L'argumentation rigoureuse en faveur de son émancipation prend le pas sur la polémique :
« Aux mères youyoutantes, aux cousines emmarmaillées, de libres citoyennes des femmes modernes succéderont-elles ? Il nest pas insensé de lespérer »1.
Vingt ans plus tard, Souad Khodja, loin de la révolte et du cri de rage des Algériennes, tente de poser le problème du statut de la femme avec objectivité. Leur désir de participation, sans déclaration de différence, souligne les diverses exclusions dont elles sont victimes. Entre leur engagement dans la lutte de libération et la place quelles occupent, une fois la liberté retrouvée, lécart est trop grand !
Les algériens qui écrivent en français durant la période de colonisation publient dabord des textes de réflexion. Ces essais répondaient en partie aux discours négateurs de loccupant. Cependant, les femmes ayant eu accès à lécole bien après les hommes, sengageront bien plus tard dans lécriture pour participer aux débats qui faisaient delles un objet, dautant plus quil fallait franchir le seuil de la claustration pour passer de la parole publique à la pérennité de lécrit.
« Nous pensions acquérir nos droits en faisant nos preuves », semblent dire ces exclues de parole qui se sont mises à écrire, donc à réfléchir, à analyser, en recourant au genre de lessai.
Certes, ces femmes, comme nous le verrons, publieront des romans, à lexemple de Jacinthe noire de Marguerite Taos Amrouche ; des traductions de contes et de légendes, en 1947, dans Le grain magique ; des poèmes, où la plume, comme la parole, est prise pour chanter, raconter, pour perpétuer la chaîne de la tradition oral de mère en mère.
II- Premiers pas.
1- Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche : du côté du roman.
Les femmes algériennes, peu nombreuses, font leur entrée en littérature à petits pas. Cette littérature sest limitée au départ à quelques noms de pionnières auxquelles de nombreux travaux universitaires ont été consacrés : Djamila Debèche, les Amrouche, Fadhma Aït Mansour, la mère, Marguerite Taos, la fille. Il a fallu attendre 1947 pour voir apparaître Leïla, jeune fille dAlgérie, de Djamila Debèche, et Jacinthe noire de Marie Louise Amrouche, roman qui sera réédité en 1972, précédé dune lettre dAndré Gide, sous le nom dauteur de Taos Amrouche.
Djamila Debèche, pionnière de la presse féminine en Algérie colonisée, et dont toute laction fut de militer pour la promotion de la femme Algérienne, tente de traduire cette lutte par le biais dune écriture romanesque autobiographique. Ses romans sont, selon Jean Déjeux, « comme de applications, des romans à thèse (
) de cette volonté de donner la parole aux femmes ».
Ce premier roman , témoin de ce premier mouvement de la littérature féminine, puis Aziza, publié en 1955, restent, selon Bouba Mohammedi-Tabti, des « romans bien conventionnels (
) où lintrigue sert de prétexte à des développements sur la possibilité pour la femme musulmane de sémanciper dans lAlgérie coloniale ».
Marie-Louise (Taos) Amrouche, considérée comme la première romancière algérienne entame avec Jacinthe noire, suivi en 1960 de Rue des tambourins et, en 1975, de LAmant imaginaire, un itinéraire romanesque à forte coloration autobiographique, marqué par son éloignement du pays et par lexil quelle vit avec les siens.
Ces deux premières uvres féminines publiées toutes deux à Alger, entrant par effraction dans le monde de la littérature dans un contexte socio-culturel défavorable, marquent une transgression conséquente par rapport à la société dorigine des écrivaines.
Cependant, Christiane Achour nuance cette transgression en situant les deux écrivaines comme des cas à part, car relatant « un parcours exceptionnel par rapport aux autres femmes ». Ainsi, les deux écrivaines « se situant dans des périphéries algériennes, le scandale est minimisé : trop différentes pour être représentatives, elles ne risquent pas de contaminer ; au contraire, leur singularité est gage disolement ».
Christiane Achour sexplique sur les raisons de cet isolement par le fait que « M-L Amrouche appartient à une famille de kabyles chrétiens, exilée en Tunisie et dont le frère a déjà publié des poèmes ; D. Debèche est connue des milieux de la colonie qui sintéressent à lémancipation de la femme musulmane ».
Ainsi, « Le message quelles entendent transmettre à partir de leurs romans nest pas reçu par ceux et celles auxquels il semblerait sadresser prioritairement. Il est perçu de façon positive par le milieu colonial qui y voit une preuve des prémices du changement des mentalités sous linfluence de la France ».
Il est à noter que le récit de Fadhma Aït Mansour, Histoire de ma vie, écrit en 1946, antérieur aux récits de Djamila Debèche, ne sera publié quen 1968, après sa mort et celle de son mari. Sa naissance illégitime, son instruction et sa conversion au christianisme, la condamnent à un statut de marginale que lauteur rente de restituer dans un texte plein de souffrance née de la différence, de lexil et de la mort des siens.
2- Assia Djebar ou la résistance de lécriture.
Il faudra attendre dix ans pour que le roman dune autre algérienne, Fatima-Zohra Imalayène, fasse la une. Son premier roman, La Soif, paru en 1957, est signé Assia Djebar, son nom-en-littérature, qui signifie en arabe, intransigeant pour Djebar, et « consolation, réconciliation » pour Assia Lauteur, qui na que vingt ans, écrira aussitôt un deuxième roman, paru en 1958, Les Impatients.
En 1962, Assia Djebar, après ces deux romans « intemporels », tournant le dos à l'actualité, fait paraître Les Enfants du nouveau monde, où elle fait explicitement référence à la guerre et au monde neuf que la lutte de libération nationale enfantera. Le titre de circonstance, mais trompeur, voudrait refléter une nouvelle réalité politique et sociale, à savoir l'indépendance de l'Algérie. C'est un fragment d'un poème dEluard, mis en exergue, qui accompagne ce « nouveau monde ».
"Et pourtant de douleurs en courage en confiance
S'amassent des enfants nouveaux
Qui n'ont plus peur de rien pas même de nos maîtres
Tant l'avenir leur paraît beau "
Nous connaissons la suite. C'est le désenchantement devant les éternelles barrières séparant l'espace public de l'espace privé qui se rétablissent. La femme est moralement amenée à réintégrer son foyer et redevenir la gardienne des valeurs retrouvées. C'est donc dans un contexte où l'on tente d'occulter son combat passé qu'elle en appelle à l'Histoire.
La colonisation a suscité la résistance des algériens, qui, à leur tour, durcissaient leur position envers les femmes en les reléguant dans l'espace privé, espace de la réserve et du silence, pour leur éviter le regard de l'Autre, voyeur avide d'enrichir son Harem colonial. Les femmes écrivains disent la guerre, leur présence incontournable dans la nation, mais elles le disent à leur manière, dans un désir de dire l'Histoire des femmes en les faisant entrer de plein- pied dans l'Histoire.
Malika Mokeddem ne dit rien dautre selon ARMELLE Crouzières-ingenthron, à propos du roman Les Hommes qui marchent : « En juxtaposant la guerre, en tant quhistoire collective, à plusieurs histoires individuelles de femmes, (elle) évoque par la même le désir démancipation de ces dernières »1.Toutefois, dans le cas de lAlgérie, il est inévitable de relever la contradiction démancipation et de claustration qui a présidé à la destinée des femmes. Beaucoup de romans écrits par des femmes disent que les femmes nont jamais été absentes de lHistoire de lAlgérie et quelles devraient être reconnues en tant que telles.
Des auteures comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine, Yamina Mechakra, Malika Mokeddem, apportent par leur lyrisme, leur symbolisme, et leur amplification stylistique, des images fortes de résistantes à lopposé des discours circonstanciels, des uvres de célébration, ne posant aucune question gênante à lHistoire.
Nous faisons ici allusion à ce que Assia Djebar écrit après un silence dune dizaine d années Femmes dAlger dans leur appartement et LAmour, la fantasia, où lauteur, dans une écriture hybride, explore par le détour de la fiction, la mémoire parcellaire des femmes à travers lHistoire, tout en relisant les historiens et chroniqueurs français de la conquête de lAlgérie.
La question de lémancipation de la femme, très tôt posée sur le plan psychologique, dans les deux premiers romans de Djebar : La Soif, et Les Impatients, sera transposée dans le domaine de la lutte pour lindépendance, dans Les Enfants du Nouveau monde. Les héroïnes, plus nombreuses que les hommes, vont chercher où trouver leur vérité. Chérifa trouvera la force dagir pour prévenir son mari recherché par la police. Lacte reste sans lendemain, après le départ de son mari, mais elle aura eu, même brièvement, la sensation d « exister ».
Cinq ans plus tard, en 1967, Les Alouettes naïves anticipe à travers Nfissa, spécimen encore rare de la femme de lavenir, sur le risque de voir la pureté de la Révolution dénaturée par lambition trop grande des politiques.
Il aura fallu dix ans de silence à Assia Djebar pour, selon Mireille Calle-Gruber, « accepter de nêtre ni en langue arabe ni en langue française mais en terre de littérature qui est lieu de pousse et de métamorphoses pour le sujet de lécriture ». Ce silence de dix ans pendant lequel Assia Djebar nécrira pas marque le creuset entre deux époques décriture, celle des uvres de jeunesse, et celle de la maturité entamée avec Femmes dAlger dans leur appartement, en 1980.
Ecrire, pour une femme, signifie écrire sur soi-même : « Jai senti à ce moment-là quécrire pour une femme signifiait inévitablement écrire sur soi-même. Et jai reculé », nous dit Assia Djebar.
Femmes dAlger dans leur appartement, recueil de nouvelles, regroupant des textes écrits sur vingt ans, de 1958 à 1978, est le dialogue quentretient le texte avec le tableau de Delacroix qui donne son titre au recueil de nouvelles. Ce dialogue est explicité dès la préface en mettant laccent sur ces femmes :
« En attente toujours. Moins sultanes que prisonnières. Nentretenant avec nous, spectateurs aucun rapport. (
) Etrangères mais présentes terriblement dans cette atmosphère raréfiée de la claustration».
Ce thème de la claustration, déjà présent dans Les Enfants du nouveau monde reste un élément majeur, thème récurrent dans la production dAssia Djebar. Ce sont les « restes dune culture de femmes » en voie de disparition, les cris, les chuchotements, les silences, qui remontent lenvers de lHistoire officielle, entre 1950 et 1954. Cest ce que souligne Mireille Calle Gruber dans louvrage consacré à Assia Djebar : « On comprend bien, dès lors, comment lautisme de la société algérienne et le double verrouillage où elle tient lexistence féminine, font tout le soin du livre dAssia Djebar »
Après Femmes dAlger dans leur appartement, les textes successifs qui viendront, LAmour, la fantasia ( 1985), Ombre Sultane ( 1987), Loin de Médine (1991), Vaste est la prison (1995), Le Blanc de lAlgérie ( 1995), Oran langue morte ( 1997) constituent, selon Mireille Calle-Gruber « une épreuve singulière pour lécrivain affronté à tous les partages : femme Algérienne, berbérophone par les grands-parents, arabophone par les parents, écrivant dans la langue française qui fut langue doppression pour les pays du Maghreb, pour elle langue de culture et démancipation lors des années de scolarité en Algérie, puis en France, à lENS, où elle étudie lHistoire, ne passera pas lagrégation pour cause de Guerre dAlgérie».
Assia Djebar, qui, selon Beïda Chikhi, « restera pour le public essentiellement un écrivain-femme qui parle de celles qui baissent les paupières ou regardent dans le vague pour communiquer », entame, inlassablement, surtout depuis Femmes dAlger dans leur appartement une quête de la forme, en inscrivant une dimension critique et une réflexion sur lécriture et lart en général.
Accéder à lécole et se mouvoir en toute liberté au dehors grâce au père permet à Assia Djebar de se dire et de dire les autres. Cette liberté et laccès à la langue française et à lécriturte dans cette langue, la langue de lautre, seule possible, installe la déchirure.
Le rapport complexe quelle entretient avec la langue française nexclut pas les langues maternelles. Le ressentiment dune sorte de conflit entre les deux langues, entre le français et larabe, va imprimer à luvre une nécessité et une urgence constamment présentes. Cest à propos de Femmes dAlger deans leur appartement quAssia Djebar écrit ces lignes :
« [
] je prends conscience de mon choix définitif dune écriture francophone qui est, pour moi, alors, la seule de nécessité : celle où lespace en français de ma langue décrivain, nexclut pas les autres langues maternelles que je porte en moi, sans les écrire ».
Lexercice autobiographique par les seuls mots français, senti comme périlleux par Assia Djebar, sera vécu avec moins de « complexité » et de « culpabilité » par les écrivaines algériennes de langue française qui « arrivent » plus tard, à lexemple de Malika Mokeddem.
3- A lombre dAssia Djebar.
Parmi les premières romancières qui tiendront compagnie à Assia Djebar, à partir de 1976, des noms émergent parmi lesquels : Aïcha Lemsine et Yamina Mechakra.
En 1976, Aïcha Lemsine signe dun pseudonyme La Chrysalide : Chroniques algériennes, éditée en France. Louvrage parait dans un paysage littéraire peu marqué par lécriture des femmes. Ce qui, selon Christiane Achour, explique le « bruit que produit alors la première fiction dAïcha Lemsine, La Chrysalide. Léditeur et le moment expliquent sa notoriété : être éditée par les éditions des femmes à Paris donne un label de féminisme à bon compte alors que plus dune page de ce roman serait à discuter et, en particulier le point de vue développé dans la fiction sur la polygamie ».
Au-delà de lappréciation esthétique que lon peut porter sur ce roman, paru dans un contexte de vide culturel où Assia Djebar navait plus publié depuis Les Alouettes naïves, en 1967, ce qui accentue lintérêt de la critique pour une uvre de femme algérienne, La Chrysalide, qualifié de roman « à leau de rose » par Christiane Achour, nen demeure pas moins une date inaugurant une période riche en production romanesque féminine. Aïcha Lemsine écrira en 1978 un second roman, Ciel de porphyre, roman situé dans le contexte de la guerre, et qui pose un regard critique sur les gouvernants.
Un événement esthétique paraît en 1979 : La Grotte éclatée de Yamina Mechakra. Le texte pose le problème du statut générique. Roman ou plutôt récit poétique tel que présenté par Kateb Yacine dans sa préface : « Un long poème en prose qui peut se lire comme un roman ». Contrairement à La Chrysalide de Aïcha Lemsine, La Grotte éclatée ne doit son succès quà ses qualités esthétiques. Ce qui lui vaudra dêtre réédité en 1986.
Ce récit historique majeur sur la guerre de libération qui dit toute la violence de la guerre est aussi un roman damour, en dehors de toutes conventions et des coutumes. Lauteur, psychiatre dans la vie, parle du corps, de lamour pour Arris, « nom triplement signifiant qui désigne aussi bien la terre, Arris, haut lieu de résistance, que lhomme aimé, que lenfant quil lui donne, les trois se confondant en un tout indissociable », selon Bouba Mohammedi-Tabti.
Ce récit, lun des plus forts sur une maquisarde, raconte lhistoire dun peuple en guerre, mais autrement, cest à dire en intervenant dans lHistoire en tant quécrivain : « à partir des émotions , à partir de sa propre culture », selon lauteur, en posant ainsi la question du rapport au langage. Ce que le roman signale clairement dès le début, en soulignant lorientation de son écriture :
« Langage pétri dans les nattes tressées au feu de lamour qui flambe depuis des siècles au cur de mes ancêtres et dans mon cur vers lequel souvent je tends mon visage gelé et mon regard humide pour pouvoir sourire. Langage pétri dans les tapis, livres ouverts portant lempreinte multicolore des femmes de mon pays qui, dès laube se mettent à écrire le feu de leurs entrailles pour couvrir lenfant le soir quand le ciel lui volera le soleil. »2
Ainsi, au delà de ce journal dune maquisarde, on retient lécoute des paroles des anciennes, des autres femmes dont elle se fera la passeuse dans son récit, pour ne pas oublier lHistoire des femmes, lhistoire de Rima, car raconter leur lutte ne doit pas faire oublier les oppressions dont elles furent victimes. Le « je » qui fait place au « nous » redonne sa dimension au corps toujours nié, à un portrait et à un visage concret, pour ne pas réduire la femme à son seul militantisme.
IV- Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles.
1- De la subversion formelle au référentiel.
Charles Bonn avance que dans les années quatre-vingt, la période de la génération des « monstres sacrés » (Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni
) sachève puisque les auteurs nécrivent plus ou écrivent des textes différents, en rupture avec le mythe de lorigine, la primauté de la subversion formelle nétant plus de mise. Ainsi, « le référentiel prend le pas sur lélaboration littéraire » selon lexpression de Charles Bonn.
La production littéraire de femmes de la décennie des années quatre-vingt offre un éventail hétérogène allant décritures stéréotypées à des uvres plus achevées : auteurs nouveaux, écritures nouvelles, augmentation des romans de femmes. Beaucoup de romans semblent moins préoccupés de recherche esthétique et formelle que de dinformation et de témoignage. Lentrée en force de ces écrivaines dans le champ littéraire, en langue française, révèle, en tout cas, de ce désir dexpression qui se manifeste alors, annonçant une percée plus conséquente à la fin des années quatre-vingt dix.
Bouba Mohammedi-Tabti classe dans cette catégorie décritures stéréotypées, centrées sur le message, souffrant « dun excès de didactisme, dune volonté de dénonciation », les romans de Hafsa Zinaï Koudil : La Fin dun rêve (1984 ), Le Pari perdu (1986 ), Le Papillon ne volera plus ( 1990 ), Le Passé décomposé ( 1992 ).
Sont citées aussi, dans cette catégorie, Zehira Houfani Berfas, qui verse dans ses romans, selon Bouba Mohammedi-Tabti, dans « la littérature de consommation avec une tendance nette à la moralisation, comme cest souvent le cas, dans les uvres les moins élaborées », et le roman de Fettouma Touati, Le Printemps désespéré(1984), classé dans la littérature de dénonciation des maux sociaux, de par « lintrigue ( qui ) en est assez ténue et ne sert que de prétexte à la démonstration qui sous-tend luvre ; laccent est mis sur la souffrance des femmes, leur enfermement, sur léchec multiforme de leur vie ».
Un roman, Le Cow-boy( 1983 ), le seul écrit par Djanet Lechmet, met en scène de façon inhabituelle dans la littérature algérienne, le récit dune enfance pendant la colonisation à travers la relation innocente dune fille révoltée, avec un jeune français. La transgression que représente à lépoque cette amitié amoureuse hors norme est doublée dune autre transgression : la révolte contre lécole quand on sait la valorisation de cet espace, synonyme de liberté, dans pratiquement toute la production littéraire féminine.
Myriam Ben écrit aussi un seul roman, Sabrina, ils ont volé ta vie. Le roman raconte limpossibilité dune vie harmonieuse du couple, même amoureux, dans la société algérienne. Cependant, lauteur sest surtout fait connaître par un recueil de nouvelles paru en 1982, Ainsi naquit un homme.
Le premier roman de Hawa Djabali, Agave, paru en 1983, dont lécriture est toute tissée de contes créés par lécrivaine, contient déjà presque tous les motifs que reprendra Glaise rouge. Boléro pour un pays meurtri, en 1998, roman considéré par la critique comme lun des plus beaux romans algériens.
La place que tiennent des figures féminines centrales, la grand-mère Nedjma et Hannana, et laide quelles apportent à lhéroïne, une jeune fille originaire dAlger, qui viendra séjourner dans la montagne, en lui transmettant lamour de la terre et des saisons, mettent « en veilleuse » ces espaces précieux qui ne sont pas épargnés par la violence, à linstar des uvres publiées durant cette décennie noire.
2- Métissage et mixité : lexemple de Leïla Sebbar.
Luvre de Leïla Sebbar, est présentée par Christiane Achour comme « uvre qui ne se comprend pas en dehors de la référence à lAlgérie mais qui ne se laisse classer ni dans la littérature de lémigration, ni dans la littérature algérienne. Elle ferait plutôt partie dune littérature française témoin du métissage » . Ainsi, aucun chapitre ne lui sera consacré dans son ouvrage de référence sur la littérature féminine algérienne, Noûn, Algériennes dans lécriture, mis à part la présentation de sa bibliographie.
Elle ne sera pas non plus citée par Bouba Mohammedi-Tabti dans son Regard sur la littérature féminine algérienne., tandis que Jean Déjeux la cite en soulignant son espace de fiction favori, celui du métissage, du mixte, à limage de sa personnalité, commencé à partir de 1981, avec un premier récit, Fatima ou les Algériennes au square qui sera suivi par des romans, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, en 1982 ; Le Chinois vert dAfrique, en 1984 ; un autre récit, Parle mon fils, parle à ta mère, en 1984, et deux autres romans : Les Carnets de Shérazade, en 1985 ; J. H cherche âme sur, en 1987.
Son itinéraire décriture de fiction en six années, de 1981 à 1987, est remarquable. Deux récits, cinq romans, et un ouvrage en collaboration avec Nancy Huston, Les Lettres parisiennes, autopsie de lexil, publiées en 1986.
A travers le personnage féminin emblématique de Shérazade, lauteur met en scène la difficulté à se situer entre deux pays, la France et lAlgérie, en croisant les symboles, les signes, les espaces : lorient et loccident, les réminiscences historiques, avec une nette mise en fiction de personnages marginaux, issus de lémigration, en France.
Conclusion
En conclusion, nous dirons que la décennie quatre-vingt, prometteuse dune littérature parlant de lAlgérie, mais se diffusant surtout en France, a donné naissance à des uvres médiatisées sans que leur qualité esthétique ne soit toujours conséquente.
Par ailleurs, lune des principales directions de lecture qui soffrent à nous reste le rapport à lautobiographie, même si dautres genres sont prisés, à lexemple de la nouvelle, et du récit poétique mêlé à la narration historique qui saffirme aussi comme une « technique » féminine pour conjuguer lHistoire à leur histoire personnelle et/ou à lhistoire des autres femmes, les liens étroits que tissent ces uvres avec une oralité considérée comme typiquement féminine, à lexemple de la présence fréquente du personnage de la conteuse.
Aussi, pour les thèmes privilégiés, nous retrouvons des constantes à travers des thématiques nouvelles permettant daffirmer une féminité et un vécu non conforme aux normes de la société : la thématique du couple, voir de léchec du couple, malgré lintroduction de personnages de femmes « modernes » ; laccès à la lecture et à lécriture comme premier pas vers la liberté ; la nostalgie envers le monde maternel, féminin, lié à lenfance ; limage du père et de la mère
Nous pouvons avancer que cette littérature féminine, à contre courant de sa société de référence, peut être appréhendée comme « contre-littérature » telle que définie par Bernard Mouralis qui met laccent sur sa subversion esthétique qui entraîne une remise en cause des normes établies et consacrées et dérange ainsi la société où émergent ces textes « subversifs ».
CHAPITRE III
LES ECRITURES DE FEMMES ALGERIENNES DANS LE CONTEXTE DES ANNEES 90 : LE CONTEXTE DE LURGENCE
HYPERLINK \l "_Toc246235888" I- Un contexte de violence, une écriture de lurgence.
1- Un contexte de violence.
2- Une profusion de textes écrits par des femmes
3- Rendre compte durgence dune situation par la littérature.
4- Plumes conjoncturelles : témoigner dune tragédie.
HYPERLINK \l "_Toc246235893" II : La dimension du tragique.
1- Une tragédie au présent.
2- Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort.
3- Une structure tragique : le resserrement de lespace et du temps.
4- Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation.
HYPERLINK \l "_Toc246235898" III- Lexemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem.
HYPERLINK \l "_Toc246235899" 1- Maïssa Bey : .
HYPERLINK \l "_Toc246235900" 2- Malika Mokeddem :.
HYPERLINK \l "_Toc246235901" a- Une écriture rattrapée par la tragédie
...
HYPERLINK \l "_Toc246235903" b- Investir différemment lespace textuel.
I HYPERLINK \l "_Toc246235904" V- Ecritures confirmées : Au cur de la tragédie.
HYPERLINK \l "_Toc246235905" 1- Assia Djebar.
HYPERLINK \l "_Toc246235906" 2- Hawa Djabali.
HYPERLINK \l "_Toc246235907" Conclusion.
I- Un contexte de violence, une écriture de lurgence.
1- Un contexte de violence.
Le contexte socio-politique de lAlgérie des années quatre-vingt dix a sa littérature, une littérature explicitement connectée à ce qui est appelé « tragédie algérienne », « crise algérienne », « décennie noire », marquée par la violence terroriste.
Cette littérature a énormément bénéficié des faveurs de la presse, algérienne, et étrangère, qui a publié des comptes-rendus de livres, des interviews décrivains. Cependant, la presse sest contentée de souligner la valeur de « témoignage-dénonciation » de ces textes, sans prendre en considération leur valeur littéraire. Il sagit de mettre en relation les faits fictifs et les événements historiques.
Du côté de la critique universitaire, cette littérature des années quatre-vingt dix nest généralement pas appréhendée comme phénomène spécifique, en tant que paradigme avec des caractéristiques littéraires spécifiques, même si quelques nouveaux auteurs ont retenu lattention des chercheurs, à lexemple de Malika Mokeddem, Azouz Beggag, Abdelkader Djemaï
Un colloque, tenu dans le cadre dune convention interuniversitaire (Université dAlger/Université de Villetaneuse), sous le titre « Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner dune tragédie ? », sous la direction de Charles Bonn et Farida Boualit, et dont les actes ont étés publiés en 1999, retient lattention dans le sens où « la tragédie » du référent et son témoignage par le biais de lécriture est au centre des préoccupations des différentes articles.
La percée des écritures féminines, constatée dans les années 80 prendra de lampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence. Cette explosion de textes est le produit décrivaines confirmées ainsi que de nouvelles écrivaines dont certaines entameront une uvre abondante en quelques années.
Cette focalisation sur ces écritures prises dans lurgence du présent, lurgence de la mort, nous amène à dire que la place de ces écritures de femmes sur le devant de la scène, au début des années quatre-vingt dix, ne serait pas le seul fait de la littérature mais le fait dun contexte qui les a sollicitées, et sans lequel, beaucoup de ces femmes nauraient pas écrit, si ce nest
pour témoigner de la violence généralisée dont elles sont les premières victimes.
Lune des raisons qui confirme cette relation de concrescence entre cette littérature prolifique des années quatre-vingt dix et le contexte socio-historique de lAlgérie de cette période est latténuation de façon notable et synchronique des deux phénomènes à la fin de la décade.
Ces uvres littéraires des années quatre-vingt dix retiennent notre attention par le fait quau-delà de leur valeur de témoignage dune tragédie, revendiquée par leurs auteurs mêmes, elles permettent de déceler une tendance scripturaire qui est la textualisation de discours du social qui dénotent une vision de lHistoire, vision qui se manifeste par une mise en texte de visions explicites de la réalité sociale. Ces visions sont par ailleurs assumées à travers les discours et les déclarations des auteurs de ces uvres.
Il ne sagit pas de reflet mécaniste de la société dans luvre, mais de reproduction, ou de re-présentation du social, du social produit de nouveau, qui se veut avant tout création, même sil semble évident quil sagit de re-présentation dun déjà là.
Leffet décho prégnant que produit la lecture de ces textes à travers la récurrence des thèmes et le projet de narration, pris en charge, en majorité, par des narrateurs-femmes, à la première personne, permettent de saisir, au-delà de la particularité de chaque texte, une
vision de lhistoire tragique lisible au niveau des événements diégétiques, des personnages, et de lécriture.
Il faut rappeler quavant la violence physique envers les femmes, la violence verbale, en Algérie, battait son plein dès 1989, selon lanalyse de Dalila Lamarène-Djerbal qui, après avoir rappelé les origines du mouvement fondamentaliste, le FIS, qui « tire ses origines du mouvement réformiste religieux, qui a proposé une lecture littérale de la religion dans un but de refondation, de renaissance mythique dune communauté musulmane pure pervertie par la colonisation », nous explique qu « A partir de lannée 1989, le discours de ségrégation et dexclusion va constituer le modèle de traitement de la condition humaine et sociale des femmes. (
) La violence verbale puis physique quelles connaissent déjà dans les différentes sphères, et particulièrement dans celle de la famille, sera exercée dans lespace public dune manière légitime ».
Il est vrai que toutes les catégories de citoyens seront touchés par la violence, cependant Dalila Lamarène-Djerbal observe que « en plus des dangers qui touchent indistinctement la population ( bombes dans les lieux publics, fusillades, massacres de groupes entiers), les femmes subiront un sort particulier du fait de leur statut : représentante du pouvoir, femme mère ou épouse de membres de service de sécurité ou des institutions de lEtat, puis en tant que sexe, comme femmes appartenant à la communauté et dont on sapproprie naturellement et légitimement les services ».
La gradation dans les atteintes faites aux femmes, depuis 1991, ira crescendo tel que le rappelle Dalila Lamarène-Djerbal, et que nous résumons ici :
Violences physiques à grande échelle , puis assassinats, contre les femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire ou de conduite ; assassinat des citoyennes accusées de soutien au pouvoir ou des femmes apparentées aux membres des services de sécurité ; obligation faite aux femmes et aux familles dentretenir les groupes armés et début des viols à travers les mariages forcés ; multiplication des enlèvements, viols sous couvert du zauadj el muta, enlèvements des femmes, séquestration, viols collectifs, tortures, assassinats et mutilations, sur tout le territoire.
En revenant sur lopacité du mouvement, dont « le déclenchement du conflit reste progressif, impalpable », Benjamin Stora cite trois moments possibles susceptibles dêtre considérées comme le commencement du drame :
-Les émeutes doctobre 1988, qui se concluent par leffondrement du parti unique, le FLN. Cest ainsi que les années qui suivront, entre 1989 et 1991, seront marquées par une série de gravezs incidents provoqués par des militants islamistes.
-La date du 11 janvier 1992, linterruption du processus électoral, suite à la démission du président Chadli Bendjedid.
- Lassassinat, le 29 juin 1992, de Mohamed Boudiaf qui avait pris la tête du haut comité détat ( HCE ).
Lannée 1993, année de lembrasement restera, selon Benjamin Stora dans les mémoires comme lannée des assassinats perpétrés par les nouveaux mouvements islamistes, les GIA, le FIDA, ou le MEI.
Ces Mouvements revendiqueront les assassinats, par balles,égorgement, décapitation, contre des intellectuels et des personnalités politiques et syndicales dont Djilali Liabes, lécrivain Tahar Djaout, le psychiatre Mahmoud Boucebci, luniversitaire MHamed Boukhebza égorgé chez lui devant sa famille, le poète Youcef Sebti, ainsi que les assassinats et les enlèvements détrangers.
1994, le dramaturge Abdelkader Alloulla est assassiné. A la fin de lannée, la veille du jour de Noël, le détournement dun Airbus de la compagnie Air France par un commando du GIA fera la une de la presse nationale et internationale.
Benjamin Stora rappelle un rapport de lorganisation non gouvernementale Human Rights Watch, du 10 février 1998, qui commence par ces phrases : « Les derniers massacres qui ont fait des centaines de victimes parmi la population civile en Algérie ont choqué lopinion internationale. Il en va de même pour les centaines denlèvements, le plus souvent à lencontre des femmes, par les groupes armés ».
Lhistorien confirme lampleur de la violence à lencontre des femmes avec chiffres officiels à lappui : « LAlgérie des années 1992-1999 présente la particularité dêtre ce pays où la violence à légard des femmes est des plus atroces. Ainsi, le gouvernement annonce, le 22 décembre 1994, que 211 femmes ont été assassinées depuis décembre 1993, avec viols, mutilations, décapitations ».
Des figures de femmes résistantes vont vite simposer sur la scène publique : femmes engagées dans la politique, femmes journalistes, membres dassociations féminines, écrivaines
Ainsi, de nombreuses femmes vont se lancer dans laventure de lécriture, à partir du conflit qui déchire leur pays et qui les dépassent. La tragédie algérienne, la violence généralisée et la violence faite aux femmes, rythment la vie particulière de chacune dans un conflit qui échappe à tous, et où la mort est omniprésente, faisant partie de la vie quotidienne.
Dans ces productions littéraires, le lien est vite établi entre ces écritures et le contexte socio-politique, de par les thèmes évoqués, des thèmes portés sur une réalité algérienne sanglante.
Ces événements marquants, à lexemple de lattentat qui a visé laéroport, et qui sera le prétexte narratif réel de La Prière de la peur de Latifa Ben Mansour, ou des nombreux enlèvements et séquestrations dhommes et de femmes, mais surtout de femmes, par des groupes terroristes, que reprend Hafsa Zinaï-Koudil dans Sans voix, alimentent ces textes écrits aussi bien par des hommes que par des femmes comme une obsession.
2- Une profusion de textes écrits par des femmes
Ce qui retient notre attention, cest cette profusion de voix féminines amorcée, certes, dans les années 80, mais qui prendra de lampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence, où on assiste à une véritable explosion de textes produits aussi bien par des écrivaines confirmées que par de nouvelles écrivaines qui entameront une uvre abondante en quelques années.
Rachid Mokhtari parle dune cinquantaine douvrages ayant été publiés entre 1993 et 1997, en se demandant si ces ouvrages sont « seulement des transcripteurs de lhorrible islamiste, écrivant sous la contrainte de lévénement ou au contraire, des continuateurs dun processus décriture qui prend racine de la génération des fondateurs du roman maghrébin moderne né sous la domination coloniale. »
Dans Noûn, Algériennes dans lécriture, Christiane Achour répertorie soixante-dix uvres de femmes publiées entre 1990 et 1998, alors que de 1947- date de la première uvre en français- à 1990, elle ne comptabilise que cent vingt uvres éditées, tous genres confondus.
Sur la multiplication des témoignages de femmes, Charles Bonn note remarque que « lorsque ce quotidien est celui dune femme, lautre volet de ce quil faut bien appeler un voyeurisme du lecteur occidental est également au rendez-vous ». Il constate que « les témoignages de femmes, dans une littérature où elles étaient longtemps très minoritaires, se sont soudain multipliés au contact éditorial de lhorreur algérienne ».
Par ailleurs, Christiane Achour remarque que « la place que les femmes prennent sur le devant de la scène, au début des années 90, nest, bien entendu, pas le fait de la seule littérature. Mais la littérature est présente aussi et on peut constater une manifestation de leur présence dans ces genres où elles éditaient peu. »
Dans un essai consacré à ce quon appelle la tragédie algérienne, Benjamin Stora constate que « De nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans laventure de lécriture, à partir du conflit qui déchire leur pays. »
Lhistorien affirme que « De 1992 à 1999, trente-cinq femmes algériennes ont fait paraître quarante ouvrages, en langue française, à propos des années infernales. » (p. 100), après avoir précisé que « il existe, en tout, prés dune cinquantaine dauteurs algériens qui ont publié au moins un ouvrage sur cette séquence »
De même, à propos de la décennie quatre vingt-dix, Susan Ireland parle de « lémergence dune série de textes écrits par des algériennes et qui ont comme sujet la situation actuelle en Algérie.».
De cette profusion de voix ( voies) , Plumes reconnues, Plumes émergentes, et Plumes conjoncturelles, voir éphémères, sont appréhendées durant cette décennie comme une expression de conjoncture dans lurgence de dire linstant tragique, même si quelques auteurs tentent déchapper au témoignage, en mettant en place un monde, certes frappé par lhorreur, mais une horreur quils dépasseront par une écriture qui recourt à limaginaire, à lexemple de Malika Mokeddem ou de Maïssa Bey.
Par « plumes conjoncturelles », nous parlons ici de ces femmes, à lexemple de Latifa Benmansour, Malika Ryane, Feriel Assima, Leïla Merouane, Leïla Hamoutene, Ghania Hamadou, Salima Ghezali, Rachida Titah, Nayla Imaksen, dont rien dans litinéraire ne laissait supposer pour les lettres, et qui ont investi un espace où quelques rares « plumes reconnues » avaient réussi à simposer, parmi lesquelles Assia Djebar, Hafsa Zinaï Koudil, Hawa Djabali, Leïla Sebbar.
Parmi les « plumes émergentes », des noms qui continueront à écrire après la décennie noire, jusquà aujourdhui, vont simposer : Maïssa Bey, Malika Mokeddem, Nina Bouraoui. Ces écrivaines dépasseront le simple cadre de témoignage en ayant recours à une écriture de subversion esthétique du réel.
3- Rendre compte durgence dune situation par la littérature.
Ecrivaines « reconnues », « émergentes » ou « éphémères », toutes répondent à lurgence dune situation exceptionnelle pour mettre laccent sur la synchronie des faits et de leur écriture, faisant coïncider dans le temps le réel et la fiction ».
Ainsi, pour Yamilé Haraoui-Ghebalou, « le présent est pour la plupart de ces écrivains, de lordre de lurgence à saisir, à fixer, à évaluer, à nommer ; mais une urgence presque toujours difficile à respecter dans la charge sans cesse évolutive de son inscription, dans le sillage sans cesse éclaté des événements, mais surtout dans lultime délabrement quelle provoque en lêtre ».
Lurgence est ainsi associée à la « hâte », tel que lexplique Farida Boualit : « lécriture de lurgence draine dans sa mémoire le sème de prématurité. Lécriture serait cet acte réalisé dans un rythme dune excessive rapidité, empêchant le contrôle et donc bâclé.
Christiane Achour abonde dans le même sens en affirmant que « lécriture des femmes- comme celle des hommes dailleurs-[mais, pour les femmes, les contraintes et les ruptures ont des effets plus destructeurs du fait de la fragilité de leur statut dans lespace littéraire et public] est prise dans une urgence qui ralentit son épanouissement serein et prospectif. »
Elle nuancera ses propos en accordant une note positive à ce dire dans lurgence : « Cette précipitation de lHistoire acculant la créatrice dos au mur à dire le sang et les flammes de sa terre a, sans doute, aussi, des effets bénéfiques puisquil révèle certains talents et incite un plus grand nombre à écrire ».
Une écriture prise dans une urgence, et non pas une écriture d«urgence », le terme ne renvoyant pas, selon Christiane Achour, à une « écriture bâclée, élaborée dans la superficialité. Urgence, cest lobligation où se trouve lAlgérienne de dire et de témoigner ».
Le terme durgence est ainsi associé à limmédiateté du témoignage, sans la nécessaire distance dune écriture de création. Ainsi, le terme « durgence », selon Achour, réintroduit les textes autres que littéraires, alors que le terme de création les exclut.
En dautres termes, il y aurait une situation exceptionnelle, le contexte tragique des années quatre vingt-dix, qui aurait poussé des femmes à prendre la plume sans pour autant parler décrivains. Ces auteurs qui passent par la fiction, revendiquant le statut décrivains de par le travail de transformation du réel, seraient dans la création, alors que, selon Farida Boualit « la création transcende les faits donc le temps ; doù le refus de la notion d écriture durgence par certains nouveaux écrivains ».
Malika Ryane, après sa première expérience décriture, Chroniques de limpure, paru en 1997, dans la revue Algérie Littérature/Action, parle dans linterview accordée à cette revue, à propos de cette chronique, dhistoire-prétexte dont il faudra recomposer les faits :
« Cette histoire nest quun prétexte (
) Je veux dire que je reste dans le témoignage. Il y a une mise en forme mais je nai pas recomposé les faits : cest le récit dune séquence de ma vie. Et justement, je voudrais le retravailler dans le sens dune fiction ».
A la question sur les raisons layant amené à écrire ce récit dans une forme entre témoignage et fiction, lauteur insiste sur sa volonté de témoigner et sur lécriture comme thérapie :
« Il y a plusieurs raisons. La première a été lenvie immédiate de raconter cette expérience, qui ma marquée parce que jai vu la mort de près (
) jétais rentrée chez moi et lassassinat, les meurtres au quotidien my ont rattrapée. Et, au fur et à mesure, je voulais écrire cette expérience mais aussi ce que je vivais au jour le jour (
) à partir de là, je voulais témoigner, par mon écriture, de la mort des autres, cette mort à laquelle javais échappé ».
Alors que Ghania Hammadou, écrivain-journaliste, auteur de deux romans, Le premier jour déternité et Paris plus loin que la France réfute que « lensemble de la littérature algérienne récente se trouve affublé du label littérature de lurgence (
) lurgence de dire linstant tragique (étant ) envisagée comme une tare, dont leffet essentiel serait de simplifier, donc de réduire la réalité ».
Soumya Ammar Khodja se pose la question sur le sens que revêt lénoncé «Ecritures durgence » :
« Je ne peux mempêcher de penser aux services durgence des hôpitaux. Etats graves, situations de maladie (éruptive), daccidents demandant des soins immédiats, vies en danger
Je crois que ces écritures longent, au plus près, ce point nodal : là où la mort et la vie, haletantes, sentrelacent le plus férocement jusquà se confondre ».
Il sagit aussi de témoigner durgence par obligation morale, pour ne pas oublier, cest ce que retient Farida Boualit à propos de cette notion « décriture durgence » : « Retenons quil se dessine une stratégie scripturaire qui plaide pour le souci de la responsabilité morale : lécriture a pour finalité de conjurer la mort en sauvant la mémoire ».
Soumya Ammar Khodja rappelle que « les premières chroniques, celles de Naïla Imaksen, dAssima Fériel, de Fatiah, de Nina Hayat, si elles sont un cri de désespoir et de révolte procèdent aussi dun travail de deuil. Action sur la mort, action vers la vie, pour la vie. Mais action coûteuse, douloureuse ».
Beaucoup décrivains sinterrogent sur ce « dit » de lurgence tout en se questionnant sur la légitimité de la « greffe » de lesthétique sur le tragique à lexemple dAssia Djebar qui continue à écrire sans que le tragique du réel, plus destructeur pour les femmes que pour les hommes ne diminue de sa verve créatrice :
« Quest-ce qui a guidé ma pulsion de continuer, si gratuitement, si inutilement, le récit des peurs, des effrois, saisis sur les lèvres de mes surs alarmées, expatriées ou en constant danger ».
Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et lautobiographie dune mémoire collective pour « dérouler la longue procession des morts, directement nommés. Dissémination de textes doù toute fiction est à présent exclue. » dans Le Blanc de lAlgérie où lécrivain naura jamais collé daussi près à lactualité sanglante.
Malika Mokeddem assume lappellation décriture durgence qui la rattrapée après deux romans de conteuse où le travail sur lécriture prend le dessus sur toute forme de témoignage :
« (Mes) deux premiers romans sont ceux dune conteuse. Mais, à partir du moment où les assassinats ont commencé en Algérie, je nai plus pu écrire de cette façon- là. Mes deux premiers livres, Linterdite et Des Rêves et des assassins, sont des livres durgence, ceux de la femme daujourdhui rattrapée par les drames de lhistoire ».
La femme daujourdhui est rattrapée par les drames de lhistoire : il sagit pour Malika Mokeddem comme pour les autres femmes de témoigner dune « tragédie » ou dun « drame » aussi bien individuel que collectif, tel que lexplique Farida Boualit :
« Drame, tragédie, traduisent la manière dont ces sujets se représentent la situation actuelle de lAlgérie : une façon particulière de considérer une situation socio-historique (puisque tragédie et drame ne sont pas des concepts qui appréhendent des objets en soi, éloignés du sujet ) est, en fait, érigée en proposition vraie ».
Il ny a pas que la fiction pure qui retraduit cette dimension du tragique à travers la souffrance des protagonistes- femmes impuissants, devant une « fatalité » qui na pas de solution, et la présence déléments constitutifs du tragique ; cette dimension du tragique est aussi bien énoncée à partir dautres genres : chroniques, autobiographies, essais, quà partir des relations des textes à leur co-texte, tel que défini par la sociocritique : ce qui accompagne le texte, lensemble des autres textes, des autres discours qui lui font écho, tout ce qui est supposé par le texte et écrit avec lui ».
4- Plumes conjoncturelles : témoigner dune tragédie.
La grande majorité de ces témoignages de femmes sont écrits par des auteurs qui nétaient pas connus du grand public. Ces écritures se sont multipliées au contact éditorial de lhorreur algérienne. Cest le cas de Fériel Assima, Malika Ryane, Latifa Ben Mansour, Soumya Ammar Khodja, Salima Ghezali, Malika Boussouf, Leïla Marouane, Leïla Hammoutene, Nayla Imaksen, , Fatiah, Nina Hayet, Zineb Labidi, Ghania Hammadou
Ces textes, « prétextes », « au service », dirons nous, dun témoignage qui constitue la priorité de ces nouvelles écritures, émergent en nombre, à lexemple des nombreux textes portant le titre de « Chronique de ».
La troisième femme dIsmaël, Chronique algérienne, de Naïla Imaksen, Une femme à Alger, Chronique du désastre, de Fériel Assima, Chronique dune femme dans la tourmente, de Fatiah, La nuit tombe sur Alger la blanche, Chronique dune Algérienne, de Nina Hayat, Chronique de limpure, de Malika Ryane, sont des chroniques qui évoquent ce que le journalisme reste impuissant à rendre : latmosphère de mort et la dévastation des âmes dans lAlgérie des années 90.
Selon Soumya Ammar Khodja, ces chroniques sont, chacune à sa manière, un « mémorial » en hommage aux disparus », et « peuvent constituer un document ponctuel sur ces assassinats et aussi une action et une réaction en urgence devant un réel chaotique ».
Fériel Assima, journaliste de formation, évoque par une écriture de témoignage, ce que le journalisme est impuissant à rendre : la dévastation des âmes dans lAlgérie des années quatre-vingt dix. Elle ne sera pas la seule femme journaliste à opter pour la fiction-témoignage. Nous citerons lexemple de Salima Ghezali dans Les Amants de Shahrazade,ou de Malika Boussouf, dans Vivre traquée.
Dans Une femme à Alger, Chronique dun désastre, Fériel Assima met en scène des femmes, résistantes dans lombre, qui, malgré les arrêts de mort à lencontre de celles qui ne portent pas le voile, ne font pas la prière, travaillent, et continuent à vivre. Elles continuent à soccuper des choses de la vie, se lever, préparer les enfants, prendre le bus, changer dhoraire. Elles continuent à être coquettes malgré langoisse de ne pouvoir rentrer le soir.
La structure tragique de la majorité de ces textes, dans le traitement de lespace, du temps, et de laction, se reflète dans les choix qui sont faits concernant un moment de vie des personnages, qui sont « prisonniers » dune situation cruciale : le passage ou le possible passage de la vie à la mort.
II : La dimension du tragique.
1- Une tragédie au présent.
Quelque soit le genre adopté, Ces récit- témoignage mettent en scène une intimité au bout de lenfer et de la solitude, au-delà du réel immédiat.
Une « tragédie » se joue dans limitation dune action grave et complète qui se joue dans un espace fermé par des personnages femmes en quête de paix et damour, plongés dans le malheur par des puissances qui
les dépassent. Le conflit est au cur de lintrigue, conflit des hommes entre eux, conflit entre la femme et lhomme, dirons nous.
Il ne sagit, bien sur, pas ici, de tragédie, comme genre théâtral, tel que la définit Aristote dans sa Poétique, vers 335 av. J.-C/
« La tragédie est limitation dune action de caractère élevé et complète, dune certaine étendue, dans un langage relevé dagréments dune espèce particulière suivants les diverses parties, imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen dun récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation des passions de cette sorte. Jappelle langage relevé dagréments celui qui a rythme, mélodie et chant ; jentends par agréments dune espèce particulière que certaines parties sont exécutées simplement à laide du mètre, tandis que dautres, en revanche, le sont à laide du chant. »
La tragédie, née en Grèce au VIe siècle avant J.C, est un genre étroitement lié à la mythologie gréco-latine, à l'idée de destin et de liberté. Disparue au Moyen Âge, et florissante à la Renaissance, puis à la période romantique, elle connaît un regain dintérêt au XXe siècle (Brecht, Anouilh, Sartre, Camus).
Le fait que La tragédie ait souvent été considérée comme le plus grand genre dramatique, le plus noble, par opposition à la comédie, peut s'expliquer par limpression que la tragédie donne toujours au spectateur, celle d'un éloignement. En effet, lun des traits fondamentaux de la tragédie est délaborer un monde textuel, s'incarnant " par la suite dans une mise en scène, qui crée une distance par rapport à la réalité quotidienne, prosaïque.
La tragédie se jouant à distance a pour effet dagrandir, damplifier, voir de sacraliser ce qui y est représenté. Leffet de distance a recours au choix du sujet qui est emprunté à lHistoire ; à la légende (mythologie gréco-romaine ou chrétienne); au choix des personnages illustres, nobles ; au choix de grands thèmes tels que le pouvoir, lhonneur, la justice, lamour ; à un style élevé.
Il nen est pas de même dans ces écritures de témoignage, témoignage dune tragédie, ou selon Farida Boualit, « témoigner de ce qui se passe cest témoigner dune tragédie, à la fois tragédie de lAlgérie et tragédie individuelle, tragédie dune génération et tragédie de soi ».
Lécriture de cette tragédie est en rapport constant avec le présent. Lexigence de faire coïncider dans le temps le réel et la fiction devant limminence de la violence ne permet pas le recours à la nécessaire distance par rapport à la réalité prosaïque que requiert la mise en scène de la tragédie classique et qui permet damplifier ce qui sy joue.
« Cest ici et maintenant que ça se joue, et cest maintenant que ça sécrit ». « Limminence du témoignage (témoigner durgence) est devenue limminence de sa modalité ( par écrit) » nous dit Farida Boualit pour expliquer lemploi du syntagne « Ecriture de lurgence ».
L'action que représente la tragédie est toujours pathétique et tragique et reste toujours liée à la présence d'une transcendance, d'une puissance qui domine le personnage tragique et sur laquelle celui-ci n'a pas de contrôle. Selon Henri Gouhier « il y a tragédie par la présence dune transcendance, quelle que soit cette transcendance » Cette transcendance peut être figurée par une divinité, par une passion ou par des valeurs imposées par un ordre social.
Ainsi, en est-il de la « dimension tragique » que lon retrouve dans ces voix féminines, quel que soit le genre adopté, et qui se joue sur la scène « Algérie » où lhéroïne est opposée à une entité, à un malheur devant lesquels elle se sent impuissante
Ces textes qui parlent de lAlgérie des années quatre-vingt dix sont constitués de ce que J.-m. Domenach appelle « le matériau ordinaire de la tragédie (
), la souffrance, le deuil, les larmes. »
Ce matériau provoque la perte, la déchéance du personnage femme; elle le condamne à une existence fermée, sans d'autre issue que la mort. S'il veut combattre, c'est en pure perte: il n'a pas de prise sur les événements, il ne peut agir sur eux; ce sont plutôt eux qui agissent sur lui, révélant par le fait même son impuissance et sa misère.
Ainsi, selon Farida Boualit : « le recours à la notion de tragédie permet, contrairement à celle de crise, de placer la question de la situation historique de lAlgérie sous le signe prédominant dun pathos : celui de la douleur , de la souffrance dun sujet qui en est victime ».
De plus, « le sentiment tragique, selon Bouba Mohammedi Tabti, ne naît pas seulement de cette présence de la mort mais, bien plus, de son caractère arbitraire ».
Cette impuissance devant des forces qui décident du sort dun sujet qui devient victime, lié au caractère arbitraire de la mort, constituent lessence même du tragique.
2- Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort.
Le sentiment du tragique ressenti à travers lomniprésence de la mort mise en scène par les bourreaux, tel un spectacle perpétuel, est renforcé par son caractère arbitraire. Victimes arbitraires dans le sens où elles sont dépassées par ce qui échappe au domaine de lexplication, de la raison, comme laffirme George Steiner : « Les poètes tragiques affirment que les forces qui édifient ou détruisent notre vie se trouvent en dehors du domaine de la raison et de la justice ».
Selon Bouba Mohammedi-Tabti, « Cet arbitraire et cette injustice des forces qui décident du sort de lhomme constituent lessence même du tragique ».
Cet arbitraire devant la mort se retrouve dans les uvres de témoignage de femmes où les personnages féminins dans la force de leur exigence de liberté, et lomniprésence dune violence extérieure, celle de lHistoire semant la mort, au hasard.
Dans Le premier jour déternité, de Ghania Hammadou, le caractère arbitraire de la mort est porté à son paroxysme par le choix du personnage de Aziz, lartiste passionné par le théâtre, « un être pur et désarmé, un éternel naïf qui croit que tout le monde est bon comme lui ; à lultime seconde de sa vie, il posera cette question à son assassin : Pourquoi ? Je ne vous ai rien fait, pourquoi ? », nous dit lauteur.
Le premier jour déternité, présenté comme roman, est qualifié de « thrène » par Bouba Mohammedi Tabti, thrène ou chant de deuil de la narratrice, après lassassinat de lhomme quelle aimait. Deuil qui saccomplit dans lexil, loin de la tombe de lhomme aimé, avec en toile de fond, la violence et le cri des suppliciés dans une Algérie en proie à la guerre.
Le même sentiment absurde devant le caractère arbitraire du choix des passagers à exécuter revient dans Chroniques de limpure de Malika Ryane qui relate le détournement de lairbus dAir France avec une actrice et narratrice, Malika Ryane, involontaire dun événement qui a fait basculer sa vie. Le choix arbitraire des otages à exécuter et « limpuissance sur le fauteuil du condamné » de la narratrice fait vivre la scène en anticipant sur sa mort, et donne envie de se révolter devant cette injustice. « Crier dans sa tête : non ! Ne pas accepter quon vienne me chercher pour mexécuter. Pourquoi ? Sentiment dimpuissance et dinjustice profonde. (
) Prise à témoin solennelle avant la mise à mort, telle Iphigénie invoquant les dieux et leur puissance absurde. Personne ne maurait écoutée, pas plus que les olympiens nont prêté loreille à la fille dAgamemnon. La scène reste vide comme les cieux ».
Chroniques de limpure raconte le refus de lêtre humain à mourir dans langoisse qui naît du dévoilement, dun face à face avec une actrice involontaire dun événement qui a fait basculer sa vie.
Dans Le Châtiment des hypocrites, de Leila Marouane, la vie de linfirmière Kosra bascule dans lhorreur en se rendant en voiture à son travail : elle sera enlevée et séquestrée dans un maquis islamiste où elle subira les pires sévices, avant dêtre relâchée. De même pour lenlèvement et la séquestration, par un groupe terroriste, des trois personnages de Hafsa Zinaï Koudil dans Sans Voix que rien ne prédestinait à se rencontrer : une jeune fille, un officier de larmée, et un vieux croyant incrédule devant ces dérives de la religion. Lattentat de laéroport dAlger, relaté par Latifa Ben Mansour dans La Prière de la peur, emportera les deux jambes de Hanane, une jeune algérienne rentrant définitivement de Paris. Lespace des aïeux dans lequel elle se réfugie sera investi par la violence terroriste.
3- Une structure tragique : le resserrement de lespace et du temps :
Malika Ryane raconte, dans Chroniques de limpure, la tragédie qui se joue à huis clos dans lavion dAir France investi par un commondo islamiste, le 24 décembre 1994. Elle dira de ce premier récit en répondant aux questions dAlgérie Littérature/Action: « Quand je me suis mise à lécriture, langoisse de ce qui était arrivé était passé : par deux fois, jai vu la mort, jai cru quon venait me chercher et mexécuter. A ce moment-là, tout était blanc dans ma tête
[
] Après la libération de lavion, jétais dans un état deuphorie excessif, anormal. On nous disait de parler, de raconter. Jai pensé à lécriture comme une thérapie. »
Le resserrement de lespace aux dimensions de lavion accentue le sentiment du tragique, selon Bouba Mohammedi-Tabti : « la pièce se joue à huis clos, le verrouillage des portes frappant les trois coups inauguraux, les trois journées étant autant dactes qui précèdent lépilogue. »
« La peur de la mort ne soublie pas, mais ce qui marque plus encore, cest la manière de mourir. Limpuissance sur le fauteuil du condamné. Avoir eu lassurance au moins par deux fois que son tour est arrivé et ne pouvoir rien faire (
) Prise à témoin solennelle avant la mise à mort, telle Iphigénie invoquant les dieux et leur puissance absurde. Personne ne maurait écoutée, pas plus que les olympiens none prêté loreille à la fille dAgamemnon. La scène reste vide comme les cieux. Lhéroïne grecque en est sortie la tête haute tandis que les voiles hellènes faisaient route vers Troie. ».
Ce rétrécissement de lespace peut être retrouvé sous dautre forme dans lEspace Algérie. Dans La Prière de la peur, de Latifa Ben Mansour, Hanan, jeune algérienne vivant à Paris, décide de regagner définitivement lAlgérie. Un attentat à laéroport dAlger lui emportera les deux jambes. Se sachant en sursis de courte durée, elle se réfugie chez ses ancêtres, à Aïn el Hout, terre de ses ancêtres, accompagnée de laïeule, Lalla Kenza qui lui transmettra un trésor : la culture de ses aïeux. Hanan couche sur le papier sa vie et ses expériences ainsi que la parole de laïeule, jusquau bout, tandis que sapproche son terme
Le temps est compté et Hanan donne des consignes pour ses funérailles en chargeant sa cousine Hanan, le seconde, voix de la première, de lire son écrit aux membres de la famille durant la veillée funèbre. Hanan rejette ce contrat, incapable dassumer cette lecture.
Le temps se rétrécit rapidement, il est trop tard : lespace des aïeux est investi par les intégristes, laïeule est tuée, et Hanan meurt de douleur.
Ce chant dédié à la culture et à la terre dorigine de lauteur reste une tragédie dans le sens où les trois principaux personnages-femmes, deux jeunes femmes nommées Hanan, équilibrées, puisque modernes et attachées aux valeurs culturelles de leur groupe, et une aïeule, Lalla Kenza, vont mourir de mort violente, victimes dattentat ou dassassinat
Ce plaidoyer pour lattachement à une culture menacée, semblable au projet du roman précédent, Le chant du Lys et du basilic, sinscrit bien dans lactualité : de lattentat à la bombe de laéroport à lassassinat de laïeule Lalla Kenza, porteuse de mémoire.
La tension entre la femme qui écrit, Hanan, et un monde bouleversé est ressuscitée dans un déluge de sang et de haine. Hanan semble porter seule, à linstar des autres protagonistes- femmes de ces témoignages des années quatre-vingt dix, une parole lucide mais désespérée.
En 2001, Latifa Ben Masour écrira un deuxième roman, LAnnée de léclipse, dans lequel elle revient sur les traumatismes causés par cette tragédie, à travers lhistoire de Hayba, gynécologue réfugiée en France après avoir été violée, pleurant son mari et sa fille sauvagement assassinée.
Le tragique surgit, comme dans Un Ciel trop bleu, de Rachida Titah, pour bouleverser la vie de personnages heureux, vivant dans léquilibre des traditions et de la modernité, mais qui, inéluctablement sont confrontés à la violence extrême de lhistoire de leur pays.
A l'été 1999 en France, l'éclipse solaire est au centre de toutes les conversations. Eclipsée par le drame affreux qu'elle a vécu, Hayba, gynécologue réfugiée en France, comme lauteur, après avoir été violée, pleurant son mari et sa fille sauvagement assassinée, attend un enfant de son mari avant le viol. Ce renouveau va laider à retrouver le sens de la vie, de lamour.
Lauteur revient sur tous les ingrédients dune écriture de témoignage sur la tragédie, à savoir, le passé de 'Hayba à Oran, la peur dans la rue, au travail, le poids de la menace, l'urgence du départ et, finalement, l'attentat. Elle dit aussi dans une écriture réaliste, le quotidien de cette femme, sa traversée des enfers,sa douleur actuelle, l'envie de se souvenir et le besoin d'oublier.
Dans son recueil de nouvelles, Un Ciel trop bleu, paru en 1998, Rachida Titah saisit dans linstantané du contexte de la décennie noire, des scènes typiques de la violence sociale en Algérie. Le tragique, banalisé par le trop grand nombre de faits divers sanglants, fait soudainement incursion dans la vie des protagonistes menant une vie paisible, ne sattendant pas à un tel bouleversement. Ce tragique est inscrit, ici, en profondeur, dans la conscience de ces victimes de lombre, traumatisées : une mère arrachée à son enfant, à la suite dun attentat terroriste qui ensanglante le « ciel trop bleu » de la petite fille ; Le bouleversement dune mère qui devient amnésique suite à la mort de son fils unique devenu islamiste, abattu dans un barrage militaire alors quil transportait une bombe ; lassassinat dintellectuels par la horde intégriste ; linquisition et la haine filiale à travers la mort symbolique dune mère, veuve, insultée par sa propre fille, universitaire « enveloppée dépaisses étoffes noires » jetant lanathème contre sa tenue vestimentaire.
Dans la nouvelle intitulée La Gifle, la mort symbolique dune mère, veuve, est relatée à travers linsulte proférée par sa propre fille unique transformée en une silhouette « enveloppée dépaisses étoffes noires ».
La mère ne comprend pas, et sinsurge contre cette inversion des valeurs :
« La haine nue, les malédictions, les accusations de déviation graves [
] par cette femme soudain étrangère, soudain ennemie [
]. Pour la première fois de sa vie, de guerre lasse, la mère sinsurge se lève et [
] dun geste violent, soufflette son enfant. »
La structure des nouvelles est quasi identique : un état initial où la vie sécoule paisiblement, et un bouleversement brusque où mort et désolation déséquilibrent complètement les personnages. A un bonheur anodin, se substituent les cris et les souffrances des suppliciés.
Dans la nouvelle douverture, Un Ciel trop bleu, qui donne son titre au recueil, comme dans la nouvelle Définitive séparation qui revient sur les assassinats dintellectuels, les nouvelles tragiques sont relatées par le canal des médias, surtout la télévision, par lesquels le malheur atteint les personnages de par les nouvelles tragiques qui les concernent.
Le ciel trop bleu que ne cesse dadmirer de sa fenêtre la petite fille, tandis que la télévision montre des scènes de corps déchiquetés, sera ensanglanté par lattentat terroriste auquel assistera lenfant et qui emportera sa mère.
La scène de la tragédie reste, du point de vue de lenfant, la télévision dont les scènes dhorreur diffusées restent gravées dans sa tête. Le passage de la fiction, c'est-à-dire des images de la télévision, à la réalité du corps déchiqueté de sa mère reste ambigu chez la petite fille :
« La petite fille pense avec délices quelle va, dans un tout petit moment, simmerger dans le bleu du bonheur parfait. Or, elle ressent un mouvement brusque de sa maman qui, dans un bruit assourdissant, la précipite brutalement dans son cauchemar, à lintérieur même du maudit poste de télévision ».
Elle implore sa mère : « Maman (
) sors moi de la télévision (
) Que Dieu te garde à moi ».
Le Châtiment des hypocrites de Leïla Marouane sur un ton grave, rétrécit lespace tragique au maquis. Melle Kosra vivait à Alger lorsque sa vie bascule dans lhorreur ; elle se rendait en voiture à son travail (elle est infirmière), quand sa voiture est bloquée par un autre véhicule et quon loblige à y monter. Des intégristes cachés dans la montagne ont besoin de ses capacités en médecine pour soigner leurs blessés.
Fatima est enlevée et séquestrée dans un maquis islamiste. Elle est relâchée après avoir subi tous les sévices. De retour à Alger, enceinte et malade, elle tombe dans la zone la plus noire avant une remontée qui sachèvera dans lexil.
Mlle Kosra effectue ainsi une navigation silencieuse, dans un corps douloureux, à la recherche de son identité fracturée. Sa quête sappuie sur des lieux vibrants le maquis, Alger, Paris quelle investit de fantasmes érotiques.
Lauteur, échappe à une écriture limitée au témoignage en maintenant les tensions entre la sublimation fantasmatique. Dans les dernières pages du roman, Mlle Kosra ne pourra sapproprier sa première personne singulière, le « je » de la narration, quen phase de décompensation irréversible. Elle échappera à son statut de victime émissaire et contiendra labîme de la folie par un matricide.
4- Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation.
Parmi les auteurs dont luvre aux relents féministes, centrée sur le message, a commencé dans les années quatre-vingt, nous citerons le cas de Hafsa Zinaï Koudil, une cinéaste très engagée qui transpose son univers pictural à lécrit.
Durant les années de violence, elle dénonce, dans son premier long métrage, Le Démon au féminin, tourné clandestinement entre 1992 et 1993, la diabolisation de la femme par le FIS comme par ceux qui se disent démocrates.
Elle pratique un cinéma vérité, très réactif aux événements, très proche du documentaire. De même, en littérature, elle crée des personnages archétypes représentant une posture, une place dans la société, un certain regard sur la société.
Bouba Mohammedi-Tabti classe dans cette catégorie décritures stéréotypées, centrées sur le message, souffrant « dun excès de didactisme, dune volonté de dénonciation », les romans de Hafsa Zinaï Koudil : La Fin dun rêve (1984 ), Le Pari perdu (1986 ), Le Papillon ne volera plus ( 1990 ), Le Passé décomposé ( 1992 ), Sans voix (1997).
Son premier roman, La Fin dun rêve, une tranche autobiographique sur les années denfance pendant la guerre de libération, reçoit un accueil mitigé par la critique. Le récit est qualifié d « atone et linéaire », même sil « réserve dans quelques pages, des moments démotion »
Sans Voix (1997) fait incontestablement partie de ces écrits de témoignage, en réaction aux nombreux enlèvements et séquestration de filles par des terroristes. Le récit suit les itinéraires de trois personnages quun enlèvement va faire interférer : une jeune fille séquestrée par un groupe de terroristes, un jeune officier de larmée et un vieux croyant qui ouvre les yeux sur la dérive de la religion.
Le roman dévoile aussi les menaces derrière le départ de lexilée, son désarroi à létranger, la nécessité de sa participation à la lutte pour la démocratie en Algérie, et soppose fermement à lisolement et à la répression en faveur de la tolérance, de la modernité et de la pluralité culturelle.
Il reste, cependant, que la promotion au niveau thématique dune ouverture sociale et politique se répercute au niveau formel de Sans voix. En dépit de lusage de la première personne, le texte ne se borne pas à une seule voix, à une seule perspective, mais embrasse une pluralité de discours lettres, récits emboîtés, confession et répliques théâtrales aussi bien que des points de vue divergents provenant à la fois des victimes, femmes et hommes, comme de leurs bourreaux, les intégristes, à lexemple du récit de Tarik, lislamiste de 19 ans, ou de quelques protagonistes, porte-parole de lauteur, exprimant leur méfiance à légard du monde politique occidental qui se montre en faveur des régimes totalitaires lorsquils présentent un bénéfice économique.
Cette coexistence déléments multiples en opposition est enrichie, dans Sans Voix, de références intertextuelles algériennes et occidentales. Limportance du rôle de ces références littéraires dans le texte est signalée par leur quantité et par leur récurrence. Ces références servent décho aux thématiques dominantes du texte tout en signalant luniversalité des problèmes qui semblent, à première vue, spécifiques à lAlgérie.
III- Lexemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem.
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1- Maïssa Bey .
Les témoignages souvent inégaux et éphémères se multiplient, mais des écrivains de grande valeur s'affirment également, comme Malika Mokeddem Maïssa Bey, et, tout en étant parfois difficilement « classables », Nina Bouraoui ou Leïla Sebbar
La marque du tragique peut aussi se manifester dans un cas de conscience à résoudre douloureusement, une impossible conciliation entre lhonneur et le bonheur.
Ainsi, dans Au commencement était la mer, de Maïssa Bey, une des plumes émergentes durant cette décennie, la mise en scène de lextrême violence faite aux corps des femmes amènera Nadia à recourir à lavortement : châtiment que réserve la société aux femmes qui bravent les interdits.
Un espace réduit, le bord de mer, un temps resserré par un apaisement furtif de Nadia auprès de Karim, figure dun système usé, qui la rejettera au premier obstacle.
Djamel, le jeune islamiste, frère de Nadia, qui lapide sa propre sur existe, nous dit Maïssa Bey : « Je lai rencontré. Il existe en milliers dexemplaires ».
Le tragique réside dans linéluctabilité de la mort du personnage de Nadia, quelle soit perçue comme une délivrance, comme un accomplissement ou comme une sanction.
Lhéroïne est contrainte de se donner la mort car au terme dune saison damour, elle affronte le douloureux paroxysme dun accouchement de la « mort ».
Maïssa Bey, à propos de linéluctabilité de la mort de son héroïne se confie :
« Dès le premier instant où jai imaginé le personnage de Nadia, lnéluctabilité de sa mort sest imposée à moi. Cette mort, je la ressentais comme une nécessité, comme la seule destination possible de son parcours. »
Cependant, le sacrifice de Nadia, à travers son insubordination, est présenté comme une affirmation de liberté, par Maïssa Bey :
« Mais le sacrifice de Nadia- jemploie ce mot à dessein-, sa mort voulue, acceptée (elle en choisit le lieu et le moment) nest-elle pas une ultime façon de se rendre maîtresse delle-même, daccomplir sa démarche ? »
La matière du tragique est dans le vécu, dans des scènes vécues directement par lauteur, ou rapportées, sans quil y ait une volonté délibérée détudier des faits sociaux. Cest ce que souligne Maïssa Bey à propos de Au commence ment était la mer :
« (
) les relations entre Nadia et son frère ne sont quune des illustrations possibles de cette guerre fratricide, vécue au quotidien dans ce quelle a de plus terrible, à savoir la négation des valeurs fondamentales sur lesquelles repose toute société dite civilisée. »
Cette négation des valeurs humanistes fondamentales est incarnée par lattitude de Karim qui représente les interdits qui mèneront à la tragédie, édits qui concernent principalement les femmes :
Délit que de sortir sans voile [
] Délit que de parler librement [
] délit daimer et surtout de le dire, de le faire, de le chanter ou de lécrire ! Délit dêtre femme enfin et déclabousser par sa seule présence, sa seule existence, la pureté terrifiante du monde quils veulent bâtir sur des ruines fumantes.
2- Malika Mokeddem : Rêves interdits et assassins.
a- Une écriture rattrapée par la tragédie.
Parmi les « plumes émergentes », des noms qui continueront à écrire après la décennie noire, , Malika Mokeddem,, à lexemple de Maïssa Bey, écrira la violence, surtout la violence faite aux femmes, dans LInterdite, et Des Rêves et des assassins parus respectivement en 1993 et en 1995, et à un degré moindre dans La nuit de la lézarde,paru en 2003, un texte qui se veut plus « serein ».
La volonté de transgresser ces interdits est manifeste chez cette nouvelle voix, qui, après deux romans de conteuse, sera rattrapée par la tragédie algérienne.
Cest en 1993 que paraît son troisième roman, LInterdite . Malika Mokeddem choisit un autre registre pour témoigner et livrer un combat contre lintégrisme religieux des années quatre -vingt dix. Cet acte de contestation reste fortement lié à son expérience personnelle.
Dans ce roman, et dans le quatrième, Des Rêves et des assassins, lauteur nest pas loin du pamphlet où le combat didées prime sur tout selon Marc Angenot : « Combat didées, le pamphlet sapparente à léloquence du barreau : cest un réquisitoire, ou un plaidoyer. (
) Le pamphlétaire est un lutteur, un soldat de la plume ».
Linterdite évoque le retour de Sultana la narratrice au pays natal, le sud algérien, retour qui prendra les contours dune véritable épreuve aussi bien morale que physique. La narratrice en proie au poids de lexil apprend la mort de son ami Yacine, médecin travaillant dans un dispensaire au sud du pays.
Le projet autobiographique est demblée énoncé par la parenté onomastique entre Sultana, la narratrice, et Malika, prénom de lauteur, qui, tous deux signifient, en arabe, « Reine ».
Le roman répond en partie à la question : interdite de quoi ?
Interdiction sopposant à liberté, termes résumant le vécu propre de lauteur qui intègre cette dimension dans les paratextes du roman :
-Dans le titre dabord.
-Dans la première dédicace : « A Tahar Djaout, Interdit de vie à cause de ses écrits »
-Dans la deuxième dédicace : « Au groupe Aïcha, ces amies algériennes qui refusent les interdits »
Et comme pour souligner le rôle de lécriture sous la polyphonie des voix suggérant la possibilité dune réconciliation, lauteur choisit en épigraphe un extrait du Livre de lintranquillité de Fernando Pessoa, poète de la pluralité et de la contradiction :
« Il ya des êtres despèces différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent diversement.. Et tout cet univers mien, de gens étrangers les uns aux autres, projette, telle une foule bigarrée mais compacte, une ombre unique ce corps paisible de quelquun qui écrit
»
LAlgérie ravagée par lincendie dans LInterdite revient dans Des rêves et des assassins. Cest ce drame que la romancière place au cur dune intrigue littéraire qui nen est que le prétexte. Kenza, lhéroïne du roman, sacharne à défendre, « envers et contre tout » ce quelle considère comme les deux emblèmes de la liberté : le savoir et lamour.
Des rêves et des assassins est placé dans le paradigme des romans durgence, de témoignage tel quil en est fait mention explicitement dans la quatrième page de couverture qui reprend lappréciation dun journaliste de Libération, Maati Kabbal : « Un roman durgence, le roman dune passion pour la vie incarnée par une fille pleine de rage et de courage ».
Lhistoire singulière de Kenza, née à Montpellier, dune mère algérienne rebelle et dun père qui incarne toutes les tares de lignorance, permet à Malika Mokeddem de mettre en relief les manifestations de ce mal profond dont souffre la société algérienne.
Cest un combat entre le rêve, comme dépassement du réel, ne saccomplissant que par lécriture, et la violence, incarnée par des assassins intégristes qui dénient ce droit au rêve des Hommes libres. Le titre, Des Rêves et des assassins, qui donne à lire linterdiction de rêver, peut être lu en écho au titre du roman Linterdite.
Ce destin dune femme, Sultana dans LInterdite, et Kenza dans DesRêves et des assassins, prise entre LAlgérie du désert ou de lOranie, et la France, marque une période de colère et de dénonciation, et il est très significatif que le premier soit dédié à Tahar Djaout et le second à Abdelkader Alloula.
Ce que confirme Malika Mokedem dans une interview accordée à Nacéra Benali : « Cest toujours un grand débat, que peuvent les mots contre la barbarie ? Que peut lécriture contre la valse des balles et des couteaux ? (
) Par ailleurs quand jécris, je ne pense pas à la finalité de mes écrits. Je suis sous leffet de la colère ou de la douleur et je suis là à tenter de survivre en écrivant ».
b- Investir différemment lespace textuel.
Malika Mokeddem, prenant conscience du danger dun risque denlisement dans une écriture de livres durgence, renonce à écrire après Linterdite 2 et Des rêves et des assassins3 sous le coup de la douleur et de la colère :
Si le référent Algérie continue à exister dans sa démarche décriture, ce sera sous une autre forme, une forme où lespace textuel sera investi différemment, et où lécriture est avant tout et surtout processus transformationnel, transfert et restructuration dune histoire donnée.
Le drame de lAlgérie, de la femme algérienne, est corrigé par une dramaturgie où se projette une fiction de lAlgérie imaginaire où la mémoire joue le rôle majeur dans laffirmation dun « sujet », dun nouveau sujet-femme avec lequel il faudra compter.
Sur La Nuit de la lézarde, « le silence est total » (
) ne restent plus, dans ce site esseulé, que laveugle Sassi et Nour. La nuit et la lumière. Un ksar du désert algérien dont la source sest tarie, et tombant en ruine est déserté par ses habitants. Un couple insolite, Nour et son ami aveugle Sassi, est au centre dune intrigue minimaliste se résumant en lattente dun amant qui ne viendra pas.
A mi-chemin entre un roman de conteuse et une écriture de lurgence , « Cest un roman qui se situerait un peu à mi-chemin entre Le Siècle des sauterelles et LInterdite. », selon lauteur qui se démarque du texte contestataire en tentant décrire un texte serein, où la violence persiste, mais à travers « le souffle dune tragédie qui se joue loin de leur désert ».
La Nuit de la Lézarde, cinquième roman de Malika Mokeddem, met en scène laventure intérieure dune femme différente de lauteur, car nayant pas fréquenté lécole, mais qui instinctivement tient à être libre en se lançant à la quête de son destin. Dans ce roman, lintrigue est quasiment inexistante. selon Christiane Achour :
« Le roman ne raconte rien ou peu de choses, au sens habituel du terme : il nous dit un espace, il nous fait entendre les conversations des personnages, voir le travail de jardinage quils partagent (
) le roman est attente car Nour est attente, personnifiée par
lamant du Nord
qui ne viendra jamais ».
Lattente, le manque, le vide, labsence, nous interpellent dès lincipit :
Aucune fumée ne sélève de ce ksar sur lequel tombe le crépuscule. Il nya pas denfants dans ses venelles. Pas dhommes accroupis dehors par petits groupes à discuter. Pas de femmes affairées dans les cours. Pas de portes aux maisons béantes comme des orbites vides. Le silence est total.
Louverture du roman sinstalle non pas dans la massive évidence dun être-là, comme dirait Claude Duchet, mais dans ce qui nest pas là, c'est-à-dire dans la négation, dans le manque.
« Aucune fumée », « Il ny a pas denfants », « Pas dhommes », « Pas de femmes », « Pas de portes », Le silence est total », structurent syntaxiquement lénoncé négativement à chaque début de phrase pour installer le récit dans un non-lieu.
Malika Mokeddem renonce à une écriture qui traduirait limmédiateté du vécu où la situation sociale et politique et les événements tragiques seraient mis au premier plan, pour sinstaller dans une littérature de lallégorie.
Lauteur opte pour la périphrase fictive afin déviter limmédiateté du témoignage. La distanciation spatiale choisie par lauteur, lhistoire se déroulant loin des drames du Nord algérien, dans un ksar du désert algérien, permet de reprendre le vécu de façon différente, grâce à un haut degré de fictionnalité. Le conflit qui hante limaginaire des protagonistes est invisible car sans images.
IV- Ecritures confirmées : Au cur de la tragédie.
1-Assia Djebar.
Si beaucoup de femmes nespèrent pas un statut incontesté décrivaine, de par la place accordée au témoignage au dépend dune exigence formelle, des femmes reconnues dans leur statut de créatrice en Algérie, et en dehors de lAlgérie, rattrapées par le contexte tragique, écrivent cette priorité du social sans que lexigence formelle ny soit sacrifiée. Parmi ces plumes consacrées, figurent en bonne place, hormis la pionnière, Assia Djebar, Hawa Djabali, Leïla Sebbar, Nina Bouraoui..
Nous prendrons lexemple de Assia Djebar et de Hawa Djabali, qui, chacune à sa manière, rattrapées par un référent tragique, écrivent la tragédie algérienne.
Luvre de la « pionnière » de la littérature féminine algérienne, Assia Djebar, occupe un rang de premier ordre dans la littérature algérienne. Cette uvre, la plus connue des femmes écrivains du Maghreb, qui sétend sur une cinquantaine dannées, se compose de divers genres littéraires : le roman, lessai, la poésie, la nouvelle, lautobiographie
Cependant, des constantes reviennent tout au long de son uvre à travers quelques thèmes primaires qui reviennent et qui restent centrés principalement sur le femme, sur lidentité des femmes dAlgérie et sur sa propre identité de femme franco-algérienne, sur le corps féminin, sur son rôle décrivaine, et depuis la décennie quatre-vingt dix, sur la violence et la mort qui déchirent son pays.
Dans la décennie noire, Assia Djebar se replonge dans une écriture de lactualité. En réaction à la violence qui déchire lAlgérie, elle publie Oran, langue morte et Le Blanc de lAlgérie qui sont deux oeuvres tragiques dans lesquelles Assia Djebar s'est attachée à exprimer, au plus près de son horreur quotidienne, la violence que connaît l'Algérie depuis de longues décennies.
Inévitablement, Assia Djebar écrit lAlgérie à partir du présent, Le Blanc de lAlgérie, ou « Le blanc de lécriture, dans une Algérie non traduite ? Pour linstant, lAlgérie de la douleur, sans écriture ; pour linstant, une Algérie sang-écriture, hélas ! ».
Loeuvre dAssia Djebar, lieu de tous les combats, rejoint la longue procession des morts que lécriture biographique de Le Blanc de lAlgérie, qui se veut hommage mais aussi appel, cite à comparaître.
Dans Le Blanc de lAlgérie,publié en 1996, Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et lautobiographie dune mémoire collective pour coller de près à lactualité (fait divers, fait privé, fait politique). Il y a nécessité décrire sur la mort et sur la violence qui accompagne la mort en Algérie.
Le projet de lauteur est ainsi présenté par Mireille Calle-Gruber :
« Convoquer les disparus, inachever la mort, remonter lhorloge de lhistoire, faire une place où loger le hors-temps dans le temps narratif, faire une langue où les manquants à lappel puissent être des revenants bruissant aux mots du récit qui les cite à comparaître, absenter labsence, rendre la mort à la mort (
) et installer lécriture là où précisément, elle ne sinstalle pas (
) telle est linhumaine visée, tel est lexcès où sannonce demblée, le récit dAssia Djebar : Le Blanc de lAlgérie » .
Une vingtaine d'écrivains morts sont évoqués en ce beau récit quasi liturgique. Camus, Fanon, Feraoun, Amrouche, Yacine entre autres dont la personnalité permet de lire les événements depuis la guerre d'Indépendance jusqu'à l'actuel terrorisme.
Le livre est dédié au souvenir de trois amis, assassinés :
Mahmoud BOUCEBCI
MHamed BOUKHOBZA
Abdelkader ALLOULA »,
Avec, en rappel, les notices nécrologiques en fin de volume, énumérant, sous la rubrique « Les écrivains dAlgérie dont la mort a été évoquée », dans un style rappelant le constat légiste, dont Albert Camus, Frantz Fanon, Mouloud Feraoun, Jean Amrouche [
],
Et les trois amis assassinés, la même année, lannée 1993 :
Mahmoud BOUCEBCI : psychiatre et auteur, mort le 15 juin 1993, à 54 ans, à Birmandreis (Alger) (assassiné).
MHamed BOUKHOBZA : sociologue et auteur, mort le 27 juin 1993, à 55 ans, à Alger (assassiné).
Abdelkader ALLOULA : auteur dramatique, atteint le 11 mars 1993, à Oran, mort à Paris le 15 mars, à 55 ans (assassiné).
Dans ce texte, Assia Djebar tentant de « se rapprocher » de ceux, disparus, quelle aime, ne se limite pas à un dialogue exclusivement féminin mais met en place un dialogue entre les hommes et femmes dAlgérie. Elle sinterroge aussi sur le rôle de lécrivain devant la violence et sur le choix des langues en Algérie.
Assia Djebar renoue aussi avec lactualité tragique dans Oran langue morte, un recueil de nouvelles publié en 1997, « nouvelles » dune Algérie en guerre fratricide. Oran, emblème mortifère, est la ville dAbdelkader Alloula, le dramaturge assassiné le 11 mars 1993, auquel Le Blanc de lAlgérie est dédié, avec MHamed Boukhobza et Mahfoud Boucebci .
Oran langue morte est un livre pour conjurer la violence algérienne..La mort omniprésente porte le nom dOran vouée à la sauvagerie des crimes de sang. La première partie « Algérie, entre désir et mort » traite de la violence des événements des années quatre-vingt dix en relatant des assassinats politiques, tandis que la deuxième partie intitulée « Entre France et Algérie » évoque la rencontre parfois violente de lAlgérie et de la France à travers le vécu dun couple mixte dans chacune des nouvelles.
Un conte des Mille et Une Nuits : La femme en morceaux, le seul du genre, alors que les autres textes sont présentés comme « récit » ou « nouvelle », prend une place stratégique dans lorganisation du livre : au centre dulivre, à la fin de la première partie, et portant à la deuxième partie.
Le conte, tout en nous transportant au plus loin, hors du temps historique, nous installe au plus près du drame de lAlgérie contemporaine, dans lun de ces premiers récits de Shéhérazade. Atyka, professeur de français dans une classe de lycée à Alger fait lire et commenter aux élèves, filles et garçons, un conte des Mille et Une Nuits. Cinq hommes, dont quatre barbus, en armes, font irruption dans la classe. Atyka sera décapitée devant ses élèves.
« Atyka, tête coupée, nouvelle conteuse, Atyka parle de sa voix ferme. Une mare de sang sétale sur le bois de la table, autour de sa nuque. Atyka continue le conte. Atyka, femme en morceaux. »
Dans tout le recueil, la mort reste omniprésente dans lHistoire de lAlgérie, depuis la conquête coloniale jusquà la violence terroriste du présent.
Les femmes, ces « nouvelles femmes dAlger », à linstar de ces écritures de femmes algériennes, sont au premier plan tel que le rappelle lauteur dans sa post-face :
« Tenaces et fragiles, rêveuses, amoureuses, faisant bruire dans le corps du texte, leurs voix de souffrances et damour. En mouvement, en fuite, clandestines, arrêtées par la mort assassine ».
2- Hawa Djabali.
Hawa Djabali, connue en Algérie comme productrice et animatrice de plusieurs émissions à la radio algérienne, la chaîne III, dont plusieurs émissions consacrées à la femme, sera connue des lecteurs par son premier roman, Agave, paru en 1983, roman qui annonce déjà les motifs qui seront développés dans Glaise rouge. Boléro pour un pays meurtri, paru en 1998.
Il est à noter que Hawa Djabali a aussi investi un genre littéraire, le théâtre, peu prisé par les femmes jusquà louverture démocratique, puis la décennie de violence induisant lexil dintellectuels et de créateurs parmi lesquels des femmes qui investiront la scène du théâtre, à lexemple de Fatima Gallaire et Fatiha Berezak,
Nous citerons deux pièces de lauteur : Cinq mille ans de la vie dune femme, en 1997, et Le Zajel maure du désir
Lespace précieux de la montagne, espace fondamental, que rejoindra la jeune fille, Hannana, grâce à sa grand-mère Nedjma qui ly emmène, est décrit sous toutes les facettes que lui dessinent les différentes saisons. Cest un espace de beauté où les personnages féminins existent dabord par le rapport charnel quils entretiennent avec la terre. Le « luxe textuel », selon lexpression de Philippe Hamon, que se permet lauteur, à travers cette peinture heureuse, lui permet de donner la priorité à la beauté du texte devant la violence qui vient souiller ces espaces précieux, violence inscrite dès le sous-titre « boléro pour un pays meurtri ».
Le topos de la nature constitue un fécond, lieu- au sens rhétorique- dun « luxe textuel ». Ainsi, la nature met en valeur la beauté féminine, beauté féminine, qui, avec lavènement de la violence prend plus dampleur, jusquau point où lauteur confie les splendeurs de la montagne à la femme. Lauteur délègue la vision de cet univers à Hannana qui assure la liaison ente nature et amour. Le topos rejoint la nostalgie du mythe originel à travers lunion de Hannana et de linstituteur.
« Linstituteur rôde et elle le sait. La pinède, doù lon aperçoit la mer, devient encensoir géant suspendu au-dessus des vagues. (
) Etendue à lombre sur les aiguilles de pin, la jeune fille joue avec des perles de résine, ne peut résister à la folie den sucer un peu, tant la goutte translucide au soleil la séduit. (
) Un très gros papillon noir et blanc se pose sur le buisson de lavandin tout près de son visage. Les yeux mi-clos, couchée sur le flanc, elle enregistre le passage dune couleuvre et le vol curieux dune libellule rubis ; elle étend le bras, arrache un brin de menthe bleue, la froisse, la respire ».
A une question sur le travail de lécriture dans les circonstances que vit le pays, lécriture entre urgence et création, lauteur répond :
« Jécris contre labsurdité (
) jécris aussi pour ne pas laisser mourir mes morts.(
) Pleurer et témoigner : nous revenus au point de départ de la poésie arabe, acte prosaïque sil en est ! Donner aux mots une harmonie telle que ceux qui écoutent, ceux qui lisent, se souviendront ! Car cest à partir de lacte littéraire, chez nous, que nous nous séparons définitivement de lanimalité, de la fatalité, en circulant dans labstraction du passé au futur. Mais, en fait, lécriture nexiste pas au présent, il sagit toujours dun passé proche ou dun futur immédiat et la distanciation est toujours là, terrible ».
Comme pour toutes les écritures confirmées, Hawa Djabali insiste davantage sur le contournement de la réalité et donc sur lacte de création.
Conclusion.
De ces écritures de témoignage de la violence, la question est posée de savoir sil y en a qui peuvent prétendre à léternité esthétique. Il y va de soi que le témoignage à chaud, sans la nécessaire médiation esthétique, perd de son intérêt lorsque lévénement est oublié, et risque de sengloutir dans loubli à leur tour.
Attachés à lévénement, rares sont les auteurs qui investissent dans une uvre durable, à lexemple de Malika Mokeddem, Maïssa Bey, Leïla Sebbar, Nina Bouraoui qui entament une uvre abondante, produite en quelques années, jusquà neuf romans pour Malika Mokeddem. Dautres écrivaines poursuivent le parcours entamé dans la décennie précédente, à lexemple de Hawa Djabali, ou dans les décennies précédentes, comme Assia Djebar.
La majorité des uvres de cette décennie restent marquées par le contexte tragique qui les a sollicitées. Cest donc lHistoire qui va infléchir lécriture et la thématique de ces écrivaines femmes qui, durant cette décennie, prennent des risquent en en assumant le prix.
Charles Bonn insiste sur le fait que pour ces écritures de témoignage « La seule référence est bien le contexte politique duquel le texte est présenté comme le reflet fidèle, à travers un quotidien le moins distancié possible. Et lorsque ce quotidien est celui dune femme, lautre volet de ce quil faut bien appeler un voyeurisme du lecteur occidental est également au rendez-vous ».
Ainsi, pour beaucoup dalgériens, ce qui se passe est vécu de lintérieur, au quotidien, comme événements dramatiques et douloureux, comme « malédiction » évoquée par de nombreux auteurs, et non pas comme le pur produit de lHistoire, « ce nest que bien plus tard, quand tout est consommé, que lon découvre que cétait delle (lHistoire) quil sagissait. (
) LHistoire restitue sa véritable dimension à nos vies ».
Pour Roseline Baffet, « Le paradoxe de lindicible serait sans doute ce qui caractérise au plus près cette écriture » et que « Au-delà des témoignages, ces romans sont des interrogations sur ce quécrire et dire signifient, dans ce contexte extrême que connaît lAlgérie ».
Aussi, cest cette parole « dérisoire » de ces écritures, qui peut donner un sens à ce qui ne peut être nommé que par le recours à un discours fataliste ou les termes de « tragédie », de « malédiction » mettent laccent sur linéluctabilité de la mort qui mène ces auteurs, exposés en première ligne, à dire en écrivant, pour conjurer la mort.
CHAPITRE IV
LECRITURE DE MALIKA MOKEDDEM : UNE ECRITURE DE FEMME SUR LA FEMME.
I- Parcours dune écriture et écriture dun parcours.
1- Transgression par lécriture.
2- Pour une transgression des genres biologique et grammatical : lexemple de LInterdite :
3- La métaphore de la « greffe ».
II- La fiction menée de front avec le récit autobiographique.
1- Un parcours singulier.
2- La figure de laïeule ou la « scène primitive » dune uvre à caractère autobiographique.
a- La figure de laïeule.
b- Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles : des romans de conteuse.
III- Pratiques autobiographiques.
1- Sur lautobiographie.
2- Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout.
a. Á lopposé des consignes culturelles.
b- Les Hommes qui marchent : un « je » à peine masqué.
c. La Transe des insoumis ou lécriture de linsomnie.
d. Mes Hommes pour écrire leffacement du père.
IV- La parenthèse dune écriture de lurgence.
1- Rêves interdits et assassins.
2- Ecrire la tragédie à distance.
I- Parcours dune écriture et écriture dun parcours.
1- Transgression par lécriture.
Nous commencerons par dire que nous parlons dune écriture de femme, dune femme qui écrit avec on histoire inscrite ou plutôt construite contre un contexte socio-historique, avec un parcours, une sensibilité, un corps. Il ny aurait donc pas, au départ, une écriture féminine, mais des écritures de femmes, où les paramètres socioculturels agissent, directement, ou indirectement, sur la création littéraire.
En octobre 1977, un groupe décrivains maghrébins présentait la littérature féminine dans lavant propos dun numéro des Temps modernes :
« En ces états de la pensée et de lanalyse propre à la génération daprès les indépendances, la parole féminine quasi-absente, ne se reporte pas sur sa condition et son devenir. Plus queffet de quelque carence, ce manque majeur désigne la difficile mutation créatrice des femmes en des ensembles si profondément marqués par le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères dappartenance sexuelle. »1
En fait, par production « quasi-absente », ce nest pas tant le critère de quantité que le critère de qualité qui nous intéresse. Certaines uvres se distinguent surtout par leur force créatrice et symbolique., Leila, jeune fille dAlgèrie (1947), Aziza (1955), de
Djamila Debèche, La soif (1957) de Djebar, La grotte éclatée (1973) de Yamina Mechakra, dune grande force poétique. Myriam Ben, Leila Sebbar, Hawa Djabali, vont ouvrir la voie à des écritures polyvalentes dans des genres décriture divers : roman, poésie, nouvelle et conte, essai, récit de vie, tenant compte des nombreuses pressions sociales quelles doivent quotidiennement affronter pour se faire entendre, et inventant différentes stratégies défensives telles que la recherche de lanonymat par lusage de pseudonymes, le décentrement ou le détournement de la narration au profit dun personnage masculin:
Cependant, si les femmes ont toujours été présentes dans lHistoire de lAlgérie, voir du Maghreb, les chroniques et les livres dHistoire ont surtout été écrits par des hommes. Il ne faut pas oublier quune voix de femme ne pouvait se faire entendre à lextérieur, il ny a pas si longtemps. Selon Zineb Ali-Benali, la parole de la femme en Algérie est rarement prise au sérieux :
«Cette interdiction de la parole sérieuse explique peut-être pourquoi les femmes nont produit quassez tardivement et très timidement des textes de réflexion, des essais. (
) Les femmes sengagent bien plus tard que les hommes dans laventure de lécriture. Parce quelles ont accès à lécole bien après eux. Parce quil leur faut franchir les murs bien réels et sociaux de la claustration. Parce que laventure de la parole publique, érigée en pérennité dans lécrit, est un voyage périlleux ».
Avant den arriver là, dautres espaces devaient être investis par ces femmes qui ne se confinent plus dans lespace silencieux de la maison, lHistoire se faisant au cur même de la cité, de lespace masculin, dune société qui lui refuse le droit de parole.
Aussi, poser la question de la place de la femme dans les espaces de vie revient à poser la question des mutations profondes dans le statut du féminin au sein dune société patriarcale, musulmane.
Lintégrisme religieux qui apparaît en force dans les années quatre-vingt dix aboutit à la négation systématique du statut de sujet aux femmes dautant plus que le terreau est déjà fertile dans ses conditions sociopolitiques et dans la place de « mineure à vie » réservée à la femme par le code de la famille, un texte rétrograde, promulgué par le parlement en 1984.
Selon Dalila lamarène-Djerbal, « ce texte ignore totalement les nouvelles conditions politiques et sociales [
] Il fait des femmes des mineures à vie dans la sphère familiale, vidant ainsi de leur sens dautres lois qui paraissent égalitaires. Il légalise et sacralise ce faisant la discrimination sexuelle tant valorisée par les fondamentalistes ». En fait, Ce code demeure fidèle, pour lessentiel, à la charia, même si lun des buts proclamés est de « protéger moralement les deux conjoints » et de « préserver les liens de la famille » (art.4). La femme reste soumise à lautorité du mari « en sa qualité de chef de famille ». (art.39).
Cette situation sociopolitique, conjoncturelle, nest que la partie visible de liceberg dune société patriarcale où les références à la tradition de lIslam historique (la Sunna) et lobéissance à des traditions coutumières ( al adat ) règlent la conduite de la femme tant à lintérieur quà lextérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base déquilibre de la famille musulmane.
Ainsi, en Algérie, les sources de la loi islamique, les principaux rites de lIslam et les tentatives des différentes formes de réformisme au XXème siècle vont fortement structurer un type de société complexe déjà par son Histoire, par les origines de sa population au sein du Maghreb qui sintègre profondément dans le monde méditerranéen, ouvert sur lOccident et lAfrique, sa population étant mise en contact, de par sa situation géographique, avec de nombreux envahisseurs étrangers, et surtout avec diverses civilisations.
LIslam, religion détat en Algérie, va structurer le domaine politique et social. .Le droit musulman de rite malékite majoritaire en Algérie est avant tout le représentant de la doctrine médinoise qui écarte le jugement personnel pour sen tenir à la stricte interprétation du coran.
Ce droit musulman saccorde très bien avec lidéologie patriarcale et patrilignagère où le type familial est caractérisé par la prépondérance du père sur tous les autres membres de la tribu.
Lacoste Dujardin explique cette relation entre idéologie dEtat et idéologie religieuse et montre que ce droit musulman, en ce qui concerne la filiation nasab', et la procréation au service de luma, la communauté des croyants, saccorde parfaitement avec lidéologie patrilignagère, lune et lautre se soutenant et se fortifiant réciproquement.
Le couple, ou une idéologie de couple, ne pourrait exister dans des rapports entre hommes et femmes, frappés par linégalité. Mari et femme font partie de la grande famille agnatique où les rapports sont fortement structurés.
Ainsi, les aspirations individuelles du couple- si fortement décrits, décriés par les écrivains femmes algériennes- menaceraient lordre traditionnel.
Fatima Mernissi y voit un danger sinterposant entre le croyant et Dieu. Toute léducation de la fille, basée sur la notion dhonneur herma de la famille, sera axée sur les comportements, les aptitudes par la parole, les gestes qui marqueront ses structures subjectives et imaginaires. Le risque de déshonneur quelle encourt à la famille sera souligné par lacceptation de son infériorité.
Des écrivaines algériennes iront jusquà remettre en cause le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères dappartenance sexuelle, parmi lesquelles Assia Djebar, et Malika Mokeddem.
Larrivée dune fille, en Algérie ne se fait pas sans douleur. « Ce nest pas un garçon. » pour dire « Cest une fille », telle était la formule consacrée à loccasion de fêtes de sboua, Septième jour après la naissance du bébé. Les youyous saluant la naissance dun garçon se font plus mitigés pour la fille. Les hommes, considérés comme force productive, voir des combattants éventuels, assurant la richesse de la famille, du clan, sont valorisés. Les filles, destinées à sortir pour gagner une famille étrangère et enrichir la maison des autres, représentant un danger pour le patrilignage
Dans Mes Hommes, titre proclamé avec une pointe dimpertinence malicieuse, comme pour répondre à un « Mes femmes » quautorise la religion musulmane, Malika Mokeddem, « envers et contre tout », dans une autobiographie sans complaisance, « règle ses comptes » avec les diktats despotiques de lautorité patriarcale, à commencer par la figure du Père.
Les premiers mots quentendra lauteur narratrice de Mes Hommes, dans le sud de lAlgérie où elle est née, cétaient ceux de son père disant à sa mère « mes fils » et « tes filles », puis ceux dune femme répondant à une autre : « Trois enfants seulement et six filles ». La petite fille quétait Malika Mokeddem se sentait déjà agressée par les propos de son entourage :
Jinterprétais déjà que les filles nétaient jamais des enfants. Vouées au rebut dès la naissance, elles incarnaient une infirmité collective dont elles ne saffranchissaient quen engendrant des fils ».
Par ailleurs, les femmes ne sont aimées que comme mères, et naiment que comme mères, donc comme femmes fécondes, puisque la distinction entre la femme et la mère est clairement établie selon Malek Chebel : « La femme est dans une altérité radicale par rapport à lhomme. Elle est le sexe den face. La mère est au cur du complexe dOedipe.».
Ainsi, la mère est surtout représentée par des images pieuses : mère allaitante respectée, amour maternel, tendresse féminine, bonne épouse, etc.
Le corps maternel adulé, sources de joies de lenfance, agit sur le corps sexué de lautre par les non-dits, et par le modelage dun corps à la « bouche cousue et au sexe vierge », nous dit Fadila Choutri.
Les mères, ces mères, ont enlevé à jamais à Malika Mokeddem le désir dêtre mère :
A force dobserver leur monstruosité, leur perversion, dessayer dobserver de comprendre leurs motivations, je métais forgé une conviction : ce sont les perfidies des mères, leur misogynie, leur masochisme qui forment les hommes à ce rôle de fils cruels. Quand les filles nont pas de père cest que les mères nont que des fils. Cest quelles-mêmes nont jamais été enfants. Quont-elles fait de la rébellion ? [
] Elles mont enlevé à jamais le désir dêtre mère.
Malika Mokeddem sen prend à la langue de la mère, langue de la soumission, langue de lasservissement, représentant pour elle tout ce quelle navait pas envie dêtre.
Lexemple dune écrivaine comme Malika Mokeddem qui met en avant, dans son écriture, linsoumission de celles qui prennent la liberté non seulement de parler mais décrire aussi, donc dassumer ses dires et ses actes, nous amène à dire que parler décriture de femme ne veut pas dire que les femmes algériennes écrivent de la même façon, sur les mêmes sujets, parce quelles sont femmes, ce qui supposerait que lon se place dans une perspective de type essentialiste. Nous entendons par écriture de femme chez Malika Mokeddem, une écriture qui, certes, partagerait des préoccupations et des thèmes communs aux femmes, en loccurrence, ici, les femmes algériennes, mais qui sen distingue en ayant franchi toutes « les lignes rouges » des interdits, bien avant davoir commencé à écrire.
A une question sur Mes Hommes qui serait en totale rupture avec la littérature dite féminine aussi bien sur le plan thématique que sur le plan esthétique, elle répond :
« Il y a tant de textes de femmes, de par le monde, qui ne sont ni puérils ni condescendants ! Pour ce qui me concerne, avant de me mettre à écrire, javais déjà franchi toutes les lignes rouges des interdits. Comment lécriture, mon ultime liberté, pouvait-elle sen embarrasser ? ».
Dans ce sens, nous faisons nôtres les propos de Simone Rezzoug qui affirme quengager une réflexion sur lécriture féminine présuppose croire que les ouvrages écrits par des femmes constituent « un domaine relativement autonome », et admettre ainsi que « certains de leurs caractères constituent des réponses à des stimuli sociaux ». Les réponses de ces écrivaines ne sont pas moins des réactions mécaniques que des réponses nuancées, subjectives, propres à chacune delles.
En nous référant au livre de Béatrice Didier, Lécriture-femme, dont le titre, déjà, rebute sur lemploi du vocable « écriture féminine », même si lauteur lemploie souvent dans son texte, nous relevons deux pistes qui nous permettent de cerner cette notion décriture de femme, à savoir, celle de transgression, ou de double transgression : transgression par rapport à lhomme et à la société, et transgression par rapport à la tradition orale.
Toute écriture étant transgression dun interdit, que ce soit pour lhomme ou pour la femme, il est clair, comme le déclare Béatrice Didier, que cette transgression est autre chez la femme :
« Je veux bien que toute écriture soit transgression, et quécrire soit pour lhomme aussi enfreindre un interdit. Disons simplement que la transgression sera double ou triple chez la femme. Il sagira non seulement de transgresser linterdit de toute écriture, mais encore de le transgresser par rapport à lhomme et à la société phallocratique ».
Dans son uvre, Malika Mokeddem ne cesse de remonter les méandres de lenfance, de revenir à cette intranquillité qui la caractérisait, toute petite, dès lâge de trois ans, quand le droit à linsomnie, lui permet davoir un corps à elle, distinct de la cellule familiale. Ce sera sa première victoire. Plus tard, « la solitude et la lecture en seront les seules libertés jusquà la fin de ladolescence, jusquà mon départ du désert », nous dit Malika Mokeddem.
Cette transgression se fera dans un projet romanesque où les protagonistes-femmes restent le fil conducteur de luvre. Zohra laïeule, Leïla, Saâdia, dans Les Hommes qui marchent, Yasmine dans Le Siècle des sauterelles, Sultana dans LInterdite, Kenza dans
Des rêves et des assassins, Nour dans La Nuit de la lézarde, Nora dans NZid, sont toutes des héroïnes qui incarnent des algériennes rebelles, à lexemple de lauteur qui, dans une volonté de sincérité, revient sur son parcours, et sur le parcours de ses personnages-femmes, dans les deux autobiographies assumées : La Transe des insoumis, et Mes Hommes.
Béatrice Didier rajoutera quil sagit « de le (linterdit ) transgresser aussi peut-être par rapport à une sorte de vocation de la voix, du chant, de la tradition orale qui a été assumée par les femmes. Parce que tel était lintérêt de la société ? Parce que pour lenfant, fille ou garçon, la première voix est la voix maternelle, mais que la fille plus que le garçon se sent lobligation de reprendre et de perpétuer le chant de la mère ».
Dans ce sens, des romans comme Le Siècle des sauterelles, et à un degré moindre, Les Hommes qui marchent, sont des romans dans lesquels lauteur sest attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française. Lintérêt réside, à notre sens, dans cette re-textualisation de la tradition orale, principalement celle du conte, et sa transformation en parole décriture, voir en source décriture.
Les Hommes qui marchent, Le Siècle des sauterelles, et LInterdite qui sinscrit dans cette problématique dune écriture de lurgence des écritures de femmes, dans le contexte des années quatre-vingt dix, nous serviront de textes de référence pour montrer limportance de cette transgression, sans pour autant que nous nous interdisions des incursions dans toute luvre de lauteur pour étayer nos propos.
2- Pour une transgression des genres biologique et grammatical : lexemple de LInterdite :
Le rôle fondamental du titre dans la relation du lecteur au texte nest plus à démontrer. En labsence dune connaissance précise de lauteur, cest souvent en fonction du titre quon choisit de lire ou non un roman. Cependant, au-delà de lhorizon dattente que désigne le titre, il est clair quil reste un élément paratextuel de première importance de par les fonctions quil remplit, tel que les a explicitées Gérard Genette : La fonction didentification, la fonction descriptive, la valeur connotative, la fonction séductive.
La fonction descriptive du titre est largement assurée dans le sens où le titre LInterdite renvoie au contenu central de louvrage, contenu en rapport avec un contexte social tragique, contemporain de lauteur. Sur le plan formel, ladjectif nominalisé, présenté donc avec un déterminant renvoyant explicitement à la protagoniste, donc, au contenu du roman, donne à lire un titre thématique (évoquant le contenu) selon la terminologie proposée par Gérard Genette.
Cependant, au-delà dune première lecture qui peut nous orienter vers le sens littéral du titre renvoyant au sujet central, la fonction séductive du titre, par sa forme, dans son intention de jouer sur le désir de transgression, et donc dattirer, voir de choquer, permet de mettre en valeur louvrage, voir de séduire un type de lectorat avide de témoignage sur la tragédie algérienne des années quatre-vingt dix.
LInterdite en tant quélément du « paratexte » est un titre qui transgresse les règles du genre en tant que trait grammatical permettant de répartir certaines classes lexicales ( noms, verbes, adjectifs
) en un nombre fermé de catégories, en français, le masculin qui sert aussi de neutre, et le féminin , qui en fait répondent très vaguement à des critères liés au sexe, principalement pour les mots représentant des animés, comme pour Ladjectif nominalisé « LInterdite ».
Mokeddem replace le genre dans son arbitraire ne répondant à aucune motivation dans son usage communément admis : « LInterdit » au masculin pour dire laction interdisant lemploi de quelque chose, excluant une personne dun groupe, comme catégorie relevant dans ce contexte dune pratique sociale, par « LInterdite », comme adjectif nominalisé au féminin, interdit de tout, interdite de, et interdite par. Notons que nous passons de Le+ Interdit à Le + Interdite, « LInterdite » en lieu et place de » LInterdit ».
Nous pouvons faire une lecture du titre comme néologisme en transgressant lusage admis du masculin « interdit ».
Selon Yvette Bénayoun-Szmidt, LInterdite peut être lue comme « un nouveau concept, un marquage de la condition féminine, qui relève plus de lêtre, doù la tentation de le considérer comme un support idéologique visant à guider le lecteur dans son interprétation ou son décodage du texte qui suit. Celui-ci découvre que, dans son village natal, désormais aux mains des intégristes, une femme évoluée, moderne, instruite, et de surcroît médecin, comme Sultana est interdite de séjour, interdite damour, interdite de compassion et interdite de profession ».
« LInterdite » illustre le moyen datteindre une nouvelle expression féminine permettant datteindre un nouvel espace où la femme peut contrôler son destin tout en luttant symboliquement pour le destin collectif des femmes algériennes.
3- La métaphore de la « greffe ».
Dans LInterdite, Ce métissage en greffe dont nous parlons dit « lidentité tissulaire » qui se moque des frontières dressées par la bêtise humaine, grâce au mélange des genres « sexe » et « origine».
Cette vision de lidentité mixte, voir plurielle, annoncé par le choix de lépigraphe, extrait du Livre de lintranquillité de Fernando Pessoa,
« Il y a des êtres despèces différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent diversement
Et tout cet univers mien, de gens étrangers les uns aux autres, projette, telle une foule bigarrée mais compacte, une ombre unique ce corps paisible de quelquun qui écrit
»
permet dexplorer autrement la redéfinition de la notion didentité en renouvelant lidée de métissage et de syncrétisme, et partant, en déconstruisant les stéréotypes du genre.
La citation de Michel Serres à propos de lhomme métis semble convenir parfaitement à la vision romancée de Malika Mokeddem de ce que devrait être lhomme en situation dêtre et de devenir :
« Toujours quelque chose dans mon corps me rapproche dun homme. Ce nest pas mon universalité théorique et intellectuelle prétendue cest mon métissage corporel, acquis dans la vie. Il faut partager tant de choses avec tant dhommes, que je porte dans mon corps un mélange de formes, de gestes, de mots et de couleurs. La connection du local et du global réside dans ce mélange-là (
). Chaque singulier, inimitable, porte en lui de quoi ressembler au prochain. »
Le métissage détruirait donc le mythe du retranchement sur soi en bannissant le terme de clôture.
Le personnage de Yasmine qui a la peau foncée, nest pas métis à cause de la couleur de sa peau mais parce que son père et sa mère appartiennent chacun, respectivement à des groupes culturels différents. La naissance du métis est le résultat d'une transgression et il apparaît comme une "corruption" de la pureté, avec les problèmes d'identité que cela pose. Yasmine, Nedjma, dans Le Siècle des sauterelles, ou Nora Carson dans NZid incarnent le métissage comme un mouvement perpétuel qui crée de nouvelles entités culturelles. C'est paradoxalement, une source de différenciation. Il ne suffit pas de paraître "entre deux"pour être métis. Les gens qui ont la peau foncée, ne sont pas métis à cause de la couleur de leur peau mais parce que leur père et leur mère appartiennent chacun, respectivement à des groupes culturels différents. La naissance des métis est le résultat d'une transgression et ils apparaissent comme une "corruption" de la pureté, avec les problèmes d'identité que cela pose. Le métissage apparaît pour Malika Mokeddem, comme un mouvement perpétuel qui crée de nouvelles entités culturelles. C'est paradoxalement, une source de différenciation. Les enfants métis ne sont ni l'un ni l'autre mais un troisième, et c'est précisément leur spécificité.
Le métissage des origines est déjà inscrit dans le corps des femmes, dans le tatouage de la grand-mère, la conteuse Zohra, dans le corps de Yasmine et de sa mère Nedjma
Cette première trace du corps permettant deffectuer un retour sur le passé pour dire la complexité des histoires individuelles est nécessaire à Malika Mokeddem pour une critique des valeurs de lidentité basée sur la notion de pureté et de totalité.
Le roman LInterdite souvre sur larrivée de Sultana à laéroport de Tammar, dans le Sud algérien, et se termine par lannonce de son départ en France quelques jours plus tard.
Elle vit la tragédie qui déchire son pays natal aussi bien en tant que médecin que comme femme dans un monde masculin. La liberté du présent de lexil et lamère réalité du pays lamènent à refaire son identité qui ne peut se situer quà la jonction de deux mondes : La France, espace de refuge et douverture, et LAlgérie, espace du passé, dun passé de douleur, damour perdu, celui de Yacine, le médecin Kabyle mort, pour qui elle reviendra assister à son enterrement ; passé de mort, mort de sa mère tuée par son père.
Dans LInterdite, Sultana essaie de concilier entre sa vie dexil en France et le défi de son passé Algérien à Ain Nekhla où les villageois lappelaient linterdite. Cependant pour Sultana, être étranger nest pas un drame :
« Cest une richesse tourmentée. Cest un arrachement grisé par la découverte et la liberté et qui ne peut sempêcher de cultiver ses pertes ».
Pour Julia Kristeva, cest labsolu de cette liberté qui « sappelle pourtant solitude ».
Létrangeté de Sultana remonte à lépoque de son père, lui aussi étranger dune autre tribu, les Châamba. Cet étrangeté fait naître lidée dun ailleurs quils refusent. Cest cette différence qui a touché Sultana dès son plus jeune âge. Larrivée de lhéroïne dans son village est problématique de par cette marque de la différence de son clan ainsi que de son histoire à létranger.
Seul le tissage entre différents langages, cultures, races et sexes, peut sauver les personnages de Malika Mokeddem .
Cest donc lhistoire dune femme métissée par deux cultures qui est racontée, une femme qui entre dans un espace nouveau à découvrir. Françoise Lionnet nous dit que le monde du métissage est un «domaine indéterminé ». Cest ce domaine indéterminé que lécriture de Malika Mokeddem tente dexplorer en disant une identité féminine à la recherche delle même, une pluralité identitaire que le texte veut assumer aussi bien dans la terre dexil que dans la terre dorigine.
Ainsi, la métaphore de la greffe biologique permet de renforcer le métissage de lhéroïne en disant une identité au Féminin/Masculin, une pluralité identitaire.
Le syncrétisme culturel des personnages reste à notre avis moins percutant que le métissage biologique, cest à dire «le métissage en greffe » que subit le personnage- narrateur Vincent, et qui ne passe pas par la grille de lintellect dans ses effets de lecture.
Ce métissage se lit donc dans la greffe de Vincent le Français- le deuxième narrateur qui répond en écho à
la première narratrice, Sultana- qui reçoit le rein dune femme algérienne décédée quil ne connaît pas. Vincent est non seulement ramené à la vie par la greffe de ce corps étranger, mais au désir de lautre. Vincent, second narrateur dans lInterdite vient dans le Sud Algérien à la recherche de son autre moitié. Ce discours, sonne en quelque sorte selon lauteur, comme «un pied de nez à tout ce discours sur les races quon nous fait ».
Vincent sait que lidentité tissulaire se moque des frontières dressées par les lois et les hommes.
« La chirurgie a incrusté en moi deux germes détrangeté, daltérité : lautre sexe et une race. Et lenracinement dans mes pensées du sentiment de double métissage de ma chère me poussait irrésistiblement vers les femmes et vers cet autre culture, jusqualors superbement ignorée ».
Le métissage de la chair est la reconnaissance du corps féminin mais métaphoriquement il est un besoin du désir de la féminité. Vincent conscient de sa «nouvelle identité entreprend une quête «chevaleresque », à la recherche de sa « jumelle algérienne ». Le don dorgane dune donneuse morte va se muer dans le corps de Vincent en une envie irrésistible de connaître létrangère.
Pour Jean-Luc Nancy Lintrus « sintroduit de force ou par ruse, en tout cas sans droit ni sans avoir été dabord admis. Il faut quil y ait de lintrus dans létranger, sans quoi il perd son étrangeté (
) Une fois quil est là, sil reste étranger, aussi longtemps quil le reste, au lieu de simplement se « naturaliser », sa venue ne cesse pas : il continue à venir, et elle ne cesse pas dêtre à quelque égard une intrusion : c'est-à-dire sans droit et sans familiarité, sans accoutumance, et au contraire dêtre un dérangement, un trouble dans lintimité ».
Le thème de la greffe dun corps étranger, de lintrus est une intrusion dans nos certitudes, dans notre appréhension de létranger, qui va sinscrire en nous. Mais, selon Jean-Luc Nancy, « Cette correction morale suppose quon reçoit létranger en effaçant sur le seuil son étrangeté : elle veut donc quon ne lait point reçu. Mais létranger insiste, et fait intrusion. Cest cela qui nest pas facile à recevoir, ni peut-être à concevoir ».
La présence de Sultana ou son intrusion ne se fera pas sans heurts. Elle est source de fracture contre des traditions séculaires de domination des femmes. Sultana apprend laltérité dans un espace dysphorique, violent. Le ressourcement, la reconstruction viendra peut-être de la relation amoureuse avec Vincent, lautre voix(e), le français qui cherche sa donatrice algérienne, et qui incarnera lidentité plurielle dans son corps métissé, féminisé.
La femme napparaît pas seulement comme un corps doublement étranger, femme et Algérienne, mais comme élément désirable en dépit des discours haineux tenus sur la femme dans lAlgérie des années 90.
Dailleurs, arrivé en Algérie, Vincent ne trouve que des rues vidées de femmes.
« Labsence féminine est comparable à labsence de la morte quil porte désormais en lui » nous dit Christine Renaudin dans un article critique qui traite dun aspect important dans la vie et lécriture de Mokeddem, en concluant par une analyse révélatrice de la fameuse greffe du rein qui constitue un «modèle médical dintégration sociale », une «intégration de lautre », une vision despoir pour lAlgérie
Vincent en sadressant à Sultana établit le parallèle en « greffe médicale » avec toutes ses conséquences sur les traitements immunosuppresseurs pour pallier au rejet par le système immunitaire, et létranger, cet « intrus » difficile à accepter, à intégrer en soi :
Il en va de la greffe comme de toute intégration détranger. Un travail dacception réciproque est nécessaire : travail chimique exercé par les remèdes pharmaceutiques sur le corps des patients, pour lune, remèdes pédagogiques sur le corps social, pour lautre ».
Selon Jean-Luc Nancy : « La possibilité du rejet installe dans une double étrangeté : dune part, celle de ce cur greffé, que lorganisme identifie et attaque en tant quétranger, et dautre part, celle de létat où la médecine installe le greffé pour le protéger. Elle abaisse son immunité, pour quil supporte létranger. Elle le rend donc étranger à lui-même, à cette identité immunitaire qui est un peu sa signature physiologique ».
Ce qui se manifeste est moins la femme, létrangère, que lautre immunitaire insubstituable qu (on a pourtant substitué. Lintrusion mortelle de lintrus doit être traitée car, s « il y a lintrus en moi (
) je deviens étranger à moi-même ».
Les personnages aux multiples identités se révèlent tous « étrangers en eux-mêmes », en référence à lexpression consacrée de Julia Krisna. La réduction de lidentité à lUn est demblée écartée.
Mon identité butine à son gré, fait son miel et mâtine ses vieux tanins. Elle mélange, accommode. Elle ne renie rien. Je suis un éclectique, un arlequin dirait Michel Serres.
Ce prétexte narratif original explore à sa façon la quête identitaire à travers le thème du métissage et du syncrétisme qui remet en question le monolithisme en jouant sur des registres contradictoires. Ainsi, les personnages de « la marge », habitant le désert, à
lexemple de Yacine et Salah, Dalila, dans lInterdite, et de Mahmoud, El Madjnoun , Yasmine et Bénichou le
juif, dans Le Siècle des Sauterelles, disent le déplacement, la contradiction .
Entre rupture et mémoire, Sultana est, comme elle le dit à Salah :« Sur une ligne de fracture, dans toutes les ruptures (
) Dans un entre deux qui cherche ses jonctions entre le Sud et le Nord , ses repères dans deux cultures ».
Le métissage, tel que traité à travers cette métaphore, nous paraît comme étant un concept important chez Malika Mokeddem qui a commencé sa vie dans le désert, espace du possible où se forgent des alliances entre Berbères, juifs, Arabes et Français et qui vit actuellement à Montpellier, dans une région Méditerranéenne qui reste un espace hybride et métissé, lieu de rencontre de cultures diverses du Nord au Sud.
Au delà de ce «métissage en greffe », ce versant du roman dit aussi lamour de la vie sur la maladie et lamour du désert revisité, réécrit.
II- La fiction menée de front avec le récit autobiographique.
1- Un parcours singulier.
Luvre de Malika Mokeddem, commencée au début des années 90 reste lune des écritures algériennes des plus singulières de par son pari à exister singulièrement comme écriture, une écriture rebelle qui participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à lencontre des femmes, et qui ne considère pas que les Algériennes représentent un groupe monolithique, se refusant à se déclarer porte-parole, revendiquant un territoire décriture.
Son parcours reste singulier avec une écriture en progression qui refuse les clichés, les perceptions exotiques sur lécrivaine du désert, la femme engagée.
Malika Mokeddem écrit des livres de transgression. Une femme qui a toujours été du côté de la rébellion et jamais du côté de la soumission. Elle se définit comme « une femme de frontières » qui refuse tous les enfermements, que ce soit dans un territoire ou dans une tradition. Ce qui lui permet, en restant en dehors, de garder une capacité de discernement, de lucidité et de liberté, dans le regard quelle porte en regardant son pays qui reste la matière, le sujet dominant de son écriture.
Sa production romanesque révèle à travers le temps, de 1991 à 2008, dans neuf romans distincts, des discours variés, selon le thème abordé, ainsi quune information politique et sociale aisément repérable.
Cependant, cest depuis le désert de lenfance quil faut tenter de lire et de relier les romans de Malika Mokeddem. Des romans qui enseignent les origines et la transgression de ces origines. Un métissage aussi bien biologique- Malika Mokeddem étant « fille du désert et de loralité, petite fille dune nomade bédouine, héritière du sang noir dune ancêtre africaine »- que culturel, selon Yolande Aline-Helm qui affirme que «son identité sest aussi nourrie de la culture occidentale transmise par les lectures et lécriture ».
Cest en 1977 que Malika Mokeddem quitte lAlgérie, bien avant les exodes massifs. Il y avait besoin daller finir ses études ailleurs, dêtre plus libre. Elle ira jusquà refuser une bourse de lEtat, pour ne rien lui devoir et se débrouiller par ses propres moyens.
En fait, Malika Mokeddem ne quitte pas vraiment lAlgérie qui reste la toile de fond de ses récits. Les thèmes en écriture se sont presque imposés pour une femme dont lenfance et ladolescence ont été marquées par des souffrances, et que lécole a arraché à une société moyenâgeuse pour la précipiter, seule, en plein milieu du vingtième siècle.
Comme laïeule nomade sédentarisée qui résiste en contant le monde nomade, le trop plein de mots ressurgit des années plus tard chez Malika Mokeddem, une fois les études terminées, et la réalisation dun certain nombre de buts assignés.
Devenue médecin, en exil en France, le refuge dans la lecture ne suffira pas :
« Encore une fois, jai essayé de trouver refuge dans la lecture. Mais je ne pouvais plus y entrer. Le trop plein de mots et de maux en moi muets, depuis si longtemps, mavaient saturée. Il ne me restait plus dans ma tête despace disponible aux mots des autres. Non-dits refoulés, sabrés, oubliés, secrets, couvés, morts nés (
) Il y avait surpopulation dinexprimés en moi ».
Après une scolarité primaire à Kenadsa, des études secondaires à Béchar, Malika Mokeddem entame des études de médecine à lUniversité dOran, études quelle poursuivra à Paris puis à Montpellier en se spécialisant en néphrologie. Cest en 1985, après lobtention du diplôme de néphrologue, quelle interrompt ses activités professionnelles pour se consacrer à lécriture :
« Avec un certain nombre de buts assignés, jaurai du éprouver la sérénité de larrivée. Encore une fois, jai essayé de trouver refuge dans la lecture. Mais je ne pouvais plus y entrer. Il ne restait plus, dans mon être, despace disponible aux mots des autres. Javais déjà quitté une famille, des amis, un pays. Je navais cessé de menfoncer dans une absence sans fond. Il y avait urgence. Alors, jai écrit, dabord comme on soigne, par nécessité.(
) Mais ils se sont bousculés les mots du silence. Jen suis restée ivre et désemparée. Maintenant, lécriture mest une médecine, un besoin quotidien »
En octobre 1985, elle reprend lexercice de la médecine en cabinet privé, comme généraliste dans le quartier immigré de Montpellier. Depuis elle partage son temps entre lexercice libéral de la médecine et lécriture.
Cest donc, en France, à Montpellier, quelle conquiert lespace nécessaire à lécriture. Cette double appartenance lui offre le recul nécessaire pour aiguiser son esprit critique, sa lucidité entre les deux rives.
Dès son premier roman, Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem sabreuve à cette source familiale intarissable de la grand-mère, la « poétesse analphabète » qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte.
Après avoir rappelé le poids de la société dans le choix quont dû faire les femmes parmi un certain nombre de genres littéraires, Béatrice Didier insiste sur la « plasticité » de certaines formes littéraires adoptées par les femmes : « Pour la poésie, le roman, lautobiographie, les femmes ont toujours été plus libres de leur donner une forme qui leur convenait. Peut-être est-ce tout autant la plasticité de ces formes que leur capacité à exprimer le moi, qui leur a donné une telle place dans la littérature féminine ».
La critique a constaté une nette préférence pour la littérature « personnelle » qui regroupe les romans autobiographiques, les autobiographies, les biographies et récits de vie, dans la littérature de femmes algériennes. Ce dit autobiographique, fortement présent dans les romans de Malika Mokeddem, sera thématisé et structuré dans ses deux autobiographies : La Transe des insoumis et Mes Hommes.
Dailleurs dans le premier jet, sorti dans lurgence, à propos de Les Hommes qui marchent, lauteur na opéré aucune distance entre le « je » de la femme Malika Mokeddem et le « je » de la narration, ainsi quentre les protagonistes et les membres de sa famille présentés avec leurs véritables prénoms. Aussi, une réécriture simposait où le je devint Leïla et un changement de tous les autres prénoms de ses personnages.
Ce que confirme Christiane Achour à propos déjà des « premiers récits dAlgériennes (qui) sont des récits de vie, des témoignages sur leur parcours », à la différence que Malika Mokeddem ne sembarrasse pas de subterfuges pour masquer son témoignage devant ce quon pourrait appeler des impératifs de réserve et de silence que son éducation était censé lui inculquer.
2- La figure de laïeule ou la « scène primitive » dune uvre à caractère autobiographique.
a- La figure de laïeule.
Malika Mokedem, dans lentretien accordé à Lazhari Labter, se confie : « La découverte du pouvoir des mots, de leur charge critique ou subversive, de la sensibilité à leur prosodie métait dabord venue delle (de la grand-mère) ; avant lécole et le début de la lecture.(
) Elle tenait un propos dexilée soucieux de transmettre son passé, une mémoire nomade en voie dextinction »
Nous constatons que la mise en scène de laïeule adulée par la narratrice- auteur dans son rôle de « mise en veilleuse » de lacte de narrer, puis décrire de lauteur, bien avant lécole française et lapprentissage de la lecture et de lécriture, parcourt lensemble de luvre de lauteur.
Cette découverte du pouvoir des mots inaugure le passage à lacte de transgression par lécriture, et ce dès le premier roman, Les Hommes qui marchent, où la mise en scène de la conteuse Zohra à louverture du roman, rejoint la plume de Leila, sa petite fille, incarnant ainsi le passage de loralité à lécriture.
Zohra « un petit bout de femme à la peau brune et tatouée (
) née lannée de la très grande sécheresse », devenue sédentaire, et à qui « il ne reste plus que le nomadisme des mots » conte le désert en se jouant de tout.
La voix rocailleuse de Zohra qui martelait la mémoire de Leïla sera reprise par « sa plume (qui) se mit à écrire avec fébrilité sous la dictée de laïeule qui revivait en elle ».
Lincipit et lexcipit du roman mettent en scène le nomadisme des mots, permettant de conter, et de (ra)conter, à linfini les mots de la grand-mère :
« Elle (Leïla) avait repris sa marche vers Bouhaloufa, vers laïeule Zohra, vers Saadia, Emma, Ben Soussan, La Bernard, vers les phares qui balisèrent le rivage houleux de lerg ».
Avec la grand-mère, Malika Mokeddem revendique sa filiation avec une autre femme, une tante, dont elle taira le nom, et dont « lentêtement à damer le pion au mépris, aux préjugés, aux dénis, avait fini par forcer le respect et limposer en exemple ». Cette tante au verbe « ravageur » sera longuement décrite dans Les Hommes qui marchent, sous le nom de Saâdia. La disparition de ces deux femmes la laissera « orpheline du vivant de (ses) parents en dépit dune nombreuse fratrie.
Leur filiation continue de légitimer (ses) départs, (ses) ruptures, tout ce avec quoi (elle) ne transige pas ».
La scène primitive layant amené à lécriture est reprise dans le premier ouvrage de son volet autobiographique, La Transe des insoumis, où lauteur-narratrice enfant se « lève souvent au cours de la nuit », pour rejoindre sa grand-mère qui « se met à murmurer des mots dabord hésitants, avant de retrouver le verbe débridé de ses espaces ».
La première histoire damour quon lui raconte lenchante :
« Hagitec-Magitec, », formule magique permettant de rentrer dans lunivers magique des contes de la grand-mère.
Est-ce là le portrait de la littérature dans le sens où la force emblématique vient de ce que se trouvent scellées les forces contradictoires qui composent la narration de Malika Mokeddem, qui, petite fille, faisait partie de la douzaine dalgériennes qui ont accès à lécole française dans les années cinquante ?
Ces forces contradictoires vont travailler lécriture de Malika Mokeddem. Son imaginaire, déjà nourri des contes en arabe de sa grand-mère, butte « aux bordures de la page blanche, seuil dun monde encore ignoré dans lequel (elle s) invente déjà (sa) propre fiction ».
La nuit, lauteur-narratrice fait corps avec sa grand-mère :
Ma rêverie attire grand-mère, elle se lève, sapproche, jette un il intrigué à mes pages noircies. Je débarrasse son couchage, range mon cartable, reviens me coucher contre elle. Elle se met à murmurer des mots (
) avant de retrouver le verbe débridé de ses espaces. La nuit na pas de limites pour elle ni pour moi ».
Cest le lieu, le temps de la scène primitive, où la petite fille noircissant ses cahiers en français, fait corps avec les mots arabes de la grand-mère, larabe restant avant tout « la langue grand-maternelle »
Cest le lieu où la petite fille est nommée héritière de ces contes, le temps dune scène répétitive dans luvre, une scène ayant lieu avant et pendant laccès à la lecture et à lécriture en français.
Leïla, sinstalle dans lécriture en devenant écrivaine, des années après la fin du récit. Elle respectera, ainsi, le mandat de sa grand-mère, Zohra.
Sur le plan graphique, le passage entre ces deux espaces, le récit et linstallation dans lécriture, est indiqué par un blanc.
Mais comment Leïla pouvait-elle dire à cette mère que sa marche devenait lourde de chaînes. (
) Pas libre, sa fille qui avait atteint les sommets ! Alors ces mots non dits creusèrent le fond de sa poitrine, lourds et amers. Hana, le poids des mots. Surtout les mots morts-nés.
Haletant sous lemprise de cette obsédante incantation, Leïla sarrêta. Elle prit sa plume. Raconter ?... Mais par où commencer ?
Il y avait tant à dire ! Elle neut pas à chercher longtemps. Sa plume se mit à écrire avec fébrilité comme sous la dictée de laïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire. Elle avait repris sa marche vers Bouhaloufa, vers laïeule Zohra, vers Saadia, Emma, Ben Soussan, La Bernard, vers les phares qui balisèrent le rivage houleux de lerg ».
Nous ne sommes plus dans la continuité du récit des Hommes qui marchent mais dans un autre espace, un autre roman, celui de la venue à lécriture et de son récit.
La fiction prépare linstallation de Leïla ou de Yasmine dans Le Siècle des sauterelles dans lécriture. Le glissement vers le mythe des Bouhaloufa ou vers la légende dIsabelle Eberhardt permet de parsemer luvre de passages discursifs sur le procès décriture, sur sa nature métatextuelle, et ce jusquà linstallation de métarécits parallèles aux récits de chaque roman.
Cependant, ce qui va aussi structurer le projet narratif de lauteur, plus encore que les contes et récits de la grand-mère, « cétaient ses (de la grand-mère) répliques cinglantes ou dérangeantes qui résonnaient fort en (elle) et (la) (lui) faisaient aimer ».
A partir de cette scène inaugurale du passage de la voix à lécriture, le sujet de lécriture est entraîné dans une mise à lépreuve radicale, celle de la mémoire et du corps, mais dans linachèvement autobiographique, quil faudra sans cesse reprendre, de Les Hommes qui marchent en passant par Linterdite et Des Rêves et des assassins, romans dans lesquels Malika Mokeddem avance à pas masqués, jusquà La Transe des insoumis et Mes Hommes où le lien autobiographique est clairement énoncé.
b- Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles : des romans de conteuse.
Ce nest quaprès son diplôme de néphrologue que Malika Mokkedem va se mettre à lécriture. Son premier roman «Les hommes qui marchent» est écrit en 1985 mais ne sera édité quen 1990 aux éditions Ramsay. Le roman a reçu en 1990 le prix Littré avant dêtre réédité en 1997 aux éditions Grasset..
Malika Mokeddem avait déjà quitté sa famille, des amis, un pays. Elle se met dabord à écrire par nécessité : « Dabord lentement comme lorsque le risque est grand. Mais ils se sont bousculés, les mots du silence, les maux de toutes les absences. Ils me sont tous remontés, en même temps. Ils mont débordée, mont asséné une brutalité salutaire. Jen suis restée ivre et désemparée ».
Dans son premier roman, Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem met en scène la scène inaugurale appelant à lécriture, celle de lancêtre, de la Grand-mère Zohra, ou plus précisément ce qui fait exister Zohra, cest à dire la parole dune conteuse, la première de la généalogie des conteuses qui en quittant le grand espace nomade pour la sédentarité sent un avant-goût de mort :
Limmobilité du sédentaire, cest la mort qui ma saisie par les pieds. Elle ma dépossédé de ma quête. Maintenant, il ne me reste que le nomadisme des mots. Comme tout exilé.
Il ne reste que les mots, comme Zohra, à Malika Mokeddem, la fille de nomades analphabètes, pour apprivoiser langoisse des grands espaces du désert.
Cest à sa grand-mère, à travers Zohra, cette poétesse analphabète, qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte, que lauteur donne la parole dans son premier roman.
Cest au pied des dunes, aux portes du Grand Erg, où sest fixée la tribu, que la vieille Zohra, à linstar de la grand-mère de Malika Mokeddem, est devenue linoubliable conteuse des temps anciens, le pilier de la sagesse et des traditions bédouines. Zohra, dans laridité de la sédentarisation, narre « Les Hommes qui marchent », et les grandes mutations de lAlgérie coloniale à lAlgérie post-coloniale, celle de la haine et de lintégrisme religieux.
Le public est fasciné par cette « voix conteuse », tandis que lAlgérie des années cinquante bascule dans la guerre contre les « roumis ». Trois décennies plus tard, Leïla, sa petite fille, lune des premières jeunes filles de la tribu à maîtriser lécriture, se rebelle contre le destin de femme asservie quon lui impose. Cest dans ses racines nomades quelle puisera la force de sopposer.
Le Siècle des sauterelles, comme Les Hommes qui marchent, est un roman dans lequel lauteur sest attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française. Le roman en racontant un monde primitif, une civilisation doralité (en tant quelle est opposée à une civilisation décriture), ici le nomadisme, convoque, « en voix off », un avant-texte à travers les références à la tradition orale.
III- Pratiques autobiographiques.
1- Sur lautobiographie.
Le mot « Auto-bio-graphie » avec ces trois racines relie étroitement lidentité singulière dun « moi » (auto), la vie (bio) dans ce quelle a de mouvant et dinsaisissable, et lécriture (graphie), démarche dexpression et de recomposition.
Selon Philippe Lejeune, le mot « autobiographie » désigne un phénomène radicalement nouveau dans lhistoire de la civilisation qui sest développé en Europe occidentale depuis le milieu du 18ème siècle : lusage de raconter et de publier lhistoire de sa propre personnalité. Comme le journal intime qui apparaît à la même époque, lautobiographie est lun des signes de la transformation de la notion de personne et est intimement lié au début de la civilisation industrielle et à larrivée au pouvoir de la Bourgeoisie.
Le verbe « écrire » nétant pas nécessairement transitif, implique cependant un agent, un « je » qui peut être en même temps sujet et objet de lécriture, auteur et matière même du récit.
Lautobiographie moderne ne naît pas au XXème siècle, mais au XVIIIème siècle, avec Les Confessions (1871) de Jean-Jacques Rousseau :
« Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que jai fait, ce que jai pensé, ce que je fus. Jai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je nai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et sil mest arrivé demployer quelque ornement indifférent, ce na jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; jai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu lêtre, jamais ce que je savais faux. »
Ce passage souligne lexigence de vérité que simpose lauteur devant le souverain juge. Cette vérité est dans son livre Les Confessions.
Cette exigence de vérité peut passer par dautres formes décriture de soi : « mémoires » qui accordent une large place aux événements historiques, correspondances, journaux intimes, romans autobiographiques
Cependant, quelque sincère que soit lécrivain, le contrat de véracité peut entrer en contradiction avec le travail toujours imprévisible de limaginaire et de la création. Alain Robbe-Grillet insiste sur cet aspect paradoxal de laventure autobiographique :
« Je ne suis pas homme de vérité, ai-je dit, mais non plus du mensonge, ce qui reviendrait au même. Je suis une sorte dexplorateur, résolu, mal armé, imprudent, qui ne croit pas à lexistence antérieure ni durable du pays où il trace, jour après jour, un chemin possible. Je ne suis pas un maître à penser, mais un compagnon de route, dinvention, ou daléatoire recherche. Et cest encore dans une fiction que je me hasarde ici ».
Les leurres du genre autobiographique sont dénoncés par nombre décrivains et de critiques, à lexemple de Serge Doubrovsky, écrivain et critique, qui, revenant sur ce terme dans LAprès-vivre, le présente moins comme le résultat dune théorie que comme celui dune intuition :
« Cest vrai, je ne suis pas sûr pourquoi, jai pris lhabitude de mettre ma vie en récits. Den faire, par tranches, des sortes de romans. Jai appelé ça, faute de mieux, mon autofiction. De lauto-biographie toute chaude, à vif, qui saigne, mais recomposée selon les normes propres de lécriture ».
Laffirmation de Flaubert, « Madame Bovary, cest moi » montre bien que tout écrivain compose à partir de soi, de ses expériences de sa subjectivité, même si, en fait, un roman nexprime jamais totalement son auteur, quels que soient les liens, - biographiques ou psychologiques- que lon peut déterminer entre Sultana, Lhéroïne de Linterdite, Kenza de Des Rêves et des assassins, ou encore Nora de NZid et Lauteur-écrivain Malika Mokeddem.
La seule complète écriture de soi serait donc lautobiographie, quelle que soit sa forme : narration rétrospective organisée (mémoires, confessions), confidences rapportées au jour le jour (carnets, journaux intimes).
Le Dictionnaire de critique littéraire définit lautobiographie comme « genre littéraire fréquent dans la littérature occidentale qui se développe avec lexpansion de lintrospection liée au christianisme dans la pratique de lexamen de conscience (
)Lautobiographie fait partie de la littérature narrative, mais se distingue (
) des romans dont le narrateur est en même temps un personnage (narrateur intradiégétique), en ce quelle ne présente pas de fiction, mais est censée être fidèle aux événements réellement survenus dans la vie du narrateur (
). Enfin lautobiographie implique un dessein global, une mise en intrigue pour reprendre un terme utilisé par Ricur à propos du roman, qui la distingue dun simple livre de souvenirs (
) Le genre autobiographique est lui plus large, et comprend également par exemple les récits de souvenirs, le journal intime, les romans inspirés de la vie de lauteur et que lon qualifie de romans autobiographiques ou romans autobiographie (
) comme A la recherche du temps perdu de Proust ».
Philippe Lejeune, dans Le pacte autobiographique instaure une grille de lecture pour les récits de vie se donnant à lire dans le genre autobiographie où le contrat entre lauteur et le lecteur instaure un pacte de sincérité représenté par une intentionnalité avouée dassumer le discours autobiographique et de dire la vérité.
Le texte est supposé être basé sur des éléments factuels doù « le pacte référentiel » qui suscite chez le lecteur lattente dune révélation de « la vérité ».
Ainsi, le pacte autobiographique, véritable déclaration dintention, pose lidentité de lauteur, du narrateur et du personnage, et souligne que lemploi de la première personne, que Gérard Genette appelle la narration « autodiégétique » dans sa classification des voix du récit, rassemble trois identités de fait identiques, à travers une énonciation particulière qui apparie le « je » du passé et le « je » du présent de lécriture.
Mireille Calle-Gruber, dans Le deuil de la biographie, étude consacrée à Le Blanc de lAlgérie dAssia Djebar, clarifie les ambiguïtés qui peuvent exister dans les définitions de la biographie, le biographique, lautobiographique :
« La biographie, le biographique, lautobiographie, bien quétroitement intriqués et indissociables dans leur interaction à luvre, désignent cependant des moments (de force) distincts. Le terme biographie, aujourdhui, tend à mettre laccent sur les effets de réel dun genre littéraire suscitant des représentations, une impression de prise sur le vif ou de restitution du vivant. Le biographique désigne en revanche le matériau de construction de la scène décriture, les éléments de la composition, la mise en chantier textuel. Autrement dit : (
) La biographie tend à faire entendre : cest comme la vie. Le biographique tend à désigner le mode narratif du récit de vie. Quand au rapport entre biographie et autobiographie, on conviendra, certes, que dune manière générale toute biographie comporte peu ou prou des accents autobiographiques ».
Romans autobiographiques, autobiographies, biographies et récits de vie prédominent dans la littérature algérienne féminine. Ce dit autobiographique fortement présent reste comme une forme de transition avant lécriture de fiction alors quen occident, où le genre est né, lautobiographie est le fait décrivains déjà attestés qui, sur le tard, font un retour sur leur vie, leur itinéraire.
Dans les pays colonisés, lautobiographie constitue souvent la première, et parfois la seule uvre de ceux qui se hasardent dans la langue de LAutre.
Notre intitulé « Pratiques autobiographiques » annonce le texte autobiographique dune auteure se situant entre différentes cultures, et dont lécriture se situe dans un contexte culturel hybride. Lécriture de Malika Mokeddem oscille entre la culture française dans laquelle sont ancrées lintellectualité et la formation de lauteure, dune part, et la culture dorigine, ou plus précisément -pour être en harmonie avec Malika Mokeddem qui refuse le principe dunicité dans la définition de lidentité, et qui revendique le principe dhybridité et de métissage- une culture de loralité du Sud algérien qui influencera définitivement son écriture, comme nous lavons maintes fois souligné.
2- Du « féminin pluriel » au « féminin singulier ».
Dans la littérature algérienne daujourdhui, selon Fatima Mernissi, lAlgérie est une société hostile où lindividu doit être solidaire de la tribu et de lidée dune totalité islamique.
Farida Boualit, par ailleurs, constate que « la pratique scripturaire qui consiste à parler de soi (même pour soi) dans un journal, des mémoires, une autobiographie intimiste, etc., na pas cours dans notre société », et lexplique par « linhibition manifeste de la mise en discours intimiste de soi en raison dune consigne culturelle qui confine à linterdit. Linterdit ici est dautant plus fort que la teinte religieuse de linterdiction ne fait pas de doute ».
Largument avancé pour cet interdit de la mise en avant de soi chez lécrivain maghrébin dans son acte décriture est avant tout, dordre culturel, renforcé par « la teinte religieuse de linterdiction » dont le modèle est fourni par « le prophète Mohamed qui incarne leffacement de sa personne pour pouvoir capter et transmettre la parole divine ».
Elle rajoutera plus loin que « cette consigne culturelle de mise en retrait de soi en tant quindividualité) est dautant plus intériorisée au Maghreb quelle est confortée par lHistoire. Lhistoire, en tant quhistoire de ladversité ou histoire des catastrophes, a beaucoup plus sollicité le groupe (dans sa cohésion identitaire face aux autres, à lennemi étranger) que lindividu, et ce, pendant des siècles.
Le retrait de l énonciateur au profit dune énonciation collective où « les déterminations personnelles se confondent totalement avec les déterminations socio-historiques » peut être constaté dans la littérature maghrébine de langue française des années 50 où, selon Farida Boualit « lautobiographie (
)porteuses de revendications identitaires et/ou nationales (
) a dû mêler sa présence à celle de la fiction romanesque », et, où « la coïncidence (du personnage narrateur), en tant que membre dune communauté, peut être aisément repérée par le biais des identifications secondaires ».
Moura parle dhybridité caractérisant les formes littéraires postcoloniales en citant le cas de lautobiographie « symbolique » comme genre privilégié de la littérature postcoloniale pour inscrire la « conscience littéraire dune énonciation collective ».
Pour Moura, lauteur de cette forme symbolique dautobiographie « racontant son passé, résume par là laccès de tout un peuple à lindépendance ».
Cette forme de « fiction autobiographique » peut être assimilée, selon Farida Boualit, « du point de vue du sujet de lécriture, au stade du miroir, le miroir étant lhistoire relatée dans ce livre qui permet au sujet dexister, c'est-à-dire de sidentifier (fusion de soi avec les autres) en mêlant limaginaire à la fiction ».
Ces autobiographies, ne sénonçant jamais à visage découvert, empruntent en général le détour de la fiction romanesque. Nous citerons à ce titre, les exemples de Leïla, jeune fille dAlgérie de Djamila Debêche, et de Jacinthe Noire de Marguerite Taos Amrouche, publiés en 1947.
Encore faut-il dire que ces deux romans autobiographiques, restent des exceptions plus ou moins acceptées, pour cette époque là, car non représentatives de la communauté dorigine : Lintérêt que porte Djamila Debèche à la question de lémancipation de la femme musulmane, est mieux perçu par la communauté coloniale que par les autochtones, et Marguerite Taos Amrouche, de par son appartenance à une famille de Kabyles chrétiens, reste isolée de sa communauté dorigine.
Le premier roman DAssia Djebar, La Soif, (Julliard, 1957) considéré comme autobiographique par la critique de lépoque, est tout de suite comparé à Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, lui ôtant du coup tout statut duvre littéraire à caractère autobiographique algérien.
Dans les années soixante-dix, dans la littérature maghrébine, le sujet de lécriture reste en retrait par rapport à lhistoire collective fortement présente, et ce en procédant par, ce que Farida Boualit appelle « touches autobiographiques » ou « flashes autobiographiques ». Ce qui permet à ces auteurs, à lexemple de Abdelkébir Khatibi, Nabile Farès, Abdelwahab Meddeb, ou encore Assia Djebar, de revisiter les valeurs instaurées, quelles soient dordre historique, identitaire, théologique...
3- Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout.
a- A lopposé des consignes culturelles.
Mêler les genres, pour nos écrivains, cest se dire sans se soumettre aux règles dun genre défini, et éviter de senfermer dans des frontières étroites, surtout pour des écrivains femmes qui ont choisi la rupture, la transgression, par la voie/voix autobiographique dont plusieurs critiques littéraires ont souligné la tendance.
Il est aisé de constater que dun ouvrage à lautre, Malika Mokeddem « tisse » limage du moi en mêlant divers registres et genres. Elle met en place une poétique qui transcende les limites génériques, en passant du pamphlet à la narration, de la fiction à lautobiographie.
La mise en discours intimiste, comme nous lavons dit, est mise à lindex par une consigne culturelle et religieuse dans une formule connue, en arabe populaire : «maudit soit le mot je/moi » auquel répondrait Malika Mokeddem : « le moi envers et contre tout ».
Les premiers récits dAlgériennes sont des récits de vie, des témoignages sur leur parcours. Cependant, selon Christiane Achour, ces écrivaines « masquent ce témoignage dune façon ou dune autre, ce qui nest pas étonnant compte tenu des impératifs de réserve, de pudeur, de silence que leur éducation leur a inculqués. La transgression de ces préceptes expose à la sanction sociale et peut aller jusquà la lexpulsion du groupe et la mort ». Ainsi, en publiant son autobiographie, on sexpose doublement : on apparaît sur la scène publique, et on se distingue de la communauté.
Cependant, il faut noter que cette transgression évidente dans la société de lépoque « ne lest pas, selon Achour, par rapport aux modèles littéraires de formation et à ceux des écrits féminins antérieurs en Europe ». mais quelle doit être reliée au contexte social particulier du Maghreb où, selon Christiane Achour et Simone Rezzoug, « Lacte scripturaire, au Maghreb entre autres, ne participe pas des rôles communément fixés à la femme » en introduisant « dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui nont pas coutume dêtre exposés au débat collectif : psychologie, logique, gestuelle féminines ». Il y va de la morale liée à une juridiction implicite des lecteurs et de la critique, prenant le pas sur le droit à lexpression et ainsi tenir compte de cette censure et autocensure impliquant des stratégies décritures opérant une distanciation afin datténuer la responsabilité de ce qui est dit (recherche de pseudonymes, jeu de masques par le biais dun personnage masculin dans le dire du corps féminin, et autres).*
Le cas de la publication de lautobiographie de la mère de Jean et Marguerite Taos Amrouche, Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour, préfacé par Kateb Yacine, fera date dans lédition éditoriale de la littérature féminine algérienne.
Cette autobiographie, écrite en 1946 publiée quen 1968 en raison de la « censure du mari » sera intériorisée par lauteur. La publication naura lieu quaprès la mort du mari.
Si nous nous en référons à Benjamin Stora, limportance de lautobiographie féminine en Algérie serait due à la difficulté pour ces femmes daffirmer une identité individuelle : « Plus la société les empêchait de dire « je », plus elles lécrivaient dans leurs textes », alors que Jean Déjeux affirme que lemploi du « je » est une forme de « conquête et un combat », pour exister au-delà de la clôture, de lenfermement et des barrières matérielles et morales. Ce « je » masqué sera transgressé par les nouvelles écritures féminines, à lexemple de Malika Mokeddem ou de Nina Bouraoui.
Lexemple de Assia Djebar dans la littérature féminine algérienne reste édifiant, grâce au travail sur les formes, notamment grâce au brouillage générique qui lui permet de sortir indemne de linfluence de lesthétique classique.
Cest le genre du roman qui permet de mettre en place une multiplicité discursive, la polyvocalité des discours contradictoires, la déconstruction des genres et linsertion de fragments et dintertextes, et qui reste la voie royale de consécration car permettant à chacun dimposer son style. Malika Mokeddem simpose dans le genre du roman autobiographique par une écriture où la structure canonique de type classique, voir réaliste, côtoie « loralité de lécriture » puisée dans les contes nomades de laïeule, et qui ouvre ses romans sur une esthétique et un espace décriture où la « machine » de la déconstruction de tous les stéréotypes qui se met en branle, remet en cause toute vision monolithique et unitaire de lidée de nation, de culture, de sexe, didentité.
A lopposé de cette consigne culturelle de mise en retrait de soi en tant quindividualité, Malika Mokeddem investit le champ littéraire en mettant en avant une biographie de type intimiste où lhistoire individuelle, connectée au départ au groupe (la famille, le clan, lespace géographique
) conduit irrémédiablement à la rupture davec ce groupe avec le parcours qui sen suivra, et qui constituera le matériau essentiel de son écriture autobiographique.
Ces écritures autobiographiques, dAssia Djebar à Malika Mokeddem, sont à situer comme textes postcoloniaux, refusant lidentité héritée du discours colonial, faisant preuve dune sensibilité postmoderne, et remettant en question la nature du sujet de lautobiographie classique, tel que défini par Philipe Lejeune.
Dans ce sens, Trudy Agar-Mendousse démontre dans son essai Violence et créativité de lécriture algérienne au féminin que « lautobiographie féminine dAlgérie, tout en manifestant une sensibilité postmoderne, sinscrit simultanément en faux contre les rapports de pouvoir entre les sexes en Algérie » et ce en inscrivant dans sa démarche les textes autobiographiques de trois écrivaines : Assia Djebar, Malika Mokeddem, et Nina Bouraoui.
Trudy Agar-Mendousse montre dans ces textes la déstabilisation du sujet en mettant en exergue « lacte même de lécriture dune personne (qui) répond à un défi décisif : inscrire une nouvelle forme de subjectivité dans un face à face avec lidentité telle quelle a été léguée par le discours colonial ».
Ainsi, lintérêt est moins donné à la biographie du sujet-personne quà lacte décriture lui-même qui est la première forme de transgression.
b- Les Hommes qui marchent : un « je » à peine masqué.
En parlant du premier choix de lautobiographie dans Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem sexplique sur la réécriture de ce roman :
« Les Hommes qui marchent comporte une large part dautobiographie. Le nombre dauteurs qui abordent lécriture par lautobiographie montre quà lévidence celle-ci est, parfois une étape obligée. Dans le premier jet, sorti dans lurgence, je disais « je » et les membres de ma famille avaient leurs véritables prénoms. Ensuite, une réécriture simposait qui procédait à une sorte de mise à plat. Cette remise à louvrage de lécriture épuisait lémotion. Le « je » devint Leïla et tous les autres prénoms furent changés ».
Le premier roman de Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent dévoile déjà un peu delle-même, dans ce que Yolande Helm appelle dans sa préface « une autobiographie masquée ». Le dévoilement saccentuera progressivement jusquà La Transe des insoumis, puis Mes Hommes.
Christiane Achour rappelle que « ce choix générique marque le passage,- pour lautobiographie issu de la communauté colonisée-, de la voix collective à la voix individuelle. Contrairement à la littérature occidentale où le genre est visité en fin de vie, les écrivains francophones commencent par lui, comme sil était nécessaire de marquer une étape, de faire le bilan entre une vie précédant la formation scolaire et celle qui en prend la suite ».
Cest ce que Malika Mokeddem confirme dans sa déclaration au moment où elle navait encore publié que cinq romans :
« Le seul livre où il y ait vraiment mon enfance, mon adolescence, et la suite, cest Les Hommes qui marchent qui retrace la vie de ma famille et à travers la vie de ma famille un pan de lAlgérie après les années quarante, la fin du monde nomade. Dans les autres romans, ce nest pas tout à fait moi, mais on écrit toujours avec ce quon est et avec ce quon sait »..
La part autobiographique des Hommes qui marchent est donc reconnue par lauteur qui affirme que « la trame » de ce texte est lhistoire de (s)a famille. »
Yolande Aline Helm écrit dans sa préface au livre consacré à Malika Mokeddem :
« Cest par la voie/voix autobiographique que Malika Mokeddem vient à lécriture(
) (Elle) se raconte dans Les Hommes qui marchent, une autobiographie « masquée » puisque lhéroïne sappelle Leïla. Pudeur ? Refus de se livrer totalement ? Désir de protéger les siens ? Sans doute
mais on peut aussi affirmer que Malika Mokeddem trempe sa plume dans le verbe flamboyant de sa grand-mère pour réécrire lHistoire des femmes algériennes conjointement à la sienne ».
Les personnages sont pris dans une saga familiale, des années quarante aux années soixante-dix, mais sans que le « je » devenu « Leïla » ne soit « étouffé » par la collectivité ».
Dans ce roman, Malika Mokeddem narre du point de vue des personnages, femmes du clan : Zohra, la conteuse ; Saadia, la tante rebelle ; Leila, la petite fille de Zohra. Le roman relate, dans un ordre chronologique, le trajet et la lutte de Leila pour mener ses études afin déchapper au rôle traditionnel réservé aux femmes.
Dans ce sens, Martine Mathieu, à propos de lautobiographie francophone écrit : « Le « Je » mis en scène dans ces littératures francophones est pourtant souvent encore destiné à samplifier en « nous » identitaire, porte-parole dune communauté, centrale ou marginale (la nation, les immigrés, les femmes
) ou à nexister quen opposition à une personne collective».
Cependant, Trudy Agar-Mendousse nuance ses propos dans lexemple quelle donne à propos de Les Hommes qui marchent de Malika Mokeddem :
« Les Hommes qui marchent peut être considéré comme un roman autobiographique « pluriel » où lidentité de lauteur se brouille avec lidentité des femmes de sa communauté dorigine, où la frontière entre lidentité individuelle et lidentité « tribale » nest pas hermétique mais laisse passer des sentiments dappartenance et de sororité ».
La part autobiographique de luvre de Malika Mokeddem est aisément identifiable à partir des différents entretiens publiés et dans lesquels lauteur met en avant la part du vécu qui nourrit toute son uvre, mais sans que cette part de vécu ne soit lobjet unique du livre.
La question se pose dans la manière dinsérer ce vécu en évitant le récit de vie classique, chronologique et ordonné, ou le récit de pure fiction, qui ne peuvent à eux deux rendre compte de la complexité dune écriture de femme algérienne sexprimant en français, se voulant singulière, une écriture de résistance dune femme, dans un contexte socio-politique et historique donné qui fait lintérêt premier de luvre, sans oublier le projet esthétique de ces mises en écriture où la question de la langue reste intrinsèquement liée à une quête de soi en devenir.
Récit de pure fiction ou récit de vie classique ne peuvent restituer ces choix quopère lauteur dans son matériau de vie, choix qui dessinera son projet de fiction autobiographique. La réécriture autobiographique reste une possibilité pour Mokeddem de remettre en jeu le « je » énonciateur et la réversibilité du double génitif.
Ainsi sur le sujet de lécriture, Mireille Calle-Gruber écrit :
« Objectif et subjectif, le sujet de lécriture cest celui qui écrit mais cest aussi celui qui est écrit par (son) écriture. Déplacé, transformé, élaboré par le cheminement littéraire, le sujet nest pas seulement autorité dauteur, il est aussi réceptivité à linconnu en lui. Il est lautre. Cest toujours lautre qui écrit ».
Des romans comme Les Hommes qui marchent, Le Siècle des sauterelles, Linterdite, Des rêves et des assassins, La Nuit de la lézarde, NZid, Je dois tout à ton oubli, restent des textes que nous considérerons comme des fictions autobiographiques, dautant plus que lauteur ny conclut aucun pacte autobiographique.
c. La Transe des insoumis ou lécriture de linsomnie.
Il est à constater que si on aborde lensemble des textes au moyen des qualifications génériques proposées par la dénomination générique des différentes éditions françaises, cest le genre « roman » qui est dominant.
La Transe des insoumis et Mes Hommes, ne portant pas la dénonciation générique de « roman », sont les deux seules « autobiographies » assumées par lauteure.
Dans La Transe des insoumis, cest lavertissement de lauteur qui renseigne le lecteur sur le caractère thématique dune autobiographie qui revisite les thèmes essentiels à partir dun axe focal, « linsomnie » et dautres thèmes déjà relatés dans Les Hommes qui marchent, tels que la solitude, la structuration par les livres, lexil.
La quatrième de couverture nannonce pas non plus au lecteur une autobiographie au sens traditionnel du terme puisquelle présente un « récit » qui « dit lintranquillité qui, très tôt, sest manifesté chez une petite fille qui ne parvenait pas à dormir », et dont linsomnie reste le fil conducteur du récit dune vie.
Sur la composition formelle du texte, La Transe des insoumis souvre par :
deux dédicaces : « Pour mon père ce livre quil ne lira pas
Pour Anne Bragance. »
un exergue de deux vers de Ben Alhambra (poète andalou)
Quand loiseau du sommeil pensa faire son nid
Dans ma pupille, il vit les cils et seffraya du filet.
- un avertissement introduit par une citation de Cioran sur le sommeil et une explication sur son texte dont la thématique de linsomnie va structurer luvre et tisser un fil conducteur lui permettant de « remonter les méandres, de sonder les opacités » des « premiers souvenirs denfance (
) dy fouiller les angoisses, la fantasmagorie, les réminiscences, les luttes, les rébellions, les transgressions dont les nuits blanches sont le creuset ». Le droit à linsomnie lui permet davoir un corps à elle, distinct de la cellule familiale quelle conquiert. « La solitude et la lecture en seront les seules libertés jusquà la fin de ladolescence, jusquà (son) départ du désert. »
Dans La Transe des insoumis, Mokeddem avertit le lecteur de sa volonté de relater son parcours depuis linsomnie jusquà son premier exil, le savoir
Cependant, Mokeddem, dans la continuité de cette tranquillité, d « Ici » (en France), lieu dénonciation, lieu doù Mokeddem écrit, et de « Là-bas », reprenant « des tranches de vie de lenfance et de ladolescence en Algérie », nous avertit que « Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est(
) indéniable ».
Lidentité nominale des personnes citée sera tue : « Si je décris des exactions sans que lidentité des responsables soit révélée, cest que finalement ces derniers sont insignifiants en eux-mêmes. Seuls comptent dans ce cas le contexte et le souci de vérité qui sous-tend ce texte ».
Lidentité nominale de lauteur, du narrateur, et du personnage, reste donc le garant du souci de la vérité, à lexemple de La Transe des insoumis, mais aussi de Mes Hommes qui, selon Christiane Achour « dévoilent une ultime preuve de vérité ». Lauteur présente donc explicitement la nature de son texte présenté comme une autobiographie, avec une dimension didactique prenant en compte luvre romanesque antérieure, une explicitation de lorganisation formelle du roman articulé en trois parties liées, constituées de chapitres alternant temps et espace dIci et de Là-bas : LE LIT DEBOUT, LA NUIT DES CORPS PARTIS, CORPS DE DELIT, et dune quatrième partie portant comme titre une phrase du père : APPORTE MOI UN MANTEAU LEGER.
Cette analyse de « linsomnie » permet au lecteur de restructurer luvre à travers les thèmes épars de ses fictions antérieures que la romancière reprend, complète, en réorientant ainsi la lecture.
Les premiers souvenirs denfance, la narratrice tente den remonter le fil, jusquà la rupture et le départ du désert, avec la continuité de cette même intranquillité. Lénonciation se fait à partir d « Ici », en France, territoire décriture, les chapitres relatant des « tranches de vie de dadolescence en Algérie », portant en tête « La-bas ».
Les différentes pièces du puzzle autobiographique restées éparses dans ses romans ne sont pas réorganisées dans un souci de retraduire les événements de sa vie dans une logique chronologique mais plutôt dans un souci de retraduire les éléments clés ayant déclenché et nourri son parcours singulier dont lécriture reste le moyen de poursuivre la marche entamée.
d- Mes Hommes pour écrire leffacement du père.
Nous partons du postulat de linscription de la différence sexuelle dans la langue de ce qui, dans lécriture affleure comme différence sexuelle, donne à lire la différence sexuelle au sens où selon Derrida : « On peut dire que tout récit fabuleux raconte, met en scène, enseigne ou donne à interpréter la différence. [
] Il ny aurait pas de parole, de mot, de dire qui ne soit et ne soit et ninstaure ou ne traduise quelque chose comme la différence sexuelle ».
A mon désir de lire le féminin qui mest interdit, dans son espace privé et dans ses langues, me répond Mokeddem qui parle des hommes, de ses hommes, de la violence symbolique de son premier homme, son père.
Leffacement du père, son silence qui fait figure de Loi, ce gouffre qui les sépare, cest en écrivant que Malika Mokeddem le réduit : « Jécris tout contre ce silence, mon père. Jécris pour mettre des mots dans ce gouffre entre nous ».
Dans Mes hommes, toute la vie de la narratrice marquée par ses rencontres avec des hommes, sera déterminée par cette absence première, labsence paternelle qui aura duré vingt-quatre ans :
Jai quitté mon père pour apprendre à aimer les hommes, ce continent encore hostile car inconnu. Et je lui dois aussi de savoir me séparer deux. Même quand je les ai dans la peau. Jai grandi parmi des garçons. Jai été la seule pionne dans linternat au milieu des hommes
Je me suis faite avec eux et contre eux. Ils incarnent tout ce quil ma fallu conquérir, pour accéder à la liberté.
De « La première absence », jusquà « Le prochain amour », le texte est structuré par les « amours successives dont certaines mécréantes » qua vécus lauteur et que son père na jamais vus. Cette liberté relève, pour le père, quinterpelle la narratrice « de la honte, du pêché, de la luxure ».
Le livre fait révérence au père comme prélude à toutes les rencontres avec les autres hommes de sa vie : « Mon père, mon premier homme, cest par toi que jai appris à mesurer lamour à laune des blessures et des manques ».
Tous les hommes relatés vont nourrir sa vie et son écriture : Homme castrateur, son père, hommes sexe, hommes protecteurs, hommes calins.
Dans Mes hommes, Malika Mokeddem traduit dans une écriture autobiographique limage du père, non pas dans la soumission qui lui est due dans une société patriarcale, doublée dune tradition arabo-islamique, mais dans le rejet de la dure réalité de cette soumission, en parlant dun lieu échappant à tout conditionnement, celui de larchétype universel.
Cest en passant dun enfermement groupal à un « je » conjugué au féminin singulier que la loi paternelle sera transgressée. Cest ce que nous dit Nourredine Saadi à propos de ces voix féminines singulières : « Ces écritures ont ceci de subversif quelles disent linconscient féminin à léternel, luniversel père dipien : désirable pour la fille, à tuer pour le fils. Elles disent lordre du désir au discours de la loi ». Le dévoilement de la figure du père dans Mes hommes se met en place à travers la langue du père, « le ravage des mots » du « langage (qui) entreprend de saigner linnocence », et tenter déchapper aux déterminations originelles du père et de la société patriarcale qui passent par la loi de la langue, celle du père.
Cette lettre au Père dit la transgression à la loi, envers et contre tout, dans laccomplissement du désir dun imaginaire féminin.
Le seul espace « ce hors-champ inaliénable » qui nappartenait quà elle, encore enfant, restait le livre, la lecture :
Jinterceptais souvent le regard circonspect que tu jetais sur moi, retranchée derrière un livre (
) les livres me délivraient de toi, de la misère, des interdits, de tout. Comme lécriture me sauve aujourdhui de lerrance de lextrême liberté.
Pour Julia Kristeva : « Lécriture est une prise de pouvoir : sarracher à un réceptacle maternel et prendre la place paternelle de la Loi. De ce fait le rapport dune femme à linstitution comme autorité, cest profondément son rapport à son père ».
Ce passage dune langue masculine, cest à dire celle du père, celle de la loi, langue donc légitime, à la langue décriture, le français, permet à Mokeddem de mettre en place une dimension féminine, humaine, en cristallisant de nombreux « comptes » avec le père, la mère, le village, la société, et au-delà, les hommes qui la représentent.
Mokeddem insiste sur lassujettissement de la femme algérienne par sa complicité dans sa propre domination. Dans ses romans, la transmission du rôle féminin traditionnel par la femme aux générations suivantes est violemment dénoncée.
Ainsi, dans La Transe des insoumis, le sentiment dinfériorité est transmis dès la naissance aux filles. La fille hérite de sa propre mère et « Les voix de celles qui y ont assisté : mère, grand-mère et tantes se chargeront plus tard de ressasser à ces filles leur traumatisme à elles pour mieux leur enfoncer dans leur crâne leur sentiment dinfériorité. (
) Cest ce cur antique de voisx féminines qui me hante. Il édicte un tel sacrifice en devoir absolu, théâtralisé ».
Selon Camille Lacoste-Dujardin, « Pour mieux comprendre les mécanismes qui mènent de la fille soumise à la mère agissante, il faut suivre pas à pas lhistoire de la vie dune femme depuis sa naissance. Il faut connaître et examiner les représentations partagées par lentourage comme les pratiques, les rites exécutés, léducation reçue ou les conduites prescrites aux petites
filles dès le plus jeune âge. Il faut tenter danalyser tout ce qui leur est transmis et inculqué, les habitudes quelles doivent acquérir, tout ce qui détermine leur comportement, oriente leurs aptitudes et les dispose à tenir un certain rôle conformément à la culture et aux impératifs sociaux ».
Etrange impression devant cette petite fille qui dans sa cachette, un jour, a eu envie de mourir en contemplant la tristesse de son père à la mort dun petit frère.
Je métais demandé ce que tu ressentirais si je venais, moi, à disparaître. Une moindre peine, jen étais convaincue. Peut-être même aucune. Juste le sentiment dun peu plus de fatalité. Pendant quelques secondes, javais vraiment eu envie de mourir (
) Cest dabord en toi que javais besoin davoir foi, mon père.
Jétais condamnée à vivre et à consigner, avec une rigueur de comptable, toutes les soustractions de lamour, mon père.
Cest ainsi que Mokeddem insiste sur la responsabilité des femmes dans leur propre domination :
Les hommes font des guerres. Cest contre elles-mêmes que les femmes tournent leurs armes. Comme si elles ne sétaient jamais remises du pouvoir denfanter. Elles mont enlevé à jamais le désir dêtre mère. Jai mis du temps à le comprendre.
De son premier homme, son père et du « ravage des mots », du « langage (qui) entreprend de saigner linnocence », quand « les filles » ne sont pas comptées parmi les enfants dans les « propos mortels des femmes.».
Jinterprétais déjà que les filles nétaient jamais des enfants. Vouées au rebut dès la naissance, elles incarnaient une infirmité collective dont elles ne saffranchissaient quen engendrant des fils.
Renaître en engendrant la loi. Ainsi, la narratrice à propos des propos mortels des femmes dans Mes Hommes :
Quand lune delles posait à une autre cette question obsédante : « Combien denfants as-tu ? » Jai souvent entendu cette réponse par exemple : « Trois ! » Et linterpellée de préciser après un temps darrêt, dhésitation : « Trois enfants seulement et six filles. QuAllah éloigne le malheur de toi ! »
« Enfants » pour progéniture, incluant filles et garçons, « Awlad » en arabe, censé être épicène, exclut, ici, lélément féminin. Le genre féminin des filles ne pouvant être inclus dans la catégorie du « neutre », le substantif « enfants » connoté culturellement « masculin » exclut le « féminin ».
Ainsi, le genre grammatical permet de répartir dans la langue certaines classes lexicales (noms, verbes, adjectifs ) en un nombre fermé de catégories (masculin/féminin, neutre) répondant sans aucune objectivité, à des critères liés au sexe, pour les mots représentant des êtres animés.
Selon Camille Lacoste-Dujardin, « Dans une société de structure patrilinéaire, seuls les hommes comptent car ils enrichissent le patrilignage en force de travail, en combattants éventuels et en membres siégeant dans les instances politiques. Les hommes restent dans la famille dont ils assurent la richesse, la puissance tandis que les filles vont enrichir la maison des autres (
) Dès la naissance, la mère sait que la relation à son enfant fille est peu durable ».
Dans cette autobiographie proche du corps, à travers des portraits uniques, voir sexistes, dans une barrière machiste érigée contre la femme, Malika Mokeddem combat le père jusquà obtenir un jour, au détour dune bataille, un « Ma fille » :
La narratrice, la seule à « tenir tête » a pu accéder au singulier et sortir dun « féminin informe » : « Peu à peu, tu nas plus dit : « Tes filles » mais « Ta fille ! ».
A quinze ans, un jour que la narratrice venait de remettre son salaire à son père, elle sera reconnue et deviendra un « homme » : « Ma fille, maintenant tu es un homme ! ».
Dans Mes hommes, lécriture vise à échapper aux déterminations originelles du père et de la société patriarcale qui passent par le « langage (qui) entreprend de saigner linnocence ».
Lire lenvers de la mère, de la femme nexistant que comme image maternelle dévouée aux tâches quotidiennes et nulle part en dehors de cela, cest ce que donne à lire luvre de Malika Mokeddem.
La mère reste le contre-modèle, celle à qui il ne faut pas ressembler. La mère nexiste pas, contrairement au père qui tient une grande place dans lécriture autobiographique, principalement dans Mes Hommes où le père tient une place royale, et ce, dès louverture du récit où lécrivaine interpelle le père qui ne pourra pas la lire, à la deuxième personne, jusquà sa clôture.
La mère reste à inventer :
« Je pense que la mère
elle est absente. Elle nexiste pas (
) Jai mis du temps à men rendre compte. La mère nest jamais là. Même dans NZid, la mère a mis au monde une fille et elle est repartie en Algérie, carrément vers une autre terre. Je pense que cest quelque chose dinassouvi (
) Donc je ne peux que linventer. »
A une question de Yolande Aline Helm, relative au rapport à la langue maternelle, larabe, elle répond :
« (
) ma langue maternelle, si elle porte ce mot « maternelle », ne se limitait pas au verbe de ma mère et je crois que le verbe arabe, le verbe flamboyant arabe ma marqué avant que ne me saisissent les mots français. Et il ya vraiment une dichotomie pour moi entre le verbe de ma grand-mère - son verbe flamboyant de conteuse nomade, ses récits de ce monde quelle sentait en danger, quelle sentait menacé, donc elle avait ce verbe de lurgence et puis, le verbe, la langue de ma mère; une langue vraiment, celle qui sagite dans le palais et qui ne me donnait que des ordres ».
Cela expliquerait en partie sa rébellion :
« Oui, jai toujours été une rebelle, jai toujours été très violente vis à vis de ma mère car javais très peur, elle représentait pour moi tout ce que je navais pas envie dêtre et javais tellement peur de ses menaces, tellement peur de ses injonctions et de ses ordres que je suppose que cette violence aurait pu me détruire, moi dabord ».
En sen prenant à une langue-mère, langue de la soumission, et à une langue-père, langue de la loi, qui fait loi, langue dénuée de toute touche démotion, Malika Mokeddem dit la langue comme médium à travers laquelle, selon Tassadit Yacine « se cristallisent de nombreux comptes avec la société, les parents, le partenaire, bref soi-même. Laffectivité et linconscient jouent un rôle déterminant dans ce nud. Cest peut-être pour cette raison quil est difficile de lenfermer dans un contexte figé, elle est la résultante de nombreux facteurs quil est urgent de dégager. Il y a dune part les conditions historiques, sociales, (
) mais aussi sexuelles (homme/femme, homosexuel, hétérosexuel ».
Assia Djebar nen dit pas moins, longtemps concevant lécriture comme « une mort lente », comme « fuite », comme mémoire dans la langue du père, jusquau jour où le mot lédou « acerbe dans sa chair arabe vrilla indéfiniment le fond de (son) âme et donc la source de (son) écriture) ».
Cest par la langue perdue, langue maternelle, que sinscrit la rupture, la difficulté de dire le féminin, dans une langue autre.
« Comme si, parce quune langue soudain en moi cognait lautre, parce que la voix dune femme, qui aurait pu être ma tante maternelle, venait secouer larbre de mon espérance obscure, ma quête muette de lumière et dombre basculait, exilée du rivage nourricier, orpheline. (
) Ce mot (
) cette parole non de la haine, non, plutôt de la désespérance depuis longtemps gelée entre les sexes, le mot donc installa en moi, dans son sillage, une pulsion dangereuse deffacement
».
Il apparaît indéniable que lapprentissage du français est perçu comme instrument de libération pour la femme, mais de quelle libération sagit-il ?
Ecoutons Assia Djebar pour une première tentative dexplication :
« Elle ne se voile donc pas encore ta fille ? Interroge telle ou telle matrone, aux yeux noircies et soupçonneux, qui questionne ma mère, lors dune des noces de lété. Je dois avoir treize, quatorze ans peut-être.
Elle lit ! répond avec raideur ma mère. (
)
Elle lit, c'est-à-dire en langue arabe, elle étudie. Maintenant je me dis que ce verbe lire ne fut pas par hasard lordre lancé par larchange Gabriel, dans la grotte, pour la révélation coranique
Elle lit, autant dire que lécriture à lire, y compris celle des mécréants, est une source de révélation : de la mobilité du corps dans mon cas, et donc de ma future liberté ».
Le rapport au corps et son expression semble être le leitmotiv des romancières algériennes dexpression française, qui en arabe, semblent être mal à laise dans la langue maternelle pour dire le corps, le désir, dautant plus que lautobiographie reste un exercice périlleux pour une écrivaine algérienne.
Assia Djebar nous explique comment le français est devenu langue de sa « libération corporelle », en établissant le rapport entre langue française et libération du corps de la femme :
« (
) mon corps sest trouvé en mouvement dès la pratique de lécriture étrangère. Comme si soudain la langue française avait des yeux, et quelle me les ait donnés pour voir dans la liberté, comme si la langue française aveuglait les mâles voyeurs de mon clan et quà ce prix, je puisse circuler (
) ».
La langue décriture (paternelle)- cest le père qui linstalle dans la langue en la scolarisant- et langue damour (maternelle), que Assia Djebar étale dès le début de Vaste est la prison :
« Silence de lécriture, vent du désert qui tourne sa meule inexorable, alors que ma main court, que la langue du père/langue dailleurs muée en langue paternelle, dénoue peu à peu, surement, les langues de lamour mort, et le murmure affaibli des aïeules loin derrière ».
Cette opposition nest pas reprise par Malika Mokeddem qui vit un rapport autre à la langue arabe. Le rapport affectif établi avec la voix conteuse de sa grand-mère reste la source première de son écriture.
Malika Mokeddem met en scène la femme qui écrit une langue non-maternelle. La mère dans LInterdite, dans Des Rêves et des assassins, et dans Le Siècle des sauterelles est une mère perdue dès lenfance.
Ce qui reste de la langue maternelle ou plutôt de la langue grand-maternelle, dirions-nous, ce sont les sonorités affectives que Malika Mokeddem tente de re-dire dans la langue française. Ce territoire perdu ne peut être restitué dans une écriture de la représentation, de celle du Père, qui représente, selon Julia Kristeva « la fonction symbolique du sens » mais dans cette « fonction sémiotique de la signifiance » qui caractérise cette conception de loralité placée au fondement de lécriture où la sonorité, lintonation des mots articulent un sens, en marge du sens : un infra-sens.
Mokeddem ira jusquà mettre en scène des personnages-enfants, à lexemple de « Yasmine (qui) ne parle pas, (qui) écrit au royaume de loralité ». Yasmine nécrit pas à propos de sa mère mais « écrit aussi sa mère ». Yasmine est muette mais les mots parlés de sa mère sont là : « Elle les sent dans son épouvante. Ils tourbillonnent en elle, oiseaux de tous les tourments, prêts à ressurgir ».
Cest donc, avant tout, à la sonorité, à la prononciation des mots que vibre Yasmine. Cest cette sensibilité du sujet à la matérialité du signifiant que tente de restituer Malika Mokeddem dans Le Siècle des sauterelles.
IV- La parenthèse dune écriture de lurgence.
1- Rêves interdits et assassins.
Cette écrivaine des années 90, Malika Mokeddem, dans un itinéraire singulier, entame un « combat » littéraire pour ne pas sombrer dans linsignifiant de lhorreur. Rattrapée par les drames que vit lAlgérie des années quatre-vingt dix, elle sera amenée à investir le réel « brut » tel quel, dans LInterdite et dans Des Rêves et des assassins.
Durant cette décennie, lauteure était sommée par les médias dexpliquer les drames algériens et de se transformer du coup en politologue, voir en sociologue.
Cette violence supplémentaire amènera notre écrivaine à changer de registre avec La Nuit de la lézarde et avec NZid ou lhéroïne, une navigatrice, qui reçoit un coup sur la tête et perd la mémoire réalise le dessein de Malika Mokeddem qui veut oublier, comme elle le déclare dans une interview réalisée par Rachid Mokhtari : « Cétait un bonheur de mimmerger dans lécriture de cette amnésie, de me vider la tête, moi aussi ».
Cette écriture de « rage » et de témoignage, reste donc une étape transitoire dans un parcours où se dégage deux états que lon pourrait classer en romans de conteuse et en romans où lacte autobiographique, intimement lié à son parcours personnel, apparaît comme une exigence décriture.
Malika Mokeddem sexplique sur cette rage et cette véhémence qui lamènent à écrire lAlgérie violentée où le sort des femmes la touche en premier :
« Si lAlgérie sétait véritablement engagée dans la voie du progrès, si les dirigeants sétaient attelés à faire évoluer les mentalités, je me serai sans doute apaisée. Loubli me serait venu peu à peu. Mais lactualité du pays et le sort des femmes me replongent sans cesse dans mes drames passés, menchaînent à toutes celles quon tyrannise. Les persécutions et les humiliations
quelles endurent, matteignent, ravivent mes plaies. Léloignement natténue rien. La douleur est le plus fort lien entre les humains. Plus fort que toutes les rancoeurs ».
Cest en 1993 que paraît son troisième roman, LInterdite. Malika Mokeddem choisit un autre registre pour témoigner et livrer un combat contre lintégrisme religieux des années quatre -vingt dix. Cet acte de contestation reste fortement lié à son expérience personnelle.
La critique journalistique prend acte, sur le tas, du changement de style dans cet ouvrage de lurgence où le malaise social est dénoncé avec brutalité.
Cest ce que souligne Michel Amzallag dans un article paru en 1993, quelques mois après la parution du roman : « LInterdite surprend par le changement de style par rapport aux deux précédents ouvrages, plus proches des contes maghrébins [
] Écrit en dix mois « en état durgence », sorti des entrailles », [
] Un bilan implacable de lAlgérie de lAlgérie actuelle, archaïque ».
Salima Aît Mohamed, à propos de LInterdite, mettra laccent sur la suprématie masculine qui saccage les espoirs de la femme algérienne : « Sultana a ouvert les yeux sur un univers dur, sans fantaisie, qui réprime les élans du cur, dénué de toute couleur, de toute chaleur. Un univers qui apprend à une femme, dès les premiers matins de sa vie, la honte dêtre une femme ».
Dans LInterdite, le retour de lhéroïne, Sultana, est impossible devant la situation que vit lAlgérie où les femmes restent « otages ou enjeux », selon lexpression de lauteur.
Linterdite, de par son caractère de témoignage dun présent, se donne à lire comme projet réaliste dun donner à voir, comme uvre de lenracinement dans le réel : Deux axes de lecture sont à relever :
-Laxe idéologique : Le roman simpose comme discours idéologique où le réfèrent socio-historique est explicitement désigné et décrit, à savoir la dénonciation de la violence intégriste après les élections législatives de 1991.
-Laxe formel : Lécriture obéit aux contraintes du genre réaliste, des critères de cohérence.
Malika Mokeddem sidentifie à ses personnages, à lexemple du parcours de Sultana, Médecin à Montpellier, qui avait tout quitté pour être libre, même Yacine. Elle revient à Aïn Nekhla,dans le sud algérien, pour assister à son enterrement. Elle accepte de remplacer Yacine au dispensaire quelle tenait. Dans ce même village, elle rencontre Vincent, un français venu lui aussi à la recherche de son « autre moitié » : on lui a greffé un rein qui appartenait à une jeune femme algérienne. Cette rencontre « programmée » dans un pays en proie à la violence intégriste, entre un français et une femme libre, se termine par le départ de Sultana, traquée par les flammes jusque dans la maison dun ami qui lhabite.
Cette interdiction de séjour est annoncée par le titre, LInterdite, qui énonce la double interdiction/transgression dun espace/temps. Sultana en situation dexil volontaire, sest interdit sa présence dans
son pays natal pour des raisons dincompatibilité sociale quexprimeront, à la fin du roman, les femmes du village.
Elle fera front aux intégristes islamistes du FIS en sinsurgeant contre toute régression morale et idéologique, y compris contre des pratiques religieuses millénaires, dépassant le simple cadre conjoncturel de linquisition islamiste.
Sultana va à lencontre de linterdiction religieuse faite aux femmes daccompagner le mort jusquà sa dernière demeure. Elle suivra le cortège, allant jusquà se mettre à lavant, en compagnie de Salah, lami de Yacine et se fera apostropher par le maire islamiste :
- Madame, tu peux pas venir ! Cest interdit !
Salah me prend par le bras :
-Interdit ? Interdit par qui ?
- Elle peut pas venir ! Allah, il veut pas ! [
]
Jallonge le pas jusquà atteindre la tête du cortège. Eux derrière et moi devant, je marche vers le cimetière. Des petits jets de pierres jalonnent notre passage. Javais oublié cette façon bien dici de répudier la mort, de signifier au cadavre quil ne doit jalouser aucun de ceux restés en vie, ni essayer dentraîner quiconque avec lui.
Pour Malika Mokeddem, interviewée par Nacera Benali, pendant la décennie noire, en 1995, même ses lectrices sidentifient à ses personnages femmes :
« Je reçois souvent des lettres de lectrices algériennes, quelles vivent en Algérie ou en exil, qui me disent quelles se reconnaissent complètement en Leïla ou Sultana, toutes deux héroïnes de deux de mes livres. Et dans de tels moments, je me dis que mes écrits servent peut être à quelque chose. Toutes ces femmes sidentifient à mes personnages. Parce que toutes celles qui ont lutté contre les traditions et contre ce carcan qui les étouffait, pour faire des études ou travailler se reconnaissent dans mes histoires. Nous avons fait le même chemin, nous avons toutes le même parcours ».
Nous sommes encore dans un projet décriture où lidentité de lauteur se confond avec lidentité des femmes de sa communauté dorigine, où la frontière entre lidentité individuelle et lidentité groupale nest pas hermétique mais laisse passer des sentiments de « sororité ».
LInterdite sera suivi dun autre roman, non moins dénonciateur, Des Rêves et des assassins, paru en 1995, avec comme toile de fond, la terreur obscurantiste.
Lauteur, partie dune histoire vraie que lui avait racontée une de ses patientes : la mort dune femme âgée qui avait quitté lAlgérie en 1962 en laissant sa fille à Oran, déclare : « Cest ce qui ma poussé à vouloir raconter par lécriture son histoire et témoigner de sa déchirure qui dépassait les fictions les plus douloureuses [
] Ce récit de la souffrance dune mère qui na plus revu sa fille, cest un peu lhistoire du déchirement de tant dAlgériens ».
Le livre, dédié à Abdelkader Alloula, le dramaturge que lAlgérie a tragiquement perdu, atteint le 11 mars 1993, à Oran, mort à Paris le 15 mars, à 55 ans,
Pour Abdelkader Alloula, illustre fils dOran et du théâtre algérien. ASSASSINÉ,est en fait une vaste dédicace aux innombrables victimes de la tragédie algérienne que le titre reprend en écho, Des Rêves et des assassins, en annonçant deux mondes parallèles : celui des Rêves et celui des Assassins, donnant ainsi à entendre les rêves des Hommes libres, interdits par le spectre des assassins. La mort contre le rêve.
2- Ecrire la tragédie à distance.
Le cinquième et sixième romans, La Nuit de la lézarde et NZid, ne font revivre lHistoire immédiate et violente de lAlgérie quen fond sourd, loin du Nord et de ses dérives.
Cest en 1998 que paraît La Nuit de la lézarde, roman dans lequel Malika Mokeddem sattache à séloigner dune écriture de témoignage à vif, dun référent sanglant, mais roman dans lequel la violence lointaine du Nord nen reste pas moins présente, malgré la protection des protagonistes, Sassi et Nour, protégés par les distances ensablées du ksar de la violence qui sévit dans le Nord lointain.
La romancière-conteuse « oublie » de nous conter, ici, des histoires pour nous entretenir de lisolement féminin à travers le personnage de Nour, femme singulière et solitaire, en attente damour. Nour cohabite avec Sassi laveugle, dans un Ksar déserté par ses habitants. LHistoire immédiate parvenant en écho du Nord va laisser place à des valeurs telles que laffranchissement par la douleur jusquà lapaisement, terme que Christiane Achour emploie à propos de La Nuit de la lézarde quelle qualifie de « roman à la fois de la souffrance et de lapaisement ».
Ne plus écrire sous le coup de la colère et garder lécriture comme un espace de liberté, à limage de Nour qui refuse de se laisser écraser par instinct, en choisissant de vivre près du désert, loin de la violence, dans un Ksar que les habitants ont abandonné une fois la source tarie.
Malika Mokeddem se confie sur lécriture comme espace de liberté dans La Nuit de la lézarde :
« Le terrorisme atteint les gens du désert comme il matteint moi, de lautre côté de la Méditerranée, par la douleur et par la colère. Mais au lieu de garder le registre de la contestation qui était présent dans mes deux derniers textes, LInterdite et Des Rêves et des assassins, jai décidé de ne plus écrire sous le coup de la colère car au bout dun moment, ça épuise, et puis dautre part, on se dit ils tuent les gens mais moi, il faut que jécrive, il ne faut pas quils polluent mon écriture ».
Cest en 2001, onze ans après sa première publication que son sixième roman, NZid paraît chez un autre grand éditeur français, Le Seuil. Lespace du désert est délaissé au profit de lespace de la mer, celui de la Méditerranée. Nora, personnage inventé, mais nourri déléments du vécu de lauteur, seule, sur un bateau à la dérive, ne sait plus qui elle est ni doù elle vient.
Elle tente de reconstituer le puzzle de son identité par les signes de la navigation et par le dessin. Elle finit par savoir quelle sappelle Nora Carson, fille dune algérienne et dun irlandais. Elle devra recommencer sa vie, loin de lAlgérie, pays auquel elle a renoncé, et dont les signes ne sont que de tragédie et de violence.
Les deux récits qui suivront, La Transe des insoumis en 2003, et Mes Hommes en 2005, sont ouvertement autobiographiques.
Son neuvième récit, Je dois tout à ton oubli, paraît chez Grasset en 2008. Suite au décès inattendu d'une de ses patientes, une image, « la main de la mère qui saisit un oreiller blanc et lapplique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie », s'impose en rêve à Selma, avec violence, et l'obsède plusieurs jours sans qu'elle comprenne si c'est un fantasme ou la réalité. Petite fille à l'époque des faits, aurait-elle occulté ce souvenir dérangeant depuis lenfance ? « Elle qui, enfant, aimait tant se perdre dans le dédale du ksar, a fait de sa mémoire un labyrinthe dont elle se refusait l'accès ». Pour en avoir le cur net, elle décide de retourner dans son désert natal pour enfin parler à sa mère, tenter de briser le silence et avoir « une sorte de reconstitution sans témoins, sans flics, sans juge, si tard dans sa vie, dans la nuit de la mémoire. » Pendant ce voyage initiatique, les souvenirs refont surface avec violence.
Je dois tout à ton oubli reprend le parcours singulier de la femme Malika Mokeddem, comme dans les autres romans. Algérienne originaire des oasis, du côté de Béchar, dans une ville pauvre du Sahara, Selma, pour échapper dès l'enfance à une famille envahissante où les femmes sont écrasées par la résignation, fuguait dans les dunes et tirait sa force de l'école. « Elle vivait avec la trépanation de l'oubli et barricadée dans des livres pour s'abstraire d'ici. » Son aptitude à la solitude et à l'indépendance, sa détermination l'ont conduite à l'université de médecine d'Oran et grâce à une ténacité sans faille, elle exerce aujourd'hui le métier de cardiologue dans une ville du sud de la France.
CHAPITRE V
LECRITURE DE MALIKA MOKEDDEM : UNE POETIQUE AU FEMININ SINGULIER.
I- Poétique du Divers et identité en devenir.
II- Lécriture dun lieu de type « rhizome ».
1- Sur la notion de « rhizome ».
2- Le choix du conte.
III- La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de lécriture.
1- Le recours à loralité du conte ou lécriture en procès.
2- De la confusion entre « style oral » et « style parlé ».
3- Le Souffle Irrésistible Du Conte
4- Conter : une consigne métatextuelle :
5- La gestion scripturaire de la parole conteuse.
IV- Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.
1- Le nomadisme des mots.
2- Suspension narrative et Projet romanesque en suspens.
I- Poétique du Divers et identité en devenir.
1- Pour une Poétique du divers.
La littérature algérienne de langue française, tel que nous avons essayé de le montrer, passe par lécriture des femmes, laquelle donne lieu à des uvres dont les langues, les voix et les factures sont sans précédent.
Souligner lémergence de nouvelles voix féminines algériennes amorcées dans les années quatre-vingt, et surtout dans les années quatre-vingt dix, cest aussi montrer lémergence dun travail poétique sur, parfois, des formes narratives inédites. Ces littératures au féminin doivent être appréhendées comme des uvres à part entière, chacune singulière. Il est donc important de ne pas cantonner ces littératures à une littérature féministe militante, et de les appréhender comme une culture, une langue, voir une vision du monde, autres. Cest ce que souligne Mireille Calle-Gruber à propos du renouvellement de la littérature française par lécriture des femmes :
« Cest un art exigeant, à lécoute des différences, du pluriel, de laltérité, du corps et de la lettre.(
) Les littératures au féminin (
) sont réinvention de la langue contre le logocentrisme ; réinterprétation de notre héritage culturel contre la doxa ; désir de passage à lautre et dadresse à létranger ».
Cest ce besoin dexprimer limaginaire du monde, ou de ce quEdouard Glissant appelle « limaginaire de la totalité-monde » défini comme « un rhizome dans lequel tous ont besoin de tous » à partir dun lieu et dune culture, en loccurrence le désert, qui forgera, chez Malika Mokeddem, cette Poétique de louverture, du déplacement, de lerrance, qui nest pas en contradiction avec lenracinement.
La lecture du texte de Malika Mokeddem nous amène inévitablement à relier entre poétique et politique dans le sens où son uvre montre quil y va de la littérature comme lieu de l'émancipation féminine. Dans la relation entre poétique et politique, Malika Mokeddem insiste davantage sur le contournement de la réalité, et donc sur lacte de création. La pratique dune subversion esthétique du réel lui permet déchapper à la banalité du témoignage de beaucoup dauteurs des années quatre-vingt dix, et par là même décrire pour dire lopacité de la réalité algérienne
Cependant, lauteur tient à ne pas confondre la scène de lécriture littéraire avec lengagement sociopolitique, comme pour dire que les forces de liberté qui sont dans la littérature sont inextricablement liées à sa poéticité.
Cest justement dans ce sens que nous considérons que la Poétique au féminin singulier de Malika Mokeddem est sous tendue à notre sens à une Pensée qui préserve des pensées du système qui fonctionne selon le principe des mythes fondateurs, qui, tel que lexplique Edouard Glissant « est de consacrer la présence dune communauté sur un territoire, en rattachant par filiation légitime cette présence, ce présent à une Genèse, à une création du monde ». Ainsi, selon Edouard Glissant, la filiation et la légitimité garantissent la force et supposent la fin de ce mythe : la légitimation universelle de la présence de la communauté, à lexemple du fonctionnement de ce quon appelle lHistoire.
LHistoire, qui est donc fille du mythe fondateur sera revisitée par Malika Mokeddem, dans une écriture envers et contre les chants et la légitimation de celle-ci.
Les romans de Malika Mokeddem, à linstar des romans algériens dexpression française écrits dans une situation dexil insistent sur le thème de lexpérience de lémigration-immigration, ainsi que sur la rupture rigoureuse avec une définition identitaire par lorigine.
Les discours dordre historique, politique ou social, basés sur lidée de lhomogénéité et de lunité, par souci de légitimité, sont battus en brèche par des écrivains, à limage des auteurs de la théorie post-coloniale, qui visent à étaler dans leurs fictions, que toute vision monolithique et unitaire dune nation, dune culture, ou dune identité, sert avant tout à asseoir et légitimer une idéologie, une construction imaginaire.
Lexemple le plus frappant, à nos yeux, reste lhistoriographie algérienne qui présente une histoire basée sur loubli délibéré de faits et dévénements, tel que lexplique Benjamin Stora : « Lhistoire officielle a institué des repères, construit sa propre légitimité, effacé toute démarche pluraliste. Elle a, en fait, fabriqué de loubli ».
Aussi, ce nest pas par hasard que Malika Mokeddem commence à écrire, surtout dans ses deux premiers romans, en intégrant le conte qui est déjà une pratique du détour, détour, dirions nous, de linflexibilité de la filiation.
Ce que nous voulons dire à propos de cette « Poétique du Divers », cest loralité du conte se continuant dans la fixation de lécriture et permettant une fonction de lécrit, qui ne se limite pas à se référer uniquement à un rattachement à une genèse, mais qui arrive à concilier écriture du mythe et écriture du conte. Autrement dit, c'est cette crise, cest à dire cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale que signifie l'oralité. Dans cet ordre d'idée, loralité convoque l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins.
2- Rupture avec une définition identitaire par lorigine.
Les espaces signifiants qui nous semblent donc pertinents pour aborder la poétique de lauteur sorganisent autour dun point de départ qui est « la rupture avec une définition identitaire par lorigine » autour duquel sarticulent dans un premier temps, au niveau de lécriture, le recours au conte, à loralité du conte, et dans un deuxième temps, « le recours à lautobiographie » pour reconstruire les points nodaux, ayant amené lauteure, en tant que femme, à cette ultime liberté, qui est celle décrire, et déchapper par là même à toute imposition dune tradition patriarcale musulmane marquant le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères dappartenance sexuelle.
La définition que donne le Petit Robert sur lidentité nous paraît très révélatrice de ce lien avec des notions comme « homogénéité » et « unité », impliquant explicitement lidée d « exclusion » de tout ce qui nest pas « identique ».
« Caractère de ce qui est identique »,
« Caractère de ce qui est un »,
Caractère de ce qui demeure identique à soi-même ».
Allen Whellis abonde dans le même sens en définissant lidentité comme étant « lattribution dun sens cohérent à soi-même (
) Elle (lidentité) est un sens de plénitude, dintégration, de certitude de disposer de critères permettant de distinguer le bien et .le mal doù la capacité de faire des choix au moment de laction ».
De par sa position décrivaine femme algérienne, Malika Mokeddem redéfinit, en fait, la notion didentité tel que représenté par le discours théorique postcolonial et le discours féministe, tel que le rappelle Birgit Mertz- Baumgartner :
« Du point de vue de la théorie féministe française, la pensée de la racine unique telle quelle est présentée par Edouard Glissant serait lexpression par excellence dune société patriarcale. Dominée par des normes masculines, celle-ci définit le différent, le féminin par la négativité, par labsence et le manque et tend à réduire lAutre, lÉtranger dans léconomie du Même pour se lapproprier ».
Luvre de Malika Mokeddem, sinscrit bien dans la lignée de la théorie féministe, à contre courant de la pensée de la racine unique, dans le sens où elle prend ses distances par rapport à une identité figée et unitaire tel que défini par le concept de la déterritorialisation défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari, et qui signifie une rupture avec les périphéries traditionnelles et les anciens repères en permettant une liberté vis-à-vis des origines à travers une re-création du sujet, voir lexploration dune nouvelle identité féminine.
Les notions deleuzienne de rhizome et de déterritorialisation dénotant dune « Poétique du Divers », refus dune racine unique, telle que définie par Edouart Glissant, « remplaçant lidée de lunicité par celle de la multiplicité, lexclusion par la relation, la vocation denracinement par la vocation à lerrance, la profondeur par létendue, la route par la trace », nous permettront de cerner ce sujet nomade au féminin, valorisant les territoires de lerrance, de la marge, de lentre-deux, se réinventant sans cesse dans ses déplacements, selon le principe de la marche des nomades que tente de reconstruire lécriture de Malika Mokeddem.
A cette pensée de lUn et de lunité qui implique que « toute identité est une identité à racine unique et exclusive de lautre », Glissant y oppose le modèle dune culture composite, « créolisée » :
(
) une rencontre déléments culturels venus dhorizons absolument divers et qui réellement se créolisent, qui réellement simbriquent et se confondent lun dans lautre pour donner quelque chose dabsolument imprévisible, dabsolument nouveau (
).
Ces nouvelles voix qui sérigent à lintérieur de la littérature francophone rassemblent tous les éléments pour parler dun « sujet nomade », voir une conscience nomade permettant une liberté vis à vis des origines.
Des thèmes fortement autobiographiques nourrissent son uvre. Le désert est un espace fondamental, espace métonymique et métaphorique, espace complexe, lieu denfermement et de mort. La Méditerranée comme espace bénéfique car espace transculturel derrance et de nomadisation, lui restitue lespace de son désert natal, symbolisant le refus des frontières et permet de dépasser la notion didentité unique par lancrage territorial.
La notion de l « entre-deux » se retrouve à tous les niveaux et montre la difficulté de se définir à travers lambiguïté de la différenciation sexuelle dans la lecture des corps féminins des personnages, comme Sultana et Vincent le français à travers la métaphore de la greffe ; Yasmine la « Hartania », la métisse, ou encore Zohra dont le corps inscrit imaginaire et réel sur le corps des femmes.
Malika Mokeddem réussit le tour de force dun renversement sémantique qui fait passer le mot « métis » d'insulte jusquà en faire le symbole d'une société métissée, multiculturelle et fraternelle.
Yasmine, dans Le Siècle des sauterelles, de par sa différence de métisse, est éloignée des autres par le sobriquet « Hartania » !
« Hartania ! Hartania ! clament les sentences vengeresses. Hartania signifie métisse. Hartania est parjure, le nom de limpur, lemblême dune trahison : traîtrise au sang noir, affront à lorgueil des blancs quéclabousse sa souillure. »
Ce métissage à tous les niveaux qui répond à lorigine de lauteur, à son parcours fait de départs et de ruptures, se retrouve au niveau de lécriture
Le recours à loralité du conte permet dinstaller dans lécriture un univers contique avec des personnages à apprécier comme des personnages de contes, même si, dans la structure globale, ils restent des personnages classiques. Ces dysfonctionnements par rapport au réalisme de ses romans, cette négociation entre réalisme et discours dune parole conteuse permettant de lire ces textes comme étant à la fois des fictions réalistes enracinées dans lHistoire, et comme discours dune parole conteuse, font loriginalité de cette écriture.
Comme nous lavons déjà signalé, la génération des années 80-90 est confrontée, à « une perte de repères, de clés pour une explication du monde. Cette littérature reste fortement liée à un contexte politique complexe dautant plus que le contexte des années quatre-vingt dix lest doublement de par la violence sociale qui sinstalle. La littérature ne pouvait quen être affecté, connectée à ce qui est diversement appelé « tragédie algérienne », « crise algérienne », « décennie noire »
Malika Mokeddem, écrivaine des années quatre-vingt, dix naura que les mots pour résister :
« Je noircis des pages de cahier, dune écriture rageuse. Sans ces salves de mots, la violence du pays, le désespoir de la séparation mauraient explosée, pulvérisée(
) Je fais partie de ceux qui, cloués à une page ou un écran, répondent par des diatribes au délabrement de la vie, aux folies des couteaux, aux transes des kalachnikovs(
) Certes, jai toujours eu des cahiers près du lit pour noter les mots qui, après des heures passées à se dérober, à résister, surgissent impromptus dans linsomnie ».
Cette parenthèse dans le parcours de Malika Mokeddem, à travers une écriture de rage et de dénonciation dans LInterdite et Des Rêves et des assassins, va se fermer pour continuer la longue lignée des femmes rebelles, comme Leila dans Les Hommes qui marchent, qui, à limage de lauteur, réécrit son histoire, lHistoire de lAlgérie et de ses femmes. Le recours à lautobiographie ou plus précisément à des « pratiques autobiographiques » que lon doit distinguer de lautobiographie au sens traditionnel, met en scène un auteure qui se situe entre différentes cultures, et dont lécriture se situe dans un contexte culturel hybride, refusant lunicité dans la définition de lidentité.
Dailleurs, le questionnement pourtant crucial à légard de la langue décriture ne semble pas problématique pour Malika Mokeddem qui ne soulève pas le « conflit » entre les deux langues : larabe et le français.
Les livres en français et le verbe « flamboyant » de la conteuse nomade quest sa grand-mère, ont structuré Malika Mokeddem. La fille du désert, de loralité, petite fille dune nomade bédouine, fille dune ancêtre africaine noire, nourrie de culture occidentale transmise par les lectures et lécriture, ne pouvait quêtre imprégnée par ce tissage entre différents langages, cultures, races, sexes, qui sera restitué dans une écriture de partage, tissée entre oralité et écriture, transgressant les frontières et les interdits.réducteurs de lalgérien libérateur face à un colon destructeur.
« Amoureuse (Bernard) des paysages et des gens (
) était à leurs côtés à chaque douleur, à chaque joie, à chaque naissance, parce quelle avait appris leur langue, les indigènes lavaient adoptée, puis aimée».
Lécriture traduit ainsi la question des passages des langues ou du moins leur possible traduction lune par lautre.
Du côté des femmes écrivains, Malika Mokeddem bénéficie dun chemin déjà ouvert par les aînées, Marguerite Taos Amrouche, Assia Djebar. Elle ne « senlisera » pas dans un complexe dinfériorité, dans une expression du manque. La langue nest pas la preuve dune algérianité ou dune francité. Elle la conçoit comme partie intégrante du patrimoine linguistique aux côtés des parlers de larabe et du berbère.
La langue française quelle « colonise » à son tour est venue renforcer un esprit de rébellion qui était déjà là, face à toutes les injustices et à toutes les violences subies en tant que femme dabord ; la structurer, larmer, lui apprendre à se défendre.
Lécole savère être une planche de salut face aux injustices qui la minaient, et face à la préférence de ses parents et de toute la société pour les garçons. Le sort était tout tracé.
« Jétais vouée au sort de toute aînée : devenir un modèle de soumission. Lécole ma ouvert une échappée, jusqualors insoupçonnée, dans limpasse de cette fatalité ».
Le « butin de guerre », selon lexpression consacrée de Kateb Yacine, permet à Malika Mokeddem de lire la littérature du monde entier, darmer une fille, ce qui est plus problématique, linterdit pesant davantage sur les filles.
« Jai toujours eu des rapports très clairs avec elle (la langue française) en me disant que je nai pas envie de me laisser mutiler davantage. Je nai pas choisi cette langue mais elle est mienne alors je dis cela en boutade quand jai un public français- cest elle qui est venue me coloniser, pour mon bonheur- la langue, pas le colonisateur- et maintenant puisquelle ma possédée, quelle fait partie de moi, cest moi qui, à présent, vais la coloniser et lui dire la complexité de la situation algérienne et de l « algérianiser ». Voilà, cest comme cela quelle est devenue mienne »
Jusquà lâge de cinq ans, Malika Mokeddem ne connaissait pas le monde français. Cest en 1954, date du début de la guerre de libération que Malika Mokeddem traverse, pour la première fois, le quartier français, pour aller à lécole. Ce monde étranger à son enfance, elle le traversera pour aller apprendre sa langue. La connaissance de lautre se fera par la langue pour une fille qui venait de loralité.
« Je me souviendrai toujours de ces premiers crissements de la plume sur le papier et de cette langue qui sonnait à mon oreille, moi qui venait de loralité. Je lai pénétrée et elle ma pénétrée petit à petit. Mais en même temps ; elle ma rendu service dabord, dans la mesure où je me suis mise à comprendre les autres et à apprendre que, finalement, ce monde ne métait pas si étranger ».
Contrairement à Mouloud Feraoun dans Le Fils du pauvre où le but à atteindre est le métier dinstituteur, comme le père dAssia Djebar, chez Malika Mokeddem, cest la conquête dune écriture permise, certes par la langue française, mais « mise en germe » par la grand-mère conteuse, comme le montre la dernière phrase des Hommes qui marchent :
Sa plume se mit à écrire avec fébrilité, comme sous la dictée de laïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire.
Assia Djebar reste lécrivaine qui a exprimé de façon explicite, aussi bien dans ses uvres que dans ses déclarations ses idées sur la langue. Elle affirme que les femmes de sa génération disposent de « quatre langues pour exprimer (son) désir : le français pour lécriture secrète, larabe pour nos soupirs vers Dieu étouffés, le libyco-berbère quand nous imaginons retrouver les plus anciennes de nos idoles mères (
) La quatrième langue (
) demeure celle du corps que le regard des voisins, des cousins, prétend rendre sourd et aveugle, puisquils ne peuvent plus tout à fait lincarcérer ».
Cependant, il est à remarquer que Malika Mokeddem évite subtilement de pousser la réflexion sur limposition de la langue française. Cette loi venue dailleurs, est selon Tassadit Yacine, « la raison pour laquelle les colonisés ressentent limposition de cette langue comme une tentative de dénaturation, (la culture imposée ayant pour objectif de changer leur nature profonde en culture naturalisée) en leur ôtant leur langue, leurs traditions et tous les traits qui font leur identité initiale ».
Cest dune langue hôte dont Malika Mokeddem parle, une langue qui lavait conquise petite fille à Kenadsa, « la première arme du combat des rebelles, leur dernier refuge quand toutes les autres libertés ont été enchaînées », langue qui « (l) a cueillie et recueillie enfant démunie ».
Lapprentissage dune langue en période de colonisation est perçu à un niveau subjectif, dans son rapport entre langue et affectivité. Le discours sur le déchirement de la domination des colonisés par la langue est délaissé au profit de la place réelle des représentations et de la sentimentalité où le rapport de cette langue à la culture dorigine habitée par le conte nomade reste primordial comme nous le verrons dans la partie que nous avons intitulé « La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de lécriture ».
La dichotomie est réelle entre le verbe de la mère qui ne sert quà donner des ordres et le verbe arabe de la grand-mère, verbe flamboyant de conteuse nomade qui va la marquer avant que ne la saisissent les mots français.
Selma, dans Je dois tout à ton oubli, à linstar des héroïnes de Malika Mokeddem, comprend limportance dune langue autre que celle de la mère pour supporter larrachement à la mère :
Maintenant, Selma comprend combien apprivoiser le français lui avait été bénéfique. Ce nétait pas la langue de la mère. Seule une langue étrangère pouvait accueillir larrachement de Selma et lui convenir.
La problématique de lutilisation de la langue française rejoint notre hypothèse, dans lapproche de la Poétique de Malika Mokeddem, à travers une rupture rigoureuse avec une définition identitaire par lorigine comme le démontre Charles Bonn à propos des romans féminins de limmigration dorigine maghrébine, et sera donc intégrée non seulement comme thème récurrent à travers lhommage à lécole, mais aussi comme espace montrant comment « poïétique et politique » sont liés chez lécrivain qui a conscience du pouvoir de la langue, de sa structure contraignante, laquelle conscience détermine sa responsabilité en deçà de lengagement idéologico-politique comme « responsabilité de la forme », ainsi que le proposait Roland Barthes dans sa Leçon.
3- Lécriture dun lieu de type « rhizome ».
a- Sur la notion de « rhizome ».
La déambulation dans cet espace « lisse », espace nomade, permet linstallation dans lécriture dun lieu de type « rhizome » refus dune racine unique, déroulant un territoire où « Un trajet est toujours entre deux points, mais lentre-deux a pris toute la consistance, et jouit dune autonomie comme dune direction propre ».
La notion de rhizome, refus dune racine unique, implique ici un sujet multiple : sujet-femme fortement marqué par la doxa patriarcale soutenue par le Discours religieux, sujet écrivant dans une langue étrangère mais fortement marqué par lespace, un imaginaire nourri du désert, espace de toutes les démesures.
Edouard Glissant en empruntant la notion de racine et de rhizome à Gilles Deleuze et Félix Guattari dans son Introduction à une Poétique du divers, reprend limage végétale du rhizome qui selon les deux auteurs « (
) appartient à un espace lisse. Elle trace un plan qui na plus de dimensions que ce qui le parcourt ; aussi la multiplicité quelle constitue nest-elle plus subordonnée à lUn, mais prend consistance en elle-même. Ce sont des multiplicités anormales et nomades, et non plus normales ou légales, des multiplicités de devenir (
) cest que les espaces lisses du type désert, steppe ou mer, sont non pas sans peuple ou dépeuplés, mais peuplés par les multiplicités de seconde espèce ».
Glissant remarque que la pensée occidentale est avant tout une pensée de lUn, de lunité. La racine unique implique la conception dune identité «exclusive de lautre » et qui « a la prétention de la profondeur ».
Lunicité est remplacée par la multiplicité, lexclusion par la relation, lenracinement par lerrance. Les personnages inscrivent dans le sable des traces éphémères qui demeurent hors du temps et dont limmédiateté élimine tout ancrage à une racine, dans un espace nomade « (
) espace lisse, seulement marqué par des traits qui seffacent et se déplacent avec le trajet ».
Les protagonistes de Mokeddem seraient en quête perpétuelle deux-mêmes. Lerrance en tant que quête qui naboutit jamais serait déterminante pour leur existence même
NZid, son avant dernier roman, signifie la naissance mais aussi « je continue », et Zid, à limpératif signifie « continue », en sadressant au lecteur.
Continuer par lécriture que voici, dun projet romanesque toujours en quête, en voie de réalisation, mais naboutissant jamais sinon que par linstallation des protagonistes dans lécriture, à linstar de Leïla des Hommes qui marchent, premier roman de Mokeddem, qui se met à lécriture bien après la fin du récit ; de Mahmoud dans Le Siècle des sauterelles, le poète qui apprend lécriture à sa fille Yasmine devenue muette après avoir assisté à lassassinat de sa mère Nedjma ; de Nora de NZid qui est peintre mais aussi écrivaine.
La suspension narrative à la fin de ses romans permet à lauteur davoir « gagné une page de vie », dêtre sur les traces dune enfance (quelle na) jamais eue.
Dans La transe des insoumis, lécrivaine en quête de vérité tente de remonter le temps et de restituer, certes, ce qui la pousse à lexil, mais surtout ce qui la définitivement installée dans lécriture, au dépend même de sa profession première : la médecine.
Son roman, Mes Hommes, se termine par un chapitre sur son prochain amour rencontré au hasard de ses pérégrinations. Une bouteille à la mer quelle espère voir arriver à bon port, après avoir évoqué tous ces hommes qui ont compté pour elle. La quête est toujours là.
A la fin de son premier roman, Les Hommes qui marchent, il semble y avoir clôture du récit au niveau de lhistoire par laccomplissement du projet du sujet énonciateur Leïla de devenir écrivaine, après la fin du récit, et suite à des consignes dictées par Zohra, sa grand mère, la nomade sédentarisée symbolisant le geste initiateur vers lécriture. Cependant, lespace blanc qui sépare entre le récit et laccomplissement de la quête oriente le lecteur vers un espace en rupture avec le récit, un espace décriture que Malika Mokeddem distille par fragments dans tous ses textes jusqu'à en faire parfois la matière même de ses récits. Lexemple le plus frappant reste la fin du texte de Le Siècle des sauterelles qui ouvre sur toutes les interprétations possibles et où chaque événement inhérent au dénouement de lhistoire (au sens de Gérard Genette) se présente comme un événement autonome, échappant complètement à la causalité narrative de la fiction réaliste.
Une voix anonyme dun narrateur non moins anonyme « conte » la fin de lhistoire dun des personnages principaux, Mahmoud le poéte, pratiquant lécriture dans un monde nomade.
On dit que le train sest arrêté en butant contre laustère du désert (
)
On dit que dans cette contrée de toutes les hypnoses, de tous les envoûtements, une mystérieuse histoire les attendait (
)
On dit quil en fut ainsi et que mal leur en prit. Quand ils sy montrèrent, le corps ny était plus
Et à propos de sa fille Yasmine, lenfant muet à qui son père a appris lécriture :
Certains prétendent que de caravane en caravane, elle a traversé le désert vers la noire source de sa mère (
)
Ils disent que là ( la source noire), dans lantique Afrique, elle a nourri son chant (
)
On murmure même quelle aurait retrouvé son père.
Linstallation dans le merveilleux, létrange, lirrationnel, par une parole conteuse se disputant un récit réaliste, résume de manière subtile, limportance de la suspension narrative qui recouvre luvre de Malika Mokeddem..
Le texte, en réponse à toutes les ouvertures possibles, nous renvoie à un énoncé qui remet en question tout le procès narratif alors quil est le produit de ces discours.
Mais
faut-il croire les discours, quils soient hauts ou sourds, qui courent aux pieds des murs de ces ksours de magie ? Les mots ne sont ici que plaintes élégiaques, quodes dérisoires pour conjurer les sortilèges du silence et les oraisons des vents. Et les odyssées de limagination qui, tous mythes allumés, labourent la lumière, parcourent furieusement le désert, ne sont que fallacieuses marches quand le corps est contraint à sa plus grande terreur, limmobilité. Faut-il croire ce que racontent ceux es ksours, alors quils ne sont eux-mêmes que contes et mirages de regs brulants ?
Le doute vient se greffer à lancrage réaliste de lhistoire qui en devient ainsi suspect et ouvre à toutes les lectures possibles.
Il importe à Mokeddem que les faits de fiction soient vrais ou faux, lessentiel est que lécriture fonctionne comme le conte en reprenant des paroles anciennes, en libérant le rêve et limaginaire.
Dans les deux romans les plus ancrés dans le référent Algérie, aux prises avec la violence des années 90, LInterdite et Des Rêves et des assassins, la suspension est lisible (visible) à travers respectivement Sultana, la narratrice, et Kenza, la protagoniste principale.
Les deux personnages sont placés sous les auspices de la rencontre et du deuil en même temps, en France et en Algérie.
Le récit dans LInterdite augure du déchirement et des drames à venir à travers lhistoire dun retour emblématique suscité par la mort de lami, les épreuves qui lamènent à se questionner sur elle même et sur les autres.
Sultana, exilée à cause de sa position de marginale, fille dun Chaambi, étranger au village, et dune mère aux origines lointaines desclave affranchie, et surtout à cause de la fréquentation de lécole, se bannit volontairement du groupe. Elle se situe désormais dans :
(
) lentre- deux, sur une ligne de fracture, dans toutes les ruptures
un entre-deux qui cherche ses jonctions entre le Nord et le Sud, ses repères entre deux cultures. ( p.65)
Dans LInterdite, les éléments de référence dans le parcours Sultana fonctionnent comme des rappels dancrage identitaire : Sultana est médecin à Montpellier comme Malika Mokeddem qui y a poursuivi ses études et y a exercé la médecine. Elle revient à Aïn Nekhla, village du Sud-ouest algérien.
Le besoin de revenir au pays qui sombre dans une violence extrême a lieu suite à lannonce de la mort de son ami Yacine, médecin installé dans le Sud algérien. Les intégristes vont afficher une haine viscérale et un rejet total de cette femme venue dailleurs. Sultana, dans une posture instable, résiste envers et contre tout, dans un « entre-deux » dont lépreuve semble décisive. Endeuillée, elle ressent lassitude et solitude.
Kenza, comme Sultana, dont la présence dans le sud algérien amorce une fracture contre les murs, le règne des intégristes, lordre séculaire de domination des hommes, aspire, elle aussi, à un ailleurs, dans une errance qui nen finit pas puisquil les fait être. Kenza, à la fin du récit, est dans une ville en ruines, et « erre dans les ruines dOran ». La fuite vers dautres espaces est inévitable : « Il me prend des envies de voyager. Des envies daller vers des pays où je nai aucune racine ».
Pour en revenir au Siècle des sauterelles, les derniers énoncés remettant en question tout le procès narratif ne peut se comprendre quà travers lindifférenciation entre le conteur et le conte, le sujet énonciateur et lénoncé narratif, qui, tous les deux ne sont que « contes et mirages de regs brûlants ».
Le passage vers dautres espaces que le désert nen reste pas moins marqué par une écriture, lieu de dépassement, pré-texte à une évasion, une composition avec lindicible.
Dans Nzid, son sixième roman, Mokeddem met en scène la mer « lautre désert(
) « sa plus clémente jumelle ». Ce que reprend Malika Mokeddem dans ses différents écrits toujours en rapport avec son uvre littéraire.
Cest quenfin seule et libre face au grand large de la Méditerranée, je prenais lentement conscience que les sables de mon enfance et de mon adolescence étaient aussi un grand large, une invite au voyage dont javais été exclue
(
) Le ressac de la mer me ramenait au désert.
NZid, roman de la récupération de la mémoire par le biais de la création, met en scène un peintre-écrivain, Nora, se réveillant, perdue sur un bateau baptisé lAimée, souffrant de troubles mnésiques, et tentant de retrouver la mémoire et le mystère entourant son identité.
Ce prétexte narratif de la recherche de la voie(x) de Nora, face à limmensité de la Méditerranée par le biais de la peinture dont le texte dévoile litinéraire créatif sur le bateau, permet de mettre en place lénoncé méta narratif dans lequel le personnage nexiste pas en dehors de son procès de production-création.
Nzid semble être un nouveau départ pour les personnages Mokedemmiens grâce à une dynamique textuelle qui met un terme aux errements des protagonistes des autres romans qui se cherchent et qui ne se retrouvent nulle part chez eux.Sultana dans LInterdite ou Kenza dans Des Rêves et des assassins ne franchissent pas le pas vers un espace sans racine et ont toujours besoin damarres en exil, espérant retrouver lespace euphorique de leur enfance.
Dans Nzid, la métaphore de lépave dont se revendique Nora Carson, alias Myriam Dors, alias Eva Poulos etc
, donne à lire un inaboutissement de lerrance elle même : cest la loi du non retour.
Elle se revendique de la communauté des épaves, jetées à leau par les confluents de labsence et du désarroi. Elle les observe toujours avec ravissement. La mer les porte sans plus rien leur demander. Sans rien leur demander, elle les saoule, les racle, les décape de tout. Plus de passé. Plus de terre. Même plus leur nostalgie. Os ou bois flottés, délavés. Comme une indéfinissable dérive de la détresse à labandon. Avant le plein flot de loubli.
Nora na pas de pays dancrage. Lattachement est synonyme de souffrance. Elle préfère lespace de la marge, lespace de la Méditerranée, à ses trois racines que sont lAlgérie, la France et lIrlande. Dans NZid, Nora, avant de retrouver la mémoire, sinvente un nom grec :
Je suis Eva Poulos
Eva Poulos ! Mes parents étaient grecs
Étaient ? Père copte, mère juive. Je suis née à Paris.Une Franco-gréco-judéo-chrétiéno-arabo-athée pur jus. Eva Poulos.
La mer reste le lieu de la « départenance » alors que la terre reste un espace de souffrance, un lieu où « le manque de passé écrase tout. Sous la chape de langoisse, les maisons, les gens se métamorphosent en autant de mises à lindex, de mises en demeure didentité ».
Ces lieux de la « sédentarité » sopposant à la mer, son nomadisme, rejoignent la distinction quétablissent Deleuze et Guattari justement entre la racine et le rhizome :
« Le rhizome qui (
) ne commence et naboutit pas, (qui) est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo (
) Le rhizome (qui) est alliance uniquement dalliance », serait la mer et le désert, sans début ni fin, lieux de lerrance, du possible, dans lequel la femme épouse les diverses identités en perpétuelles variations, voir en devenir.
Le traité de nomadologie de Deleuze et Guattari voit le nomade comme un être rejetant lespace civilisé et qui cultive la déterritorialisation en « invent(ant) le nomadisme comme réponse à ce défi ».
Le personnages de Mokeddem qui sont des êtres de mots, , sont comme le conteur dont parle Zohra.
(
) Il ( le conteur ), trafique sa propre histoire, la refaçonne entre ses rêves et les perditions de la réalité. Il nexiste que dans cet entre-deux. Un « entre » sans cesse déplacé. Toujours réinventé.
Le conteur comme le nomade jouissent dune autonomie de déplacement : le nomade ne se fixe à aucun espace même sil se déplace dun point à un autre, le point devient lui même lieu de départ et ne constitue quun relais, un entre-deux. Il en est de même pour le conteur dont la fin du conte marque le relais vers dautres contes.
Assia Djebar, dans Ces voix qui massiègent se pose les mêmes questions à propos de lécriture « de fuite » comparée à « une course automobile, voyage intérieur, ou déambulations sans arrêt, sans délai, ni halte, ni répit ».
Il est tout à fait remarquable que les romans de Malika Mokeddem, fonctionnant à la manière des contes, amorcent à la fin des ouvertures possibles par le biais de la suspension narrative car mettant en scène, comme nous lavons dit, des êtres derrance, aux relents deleuziens.
Le discours post-structural, post-colonial et féministe détruit justement la notion didentité unique qui de fait exclut lAutre. Mokeddem récuse cet « enfermement » dans une interview accordée à Christiane Chaulet Achour :
Il ya deux mots qui me hérissent : nationalité et racines
Ma grand-mère mavait dit : il ny a que les palmiers qui ont des racines. Nous, on est des nomades, on a une mémoire et des jambes. Elle avait raison.
Limmobilité serait un danger mortel résumé par Zohra la conteuse du premier roman : « Limmobilité du sédentaire, cest la mort qui ma saisie par les pieds. Elle ma dépossédé de ma quête ».
Le concept didentité fragmentée hybride marquée par la notion deleuzienne de rhizome, et la notion de divers dEdward Glissant permettent donc de cerner le discours de Malika Mokeddem, un discours qui se veut transnational et transculturel, mais un discours qui part dun espace identifiable, celui de la langue française quil va falloir déterritorialiser pour en faire sa propre langue, une langue quelle va « coloniser » à son tour en y imprimant une écriture que nous qualifierons décriture sans mémoire!
b- Le choix du conte.
Dans Lécriture-femme, Béatrice Didier rappelle les siècles de tradition orale où le rôle de la femme a été déterminant, particulièrement à travers le conte.
« Il sagit non seulement de transgresser linterdit de toute écriture, mais encore de le transgresser par rapport à lhomme et à la société phallocratique. De le transgresser aussi peut-être par rapport à une sorte de vocation de la voix, du chant, de la tradition orale qui a été assumée par les femmes ».
Aussi, le conte semble exercer sur Malika Mokeddem une fascination en lui permettant de révéler une universalité profonde dans une perpétuelle variabilité de ses récits. En effet, le conte apparaît pour lauteur, dans le domaine de lexpression littéraire, comme un genre où se réalise une stratégie de la contrainte et de la liberté en même temps. Ce qui rejoint ce besoin dexprimer ce quEdouard Glissant appelle « limaginaire de la totalité-monde » à partir dun lieu impliquant le déplacement, à limage des nomades, et qui rejoindrait cette stratégie de la contrainte et de la liberté en même temps.
Contrainte dans son organisation structurelle obéïssant à des règles universelles telles que dégagées par Vladimir Propp, et liberté dans la souplesse de son expression formelle et lui permettant de générer du sens grâce, notamment, à la « parole conteuse » qui prend en charge comme nous le verrons, en même temps que le conte, toutes les formes dexpressions de la tradition orale comme lépopée, la légende, le mythe
, introduisant dans le champ de lécriture la dimension du fabuleux, du fantastique et de létrange.
Cest grâce au discours de cette parole conteuse que les textes de Malika Mokeddem peuvent être lus comme étant à la fois des fiction réalistes enracinées dans lHistoire, et le discours dune parole conteuse . Et cest en cela que nous que nous ne pouvons pas qualifier les récits de Malika Mokeddem simplement de contes ou de récits pour parler dhybridité du métissage.
Dans LInterdite, lexemple de la confidence finale de Sultana sur son passé et ses origines apparaît comme un exemple type de cette jonction conte/fiction. En effet, cest un personnage « réaliste », Sultana, qui parle de ses angoisses, de son aversion pour « lancestralité » mais nous sommes aussi dans le conte où le « je » raconte son propre conte. Le lieu d'énonciation de ces conteurs quon allait écouter autrefois sur les places publiques sera recréé autour du feu, tandis que Salah et Vincent forment lassistance qui se presse autour delle. Sur le plan typographique, le conte, est structuré selon le rythme porté par la voix de Sultana, par un guillemet fermé ( »), à chaque début de paragraphe, afin de distinguer le conte tragique de la narration réaliste de lhistoire de Sultana. Des grenades que lui avait achetées son père, « ce mélange de liquide et de filaments qui laisse dans la bouche un goût dinterdit » fruit quelle ne mangera plus jamais, après la tragique disparition de sa mère et de sa sur, le conte retrace, à sa manière, litinéraire du personnage principal qui retrace le dessein auquel sera soumis le récit, et qui peut se résumer selon la formule suivante : « braver linterdit », fonction quassumera Sultane tout au long du récit.
De plus, des formules narratives stéréotypées, des choix linguistiques et oratoires appropriés contribuent à la dramatisation du récit : (page 222-223)
Il mavait acheté des grenades. La grenade, le plus beau des fruits, le plus royal.
» Il mavait acheté des grenades.
» Il portait son saroual targui et son grand chapeau que jaimais bien.
» Dans le ksar, la rumeur murmurait quon était une famille maudite. Longtemps jen ai été persuadée. Quand je marchais dans les rues, les enfants se sauvaient à mon approche. (
) Puis mes yeux se sont effacés de tout. Je me suis effacé du présent.
Ce « je » qui raconte son propre conte, le conte tragique de la perte de la mère tuée par le père, reprend sa place dans le récit, mais dans une narration réaliste, dans la rencontre de Sultana avec les femmes du village qui se solidarisent avec elle, et qui lui racontent sa mère et son père, le Chaâmbi, létranger instruit, qui était fier de sa fille.
Lorigine du désir de conter de lauteur est clairement revendiquée dans chacun de ses propos. La venue à lécriture est dabord initiée par la voix et les récits du passé transmis oralement. Le lecteur reste frappé par lomniprésence de cette matière de loralité contique inscrite dans la trame romanesque et aussi cette volonté de sapproprier les formes dénonciation de loralité, dans le passage en texte de la tradition orale à loralité.
Cest dans ce sens que nous pouvons avancer que le conte reste lune des clés de lecture des romans de Malika Mokeddem.
II- La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de lécriture.
1- Le recours à loralité du conte ou lécriture en procès.
La littérature maghrébine dexpression française entretient des rapports très complexes avec la tradition orale qui apparaît tantôt comme une source dinspiration, tantôt comme un stock de modèles et de thèmes à reproduire, tantôt, et cest le cas qui nous intéresse, comme un élément structurel dont lauteur Malika Mokeddem, écrivaine algérienne dorigine nomade, tire un puissant argument d'écriture:
« Ma grand-mère et mon père avaient été nomades. Ma grand-mère, elle, a été nomade toute sa vie (
) Elle est devenue sédentaire à un age tardif de sa vie (
) Cétait une femme de loralité et moi, je suis devenue quelquun de lécriture. Mais cest pour ça que loralité est quelque chose dimportant pour moi, parce que je pense, quavant les livres, ma première sensation aux mots mest venue par elle, dans cette enfance très pauvre ».
Nous nous référons souvent à ce propos de l'auteur mais uniquement pour confirmer ce que l'écriture nous donne à lire et non l'inverse. Ici, par exemple, l'auteur confirme le prolongement en écriture d'une tradition orale; la continuité culturelle double celle des généalogies. En outre, dans cet héritage, ce qui compte ce ne sont pas les "mots" mais une "sensation" inhérente aux mots et que nous assimilons à l'oralité de la tradition orale.
Lamour des mots et de la fiction naît de linfluence de la grand-mère, de lécoute de ses contes que vont enrichir dautres lectures de la littérature française, algérienne dexpression française, et universelle.
Dans le premier roman, Les Hommes qui marchent, le conte est omniprésent à travers Les Mille et une Nuits que lancêtre Djelloul entend de la bouche dun taleb qui sest joint à la caravane :
Djelloul fut immédiatement subjugué par cet homme qui écrivait des talismans et qui, à chaque halte, sortait un livre volumineux aux pages mitées : Les Mille et une Nuits. Le garçon navait jamais entendu parler de lécriture. Comment ces caractères inertes pouvaient-ils contenir tant dhistoires, dintrigues, de combats et de beautés ? »
Lautre source, celle que nous avons appelée la « scène primitive » de luvre, est celle des récits de laïeule qui est en réalité la première source, car étant la première énonciatrice de lhistoire de Djelloul et donc des Mille et une Nuits.
Depuis notre intitulé « Le recours à loralité du conte ou lécriture en procès », notre projet tout en interrogeant le discours littéraire du Siècle des sauterelles pour y lire linscription dun sujet culturel, donc collectif, est denvisager la tradition orale dans luvre non pas en tant que thème mais par ce qui lui est emprunté par le sujet décriture, c'est-à-dire le « style oral » de son oralité et non le « style parlé » de son énonciation originelle.
Le Siècle des sauterelles et à un degré moindre Les Hommes qui marchent marquent leur originalité dans le projet de lauteur dinsuffler la tradition orale dans la langue française . Doù lintérêt que nous portons à cette « re-textualisation » de la tradition orale, principalement du conte, et sa transfiguration en parole décriture, voir en source décriture.
Ce qui nous a donc interpellé, en tant que lecteur, cest dabord lomniprésence de cette matière de loralité contique inscrite dans la trame romanesque, et ensuite et surtout, cette volonté de sapproprier les formes dénonciation de loralité dans le passage en texte de la tradition orale à loralité.
2- De la confusion entre « style oral » et « style parlé ».
Lécrivaine, née dans le sud algérien affiche sa marque dappartenance à un espace didentité, espace de lécriture conteuse dans laquelle sinscrit le substrat de la tradition orale.
Cela signifie que la tradition orale nest pas reprise fidèlement, pour elle-même. Son exploitation par lécrivain, s'inscrit dans un projet d'écriture et elle est soumise aux contraintes dordre esthétique et linguistique. L'initiative passe donc nécessairement par la réappropriation, par l'écriture, dun objet conçu dans un autre contexte et quil est pratiquement impossible de restituer ni dans sa totalité ni dans son dessein (son efficacité symbolique spécifique) .
Ce qui importe, dans lutilisation de ces procédés décriture, c'est la création d'un style oral, à travers lequel la tradition orale (caractérisée par le "style parlé") délivre une caution culturelle d'"authenticité" qui confère à l'écriture du livre un cachet doriginalité en même temps que d'origine.
Le roman, Le Siècle des sauterelles, en convoquant un monde primitif, en baignant dans une civilisation d"orature", ici le nomadisme, pendant la première moitié du XIXe siècle, donne, certes, la primauté à l'oralité sur la tradition orale, mais il choisit de le faire à un moment clé du temps historique, celui de la rupture provoquée par le début de la colonisation.
C'est cette crise (autrement dit cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale) que signifie l'oralité Dans cet ordre d'idée, nous tenterons daboutir à une première explication de ce que signifie loralité en convoquant l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins.
La distinction entre le "style parlé" et le style oral" s'inscrit dans le cadre théorique de celle entre la tradition orale et l'oralité. Nous reprenons les termes de cette opposition à Farida Boualit qui a développé sa thèse à partir notamment des travaux de Julia Kristeva et de Claude Hagège.
Ainsi, comme elle le rappelle en préambule de son article, ce qui est désigné par "tradition orale", par les spécialistes de l'analyse du discours poétique, c'est à la fois une organisation en récit de certains éléments, une modalité de transmission et un temps sous sa forme achevée de passé convoqué en tant que tel à travers le substantif "tradition".
F.Boualit indique que de la tradition "orale" à la littérature "orale", tardivement consacrée, le déterminant "orale" du substantif "littérature" met l'accent sur la modalité constitutive de ce type de production: la parole qui sort de la bouche, autrement dit la signification qui passe par la parole qui sort de la bouche.
De ce fait, nous avons affaire ici à des productions qui ne sont pas transmises à l'aide de signes écrits mais qui sont désormais données comme des productions comparables à ce que l'on entend par "littérature" dans des cultures écrites.
Cependant, un grand nombre de catégories fondamentales de l'analyse littéraire perdent leur pertinence lorsqu'on tente de les appliquer à cette littérature orale, à commencer par la circonscription même de l'uvre dont on ne peut fixer ni le commencement ni la fin; l'épopée homérique en est un des exemples les plus célèbres. Il est en de même de la catégorie corrélative à celle de cette circonscription à savoir la catégorie de l'auteur.
La littérature orale n'a pas d'auteur, au sens moderne du terme, mais des "récitants" qui ne s'érigent jamais en créateurs. Certes, même s'ils se définissent uniquement comme des agents de transmission, la critique en est arrivée à considérer qu'ils "re-créent" dans le même temps qu'ils transmettent.
En effet, la littérature orale, ou plus généralement la tradition orale n'offre pas de grandes possibilités au sujet (parlant) d'y insérer de façon significative les marques de son énonciation d'autant que, dans sa modalité écrite, elle perd même le support de la voix.
Rappelons, même s'il s'agit d'une évidence, que dans cette situation de transmission orale, le texte de la littérature orale, qui se réalise en situation interactive d'énonciation/réception, acquiert, comme tout discours qui se réalise dans ce type de situation, la valeur d'acte social: c'est un rituel qui passe donc par la voix et dont le message est informatif et surtout pragmatique par sa dimension symbolique.
La valeur sociale de ces récits oraux est d'autant plus attestée que, dans leur passage à l'écrit, comme le précise F. Boualit dans l'étude sus citée, ils ne changent pas de statut: En passant de la phoné à la graphie, la matière reste la même puisque l'objectif de leur écriture est leur conservation. Cependant, ce qui ne peut être attesté, c'est la pérennité de son efficacité symbolique qui ne jouit plus du soutien précieux de la voix.
Reproduire et non écrire la littérature orale reste une initiative qui affiche moins sa prétention esthétique que sa fidélité à l'objet qu'elle contribue ainsi à sauvegarder.
Il n'en demeure pas moins que la transcription écrite du texte oral est une opération culturelle qui trahit son objet en le "dé-naturant". Mais, pour persister dans les sociétés dites modernes, la tradition orale n'a pas d'autre choix que dy laisser ce qui fait son essence en entrant dans le temps historique de l'écriture .
A la suite de Claude Hagège, on parlera, pour désigner ces textes transcrits de la littérature orale, de "textes parlés" pour leur rapport initial et structurel avec le "style parlé" entendu comme "l'usage plus ou moins éloigné de la langue écrite qui est fait de la parole en situation d'interlocution". Nous ne nous étendrons pas sur le phénomène de déperdition qui caractérise la passage de l'oral à l'écrit, ni à sa particularité quand il s'agit du passage à l'écrit dans une langue étrangère, très éloignée de celle, originelle, de la tradition orale ou de la littérature orale.
Ce qui nous intéresse davantage c'est de noter que dans les textes littéraires, qui affichent leurs marques dappartenance à un espace didentité que sont les sociétés fortement marquées par tradition orale, celle-ci y est inscrite comme substrat de loralité.
Ce phénomène est au fondement de l'écriture de M.Mokeddem dans Le Siècle des sauterelles. Elle y convoque la littérature orale en sa forme de conte entendu comme "récit oral", fabuleux, hérité de la tradition.
Il nous importait donc d'établir la définition du "style parlé" des "textes parlés" (qui restent marqués par cette modalité même quand ils sont transcrits) pour l'opposer au "style oral" de l'oralité qui caractérise une modalité particulière d'inscription de la littérature orale dans certains textes de la littérature maghrébine dont notre corpus n'est qu'un exemple pour étayer cette distinction nécessaire entre le "style parlé" de la tradition orale ou de la parole conteuse et le "style oral" de l'oralité que Julia Kristeva définit comme "modalité hétérogène au sens".
Dans ses travaux consacrés à la définition du sujet du discours poétique en tant que "sujet en procès", J.Kristeva précise que l'oralité, dans le discours littéraire, se manifeste à travers un certains nombre de procédés repérables relevant essentiellement de l'intonation et/ou de la répétition, autrement dit le rythme .
Ces deux paramètres définitionnels du style oral de l'oralité, que sont l'intonation et le rythme-répétition caractérisent la modalité de signifiance que Julia Kristeva qualifie de "sémiotique" par opposition à la modalité de signification qu'elle qualifie de "symbolique".
Pour sa définition de la modalité de signifiance, ou modalité sémiotique, elle précise qu'elle prend en considération l'étymon grec semeion qui "fait entendre la marque distinctive, la trace (
), le gravé, l'empreinte, en somme une distinctivité susceptible d'articulation incertaine et indéterminée" de la chôra, autrement dit "le réceptacle innommable, invraisemblable, bâtard, antérieur à la nomination, à l'un, au père et par conséquent connoté maternel à tel point que pas même le rang de syllabe ne lui convient".
Et précisément, comme nous tenterons de le démontrer, l'originalité de la pratique scripturaire de M.Mokeddem réside dans le procès sémiotique d'inscription de la littérature orale dans le territoire de cette "chôra", territoire de ressourcement, de "régénérescence" de l'écriture.
3- Le souffle irrésistible du Conte.
a- Homologie de structure entre le conte et le roman.
Cest dans le désert algérien que lécriture de Malika Mokeddem prend sa source. Lorigine du désir de conter de lauteur est clairement revendiquée dans chacun de ses propos. La venue à lécriture est dabord initiée par la voix et les récits du passé transmis oralement. Le lecteur reste frappé par lomniprésence de cette matière de loralité contique inscrite dans la trame romanesque et aussi cette volonté de sapproprier les formes dénonciation de loralité, dans le passage en texte de la tradition orale à loralité.
Le roman, en convoquant le "vieux" monde, un monde archaïque, un monde primitif, en baignant dans une civilisation dorature, ici le nomadisme, pendant la première moitié du XIXe siècle, donne, certes, la primauté à l'oralité sur la tradition orale, mais il choisit de le faire à un moment clé du temps historique, celui de la rupture provoquée par le début de la colonisation.
Dans cet ordre d'idée, nous ne pouvons qu'adhérer à la conclusion à laquelle aboutit F.Boualit dans l'étude à laquelle nous nous sommes souvent référé:
C'est cette crise (autrement dit cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale) que signifie l'oralité en convoquant l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins. "
Ainsi, on peut même affirmer que la structure narrative, que nous étudions par ailleurs de façon très détaillée, s'apparente à celle d'un conte au sens de V. Propp.
Rappelons que V.Propp, en analysant quelques dizaines de contes, dont il a cerné le schéma à travers un système de fonctions, a identifié le rôle structurel qu'y joue un manque ou un méfait initial; c'est celui-ci qui détermine les actions du héros qui le répare ou le compense par une série de combats ou dépreuves qui aboutissent à un équilibre .
Le roman de M.MOKEDDEM peut, de ce point de vue, fonctionner comme un conte:
le héros Mahmoud doit d'abord réparer un manque: déterrer la dépouille de l'aïeule et la ramener sur ce qui reste de la terre des ancêtres de la tribu, à Labiod-Sid-Cheikh,. La mission n'est pas aisée puisque la tombe se trouve sur ce qui est devenue une ferme coloniale. Mais " poussé par des mots d'outre-tombe, Mahmoud s'était préparé à repartir pour satisfaire aux volontés de son père".
Il doit affronter un certain nombre d'épreuves qui le conduisent, après la réparation du manque, à réparer un méfait: retrouver les assassins de sa femme et se venger.
- Mahmoud ira d'épreuve en épreuve, jusqu'à la fin du roman. Mais après que la fiction réaliste ait enregistré sa mort (il est tué par les gendarmes), il ressuscite par le truchement de la rumeur qui entoure les agissements de sa fille Yasmine: " On murmure même qu'elle aurait retrouvé son père, dans ce Maghreb voisin
".
Cette homologie de structure, entre le conte et le roman Le siècle des sauterelles, n'est pas la seule raison qui nous permet d'avancer que l'uvre, à l'instar d'ailleurs de Les Hommes qui marchent, est très imprégnée de tradition orale. Eu égard à l'importance du phénomène, nous pouvons même aisément constater que son effet de lecture se traduit comme l'entreprise d'insuffler cette tradition orale dans la langue française en situation d'écriture littéraire.
Le texte se construit sur la textualisation de la tradition orale qu'il gère, au lieu d'être géré par elle comme dans le cas d'une retranscription ou même d'une retranscription-traduction dans une autre langue que la langue d'origine du conte. En d'autres termes, dans le roman de M.Mokeddem, c'est le style oral qui détermine les modalités de l'inscription des textes parlés de la littérature orale.
b- Conter : une consigne métatextuelle :
Pour clarifier notre propos, quant à cette exploitation, en quelque sorte au second degré, de la tradition orale en général et de la littérature orale en particulier, notre choix sest porté sur deux passages extraits de Le Siècle des sauterelles.
Le premier passage, que nous qualifierons de méta-textuel, est un passage où sélabore une théorie, un discours métalinguistique sur la fiction; il n'est pas fortuit que le passage en question soit situé au milieu du roman (p.156-157) ni que cette écriture réflexive soit assumée par les personnages en situation interactive;
Le deuxième passage est une illustration, un exercice de la parole conteuse, qui prend en charge les événements diégétiques de la fin du roman.(page 276 279).
Dans le premier passage, que nous reprenons depuis son introduction car très significative, le père Mahmoud s'adresse à sa fille Yasmine:
" Dans la journée, tout en gardant le troupeau, Mahmoud s'occupe de son enseignement, l'ouvre à la poésie. Le soir, il lui dit des histoires et des contes. Il lui dit souvent:
- Tu sais, conter cest échapper à linstant. Cest refuser de nêtre jamais quune borne de sa course . Conter, cest le saisir en plein, ce temps. Cest le déplier en éventail de mots. Tu ten éventes et le railles. Puis, tu le replies, fermé dans le nud de ta narration. Jeté ce temps choisi ! Tu respires un bon coup. Tu souris à la feuille ou à lauditoire. Tu en cueilles un autre et tu recommences à leffeuiller. Ainsi, tu inverses les rôles, en jalonnant le temps de pensées, tu en fais ton objet. ». (Nous soulignons)
Ainsi, le conte et le discours réflexif sur le conte sont deux réalités intra-diégétiques. De cette façon, Lexercice du conte saccompagne de sa théorie, et, lénoncé de la théorie du conte fait partie de lénonciation de la fiction. Cela se confirme par le fait que lénoncé est répétitif: « il lui dit souvent ».
Nous sommes en présence dun énoncé itératif, une modalité narrative se rapprochant du "sommaire" tel que défini par G.Genette: "on raconte une fois ce qui sest passé n fois".
La modalité de "sommaire" de cet énoncé narratif, au niveau signifiant, conforte la nature définitionnelle de sa substance, au niveau signifié : si le sommaire est une réduction à l'essentiel, une définition, qui consiste à présenter les caractéristiques principales, n'est pas autre chose . Par conséquent, l'énoncé est en même temps ce dont il parle: c'est donc un énoncé total, surdéterminé.
De plus, dans cette définition interactive du conte, sont mises en uvre plusieurs fonction du langage : la fonction phatique, la fonction conative, et la fonction référentielle. Lénoncé, lui même fortement métaphorique, transfigure ce dont il parle à partir d'un rapprochement analogique mais, dans un contexte d'énonciation balisé par un dessein didactique.
Ce dessein didactique de la transmission de la théorie du conte, tout à fait compatible à son identification au discours du père, semble conditionner sa syntaxe.
En effet, après la formule définitionnelle introductive consacrée, "Conter cest", le père décline d'abord le paradigme des prédicats situés dans l'"a-temporilité" du "temps", en consacrant une unité propositionnelle à chacun d'eux; puis il décline celui de sa traduction en actes, dans le temps historique et en situation interactive.
Ainsi, dans le premier paradigme: " Conter c'est":
Echapper à linstant.
Refuser de nêtre quune borne de sa course.
Saisir en plein temps, le temps.
Déplier un éventail de mots ,
il y a reprise de la dimension intemporelle classique du conte, comme parenthèse hors du temps.
Dans le deuxième terme de la définition, ainsi que dans le troisième le conte est défini par rapport au temps qui devient un temps illimité.
Dans le quatrième terme de la définition, cest le temps que lon remplit de mots. Le temps est ici évalué en tant que durée de mots .
Ce quatrième terme de la définition est suivi par une série de consignes qui constituent le second paradigme :
Tu ten éventes et le railles.
Tu le replies, fermé dans le nud de la narration.
Tu souris à la feuille ou à lauditoire.
Tu en cueilles un autre.
Dans « tu souris à la feuille ou à lauditoire », il y a reprise implicite du conte, oral ou écrit; le "sourire" étant à la fois une ponctuation finale et le signal d'un recommencement, d'une répétition : "tu recommences".
Ce qui est visé par loral du conte est une initiation de lélève aux modalités du « conter ». "Conter" est une pratique du soir, à laquelle s'adonne le maître lui-même en présence de l'élève: « Le soir, il lui dit des histoires et des contes. »
Notons que dans le champ de la tradition orale, le conte propose un récit qui requiert un contenu pour sa narration à travers sa (re) transmission.
Or, ici, nous constatons que, si la définition du conte s'étend à sa modalité d'énonciation et à sa finalité, son contenu narratif, sa substance ne sont pas évoqués.
Nous pouvons alors en déduire que ce qui du conte est mis au jour dans le texte, c'est ce qui l'identifie à ce que nous avons retenu de l'oralité ou plus précisément du style oral de cette littérature orale et qui requiert la présence effective d'un sujet.
Nous dirons donc, pour clore notre analyse de ce premier passage, qu'ici, "conter" n'est pas une parole anonyme mais un acte fait de mots dans le temps du temps; c'est un acte itératif grâce auquel son auteur n'est plus jouet-objet du temps, mais sujet . En d'autres termes, "conter" c'est se rendre maître du temps grâce aux mots, c'est échapper à la mort.
Quant au second passage, il nous semble que c'est le mieux indiqué pour illustrer l'activité scripturaire d'un parole conteuse qui prend en charge les événements diégétiques clés de la fin du roman .
Cest en effet la parole contée et conteuse qui, ici, gère le texte, dans le passage de loral à lécrit. La parole conteuse, de la «voix anonyme » (sans indication qui la caractériserait) d'un narrateur non moins anonyme, "conte" la fin de lhistoire d'un des personnages principaux, Mahmoud, selon un schéma syntaxique anaphorique: la formule « on dit que » introductive de plusieurs énoncés du discours de la rumeur, en relation de contiguïté de la fin de la page 276 à la fin de la page 279 (la dernière du roman), et que nous citons fidèlement:
On dit que le train sest arrêté en butant contre laustère du
désert(
)
On dit que dans cette contrée de toutes les hypnoses, de tous les envoûtements, une mystérieuse histoire les attendaient (
).
On dit que les gendarmes (
) coururent limprudence de redescendre (
.).
On prétend quils nétaient pas plus en bas que la tempête de sable se déchaîna (
).
On dit quil en fut ainsi et que mal leur en prit . Quand ils sy montrèrent, le corps ny était plus (
).
On dit que les soupçons se portèrent ensuite sur El Majnoun.
On dit que pour une fois les belliqueux Douï Minaï et leurs farouches ennemis, les Ouled Gerrir, déposèrent leur haine séculaire (
).
On chuchote que, mise au fait de leur projet, Yasmine tient à y participer (
).
Lon conte que du khôl elle farda ses grands yeux (
), guetta linfâme pour, dans leur guet-apens, le faire tomber (
) .
On dit qu'elle l'abandonna (El Majnoun) à ces hommes (
).
On dit qu'à son sommet ( "la dune"), (
) les complaintes de Mahmoud elle a chanté.
On dit que sa voix a sacré cette dune magistrale(
).
On dit qu'en cortège (
) un florilège d'échos étincelants a pulvérisé l'indigo des cieux.
On dit qu'ensuite ses yeux se sont égarés vers les collines du Maroc et que sa bouche a souri comme si elle y avait aperçu Mahmoud.
D'aucuns prétendent que c'est par là que ses errances l'ont menée, suivie du juif Benichou.
On dit que ce dernier (Benichou), d'absinthe lui remplit sa bouteille de parfum et qu'elle en boit toujours (
).
On dit qu'on la surnomme Riha, Parfum, et qu'elle enivre le luth (
).
Certains prétendent que de caravane en caravane, elle a traversé le désert vers la noire source de sa mère (
)
- Ils disent que là ( "la source noire"), dans l'antique Afrique, elle a nourri son chant (
).
- On dit qu'elle va d'amant en amant (
).
- On dit qu'elle s'en console ( de son "mal-être") en arguant qu'elle vit en femme libre (
).
- On dit que tous ses bonheurs sont soudés de douleur (
).
- On murmure même quelle aurait retrouvé son père . »
Chaque événement inhérent au dénouement de l'histoire ( au sens de Gérard Genette ) se présente comme un événement autonome, échappant ainsi à la causalité narrative de la fiction réaliste.
Ainsi, tous sont introduits par la formule «on dit que » relayée par ses équivalents syntaxico-sémantiques comme «On prétend que », «On chuchote que », «Lon conte que », «On murmure que ».
Le rapport de similarité, explicitement posé, entre ces équivalents et le verbe "conter" signifie nettement que les événements de la diégèse sont pris en charge par la parole du conte qui introduit la dimension du merveilleux, de létrange, lirrationnel dans le vraisemblable qui perdure néanmoins (dans le même passage) sous forme d'hypothèses explicatives.
Il en est ainsi de celle qui pourraient justifier de la présence de Mahmoud au Maroc, alors qu'il a été tué par les gendarmes:
" D'aucuns se hasardent même (
) à supposer que Mahmoud n'était peut-être pas mort, qu'après leur départ (celui des gendarmes), il a dû simplement recouvrer ses esprits, vaincre la douleur de sa blessure, se lever et se diriger vers le Maroc tout proche." (p.277).
De cette façon, l'écriture ne procède pas tout simplement à la substitution d'un type de récit (réaliste) par un autre (merveilleux): les deux se disputent le même espace. Là, nous semble-t-il réside, l'intérêt de cette écriture.
Et, cest la parole conteuse, et non la parole du conte, qui a ouvert la fissure par laquelle sest infiltré linsolite, lirrationnel et s'est installée latmosphère détrangeté qui est venu se greffer à lancrage réaliste de lhistoire qui, en devient lui aussi suspect
La définition que propose J.L. Austin de "l'énoncé performatif" nous permet de saisir l'enjeu d'une telle pratique discursive.
Son postulat de base est de considérer que "dire une chose, c'est la faire (
) ou encore, par le fait de dire ou en disant quelque chose, nous faisons quelque chose".
Ce postulat s'applique parfaitement au discours littéraire qui illustre parfaitement l'équivalence du "dire" et du "faire", dans la mesure ou le "faire" est un "dire".
Mais pour une analyse ciblée de notre passage, nous allons nous reporter à la signification que J.L. Austin confère à ce "dire" qui est un "faire".
Ce sont, d'après Austin, des "énonciations performatives", en tant qu'opposées à des "énonciations constatives", ou encore "par souci de brièveté (des) perfomatif(s): ce nom dérive du verbe anglais perform , verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif "action": il indique que produire une énonciation est exécuter une action".
Ainsi, " les énonciations performatives (ou les performatifs) ne sont pas des affirmations vraies ou fausses (des descriptions ou des reportages concernant des faits) ni des non-sens; mais des énonciations visant à faire quelque chose (
)".
A lumière de cette définition, nous pouvons affirmer que les faits de fiction ne se veulent pas une imitation du réel tangible, un "faire semblant", un faux qui prétend être vrai en requérant la "croyance" d'un lecteur, dans une visée mystificatrice (puisque le lecteur "sait bien, mais quand même
).
Ils se donnent pour ce qu'ils sont, ni vrais ni faux, ou tout à la fois car , il importe peu que ce soit vrai ou faux. Ce qui compte cest que la parole du livre circule avec autant d'efficacité que celle du conte.
On en déduit une définition, certes encore sommaire, de l'écriture: écrire c'est comme dire des contes, c'est-à-dire en reprenant des paroles anciennes, libérer le rêve et limaginaire.
c- La gestion scripturaire de la parole conteuse.
En écrivant un roman sur les traces d'un conte, Malika Mokeddem semble occuper, en écriture, le lieu d'énonciation de ces conteurs quon allait écouter autrefois sur les places publiques .
Le texte est en effet tissé par le conte à travers la distribution des éléments du paradigme du verbe « conter » dont nous relevons ici quelques exemples en les soulignant:
P- 64 : Mahmoud se sentit contraint de se justifier en lui « narrant » son rêve .
P- 121 : Ils « vont encore dire » que cest lui qui a fait venir la grêle (
).
P- 122 : Ils ont « même dit » que cest sa malédiction qui a envoyé les sauterelles pour ravager les terres.
P- 127 : Elle (Nedjma) lécoutait. Seuls les feulements du vent, la fureur des eaux accompagnaient de leur musique hallucinée, le « récit murmuré » de Mahmoud.
P- 131 : Durant toute la journée, ils saimèrent et dégustèrent du thé. Ils
« se racontèrent ».
P- 156 : Le soir, il lui « dit des histoires et des contes ».
Un jour, Mahmoud « raconte » à Yasmine la fascinante histoire dune mer démontée, dun terrible coup de vent qui avait paralysé les oiseaux migrateurs.
P- 178 : La veillé, en sirotant un thé, Mahmoud « retrouve son rôle de conteur ».
P- 246 : Parmi tous ces « mythes », il en est un que Mahmoud trouve pour le moins ancré dans la réalité (
) « cette histoire » le « prétend » parti, muni de quelques fusils soulever les femmes nomades du désert contre leurs maris .
Précisons que les conditions dénonciation réglementées du conte dans la tradition orale sont recréées au niveau narratif:
La veillée, en sirotant un thé, Mahmoud retrouve son rôle de conteur, derrière les hommes, les enfants assis en rang, doignons se taisent, subjugués par les histoires de Jeha . Seuls leurs yeux, enfiévrés, brillent dans le noir et reflètent au gré de leurs mouvements, la petite flamme vaillante du quinquet.
Le conte populaire facétieux, dans cet exemple, à travers le personnage de Jeha, commun à de nombreux contes arabo-musulmans - personnage très présent dans l'imaginaire culturel algérien - est transmis par un lettré, en situation comparable à celle de l'auteur.
La narration se fait dans le cadre originel de la tradition orale et de la circulation des contes :
Le cadre de la réunion : la veillée associée au thé, au quinquet
Le répertoire : les histoires de Jeha ou le conte facétieux .
Le narrateur : personne, possédant la faculté ou la vocation narrative du "conteur ".
Le public et sa disposition: hommes, enfants assis en rang doignons .
Les conditions dénonciation des contes, dans la tradition orale, sont réglementées, comme on le sait : elles impliquent des formules narratives stéréotypées, des choix linguistiques et oratoires appropriés et qui contribuent à la dramatisation du récit.
Les conditions dénonciation assurent un rôle essentiel au niveau de l'imaginaire social: contribuer à la constitution d'une vision du monde propre à une société donnée. C'est cette idée qui est entendue à travers l'exemple que nous avons déjà exploité :
« Dans la journée, tout en gardant le troupeau, Mahmoud soccupe de son enseignement, louvre à la poésie. Le soir il lui dit des histoires et des contes ».
Les conditions dénonciation sont ici liées à lorganisation de la journée. Mahmoud soccupe de linitiation de Yasmine à la poésie. Les trois activités vont ensemble : garder le troupeau, enseigner, s'"ouvrir" à la poésie. Limmédiat et nécessaire processus dinitiation / réception, prend ici valeur dacte social et revêt une vocation pédagogique sans que l'on puisse établir si "conter" a un lien direct avec l'"enseignement" ou avec l'ouverture à la poésie.
Il n'en demeure pas moins que la réunion, dans un même contexte spatio-temporel et narratif, de l'enseignement, de la poésie et du conte n'est pas fortuite et suggère, pour le moins, leur association à défaut de leur superposition.
Précisons que ce passage contenant la définition du conte est suivi immédiatement d'une sorte d'exercice pratique, en conformité avec une consigne pédagogique classique qui commande de passer de l'abstrait d'une définition au concret de son illustration. De cette façon le conte est "enseigné", par l'autorité paternelle, sur le plan théorique et pratique:
Un jour, Mahmoud raconte à Yasmine la fascinante histoire dune mer démontée, dun terrible coup de vent qui avait paralysé les oiseaux migrateurs : - Quand j'étais à Tanger, (
) Imagine,, imagine ma fée (
). Un jour, à Tanger, j'ai assisté à une tempête. La pire du siècle, aux dires des riverains qui, avec fureur, adressaient des suppliques au plus souverain des souverains, Allah. (
). Gibraltar avait chaviré (
). Imagine, mon feu
".1
On constate que le texte revient sur la distinction qui avait été établie, dans le passage de la définition, entre le "conte" et l'"histoire", pour proposer une définition de son propre exercice qui n'est en définitive ni l'un ni l'autre, mais une combinaison des deux.
L'implication directe du personnage du père en tant que témoin, l'ancrage spatio-temporel référentiel, la vraisemblance que l'on peut accorder à l'événement de la tempête autorisent l'identification de cette "histoire" à ce que nous pouvons appeler une fiction réaliste.
Mais la nature métaphorique de la description, qui procède à une telle "emphatisation" des effets de la tempête qu'ils en deviennent littéralement "incroyables", l'invitation à fabuler adressée à l'auditrice Yasmine à travers la répétition du verbe "imaginer", la présence de lexèmes appartenant au champ lexico-sémantique du fabuleux (comme "fée") autorisent dans le même temps l'identification de l'"histoire" à un conte merveilleux.
En outre, cet exercice interactif est donc d'abord envisagé du point de vue du locuteur puis de celui de l'allocutaire:
Yasmine frissonne aux mots du père (
). Les mots du père glissent, tombent un par un dans les couches successives de son être (
). Avec sa description, le père vient de donner une image vivante de ses sensations. Son ouragan à elle, c'est le silence. Surgi du néant avec deux brigands, il a saccagé sa solitude, emporté sa mère, naufragé sa sensibilité, paralysé ses mots dans son tréfonds. Ses mots à elle sont ces oiseaux là, fiévreux et impuissants, plumage aux couleurs de larc-en-ciel, ramage ondoyant entre rai et andalou (..). Aussi est-ce avant tout à la sonorité, à la prononciation des mots qu'elle vibre tout entière avec une volupté frustrée.
A travers ce discours au style indirect de Yasmine, est articulée cette "chôra" dont parle Kristeva (et que nous avons déjà citée) pour désigner ce lieu pulsionnel et que seule la modalité de signifiance appelée "sémiotique" peut appréhender. Cette connexion des "mots" du père-conteur au territoire de l'oralité, hétérogène au sens, localisé symboliquement dans le "tréfonds" de l'être, le territoire de l'enfance ( ici saccagé) a été générée par l'identification de la "tempête" à l'"ouragan" intérieur qui secoue Yasmine.
En outre, cette réaction "sensationnelle" a pour origine non pas l'histoire mais ce qui est engagé dans la narration de cette histoire: son oralité, autrement dit son style oral.
C'est en cela que réside la leçon qui se dégage de cet exercice pratique de l'écriture réflexive: "écrire" c'est "conter au style oral", un style dont les mots, au-delà de leur sémantisme, sont envisagés dans leur réalité matérielle de signifiants; car, c'est grâce à cette matérialité, assimilée significativement à de la musique ("raï", "andalou") qu'ils se connectent à la "chôra" et se "chargent" de la subjectivité des sujets qui occupent les deux pôles de la communication interactive: le locuteur et l'allocutaire, Mahmoud et Yasmine mais aussi l'auteur et son lecteur.
Cependant, comme nous l'avons déjà expliqué à propos des auteurs maghrébins en général et de M. Mokeddem en particulier, le territoire d'oralité, qui ne se situe pas du côté du signe ni donc de la signification mais du côté de la signifiance, n'est pas un territoire foncièrement individualiste ( ni dans son être ni dans l'expression de son être), mais foncièrement dialogique, celui de l'échange.
L'échange privilégié, celui qui réalise toujours un consensus et qui a fortement marqué (par son efficacité symbolique) l'imaginaire culturel collectif de la civilisation du Maghreb, qui est une civilisation d'"orature", c'est celui instauré par la tradition orale.
D'ailleurs, dans le cas de Le Siècle des sauterelles, l'histoire-fiction ne convoque pas seulement le conte, en matière de littérature orale.
La parole conteuse prend en charge en même temps que le conte, dautres formes d'expression de la tradition orale, comme l'épopée, la légende, le mythe
, introduisant dans le champ de l'écriture la dimension du fabuleux, du fantastique et de l'étrange qui traverse de part en part le roman.
Effectivement lhistoire fournit au poète épique, par exemple, un cadre narratif malléable, important moins pour les informations quil comporte que par lémotion quil provoque. Lépopée nen est pas moins joie de conter et dentendre conter.
Le long récit d'une vingtaine de pages (p. 115- 137), racontant la traversée de Mahmoud respecte la définition classique de lépopée comme long récit en prose racontant lexploit dun héros légendaire, en donnant un caractère merveilleux à ses actions.
Cependant, il convient de distinguer lépopée comme forme poétique culturellement conditionnée, donc variable, et lépique en tant que classe de discours narratifs, relativement stable, définissable par sa structure temporelle, la position du sujet et une aptitude générale à assumer une charge mythique qui "lautonomise" par rapport à lévénement .
Le récit commence après la fuite de Mahmoud qui réussit à échapper à El Majnoun : Mahmoud a un but à atteindre, la ligne bleue de la montagne, il lutte contre le déchaînement apocalyptique des éléments de la nature qui le forcent à arrêter sa chevauchée et à chercher un refuge .
Cest la rencontre fantastique entre la légende de «lhomme au cheval bai », «venu avec la tempête » et de Nedjma, lesclave noire, nommée Bent El Kebba, puis leur marche jusquau «seuil du désert », leur entêtement à vivre dans lhostilité du désert, leur combat acharné jusqu'à la mort, parfois entrevue, souvent désirée qui dun « doux baiser de délivrance leur fermera les yeux brûlés sur des rêves restés toujours aux limbes de leur vie comme le furent les mirages à leur marche ».
Fondamentalement, lépopée, récit dactions, narre un combat et dégage, parmi ses protagonistes, une figure hors du commun qui, pour ne pas sortir toujours vainqueur de lépreuve, nen suscite pas moins ladmiration.
Ainsi, cest la parole conteuse qui donne une dimension épique à des événements diégétiques et à leur dimension spatio-temporelle :
1) Le déchaînement des éléments naturels.
La traversée épique de Mahmoud reprend les circonstances spatio-temporelles de lépopée, le déchaînement des éléments de la nature et la narration du combat du héros contre ces éléments.
Nous pouvons nous en rendre compte à travers ces quelques exemples:
- Un but à atteindre : la ligne bleue de la montagne dans laquelle il espérait se fondre (
)
Toute la nature donnait létrange sensation de sêtre arc-boutée dans une attente inquiète (
)
On eût dit lavancée, noyée de poussière, de quelque fantastique troupeau de dinosaures (
)
Tout à coup, dévalant la montagne en bramant avec une fureur convulsive, le vent du nord se mit à souffler (
)
Avec des hurlements déments, il amassait des nuées de sauterelles en tornades compactes et, dun souffle rageur, les propulsait au loin .
Au début, couché sur lencolure du cheval, Mahmoud tenta de continuer sa route vers le but assigné (
) Il y eut un vacarme dapocalypse comme si,
ébranlé dans ses fondements, le monde était en train de sécrouler (
) . La nature sembla vaciller, sur le point dêtre charroyée par un déluge boueux .
Trempé et aveuglé par le fouet de la pluie, Mahmoud avançait péniblement . Force lui fut dadmettre quil ne pourrait prolonger plus longtemps sa chevauchée (
) buttant contre le déchaînement de laverse , il se hâta dans cette direction . Cétait une petite mechta crépie de boue .
Lexcès dans la description permet dimprimer au récit une dimension épique :
fantastique troupeau de dinosaures.
fureur convulsive.
hurlements déments.
vacarme dapocalypse.
déluge boueux
et les catastrophes, comme dans toute épopée, ne sont que prétexte pour héroïsme épique. Le héros fut-il en difficulté, écrasé, transcende la mort.
Le récit épique met en jeu, d'une part, comme ici, des forces réputées surhumaines, formes figurales fantasmatiques engendrant la représentation dun univers senti et voulu comme à jamais différent et dautre part, de forces réputées humaines.
Le chant épique narre le combat contre lennemi extérieur au groupe à travers la rencontre idyllique de Nedjma et Mahmoud .
Ce chant cristallise lhostilité et annonce une fin heureuse:
« Dou me vient cette merveilleuse sensation davoir enfin atteint mon but ? (
), comme si la traversée dun pays de sauterelles, écumé par un être démoniaque, navait été quune épreuve obligatoire quil me fallait subir pour mériter la plénitude de cet instant, une nymphe noire mattendait dans un sanctuaire défendu par lultime rempart dune tempête hurlante ».
Les prémonitions du héros participent du schéma narratif de lépopée à travers "l'oracle" du devin:
« Tu es cette étoile qui a éclairé ma fuite en une terrible, terrible ? Non, non, pas ! Une magnifique nuit de tempête hurlante.
Je dois à présent, te révéler la réalité : je suis ce cavalier que tu espérais, même si je nai plus mon cheval bai resté seul prisonnier des gendarmes roumis ».
Lépopée nie le tragique, mais procède par dissémination dindices affectifs et de métaphores lyriques qui confèrent une tonalité triste, pathétique au chant et qui sont également mis à contribution pour marquer le style oral de l'écriture la légende et le mythe de la littérature orale.
La parole conteuse prenant en charge des événements diégétiques permet à des personnages comme El Majnoun dêtre décrit comme un héros de légende.
Le récit légendaire de Mahmoud, « lhomme au cheval bai, qui revient du passé » forge son itinéraire dans son rapport ambigu avec lautre figure légendaire, celle dEl Majnoun le « dément », lhomme qui galope dans lombre de Mahmoud, « Tantôt doté de pouvoirs magiques, tantôt on lui prête les plus maléfiques ».
Le personnage dEl Majnoun, galopant dans lombre de Mahmoud, le précède partout , « essaimant de tous les rêves son chemin », lui changeant à souhait ses desseins. El Majnoun agit dans le but de le faire plier.
Cest donc ce qui est dit d'El Majnoun, personnage irréel, « errant hors des chemins de la raison », qui participe de la construction de sa légende.
En outre, l'espace du désert, dont les signes s'offrent toujours au déchiffrement, inscrit une réalité complexe, insaisissable, dans le texte qui la signifie. Doù le rôle structurel de limaginaire et du mythique dans sa mise en texte.
De plus, la sensibilité du poète errant traduit le drame de celui qui se sent étranger dans un espace qui la pourtant vu grandir: Mohamed, le poète, arpente inlassablement le désert pour fuir le temps:
« Marcher comme écrire. Ecrire le pas des mots, les mots des pas, sur ces seuils hauts, les plateaux, socle du désert ».
Cette fuite, ou plutôt cette errance est aussi une quête, la quête d'un désir: désir de langage, désir d'écriture.
Lambiguïté se dessine à partir du moment où la quête de lespace- refuge devient prétexte à la conquête de lespace mythique du désert, à travers la rencontre de Nedjma, personnage décriture et figure légendaire de la femme aimée.
Ainsi, légende et mythe se greffent à lhistoire pour identifier le désert à un espace déchange et délaboration de discours pluriels. A partir dévénements diégétiques, telle que la rencontre de Mahmoud et Nedjma, la parole conteuse imprime une dimension mythique au texte. La rencontre est ainsi rapportée sur un ton épique . Nous pouvons multiplier les exemples de même nature, mais il nous semble que celui-ci illustre à lui seul, par ce qu'il a convoqué, la prise en charge d'événements diégétiques par la parole conteuse qui leur confère ainsi une envergure épique. Les "fragments de discours amoureux", à caractère pathétique, intégrés au discours épique, contribuent à sa dimension tragique.
« Elle dit :
- Dès ma conception je suis entrée dans lexil de ma peau. Je suis née dans une noire solitude, abandonnée même par ma mère . Avec toi, un peu damour et de tendresse me sauvera du désespoir.
Il dit :
Nedjma, pour que nous soyons deux dans une même solitude, il me faut tinstruire, tinitier à lécriture . Sinon lorsque la vague de la passion nous aura rejetés dans lhabitude, nous nous échouerons loin lun de lautre. Loin dans
lisolement. Nedjma lourde de lindifférence de lautre, la solitude devient insupportable. »
Ainsi, comme dans Don Quichotte de Cervantès, tel qu'analysé par Sushana Felman, Le Siècle des sauterelles "met à jour un désir qui lui même est en soi déjà langage, texte écrit par les livres. La gageure est de vivre le romanesque, de tenir la promesse des livres » . A travers la folie Don Quichottesque de Mahmoud, Le Siècle des sauterelles dramatise sa propre lecture, se déchiffre comme désir de lui même : « Il me faut retrouver le seul territoire salutaire, mon seul refuge, lécriture ».
La quête de Mahmoud, quête dun territoire salutaire, quête décriture sincarne dans la rencontre de Nedjma, personnage mourant de ne pouvoir faire coïncider lordre des mots avec lordre des choses. Nedjma, la femme aimée, lesclave «sans filiation véritable », finit par être rencontrée pour disparaître. Le discours mythique sénonce dans labsence des digressions et des scènes descriptives, au profit du seul récit des faits qui se succèdent pour tenter de remonter au temps primordial, temps fabuleux des commencements. Nedjma, « la fille de la chienne », raconte l'histoire du bébé noir gardé par une chienne, trouvé près dune source, quune esclave allaitera, autrement dit sa propre légende:
« (
) Non, non ne t'étonne pas. C'est mon nom et mon prénom! (
) Quel besoin de filiation véritable pour une vie vouée tout entière à l'abjection et à l'humiliation? Les esclaves, ils viennent tous de ténèbres maudits. (
). Ils n'ont pas d'histoire. Ils n'ont ni racine, ni espoir. Ils ne sont que ce noir ».
La dimension légendaire de Nedjma est d'autant plus affirmée qu'elle est greffée sur une absence d'identité civile, une non reconnaissance d'un statut social quelconque ; condition qu'elle partage avec la communauté noire des esclaves qui errent ainsi en marge de la société.
De cette façon, la parole conteuse, usant de la modalité d'une tradition orale autour de laquelle s'est réalisé un fondement collectif consensuel, va introduire le refoulé de l'histoire sociale que nul discours historique n'a encore enregistré: la condition d'esclave. Ainsi, l'oralité de la parole conteuse ne se départit pas de sa valeur de transgression.
En outre, comme le conte, la légende et le mythe génèrent leur propre théorie dans des énoncés métalinguistiques:
- « Crois-tu, dit Mahmoud à Nedjma, que cet homme, ce cavalier au cheval bai, ne soit vraiment quune légende ?
- Oh ! Que non. Comme lon ne peut pas revenir de la mort, non plus. Il ne sait doù il vient ni quel est son but. Quoi quil en soit, cest un homme très fort ou complètement fou. Le reste nest que besoin de mythes et légendes qui tiennent les hommes debout.
Parce que nous ne tenons debout que par nos mythes et nos légendes ?
Oui. La vie elle-même nest quun mythe fait dillusions plus ou moins grandes, selon les individus, La seule vérité est donc la mort.(
) Le songe est le plus vital des mensonges ».
Le texte (à travers ses personnages), en même temps qu'il définit le mythe et la légende comme "songe"- "mensonge", leur reconnaît une fonction pratico-sociale indispensable à la vie de l'homme.
Au regard de la présence de cette définition de la tradition orale dans un texte littéraire, nous sommes autorisé à penser qu'elle vaut également pour ce texte: la littérature orale , par ses mythes et légendes, serait aussi vitale à l'homme que la littérature qui s'y ressource. Comme c'est le cas pour Le Siècle des sauterelles. Cette conclusion est à verser au dossier de la conception mokeddémienne de l'écriture.
Rappelons que Le Siècle des sauterelles génère deux récits, avec deux voix, la voix narrative extra-diégétique prenant en charge le récit historique (événements diégétiques), et la « parole » conteuse celui traduisant « ce temps fabuleux des commencements », cest à dire le récit mythique.
Ainsi, la rencontre diégétique entre Mahmoud et Nedjma est prise en charge par la parole conteuse sur un ton épique, dans un long récit en prose de style métaphorique, où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à lhistoire, pour célébrer les deux héros, tandis que la rencontre entre Mahmoud et le juif Benichou est relatée par le narrateur extra-diégétique, et incarne le niveau privilégié ici, la fiction réaliste qui porte lintérêt sur lévénement raconté:
Invités par Meftah en sa demeure, Benichou et Mahmoud se rencontrent le soir même. Benichou raconte à Mahmoud ses deux entrevues avec sa fille, langoisse de celle-ci devient la prison, son étrange requête, les propres justifications de Khadidja .
Cette rencontre entre Mahmoud et le juif Benichou, personnage adjuvant important pour la suite du parcours narratif de Mahmoud et de sa fille Yasmine, appartient à l'univers de la fiction réaliste et sa narration respecte l'enchaînement rationnel de cause à effet des événements diégétiques. Par conséquent, malgré l'emprunt du roman à diverses formes d'expression de la littérature orale, le conte, l'épopée, le mythe, la légende, la suprématie de la fiction réaliste est incontestable. C'est elle qui en dernière instance organise le signifié narratif, qui occupe une place importante dans le texte:
Je vais téclairer en te contant non pas une légende mais la véritable version des faits. Il lui narre sa famille expropriée, son père mort avant sa naissance, sa mère, son séjour au Caire, son retour
et puis El-Majnoun et sa longue fuite jusquà elle.
Le mythe ne renie pas son origine: Mahmoud explique les racines réelles (sur le plan de la fiction) des figures légendaires du texte. Mais il ne renie pas non plus sa nature : la parole conteuse prend en charge la dimension du fantastique identifiée à sa formule introductive « on dit que » de la voix anonyme, dune parole fermant laccès à la recherche de la véracité des faits:
Ebranlé, Mahmoud pensa à cette prodigieuse spirale de songes fantastiquement entremêlés, son rêve dincendie, celui dEl Majnoun grugeant le sien, essaimant de tous les rêves son chemin. Enfin, les envies dévasion de cette jeune femme emprisonnée dans sa négritude dabord, dans sa condition de femme ensuite .
Le réalisme de la fiction nempêche pas, à travers sa convocation de la littérature orale, de créer son propre style oral. Ce style se caractérise par l'oscillation du texte entre le pôle métonymique de la fiction réaliste et le pôle métaphorique du récit de la parole conteuse. Cette oscillation permet au sujet d'écriture d'échapper à l'aphasie qui a symboliquement frappé Yasmine. C'est ce qui est donné à lire en texte à travers la définition du "mot" par le narrateur extra-diégétique, à la fin du roman:
Les mots ne sont ici que plaintes élégiaques, quodes dérisoires pour conjurer les sortilèges du silence et les oraisons des vents. Et les odyssées de limagination qui, tous mythes allumés, labourent la lumière, parcourent furieusement le désert, ne sont que fallacieuses marches quand le corps est contraint à sa plus grande terreur, limmobilité. Faut-il croire ce que racontent ceux des ksours, alors quil ne sont eux-mêmes que contes et mirages de regs brûlants?
En conclusion, nous pensons pouvoir dire, que Le Siècle des sauterelles étant à la fois une fiction réaliste, enracinée dans l'HISTOIRE, et le discours d'une parole conteuse, contente à la fois le lecteur amateur d'écriture romanesque classique et le lecteur amateur de poésie qui imbibe la littérature orale et qui travaille l'écriture française de Malika Mokeddem. Il n'est que de relire la citation de Nedjma, à propos des "esclaves" :
"Ils n'ont pas d'histoire, ni racine, ni espoir. Ils ne sont que ce noir " pour se convaincre de la tentation poétique de l'écriture à l'équilibre des rimes et sonorités de ce "vers".
Nous pouvons dire aussi que les textes de Malika Mokeddem ne font pas seulement référence à lopposition binaire masculin / féminin mais à une écriture parmi dautres qui rend compte, bien quen utilisant une langue standard, des imbrications linguistiques et culturelles en contestant la forme canonique.
Lauteur, comme le souligne Christiane Achour : « ne posant jamais la question de lauthenticité comprise au sens de pureté par rapport à une source unique ancestrale, cette oralité fondatrice a son prolongement dans la voix de linstitutrice qui introduit à la lecture et à dautres histoires, dont la voix de la radio qui informe de lhistoire du pays en train de se faire (
).3
III- Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.
1- Le nomadisme des mots.
Nous partons de lidée que les uvres de Malika Mokeddem, selon le principe de la marche des nomades qui, en arrivant à un point darrivée, doivent le quitter pour un autre point, sont des haltes qui se relaient, jouissant chacune dune autonomie, mais se relayant et se réinventant dans ce déplacement. Cest « lentre-deux » de ces différentes haltes qui prend toute sa consistance à la manière de la vie du conteur dont les bornes de ses contes « marquent le relais vers dautres contes ».
Il ny a donc pas darrivée pour le conteur dans cet espace interminable comme pour les protagonistes de Malika Mokeddem dans lespace ouvert qui leur offre des possibilités daller et de retour entre passé et présent. Ce « seuil » est selon Bachelard « un lieu de départ et darrivée ».
Si nous nous référons à la notion deleuzienne de Déterritorialisation, le nomade peut être appelé le Déterritorialisé par excellence, car contrairement au sédentaire qui « a un rapport avec la terre médiatisé par autre chose, régime de propriété, appareil détat
Pour le nomade, au contraire, cest la déterritorialisation qui constitue le rapport à la terre, si bien quil reterritorialise sur la déterritorialisation même. Cest la terre qui de déterritorialise elle-même, de telle manière que le nomade y trouve un territoire ».
La terre, nous disent Gilles Deleuze et Félix Guattari cesse dêtre terre, et tend à devenir simple sol ou support ».
Cest dans ce désert algérien que lécriture de Malika Mokeddem prend sa source. Lauteur est née le 5 octobre 1949 à Kenadsa, dans louest du désert algérien. Le père dabord nomade sur les hauts plateaux, devient sédentaire par contrainte socio-économique.
« Je suis née et jai grandi dans le désert algérien. Jhabitais hors de mon village, une maison adossée à une dune, face à des étendues mornes, infinies ».
Ce nest pas un hasard si le désert occupe une place privilégiée dans les romans de Malika Mokeddem car loin de se limiter à nêtre quun objet métonymique, il en constitue le lieu de départ métaphorique dune écriture qui retrace le lieu identitaire de lécrivaine. Le désert échappe aux clichés exotiques habituels et reste intimement lié à la trame narrative de ses récits.
Le désert forme selon Najib Redouane « la caractéristique distinctive et primordiale du monde imaginaire de lécrivaine qui uvre à la réconciliation de lêtre avec son passé, ses racines et son histoire ».
Dans Les Hommes qui marchent, Zohra, forcée à la sédentarisation survit en poursuivant sa marche dans ses contes. Elle sadonne au « nomadisme des mots »1pour raconter le désert jusquà ce quelle devienne le désert : « Zohra était le désert ».
Malika Mokeddem marche sur les traces de ses ancêtres qui ont sillonné le désert. Son désir despace, de liberté, aussi bien le désert que la mer dans NZid, son sixième roman où le désert est remplacé par des espaces aquatiques et son nomadisme, sabreuve à cette figure-source, conteuse analphabète qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte, sa grand-mère. Cest donc par les contes que Zohra revit son nomadisme.
Le conteur est un nomade mais un nomade de mots. Deleuze et Guattari voient le nomade, selon Michelle Bacholle, « comme cet individu qui rejette lespace strié, colonisé, civilisé, et qui cultive la déterritorialisation, qui fait le désert autant que le désert le fait et qui invente le nomadisme comme réponse à ce défi de déterritorialisation".
Zohra, dans Les Hommes qui marchent, donne sa définition du conteur :
[
] sachez quun conteur est un être fantastique.[
] Il trafique sa propre histoire, la refaçonne entre ses rêves et les perditions de la réalité. Il nexiste que dans cet entre-deux. Un « entre » sans cesse déplacé. Toujours réinventé.
Dans Le Siècle des sauterelles, Mahmoud et Yasmine parcourent certes, un désert « métonymique », le désert réel, lieu de tous les dangers mais surtout un désert « métaphorique » intériorisé, le désert de limaginaire, source décriture.
Yasmine devenue muette suite à lassassinat de sa mère, une descendante desclaves africains, écrit sur le sable qui devient à la fois le support et la source décriture. Dans LInterdite, Sultana qui revient sur les lieux de son enfance, réalise que le désert est incorporé en elle.
« Je naurai jamais cru pouvoir revenir dans cette région. Et pourtant, je nen suis jamais vraiment partie. Jai seulement incorporé le désert et linconsolable dans mon corps déplacé. Ils mont scindée ».
Au niveau de lespace représenté, lexpérience émotionnelle de lespace obsessionnel du désert devient pré-texte aux mots. Le texte introduit le lieu privilégié de la fiction qui prolongerait dans quelque origine lointaine.
Le désert savère être un point de départ à une véritable quête textuelle dun phénomène insaisissable, toujours hors datteinte. Les personnages Mokedemmiens cherchent à retrouver leur seul territoire salutaire, leur seul refuge : lécriture. Dans ce sens, le désert savère être, comme nous le verrons, la métaphore par excellence de lécriture.
2- Suspension narrative et Projet romanesque en suspens.
Sur le plan de lécriture, il nous semble intéressant dapprécier les modalités mises en place pour ouvrir le texte sur dautres espaces, sur plusieurs possibilités grâce à la non-clôture du récit et aux suspensions narratives dont use lauteur. Les nombreux méta-récits dans la préparation du projet narratif permettent de préparer la mise en place du véritable territoire-refuge des protagonistes : celui de lécriture.
Les protagonistes de Malika Mokeddem en quête perpétuelle deux-mêmes sont des êtres errants obéissant à la loi du non-retour. Les espaces traversés et balisés par les allers et retours sortent du schéma classique dune écriture réaliste où litinéraire du personnage épouse sa quête au niveau narratif.
Nomade du désert ou nomade des eaux, comme dans NZid, le manque de clôture du récit reste une constante de lécriture Mokedemmienne où la fin du texte ouvre sur un autre texte en préparation, vers dautres ouvertures romanesques.
Le manque de clôture à la fin de chaque roman et louverture à lerrance infinie qui fait exister les protagonistes nous permet de dire que le texte de Mokeddem fonctionne à la manière dune borne marquant le relais vers dautres textes.
La suspension narrative caractérisant chaque excipit semble être une constante chez Mokeddem qui ouvre ses textes vers dautres espaces, dautres possibilités permettant la mobilité de ses personnages, voir leur survie. Il y a nécessité de raconter le désert par les mots pour survivre comme le dit Zohra la conteuse : « Limmobilité du sédentaire, cest la mort qui ma saisie par les pieds. Elle ma dépossédé de ma quête. Maintenant, il ne me reste plus que le nomadisme des mots ».
Limmobilité est fatale pour lauteur comme pour les nomades de sa race. Les siens dispersés et éclatés par la sédentarisation revivent par le conte.
Zohra dans Les Hommes qui marchent a commencé à raconter la généalogie de la famille à partir du moment où ses pieds ne foulaient plus les itinéraires nomades dans le désert : elle raconte contre loubli et la mort. La rupture viendra de Djelloul Ajalli surnommé Bouhaloufa, qui, voulant arrêter son errance pour apprendre à lire et à écrire, fut banni de la tribu.
Les fragments discursifs éparpillés à travers tout le texte mokeddemien semblent incorporer le récit de lécriture comme récit sinstallant dans des espaces « lisses » au sens deleuzien pour qui « (
) lespace sédentaire est strié , par des murs, des clôtures et des chemins entre des clôtures, tandis que lespace nomade est lisse, seulement marqué par des « traits » qui seffacent et se déplacent avec le trajet (
) Le nomade se distribue dans un espace lisse, il occupe, il habite, il tient cet espace, et cest là son principe territorial ».
Le sud, espace du désert, du nomadisme, des rêves, libère limaginaire. Les sédentaires sont mal perçus par les nomades : « curieux personnages que ceux qui vivent entre deux murs», dautant plus quil y a au nord la présence de loccupant français.
Sur le plan de lécriture, limmobilité est fatale pour les personnages de Malika Mokeddem. Les nomades dispersés et éclatés par la sédentarisation sont ressuscités par le conte, car conter cest : « échapper à linstant. Cest refuser de nêtre jamais quune borne de sa course. Conter, cest le saisir en plein ce temps. Cest le déplier en éventail de mots ».
Se préoccuper du temps est une « servitude de sédentaires » qui « mettent tout en chiffres, même la vie ». Dans ce Néant quest le Sahara, « le temps nest que lune des métaphores de la survie des gens ». Saisir le temps pour le déplier en éventail de mots.
La perception du temps et de lespace des protagonistes de Malika Mokeddem, en quête perpétuelle, permet de mettre en place le topos idéal où shéberge le patrimoine de la mémoire nomade à travers une écriture-territoire dexil, à lexemple de beaucoup décrivaines comme Assia Djebar ou Leïla Sebbar.
Le discours réflexif sur le conte ou sa théorie fait partie de lénonciation de la fiction. Cest le temps que lon remplit de mots. Conter, « cest le déplier (le temps) en éventail de mots ». Le temps est évalué en tant que durée de mots. Ce qui amène une réflexion sur la machine narrative de Malika Mokeddem qui revient sur lerrance des « hommes qui marchent » avant leur installation dans des espaces médiateurs entre la mobilité et la sédentarité : les ksours, à lexemple de Nour dans La Nuit de la lézarde.
Zohra dans Les Hommes qui marchent a commencé à raconter la généalogie de sa famille à partir du moment où ses pieds ne foulaient plus les itinéraires nomades dans le désert. Elle raconte contre loubli et la mort.
CONCLUSIONConclusion
Il est vrai quil peut sembler inopportun disoler la littérature de femmes algériennes de lensemble de la littérature algérienne de langue française de la décennie des années quatre-vingt dix, que cette littérature soit luvre dauteurs hommes ou dauteurs femmes.
Il est bien entendu que nous nentendions pas isoler la question de lécriture féminine dans le sens où lécriture concerne de la même manière les hommes et les femmes.
Cependant, il est permis de dire que les femmes rendent compte, dans leur manière denvisager lécriture, de leurs conditions de vie dans une société essentiellement dominées par les hommes. Ecrire, cest aussi essayer de sortir des mots de ce monde masculin dominant, de se redécouvrir avec lélaboration de son propre langage, dêtre inévitablement dans la transgression pour se faire entendre.
Ces voix, tout en affirmant leur présence sur la scène littéraire inscrivent les bouleversements sociaux et historiques que connaît leur pays, à lexemple de la décennie tragique qui marque incontestablement un tournant quant à la présence de nouvelles voix féminines, de nouvelles formes décriture, dès lors, où, selon Odile Casenave :
« Ce qui était considéré jusualors du domaine du privé est passé dans la sphère publique. Dans un deuxième temps, la parole sest faite plus agressive, plus revendicatrice sous un mode dauto-représentation toujours plus élaboré. »
En fait, nous nous étions fondé sur une appréhension tout à fait empirique du phénomène dans le sens où le contexte socio-politique des années quatre-vingt dix a sa littérature sans forcément avoir sa critique.
Des auteurs, hommes ou femmes, comme Aziz Chouaki, Aïssa Khelladi, Abdelkader Djemaï,Latifa Ben Mansour MalikaMokeddem, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, , Hawa Djabali, Maïssa Bey, Malika Ryane, Hafsa Zinaï Koudil, etc., sont autant de noms qui sinscrivent dans une littérature liée au contexte socio-politique des années quatre-vingt dix. Ces auteurs restent représentatifs dune génération décrivains, la troisième pourrait-on dire, et dune écriture, celle de la violence et de la peur.
Cette littérature explicitement connectée à un contexte violent a quand même bénéficié des faveurs de la presse, algérienne et étrangère. Des interviews décrivains, des compte-rendu de livres sy rapportant et ce, dès leur parution. Cependant, il est à souligner que la valeur littéraire de ces textes a été souvent, soit oubliée, soit « mise en veilleuse » au profit de leur valeur de « témoignage-dénonciation ». Les journalistes sappliquant à mettre en exergue ladéquation entre les faits fictifs et les faits historiques.
Les spasmes de lHistoire et les malheureux événements doctobre 1988 avec la décennie noire qui leur a succédé ont engagé la littérature dans le sillage de lécriture du témoignage, de lurgence et de la violence. Cette écriture très diversifiée est souvent virulente à lexemple de Aïssa Khelladi dans Rose dabîme, de Yasmina Khadra dans Les agneaux du seigneur ou de Aziz Chouaki dans Létoile dAlger.
Il nous semble dailleurs tout à fait significatif que la plupart de ces écrivaines et écrivains sont journalistes de profession, et que leur premier organe dexpression ou décriture a dabord été la presse libre de laprès octobre 1988. Nous pouvons citer, à ce titre, le nom de lun des co-fondateurs de la création de la revue Algérie-Littérature/Action, Aïssa Khelladi qui était journaliste avant danimer la revue. Le premier numéro de cette revue dont lobjectif consigné dans son éditorial est de « faire connaître et promouvoir la littérature algérienne actuelle » a été lancé en mai 1996, en France. La revue qui ne se définit pas comme une revue littéraire spécialisée mais comme espace pour de jeunes auteurs algériens, devient durant la décennie noire, une sorte de tribune dont les différentes rubriques, pourtant très diverses, gardent un centre dintérêt commun : lactualité algérienne marquée par la violence terroriste.
A des initiatives aussi marquantes que la diffusion de cette revue oscillant entre critique journalistique et critique littéraire universitaire, vient sajouter loffensive des média audiovisuels qui vont contribuer, surtout en France, à la médiatisation de cette littérature en rapport toujours avec son contexte socio-historique.
Au-delà du fait quon attribue spécifiquement la notion décriture de lurgence, de témoignage, à cette littérature qui obéit à la nécessité de dire vite, très vite même, une Algérie meurtrie, sans chercher à y déceler les écritures émergentes, des écritures qui tiendront la route grâce à leurs qualités esthétiques, nous prenons le « risque » dy rajouter un corpus qui constitue, selon nous, un paradigme, celui des écritures de femmes algériennes de langue française, dont il nest pas facile, au-delà de leur valeur de « témoignage et de dénonciation », nous le reconnaissons, den cerner facilement les spécificités, sur le plan de lécriture.
Cest cette prolifération décritures de femmes, cette occupation «soudaine » et majeure de la scène littéraire par les femmes qui nous a impressionné et qui a attiré notre attention. Certaines se sont fait connaître par la célèbre et exhaustive revue Algérie Littérature / Action, comme Ghania Hammadou, Maïssa Bey, Hawa Djabali, Malika Ryane, dautres ont été éditées par des maisons dédition connues, comme Malika Mokeddem, Latifa Ben Mansour, ou Hafsa Zinaï Koudil.
Comme la masculine, lécriture féminine est diffusée en France surtout où elle est éditée, cest une littérature expatriée de la même manière que ses auteurs, comme vouée à lexil pour voir le jour. Cette littérature féminine très présente et pertinente surtout, dit aussi la violence, lexclusion, la mémoire historique, en tant que littérature connectée à un référent tragique. Cependant, la question était de savoir si cette littérature pouvait constituer un corpus à interroger avec le recul nécessaire à sa circonscription en tant quobjet détude, et si ce corpus pouvait constituer une entité singulière, à partir du moment où la différence sexuelle de lécrivain(e) est mise en avant. Le postulat qui sous-tend donc notre démarche est que ce corpus pouvait constituer une entité singulière, autrement dit un paradigme dont il faut cerner les spécificités.
Aussi, cest lensemble des uvres littéraires de femmes algériennes des années quatre-vingt dix, qui, au départ, retiennent notre attention. Cependant, des auteurs, émergeant sur la scène littéraire algérienne et qui, au-delà de leur valeur de « témoignage dune tragédie », vont simposer, non seulement grâce à leur valeur littéraire, mais aussi grâce à un contenu « subversif » de par le contexte culturel fortement marqué par lautorité patriarcale soutenue par le discours religieux, à lexemple de Malika Mokeddem.
Luvre de Malika Mokeddem qui comporte sept récits - dans le sens où le terme récit permet de lier fiction et récits autobiographiques- et deux récits ouvertement autobiographiques : La Transe des insoumis et Mes Hommes, est marquée par le contexte sociopolitique des années post-indépendance aggravé par les événements tragiques des années quatre-vingt dix.
Le dernier roman, Je dois tout à ton oubli, que nous navons pas exploité, étant donné les perspectives de recherche que nous nous étions fixées avant la parution du roman, explore un peu plus les méandres de lenfance à travers lobsession du souvenir dune scène d'une violence absolue : « La main de la mère qui saisit un oreiller blanc, lapplique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie ».Cette image occultée depuis l'enfance va entraîner Selma dans son désert natal et lui faire revivre des moments qu'elle voulait oublier. Ainsi, le prétexte du retour à son désert natal comme dans LInterdite, suite à la mort de son ami Yacine, est en fait le prétexte, pré-texte, à une mise en question de la relation à sa mère et à son père tel que confirmé dans ses deux autobiographies.
Dans la conclusion de notre thèse de Magister sur La conception de lécriture dans luvre de Malika Mokeddem : Le Siècle des sauterelles, Il nous avait apparu intéressant de questionner « cette poussée notable des écrivains femmes algériennes depuis les années 80-90. Des écrivains comme Malika Mokeddem, de Hawa Djabali et dautres sur les traces de Assia Djebbar et de Leila Sebbar, ne cessent de résister au silence, à la voix dominante qui leur intime lordre de se taire tout en érigeant cette attitude en vérité féminine ».
Nous avions aussi souligné que, « après lapparition de la violence, ces écrivaines privées du nécessaire retrait et de la solitude qui requiert lacte décrire, ont été lancées dans la tourmente par le témoignage et la dénonciation » et que les questionnements à propos de cette littérature « féminine » restaient nombreuses. Nous nous sommes posé la question de savoir sil sagissait « dune nouvelle écriture typiquement féminine ou dune dynamique récente née dans la douleur et les larmes de la décennie 90 ? ».
Notre projet qui était dinterroger le discours littéraire dun roman comme Le Siècle des sauterelles pour y lire linscription dun sujet culturel, donc collectif, nous a orienté, vers dautres pistes de lecture qui prennent en charge, dans le présent travail, une uvre qui « vacille » entre « urgence », immédiateté et « création » (médiation esthétique). Cette tension entre réalité et poétique reflète parfaitement le parcours décriture de Malika Mokeddem dans le passage de romans de conteuse, à la réaction aux événements sanglants en Algérie dans LInterdite et Des Rêves et des Assassins,en passant par La Nuit de la lézarde, qui constitue, selon nous, le roman de la médiation entre réalité et poétique avant que paraisse NZid, roman de la mémoire, reprenant un mythe de lantiquité (lOdyssée) mais sinscrivant parfaitement dans la réalité algérienne contemporaine de lauteur. La volonté daller un peu plus en avant dans un rapport intime, en tant que femme, avec la réalité, lamène à entamer son cycle autobiographique avec La Transe des insoumis et Mes Hommes.
Dune façon générale, les textes de Malika Mokeddem, quel que soit le genre adopté, ont tendance à déconstruire une identité fixe. Dans la Poétique au féminin de lauteur, le discours sur une identité hybride, marquée par la notion deleuzienne de rhizome, et par la notion de divers de Edouard Glissant, apparaît de pair avec lactivité créatrice, lécriture, comme nous avons essayé de le montrer.
Lespace dune écriture de femme est lagent qui permet de déconstruire les structures qui agissent au stade du symbolique selon la terminologie de Bourdieu. Dans un contexte culturel marqué par lautorité patriarcale et religieuse, lécriture devient le lieu dune reconstruction dune identité marquée par lappartenance sexuelle.
Dans cette optique, notre intention, derrière le rappel de la saga des écritures de femmes algériennes jusquaux années 90, est de mettre en relief loriginalité dune femme écrivaine ayant commencé à écrire dès lapparition des prémices de la tragédie algérienne, parallèlement à dautres écritures féminines qui apparaissent en nombre durant cette décennie. Ce qui nous semblait singulier, chez Malika Mokeddem, se résume en sa capacité à échapper à une écriture de simple témoignage, alors que son projet narratif porte en lui tous les ingrédients référentiels de sa culture et de son époque : la rigidité de la culture arabo-musulmane, lécole qui constitue la planche de salut, loralité de sa grand-mère dans laquelle elle puise son inspiration et son courage, ses études de médecine, la montée de lintégrisme, lexil.
Parler dune Poétique au féminin singulier revient à mettre le doigt sur la spécificité et la modernité de lécriture de Malika Mokeddem qui occupe une place privilégiée sur le plan de la diégèse, et ce, aussi bien à lintérieur de ses récits de fiction que sur le plan extradiégétique. Le lecteur constate, que contrairement aux récits ayant émergé pendant cette période, et qui privilégient la narration des faits, Malika Mokeddem reste obsédée par une réflexion sur lécriture qui occupe, dailleurs, la plupart de ses personnages de fiction, jusquà devenir la voix en off de lécrivaine. Cest en ce sens que, de notre point de vue, le rapport ludique à la langue, affiché par le texte, est un paramètre pertinent d'analyse. Comparable à celui des écrivains comme Mohammed Dib ou Kateb Yacine, ce rapport nous permet d'entrer véritablement en littérature, une littérature où la langue dominée, nest plus un conditionnement mais un instrument dexploration où toute forme de censure de limaginaire est bannie. La fascination pour lécrit, « ces caractères inertes » dans une société nomade, société doralité, est à luvre dans toute luvre de Malika Mokeddem pour montrer le pouvoir salvateur des mots.
Cette écriture, comme nous avons essayé de le montrer, porte les traces dune oralité héritée de son origine nomade. La fascination pour lécrit, « ces caractères inertes » dans une société nomade, société doralité, est à luvre dans toute luvre de Malika Mokeddem pour montrer le pouvoir salvateur des mots.
Les nombreuses dichotomies telles oralité/écriture (sur laquelle nous avons insisté), monde précolonial/colonialisme, tradition/modernité, tradition arabo-musulmane/réalité française, sont représentées par des femmes dans un rapport de métissage et de sororité. Lécriture dans une langue étrangère permet laffirmation de laltérité :
Et puis cest une langue étrangère, traversière, qui ma cueillie dès lenfance pour me frotter à laltérité. Cest la langue de lAutre qui est devenue lintime. Cest elle qui a pallié les carences de la langue de lenfance.
De la langue maternelle, elle ne garde que le verbe flamboyant de sa grand-mère. Envoutement pour les mots, pour le conte, legs passé à Zohra puis à sa petite fille, Leïla, dans Les Hommes qui marchent, à Mahmoud le poète puis à Yasmine sa fille muette à qui il a transmis lamour des mots et lécriture dans Le Siècle des sauterelles.
Au vu de la production romanesque de Malika Mokeddem qui recèle une immense information sociale et politique que le lecteur peut clairement identifier. Son pari dexister singulièrement comme écriture a bel et bien été tenu, à travers un projet littéraire qui tient dans une ligne de conduite claire et lisible, celle décrire en français, dans la langue de lautre, ce qui nest pas possible à beaucoup de femmes algériennes daujourdhui de dire sur la tragédie algérienne. Malika Mokeddem ne ressent aucunement comme problématique lutilisation du français, langue par laquelle passe la nécessaire revendication dune identité.
La voix (voie) rebelle qui sest élevée pour crier sa colère contre un système oppressant qui laisse des traces au plus profond des individualités a trouvé sa récompense dans plusieurs prix décernés à ses romans, ainsi que dans la traduction de plusieurs de ses romans dans plusieurs langues.
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Op. cit. p. 7.
Charles Bonn, « Paysages litéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin », in Charles Bonn et Farida Boualit (s. la dir.), op cit., p.8.
Ibid.
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Carles Bonn, Najib Redouane, Yvette Bénayoun-Szmidt, Algérie : nouvelles écritures, LHarmattan, Paris, 2001, p.14.
Ibid.
Ibid. , p. 15.
Susan Ireland, « Les voix de la résistance au féminin : Assia Djebar, Maïssa Bey et Hafsa Zinaï-Koudil », in Carles Bonn, Najib Redouane, Yvette Bénayoun-Szmidt, Algérie : nouvelles écritures, LHarmattan, Paris, 2001, p. 51.
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Op. , p. 15.
Benjamin Stora, La Guerre invisible, Algérie, années 90, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2001, p. 11.
Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner dune tragédie ?,Op. , p. 33.
Ibid.
Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner dune tragédie ? Op. ,cit. , p.7.
Ibid, p. 7.
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Idem. , p. 36.
Ibid.
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Ibib.
Noûn, Algériennes dans lécriture, op. cit. , p. 23.
J. Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Khartala, 1994. P. 9.
Ibid., p.7.
Ibid.
Ibid., p.9.
Ibid., p. 10.
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Op. cit., p. 14.
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Paroles de M.M, citées daprès Christiane Achour et Lalia Kerfa in Malika Mokeddem envers et contre tout, sous la dir de Yolande Aline Helm, Helm, op.cit., p22.
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Gérard Genette, Figures III, seuil, 1972. Litératif pour Genette, est ce type de récit, où une seule émission narrative assure lensemble plusieurs occurrences du même événement ».
Nous soulignons toutes les formules citées dans ce passage
Le Siècle des sauterelles, op., p. 277.
Quand dire cest faire, Seuil, 1970, pour la version française.
idem, P.47
Idem
Idem., p.p , 41- 42
Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.178
Idem, p. 156.
1 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p. 156.
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Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.127.
Ibid.
Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.114.
Idem, p. 131.
Sushana.Felman, La folie et la chose littéraire, Paris, Seuil ,1978.
Le Siècle des sauterelles, op.cit. , p. 114.
Idem, p. 123.
Idem, p. 126.
Idem, p. 237.
Idem, p. 127.
Idem, p. 126.
Réflexion faite en référence aux travaux de Roman Jakobson, "Deux aspects du langage et deux types d'aphasie" in Essais de linguistique générale, Minuit, Paris,1963.
Le Siècle des sauterelles, op.cit. , p. 279.
3 C. Achour, La matière contique dans lécriture de Malika Mokeddem, Confluences XIX, « écritures de femmes : la problématique du dedans et du dehors », articles réunis par Corinne Alexandre- Garner, Univ. De ParisX- Nanterre ? Publédix, 2001.
M. Bacholle, op.cit.p.70
. Bachelard, La poétique de lespace, 3ème ed. Paris, Presses Universitaires de France, 1994
Mille Plateaux, op.cit., p. 473.
Mille Plateaux, po.cit., p. 473.
C.Achour, Noûn- Algériennes dans lécriture,Op.cit.P.174.
Najib Redouane, Malika Mokedem, op.cit., p.23.
Les Hommes qui marchent, p. 11.
1 M. Bacholle, « Ecrits sur le sable : Le désert chez Malika Mokeddem », in Malika Mokeddem : Envers et contre tout (sous la direction de Yolande Aline Helm), LHarmattan, Paris, 2000, p.70.
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, Paris, Les Editions de Minuit, p.472.
Le Siècle des sauterelles, op.cit., p.12.
M. Mokeddem, Linterdite, Grasset, Paris, 1993, p. 11.
Les Hommes qui marchent, op.cit., p. 11.
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, op.cit., p.472.
Les Hommes qui marchent, p. 17.
Le Siècle des sauterelles, p. 276.
Les Hommes qui marchent, p. 10.
Ibid.
Ibid.
Odile Casenave, Femmes rebelles- Naissance dun nouveau roman africain au féminin, LHarmattan, 1996, p. 13.
Je dois tout à ton oubli, op.cit., p. 11.
Thèse de Magister soutenue par Nasser BENAMARA, La conception de lécriture dans luvre de Malika Mokeddem : Le Siècle des sauterelles, sous la direction de Farida Boualit, Université de Béjaia, sept 2000.
Ibid, p. 193.
Ibid.
Ibid.
La Transe des insoumis, p. 219.
Les Hommes qui marchent a obtenu en France le prix Littré et le prix collectif du festival du premier roman de Chambéry. En Algérie, le prix de la fondation Nourredine ABA. Son second roman, Le Siècle des sauterelles, a été récompensé par le prix Afrique Méditerranée/Maghreb de lADELF ( Association des écrivains de langue française) en novembre 1992. Puis LInterdite avec la mention spéciale du jury Fémina en 1993.