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SOMMAIRE - cultures-algerie

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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

UNIVERSITE ABDERAHMANE MIRA – BEJAIA
FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES
ECOLE DOCTORALE DE FRANÇAIS



THESE DE D O C T O R A T

Option : Sciences des textes littéraires


Pratiques d’écritures de femmes algériennes des années 90 
Cas de Malika Mokkedem







Soutenue par :

M. BENAMARA Nasser

Directeurs de recherche :

Professeur BOUALIT Farida,
Université A/ Mira, Béjaia

Dr. CALLE-GRUBER Mireille
Université Paris 3






JUIN 2010
-SOMMAIRE-
Introduction……………………………………………………………………………1

Chapitre 1 : Ecritures de femmes ou écriture féminine : Etat de la question…..23

I – Ecrire au féminin et lire au masculin
1. Les écrivains et les écrivaines dans l’espace social algérien………………. 24
2. La posture du lecteur masculin……………………………………………..26
3. L’écriture au féminin : une « contre littérature »……………………………30

II – Ecriture féminine ou écritures de femmes ?
1.Théorisation et approche universitaire de l’écriture-femme et/ou écriture féminine……………………………………………………………………………….37
2. Poétique de la différence sexuelle………………………………………….41
3. Le concept d’écriture féminine……………………………………………..45
4. Des écritures de femmes algériennes………………………………………..53

Chapitre 2 : Ecritures de femmes algériennes depuis leur apparition jusqu’aux années quatre-vingt……………………………………………………………..60

I – Sur la critique de la littérature féminine algérienne.
1. Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne…………………………………………………………………...61
2. L’apport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie…………………………………………………………...65

II – Les romancières étrangères ayant écrit sur l’Algérie : dans la lancée du féminisme
1. Sur le féminisme…………………………………………………………... 67
2. Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme……. 70
3. Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale……………………………………………………………………………... 73

III – Premiers pas.
1. Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche, du côté du roman……….77
2. Assia Djebar ou la résistance de l’écriture………………………………….79
3. A l’ombre d’Assia Djebar…………………………………………………...84

IV – Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles.
1. De la subversion formelle au « référentiel »………………………………...87
2. Métissage et mixité : l’exemple de Leïla Sebbar……………………………89

Chapitre 3 : Les écritures de femmes algériennes dans le contexte des années 90 : le contexte de l’urgence……………………………………………………93

I – Un contexte de violence, une écriture de l’urgence.
1. Un contexte de violence…………………………………………………….93
2. Une profusion de textes écrits par des femmes……………………………..98
3. Rendre compte d’urgence d’une situation par la littérature………………101
4. Plumes conjoncturelles : témoigner d’une tragédie………………………..106
II – La dimension du tragique.
1. Une tragédie au présent…………………………………………………... 108
2. Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort…………..111
3. Une structure tragique : le resserrement de l’espace et du temps………….113
4. Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation…………….119

III – L’exemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem.
1. Maïssa Bey : Au commencement était la mer……………………………...121
2. Malika Mokeddem…………………………………………………………123

IV – Ecritures confirmées : Au cœur de la tragédie.
1. Assia Djebar……………………………………………………………….129
2. Hawa Djabali………………………………………………………………133

Chapitre 4 : L’écriture de Malika Mokeddem : une écriture de femme sur la femme………………………………………………………………………... 138

I – Parcours d’une écriture et écriture d’un parcours.
1. Transgression par l’écriture………………………………………………..139
2. Pour une transgression des genres biologique et grammatical : l’exemple de L’Interdite……………………………………………………………………………………..148
3. La métaphore de la « greffe »……………………………………………...150

II – La fiction menée de front avec le récit autobiographique.
1. Un parcours singulier................................................................................... 157
2. La figure de l’aïeule ou la « scène primitive » d’une œuvre à caractère autobiographique…………………………………………………………………… 161
III – Pratiques autobiographiques.
1. Sur l’autobiographie……………………………………………………… 167
2. Du « féminin pluriel » au « féminin singulier »………………………….. 171
3. Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout………. ……………... 174
IV – La parenthèse d’une écriture de l’urgence.
1. Rêves interdits et assassins………………………………………………...195
2. Ecrire la tragédie à distance………………………………………………..200

Chapitre 5 : L’écriture de Malika Mokeddem : une poétique au féminin singulier……………………………………………………………………….203
I – Poétique du Divers et identité en devenir.
1. Pour une Poétique du divers……………………………………………….204
2. Rupture avec une définition identitaire par l’origine………………………207
3. L’écriture d’un lieu de type « rhizome »…………………………………..216
II – La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de l’écriture.
1. Le recours à l’oralité du conte ou l’écriture en procès…………………….228
2. De la confusion entre « style oral » et « style parlé »……………………...230
3. Le Souffle Irrésistible Du Conte……………………………………………….235
III – Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.
1. Le nomadisme des mots………………………………………………………...261
2. Suspension narrative et Projet romanesque en suspens……………………...264
Conclusion…………………………………………………………………….267
Bibliographie………………………………………………………………….276





INTRODUCTION




Introduction


La critique, dans son ensemble converge vers le fait que la littérature algérienne de langue française des années quatre vingt-dix, écrite par des hommes ou des femmes, se caractérise par une profusion de productions littéraires. Ces productions, dans leur diversité, se caractérisent par ce que Charles Bonn, dans Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner d’une tragédie ? désigne par « retour du référent », « retour du réel » déjà perceptible à partir des années 80.

La littérature féminine algérienne limitée, à ses débuts, à quelques noms de pionnières, à l’exemple de Djamila Debêche, des Amrouche, et de Assia Djebar, fut assez lente à émerger.
Il faudra attendre les années 80 pour constater une percée des écritures féminines. Cette production, selon Bouba Mohammedi-Tabti de l’université d’Alger, enseignant-chercheur sur les littératures contemporaines de langue française « offre un large éventail allant des écritures stéréotypées d’écrivaines criant leur message à des œuvres beaucoup plus achevées. Parfois, en effet, les romans sont plus préoccupés d’information, de témoignage que de réelle recherche et de création. » 
La percée constatée dans les années 80 prendra de l’ampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence. On assistera à une véritable explosion de textes produits aussi bien par des écrivaines confirmées que par de nouvelles écrivaines qui entameront une œuvre abondante en quelques années.
Notre hypothèse de recherche est qu’il existe un lien, dont la nature reste à démontrer entre ces écritures de femmes algériennes de langue français et le contexte tragique des années 90.
Cerner ce lien nous permettra de montrer que ces œuvres peuvent constituer un objet d’étude en tant que paradigme ayant une caractéristique littéraire spécifique.
Les éléments qui ont autorisé cette hypothèse sont la profusion de ces productions et le contexte d’émergence de ces productions.

La profusion des productions de langue française de femmes algériennes 
C’est en constatant que ces productions thématisaient le contexte des années quatre vingt-dix, s’inscrivaient dans ce contexte, et traitaient de ce contexte que nous déduisons cette détermination dans la relation entre les œuvres de femmes et le contexte tragique.
Beaucoup de critiques littéraires et journalistiques s’intéressant à la production littéraire de cette période ont relevé une profusion d’ouvrages écrits durant cette décennie, tous genres confondus, écrits par des femmes ou par des hommes, tel que le constate ou Ghania Hamadou, dans le Préambule à l’ouvrage de Rachid Mokhtari, :
 « Au plus fort de la crise, la plus terrible qu’ait connu leur pays depuis la fin de la colonisation française, des Algériens, dont rien dans l’itinéraire ne laissait supposer pour les lettres, se sont mis à écrire, investissant un espace où seulement quelques auteurs avaient réussi, en dépit des fourches caudines de la censure de l’Etat, à s’imposer. »
Dans ce sens, Rachid Mokhtari parle d’une cinquantaine d’ouvrages, écrits par des hommes ou des femmes, et ayant été publiés entre 1993 et 1997 alors que dans Noûn, Algériennes dans l’écriture, Christiane Achour répertorie soixante-dix œuvres de femmes publiées entre 1990 et 1998, et en ne comptabilisant, de 1947- date de la première œuvre en français- à 1990, que cent vingt œuvres éditées, tous genres confondus.
Abondant dans le sens que nous défendons, à savoir, l’émergence de ces écritures de femmes qui ne se limite pas au seul fait de la littérature, Christiane Achour remarque que 
« La place que les femmes prennent sur le devant de la scène, au début des années 90, n’est, bien entendu, pas le fait de la seule littérature. Mais la littérature est présente aussi et on peut constater une manifestation de leur présence dans ces genres où elles éditaient peu. »
Cette profusion de voix féminines telle que nous la considérons dans sa dimension groupale, reste liée à contexte tragique. Ce que confirme, dans un essai consacré à ce qui est appelée la tragédie algérienne, Benjamin Stora :
« De nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans l’aventure de l’écriture, à partir du conflit qui déchire leur pays. »
L’historien affirme par ailleurs, chiffre à l’appui, cette profusion d’écritures de femmes algériennes :
« De 1992 à 1999, trente-cinq femmes algériennes ont fait paraître quarante ouvrages, en langue française, à propos des années infernales ».
Ce chiffre relatif aux ouvrages écrits par des femmes apparaît relativement élevé lorsque Benjamin Stora précise le nombre total des auteurs, hommes et femmes confondus, ayant écrit sur ces « années infernales ».
« Il existe, en tout, prés d’une cinquantaine d’auteurs algériens qui ont publié au moins un ouvrage sur cette séquence »
Abondant dans le même sens que notre point de départ, à propos de ce lien qui existerait entre ces écritures de femmes algériennes de langue française et le contexte tragique des années 90, Susan Ireland parle de :
« L’émergence d’une série de textes écrits par des algériennes et qui ont comme sujet la situation actuelle en Algérie.»

Notons que la critique universitaire n’a abordé cette littérature des années quatre vingt-dix qu’occasionnellement, lors de colloques à l’instar de celui portant sur les « Littératures algériennes contemporaines » depuis la fin des années quatre-vingt, tenu à Toronto en 1999 avec la présence d’écrivains ( Abdelkader Djemaï, Malika Mokeddem, Réda Bensmaïa et Alek Baylee Toumi). Cependant  un colloque, tenu dans le cadre d’une convention interuniversitaire (Université d’Alger/Université de Villetaneuse), sous le titre Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ? » a retenu notre attention. Les actes de ce colloque, sous la direction de Charles Bonn et Farida Boualit, ont étés publiés chez L’Harmattan en 1999. L’ouvrage questionne les relations qu’entretiennent les œuvres de cette décennie avec leur référent historique. « La tragédie » du référent et son témoignage par le biais de l’écriture est au centre des préoccupations des différentes communications.
 

L’état des lieux de cette littérature faite par Charles Bonn sous le titre « Paysages littéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin » fait ressortir l’importance de la parole littéraire, qui « grâce peut-être à son aspect dérisoire, est probablement le seul lieu où l’innommable risque d’entrevoir un sens, qui permettra de vivre malgré tout. »
Ainsi, cette production littéraire, selon Charles Bonn, « ne peut ignorer la quotidienneté de l’horreur en Algérie. Plus encore : cette horreur quotidienne va nécessairement développer une écriture différente. »
La signification de cette littérature raccrochée, certes à l’actualité sanglante du pays, peut s’expliquer aussi « par l’évolution littéraire de l’ensemble de la littérature maghrébine, dans la décennie qui suit l’attribution du prix Goncourt au Marocain Tahar Ben Jelloun en 1987. »
Charles Bonn avance que dans les années quatre-vingt, la période de la génération des « monstres sacrés » (Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni…) s’achève puisque les auteurs n’écrivent plus ou écrivent des textes différents.
La fin des années quatre-vingt entrant dans le postcolonialisme littéraire, en rupture définitive avec le mythe de l’origine, marquerait la fin relative dans la littérature maghrébine, d’une écriture iconoclaste, tant sur le plan de la forme que du contenu. La primauté de la subversion formelle sur celle des thèmes n’est plus de mise, à l’exemple des textes circonstanciels comme FIS de la haine, ou de Lettres algériennes et de romans liés directement au contexte du jour, comme Timimoun et de La Vie à l’endroit  de Rachid Boudjedra.
Ainsi, « le référentiel prend le pas sur l’élaboration littéraire »  selon Charles Bonn, à l’exemple de nouveaux écrivains comme Abdelkader Djemaï dans Un été de cendres, « une chronique mi-réelle mi romancée de la quotidienneté d’Alger en période de terrorisme », où la banalité de l’horreur reste le thème majeur.

Chez les auteurs confirmés, Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et l’autobiographie d’une mémoire collective pour dérouler la longue procession des morts, directement nommés. Dissémination de textes d’où toute fiction est à présent exclue dans Le Blanc de l’Algérie.
Selon Mireille Calle-Gruber « L’écrivain ( Assia Djebar) n’aura jamais collé d’aussi près à l’actualité (fait divers, fait privé, fait politique) et cependant jamais elle n’aura cessé de se tenir au cœur de la langue de poésie. »
Dans l’introduction au recueil d’études issu d’un colloque international sur les littératures algériennes tenu à Toronto en 1999: « Algérie : nouvelles écritures », Charles Bonn, Najib Redouane et Yvette Bénayoun-Szmidt, pour donner « un sens à ces textes surgis de l’horreur et collant davantage à ce référent qu’à une cohérence discursive ou littéraire » parlent d’écritures de « résistance », un concept qui caractériserait « le surgissement depuis une vingtaine d’années d’écritures féminines en Algérie, ou à propos de l’Algérie ». Les femmes, concernées en premier lieu dans leur quotidien par la violence, émergent en nombre en répondant à l’attente d’un public qui participe de ce retour du contexte de violence. La question est posée de savoir si ces écritures féminines avaient, peut-être, « davantage vocation que des écritures masculines, à ‘‘coller’’ à l’épaisseur d’un vécu quotidien, trivial ou intime, que les lecteurs ‘‘post-modernes’’ recherchent davantage maintenant que la subversion formelle qui caractérisait les ‘‘monstres sacrés’’ à la virilité scripturale exacerbée des années soixante-dix. »
Ces écritures féminines sont appréhendées par groupes et constituent un objet d’étude en tant que paradigme avec des caractéristiques littéraires spécifiques, à l’exemple de « Les voix de la résistance au féminin » regroupant trois voix féminines Assia Djebar, Maïssa Bey et Hafsa Zinaï-Koudil dans leur rapport à l’actualité sanglante, ou de cet ensemble d’écrivaines qualifiées d’ « écrivaines de l’autre rive », composé de Malika Mokeddem, Leïla Merouane et Latifa Benmansour, dont, « la violence du quotidien qu’elles décrivent repose grandement sur une occultation de la mémoire, collective ou culturelle, dans la constitution faussée d’une identité nationale usurpée, essentiellement virile, d’où les voix des femmes comme celle de l’histoire ou des cultures multiples de l’espace algérien ont été grandement bannies » selon Charles Bonn, Najib Redouane et Yvette Bénayoun-Szmidt


Le Contexte d’émergence de ces productions.

Nous commencerons par affirmer, en nous fondant sur une appréhension tout à fait empirique du phénomène, que le contexte des années quatre vingt-dix a sa littérature: une littérature « connectée » principalement sur la tragédie du référent, même si une querelle sémantique persiste quant à la dénomination de cette « crise ».
Benjamin Stora nous rappelle que « les perpétuelles hésitations pour caractériser le conflit, les batailles de mots autour de cette terrible situation traduisent bien un désarroi devant le réel. »
Les termes de « guerre », « guerre civile », « événements », « terrorisme », « tragédie », « drame », « malédiction », selon les différents points de vue des protagonistes de ce conflit meurtrier, montrent les difficultés qui peuvent surgir dans la définition de ce que nous appelons « contexte de violence », le contexte sociopolitique des années quatre-vingt dix.
Farida Boualit relève que « Il ne fait aucun doute que la thèse de la tragédie s’est fortement imposée sur la scène internationale », alors qu’il n’en est pas de même du concept de ‘‘ crise’’ beaucoup plus utilisé dans des «contextes spécialisés  ».  Le recours à cette notion de ‘‘tragédie’’ permet, selon Farida Boualit de « placer la question de la situation historique de l’Algérie sous le signe prédominant d’un pathos : celui de la ‘‘douleur’’, de la ‘‘souffrance’’d’un sujet qui en est victime. »
L’historien de la littérature a constaté la relation de concrescence entre cette littérature prolifique des années 90 et le contexte socio-historique de l’Algérie de cette période. L’une des raisons qui confirme cela est que cette littérature du référent s’est considérablement atténuée à la fin de la décennie quatre vingt-dix qui a connu une relative diminution de la violence.
Charles Bonn note que « la barbarie qui secoue le pays ne s’y est pas trompée, qui commença par choisir pour cibles les créateurs » en citant « le premier de cette longue série noire (que) fut Tahar Djaout » Il rajoutera plus loin que « malgré cet environnement parfois terrifiant, et peut-être en relation directe avec lui, la production littéraire continue et se renouvelle. Mais elle ne peut ignorer le contexte politique ou tout simplement la quotidienneté de l’horreur en Algérie». 

Cependant, le point de vue que nous défendons est que ces écritures de femmes se caractérisent davantage que les écritures masculines par leur présentation du référent, par leur rapport à l’actualité sanglante, à travers une représentation non pas mécaniste de la société dans l’œuvre, mais une « création », une reproduction, et c’est là que réside, à notre sens, l’intérêt de ces œuvres dans le processus de la production de sens.
C’est ce discours littéraire féminin, certes, marqué par un contexte tragique, nourri d’un référent, celui de l’Algérie d’aujourd’hui, celui que Domenach appelle : « le matériau ordinaire de la tragédie (…), la souffrance, le deuil, les larmes » qui nous interpelle.
La question, qui, inévitablement nous interpelle dans ce contexte de crise des années 90, a trait au choix entre une écriture répondant à l’urgence d’une situation exceptionnelle poussant d’ailleurs même des femmes à écrire sans aucune prétention littéraire, sentant la nécessité de témoigner et de dénoncer, sans le retrait nécessaire dans un acte de création, et une écriture qui met en avant la médiation esthétique par-dessus-tout. .
Farida Boualit dans La littérature algérienne des années 90 : « Témoigner d’une tragédie » note d’abord que « La nécessité d’écriture d’urgence a été lancée par les écrivains algériens eux-mêmes pour mettre l’accent sur la concomitance des faits et de leur écriture, autrement dit l’exigence est de faire coïncider dans le temps le réel et la fiction ».. Elle conclura plus loin sur cette notion « d’écriture d’urgence » pour retenir « qu’il se dessine une stratégie scripturaire qui plaide pour le souci de la responsabilité morale : l’écriture a pour finalité de conjurer la mort en sauvant la mémoire »
L’urgence est ainsi associée à la « hâte », tel que l’explique Farida Boualit : « l’écriture de l’urgence draine dans sa mémoire le sème de prématurité. L’écriture serait cet acte réalisé dans un rythme d’une excessive rapidité, empêchant le contrôle et donc « bâclé » ; danger d’autant plus menaçant que les écrivains en sont en majorité à leur premier livre, publié sans le concours des grandes maisons d’édition. »   

De même, sur cette prolifération d’écrivaines du témoignage et de la dénonciation, durant cette décennie, Christiane Achour note que « la période de turbulences et de violences que traverse l’Algérie a eu une incidence certaine sur les productions. Celles qui étaient dans la création ont été privées du nécessaire retrait et de la solitude que requiert l’acte d’écrire et ont été lancées dans la tourmente, par le témoignage et la dénonciation».
Aussi, toujours selon Christiane Achour, « l’écriture des femmes (…) est prise dans une  ‘‘urgence’’  qui ralentit son épanouissement serein et prospectif. »
Elle fera remarquer que « cette précipitation de l’Histoire acculant la créatrice ‘‘dos au mur’’ à dire le sang et les flammes de sa terre a, sans doute aussi, des effets bénéfiques puisqu’il révèle certains talents et incite un plus grand nombre à écrire. »
Ainsi, le terme « d’urgence », selon Achour, réintroduit les textesautres que littéraires, alors que le terme de création les exclut.
En d’autres termes, il y aurait une situation exceptionnelle, le contexte tragique des années quatre vingt-dix, qui aurait poussé des femmes à prendre la plume sans pour autant parler d’écrivains.
Christiane Achour précisera ce terme « d’urgence » de la manière suivante : « Il ne s’agit pas d’écriture bâclée, élaborée dans la superficialité. Urgence, c’est l’obligation où se trouve l’Algérienne de dire et de témoigner. »
Beaucoup d’écrivains s’interrogent sur ce « dit » de l’urgence tout en se questionnant sur la légitimité sur la « greffe » de l’esthétique sur le tragique à l’exemple d’Assia Djebar qui continue à écrire sans que le tragique du réel, plus destructeur pour les femmes que pour les hommes ne diminue de sa verve créatrice :
« Qu’est-ce qui a guidé ma pulsion de continuer, si gratuitement, si inutilement, le récit des peurs, des effrois, saisis sur les lèvres de mes sœurs alarmées, expatriées ou en constant danger ».. 

La recherche d’une vérité de la forme, semble être le souci premier d’une écrivaine comme Assia Djebar. Il ne s’agit pas de « faire du beau » par-dessus du drame, mais de mettre en avant la médiation esthétique sur tout autre « vérité ».
Pour la critique journalistique, le rôle de la littérature dans un tel contexte est, avant tout, de témoigner d’une tragédie, l’intrigue littéraire ne devant être qu’un « prétexte » pour faire passer le message.
Ainsi ,dans un article sur Des Rêves et des assassins de Malika Mokeddem, roman dédié au dramaturge algérien Abdelkader Alloula et au-delà, aux innombrables victimes du drame algérien, le journaliste algérien Hakim Sadek va jusqu’à refuser qu’un écrivain algérien reconnu puisse écrire sur autre chose que l’actualité sanglante de son pays :
« Car c’est bien ce drame aux dimensions de nos prodigieux espoirs d’hier, que la romancière a placé au cœur d’une intrigue littéraire qui n’en est que le prétexte. Comment s’en étonner à un moment où il paraîtrait presque indécent d’exiger d’un écrivain digne de ce nom, qu’il puise ses sujets dans des sources autres que l’actualité désolante d’une Algérie meurtrie dans son âme et sa chair ? Que serait une littérature algérienne – et qu’importe ici la langue – qui ne s’imposerait pas, d’abord, le devoir de témoigner. ».

Dans ce sens, il est vrai que les thématiques développées restent liées de très près à l’actualité, en prise directe avec le réel, un réel inconnu jusque là, un réel déstabilisateur. C’est en cela que ces écrits, au-delà, parfois, de leur qualité littéraire, peuvent être appréhendés en tant que documents de témoignage de leur temps et de la société qui les a impulsés.


- Plumes reconnues, Plumes émergentes, Plumes conjoncturelles.

Le regard posé sur la réalité algérienne par les femmes écrivains, dans cette production romanesque des années quatre-vingt dix, se veut lucide en inscrivant une vraisemblance suggestive, réaliste, afin de dénoncer le paroxysme de la violence en Algérie, au présent, tout en en dénonçant la déstabilisation annoncée avant le déclenchement de cette violence.
Cependant,  parmi ces voix féminines, certaines n’étant pas forcément destinées à une carrière littéraire, ou n’ayant jamais pensé à se lancer dans l’écriture, ont écrit en réponse au contexte socio-historique tragique. C’est cette conjoncture de violence qui a poussé ces femmes à prendre la parole sans que la nécessité par la suite, une fois la violence atténuée, s’en soit fait de nouveau sentir. Epuisement de la matière dans le cas de ces écritures de témoignage centrées sur le référent, chroniques d’une Algérie déstabilisée, où la violence, à l’égard de la femme, objet de discours de ségrégation et d’exclusion au début du conflit, est des plus atroces ?
Ces textes sont appréhendés comme objet d’étude en tant que paradigme ayant des caractéristiques littéraires spécifiques, à savoir une littérature répondant à l’urgence du moment pour témoigner d’une tragédie, à travers une réécriture du tragique, réécriture « au service », dirons nous, d’un témoignage qui constitue la priorité de ces nouvelles écritures qui émergent en nombre dont nous citerons, pêle-mêle, Fériel Assima, Malika Ryane, Latifa Ben Mansour, Soumya Ammar Khodja, Salima Ghezali, Malika Boussouf, Leïla Marouane, Leïla Hammoutene, Nayla Imaksen, , Fatiah, Nina Hayet, Zineb Labidi, Ghania Hammadou.
Cette littérature de l’urgence surgit dans un paysage littéraire marqué par la présence de plumes reconnues, à savoir : Assia Djebar, la « doyenne » des femmes écrivains algériennes, Yamina Mechakra, , Hawa Djabali,, Leïla Sebbar. Il est à remarquer que les femmes écrivains ayant entamé leur carrière littéraire, bien avant les années quatre-vingt dix, ne sont pas pour autant appréhendées par la critique comme écritures confirmées, à l’exemple de Hafsa Zinaï Koudil, qui « rejoint » ces écritures du témoignage dans Sans Voix, alors que parmi ces écritures de témoignages souvent inégaux et éphémères qui se multiplient, des femmes écrivains de grande valeur s'affirment, à l’exemple de Malika Mokeddem Maïssa Bey, et, tout en étant parfois difficilement « classables », Nina Bouraoui ou Leïla Sebbar.

- Pourquoi Malika Mokeddem ?
Une écrivaine algérienne des années quatre-vingt dix, Malika Mokeddem, qui dit « l’intranquillité » qui s’est manifestée très tôt chez elle, va suivre un cheminement particulier, bercée par l’oralité de sa grand-mère, une nomade sédentarisée, et structurée, par les livres, jusqu’à la rébellion, la fuite, l’exercice de la médecine en France, puis l’écriture. Elle sera vite rattrapée par la tragédie algérienne. Elle n’aura que les mots pour résister :

« Je noircis des pages de cahier, d’une écriture rageuse. Sans ces salves de mots, la violence du pays, le désespoir de la séparation m’auraient explosée, pulvérisée(…) Je fais partie de ceux qui, cloués à une page ou un écran, répondent par des diatribes au délabrement de la vie, aux folies des couteaux, aux transes des kalachnikovs(…) Certes, j’ai toujours eu des cahiers près du lit pour noter les mots qui, après des heures passées à se dérober, à résister, surgissent impromptus dans l’insomnie. »

Dans ces écritures de femmes algériennes, la perte de sens devant l’horreur et par l’horreur, provoque, paradoxalement, chez certaines écrivaines, l’espoir d’une littérature, d’un art, d’une esthétique de résistance, seuls alternatifs à la violence, à l’exemple de Malika Mokeddem .  
En effet, le risque de tomber dans la banalisation de l’horreur est grand sans création littéraire véritable, sans médiation symbolique nécessitant retrait, distance, et solitude. La postface de Dib à Qui se souvient de la mer? est là pour nous le rappeler. 

« Comment faire afin que tout ce qu’il y a à dire puisse être encore entendu et ne soit pas absorbé par cette immense nuée démoniaque qui plane au dessus du monde depuis tant d’années, ne se dissolve pas dans l’enfer de banalité dont l’horreur a su s’entourer et nous entourer ? ».

Il est indéniable qu’une partie de l’œuvre de Malika Mokeddem s’inscrit dans  cette problématique d’une écriture de l’urgence dans le contexte des années quatre-vingt dix, principalement dans deux de ses romans : L’Interdite et Des Rêves et des assassins, parus respectivement en 1993 et en 1995, et à un degré moindre dans La nuit de la lézarde un texte qui se veut « serein », qui se démarque du texte contestataire, un texte où la violence persiste, mais à travers « le souffle d’une tragédie qui se joue loin de leur désert ».
Dans cette deuxième phase de son parcours d’écriture, Malika Mokeddem s’engage à dire la violence de l’Algérie postcoloniale et dénoncer la vision idéologique de l’intégrisme, source première de cette violence.
L’Interdite, tout en condamnant les violences intégristes n’en souligne pas moins les liens existant entre la montée de l’intégrisme comme situation sociopolitique conjoncturelle qui n’est que la partie visible de l’iceberg et une société patriarcale où les références à la tradition de l’Islam historique (la Sunna) et l’obéissance à des traditions coutumières ( al’ a’dat ) règlent la conduite de la femme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base d’équilibre de la famille musulmane
Des Rêves et des assassins peut être lu comme le roman d’un combat entre le rêve, comme dépassement du réel, ne s’accomplissant que par l’écriture, et la violence, incarnée par des assassins intégristes qui dénient ce droit au rêve des femmes libres. Le titre, Des Rêves et des assassins, qui donne à lire l’interdiction de rêver, peut être lu en écho au titre du roman L’Interdite.
Cependant, la motivation au niveau de l’écriture chez Malika Mokeddem est à situer sur un autre plan quant aux autres textes parus avant et après ces deux romans, sur l’ensemble de l’œuvre constituée de neuf ouvrages.
Cela ne sera que justice rendue dans le sens où la critique, des deux côtés de la Méditerranée, ne semble pas exigeante quant à la valeur esthétique de ces écrits de femmes en donnant la priorité au témoignage social par rapport à l’acte de création littéraire
L’œuvre de Malika Mokeddem, à notre sens, reflète parfaitement cette tension entre « urgence » (immédiateté) et « création » (médiation esthétique) à laquelle correspondrait la relation entre le « politique » et le « poétique », entre « réalité » et « fiction ».
Cette écrivaine des années 90, Malika Mokeddem, dans un itinéraire singulier, entame un « combat » littéraire pour ne pas sombrer dans l’insignifiant de l’horreur. Le réel « brut » investi tel quel, dans L’Interdite et dans Des Rêves et des assassins, reste une étape transitoire dans un parcours où se dégage deux états que l’on pourrait classer en romans de conteuse et en romans où l’acte autobiographique, intimement lié à son parcours personnel, apparait comme une exigence d’écriture, exigence, qui, jusqu’à son dernier roman, reste de mise pour mieux « coller à l’épaisseur d’un vécu quotidien, trivial ou intime, que les lecteurs post-modernes recherchent davantage maintenant que la subversion formelle qui caractérisait les monstres sacrés à la virilité scripturale exacerbée des années soixante-dix », tel que le souligne Charles Bonn, Najib Redouane et YvetteBénaoun-Smidt dans leur introduction aux actes du colloque « Algérie : nouvelles écritures. 
Malika Mokeddem prend conscience de la nécessité d’une certaine distanciation dans l’écriture, pour ne pas tomber dans le piège d’une écriture de l’urgence qui place bien évidemment la tragédie algérienne au centre de ses préoccupations, « pour ne plus exister comme seule représentation de la barbarie ou comme sujet générateur de peine et de douleur venues du pays lointain »  selon le point de vue de Najib Redouane.
Ce que confirme l’auteur dans le cadre d’un projet de collection d’ouvrages aux éditions La Source, intitulé « Autour des écrivains maghrébins », lancé à Toronto en 1999, projet consistant en la constitution de monographies d’auteurs sous forme d’ouvrage collectif :
« (Mes) deux premiers romans sont ceux d’une conteuse. Mais, à partir du moment où les assassinats ont commencé en Algérie, je n’ai plus pu écrire de cette façon- là. Mes deux premiers livres, L’interdite et Des rêves et des assassins, sont des livres d’urgence, ceux de la femme d’aujourd’hui rattrapée par les drames de l’histoire… Maintenant, après mûre réflexion, je me dis que je ne laisserai pas cette tragédie m’aliéner non plus ! Que continuer à n’écrire que sur ce thème là, ce serait apporter de l’eau au moulin des médias occidentaux qui ne disent plus de ce pays que la barbarie. Ce serait une injustice supplémentaire infligée à un peuple qui résiste malgré tout et, malgré tout retrouvera un jour sa joie de vivre ».

Malika Mokeddem, sans négliger l’importance du témoignage et sa fonction de médiation, va valoriser, après la réaction, dans l’urgence, aux événements sanglants en Algérie, dans L’Interdite et dans Des Rêves et des assassins, une écriture plus poétique, à l’image de La Nuit de la lézarde où elle emprunte une nouvelle piste, l’allégorie. Il est, par ailleurs, aisé de constater que d’un ouvrage à l’autre, l’auteur « tisse » l’image du moi en mêlant divers registres et genres en mettant en place une poétique qui transcende les limites génériques, en passant du pamphlet à la narration, de la fiction à l’autobiographie assumée de La Transe des insoumis et de Mes Hommes. Auparavant, dans ses deux premiers romans, Le Siècle des sauterelles, et à un degré moindre, Les Hommes qui marchent, l’auteur s’est attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française, de par ses origines nomades.
Ce qui nous a interpellé, en tant que lecteur, c’est d’abord l’omniprésence de cette matière de l’oralité contique inscrite dans la trame romanesque, et ensuite et surtout, cette volonté de s’approprier les formes d’énonciation de l’oralité dans le passage en texte de la tradition orale à l’oralité.

Par ailleurs, pour Malika Mokeddem, écrire, pratiquer l’écriture est une donnée existentielle.

« Ecrire, noircir le blanc cadavéreux du papier, c’est gagner une page de vie, c’est reprendre un empan de souffle à l’angoisse, c’est retrouver par-dessus le trouble et le désarroi, un pointillé d’espoir. L’écriture  est le nomadisme de mon esprit sur le désert de mes manques, sur les pistes sans autre issue de la nostalgie, sur les traces d’une enfance que je n’ai jamais eue ».

C’est cette foi dans l’écriture comme pratique existentielle recelant une immense information sociale et politique, comme pari à exister comme écriture, mais aussi comme tentative esthétique nouvelle d’inscrire ce qu’elle est dans sa société, en tant que femme, dans un processus de transformation de la tradition orale et écrite sans jamais tomber dans le mimétisme, qui nous interpelle.
C’est cette liberté de création contre le ressassement de la même histoire des femmes toujours recommencée que revendique Malika Mokeddem, la liberté d’exprimer véritablement ce que les femmes ont emprisonné en elles, la chance pour la littérature de s'enrichir d'imaginaires inédits.
Aussi, l’une des tâches de ce travail, est de montrer une femme écrivain qui résiste « envers et contre tout », et dont l’univers romanesque concordant souvent avec sa propre biographie, se distingue dans la littérature algérienne de langue française, des années quatre-vingt dix, par une écriture singulière, une poétique au féminin singulier. Une œuvre singulière dans le sens où les schèmes traditionnels de la représentation sont interrogés de manière originale jusqu’à bousculer l’ordre symbolique, étape nécessaire dans la revendication d’une identité et d’une subjectivité féminines, à travers une prise de parole autobiographique mais où le caractère fictif, sous-tend tout le projet romanesque d’une « nomade », en quête de liberté.

Avant d’aborder le projet « poélitique » de l’auteur, où la recherche d’une forme, d’une vérité de la forme où le politique et le poétique restent liés, nous nous questionnerons dans notre premier chapitre intitulé « Ecriture de femmes ou écriture féminine : état de la question » sur les notions même d’«écriture féminine » et d’«écriture de femme », pour ensuite faire une halte dans notre second chapitre sur les « Productions littéraires des femmes algériennes », et cerner ainsi, dans notre troisième chapitre, ce qui caractérise les « Ecritures de femmes algériennes dans le contexte des années quatre-vingt dix ». Le quatrième chapitre « L’écriture de Malika Mokeddem : une écriture de femme sur la femme» mettra en évidence ce qui semble marquer la production littéraire de Malika Mokeddem comme une écriture de femme dont le sujet principal reste la femme, dans le sens où on part du principe qu’il existerait des constantes formelles et thématiques de cette écriture, tel que l’annonçait déjà Béatrice Didier dans L’écriture-femme, édité en 1981, en s’interrogeant sur l’existence d’une spécificité de l'écriture féminine. Cette spécificité, difficile à définir, semble surtout dépendre de la "culture" plus que de la "nature". A partir d'un certain nombre d'études de textes écrits par des femmes, elle s'interroge sur quelques constantes de cette « écriture » comme les thèmes, les registres, et les modes d'écriture.
Le principe selon lequel, pour suivre Béatrice Didier, dans son préambule à L’écriture-femme, qu’un livre sur l’écriture masculine « soit impensable, alors que  « (…) un livre sur l’écriture féminine est malgré tout pensable, caractérise bien la marginalité de l’écriture féminine et les ambiguïtés de la différence». Cela nous amène à tenter de lever les ambiguïtés encore en usage par l’emploi précautionneux du syntagme « pratiques d’écritures de femmes » au lieu d’«écriture féminine », voir d’écriture spécifiquement féminine.
C’est dans notre cinquième et dernier chapitre intitulé « L’écriture de Malika Mokeddem : une poétique au féminin singulier » que nous tenterons de montrer que l’œuvre de Malika Mokeddem, commencée au début des années 90, reste l’une des écritures de femmes algériennes les plus en vue, de par son pari à exister singulièrement comme écriture, une écriture rebelle qui participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à l’encontre des femmes. Un auteur qui ne considère pas que les algériennes représentent un groupe monolithique, se refusant à se déclarer porte-parole, revendiquant un territoire d’écriture.

C’est justement dans ce sens que nous considérons que la Poétique au féminin singulier de Malika Mokeddem est sous tendue à notre sens à une Pensée qui préserve des pensées du système qui fonctionne selon le principe des mythes fondateurs, qui, tel que l’explique Edouard Glissant « est de consacrer la présence d’une communauté sur un territoire, en rattachant par filiation légitime cette présence, ce présent à une Genèse, à une création du monde ». L’Histoire, qui est donc fille du mythe fondateur sera revisitée par Malika Mokeddem, dans une écriture envers et contre les chants et la légitimation de celle-ci.
C’est dans cette optique, à notre sens, que les romans de Malika Mokeddem, à l’instar des romans algériens d’expression française écrits dans une situation d’exil insistent sur le thème de l’expérience de l’émigration-immigration, ainsi que sur la rupture rigoureuse avec une définition identitaire par l’origine et ce en battant en brèche les discours d’ordre historique, politique ou social, basés sur l’idée de l’homogénéité et de l’unité.
C’est dans ce sens que nous abordons, dans ce chapitre, la fonction sémiotique de la signifiance comme fondement d’écriture.
Aussi,, l’intégration du conte ou le recours à l’oralité du conte, dans les deux premiers romans, est déjà, à notre sens, une pratique du détour, détour, dirions nous, de l’inflexibilité de la filiation.
 Cet axe qui consiste en une lecture du texte comme rythme, comme « mode de signifier » qui déborde le signe, modulant à son gré le signifiant du texte qui affiche ses marques d’appartenance à un espace d’identité dans lequel l’oralité puise sa substance de la tradition orale, principalement le conte, mais aussi le mythe, la légende, l’épopée…
Le processus de production de sens du texte de Malika Mokeddem à partir des axes de lecture que nous relevons, à savoir, une lecture du texte comme description de la cohérence d’une totalité à travers une écriture qui ne tourne pas le dos à la représentation réaliste ; une lecture du texte comme rythme, comme « mode de signifier » ; et une prise de parole autobiographique d’une femme qui a choisi la rupture, la transgression, par la voie/voix autobiographique dont plusieurs critiques littéraires ont souligné la tendance, permet d’apprécier les modalités mises en place pour ouvrir le texte sur d’autres espaces, sur plusieurs possibilités grâce à la non-clôture du récit et aux suspensions narratives dont use l’auteur. C’est dans ce sens que nous parlons de « Projet romanesque en suspens » où le véritable territoire-refuge des protagonistes reste celui de l’écriture.






CHAPITRE I


ECRITURES DE FEMMES OU ECRITURE FEMININE
ETAT DE LA QUESTION

I – Ecrire au féminin et lire au masculin 
1- Les écrivains et les écrivaines dans l’espace social algérien.
2 - La posture du lecteur masculin.
3 - L’écriture au féminin : une « contre littérature ».
II - Ecriture féminine ou écritures de femmes ?
1-Théorisation et approche universitaire de l’écriture-femme.
Et/ou écriture féminine.
2- Poétique de la différence sexuelle.
3- Le concept d’écriture féminine
4- Des écritures de femmes algériennes.

I- ECRIRE AU FEMININ ET LIRE AU MASCULIN

1° - Les écrivains et les écrivaines dans l’espace socioculturel algérien

Un nombre important de femmes algériennes se sont mises à écrire, à raconter des destins de femmes en butte à la violence sociale des années 90, à mettre en scène des destins d’exception refusant la normalité « enlisante » de la société traditionnelle, doublée d’une autre violence, l’actualité sanglante du pays qui, pour certains auteurs, comme Malika Mokeddem, semble inscrite depuis toujours dans le paysage et l’espace même de ce pays.
C’est l’implication de ces écritures de résistance dans un contexte sociopolitique et historique donné qui fait l’intérêt premier de ces œuvres, sans oublier bien entendu le projet esthétique de ces mises en écriture dans lesquelles la question de la langue reste au centre des préoccupations, car intrinsèquement liée à une quête de soi en devenir. 
Ces textes narratifs constituent, selon notre point de vue, un objet d’étude en tant que paradigme ayant des caractéristiques littéraires spécifiques, avec une interaction intéressante, dans notre cas, entre littérature et contextes sociaux.
En effet, l’acte d’écriture s’inscrit dans un corpus juridico-sociologique qui implique, ici, l’irruption de nombreuses voix féminines algériennes dans le champ social autant que dans le champ littéraire, à l’image de ces nombreuses autres écritures féminines de résistance avec comme figure de proue Assia Djebar.
Cependant, il nous paraît inévitable, pour souligner l’intérêt d’étudier ces écritures de femmes algériennes, d’évoquer l’absence de ces femmes dans la représentation qu’a l’opinion publique du champ littéraire algérien.
De ce point de vue, les textes élus et transmis sont d’abord et avant tout des textes écrits par des hommes.
Ainsi, à l’exception du public averti ou initié, peu de personnes, même parmi les femmes elles-mêmes, ne peuvent citer plus d’un nom de femme écrivaine algérienne, à l’exception de celui d’Assia Djebar qui reste l’une des rares à être connue et reconnue, sans d’ailleurs être forcément lue, à cause sans doute de sa notoriété. Celle-ci, de surcroît fortement médiatisée depuis quelques années, dépasse le cadre de l’Algérie surtout depuis son admission, en juin 2005, à l’Académie française. En outre, en 2002, Assia Djebar avait obtenu le Prix de la Paix, qui est en Allemagne, la plus haute distinction pour un « engagement politique et éthique de la pensée ».
Les monstres « sacrés » de la littérature algérienne se déclinent donc au « masculin ». Il s’agit toujours de Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni et certains autres plus récents comme Yasmina Khadra. Ils sont considérés, par cette opinion publique évoquée plus haut, de « référents » culturels.
Certes, de nos jours, quelques écrivaines, Malika Mokeddem par exemple, réussissent à sortir de l’anonymat mais sans infléchir la tendance. Le statut et la place occupée par la composante masculine dans la conception, par l’imaginaire collectif, du champ littéraire ne laissent pas d’espace à la composante féminine. Envisagé sous l’angle sociologique, ce phénomène peut être interprété comme un des effets de la situation de la femme en butte à la violence sociale et prisonnière d’un ordre symbolique phallocentrique.

2° - La posture du « lecteur au masculin »
Notre découverte de textes de la littérature de femmes algériennes, d’ailleurs absents des programmes des collèges et lycées en Algérie, nous a permis de prendre conscience qu’il nous serait difficile de rester « neutre », dans notre lecture au masculin, de respecter la nécessaire distanciation vis-à-vis de ces textes, afin de parvenir à des lectures objectives, ou du moins aux lectures les moins subjectives possibles.
Lire le féminin d’une part, nous dérangeait parce que cet acte nous renvoyait forcément à notre condition d’homme. S’est posée alors pour nous la question de savoir comment échapper au discours masculin de pouvoir, à la Loi d’une Domination masculine, à cette « doxa ». Nous comprenons la « doxa » au sens de Pierre Bourdieu qui y voit, de la manière dont elle est imposée et subie, « l’exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de la violence symbolique insensible, invisible pour ses victimes mêmes, qui s’exerce pour l’essentiel par les voies purement symboliques de la connaissance ou, plus précisément de la méconnaissance ou, à la limite, du sentiment ».
Cette notion de « doxa » définie par Pierre Bourdieu comme «  l’ensemble des croyances ou des pratiques sociales qui sont considérées comme normales, comme allant de soi, ne devant pas faire l’objet de remise en question » reflète parfaitement cette domination masculine qui est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question.
Mais, d’autre part, lire le féminin nous séduisait par l’ambivalence « masculin/féminin » qu’impliquait notre posture de lecteur. Le féminin étant une sorte de valeur ajoutée à l’homme, pour reprendre une réflexion de Virginia Woolf :
« Il est néfaste d’être purement un homme ou une femme, il faut être femme masculin ou homme féminin ».
Il s’agit donc pour nous d’assumer notre posture de lecteur masculin. En effet, en nous référant à Pierre Bourdieu, qui considère que le modèle paradigmatique reste l’ordre des sexes et que les normes sociales fonctionnent sur le modèle des normes sexuelles, nous disons qu’il y a « lecteur » et « lectrice » et qu’il faut se prémunir de l’illusion qu’il n’y aurait qu’une lecture, qu’une seule interprétation dont le sujet serait neutre.
En étudiant ces textes de femmes, notre objectif n’est pas de découvrir une spécificité de l’écriture féminine, si tant est qu’elle existe, mais de relier féminin et masculin qui sont tous les deux à l’œuvre dans l’espace scripturaire, sachant que la dominante sexuée de l’énonciateur a une incidence plus ou moins grande sur sa manière de symboliser son vécu (quelle qu’en soit la forme).
Postuler une conformité à une norme masculine ou féminine, une identité reconnue, poserait problème dans le sens où notre objectif, qui est de placer la différence sexuelle en tous genres, est de déconstruire le code des marques sexuelles et de réinterpréter le sujet.
C’est ce postulat, placé au cœur même de notre problématique, à savoir la lecture du féminin, qui nous amène à questionner notre posture de lecteur masculin, avec une identité sexuelle, une identité socioculturelle, etc. C’est ainsi que nous comptons dépasser la simple dichotomie homme/femme et interroger le discours littéraire en terme d’ambivalence en prenant en considération le « masculin » de l’écrivaine et le « féminin » du lecteur que nous sommes. La « lecture au masculin » est entendue, ici, non pas dans le sens d’une « lecture passive » par un homme de ce qui leur est offert à lire, mais dans le sens d’une « lecture active ». Cette lecture est dite « active » dans la mesure où notre histoire personnelle en tant que sujet-lecteur, notre origine socioculturelle et notre identité sexuelle jouent un rôle important dans l’appréhension de ces textes, dans l’engouement ou le rejet qui restent tributaire de cette culture commune à l’auteure et au lecteur.
Aussi, nous pouvons nous poser la question de savoir si notre lecture au masculin de cette littérature féminine algérienne peut comprendre la même appréciation qu’une lecture au féminin à même de décrypter les signes de la féminité ou du féminin dans les œuvres féminines :
« Il faut laisser lire, dit Derrida , pour aller à la rencontre avec l’autre et tenter de répondre au texte de l’autre ».
Accueillir en soi l’autre est une expérience qui transforme, voire une loi de l’hospitalité qui, selon Derrida est «  terrifiante », la « loi des lois qui veut que l’hôte (host), l’invitant, donne ce qu’il a de plus précieux à l’hôte (guest), l’invité, et devienne alors, en vérité, comme l’autre, l’hôte de son hôte, pour ne pas dire son otage » .
Ce désir d’hospitalité est avant tout poétique : « un acte d’hospitalité ne peut être que poétique », déclare Derrida pour qui, « l’hospitalité doit être tellement inventive, réglée sur l’autre, que chaque expérience d’hospitalité doit inventer un nouveau langage ».
En fait, il s’agit de passer de la question du singulier à la question du pluriel dans le sens où il y a échange dans l’écriture à exploiter, d’une écriture dans la langue de l’autre, dans ce passage de l’idiome dans sa forme esthétique que l’auteur crée, au pluriel du langage collectif, du langage d’un legs intellectuel. C’est cette langue du colonisateur comme langue d’accueil, une langue de l’ordre du politique mais aussi du poétique qui oblige Malika Mokeddem à négocier entre les deux et à instituer des formes d’accueil d’une langue, d’une culture autre, à travers l’oralité de l’écriture héritée de sa grand-mère, conteuse nomade, et dépasser ainsi les discours dominants, qui proposent des représentations de la différence sexuelle, représentations en général stéréotypées, ou parfois, comme c’est le cas pour l’auteur, inédites.


3° - L’écriture au féminin : une « contre littérature »
La prise en compte de la dimension sexuelle, au même titre que celle du contexte historique et social par exemple, nous permet de mieux comprendre la portée du passage de certains éléments de la réalité à la fiction. La politique, la guerre, l’amour, la souffrance, la maternité, la langue, etc., sont traités différemment en littérature. Cette différence participe à ce qui confère à cette littérature un statut de « contre littérature », une sorte de « paradis (féminin) perdu » que le lecteur au masculin ne cesse de rechercher selon Zineb Ali-Benali :
« De cette séparation hommes/femmes, qui structure la société et donne sens à la place et au rôle de chacun, naît le fantasme du regard qui va au-delà de l’interdit. Le rêve de l’homme, qu’il soit étranger au groupe ou qu’il en fasse partie, est d’être dans l’intimité des femmes sans être vu, de regarder sans se faire détecter».
La lecture au masculin est ce « regard qui va au-delà de l’interdit », « dans l’intimité d’une littérature au féminin ». La littérature n’est-elle pas, selon Marcelle Marini :
« le lieu privilégié où s’opèrent indissociablement la subjectivation et la socialisation. Le jeu entre réalité et langage, permet de desserrer les modèles socio-individuels d’identité et, en particulier, ceux de l’identité sexuée et de la différence sexuelle. Les identifications y sont multiples, on glisse des unes aux autres, on peut les désirer aussi violemment que les refuser : et cela tant au niveau de l’histoire racontée qu’au niveau des points de vue narratifs, des métaphores, des phrases, c'est-à-dire au niveau de l’énonciation elle- même. Grâce à la littérature on entre dans une pratique plus libre du langage où il devient possible de s’expérimenter comme sujet parlant ».
Selon Bernard Mouralis, « Le statut d’un texte n’est réductible ni à la permanence ou à la pesanteur d’une tradition, ni à des caractères objectifs propres à celui-ci. Il renvoie aux lignes de force qui parcourent la société globale, c’est-à-dire, en définitive, aux efforts déployés par les uns pour maintenir et renforcer le pouvoir qu’ils détiennent sur le plan de l’initiative culturelle, et aux réactions que les autres expriment face à cette prérogative.».
C’est ainsi que ces voix de la résistance au féminin en Algérie, ces « nouvelles femmes d’Alger»,   selon Assia Djebar, présentent leurs textes comme des œuvres de combat : combat de femmes, mais combats également littéraires de femmes écrivains, qui, depuis plus d’une vingtaine d’années, résistent au quotidien en refusant de se taire et en investissant les espaces socioculturels et symboliques de l’Algérie des années 90, l’Algérie de la violence généralisée , mais surtout de la violence contre les femmes. Elles exercent, de fait, des contre-pouvoirs en tentant de faire bouger les frontières de genre au sein d’un système patriarcal qui définit clairement les rapports sociaux de sexe, par la place , le rôle, et la position assignés aux hommes et aux femmes dans la société.
«Faire bouger les frontières de genre » revient, en tant qu’écrivain(e), à déplacer cet « ordre des sexes », si ordre il y a, à placer La Différence sexuelle en tous genres », genres grammaticaux, genres biologiques, genres littéraires...
C’est donc dans la langue que La différence sexuelle en tous genres s’écrit : Cette différence sexuelle : « c’est la langue qui le dit. D’abord la langue. Devançant la pensée, le pensable ; pensant l’impensable peut-être, par la façon, couturière, de la syntaxe ici qui articule en une fluctuante jonction le différentiel entre « sexes » et « genres ».
La difficulté à admettre cette réflexion est due au fait que la langue française ne dispose que d’un seul mot, « sexe », pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale. Ainsi, parler de « différence des sexes » reviendrait à dire qu’il s’agit d’une donnée naturelle et universelle, en ne distinguant pas entre le biologique et le culturel.
En tant que lecteur, il s’agit de faire ce déplacement par rapport à La Loi du genre afin d’établir la distinction entre les sexes comprise non pas comme biologique ou naturelle mais comme socioculturelle et historique.
La référence à Judith Butler permet de faire cette distinction grâce à la notion de « Gender » (genre) employée pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun : la féminité serait avant tout une construction sociale, une obligation culturelle d’un devenir-femme en maîtrisant des comportements distincts de l’autre genre au risque d’être exclu du groupe. Judith Butler dénonce ainsi les rapports entre hommes et femmes comme des rapports de pouvoir et de domination, dans lesquels les normes sociales reproduisent les normes sexuelles. Cette conformité à la norme masculine ou féminine pour obtenir une identité reconnue peut être déjouée grâce à une juxtaposition du féminin et du masculin dans diverses combinaisons qui ne spécifient pas la masculinité ou la féminité. 
La frontière des genres peut être fragilisée par une énonciation ambivalente permettant une certaine porosité entre le féminin et le masculin. L’exemple d’Isabelle Eberhardt dont Malika Mokeddem revendique la filiation, est édifiant à ce titre dans le sens où elle ‘‘joue’’ entre l’appartenance masculine arabe par la tenue de cavalier arabe qu’elle affiche dans le sud algérien et une volonté fréquente de s’écrire au masculin lorsqu’elle se met en scène alors que les passages où elle se confie sont au féminin.
Dans Journaliers, présenté par ses éditeurs comme « une plongée dans un quotidien insolite qui révèle comment se vivait une femme, une aventurière habillée en homme », l’énonciation qui se fait au masculin implique beaucoup de questionnements sur ce déplacement de « l’ordre des sexes » à tous les niveaux, de cette Différence sexuelle en tous genres : genres grammaticaux, genres biologiques, genres littéraires, ...  dont parle Mireille Calle-Gruber.
Le début du « Premier journalier » commence ainsi et indiquera que cet « habillement » est conjointement un « habillage » de l’énonciation :
« Cagliari, le 1er janvier 1900.
Je suis seul, assis en face de l’immensité grise de la mer murmurante… Je suis seul… seul comme je l’ai toujours été partout, comme je le serai toujours à travers le grand Univers charmeur et décevant, seul, avec, derrière moi, tout un monde d’espérances déçues, d’illusions mortes et de souvenirs de jour en jour plus lointains, devenus presque irréels.
Je suis seul, et je rêve… »
Dans son second long reportage, Sud Oranais, beaucoup de passages soulignent l’importance d’une allure masculine qui la protège et qui lui permet de vivre et d’être acceptée par la communauté. Isabelle Eberhardt est à Perrégaux et attend son second train pour le Sud :

« Le soir, j’allais m’étendre sur une natte, devant un café maure (…) je goûtais la volupté profonde de la vie errante, la joie d’être seule, inconnue sous le burnous et le turban musulmans, et de regarder en paix le jour finir en des lueurs rouges sur la simplicité des choses, dans ce village où rien ne me retenait, et que j’allais quitter à la tombée de la nuit ». (p.12).
Ce jeu sur les identités de genre se concrétise dans des passages où le choix privilégié du masculin est délaissé au profit d’une oscillation entre Masculin et Féminin.
« M’en aller, vagabond et libre, comme je l’étais avant même au prix de n’importe quelle souffrance nouvelles ! (…) m’embarquer humble et inconnue et fuir, fuir enfin pour toujours (…) Certes, je ne suis venue ici que pour pleurer, pour regretter, pour me débattre dans l’obscurité et ses angoisses, pour souffrir, pour être prisonnière ! A quand le départ radieux ? »
Tenter l’identification à l’imaginaire et à la parole de l’autre sexe afin d’échapper à une vision monolithique de l’identité masculine due à une richesse de l’héritage masculin dans un champ socio-symbolique où la séparation hommes/femmes structure fortement la société, permet déjà de lutter Contre l’effacement des sexes, pour reprendre le titre d’un article de  Sylviane Agacinski, et au-delà, de dépasser le clivage masculin/féminin.
A l’exemple de la vie et la légende d'Isabelle Eberhardt qui rendent instables les frontières entre identité européenne et maghrébine, entre identité masculine et féminine, et soulignent ainsi la nature arbitraire de maintes relations binaires sur lesquelles nos conceptions de l'identité reposent, Malika Mokeddem met en place un espace de fiction qui permet à ses protagonistes féminines, de redéfinir l’identité féminine, de vivre librement sans contraintes et sans violence.
Il y a lieu de souligner que nous parlons ici, non pas de cette littérature de femmes globalement acceptée par le public algérien, cette littérature de la tradition orale légitime, jouant un rôle important dans la conservation du patrimoine traditionnel, cette littérature « du dedans » , mais de cette littérature de la création , « du dehors , celle d’une écriture individualisée , livrant la parole féminine à l’espace public , hors des frontières , de la tribu , comme si elle s’offrait au premier venu» .
Dans Mes Hommes de Malika Mokeddem, le je de la narratrice-auteure est seul face aux mots, aux hommes et au monde. Elle ne raconte pas les histoires des autres comme Shahrazade qui a aliéné son existence pour sauver sa vie. Elle raconte sa vie, son combat contre le silence imposé et contre lequel elle écrit, son exil pour apprendre la liberté, « la liberté jusque dans l’amour des hommes ». Elle refuse de parler par procuration, par délégation.
Fawzia Zouari nous explique justement que le rejet de la conteuse des Mille et Une nuits est nécessaire car elle n'a pas pu avancer dans sa société à visage découvert ; elle ne se raconte pas elle-même. Ce modèle de la conteuse qui raconte les histoires des autres pour distraire l'homme et sauver sa vie serait devenu écrasant, étouffant pour toute créatrice arabe :
« Chaque fois que je fus tentée de parler, il y eut un nouveau conte de Shahrazade qui m'assigna au silence. Ses contes ne se terminent jamais, là est mon tourment ! » .
Ne pas accepter cet effacement de sa propre parole pour ne pas mourir. Il faut pouvoir dire sans être menacée, sans être contrainte par l'écoulement du temps des hommes et de ses sentences contre les femmes. Ces rapports entre résistance et littérature composent chez ces auteures une structure autobiographique où s’inscrit la différence des sexes et qui, selon Mireille Calle-Gruber à propos d’Assia Djebar « constitue (à son sens) un des points de tension par excellence de l’époque que l’on dit postcoloniale ».
Ce sont ces écritures au féminin, ces contre-littératures auxquelles on ne reconnaît qu’une place marginale, qui permettent de desserrer les modèles socio-individuels d’identité et, en particulier, ceux de l’identité sexuée et de la différence sexuelle. C’est cette  pratique plus libre du langage qui vaut aux femmes-écrivaines en Algérie d’être l’objet de l’ostracisme de la société patriarcale. Dans ce sens, les propos de Bernard Mouralis à propos des contre-littératures auxquelles on ne reconnaît qu’une place marginale, à l’exemple des expressions reconnues comme ‘‘infralittérature’’, ‘‘paralittérature’’, ‘‘littérature de masse’’, peuvent aussi renvoyer, selon nous, à ces littératures au féminin qui exercent des contre-pouvoirs dans un contexte culturel marqué par l’autorité patriarcale soutenue par le discours religieux.
C’est grâce à une innovation esthétique que cette identité sexuée stigmatisée va échapper à une classification sous la tendance « différentialiste », à l’exemple des œuvres d’Assia Djebar, ou plus récemment de Malika Mokeddem. Dans la lutte pour la définition du « féminin », les femmes ont désormais leurs mots à dire en prenant leurs distances avec les représentations dominantes. L’intention d’échapper socialement et symboliquement aux jugements se traduit par la description de tout ce qui les incarne comme mouvant, en se démarquant de toute définition unitaire de leur identité.







II- Ecriture féminine ou écritures de femmes?

1- Théorisation et approche universitaire de l’écriture-femme et/ou écriture féminine.
S’il est clair qu’il existe une littérature « féministe », engagée dans un combat pour les droits des femmes, qui ne fait pas l’objet de notre recherche, ce qui l’est moins est une littérature « féminine », c'est-à-dire une écriture définie par des thématiques et des structures particulières aux femmes.
Il est intéressant de noter d’ailleurs, avant même qu’il ne soit question d’écriture féminine, que la possibilité qu’une femme soit considérée comme un auteur à part entière n’a pas toujours été bien admis, même dans la tradition européenne. Ainsi, Delphine Naudier soutient que « si les femmes ont toujours écrit, cette pratique était limitée à la sphère privée ou bien liée à leur activité au sein de congrégations religieuses, ou bien encore réservées à celles dont les origines sociales étaient élevées». Delphine Naudier part du constat d’un déni de l’existence d’une généalogie littéraire féminine qui reste lié non seulement à la question du partage du pouvoir dans la société et entre les sexes mais aussi à la question du savoir de par le pouvoir qu’il confère.
Au XIXème siècle le statut de femmes auteurs comme catégorie à part place ces femmes comme exceptions et lorsqu’une femme telle que George Sand sera reconnue, elle sera qualifiée ‘‘d’homme’’, de ‘‘romancier’’., selon Christiner Plante citée par Delphine Naudier. Une écrivaine comme Colette , par exemple, se voit qualifiée de romancier non-intellectuel, plutôt intuitif, préférant les sensations aux idées : « Colette n’a pas d’imagination et pas d’idées. Elle a des yeux et des sentiments. ».
En Algérie, les femmes-écrivains restent méconnues, hormis le cas d’Assia Djebar, une des rares voix connues et reconnues. Cette situation reste d’ailleurs l’une des principales motivations de notre travail.
Pour en revenir au vocable « écriture féminine » force est de constater qu’il renvoie à différentes interprétations et à différentes approches critiques. Le principe de base qui se dégage des débats sur ce que serait une écriture dite « féminine » est que « l’écriture féminine » offre délibérément une écriture autre, autre par rapport aux modèles existants majoritaires (masculins). L’idée centrale est que l’écriture féminine doit se produire, et se produit en dehors de l’ordre symbolique phallocentrique, L’écriture féminine viendrait donc se situer, et exister face à une autre pratique d’écriture (une écriture qui serait masculine). En effet, selon Patricia Smart, « entre le ‘‘réalisme’’ » consacré par la culture patriarcale et le « réel » tel qu’il se présente dans l’écriture des femmes il y a un monde, et une distinction qui vaut la peine d’être explorée ».
Dans Les mots et les femmes, Marina Yaguello estime que les femmes peuvent avoir un autre rapport aux mots et cite comme exemple Marie Cardinal, Hélène Cixous, Annie Leclerc, Xavière Gauthier qui posent ces questions dans de multiples ouvrages. Ainsi, « Les femmes ne vivent pas, ne ressentent pas le langage de la même façon, elles se sentent à l’étroit, mal à l’aise dans une langue modelée par les hommes, investie par eux ». Les mots employés par les femmes n’auraient donc pas la même valeur car ils seraient chargés de connotations différentes, selon Marina Yaguello, et le langage courant prétendant à l’universalité s’aligne sur les normes masculines, et porte la marque des hommes en reflétant leurs valeurs, leurs prétentions et leurs préjugés.
L’auteur cite Hélène Cixous qui s’attache à l’affirmation de le différence entre écriture féminine et écriture masculine : « Les femmes qui écrivent, pour la plupart, jusqu’à maintenant ne considéraient pas qu’elles écrivaient en tant que femmes mais qu’elles écrivaient en tant qu’écriture. Elles en étaient à déclarer que la différence sexuelle, ça ne veut rien dire, qu’il n’y avait pas de différence assignable entre le masculin et le féminin dans l’écriture… Qu’est-ce que ça veut dire, ‘‘ pas de parti-pris’’ quand on dit ‘‘ je ne fais pas de politique’’, tout le monde sait ce que ça signifie ! c’est la meilleure façon de dire : ‘‘ je fais la politique de l’autre’’ ! Eh bien, en écriture c’est ça, la plupart des femmes sont comme ça : elles font l’écriture de l’autre, c’est -dire de l’homme, et, dans la naïveté, elles le déclarent et le maintiennent, et elles font, en effet, une écriture qui est masculine ».
Aussi, le recours à l’expression « écritures de femmes » nous permet d’éviter d’emblée la référence à une écriture intrinsèquement féminine identifiable à la lecture de par ses spécificités. Elle rend compte de notre conception d’une écriture qui prend ses distances par rapport à celles élaborées par une vision masculine du monde. Ceci nous amènerait à nous poser la question sur ce qu’est une écriture « masculine », à un débat que nous ne comptons pas trancher dans l’état actuel de la recherche sur cette problématique en parlant d’abord d’ « écritures de femmes ». Ces écritures de femmes sont identifiées en tant que telles de par le nom d’auteur, sans trancher au préalable sur une identification d’écritures spécifiquement féminines qui seraient définies par des structures particulières aux femmes. Les écritures de femmes algériennes dont nous parlons sont réinvention de la langue contre la doxa masculine, et introduisent à une réflexion sur ce qui marque la condition féminine en Algérie.
C’est précisément à cause de la différence sexuelle que l’on peut postuler que la femme agit et s’exprime autrement que l’homme. La « différence » existe, qu’on la pense naturelle (résultat de différences biologiques) ou artificielle et fabriquée (fruit des influences sociales). Peu importe son origine, les deux théories admettent que la « différence » existe. L’homme et la femme ne perçoivent pas la réalité de la même façon, et de ce fait, ne la transcrivent pas de la même façon. C’est la conclusion donnée par Claudine Sandra Quinn.
Il serait, à notre avis, plus judicieux, et c’est la piste que nous privilégions, d’exploiter la dichotomie « logocentrisme, ethnocentrisme, phallocentrisme des hommes vs écritures autres et de l’autre », c'est-à-dire les idiomes, les dialectes de tous les exclus, des gens de la marge, dans lesquelles nous situons cette « écriture féminine », espace d’expression signé par des hommes comme par des femmes, espace de la poésie, des formes fictionnelles.où le sujet n’est plus « logocentré », « phallocentré », « ethnocentré ». Cette nécessité d’un travail de l’écriture permet d’arracher la pensée de la différence sexuelle aux dichotomies. La scène par excellence de la déconstruction du code des marques sexuelles discriminantes, reste la langue, selon Mireille Calle-Gruber.
Le féminin dans la littérature reprend donc sa place dans le projet qui consiste à définir à nouveau, et de manière critique, les pouvoirs du discours. Le féminin apparaît ici comme étant ce qui résiste dans le modèle logocentrique de la représentation, à savoir la marge, le non-dit, la métaphore, la subversion virtuelle d’une manière d’être dépourvue de centre.

2- Poétique de la différence sexuelle.
L’écritures de femmes », serait un phénomène historique, circonscrit aux années 70. Si on remonte à cette période, il paraît évident qu’une certaine génération de femmes s’est reconnue — plus ou moins — dans une écriture dite féminine, d’ailleurs un peu dans l’esprit du moment culturel général de mai 68, qui a également soulevé la question d’autres types d’écritures communautaires. Cette notion d’écriture féminine est accompagnée d’une activité de recherche s’employant à sa théorisation,à l’instar d’Hélène Cixous qui élabore une poétique de la différence sexuelle ou de Luce Irigaray (CNRS) qui analyse la sexuation dans les langues.
Dans la France des années 1970, les femmes ont collectivement et massivement pris la plume en donnant à leur travail le nom d’écriture féminine. En effet, à la suite des événements de Mai 68 et dans le sillage d'auteures et de penseurs féministes (dont Hélène Cixous, Luce Irigaray et Julia Kristeva), s'est développée une littérature féminine qui se donne comme but d'interroger les schèmes traditionnels de la représentation et de bousculer l'ordre symbolique afin de faire entendre les voix féminines trop souvent reléguées au silence.
C’est ce que ne manque pas de souligner Mireille Calle-Gruber dans l’analyse de l’émergence de ces  formes narratives inédites saisies à travers la formule « littératures au féminin »  : « Les littératures au féminin – les ouvrages de Marguerite Duras, d’Andrée Chedid, d’Hélène Cixous, de Jeanne Hyvrard, de Monique Wittig, pour ne citer que les plus exemplaires – sont réinvention de la langue contre le logocentrisme ; réinterprétation de notre héritage culturel contre la doxa, désir de passage à l’autre et d’adresse à l’étranger. C’est dire que le débat esthétique et philosophique engagé par les littératures au féminin est l’affaire de tous – signataires masculins comme signataires féminins. Elles donnent la parole à une humanité d’un genre nouveau ».
Dans les théories féministes anglophones, le débat entre constructivisme et essentialisme a également permis par de faire des écrivains femmes un groupe puis des sous-groupes à part entière, et d’affirmer l’existence d’une identité féminine spécifique. D’ailleurs, pour certaines théories critiques, on peut distinguer une évolution dans la terminologie qui catégorise la littérature des femmes.
D’abord cette littérature était qualifiée de «féminine» : elle s’appuie sur les schémas narratifs et les thèmes de la tradition des écrivains masculins. Ensuite, elle est dite «féministe» : elle tend à contester ces schémas et revendique son droit à l’autonomie. Enfin elle est dite «de femme» : elle impose et revendique son propre genre en ce qu’il associe corps et écriture.
Peu connue en France avant la traduction en français de son essai Trouble dans le genre, Judith Butler, professeur à Berkeley, est l'une des principales théoriciennes de ce que l'on appelle aux Etats-Unis les gender studies, c'est-à-dire les «études sur le genre», discipline enseignée dans les universités américaines et dont l'objet est la distinction entre les sexes comprise non pas comme biologique ou naturelle mais comme sociale et historique.
Judith Butler conteste ce que les féministes s'emploient généralement à montrer, à savoir ce que l'identité féminine a de culturel en récusant précisément pour cette raison la notion de «sexe» au profit de celle de «genre», comprise comme le produit d'une construction sociale. Elle conteste ainsi l'idée même d'identité féminine, qu'elle soit fondée sur le sexe ou sur le genre. Pour les féministes, l’identité féminine n’existerait que par rapport à l’identité masculine. Pourtant il s’agirait d’une identité elle-même constituée d’identités multiples et contradictoires. D’elles découlent des identités de gender. De ce point de vue, l’identité est définie en tant que rôle : les faits de caractère de l’individu ne sont pas des qualités autonomes mais des fonctions en relation avec une culture et une histoire données.
Loin d'une vision étroite du féminisme, Judith Butler renouvelle la réflexion sur l'identité sexuelle et fait voler en éclats ce qui semblait jusque-là une évidence, à savoir que dans l’espèce humaine, les individus de sexe « mâle » sont masculins et les individus de sexe »femelle » sont féminines. Butler questionne ce qui semble « aller de soi » : la difficulté en France d’admettre cette idée en raison même de l’obstacle lexical : la langue française ne dispose que d’un seul mot, « sexe », pour désigner à la fois une réalité anatomique et une réalité sociale. Ainsi, parler de « différence des sexes » revient à postuler qu’il s’agit d’une donnée naturelle et universelle, sans distinction entre le biologique et le culturel.
Aux Etats-Unis, cette distinction est faite, et le mot « gender » (genre) est employé pour caractériser le vécu culturel et sociologique de chacun : la masculinité et la féminité seraient avant tout une construction sociale, une obligation culturelle d’un devenir-femme en maîtrisant des comportements distincts de l’autre genre au risque d’être exclu du groupe.
Cette conformité à la norme masculine ou féminine pour obtenir une identité reconnue peut être déjouée grâce à une juxtaposition du féminin et du masculin dans diverses combinaisons qui ne spécifient pas la masculinité ou la féminité. Ainsi, la pensée queer, « à ne pas limiter aux emblèmes spectaculaires et théâtraux », manifesterait, selon Judith Butler, ce que nous tentons d’occulter, le mouvement gay ou lesbien traditionnel. Judith Butler, montre dans les passages sur les « transgenres » et les « transsexuels(le) » que l’entre-deux, la transformation interrogent sur ce qu’est une identité « genrée » et qu’il est difficile, voir impossible d’établir une corrélation entre les pratiques « drags » ou transgenres et les pratiques sexuelles.
Ainsi, en bousculant l'ordre sexuel existant et en imaginant d'autres formes de genre, les transexuels, drag kings ou queens, et autres représentants d'une sexualité «queer» - autrement dit, étrangère aux normes - manifesteraient un pouvoir de subversion et révéleraient le caractère incertain du genre.
Le point de départ de Judith Butler dans Trouble dans le Genre, le Féminisme et la subversion de l’identité est donc de prendre appui sur ces exceptions pour penser la règle, comme modèle d’invention de nouvelles formations du sujet, à l’exemple du drag, c'est-à-dire le travesti, qui détourne et retourne l’assignation normative.
La démarche de Judith Butler  peut se résumer en quelques idées phares qui balisent les grandes lignes de son projet :
désolidariser la notion de genre du couple féminin/masculin ;
mettre à nu le jeu des normes derrière l'apparence de la nature ;
revisiter la notion de genre dans son rapport à la sexualité ;
proposer des approches subversives dans les fragilités de la matrice hétérosexuelle, hégémonique et hiérarchisée ;
montrer que le genre comme le sexe résultent du processus de construction ;
prouver que le genre est performatif (il prend forme par le fait même d'être énoncé et mis en pratique, joué) ;
s'appuyer sur la généalogie critique (propre à Michel Foucault) et la déconstruction (propre à Jacques Derrida) pour conceptualiser la démarche ;
refuser toute identité stable et avancer l'idée que la notion de genre est trouble et génère un trouble dans le genre ;
s'éloigner d'un communautarisme identitaire afin de remettre en cause la matrice hétérosexuelle en la dénaturalisant.
Judith Butler qui définit ainsi un féminisme de la subversion par le genre pour penser historiquement et politiquement l’ordre sexuel et ses normes postule que le corps est ainsi inscrit dans un contexte social. Les féministes intègrent à la notion de corps en tentant d’échapper à la catégorisation systématique de l’essentialisme. Le corps, défini en terme de gender, constituerait le siège des idées et des pensées. Les féministes se sont ainsi approprié ces théories postmodernes afin de démontrer que le corps devient la source de l’écriture féminine. Ce qui implique également que le corps (contrairement à l’essentialisme) diffère en fonction des cultures et de l’évolution historique.

3- Le concept d’écriture féminine. 
Le vocable « écriture féminine », dans sa combinaison des deux termes au singulier: « écriture » +  « féminine », établit d’emblée une contradiction : l’adjectif « féminine » suscitant une connotation essentialiste, alors que le substantif « écriture », est, selon Merete Stistrup Jensen, « plutôt chargée d’une valeur inverse, renvoyant à l’idée ‘‘ moderne’’ du sujet comme un effet de discours, comme traversé par de multiples voix ».
« Ecritures de femmes », et non pas « littérature de femmes », implique que nous considérons que ces nombreuses voix féminines « écrites » des années quatre-vingt dix ne sont pas toutes littéraires : toutes les écrivaines n’ayant pas forcément opté pour une médiation esthétique sans pour autant opter pour le témoignage pur ou l’essai historique ou sociologique.
En outre, de nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans l’aventure de l’écriture, au moment de ce qui est appelé « la décennie noire » de l’Algérie des années 90. Leurs récits offrent par le biais du roman-témoignage ou de l’autobiographie, une perception singulière de cette tragédie. Il s’agit d’une entrée en littérature pour certaines d’entre elles qui, sans ce contexte de violence qui les a « sollicitées », n’auraient peut-être jamais tenté cette « expérience » de l’écriture.
Par ailleurs, l’expression « écritures de femmes », placée dans la perspective du débat animé sur ce que serait une écriture de femme ou une écriture féminine, nous ramène à notre postulat de départ, à savoir que nous parlons d’« écritures » au pluriel ; « des écritures » réunies en fonction du dénominateur commun d’ « écrits de femmes ». Ces écrits auraient une parenté qui reste à cerner, et qui ne concernerait pas les « écrits d’hommes », expression que d’ailleurs peu de critiques se hasardent à utiliser.
Le titre du livre édité en 1981 par Béatrice Didier, L’écriture-femme, expression radicalement différente d’« écritures de femmes », révèle un certain malaise à employer celle d’ « écriture féminine », laquelle pourtant apparaît plusieurs fois dans le livre. Béatrice Didier, dans son préambule, s’interroge sur la pertinence d’établir des points communs entre les écrits de femmes pour en faire un paradigme :
« S’il était peut-être difficile, sinon impossible de traiter de façon théorique de l’écriture féminine, il est vrai que, dans la pratique, les écrits de femmes ont une parenté qu’on ne trouverait pas dans les écrits d’hommes, et que, malgré tout, il peut apparaître légitime de réunir dans un même volume des études portant sur des textes aussi différents que La princesse de Clèves ou Le ravissement de Lol V. Stein » .
Béatrice Didier souligne l’importance du facteur social dans la création artistique pour souligner la difficulté d’écrire un livre sur « l’écriture féminine » :
« Etant donné l’importance du facteur social dans la création artistique, comment traiter de la même façon des femmes qui appartiennent à des sociétés aussi différentes que celles ou vécurent Sapho, Murasaki-shikibu, George Sand ou Virginia Woolf ? Viendrait-il jamais à l’idée de quelqu’un d’écrire un livre sur l’écriture masculine en traitant indifféremment de Sophocle, de Saint Jean de la Croix, de Stendhal, de Claudel ? Le fait même que ce livre soit impensable, alors qu’un livre sur l’écriture féminine est malgré tout pensable, caractérise bien la marginalité de l’écriture féminine et les ambiguïtés de la différence ».
Les éléments socio-historiques récurrents chez les femmes-auteures sont rappelés par l’auteur, à l’exemple de femmes ayant vécu en marge du système familial, le recours à un pseudonyme masculin pour se faire éditer une création en général, soit précoce soit tardive, une écriture cachée devant l’hostilité de la société.
Béatrice Didier, en privilégiant l’analyse thématique, fait ressortir l’importance des sujets en rapport avec l’intimité, l’inscription de l’identité dans le texte, le thème de l’enfance, le corps et le désir de la femme dans ses manifestations peu admises par la société. Toujours selon Béatrice Didier, Les genres récurrents chez les femmes-auteures sont les « genres du je » : le roman autobiographique, le journal intime, le genre épistolaire, la poésie, ... Ainsi, la question est posée de savoir si, dans la tradition européenne du moins, certains genres, ou sous-genres, n’ont pas eu, un certain temps, la préférence des femmes, à l’exemple du genre épistolaire ou du roman d’amour visant un public féminin.
« L’écriture femme » reste une expression esthétique et théorique. Elle a été formulée par un nombre restreint d’auteures parmi lesquelles figurent Hélène Cixous, Chantal Chawaf, Jeanne Hyvrard, Luce Irigaray ou encore Michèle Montrelay. L’autre grande tendance du mouvement des femmes, les « égalitaristes », au contraire, remet en question l’idée d’une spécificité féminine.
Le débat sur l’écriture féminine permet d’affirmer une position esthétique de la lutte des femmes en la transposant dans le champ littéraire et dans le champ universitaire. Cette théorisation esthétique va allier pratique littéraire et production critique. Une alliance qui contribuera à légitimer cette expression esthétique et théorique qu’est l’ «écriture féminine » à partir de 1975. Le concept d’écriture féminine, évoqué pour la première fois dans les écrits de Hélène Cixous, est considéré comme un espace qui accueille du discours. Luce Irigaray, à l’origine du «parler femme», montrera que les différences entre homme et femme s’inscrivent dans une perspective symbolique puisque le corps devient un espace de discours. Julia Kristeva  va pousser plus loin l’analyse en montrant que le langage employé par les femmes écrivaines viendrait directement du corps.
L’écriture féminine n’est pas une écriture arbitraire. Comme les branches du mouvement qui l’ont précédée, l’ « écriture féminine » a le même adversaire qu’elles : le patriarcat. La littérature de femmes est une littérature parallèle, marginale, se devant justement d’être analysée en marge et ne pouvant véritablement être comparée à la littérature masculine.
En fait, les critiques ne tentent pas toujours de découvrir une vérité différente, une parole particulière, mais ils s’efforcent plutôt de stigmatiser le texte écrit par l’écrivaine en le définissant uniquement en fonction d’autres textes, soit les textes d’auteurs masculins. Ils ne s’interrogent donc pas sur la perspective spécifique de l’écrit puisque la spécificité définie par les critiques est d’abord perçue négativement.
Dire qu’il s’agit d’un « livre de femme », d’ « écritures de femmes » situe ces écritures dans une catégorie particulière, à l’intérieur de cette littérature parallèle qu’est la « littérature féminine ». Ainsi, depuis notre intitulé, le fait de parler ‘‘d’écritures de femmes algériennes’’, de faire donc référence au sexe de l’auteur est un risque que nous prenons dans le sens où cela peut déclasser l’écrivaine ou la situer dans une sorte de ‘‘ghetto littéraire’’. D’ailleurs, viendrait-il à l’idée d’un critique de parler ‘‘d’écritures d’hommes algériens’’ ? Il est à parier qu’un tel intitulé prêterait plutôt à sourire.
Pourtant, l’évocation d’un certain rapport à la vie, rapport particulier que seules vivent les femmes puisqu’elles partagent une même réalité physiologique, politique et sociale, remet en cause un autre rapport à la vie, celui des hommes. Cela ne signifie pas que leur littérature est spécifique et obligatoirement différente de la littérature masculine, mais tout simplement que les écrivaines partagent une conception du réel qui s’avère souvent distincte de celle de leurs homologues masculins.
Selon Patricia Smart :
« Entre le ‘’réalisme ‘’ consacré par la culture patriarcale et le ‘’réel ‘’ tel qu’il se présente dans l’écriture des femmes il y a un monde, et une distinction qui vaut la peine d’être explorée ».
Difficile, donc, de parler d’une spécificité féminine, de même qu’il est impossible d’affirmer que toutes les femmes observent le monde à travers le même prisme, mais les écrivaines, en partageant certaines valeurs, certains référents au monde, tiennent un langage qu’elles seules peuvent tenir. La difficulté de parler de cette écriture sexuée est certaine.
L’identifier serait la contraindre et la ramener à ce qui est familier, selon Hélène Cixous qui pointe du doigt cette difficulté de parler de cette écriture sexuée: « Il est impossible de définir une pratique féminine de l’écriture, car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, l’enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Mais elle excédera toujours le discours qui régit le système phallocentrique ».
En choisissant de « révéler », en se présentant comme un être humain de sexe féminin qui a sa propre façon de voir, l’écrivaine affiche une revendication de spécificité et d’originalité qui va plus loin que la revendication d’égalité.
L’apparition de la notion d’ « écriture féminine » reste liée à Hélène Cixous, une des figures de proue du mouvement universitaire français sur les questions de la différence sexuelle. Hélène Cixous née à Oran en 1937, de confession juive, a vécu son identité comme un stigmate. Elle poursuit ses études au lycée d’Alger et de Sceaux, puis ses études supérieures en Sorbonne. En 1968, professeur de Lettres anglaises à l’université de Vincennes, elle participe à la transformation du système universitaire à travers l’appropriation des lieux de savoir par l’institutionnalisation des disciplines récemment développées comme la linguistique, la critique littéraire. L’université de Vincennes va acquérir une notoriété internationale, surtout avec la création de séminaires sur la différence des sexes. Hélène Cixous se consacre à la réflexion de la question de la différence sexuelle, dès 1974, année où elle crée le Doctorat de Troisième cycle en Etudes Féminines à Paris VIII.
Elle publie La jeune née, suivie dans la même année d’un essai, Le rire de la méduse, dans un numéro de l’Arc consacré à Simone de Beauvoir, puis d’un autre essai, La venue à l’écriture, publié en 1977, année durant laquelle des revues comme Sorcières ou Revue des Sciences humaines consacrent des numéros spéciaux à la question de l’existence d’une écriture féminine.
En 1975, dans Le Rire de la méduse, Hélène Cixous circonscrit l’espace de la production de ‘’l’écriture femme’’, pour en faire la seule écriture légitime pour ses contemporaines et appelle à la révolution identitaire symbolique des femmes en récusant toute la tradition littéraire féminine antérieure au nom de sa soumission au modèle patriarcal. La rupture est annoncée dès les premiers mots du texte : « Je parlerai de l’écriture féminine : de ce qu’elle fera. Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leur corps ».
Hélène Cixous exhorte les femmes à écrire leur « féminité ». Les écritures qui inscrivent la féminité étaient si rares, selon Hélène Cixous, « qu’on ne peut en sillonnant les littératures à travers temps, langues et cultures, revenir qu’effrayée de cette presque vaine battue (…). Pour feuilleter ce que le XXème siècle a laissé s’écrire, et c’est bien peu, je n’ai vu inscrire la féminité que par Colette, Marguerite Duras et … Jean Genêt ». C’est dans ce sens que Simone de Beauvoir serait identifiée, selon Hélène Cixous, à cette tradition dépassée.
Selon Hélène Cixous, dont la théorie reste fondée sur l’ordre symbolique plus difficilement ébranlable que l’ordre social traditionnellement établi auquel s’affrontent les « égalitaristes », la difficulté de parler de cette écriture sexuée est certaine et la caractériser serait la contraindre et la ramener à ce qui est familier : « Il est impossible de définir une pratique féminine de l’écriture, car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, l’enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu’elle n’existe pas. Mais elle excédera toujours le discours qui régit le système phallocentrique ».
En 1975, elle rejoint la maison d’Edition Des Femmes où elle publie Souffles et le manifeste de l’écriture femme Le rire de la méduse dans lequel elle expose sa théorie de la différence entre les sexes :
« Je soutiens qu’il y a des écritures marquées ; que l’écriture a été jusqu’à présent, de façon beaucoup plus étendue, répressive, qu’on ne le soupçonne ou qu’on l’avoue, gérée par une économie libidinale et culturelle- donc politique, typiquement masculine- un lieu où s’est reproduit plus ou moins consciemment et de façon redoutable car souvent occultée, ou parée des charmes mystifiants de la fiction, le refoulement de la femme ».
La femme doit s’écrire : « Ecris-toi, il faut que ton corps se fasse entendre (…) c’est en écrivant, depuis et vers la femme, et en relevant le défi du discours gouverné par le phallus, que la femme affirmera la femme autrement qu’à la place à elle réservée dans et par le symbole, c’est-à-dire le silence ». En s’écrivant, en choisissant de se dire, l’écrivaine apporte une revendication de spécificité et d’originalité qui va plus loin que la revendication d’égalité
Cependant, comme le dit Hélène Cixous : « Ce n’est pas parce que c’est signé avec un nom de femme que c’est une écriture féminine ».
Ainsi, Marguerite Yourcenar a une prose souvent qualifiée de virile, en revanche l’écriture de Colette, qui précède l’époque du féminisme contemporain et celle de « l’écriture féminine », montre que ce genre d’écriture n’est pas uniquement le résultat d’une évolution dans la pensée féminine, mais qu’elle est une tendance « innée » chez certaines femmes, une façon d’émettre une voix distinctement féminine à travers son écriture.
Le féminin est donc perçu indépendamment du sexe de l’auteur. Il existerait donc du féminin chez les auteurs masculins. L’approche que nous privilégions du féminin est justement conçue comme ce qui échappe à la norme, n’incarnant pas spécifiquement des traits propres aux femmes, mais toutes les formes d’interdit de la société élaborées par une vision masculine du monde.

4- Des écritures de femmes algériennes.
En partant du principe de l’existence d’une écriture intrinsèquement féminine immédiatement identifiable à la lecture de par ses spécificités, le risque de « ghettoïsation » de ces écritures et celui de reproduction du clivage social seront plus grand.
La question est d’autant plus problématique quand il s’agit d’écrivaines maghrébines francophones. Malika Mokeddem signale à juste titre le danger de ghettoïsation en tant que femme originaire du Maghreb :
« Tout à coup, être femme, algérienne et romancière devenait emblématique. J’y vois plutôt un danger qu’un sujet de satisfaction. Il y a là un risque de jugement caricatural, donc réducteur. De la même façon que je n’ai pas voulu qu’on m’enferme dans un ghetto pour ce qui concerne le monde de l’édition, je n’aime pas, non plus, qu’on mette mes livres dans un fourre-tout. A nous de combattre les clichés ! ».
Selon Malika Mokeddem, son parcours d’écriture reflèterait sa volonté d’échapper à des jugements simplistes et à des clichés qui limiteraient son statut d’écrivaine à cause de ses origines :
 « J’ai abordé l’écriture après un parcours singulier. Mon tempérament révolté ne pouvait m’inscrire dans une quelconque continuité. Du reste, il y a une telle différence entre mes premiers livres et les derniers. Cela reflète la progression dans mon écriture mais aussi une réaction contre tous ceux qui voudraient m’enfermer dans des perceptions exotiques ou des clichés sur « l’écrivaine du désert, la femme engagée… »
Ce serait donc une erreur de négliger l’importance du facteur social dans la création artistique pour distinguer masculin et féminin, lesquels reposent aussi sur des comportements sociaux où les rapports de force priment. Aussi, il y a lieu de répéter que si les femmes en Algérie, déjà durant la colonisation, n’ont pas eu accès à la création littéraire écrite, c’est parce qu’elles ont reçu une formation scolaire plus tardivement et ont donc accusé un retard dans la maîtrise d’une langue d’écriture. Durant la colonisation, la scolarisation des enfants colonisés a été très sélective et n’a concerné qu’une infime minorité. Les filles ont connu une ségrégation supplémentaire. Christiane Achour relève, en se référant au Bulletin de l’Enseignement des Indigènes de l’Académie d’Alger les discours contradictoires relatifs à la scolarisation des filles qui se limitait à un enseignement conçu comme artisanal et ménager.
«Quant il s’agit des filles, les discours dominants ne s’embarrassent pas de contradiction. Les coutumes qu’on jugeait rétrogrades pour les garçons deviennent recevables lorsqu’il s’agit des filles. Il ne faut pas choquer les indigènes, il ne faut pas faire de ces jeunes filles des  ‘‘déclassées’’… ‘‘des pseudo-françaises portant jupons et chapeaux, mais seulement (…) des femmes de ménage sachant à peu près lire et parles français, ayant quelques notions de morale et d’hygiène, sachant manier l’aiguille et le savon’’. »
L’école renforce donc l’inégalité des rapports entre sexes et confirme les hommes comme seuls héritiers légitimes et futurs détenteurs de la créativité culturelle. De plus, publier pour une femme relève du domaine public, d’un acte qui ne participe pas des rôles communément fixés à la femme pour qui l’acte d’écrire et de se dire sur la scène publique signifie la transgression d’un interdit.
Ainsi, au Maghreb, dans les après indépendances, la place des femmes, peu nombreuses à écrire, traduit parfaitement le partage traditionnel des espaces publics séparant les hommes des femmes. Ce que soulignaient déjà, en octobre 1977, un groupe d’écrivains maghrébins qui présentait la littérature féminine dans l’avant propos d’un numéro des Temps modernes :
« En ces états de la pensée et de l’analyse propre à la génération d’après les indépendances, la parole féminine quasi-absente, ne se reporte pas sur sa condition et son devenir. Plus qu’effet de quelque carence, ce manque majeur désigne la difficile mutation créatrice des femmes en des ensembles si profondément marqués par le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères d’appartenance sexuelle ».  
En fait, par production « quasi-absente », ce n’est pas tant le critère de quantité que le critère de qualité qui nous intéresse. Certaines œuvres se distinguent surtout par leur force créatrice et symbolique : Leila, jeune fille d’Algérie (1947), Aziza (1955), de Djamila Debèche, La soif (1957) de Djebar, La grotte éclatée (1973) de Yamina Mechakra.
Cependant, il reste tout à fait compréhensible que les femmes fussent peu nombreuses à la moitié du XXème siècle à se lancer dans l’aventure de l’écriture. Cela expliquerait l’importance du thème de l’école et de la lecture dans de nombreux romans. La lecture, par exemple chez Malika Mokeddem, reste le refuge suprême, et l’expression dont use l’auteur « le savoir est le premier des exils » peut s’expliquer par le contexte socio-historique dans lequel elle poursuit sa scolarité du primaire jusqu’aux études de médecine, c'est-à-dire de 1954, date du début de la guerre de libération, jusqu’en 1977. Les premiers pas scolaires, à l’instar d’autres écrivaines algériennes, prennent une place importante dans les romans « autobiographiques » de Malika Mokeddem, au point où l’école est présentée comme l’unique espace d’émancipation pour une fille. La lecture, unique rempart à l’enfermement du désert, des dogmes, et des traditions, nourrit l’imaginaire de l’enfant Malika Mokeddem :
« Enfant, j’entrais déjà à corps perdu dans la lecture. « Et lire c’était écrire » déjà comme le dira Duras dans « Ecrire ». Quand la lecture tient de la survie, forcément ».
Myriam Ben, Leïla Sebbar, Hawa Djabali vont ouvrir la voie à des genres d’écriture divers : roman, poésie, nouvelle et conte, essai, récit  de vie. Ces écrivaines doivent tenir compte des nombreuses pressions sociales qu’elles doivent quotidiennement affronter pour se faire entendre, en inventant différentes stratégies défensives telles que la recherche de l’anonymat par l’usage de pseudonymes, le décentrement ou le détournement de la narration au profit d’un personnage masculin:
D’ailleurs, si les femmes ont toujours été présentes dans l’Histoire de L’Algérie, voire du Maghreb, les chroniques et les livres d’Histoire ont surtout été écrits par des hommes. Une voix de femme ne pouvait se faire entendre dans l’espace public, il n’y a pas si longtemps. Le regard porté par la société sur ce statut public d’écrivaine, de créatrice fait de leur geste d’écriture quelque chose de surprenant, de dérangeant, voir d’inacceptable.
Selon Christiane Achour et Simone Rezzoug « l’écriture féminine introduit dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui n’ont pas coutume d’être exposés au débat collectif : psychologie, logique, gestuelle féminines ».
De même, Zineb Ali-Benali, souligne que la parole de la femme en Algérie est rarement prise au sérieux : 
«  Cette interdiction de la parole ‘‘sérieuse’ explique peut-être pourquoi les femmes n’ont produit qu’assez tardivement et très timidement des textes de réflexion, des essais. (…). Les femmes s’engagent bien plus tard que les hommes dans l’aventure de l’écriture. Parce qu’elles ont accès à l’école bien après eux. Parce qu’il leur faut franchir les murs bien réels et sociaux de la claustration. Parce que l’aventure de la parole publique, érigée en pérennité dans l’écrit, est un voyage périlleux ».
  Avant d’en arriver à l’écriture, d’autres espaces devaient être investis par ces femmes qui ne se confinent plus dans l’espace silencieux de la maison, l’Histoire se faisant au cœur même de la cité, de l’espace masculin, d’une société qui lui refusait le droit de parole. Aussi, poser la question de la place de la femme dans les espaces de vie revient à poser la question des mutations profondes dans le statut du féminin au sein d’une société patriarcale, musulmane.
Cette attitude qui consiste à privilégier les valeurs et les comportements masculins au détriment de valeurs traditionnellement reconnues comme féminines, exclut cette « écriture féminine. Le « féminin » ferait passer une liberté dans l’écriture, une écriture poétique, doublée d’une image de femme puissamment subversive, à l’image de Malika Mokeddem dont le trajet d’écriture s’inscrit dans la problématique de l’écriture féminine algérienne comme référent d’une nouvelle écriture de femmes des années 90. Une écriture qui déconstruit les stéréotypes du genre et amène à une réinterprétation du sujet-femme.
C’est dans cet espace « symbolique », espace des écritures de résistance « envers et contre tout », dans un contexte socio-historique où la littérature reste étroitement liée à un référent doublement tragique pour les femmes, que nous situons le cas de Malika Mokeddem, écrivaine des années 90, pour qui « écrire, noircir le blanc cadavéreux du papier, c’est gagner une page de vie ».
Il n’y aurait pas une « écriture féminine » mais des « écritures de femmes », selon Malika Mokeddem en réponse à une question relative à sa définition de l’écriture féminine :
« Il n’y a pas une écriture féminine mais des écritures de femmes ! On écrit avec une histoire -la sienne inscrite dans celle d’une contrée ou construite contre elle -, avec une pensée, une sensibilité, un corps. Certes, nous partageons toutes quelques aspirations, parfois dans des contextes similaires. Tout ce qui relève des émotions est universel. Mais nous n’avons pas les mêmes préoccupations ni les mêmes objectifs lorsqu’on naît aux USA, en Suède ou en Algérie… Cependant, la prouesse de tout écrivain, c’est aussi de se mettre dans la peau de l’autre ».
Ces écritures de femmes impliquées dans un contexte dont la situation socio-politique conjoncturelle des années quatre-vingt dix n’est que la partie visible de l’iceberg d’une société patriarcale où les références à la tradition de l’Islam historique (la Sunna) et l’obéissance à des traditions coutumières ( al’ a’dat ) règlent la conduite de la femme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base d’équilibre de la famille musulmane.
À l’intérieur du corpus des textes de femmes algériennes de langue française, des années quatre-vingt dix, nous situons l’écriture de Malika Mokeddem comme un référent d’une nouvelle « écriture de femme », entre algérianité et féminité, écriture dans laquelle l’auteur s’attelle à une déconstruction de stéréotypes de genre et à une réinterprétation du sujet Femme.
Ecrire, pratiquer l’écriture devient, pour Malika Mokeddem, une donnée existentielle. Cette foi dans l’écriture comme pratique existentielle recelant une information sociale et politique, comme pari à exister, est aussi, nous le verrons, une tentative esthétique nouvelle d’inscrire ce qu’elle est dans sa société, en tant que femme.
CHAPITRE II
ECRITURES DE FEMMES ALGERIENNES DEPUIS LEUR APPARITION JUSQU’AUX ANNEES QUATRE-VINGT.



I- Sur la critique de la littérature féminine algérienne.  PAGEREF _Toc246662125 \h 65
1-Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne.
2- L’apport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie. 

II- Les romancières étrangères ayant écrit sur l’Algérie : dans la lancée du féminisme.
1-Sur le féminisme :  PAGEREF _Toc246662128 \h 71
2- Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme.  PAGEREF _Toc246662129 \h 74
3- Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale.  PAGEREF _Toc246662130 \h 77

III- Premiers pas.
1- Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche, du côté du roman.  PAGEREF _Toc246662131 \h 82
2- Assia Djebar ou la résistance de l’écriture.  PAGEREF _Toc246662132 \h 84
3- A l’ombre d’Assia Djebar.  PAGEREF _Toc246662133 \h 90

IV- Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles.   PAGEREF _Toc246662134 \h 92
1-De la subversion formelle au « référentiel ».
2- Métissage et mixité : l’exemple de Leïla Sebbar.







I- Sur la critique de la littérature féminine algérienne de langue française.

1- Les universitaires algériennes : pionnières de la critique de la littérature féminine algérienne.
Un regard sur la littérature des femmes algériennes ne peut avoir prétention à l’exhaustivité, non seulement à cause de l’étendue de ce phénomène extrêmement riche et extrêmement varié de par les genres adoptés par cette littérature, même si le roman reste la forme dominante, -et c’est d’ailleurs sur ce genre que nous nous attarderons le plus-, mais aussi à cause d’une part de subjectivité de notre part, en tant que lecteur, qui fait retenir certaines œuvres et passer d’autres sous silence.
Une lecture de ces productions littéraires de femmes algériennes de langue française, dans le genre du roman, mais non exclusivement, sera faite, à travers le temps, par souci d’éclairage dans la progression de ces productions. La littérature de femmes algériennes, de langue française, comme toute littérature, se construisant en fonction d’antériorités.
Les premières recherches sur les écritures des femmes algériennes post-indépendantes sont principalement menées par des universitaires femmes algériennes à partir des années quatre-vingt dix. Il nous semble donc impératif de tenir compte des travaux de ces universitaires algériennes qui ont tenté de circonscrire ce champ relativement autonome sur le plan institutionnel, de la littérature féminine algérienne d’expression française.
Le but de ces universitaires est de faire connaître cette littérature qualifiée de « peu abondante », mais qui en fait est freinée par un certain nombre d’obstacles et dont le premier reste la méconnaissance et le manque d’intérêt pour ces créations. Il faut aussi signaler qu’en dehors d’une critique journalistique ponctuelle et réduite, ces études universitaires restent assez rares.
A notre connaissance, le premier travail qui mérite d’être souligné reste le fruit d’un laborieux travail d’une équipe de recherche composée d’universitaires femmes de l’université d’Alger, dirigée par Christiane Achour : Le Diwan d’inquiétude et d’espoirdont les recherches ont été menées de 1983 à 1987. Le Diwan réunit un corpus comportant 43 titres de récits, romans et recueils de nouvelles écrits entre 1947 et 1987. 
Tout en rappelant les nombreux handicaps qui freinent cette production dont la méconnaissance totale de ces créations, la mise à l’écart des littératures dites d’exil, les difficultés pour les femmes à se faire éditer, Christiane Achour et Simone Rezzoug soulignent les nombreuses pressions sociales que subissent ces productions féminines :
«  A ces difficultés générales, s’ajoute pour l’écriture féminine un contexte social particulier. L’acte scripturaire, au Maghreb entre autres, ne participe pas des rôles communément fixés à la femme, et il semble signifier toujours, à quelque degré, la désertion d’un poste, voir la transgression d’interdit. L’écriture féminine introduit dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui n’ont pas coutume d’être exposés au débat collectif »
Le fruit du travail de l’équipe a commencé à être connu lors d’une manifestation organisée le 8 mars, journée de la femme, en 1987 à l’université d’Alger, en présence de quelques écrivaines qui créèrent l’événement, à l’exemple de Myriam Ben, Souad Khodja et Hawa Djabali. Le Diwan ne finit par être édité qu’en fin 1991.  
Loin des querelles « féministes » occidentales, ces essais tentent de cerner l’émergence d’une parole féminine algérienne doublement aliénée :
D’abord, en tant que femme colonisée rappelant son rôle dans la lutte de libération pour affirmer son droit à la parole. Dans ce sens, Christiane Achour et Simone Rezzoug soulignent la particularité de la revendication de la voix féminine algérienne : «  la revendication sollicite la reconnaissance de la voix féminine au sein et non contre une communauté masculine », contrairement aux écritures féministes d’autres pays qui mettent en lumière la domination masculine et du système patriarcal, et qui luttent pour un changement général et global de la société.
Ensuite, en tant que femme maghrébine musulmane, reléguée dans l’espace « privé », espace de la réserve et du silence, et dont la voix investissant l’espace du « publié » donc du public, est considérée comme illicite dans une société patriarcale, musulmane.
L’autre travail méritant d’être rappelé, Noûn, Algériennes dans l’écriture de Christiane Achour , paru en 1998, couvre toute la période allant de 1989 à 1998. Cet ouvrage inévitable pour quiconque s’intéresse à l’émergence et à l’évolution de l’écriture féminine algérienne, rend compte de la diversité de ces écritures où se mêlent  œuvres littéraires et expressions personnelles de revendication et de témoignage. L’ouvrage « se propose, selon l’auteur, d’être un essai, un espace d’analyse, un document, un espace de lecture ».
L’essai porte sur la réception et l’histoire littéraire de l’écriture féminine, sur l’image des combattantes dans les romans, comme dans les albums de BD, en plus d’offrir des études suer l’œuvre d’Assia Djebar et des « portraits » d’Hawa Djabali, de Latifa Benmansour, de Malika Mokeddem, et de Malika Ryane. Dans la dernière partie intitulée « Recherches sur les écritures de femmes algériennes : un parcours », l’auteur revient sur le fruit du laborieux travail de l’équipe de recherche d’universitaires femmes de l’université d’Alger, Le Diwan d’inquiétude et d’espoir, où les écrits de femmes algériennes, de 1947 à1987 ont été classés systématiquement.
Un autre ouvrage de Christiane Achour publié en co-édition (ENAP/ Bordas), Anthologie de la littérature algérienne de langue française*, paru en 1990, consacre un chapitre à la littérature féminine algérienne sous l’intitulé « Femmes écrivains 1962-1987) ».
L’auteur justifie ce regroupement d’abord par le fait que les femmes algériennes écrivent surtout depuis 1962, ensuite par la place particulière qu’elles occupent dans l’ensemble de la production littéraire : « Depuis une dizaine d’années, les femmes écrivains introduisent une marque originale dans cette littérature, proposant des écritures nouvelles, des regards différents sur la réalité culturelle algérienne, reprenant d’une manière novatrice le geste ancestral de la femme créatrice. »
L’auteur souligne la rareté des anthologies consacrées à ces écritures nouvelles : « Excepté pour Assia Djebar ou Aïcha Lemsine, rares sont les anthologies ou les panoramas de la littérature qui accordent une place un peu conséquente à ces écritures. C’est donc à une sorte de « marge » du corpus littéraire que nous désirons procéder. »
Notons que ces recherches universitaires allaient provoquer un déclic hors des espaces strictement universitaires à l’exemple du groupe « Aïcha », groupe de recherche et d’écriture de femmes algériennes créée en 1989 ou des recherches entamées sur la littérature des femmes en arabe grâce à une arabisante, Faïka Medjahed..

2- L’apport de Jean Déjeux à la connaissance de la littérature féminine de langue française en Algérie. 
Jean Déjeux est de loin, dès les années quatre-vingt, le premier critique masculin étranger à s’être penché sur l’écriture des femmes au Maghreb. Il présente l’écriture des Maghrébines en la situant dans son contexte socio-historique en en traçant l’émergence et l’évolution.
En plus des nombreux ouvrages sur la littérature maghrébine, il s’est intéressé à la littérature féminine algérienne et a publié entre autres :
- Femmes d’Algérie. Légendes, Traditions, Histoire, Littérature, en 1987.(La Boîte à Documents, 1987.)
- Assia Djebar, romancière algérienne, cinéaste arabe, en 1994. (Sherbrooke, Ed Naaman,)
-La littérature féminine de langue française au Maghreb,2003.(Karthala).
Un article, « Littérature féminine de langue française au Maghreb » publié dans Itinéraires et contacts des cultures, en 1989 constitue le jalon de la présentation du phénomène de l’écriture féminine au Maghreb dans les années quarante. L’article a été repris, élargi et actualisé dans son essai majeur, La littérature féminine de langue française au Maghreb, dans lequel il brosse un panorama historique prenant en compte un corpus littéraire publié jusqu’en 1991. Cet ouvrage peut servir de tremplin pour quiconque s’intéresse à cette littérature afin de cerner quantitativement et qualitativement cette littérature.
Cet essai critique de Jean Déjeux propose une approche historique de cette littérature en cernant les étapes cruciales dont la période coloniale reste le repère essentiel pour un souci de lisibilité :
-La première période concerne ce qui s’est écrit avant même la conquête française de l’Algérie en 1830.  Cette période concerne aussi bien des voyageuses venues d’ailleurs que des femmes résidentes en Algérie, issues de la communauté européenne implantée en Algérie, et plus particulièrement des récits de femmes françaises ayant écrit sur l’Algérie.
-La deuxième grande période concerne ce qui s’est écrit durant la période coloniale, que ce soit par des écrivaines algériennes ou par des françaises nées ou non en Algérie, y ayant vécu, avec cependant une subdivision en sous-périodes historiques ayant engendré des ruptures dans ces écritures, à l’exemple de 1954, début de la guerre de libération, qui marque une rupture historique dans la littérature algérienne d’expression française, qu’elle soit écrite par des hommes ou des femmes.
-La troisième grande période relative à l’après-indépendance de l’Algérie, à partir de 1962, est axée exclusivement sur les écritures de femmes algériennes, avec une subdivision en plusieurs étapes afin de cerner l’évolution de ces écritures de femmes ayant fréquenté au départ, pour la plupart, l’école française avant l’indépendance, et ayant reçu un enseignement en français, dans les premières années de l’indépendance. II- Les romancières étrangères ayant écrit sur l’Algérie : Dans la lancée du féminisme.

1-Sur le féminisme :
Il convient pour commencer de revenir sur l’apparition de ce qu’on appelle la littérature « féministe » intrinsèquement liée à l’émergence du mouvement féministe au XXème siècle qui a mis en évidence, parfois au premier rang de ses préoccupations, un débat en termes nouveaux sur les rapports du masculin et du féminin, à tous les niveaux, y compris celui du littéraire.
Aussi, la littérature dite « féministe » est à distinguer de la notion « d’écriture féminine ». Le féminisme, notion trop générale et trop complexe ne peut être saisie sans avoir au préalable posé la question du terme lui même.
Le terme apparu au XIXème siècle et attribué à la pensée utopique de Fourier, est employé par Alexandre Dumas fils en 1872, puis sera présent dans la plupart des textes et thèmes féministes après 1890, en France, et à l’étranger.
Dans l’article consacré aux femmes et au féminisme dans « l’Encyclopédie Universalis », Geneviève Fraisse, note que « Dumas emprunte le mot au langage médical, qui fabrique ce néologisme, autour de 1870, à des fins nosographiques pour qualifier un arrêt de développement et un défaut de virilité chez des sujets masculins ». Elle notera sans s’étonner que : « le vocabulaire politique s’empare du mot  féminisme  pour caractériser les femmes qui revendiquent l’égalité avec les hommes, semblent vouloir leur ressembler, tandis que  le vocabulaire médical a usé de ce terme pendant quelques décennies pour caractériser des hommes d’apparence féminine ».
Les usages historiques du terme lui donnent un sens politique, par la double référence à Fourier et à Dumas fils, à partir des deux courants théoriques et politiques du XIXème siècle : la pensée utopique socialiste et marxiste, et la pensée républicaine et démocratique.
L’avènement de la IVème République en France, voit l’apparition du néologisme  «féminisme » où l’individu «  citoyen » évoque une forme de neutralisation de la différence sexuelle. L’unité doctrinale du féminisme reste la volonté d’égalité entre les sexes.
Cette volonté d’égalité, formulée comme identité, ressemblance ou analogie, et même complémentaire reste une constante à travers l’histoire depuis le XIXème siècle jusqu’en 1970, considérée comme l’année « zéro » du féminisme, année de l’émergence du MLF, le « Mouvement de libération des femmes », qui reste un mouvement social et politique, expression d’un groupe social porteur d’une demande de changement général de société.
Cependant, l’alliance conflictuelle du féminisme avec le socialisme et le marxisme a rendu la tache difficile à la pensée féministe, la lutte des classes étant historiquement plus déterminée que la lutte des sexes.
Le M.L.F, né juste après mai 1968 rencontre la même contradiction où les femmes militantes de gauche forment des « groupes femmes » autonomes à l’intérieur puis à l’extérieur de ces institutions. Cette double appartenance politique d’adhésion et de tension crée une situation paradoxale, voir intenable. Le MLF, recherche un équilibre politique difficile : La « sororité », concept politique ayant permis la diffusion du féminisme dans les diverses classes sociales, reste un concept ambigu, voir utopique, avec ses revers et ses récupérations.
La volonté de mettre les femmes en position de sujets et non pas d’objets de discours a pour effet l’entrée des femmes dans les diverses instances du pouvoir social et politique. La constitution française inscrit en 1946, dans ses principes, l’égalité entre les sexes. Ainsi, les différences avec les étapes antérieures embrassent tous les domaines : le rapport à la loi, l’autonomie sociale et familiale, et enfin la possibilité de parler du corps féminin.  D’une part, la question du lien familial, et d’autre part, le corps lui-même, représenté comme lieu de désir, d’une libération.
En fait, on fait de la vie privée un lieu politique : « le privé est politique » affirment les féministes, qui, du coup, en mettant en lumière la domination masculine du système patriarcal, produisent un discours critique sur leur pouvoir propre : pouvoir du corps, de la séduction, de la maternité.   On en vient aujourd’hui, après la réflexion théorique née de la pratique militante, à s’interroger sur la différence des sexes où l’usage du concept de genre, plutôt que de sexe qui domine dans les pays anglo-saxons, tend à placer en premier lieu dans l’analyse de la différence sexuelle, l’idée que l’existence des deux sexes traverse l’ensemble des champs du savoir. Cela implique que ce concept de genre, qui en français est aussi pluriel (genres) désignant par là les domaines grammatical, sexuel, littéraire, devienne une composante de tout travail théorique.

2- Les romancières étrangères en Algérie: Dans la lancée du féminisme.
« Des voyageuses venues d’ailleurs qui avaient fait de cette terre, pour des raisons diverses, leur port d’attache ou leur halte et des résidentes issues de la communauté européenne implantée » avaient décrit le pays avant l’émergence d’une littérature féminine algérienne, nous dit Christiane Achour.
Jean Déjeux nous rappelle qu’avant même la conquête de l’Algérie en 1830, dès 1823, un roman paraissait signé par une française. Il faudra attendre 1853 pour voir la publication d’un roman par une autre française.
Jean Déjeux comptabilise seize romans parus en quarante-cinq ans, de 1853 à 1898, écrits par douze auteurs parmi lesquels : Joséphine de Voisins d’Ambre, signant Pierre Cœur, qui publie quatre romans où se reflète l’idéologie de l’auteur, partisan de l’assimilation totale des Algériens, en montrant aux lecteurs « la part d’ombre et de barbarie des Arabes, avec tous les poncifs de cette époque fin de siècle ».
Selon Jean Déjeux, les françaises ayant connu le Maghreb ont écrit sur le Maghreb avant les maghrébines, de l’intérieur, en véhiculant ainsi : « les poncifs, les clichés, les exagérations qui étaient fonction de l’idéologie coloniale ».
En Algérie, Hubertine Auclert, citée par Jean Déjeux, publie un essai en 1900, Les Femmes arabes en Algérie, dans la lancée du féminisme, après un court voyage d’où elle revient avec des « pages généreuses sur l’émancipation des algériennes », car n’ayant qu’une connaissance « partielle » de la société algérienne. 
Isabelle Eberhardt (1877-1904), d’origine russe devenue française par son mariage avec un maréchal des logis des spahis, Slimène Ehnni est citée à part comme personnalité exceptionnelle : « Généreuse mais tourmentée, éprise d’absolu(…) elle n’avait rencontré que certains milieux féminins, se plaisant dans la marginalité ».
En outre, Les Endormies d’Angèle Maraval-Berthoin et de Magali Boisnard, paru en 1909, est lu par Jean Déjeux, comme un titre très « significatif » de cet impact du féminisme français. Cependant, sur l’impact du féminisme français en Algérie, l’auteur note que c’est de 1919 à 1939 que fleurissent les romans de françaises sur la colonie : « En Algérie, on allait donc ‘’ se pencher’’ sur le sort de nos ‘’sœurs’’ musulmanes pour les ‘’relever’’ et les faire ‘’monter’’ vers la civilisation et la culture apportées par la France ».
L’impact de la scolarisation sur le nombre limité d’algériennes à se lancer dans l’aventure de l’écriture est souligné par l’auteur, contrairement aux juifs algériens, devenus citoyens français depuis le décret Crémieux de 1870, qui avaient rejoint l’école française, alors que les musulmans, et surtout les musulmanes, ont connu une ségrégation supplémentaire dans la scolarisation.
Christiane Achour cite à ce titre le Bulletin de l’Enseignement des Indigènes de l’Académie d’Alger de janvier 1900 pour démontrer la « ségrégation supplémentaire » qu’ont connu les filles par rapport à une « sélection drastique » pour le droit à la scolarisation. Ainsi, il ne s’agit pas de faire de ces jeunes filles « des pseudo-françaises portant jupons et chapeaux, mais seulement […] des femmes de ménage sachant à peu près lire et parler français, ayant quelques notions de morale et d’hygiène, sachant manier l’aiguille et le savon ».   
Les quelques exemples de femmes algériennes ayant pu bénéficier d’une scolarité, à l’instar de Fatma Aït Mansour mère de Jean et Taos Amrouche font partie d’un chiffre infime de filles ayant pu échapper à la politique contradictoire de la France afin de ne pas choquer les indigènes en respectant les « mentalités ».
De 1940 à 1962, Jean Déjeux compte vingt-cinq auteurs pour trente-cinq romans qui paraissent dans un contexte politique différent : occupation de la France en 1940, montée du nationalisme et de ses revendications, et guerre d’indépendance (1954-1962).   
En fait, mis à part les écrits d’Isabelle Eberhardt, figure d’ailleurs très prisée par Malika Mokeddem, tous ces romans, selon Jean Déjeux, passaient sous silence un aspect important de la promotion des femmes et de leur ‘’libération’’, relatif aux durcissements du milieu algérien qui « préservait les femmes comme dernier refuge de la résistance et contre l’investissement de la société dans ses profondeurs ».
Cela conduit ces auteures à ne dénoncer que les travers vus dans le milieu musulman, à travers un féminisme qui ne tient pas compte des particularités ethniques, socioculturelles, politiques, reposant uniquement sur une volonté d’égalité des sexes.

3- Féminisme et revendication sociale chez les écrivaines algériennes en Algérie coloniale.
Déjà, en 1947, Djamila Debèche, directrice d’une revue féminine « L’Action », participait à Paris, au Congrès féminin international où étaient représentées cinquante trois nations.
La revendication sociale était au cœur du problème. Des unions de femmes, citées par Jean Déjeux existaient déjà : L’Union franco-musulmane des femmes d’Algérie crée en 1937 ; l’Union démocratique des femmes d’Algérie dans la mouvance du Parti communiste algérien, le PCA ; L’Union des femmes algériennes (UFMA) créé en 1947 par le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Il est important de noter qu’en 1947, le droit de vote de la femme en Algérie existait, mais qu’il était assorti de restriction.
En 1949, paraît Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir qui met à nu la condition de la femme : «  Les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde à égalité ; et aujourd’hui encore, bien que sa condition soit en train d’évoluer, la femme est lourdement handicapée. En presque aucun pays, son statut légal n’est identique à celui de l’homme et souvent il la désavantage considérablement. Même lorsque ses droits lui sont abstraitement reconnus, une longue habitude empêche qu’ils ne trouvent dans les mœurs leur expression concrète ». 
Les mots de Simone de Beauvoir reviennent encore chez bon nombre d’essayistes et d’écrivaines maghrébines pour lesquelles la féministe française demeure toujours un référent.
La référence au Deuxième sexe revient chez Malika Mokeddem et chez d’autres écrivaines comme le premier apprentissage vers la libération des femmes ; apprentissage relaté par l’auteure par ses importantes références livresques : «  Je bûche et je lis tard. Des lectures importantes balisent mes insomnies. Rimbaud, Colette, Giono, Sartre, Beauvoir dont Le Deuxième sexe m’ouvre des horizons et me conforte ».
Cependant, il est à noter que jusque en 1954, à l’exception de Djamila Debeche, les algériennes ne prennent pas vraiment part au débat public. Zineb Ali-Benali2 cite les conférences que Djamila Debèche a tenues à Alger entre 1946 et 1951 :
-« La femme musulmane dans la société », texte d’une conférence prononcée à Alger, repris dans la revue Contacts en terre d’Afrique3
-« les musulmans algériens et la scolarisation » ,conférence faite à Alger, le 15 janvier 1950, sous l’égide du comité de scolarisation et de lutte contre l’analphabétisme (créé en 1947 par le SNI) ; publié par la librairie Charras.
-« L’enseignement de la langue arabe en Algérie et le droit de vote aux algériennes, conférence faite à Alger le 8 juin 1951 ; publiée en brochure par la librairie Charras.
Nous noterons que Djamila Debèche, dans ses interventions orales, s’éloigne de la politique pour mener une action sociale. Il s’agit de  permettre à la femme de sortir de sa « chrysalide » grâce à la scolarisation. Ce terme sera d’ailleurs repris comme titre par Aîcha Lemsine dans son premier roman, La Chrysalide 4. 
Le statut de l’Algérie française n’est nullement remis en cause, même si l’auteur rappelle que le pays devenu français a un passé, une Histoire, religieuse surtout. Le rôle de l’islam qui permet à la femme de se libérer, et la colonisation qui lui ouvre les voies de la modernité, sont mis en parallèle. Cela autorise Djamila Debèche à revendiquer déjà le droit à l’enseignement de la langue arabe et le droit de vote pour les femmes.
Jean Déjeux remarque que « l’auteur (Djamila Debèche) n’a pas attendu les années quatre-vingt pour s’exprimer et que, dès cette époque, son œuvre ne fut pas centrée uniquement sur sa propre personne comme celle de Taos Amrouche mais directement sur la revendication sociale ». Dès 1954, les femmes engagées dans la lutte de libération sortent de la réserve, prennent moins la parole en tant que femme qu’en tant que combattante à part entière.
Au lendemain de l’indépendance, Fadela M’rabet lance un cri pour protester contre l’ordre de priorité des problèmes à régler après l’indépendance en laissant de côté la libération de la femme. C’est dans le domaine de l’essai qu’elle fera grincer des dents au lendemain de l’indépendance, en décortiquant sans complaisance la place réservée à la femme dans la société algérienne.
« Tant de problèmes se posent en Algérie (…) que le moment est mal venu, dira t’-on, d’en soulever un autre : celui de la libération de la femme », nous dit Fadela M’rabet .
Si ces paroles se donnent comme plurielles, pendant la période de la guerre de libération(1958-1962),  ce ne sera qu’après l’indépendance que se feront entendre les accents particuliers des voix de femmes, toujours plus nombreuses. Selon Fadela M’rabet, l’avenir n’est pas complètement bouché, l’espoir se dessine derrière les cris de révolte. L'argumentation rigoureuse en faveur de son émancipation prend le pas sur la polémique :
« Aux mères youyoutantes, aux cousines emmarmaillées, de libres citoyennes –des femmes modernes – succéderont-elles ? Il n’est pas insensé de l’espérer »1.
Vingt ans plus tard, Souad Khodja, loin de la révolte et du cri de rage des Algériennes, tente de poser le problème du statut de la femme avec objectivité. Leur désir de participation, sans déclaration de différence, souligne les diverses exclusions dont elles sont victimes. Entre leur engagement dans la lutte de libération et la place qu’elles occupent, une fois la liberté retrouvée, l’écart est trop grand !
Les algériens qui écrivent en français durant la période de colonisation publient d’abord des textes de réflexion. Ces essais répondaient en partie aux discours négateurs de l’occupant. Cependant, les femmes ayant eu accès à l’école bien après les hommes, s’engageront bien plus tard dans l’écriture pour participer aux débats qui faisaient d’elles un objet, d’autant plus qu’il fallait franchir le seuil de la claustration pour passer de la parole publique à la pérennité de l’écrit.
« Nous pensions acquérir nos droits en faisant nos preuves », semblent dire ces exclues de parole qui se sont mises à écrire, donc à réfléchir, à analyser, en recourant au genre de l’essai.
Certes, ces femmes, comme nous le verrons, publieront des romans, à l’exemple de Jacinthe noire de Marguerite Taos Amrouche ; des traductions de contes et de légendes, en 1947, dans Le grain magique ; des poèmes, où la plume, comme la parole, est prise pour chanter, raconter, pour perpétuer la chaîne de la tradition oral de mère en mère.
II- Premiers pas.

1- Djamila Debèche et Marguerite Taos Amrouche : du côté du roman.
Les femmes algériennes, peu nombreuses, font leur entrée en littérature à petits pas. Cette littérature s’est limitée au départ à quelques noms de pionnières auxquelles de nombreux travaux universitaires ont été consacrés : Djamila Debèche, les Amrouche, Fadhma Aït Mansour, la mère, Marguerite Taos, la fille. Il a fallu attendre 1947 pour voir apparaître Leïla, jeune fille d’Algérie, de Djamila Debèche, et Jacinthe noire de Marie Louise Amrouche, roman qui sera réédité en 1972, précédé d’une lettre d’André Gide, sous le nom d’auteur de Taos Amrouche.
Djamila Debèche, pionnière de la presse féminine en Algérie colonisée, et dont toute l’action fut de militer pour la promotion de la femme Algérienne, tente de traduire cette lutte par le biais d’une écriture romanesque autobiographique. Ses romans sont, selon Jean Déjeux, « comme de applications, des romans à thèse (…) de cette volonté de donner la parole aux femmes ».
Ce premier roman , témoin de ce premier mouvement de la littérature féminine, puis Aziza, publié en 1955, restent, selon Bouba Mohammedi-Tabti, des « romans bien conventionnels (…) où l’intrigue sert de prétexte à des développements sur la possibilité pour la ‘‘ femme musulmane’’ de s’émanciper dans l’Algérie coloniale ».
Marie-Louise (Taos) Amrouche, considérée comme la première romancière algérienne entame avec Jacinthe noire, suivi en 1960 de Rue des tambourins et, en 1975, de L’Amant imaginaire, un itinéraire romanesque à forte coloration autobiographique, marqué par son éloignement du pays et par l’exil qu’elle vit avec les siens.
Ces deux premières œuvres féminines publiées toutes deux à Alger, entrant par effraction dans le monde de la littérature dans un contexte socio-culturel défavorable, marquent une transgression conséquente par rapport à la société d’origine des écrivaines.
Cependant, Christiane Achour nuance cette transgression en situant les deux écrivaines comme des cas à part, car relatant « un parcours exceptionnel par rapport aux autres femmes ». Ainsi, les deux écrivaines « se situant dans des ‘‘périphéries’’ algériennes, le scandale est minimisé : trop différentes pour être représentatives, elles ne risquent pas de contaminer ; au contraire, leur singularité est gage d’isolement ».
Christiane Achour s’explique sur les raisons de cet isolement par le fait que « M-L Amrouche appartient à une famille de kabyles chrétiens, exilée en Tunisie et dont le frère a déjà publié des poèmes ; D. Debèche est connue des milieux de la colonie qui s’intéressent à l’émancipation de la femme musulmane ».
Ainsi, « Le message qu’elles entendent transmettre à partir de leurs romans n’est pas reçu par ceux et celles auxquels il semblerait s’adresser prioritairement. Il est perçu de façon positive par le milieu colonial qui y voit une preuve des prémices du changement des mentalités sous l’influence de la France ».
Il est à noter que le récit de Fadhma Aït Mansour, Histoire de ma vie, écrit en 1946, antérieur aux récits de Djamila Debèche, ne sera publié qu’en 1968, après sa mort et celle de son mari. Sa naissance illégitime, son instruction et sa conversion au christianisme, la condamnent à un statut de marginale que l’auteur rente de restituer dans un texte plein de souffrance née de la différence, de l’exil et de la mort des siens.

2- Assia Djebar ou la résistance de l’écriture.
Il faudra attendre dix ans pour que le roman d’une autre algérienne, Fatima-Zohra Imalayène, fasse la une. Son premier roman, La Soif, paru en 1957, est signé Assia Djebar, son nom-en-littérature, qui signifie en arabe, intransigeant pour Djebar, et « consolation, réconciliation » pour Assia L’auteur, qui n’a que vingt ans, écrira aussitôt un deuxième roman, paru en 1958, Les Impatients.
En 1962, Assia Djebar, après ces deux romans « intemporels », tournant le dos à l'actualité, fait paraître Les Enfants du nouveau monde, où elle fait explicitement référence à la guerre et au monde neuf que la lutte de libération nationale enfantera. Le titre de circonstance, mais trompeur, voudrait refléter une nouvelle réalité politique et sociale, à savoir l'indépendance de l'Algérie. C'est un fragment d'un poème d’Eluard, mis en exergue, qui accompagne ce « nouveau monde ».
"Et pourtant de douleurs en courage en confiance
S'amassent des enfants nouveaux
Qui n'ont plus peur de rien pas même de nos maîtres
Tant l'avenir leur paraît beau "
Nous connaissons la suite. C'est le désenchantement devant les éternelles barrières séparant l'espace public de l'espace privé qui se rétablissent. La femme est moralement amenée à réintégrer son foyer et redevenir la gardienne des valeurs retrouvées. C'est donc dans un contexte où l'on tente d'occulter son combat passé qu'elle en appelle à l'Histoire.
La colonisation a suscité la résistance des algériens, qui, à leur tour, durcissaient leur position envers les femmes en les reléguant dans l'espace privé, espace de la réserve et du silence, pour leur éviter le regard de l'Autre, voyeur avide d'enrichir son Harem colonial. Les femmes écrivains disent la guerre, leur présence incontournable dans la nation, mais elles le disent à leur manière, dans un désir de dire l'Histoire des femmes en les faisant entrer de plein- pied dans l'Histoire.
Malika Mokeddem ne dit rien d’autre selon ARMELLE Crouzières-ingenthron, à propos du roman Les Hommes qui marchent : « En juxtaposant la guerre, en tant qu’histoire collective, à plusieurs histoires individuelles de femmes, (elle) évoque par la même le désir d’émancipation de ces dernières »1.Toutefois, dans le cas de l’Algérie, il est inévitable de relever la contradiction d’émancipation et de claustration qui a présidé à la destinée des femmes. Beaucoup de romans écrits par des femmes disent que les femmes n’ont jamais été absentes de l’Histoire de l’Algérie et qu’elles devraient être reconnues en tant que telles.
Des auteures comme Assia Djebar, Aïcha Lemsine, Yamina Mechakra, Malika Mokeddem, apportent par leur lyrisme, leur symbolisme, et leur amplification stylistique, des images fortes de résistantes à l’opposé des discours circonstanciels, des œuvres de célébration, ne posant aucune question gênante à l’Histoire.
Nous faisons ici allusion à ce que Assia Djebar écrit après un silence d’une dizaine d ‘années Femmes d’Alger dans leur appartement et L’Amour, la fantasia, où l’auteur, dans une écriture hybride, explore par le détour de la fiction, la mémoire parcellaire des femmes à travers l’Histoire, tout en relisant les historiens et chroniqueurs français de la conquête de l’Algérie.
La question de l’émancipation de la femme, très tôt posée sur le plan psychologique, dans les deux premiers romans de Djebar : La Soif, et Les Impatients, sera transposée dans le domaine de la lutte pour l’indépendance, dans Les Enfants du Nouveau monde. Les héroïnes, plus nombreuses que les hommes, vont chercher où trouver leur vérité. Chérifa trouvera la force d’agir pour prévenir son mari recherché par la police. L’acte reste sans lendemain, après le départ de son mari, mais elle aura eu, même brièvement, la sensation d’ « exister ».
Cinq ans plus tard, en 1967, Les Alouettes naïves anticipe à travers N’fissa, spécimen encore rare de la femme de l’avenir, sur le risque de voir la pureté de la Révolution dénaturée par l’ambition trop grande des politiques.
Il aura fallu dix ans de silence à Assia Djebar pour, selon Mireille Calle-Gruber, « accepter de n’être ni en langue arabe ni en langue française mais en terre de littérature qui est lieu de pousse et de métamorphoses pour le sujet de l’écriture ». Ce silence de dix ans pendant lequel Assia Djebar n’écrira pas marque le creuset entre deux époques d’écriture, celle des œuvres de jeunesse, et celle de la maturité entamée avec Femmes d’Alger dans leur appartement, en 1980.
Ecrire, pour une femme, signifie écrire sur soi-même : « J’ai senti à ce moment-là qu’écrire pour une femme signifiait inévitablement écrire sur soi-même. Et j’ai reculé », nous dit Assia Djebar.
Femmes d’Alger dans leur appartement, recueil de nouvelles, regroupant des textes écrits sur vingt ans, de 1958 à 1978, est le dialogue qu’entretient le texte avec le tableau de Delacroix qui donne son titre au recueil de nouvelles. Ce dialogue est explicité dès la préface en mettant l’accent sur ces femmes :
«  En attente toujours. Moins sultanes que prisonnières. N’entretenant avec nous, spectateurs aucun rapport. (…) Etrangères mais présentes terriblement dans cette atmosphère raréfiée de la claustration».
Ce thème de la claustration, déjà présent dans Les Enfants du nouveau monde reste un élément majeur, thème récurrent dans la production d’Assia Djebar. Ce sont les « restes d’une culture de femmes » en voie de disparition, les cris, les chuchotements, les silences, qui remontent l’envers de l’Histoire officielle, entre 1950 et 1954. C’est ce que souligne Mireille Calle Gruber dans l’ouvrage consacré à Assia Djebar : « On comprend bien, dès lors, comment l’autisme de la société algérienne et le double verrouillage où elle tient l’existence féminine, font tout le soin du livre d’Assia Djebar »
Après Femmes d’Alger dans leur appartement, les textes successifs qui viendront, L’Amour, la fantasia ( 1985), Ombre Sultane ( 1987), Loin de Médine (1991), Vaste est la prison (1995), Le Blanc de l’Algérie ( 1995), Oran langue morte ( 1997) constituent, selon Mireille Calle-Gruber « une épreuve singulière pour l’écrivain affronté à tous les partages : femme Algérienne, berbérophone par les grands-parents, arabophone par les parents, écrivant dans la langue française qui fut langue d’oppression pour les pays du Maghreb, pour elle langue de culture et d’émancipation lors des années de scolarité en Algérie, puis en France, à l’ENS, où elle étudie l’Histoire, ne passera pas l’agrégation pour cause de Guerre d’Algérie». 
Assia Djebar, qui, selon Beïda Chikhi, « restera pour le public essentiellement un écrivain-femme qui parle de celles ‘‘qui baissent les paupières ou regardent dans le vague pour communiquer », entame, inlassablement, surtout depuis Femmes d’Alger dans leur appartement une quête de la forme, en inscrivant une dimension critique et une réflexion sur l’écriture et l’art en général.
Accéder à l’école et se mouvoir en toute liberté au dehors grâce au père permet à Assia Djebar de se dire et de dire les autres. Cette liberté et l’accès à la langue française et à l’écriturte dans cette langue, la langue de l’autre, seule possible, installe la déchirure.
Le rapport complexe qu’elle entretient avec la langue française n’exclut pas les langues maternelles. Le ressentiment d’une sorte de conflit entre les deux langues, entre le français et l’arabe, va imprimer à l’œuvre une nécessité et une urgence constamment présentes. C’est à propos de Femmes d’Alger deans leur appartement qu’Assia Djebar écrit ces lignes : 
« […] je prends conscience de mon choix définitif d’une écriture francophone qui est, pour moi, alors, la seule de nécessité : celle où l’espace en français de ma langue d’écrivain, n’exclut pas les autres langues maternelles que je porte en moi, sans les écrire ».
L’exercice autobiographique par les seuls mots français, senti comme périlleux par Assia Djebar, sera vécu avec moins de « complexité » et de « culpabilité » par les écrivaines algériennes de langue française qui « arrivent » plus tard, à l’exemple de Malika Mokeddem.

3- A l’ombre d’Assia Djebar.
Parmi les premières romancières qui tiendront compagnie à Assia Djebar, à partir de 1976, des noms émergent parmi lesquels : Aïcha Lemsine et Yamina Mechakra.
En 1976, Aïcha Lemsine signe d’un pseudonyme La Chrysalide : Chroniques algériennes, éditée en France. L’ouvrage parait dans un paysage littéraire peu marqué par l’écriture des femmes. Ce qui, selon Christiane Achour, explique le « bruit  que produit alors la première fiction d’Aïcha Lemsine, La Chrysalide. L’éditeur et le moment expliquent sa notoriété : être éditée par les éditions des femmes à Paris donne un label de féminisme à bon compte alors que plus d’une page de ce roman serait à discuter et, en particulier le point de vue développé dans la fiction sur la polygamie ».
Au-delà de l’appréciation esthétique que l’on peut porter sur ce roman, paru dans un contexte de vide culturel où Assia Djebar n’avait plus publié depuis Les Alouettes naïves, en 1967, ce qui accentue l’intérêt de la critique pour une œuvre de femme algérienne, La Chrysalide, qualifié de roman « à l’eau de rose » par Christiane Achour, n’en demeure pas moins une date inaugurant une période riche en production romanesque féminine. Aïcha Lemsine écrira en 1978 un second roman, Ciel de porphyre, roman situé dans le contexte de la guerre, et qui pose un regard critique sur les gouvernants.
Un événement esthétique paraît en 1979 : La Grotte éclatée de Yamina Mechakra. Le texte pose le problème du statut générique. Roman ou plutôt récit poétique tel que présenté par Kateb Yacine dans sa préface : « Un long poème en prose qui peut se lire comme un roman ». Contrairement à La Chrysalide de Aïcha Lemsine, La Grotte éclatée ne doit son succès qu’à ses qualités esthétiques. Ce qui lui vaudra d’être réédité en 1986.
Ce récit historique majeur sur la guerre de libération qui dit toute la violence de la guerre est aussi un roman d’amour, en dehors de toutes conventions et des coutumes. L’auteur, psychiatre dans la vie, parle du corps, de l’amour pour Arris, « nom triplement signifiant qui désigne aussi bien la terre, Arris, haut lieu de résistance, que l’homme aimé, que l’enfant qu’il lui donne, les trois se confondant en un tout indissociable », selon Bouba Mohammedi-Tabti.
Ce récit, l’un des plus forts sur une maquisarde, raconte l’histoire d’un peuple en guerre, mais autrement, c’est à dire en intervenant dans l’Histoire en tant qu’écrivain : « à partir des émotions , à partir de sa propre culture », selon l’auteur, en posant ainsi la question du rapport au langage. Ce que le roman signale clairement dès le début, en soulignant l’orientation de son écriture :

« Langage pétri dans les nattes tressées au feu de l’amour qui flambe depuis des siècles au cœur de mes ancêtres et dans mon cœur vers lequel souvent je tends mon visage gelé et mon regard humide pour pouvoir sourire. Langage pétri dans les tapis, livres ouverts portant l’empreinte multicolore des femmes de mon pays qui, dès l’aube se mettent à écrire le feu de leurs entrailles pour couvrir l’enfant le soir quand le ciel lui volera le soleil. »2
Ainsi, au delà de ce journal d’une maquisarde, on retient l’écoute des paroles des anciennes, des autres femmes dont elle se fera la passeuse dans son récit, pour ne pas oublier l’Histoire des femmes, l’histoire de Rima, car raconter leur lutte ne doit pas faire oublier les oppressions dont elles furent victimes. Le « je » qui fait place au « nous » redonne sa dimension au corps toujours nié, à un portrait et à un visage concret, pour ne pas réduire la femme à son seul militantisme.




IV- Les années quatre-vingt : auteurs nouveaux, écritures nouvelles. 

1- De la subversion formelle au référentiel.
Charles Bonn avance que dans les années quatre-vingt, la période de la génération des « monstres sacrés » (Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni…) s’achève puisque les auteurs n’écrivent plus ou écrivent des textes différents, en rupture avec le mythe de l’origine, la primauté de la subversion formelle n’étant plus de mise. Ainsi, « le référentiel prend le pas sur l’élaboration littéraire »  selon l’expression de Charles Bonn.
La production littéraire de femmes de la décennie des années quatre-vingt offre un éventail hétérogène allant d’écritures stéréotypées à des œuvres plus achevées : auteurs nouveaux, écritures nouvelles, augmentation des romans de femmes. Beaucoup de romans semblent moins préoccupés de recherche esthétique et formelle que de d’information et de témoignage. L’entrée en force de ces écrivaines dans le champ littéraire, en langue française, révèle, en tout cas, de ce désir d’expression qui se manifeste alors, annonçant une percée plus conséquente à la fin des années quatre-vingt dix.
Bouba Mohammedi-Tabti classe dans cette catégorie d’écritures stéréotypées, centrées sur le message, souffrant « d’un excès de didactisme, d’une volonté de dénonciation », les romans de Hafsa Zinaï Koudil : La Fin d’un rêve (1984 ), Le Pari perdu (1986 ), Le Papillon ne volera plus ( 1990 ), Le Passé décomposé ( 1992 ).
Sont citées aussi, dans cette catégorie, Zehira Houfani Berfas, qui verse dans ses romans, selon Bouba Mohammedi-Tabti, dans « la littérature de consommation avec une tendance nette à la moralisation, comme c’est souvent le cas, dans les œuvres les moins élaborées », et le roman de Fettouma Touati, Le Printemps désespéré(1984), classé dans la littérature de dénonciation des maux sociaux, de par « l’intrigue ( qui ) en est assez ténue et ne sert que de prétexte à la démonstration qui sous-tend l’œuvre ; l’accent est mis sur la souffrance des femmes, leur enfermement, sur l’échec multiforme de leur vie ».
Un roman, Le Cow-boy( 1983 ), le seul écrit par Djanet Lechmet, met en scène de façon inhabituelle dans la littérature algérienne, le récit d’une enfance pendant la colonisation à travers la relation innocente d’une fille révoltée, avec un jeune français. La transgression que représente à l’époque cette amitié amoureuse hors norme est doublée d’une autre transgression : la révolte contre l’école quand on sait la valorisation de cet espace, synonyme de liberté, dans pratiquement toute la production littéraire féminine.
Myriam Ben écrit aussi un seul roman, Sabrina, ils ont volé ta vie. Le roman raconte l’impossibilité d’une vie harmonieuse du couple, même amoureux, dans la société algérienne. Cependant, l’auteur s’est surtout fait connaître par un recueil de nouvelles paru en 1982, Ainsi naquit un homme.
Le premier roman de Hawa Djabali, Agave, paru en 1983, dont l’écriture est toute tissée de contes créés par l’écrivaine, contient déjà presque tous les motifs que reprendra Glaise rouge. Boléro pour un pays meurtri, en 1998, roman considéré par la critique comme l’un des plus beaux romans algériens.
La place que tiennent des figures féminines centrales, la grand-mère Nedjma et Hannana, et l’aide qu’elles apportent à l’héroïne, une jeune fille originaire d’Alger, qui viendra séjourner dans la montagne, en lui transmettant l’amour de la terre et des saisons, mettent « en veilleuse » ces espaces précieux qui ne sont pas épargnés par la violence, à l’instar des œuvres publiées durant cette décennie noire.

2- Métissage et mixité : l’exemple de Leïla Sebbar.
L’œuvre de Leïla Sebbar, est présentée par Christiane Achour comme « œuvre qui ne se comprend pas en dehors de la référence à l’Algérie mais qui ne se laisse classer ni dans la littérature de l’émigration, ni dans la littérature algérienne. Elle ferait plutôt partie d’une littérature française témoin du métissage » . Ainsi, aucun chapitre ne lui sera consacré dans son ouvrage de référence sur la littérature féminine algérienne, Noûn, Algériennes dans l’écriture, mis à part la présentation de sa bibliographie.
Elle ne sera pas non plus citée par Bouba Mohammedi-Tabti dans son Regard sur la littérature féminine algérienne., tandis que Jean Déjeux la cite en soulignant son espace de fiction favori, celui du métissage, du mixte, à l’image de sa personnalité, commencé à partir de 1981, avec un premier récit, Fatima ou les Algériennes au square qui sera suivi par des romans, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, en 1982 ; Le Chinois vert d’Afrique, en 1984 ; un autre récit, Parle mon fils, parle à ta mère, en 1984, et deux autres romans : Les Carnets de Shérazade, en 1985 ; J. H cherche âme sœur, en 1987.
Son itinéraire d’écriture de fiction en six années, de 1981 à 1987, est remarquable. Deux récits, cinq romans, et un ouvrage en collaboration avec Nancy Huston, Les Lettres parisiennes, autopsie de l’exil, publiées en 1986.
A travers le personnage féminin emblématique de Shérazade, l’auteur met en scène la difficulté à se situer entre deux pays, la France et l’Algérie, en croisant les symboles, les signes, les espaces : l’orient et l’occident, les réminiscences historiques, avec une nette mise en fiction de personnages marginaux, issus de l’émigration, en France.






Conclusion
En conclusion, nous dirons que la décennie quatre-vingt, prometteuse d’une littérature parlant de l’Algérie, mais se diffusant surtout en France, a donné naissance à des œuvres médiatisées sans que leur qualité esthétique ne soit toujours conséquente.
Par ailleurs, l’une des principales directions de lecture qui s’offrent à nous reste le rapport à l’autobiographie, même si d’autres genres sont prisés, à l’exemple de la nouvelle, et du récit poétique mêlé à la narration historique qui s’affirme aussi comme une « technique » féminine pour conjuguer l’Histoire à leur histoire personnelle et/ou à l’histoire des autres femmes, les liens étroits que tissent ces œuvres avec une oralité considérée comme typiquement féminine, à l’exemple de la présence fréquente du personnage de la conteuse.
Aussi, pour les thèmes privilégiés, nous retrouvons des constantes à travers des thématiques nouvelles permettant d’affirmer une féminité et un vécu non conforme aux normes de la société : la thématique du couple, voir de l’échec du couple, malgré l’introduction de personnages de femmes « modernes » ; l’accès à la lecture et à l’écriture comme premier pas vers la liberté ; la nostalgie envers le monde maternel, féminin, lié à l’enfance ; l’image du père et de la mère…
Nous pouvons avancer que cette littérature féminine, à contre courant de sa société de référence, peut être appréhendée comme « contre-littérature » telle que définie par Bernard Mouralis qui met l’accent sur sa subversion esthétique qui entraîne une remise en cause des normes établies et consacrées et dérange ainsi la société où émergent ces textes « subversifs ».

CHAPITRE III

LES ECRITURES DE FEMMES ALGERIENNES DANS LE CONTEXTE DES ANNEES 90 : LE CONTEXTE DE L’URGENCE



 HYPERLINK \l "_Toc246235888" I- Un contexte de violence, une écriture de l’urgence. 

1- Un contexte de violence.
2- Une profusion de textes écrits par des femmes
3- Rendre compte d’urgence d’une situation par la littérature.
4- Plumes conjoncturelles : témoigner d’une tragédie.

 HYPERLINK \l "_Toc246235893" II : La dimension du tragique. 

1- Une tragédie au présent.
2- Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort.
3- Une structure tragique : le resserrement de l’espace et du temps. 
4- Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation.

 HYPERLINK \l "_Toc246235898" III- L’exemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem. 
 HYPERLINK \l "_Toc246235899" 1- Maïssa Bey : . 
 HYPERLINK \l "_Toc246235900" 2- Malika Mokeddem :. 
 HYPERLINK \l "_Toc246235901" a- Une écriture rattrapée par la tragédie ………………………………………...
 HYPERLINK \l "_Toc246235903" b- Investir différemment l’espace textuel. 

I HYPERLINK \l "_Toc246235904" V- Ecritures confirmées : Au cœur de la tragédie. 
 HYPERLINK \l "_Toc246235905" 1- Assia Djebar. 
 HYPERLINK \l "_Toc246235906" 2- Hawa Djabali. 

 HYPERLINK \l "_Toc246235907" Conclusion. 







I- Un contexte de violence, une écriture de l’urgence.


1- Un contexte de violence.

Le contexte socio-politique de l’Algérie des années quatre-vingt dix a sa littérature, une littérature explicitement connectée à ce qui est appelé « tragédie algérienne », « crise algérienne », « décennie noire », marquée par la violence terroriste.
Cette littérature a énormément bénéficié des faveurs de la presse, algérienne, et étrangère, qui a publié des comptes-rendus de livres, des interviews d’écrivains. Cependant, la presse s’est contentée de souligner la valeur de « témoignage-dénonciation » de ces textes, sans prendre en considération leur valeur littéraire. Il s’agit de mettre en relation les faits fictifs et les événements historiques.
Du côté de la critique universitaire, cette littérature des années quatre-vingt dix n’est généralement pas appréhendée comme phénomène spécifique, en tant que paradigme avec des caractéristiques littéraires spécifiques, même si quelques nouveaux auteurs ont retenu l’attention des chercheurs, à l’exemple de Malika Mokeddem, Azouz Beggag, Abdelkader Djemaï…
Un colloque, tenu dans le cadre d’une convention interuniversitaire (Université d’Alger/Université de Villetaneuse), sous le titre « Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ? », sous la direction de Charles Bonn et Farida Boualit, et dont les actes ont étés publiés en 1999, retient l’attention dans le sens où « la tragédie » du référent et son témoignage par le biais de l’écriture est au centre des préoccupations des différentes articles.
La percée des écritures féminines, constatée dans les années 80 prendra de l’ampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence. Cette explosion de textes est le produit d’écrivaines confirmées ainsi que de nouvelles écrivaines dont certaines entameront une œuvre abondante en quelques années.
Cette focalisation sur ces écritures prises dans l’urgence du présent, l’urgence de la mort, nous amène à dire que la place de ces écritures de femmes sur le devant de la scène, au début des années quatre-vingt dix, ne serait pas le seul fait de la littérature mais le fait d’un contexte qui les a sollicitées, et sans lequel, beaucoup de ces femmes n’auraient pas écrit, si ce n’est
pour témoigner de la violence généralisée dont elles sont les premières victimes.
L’une des raisons qui confirme cette relation de concrescence entre cette littérature prolifique des années quatre-vingt dix et le contexte socio-historique de l’Algérie de cette période est l’atténuation de façon notable et synchronique des deux phénomènes à la fin de la décade.
Ces œuvres littéraires des années quatre-vingt dix retiennent notre attention par le fait qu’au-delà de leur valeur de témoignage d’une tragédie, revendiquée par leurs auteurs mêmes, elles permettent de déceler une tendance scripturaire qui est la textualisation de discours du social qui dénotent une vision de l’Histoire, vision qui se manifeste par une mise en texte de visions explicites de la réalité sociale. Ces visions sont par ailleurs assumées à travers les discours et les déclarations des auteurs de ces œuvres.

Il ne s’agit pas de reflet mécaniste de la société dans l’œuvre, mais de reproduction, ou de re-présentation du social, du social produit de nouveau, qui se veut avant tout création, même s’il semble évident qu’il s’agit de re-présentation d’un déjà là.



L’effet d’écho prégnant que produit la lecture de ces textes à travers la récurrence des thèmes et le projet de narration, pris en charge, en majorité, par des narrateurs-femmes, à la première personne, permettent de saisir, au-delà de la particularité de chaque texte, une
vision de l’histoire tragique lisible au niveau des événements diégétiques, des personnages, et de l’écriture.
Il faut rappeler qu’avant la violence physique envers les femmes, la violence verbale, en Algérie, battait son plein dès 1989, selon l’analyse de Dalila Lamarène-Djerbal  qui, après avoir rappelé les origines du mouvement fondamentaliste, le FIS, qui « tire ses origines du mouvement réformiste religieux, qui a proposé une lecture littérale de la religion dans un but de refondation, de renaissance mythique d’une ‘‘communauté musulmane pure’’ pervertie par la colonisation », nous explique qu’ « A partir de l’année 1989, le discours de ségrégation et d’exclusion va constituer le modèle de traitement de la condition humaine et sociale des femmes. (…) La violence verbale puis physique qu’elles connaissent déjà dans les différentes sphères, et particulièrement dans celle de la famille, sera exercée dans l’espace public d’une manière légitime ».
Il est vrai que toutes les catégories de citoyens seront touchés par la violence, cependant Dalila Lamarène-Djerbal observe que « en plus des dangers qui touchent indistinctement la population ( bombes dans les lieux publics, fusillades, massacres de groupes entiers), les femmes subiront un sort particulier du fait de leur statut : représentante du pouvoir, femme mère ou épouse de membres de service de sécurité ou des institutions de l’Etat, puis en tant que sexe, comme femmes appartenant à la communauté et dont on s’approprie naturellement et légitimement les ‘‘ services’’ ». 

La gradation dans les atteintes faites aux femmes, depuis 1991, ira crescendo tel que le rappelle Dalila Lamarène-Djerbal, et que nous résumons ici :
Violences physiques à grande échelle , puis assassinats, contre les femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire ou de conduite ; assassinat des citoyennes accusées de soutien au pouvoir ou des femmes apparentées aux membres des services de sécurité ; obligation faite aux femmes et aux familles d’entretenir les groupes armés et début des viols à travers les mariages forcés ; multiplication des enlèvements, viols sous couvert du zauadj el mut’a, enlèvements des femmes, séquestration, viols collectifs, tortures, assassinats et mutilations, sur tout le territoire.

En revenant sur l’opacité du mouvement, dont « le déclenchement du conflit reste progressif, impalpable », Benjamin Stora cite trois moments possibles susceptibles d’être considérées comme le commencement du drame :

-Les émeutes d’octobre 1988, qui se concluent par l’effondrement du parti unique, le FLN. C’est ainsi que les années qui suivront, entre 1989 et 1991, seront marquées par une série de gravezs incidents provoqués par des militants islamistes.
-La date du 11 janvier 1992, l’interruption du processus électoral, suite à la démission du président Chadli Bendjedid.
- L’assassinat, le 29 juin 1992, de Mohamed Boudiaf qui avait pris la tête du haut comité d’état ( HCE ).
L’année 1993, année de l’embrasement restera, selon Benjamin Stora dans les mémoires comme l’année des assassinats perpétrés par les nouveaux mouvements islamistes, les GIA, le FIDA, ou le MEI.
Ces Mouvements revendiqueront les assassinats, par balles,égorgement, décapitation, contre des intellectuels et des personnalités politiques et syndicales dont Djilali Liabes, l’écrivain Tahar Djaout, le psychiatre Mahmoud Boucebci, l’universitaire M’Hamed Boukhebza égorgé chez lui devant sa famille, le poète Youcef Sebti, ainsi que les assassinats et les enlèvements d’étrangers.
1994, le dramaturge Abdelkader Alloulla est assassiné. A la fin de l’année, la veille du jour de Noël, le détournement d’un Airbus de la compagnie Air France par un commando du GIA fera la une de la presse nationale et internationale.
Benjamin Stora rappelle un rapport de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, du 10 février 1998, qui commence par ces phrases : « Les derniers massacres qui ont fait des centaines de victimes parmi la population civile en Algérie ont choqué l’opinion internationale. Il en va de même pour les centaines d’enlèvements, le plus souvent à l’encontre des femmes, par les groupes armés ».
L’historien confirme l’ampleur de la violence à l’encontre des femmes avec chiffres ‘‘officiels’’ à l’appui : « L’Algérie des années 1992-1999 présente la particularité d’être ce pays où la violence à l’égard des femmes est des plus atroces. Ainsi, le gouvernement annonce, le 22 décembre 1994, que 211 femmes ont été assassinées depuis décembre 1993, avec viols, mutilations, décapitations ».
Des figures de femmes résistantes vont vite s’imposer sur la scène publique : femmes engagées dans la politique, femmes journalistes, membres d’associations féminines, écrivaines…
Ainsi, de nombreuses femmes vont se lancer dans l’aventure de l’écriture, à partir du conflit qui déchire leur pays et qui les dépassent. La tragédie algérienne, la   violence généralisée et la violence faite aux femmes, rythment la vie particulière de chacune dans un conflit qui échappe à tous, et où la mort est omniprésente, faisant partie de la vie quotidienne.
Dans ces productions littéraires, le lien est vite établi entre ces écritures et le contexte socio-politique, de par les thèmes évoqués, des thèmes portés sur une réalité algérienne sanglante.
Ces événements marquants, à l’exemple de l’attentat qui a visé l’aéroport, et qui sera le prétexte narratif réel de La Prière de la peur de Latifa Ben Mansour, ou des nombreux enlèvements et séquestrations d’hommes et de femmes, mais surtout de femmes, par des groupes terroristes, que reprend Hafsa Zinaï-Koudil dans Sans voix, alimentent ces textes écrits aussi bien par des hommes que par des femmes comme une obsession.



2- Une profusion de textes écrits par des femmes

Ce qui retient notre attention, c’est cette profusion de voix féminines amorcée, certes, dans les années 80, mais qui prendra de l’ampleur dans la décennie des années 90, marquée par un contexte de violence, où on assiste à une véritable explosion de textes produits aussi bien par des écrivaines confirmées que par de nouvelles écrivaines qui entameront une œuvre abondante en quelques années.
Rachid Mokhtari parle d’une cinquantaine d’ouvrages ayant été publiés entre 1993 et 1997, en se demandant si ces ouvrages sont « seulement des transcripteurs de l’horrible islamiste, écrivant sous la contrainte de l’événement ou au contraire, des continuateurs d’un processus d’écriture qui prend racine de la génération des fondateurs du roman maghrébin moderne né sous la domination coloniale. »
Dans Noûn, Algériennes dans l’écriture, Christiane Achour répertorie soixante-dix œuvres de femmes publiées entre 1990 et 1998, alors que de 1947- date de la première œuvre en français- à 1990, elle ne comptabilise que cent vingt œuvres éditées, tous genres confondus.      

Sur la multiplication des témoignages de femmes, Charles Bonn note remarque que « lorsque ce quotidien est celui d’une femme, l’autre volet de ce qu’il faut bien appeler un voyeurisme du lecteur occidental est également au rendez-vous ». Il constate que « les témoignages de femmes, dans une littérature où elles étaient longtemps très minoritaires, se sont soudain multipliés au contact éditorial de l’horreur algérienne ».

Par ailleurs, Christiane Achour remarque que « la place que les femmes prennent sur le devant de la scène, au début des années 90, n’est, bien entendu, pas le fait de la seule littérature. Mais la littérature est présente aussi et on peut constater une manifestation de leur présence dans ces genres où elles éditaient peu. »

Dans un essai consacré à ce qu’on appelle la tragédie algérienne, Benjamin Stora constate que « De nombreuses femmes algériennes se sont lancées dans l’aventure de l’écriture, à partir du conflit qui déchire leur pays. »
L’historien affirme que « De 1992 à 1999, trente-cinq femmes algériennes ont fait paraître quarante ouvrages, en langue française, à propos des années infernales. » (p. 100), après avoir précisé que « il existe, en tout, prés d’une cinquantaine d’auteurs algériens qui ont publié au moins un ouvrage sur cette séquence »
De même, à propos de la décennie quatre vingt-dix, Susan Ireland parle de « l’émergence d’une série de textes écrits par des algériennes et qui ont comme sujet la situation actuelle en Algérie.».

De cette profusion de voix ( voies) , Plumes reconnues, Plumes émergentes, et Plumes conjoncturelles, voir éphémères, sont appréhendées durant cette décennie comme une expression de conjoncture dans l’urgence de dire l’instant tragique, même si quelques auteurs tentent d’échapper au témoignage, en mettant en place un monde, certes frappé par l’horreur, mais une horreur qu’ils dépasseront par une écriture qui recourt à l’imaginaire, à l’exemple de Malika Mokeddem ou de Maïssa Bey.

Par « plumes conjoncturelles », nous parlons ici de ces femmes, à l’exemple de Latifa Benmansour, Malika Ryane, Feriel Assima, Leïla Merouane, Leïla Hamoutene, Ghania Hamadou, Salima Ghezali, Rachida Titah, Nayla Imaksen, dont rien dans l’itinéraire ne laissait supposer pour les lettres, et qui ont investi un espace où quelques rares « plumes reconnues » avaient réussi à s’imposer, parmi lesquelles Assia Djebar, Hafsa Zinaï Koudil, Hawa Djabali, Leïla Sebbar.
Parmi les « plumes émergentes », des noms qui continueront à écrire après la décennie noire, jusqu’à aujourd’hui, vont s’imposer : Maïssa Bey, Malika Mokeddem, Nina Bouraoui. Ces écrivaines dépasseront le simple cadre de témoignage en ayant recours à une écriture de subversion esthétique du réel.


3- Rendre compte d’urgence d’une situation par la littérature.

Ecrivaines « reconnues », « émergentes » ou « éphémères », toutes répondent à l’urgence d’une situation exceptionnelle pour mettre l’accent sur la synchronie des faits et de leur écriture, faisant coïncider dans le temps le réel et la fiction ».
Ainsi, pour Yamilé Haraoui-Ghebalou, « le présent est pour la plupart de ces écrivains, de l’ordre de l’urgence à saisir, à fixer, à évaluer, à nommer ; mais une urgence presque toujours difficile à respecter dans la charge sans cesse évolutive de son inscription, dans le sillage sans cesse éclaté des événements, mais surtout dans l’ultime délabrement qu’elle provoque en l’être ».
L’urgence est ainsi associée à la « hâte », tel que l’explique Farida Boualit : « l’écriture de l’urgence draine dans sa mémoire le sème de prématurité. L’écriture serait cet acte réalisé dans un rythme d’une excessive rapidité, empêchant le contrôle et donc ‘‘bâcl钒. 
Christiane Achour abonde dans le même sens en affirmant que « l’écriture des femmes- comme celle des hommes d’ailleurs-[mais, pour les femmes, les contraintes et les ruptures ont des effets plus destructeurs du fait de la fragilité de leur statut dans l’espace littéraire et public] est prise dans une ‘‘urgence’’  qui ralentit son épanouissement serein et prospectif. »
Elle nuancera ses propos en accordant une note positive à ce dire dans l’urgence : « Cette précipitation de l’Histoire acculant la créatrice ‘‘ dos au mur’’ à dire le sang et les flammes de sa terre a, sans doute, aussi, des effets bénéfiques puisqu’il révèle certains talents et incite un plus grand nombre à écrire ».
Une écriture prise dans une urgence, et non pas une écriture d’«urgence », le terme ne renvoyant pas, selon Christiane Achour, à une « écriture bâclée, élaborée dans la superficialité. Urgence, c’est l’obligation où se trouve l’Algérienne de dire et de témoigner ».

Le terme d’urgence est ainsi associé à l’immédiateté du témoignage, sans la nécessaire distance d’une écriture de création. Ainsi, le terme « d’urgence », selon Achour, réintroduit les textes autres que littéraires, alors que le terme de création les exclut.

En d’autres termes, il y aurait une situation exceptionnelle, le contexte tragique des années quatre vingt-dix, qui aurait poussé des femmes à prendre la plume sans pour autant parler d’écrivains. Ces auteurs qui passent par la fiction, revendiquant le statut d’écrivains de par le travail de transformation du réel,  seraient dans la création, alors que, selon Farida Boualit « la création transcende les faits donc le temps ; d’où le refus de la notion d’ ‘‘écriture d’urgence’’ par certains nouveaux écrivains ».

Malika Ryane, après sa première expérience d’écriture, Chroniques de l’impure, paru en 1997, dans la revue Algérie Littérature/Action, parle dans l’interview accordée à cette revue, à propos de cette chronique, d’histoire-prétexte dont il faudra recomposer les faits :

« Cette histoire n’est qu’un prétexte (…) Je veux dire que je reste dans le témoignage. Il y a une mise en forme mais je n’ai pas recomposé les faits : c’est le récit d’une séquence de ma vie. Et justement, je voudrais le retravailler dans le sens d’une fiction ».




A la question sur les raisons l’ayant amené à écrire ce récit dans une forme entre témoignage et fiction, l’auteur insiste sur sa volonté de témoigner et sur l’écriture comme thérapie :

« Il y a plusieurs raisons. La première a été l’envie immédiate de raconter cette expérience, qui m’a marquée parce que j’ai vu la mort de près (…) j’étais rentrée chez moi et l’assassinat, les meurtres au quotidien m’y ont rattrapée. Et, au fur et à mesure, je voulais écrire cette expérience mais aussi ce que je vivais au jour le jour (…) à partir de là, je voulais témoigner, par mon écriture, de la mort des autres, cette mort à laquelle j’avais échappé ».

Alors que Ghania Hammadou, écrivain-journaliste, auteur de deux romans, Le premier jour d’éternité et Paris plus loin que la France réfute que « l’ensemble de la littérature algérienne récente se trouve affublé du label ‘‘ littérature de l’urgence’’ (…) ‘‘l’urgence de dire l’instant tragique’’ (étant ) envisagée comme une tare, dont l’effet essentiel serait de simplifier, donc de réduire ‘‘la réalit钒 ».

Soumya Ammar Khodja se pose la question sur le sens que revêt l’énoncé «Ecritures d’urgence » :

« Je ne peux m’empêcher de penser aux services d’urgence des hôpitaux. Etats graves, situations de maladie (éruptive), d’accidents demandant des soins immédiats, vies en danger…Je crois que ces écritures longent, au plus près, ce point nodal : là où la mort et la vie, haletantes, s’entrelacent le plus férocement jusqu’à se confondre ».  

Il s’agit aussi de témoigner d’urgence par obligation morale, pour ne pas oublier, c’est ce que retient Farida Boualit à propos de cette notion « d’écriture d’urgence » : «  Retenons qu’il se dessine une stratégie scripturaire qui plaide pour le souci de la responsabilité morale : l’écriture a pour finalité de conjurer la mort en sauvant la mémoire ».

Soumya Ammar Khodja rappelle que « les premières chroniques, celles de Naïla Imaksen, d’Assima Fériel, de Fatiah, de Nina Hayat, si elles sont un cri de désespoir et de révolte procèdent aussi d’un travail de deuil. ‘‘ Action sur la mort, action vers la vie, pour la vie. Mais action coûteuse, douloureuse’’ ».

Beaucoup d’écrivains s’interrogent sur ce « dit » de l’urgence tout en se questionnant sur la légitimité de la « greffe » de l’esthétique sur le tragique à l’exemple d’Assia Djebar qui continue à écrire sans que le tragique du réel, plus destructeur pour les femmes que pour les hommes ne diminue de sa verve créatrice :
« Qu’est-ce qui a guidé ma pulsion de continuer, si gratuitement, si inutilement, le récit des peurs, des effrois, saisis sur les lèvres de mes sœurs alarmées, expatriées ou en constant danger ».

Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et l’autobiographie d’une mémoire collective pour « dérouler la longue procession des morts, directement nommés. Dissémination de textes d’où toute fiction est à présent exclue. » dans Le Blanc de l’Algérie où l’écrivain n’aura jamais collé d’aussi près à l’actualité sanglante.
Malika Mokeddem assume l’appellation d’écriture d’urgence qui l’a rattrapée après deux romans de conteuse où le travail sur l’écriture prend le dessus sur toute forme de témoignage :

« (Mes) deux premiers romans sont ceux d’une conteuse. Mais, à partir du moment où les assassinats ont commencé en Algérie, je n’ai plus pu écrire de cette façon- là. Mes deux premiers livres, L’interdite et Des Rêves et des assassins, sont des livres d’urgence, ceux de la femme d’aujourd’hui rattrapée par les drames de l’histoire ».

La femme d’aujourd’hui est rattrapée par les drames de l’histoire : il s’agit pour Malika Mokeddem comme pour les autres femmes de témoigner d’une « tragédie » ou d’un « drame » aussi bien individuel que collectif, tel que l’explique Farida Boualit :

« ‘‘Drame’’, ‘‘ tragédie’’, traduisent la manière dont ces sujets se représentent la situation actuelle de l’Algérie : une façon particulière de considérer une situation socio-historique (puisque ‘‘ tragédie’’ et ‘‘drame’’ ne sont pas des concepts qui appréhendent des objets en soi, éloignés du sujet ) est, en fait, érigée en proposition vraie ».

Il n’y a pas que la fiction pure qui retraduit cette dimension du tragique à travers la souffrance des protagonistes- femmes impuissants, devant une « fatalité » qui n’a pas de solution, et la présence d’éléments constitutifs du tragique ; cette dimension du tragique est aussi bien énoncée à partir d’autres genres : chroniques, autobiographies, essais, qu’à partir des relations des textes à leur co-texte, tel que défini par la sociocritique : ce qui accompagne le texte, l’ensemble des autres textes, des autres discours qui lui font écho, tout ce qui est supposé par le texte et écrit avec lui ».


4- Plumes conjoncturelles : témoigner d’une tragédie.

La grande majorité de ces témoignages de femmes sont écrits par des auteurs qui n’étaient pas connus du grand public. Ces écritures se sont multipliées au contact éditorial de l’horreur algérienne. C’est le cas de Fériel Assima, Malika Ryane, Latifa Ben Mansour, Soumya Ammar Khodja, Salima Ghezali, Malika Boussouf, Leïla Marouane, Leïla Hammoutene, Nayla Imaksen, , Fatiah, Nina Hayet, Zineb Labidi, Ghania Hammadou…

Ces textes, « prétextes », « au service », dirons nous, d’un témoignage qui constitue la priorité de ces nouvelles écritures, émergent en nombre, à l’exemple des nombreux textes portant le titre de « Chronique de ».

La troisième femme d’Ismaël, Chronique algérienne, de Naïla Imaksen, Une femme à Alger, Chronique du désastre, de Fériel Assima, Chronique d’une femme dans la tourmente, de Fatiah, La nuit tombe sur Alger la blanche, Chronique d’une Algérienne, de Nina Hayat, Chronique de l’impure, de Malika Ryane, sont des chroniques qui évoquent ce que le journalisme reste impuissant à rendre : l’atmosphère de mort et la dévastation des âmes dans l’Algérie des années 90.  

Selon Soumya Ammar Khodja, ces chroniques sont, chacune à sa manière, un « mémorial » en hommage aux disparus », et « peuvent constituer un document ponctuel sur ces assassinats et aussi une action et une réaction en urgence devant un réel chaotique ».
Fériel Assima, journaliste de formation, évoque par une écriture de témoignage, ce que le journalisme est impuissant à rendre : la dévastation des âmes dans l’Algérie des années quatre-vingt dix. Elle ne sera pas la seule femme journaliste à opter pour la fiction-témoignage. Nous citerons l’exemple de Salima Ghezali dans Les Amants de Shahrazade,ou de Malika Boussouf, dans Vivre traquée.

Dans Une femme à Alger, Chronique d’un désastre, Fériel Assima met en scène des femmes, résistantes dans l’ombre, qui, malgré les arrêts de mort à l’encontre de celles qui ne portent pas le voile, ne font pas la prière, travaillent, et continuent à vivre. Elles continuent à s’occuper des choses de la vie, se lever, préparer les enfants, prendre le bus, changer d’horaire. Elles continuent à être coquettes malgré l’angoisse de ne pouvoir rentrer le soir.

La structure tragique de la majorité de ces textes, dans le traitement de l’espace, du temps, et de l’action, se reflète dans les choix qui sont faits concernant un moment de vie des personnages, qui sont « prisonniers » d’une situation cruciale : le passage ou le possible passage de la vie à la mort.









II : La dimension du tragique.


1- Une tragédie au présent.


Quelque soit le genre adopté, Ces récit- témoignage mettent en scène une intimité au bout de l’enfer et de la solitude, au-delà du réel immédiat.
Une « tragédie » se joue dans l’imitation d’une action grave et complète qui se joue dans un espace fermé par des personnages femmes en quête de paix et d’amour, plongés dans le malheur par des puissances qui
les dépassent. Le conflit est au cœur de l’intrigue, conflit des hommes entre eux, conflit entre la femme et l’homme, dirons nous.
Il ne s’agit, bien sur, pas ici, de tragédie, comme genre théâtral, tel que la définit Aristote dans sa Poétique, vers 335 av. J.-C/

«  La tragédie est l’imitation d’une action de caractère élevé et complète, d’une certaine étendue, dans un langage relevé d’agréments d’une espèce particulière suivants les diverses parties, imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation des passions de cette sorte. J’appelle ‘‘ langage relevé d’agréments’’ celui qui a rythme, mélodie et chant ; j’entends par ‘‘ agréments d’une espèce particulière’’ que certaines parties sont exécutées simplement à l’aide du mètre, tandis que d’autres, en revanche, le sont à l’aide du chant. »
La tragédie, née en Grèce au VIe siècle avant J.C, est un genre étroitement lié à la mythologie gréco-latine, à l'idée de destin et de liberté. Disparue au Moyen Âge, et florissante à la Renaissance, puis à la période romantique, elle connaît un regain d’intérêt au XXe siècle (Brecht, Anouilh, Sartre, Camus).
Le fait que La tragédie ait souvent été considérée comme le plus grand genre dramatique, le plus noble, par opposition à la comédie, peut s'expliquer par l’impression que la tragédie donne toujours au spectateur, celle d'un éloignement. En effet, l’un des traits fondamentaux de la tragédie est d’élaborer un monde textuel, s'incarnant " par la suite dans une mise en scène, qui crée une distance par rapport à la réalité quotidienne, prosaïque.
La tragédie se jouant à distance a pour effet d’agrandir, d’amplifier, voir de sacraliser ce qui y est représenté. L’effet de distance a recours au choix du sujet qui est emprunté à l’Histoire ; à la légende (mythologie gréco-romaine ou chrétienne); au choix des personnages illustres, nobles ; au choix de grands thèmes tels que le pouvoir, l’honneur, la justice, l’amour ; à un style élevé.
Il n’en est pas de même dans ces écritures de témoignage, témoignage d’une tragédie, ou selon Farida Boualit, « ‘‘témoigner de ce qui se passe’’ c’est ‘‘témoigner d’une tragédie’’, à la fois ‘‘tragédie de l’Algérie’’ et ‘‘tragédie individuelle’’, ‘‘tragédie d’une génération’’ et ‘‘tragédie de soi’’ ».

L’écriture de cette tragédie est en rapport constant avec le présent. L’exigence de faire coïncider dans le temps le réel et la fiction devant l’imminence de la violence ne permet pas le recours à la nécessaire distance par rapport à la réalité prosaïque que requiert la mise en scène de la tragédie classique et qui permet d’amplifier ce qui s’y joue.
« C’est ici et maintenant que ça se joue, et c’est maintenant que ça s’écrit ». « L’imminence du témoignage (témoigner d’urgence) est devenue l’imminence de sa modalité ( par écrit) » nous dit Farida Boualit pour expliquer l’emploi du syntagne « Ecriture de l’urgence ».
 L'action que représente la tragédie est toujours pathétique et tragique et reste toujours liée à la présence d'une transcendance, d'une puissance qui domine le personnage tragique et sur laquelle celui-ci n'a pas de contrôle. Selon Henri Gouhier « il y a tragédie par la présence d’une transcendance, quelle que soit cette transcendance » Cette transcendance peut être figurée par une divinité, par une passion ou par des valeurs imposées par un ordre social.
Ainsi, en est-il de la « dimension tragique » que l’on retrouve dans ces voix féminines, quel que soit le genre adopté, et qui se joue sur la scène «  Algérie » où l’héroïne est opposée à une entité, à un malheur devant lesquels elle se sent impuissante
Ces textes qui parlent de l’Algérie des années quatre-vingt dix sont constitués de ce que J.-m. Domenach appelle « le matériau ordinaire de la tragédie (…), la souffrance, le deuil, les larmes. »

Ce matériau provoque la perte, la déchéance du personnage femme; elle le condamne à une existence fermée, sans d'autre issue que la mort. S'il veut combattre, c'est en pure perte: il n'a pas de prise sur les événements, il ne peut agir sur eux; ce sont plutôt eux qui agissent sur lui, révélant par le fait même son impuissance et sa misère.

Ainsi, selon Farida Boualit : « le recours à la notion de ‘‘ tragédie’’ permet, contrairement à celle de ‘‘ crise’’, de placer la question de la situation historique de l’Algérie sous le signe prédominant d’un pathos : celui de la ‘‘ douleur ‘’, de la ‘‘ souffrance’’ d’un sujet qui en est victime ».
De plus, «  le sentiment tragique, selon Bouba Mohammedi Tabti, ne naît pas seulement de cette présence de la mort mais, bien plus, de son caractère arbitraire ».
Cette impuissance devant des forces qui décident du sort d’un sujet qui devient victime, lié au caractère arbitraire de la mort, constituent l’essence même du tragique.



2- Le sentiment du tragique dans le caractère arbitraire de la mort.

Le sentiment du tragique ressenti à travers l’omniprésence de la mort mise en scène par les bourreaux, tel un spectacle perpétuel, est renforcé par son caractère arbitraire. Victimes arbitraires dans le sens où elles sont dépassées par ce qui échappe au domaine de l’explication, de la raison, comme l’affirme George Steiner : « Les poètes tragiques affirment que les forces qui édifient ou détruisent notre vie se trouvent en dehors du domaine de la raison et de la justice ».
Selon Bouba Mohammedi-Tabti, « Cet arbitraire et cette injustice des forces qui décident du sort de l’homme constituent l’essence même du tragique ».

Cet arbitraire devant la mort se retrouve dans les œuvres de témoignage de femmes où les personnages féminins dans la force de leur exigence de liberté, et l’omniprésence d’une violence extérieure, celle de l’Histoire semant la mort, au hasard.

Dans Le premier jour d’éternité, de Ghania Hammadou, le caractère arbitraire de la mort est porté à son paroxysme par le choix du personnage de Aziz, l’artiste passionné par le théâtre, « un être pur et désarmé, un éternel naïf qui croit que tout le monde est bon comme lui ; à l’ultime seconde de sa vie, il posera cette question à son assassin : ‘‘ Pourquoi ? Je ne vous ai rien fait, pourquoi ? », nous dit l’auteur.
Le premier jour d’éternité, présenté comme roman, est qualifié de « thrène » par Bouba Mohammedi –Tabti, thrène ou chant de deuil de la narratrice, après l’assassinat de l’homme qu’elle aimait. Deuil qui s’accomplit dans l’exil, loin de la tombe de l’homme aimé, avec en toile de fond, la violence et le cri des suppliciés dans une Algérie en proie à la guerre.

Le même sentiment absurde devant le caractère arbitraire du choix des passagers à exécuter revient dans Chroniques de l’impure de Malika Ryane qui relate le détournement de l’airbus d’Air France avec une actrice et narratrice, Malika Ryane, involontaire d’un événement qui a fait basculer sa vie. Le choix arbitraire des otages à exécuter et « l’impuissance sur le fauteuil du condamné » de la narratrice fait vivre la scène en anticipant sur sa mort, et donne envie de se révolter devant cette injustice. « Crier dans sa tête : non ! Ne pas accepter qu’on vienne me chercher pour m’exécuter. Pourquoi ? Sentiment d’impuissance et d’injustice profonde. (…) Prise à témoin solennelle avant la mise à mort, telle Iphigénie invoquant les dieux et leur puissance absurde. Personne ne m’aurait écoutée, pas plus que les olympiens n’ont prêté l’oreille à la fille d’Agamemnon. La scène reste vide comme les cieux ».
Chroniques de l’impure raconte le refus de l’être humain à mourir dans l’angoisse qui naît du dévoilement, d’un face à face avec une actrice involontaire d’un événement qui a fait basculer sa vie.

Dans Le Châtiment des hypocrites, de Leila Marouane, la vie de l’infirmière Kosra bascule dans l’horreur en se rendant en voiture à son travail : elle sera enlevée et séquestrée dans un maquis islamiste où elle subira les pires sévices, avant d’être relâchée. De même pour l’enlèvement et la séquestration, par un groupe terroriste, des trois personnages de Hafsa Zinaï Koudil dans Sans Voix que rien ne prédestinait à se rencontrer : une jeune fille, un officier de l’armée, et un vieux croyant incrédule devant ces dérives de la religion. L’attentat de l’aéroport d’Alger, relaté par Latifa Ben Mansour dans La Prière de la peur, emportera les deux jambes de Hanane, une jeune algérienne rentrant définitivement de Paris. L’espace des aïeux dans lequel elle se réfugie sera investi par la violence terroriste.


3- Une structure tragique : le resserrement de l’espace et du temps :

Malika Ryane raconte, dans Chroniques de l’impure, la tragédie qui se joue à huis clos dans l’avion d’Air France investi par un commondo islamiste, le 24 décembre 1994. Elle dira de ce premier récit en répondant aux questions d’Algérie Littérature/Action: «  Quand je me suis mise à l’écriture, l’angoisse de ce qui était arrivé était passé : par deux fois, j’ai vu la mort, j’ai cru qu’on venait me chercher et m’exécuter. A ce moment-là, tout était blanc dans ma tête…[…] Après la libération de l’avion, j’étais dans un état d’euphorie excessif, anormal. On nous disait de parler, de raconter. J’ai pensé à l’écriture comme une thérapie. »
Le resserrement de l’espace aux dimensions de l’avion accentue le sentiment du tragique, selon Bouba Mohammedi-Tabti : « la pièce se joue à huis clos, le ‘‘verrouillage des portes’’ frappant les trois coups inauguraux, les trois journées étant autant d’actes qui précèdent l’épilogue. »

« La peur de la mort ne s’oublie pas, mais ce qui marque plus encore, c’est la manière de mourir. L’impuissance sur le fauteuil du condamné. Avoir eu l’assurance au moins par deux fois que son tour est arrivé et ne pouvoir rien faire (…) Prise à témoin solennelle avant la mise à mort, telle Iphigénie invoquant les dieux et leur puissance absurde. Personne ne m’aurait écoutée, pas plus que les olympiens n’one prêté l’oreille à la fille d’Agamemnon. La scène reste vide comme les cieux. L’héroïne grecque en est sortie la tête haute tandis que les voiles hellènes faisaient route vers Troie. ».

Ce rétrécissement de l’espace peut être retrouvé sous d’autre forme dans l’Espace Algérie. Dans La Prière de la peur, de Latifa Ben Mansour, Hanan, jeune algérienne vivant à Paris, décide de regagner définitivement l’Algérie. Un attentat à l’aéroport d’Alger lui emportera les deux jambes. Se sachant en sursis de courte durée, elle se réfugie chez ses ancêtres, à Aïn el Hout, terre de ses ancêtres, accompagnée de l’aïeule, Lalla Kenza qui lui transmettra un trésor : la culture de ses aïeux. Hanan couche sur le papier sa vie et ses expériences ainsi que la parole de l’aïeule, jusqu’au bout, tandis que s’approche son terme…

Le temps est compté et Hanan donne des consignes pour ses funérailles en chargeant sa cousine Hanan, le seconde, voix de la première, de lire son écrit aux membres de la famille durant la veillée funèbre. Hanan rejette ce contrat, incapable d’assumer cette lecture.
Le temps se rétrécit rapidement, il est trop tard : l’espace des aïeux est investi par les intégristes, l’aïeule est tuée, et Hanan meurt de douleur.  
Ce chant dédié à la culture et à la terre d’origine de l’auteur reste une tragédie dans le sens où les trois principaux personnages-femmes, deux jeunes femmes nommées Hanan, équilibrées, puisque modernes et attachées aux valeurs culturelles de leur groupe, et une aïeule, Lalla Kenza, vont mourir de mort violente, victimes d’attentat ou d’assassinat
Ce plaidoyer pour l’attachement à une culture menacée, semblable au projet du roman précédent, Le chant du Lys et du basilic, s’inscrit bien dans l’actualité : de l’attentat à la bombe de l’aéroport à l’assassinat de l’aïeule Lalla Kenza, porteuse de mémoire.
La tension entre la femme qui écrit, Hanan, et un monde bouleversé est ressuscitée dans un déluge de sang et de haine. Hanan semble porter seule, à l’instar des autres protagonistes- femmes de ces témoignages des années quatre-vingt dix, une parole lucide mais désespérée.

En 2001, Latifa Ben Masour écrira un deuxième roman, L’Année de l’éclipse, dans lequel elle revient sur les traumatismes causés par cette tragédie, à travers l’histoire de Hayba, gynécologue réfugiée en France après avoir été violée, pleurant son mari et sa fille sauvagement assassinée.

Le tragique surgit, comme dans Un Ciel trop bleu, de Rachida Titah, pour bouleverser la vie de personnages heureux, vivant dans l’équilibre des traditions et de la modernité, mais qui, inéluctablement sont confrontés à la violence extrême de l’histoire de leur pays.

A l'été 1999 en France, l'éclipse solaire est au centre de toutes les conversations. Eclipsée par le drame affreux qu'elle a vécu, Hayba, gynécologue réfugiée en France, comme l’auteur, après avoir été violée, pleurant son mari et sa fille sauvagement assassinée, attend un enfant de son mari avant le viol. Ce renouveau va l’aider à retrouver le sens de la vie, de l’amour.

L’auteur revient sur tous les ingrédients d’une écriture de témoignage sur la tragédie, à savoir, le passé de 'Hayba à Oran, la peur dans la rue, au travail, le poids de la menace, l'urgence du départ et, finalement, l'attentat. Elle dit aussi dans une écriture réaliste, le quotidien de cette femme, sa traversée des enfers,sa douleur actuelle, l'envie de se souvenir et le besoin d'oublier.

Dans son recueil de nouvelles, Un Ciel trop bleu, paru en 1998, Rachida Titah saisit dans l’instantané du contexte de la décennie noire, des scènes typiques de la violence sociale en Algérie. Le tragique, banalisé par le trop grand nombre de faits divers sanglants, fait soudainement incursion dans la vie des protagonistes menant une vie paisible, ne s’attendant pas à un tel bouleversement. Ce tragique est inscrit, ici, en profondeur, dans la conscience de ces victimes de l’ombre, traumatisées : une mère arrachée à son enfant, à la suite d’un attentat terroriste qui ensanglante le « ciel trop bleu » de la petite fille ; Le bouleversement d’une mère qui devient amnésique suite à la mort de son fils unique devenu islamiste, abattu dans un barrage militaire alors qu’il transportait une bombe ; l’assassinat d’intellectuels par la horde intégriste ; l’inquisition et la haine filiale à travers la mort symbolique d’une mère, veuve, insultée par sa propre fille, universitaire « enveloppée d’épaisses étoffes noires » jetant l’anathème contre sa tenue vestimentaire.

Dans la nouvelle intitulée La Gifle, la mort symbolique d’une mère, veuve, est relatée à travers l’insulte proférée par sa propre fille unique transformée en une silhouette « enveloppée d’épaisses étoffes noires ».
La mère ne comprend pas, et s’insurge contre cette inversion des valeurs :

« La haine nue, les malédictions, les accusations de déviation graves […] par cette femme soudain étrangère, soudain ennemie […]. Pour la première fois de sa vie, de guerre lasse, la mère s’insurge se lève et […] d’un geste violent, soufflette son enfant. » 

La structure des nouvelles est quasi identique : un état initial où la vie s’écoule paisiblement, et un bouleversement brusque où mort et désolation déséquilibrent complètement les personnages. A un bonheur anodin, se substituent les cris et les souffrances des suppliciés.

Dans la nouvelle d’ouverture, Un Ciel trop bleu, qui donne son titre au recueil, comme dans la nouvelle Définitive séparation qui revient sur les assassinats d’intellectuels, les nouvelles tragiques sont relatées par le canal des médias, surtout la télévision, par lesquels le malheur atteint les personnages de par les nouvelles tragiques qui les concernent.

Le ciel trop bleu que ne cesse d’admirer de sa fenêtre la petite fille, tandis que la télévision montre des scènes de corps déchiquetés, sera ensanglanté par l’attentat terroriste auquel assistera l’enfant et qui emportera sa mère.

La scène de la tragédie reste, du point de vue de l’enfant, la télévision dont les scènes d’horreur diffusées restent gravées dans sa tête. Le passage de la fiction, c'est-à-dire des images de la télévision, à la réalité du corps déchiqueté de sa mère reste ambigu chez la petite fille :

« La petite fille pense avec délices qu’elle va, dans un tout petit moment, s’immerger dans le bleu du bonheur parfait. Or, elle ressent un mouvement brusque de sa maman qui, dans un bruit assourdissant, la précipite brutalement dans son cauchemar, à l’intérieur même du maudit poste de télévision ».

Elle implore sa mère : « Maman (…) sors –moi de la télévision (…) Que Dieu te garde à moi ».

Le Châtiment des hypocrites de Leïla Marouane sur un ton grave, rétrécit l’espace tragique au maquis. Melle Kosra vivait à Alger lorsque sa vie bascule dans l’horreur ; elle se rendait en voiture à son travail (elle est infirmière), quand sa voiture est bloquée par un autre véhicule et qu’on l’oblige à y monter. Des intégristes cachés dans la montagne ont besoin de ses capacités en médecine pour soigner leurs blessés.
Fatima est enlevée et séquestrée dans un maquis islamiste. Elle est relâchée après avoir subi tous les sévices. De retour à Alger, enceinte et malade, elle tombe dans la zone la plus noire avant une remontée qui s’achèvera dans l’exil.
Mlle Kosra effectue ainsi une navigation silencieuse, dans un corps douloureux, à la recherche de son identité fracturée. Sa quête s’appuie sur des lieux vibrants – le maquis, Alger, Paris – qu’elle investit de fantasmes érotiques.
L’auteur, échappe à une écriture limitée au témoignage en maintenant les tensions entre la sublimation fantasmatique. Dans les dernières pages du roman, Mlle Kosra ne pourra s’approprier sa première personne singulière, le « je » de la narration, qu’en phase de décompensation irréversible. Elle échappera à son statut de victime émissaire et contiendra l’abîme de la folie par un matricide.








4- Sans Voix de Hafsa Zinaï Koudil : la voie de la dénonciation.

Parmi les auteurs dont l’œuvre aux relents féministes, centrée sur le message, a commencé dans les années quatre-vingt, nous citerons le cas de Hafsa Zinaï Koudil, une cinéaste très engagée qui transpose son univers pictural à l’écrit.

Durant les années de violence, elle dénonce, dans son premier long métrage, Le Démon au féminin, tourné clandestinement entre 1992 et 1993, la diabolisation de la femme par le FIS comme par ceux qui se disent démocrates.
Elle pratique un cinéma vérité, très réactif aux événements, très proche du documentaire. De même, en littérature, elle crée des personnages archétypes représentant une posture, une place dans la société, un certain regard sur la société.
Bouba Mohammedi-Tabti classe dans cette catégorie d’écritures stéréotypées, centrées sur le message, souffrant « d’un excès de didactisme, d’une volonté de dénonciation », les romans de Hafsa Zinaï Koudil : La Fin d’un rêve (1984 ), Le Pari perdu (1986 ), Le Papillon ne volera plus ( 1990 ), Le Passé décomposé ( 1992 ), Sans voix (1997).
Son premier roman, La Fin d’un rêve, une tranche autobiographique sur les années d’enfance pendant la guerre de libération, reçoit un accueil mitigé par la critique. Le récit est qualifié d’ « atone et linéaire », même s’il « réserve dans quelques pages, des moments d’émotion »
Sans Voix (1997) fait incontestablement partie de ces écrits de témoignage, en réaction aux nombreux enlèvements et séquestration de filles par des terroristes. Le récit suit les itinéraires de trois personnages qu’un enlèvement va faire interférer : une jeune fille séquestrée par un groupe de terroristes, un jeune officier de l’armée et un vieux croyant qui ouvre les yeux sur la dérive de la religion.
Le roman dévoile aussi les menaces derrière le départ de l’exilée, son désarroi à l’étranger, la nécessité de sa participation à la lutte pour la démocratie en Algérie, et s’oppose fermement à l’isolement et à la répression en faveur de la tolérance, de la modernité et de la pluralité culturelle.
Il reste, cependant, que la promotion au niveau thématique d’une ouverture sociale et politique se répercute au niveau formel de Sans voix. En dépit de l’usage de la première personne, le texte ne se borne pas à une seule voix, à une seule perspective, mais embrasse une pluralité de discours – lettres, récits emboîtés, confession et répliques théâtrales – aussi bien que des points de vue divergents provenant à la fois des victimes, femmes et hommes, comme de leurs bourreaux, les intégristes, à l’exemple du récit de Tarik, l’islamiste de 19 ans, ou de quelques protagonistes, porte-parole de l’auteur, exprimant leur méfiance à l’égard du monde politique occidental qui se montre en faveur des régimes totalitaires lorsqu’ils présentent un bénéfice économique.
Cette coexistence d’éléments multiples en opposition est enrichie, dans Sans Voix, de références intertextuelles algériennes et occidentales. L’importance du rôle de ces références littéraires dans le texte est signalée par leur quantité et par leur récurrence. Ces références servent d’écho aux thématiques dominantes du texte tout en signalant l’universalité des problèmes qui semblent, à première vue, spécifiques à l’Algérie.


III- L’exemple de deux plumes émergentes : Maïssa Bey et Malika Mokeddem.

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1- Maïssa Bey .

Les témoignages souvent inégaux et éphémères se multiplient, mais des écrivains de grande valeur s'affirment également, comme Malika Mokeddem Maïssa Bey, et, tout en étant parfois difficilement « classables », Nina Bouraoui ou Leïla Sebbar
La marque du tragique peut aussi se manifester dans un cas de conscience à résoudre douloureusement, une impossible conciliation entre l’honneur et le bonheur.
Ainsi, dans Au commencement était la mer, de Maïssa Bey, une des plumes émergentes durant cette décennie, la mise en scène de l’extrême violence faite aux corps des femmes amènera Nadia à recourir à l’avortement : châtiment que réserve la société aux femmes qui bravent les interdits.
Un espace réduit, le bord de mer, un temps resserré par un apaisement furtif de Nadia auprès de Karim, figure d’un système usé, qui la rejettera au premier obstacle.

Djamel, le jeune islamiste, frère de Nadia, qui lapide sa propre sœur existe, nous dit Maïssa Bey : « Je l’ai rencontré. Il existe en milliers d’exemplaires ».

Le tragique réside dans l’inéluctabilité de la mort du personnage de Nadia, qu’elle soit perçue comme une délivrance, comme un accomplissement ou comme une sanction.
L’héroïne est contrainte de se donner la mort car au terme d’une saison d’amour, elle affronte le douloureux paroxysme d’un accouchement de la « mort ».
Maïssa Bey, à propos de l’inéluctabilité de la mort de son héroïne se confie :

« Dès le premier instant où j’ai imaginé le personnage de Nadia, l’néluctabilité de sa mort s’est imposée à moi. Cette mort, je la ressentais comme une nécessité, comme la seule destination possible de son parcours. »

Cependant, le sacrifice de Nadia, à travers son insubordination, est présenté comme une affirmation de liberté, par Maïssa Bey :

« Mais le sacrifice de Nadia- j’emploie ce mot à dessein-, sa mort voulue, acceptée (elle en choisit le lieu et le moment) n’est-elle pas une ultime façon de se rendre maîtresse d’elle-même, d’accomplir sa démarche ? »  

La matière du tragique est dans le vécu, dans des scènes vécues directement par l’auteur, ou rapportées, sans qu’il y ait une volonté délibérée d’étudier des faits sociaux. C’est ce que souligne Maïssa Bey à propos de Au commence ment était la mer :

« (…) les relations entre Nadia et son frère ne sont qu’une des illustrations possibles de cette guerre fratricide, vécue au quotidien dans ce qu’elle a de plus terrible, à savoir la négation des valeurs fondamentales sur lesquelles repose toute société dite ‘‘ civilisée’’. »

Cette négation des valeurs humanistes fondamentales est incarnée par l’attitude de Karim qui représente les interdits qui mèneront à la tragédie, édits qui concernent principalement les femmes :

Délit que de sortir sans voile […] Délit que de parler librement […] délit d’aimer et surtout de le dire, de le faire, de le chanter ou de l’écrire ! Délit d’être femme enfin et d’éclabousser par sa seule présence, sa seule existence, la pureté terrifiante du monde qu’ils veulent bâtir sur des ruines fumantes.


2- Malika Mokeddem : Rêves interdits et assassins.


a- Une écriture rattrapée par la tragédie.

Parmi les « plumes émergentes », des noms qui continueront à écrire après la décennie noire, , Malika Mokeddem,, à l’exemple de Maïssa Bey, écrira la violence, surtout la violence faite aux femmes, dans L’Interdite, et Des Rêves et des assassins parus respectivement en 1993 et en 1995, et à un degré moindre dans La nuit de la lézarde,paru en 2003, un texte qui se veut plus « serein ».

La volonté de transgresser ces interdits est manifeste chez cette nouvelle voix, qui, après deux romans de conteuse, sera rattrapée par la tragédie algérienne.

C’est en 1993 que paraît son troisième roman, L’Interdite . Malika Mokeddem choisit un autre registre pour témoigner et livrer un combat contre l’intégrisme religieux des années quatre -vingt dix. Cet acte de contestation reste fortement lié à son expérience personnelle.

Dans ce roman, et dans le quatrième, Des Rêves et des assassins, l’auteur n’est pas loin du pamphlet où le combat d’idées prime sur tout selon Marc Angenot : « Combat d’idées, le pamphlet s’apparente à l’éloquence du barreau : c’est un ‘‘réquisitoire’’, ou un ‘‘plaidoyer’’. (…) Le pamphlétaire est un ‘‘lutteur’’, un ‘‘soldat de la plume’’ ».

L’interdite évoque le retour de Sultana la narratrice au pays natal, le sud algérien, retour qui prendra les contours d’une véritable épreuve aussi bien morale que physique. La narratrice en proie au poids de l’exil apprend la mort de son ami Yacine, médecin travaillant dans un dispensaire au sud du pays.

Le projet autobiographique est d’emblée énoncé par la parenté onomastique entre Sultana, la narratrice, et Malika, prénom de l’auteur, qui, tous deux signifient, en arabe, « Reine ».
Le roman répond en partie à la question : interdite de quoi ?

Interdiction s’opposant à liberté, termes résumant le vécu propre de l’auteur qui intègre cette dimension dans les paratextes du roman :
-Dans le titre d’abord.
-Dans la première dédicace : « A Tahar Djaout, Interdit de vie à cause de ses écrits »
-Dans la deuxième dédicace : « Au groupe Aïcha, ces amies algériennes qui refusent les interdits »

Et comme pour souligner le rôle de l’écriture sous la polyphonie des voix suggérant la possibilité d’une réconciliation, l’auteur choisit en épigraphe un extrait du Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa, poète de la pluralité et de la contradiction :

« Il ya des êtres d’espèces différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent diversement.. Et tout cet univers mien, de gens étrangers les uns aux autres, projette, telle une foule bigarrée mais compacte, une ombre unique – ce corps paisible de quelqu’un qui écrit… »

L’Algérie ravagée par l’incendie dans L’Interdite revient dans Des rêves et des assassins. C’est ce drame que la romancière place au cœur d’une intrigue littéraire qui n’en est que le prétexte. Kenza, l’héroïne du roman, s’acharne à défendre, « envers et contre tout » ce qu’elle considère comme les deux emblèmes de la liberté : le savoir et l’amour.

Des rêves et des assassins est placé dans le paradigme des romans d’urgence, de témoignage tel qu’il en est fait mention explicitement dans la quatrième page de couverture qui reprend l’appréciation d’un journaliste de Libération, Maati Kabbal : « Un roman d’urgence, le roman d’une passion pour la vie incarnée par une fille pleine de rage et de courage ». 

L’histoire singulière de Kenza, née à Montpellier, d’une mère algérienne rebelle et d’un père qui incarne toutes les tares de l’ignorance, permet à Malika Mokeddem de mettre en relief les manifestations de ce mal profond dont souffre la société algérienne.

C’est un combat entre le rêve, comme dépassement du réel, ne s’accomplissant que par l’écriture, et la violence, incarnée par des assassins intégristes qui dénient ce droit au rêve des Hommes libres. Le titre, Des Rêves et des assassins, qui donne à lire l’interdiction de rêver, peut être lu en écho au titre du roman L’interdite.

Ce destin d’une femme, Sultana dans L’Interdite, et Kenza dans DesRêves et des assassins, prise entre L’Algérie du désert ou de l’Oranie, et la France, marque une période de colère et de dénonciation, et il est très significatif que le premier soit dédié à Tahar Djaout et le second à Abdelkader Alloula.

Ce que confirme Malika Mokedem dans une interview accordée à Nacéra Benali : « C’est toujours un grand débat, que peuvent les mots contre la barbarie ? Que peut l’écriture contre la valse des balles et des couteaux ? (… ) Par ailleurs quand j’écris, je ne pense pas à la finalité de mes écrits. Je suis sous l’effet de la colère ou de la douleur et je suis là à tenter de survivre en écrivant ».


b- Investir différemment l’espace textuel.

Malika Mokeddem, prenant conscience du danger d’un risque d’enlisement dans une écriture de livres d’urgence, renonce à écrire après L’interdite 2 et Des rêves et des assassins3 sous le coup de la douleur et de la colère :

Si le référent Algérie continue à exister dans sa démarche d’écriture, ce sera sous une autre forme, une forme où l’espace textuel sera investi différemment, et où l’écriture est avant tout et surtout processus transformationnel, transfert et restructuration d’une histoire donnée.

Le drame de l’Algérie, de la femme algérienne, est corrigé par une dramaturgie où se projette une fiction de l’Algérie imaginaire où la mémoire joue le rôle majeur dans l’affirmation d’un « sujet », d’un nouveau sujet-femme avec lequel il faudra compter.

Sur La Nuit de la lézarde, « le silence est total » (…) ne restent plus, dans ce site esseulé, que l’aveugle Sassi et Nour. ‘ ‘La nuit et la lumière’’. Un ksar du désert algérien dont la source s’est tarie, et tombant en ruine est déserté par ses habitants. Un couple insolite, Nour et son ami aveugle Sassi, est au centre d’une intrigue minimaliste se résumant en l’attente d’un amant qui ne viendra pas.
A mi-chemin entre un roman de conteuse et une écriture de l’urgence , « C’est un roman qui se situerait un peu à mi-chemin entre Le Siècle des sauterelles et L’Interdite. », selon l’auteur qui se démarque du texte contestataire en tentant d’écrire un texte serein, où la violence persiste, mais à travers « le souffle d’une tragédie qui se joue loin de leur désert ».

La Nuit de la Lézarde, cinquième roman de Malika Mokeddem, met en scène l’aventure intérieure d’une femme différente de l’auteur, car n’ayant pas fréquenté l’école, mais qui instinctivement tient à être libre en se lançant à la quête de son destin. Dans ce roman, l’intrigue est quasiment inexistante. selon Christiane Achour :
«  Le roman ne raconte rien ou peu de choses, au sens habituel du terme : il nous dit un espace, il nous fait entendre les conversations des personnages, voir le travail de jardinage qu’ils partagent (…) le roman est attente car Nour est attente, personnifiée par …l’amant du Nord…qui ne viendra jamais ».
L’attente, le manque, le vide, l’absence, nous interpellent dès l’incipit :

Aucune fumée ne s’élève de ce ksar sur lequel tombe le crépuscule. Il n’ya pas d’enfants dans ses venelles. Pas d’hommes accroupis dehors par petits groupes à discuter. Pas de femmes affairées dans les cours. Pas de portes aux maisons béantes comme des orbites vides. Le silence est total.

L’ouverture du roman s’installe non pas dans la massive évidence d’un être-là, comme dirait Claude Duchet, mais dans ce qui n’est pas là, c'est-à-dire dans la négation, dans le manque.



« Aucune fumée », « Il n’y a pas d’enfants », « Pas d’hommes », « Pas de femmes », « Pas de portes », Le silence est total », structurent syntaxiquement l’énoncé négativement à chaque début de phrase pour installer le récit dans un non-lieu.

Malika Mokeddem renonce à une écriture qui traduirait l’immédiateté du vécu où la situation sociale et politique et les événements tragiques seraient mis au premier plan, pour s’installer dans une littérature de l’allégorie.

L’auteur opte pour la périphrase fictive afin d’éviter l’immédiateté du témoignage. La distanciation spatiale choisie par l’auteur, l’histoire se déroulant loin des drames du Nord algérien, dans un ksar du désert algérien, permet de reprendre le vécu de façon différente, grâce à un haut degré de fictionnalité. Le conflit qui hante l’imaginaire des protagonistes est invisible car sans images.





IV- Ecritures confirmées : Au cœur de la tragédie.


1-Assia Djebar.

Si beaucoup de femmes n’espèrent pas un statut incontesté d’écrivaine, de par la place accordée au témoignage au dépend d’une exigence formelle, des femmes reconnues dans leur statut de créatrice en Algérie, et en dehors de l’Algérie, rattrapées par le contexte tragique, écrivent cette priorité du social sans que l’exigence formelle n’y soit sacrifiée. Parmi ces plumes consacrées, figurent en bonne place, hormis la pionnière, Assia Djebar, Hawa Djabali, Leïla Sebbar, Nina Bouraoui..
Nous prendrons l’exemple de Assia Djebar et de Hawa Djabali, qui, chacune à sa manière, rattrapées par un référent tragique, écrivent la tragédie algérienne.

L’œuvre de la « pionnière » de la littérature féminine algérienne, Assia Djebar, occupe un rang de premier ordre dans la littérature algérienne. Cette œuvre, la plus connue des femmes écrivains du Maghreb, qui s’étend sur une cinquantaine d’années, se compose de divers genres littéraires : le roman, l’essai, la poésie, la nouvelle, l’autobiographie… Cependant, des constantes reviennent tout au long de son œuvre à travers quelques thèmes primaires qui reviennent et qui restent centrés principalement sur le femme, sur l’identité des femmes d’Algérie et sur sa propre identité de femme franco-algérienne, sur le corps féminin, sur son rôle d’écrivaine, et depuis la décennie quatre-vingt dix, sur la violence et la mort qui déchirent son pays.

Dans la décennie noire, Assia Djebar se replonge dans une écriture de l’actualité. En réaction à la violence qui déchire l’Algérie, elle publie Oran, langue morte et Le Blanc de l’Algérie qui sont deux oeuvres tragiques dans lesquelles Assia Djebar s'est attachée à exprimer, au plus près de son horreur quotidienne, la violence que connaît l'Algérie depuis de longues décennies.

Inévitablement, Assia Djebar écrit l’Algérie à partir du présent, Le Blanc de l’Algérie, ou « Le blanc de l’écriture, dans une Algérie non traduite ? Pour l’instant, l’Algérie de la douleur, sans écriture ; pour l’instant, une Algérie sang-écriture, hélas ! ».

L’oeuvre d’Assia Djebar, lieu de tous les combats, rejoint la longue procession des morts que l’écriture biographique de Le Blanc de l’Algérie, qui se veut hommage mais aussi appel, cite à comparaître.

Dans Le Blanc de l’Algérie,publié en 1996, Assia Djebar délaisse délibérément la fiction et l’autobiographie d’une mémoire collective pour coller de près à l’actualité (fait divers, fait privé, fait politique). Il y a nécessité d’écrire sur la mort et sur la violence qui accompagne la mort en Algérie.

Le projet de l’auteur est ainsi présenté par Mireille Calle-Gruber :

« Convoquer les disparus, inachever la mort, remonter l’horloge de l’histoire, faire une place où loger le hors-temps dans le temps narratif, faire une langue où les manquants à l’appel puissent être des revenants bruissant aux mots du récit qui les cite à comparaître, absenter l’absence, rendre la mort à la mort (…) et installer l’écriture là où précisément, elle ne s’installe pas (…) telle est l’inhumaine visée, tel est l’excès où s’annonce d’emblée, le récit d’Assia Djebar : Le Blanc de l’Algérie » .

Une vingtaine d'écrivains morts sont évoqués en ce beau récit quasi liturgique. Camus, Fanon, Feraoun, Amrouche, Yacine entre autres dont la personnalité permet de lire les événements depuis la guerre d'Indépendance jusqu'à l'actuel terrorisme.
Le livre est dédié au souvenir de trois amis, assassinés :
Mahmoud BOUCEBCI
M’Hamed BOUKHOBZA
Abdelkader ALLOULA »,
Avec, en rappel, les notices nécrologiques en fin de volume, énumérant, sous la rubrique « Les écrivains d’Algérie dont la mort a été évoquée », dans un style rappelant le constat légiste, dont Albert Camus, Frantz Fanon, Mouloud Feraoun, Jean Amrouche […],
Et les trois amis assassinés, la même année, l’année 1993 :
Mahmoud BOUCEBCI : psychiatre et auteur, mort le 15 juin 1993, à 54 ans, à Birmandreis (Alger) (assassiné).
M’Hamed BOUKHOBZA : sociologue et auteur, mort le 27 juin 1993, à 55 ans, à Alger (assassiné).
Abdelkader ALLOULA : auteur dramatique, atteint le 11 mars 1993, à Oran, mort à Paris le 15 mars, à 55 ans (assassiné).

Dans ce texte, Assia Djebar tentant de « se rapprocher » de ceux, disparus, qu’elle aime, ne se limite pas à un dialogue exclusivement féminin mais met en place un dialogue entre les hommes et femmes d’Algérie. Elle s’interroge aussi sur le rôle de l’écrivain devant la violence et sur le choix des langues en Algérie.

Assia Djebar renoue aussi avec l’actualité tragique dans Oran langue morte, un recueil de nouvelles publié en 1997, « nouvelles » d’une Algérie en guerre fratricide. Oran, emblème mortifère, est la ville d’Abdelkader Alloula, le dramaturge assassiné le 11 mars 1993, auquel Le Blanc de l’Algérie est dédié, avec M’Hamed Boukhobza et Mahfoud Boucebci .
Oran langue morte est un livre pour conjurer la violence algérienne..La mort omniprésente porte le nom d’Oran vouée à la sauvagerie des crimes de sang. La première partie « Algérie, entre désir et mort » traite de la violence des événements des années quatre-vingt dix en relatant des assassinats politiques, tandis que la deuxième partie intitulée « Entre France et Algérie » évoque la rencontre parfois violente de l’Algérie et de la France à travers le vécu d’un couple mixte dans chacune des nouvelles.

Un conte des Mille et Une Nuits : La femme en morceaux, le seul du genre, alors que les autres textes sont présentés comme « récit » ou « nouvelle », prend une place stratégique dans l’organisation du livre : au centre dulivre, à la fin de la première partie, et portant à la deuxième partie.
Le conte, tout en nous transportant au plus loin, hors du temps historique, nous installe au plus près du drame de l’Algérie contemporaine, dans l’un de ces premiers récits de Shéhérazade. Atyka, professeur de français dans une classe de lycée à Alger fait lire et commenter aux élèves, filles et garçons, un conte des Mille et Une Nuits. Cinq hommes, dont quatre barbus, en armes, font irruption dans la classe. Atyka sera décapitée devant ses élèves.

« Atyka, tête coupée, nouvelle conteuse, Atyka parle de sa voix ferme. Une mare de sang s’étale sur le bois de la table, autour de sa nuque. Atyka continue le conte. Atyka, femme en morceaux. »

Dans tout le recueil, la mort reste omniprésente dans l’Histoire de l’Algérie, depuis la conquête coloniale jusqu’à la violence terroriste du présent.
Les femmes, ces « nouvelles femmes d’Alger », à l’instar de ces écritures de femmes algériennes, sont au premier plan tel que le rappelle l’auteur dans sa post-face :

« Tenaces et fragiles, rêveuses, amoureuses, faisant bruire dans le corps du texte, leurs voix de souffrances et d’amour. En mouvement, en fuite, clandestines, arrêtées par la mort assassine ».


2- Hawa Djabali.

Hawa Djabali, connue en Algérie comme productrice et animatrice de plusieurs émissions à la radio algérienne, la chaîne III, dont plusieurs émissions consacrées à la femme, sera connue des lecteurs par son premier roman, Agave, paru en 1983, roman qui annonce déjà les motifs qui seront développés dans Glaise rouge. Boléro pour un pays meurtri, paru en 1998.
Il est à noter que Hawa Djabali a aussi investi un genre littéraire, le théâtre, peu prisé par les femmes jusqu’à l’ouverture démocratique, puis la décennie de violence induisant l’exil d’intellectuels et de créateurs parmi lesquels des femmes qui investiront la scène du théâtre, à l’exemple de Fatima Gallaire et Fatiha Berezak,

Nous citerons deux pièces de l’auteur : Cinq mille ans de la vie d’une femme, en 1997, et Le Zajel maure du désir

L’espace précieux de la montagne, espace fondamental, que rejoindra la jeune fille, Hannana, grâce à sa grand-mère Nedjma qui l’y emmène, est décrit sous toutes les facettes que lui dessinent les différentes saisons. C’est un espace de beauté où les personnages féminins existent d’abord par le rapport charnel qu’ils entretiennent avec la terre. Le « luxe textuel », selon l’expression de Philippe Hamon, que se permet l’auteur, à travers cette peinture heureuse, lui permet de donner la priorité à la beauté du texte devant la violence qui vient souiller ces espaces précieux, violence inscrite dès le sous-titre « boléro pour un pays meurtri ».

Le topos de la nature constitue un fécond, lieu- au sens rhétorique- d’un « luxe textuel ». Ainsi, la nature met en valeur la beauté féminine, beauté féminine, qui, avec l’avènement de la violence prend plus d’ampleur, jusqu’au point où l’auteur confie les splendeurs de la montagne à la femme. L’auteur délègue la vision de cet univers à Hannana qui assure la liaison ente nature et amour. Le topos rejoint la nostalgie du mythe originel à travers l’union de Hannana et de l’instituteur.

« L’instituteur rôde et elle le sait. La pinède, d’où l’on aperçoit la mer, devient encensoir géant suspendu au-dessus des vagues. (…) Etendue à l’ombre sur les aiguilles de pin, la jeune fille joue avec des perles de résine, ne peut résister à la folie d’en sucer un peu, tant la goutte translucide au soleil la séduit. (…) Un très gros papillon noir et blanc se pose sur le buisson de lavandin tout près de son visage. Les yeux mi-clos, couchée sur le flanc, elle enregistre le passage d’une couleuvre et le vol curieux d’une libellule rubis ; elle étend le bras, arrache un brin de menthe bleue, la froisse, la respire ».

A une question sur le travail de l’écriture dans les circonstances que vit le pays, l’écriture entre urgence et création, l’auteur répond :

« J’écris contre l’absurdité (…) j’écris aussi pour ne pas laisser mourir mes morts.(…) Pleurer et témoigner : nous revenus au point de départ de la poésie arabe, acte prosaïque s’il en est ! Donner aux mots une harmonie telle que ceux qui écoutent, ceux qui lisent, se souviendront ! Car c’est à partir de l’acte littéraire, chez nous, que nous nous séparons définitivement de l’animalité, de la fatalité, en circulant dans l’abstraction du passé au futur. Mais, en fait, l’écriture n’existe pas au présent, il s’agit toujours d’un passé proche ou d’un futur immédiat et la distanciation est toujours là, terrible ».

Comme pour toutes les écritures confirmées, Hawa Djabali insiste davantage sur le contournement de la réalité et donc sur l’acte de création.

Conclusion.

De ces écritures de témoignage de la violence, la question est posée de savoir s’il y en a qui peuvent prétendre à l’éternité esthétique. Il y va de soi que le témoignage à chaud, sans la nécessaire médiation esthétique, perd de son intérêt lorsque l’événement est oublié, et risque de s’engloutir dans l’oubli à leur tour.

Attachés à l’événement, rares sont les auteurs qui investissent dans une œuvre durable, à l’exemple de Malika Mokeddem, Maïssa Bey, Leïla Sebbar, Nina Bouraoui qui entament une œuvre abondante, produite en quelques années, jusqu’à neuf romans pour Malika Mokeddem. D’autres écrivaines poursuivent le parcours entamé dans la décennie précédente, à l’exemple de Hawa Djabali, ou dans les décennies précédentes, comme Assia Djebar.

La majorité des œuvres de cette décennie restent marquées par le contexte tragique qui les a sollicitées. C’est donc l’Histoire qui va infléchir l’écriture et la thématique de ces écrivaines femmes qui, durant cette décennie, prennent des risquent en en assumant le prix.

Charles Bonn insiste sur le fait que pour ces écritures de témoignage « La seule référence est bien le contexte politique duquel le texte est présenté comme le reflet fidèle, à travers un quotidien le moins distancié possible. Et lorsque ce quotidien est celui d’une femme, l’autre volet de ce qu’il faut bien appeler un voyeurisme du lecteur occidental est également au rendez-vous ».

Ainsi, pour beaucoup d’algériens, ce qui se passe est vécu de l’intérieur, au quotidien, comme événements dramatiques et douloureux, comme « malédiction » évoquée par de nombreux auteurs, et non pas comme le pur produit de l’Histoire, «  ce n’est que bien plus tard, quand tout est consommé, que l’on découvre que c’était d’elle (l’Histoire) qu’il s’agissait. (…) L’Histoire restitue sa véritable dimension à nos vies ».

Pour Roseline Baffet, « Le paradoxe de l’indicible serait sans doute ce qui caractérise au plus près cette écriture » et que « Au-delà des témoignages, ces romans sont des interrogations sur ce qu’écrire et dire signifient, dans ce contexte extrême que connaît l’Algérie ».

Aussi, c’est cette parole « dérisoire » de ces écritures, qui peut donner un sens à ce qui ne peut être nommé que par le recours à un discours fataliste ou les termes de « tragédie », de « malédiction » mettent l’accent sur l’inéluctabilité de la mort qui mène ces auteurs, exposés en première ligne, à dire en écrivant, pour conjurer la mort.

CHAPITRE IV

L’ECRITURE DE MALIKA MOKEDDEM : UNE ECRITURE DE FEMME SUR LA FEMME.


I- Parcours d’une écriture et écriture d’un parcours.
1- Transgression par l’écriture.
2- Pour une transgression des genres biologique et grammatical : l’exemple de L’Interdite :
3- La métaphore de la « greffe ».

II- La fiction menée de front avec le récit autobiographique.
1- Un parcours singulier.
2- La figure de l’aïeule ou la « scène primitive » d’une œuvre à caractère autobiographique.
a- La figure de l’aïeule.
b- Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles : des romans de conteuse.

III- Pratiques autobiographiques.
1- Sur l’autobiographie.
2- Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout.
a. Á l’opposé des consignes culturelles.
b- Les Hommes qui marchent : un « je » à peine masqué.
c. La Transe des insoumis ou l’écriture de l’insomnie.
d. Mes Hommes pour écrire l’effacement du père.

IV- La parenthèse d’une écriture de l’urgence.
1- Rêves interdits et assassins.
2- Ecrire la tragédie à distance.




I- Parcours d’une écriture et écriture d’un parcours.

1- Transgression par l’écriture.

Nous commencerons par dire que nous parlons d’une écriture de femme, d’une femme qui écrit avec on histoire inscrite ou plutôt construite contre un contexte socio-historique, avec un parcours, une sensibilité, un corps. Il n’y aurait donc pas, au départ, une écriture féminine, mais des écritures de femmes, où les paramètres socioculturels agissent, directement, ou indirectement, sur la création littéraire.

En octobre 1977, un groupe d’écrivains maghrébins présentait la littérature féminine dans l’avant propos d’un numéro des Temps modernes :

« En ces états de la pensée et de l’analyse propre à la génération d’après les indépendances, la parole féminine quasi-absente, ne se reporte pas sur sa condition et son devenir. Plus qu’effet de quelque carence, ce manque majeur désigne la difficile mutation créatrice des femmes en des ensembles si profondément marqués par le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères d’appartenance sexuelle. »1  

En fait, par production « quasi-absente », ce n’est pas tant le critère de quantité que le critère de qualité qui nous intéresse. Certaines œuvres se distinguent surtout par leur force créatrice et symbolique., Leila, jeune fille d’Algèrie (1947), Aziza (1955), de

Djamila Debèche, La soif (1957) de Djebar, La grotte éclatée (1973) de Yamina Mechakra, d’une grande force poétique. Myriam Ben, Leila Sebbar, Hawa Djabali, vont ouvrir la voie à des écritures polyvalentes dans des genres d’écriture divers : roman, poésie, nouvelle et conte, essai, récit  de vie, tenant compte des nombreuses pressions sociales qu’elles doivent quotidiennement affronter pour se faire entendre, et inventant différentes stratégies défensives telles que la recherche de l’anonymat par l’usage de pseudonymes, le décentrement ou le détournement de la narration au profit d’un personnage masculin:

Cependant, si les femmes ont toujours été présentes dans l’Histoire de l’Algérie, voir du Maghreb, les chroniques et les livres d’Histoire ont surtout été écrits par des hommes. Il ne faut pas oublier qu’une voix de femme ne pouvait se faire entendre à l’extérieur, il n’y a pas si longtemps. Selon Zineb Ali-Benali, la parole de la femme en Algérie est rarement prise au sérieux : 

«Cette interdiction de la parole ‘sérieuse’ explique peut-être pourquoi les femmes n’ont produit qu’assez tardivement et très timidement des textes de réflexion, des essais. (…) Les femmes s’engagent bien plus tard que les hommes dans l’aventure de l’écriture. Parce qu’elles ont accès à l’école bien après eux. Parce qu’il leur faut franchir les murs bien réels et sociaux de la claustration. Parce que l’aventure de la parole publique, érigée en pérennité dans l’écrit, est un voyage périlleux ».

  Avant d’en arriver là, d’autres espaces devaient être investis par ces femmes qui ne se confinent plus dans l’espace silencieux de la maison, l’Histoire se faisant au cœur même de la cité, de l’espace masculin, d’une société qui lui refuse le droit de parole.

Aussi, poser la question de la place de la femme dans les espaces de vie revient à poser la question des mutations profondes dans le statut du féminin au sein d’une société patriarcale, musulmane.
L’intégrisme religieux qui apparaît en force dans les années quatre-vingt dix aboutit à la négation systématique du statut de sujet aux femmes d’autant plus que le terreau est déjà fertile dans ses conditions sociopolitiques et dans la place de « mineure à vie » réservée à la femme par le code de la famille, un texte rétrograde, promulgué par le parlement en 1984.

Selon Dalila lamarène-Djerbal, « ce texte ignore totalement les nouvelles conditions politiques et sociales […] Il fait des femmes des mineures à vie dans la sphère familiale, vidant ainsi de leur sens d’autres lois qui paraissent égalitaires. Il légalise et sacralise ce faisant la discrimination sexuelle tant valorisée par les fondamentalistes ». En fait, Ce code demeure fidèle, pour l’essentiel, à la ‘charia’, même si l’un des buts proclamés est de « protéger moralement les deux conjoints » et de « préserver les liens de la famille » (art.4). La femme reste soumise à l’autorité du mari « en sa qualité de chef de famille ». (art.39).

Cette situation sociopolitique, conjoncturelle, n’est que la partie visible de l’iceberg d’une société patriarcale où les références à la tradition de l’Islam historique (la Sunna) et l’obéissance à des traditions coutumières ( al’ a’dat ) règlent la conduite de la femme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison, la conditionnent dans un rôle de dépendance constituant la base d’équilibre de la famille musulmane.

Ainsi, en Algérie, les sources de la loi islamique, les principaux rites de l’Islam et les tentatives des différentes formes de réformisme au XXème siècle vont fortement structurer un type de société complexe déjà par son Histoire, par les origines de sa population au sein du Maghreb qui s’intègre profondément dans le monde méditerranéen, ouvert sur l’Occident et l’Afrique, sa population étant mise en contact, de par sa situation géographique, avec de nombreux envahisseurs étrangers, et surtout avec diverses civilisations.

L’Islam, religion d’état en Algérie, va structurer le domaine politique et social. .Le droit musulman de rite malékite majoritaire en Algérie est avant tout le représentant de la doctrine médinoise qui écarte le jugement personnel pour s’en tenir à la stricte interprétation du coran.

Ce droit musulman s’accorde très bien avec l’idéologie patriarcale et patrilignagère où le type familial est caractérisé par la prépondérance du père sur tous les autres membres de la tribu.

Lacoste Dujardin explique cette relation entre idéologie d’Etat et idéologie religieuse et montre que ce droit musulman, en ce qui concerne la filiation ‘nasa’b', et la procréation au service de l’’uma’, la communauté des croyants, s’accorde parfaitement avec l’idéologie patrilignagère, l’une et l’autre se soutenant et se fortifiant réciproquement.

Le couple, ou une idéologie de couple, ne pourrait exister dans des rapports entre hommes et femmes, frappés par l’inégalité. Mari et femme font partie de la grande famille agnatique où les rapports sont fortement structurés.
Ainsi, les aspirations individuelles du couple- si fortement décrits, décriés par les écrivains femmes algériennes- menaceraient l’ordre traditionnel.
Fatima Mernissi y voit un danger s’interposant entre le croyant et Dieu. Toute l’éducation de la fille, basée sur la notion d’honneur ‘herma’ de la famille, sera axée sur les comportements, les aptitudes par la parole, les gestes qui marqueront ses structures subjectives et imaginaires. Le risque de déshonneur qu’elle encourt à la famille sera souligné par l’acceptation de son infériorité.
Des écrivaines algériennes iront jusqu’à remettre en cause le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères d’appartenance sexuelle, parmi lesquelles Assia Djebar, et Malika Mokeddem.
L’arrivée d’une fille, en Algérie ne se fait pas sans douleur. « Ce n’est pas un garçon. » pour dire « C’est une fille », telle était la formule consacrée à l’occasion de fêtes de ‘sboua’’, Septième jour après la naissance du bébé. Les youyous saluant la naissance d’un garçon se font plus mitigés pour la fille. Les hommes, considérés comme force productive, voir des combattants éventuels, assurant la richesse de la famille, du clan, sont valorisés. Les filles, destinées à sortir pour gagner une famille étrangère et enrichir la maison des autres, représentant un danger pour le patrilignage
Dans Mes Hommes, titre proclamé avec une pointe d’impertinence malicieuse, comme pour répondre à un « Mes femmes » qu’autorise la religion musulmane, Malika Mokeddem, « envers et contre tout », dans une autobiographie sans complaisance, « règle ses comptes » avec les diktats despotiques de l’autorité patriarcale, à commencer par la figure du Père.
Les premiers mots qu’entendra l’auteur narratrice de Mes Hommes, dans le sud de l’Algérie où elle est née, c’étaient ceux de son père disant à sa mère « mes fils » et « tes filles », puis ceux d’une femme répondant à une autre : «  Trois enfants seulement et six filles ». La petite fille qu’était Malika Mokeddem se sentait déjà agressée par les propos de son entourage :

J’interprétais déjà que les filles n’étaient jamais des enfants. Vouées au rebut dès la naissance, elles incarnaient une infirmité collective dont elles ne s’affranchissaient qu’en engendrant des fils ».

Par ailleurs, les femmes ne sont aimées que comme mères, et n’aiment que comme mères, donc comme femmes fécondes, puisque la distinction entre la femme et la mère est clairement établie selon Malek Chebel : « La femme est dans une altérité radicale par rapport à l’homme. Elle est le sexe d’en face. La mère est au cœur du complexe d’Oedipe.».
Ainsi, la mère est surtout représentée par des images pieuses : mère allaitante respectée, amour maternel, tendresse féminine, bonne épouse, etc.… Le corps maternel adulé, sources de joies de l’enfance, agit sur le corps sexué de l’autre par les non-dits, et par le modelage d’un corps à la « bouche cousue et au sexe vierge », nous dit Fadila Choutri.
Les mères, ces mères, ont enlevé à jamais à Malika Mokeddem le désir d’être mère :
A force d’observer leur monstruosité, leur perversion, d’essayer d’observer de comprendre leurs motivations, je m’étais forgé une conviction : ce sont les perfidies des mères, leur misogynie, leur masochisme qui forment les hommes à ce rôle de fils cruels. Quand les filles n’ont pas de père c’est que les mères n’ont que des fils. C’est qu’elles-mêmes n’ont jamais été enfants. Qu’ont-elles fait de la rébellion ? […] Elles m’ont enlevé à jamais le désir d’être mère.
Malika Mokeddem s’en prend à la langue de la mère, langue de la soumission, langue de l’asservissement, représentant pour elle tout ce qu’elle n’avait pas envie d’être.
L’exemple d’une écrivaine comme Malika Mokeddem qui met en avant, dans son écriture, l’insoumission de celles qui prennent la liberté non seulement de parler mais d’écrire aussi, donc d’assumer ses dires et ses actes, nous amène à dire que parler d’écriture de femme ne veut pas dire que les femmes algériennes écrivent de la même façon, sur les mêmes sujets, parce qu’elles sont femmes, ce qui supposerait que l’on se place dans une perspective de type essentialiste. Nous entendons par écriture de femme chez Malika Mokeddem, une écriture qui, certes, partagerait des préoccupations et des thèmes communs aux femmes, en l’occurrence, ici, les femmes algériennes, mais qui s’en distingue en ayant franchi toutes « les lignes rouges » des interdits, bien avant d’avoir commencé à écrire.

A une question sur Mes Hommes qui serait en totale rupture avec la littérature dite féminine aussi bien sur le plan thématique que sur le plan esthétique, elle répond :

« Il y a tant de textes de femmes, de par le monde, qui ne sont ni puérils ni condescendants ! Pour ce qui me concerne, avant de me mettre à écrire, j’avais déjà franchi toutes les lignes rouges des interdits. Comment l’écriture, mon ultime liberté, pouvait-elle s’en embarrasser ? ».

Dans ce sens, nous faisons nôtres les propos de Simone Rezzoug qui affirme qu’engager une réflexion sur l’écriture féminine présuppose croire que les ouvrages écrits par des femmes constituent « un domaine relativement autonome », et admettre ainsi que « certains de leurs caractères constituent des réponses à des stimuli sociaux ». Les réponses de ces écrivaines ne sont pas moins des réactions mécaniques que des réponses nuancées, subjectives, propres à chacune d’elles.

En nous référant au livre de Béatrice Didier, L’écriture-femme, dont le titre, déjà, rebute sur l’emploi du vocable « écriture féminine », même si l’auteur l’emploie souvent dans son texte, nous relevons deux pistes qui nous permettent de cerner cette notion d’écriture de femme, à savoir, celle de transgression, ou de double transgression : transgression par rapport à l’homme et à la société, et transgression par rapport à la tradition orale.
Toute écriture étant transgression d’un interdit, que ce soit pour l’homme ou pour la femme, il est clair, comme le déclare Béatrice Didier, que cette transgression est autre chez la femme :

« Je veux bien que toute écriture soit transgression, et qu’écrire soit pour l’homme aussi enfreindre un interdit. Disons simplement que la transgression sera double ou triple chez la femme. Il s’agira non seulement de transgresser l’interdit de toute écriture, mais encore de le transgresser par rapport à l’homme et à la société phallocratique ».

Dans son œuvre, Malika Mokeddem ne cesse de remonter les méandres de l’enfance, de revenir à cette intranquillité qui la caractérisait, toute petite, dès l’âge de trois ans, quand le droit à l’insomnie, lui permet d’avoir un corps à elle, distinct de la cellule familiale. Ce sera sa première victoire. Plus tard, « la solitude et la lecture en seront les seules libertés jusqu’à la fin de l’adolescence, jusqu’à mon départ du désert », nous dit Malika Mokeddem.

Cette transgression se fera dans un projet romanesque où les protagonistes-femmes restent le fil conducteur de l’œuvre. Zohra l’aïeule, Leïla, Saâdia, dans Les Hommes qui marchent, Yasmine dans Le Siècle des sauterelles, Sultana dans L’Interdite, Kenza dans

Des rêves et des assassins, Nour dans La Nuit de la lézarde, Nora dans N’Zid, sont toutes des héroïnes qui incarnent des algériennes rebelles, à l’exemple de l’auteur qui, dans une volonté de sincérité, revient sur son parcours, et sur le parcours de ses personnages-femmes, dans les deux autobiographies assumées : La Transe des insoumis, et Mes Hommes.

Béatrice Didier rajoutera qu’il s’agit « de le (l’interdit ) transgresser aussi peut-être par rapport à une sorte de vocation de la voix, du chant, de la tradition orale qui a été assumée par les femmes. Parce que tel était l’intérêt de la société ? Parce que pour l’enfant, fille ou garçon, la première voix est la voix maternelle, mais que la fille plus que le garçon se sent l’obligation de reprendre et de perpétuer le chant de la mère ».

Dans ce sens, des romans comme Le Siècle des sauterelles, et à un degré moindre, Les Hommes qui marchent, sont des romans dans lesquels l’auteur s’est attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française. L’intérêt réside, à notre sens, dans cette re-textualisation de la tradition orale, principalement celle du conte, et sa transformation en parole d’écriture, voir en source d’écriture.

Les Hommes qui marchent, Le Siècle des sauterelles, et L’Interdite qui s’inscrit dans  cette problématique d’une écriture de l’urgence des écritures de femmes, dans le contexte des années quatre-vingt dix, nous serviront de textes de référence pour montrer l’importance de cette transgression, sans pour autant que nous nous interdisions des incursions dans toute l’œuvre de l’auteur pour étayer nos propos.



2- Pour une transgression des genres biologique et grammatical : l’exemple de L’Interdite :

Le rôle fondamental du titre dans la relation du lecteur au texte n’est plus à démontrer. En l’absence d’une connaissance précise de l’auteur, c’est souvent en fonction du titre qu’on choisit de lire ou non un roman. Cependant, au-delà de l’horizon d’attente que désigne le titre, il est clair qu’il reste un élément paratextuel de première importance de par les fonctions qu’il remplit, tel que les a explicitées Gérard Genette : La fonction d’identification, la fonction descriptive, la valeur connotative, la fonction séductive.

La fonction descriptive du titre est largement assurée dans le sens où le titre L’Interdite renvoie au contenu central de l’ouvrage, contenu en rapport avec un contexte social tragique, contemporain de l’auteur. Sur le plan formel, l’adjectif nominalisé, présenté donc avec un déterminant renvoyant explicitement à la protagoniste, donc, au contenu du roman, donne à lire un titre thématique (évoquant le contenu) selon la terminologie proposée par Gérard Genette.

Cependant, au-delà d’une première lecture qui peut nous orienter vers le sens littéral du titre renvoyant au sujet central, la fonction séductive du titre, par sa forme, dans son intention de jouer sur le désir de transgression, et donc d’attirer, voir de choquer, permet de mettre en valeur l’ouvrage, voir de séduire un type de lectorat avide de témoignage sur la tragédie algérienne des années quatre-vingt dix.

L’Interdite en tant qu’élément du « paratexte » est un titre qui transgresse les règles du genre en tant que trait grammatical permettant de répartir certaines classes lexicales ( noms, verbes, adjectifs…) en un nombre fermé de catégories, en français, le masculin qui sert aussi de neutre, et le féminin , qui en fait répondent très vaguement à des critères liés au sexe, principalement pour les mots représentant des animés, comme pour L’adjectif nominalisé « L’Interdite ».

Mokeddem replace le genre dans son arbitraire ne répondant à aucune motivation dans son usage communément admis : « L’Interdit » au masculin pour dire l’action interdisant l’emploi de quelque chose, excluant une personne d’un groupe, comme catégorie relevant dans ce contexte d’une pratique sociale, par « L’Interdite », comme adjectif nominalisé au féminin, interdit de tout, interdite de, et interdite par. Notons que nous passons de Le+ Interdit à Le + Interdite, « L’Interdite » en lieu et place de » L’Interdit ».
Nous pouvons faire une lecture du titre comme néologisme en transgressant l’usage admis du masculin « interdit ».

Selon Yvette Bénayoun-Szmidt, L’Interdite peut être lue comme « un nouveau concept, un marquage de la condition féminine, qui relève plus de l’être, d’où la tentation de le considérer comme un support idéologique visant à guider le lecteur dans son interprétation ou son décodage du texte qui suit. Celui-ci découvre que, dans son village natal, désormais aux mains des intégristes, une femme évoluée, moderne, instruite, et de surcroît médecin, comme Sultana ‘‘est interdite’’  de séjour, ‘‘interdite’’  d’amour,  ‘‘interdite’’ de compassion et  ‘‘interdite’’  de profession ». 

« L’Interdite » illustre le moyen d’atteindre une nouvelle expression féminine permettant d’atteindre un nouvel espace où la femme peut contrôler son destin tout en luttant symboliquement pour le destin collectif des femmes algériennes.

3- La métaphore de la « greffe ».

Dans L’Interdite, Ce métissage en greffe dont nous parlons dit « l’identité tissulaire » qui se moque des frontières dressées par la bêtise humaine, grâce au mélange des genres « sexe » et « origine».
Cette vision de l’identité mixte, voir plurielle, annoncé par le choix de l’épigraphe, extrait du Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa, 

« Il y a des êtres d’espèces différentes dans la vaste colonie de notre être, qui pensent et sentent diversement…
Et tout cet univers mien, de gens étrangers les uns aux autres, projette, telle une foule bigarrée mais compacte, une ombre unique – ce corps paisible de quelqu’un qui écrit… »

permet d’explorer autrement la redéfinition de la notion d’identité en renouvelant l’idée de métissage et de syncrétisme, et partant, en déconstruisant les stéréotypes du genre.

La citation de Michel Serres à propos de l’homme métis semble convenir parfaitement à la vision romancée de Malika Mokeddem de ce que devrait être l’homme en situation d’être et de devenir :

« Toujours quelque chose dans mon corps me rapproche d’un homme. Ce n’est pas mon universalité théorique et intellectuelle prétendue c’est mon métissage corporel, acquis dans la vie. Il faut partager tant de choses avec tant d’hommes, que je porte dans mon corps un mélange de formes, de gestes, de mots et de couleurs. La connection du local et du global réside dans ce mélange-là (…). Chaque singulier, inimitable, porte en lui de quoi ressembler au prochain. »

Le métissage détruirait donc le mythe du retranchement sur soi en bannissant le terme de clôture.

Le personnage de Yasmine qui a la peau foncée, n’est pas métis à cause de la couleur de sa peau mais parce que son père et sa mère appartiennent chacun, respectivement à des groupes culturels différents. La naissance du métis est le résultat d'une transgression et il apparaît comme une "corruption" de la pureté, avec les problèmes d'identité que cela pose. Yasmine, Nedjma, dans Le Siècle des sauterelles, ou Nora Carson dans N’Zid incarnent le métissage comme un mouvement perpétuel qui crée de nouvelles entités culturelles. C'est paradoxalement, une source de différenciation. Il ne suffit pas de paraître "entre deux"pour être métis. Les gens qui ont la peau foncée, ne sont pas métis à cause de la couleur de leur peau mais parce que leur père et leur mère appartiennent chacun, respectivement à des groupes culturels différents. La naissance des métis est le résultat d'une transgression et ils apparaissent comme une "corruption" de la pureté, avec les problèmes d'identité que cela pose. Le métissage apparaît pour Malika Mokeddem, comme un mouvement perpétuel qui crée de nouvelles entités culturelles. C'est paradoxalement, une source de différenciation. Les enfants métis ne sont ni l'un ni l'autre mais un troisième, et c'est précisément leur spécificité.

Le métissage des origines est déjà inscrit dans le corps des femmes, dans le tatouage de la grand-mère, la conteuse Zohra, dans le corps de Yasmine et de sa mère Nedjma

Cette première trace du corps permettant d’effectuer un retour sur le passé pour dire la complexité des histoires individuelles est nécessaire à Malika Mokeddem pour une critique des valeurs de l’identité basée sur la notion de pureté et de totalité.
Le roman L’Interdite s’ouvre sur l’arrivée de Sultana à l’aéroport de Tammar, dans le Sud algérien, et se termine par l’annonce de son départ en France quelques jours plus tard.
Elle vit la tragédie qui déchire son pays natal aussi bien en tant que médecin que comme femme dans un monde masculin. La liberté du présent de l’exil et l’amère réalité du pays l’amènent à refaire son identité qui ne peut se situer qu’à la jonction de deux mondes : La France, espace de refuge et d’ouverture, et L’Algérie, espace du passé, d’un passé de douleur, d’amour perdu, celui de Yacine, le médecin Kabyle mort, pour qui elle reviendra assister à son enterrement ; passé de mort, mort de sa mère tuée par son père.
Dans L’Interdite, Sultana essaie de concilier entre sa vie d’exil en France et le défi de son passé Algérien à Ain Nekhla où les villageois l’appelaient l’interdite. Cependant pour Sultana, être étranger n’est pas un drame :

« C’est une richesse tourmentée. C’est un arrachement grisé par la découverte et la liberté et qui ne peut s’empêcher de cultiver ses pertes ».

Pour Julia Kristeva, c’est l’absolu de cette liberté qui « s’appelle pourtant solitude ».
L’étrangeté de Sultana remonte à l’époque de son père, lui aussi étranger d’une autre tribu, les Châamba. Cet étrangeté fait naître l’idée d’un ailleurs qu’ils refusent. C’est cette différence qui a touché Sultana dès son plus jeune âge. L’arrivée de l’héroïne dans son village est problématique de par cette marque de la différence de son clan ainsi que de son histoire à l’étranger.
Seul le tissage entre différents langages, cultures, races et sexes, peut sauver les personnages de Malika Mokeddem .
C’est donc l’histoire d’une femme métissée par deux cultures qui est racontée, une femme qui entre dans un espace nouveau à découvrir. Françoise Lionnet nous dit que le monde du métissage est un «domaine indéterminé ». C’est ce domaine indéterminé que l’écriture de Malika Mokeddem tente d’explorer en disant une identité féminine à la recherche d’elle même, une pluralité identitaire que le texte veut assumer aussi bien dans la terre d’exil que dans la terre d’origine.
Ainsi, la métaphore de la greffe biologique permet de renforcer le métissage de l’héroïne en disant une identité au Féminin/Masculin, une pluralité identitaire.
Le syncrétisme culturel des personnages reste à notre avis moins percutant que le métissage biologique, c’est à dire «le métissage  en greffe » que subit le personnage- narrateur Vincent, et qui ne passe pas par la grille de l’intellect dans ses effets de lecture.
Ce métissage se lit donc dans la greffe de Vincent le Français- le deuxième narrateur qui répond en écho à
la première narratrice, Sultana- qui reçoit le rein d’une femme algérienne décédée qu’il ne connaît pas. Vincent est non seulement ramené à la vie par la greffe de ce corps étranger, mais au désir de l’autre. Vincent, second narrateur dans l’Interdite vient dans le Sud Algérien à la recherche de son autre moitié. Ce discours, sonne en quelque sorte selon l’auteur, comme «un pied de nez à tout ce discours sur les races qu’on nous fait ».
Vincent sait que l’identité tissulaire se moque des frontières dressées par les lois et les hommes.

« La chirurgie a incrusté en moi deux germes d’étrangeté, d’altérité : l’autre sexe et une  ‘‘race’’. Et l’enracinement dans mes pensées du sentiment de double métissage de ma chère me poussait irrésistiblement vers les femmes et vers cet autre culture, jusqu’alors superbement ignorée ».

Le métissage de la chair est la reconnaissance du corps féminin mais métaphoriquement il est un besoin du désir de la féminité. Vincent conscient de sa «nouvelle identité entreprend une quête «chevaleresque », à la recherche de sa « jumelle algérienne ». Le don d’organe d’une donneuse morte va se muer dans le corps de Vincent en une envie irrésistible de connaître l’étrangère.  
Pour Jean-Luc Nancy L’intrus « s’introduit de force ou par ruse, en tout cas sans droit ni sans avoir été d’abord admis. Il faut qu’il y ait de l’intrus dans l’étranger, sans quoi il perd son étrangeté (…) Une fois qu’il est là, s’il reste étranger, aussi longtemps qu’il le reste, au lieu de simplement se « naturaliser », sa venue ne cesse pas : il continue à venir, et elle ne cesse pas d’être à quelque égard une intrusion : c'est-à-dire sans droit et sans familiarité, sans accoutumance, et au contraire d’être un dérangement, un trouble dans l’intimité ».
Le thème de la greffe d’un corps étranger, de l’intrus est une intrusion dans nos certitudes, dans notre appréhension de l’étranger, qui va s’inscrire en nous. Mais, selon Jean-Luc Nancy, « Cette correction morale suppose qu’on reçoit l’étranger en effaçant sur le seuil son étrangeté : elle veut donc qu’on ne l’ait point reçu. Mais l’étranger insiste, et fait intrusion. C’est cela qui n’est pas facile à recevoir, ni peut-être à concevoir ».
La présence de Sultana ou son intrusion ne se fera pas sans heurts. Elle est source de fracture contre des traditions séculaires de domination des femmes. Sultana apprend l’altérité dans un espace dysphorique, violent. Le ressourcement, la reconstruction viendra peut-être de la relation amoureuse avec Vincent, l’autre voix(e), le français qui cherche sa donatrice algérienne, et qui incarnera l’identité plurielle dans son corps métissé, féminisé.
La femme n’apparaît pas seulement comme un corps doublement étranger, femme et Algérienne, mais comme élément désirable en dépit des discours haineux tenus sur la femme dans l’Algérie des années 90.
D’ailleurs, arrivé en Algérie, Vincent ne trouve que des rues vidées de femmes.
« L’absence féminine est comparable à l’absence de la morte qu’il porte désormais en lui » nous dit Christine Renaudin dans un article critique qui traite d’un aspect important dans la vie et l’écriture de Mokeddem, en concluant par une analyse révélatrice de la fameuse greffe du rein qui constitue un «modèle médical d’intégration sociale », une «intégration de l’autre », une vision d’espoir pour l’Algérie
Vincent en s’adressant à Sultana établit le parallèle en « greffe médicale » avec toutes ses conséquences sur les traitements immunosuppresseurs pour pallier au rejet par le système immunitaire, et l’étranger, cet « intrus » difficile à accepter, à intégrer en soi :

Il en va de la greffe comme de toute intégration d’’étranger’’. Un travail d’acception réciproque est nécessaire : travail chimique exercé par les remèdes pharmaceutiques sur le corps des patients, pour l’une, remèdes pédagogiques sur le corps social, pour l’autre ».

Selon Jean-Luc Nancy : « La possibilité du rejet installe dans une double étrangeté : d’une part, celle de ce cœur greffé, que l’organisme identifie et  attaque en tant qu’étranger, et d’autre part, celle de l’état où la médecine installe le greffé pour le protéger. Elle abaisse son immunité, pour qu’il supporte l’étranger. Elle le rend donc étranger à lui-même, à cette identité immunitaire qui est un peu sa signature physiologique ».
Ce qui se manifeste est moins la femme, l’étrangère, que l’autre immunitaire insubstituable qu’ (on a pourtant substitué. L’intrusion mortelle de l’intrus doit être traitée car, s’ « il y a l’intrus en moi (…) je deviens étranger à moi-même ».

Les personnages aux multiples identités se révèlent tous «  étrangers en eux-mêmes », en référence à l’expression consacrée de Julia Krisna. La réduction de l’identité à l’Un est d’emblée écartée.

Mon identité butine à son gré, fait son miel et mâtine ses vieux tanins. Elle mélange, accommode. Elle ne renie rien. Je suis un éclectique, un arlequin dirait Michel Serres.

Ce prétexte narratif original explore à sa façon la quête identitaire à travers le thème du métissage et du syncrétisme qui remet en question le monolithisme en jouant sur des registres contradictoires. Ainsi, les personnages de «  la marge », habitant le désert, à
l’exemple de Yacine et Salah, Dalila, dans l’Interdite, et de Mahmoud, El Madjnoun , Yasmine et Bénichou le
juif, dans Le Siècle des Sauterelles, disent le déplacement, la contradiction .
Entre rupture et mémoire, Sultana est, comme elle le dit à Salah :« Sur une ligne de fracture, dans toutes les ruptures (…) Dans un entre – deux qui cherche ses jonctions entre le Sud et le Nord , ses repères dans deux cultures ».
Le métissage, tel que traité à travers cette métaphore, nous paraît comme étant un concept important chez Malika Mokeddem qui a commencé sa vie dans le désert, espace du possible où se forgent des alliances entre Berbères, juifs, Arabes et Français et qui vit actuellement à Montpellier, dans une région Méditerranéenne qui reste un espace hybride et métissé, lieu de rencontre de cultures diverses du Nord au Sud.
Au delà de ce «métissage en greffe », ce versant du roman dit aussi l’amour de la vie sur la maladie et l’amour du désert revisité, réécrit.

II- La fiction menée de front avec le récit autobiographique.

1- Un parcours singulier.

L’œuvre de Malika Mokeddem, commencée au début des années 90 reste l’une des écritures algériennes des plus singulières de par son pari à exister singulièrement comme écriture, une écriture rebelle qui participe à battre en brèche les amalgames et les jugements simplistes véhiculés de par le monde à l’encontre des femmes, et qui ne considère pas que les Algériennes représentent un groupe monolithique, se refusant à se déclarer porte-parole, revendiquant un territoire d’écriture.
Son parcours reste singulier avec une écriture en progression qui refuse les clichés, les perceptions exotiques sur l’écrivaine du désert, la femme engagée.
Malika Mokeddem écrit des livres de transgression. Une femme qui a toujours été du côté de la rébellion et jamais du côté de la soumission. Elle se définit comme « une femme de frontières » qui refuse tous les enfermements, que ce soit dans un territoire ou dans une tradition. Ce qui lui permet, en restant en dehors, de garder une capacité de discernement, de lucidité et de liberté, dans le regard qu’elle porte en regardant son pays qui reste la matière, le sujet dominant de son écriture.
Sa production romanesque révèle à travers le temps, de 1991 à 2008, dans neuf romans distincts, des discours variés, selon le thème abordé, ainsi qu’une information politique et sociale aisément repérable.
Cependant, c’est depuis le désert de l’enfance qu’il faut tenter de lire et de relier les romans de Malika Mokeddem. Des romans qui enseignent les origines et la transgression de ces origines. Un métissage aussi bien biologique- Malika Mokeddem étant «  fille du désert et de l’oralité, petite fille d’une nomade bédouine, héritière du sang noir d’une ancêtre africaine »- que culturel, selon Yolande Aline-Helm qui affirme que «son identité s’est aussi nourrie de la culture occidentale transmise par les lectures et l’écriture ».

C’est en 1977 que Malika Mokeddem quitte l’Algérie, bien avant les exodes massifs. Il y avait besoin d’aller finir ses études ailleurs, d’être plus libre. Elle ira jusqu’à refuser une bourse de l’Etat, pour ne rien lui devoir et se débrouiller par ses propres moyens.
En fait, Malika Mokeddem ne quitte pas vraiment l’Algérie qui reste la toile de fond de ses récits. Les thèmes en écriture se sont presque imposés pour une femme dont l’enfance et l’adolescence ont été marquées par des souffrances, et que l’école a arraché à une société moyenâgeuse pour la précipiter, seule, en plein milieu du vingtième siècle.
Comme l’aïeule nomade sédentarisée qui résiste en contant le monde nomade, le trop plein de mots ressurgit des années plus tard chez Malika Mokeddem, une fois les études terminées, et la réalisation d’un certain nombre de buts assignés.

Devenue médecin, en exil en France, le refuge dans la lecture ne suffira pas :

« Encore une fois, j’ai essayé de trouver refuge dans la lecture. Mais je ne pouvais plus y entrer. Le trop plein de mots et de maux en moi muets, depuis si longtemps, m’avaient saturée. Il ne me restait plus dans ma tête d’espace disponible aux mots des autres. Non-dits refoulés, sabrés, oubliés, secrets, couvés, morts nés (…) Il y avait surpopulation d’inexprimés en moi ».

Après une scolarité primaire à Kenadsa, des études secondaires à Béchar, Malika Mokeddem entame des études de médecine à l’Université d’Oran, études qu’elle poursuivra à Paris puis à Montpellier en se spécialisant en néphrologie. C’est en 1985, après l’obtention du diplôme de néphrologue, qu’elle interrompt ses activités professionnelles pour se consacrer à l’écriture :

« Avec un certain nombre de buts assignés, j’aurai du éprouver la sérénité de l’arrivée. Encore une fois, j’ai essayé de trouver refuge dans la lecture. Mais je ne pouvais plus y entrer. Il ne restait plus, dans mon être, d’espace disponible aux mots des autres. J’avais déjà quitté une famille, des amis, un pays. Je n’avais cessé de m’enfoncer dans une absence sans fond. Il y avait urgence. Alors, j’ai écrit, d’abord comme on soigne, par nécessité.(…) Mais ils se sont bousculés les mots du silence. J’en suis restée ivre et désemparée. Maintenant, l’écriture m’est une médecine, un besoin quotidien »

En octobre 1985, elle reprend l’exercice de la médecine en cabinet privé, comme généraliste dans le quartier immigré de Montpellier. Depuis elle partage son temps entre l’exercice libéral de la médecine et l’écriture.

C’est donc, en France, à Montpellier, qu’elle conquiert l’espace nécessaire à l’écriture. Cette double appartenance lui offre le recul nécessaire pour aiguiser son esprit critique, sa lucidité entre les deux rives.
Dès son premier roman, Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem s’abreuve à cette source familiale intarissable de la grand-mère, la « poétesse analphabète » qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte.

Après avoir rappelé le poids de la société dans le choix qu’ont dû faire les femmes parmi un certain nombre de genres littéraires, Béatrice Didier insiste sur la « plasticité » de certaines formes littéraires adoptées par les femmes : « Pour la poésie, le roman, l’autobiographie, les femmes ont toujours été plus libres de leur donner une forme qui leur convenait. Peut-être est-ce tout autant la plasticité de ces formes que leur capacité à exprimer le moi, qui leur a donné une telle place dans la littérature féminine ».

La critique a constaté une nette préférence pour la littérature « personnelle » qui regroupe les romans autobiographiques, les autobiographies, les biographies et récits de vie, dans la littérature de femmes algériennes. Ce dit autobiographique, fortement présent dans les romans de Malika Mokeddem, sera thématisé et structuré dans ses deux autobiographies : La Transe des insoumis et Mes Hommes.

D’ailleurs dans le premier jet, sorti dans l’urgence, à propos de Les Hommes qui marchent, l’auteur n’a opéré aucune distance entre le « je » de la femme Malika Mokeddem et le « je » de la narration, ainsi qu’entre les protagonistes et les membres de sa famille présentés avec leurs véritables prénoms. Aussi, une réécriture s’imposait où le ‘‘je’’ devint Leïla et un changement de tous les autres prénoms de ses personnages.

Ce que confirme Christiane Achour à propos déjà des « premiers récits d’Algériennes (qui) sont des récits de vie, des témoignages sur leur parcours », à la différence que Malika Mokeddem ne s’embarrasse pas de subterfuges pour masquer son témoignage devant ce qu’on pourrait appeler des impératifs de réserve et de silence que son éducation était censé lui inculquer.


2- La figure de l’aïeule ou la « scène primitive » d’une œuvre à caractère autobiographique.

a- La figure de l’aïeule.

Malika Mokedem, dans l’entretien accordé à Lazhari Labter, se confie : « La découverte du pouvoir des mots, de leur charge critique ou subversive, de la sensibilité à leur prosodie m’était d’abord venue d’elle (de la grand-mère) ; avant l’école et le début de la lecture.(…) Elle tenait un propos d’exilée soucieux de transmettre son passé, une mémoire nomade en voie d’extinction »
Nous constatons que la mise en scène de l’aïeule adulée par la narratrice- auteur dans son rôle de « mise en veilleuse » de l’acte de narrer, puis d’écrire de l’auteur, bien avant l’école française et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, parcourt l’ensemble de l’œuvre de l’auteur.
Cette découverte du pouvoir des mots inaugure le passage à l’acte de transgression par l’écriture, et ce dès le premier roman, Les Hommes qui marchent, où la mise en scène de la conteuse Zohra à l’ouverture du roman, rejoint la plume de Leila, sa petite fille, incarnant ainsi le passage de l’oralité à l’écriture.
Zohra « un petit bout de femme à la peau brune et tatouée (…) née l’année de la très grande sécheresse », devenue sédentaire, et à qui « il ne reste plus que le nomadisme des mots » conte le désert en se jouant de tout.



La voix rocailleuse de Zohra qui martelait la mémoire de Leïla sera reprise par « sa plume (qui) se mit à écrire avec fébrilité sous la dictée de l’aïeule qui revivait en elle ».
L’incipit et l’excipit du roman mettent en scène le nomadisme des mots, permettant de conter, et de (ra)conter, à l’infini les mots de la grand-mère :

« Elle (Leïla) avait repris sa marche vers Bouhaloufa, vers l’aïeule Zohra, vers Saadia, Emma, Ben Soussan, La Bernard, vers les phares qui balisèrent le rivage houleux de l’erg ». 

Avec la grand-mère, Malika Mokeddem revendique sa filiation avec une autre femme, une tante, dont elle taira le nom, et dont « l’entêtement à damer le pion au mépris, aux préjugés, aux dénis, avait fini par forcer le respect et l’imposer en exemple ». Cette tante au verbe « ravageur » sera longuement décrite dans Les Hommes qui marchent, sous le nom de Saâdia. La disparition de ces deux femmes la laissera « orpheline du vivant de (ses) parents en dépit d’une nombreuse fratrie.
Leur filiation continue de légitimer (ses) départs, (ses) ruptures, tout ce avec quoi (elle) ne transige pas ».
La scène primitive l’ayant amené à l’écriture est reprise dans le premier ouvrage de son volet autobiographique, La Transe des insoumis, où l’auteur-narratrice enfant se « lève souvent au cours de la nuit », pour rejoindre sa grand-mère qui « se met à murmurer des mots d’abord hésitants, avant de retrouver le verbe débridé de ses espaces ».
La première histoire d’amour qu’on lui raconte l’enchante :
« Hagitec-Magitec, », formule magique permettant de rentrer dans l’univers magique des contes de la grand-mère.
Est-ce là le portrait de la littérature dans le sens où la force emblématique vient de ce que se trouvent scellées les forces contradictoires qui composent la narration de Malika Mokeddem, qui, petite fille, faisait partie de la douzaine d’algériennes qui ont accès à l’école française dans les années cinquante ?
Ces forces contradictoires vont travailler l’écriture de Malika Mokeddem. Son imaginaire, déjà nourri des contes en arabe de sa grand-mère, butte « aux bordures de la page blanche, seuil d’un monde encore ignoré dans lequel (elle s’) invente déjà (sa) propre fiction ».
La nuit, l’auteur-narratrice fait corps avec sa grand-mère :

Ma rêverie attire grand-mère, elle se lève, s’approche, jette un œil intrigué à mes pages noircies. Je débarrasse son couchage, range mon cartable, reviens me coucher contre elle. Elle se met à murmurer des mots (…) avant de retrouver le verbe débridé de ses espaces. La nuit n’a pas de limites pour elle ni pour moi ».

C’est le lieu, le temps de la scène primitive, où la petite fille noircissant ses cahiers en français, fait corps avec les mots arabes de la grand-mère, l’arabe restant avant tout « la langue grand-maternelle »

C’est le lieu où la petite fille est nommée héritière de ces contes, le temps d’une scène répétitive dans l’œuvre, une scène ayant lieu avant et pendant l’accès à la lecture et à l’écriture en français.

Leïla, s’installe dans l’écriture en devenant écrivaine, des années après la fin du récit. Elle respectera, ainsi, le mandat de sa grand-mère, Zohra.





Sur le plan graphique, le passage entre ces deux espaces, le récit et l’installation dans l’écriture, est indiqué par un blanc.

Mais comment Leïla pouvait-elle dire à cette mère que sa marche devenait lourde de chaînes. (…) Pas libre, sa fille qui avait atteint les sommets ! Alors ces mots non dits creusèrent le fond de sa poitrine, lourds et amers. Hana, le poids des mots. Surtout les mots morts-nés.
Haletant sous l’emprise de cette obsédante incantation, Leïla s’arrêta. Elle prit sa plume. Raconter ?... Mais par où commencer ?
Il y avait tant à dire ! Elle n’eut pas à chercher longtemps. Sa plume se mit à écrire avec fébrilité comme sous la dictée de l’aïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire. Elle avait repris sa marche vers Bouhaloufa, vers l’aïeule Zohra, vers Saadia, Emma, Ben Soussan, La Bernard, vers les phares qui balisèrent le rivage houleux de l’erg ».
 
Nous ne sommes plus dans la continuité du récit des Hommes qui marchent mais dans un autre espace, un autre roman, celui de la venue à l’écriture et de son récit.

La fiction prépare l’’installation de Leïla ou de Yasmine dans Le Siècle des sauterelles dans l’écriture. Le glissement vers le mythe des Bouhaloufa ou vers la légende d’Isabelle Eberhardt permet de parsemer l’œuvre de passages discursifs sur le procès d’écriture, sur sa nature métatextuelle, et ce jusqu’à l’installation de métarécits parallèles aux récits de chaque roman.

Cependant, ce qui va aussi structurer le projet narratif de l’auteur, plus encore que les contes et récits de la grand-mère, « c’étaient ses (de la grand-mère) répliques cinglantes ou dérangeantes qui résonnaient fort en (elle) et (la) (lui) faisaient aimer ».

A partir de cette scène inaugurale du passage de la voix à l’écriture, le sujet de l’écriture est entraîné dans une mise à l’épreuve radicale, celle de la mémoire et du corps, mais dans l’inachèvement autobiographique, qu’il faudra sans cesse reprendre, de Les Hommes qui marchent en passant par L’interdite et Des Rêves et des assassins, romans dans lesquels Malika Mokeddem avance à pas masqués, jusqu’à La Transe des insoumis et Mes Hommes où le lien autobiographique est clairement énoncé.



b- Les Hommes qui marchent et Le Siècle des sauterelles : des romans de conteuse.

Ce n’est qu’après son diplôme de néphrologue que Malika Mokkedem va se mettre à l’écriture. Son premier roman «Les hommes qui marchent» est écrit en 1985 mais ne sera édité qu’en 1990 aux éditions Ramsay. Le roman a reçu en 1990 le prix Littré avant d’être réédité en 1997 aux éditions Grasset..
Malika Mokeddem avait déjà quitté sa famille, des amis, un pays. Elle se met d’abord à écrire par nécessité : « D’abord lentement comme lorsque le risque est grand. Mais ils se sont bousculés, les mots du silence, les maux de toutes les absences. Ils me sont tous remontés, en même temps. Ils m’ont débordée, m’ont asséné une brutalité salutaire. J’en suis restée ivre et désemparée ».

Dans son premier roman, Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem met en scène la scène inaugurale appelant à l’écriture, celle de l’ancêtre, de la Grand-mère Zohra, ou plus précisément ce qui fait exister Zohra, c’est à dire la parole d’une conteuse, la première de la généalogie des conteuses qui en quittant le grand espace nomade pour la sédentarité sent un avant-goût de mort :

L’immobilité du sédentaire, c’est la mort qui m’a saisie par les pieds. Elle m’a dépossédé de ma quête. Maintenant, il ne me reste que le nomadisme des mots. Comme tout exilé.

Il ne reste que les mots, comme Zohra, à Malika Mokeddem, la fille de nomades analphabètes, pour apprivoiser l’angoisse des grands espaces du désert.
C’est à sa grand-mère, à travers Zohra, cette poétesse analphabète, qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte, que l’auteur donne la parole dans son premier roman.
C’est au pied des dunes, aux portes du Grand Erg, où s’est fixée la tribu, que la vieille Zohra, à l’instar de la grand-mère de Malika Mokeddem, est devenue l’inoubliable conteuse des temps anciens, le pilier de la sagesse et des traditions bédouines. Zohra, dans l’aridité de la sédentarisation, narre « Les Hommes qui marchent », et les grandes mutations de l’Algérie coloniale à l’Algérie post-coloniale, celle de la haine et de l’intégrisme religieux.
Le public est fasciné par cette « voix conteuse », tandis que l’Algérie des années cinquante bascule dans la guerre contre les « roumis ». Trois décennies plus tard, Leïla, sa petite fille, l’une des premières jeunes filles de la tribu à maîtriser l’écriture, se rebelle contre le destin de femme asservie qu’on lui impose. C’est dans ses racines nomades qu’elle puisera la force de s’opposer.
Le Siècle des sauterelles,  comme Les Hommes qui marchent, est un roman dans lequel l’auteur s’est attaché à insuffler la tradition orale dans la langue française. Le roman en racontant un monde primitif, une civilisation d’oralité (en tant qu’elle est opposée à une civilisation d’écriture), ici le nomadisme, convoque, « en voix off », un avant-texte à travers les références à la tradition orale.


III- Pratiques autobiographiques.


1- Sur l’autobiographie.

Le mot « Auto-bio-graphie » avec ces trois racines relie étroitement l’identité singulière d’un « moi » (auto), la vie (bio) dans ce qu’elle a de mouvant et d’insaisissable, et l’écriture (graphie), démarche d’expression et de recomposition.
Selon Philippe Lejeune, le mot « autobiographie » désigne un phénomène radicalement nouveau dans l’histoire de la civilisation qui s’est développé en Europe occidentale depuis le milieu du 18ème siècle : l’usage de raconter et de publier l’histoire de sa propre personnalité. Comme le journal intime qui apparaît à la même époque, l’autobiographie est l’un des signes de la transformation de la notion de personne et est intimement lié au début de la civilisation industrielle et à l’arrivée au pouvoir de la Bourgeoisie.
Le verbe « écrire » n’étant pas nécessairement transitif, implique cependant un agent, un « je » qui peut être en même temps sujet et objet de l’écriture, auteur et matière même du récit.
L’autobiographie moderne ne naît pas au XXème siècle, mais au XVIIIème siècle, avec Les Confessions (1871) de Jean-Jacques Rousseau :
« Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s’il m’est arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j’ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais ce que je savais faux. »
Ce passage souligne l’exigence de vérité que s’impose l’auteur devant le souverain juge. Cette vérité est dans son livre Les Confessions.
Cette exigence de vérité peut passer par d’autres formes d’écriture de soi : « mémoires » qui accordent une large place aux événements historiques, correspondances, journaux intimes, romans autobiographiques… Cependant,  quelque sincère que soit l’écrivain, le contrat de véracité peut entrer en contradiction avec le travail toujours imprévisible de l’imaginaire et de la création. Alain Robbe-Grillet insiste sur cet aspect paradoxal de l’aventure autobiographique :
« Je ne suis pas homme de vérité, ai-je dit, mais non plus du mensonge, ce qui reviendrait au même. Je suis une sorte d’explorateur, résolu, mal armé, imprudent, qui ne croit pas à l’existence antérieure ni durable du pays où il trace, jour après jour, un chemin possible. Je ne suis pas un maître à penser, mais un compagnon de route, d’invention, ou d’aléatoire recherche. Et c’est encore dans une fiction que je me hasarde ici ».
Les leurres du genre autobiographique sont dénoncés par nombre d’écrivains et de critiques, à l’exemple de Serge Doubrovsky, écrivain et critique, qui, revenant sur ce terme dans L’Après-vivre, le présente moins comme le résultat d’une théorie que comme celui d’une intuition :
« C’est vrai, je ne suis pas sûr pourquoi, j’ai pris l’habitude de mettre ma vie en récits. D’en faire, par tranches, des sortes de romans. J’ai appelé ça, faute de mieux, ‘‘ mon autofiction’’. De l’auto-biographie toute chaude, à vif, qui saigne, mais recomposée selon les normes propres de l’écriture ».
L’affirmation de Flaubert, « Madame Bovary, c’est moi » montre bien que tout écrivain compose à partir de soi, de ses expériences de sa subjectivité, même si, en fait, un roman n’exprime jamais totalement son auteur, quels que soient les liens, - biographiques ou psychologiques- que l’on peut déterminer entre Sultana, L’héroïne de L’interdite, Kenza de Des Rêves et des assassins, ou encore Nora de N’Zid et L’auteur-écrivain Malika Mokeddem.
La seule complète écriture de soi serait donc l’autobiographie, quelle que soit sa forme : narration rétrospective organisée (mémoires, confessions), confidences rapportées au jour le jour (carnets, journaux intimes).
Le Dictionnaire de critique littéraire définit l’autobiographie comme « genre littéraire fréquent dans la littérature occidentale qui se développe avec l’expansion de l’introspection liée au christianisme dans la pratique de l’examen de conscience (…)L’autobiographie fait partie de la littérature narrative, mais se distingue (…) des romans dont le narrateur est en même temps un personnage (narrateur intradiégétique), en ce qu’elle ne présente pas de fiction, mais est censée être fidèle aux événements réellement survenus dans la vie du narrateur (…). Enfin l’autobiographie implique un dessein global, une mise en intrigue pour reprendre un terme utilisé par Ricœur à propos du roman, qui la distingue d’un simple livre de souvenirs (…) Le genre autobiographique est lui plus large, et comprend également par exemple les récits de souvenirs, le journal intime, les romans inspirés de la vie de l’auteur et que l’on qualifie de romans autobiographiques ou romans autobiographie (…) comme A la recherche du temps perdu de Proust ».
Philippe Lejeune, dans Le pacte autobiographique instaure une grille de lecture pour les récits de vie se donnant à lire dans le genre autobiographie où le contrat entre l’auteur et le lecteur instaure un pacte de sincérité représenté par une intentionnalité avouée d’assumer le discours autobiographique et de dire la vérité.
Le texte est supposé être basé sur des éléments factuels d’où «  le pacte référentiel » qui suscite chez le lecteur l’attente d’une révélation de « la vérité ».

Ainsi, le pacte autobiographique, véritable déclaration d’intention, pose l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage, et souligne que l’emploi de la première personne, que Gérard Genette appelle la narration « autodiégétique » dans sa classification des voix du récit, rassemble trois identités de fait identiques, à travers une énonciation particulière qui apparie le « je » du passé et le « je » du présent de l’écriture.
Mireille Calle-Gruber, dans Le deuil de la biographie, étude consacrée à Le Blanc de l’Algérie d’Assia Djebar, clarifie les ambiguïtés qui peuvent exister dans les définitions de la biographie, le biographique, l’autobiographique :
« La biographie, le biographique, l’autobiographie, bien qu’étroitement intriqués et indissociables dans leur interaction à l’œuvre, désignent cependant des ‘‘moments’’ (de force) distincts. Le terme ‘‘biographie’’, aujourd’hui, tend à mettre l’accent sur les effets de réel d’un genre littéraire suscitant des représentations, une impression de prise sur le vif ou de restitution du vivant. ‘‘Le biographique’’ désigne en revanche le matériau de construction de la scène d’écriture, les éléments de la composition, la mise en chantier textuel. Autrement dit : (…) La biographie tend à faire entendre : ‘‘ c’est comme la vie’’. Le biographique tend à désigner le mode narratif du récit de vie. Quand au rapport entre biographie et autobiographie, on conviendra, certes, que d’une manière générale toute biographie comporte peu ou prou des accents autobiographiques ».

Romans autobiographiques, autobiographies, biographies et récits de vie prédominent dans la littérature algérienne féminine. Ce dit autobiographique fortement présent reste comme une forme de transition avant l’écriture de fiction alors qu’en occident, où le genre est né, l’autobiographie est le fait d’écrivains déjà attestés qui, sur le tard, font un retour sur leur vie, leur itinéraire.

Dans les pays colonisés, l’autobiographie constitue souvent la première, et parfois la seule œuvre de ceux qui se hasardent dans la langue de L’Autre.
Notre intitulé « Pratiques autobiographiques » annonce le texte autobiographique d’une auteure se situant entre différentes cultures, et dont l’écriture se situe dans un contexte culturel hybride. L’écriture de Malika Mokeddem oscille entre la culture française dans laquelle sont ancrées l’intellectualité et la formation de l’auteure, d’une part, et la culture d’origine, ou plus précisément -pour être en harmonie avec Malika Mokeddem qui refuse le principe d’unicité dans la définition de l’identité, et qui revendique le principe d’hybridité et de métissage- une culture de l’oralité du Sud algérien qui influencera définitivement son écriture, comme nous l’avons maintes fois souligné.


2- Du « féminin pluriel » au « féminin singulier ».


Dans la littérature algérienne d’aujourd’hui, selon Fatima Mernissi, l’Algérie est une société hostile où l’individu doit être solidaire de la tribu et de l’idée d’une totalité islamique. 
Farida Boualit, par ailleurs, constate que « la pratique scripturaire qui consiste à parler de soi (même pour soi) dans un journal, des mémoires, une autobiographie intimiste, etc., n’a pas cours dans notre société », et l’explique par « l’inhibition manifeste de la mise en discours intimiste de soi en raison d’une consigne culturelle qui confine à l’interdit. L’interdit ici est d’autant plus fort que la teinte religieuse de l’interdiction ne fait pas de doute ».
L’argument avancé pour cet interdit de la mise en avant de soi chez l’écrivain maghrébin dans son acte d’écriture est avant tout, d’ordre culturel, renforcé par « la teinte religieuse de l’interdiction » dont le modèle est fourni par « le prophète Mohamed qui incarne l’effacement de sa personne pour pouvoir capter et transmettre la parole divine ».
Elle rajoutera plus loin que « cette consigne culturelle de mise en retrait de soi ‘en tant qu’individualité) est d’autant plus intériorisée au Maghreb qu’elle est confortée par l’Histoire. L’histoire, en tant qu’histoire de l’adversité ou histoire des catastrophes, a beaucoup plus sollicité le groupe (dans sa cohésion identitaire face aux autres, à l’ennemi étranger) que l’individu, et ce, pendant des siècles.
Le retrait de l’ énonciateur au profit d’une énonciation collective où « les déterminations personnelles se confondent totalement avec les déterminations socio-historiques » peut être constaté dans la littérature maghrébine de langue française des années 50 où, selon Farida Boualit « l’autobiographie (…)porteuses de revendications identitaires et/ou nationales (…) a dû mêler sa présence à celle de la fiction romanesque », et, où « la coïncidence (du personnage narrateur), en tant que membre d’une communauté, peut être aisément repérée par le biais des identifications secondaires ».
Moura parle d’hybridité caractérisant les formes littéraires postcoloniales en citant le cas de l’autobiographie « symbolique » comme genre privilégié de la littérature postcoloniale pour inscrire la « conscience littéraire d’une énonciation collective ».
Pour Moura, l’auteur de cette forme symbolique d’autobiographie « racontant son passé, résume par là l’accès de tout un peuple à l’indépendance ».
Cette forme de « fiction autobiographique » peut être assimilée, selon Farida Boualit, « du point de vue du sujet de l’écriture, au stade du miroir, le miroir étant l’histoire relatée dans ce livre qui permet au sujet d’exister, c'est-à-dire de s’identifier (fusion de soi avec les autres) en mêlant l’imaginaire à la fiction ».
Ces autobiographies, ne s’énonçant jamais à visage découvert, empruntent en général le détour de la fiction romanesque. Nous citerons à ce titre, les exemples de Leïla, jeune fille d’Algérie de Djamila Debêche, et de Jacinthe Noire de Marguerite Taos Amrouche, publiés en 1947.
Encore faut-il dire que ces deux romans autobiographiques, restent des exceptions plus ou moins acceptées, pour cette époque là, car non représentatives de la communauté d’origine : L’intérêt que porte Djamila Debèche à la question de l’émancipation de la femme musulmane, est mieux perçu par la communauté coloniale que par les autochtones, et Marguerite Taos Amrouche, de par son appartenance à une famille de Kabyles chrétiens, reste isolée de sa communauté d’origine.
Le premier roman D’Assia Djebar, La Soif, (Julliard, 1957) considéré comme autobiographique par la critique de l’époque, est tout de suite comparé à Bonjour tristesse, de Françoise Sagan, lui ôtant du coup tout statut d’œuvre littéraire à caractère autobiographique algérien.
Dans les années soixante-dix, dans la littérature maghrébine, le sujet de l’écriture reste en retrait par rapport à l’histoire collective fortement présente, et ce en procédant par, ce que Farida Boualit appelle « touches autobiographiques » ou « flashes autobiographiques ». Ce qui permet à ces auteurs, à l’exemple de Abdelkébir Khatibi, Nabile Farès, Abdelwahab Meddeb, ou encore Assia Djebar, de revisiter les valeurs instaurées, qu’elles soient d’ordre historique, identitaire, théologique...

3- Malika Mokeddem : le « je » envers et contre tout.


a- A l’opposé des consignes culturelles.

Mêler les genres, pour nos écrivains, c’est se dire sans se soumettre aux règles d’un genre défini, et éviter de s’enfermer dans des frontières étroites, surtout pour des écrivains – femmes qui ont choisi la rupture, la transgression, par la voie/voix autobiographique dont plusieurs critiques littéraires ont souligné la tendance.
Il est aisé de constater que d’un ouvrage à l’autre, Malika Mokeddem « tisse » l’image du moi en mêlant divers registres et genres. Elle met en place une poétique qui transcende les limites génériques, en passant du pamphlet à la narration, de la fiction à l’autobiographie.
La mise en discours intimiste, comme nous l’avons dit, est mise à l’index par une consigne culturelle et religieuse dans une formule connue, en arabe populaire : «maudit soit le mot je/moi » auquel répondrait Malika Mokeddem : « le moi envers et contre tout ».
Les premiers récits d’Algériennes sont des récits de vie, des témoignages sur leur parcours. Cependant, selon Christiane Achour, ces écrivaines « masquent ce témoignage d’une façon ou d’une autre, ce qui n’est pas étonnant compte tenu des impératifs de réserve, de pudeur, de silence que leur éducation leur a inculqués. La transgression de ces préceptes expose à la sanction sociale et peut aller jusqu’à la l’expulsion du groupe et la mort ». Ainsi, en publiant son autobiographie, on s’expose doublement : on apparaît sur la scène publique, et on se distingue de la communauté.
Cependant, il faut noter que cette transgression évidente dans la société de l’époque «  ne l’est pas, selon Achour, par rapport aux modèles littéraires de formation et à ceux des écrits féminins antérieurs en Europe ». mais qu’elle doit être reliée au contexte social particulier du Maghreb où, selon Christiane Achour et Simone Rezzoug, « L’acte scripturaire, au Maghreb entre autres, ne participe pas des rôles communément fixés à la femme » en introduisant « dans le domaine du publié, du public donc du discutable, des éléments qui n’ont pas coutume d’être exposés au débat collectif : psychologie, logique, gestuelle féminines ». Il y va de la morale liée à une juridiction implicite des lecteurs et de la critique, prenant le pas sur le droit à l’expression et ainsi tenir compte de cette censure et autocensure impliquant des stratégies d’écritures opérant une distanciation afin d’atténuer la responsabilité de ce qui est dit (recherche de pseudonymes, jeu de masques par le biais d’un personnage masculin dans le dire du corps féminin, et autres).*
Le cas de la publication de l’autobiographie de la mère de Jean et Marguerite Taos Amrouche, Histoire de ma vie de Fadhma Aït Mansour, préfacé par Kateb Yacine, fera date dans l’édition éditoriale de la littérature féminine algérienne.
Cette autobiographie, écrite en 1946 publiée qu’en 1968 en raison de la « censure du mari » sera intériorisée par l’auteur. La publication n’aura lieu qu’après la mort du mari.

Si nous nous en référons à Benjamin Stora, l’importance de l’autobiographie féminine en Algérie serait due à la difficulté pour ces femmes d’affirmer une identité individuelle : « Plus la société les empêchait de dire « je », plus elles l’écrivaient dans leurs textes », alors que Jean Déjeux affirme que l’emploi du « je » est une forme de « conquête et un combat », pour exister au-delà de la clôture, de l’enfermement et des barrières matérielles et morales. Ce « je » masqué sera transgressé par les nouvelles écritures féminines, à l’exemple de Malika Mokeddem ou de Nina Bouraoui.

L’exemple de Assia Djebar dans la littérature féminine algérienne reste édifiant, grâce au travail sur les formes, notamment grâce au brouillage générique qui lui permet de sortir indemne de l’influence de l’esthétique classique.
C’est le genre du roman qui permet de mettre en place une multiplicité discursive, la polyvocalité des discours contradictoires, la déconstruction des genres et l’insertion de fragments et d’intertextes, et qui reste la voie royale de consécration car permettant à chacun d’imposer son style. Malika Mokeddem s’impose dans le genre du roman autobiographique par une écriture où la structure canonique de type classique, voir réaliste, côtoie « l’oralité de l’écriture » puisée dans les contes nomades de l’aïeule, et qui ouvre ses romans sur une esthétique et un espace d’écriture où la «  machine » de la déconstruction de tous les stéréotypes qui se met en branle, remet en cause toute vision monolithique et unitaire de l’idée de nation, de culture, de sexe, d’identité.

A l’opposé de cette consigne culturelle de mise en retrait de soi en tant qu’individualité, Malika Mokeddem investit le champ littéraire en mettant en avant une biographie de type intimiste où l’histoire individuelle, connectée au départ au groupe (la famille, le clan, l’espace géographique…) conduit irrémédiablement à la rupture d’avec ce groupe avec le parcours qui s’en suivra, et qui constituera le matériau essentiel de son écriture autobiographique.
Ces écritures autobiographiques, d’Assia Djebar à Malika Mokeddem, sont à situer comme textes postcoloniaux, refusant l’identité héritée du discours colonial, faisant preuve d’une sensibilité postmoderne, et remettant en question la nature du sujet de l’autobiographie classique, tel que défini par Philipe Lejeune.

Dans ce sens, Trudy Agar-Mendousse démontre dans son essai Violence et créativité de l’écriture algérienne au féminin que « l’autobiographie féminine d’Algérie, tout en manifestant une sensibilité postmoderne, s’inscrit simultanément en faux contre les rapports de pouvoir entre les sexes en Algérie » et ce en inscrivant dans sa démarche les textes autobiographiques de trois écrivaines : Assia Djebar, Malika Mokeddem, et Nina Bouraoui.

Trudy Agar-Mendousse montre dans ces textes la déstabilisation du sujet en mettant en exergue « l’acte même de l’écriture d’une personne (qui) répond à un défi décisif : inscrire une nouvelle forme de subjectivité dans un face à face avec l’identité telle qu’elle a été léguée par le discours colonial ».
Ainsi, l’intérêt est moins donné à la biographie du sujet-personne qu’à l’acte d’écriture lui-même qui est la première forme de transgression.








b- Les Hommes qui marchent : un « je » à peine masqué. 

En parlant du premier choix de l’autobiographie dans Les Hommes qui marchent, Malika Mokeddem s’explique sur la réécriture de ce roman :

« Les Hommes qui marchent comporte une large part d’autobiographie. Le nombre d’auteurs qui abordent l’écriture par l’autobiographie montre qu’à l’évidence celle-ci est, parfois une étape obligée. Dans le premier jet, sorti dans l’urgence, je disais « je » et les membres de ma famille avaient leurs véritables prénoms. Ensuite, une réécriture s’imposait qui procédait à une sorte de mise à plat. Cette remise à l’ouvrage de l’écriture épuisait l’émotion. Le « je » devint Leïla et tous les autres prénoms furent changés ».

Le premier roman de Malika Mokeddem, Les Hommes qui marchent dévoile déjà un peu d’elle-même, dans ce que Yolande Helm appelle dans sa préface « une autobiographie masquée ». Le dévoilement s’accentuera progressivement jusqu’à La Transe des insoumis, puis Mes Hommes.
Christiane Achour rappelle que « ce choix générique marque le passage,- pour l’autobiographie issu de la communauté colonisée-, de la voix collective à la voix individuelle. Contrairement à la littérature occidentale où le genre est visité en fin de vie, les écrivains francophones commencent par lui, comme s’il était nécessaire de marquer une étape, de faire le bilan entre une vie précédant la formation scolaire et celle qui en prend la suite ».
C’est ce que Malika Mokeddem confirme dans sa déclaration au moment où elle n’avait encore publié que cinq romans :

« Le seul livre où il y ait vraiment mon enfance, mon adolescence, et la suite, c’est Les Hommes qui marchent qui retrace la vie de ma famille et à travers la vie de ma famille un pan de l’Algérie après les années quarante, la fin du monde nomade. Dans les autres romans, ce n’est pas tout à fait moi, mais on écrit toujours avec ce qu’on est et avec ce qu’on sait »..

La part autobiographique des Hommes qui marchent est donc reconnue par l’auteur qui affirme que « la trame » de ce texte est  l’histoire de (s)a famille. »
Yolande Aline Helm écrit dans sa préface au livre consacré à Malika Mokeddem :

« C’est par la voie/voix autobiographique que Malika Mokeddem vient à l’écriture(…) (Elle) se raconte dans Les Hommes qui marchent, une autobiographie « masquée » puisque l’héroïne s’appelle Leïla. Pudeur ? Refus de se livrer totalement ? Désir de protéger les siens ? Sans doute… mais on peut aussi affirmer que Malika Mokeddem trempe sa plume dans le verbe ‘‘flamboyant’’ de sa grand-mère pour réécrire l’Histoire des femmes algériennes conjointement à la sienne ».
Les personnages sont pris dans une saga familiale, des années quarante aux années soixante-dix, mais sans que le « je » devenu « Leïla » ne soit « étouffé » par la collectivité ».
Dans ce roman, Malika Mokeddem narre du point de vue des personnages, femmes du clan : Zohra, la conteuse ; Saadia, la tante rebelle ; Leila, la petite fille de Zohra. Le roman relate, dans un ordre chronologique, le trajet et la lutte de Leila pour mener ses études afin d’échapper au rôle traditionnel réservé aux femmes.

Dans ce sens, Martine Mathieu, à propos de l’autobiographie francophone écrit : « Le « Je » mis en scène dans ces littératures francophones est pourtant souvent encore destiné à s’amplifier en « nous » identitaire, porte-parole d’une communauté, centrale ou marginale (la nation, les immigrés, les femmes …) ou à n’exister qu’en opposition à une personne collective».
Cependant, Trudy Agar-Mendousse nuance ses propos dans l’exemple qu’elle donne à propos de Les Hommes qui marchent de Malika Mokeddem :
« Les Hommes qui marchent peut être considéré comme un roman autobiographique « pluriel » où l’identité de l’auteur se brouille avec l’identité des femmes de sa communauté d’origine, où la frontière entre l’identité individuelle et l’identité « tribale » n’est pas hermétique mais laisse passer des sentiments d’appartenance et de sororité ». 

La part autobiographique de l’œuvre de Malika Mokeddem est aisément identifiable à partir des différents entretiens publiés et dans lesquels l’auteur met en avant la part du vécu qui nourrit toute son œuvre, mais sans que cette part de vécu ne soit l’objet unique du livre.
La question se pose dans la manière d’insérer ce vécu en évitant le récit de vie classique, chronologique et ordonné, ou le récit de pure fiction, qui ne peuvent à eux deux rendre compte de la complexité d’une écriture de femme algérienne s’exprimant en français, se voulant singulière, une écriture de résistance d’une femme, dans un contexte socio-politique et historique donné qui fait l’intérêt premier de l’œuvre, sans oublier le projet esthétique de ces mises en écriture où la question de la langue reste intrinsèquement liée à une quête de soi en devenir. 
Récit de pure fiction ou récit de vie classique ne peuvent restituer ces choix qu’opère l’auteur dans son matériau de vie, choix qui dessinera son projet de fiction autobiographique. La réécriture autobiographique reste une possibilité pour Mokeddem de remettre en jeu le « je » énonciateur et la réversibilité du double génitif.
Ainsi sur le sujet de l’écriture, Mireille Calle-Gruber écrit :

« Objectif et subjectif, le sujet de l’écriture c’est celui qui écrit mais c’est aussi celui qui est écrit par (son) écriture. Déplacé, transformé, élaboré par le cheminement littéraire, le sujet n’est pas seulement autorité d’auteur, il est aussi réceptivité à l’inconnu en lui. Il est l’autre. C’est toujours l’autre qui écrit ».

Des romans comme Les Hommes qui marchent, Le Siècle des sauterelles, L’interdite, Des rêves et des assassins, La Nuit de la lézarde, N’Zid, Je dois tout à ton oubli, restent des textes que nous considérerons comme des fictions autobiographiques, d’autant plus que l’auteur n’y conclut aucun pacte autobiographique.



c. La Transe des insoumis ou l’écriture de l’insomnie.

Il est à constater que si on aborde l’ensemble des textes au moyen des qualifications génériques proposées par la dénomination générique des différentes éditions françaises, c’est le genre « roman » qui est dominant.
La Transe des insoumis et Mes Hommes, ne portant pas la dénonciation générique de « roman », sont les deux seules « autobiographies » assumées par l’auteure.
Dans La Transe des insoumis, c’est l’avertissement de l’auteur qui renseigne le lecteur sur le caractère thématique d’une autobiographie qui revisite les thèmes essentiels à partir d’un axe focal, « l’insomnie » et d’autres thèmes déjà relatés dans Les Hommes qui marchent, tels que la solitude, la structuration par les livres, l’exil.
La quatrième de couverture n’annonce pas non plus au lecteur une autobiographie au sens traditionnel du terme puisqu’elle présente un « récit » qui « dit l’intranquillité qui, très tôt, s’est manifesté chez une petite fille qui ne parvenait pas à dormir », et dont l’insomnie reste le fil conducteur du récit d’une vie.
Sur la composition formelle du texte, La Transe des insoumis s’ouvre par :
deux dédicaces : « Pour mon père ce livre qu’il ne lira pas
Pour Anne Bragance. »
un exergue de deux vers de Ben Alhambra (poète andalou)

Quand l’oiseau du sommeil pensa faire son nid
Dans ma pupille, il vit les cils et s’effraya du filet.

- un avertissement introduit par une citation de Cioran sur le sommeil et une explication sur son texte dont la thématique de l’insomnie va structurer l’œuvre et tisser un fil conducteur lui permettant de « remonter les méandres, de sonder les opacités » des « premiers souvenirs d’enfance (…) d’y fouiller les angoisses, la fantasmagorie, les réminiscences, les luttes, les rébellions, les transgressions dont les nuits blanches sont le creuset ». Le droit à l’insomnie lui permet d’avoir un corps à elle, distinct de la cellule familiale qu’elle conquiert. « La solitude et la lecture en seront les seules libertés jusqu’à la fin de l’adolescence, jusqu’à (son) départ du désert. »

Dans La Transe des insoumis, Mokeddem avertit le lecteur de sa volonté de relater son parcours depuis l’insomnie jusqu’à son premier exil, le savoir…
Cependant, Mokeddem, dans la continuité de cette tranquillité, d’ « Ici » (en France), lieu d’énonciation, lieu d’où Mokeddem écrit, et de « Là-bas », reprenant «  des tranches de vie de l’enfance et de l’adolescence en Algérie », nous avertit que «  Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est(…) indéniable ».
L’identité nominale des personnes citée sera tue : « Si je décris des exactions sans que l’identité des responsables soit révélée, c’est que finalement ces derniers sont insignifiants en eux-mêmes. Seuls comptent dans ce cas le contexte et le souci de vérité qui sous-tend ce texte ».
L’identité nominale de l’auteur, du narrateur, et du personnage, reste donc le garant du souci de la vérité, à l’exemple de La Transe des insoumis, mais aussi de Mes Hommes qui, selon Christiane Achour « dévoilent une ultime preuve de vérité ».  L’auteur présente donc explicitement la nature de son texte présenté comme une autobiographie, avec une dimension didactique prenant en compte l’œuvre romanesque antérieure, une explicitation de l’organisation formelle du roman articulé en trois parties liées, constituées de chapitres alternant temps et espace d’Ici et de Là-bas : LE LIT DEBOUT, LA NUIT DES CORPS PARTIS, CORPS DE DELIT, et d’une quatrième partie portant comme titre une phrase du père : APPORTE MOI UN MANTEAU LEGER.

Cette analyse de « l’insomnie » permet au lecteur de restructurer l’œuvre à travers les thèmes épars de ses fictions antérieures que la romancière reprend, complète, en réorientant ainsi la lecture.
Les premiers souvenirs d’enfance, la narratrice tente d’en remonter le fil, jusqu’à la rupture et le départ du désert, avec la continuité de cette même intranquillité. L’énonciation se fait à partir d’ «  Ici », en France, territoire d’écriture, les chapitres relatant des « tranches de vie de d’adolescence en Algérie », portant en tête « La-bas ».

Les différentes pièces du puzzle autobiographique restées éparses dans ses romans ne sont pas réorganisées dans un souci de retraduire les événements de sa vie dans une logique chronologique mais plutôt dans un souci de retraduire les éléments clés ayant déclenché et nourri son parcours singulier dont l’écriture reste le moyen de poursuivre la marche entamée.


d- Mes Hommes pour écrire l’effacement du père. 

Nous partons du postulat de l’inscription de la différence sexuelle dans la langue de ce qui, dans l’écriture affleure comme différence sexuelle, donne à lire la différence sexuelle au sens où selon Derrida : « On peut dire que tout récit fabuleux raconte, met en scène, enseigne ou donne à interpréter la différence. […] Il n’y aurait pas de parole, de mot, de dire qui ne soit et ne soit et n’instaure ou ne traduise quelque chose comme la différence sexuelle ».
A mon désir de lire le féminin qui m’est interdit, dans son espace privé et dans ses langues, me répond Mokeddem qui parle des hommes, de ses hommes, de la violence symbolique de son premier homme, son père.
L’effacement du père, son silence qui fait figure de Loi, ce gouffre qui les sépare, c’est en écrivant que Malika Mokeddem le réduit : « J’écris tout contre ce silence, mon père. J’écris pour mettre des mots dans ce gouffre entre nous ».

Dans Mes hommes, toute la vie de la narratrice marquée par ses rencontres avec des hommes, sera déterminée par cette absence première, l’absence paternelle qui aura duré vingt-quatre ans :

J’ai quitté mon père pour apprendre à aimer les hommes, ce continent encore hostile car inconnu. Et je lui dois aussi de savoir me séparer d’eux. Même quand je les ai dans la peau. J’ai grandi parmi des garçons. J’ai été la seule pionne dans l’internat au milieu des hommes… Je me suis faite avec eux et contre eux. Ils incarnent tout ce qu’il m’a fallu conquérir, pour accéder à la liberté.

De « La première absence », jusqu’à « Le prochain amour », le texte est structuré par les « amours successives dont certaines mécréantes » qu’a vécus l’auteur et que son père n’a jamais vus. Cette liberté relève, pour le père, qu’interpelle la narratrice « de la honte, du pêché, de la luxure ».
Le livre fait révérence au père comme prélude à toutes les rencontres avec les autres hommes de sa vie : « Mon père, mon premier homme, c’est par toi que j’ai appris à mesurer l’amour à l’aune des blessures et des manques ».
Tous les hommes relatés vont nourrir sa vie et son écriture : Homme castrateur, son père, hommes sexe, hommes protecteurs, hommes calins.
Dans Mes hommes, Malika Mokeddem traduit dans une écriture autobiographique l’image du père, non pas dans la soumission qui lui est due dans une société patriarcale, doublée d’une tradition arabo-islamique, mais dans le rejet de la dure réalité de cette soumission, en parlant d’un lieu échappant à tout conditionnement, celui de l’archétype universel.
C’est en passant d’un enfermement groupal à un « je » conjugué au féminin singulier que la loi paternelle sera transgressée. C’est ce que nous dit Nourredine Saadi à propos de ces voix féminines singulières : « Ces écritures ont ceci de subversif qu’elles disent l’inconscient féminin à l’éternel, l’universel père œdipien : désirable pour la fille, à tuer pour le fils. Elles disent l’ordre du désir au discours de la loi ». Le dévoilement de la figure du père dans Mes hommes se met en place à travers la langue du père, «  le ravage des mots » du « langage (qui) entreprend de saigner l’innocence », et tenter d’échapper aux déterminations originelles du père et de la société patriarcale qui passent par la loi de la langue, celle du père.

Cette lettre au Père dit la transgression à la loi, envers et contre tout, dans l’accomplissement du désir d’un imaginaire féminin.
Le seul espace « ce hors-champ inaliénable » qui n’appartenait qu’à elle, encore enfant, restait le livre, la lecture :

J’interceptais souvent le regard circonspect que tu jetais sur moi, retranchée derrière un livre (…) les livres me délivraient de toi, de la misère, des interdits, de tout. Comme l’écriture me sauve aujourd’hui de l’errance de l’extrême liberté. 

Pour Julia Kristeva : «  L’écriture est une prise de pouvoir : s’arracher à un réceptacle maternel et prendre la place paternelle de la Loi. De ce fait le rapport d’une femme à l’institution comme autorité, c’est profondément son rapport à son père ».
Ce passage d’une langue masculine, c’est à dire celle du père, celle de la loi, langue donc légitime, à la langue d’écriture, le français, permet à Mokeddem de mettre en place une dimension féminine, humaine, en cristallisant de nombreux « comptes » avec le père, la mère, le village, la société, et au-delà, les hommes qui la représentent.

Mokeddem insiste sur l’assujettissement de la femme algérienne par sa complicité dans sa propre domination. Dans ses romans, la transmission du rôle féminin traditionnel par la femme aux générations suivantes est violemment dénoncée.

Ainsi, dans La Transe des insoumis, le sentiment d’infériorité est transmis dès la naissance aux filles. La fille hérite de sa propre mère et « Les voix de celles qui y ont assisté : mère, grand-mère et tantes se chargeront plus tard de ressasser à ces filles leur traumatisme à elles pour mieux leur enfoncer dans leur crâne leur sentiment d’infériorité. (…) C’est ce cœur antique de voisx féminines qui me hante. Il édicte un tel sacrifice en devoir absolu, théâtralisé ».

Selon Camille Lacoste-Dujardin, « Pour mieux comprendre les mécanismes qui mènent de la fille soumise à la mère agissante, il faut suivre pas à pas l’histoire de la vie d’une femme depuis sa naissance. Il faut connaître et examiner les représentations partagées par l’entourage comme les pratiques, les rites exécutés, l’éducation reçue ou les conduites prescrites aux petites
filles dès le plus jeune âge. Il faut tenter d’analyser tout ce qui leur est transmis et inculqué,  les habitudes qu’elles doivent acquérir, tout ce qui détermine leur comportement, oriente leurs aptitudes et les dispose à tenir un certain rôle conformément à la culture et aux impératifs sociaux ».

Etrange impression devant cette petite fille qui dans sa cachette, un jour, a eu envie de mourir en contemplant la tristesse de son père à la mort d’un petit frère.

Je m’étais demandé ce que tu ressentirais si je venais, moi, à disparaître. Une moindre peine, j’en étais convaincue. Peut-être même aucune. Juste le sentiment d’un peu plus de fatalité. Pendant quelques secondes, j’avais vraiment eu envie de mourir (…) C’est d’abord en toi que j’avais besoin d’avoir foi, mon père.
J’étais condamnée à vivre et à consigner, avec une rigueur de comptable, toutes les soustractions de l’amour, mon père.

C’est ainsi que Mokeddem insiste sur la responsabilité des femmes dans leur propre domination :

Les hommes font des guerres. C’est contre elles-mêmes que les femmes tournent leurs armes. Comme si elles ne s’étaient jamais remises du pouvoir d’enfanter. Elles m’ont enlevé à jamais le désir d’être mère. J’ai mis du temps à le comprendre. 

De son premier homme, son père et du « ravage des mots », du « langage (qui) entreprend de saigner l’innocence », quand « les filles » ne sont pas comptées parmi les enfants dans les « propos mortels des femmes.».

 J’interprétais déjà que les filles n’étaient jamais des enfants. Vouées au rebut dès la naissance, elles incarnaient une infirmité collective dont elles ne s’affranchissaient qu’en engendrant des fils. 

Renaître en engendrant la loi. Ainsi, la narratrice à propos des propos mortels des femmes dans Mes Hommes :
Quand l’une d’elles posait à une autre cette question obsédante : « Combien d’enfants as-tu ? » J’ai souvent entendu cette réponse par exemple : « Trois ! » Et l’interpellée de préciser après un temps d’arrêt, d’hésitation : «  Trois enfants seulement et six filles. Qu’Allah éloigne le malheur de toi !  »

« Enfants » pour progéniture, incluant filles et garçons, « Awlad » en arabe, censé être épicène, exclut, ici, l’élément féminin. Le genre féminin des filles ne pouvant être inclus dans la catégorie du « neutre », le substantif « enfants » connoté culturellement « masculin » exclut le « féminin ». 
Ainsi, le genre grammatical permet de répartir dans la langue certaines classes lexicales (noms, verbes, adjectifs ) en un nombre fermé de catégories (masculin/féminin, neutre) répondant sans aucune objectivité, à des critères liés au sexe, pour les mots représentant des êtres animés.
Selon Camille Lacoste-Dujardin, « Dans une société de structure patrilinéaire, seuls les hommes comptent car ils enrichissent le patrilignage en force de travail, en combattants éventuels et en membres siégeant dans les instances politiques. Les hommes restent dans la famille dont ils assurent la richesse, la puissance tandis que les filles ‘vont enrichir la maison des autres (…) Dès la naissance, la mère sait que la relation à son enfant fille est peu durable ».
 
Dans cette autobiographie proche du corps, à travers des portraits uniques, voir sexistes, dans une barrière machiste érigée contre la femme, Malika Mokeddem combat le père jusqu’à obtenir un jour, au détour d’une bataille, un « Ma fille » :
La narratrice, la seule à « tenir tête » a pu accéder au singulier et sortir d’un « féminin informe » : « Peu à peu, tu n’as plus dit : «  Tes filles » mais « Ta fille ! ».
A quinze ans, un jour que la narratrice venait de remettre son salaire à son père, elle sera reconnue et deviendra un « homme » : « Ma fille, maintenant tu es un homme ! ».

Dans Mes hommes, l’écriture vise à échapper aux déterminations originelles du père et de la société patriarcale qui passent par le « langage (qui) entreprend de saigner l’innocence ».
Lire l’envers de la mère, de la femme n’existant que comme image maternelle dévouée aux tâches quotidiennes et nulle part en dehors de cela, c’est ce que donne à lire l’œuvre de Malika Mokeddem.
La mère reste le contre-modèle, celle à qui il ne faut pas ressembler. La mère n’existe pas, contrairement au père qui tient une grande place dans l’écriture autobiographique, principalement dans Mes Hommes où le père tient une place royale, et ce, dès l’ouverture du récit où l’écrivaine interpelle le père qui ne pourra pas la lire, à la deuxième personne, jusqu’à sa clôture.
La mère reste à inventer :

« Je pense que la mère…elle est absente. Elle n’existe pas (…) J’ai mis du temps à m’en rendre compte. La mère n’est jamais là. Même dans N’Zid, la mère a mis au monde une fille et elle est repartie en Algérie, carrément vers une autre terre. Je pense que c’est quelque chose d’inassouvi (…) Donc je ne peux que l’inventer. »

A une question de Yolande Aline Helm, relative au rapport à la langue maternelle, l’arabe, elle répond :

« (…) ma langue maternelle, si elle porte ce mot « maternelle », ne se limitait pas au verbe de ma mère et je crois que le verbe arabe, le verbe flamboyant arabe m’a marqué avant que ne me saisissent les mots français. Et il ya vraiment une dichotomie pour moi entre le verbe de ma grand-mère - son verbe flamboyant de conteuse nomade, ses récits de ce monde qu’elle sentait en danger, qu’elle sentait menacé, donc elle avait ce verbe de l’urgence – et puis, le verbe, la langue de ma mère; une langue vraiment, celle qui s’agite dans le palais et qui ne me donnait que des ordres ».






Cela expliquerait en partie sa rébellion :

« Oui, j’ai toujours été une rebelle, j’ai toujours été très violente vis à vis de ma mère car j’avais très peur, elle représentait pour moi tout ce que je n’avais pas envie d’être et j’avais tellement peur de ses menaces, tellement peur de ses injonctions et de ses ordres que je suppose que cette violence aurait pu me détruire, moi d’abord ».

En s’en prenant à une langue-mère, langue de la soumission, et à une langue-père, langue de la loi, qui fait loi, langue dénuée de toute touche d’émotion, Malika Mokeddem dit la langue comme médium à travers laquelle, selon Tassadit Yacine « se cristallisent de nombreux comptes avec la société, les parents, le partenaire, bref soi-même. L’affectivité et l’inconscient jouent un rôle déterminant dans ce nœud. C’est peut-être pour cette raison qu’il est difficile de l’enfermer dans un contexte figé, elle est la résultante de nombreux facteurs qu’il est urgent de dégager. Il y a d’une part les conditions historiques, sociales, (…) mais aussi sexuelles (homme/femme, homosexuel, hétérosexuel ».
Assia Djebar n’en dit pas moins, longtemps concevant l’écriture comme « une mort lente », comme « fuite », comme mémoire dans la langue du père, jusqu’au jour où le mot l’édou « acerbe dans sa chair arabe vrilla indéfiniment le fond de (son) âme et donc la source de (son) écriture) ».
C’est par la langue perdue, langue maternelle, que s’inscrit la rupture, la difficulté de dire le féminin, dans une langue autre.

« Comme si, parce qu’une langue soudain en moi cognait l’autre, parce que la voix d’une femme, qui aurait pu être ma tante maternelle, venait secouer l’arbre de mon espérance obscure, ma quête muette de lumière et d’ombre basculait, exilée du rivage nourricier, orpheline. (…) Ce mot (…) cette parole non de la haine, non, plutôt de la désespérance depuis longtemps gelée entre les sexes, le mot donc installa en moi, dans son sillage, une pulsion dangereuse d’effacement… ».

Il apparaît indéniable que l’apprentissage du français est perçu comme instrument de libération pour la femme, mais de quelle libération s’agit-il ?
Ecoutons Assia Djebar pour une première tentative d’explication :

« Elle ne se voile donc pas encore ta fille ? Interroge telle ou telle matrone, aux yeux noircies et soupçonneux, qui questionne ma mère, lors d’une des noces de l’été. Je dois avoir treize, quatorze ans peut-être.
Elle lit ! répond avec raideur ma mère. (…)
‘‘Elle lit’’, c'est-à-dire en langue arabe, ‘’elle étudie’’. Maintenant je me dis que ce verbe ‘‘lire’’ ne fut pas par hasard l’ordre lancé par l’archange Gabriel, dans la grotte, pour la révélation coranique… ‘‘ Elle lit’’, autant dire que l’écriture à lire, y compris celle des mécréants, est une source de révélation : de la mobilité du corps dans mon cas, et donc de ma future liberté ».

Le rapport au corps et son expression semble être le leitmotiv des romancières algériennes d’expression française, qui en arabe, semblent être mal à l’aise dans la langue maternelle pour dire le corps, le désir, d’autant plus que l’autobiographie reste un exercice périlleux pour une écrivaine algérienne.





Assia Djebar nous explique comment le français est devenu langue de sa « libération corporelle », en établissant le rapport entre langue française et libération du corps de la femme :

«  (…) mon corps s’est trouvé en mouvement dès la pratique de l’écriture étrangère. Comme si soudain la langue française avait des yeux, et qu’elle me les ait donnés pour voir dans la liberté, comme si la langue française aveuglait les mâles voyeurs de mon clan et qu’à ce prix, je puisse circuler (…) ».

La langue d’écriture (paternelle)- c’est le père qui l’installe dans la langue en la scolarisant- et langue d’amour (maternelle), que Assia Djebar étale dès le début de Vaste est la prison :

« Silence de l’écriture, vent du désert qui tourne sa meule inexorable, alors que ma main court, que la langue du père/langue d’ailleurs muée en langue paternelle, dénoue peu à peu, surement, les langues de l’amour mort, et le murmure affaibli des aïeules loin derrière  ».

Cette opposition n’est pas reprise par Malika Mokeddem qui vit un rapport autre à la langue arabe. Le rapport affectif établi avec la voix conteuse de sa grand-mère reste la source première de son écriture.
Malika Mokeddem met en scène la femme qui écrit une langue non-maternelle. La mère dans L’Interdite, dans Des Rêves et des assassins, et dans Le Siècle des sauterelles est une mère perdue dès l’enfance.

Ce qui reste de la langue maternelle ou plutôt de la langue grand-maternelle, dirions-nous, ce sont les sonorités affectives que Malika Mokeddem tente de re-dire dans la langue française. Ce territoire perdu ne peut être restitué dans une écriture de la représentation, de celle du Père, qui représente, selon Julia Kristeva « la fonction symbolique du sens » mais dans cette « fonction sémiotique de la signifiance » qui caractérise cette conception de l’oralité placée au fondement de l’écriture où la sonorité, l’intonation des mots articulent un sens, en marge du sens : un infra-sens.

Mokeddem ira jusqu’à mettre en scène des personnages-enfants, à l’exemple de « Yasmine (qui) ne parle pas, (qui) écrit au royaume de l’oralité ». Yasmine n’écrit pas à propos de sa mère mais « écrit aussi sa mère ». Yasmine est muette mais les mots parlés de sa mère sont là : « Elle les sent dans son épouvante. Ils tourbillonnent en elle, oiseaux de tous les tourments, prêts à ressurgir ». 
C’est donc, avant tout, à la sonorité, à la prononciation des mots que vibre Yasmine. C’est cette sensibilité du sujet à la matérialité du signifiant que tente de restituer Malika Mokeddem dans Le Siècle des sauterelles.

IV- La parenthèse d’une écriture de l’urgence.

1- Rêves interdits et assassins.

Cette écrivaine des années 90, Malika Mokeddem, dans un itinéraire singulier, entame un « combat » littéraire pour ne pas sombrer dans l’insignifiant de l’horreur. Rattrapée par les drames que vit l’Algérie des années quatre-vingt dix, elle sera amenée à investir le réel « brut » tel quel, dans L’Interdite et dans Des Rêves et des assassins.
Durant cette décennie, l’auteure était sommée par les médias d’expliquer les drames algériens et de se transformer du coup en politologue, voir en sociologue.
Cette violence supplémentaire amènera notre écrivaine à changer de registre avec La Nuit de la lézarde et avec N’Zid ou l’héroïne, une navigatrice, qui reçoit un coup sur la tête et perd la mémoire réalise le dessein de Malika Mokeddem qui veut oublier, comme elle le déclare dans une interview réalisée par Rachid Mokhtari : « C’était un bonheur de m’immerger dans l’écriture de cette amnésie, de me vider la tête, moi aussi ».

Cette écriture de « rage » et de témoignage, reste donc une étape transitoire dans un parcours où se dégage deux états que l’on pourrait classer en romans de conteuse et en romans où l’acte autobiographique, intimement lié à son parcours personnel, apparaît comme une exigence d’écriture.

Malika Mokeddem s’explique sur cette rage et cette véhémence qui l’amènent à écrire l’Algérie violentée où le sort des femmes la touche en premier :

« Si l’Algérie s’était véritablement engagée dans la voie du progrès, si les dirigeants s’étaient attelés à faire évoluer les mentalités, je me serai sans doute apaisée. L’oubli me serait venu peu à peu. Mais l’actualité du pays et le sort des femmes me replongent sans cesse dans mes drames passés, m’enchaînent à toutes celles qu’on tyrannise. Les persécutions et les humiliations
qu’elles endurent, m’atteignent, ravivent mes plaies. L’éloignement n’atténue rien. La douleur est le plus fort lien entre les humains. Plus fort que toutes les rancoeurs ».

C’est en 1993 que paraît son troisième roman, L’Interdite. Malika Mokeddem choisit un autre registre pour témoigner et livrer un combat contre l’intégrisme religieux des années quatre -vingt dix. Cet acte de contestation reste fortement lié à son expérience personnelle.

La critique journalistique prend acte, sur le tas, du changement de style dans cet ouvrage de l’urgence où le malaise social est dénoncé avec brutalité.

C’est ce que souligne Michel Amzallag dans un article paru en 1993, quelques mois après la parution du roman : « L’Interdite surprend par le changement de style par rapport aux deux précédents ouvrages, plus proches des contes maghrébins […] Écrit en dix mois « en état d’urgence », sorti des entrailles », […] Un bilan implacable de l’Algérie de l’Algérie actuelle, ‘‘archaïque’’ ».

Salima Aît Mohamed, à propos de L’Interdite, mettra l’accent sur la suprématie masculine qui saccage les espoirs de la femme algérienne : « Sultana a ouvert les yeux sur un univers dur, sans fantaisie, qui réprime les élans du cœur, dénué de toute couleur, de toute chaleur. Un univers qui apprend à une femme, dès les premiers matins de sa vie, la honte d’être une femme ».
Dans L’Interdite, le retour de l’héroïne, Sultana, est impossible devant la situation que vit l’Algérie où les femmes restent « otages ou enjeux », selon l’expression de l’auteur.

L’interdite, de par son caractère de témoignage d’un présent, se donne à lire comme projet réaliste d’un donner à voir, comme œuvre de l’enracinement dans le réel : Deux axes de lecture sont à relever :
-L’axe idéologique : Le roman s’impose comme discours idéologique où le réfèrent socio-historique est explicitement désigné et décrit, à savoir la dénonciation de la violence intégriste après les élections législatives de 1991.
-L’axe formel : L’écriture obéit aux contraintes du genre réaliste, des critères de cohérence.

Malika Mokeddem s’identifie à ses personnages, à l’exemple du parcours de Sultana, Médecin à Montpellier, qui avait tout quitté pour être libre, même Yacine. Elle revient à Aïn Nekhla,dans le sud algérien, pour assister à son enterrement. Elle accepte de remplacer Yacine au dispensaire qu’elle tenait. Dans ce même village, elle rencontre Vincent, un français venu lui aussi à la recherche de son « autre moitié » : on lui a greffé un rein qui appartenait à une jeune femme algérienne. Cette rencontre « programmée » dans un pays en proie à la violence intégriste, entre un français et une femme libre, se termine par le départ de Sultana, traquée par les flammes jusque dans la maison d’un ami qui l’habite.
Cette interdiction de séjour est annoncée par le titre, L’Interdite, qui énonce la double interdiction/transgression d’un espace/temps. Sultana en situation d’exil volontaire, s’est interdit sa présence dans
son pays natal pour des raisons d’incompatibilité sociale qu’exprimeront, à la fin du roman, les femmes du village.
Elle fera front aux intégristes islamistes du FIS en s’insurgeant contre toute régression morale et idéologique, y compris contre des pratiques religieuses millénaires, dépassant le simple cadre conjoncturel de l’inquisition islamiste.
Sultana va à l’encontre de l’interdiction religieuse faite aux femmes d’accompagner le mort jusqu’à sa dernière demeure. Elle suivra le cortège, allant jusqu’à se mettre à l’avant, en compagnie de Salah, l’ami de Yacine et se fera apostropher par le maire islamiste :

- Madame, tu peux pas venir ! C’est interdit ! 
Salah me prend par le bras :
-Interdit ? Interdit par qui ?
- Elle peut pas venir ! Allah, il veut pas ! […]
J’allonge le pas jusqu’à atteindre la tête du cortège. Eux derrière et moi devant, je marche vers le cimetière. Des petits jets de pierres jalonnent notre passage. J’avais oublié cette façon bien d’ici de répudier la mort, de signifier au cadavre qu’il ne doit jalouser aucun de ceux restés en vie, ni essayer d’entraîner quiconque avec lui. 

Pour Malika Mokeddem, interviewée par Nacera Benali, pendant la décennie noire, en 1995, même ses lectrices s’identifient à ses personnages femmes :

« Je reçois souvent des lettres de lectrices algériennes, qu’elles vivent en Algérie ou en exil, qui me disent qu’elles se reconnaissent complètement en Leïla ou Sultana, toutes deux héroïnes de deux de mes livres. Et dans de tels moments, je me dis que mes écrits servent peut être à quelque chose. Toutes ces femmes s’identifient à mes personnages. Parce que toutes celles qui ont lutté contre les traditions et contre ce carcan qui les étouffait, pour faire des études ou travailler se reconnaissent dans mes histoires. Nous avons fait le même chemin, nous avons toutes le même parcours ».

Nous sommes encore dans un projet d’écriture où l’identité de l’auteur se confond avec l’identité des femmes de sa communauté d’origine, où la frontière entre l’identité individuelle et l’identité groupale n’est pas hermétique mais laisse passer des sentiments de « sororité ».
L’Interdite sera suivi d’un autre roman, non moins dénonciateur, Des Rêves et des assassins, paru en 1995, avec comme toile de fond, la terreur obscurantiste.
L’auteur, partie d’une histoire vraie que lui avait racontée une de ses patientes : la mort d’une femme âgée qui avait quitté l’Algérie en 1962 en laissant sa fille à Oran, déclare : « C’est ce qui m’a poussé à vouloir raconter par l’écriture son histoire et témoigner de sa déchirure qui dépassait les fictions les plus douloureuses […] Ce récit de la souffrance d’une mère qui n’a plus revu sa fille, c’est un peu l’histoire du déchirement de tant d’Algériens ».
Le livre, dédié à Abdelkader Alloula, le dramaturge que l’Algérie a tragiquement perdu, atteint le 11 mars 1993, à Oran, mort à Paris le 15 mars, à 55 ans,
Pour Abdelkader Alloula, illustre fils d’Oran et du théâtre algérien. ASSASSINÉ,est en fait une vaste dédicace aux innombrables victimes de la tragédie algérienne que le titre reprend en écho, Des Rêves et des assassins, en annonçant deux mondes parallèles : celui des Rêves et celui des Assassins, donnant ainsi à entendre les rêves des Hommes libres, interdits par le spectre des assassins. La mort contre le rêve.





2- Ecrire la tragédie à distance.


Le cinquième et sixième romans, La Nuit de la lézarde et N’Zid, ne font revivre l’Histoire immédiate et violente de l’Algérie qu’en fond sourd, loin du Nord et de ses dérives.
C’est en 1998 que paraît La Nuit de la lézarde, roman dans lequel Malika Mokeddem s’attache à s’éloigner d’une écriture de témoignage à vif, d’un référent sanglant, mais roman dans lequel la violence lointaine du Nord n’en reste pas moins présente, malgré la protection des protagonistes, Sassi et Nour, protégés par les distances ensablées du ksar de la violence qui sévit dans le Nord lointain.
La romancière-conteuse « oublie » de nous conter, ici, des histoires pour nous entretenir de l’isolement féminin à travers le personnage de Nour, femme singulière et solitaire, en attente d’amour. Nour cohabite avec Sassi l’aveugle, dans un Ksar déserté par ses habitants. L’Histoire immédiate parvenant en écho du Nord va laisser place à des valeurs telles que l’affranchissement par la douleur jusqu’à l’apaisement, terme que Christiane Achour emploie à propos de La Nuit de la lézarde qu’elle qualifie de « roman à la fois de la souffrance et de l’apaisement ».

Ne plus écrire sous le coup de la colère et garder l’écriture comme un espace de liberté, à l’image de Nour qui refuse de se laisser écraser par instinct, en choisissant de vivre près du désert, loin de la violence, dans un Ksar que les habitants ont abandonné une fois la source tarie.

Malika Mokeddem se confie sur l’écriture comme espace de liberté dans La Nuit de la lézarde :

« Le terrorisme atteint les gens du désert comme il m’atteint moi, de l’autre côté de la Méditerranée, par la douleur et par la colère. Mais au lieu de garder le registre de la contestation qui était présent dans mes deux derniers textes, L’Interdite et Des Rêves et des assassins, j’ai décidé de ne plus écrire sous le coup de la colère car au bout d’un moment, ça épuise, et puis d’autre part, on se dit ‘ils tuent les gens mais moi, il faut que j’écrive, il ne faut pas qu’ils polluent mon écriture ».

C’est en 2001, onze ans après sa première publication que son sixième roman, N’Zid paraît chez un autre grand éditeur français, Le Seuil. L’espace du désert est délaissé au profit de l’espace de la mer, celui de la Méditerranée. Nora, personnage inventé, mais nourri d’éléments du vécu de l’auteur, seule, sur un bateau à la dérive, ne sait plus qui elle est ni d’où elle vient.
Elle tente de reconstituer le puzzle de son identité par les signes de la navigation et par le dessin. Elle finit par savoir qu’elle s’appelle Nora Carson, fille d’une algérienne et d’un irlandais. Elle devra recommencer sa vie, loin de l’Algérie, pays auquel elle a renoncé, et dont les signes ne sont que de tragédie et de violence.
Les deux récits qui suivront, La Transe des insoumis en 2003, et Mes Hommes en 2005, sont ouvertement autobiographiques.

Son neuvième récit, Je dois tout à ton oubli, paraît chez Grasset en 2008. Suite au décès inattendu d'une de ses patientes, une image, « la main de la mère qui saisit un oreiller blanc et l’applique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie », s'impose en rêve à Selma, avec violence, et l'obsède plusieurs jours sans qu'elle comprenne si c'est un fantasme ou la réalité. Petite fille à l'époque des faits, aurait-elle occulté ce souvenir dérangeant depuis l’enfance ? « Elle qui, enfant, aimait tant se perdre dans le dédale du ksar, a fait de sa mémoire un labyrinthe dont elle se refusait l'accès ». Pour en avoir le cœur net, elle décide de retourner dans son désert natal pour enfin parler à sa mère, tenter de briser le silence et avoir « une sorte de reconstitution sans témoins, sans flics, sans juge, si tard dans sa vie, dans la nuit de la mémoire. » Pendant ce voyage initiatique, les souvenirs refont surface avec violence.
Je dois tout à ton oubli reprend le parcours singulier de la femme Malika Mokeddem, comme dans les autres romans. Algérienne originaire des oasis, du côté de Béchar, dans une ville pauvre du Sahara, Selma, pour échapper dès l'enfance à une famille envahissante où les femmes sont écrasées par la résignation, fuguait dans les dunes et tirait sa force de l'école. « Elle vivait avec la trépanation de l'oubli et barricadée dans des livres pour s'abstraire d'ici. » Son aptitude à la solitude et à l'indépendance, sa détermination l'ont conduite à l'université de médecine d'Oran et grâce à une ténacité sans faille, elle exerce aujourd'hui le métier de cardiologue dans une ville du sud de la France.


CHAPITRE V

L’ECRITURE DE MALIKA MOKEDDEM : UNE POETIQUE AU FEMININ SINGULIER.




I- Poétique du Divers et identité en devenir.


II- L’écriture d’un lieu de type « rhizome ».
1- Sur la notion de « rhizome ».
2- Le choix du conte.


III- La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de l’écriture.
1- Le recours à l’oralité du conte ou l’écriture en procès.
2- De la confusion entre « style oral » et « style parlé ».
3- Le Souffle Irrésistible Du Conte
4- Conter : une consigne métatextuelle :
5- La gestion scripturaire de la parole conteuse.


IV- Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.
1- Le nomadisme des mots.
2- Suspension narrative et Projet romanesque en suspens.






I- Poétique du Divers et identité en devenir.


1- Pour une Poétique du divers.

La littérature algérienne de langue française, tel que nous avons essayé de le montrer, passe par l’écriture des femmes, laquelle donne lieu à des œuvres dont les langues, les voix et les factures sont sans précédent.
Souligner l’émergence de nouvelles voix féminines algériennes amorcées dans les années quatre-vingt, et surtout dans les années quatre-vingt dix, c’est aussi montrer l’émergence d’un travail poétique sur, parfois, des formes narratives inédites. Ces littératures au féminin doivent être appréhendées comme des œuvres à part entière, chacune singulière. Il est donc important de ne pas cantonner ces littératures à une littérature féministe militante, et de les appréhender comme une culture, une langue, voir une vision du monde, autres. C’est ce que souligne Mireille Calle-Gruber à propos du renouvellement de la littérature française par l’écriture des femmes :
« C’est un art exigeant, à l’écoute des différences, du pluriel, de l’altérité, du corps et de la lettre.(…) Les littératures au féminin (…) sont réinvention de la langue contre le logocentrisme ; réinterprétation de notre héritage culturel contre la doxa ; désir de passage à l’autre et d’adresse à l’étranger ».
C’est ce besoin d’exprimer l’imaginaire du monde, ou de ce qu’Edouard Glissant appelle « l’imaginaire de la totalité-monde » défini comme « un rhizome dans lequel tous ont besoin de tous » à partir d’un lieu et d’une culture, en l’occurrence le désert, qui forgera, chez Malika Mokeddem, cette Poétique de l’ouverture, du déplacement, de l’errance, qui n’est pas en contradiction avec l’enracinement.
La lecture du texte de Malika Mokeddem nous amène inévitablement à relier entre poétique et politique dans le sens où son œuvre montre qu’il y va de la littérature comme lieu de l'émancipation féminine. Dans la relation entre poétique et politique, Malika Mokeddem insiste davantage sur le contournement de la réalité, et donc sur l’acte de création. La pratique d’une subversion esthétique du réel lui permet d’échapper à la banalité du témoignage de beaucoup d’auteurs des années quatre-vingt dix, et par là même d’écrire pour dire l’opacité de la réalité algérienne
Cependant, l’auteur tient à ne pas confondre la scène de l’écriture littéraire avec l’engagement sociopolitique, comme pour dire que les forces de liberté qui sont dans la littérature sont inextricablement liées à sa poéticité.
C’est justement dans ce sens que nous considérons que la Poétique au féminin singulier de Malika Mokeddem est sous tendue à notre sens à une Pensée qui préserve des pensées du système qui fonctionne selon le principe des mythes fondateurs, qui, tel que l’explique Edouard Glissant « est de consacrer la présence d’une communauté sur un territoire, en rattachant par filiation légitime cette présence, ce présent à une Genèse, à une création du monde ». Ainsi, selon Edouard Glissant, la filiation et la légitimité garantissent la force et supposent la fin de ce mythe : la légitimation universelle de la présence de la communauté, à l’exemple du fonctionnement de ce qu’on appelle l’Histoire.
L’Histoire, qui est donc fille du mythe fondateur sera revisitée par Malika Mokeddem, dans une écriture envers et contre les chants et la légitimation de celle-ci.
Les romans de Malika Mokeddem, à l’instar des romans algériens d’expression française écrits dans une situation d’exil insistent sur le thème de l’expérience de l’émigration-immigration, ainsi que sur la rupture rigoureuse avec une définition identitaire par l’origine.
Les discours d’ordre historique, politique ou social, basés sur l’idée de l’homogénéité et de l’unité, par souci de légitimité, sont battus en brèche par des écrivains, à l’image des auteurs de la théorie post-coloniale, qui visent à étaler dans leurs fictions, que toute vision monolithique et unitaire d’une nation, d’une culture, ou d’une identité, sert avant tout à asseoir et légitimer une idéologie, une construction imaginaire.
L’exemple le plus frappant, à nos yeux, reste l’historiographie algérienne qui présente une histoire basée sur l’oubli délibéré de faits et d’événements, tel que l’explique Benjamin Stora : « L’histoire officielle a institué des repères, construit sa propre légitimité, effacé toute démarche pluraliste. Elle a, en fait, fabriqué de l’oubli ».

Aussi, ce n’est pas par hasard que Malika Mokeddem commence à écrire, surtout dans ses deux premiers romans, en intégrant le conte qui est déjà une pratique du détour, détour, dirions nous, de l’inflexibilité de la filiation.
Ce que nous voulons dire à propos de cette « Poétique du Divers », c’est l’oralité du conte se continuant dans la fixation de l’écriture et permettant une fonction de l’écrit, qui ne se limite pas à se référer uniquement à un rattachement à une genèse, mais qui arrive à concilier écriture du mythe et écriture du conte. Autrement dit, c'est cette crise, c’est à dire cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale que signifie l'oralité. Dans cet ordre d'idée, l’oralité convoque l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins.






2- Rupture avec une définition identitaire par l’origine.

Les espaces signifiants qui nous semblent donc pertinents pour aborder la poétique de l’auteur s’organisent autour d’un point de départ qui est « la rupture avec une définition identitaire par l’origine » autour duquel s’articulent dans un premier temps, au niveau de l’écriture, le recours au conte, à l’oralité du conte, et dans un deuxième temps, « le recours à l’autobiographie » pour reconstruire les points nodaux, ayant amené l’auteure, en tant que femme, à cette ultime liberté, qui est celle d’écrire, et d’échapper par là même à toute imposition d’une tradition patriarcale musulmane marquant le traditionnel partage des pratiques sociales selon des critères d’appartenance sexuelle.
La définition que donne le Petit Robert sur l’identité nous paraît très révélatrice de ce lien avec des notions comme « homogénéité » et « unité », impliquant explicitement l’idée d’ « exclusion » de tout ce qui n’est pas « identique ».
« Caractère de ce qui est identique »,
« Caractère de ce qui est un »,
Caractère de ce qui demeure identique à soi-même ».
Allen Whellis abonde dans le même sens en définissant l’identité comme étant « l’attribution d’un sens cohérent à soi-même (…) Elle (l’identité) est un sens de plénitude, d’intégration, de certitude de disposer de critères permettant de distinguer le bien et .le mal d’où la capacité de faire des choix au moment de l’action ».
De par sa position d’écrivaine femme algérienne, Malika Mokeddem redéfinit, en fait, la notion d’identité tel que représenté par le discours théorique postcolonial et le discours féministe, tel que le rappelle Birgit Mertz- Baumgartner :
« Du point de vue de la théorie féministe française, la pensée de la racine unique telle qu’elle est présentée par Edouard Glissant serait l’expression par excellence d’une société patriarcale. Dominée par des normes masculines, celle-ci définit le différent, le féminin par la négativité, par l’absence et le manque et tend à réduire l’Autre, l’Étranger dans l’économie du Même pour se l’approprier ».

L’œuvre de Malika Mokeddem, s’inscrit bien dans la lignée de la théorie féministe, à contre courant de la pensée de la racine unique, dans le sens où elle prend ses distances par rapport à une identité figée et unitaire tel que défini par le concept de la déterritorialisation défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari, et qui signifie une rupture avec les périphéries traditionnelles et les anciens repères en permettant une liberté vis-à-vis des origines à travers une re-création du sujet, voir l’exploration d’une nouvelle identité féminine.

Les notions deleuzienne de rhizome et de déterritorialisation dénotant d’une « Poétique du Divers », refus d’une racine unique, telle que définie par Edouart Glissant, « remplaçant l’idée de l’unicité par celle de la multiplicité, l’exclusion par la relation, la vocation d’enracinement par la vocation à l’errance, la profondeur par l’étendue, la route par la trace », nous permettront de cerner ce sujet nomade au féminin, valorisant les territoires de l’errance, de la marge, de l’entre-deux, se réinventant sans cesse dans ses déplacements, selon le principe de la marche des nomades que tente de reconstruire l’écriture de Malika Mokeddem.  

A cette pensée de l’Un et de l’unité qui implique que « toute identité est une identité à racine unique et exclusive de l’autre », Glissant y oppose le modèle d’une culture composite, « créolisée » :
(…) une rencontre d’éléments culturels venus d’horizons absolument divers et qui réellement se créolisent, qui réellement s’imbriquent et se confondent l’un dans l’autre pour donner quelque chose d’absolument imprévisible, d’absolument nouveau (…).
Ces nouvelles voix qui s’érigent à l’intérieur de la littérature francophone rassemblent tous les éléments pour parler d’un « sujet nomade », voir une conscience nomade permettant une liberté vis à vis des origines.
Des thèmes fortement autobiographiques nourrissent son œuvre. Le désert est un espace fondamental, espace métonymique et métaphorique, espace complexe, lieu d’enfermement et de mort. La Méditerranée comme espace bénéfique car espace transculturel d’errance et de nomadisation, lui restitue l’espace de son désert natal, symbolisant le refus des frontières et permet de dépasser la notion d’identité unique par l’ancrage territorial.

La notion de l’ « entre-deux » se retrouve à tous les niveaux et montre la difficulté de se définir à travers l’ambiguïté de la différenciation sexuelle dans la lecture des corps féminins des personnages, comme Sultana et Vincent le français à travers la métaphore de la greffe ; Yasmine la « Hartania », la métisse, ou encore Zohra dont le corps inscrit imaginaire et réel sur le corps des femmes.   
Malika Mokeddem réussit le tour de force d’un renversement sémantique qui fait passer le mot « métis » d'insulte jusqu’à en faire le symbole d'une société métissée, multiculturelle et fraternelle.



Yasmine, dans Le Siècle des sauterelles, de par sa différence de métisse, est éloignée des autres par le sobriquet « Hartania » !

« Hartania ! Hartania ! clament les sentences vengeresses. Hartania signifie métisse. Hartania est parjure, le nom de l’impur, l’emblême d’une trahison : traîtrise au sang noir, affront à l’orgueil des blancs qu’éclabousse sa souillure. » 

Ce métissage à tous les niveaux qui répond à l’origine de l’auteur, à son parcours fait de départs et de ruptures, se retrouve au niveau de l’écriture
Le recours à l’oralité du conte permet d’installer dans l’écriture un univers contique avec des personnages à apprécier comme des personnages de contes, même si, dans la structure globale, ils restent des personnages classiques. Ces dysfonctionnements par rapport au réalisme de ses romans, cette négociation entre réalisme et discours d’une parole conteuse permettant de lire ces textes comme étant à la fois des fictions réalistes enracinées dans l’Histoire, et comme discours d’une parole conteuse, font l’originalité de cette écriture. 
Comme nous l’avons déjà signalé, la génération des années 80-90 est confrontée, à « une perte de repères, de clés pour une explication du monde. Cette littérature reste fortement liée à un contexte politique complexe d’autant plus que le contexte des années quatre-vingt dix l’est doublement de par la violence sociale qui s’installe. La littérature ne pouvait qu’en être affecté, connectée à ce qui est diversement appelé « tragédie algérienne », « crise algérienne », « décennie noire »… 
Malika Mokeddem, écrivaine des années quatre-vingt, dix n’aura que les mots pour résister :

« Je noircis des pages de cahier, d’une écriture rageuse. Sans ces salves de mots, la violence du pays, le désespoir de la séparation m’auraient explosée, pulvérisée(…) Je fais partie de ceux qui, cloués à une page ou un écran, répondent par des diatribes au délabrement de la vie, aux folies des couteaux, aux transes des kalachnikovs(…) Certes, j’ai toujours eu des cahiers près du lit pour noter les mots qui, après des heures passées à se dérober, à résister, surgissent impromptus dans l’insomnie ».

Cette parenthèse dans le parcours de Malika Mokeddem, à travers une écriture de rage et de dénonciation dans L’Interdite et Des Rêves et des assassins, va se fermer pour continuer la longue lignée des femmes rebelles, comme Leila dans Les Hommes qui marchent, qui, à l’image de l’auteur, réécrit son histoire, l’Histoire de l’Algérie et de ses femmes. Le recours à l’autobiographie ou plus précisément à des « pratiques autobiographiques » que l’on doit distinguer de l’autobiographie au sens traditionnel, met en scène un auteure qui se situe entre différentes cultures, et dont l’écriture se situe dans un contexte culturel hybride, refusant l’unicité dans la définition de l’identité.
D’ailleurs, le questionnement pourtant crucial à l’égard de la langue d’écriture ne semble pas problématique pour Malika Mokeddem qui ne soulève pas le « conflit » entre les deux langues : l’arabe et le français.
Les livres en français et le verbe « flamboyant » de la conteuse nomade qu’est sa grand-mère, ont structuré Malika Mokeddem. La fille du désert, de l’oralité, petite fille d’une nomade bédouine, fille d’une ancêtre africaine noire, nourrie de culture occidentale transmise par les lectures et l’écriture, ne pouvait qu’être imprégnée par ce tissage entre différents langages, cultures, races, sexes, qui sera restitué dans une écriture de partage, tissée entre oralité et écriture, transgressant les frontières et les interdits.réducteurs de l’algérien libérateur face à un colon destructeur.

« Amoureuse (Bernard) des paysages et des gens (…) était à leurs côtés à chaque douleur, à chaque joie, à chaque naissance, parce qu’elle avait appris leur langue, les ‘indigènes’ l’avaient adoptée, puis aimée».

L’écriture traduit ainsi la question des passages des langues ou du moins leur possible traduction l’une par l’autre.
Du côté des femmes écrivains, Malika Mokeddem bénéficie d’un chemin déjà ouvert par les aînées, Marguerite Taos Amrouche, Assia Djebar. Elle ne « s’enlisera » pas dans un complexe d’infériorité, dans une expression du manque. La langue n’est pas la preuve d’une algérianité ou d’une francité. Elle la conçoit comme partie intégrante du patrimoine linguistique aux côtés des parlers de l’arabe et du berbère.
La langue française qu’elle « colonise » à son tour est venue renforcer un esprit de rébellion qui était déjà là, face à toutes les injustices et à toutes les violences subies en tant que femme d’abord ; la structurer, l’armer, lui apprendre à se défendre.
L’école s’avère être une planche de salut face aux injustices qui la minaient, et face à la préférence de ses parents et de toute la société pour les garçons. Le sort était tout tracé. 

« J’étais vouée au sort de toute aînée : devenir un modèle de soumission. L’école m’a ouvert une échappée, jusqu’alors insoupçonnée, dans l’impasse de cette fatalité ».

Le «  butin de guerre », selon l’expression consacrée de Kateb Yacine, permet à Malika Mokeddem de lire la littérature du monde entier, d’armer une fille, ce qui est plus problématique, l’interdit pesant davantage sur les filles.

« J’ai toujours eu des rapports très clairs avec elle (la langue française) en me disant que je n’ai pas envie de me laisser mutiler davantage. Je n’ai pas choisi cette langue mais elle est mienne – alors je dis cela en boutade quand j’ai un public français- c’est elle qui est venue me coloniser, pour mon bonheur- la langue, pas le colonisateur- et maintenant puisqu’elle m’a possédée, qu’elle fait partie de moi, c’est moi qui, à présent, vais la coloniser et lui dire la complexité de la situation algérienne et de l’ « algérianiser ». Voilà, c’est comme cela qu’elle est devenue mienne »

Jusqu’à l’âge de cinq ans, Malika Mokeddem ne connaissait pas le monde français. C’est en 1954, date du début de la guerre de libération que Malika Mokeddem traverse, pour la première fois, le quartier français, pour aller à l’école. Ce monde étranger à son enfance, elle le traversera pour aller apprendre sa langue. La connaissance de l’autre se fera par la langue pour une fille qui venait de l’oralité.

«  Je me souviendrai toujours de ces premiers crissements de la plume sur le papier et de cette langue qui sonnait à mon oreille, moi qui venait de l’oralité. Je l’ai pénétrée et elle m’a pénétrée petit à petit. Mais en même temps ; elle m’a rendu service d’abord, dans la mesure où je me suis mise à comprendre les autres et à apprendre que, finalement, ce monde ne m’était pas si étranger ». 

Contrairement à Mouloud Feraoun dans Le Fils du pauvre où le but à atteindre est le métier d’instituteur, comme le père d’Assia Djebar, chez Malika Mokeddem, c’est la conquête d’une écriture permise, certes par la langue française, mais «  mise en germe » par la grand-mère conteuse, comme le montre la dernière phrase des Hommes qui marchent :

Sa plume se mit à écrire avec fébrilité, comme sous la dictée de l’aïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire.



Assia Djebar reste l’écrivaine qui a exprimé de façon explicite, aussi bien dans ses œuvres que dans ses déclarations ses idées sur la langue. Elle affirme que les femmes de sa génération disposent de « quatre langues pour exprimer (son) désir : le français pour l’écriture secrète, l’arabe pour nos soupirs vers Dieu étouffés, le libyco-berbère quand nous imaginons retrouver les plus anciennes de nos idoles mères (…) La quatrième langue (…) demeure celle du corps que le regard des voisins, des cousins, prétend rendre sourd et aveugle, puisqu’ils ne peuvent plus tout à fait l’incarcérer ». 
Cependant, il est à remarquer que Malika Mokeddem évite subtilement de pousser la réflexion sur l’imposition de la langue française. Cette loi venue d’ailleurs, est selon Tassadit Yacine, « la raison pour laquelle les colonisés ressentent l’imposition de cette langue comme une tentative de ‘‘dénaturation’’, (la culture imposée ayant pour objectif de changer leur nature profonde en culture naturalisée) en leur ôtant leur langue, leurs traditions et tous les traits qui font leur identité initiale ».
C’est d’une langue hôte dont Malika Mokeddem parle, une langue qui l’avait conquise petite fille à Kenadsa, « la première arme du combat des rebelles, leur dernier refuge quand toutes les autres libertés ont été enchaînées », langue qui « (l’) a cueillie et recueillie enfant démunie ».
L’apprentissage d’une langue en période de colonisation est perçu à un niveau subjectif, dans son rapport entre langue et affectivité. Le discours sur le déchirement de la domination des colonisés par la langue est délaissé au profit de la place réelle des représentations et de la sentimentalité où le rapport de cette langue à la culture d’origine habitée par le conte nomade reste primordial comme nous le verrons dans la partie que nous avons intitulé « La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de l’écriture ».
La dichotomie est réelle entre le verbe de la mère qui ne sert qu’à donner des ordres et le verbe arabe de la grand-mère, verbe flamboyant de conteuse nomade qui va la marquer avant que ne la saisissent les mots français.
Selma, dans Je dois tout à ton oubli, à l’instar des héroïnes de Malika Mokeddem, comprend l’importance d’une langue autre que celle de la mère pour supporter l’arrachement à la mère :

Maintenant, Selma comprend combien apprivoiser le français lui avait été bénéfique. Ce n’était pas la langue de la mère. Seule une langue étrangère pouvait accueillir l’arrachement de Selma et lui convenir.

La problématique de l’utilisation de la langue française rejoint notre hypothèse, dans l’approche de la Poétique de Malika Mokeddem, à travers une rupture rigoureuse avec une définition identitaire par l’origine comme le démontre Charles Bonn à propos des romans féminins de l’immigration d’origine maghrébine, et sera donc intégrée non seulement comme thème récurrent à travers l’hommage à l’école, mais aussi comme espace montrant comment « poïétique et politique » sont liés chez l’écrivain qui a conscience du pouvoir de la langue, de sa structure contraignante, laquelle conscience détermine sa responsabilité en deçà de l’engagement idéologico-politique comme « responsabilité de la forme », ainsi que le proposait Roland Barthes dans sa Leçon. 






3- L’écriture d’un lieu de type « rhizome ».

a- Sur la notion de « rhizome ».


La déambulation dans cet espace « lisse », espace nomade, permet l’installation dans l’écriture d’un lieu de type « rhizome » refus d’une racine unique, déroulant un territoire où « Un trajet est toujours entre deux points, mais l’entre-deux a pris toute la consistance, et jouit d’une autonomie comme d’une direction propre ».
La notion de rhizome, refus d’une racine unique, implique ici un sujet multiple : sujet-femme fortement marqué par la doxa patriarcale soutenue par le Discours religieux, sujet écrivant dans une langue étrangère mais fortement marqué par l’espace, un imaginaire nourri du désert, espace de toutes les démesures.
Edouard Glissant en empruntant la notion de racine et de rhizome à Gilles Deleuze et Félix Guattari dans son Introduction à une Poétique du divers, reprend l’image végétale du rhizome qui selon les deux auteurs « (…) appartient à un espace lisse. Elle trace un plan qui n’a plus de dimensions que ce qui le parcourt ; aussi la multiplicité qu’elle constitue n’est-elle plus subordonnée à l’Un, mais prend consistance en elle-même. Ce sont des multiplicités anormales et nomades, et non plus normales ou légales, des multiplicités de devenir (…) c’est que les espaces lisses du type désert, steppe ou mer, sont non pas sans peuple ou dépeuplés, mais peuplés par les multiplicités de seconde espèce ».
Glissant remarque que la pensée occidentale est avant tout une pensée de l’Un, de l’unité. La racine unique implique la conception d’une identité «exclusive de l’autre » et qui « a la prétention de la profondeur ».
L’unicité est remplacée par la multiplicité, l’exclusion par la relation, l’enracinement par l’errance. Les personnages inscrivent dans le sable des traces éphémères qui demeurent hors du temps et dont l’immédiateté élimine tout ancrage à une racine, dans un espace nomade « (…) espace lisse, seulement marqué par des ‘ traits’ qui s’effacent et se déplacent avec le trajet ».
Les protagonistes de Mokeddem seraient en quête perpétuelle d’eux-mêmes.  L’errance en tant que quête qui n’aboutit jamais serait déterminante pour leur existence même 
N’Zid, son avant dernier roman, signifie la naissance mais aussi « je continue », et Zid, à l’impératif signifie « continue », en s’adressant au lecteur.
Continuer par l’écriture que voici, d’un projet romanesque toujours en quête, en voie de réalisation, mais n’aboutissant jamais sinon que par l’installation des protagonistes dans l’écriture, à l’instar de Leïla des Hommes qui marchent, premier roman de Mokeddem, qui se met à l’écriture bien après la fin du récit ; de Mahmoud dans Le Siècle des sauterelles, le poète qui apprend l’écriture à sa fille Yasmine devenue muette après avoir assisté à l’assassinat de sa mère Nedjma ; de Nora de NZid qui est peintre mais aussi écrivaine.
La suspension narrative à la fin de ses romans permet à l’auteur d’avoir « gagné une page de vie », d’être sur les traces d’une enfance (qu’elle n’a) jamais eue. 

Dans La transe des insoumis, l’écrivaine en quête de vérité tente de remonter le temps et de restituer, certes, ce qui l’a pousse à l’exil, mais surtout ce qui l’a définitivement installée dans l’écriture, au dépend même de sa profession première : la médecine.
Son roman, Mes Hommes, se termine par un chapitre sur son prochain amour rencontré au hasard de ses pérégrinations. Une bouteille à la mer qu’elle espère voir arriver à bon port, après avoir évoqué tous ces hommes qui ont compté pour elle. La quête est toujours là.
A la fin de son premier roman, Les Hommes qui marchent, il semble y avoir clôture du récit au niveau de l’histoire par l‘accomplissement du projet du sujet énonciateur Leïla de devenir écrivaine, après la fin du récit, et suite à des consignes dictées par Zohra, sa grand mère, la nomade sédentarisée symbolisant le geste initiateur vers l’écriture. Cependant, l’espace blanc qui sépare entre le récit et l’accomplissement de la quête oriente le lecteur vers un espace en rupture avec le récit, un espace d’écriture que Malika Mokeddem distille par fragments dans tous ses textes jusqu'à en faire parfois la matière même de ses récits. L’exemple le plus frappant reste la fin du texte de Le Siècle des sauterelles qui ouvre sur toutes les interprétations possibles et où chaque événement inhérent au dénouement de l’histoire (au sens de Gérard Genette) se présente comme un événement autonome, échappant complètement à la causalité narrative de la fiction réaliste.
Une voix anonyme d’un narrateur non moins anonyme « conte » la fin de l’histoire d’un des personnages principaux, Mahmoud le poéte, pratiquant l’écriture dans un monde nomade.

On dit que le train s’est arrêté en butant contre l’austère du désert (…)
On dit que dans cette contrée de toutes les hypnoses, de tous les envoûtements, une mystérieuse histoire les attendait (…)
On dit qu’il en fut ainsi et que mal leur en prit. Quand ils s’y montrèrent, le corps n’y était plus
Et à propos de sa fille Yasmine, l’enfant muet à qui son père a appris l’écriture :
Certains prétendent que de caravane en caravane, elle a traversé le désert vers la noire source de sa mère (…)
Ils disent que là ( la source noire), dans l’antique Afrique, elle a nourri son chant (…)
On murmure même qu’elle aurait retrouvé son père.
L’installation dans le merveilleux, l’étrange, l’irrationnel, par une parole conteuse se disputant un récit réaliste, résume de manière subtile, l’importance de la suspension narrative qui recouvre l’œuvre de Malika Mokeddem..
Le texte, en réponse à toutes les ouvertures possibles, nous renvoie à un énoncé qui remet en question tout le procès narratif alors qu’il est le produit de ces discours.

Mais…faut-il croire les discours, qu’ils soient hauts ou sourds, qui courent aux pieds des murs de ces ksours de magie ? Les mots ne sont ici que plaintes élégiaques, qu’odes dérisoires pour conjurer les sortilèges du silence et les oraisons des vents. Et les odyssées de l’imagination qui, tous mythes allumés, labourent la lumière, parcourent furieusement le désert, ne sont que fallacieuses marches quand le corps est contraint à sa plus grande terreur, l’immobilité. Faut-il croire ce que racontent ceux es ksours, alors qu’ils ne sont eux-mêmes que contes et mirages de regs brulants ?

Le doute vient se greffer à l’ancrage réaliste de l’histoire qui en devient ainsi suspect et ouvre à toutes les lectures possibles.
Il importe à Mokeddem que les faits de fiction soient vrais ou faux, l’essentiel est que l’écriture fonctionne comme le conte en reprenant des paroles anciennes, en libérant le rêve et l’imaginaire.
Dans les deux romans les plus ancrés dans le référent Algérie, aux prises avec la violence des années 90, L’Interdite et Des Rêves et des assassins, la suspension est lisible (visible) à travers respectivement Sultana, la narratrice, et Kenza, la protagoniste principale.
Les deux personnages sont placés sous les auspices de la rencontre et du deuil en même temps, en France et en Algérie.
Le récit dans L’Interdite augure du déchirement et des drames à venir à travers l’histoire d’un retour emblématique suscité par la mort de l’ami, les épreuves qui l’amènent à se questionner sur elle même et sur les autres.
Sultana, exilée à cause de sa position de marginale, fille d’un Chaambi, étranger au village, et d’une mère aux origines lointaines d’esclave affranchie, et surtout à cause de la fréquentation de l’école, se bannit volontairement du groupe. Elle se situe désormais dans :
(…) l’entre- deux, sur une ligne de fracture, dans toutes les ruptures… un entre-deux qui cherche ses jonctions entre le Nord et le Sud, ses repères entre deux cultures. ( p.65)

Dans L’Interdite, les éléments de référence dans le parcours Sultana fonctionnent comme des rappels d’ancrage identitaire : Sultana est médecin à Montpellier comme Malika Mokeddem qui y a poursuivi ses études et y a exercé la médecine. Elle revient à Aïn Nekhla, village du Sud-ouest algérien.
Le besoin de revenir au pays qui sombre dans une violence extrême a lieu suite à l’annonce de la mort de son ami Yacine, médecin installé dans le Sud algérien. Les intégristes vont afficher une haine viscérale et un rejet total de cette femme venue d’ailleurs. Sultana, dans une posture instable, résiste envers et contre tout, dans un « entre-deux » dont l’épreuve semble décisive. Endeuillée, elle ressent lassitude et solitude.

Kenza, comme Sultana, dont la présence dans le sud algérien amorce une fracture contre les mœurs, le règne des intégristes, l’ordre séculaire de domination des hommes, aspire, elle aussi, à un ailleurs, dans une errance qui n’en finit pas puisqu’il les fait être. Kenza, à la fin du récit, est dans une ville en ruines, et « erre dans les ruines d’Oran ». La fuite vers d’autres espaces est inévitable : « Il me prend des envies de voyager. Des envies d’aller vers des pays où je n’ai aucune racine ».
Pour en revenir au Siècle des sauterelles, les derniers énoncés remettant en question tout le procès narratif ne peut se comprendre qu’à travers l’indifférenciation entre le conteur et le conte, le sujet énonciateur et l’énoncé narratif, qui, tous les deux ne sont que « contes et mirages de regs brûlants ».
Le passage vers d’autres espaces que le désert n’en reste pas moins marqué par une écriture, lieu de dépassement, pré-texte à une évasion, une composition avec l’indicible.
Dans N’zid, son sixième roman, Mokeddem met en scène la mer « l’autre désert(…) « sa plus clémente jumelle ». Ce que reprend Malika Mokeddem dans ses différents écrits toujours en rapport avec son œuvre littéraire.

C’est qu’enfin seule et libre face au grand large de la Méditerranée, je prenais lentement conscience que les sables de mon enfance et de mon adolescence étaient aussi un grand large, une invite au voyage dont j’avais été exclue… (…) Le ressac de la mer me ramenait au désert.

N’Zid, roman de la récupération de la mémoire par le biais de la création, met en scène un peintre-écrivain, Nora, se réveillant, perdue sur un bateau baptisé l’Aimée, souffrant de troubles mnésiques, et tentant de retrouver la mémoire et le mystère entourant son identité.

Ce prétexte narratif de la recherche de la voie(x) de Nora, face à l’immensité de la Méditerranée par le biais de la peinture dont le texte dévoile l’itinéraire créatif sur le bateau, permet de mettre en place l’énoncé méta narratif dans lequel le personnage n’existe pas en dehors de son procès de production-création.   

N’zid semble être un nouveau départ pour les personnages Mokedemmiens grâce à une dynamique textuelle qui met un terme aux errements des protagonistes des autres romans qui se cherchent et qui ne se retrouvent nulle part chez eux.Sultana dans L’Interdite ou Kenza dans Des Rêves et des assassins ne franchissent pas le pas vers un espace sans racine et ont toujours besoin d’amarres en exil, espérant retrouver l’espace euphorique de leur enfance.
Dans N’zid, la métaphore de l’épave dont se revendique Nora Carson, alias Myriam Dors, alias Eva Poulos etc…, donne à lire un inaboutissement de l’errance elle même : c’est la loi du non retour.

Elle se revendique de la communauté des épaves, jetées à l’eau par les confluents de l’absence et du désarroi. Elle les observe toujours avec ravissement. La mer les porte sans plus rien leur demander. Sans rien leur demander, elle les saoule, les racle, les décape de tout. Plus de passé. Plus de terre. Même plus leur nostalgie. Os ou bois flottés, délavés. Comme une indéfinissable dérive de la détresse à l’abandon. Avant le plein flot de l’oubli.

Nora n’a pas de pays d’ancrage. L’attachement est synonyme de souffrance. Elle préfère l’espace de la marge, l’espace de la Méditerranée, à ses trois racines que sont l’Algérie, la France et l’Irlande. Dans N’Zid, Nora, avant de retrouver la mémoire, s’invente un nom grec :

Je suis Eva Poulos…Eva Poulos ! Mes parents étaient grecs…Étaient ? Père copte, mère juive. Je suis née à Paris.Une Franco-gréco-judéo-chrétiéno-arabo-athée pur jus. Eva Poulos.

La mer reste le lieu de la « départenance » alors que la terre reste un espace de souffrance, un lieu où « le manque de passé écrase tout. Sous la chape de l’angoisse, les maisons, les gens se métamorphosent en autant de mises à l’index, de mises en demeure d’identité ».


Ces lieux de la « sédentarité » s’opposant à la mer, son nomadisme, rejoignent la distinction qu’établissent Deleuze et Guattari justement entre la racine et le rhizome :

« Le rhizome qui (…) ne commence et n’aboutit pas, (qui) est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo (…) Le rhizome (qui) est alliance uniquement d’alliance », serait la mer et le désert, sans début ni fin, lieux de l’errance, du possible, dans lequel la femme épouse les diverses identités en perpétuelles variations, voir en devenir.
Le traité de nomadologie de Deleuze et Guattari voit le nomade comme un être rejetant l’espace civilisé et qui cultive la déterritorialisation en « invent(ant) le nomadisme comme réponse à ce défi ».
Le personnages de Mokeddem qui sont des êtres de mots, , sont comme le conteur dont parle Zohra.

(…) Il ( le conteur ), trafique sa propre histoire, la refaçonne entre ses rêves et les perditions de la réalité. Il n’existe que dans cet entre-deux. Un « entre » sans cesse déplacé. Toujours réinventé.

Le conteur comme le nomade jouissent d’une autonomie de déplacement : le nomade ne se fixe à aucun espace même s’il se déplace d’un point à un autre, le point devient lui même lieu de départ et ne constitue qu’un relais, un entre-deux. Il en est de même pour le conteur dont la fin du conte marque le relais vers d’autres contes.
Assia Djebar, dans Ces voix qui m’assiègent se pose les mêmes questions à propos de l’écriture « de fuite » comparée à « une course automobile, voyage intérieur, ou déambulations sans arrêt, sans délai, ni halte, ni répit ».

Il est tout à fait remarquable que les romans de Malika Mokeddem, fonctionnant à la manière des contes, amorcent à la fin des ouvertures possibles par le biais de la suspension narrative car mettant en scène, comme nous l’avons dit, des êtres d’errance, aux relents deleuziens.   
Le discours post-structural, post-colonial et féministe détruit justement la notion d’identité unique qui de fait exclut l’Autre. Mokeddem récuse cet « enfermement » dans une interview accordée à Christiane Chaulet Achour :

Il ya deux mots qui me hérissent : ‘nationalité’ et ‘racines’… Ma grand-mère m’avait dit : ‘il n’y a que les palmiers qui ont des racines. Nous, on est des nomades, on a une mémoire et des jambes’. Elle avait raison.

L’immobilité serait un danger mortel résumé par Zohra la conteuse du premier roman : « L’immobilité du sédentaire, c’est la mort qui m’a saisie par les pieds. Elle m’a dépossédé de ma quête ».

Le concept d’identité fragmentée hybride marquée par la notion deleuzienne de rhizome, et la notion de divers d’Edward Glissant permettent donc de cerner le discours de Malika Mokeddem, un discours qui se veut transnational et transculturel, mais un discours qui part d’un espace identifiable, celui de la langue française qu’il va falloir déterritorialiser pour en faire sa propre langue, une langue qu’elle va « coloniser » à son tour en y imprimant une écriture que nous qualifierons d’écriture sans mémoire!


b- Le choix du conte.

Dans L’écriture-femme, Béatrice Didier rappelle les siècles de tradition orale où le rôle de la femme a été déterminant, particulièrement à travers le conte.
« Il s’agit non seulement de transgresser l’interdit de toute écriture, mais encore de le transgresser par rapport à l’homme et à la société phallocratique. De le transgresser aussi peut-être par rapport à une sorte de vocation de la voix, du chant, de la tradition orale qui a été assumée par les femmes ».

Aussi, le conte semble exercer sur Malika Mokeddem une fascination en lui permettant de révéler une universalité profonde dans une perpétuelle variabilité de ses récits. En effet, le conte apparaît pour l’auteur, dans le domaine de l’expression littéraire, comme un genre où se réalise une stratégie de la contrainte et de la liberté en même temps. Ce qui rejoint ce besoin d’exprimer ce qu’Edouard Glissant appelle « l’imaginaire de la totalité-monde » à partir d’un lieu impliquant le déplacement, à l’image des nomades, et qui rejoindrait cette stratégie de la contrainte et de la liberté en même temps.
Contrainte dans son organisation structurelle obéïssant à des règles universelles telles que dégagées par Vladimir Propp, et liberté dans la souplesse de son expression formelle et lui permettant de générer du sens grâce, notamment, à la « parole conteuse » qui prend en charge comme nous le verrons, en même temps que le conte, toutes les formes d’expressions de la tradition orale comme l’épopée, la légende, le mythe…, introduisant dans le champ de l’écriture la dimension du fabuleux, du fantastique et de l’étrange.
C’est grâce au discours de cette parole conteuse que les textes de Malika Mokeddem peuvent être lus comme étant à la fois des fiction réalistes enracinées dans l’Histoire, et le discours d’une parole conteuse . Et c’est en cela que nous que nous ne pouvons pas qualifier les récits de Malika Mokeddem simplement de contes ou de récits pour parler d’hybridité du métissage.
Dans L’Interdite, l’exemple de la confidence finale de Sultana sur son passé et ses origines apparaît comme un exemple type de cette jonction conte/fiction. En effet, c’est un personnage « réaliste », Sultana, qui parle de ses angoisses, de son aversion pour « l’ancestralité » mais nous sommes aussi dans le conte où le « je » raconte son propre conte. Le lieu d'énonciation de ces conteurs qu’on allait écouter autrefois sur les places publiques sera recréé autour du feu, tandis que Salah et Vincent forment l’assistance qui se presse autour d’elle. Sur le plan typographique, le conte, est structuré selon le rythme porté par la voix de Sultana, par un guillemet fermé ( »), à chaque début de paragraphe, afin de distinguer le conte tragique de la narration réaliste de l’histoire de Sultana. Des grenades que lui avait achetées son père, « ce mélange de liquide et de filaments qui laisse dans la bouche un goût d’interdit » fruit qu’elle ne mangera plus jamais, après la tragique disparition de sa mère et de sa sœur, le conte retrace, à sa manière, l’itinéraire du personnage principal qui retrace le dessein auquel sera soumis le récit, et qui peut se résumer selon la formule suivante : « braver l’interdit », fonction qu’assumera Sultane tout au long du récit.
De plus, des formules narratives stéréotypées, des choix linguistiques et oratoires appropriés contribuent à la dramatisation du récit : (page 222-223)
Il m’avait acheté des grenades. La grenade, le plus beau des fruits, le plus royal.
 » Il m’avait acheté des grenades.
 » Il portait son saroual targui et son grand chapeau que j’aimais bien.
 » Dans le ksar, la rumeur murmurait qu’on était une famille maudite. Longtemps j’en ai été persuadée. Quand je marchais dans les rues, les enfants se sauvaient à mon approche. (…) Puis mes yeux se sont effacés de tout. Je me suis effacé du présent.
Ce « je » qui raconte son propre conte, le conte tragique de la perte de la mère tuée par le père, reprend sa place dans le récit, mais dans une narration réaliste, dans la rencontre de Sultana avec les femmes du village qui se solidarisent avec elle, et qui lui racontent sa mère et son père, le Chaâmbi, l’étranger instruit, qui était fier de sa fille.
L’origine du désir de conter de l’auteur est clairement revendiquée dans chacun de ses propos. La venue à l’écriture est d’abord initiée par la voix et les récits du passé transmis oralement. Le lecteur reste frappé par l’omniprésence de cette matière de l’oralité contique inscrite dans la trame romanesque et aussi cette volonté de s’approprier les formes d’énonciation de l’oralité, dans le passage en texte de la tradition orale à l’oralité.
C’est dans ce sens que nous pouvons avancer que le conte reste l’une des clés de lecture des romans de Malika Mokeddem.


II- La fonction sémiotique de la signifiance comme fondement de l’écriture.

1- Le recours à l’oralité du conte ou l’écriture en procès.
La littérature maghrébine d’expression française entretient des rapports très complexes avec la tradition orale qui apparaît tantôt comme une source d’inspiration, tantôt comme un stock de modèles et de thèmes à reproduire, tantôt, et c’est le cas qui nous intéresse, comme un élément structurel dont l’auteur Malika Mokeddem, écrivaine algérienne d’origine nomade, tire un puissant argument d'écriture:
«  Ma grand-mère et mon père avaient été nomades. Ma grand-mère, elle, a été nomade toute sa vie (…) Elle est devenue sédentaire à un age tardif de sa vie (…) C’était une femme de l’oralité et moi, je suis devenue quelqu’un de l’écriture. Mais c’est pour ça que l’oralité est quelque chose d’important pour moi, parce que je pense, qu’avant les livres, ma première sensation aux mots m’est venue par elle, dans cette enfance très pauvre ».
Nous nous référons souvent à ce propos de l'auteur mais uniquement pour confirmer ce que l'écriture nous donne à lire et non l'inverse. Ici, par exemple, l'auteur confirme le prolongement en écriture d'une tradition orale; la continuité culturelle double celle des généalogies. En outre, dans cet héritage, ce qui compte ce ne sont pas les "mots" mais une "sensation" inhérente aux mots et que nous assimilons à l'oralité de la tradition orale.
L’amour des mots et de la fiction naît de l’influence de la grand-mère, de l’écoute de ses contes que vont enrichir d’autres lectures de la littérature française, algérienne d’expression française, et universelle.
Dans le premier roman, Les Hommes qui marchent, le conte est omniprésent à travers Les Mille et une Nuits que l’ancêtre Djelloul entend de la bouche d’un taleb qui s’est joint à la caravane :
Djelloul fut immédiatement subjugué par cet homme qui écrivait des talismans et qui, à chaque halte, sortait un livre volumineux aux pages mitées : Les Mille et une Nuits. Le garçon n’avait jamais entendu parler de l’écriture. Comment ces caractères inertes pouvaient-ils contenir tant d’histoires, d’intrigues, de combats et de beautés ? »
L’autre source, celle que nous avons appelée la « scène primitive » de l’œuvre, est celle des récits de l’aïeule qui est en réalité la première source, car étant la première énonciatrice de l’histoire de Djelloul et donc des Mille et une Nuits.
Depuis notre intitulé « Le recours à l’oralité du conte ou l’écriture en procès », notre projet tout en interrogeant le discours littéraire du Siècle des sauterelles pour y lire l’inscription d’un sujet culturel, donc collectif, est d’envisager la tradition orale dans l’œuvre non pas en tant que thème mais par ce qui lui est emprunté par le sujet d’écriture, c'est-à-dire le « style oral » de son oralité et non le « style parlé » de son énonciation originelle. 
Le Siècle des sauterelles et à un degré moindre Les Hommes qui marchent marquent leur originalité dans le projet de l’auteur d’insuffler la tradition orale dans la langue française . D’où l’intérêt que nous portons à cette « re-textualisation » de la tradition orale, principalement du conte, et sa transfiguration en parole d’écriture, voir en source d’écriture.
Ce qui nous a donc interpellé, en tant que lecteur, c’est d’abord l’omniprésence de cette matière de l’oralité contique inscrite dans la trame romanesque, et ensuite et surtout, cette volonté de s’approprier les formes d’énonciation de l’oralité dans le passage en texte de la tradition orale à l’oralité.

2- De la confusion entre « style oral » et « style parlé ».
L’écrivaine, née dans le sud algérien affiche sa marque d’appartenance à un espace d’identité, espace de l’écriture conteuse dans laquelle s’inscrit le substrat de la tradition orale.
Cela signifie que la tradition orale n’est pas reprise fidèlement, pour elle-même. Son exploitation par l’écrivain, s'inscrit dans un projet d'écriture et elle est soumise aux contraintes d’ordre esthétique et linguistique. L'initiative passe donc nécessairement par la réappropriation, par l'écriture, d’un objet conçu dans un autre contexte et qu’il est pratiquement impossible de restituer ni dans sa totalité ni dans son dessein (son efficacité symbolique spécifique) .
Ce qui importe, dans l’utilisation de ces procédés d’écriture, c'est la création d'un style oral, à travers lequel la tradition orale (caractérisée par le "style parlé") délivre une caution culturelle d'"authenticité" qui confère à l'écriture du livre un cachet d’originalité en même temps que d'origine.
Le roman, Le Siècle des sauterelles, en convoquant un monde primitif, en baignant dans une civilisation d’"orature", ici le nomadisme, pendant la première moitié du XIXe siècle, donne, certes, la primauté à l'oralité sur la tradition orale, mais il choisit de le faire à un moment clé du temps historique, celui de la rupture provoquée par le début de la colonisation.


C'est cette crise (autrement dit cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale) que signifie l'oralité Dans cet ordre d'idée, nous tenterons d’aboutir à une première explication de ce que signifie l’oralité en convoquant l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins.
La distinction entre le "style parlé" et le style oral" s'inscrit dans le cadre théorique de celle entre la tradition orale et l'oralité. Nous reprenons les termes de cette opposition à Farida Boualit qui a développé sa thèse à partir notamment des travaux de Julia Kristeva et de Claude Hagège.
Ainsi, comme elle le rappelle en préambule de son article, ce qui est désigné par "tradition orale", par les spécialistes de l'analyse du discours poétique, c'est à la fois une organisation en récit de certains éléments, une modalité de transmission et un temps sous sa forme achevée de passé convoqué en tant que tel à travers le substantif "tradition".
F.Boualit indique que de la tradition "orale" à la littérature "orale", tardivement consacrée, le déterminant "orale" du substantif "littérature" met l'accent sur la modalité constitutive de ce type de production: la parole qui sort de la bouche, autrement dit la signification qui passe par la parole qui sort de la bouche.
De ce fait, nous avons affaire ici à des productions qui ne sont pas transmises à l'aide de signes écrits mais qui sont désormais données comme des productions comparables à ce que l'on entend par "littérature" dans des cultures écrites.
Cependant, un grand nombre de catégories fondamentales de l'analyse littéraire perdent leur pertinence lorsqu'on tente de les appliquer à cette littérature orale, à commencer par la circonscription même de l'œuvre dont on ne peut fixer ni le commencement ni la fin; l'épopée homérique en est un des exemples les plus célèbres. Il est en de même de la catégorie corrélative à celle de cette circonscription à savoir la catégorie de l'auteur.
La littérature orale n'a pas d'auteur, au sens moderne du terme, mais des "récitants" qui ne s'érigent jamais en créateurs. Certes, même s'ils se définissent uniquement comme des agents de transmission, la critique en est arrivée à considérer qu'ils "re-créent" dans le même temps qu'ils transmettent.
En effet, la littérature orale, ou plus généralement la tradition orale n'offre pas de grandes possibilités au sujet (parlant) d'y insérer de façon significative les marques de son énonciation d'autant que, dans sa modalité écrite, elle perd même le support de la voix.
Rappelons, même s'il s'agit d'une évidence, que dans cette situation de transmission orale, le texte de la littérature orale, qui se réalise en situation interactive d'énonciation/réception, acquiert, comme tout discours qui se réalise dans ce type de situation, la valeur d'acte social: c'est un rituel qui passe donc par la voix et dont le message est informatif et surtout pragmatique par sa dimension symbolique.
La valeur sociale de ces récits oraux est d'autant plus attestée que, dans leur passage à l'écrit, comme le précise F. Boualit dans l'étude sus citée, ils ne changent pas de statut: En passant de la phoné à la graphie, la matière reste la même puisque l'objectif de leur écriture est leur conservation. Cependant, ce qui ne peut être attesté, c'est la pérennité de son efficacité symbolique qui ne jouit plus du soutien précieux de la voix.
Reproduire et non écrire la littérature orale reste une initiative qui affiche moins sa prétention esthétique que sa fidélité à l'objet qu'elle contribue ainsi à sauvegarder.
Il n'en demeure pas moins que la transcription écrite du texte oral est une opération culturelle qui trahit son objet en le "dé-naturant". Mais, pour persister dans les sociétés dites modernes, la tradition orale n'a pas d'autre choix que d’y laisser ce qui fait son essence en entrant dans le temps historique de l'écriture .
A la suite de Claude Hagège, on parlera, pour désigner ces textes transcrits de la littérature orale, de "textes parlés" pour leur rapport initial et structurel avec le "style parlé" entendu comme "l'usage plus ou moins éloigné de la langue écrite qui est fait de la parole en situation d'interlocution". Nous ne nous étendrons pas sur le phénomène de déperdition qui caractérise la passage de l'oral à l'écrit, ni à sa particularité quand il s'agit du passage à l'écrit dans une langue étrangère, très éloignée de celle, originelle, de la tradition orale ou de la littérature orale.
Ce qui nous intéresse davantage c'est de noter que dans les textes littéraires, qui affichent leurs marques d’appartenance à un espace d’identité que sont les sociétés fortement marquées par tradition orale, celle-ci y est inscrite comme substrat de l’oralité.
Ce phénomène est au fondement de l'écriture de M.Mokeddem dans Le Siècle des sauterelles. Elle y convoque la littérature orale en sa forme de conte entendu comme "récit oral", fabuleux, hérité de la tradition.
Il nous importait donc d'établir la définition du "style parlé" des "textes parlés" (qui restent marqués par cette modalité même quand ils sont transcrits) pour l'opposer au "style oral" de l'oralité qui caractérise une modalité particulière d'inscription de la littérature orale dans certains textes de la littérature maghrébine dont notre corpus n'est qu'un exemple pour étayer cette distinction nécessaire entre le "style parlé" de la tradition orale ou de la parole conteuse et le "style oral" de l'oralité que Julia Kristeva définit comme "modalité hétérogène au sens".
Dans ses travaux consacrés à la définition du sujet du discours poétique en tant que "sujet en procès", J.Kristeva précise que l'oralité, dans le discours littéraire, se manifeste à travers un certains nombre de procédés repérables relevant essentiellement de l'intonation et/ou de la répétition, autrement dit le rythme  .
Ces deux paramètres définitionnels du style oral de l'oralité, que sont l'intonation et le rythme-répétition caractérisent la modalité de signifiance que Julia Kristeva qualifie de "sémiotique" par opposition à la modalité de signification qu'elle qualifie de "symbolique".
Pour sa définition de la modalité de signifiance, ou modalité sémiotique, elle précise qu'elle prend en considération l'étymon grec semeion qui "fait entendre la marque distinctive, la trace (…), le gravé, l'empreinte, en somme une distinctivité susceptible d'articulation incertaine et indéterminée" de la chôra, autrement dit "le réceptacle innommable, invraisemblable, bâtard, antérieur à la nomination, à l'un, au père et par conséquent connoté maternel à tel point que pas même le rang de syllabe ne lui convient".
Et précisément, comme nous tenterons de le démontrer, l'originalité de la pratique scripturaire de M.Mokeddem réside dans le procès sémiotique d'inscription de la littérature orale dans le territoire de cette "chôra", territoire de ressourcement, de "régénérescence" de l'écriture.

3- Le souffle irrésistible du Conte.

a- Homologie de structure entre le conte et le roman.

C’est dans le désert algérien que l’écriture de Malika Mokeddem prend sa source. L’origine du désir de conter de l’auteur est clairement revendiquée dans chacun de ses propos. La venue à l’écriture est d’abord initiée par la voix et les récits du passé transmis oralement. Le lecteur reste frappé par l’omniprésence de cette matière de l’oralité contique inscrite dans la trame romanesque et aussi cette volonté de s’approprier les formes d’énonciation de l’oralité, dans le passage en texte de la tradition orale à l’oralité.
Le roman, en convoquant le "vieux" monde, un monde archaïque, un monde primitif, en baignant dans une civilisation d’orature, ici le nomadisme, pendant la première moitié du XIXe siècle, donne, certes, la primauté à l'oralité sur la tradition orale, mais il choisit de le faire à un moment clé du temps historique, celui de la rupture provoquée par le début de la colonisation.
Dans cet ordre d'idée, nous ne pouvons qu'adhérer à la conclusion à laquelle aboutit F.Boualit dans l'étude à laquelle nous nous sommes souvent référé:
C'est cette crise (autrement dit cette rupture historique d'avec le temps plein de la tradition orale) que signifie l'oralité en convoquant l'archaïsme (cet hétérogène au sens) par le truchement du traditionnel, du moins dans le cas des textes littéraires maghrébins. "
Ainsi, on peut même affirmer que la structure narrative, que nous étudions par ailleurs de façon très détaillée, s'apparente à celle d'un conte au sens de V. Propp.
Rappelons que V.Propp, en analysant quelques dizaines de contes, dont il a cerné le schéma à travers un système de fonctions, a identifié le rôle structurel qu'y joue un manque ou un méfait initial; c'est celui-ci qui détermine les actions du héros qui le répare ou le compense par une série de combats ou d’épreuves qui aboutissent à un équilibre .
Le roman de M.MOKEDDEM peut, de ce point de vue, fonctionner comme un conte:
le héros Mahmoud doit d'abord réparer un manque: déterrer la dépouille de l'aïeule et la ramener sur ce qui reste de la terre des ancêtres de la tribu, à Labiod-Sid-Cheikh,. La mission n'est pas aisée puisque la tombe se trouve sur ce qui est devenue une ferme coloniale. Mais " poussé par des mots d'outre-tombe, Mahmoud s'était préparé à repartir pour satisfaire aux volontés de son père".
Il doit affronter un certain nombre d'épreuves qui le conduisent, après la réparation du manque, à réparer un méfait: retrouver les assassins de sa femme et se venger.
- Mahmoud ira d'épreuve en épreuve, jusqu'à la fin du roman. Mais après que la fiction réaliste ait enregistré sa mort (il est tué par les gendarmes), il ressuscite par le truchement de la rumeur qui entoure les agissements de sa fille Yasmine: " On murmure même qu'elle aurait retrouvé son père, dans ce Maghreb voisin…".
Cette homologie de structure, entre le conte et le roman Le siècle des sauterelles, n'est pas la seule raison qui nous permet d'avancer que l'œuvre, à l'instar d'ailleurs de Les Hommes qui marchent, est très imprégnée de tradition orale. Eu égard à l'importance du phénomène, nous pouvons même aisément constater que son effet de lecture se traduit comme l'entreprise d'insuffler cette tradition orale dans la langue française en situation d'écriture littéraire.
Le texte se construit sur la textualisation de la tradition orale qu'il gère, au lieu d'être géré par elle comme dans le cas d'une retranscription ou même d'une retranscription-traduction dans une autre langue que la langue d'origine du conte. En d'autres termes, dans le roman de M.Mokeddem, c'est le style oral qui détermine les modalités de l'inscription des textes parlés de la littérature orale.

b- Conter : une consigne métatextuelle :
Pour clarifier notre propos, quant à cette exploitation, en quelque sorte au second degré, de la tradition orale en général et de la littérature orale en particulier, notre choix s’est porté sur deux passages extraits de Le Siècle des sauterelles.
Le premier passage, que nous qualifierons de méta-textuel, est un passage où s’élabore une théorie, un discours métalinguistique sur la fiction; il n'est pas fortuit que le passage en question soit situé au milieu du roman (p.156-157) ni que cette écriture réflexive soit assumée par les personnages en situation interactive;
Le deuxième passage est une illustration, un exercice de la parole conteuse, qui prend en charge les événements diégétiques de la fin du roman.(page 276 – 279).
Dans le premier passage, que nous reprenons depuis son introduction car très significative, le père Mahmoud s'adresse à sa fille Yasmine:
" Dans la journée, tout en gardant le troupeau, Mahmoud s'occupe de son enseignement, l'ouvre à la poésie. Le soir, il lui dit des histoires et des contes. Il lui dit souvent:
- Tu sais, conter c’est échapper à l’instant. C’est refuser de n’être jamais qu’une borne de sa course . Conter, c’est le saisir en plein, ce temps. C’est le déplier en éventail de mots. Tu t’en éventes et le railles. Puis, tu le replies, fermé dans le nœud de ta narration. Jeté ce temps choisi ! Tu respires un bon coup. Tu souris à la feuille ou à l’auditoire. Tu en cueilles un autre et tu recommences à l’effeuiller. Ainsi, tu inverses les rôles, en jalonnant le temps de pensées, tu en fais ton objet. ». (Nous soulignons)
Ainsi, le conte et le discours réflexif sur le conte sont deux réalités intra-diégétiques. De cette façon, L’exercice du conte s’accompagne de sa théorie, et, l’énoncé de la théorie du conte fait partie de l’énonciation de la fiction. Cela se confirme par le fait que l’énoncé est répétitif: « il lui dit souvent ».
Nous sommes en présence d’un énoncé itératif, une modalité narrative se rapprochant du "sommaire" tel que défini par G.Genette: "on raconte une fois ce qui s’est passé n fois".
La modalité de "sommaire" de cet énoncé narratif, au niveau signifiant, conforte la nature définitionnelle de sa substance, au niveau signifié : si le sommaire est une réduction à l'essentiel, une définition, qui consiste à présenter les caractéristiques principales, n'est pas autre chose . Par conséquent, l'énoncé est en même temps ce dont il parle: c'est donc un énoncé total, surdéterminé.
De plus, dans cette définition interactive du conte, sont mises en œuvre plusieurs fonction du langage : la fonction phatique, la fonction conative, et la fonction référentielle. L’énoncé, lui même fortement métaphorique, transfigure ce dont il parle à partir d'un rapprochement analogique mais, dans un contexte d'énonciation balisé par un dessein didactique.
Ce dessein didactique de la transmission de la théorie du conte, tout à fait compatible à son identification au discours du père, semble conditionner sa syntaxe.
En effet, après la formule définitionnelle introductive consacrée, "Conter c’est", le père décline d'abord le paradigme des prédicats situés dans l'"a-temporilité" du "temps", en consacrant une unité propositionnelle à chacun d'eux; puis il décline celui de sa traduction en actes, dans le temps historique et en situation interactive.
Ainsi, dans le premier paradigme: " Conter c'est":
Echapper à l’instant.
Refuser de n’être qu’une borne de sa course.
Saisir en plein temps, le temps.
Déplier un éventail de mots ,
il y a reprise de la dimension intemporelle classique du conte, comme parenthèse hors du temps.
Dans le deuxième terme de la définition, ainsi que dans le troisième le conte est défini par rapport au temps qui devient un temps illimité.
Dans le quatrième terme de la définition, c’est le temps que l’on remplit de mots. Le temps est ici évalué en tant que durée de mots .
Ce quatrième terme de la définition est suivi par une série de consignes qui constituent le second paradigme :
Tu t’en éventes et le railles.
Tu le replies, fermé dans le nœud de la narration.
Tu souris à la feuille ou à l’auditoire.
Tu en cueilles un autre.
Dans « tu souris à la feuille ou à l’auditoire », il y a reprise implicite du conte, oral ou écrit; le "sourire" étant à la fois une ponctuation finale et le signal d'un recommencement, d'une répétition : "tu recommences".
Ce qui est visé par l’oral du conte est une initiation de l’élève aux modalités du « conter ». "Conter" est une pratique du soir, à laquelle s'adonne le maître lui-même en présence de l'élève: « Le soir, il lui dit des histoires et des contes. »
Notons que dans le champ de la tradition orale, le conte propose un récit qui requiert un contenu pour sa narration à travers sa (re) transmission.
Or, ici, nous constatons que, si la définition du conte s'étend à sa modalité d'énonciation et à sa finalité, son contenu narratif, sa substance ne sont pas évoqués.
Nous pouvons alors en déduire que ce qui du conte est mis au jour dans le texte, c'est ce qui l'identifie à ce que nous avons retenu de l'oralité ou plus précisément du style oral de cette littérature orale et qui requiert la présence effective d'un sujet.
Nous dirons donc, pour clore notre analyse de ce premier passage, qu'ici, "conter" n'est pas une parole anonyme mais un acte fait de mots dans le temps du temps; c'est un acte itératif grâce auquel son auteur n'est plus jouet-objet du temps, mais sujet . En d'autres termes, "conter" c'est se rendre maître du temps grâce aux mots, c'est échapper à la mort.
Quant au second passage, il nous semble que c'est le mieux indiqué pour illustrer l'activité scripturaire d'un parole conteuse qui prend en charge les événements diégétiques clés de la fin du roman .
C’est en effet la parole contée et conteuse qui, ici, gère le texte, dans le passage de l’oral à l’écrit. La parole conteuse, de la «voix anonyme » (sans indication qui la caractériserait) d'un narrateur non moins anonyme, "conte" la fin de l’histoire d'un des personnages principaux, Mahmoud, selon un schéma syntaxique anaphorique: la formule « on dit que » introductive de plusieurs énoncés du discours de la rumeur, en relation de contiguïté de la fin de la page 276 à la fin de la page 279 (la dernière du roman), et que nous citons fidèlement:
On dit que le train s’est arrêté en butant contre l’austère du
désert(…) 
On dit que dans cette contrée de toutes les hypnoses, de tous les envoûtements, une mystérieuse histoire les attendaient (…).

On dit que les gendarmes (…) coururent l’imprudence de redescendre (….).
On prétend qu’ils n’étaient pas plus en bas que la tempête de sable se déchaîna (…).
On dit qu’il en fut ainsi et que mal leur en prit . Quand ils s’y montrèrent, le corps n’y était plus (…).
On dit que les soupçons se portèrent ensuite sur El Majnoun.
On dit que pour une fois les belliqueux Douï Minaï et leurs farouches ennemis, les Ouled Gerrir, déposèrent leur haine séculaire (…).
On chuchote que, mise au fait de leur projet, Yasmine tient à y participer (…).

L’on conte que du khôl elle farda ses grands yeux (…), guetta l’infâme pour, dans leur guet-apens, le faire tomber (…) .
On dit qu'elle l'abandonna (El Majnoun) à ces hommes (…).
On dit qu'à son sommet ( "la dune"), (…) les complaintes de Mahmoud elle a chanté.
On dit que sa voix a sacré cette dune magistrale(…).
On dit qu'en cortège (…) un florilège d'échos étincelants a pulvérisé l'indigo des cieux.
On dit qu'ensuite ses yeux se sont égarés vers les collines du Maroc et que sa bouche a souri comme si elle y avait aperçu Mahmoud.
D'aucuns prétendent que c'est par là que ses errances l'ont menée, suivie du juif Benichou.
On dit que ce dernier (Benichou), d'absinthe lui remplit sa bouteille de parfum et qu'elle en boit toujours (…).
On dit qu'on la surnomme Riha, Parfum, et qu'elle enivre le luth (…).
Certains prétendent que de caravane en caravane, elle a traversé le désert vers la noire source de sa mère (…)
- Ils disent que là ( "la source noire"), dans l'antique Afrique, elle a nourri son chant (…).
- On dit qu'elle va d'amant en amant (…).
- On dit qu'elle s'en console ( de son "mal-être") en arguant qu'elle vit en femme libre (…).
- On dit que tous ses bonheurs sont soudés de douleur (…).
- On murmure même qu’elle aurait retrouvé son père . »
Chaque événement inhérent au dénouement de l'histoire ( au sens de Gérard Genette ) se présente comme un événement autonome, échappant ainsi à la causalité narrative de la fiction réaliste.
Ainsi, tous sont introduits par la formule «on dit que » relayée par ses équivalents syntaxico-sémantiques comme «On prétend que », «On chuchote que », «L’on conte que », «On murmure que ».
Le rapport de similarité, explicitement posé, entre ces équivalents et le verbe "conter" signifie nettement que les événements de la diégèse sont pris en charge par la parole du conte qui introduit la dimension du merveilleux, de l’étrange, l’irrationnel dans le vraisemblable qui perdure néanmoins (dans le même passage) sous forme d'hypothèses explicatives.
Il en est ainsi de celle qui pourraient justifier de la présence de Mahmoud au Maroc, alors qu'il a été tué par les gendarmes:
" D'aucuns se hasardent même (…) à supposer que Mahmoud n'était peut-être pas mort, qu'après leur départ (celui des gendarmes), il a dû simplement recouvrer ses esprits, vaincre la douleur de sa blessure, se lever et se diriger vers le Maroc tout proche." (p.277).
De cette façon, l'écriture ne procède pas tout simplement à la substitution d'un type de récit (réaliste) par un autre (merveilleux): les deux se disputent le même espace. Là, nous semble-t-il réside, l'intérêt de cette écriture.
Et, c’est la parole conteuse, et non la parole du conte, qui a ouvert la fissure par laquelle s’est infiltré l’insolite, l’irrationnel et s'est installée l’atmosphère d’étrangeté qui est venu se greffer à l’ancrage réaliste de l’histoire qui, en devient lui aussi suspect
La définition que propose J.L. Austin de "l'énoncé performatif" nous permet de saisir l'enjeu d'une telle pratique discursive.
Son postulat de base est de considérer que "dire une chose, c'est la faire (…) ou encore, par le fait de dire ou en disant quelque chose, nous faisons quelque chose".
Ce postulat s'applique parfaitement au discours littéraire qui illustre parfaitement l'équivalence du "dire" et du "faire", dans la mesure ou le "faire" est un "dire".
Mais pour une analyse ciblée de notre passage, nous allons nous reporter à la signification que J.L. Austin confère à ce "dire" qui est un "faire".
Ce sont, d'après Austin, des "énonciations performatives", en tant qu'opposées à des "énonciations constatives", ou encore "par souci de brièveté (des) perfomatif(s): ce nom dérive du verbe anglais perform , verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif "action": il indique que produire une énonciation est exécuter une action".
Ainsi, " les énonciations performatives (ou les performatifs) ne sont pas des affirmations vraies ou fausses (des descriptions ou des reportages concernant des faits) ni des non-sens; mais des énonciations visant à faire quelque chose (…)".
A lumière de cette définition, nous pouvons affirmer que les faits de fiction ne se veulent pas une imitation du réel tangible, un "faire semblant", un faux qui prétend être vrai en requérant la "croyance" d'un lecteur, dans une visée mystificatrice (puisque le lecteur "sait bien, mais quand même…).
Ils se donnent pour ce qu'ils sont, ni vrais ni faux, ou tout à la fois car , il importe peu que ce soit vrai ou faux. Ce qui compte c’est que la parole du livre circule avec autant d'efficacité que celle du conte.
On en déduit une définition, certes encore sommaire, de l'écriture: écrire c'est comme dire des contes, c'est-à-dire en reprenant des paroles anciennes, libérer le rêve et l’imaginaire.

c- La gestion scripturaire de la parole conteuse.
En écrivant un roman sur les traces d'un conte, Malika Mokeddem semble occuper, en écriture, le lieu d'énonciation de ces conteurs qu’on allait écouter autrefois sur les places publiques .
Le texte est en effet tissé par le conte à travers la distribution des éléments du paradigme du verbe « conter » dont nous relevons ici quelques exemples en les soulignant:
P- 64  : Mahmoud se sentit contraint de se justifier en lui « narrant » son rêve .
P- 121 : Ils « vont encore dire » que c’est lui qui a fait venir la grêle (…).
P- 122 : Ils ont « même dit » que c’est sa malédiction qui a envoyé les sauterelles pour ravager les terres.
P- 127 : Elle (Nedjma) l’écoutait. Seuls les feulements du vent, la fureur des eaux accompagnaient de leur musique hallucinée, le « récit murmuré » de Mahmoud.
P- 131 : Durant toute la journée, ils s’aimèrent et dégustèrent du thé. Ils
« se racontèrent ».
P- 156 : Le soir, il lui « dit des histoires et des contes ».
Un jour, Mahmoud « raconte » à Yasmine la fascinante histoire d’une mer démontée, d’un terrible coup de vent qui avait paralysé les oiseaux migrateurs.
P- 178 : La veillé, en sirotant un thé, Mahmoud « retrouve son rôle de conteur ».
P- 246 : Parmi tous ces « mythes », il en est un que Mahmoud trouve pour le moins ancré dans la réalité (…) « cette histoire » le « prétend » parti, muni de quelques fusils soulever les femmes nomades du désert contre leurs maris .
Précisons que les conditions d’énonciation réglementées du conte dans la tradition orale sont recréées au niveau narratif:
 La veillée, en sirotant un thé, Mahmoud retrouve son rôle de conteur, derrière les hommes, les enfants assis en rang, d’oignons se taisent, subjugués par les histoires de Jeha . Seuls leurs yeux, enfiévrés, brillent dans le noir et reflètent au gré de leurs mouvements, la petite flamme vaillante du quinquet.
Le conte populaire facétieux, dans cet exemple, à travers le personnage de Jeha, commun à de nombreux contes arabo-musulmans - personnage très présent dans l'imaginaire culturel algérien - est transmis par un lettré, en situation comparable à celle de l'auteur.
La narration se fait dans le cadre originel de la tradition orale et de la circulation des contes :
Le cadre de la réunion : la veillée associée au thé, au quinquet
Le répertoire : les histoires de Jeha ou le conte facétieux .
Le narrateur : personne, possédant la faculté ou la vocation narrative du "conteur ".
Le public et sa disposition: hommes, enfants assis en rang d’oignons .
Les conditions d’énonciation des contes, dans la tradition orale, sont réglementées, comme on le sait : elles impliquent des formules narratives stéréotypées, des choix linguistiques et oratoires appropriés et qui contribuent à la dramatisation du récit.
Les conditions d’énonciation assurent un rôle essentiel au niveau de l'imaginaire social: contribuer à la constitution d'une vision du monde propre à une société donnée. C'est cette idée qui est entendue à travers l'exemple que nous avons déjà exploité :
« Dans la journée, tout en gardant le troupeau, Mahmoud s’occupe de son enseignement, l’ouvre à la poésie. Le soir il lui dit des histoires et des contes ».
Les conditions d’énonciation sont ici liées à l’organisation de la journée. Mahmoud s’occupe de l’initiation de Yasmine à la poésie. Les trois activités vont ensemble : garder le troupeau, enseigner, s'"ouvrir" à la poésie. L’immédiat et nécessaire processus d’initiation / réception, prend ici valeur d’acte social et revêt une vocation pédagogique sans que l'on puisse établir si "conter" a un lien direct avec l'"enseignement" ou avec l'ouverture à la poésie.
Il n'en demeure pas moins que la réunion, dans un même contexte spatio-temporel et narratif, de l'enseignement, de la poésie et du conte n'est pas fortuite et suggère, pour le moins, leur association à défaut de leur superposition.
Précisons que ce passage contenant la définition du conte est suivi immédiatement d'une sorte d'exercice pratique, en conformité avec une consigne pédagogique classique qui commande de passer de l'abstrait d'une définition au concret de son illustration. De cette façon le conte est "enseigné", par l'autorité paternelle, sur le plan théorique et pratique:
Un jour, Mahmoud raconte à Yasmine la fascinante histoire d’une mer démontée, d’un terrible coup de vent qui avait paralysé les oiseaux migrateurs : - Quand j'étais à Tanger, (…) Imagine,, imagine ma fée (…). Un jour, à Tanger, j'ai assisté à une tempête. La pire du siècle, aux dires des riverains qui, avec fureur, adressaient des suppliques au plus souverain des souverains, Allah. (…). Gibraltar avait chaviré (…). Imagine, mon feu…".1
On constate que le texte revient sur la distinction qui avait été établie, dans le passage de la définition, entre le "conte" et l'"histoire", pour proposer une définition de son propre exercice qui n'est en définitive ni l'un ni l'autre, mais une combinaison des deux.
L'implication directe du personnage du père en tant que témoin, l'ancrage spatio-temporel référentiel, la vraisemblance que l'on peut accorder à l'événement de la tempête autorisent l'identification de cette "histoire" à ce que nous pouvons appeler une fiction réaliste.
Mais la nature métaphorique de la description, qui procède à une telle "emphatisation" des effets de la tempête qu'ils en deviennent littéralement "incroyables", l'invitation à fabuler adressée à l'auditrice Yasmine à travers la répétition du verbe "imaginer", la présence de lexèmes appartenant au champ lexico-sémantique du fabuleux (comme "fée") autorisent dans le même temps l'identification de l'"histoire" à un conte merveilleux.


En outre, cet exercice interactif est donc d'abord envisagé du point de vue du locuteur puis de celui de l'allocutaire:
 Yasmine frissonne aux mots du père (…). Les mots du père glissent, tombent un par un dans les couches successives de son être (…). Avec sa description, le père vient de donner une image vivante de ses sensations. Son ouragan à elle, c'est le silence. Surgi du néant avec deux brigands, il a saccagé sa solitude, emporté sa mère, naufragé sa sensibilité, paralysé ses mots dans son tréfonds. Ses mots à elle sont ces oiseaux là, fiévreux et impuissants, plumage aux couleurs de l’arc-en-ciel, ramage ondoyant entre rai et andalou (..). Aussi est-ce avant tout à la sonorité, à la prononciation des mots qu'elle vibre tout entière avec une volupté frustrée. 
A travers ce discours au style indirect de Yasmine, est articulée cette "chôra" dont parle Kristeva (et que nous avons déjà citée) pour désigner ce lieu pulsionnel et que seule la modalité de signifiance appelée "sémiotique" peut appréhender. Cette connexion des "mots" du père-conteur au territoire de l'oralité, hétérogène au sens, localisé symboliquement dans le "tréfonds" de l'être, le territoire de l'enfance ( ici saccagé) a été générée par l'identification de la "tempête" à l'"ouragan" intérieur qui secoue Yasmine.
En outre, cette réaction "sensationnelle" a pour origine non pas l'histoire mais ce qui est engagé dans la narration de cette histoire: son oralité, autrement dit son style oral.
C'est en cela que réside la leçon qui se dégage de cet exercice pratique de l'écriture réflexive: "écrire" c'est "conter au style oral", un style dont les mots, au-delà de leur sémantisme, sont envisagés dans leur réalité matérielle de signifiants; car, c'est grâce à cette matérialité, assimilée significativement à de la musique ("raï", "andalou") qu'ils se connectent à la "chôra" et se "chargent" de la subjectivité des sujets qui occupent les deux pôles de la communication interactive: le locuteur et l'allocutaire, Mahmoud et Yasmine mais aussi l'auteur et son lecteur.
Cependant, comme nous l'avons déjà expliqué à propos des auteurs maghrébins en général et de M. Mokeddem en particulier, le territoire d'oralité, qui ne se situe pas du côté du signe ni donc de la signification mais du côté de la signifiance, n'est pas un territoire foncièrement individualiste ( ni dans son être ni dans l'expression de son être), mais foncièrement dialogique, celui de l'échange.
L'échange privilégié, celui qui réalise toujours un consensus et qui a fortement marqué (par son efficacité symbolique) l'imaginaire culturel collectif de la civilisation du Maghreb, qui est une civilisation d'"orature", c'est celui instauré par la tradition orale.
D'ailleurs, dans le cas de Le Siècle des sauterelles, l'histoire-fiction ne convoque pas seulement le conte, en matière de littérature orale.
La parole conteuse prend en charge en même temps que le conte, d’autres formes d'expression de la tradition orale, comme l'épopée, la légende, le mythe …, introduisant dans le champ de l'écriture la dimension du fabuleux, du fantastique et de l'étrange qui traverse de part en part le roman.
Effectivement l’histoire fournit au poète épique, par exemple, un cadre narratif malléable, important moins pour les informations qu’il comporte que par l’émotion qu’il provoque. L’épopée n’en est pas moins joie de conter et d’entendre conter.
Le long récit d'une vingtaine de pages (p. 115- 137), racontant la traversée de Mahmoud respecte la définition classique de l’épopée comme long récit en prose racontant l’exploit d’un héros légendaire, en donnant un caractère merveilleux à ses actions.
Cependant, il convient de distinguer l’épopée comme forme poétique culturellement conditionnée, donc variable, et l’épique en tant que classe de discours narratifs, relativement stable, définissable par sa structure temporelle, la position du sujet et une aptitude générale à assumer une charge mythique qui "l’autonomise" par rapport à l’événement .
Le récit commence après la fuite de Mahmoud qui réussit à échapper à El Majnoun : Mahmoud a un but à atteindre, la ligne bleue de la montagne, il lutte contre le déchaînement apocalyptique des éléments de la nature qui le forcent à arrêter sa chevauchée et à chercher un refuge .
C’est la rencontre fantastique entre la légende de «l’homme au cheval bai », «venu avec la tempête » et de Nedjma, l’esclave noire, nommée Bent El Kebba, puis leur marche jusqu’au «seuil du désert », leur entêtement à vivre dans l’hostilité du désert, leur combat acharné jusqu'à la mort, parfois entrevue, souvent désirée qui d’un « doux baiser de délivrance  leur fermera les yeux brûlés sur des rêves restés toujours aux limbes de leur vie comme le furent les mirages à leur marche ».
Fondamentalement, l’épopée, récit d’actions, narre un combat et dégage, parmi ses protagonistes, une figure hors du commun qui, pour ne pas sortir toujours vainqueur de l’épreuve, n’en suscite pas moins l’admiration.
Ainsi, c’est la parole conteuse qui donne une dimension épique à des événements diégétiques et à leur dimension spatio-temporelle :
1) Le déchaînement des éléments naturels.
La traversée épique de Mahmoud reprend les circonstances spatio-temporelles de l’épopée, le déchaînement des éléments de la nature et la narration du combat du héros contre ces éléments.
Nous pouvons nous en rendre compte à travers ces quelques exemples:
- Un but à atteindre : la ligne bleue de la montagne dans laquelle il espérait se fondre (…)
Toute la nature donnait l’étrange sensation de s’être arc-boutée dans une attente inquiète (…)
On eût dit l’avancée, noyée de poussière, de quelque fantastique troupeau de dinosaures (…)
Tout à coup, dévalant la montagne en bramant avec une fureur convulsive, le vent du nord se mit à souffler (…)
Avec des hurlements déments, il amassait des nuées de sauterelles en tornades compactes et, d’un souffle rageur, les propulsait au loin .
Au début, couché sur l’encolure du cheval, Mahmoud tenta de continuer sa route vers le but assigné (…) Il y eut un vacarme d’apocalypse comme si,
ébranlé dans ses fondements, le monde était en train de s’écrouler (…) . La nature sembla vaciller, sur le point d’être charroyée par un déluge boueux .
Trempé et aveuglé par le fouet de la pluie, Mahmoud avançait péniblement . Force lui fut d’admettre qu’il ne pourrait prolonger plus longtemps sa chevauchée ( …) buttant contre le déchaînement de l’averse , il se hâta dans cette direction . C’était une petite mechta crépie de boue .
L’excès dans la description permet d’imprimer au récit une dimension épique :
fantastique troupeau de dinosaures.
fureur convulsive.
hurlements déments.
vacarme d’apocalypse.
déluge boueux…
et les catastrophes, comme dans toute épopée, ne sont que prétexte pour héroïsme épique. Le héros fut-il en difficulté, écrasé, transcende la mort.


Le récit épique met en jeu, d'une part, comme ici, des forces réputées surhumaines, formes figurales fantasmatiques engendrant la représentation d’un univers senti et voulu comme à jamais différent et d’autre part, de forces réputées humaines.
Le chant épique narre le combat contre l’ennemi extérieur au groupe à travers la rencontre idyllique de Nedjma et Mahmoud .
Ce chant cristallise l’hostilité et annonce une fin heureuse:
« D’ou me vient cette merveilleuse sensation d’avoir enfin atteint mon but ? (…), comme si la traversée d’un pays de sauterelles, écumé par un être démoniaque, n’avait été qu’une épreuve obligatoire qu’il me fallait subir pour mériter la plénitude de cet instant, une nymphe noire m’attendait dans un sanctuaire défendu par l’ultime rempart d’une tempête hurlante ». 
Les prémonitions du héros participent du schéma narratif de l’épopée à travers "l'oracle" du devin:
« Tu es cette étoile qui a éclairé ma fuite en une terrible, terrible ? Non, non, pas ! Une magnifique nuit de tempête hurlante.
Je dois à présent, te révéler la réalité : je suis ce cavalier que tu espérais, même si je n’ai plus mon cheval bai resté seul prisonnier des gendarmes roumis ». 
L’épopée nie le tragique, mais procède par dissémination d’indices affectifs et de métaphores lyriques qui confèrent une tonalité triste, pathétique au chant et qui sont également mis à contribution pour marquer le style oral de l'écriture la légende et le mythe de la littérature orale.
La parole conteuse prenant en charge des événements diégétiques permet à des personnages comme El Majnoun d’être décrit comme un héros de légende.
Le récit légendaire de Mahmoud, « l’homme au cheval bai, qui revient du passé » forge son itinéraire dans son rapport ambigu avec l’autre figure légendaire, celle d’El Majnoun le « dément », l’homme qui galope dans l’ombre de Mahmoud, « Tantôt doté de pouvoirs magiques, tantôt on lui prête les plus maléfiques ».
Le personnage d’El Majnoun, galopant dans l’ombre de Mahmoud, le précède partout , « essaimant de tous les rêves son chemin », lui changeant à souhait ses desseins. El Majnoun agit dans le but de le faire plier.
C’est donc ce qui est dit d'El Majnoun,  personnage irréel, « errant hors des chemins de la raison », qui participe de la construction de sa légende.
En outre, l'espace du désert, dont les signes s'offrent toujours au déchiffrement, inscrit une réalité complexe, insaisissable, dans le texte qui la signifie. D’où le rôle structurel de l’imaginaire et du mythique dans sa mise en texte.
De plus, la sensibilité du poète errant traduit le drame de celui qui se sent étranger dans un espace qui l’a pourtant vu grandir: Mohamed, le poète, arpente inlassablement le désert pour fuir le temps:
« Marcher comme écrire. Ecrire le pas des mots, les mots des pas, sur ces seuils hauts, les plateaux, socle du désert ».
Cette fuite, ou plutôt cette errance est aussi une quête, la quête d'un désir: désir de langage, désir d'écriture.
L’ambiguïté se dessine à partir du moment où la quête de l’espace- refuge devient prétexte à la conquête de l’espace mythique du désert, à travers la rencontre de Nedjma, personnage d’écriture et figure légendaire de la femme aimée.
Ainsi, légende et mythe se greffent à l’histoire pour identifier le désert à un espace d’échange et d’élaboration de discours pluriels. A partir d’événements diégétiques, telle que la rencontre de Mahmoud et Nedjma, la parole conteuse imprime une dimension mythique au texte. La rencontre est ainsi rapportée sur un ton épique . Nous pouvons multiplier les exemples de même nature, mais il nous semble que celui-ci illustre à lui seul, par ce qu'il a convoqué, la prise en charge d'événements diégétiques par la parole conteuse qui leur confère ainsi une envergure épique. Les "fragments de discours amoureux", à caractère pathétique, intégrés au discours épique, contribuent à sa dimension tragique.
« Elle dit :
- Dès ma conception je suis entrée dans l’exil de ma peau. Je suis née dans une noire solitude, abandonnée même par ma mère . Avec toi, un peu d’amour et de tendresse me sauvera du désespoir.
Il dit :
Nedjma, pour que nous soyons deux dans une même solitude, il me faut t’instruire, t’initier à l’écriture . Sinon lorsque la vague de la passion nous aura rejetés dans l’habitude, nous nous échouerons loin l’un de l’autre. Loin dans
l’isolement. Nedjma lourde de l’indifférence de l’autre, la solitude devient insupportable. »
Ainsi, comme dans Don Quichotte de Cervantès, tel qu'analysé par Sushana Felman, Le Siècle des sauterelles "met à jour un désir qui lui même est en soi déjà langage, texte écrit par les livres. La gageure est de vivre le  romanesque, de tenir la promesse des livres » . A travers la folie Don Quichottesque de Mahmoud, Le Siècle des sauterelles dramatise sa propre lecture, se déchiffre comme désir de lui même : « Il me faut retrouver le seul territoire salutaire, mon seul refuge, l’écriture ».
La quête de Mahmoud, quête d’un territoire salutaire, quête d’écriture s’incarne dans la rencontre de Nedjma, personnage mourant de ne pouvoir faire coïncider l’ordre des mots avec l’ordre des choses. Nedjma, la femme aimée, l’esclave «sans filiation véritable », finit par être rencontrée pour disparaître. Le discours mythique s’énonce dans l’absence des digressions et des scènes descriptives, au profit du seul récit des faits qui se succèdent pour tenter de remonter au  temps primordial, temps fabuleux des commencements.  Nedjma, « la fille de la chienne », raconte l'histoire du bébé noir gardé par une chienne, trouvé près d’une source, qu’une esclave allaitera, autrement dit sa propre légende:
« (…) Non, non ne t'étonne pas. C'est mon nom et mon prénom! (…) Quel besoin de filiation véritable pour une vie vouée tout entière à l'abjection et à l'humiliation? Les esclaves, ils viennent tous de ténèbres maudits. (…). Ils n'ont pas d'histoire. Ils n'ont ni racine, ni espoir. Ils ne sont que ce noir ». 



La dimension légendaire de Nedjma est d'autant plus affirmée qu'elle est greffée sur une absence d'identité civile, une non reconnaissance d'un statut social quelconque ; condition qu'elle partage avec la communauté noire des esclaves qui errent ainsi en marge de la société.
De cette façon, la parole conteuse, usant de la modalité d'une tradition orale autour de laquelle s'est réalisé un fondement collectif consensuel, va introduire le refoulé de l'histoire sociale que nul discours historique n'a encore enregistré: la condition d'esclave. Ainsi, l'oralité de la parole conteuse ne se départit pas de sa valeur de transgression.
En outre, comme le conte, la légende et le mythe génèrent leur propre théorie dans des énoncés métalinguistiques:
- « Crois-tu, dit Mahmoud à Nedjma, que cet homme, ce cavalier au cheval bai, ne soit vraiment qu’une légende ?
- Oh ! Que non. Comme l’on ne peut pas revenir de la mort, non plus. Il ne sait d’où il vient ni quel est son but. Quoi qu’il en soit, c’est un homme très fort ou complètement fou. Le reste n’est que besoin de mythes et légendes qui tiennent les hommes debout.
Parce que nous ne tenons debout que par nos mythes et nos légendes ?
Oui. La vie elle-même n’est qu’un mythe fait d’illusions plus ou moins grandes, selon les individus, La seule vérité est donc la mort.(…) Le songe est le plus vital des mensonges ».
Le texte (à travers ses personnages), en même temps qu'il définit le mythe et la légende comme "songe"- "mensonge", leur reconnaît une fonction pratico-sociale indispensable à la vie de l'homme.
Au regard de la présence de cette définition de la tradition orale dans un texte littéraire, nous sommes autorisé à penser qu'elle vaut également pour ce texte: la littérature orale , par ses mythes et légendes, serait aussi vitale à l'homme que la littérature qui s'y ressource. Comme c'est le cas pour Le Siècle des sauterelles. Cette conclusion est à verser au dossier de la conception mokeddémienne de l'écriture.
Rappelons que Le Siècle des sauterelles génère deux récits, avec deux voix, la voix narrative extra-diégétique prenant en charge le récit historique (événements diégétiques), et la « parole » conteuse celui traduisant « ce temps fabuleux des commencements », c’est à dire le récit mythique.
Ainsi, la rencontre diégétique entre Mahmoud et Nedjma est prise en charge par la parole conteuse sur un ton épique, dans un long récit en prose de style métaphorique, où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l’histoire, pour célébrer les deux héros, tandis que la rencontre entre Mahmoud et le juif Benichou est relatée par le narrateur extra-diégétique, et incarne le niveau privilégié ici, la fiction réaliste qui porte l’intérêt sur l’événement raconté:
 Invités par Meftah en sa demeure, Benichou et Mahmoud se rencontrent le soir même. Benichou raconte à Mahmoud ses deux entrevues avec sa fille, l’angoisse de celle-ci devient la prison, son étrange requête, les propres justifications de Khadidja .
Cette rencontre entre Mahmoud et le juif Benichou, personnage adjuvant important pour la suite du parcours narratif de Mahmoud et de sa fille Yasmine, appartient à l'univers de la fiction réaliste et sa narration respecte l'enchaînement rationnel de cause à effet des événements diégétiques. Par conséquent, malgré l'emprunt du roman à diverses formes d'expression de la littérature orale, le conte, l'épopée, le mythe, la légende, la suprématie de la fiction réaliste est incontestable. C'est elle qui en dernière instance organise le signifié narratif, qui occupe une place importante dans le texte:
Je vais t’éclairer en te contant non pas une légende mais la véritable version des faits. Il lui narre sa famille expropriée, son père mort avant sa naissance, sa mère, son séjour au Caire, son retour … et puis El-Majnoun et sa longue fuite jusqu’à elle. 
Le mythe ne renie pas son origine: Mahmoud explique les racines réelles (sur le plan de la fiction) des figures légendaires du texte. Mais il ne renie pas non plus sa nature : la parole conteuse prend en charge la dimension du fantastique identifiée à sa formule introductive « on dit que » de la voix anonyme, d’une parole fermant l’accès à la recherche de la véracité des faits:
 Ebranlé, Mahmoud pensa à cette prodigieuse spirale de songes fantastiquement entremêlés, son rêve d’incendie, celui d’El Majnoun grugeant le sien, essaimant de tous les rêves son chemin. Enfin, les envies d’évasion de cette jeune femme emprisonnée dans sa négritude d’abord, dans sa condition de femme ensuite .
Le réalisme de la fiction n’empêche pas, à travers sa convocation de la littérature orale, de créer son propre style oral. Ce style se caractérise par l'oscillation du texte entre le pôle métonymique de la fiction réaliste et le pôle métaphorique du récit de la parole conteuse. Cette oscillation permet au sujet d'écriture d'échapper à l'aphasie qui a symboliquement frappé Yasmine. C'est ce qui est donné à lire en texte à travers la définition du "mot" par le narrateur extra-diégétique, à la fin du roman:
 Les mots ne sont ici que plaintes élégiaques, qu’odes dérisoires pour conjurer les sortilèges du silence et les oraisons des vents. Et les odyssées de l’imagination qui, tous mythes allumés, labourent la lumière, parcourent furieusement le désert, ne sont que fallacieuses marches quand le corps est contraint à sa plus grande terreur, l’immobilité. Faut-il croire ce que racontent ceux des ksours, alors qu’il ne sont eux-mêmes que contes et mirages de regs brûlants? 
En conclusion, nous pensons pouvoir dire, que Le Siècle des sauterelles étant à la fois une fiction réaliste, enracinée dans l'HISTOIRE, et le discours d'une parole conteuse, contente à la fois le lecteur amateur d'écriture romanesque classique et le lecteur amateur de poésie qui imbibe la littérature orale et qui travaille l'écriture française de Malika Mokeddem. Il n'est que de relire la citation de Nedjma, à propos des "esclaves" :
"Ils n'ont pas d'histoire, ni racine, ni espoir. Ils ne sont que ce noir "  pour se convaincre de la tentation poétique de l'écriture à l'équilibre des rimes et sonorités de ce "vers".
Nous pouvons dire aussi que les textes de Malika Mokeddem ne font pas seulement référence à l’opposition binaire masculin / féminin mais à une écriture parmi d’autres qui rend compte, bien qu’en utilisant une langue standard, des imbrications linguistiques et culturelles en contestant la forme canonique.
L’auteur, comme le souligne Christiane Achour : « ne posant jamais la question de l’authenticité comprise au sens de pureté par rapport à une source unique ancestrale, cette oralité fondatrice a son prolongement dans la voix de l’institutrice qui introduit à la lecture et à d’autres histoires, dont la voix de la radio qui informe de l’histoire du pays en train de se faire (…).3

III- Nomadisme des mots et Projet romanesque en suspens.

1- Le nomadisme des mots.
Nous partons de l’idée que les œuvres de Malika Mokeddem, selon le principe de la marche des nomades qui, en arrivant à un point d’arrivée, doivent le quitter pour un autre point, sont des haltes qui se relaient, jouissant chacune d’une autonomie, mais se relayant et se réinventant dans ce déplacement. C’est « l’entre-deux » de ces différentes haltes qui prend toute sa consistance à la manière de la vie du conteur dont les bornes de ses contes « marquent le relais vers d’autres contes ».
Il n’y a donc pas d’arrivée pour le conteur dans cet espace interminable comme pour les protagonistes de Malika Mokeddem dans l’espace ouvert qui leur offre des possibilités d’aller et de retour entre passé et présent. Ce « seuil » est selon Bachelard  « un lieu de départ et d’arrivée ».
Si nous nous référons à la notion deleuzienne de Déterritorialisation, le nomade peut être appelé le Déterritorialisé par excellence, car contrairement au sédentaire qui « a un rapport avec la terre médiatisé par autre chose, régime de propriété, appareil d’état…Pour le nomade, au contraire, c’est la déterritorialisation qui constitue le rapport à la terre, si bien qu’il reterritorialise sur la déterritorialisation même. C’est la terre qui de déterritorialise elle-même, de telle manière que le nomade y trouve un territoire ».

La terre, nous disent Gilles Deleuze et Félix Guattari cesse d’être terre, et tend à devenir simple sol ou support ».
C’est dans ce désert algérien que l’écriture de Malika Mokeddem prend sa source. L’auteur est née le 5 octobre 1949 à Kenadsa, dans l’ouest du désert algérien. Le père d’abord nomade sur les hauts plateaux, devient sédentaire par contrainte socio-économique.

« Je suis née et j’ai grandi dans le désert algérien. J’habitais hors de mon village, une maison adossée à une dune, face à des étendues mornes, infinies ».

Ce n’est pas un hasard si le désert occupe une place privilégiée dans les romans de Malika Mokeddem car loin de se limiter à n’être qu’un objet métonymique, il en constitue le lieu de départ métaphorique d’une écriture qui retrace le lieu identitaire de l’écrivaine. Le désert échappe aux clichés exotiques habituels et reste intimement lié à la trame narrative de ses récits.
Le désert forme selon Najib Redouane « la caractéristique distinctive et primordiale du monde imaginaire de l’écrivaine qui œuvre à la réconciliation de l’être avec son passé, ses racines et son histoire ».

Dans Les Hommes qui marchent, Zohra, forcée à la sédentarisation survit en poursuivant sa marche dans ses contes. Elle s’adonne au « nomadisme des mots »1pour raconter le désert jusqu’à ce qu’elle devienne le désert : « Zohra était le désert ».
Malika Mokeddem marche sur les traces de ses ancêtres qui ont sillonné le désert. Son désir d’espace, de liberté, aussi bien le désert que la mer dans N’Zid, son sixième roman où le désert est remplacé par des espaces aquatiques et son nomadisme, s’abreuve à cette figure-source, conteuse analphabète qui lui a transmis le souffle irrésistible du conte, sa grand-mère. C’est donc par les contes que Zohra revit son nomadisme.
Le conteur est un nomade mais un nomade de mots.  Deleuze et Guattari  voient le nomade, selon Michelle Bacholle, « comme cet individu qui rejette l’espace strié, colonisé, civilisé, et qui cultive la déterritorialisation, qui fait le désert autant que le désert le fait et qui invente le nomadisme comme réponse à ce défi de déterritorialisation".
Zohra, dans Les Hommes qui marchent, donne sa définition du conteur :
[…] sachez qu’un conteur est un être fantastique.[…] Il trafique sa propre histoire, la refaçonne entre ses rêves et les perditions de la réalité. Il n’existe que dans cet entre-deux. Un « entre » sans cesse déplacé. Toujours réinventé.
Dans Le Siècle des sauterelles, Mahmoud et Yasmine parcourent certes, un désert « métonymique », le désert réel, lieu de tous les dangers mais surtout un désert « métaphorique » intériorisé, le désert de l’imaginaire, source d’écriture.
Yasmine devenue muette suite à l’assassinat de sa mère, une descendante d’esclaves africains, écrit sur le sable qui devient à la fois le support et la source d’écriture. Dans L’Interdite, Sultana qui revient sur les lieux de son enfance, réalise que le désert est incorporé en elle.
« Je n’aurai jamais cru pouvoir revenir dans cette région. Et pourtant, je n’en suis jamais vraiment partie. J’ai seulement incorporé le désert et l’inconsolable dans mon corps déplacé. Ils m’ont scindée ».


Au niveau de l’espace représenté, l’expérience émotionnelle de l’espace obsessionnel du désert devient pré-texte aux mots. Le texte introduit le lieu privilégié de la fiction qui prolongerait dans quelque origine lointaine.
Le désert s’avère être un point de départ à une véritable quête textuelle d’un phénomène insaisissable, toujours hors d’atteinte. Les personnages Mokedemmiens cherchent à retrouver leur seul territoire salutaire, leur seul refuge : l’écriture. Dans ce sens, le désert s’avère être, comme nous le verrons, la métaphore par excellence de l’écriture.


2- Suspension narrative et Projet romanesque en suspens.

Sur le plan de l’écriture, il nous semble intéressant d’apprécier les modalités mises en place pour ouvrir le texte sur d’autres espaces, sur plusieurs possibilités grâce à la non-clôture du récit et aux suspensions narratives dont use l’auteur. Les nombreux méta-récits dans la préparation du projet narratif permettent de préparer la mise en place du véritable territoire-refuge des protagonistes : celui de l’écriture.   
Les protagonistes de Malika Mokeddem en quête perpétuelle d’eux-mêmes sont des êtres errants obéissant à la loi du non-retour. Les espaces traversés et balisés par les allers et retours sortent du schéma classique d’une écriture réaliste où l’itinéraire du personnage épouse sa quête au niveau narratif.

Nomade du désert ou nomade des eaux, comme dans N’Zid, le manque de clôture du récit reste une constante de l’écriture Mokedemmienne où la fin du texte ouvre sur un autre texte en préparation, vers d’autres ouvertures romanesques.

Le manque de clôture à la fin de chaque roman et l’ouverture à l’errance infinie qui fait exister les protagonistes nous permet de dire que le texte de Mokeddem fonctionne à la manière d’une borne marquant le relais vers d’autres textes.
La suspension narrative caractérisant chaque excipit semble être une constante chez Mokeddem qui ouvre ses textes vers d’autres espaces, d’autres possibilités permettant la mobilité de ses personnages, voir leur survie. Il y a nécessité de raconter le désert par les mots pour survivre comme le dit Zohra la conteuse : « L’immobilité du sédentaire, c’est la mort qui m’a saisie par les pieds. Elle m’a dépossédé de ma quête. Maintenant, il ne me reste plus que le nomadisme des mots ».
L’immobilité est fatale pour l’auteur comme pour les nomades de sa race. Les siens dispersés et éclatés par la sédentarisation revivent par le conte.
Zohra dans Les Hommes qui marchent a commencé à raconter la généalogie de la famille à partir du moment où ses pieds ne foulaient plus les itinéraires nomades dans le désert : elle raconte contre l’oubli et la mort. La rupture viendra de Djelloul Ajalli surnommé Bouhaloufa, qui, voulant arrêter son errance pour apprendre à lire et à écrire, fut banni de la tribu.
Les fragments discursifs éparpillés à travers tout le texte mokeddemien semblent incorporer le récit de l’écriture comme récit s’installant dans des espaces « lisses » au sens deleuzien pour qui « (…) l’espace sédentaire est strié , par des murs, des clôtures et des chemins entre des clôtures, tandis que l’espace nomade est lisse, seulement marqué par des « traits » qui s’effacent et se déplacent avec le trajet (…) Le nomade se distribue dans un espace lisse, il occupe, il habite, il tient cet espace, et c’est là son principe territorial ».


Le sud, espace du désert, du nomadisme, des rêves, libère l’imaginaire. Les sédentaires sont mal perçus par les nomades : « curieux personnages que ceux qui vivent entre deux murs», d’autant plus qu’il y a au nord la présence de l’occupant français.
Sur le plan de l’écriture, l’immobilité est fatale pour les personnages de Malika Mokeddem. Les nomades dispersés et éclatés par la sédentarisation sont ressuscités par le conte, car conter c’est : « échapper à l’instant. C’est refuser de n’être jamais qu’une borne de sa course. Conter, c’est le saisir en plein ce temps. C’est le déplier en éventail de mots ».
Se préoccuper du temps est une « servitude de sédentaires » qui « mettent tout en chiffres, même la vie ». Dans ce Néant qu’est le Sahara, « le temps n’est que l’une des métaphores de la survie des gens ». Saisir le temps pour le déplier en éventail de mots. 
La perception du temps et de l’espace des protagonistes de Malika Mokeddem, en quête perpétuelle, permet de mettre en place le topos idéal où s’héberge le patrimoine de la mémoire nomade à travers une écriture-territoire d’exil, à l’exemple de beaucoup d’écrivaines comme Assia Djebar ou Leïla Sebbar.
Le discours réflexif sur le conte ou sa théorie fait partie de l’énonciation de la fiction. C’est le temps que l’on remplit de mots. Conter, « c’est le déplier (le temps) en éventail de mots ». Le temps est évalué en tant que durée de mots. Ce qui amène une réflexion sur la machine narrative de Malika Mokeddem qui revient sur l’errance des « hommes qui marchent » avant leur installation dans des espaces médiateurs entre la mobilité et la sédentarité : les ksours, à l’exemple de Nour dans La Nuit de la lézarde.
Zohra dans Les Hommes qui marchent a commencé à raconter la généalogie de sa famille à partir du moment où ses pieds ne foulaient plus les itinéraires nomades dans le désert. Elle raconte contre l’oubli et la mort.







CONCLUSION Conclusion

Il est vrai qu’il peut sembler inopportun d’isoler la littérature de femmes algériennes de l’ensemble de la littérature algérienne de langue française de la décennie des années quatre-vingt dix, que cette littérature soit l’œuvre d’auteurs hommes ou d’auteurs femmes.
Il est bien entendu que nous n’entendions pas isoler la question de l’écriture féminine dans le sens où l’écriture concerne de la même manière les hommes et les femmes.
Cependant, il est permis de dire que les femmes rendent compte, dans leur manière d’envisager l’écriture, de leurs conditions de vie dans une société essentiellement dominées par les hommes. Ecrire, c’est aussi essayer de sortir des mots de ce monde masculin dominant, de se redécouvrir avec l’élaboration de son propre langage, d’être inévitablement dans la transgression pour se faire entendre.
Ces voix, tout en affirmant leur présence sur la scène littéraire inscrivent les bouleversements sociaux et historiques que connaît leur pays, à l’exemple de la décennie tragique qui marque incontestablement un tournant quant à la présence de nouvelles voix féminines, de nouvelles formes d’écriture, dès lors, où, selon Odile Casenave :
« Ce qui était considéré jusu’alors du domaine du privé est passé dans la sphère publique. Dans un deuxième temps, la parole s’est faite plus agressive, plus revendicatrice sous un mode d’auto-représentation toujours plus élaboré. »
En fait, nous nous étions fondé sur une appréhension tout à fait empirique du phénomène dans le sens où le contexte socio-politique des années quatre-vingt dix a sa littérature sans forcément avoir sa critique.
Des auteurs, hommes ou femmes, comme Aziz Chouaki, Aïssa Khelladi, Abdelkader Djemaï,Latifa Ben Mansour MalikaMokeddem, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, , Hawa Djabali, Maïssa Bey, Malika Ryane, Hafsa Zinaï Koudil, etc., sont autant de noms qui s’inscrivent dans une littérature liée au contexte socio-politique des années quatre-vingt dix. Ces auteurs restent représentatifs d’une génération d’écrivains, la troisième pourrait-on dire, et d’une écriture, celle de la violence et de la peur.
Cette littérature explicitement connectée à un contexte violent a quand même bénéficié des faveurs de la presse, algérienne et étrangère. Des interviews d’écrivains, des compte-rendu de livres s’y rapportant et ce, dès leur parution. Cependant, il est à souligner que la valeur littéraire de ces textes a été souvent, soit oubliée, soit « mise en veilleuse » au profit de leur valeur de « témoignage-dénonciation ». Les journalistes s’appliquant à mettre en exergue l’adéquation entre les faits fictifs et les faits historiques.
Les spasmes de l’Histoire et les malheureux événements d’octobre 1988 avec la “décennie noire” qui leur a succédé ont engagé la littérature dans le sillage de l’écriture du témoignage, de l’urgence et de la violence. Cette écriture très diversifiée est souvent virulente à l’exemple de Aïssa Khelladi dans Rose d’abîme, de Yasmina Khadra dans Les agneaux du seigneur ou de Aziz Chouaki dans L’étoile d’Alger.
Il nous semble d’ailleurs tout à fait significatif que la plupart de ces écrivaines et écrivains sont journalistes de profession, et que leur premier organe d’expression ou d’écriture a d’abord été la presse libre de l’après octobre 1988. Nous pouvons citer, à ce titre, le nom de l’un des co-fondateurs de la création de la revue Algérie-Littérature/Action, Aïssa Khelladi qui était journaliste avant d’animer la revue. Le premier numéro de cette revue dont l’objectif consigné dans son éditorial est de « faire connaître et promouvoir la littérature algérienne actuelle » a été lancé en mai 1996, en France. La revue qui ne se définit pas comme une revue littéraire spécialisée mais comme espace pour de jeunes auteurs algériens, devient durant la décennie noire, une sorte de tribune dont les différentes rubriques, pourtant très diverses, gardent un centre d’intérêt commun : l’actualité algérienne marquée par la violence terroriste.
A des initiatives aussi marquantes que la diffusion de cette revue oscillant entre critique journalistique et critique littéraire universitaire, vient s’ajouter l’offensive des média audiovisuels qui vont contribuer, surtout en France, à la médiatisation de cette littérature en rapport toujours avec son contexte socio-historique.
Au-delà du fait qu’on attribue spécifiquement la notion d’écriture “de l’urgence”, de témoignage, à cette littérature qui obéit à la nécessité de dire vite, très vite même, une Algérie meurtrie, sans chercher à y déceler les écritures émergentes, des écritures qui tiendront la route grâce à leurs qualités esthétiques, nous prenons le  « risque » d’y rajouter un corpus qui constitue, selon nous, un paradigme, celui des écritures de femmes algériennes de langue française, dont il n’est pas facile, au-delà de leur valeur de « témoignage et de dénonciation », nous le reconnaissons, d’en cerner facilement les spécificités, sur le plan de l’écriture.
C’est cette prolifération d’écritures de femmes, cette occupation «soudaine » et majeure de la scène littéraire par les femmes qui nous a impressionné et qui a attiré notre attention. Certaines se sont fait connaître par la célèbre et exhaustive revue Algérie Littérature / Action, comme Ghania Hammadou, Maïssa Bey, Hawa Djabali, Malika Ryane, d’autres ont été éditées par des maisons d’édition connues, comme Malika Mokeddem, Latifa Ben Mansour, ou Hafsa Zinaï Koudil.
Comme la masculine, l’écriture féminine est diffusée en France surtout où elle est éditée, c’est une littérature expatriée de la même manière que ses auteurs, comme vouée à l’exil pour voir le jour. Cette littérature féminine très présente et pertinente surtout, dit aussi la violence, l’exclusion, la mémoire historique, en tant que littérature connectée à un référent tragique. Cependant, la question était de savoir si cette littérature pouvait constituer un corpus à interroger avec le recul nécessaire à sa circonscription en tant qu’objet d’étude, et si ce corpus pouvait constituer une entité singulière, à partir du moment où la différence sexuelle de l’écrivain(e) est mise en avant. Le postulat qui sous-tend donc notre démarche est que ce corpus pouvait constituer une entité singulière, autrement dit un paradigme dont il faut cerner les spécificités.
Aussi, c’est l’ensemble des œuvres littéraires de femmes algériennes des années quatre-vingt dix, qui, au départ, retiennent notre attention. Cependant, des auteurs, émergeant sur la scène littéraire algérienne et qui, au-delà de leur valeur de « témoignage d’une tragédie », vont s’imposer, non seulement grâce à leur valeur littéraire, mais aussi grâce à un contenu « subversif » de par le contexte culturel fortement marqué par l’autorité patriarcale soutenue par le discours religieux, à l’exemple de Malika Mokeddem.
L’œuvre de Malika Mokeddem qui comporte sept récits - dans le sens où le terme récit permet de lier fiction et récits autobiographiques- et deux récits ouvertement autobiographiques : La Transe des insoumis et Mes Hommes, est marquée par le contexte sociopolitique des années post-indépendance aggravé par les événements tragiques des années quatre-vingt dix.
Le dernier roman, Je dois tout à ton oubli, que nous n’avons pas exploité, étant donné les perspectives de recherche que nous nous étions fixées avant la parution du roman, explore un peu plus les méandres de l’enfance à travers l’obsession du souvenir d’une scène d'une violence absolue : « La main de la mère qui saisit un oreiller blanc, l’applique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie ».Cette image occultée depuis l'enfance va entraîner Selma dans son désert natal et lui faire revivre des moments qu'elle voulait oublier. Ainsi, le prétexte du retour à son désert natal comme dans L’Interdite, suite à la mort de son ami Yacine, est en fait le prétexte, pré-texte, à une mise en question de la relation à sa mère et à son père tel que confirmé dans ses deux autobiographies.
Dans la conclusion de notre thèse de Magister sur La conception de l’écriture dans l’œuvre de Malika Mokeddem : Le Siècle des sauterelles, Il nous avait apparu intéressant de questionner « cette poussée notable des écrivains femmes algériennes depuis les années 80-90. Des écrivains comme Malika Mokeddem, de Hawa Djabali et d’autres sur les traces de Assia Djebbar et de Leila Sebbar, ne cessent de résister au silence, à la voix dominante qui leur intime l’ordre de se taire tout en érigeant cette attitude en vérité féminine ».


Nous avions aussi souligné que, « après l’apparition de la violence, ces écrivaines privées du nécessaire retrait et de la solitude qui requiert l’acte d’écrire, ont été lancées dans la tourmente par le témoignage et la dénonciation » et que les questionnements à propos de cette littérature « féminine » restaient nombreuses. Nous nous sommes posé la question de savoir s’il s’agissait « d’une nouvelle écriture typiquement féminine ou d’une dynamique récente née dans la douleur et les larmes de la décennie 90 ? ».
Notre projet qui était d’interroger le discours littéraire d’un roman comme Le Siècle des sauterelles pour y lire l’inscription d’un sujet culturel, donc collectif, nous a orienté, vers d’autres pistes de lecture qui prennent en charge, dans le présent travail, une œuvre qui « vacille » entre « urgence », immédiateté et « création » (médiation esthétique). Cette tension entre réalité et poétique reflète parfaitement le parcours d’écriture de Malika Mokeddem dans le passage de romans de conteuse, à la réaction aux événements sanglants en Algérie dans L’Interdite et Des Rêves et des Assassins,en passant par La Nuit de la lézarde, qui constitue, selon nous, le roman de la médiation entre réalité et poétique avant que paraisse N’Zid, roman de la mémoire, reprenant un mythe de l’antiquité (l’Odyssée) mais s’inscrivant parfaitement dans la réalité algérienne contemporaine de l’auteur. La volonté d’aller un peu plus en avant dans un rapport intime, en tant que femme, avec la réalité, l’amène à entamer son cycle autobiographique avec La Transe des insoumis et Mes Hommes.
D’une façon générale, les textes de Malika Mokeddem, quel que soit le genre adopté, ont tendance à déconstruire une identité fixe. Dans la Poétique au féminin de l’auteur, le discours sur une identité hybride, marquée par la notion deleuzienne de rhizome, et par la notion de divers de Edouard Glissant, apparaît de pair avec l’activité créatrice, l’écriture, comme nous avons essayé de le montrer.
L’espace d’une écriture de femme est l’agent qui permet de déconstruire les structures qui agissent au stade du symbolique selon la terminologie de Bourdieu. Dans un contexte culturel marqué par l’autorité patriarcale et religieuse, l’écriture devient le lieu d’une reconstruction d’une identité marquée par l’appartenance sexuelle.
Dans cette optique, notre intention, derrière le rappel de la saga des écritures de femmes algériennes jusqu’aux années 90, est de mettre en relief l’originalité d’une femme écrivaine ayant commencé à écrire dès l’apparition des prémices de la tragédie algérienne, parallèlement à d’autres écritures féminines qui apparaissent en nombre durant cette décennie. Ce qui nous semblait singulier, chez Malika Mokeddem, se résume en sa capacité à échapper à une écriture de simple témoignage, alors que son projet narratif porte en lui tous les ingrédients référentiels de sa culture et de son époque : la rigidité de la culture arabo-musulmane, l’école qui constitue la planche de salut, l’oralité de sa grand-mère dans laquelle elle puise son inspiration et son courage, ses études de médecine, la montée de l’intégrisme, l’exil.
Parler d’une Poétique au féminin singulier revient à mettre le doigt sur la spécificité et la modernité de l’écriture de Malika Mokeddem qui occupe une place privilégiée sur le plan de la diégèse, et ce, aussi bien à l’intérieur de ses récits de fiction que sur le plan extradiégétique. Le lecteur constate, que contrairement aux récits ayant émergé pendant cette période, et qui privilégient la narration des faits, Malika Mokeddem reste obsédée par une réflexion sur l’écriture qui occupe, d’ailleurs, la plupart de ses personnages de fiction, jusqu’à devenir la voix en off de l’écrivaine. C’est en ce sens que, de notre point de vue, le rapport ludique à la langue, affiché par le texte, est un paramètre pertinent d'analyse. Comparable à celui des écrivains comme Mohammed Dib ou Kateb Yacine, ce rapport nous permet d'entrer véritablement en littérature, une littérature où la langue dominée, n’est plus un conditionnement mais un instrument d’exploration où toute forme de censure de l’imaginaire est bannie. La fascination pour l’écrit, « ces caractères inertes » dans une société nomade, société d’oralité, est à l’œuvre dans toute l’œuvre de Malika Mokeddem pour montrer le pouvoir salvateur des mots.
Cette écriture, comme nous avons essayé de le montrer, porte les traces d’une oralité héritée de son origine nomade. La fascination pour l’écrit, « ces caractères inertes » dans une société nomade, société d’oralité, est à l’œuvre dans toute l’œuvre de Malika Mokeddem pour montrer le pouvoir salvateur des mots.
Les nombreuses dichotomies telles oralité/écriture (sur laquelle nous avons insisté), monde précolonial/colonialisme, tradition/modernité, tradition arabo-musulmane/réalité française, sont représentées par des femmes dans un rapport de métissage et de sororité. L’écriture dans une langue étrangère permet l’affirmation de l’altérité :
Et puis c’est une langue étrangère, traversière, qui m’a cueillie dès l’enfance pour me frotter à l’altérité. C’est la langue de l’Autre qui est devenue l’intime. C’est elle qui a pallié les carences de la langue de l’enfance.
De la langue maternelle, elle ne garde que le verbe flamboyant de sa grand-mère. Envoutement pour les mots, pour le conte, legs passé à Zohra puis à sa petite fille, Leïla, dans Les Hommes qui marchent, à Mahmoud le poète puis à Yasmine sa fille muette à qui il a transmis l’amour des mots et l’écriture dans Le Siècle des sauterelles.
Au vu de la production romanesque de Malika Mokeddem qui recèle une immense information sociale et politique que le lecteur peut clairement identifier. Son pari d’exister singulièrement comme écriture a bel et bien été tenu, à travers un projet littéraire qui tient dans une ligne de conduite claire et lisible, celle d’écrire en français, dans la langue de l’autre, ce qui n’est pas possible à beaucoup de femmes algériennes d’aujourd’hui de dire sur la tragédie algérienne. Malika Mokeddem ne ressent aucunement comme problématique l’utilisation du français, langue par laquelle passe la nécessaire revendication d’une identité.



La voix (voie) rebelle qui s’est élevée pour crier sa colère contre un système oppressant qui laisse des traces au plus profond des individualités a trouvé sa récompense dans plusieurs prix décernés à ses romans, ainsi que dans la traduction de plusieurs de ses romans dans plusieurs langues.











BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE



Œuvres littéraires de Malika Mokeddem.


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Trudy Agar-Mendousse Violence et créativité de l’écriture algérienne au féminin, L’Harmattan, Paris, 2006.

Yolande Aline Helm, Malika Mokeddem : Envers et contre tout, L’Harmattan, Paris, 2000.

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 Op. cit. p. 7.
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 Ibid.
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 Ibid.
 Ibid. , p. 15.
Susan Ireland, « Les voix de la résistance au féminin : Assia Djebar, Maïssa Bey et Hafsa Zinaï-Koudil », in Carles Bonn, Najib Redouane, Yvette Bénayoun-Szmidt, Algérie : nouvelles écritures, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 51.
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 Op. , p. 15.
 Benjamin Stora, La Guerre invisible, Algérie, années 90, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2001, p. 11.
 Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner d’une tragédie ?,Op. , p. 33.
 Ibid.
 Paysages littéraires algériens des années 90. Témoigner d’une tragédie ? Op. ,cit. , p.7.
 Ibid, p. 7.
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 Idem. , p. 36.
 Ibid.
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 Traduite dans une quinzaine de langues, elle a été primée à plusieurs reprises. Elle a notamment reçu en 2000 le Prix de la paix attribué par les éditeurs et libraires allemands pour une œuvre littéraire qui plaide « en faveur des femmes des sociétés musulmanes ». En 2004, elle est pressentie pour le prix Nobel de littérature aux côtés de l’Américaine Joyce Carol Oates. Docteur honoris causa des Universités de Vienne (1995) et de Concordia (Montréal, en 2000), elle a été élue en 1999 à l’Académie royale de Belgique, au siège de Julien Green, avant d’être nommée Commandeur des Arts et des Lettres en France, en 2001, et de recevoir la Grande médaille de la Francophonie, décernée par l’Académie française.







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 Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu ont édité pour le centenaire de la mort de l’écrivaine, ses principaux écrits aux éditions Joëlle Losfeld, coll. Arcanes, entre 2002 et 2004. La citation figure au verso de Journaliers (2002)- Au pays des sables (2002) - Amours nomades (2003) - Sud Oranais (2003). Enfin Silhouettes d’Afrique (2004).
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 1Z. Ali-Benali, Le discours de l’essai de langue française en Algèrie. Mises en crise et possibles devenirs(1833-19 62), Presses Universitaires du Septentrion,Villeneuve d’Ascq, 2001.
 Pour reprendre le titre de l’ouvrage consacré à Malika Mokeddem, sous la dir de Yolande .Aline Helm(, )Malika Mokeddem : Envers et contre tout, L’Harmattan, Paris, 2000.
 M. Mokeddem, « De la lecture à l’écriture, résistance ou survie ? », Alger Républicain, 11avril 1994.

 Journal El Watan du 1er février 2007.
 Diwan d’inquiétude et d’espoir, essais sur la littérature féminine algérienne, Alger, ENAG, 1991.
 Idem, p. 9.

 Diwan d’inquiètude et d’espoir, op. cit, p. 10
 Noûn, Algériennes dans l’écriture, op. cit, p.13.
 Christiane Achour, Anthologie de la littérature algérienne de langue française, ENAP,Alger, 1990, p. 233. 
 Idem, p. 233.
 Jean Déjeux, « Littérature féminine de langue française au Maghreb », Itinéraires et contacts des cultures, L’Harmattan, 1989, pp. 145-153.


 Encyclopédia Universalis, Paris, 1990.
 Ibib.
 Noûn, Algériennes dans l’écriture, op. cit. , p. 23.

 J. Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Khartala, 1994. P. 9.
 Ibid., p.7.
 Ibid.
 Ibid., p.9.
 Ibid., p. 10.
 Bulletin de l’Enseignement des Indigènes de l’Académie d’Alger, n° 117, janv. 1900, article de Jeanmaire, recteur de l’Académie d’Alger.
 J. Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb,  0p, Cit, p. 11.


 Le Deuxième sexe, op. cit. p. 340.
 M. Mokeddem, La Transe des insoumis, Paris, Grasset, 2003, p.
2 Zineb Ali-Benali, Le discours de l’essai de langue française en Algérie, mises en crise et possibles devenirs(1833-1962),presses universitaires du septentrion,2001.
3 Revue éditée par le CREER,  Meknès, n°spécial de l’été 1946,p.141- 161.

4 La Chrysalide, Paris, Ed. des Femmes, 1972.
 J. Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb,  0p, Cit, p. 22.


 Fadela M’rabet, La femme algérienne suivi de Les Algériennes, Paris, Maspero, 1983,1ère édition : 1963 et 1965.
 Fadela M’rabet, La femme algérienne,op. cit., p.11.
1 Fadela M’rabet et T.M , MASHINO, L’Algérie des illusions, Paris, Laffont,1972..9.,
Djamila Debêche, Leïla, jeune fille d’Algérie, Imprimerie Charras, Alger, 1947.
 Marie Louise Amrouche, Jacinthe noire, Editions Charlot, Alger, 1947.
 Jean Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb,  0p, Cit, p. 22.
 Bouba Mohammedi-Tabti, « Regard sur la littérature féminine algérienne », Algérie Littérature/Action, Marsa Editions, n°69-70, mars-avr 2003, p. 77.
 Marguerite Taos Amrouche, Rue des tambourins, La Table ronde, Paris, 1960.
 Marguerite Taos Amrouche, L’Amant imaginaire, Nouvelle société More, Paris, 1975.
 Christiane Achour, Noûn, Algériennes dans l’écriture, op. cit. , p. 53.
 Christiane Achour, « Les stratégies génériques des écrivaines algériennes (1947-1999) conformités et innovations », Palabres, revue d’Etudes Africaines, Vol. III, n°1, 2000, p.236.

 Ibid.
 Ibid.
 Fadhma Aït Mansour, Histoire de ma vie, Maspéro, Paris, 1968 ;
 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Mireille Calle-Gruber, Assia Djebar ou la résistance de l’écriture, Regards d’un écrivain d’Algérie, Maisonneuve et Larose, Paris, 2001.
 Assia Djebar, La Soif, Julliard, 1957.
 Assia Djebar, Les Impatients, Julliard, 1958.
 Assia Djebar, Les Enfants du nouveau monde, Julliard, 1962.
 Assia Djebar, Poèmes pou r l’Algérie heureuse,Alger, SNED, 1967.
1 Histoire de l’Algèrie, destins de femmes : L’écriture du nomadisme dans « les Hommes qui marchent », Malika Mokeddem : Envers et contre tout, sous la direction deYolande Aline Helm, Paris,L’Harmattan, 2000.  
 Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Editions des Femmes, 1980.
 Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, Lattès, 1985.
 Assia Djebar, Les Alouettes naïves, Julliard, 1967.
 Mireille Calle-Gruber, Assia Djebar ou la résistance de l’écriture. Regards d’un écrivain d’Algérie, Maisonneuve et Larose, Paris, 2001, p.11.
 Assia Djebar, Entretien en français avec Renate Siebert, manuscrit, p. 60.
 Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, op. cit.  p. 171.

Mireille Calle-Gruber, Assia Djebar ou la résistance de l’écriture,Regards d’un écrivain d’Algérie, op.cit, p.24. 
 Ibid. p. 10.
 Beïda Chikhi, Les romans d’Assia Djebar, Alger, 1990.
 Assia Djebar, Ces voix qui m’assiègent, Albin Michel, 1999, p. 39.L’italique est dans le texte.
 Aïcha Lemsine, La Chrysalide : chroniques algériennes, Des femmes, 1976.
 Les stratégies génériques des écrivaines algériennes ( 1947-1999 ) conformités et innovations, op. cit., p. 237.
 Voir Christiane Achour, Entre le roman rose et le roman exotique « La Chrysalide » de A. Lemsine. Essai de lecture critique, Alger, ENAP, 1978. 
 Aïcha Lemsine, Ciel de porphyre, Simoen, 1978.
 Yamina Mechakra, La Grotte éclatée, SNED, Alger, 1979.
 Algérie Littérature/Action, op.cit., p.81.
2 La Grotte éclatée, p.
 Charles Bonn, « Paysages litéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin », in Charles Bonn et Farida Boualit (s. la dir.), op cit., p.10.

 Algérie Littérature/Action, n° 69-70, op. cit., p.81. 
 Ibid.
 Algérie Littérature/Action, n° 69-70, op. cit., p.81-82.
 Djanet Lachmet, Le Cow-Bow, Belfond, Paris, 1983.
 Myriam Ben, Sabrina, ils ont volé ta vie, L’Harmattan, Paris, 1986.
 Myriam Ben, Ainsi naquit un homme, La Maison des livres, Alger, 1982.
 Hawa Djabali, Agave, Publisud, Paris, 1983.
 Hawa Djabali, Glaise rouge. Boléro pour un pays meurtri,Marsa éditions, 1998.
 Noûn, Algériennes dans l’écriture, op. cit., p. 244.
 Op.cit.
 Leïla Sebbar, Fatima ou les Algériennes au square, Stock, 1981.
 Leïla Sebbar, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, Stock, 1982.
 Leïla Sebbar, Le Chinois vert d’Afrique, Stock, 1984.
 Leïla Sebbar, Parle mon fils, parle à ta mère, Stock, 1984.
 Leïla Sebba, Les Carnets de Shérazade,,1985.
 Leïla Sebbar, J. H cherche âme sœur,Stock, 1987.
 Leïla Sebbar, Les Lettres parisiennes, autopsie de l’exil, B. Barrault, 1986.

 Bernard Mouralis, Les contre-littératures, PUF, 1975.
 « Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ? » Op. Cit.
 Front islamique du salut.
 Dalila Lamarène-Djerbal, « La violence islamiste contre les femmes », Revue Naqd, n° 22/23, Centre National du Livre, Alger, 2006, p.104.
 Idem.
 Dalila Lamarène-Djerbal, « La violence islamiste contre les femmes », op.cit., p.105.
 La guerre invisible, Algérie, années 90, op. cit. p. 13.
 Op.cit. , p. 20.
 Benjamin Stora, La guerre invisible. Algérie, années 90, op.cit., p. 99.
 Ibid.
 Hafsa Zinaï-Koudil, Sans voix, Plon, Paris, 1997.
Rachid Mokhtari, La Graphie de l’horreur, op. cit., p.25.

 Paysages littéraires des années 90 : témoigner d’une tragédie ?, op. cit., p. 17.
 Christiane Achour, »Les stratégies génériques des écrivaines algériennes (1947-1999) conformités et innovations », Palabes, Vol . III, N°1&2, avril 2000, Bremen, p. 240.

 Benjamin Stora, La Guerre invisible, Algérie, années 90, op. cit., p. 99.

 Op. cit., . p. 100.

 Susan Ireland, « Les Voix de la résistance au féminin : Assia Djebar, Maïssa Bey et Hafsa Zinaï Koudil », in « Algérie : Nouvelles écritures », Etudes littéraires maghrébines, n° 15, L’Harmattan, 2001, p.51.

 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’unetragédie ?, op. cit., p.53.

 Op. cit., p.36.
 Noûn, Algériennes dans l’écriture, op. cit., p. 49.
 Ibid.
 Op. cit., p.50.
 « Pysages littéraires des années 90 », op.cit., p.36.
 Algérie Littérature/Action, Numéro spécial ‘‘ 5ème anniversaire’’, Marsa Editions, mai-juin 2001.
 Id., pp.70-71.
 Ghania Hammadou, Le Premier jour d’éternité, Marsa, 1997.
 Ghania Hammadou, Paris plus loin que la France, Paris-Méditerranée, 2001.
 Djamel Amrani, La Graphie de l’horreur, op. cit., p.23.
 Soumya Ammar Khodja, « Ecritures d’urgence de femmes algériennes », Clio, numéro 9- 1999, Femmes du Maghreb, mis en ligne le 29 mai 2006. URL :  HYPERLINK "http://clio.revues.org/index289.html" http://clio.revues.org/index289.html. Consulté le 25 mai 2009.

 « Paysages littéraires algériens des années 90 », op.cit., p. 37.

 Soumya Ammar Khodja, « Ecritures d’urgence de femmes algériennes », op.cit.
 Assia Djebar, Oran, langue morte, Actes Sud, 1997, p. 378.
 Najib Redouane, A la rencontre de Malika Mokeddem, in Malika Mokeddem, op., cit, p. 26.


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 Fériel Assima, Une femme à Alger, Chronique du désastre,Arléa, Paris, 1995.
 Naïla Imaksen, , La troisième femme d’Ismaël, Chronique algérienne, Le Fennec,1994.
 Fatiah, Chronique d’une femme dans la tourmente, Editions de l’Aube Paris, 1996.,
 Nina Hayet, La nuit tombe sur Alger la blanche, Chronique d’une Algérienne, Tirésias, Paris, 1995.
 Malika Ryane, Chronique de l’impure,,Revue Algérie Littérature/Actiob n° 7-8, Paris, 1997.,
 Soumya Ammar Khodja, « Ecritures d’urgence de femmes algériennes », op.cit.

 Aristote, Poétique, 1449 b 24-31.
 Paysages littéraires algériens des années 90, op. cit. p. 31.
 Paysages littéraires algériens des années 90, op. cit. p. 35.
 In Le Théâtre et l’existence, Aubier, 1952, cité par P. Ricœur dans « Sur le tragique », Esprit, mars 1953, p. 455.
 In « Résurrection de la tragédie », Esprit, numéro spécial, mai 1965, p. 998.
  Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op. cit., p. 33.

 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op.cit., p.99.
 George Steiner, La Mort de la tragédie, Le Seuil, Paris, 1965, p. 9.
 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op. cit., p.100.
 Ghania Hammadou, Le premier jour d’éternité, Revue Algérie Littérature/action,n° 12-13, Marsa éd, 1997.
 Algérie Littérature/Action, Numéro spécial ‘‘ 5ème anniversaire’’, op.cit., p.100.
 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op.cit., p. 97.
 Op. cit., p.
 Malika Ryane, « Algérie Littérature/Action, n° 51-52, mai-juin 2001, Numéro spécial ‘‘,5ème anniversaie’’, p. 71.
 Paysages littéraires algériens, op.cit., p.99.
 Chronique de l’impure, op.cit., p. 87.
 Latifa Ben Mansour, La Prière de la peur,La Différence, 1997.
 Latifa Ben Mansour, Le chant du lys et du basilic, Lattès, Paris, 1990, rééd. 1998, La Découverte
 Latifa Ben Mansour, L’année de l’éclipse, Calmann-Lévy, 2001.
 Rachida Titah, Un Ciel trop bleu, Seuil, Paris, 1998.
 Leïla Marouane, Le Châtiment des hypocrites, Seuil, Paris, 2001.
 Algérie Littérature/Action, n° 69-70, op. cit., p.81. 
 Hafsa Zinaï Koudil, La Fin d’un rêve, ENAL, Alger, 1984.
 , Le Pari perdu, ENAL, Alger, 1986.
 , Le Papillon ne volera plus, ENAP, Alger, 1990.
 , Le Passé décomposé, ENAL, 1992. 
 , Sans Voix, Plon, Paris, 1997.
 Christiane Achour, Anthologie de la littérature algérienne de langue française, Bordas, Paris, 1990, p. 273.
 Ibid.
 Maïssa Bey, Au commencement était la mer, Revue Algérie Littérature/ Action, n° 5 ? Paris,  1996.
 Algérie Littérature/Action, n° 51-52,Marsa Editions, p. 52.
 Algérie Lttérature/Action, op.cit., p.53.

 Ibid, p. 53.
 Ibid.
 Maïssa Bey, Au commencement était la mer, op.cit., p. 45.
 Marc Angenot, La parole pamphlétaire, Payot, Paris, 1982, p.24.
 Journal El Watan du 16 août 1995.
2 M. Mokeddem, L’interdite, Paris, Grasset, 1993.
3 M. Mokeddem, Des Rêves et des assassins, Paris, Grasset, 1995.
 Ibid, p. 98.
 Christiane Chaulet Achour, Malika Mokeddem, Métissages, Editions de Tell, Blida, 2007, p.36.
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 Assia Djebar, Le Blanc de l’Algérie, Albin Michel, 1996..
 Assia Djebar, Oran, langue morte, Actes Sud, 1997.

 Mireille Calle-Gruber, Assia Djebar ou la résistance de l’écriture, Regards d’un écrivain d’Algérie, Maisonneuve et Larose, Paris, 2001.
 Oran, langue morte, op.cit., p. 211.
 En référence à son recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement, Editions des femmes, Paris, 1980.
 Hawa Djabali, Cinq mille ans de la vie d’une femme, Bruxelles, 1996.
 Hawa Djabali, Le Zajel maure du désir, Les éditions du centre culturel arabe, Paris, 1998.
 Phillipe Hamon, Du Descriptif, Hachette, Paris, 1996.
 Glaise rouge, op.cit., p.
Christiane Achour, Noûn, Algériennes dans l’écriture, op.cit., p.154.
 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op.cit., p. 17.
 Algérie Lttérature/Action, op.cit., p. 101.
 Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie, op.cit., p. 42.
 Ibid.
1 Présentation de N.Abdi, A.Khatibi, et A.Meddeb, Du Maghreb, Les Temps modernes, octobre 1977.
 Z. Ali-Benali, Le discours de l’essai de langue française en Algèrie. Mises en crise et possibles devenirs (1833-1962), Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2001.


 Dalila Lamarène-Djerbal, « La violence islamiste contre les femmes », Revue Naqd, n° 22/23, Centre National du Livre, Alger, 2006, p.107.
 Camille Lacoste-Dujardin, « Etat, religion et femmes au Maghreb », CISR , Actes 17ème conférence intrnationale de sociologie des religions, Londres, 1983.
 F. Mernissi, Sexe, idéologie, Islam, Paris, Ed. Tierce, 1983.


 Mes Hommes, op.cit., p.6.
 Ibid.
 1Malek Chebel, Mères, sexualité et violence, in Etre femme au Maghreb et en Méditerranée, du mythe à la réalité, sous la direction de Andrée Dore-Audibert et Souad Khodja, Paris, Khartala, 1998. P.53.
 Fadila Choutri, Des mères et leurs filles : de l’emprise à la fascination, in Femmes et Hommes au Maghreb et en immigration. La frontière des genres en question. Etudes sociologiques et anthropologiques, Publisud, 1998.

 Mes Hommes, op.cit., p. 6.
 Revue Passerelles, n° 11  Septembre 2006, p. 12.
 S. Rezzoug, « Ecritures féminines algériennes : Histoire et société », The Maghreb Review, 9 (3-4), 1984, pp. 8-89.
 Béatrice Didier, L’écriture-femme, op.cit., p. 16-17.
 In Avertissement à La Transe des insoumis, op.cit.
 Ibid.
 Gérard Genette, Seuils, Seuil, coll. Poétique, Paris, 1987.
 Malika Mokeddem, sous la direction de Najib Redouane, Yvette Bénayoun-Szmidt, Robert Elbaz, op.cit., p.104.
 Michel Serres, « Les corps mêlés » in L’identité française. 
 L’Interdite, op.cit., p. 23.
 J.Kristeva, Etrangers à nous même, Fayard, Paris, 1988, p.23.


 Françoise Lionnet, Autobiographical Voices : Race, Gender, Self Portraiture, Ithaca, Cornell Université Press, 1989, p.6.
 L’interdite, op. cit, p.47.
 Ibid, p. 42.
 Jean Luc Nancy, L’Intrus, Galilée, Paris, 2000, p. 11-12.
 L’Intrus, op.cit, p. 12.
 Malika Mokeddem : Envers et contre tout, op.cit., p.227 
 Ibid, p.226.
 Ibid, p. 228.
 L’Interdite, op.cit., p.202.
 L’Intrus, op.cit., p.31. 
 Ibid.
 Julia .Kristeva, Etrangers à nous –mêmes, Fayard, Paris, 1988.
 L’Interdite, op.cit., p. 87.
 L’interdite, op. , cit . pp. 65-66.

 Yolande Aline Helm, Malika Mokeddem, envers et contre tout, L’Harmattan, Paris, p.7. 
 Ibid.
 Malika Mokeddem, « De la lecture à l’écriture : résistance ou survie ? », La Nouvelle République, n° 231, 6-7 nov, 1998
 In Christiane Achour, Noûn, Algériennes dans l’écriture, op.cit., p.175-176.
 L’écriture-femme, op.cit., p.18.
 Noûn, A lgériennes dans l’écriture, op.cit., p.97.
 Malika Mokeddem, à part, entière, Entretien avec Lazhari Labter, Ed Sedia, 2007, p.15.
 Les Hommes qui marchent, op.cit., p.10-11.
 Ibid., p. 321.
 Les Hommes qui marchent, op.cit., p.321.
 Ibid, p.16.
 Malika Mokeddem, Entretien avec Lazhari Labter, op.cit., p. 17.
 Ibid, p. 59.
 La Transe des insoumis, op.cit., p. 57.
 Ibid, p. 59.
 Les Hommes qui marchent, op.cit., p. 321.
 Malika Mokeddem, à part, entière, « Entretien avec Lazhari Labter, op.cit., p.16.
 In La Nouvelle République, n° 231, 6-7 nov 1998. 
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 Philippe Lejeune, L’Autobiographie en France, A. Colin, Paris, 1971.
 Alain Robbe-Grillet, Le Miroir qui revient, Minuit, Paris, 1985, p. 13. 

 Serge Doubrovsky, L’Après-vivre, Grasset, 1997, p. 

 J. Gardes, M.C. Hubet, Dictionnaire de critique littéraire, Ed A.Colin/Masson, 1996. réed Cérès, coll. « Critica », 1998.
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 Fatima Mernissi, Le hatem politique, le Prophète et les femmes, Albin Michel, Paris, 1987, p.32.

 . Farida Boalit, « Le Blanc de l’Algérie ou le miroir brisé de l’autobiographie d’Assia Djebar », in L’autobiographie en situation d’interculturalité, Tome II, (dir) Afifa Bererhi, Editions du Tell, Blida, 2004. pp 339.   
 Idem, p. 340.
 Ibid.
 Idem, p. 340-341.
 Jean Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, Presses Universitaires de France, 1999.

 Ibid, p. 135.
 Farida Boualit, « Le Blanc de l’Algérie ou le miroir brisé de l’autobiographie d’Assia Djebar », op.cit., p.341-342.
 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, Julliard, Paris, 1954.
 Farida Boualit, « Le Blanc de l’Algérie ou le miroir brisé de l’autobiographie d’Assia Djebar », op.cit., p.341.

 Christiane Achour, Noûn, Algériennes dans l’écriture, atlantica, Biarritz, 1998, p.97.
 Christiane Achour, Noûn, Algériennes dans l’écriture,op.cit., p. 236.
 Christiane Achour, (s. la dir.) Diwan d’inquiétude et d’espoir. La littérature féminine algérienne de langue française, Alger, ENAG, 1991, p. 26.
 B. Stora, « Women’s Writing between Two algerian Wars », Research in African literatures, Volume 30.3, 1999, p.81.
 J.Déjeux, La littérature féminine de langue française au Maghreb, op.cit., p.109
 Trudy Agar-Mendousse Violence et créativité de l’écriture algérienne au féminin L’Harmattan, Paris, 2006, p.14.
 Ibid.
Christiane Achour,, Noûn’Algériennes dans l’écriture, op.cit., p.176.

 Christiane Achour, Malika Mokeddem, Métissages,, Ed du Tell, Blida, p. 64.
 Algérie Littérature/Action, Marsa Editions, n° 1,  Alger, 1998
 Yolande Aline Helm, Malika Mokeddem : Envers et contre tout, op.cit., p. 7-8.
 Martine Mathieu, « Pour l’autobiographie », propos recueillis par Michel Delon, p.22, Le Magazine littéraire (2002), n° 409, Mai, dossier « Les écritures de soi ») 
 Trudy Agar-Mendousse, Violence et créativité, de l’écriture algérienne au féminin, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 107-108.
 Mireille Calle-Gruber,Histoire de la littérature française du XXème siècle ou Les Repentirs de la littérature, Honoré Champion, Paris, 2001, p. 23.
 Christiane Achour, Malika Mokeddem, Métissages, op.cit., p.146.

 Jacques Derrida, « Fourmis », in Lectures de la différence sexuelle, textes réunis et présentés par Mara Negron, Paris, Des femmes, 1994, p. 72-73.

 Mes Hommes, op.cit., p. 12.
 Mes Hommes, op.cit., 4ème page de couverture.
 Ibid, p. 13.
 Ibid, p. 5.
 Nourredine Saadi, « Pères de filles », in D’Algérie et de femmes, coordinatrice Dalila Morsly, Atelier d’écriture animé par Fatima Mernissi, Fridrich Ebert Stiftung- Groupe Aicha, 1994, p.128.

 Mes Hommes, op.cit., p. 5.
 Ibid, p. 10.
 Ibid.
Julia Kristeva, Entretien, Cahiers de recherches Paris VIII, Femmes et institutions littéraires n° 13, 1984, p. 63.

 La Transe des insoumis, op.cit., p. 117.
 Camille Lacoste-Dujardin, « Etat, religion et femmes au Maghreb », CISR , Actes 17ème conférence intrnationale de sociologie des religions, Londres, 1983.

 Mes Hommes, op.cit., p. 7-8.
 Mes Hommes, op.cit., p. 6.
 Ibid.
 Ibid.
 C. Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes, maternité et patriarcat au Maghreb, La Découverte, Paris, 1985, p.59.
 Mes Hommes, op.cit., p. 10.
 Ibid, p. 12.
 Ibid, p. 5.
 Yvette Bénayoun-Szmidt, Robert Elbaz, Najib Redouane, « Genèse d’une œuvre, basée sur des entretiens avec Malika Mokeddem à Montpellier, France » dans Malika Mokeddem, op. cit., p. 280.
 Yolande Aline Helm, Malika Mokeddem, envers et contre tout, L’Harmattan, Paris, 2000, p.41.
 Ibid, p. 41-42.
 « Algérie à plus d’une langue », sous la dir de Mireille Calle-Gruber, Etudes littéraires Vol 33 N° 3, Automne 2001, p.69.


 Assia Djebar, Vaste est la prison, Ed Albin Michel, 1995, p. 14.
 Ibid, p. 14-15.
 Assia Djebar, L’Amour, la Fantasia, J-C Lattès/ENAL, Paris/Alger, p. 203.
 A. Djebar, L’Amour, la Fantasia, Jean-Claude Lattès, 1985, p. 204, réédition, A Michel, 1995.
 Vaste est la prison, op.cit., p. 11.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit., p. 202.
 Ibid. p. 255.
 Ibid. p. 190. 
 Passerelles, Mensuel culturel n° 11, sept 2006. 
« Entretien avec Nacera Benali », El Watan, 16 août 1995.
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 Algérie Actualité, n° 1459, 28 septembre au 4 octobre 1993.
 L’Interdite, op. cit., p. 32-33. 
 Journal El Watan, 16 août 1995.
 Noûn, Algériennes dans l’écriture, op.cit., p. 178-179.
 Christiane Achour, Malika Mokeddem, Métissages, Ed du Tell, Blida, 2007, p. 25.
 Yolande Aline Helm, « Entretien avec Malika Mokeddem », in Malika Mokeddem, envers et contre tout, op.cit., p. 50.
 Malika Mokeddem, Je dois tout à ton oubli, Grasset, Paris, 2008, p. 11.
 Mireille Calle-Gruber, Histoire de la littérature française du XXème siècle ou les repentirs de la littérature, Honoré Champion Editeur , Paris, 2001, p. 18.
 Edouard Glissant, Introduction à une Poétique du Divers, PUM, Montréal, 1995, p. 62.


 Ibid.  
 Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, La Découverte, Paris, 1995, p. 73.
 Petit Robert 1990, s.v. « identité, p. 957.
 Allen Wheelis, The Quest for Identity, New York, 1958, p. 19.
 Birgit Mertz-Baumgartner, « Identité et écriture rhizomiques au féminin », in Malika Mokeddem, op.cit., p. 124.
 G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, PUM, 1995.
 E. Glissant, Introduction à une Poétique du Divers, PUM, Montréal, 1995, p.124

 Op. cit., p. 14.
 Op. cit., p. 23.
 Op. cit., p. 15.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit., p. 155.
 M . Mokeddem, La Transe des insoumis, op.cit., p. 39.

 Les Hommes qui marchent, Op.cit., p. 111.

 Paroles de M.M, citées d’après Christiane Achour et Lalia Kerfa in Malika Mokeddem envers et contre tout, sous la dir de Yolande Aline Helm, Helm, op.cit., p22.

 Ibid., p. 17.
 Ibid., p. 41.
 Les Hommes qui marchent, op.cit., p. 321.
 Assia Djebar, L’Amour, la fantasia, p. 207.
 T. Yacine, « Langue et domination. Statut social et/ou mélange des genres », in « Algérie à plus d’une langue », sous la dir de M. Calle-Gruber, Etudes littéraires, vol 33, n° 3, Automne 2001, Ed Marthe Larouche, Laval, p. 66.

 Malika Mokeddem, « langue, ô ma langue », Le Monde, mardi 2 juin 1991, p.2.
 Je dois tout à ton oubli, op.cit., p. 96.
 C. Bonn, « Romans féminins de l’immigration d’origine maghrébine. En France et en Belgique », Notre librairie, N° 118, juillet-septembre, 1994, p.99 et p. 101. 

 Roland Barthes, Leçon, Seuil, Paris,  1978.
 G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, op.cit., p.471.
 Mille Plateaux, op.cit., p. 631.
 Introduction à une Poétique du divers, op.cit., p. 59.
 Ibid.
 Mille Plateaux, op.cit., p. 472.
 La nouvelle REPUBLIQUE, n°231, 7 nov 1998.
 De la page 276 à la page 279.
 Le Siècle des sauterelles, p. 279.
 L’Interdite, p. 65.
 Des Rêves et des assassins, p. 145.
 Ibid., p. 155.
 Le Siècle des sauterelles, p. 279.
 Michel Le Bris et Jean -Claude Izzo, Méditerranées, Librio, Paris, 1998, p.19-20.
Malika Mokeddem, Méditerranées-Anthologie, Librio, n° 219, juillet 2008.
 N’Zid, op. cit. p. 22.
 Ibid., p. 64.
 Ibid., p. 65.
 Mille Plateaux, op.cit., p. 36.
 Ibid., p. 472.
 Les Hommes qui marchent, p. 12.
 Assia Djebar, Ces voix qui m’assiègent, Des Femmes, Paris, 1999, p.139.

Interview avec Christiane Achour, « Place d’une littérature migrante en France. Matériaux pour une recherche », Charles Bonn (Ed.), Littératures des Immigrations, Tome II. L’Harmattan, 1995, Paris,  p.123-124. 

 Les Hommes qui marchent, op.cit., p. 11.
 B. Didier, L’écriture-femme, PUF, Paris, 1973, p.17.   
 V. Propp, Morphologie du conte, Poétique/Seuil, 1970. 

 M. MOKEDDEM, , “Eux, ils ont des mitraillettes et nous, on a des mots“, in Algérie/ litterature/ Action / Alger, Ed.Marsa, n° 22, 1998.

 Farida Boualit, 1995, « L’ogresse farésienne : de l’oral du conte à l’oralité du texte dans la désécriture/ réécriture de l’histoire », in Langue et littérature, n°6, 1995. 
 Julia KRISTEVA, ,« Le sujet en procès », in L’Identité, séminaire interdisciplinaire, 1974-1975, Ed. Grasset, Paris, 1977.

 Claude HAGEGE, L’Homme de paroles, , Ed. Fayard, Paris, 1985.
 Claude Hagège, op.cit., p.110.  

 Tous nos propos se réfèrent au texte de son intervention, intitulé "Le sujet en procès", au séminaire de C. Levi Strauss, publié sous le titre L'Identité, Grasset et Fasquelle, 1977.

 Emile Benveniste, , Problèmes de linguistique générale, s, Gallimard. Pari 1966


 Le Sujet en procès, op.cit., p. 16.
 Farida .Boualit, op.cit, p.26.

 PROPP, V., 1970, Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit. , p.33.
 Le siècle des sauterelles, op.cit. , p.279
 Gérard Genette, Figures III, seuil, 1972. L’itératif pour Genette, est ce type de récit, où une seule émission narrative assure l’ensemble plusieurs occurrences du même événement ».

 Nous soulignons toutes les formules citées dans ce passage
 Le Siècle des sauterelles, op., p. 277.
 Quand dire c’est faire, Seuil, 1970, pour la version française.
 idem, P.47
 Idem
 Idem., p.p , 41- 42
 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.178

 Idem, p. 156.
1 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p. 156.
 Idem , p.157.

 Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, , Seuil, Paris, 1983.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit., p.137.

 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.118. 
 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.127. 


 Ibid.
 Le Siècle des sauterelles, op. cit. , p.114. 

 Idem, p. 131.
 Sushana.Felman, La folie et la chose littéraire, Paris, Seuil ,1978.

 Le Siècle des sauterelles, op.cit. , p. 114. 
 Idem, p. 123.

 Idem, p. 126.
 Idem, p. 237.
 Idem, p. 127.
 Idem, p. 126.
 Réflexion faite en référence aux travaux de Roman Jakobson, "Deux aspects du langage et deux types d'aphasie" in Essais de linguistique générale, Minuit, Paris,1963.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit. , p. 279.

3 C. Achour, La matière contique dans l’écriture de Malika Mokeddem, Confluences XIX, «  écritures de femmes : la problématique du dedans et du dehors », articles réunis par Corinne Alexandre- Garner, Univ. De ParisX- Nanterre ? Publédix, 2001.





 M. Bacholle, op.cit.p.70
 . Bachelard, La poétique de l’espace, 3ème ed. Paris, Presses Universitaires de France, 1994
 Mille Plateaux, op.cit., p. 473.
 Mille Plateaux, po.cit., p. 473.
 C.Achour, Noûn- Algériennes dans l’écriture,Op.cit.P.174.
 Najib Redouane, Malika Mokedem, op.cit., p.23.

 Les Hommes qui marchent, p. 11.
 1 M. Bacholle, « Ecrits sur le sable : Le désert chez Malika Mokeddem », in Malika Mokeddem : Envers et contre tout (sous la direction de Yolande Aline Helm), L’Harmattan, Paris, 2000, p.70.
 G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, Paris, Les Editions de Minuit, p.472.
 Le Siècle des sauterelles, op.cit., p.12.

 M. Mokeddem, L’interdite, Grasset, Paris, 1993, p. 11.
 Les Hommes qui marchent, op.cit., p. 11.
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie, op.cit., p.472.

 Les Hommes qui marchent, p. 17.
 Le Siècle des sauterelles, p. 276.
 Les Hommes qui marchent, p. 10.
 Ibid.
 Ibid.
 Odile Casenave, Femmes rebelles- Naissance d’un nouveau roman africain au féminin, L’Harmattan, 1996, p. 13. 
 Je dois tout à ton oubli, op.cit., p. 11.
 Thèse de Magister soutenue par Nasser BENAMARA, La conception de l’écriture dans l’œuvre de Malika Mokeddem : ‘‘Le Siècle des sauterelles’’, sous la direction de Farida Boualit, Université de Béjaia, sept 2000.
 Ibid, p. 193.
 Ibid.
 Ibid.
 La Transe des insoumis, p. 219.
 Les Hommes qui marchent a obtenu en France le prix Littré et le prix collectif du festival du premier roman de Chambéry. En Algérie, le prix de la fondation Nourredine ABA. Son second roman, Le Siècle des sauterelles, a été récompensé par le prix Afrique Méditerranée/Maghreb de l’ADELF ( Association des écrivains de langue française) en novembre 1992. Puis L’Interdite avec la mention spéciale du jury Fémina en 1993.