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Document 1 : Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey. ....
Certains se font même une spécialité de corriger les fautes d'orthographe, ... Des
jeunes qu'on disait perdus pour l'école développent une technicité ou une .....
Jusque-là, considérons ces abus comme bénins, sans réelle signification sous-
jacente .
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Séance 1 : « Paroles, échanges, conversations, et révolution numérique » : dune définition à lautre.
Supports : 7 documents
1. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française.
2. Samuel Beckett Fin de Partie, 1957
3. La Bruyère, Les Caractères, 1688
4. William Hogarth, La Famille Strode, vers 1738
5. Edouard Molinaro, Le Souper, 1992.
6. Eve Suzanne, « Révolution informationnelle et révolution numérique », 08/10/2010,
7. Michel Berry et Christophe Deshayes, Les vrais révolutionnaires du numérique, Autrement, Paris, 2010.
Document 1 : Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey.
Parole : nom féminin issu en 1080 du latin chrétien « parabola » (
). « Rustica parabola » sert à désigner la langue vulgaire.
Parabola « faculté dexprimer par le langage parlé » a supplanté le latin classique « verbum » dans lensemble des langues romanes.
Généralement « parole » désigne en général lexpression orale, verbale des contenus de conscience et le langage oral considéré par rapport à lélocution, au ton de la voix, là où le français moderne emploie le mot « voix ».
Essentiellement, « parole » désigne la faculté dexprimer sa pensée par le langage articulé (1165). [
] Par métonymie, « parole » désigne aussi (
) la suite de mots, le discours exprimant une pensée.
Echange : le mot désigne une communication réciproque (de renseignements, de documents, etc.), doù au figuré échange de politesses, échange de vues, échanges de coups.
Conversation : emprunté au latin impérial « conversatio » < « conversari » (cum = avec et versari = se tourner) qui signifie fréquentation, commerce, intimité.
Jusquau XVIIème siècle, le mot signifie « genre de vie, conduite » et « relation ». (
) Dès 1537, il possède aussi le sens « déchange de propos familiers » qui simposera. Généralement familière, la conversation a aussi été conçue par les précieux du XVIIème siècle comme un genre littéraire noble au sens d « entretien savant ». (
) Depuis, le mot désigne spécialement un entretien entre personnes responsables, en petit comité et souvent à huis-clos (notamment en diplomatie).
Par métonymie, il concerne la manière de parler de quelquun et ce quil dit (familièrement : avoir de la conversation) ainsi quune assemblée de gens qui conversent. (
) Le mot sapplique aussi (
) en art, à des tableaux de genre représentant une assemblée de gens qui bavardent, probablement daprès langlais conversation piece.
Document 2 : Extraits de Fin de Partie de Samuel Beckett, 1957
Extrait 1
Nagg.- Je gèle. (Un temps.) Tu veux rentrer ?
Nell. Oui.
Nagg. Alors rentre. (Nell ne bouge pas.)
Extrait 2
Nagg. Tu peux me gratter le dos ?
Nell. Non. (Un temps.) Où ?
Nagg. Dans le dos.
Nell. Non.
Extrait 3
Hamm (bas). Cest peut-être une petite veine. (Un temps.)
Nagg. Quest-ce quil a dit ?
Nell. Cest peut-être une petite veine.
Nagg. Quest-ce que ça veut dire ? (Un temps.) Ca ne veut rien dire (Un temps.)
Document 3 : La Bruyère, Les Caractères, 1688
6 (IV) L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l'usage, mais leur bizarre génie, que l'envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel ; ils accompagnent un langage si extravagant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont ; et ce qui est pire, on en souffre.
15 (I) Il y a des gens qui parlent un moment avant que d'avoir pensé. Il y en a d'autres qui ont une fade attention à ce qu'ils disent, et avec qui l'on souffre dans la conversation de tout le travail de leur esprit ; ils sont comme pétris de phrases et de petits tours d'expression, concertés dans leur geste et dans tout leur maintien ; ils sont puristes, et ne hasardent pas le moindre mot, quand il devrait faire le plus bel effet du monde ; rien d'heureux ne leur échappe, rien ne coule de source et avec liberté : ils parlent proprement et ennuyeusement.
16 (I) L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, l'est de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à être instruits, et même réjouis, qu'à être goûtés et applaudis ; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui.
Document 4 : William Hogarth, La Famille Strode, vers 1738
William Hogarth, La Famille Strode, vers 1738
Huile sur toile, 87 x 91,5 cm
Tate Gallery, Londres, Don du révérend William Finch, 1880
Document 5 : Le Souper, Edouard Molinaro, 1992.
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Document 6 : Eve Suzanne, « Révolution informationnelle et révolution numérique », 08/10/2010
HYPERLINK "http://www.implications-philosophiques.org"http://www.implications-philosophiques.org
Révolution numérique
En 2005, a eu lieu le Sommet Mondial sur la Société de lInformation (SMSI), à linitiative, entre autres, de lONU, et qui avait pour mission de réfléchir sur les changements sociaux et économiques majeurs quamène ladoption massive des Technologies de lInformation (TIC) dans les différentes sphères de lactivité humaine.
De cette rencontre, une définition complète de la Révolution numérique a été conçue :
La croissance rapide des technologies de linformation et de la communication et linnovation dans les systèmes numériques sont à lorigine dune révolution qui bouleverse radicalement nos modes de pensée, de comportement, de communication, de travail et de rémunération. Cette « révolution numérique » ouvre de nouvelles perspectives à la création du savoir, à léducation et la diffusion de linformation. Elle modifie en profondeur la façon dont les pays du monde gèrent leurs affaires commerciales et économiques, administrent la vie publique et conçoivent leur engagement politique. [..] En outre, lamélioration de la communication entre les peuples contribue à la résolution des conflits et à la réalisation de la paix mondiale.
La Révolution numérique est une notion née récemment et partagé par le sens commun. Pour résumé, elle se définit avant tout comme le passage de notre société à lère de linformation et de la communication reposant sur une immatérialité grandissante des données diffusées à léchelle mondiale.
Plutôt que de parler de Révolution numérique il serait plus juste de parler de numérisation de la société.
En effet, cette numérisation accompagne des transformations qui ont lieu aussi bien au niveau politique, social, quéconomique, mais aussi identitaire [
]. Toutes ces transformations se retrouvent rassemblées sous le concept de Révolution informationnelle, qui ne se réduit pas à la numérisation de la société bien quelle en soit un aspect évidemment incontournable.
Ce que le concept de « Révolution informationnelle » nous apporte par rapport au concept de « Révolution numérique » ? Une histoire, donc un contexte et ainsi nous permet de nous projeter plus avant dans lavenir étant donné que lon voit doù on part.
De fait, si on définit la Révolution numérique comme permettant la libre circulation des informations, des idées et des connaissances dans le monde entier, alors ce qui devient central est linformation elle-même.
Ainsi, la définition de la Révolution numérique faite par le SMSI, est une définition tout à fait juste qui sapplique à la Révolution informationnelle.
Document 7 : Michel Berry et Christophe Deshayes, Les vrais révolutionnaires du numérique, Autrement, Paris, 2010.
On nous prédit depuis des décennies la révolution numérique, et nous y sommes. Se déroule sous nos yeux, sans que nous en ayons toujours une claire conscience, une transformation radicale qui touche tous les secteurs de la société : l'entreprise, l'école, l'hôpital, la ville, les loisirs, etc. On ne sait pas encore si cette révolution créera le monde nouveau et harmonieux que des prophètes nous ont fait miroiter, mais une certitude plutôt inattendue émerge de l'observation : nous y allons gaiement et dans une relative douceur.
Or, jusqu'ici dans l'histoire humaine, le terme de révolution évoquait la violence, le courage et la souffrance. Les barricades y étaient indispensables, tout comme les Gavroche et les têtes coupées. La révolution a une dimension tragique. Ici, point de Gavroche ni de barricades, ni même d'affrontements violents entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Les acteurs de cette révolution sont innombrables, s'impliquent souvent dans la joie et sont animés par la curiosité insatiable dont sont capables les hommes quand on leur en donne l'occasion. Les révolutionnaires ne sont pas les jeunes patrons de start-up tantôt portés aux nues tantôt décriés, mais une masse silencieuse et joyeuse d'hommes et de femmes ordinaires dont les passions, les motivations, les énergies convergent et s'agrègent, ne serait-ce qu'un court instant.
Que l'on pense à l'incroyable passion qui anime les bâtisseurs de Wikipédia. Certains se font même une spécialité de corriger les fautes d'orthographe, gratuitement, en se contentant de l'estime de quelques-uns, aux quatre coins de la planète, qui savent le travail formidable qu'ils accomplissent. Que l'on pense aussi aux débats passionnés qui se développent autour de n'importe quel sujet sur le Web, accident, procès, événement politique, et qui mobilisent des points de vue variés, dont ceux d'experts affûtés qui disqualifient rapidement les propos officiels développés dans une langue de bois traditionnelle.
Des jeunes qu'on disait perdus pour l'école développent une technicité ou une inventivité inouïes pour nourrir leur passion: écouter de la musique, visionner des films, faire connaître leurs talents de créateurs ou d'artistes. Évidemment, quand cette ingéniosité tourne au piratage, cela menace des équilibres anciens et l'on comprend que les maisons de disques ou de films s'émeuvent. Mais on voit également apparaître des activités totalement nouvelles, comme les multiples conseils pour la vie quotidienne proposés par des sites tels que Videojug qui n'enlèvent le pain de la bouche à aucun acteur ancien. Et puis, surtout, la dimension ludique de ces nouveaux outils, qui stimule la curiosité chez un nombre croissant de personnes, jeunes ou moins jeunes, leur redonne le goût de la connaissance; or on sait que plus un esprit est stimulé, plus il a de lappétence pour apprendre. On verra, par exemple, dans ce livre, que l'iPod peut redonner aux jeunes le goût de l'école, voire celui de la dictée.
À l'idée de révolution est aussi associée celle de grand soir: un jour, tout doit basculer pour que s'ouvre à nous un monde meilleur. Ce qui permet cette bascule, c'est une utopie, une nouvelle théorie du monde, peaufinée par des intellectuels et brandie par des meneurs politiques qui, une fois au pouvoir, peuvent organiser rapidement la société selon un nouveau cadre. La Révolution française préparée les Lumières, la révolution russe engendrée par le marxisme, etc.
Or ce qui est frappant ici, c'est que les acteurs de la révolution numérique ne sont pas guidés par l'idée d'un grand soir, au contraire: ils se défient des idéologies et ont souvent perdu confiance dans la politique. Plus encore, ils sont souvent rebelles à l'idée de contracter des engagements durables. Ce qui est frappant ici cest que chacun peut sengager de manière réversible: je contribue à une définition de Wikipédia, mais je n'irai pas forcément plus loin ; je participe à un réseau, mais j'arrête quand je veux. Et d'engagement réversible en engagement réversible, on en vient à persévérer. Il se pourrait alors qu'on s'implique plus volontiers, plus joyeusement, parce qu'on se sent plus libre.
Il faut dire toutefois que cette transformation numérique excite aussi l'esprit rebelle qui est une des choses les plus largement partagées, et qui avait du mal à s'exprimer dans notre monde très organisé. Certains engagent des croisades, comme les fondateurs d'Apple qui voulaient créer de petits ordinateurs pour lutter contre la domination des grandes entreprises, ou les communautés open source pour faire pièce à l'hégémonie de Microsoft. Les nouveaux moyens de communication servent aussi à des manifestants anti-G8 pour tournebouler les forces de l'ordre. Ils peuvent servir à inventer des formes d'organisation non structurées particulièrement efficaces dans l'exercice du contre-pouvoir, comme nous le verrons avec le Réseau éducation sans frontières (RESF). On a aussi vu récemment que les nouveaux moyens de communication comme Twitter sont incontrôlables même par les régimes les plus autoritaires, et qu'ils permettent d'organiser une résistance et d'en informer le monde. On voit bien, à observer ces phénomènes, qu'on est plutôt dans le registre de la comédie, des tours qu'on aime volontiers jouer aux pouvoirs établis, que de la tragédie.
Voici donc une transformation sociale (la vraie dimension de cette révolution numérique) animée par la curiosité, la passion, un zeste d'esprit frondeur et dans laquelle chacun peut être alternativement moteur ou en situation de retrait. Comment l'empêcher d'avancer? Comment même contrôler son cours? Pour contenir une révolution classique, on peut essayer de repérer ses meneurs et ses penseurs. Mais ici, où sont les meneurs, qui sont les penseurs? Et pourquoi arrêter ce mouvement qui s'appuie sur les outils dont nous sommes les plus fiers et qui incarnent le progrès ? Et même comment décrire, comment nommer cette révolution?
Séance 2 : Léchange, de la lettre au texto
Supports : 6 documents
Madame de Sévigné, Lettres, à Coulanges, 15 décembre 1670.
Madame de Sévigné, Lettres, à Mme de Grignan, 3 mars 1671.
Extrait du film Les Liaisons dangereuses, Stephen Frears (scène de la lettre sur le dos de la courtisane, chapitre 10.)
Serge Tisseron, Virtuel, mon amour, Penser, aimer, souffrir à lère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008.
Philippe Delerm, « Linstant texto », Enregistrements pirates, Editions du Rocher, 2003.
Entretien avec Philippe Raynaud, « Le règne du cool exacerbe les hiérarchies sociales », LExpansion, décembre 2012-janvier 2013, n°780
Document 1 : Madame de Sévigné, Lettres, à Coulanges, lundi 15 décembre [1670].
Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie : enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste; une chose que l'on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon ?) ; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d'Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire; devinez-la : je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! il faut donc vous la dire : M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix; je vous le donne en cent. Mme de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner; c'est Mme de la Vallière. Point du tout, Madame. C'est donc Mlle de Retz ? Point du tout, vous êtes bien provinciale. Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est Mlle Colbert ? Encore moins. C'est assurément Mlle de Créquy ? Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de... Mademoiselle... devinez le nom : il épouse Mademoiselle, ma foi! par ma foi! ma foi jurée! Mademoiselle, la grande Mademoiselle; Mademoiselle, fille de feu Monsieur; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du Roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous.
Adieu; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.
Document 2 : Madame de Sévigné, Lettres, à Mme de Grignan, 3 mars 1671
Je vous assure, ma chère bonne, que je songe à vous continuellement, et je sens tous les jours ce que vous me dîtes une fois, qu'il ne fallait point appuyer sur ses pensées, on serait toujours en larmes, c'est à dire moi. Il n'y a lieu dans cette maison qui ne me blesse le cur. Toute votre chambre me tue ; j'y ai fait mettre un paravent tout au milieu, pour rompre un peu la vue d'une fenêtre sur ce degré par où je vous vis monter dans le carrosse de d'Hacqueville, et par où je vous rappelai. Je me fais peur quand je pense combien j'étais alors capable de me jeter par la fenêtre, car je suis folle quelquefois ; ce cabinet, où je vous embrassai sans savoir ce que je faisais ; ces capucins, où j'allai entendre la messe ; ces larmes qui tombaient de mes yeux à terre, comme si c'eût été de l'eau qu'on eût répandue ; Sainte-Marie, Madame de La Fayette, mon retour dans cette maison, votre appartement, la nuit et le lendemain ; et votre première lettre, et toutes les autres, et encore tous les jours, et tous les entretiens de ceux qui entrent dans mes sentiments. Ce pauvre d'Hacqueville est le premier ; je n'oublierai jamais la pitié qu'il eut de moi. Voilà donc où j'en reviens : il faut glisser sur tout cela, et se bien garder de s'abandonner à ses pensées et aux mouvements de son cur. J'aime mieux m'occuper de la vie que vous faites présentement; cela me fait une diversion, sans m'éloigner pourtant de mon sujet et de mon objet, qui est ce qui s'appelle poétiquement l'objet aimé. Je songe donc à vous et je souhaite toujours de vos lettres. Quand je viens d'en recevoir, j'en voudrais bien encore. J'en attends présentement, et reprendrais ma lettre quand j'en aurai reçu. J'abuse de vous, ma chère bonne. J'ai voulu aujourd'hui me permettre cette lettre d'avance ; mon cur en avait besoin. Je n'en ferais pas une coutume.
Document 4 : Serge Tisseron, Virtuel, mon amour, Penser, aimer, souffrir à lère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008.
Nous téléphonons à nos proches en leur demandant où ils sont et ce quils font, un peu comme lenfant demande au loup où il en est. Dans les deux cas, cest pour nous assurer quils ne nous oublient pas, car, sinon, nous nous retrouverions bien seuls ! Nous faisons mine de nous intéresser au fait que nos interlocuteurs montent dans un train ou en descendent, ou quils sont au bord de la mer ou dans un café. Mais en vérité, la seule chose qui nous importe est de nous assurer quils pensent à nous ! Avant même Internet, le téléphone mobile a fait de chacun le centre dun petit monde sur lequel il règne et vers lequel il aimerait que tout converge.
Rappelons-nous. Il ny a pas si longtemps, celui qui attendait des nouvelles dun absent était soumis au rythme du passage du facteur. Guetter son arrivée, voire aller au-devant de lui, était la seule façon de soulager son impatience. Une fois parti le précieux messager, lautre recommençait jusquà sa venue suivante, laprès-midi ou le lendemain selon quon habitait en ville ou à la campagne. Il y avait une ou deux distributions de courrier par jour. Celui qui attendait eût aimé quil y en eût cent.
Dans les années 1960, linstallation du téléphone a donné à lattente un autre rythme et de nouvelles exigences. Rester proche du fameux poste et écourter toute autre conversation est devenu la règle. Cétait lépoque où on pouvait sempêcher daller aux toilettes de peur de rater un précieux rendez-vous. Allongée sur un tapis, Petra von Kant, lhéroïne de Fassbinder, pleure à côté du téléphone silencieux sans oser sen éloigner. Cétait aussi lépoque où, dans les familles, chacun tentait dallonger le fil pour emporter le précieux objet jusque dans sa chambre afin dy trouver un peu dintimité. Cest que téléphoner, alors, était considéré comme une activité intime. Il était aussi gênant à celui qui parlait dêtre écouté quà celui qui passait par là de lentendre.
Nos façons de téléphoner ont bien changé, mais une chose est restée la même : utiliser un téléphone est toujours un peu une façon de nier la séparation.
Document 5 : Philippe Delerm, « Linstant texto », Enregistrements pirates, Editions du Rocher, 2003.
Un petit bip-bip l'annonce, une enveloppe dessinée sur l'écran du téléphone portable, en haut à gauche. Une simple pression du pouce, et les mots viennent se ranger:
Je suis au Jardin des Plantes. Il fait beau. Je lis le dernier de Botton. Je vous embrasse.
Transmis le 10.04.2003
15.45.37
Venant de V... 06 89...
On lit le texte quelques secondes après qu'il a été formulé. Les lettres noires sont étranges. Chacune est constituée d'une infinité de carrés minuscules qui donnent aux mots une espèce de relief aux contours un peu rêches, d'une régularité synthétique prodigieuse : on s'étonne de voir cette machinerie quasi virtuelle obéir à la volonté de quelqu'un que l'on connaît, transfuser sa présence.
On est sur un trottoir, dans une autre ville. On n'est pas allé chercher le message dans une boîte aux lettres avec l'idée d'espoir, d'attente, le rite du décachetage, le risque d'une déception. On n'était pas dans un bureau, comme pour le fax. Le texto surgit dans l'effraction la plus neutre, la plus douce. Au lieu de traverser au feu rouge on le regarde, dans le creux de sa main. Une minute à peine ... Je suis au Jardin des Plantes est toujours vrai. Je lis le dernier de Botton n'a été faux qu'à l'instant précis où V... a suspendu son temps pour vous le faire partager. Le présent du texto n'a pas d'équivalent. Sur fond d'écran légèrement verdâtre, en lettres mal ébarbillées, il ne demande rien que du silence. Une autre vie est là, avec un décalage si infime qu'il semble une complicité supplémentaire. C'est comme si l'on jouait à franchir les parois de verre dans le labyrinthe de la fête foraine. Il semble qu'il n'y ait pas d'ondes électriques - seulement cette horizontalité des lignes plates qui ont effacé tout l'espace. [
]
Document 6 : Entretien avec Philippe Raynaud, « Le règne du cool exacerbe les hiérarchies sociales », LExpansion, décembre 2012-janvier 2013, n°780
La civilité électronique, qui est très pauvre, ne finit-elle pas par déteindre sur la civilité réelle ?
Un autre contributeur à ce recueil, le philosophe Alain Finkielkraut, pointe avec talent le problème du courriel. Le monde électronique introduit des changements tels quon ne peut pas sy exprimer comme dans le courrier papier, et utiliser des formules aussi élaborées. On répond dans lurgence. La correspondance Internet ne relève pas de lécrit, il faut bien accepter la disparition de lart épistolaire. Ce qui est dommage, cest de penser que lordinaire du courrier électronique permettrait de sabstenir de toute politesse au nom de lefficacité et du gain de temps propres au monde du Web et de lentreprise. Mais ne tombons pas dans le panneau : la civilité de lécrit et la prévenance des formules de politesse sont des comédies sociales qui savouent comme telles. Pour Kant, laffabilité nest pas un mensonge. Quand vous terminez une lettre par « je suis votre très humble et très dévoué serviteur », celui à qui vous vous adressez ne va pas vous demander de faire le ménage chez lui. La politesse suppose une distance, donc une certaine finesse sociale. De surcroît, là encore, il ne faut pas croire que la pauvreté du courriel nivelle les rapports sociaux ou supprime les distinctions. Des habitudes électroniques se prennent déjà, et marquent des différences. Lexpression latine tibi, pour « tout à toi », témoigne dune certaine culture. Dans les courriels, les différences de niveau de langue réapparaissent forcément.
Séance 3 : du besoin de communiquer à la société de la communication : linstitutionnalisation dun besoin.
Serge Tisseron, Virtuel, mon amour, Penser, aimer, souffrir à lère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008.
Pascal Lardellier, Le Cur Net, Célibat et amours sur le Web, Belin, 2004.
Alexandre Moatti « Le numérique, adjectif substantivé », in Le Débat, Gallimard, n°170, Mai-Août 2012.
Équipement des ménages en multimédia selon la catégorie socioprofessionnelle, Insee, statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV-SILC 2010).
David Gould, « La toile », TDC, n°1042, 15 octobre 2012.
Annexe : « Le rapport « Nora-Minc ». Histoire d'un best-seller », in Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°23, juillet-septembre 1989. pp. 35-48.
Document 1 : Serge Tisseron, Virtuel, mon amour, Penser, aimer, souffrir à lère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008.
Si les fameuses technologies de linformation et de la communication (TIC) bouleversent chaque jour nos habitudes, nous étions préparés à ce nouveau monde de longue date. Par le téléphone dabord, ce bon vieux téléphone que nous avons si bien intégré dans nos vies quil nous paraît naturel de nous parler sans nous voir. Par lextraordinaire essor de la photographie ensuite, qui nous a fait accepter que des images sur lesquelles nous ne nous reconnaissons pas nous représentent, jusquà rendre notre identité flottante et multiple. Enfin, par notre chère télévision qui nous impose chaque jour des programmes où se mélangent si bien les documents et la fiction que nous renonçons souvent à distinguer les uns de lautre
Document 2 : Pascal Lardellier, Le Cur Net, Célibat et amours sur le Web, Belin, 2004.
Un discours ambiant nous enjoint de communiquer, coûte que coûte, laissant accroire quhors de cette communication, véritable religion postmoderne : point de salut. Depuis le début des années 1980, cette idéologie qui fait sentir ses effets (et parfois ses méfaits) à tous les niveaux de la société, est montée en puissance, pour simposer comme pensée dominante, conditionnant à ce titre nos manières dêtre, notre rapport à la technique, au monde, et surtout aux autres ; tout en définissant et imposant ce que doivent être les personnalités épanouies, et les manières dêtre sociales « normales ». Cette « idéologie de la communication » est dune compacité extrême, avec son arsenal de technologies (les NTIC, précisément), son faisceau de valeurs, et les préceptes médiatiques de son « prêt-à-penser ».
Pour la situer historiquement et dater les conditions de son émergence, on pourrait dire que les choses existent quand on les nomme. Lâge contemporain de la communication débute en 1978, avec la parution du célèbre rapport Nora-Minc sur « linformatisation de la société ». Ce document prophétique à certains égards, et dont lécho dépassera de loin son caractère initialement politico-administratif, était en fait annonciateur dun nouveau projet de société : selon ses deux auteurs, linformatisation généralisée, révolution en marche, allait bouleverser toutes les facettes de la vie sociale, pour métamorphoser la vie de lhomme du XXIème siècle. La chose, vue de la France giscardienne, pouvait prêter à sourire, susciter en tout cas une certaine circonspection. Remémorons-nous que les médias audiovisuels français vivaient sous légide (ou la férule) du monopole dEtat (trois chaînes de télévision et quelques radios dites « périphériques », cohabitant avec Radio-France), léquipement en ordinateurs était infinitésimal, nos téléphones, seulement domestiques, étaient tous « à fil », quant aux mots « Minitel », « Internet », « cellulaire » et « mobiles », « câble », ils ne renvoyaient encore à strictement rien.
Arrivèrent les années 80. En période de panne des idéologies, de reflux des religions, de crises récurrentes, des paramètres convergents, tout à la fois politiques, technologiques, économiques, sociaux et médiatiques allaient concourir à consacrer la communication comme foi de la fin du siècle. Ainsi lavènement de François Mitterrand au pouvoir (secondé dans sa route vers lElysée par la « Force tranquille » du publicitaire Jacques Séguéla), la création, dès 1981, du Ministère de la Culture et de la Communication, incarné par lemblématique Jack Lang, contribuèrent à valider limportance politique de la communication, et à en entériner sa dimension « pan-sociale ». Les « métiers de la communication » (journalistes, publicitaires, chargés de communication et de relations publiques, conseillers « en images »
) se trouvèrent nimbés dun indéniable supplément dâme, alors que les formations privées et publiques en « info-com » simposaient dans toutes les filières denseignement. La France, de « publiphobe », devint en peu de temps « publiphile », comme en témoigna lengouement orchestré pour les mômeries comme la « Nuit des Publivores ». Soudain, la communication, hydre sociale protéiforme, était partout, et il était de bon ton de linvoquer comme nouvelle panacée et « lubrifiant social », censés résoudre tous les problèmes relationnels (familles, couples,
) apaiser toutes les frictions. Manière de dépolitiser nombre de relations, pour les « psychologiser ». (
)
Mais si la communication accéda à une telle « visibilité » en quelques années, elle le doit dabord à ses « techniques » : larrivée presque conjointe, entre 1960 et 1986, du Minitel, du câble, de la micro-informatique, des radios libres et des télévisions commerciales donna corps et substance à lutopique « Village planétaire », cher au théoricien des médias Marshall Mc Luhan, quInternet et la vogue des téléphones cellulaires neurent quà parachever, dix ans plus tard.
Document 3 : Alexandre Moatti, « Le numérique, adjectif substantivé », in Le Débat, Gallimard, n°170, Mai-Août 2012.
À l'origine, l'adjectif numérique relève du vocabulaire technique. Il désigne un mode de traitement automatisé du signal : en informatique, le signal numérique a remplacé le signal analogique. Le terme est utilisé dans d'autres domaines que l'informatique ou les télécommunications : ainsi la photographie numérique a-t-elle remplacé la photographie argentique, et la télévision numérique la télévision hertzienne. Par abus de langage, ou par raccourci, on dit que le numérique a remplacé largentique ou lhertzien (adjectifs eux aussi substantivés pour l'occasion - lorsqu'ils sont confrontés au numérique). Jusque-là, considérons ces abus comme bénins, sans réelle signification sous-jacente ... Le substantif a aussi été mobilisé dans des slogans de type «Passez au numérique » (ou « Passez au tout-numérique »), lors de la migration de la télévision hertzienne à la télévision numérique en France entre 2009 et 2011. On peut voir là une transposition de slogans anglo-saxons de type Go digital! Le substantif a alors une forte valeur « marketing » : il fait vendre, en quelque sorte.
On voit néanmoins apparaître là un premier élément d'interprétation possible. C'est cette convergence, dans des champs d'usage très différents (l'informatique, les télécommunications, la télévision, la photographie ...), vers le support numérique qui exalte l'importance de ce dernier. Le numérique, substantivé, presque personnifié, envahit tout. Le concept est à ce point invasif qu'il en arrive à faire oublier ce à quoi il se rapporte (image photographique, enregistrement musical, traitement de l'information ...) : tout converge dans le numérique. L'adjectif numérique abolit le substantif qu'il est censé qualifier : raccourci symbole d'un monde pressé qui en vient à oublier le substantif, voire à le refouler, pour désigner plus rapidement le fait du numérique, quel qu'en soit le support. Un monde pressé par le numérique lui-même et la célérité de propagation et de vie qu'il induit.
Inversement, on évoquera l « ère du numérique » au lieu de la simple « ère numérique » (the digital age, en anglais). L'utilisation substantivée nécessite l'ajout de la préposition : comme souvent dans les dérives et fautes de vocabulaire ou de syntaxe, l'usage consacre une locution plus compliquée (en nombre de mots, par exemple) que la locution correcte. Ici la préposition ajoutée a valeur d'emphase et théâtralise l'expression : l'ère du numérique, c'est celle où trône en majesté le numérique. Au-delà, on peut y voir la prédilection du Français, et conséquemment du français, pour le concept (le substantif) au détriment du procédé (l'adjectif) - pour la théorie plutôt que la pratique.
Examinons successivement les usages de ce substantif dans deux domaines. D'abord, dans celui de l'économie, où le numérique semble avoir une vertu d'exaltation positive, sans doute exagérée - une sorte d'eldorado ou de Terre promise vers laquelle s'apprêterait à converger l'ensemble des activités industrielles. Ensuite, dans le domaine de la culture, ou à linverse le numérique semble être le révélateur (au sens
argentique du terme) de diverses craintes à exorciser, promettant sang et larmes et à propos desquelles les pouvoirs publics sont appelés à la rescousse.
Document 4 : Équipement des ménages en multimédia selon la catégorie socioprofessionnelle
En 2010, en %Catégorie socioprofessionnelleTéléviseur couleurMagnétoscope ou lecteur DVDTéléphone fixe Téléphone portableMicro-ordinateur Connexion à Internet Agriculteurs exploitants100,087,0 89,190,274,564,3Artisans, commerçants, chefs d'entreprise96,586,1 86,194,388,380,7Cadres et professions intellectuelles supérieures94,991,3 96,797,198,895,7Professions intermédiaires97,091,5 90,897,793,987,9Employés98,490,2 85,395,281,975,2Ouvriers (y c. ouvriers agricoles)98,589,9 83,492,577,571,2Retraités99,373,0 94,966,640,637,2Autres inactifs97,268,6 83,373,549,744,2Ensemble 97,882,189,384,569,764,6Champ : ensemble des ménages en France métropolitaine.
Source : Insee, statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV-SILC 2010).
Document 5 : David Gould, « La toile », TDC, n°1042, 15 octobre 2012.
Annexe : « Le rapport « Nora-Minc ». Histoire d'un best-seller », in Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°23, juillet-septembre 1989. pp. 35-48.
En fait, c'est avant tout le développement de plus en plus rapide des moyens informatiques, à partir des années 1973-1974, qui fait naître une réflexion socio-politique sur le phénomène informatique. Les progrès continus et rapides de l'informatique depuis la mise au point du premier « vrai » ordinateur en 1946 par Eckert et Mauchly, ont permis, grâce à une suite d'innovations technologiques, d'augmenter considérablement la rapidité et les capacités du traitement de l'information en même temps que se miniaturisaient au maximum les éléments constitutifs de l'ordinateur. Le passage d'une génération d'ordinateur à une autre se traduit, à chaque fois, par l'apparition de machines de plus en plus petites, de plus en plus performantes, de moins en moins coûteuses. L'invention du micro-ordinateur en 1973, 300 000 fois moins volumineux, 1 000 fois moins cher et bien plus puissant que les ancêtres de la première génération, qui font figure de monstres préhistoriques, entraîne dès 1975 une généralisation rapide des applications professionnelles dans les entreprises, les banques, les services commerciaux et l'administration qui, par exemple, multiplie par quatre le nombre de ses ordinateurs entre 1970 et 1976. De ce fait, l'informatique perd de plus en plus son caractère mystérieux, fort complexe, qui la réservait à quelques spécialistes, « prêtres savants » de cette nouvelle invention technologique.
Mais, parallèlement, naît une prise de conscience des implications sociales qu'elle entraîne. Les débats sur les bienfaits ou les méfaits des technologies ont accompagné toute l'évolution de la société industrielle, mais l'informatique introduit une donné nouvelle. En permettant de saisir, de stocker, de traiter, de diffuser des informations d'origines multiples, biens immatériels, elle peut influer sur l'organisation et le fonctionnement même de la société, et devenir un instrument de pouvoir. Si elle limite les inconvénients d'une information incomplète ou erronée, elle menace en revanche la liberté de l'individu, en l'enfermant dans son passé et un réseau de données qu'il ne contrôle pas et dont il ne peut se dégager. [
]
C'est, semble-t-il, cet éveil de l'opinion publique, dans un climat d'inquiétude, voire de passions, à l'égard d'une technologie dont le développement était devenu inéluctable, qui conduit le président de la République à s'interroger et à s'informer sur la dimension sociale de l'informatique, réflexion assurément indispensable pour qui entend promouvoir une «société libérale avancée». Sa lettre de mission stipule d'ailleurs expressément cette préoccupation: «Le développement des applications de l'informatique est un facteur de transformation de l'organisation économique et sociale et du mode de vie : il convient que notre société soit en mesure, à la fois, de le promouvoir et de le maîtriser, pour le mettre au service de la démocratie et du développement humain».
En outre, le rapport s'inscrit également dans le cadre de la volonté de Valéry Giscard d'Estaing d'établir un nouveau style de relations entre le président de la République et les Français, d'un souci, sincère on non, de se rapprocher de leurs préoccupations quotidiennes, d'un besoin impératif de se faire comprendre, d'expliquer les situations et les décisions politiques. Le rapport pouvait servir d'instrument d'information, voire d'orientation, de l'opinion publique à l'égard de cette technologie nouvelle, permettant de favoriser sa diffusion tout en la maîtrisant.
Séance 4 : Le numérique et moi, et moi et moi
Anne Ghiringhelli et Benoîte Jalet « L'univers des blogs, ses habitants, ses rites, son langage », Le Monde, 21 Mai 2005.
Dominique Cardon et Hélène Delaunay-Teterel, « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, n° 138, juillet-août 2006, p. 15-71.
Serge Tisseron, « Droit à loubli sur Internet : une idée dangereuse ? », 9 décembre 2012, HYPERLINK "http://www.sergetisseron.com/"http://www.sergetisseron.com/
Pierre Assouline, « Le blogueur face aux blogaholics », Le Monde magazine, 19 décembre 2009.
Dessin de Pessin, Le Monde, 22 et 23 mai 2005.
Annexe : Nina Testud, extrait de Facebook, Et moi ! Et moi ! Et moi !, Hoëbeke, 2009.
Document 1 : Anne Ghiringhelli et Benoîte Jalet « L'univers des blogs, ses habitants, ses rites, son langage », Le Monde, 21 Mai 2005.
De HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/sujet/36af/dominique-strauss-kahn.html" \t "_blank"Dominique Strauss-Kahn à Léa, 10 ans, en passant par la romancière HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/sujet/beee/virginie-despentes.html" \t "_blank"Virginie Despentes, de plus en plus de Français "bloguent". Le phénomène est né outre-Atlantique en 1999. Aujourd'hui, on recense 2,7 millions de HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/blogs/"blogs rien que sur la Toile française, dont 2 millions sont ouverts par des adolescents sur la plate-HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/forme/"forme de la radio Skyrock : ils portent le nom de "Skyblogs".
Les blogs, à l'origine weblogs (contraction de Web et de log), sont un dérivé des pages personnelles sur Internet. Dans un premier temps, ils étaient "de simples listes de liens informant les lecteurs de l'apparition de nouveaux sites", explique Cyril Fievet, coauteur de l'essai Blog Story, paru en 2004 aux éditions Eyrolles.
Aujourd'hui, les blogs ont adopté un format de publication chronologique : les plus récents sont rangés en haut de page. Les lecteurs peuvent réagir en publiant des commentaires ou en les alimentant d'informations nouvelles propres à élargir le débat. Pas un sujet n'y échappe, ce qui donne aux blogueurs le HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/pouvoir" \t "_blank"pouvoir de se HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire" \t "_blank"faire connaître et de se HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire" \t "_blank"faire HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/entendre" \t "_blank"entendre. Les lycéens ne s'y sont pas trompés qui, au printemps, ont créé de nombreux blogs. "Si nous manifestons, disaient-ils, c'est pour un seul but : HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/assurer" \t "_blank"assurer notre HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/avenir" \t "_blank"avenir !" Et aussitôt d'HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/utiliser" \t "_blank"utiliser ce nouveau HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/mode/"mode de communication pour fédérer leurs actions, témoigner des débats et HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/appeler" \t "_blank"appeler à HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/lutter" \t "_blank"lutter ensemble.
Le phénomène des blogs s'explique par un besoin d'affirmation de soi et de revendication de la part des blogueurs. Ce serait "le dernier îlot de liberté" ou "un exutoire". "Je blogue parce que j'ai toujours quelque chose à dire", écrit Stéphanie sur pointblog.com. "Je blogue parce que je veux exister", indique un autre internaute. Une motivation qu'a constatée Matthieu Paldacci, sociologue à l'Ecole des hautes études en HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/sciences/"sciences sociales (EHESS), qui consacre sa thèse aux blogs et aux journaux intimes.
Ce sont les femmes qui, en majorité, alimentent les cyberjournaux intimes, tandis que les hommes sont plus enclins à HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/partager" \t "_blank"partager un avis sur un film ou sur l'actualité."Les messages sont souvent écrits sous pseudonyme mais sont rarement anonymes, souligne M. Paldacci. L'identité de l'auteur n'est absolument pas virtuelle. C'est pour cela que les blogs marchent." Les internautes, notamment les plus jeunes, ont pris pour habitude de HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/mettre" \t "_blank"mettre en ligne des photos d'eux-mêmes et de leurs amis. Voire parfois aussi celles d'adultes avec lesquels ils sont en conflit, par exemple leurs "profs", ce qui a conduit ces derniers mois plusieurs établissements scolaires à HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/exclure" \t "_blank"exclure de jeunes blogueurs.
Le blog n'est pas seulement une vitrine, il est aussi un lieu d'échanges, dans la mesure où il s'actualise aisément et rapidement. "Les commentaires sur les blogs les plus populaires deviennent parfois plus importants que les notes de l'auteur lui-même", note Loïc Le Meur, fondateur d'une plate-forme d'hébergement, sixapart.com. Sur son propre blog, il relève en moyenne quatre commentaires pour un message.
[
] Auteurs, lecteurs et contradicteurs forment la "blogosphère". Celle-ci prend les allures d'une véritable société. Pierre Bellanger, le PDG de Skyrock, dont le site skyblog.com est à l'origine du phénomène en France, dit HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/auxiliaire/avoir" \t "_blank"avoir le sentiment de se HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/trouver" \t "_blank"trouver à la tête d'une ville de deux millions d'habitants. "Cet aspect communautaire est propre aux blogs adolescents. Pour les autres, on a davantage l'impression de micro communautés les unes à côté des autres", estime M. Fievet. Par exemple, celles des fans de bandes dessinées ou des expatriés forment des tribus cohérentes. "Il est beaucoup plus facile de HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/trouver" \t "_blank"trouver des personnes qui ont les mêmes centres d'intérêt avec les blogs que dans la vie réelle", souligne M. Le Meur.
La blogosphère contient différentes composantes qui font une société. Elle a une langue : "Les blogueurs ont tendance à se HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/comprendre" \t "_blank"comprendre entre eux et à développer des codes communs, par exemple un vocabulaire nouveau", précise M. Le Meur. Chez les adolescents, on retrouve le langage phonétique des SMS, du HYPERLINK "http://www.lemonde.fr/style/"style "jsé plu tro koi pensé".
Une "blogeoisie", terme qui désigne les blogueurs les plus réputés, émerge. Des "vandales" ou "trolls" saccagent des blogs en y postant une multitude de commentaires injurieux. Et, pour HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/troisieme-groupe/faire" \t "_blank"faire face aux criminels, skyblog.com a recours aux "cybercops", une icône qui invite les blogueurs à HYPERLINK "http://conjugaison.lemonde.fr/conjugaison/premier-groupe/signaler" \t "_blank"signaler des propos licencieux.
Document 2 : Dominique Cardon et Hélène Delaunay-Teterel, « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, n° 138, juillet-août 2006, p. 15-71.
Les interprétations du développement des pratiques de blogging ont souvent porté attention à la dimension individualiste de cette forme inédite dexpression publique en la rattachant à diverses manifestations dexacerbation de la sensibilité à soi et de quête de reconnaissance publique. Cette dynamique « expressiviste » est incontestablement au cur des engagements des bloggeurs. Il reste cependant quen focalisant lattention sur les ressorts individuels voire « narcissiques » de ces pratiques dexpression de soi en public, on manque souvent un autre ressort du blogging, sa dimension essentiellement relationnelle caractéristique pourtant centrale des formes contemporaines dindividualisme. Si, en effet, le blog est incontestablement un outil de publication offrant aux personnes des formats originaux de mise en récit de leur identité personnelle, il est aussi et surtout cest en tout cas lhypothèse que nous souhaitons étayer dans cet article un outil de communication permettant des modalités variées et originales de mises en contact. Lorganisation sous forme calendaire des « posts » constitue la première caractéristique de toutes les interfaces de blog. Mais, de façon tout aussi importante, une autre dimension essentielle de cette technologie est la possibilité de commenter les posts et de lister les liens vers les blogs préférés dans le blogroll. Aussi ne peut-on comprendre la logique de production des posts publiés sur un blog sans prêter une égale attention à lespace dinteraction quils suscitent à travers leurs commentaires. Linterface du blog doit alors être regardée comme un répertoire de contacts permettant aux individus de tisser des liens avec dautres autour dénoncés à travers lesquels ils produisent de façon continue et interactive leur identité sociale.
Le blog sinscrit dans lhistoire des dispositifs de lInternet comme le point de rencontre de deux filières de services précédemment distincts, celle des outils dauto-publication, notamment de la page ou du site personnel, et celle des outils de communication collective, notamment les forums et les listes de discussion. En agrégeant dans un même dispositif les fonctions de publication et de communication, le blog reconfigure, dune part, les pratiques antérieures dexpression de soi de la page personnelle et propose, dautre part, des modalités relationnelles différentes de la discussion sur les forums, les listes ou les chats. Ces nouvelles opportunités tiennent au lien étroit que le blog permet détablir entre production identitaire et organisation du système relationnel. Les individus y expriment sous des formes variées certains traits de leur identité afin de mettre cette production au service de la sélection, de lentretien et de lenrichissement de leur répertoire de contacts. A cet égard, même sil est inutile daccuser une quelconque différence avec les pratiques ordinaires, le blogging constitue bien un instrument original de production de sociabilités, celles-ci pouvant se déployer, depuis le même outil, dans des formats topologiques variés. Tout se passe en effet comme si les contours de la personne, tels quils apparaissent dans les productions multimédias des bloggeurs, servaient dinstructions sémiotiques favorisant des modes de mises en relation différents. Cest pourquoi, dans lesprit dune sociologie pragmatique, il nous paraît nécessaire dinterroger les effets de ce travail de production de contenu et, inséparablement, de soi sur la construction du public du blog. Cest en analysant la nature de la relation entre la forme de lénonciation de soi et les modalités relationnelles de sa réception que lon peut dégager une première caractérisation sociologique des différents types de blogs. En effet, les multiples typologies présentées dans la littérature pédagogique ou scientifique sont essentiellement construites sur un découpage thématique des propos bloggés (intime, amateur, expert, journalistique, politique, etc.). Sans remettre en question ces caractérisations, il nous semble utile dy intégrer beaucoup plus fortement la place du public du blog, et donc sa réception, afin de mieux interpréter la diversité de ses usages, la multiplicité des carrières de bloggeurs et la plasticité des formes de lespace public quil adresse. En procédant à cette déconstruction des formats relationnels de lautoproduction, on espère ainsi mieux rendre compte de la spécificité interactive de cet outil de communication.
Document 3 : Serge Tisseron, « Droit à loubli sur Internet : une idée dangereuse ? », 9 décembre 2012, HYPERLINK "http://www.sergetisseron.com/"http://www.sergetisseron.com/
La possibilité de pouvoir effacer dInternet des données personnelles qui nous gênent revient régulièrement. Pourtant, est-ce bien la solution ? Si une technologie simple permettait à chacun de faire disparaître dInternet ce qui lui déplaît, le risque ne serait il pas que chacun fasse encore moins attention à ce quil y met ? Le droit à loubli pourrait alors rapidement encourager loubli du droit, et notamment du droit à limage : tout pourrait être tenté parce que tout pourrait être effacé. En outre, noublions pas quil ny a pas sur Internet que les « bêtises » quon a mises soi-même. Si je me suis séparé de ma copine et que je décide de faire disparaître les images de mon intimité avec elle, cela ne signifie évidemment pas quelle le fasse aussi. Et si jai mis un peu vite une image de moi ivre un soir de beuverie adolescente, il serait bien étrange que personne dautre que moi nait eu cette idée !
Notre e-identité nest pas notre identité
Cest pourquoi la solution me paraît bien plutôt résider dans un changement de point de vue. Nous vivons une révolution : lirruption brutale dune culture des écrans dans un paysage où régnait jusque là sans partage celle du livre. Or une culture nest pas seulement une affaire de supports : elle bouleverse le rapport aux autres, à lespace, au temps, à la connaissance, mais aussi à lidentité et aux images. Il nous faut prendre la mesure de ce bouleversement et comprendre quInternet engage certes notre e-identité, mais pas notre identité réelle. Laissons tout ce qui prétend nous représenter sur la toile mener sa vie et apprenons à ne pas croire systématiquement tout ce quon y trouve. Certaines « informations » à notre sujet sont dailleurs inventées de toute pièce. Et si quelquun prétend avoir découvert sur Internet une image qui me compromet à ses yeux, je peux toujours lui répondre quelle a été inventée, ou falsifiée. Internet est autant un espace de ragots que de vérités ! Sur Internet, aucune affirmation nefface lautre, aucune ne simpose sur lautre, cest un monde qui ne connaît pas lexclusion des contraires. Cest son danger, mais cest aussi sa force.
Internet, un troisième monde
Du coup, il faut élever les enfants avec lidée que le monde de la vie et celui dInternet sont deux espaces totalement différents : lun est organisé autour du corps vécu et du moment présent, lautre autour des images et des traces. En fait, Internet est même un troisième monde : ni vraiment celui du sommeil pendant lequel nos rêves nous échappent et ne sont connus que de nous-mêmes ; ni celui de la veille dans lequel notre corps est engagé au cours de relations dont chacun garde le souvenir au même titre que moi. Internet est un troisième monde dans lequel je peux mettre en scène mes rêves, mais dune façon qui implique les autres. Cest en quelque sorte une manière de rêver à visage découvert ou, si on préfère, à esprit ouvert. Evidemment ce nest pas sans risque, mais ce nest pas en brandissant un hypothétique droit à loubli quon permettra aux jeunes de mieux sy préparer. Lidée de contrôler en toutes circonstances sa propre image est incompatible avec la culture des écrans. Et la possibilité deffacer ce quon juge indésirable pourrait vite savérer créer plus de problèmes que ceux quon prétend résoudre. Non seulement cela risquerait dencourager tous les excès à ladolescence voire au-delà ! -, mais aussi de contribuer à nous cacher le caractère irréversible de chacun de nos actes. Je fais, jefface, quelle illusion ! Un peu comme si Internet fonctionnait à la façon dune bobine de pellicule ou dune antique cassette vidéo : je peux rembobiner pour revenir au point de départ. Méfions-nous dintroduire dans lutilisation de ces technologies lillusion dun effacement définitif de ce qui nous déplaît. Car on finit toujours par avoir lidéologie, et même la psychologie des technologies quon utilise. A effacer à volonté les traces qui témoignent sur Internet de ce quils ont vécu, les jeunes risquent de finir par croire quils puissent les effacer pareillement dans leur propre esprit, voire dans leur vie.
Une éducation à Internet dès le CP
Il serait dangereux de laisser grandir nos enfants avec lidée dun effacement facile de traces quils ont délibérément pris la décision, à un moment donné, de rendre visibles. Il existe une autre solution : leur apprendre, âge par âge, à sautoréguler. Car léducation, la vraie, ne consiste pas à guider et à protéger lenfant, mais à lui apprendre à sauto diriger et à sauto protéger. Cest pourquoi la solution est dans une éducation qui prépare très tôt les enfants à savoir gérer leur rapport cognitif, social et émotionnel aux mondes virtuels. Et pour cela, il faut leur apprendre, dès lécole maternelle, la différence entre le réel et le virtuel, et leur expliquer, dès le CP, ce quest la science informatique et comment les écrans modifient non seulement le monde, mais aussi nos représentations du monde. Les enfants possèdent, plus quon ne le croit, les bases pour le comprendre.
Document 4 : Pierre Assouline, « Le blogueur face aux blogaholics », Le Monde magazine, 19 décembre 2009.
Les gens sont bizarres et les internautes pires encore. Parmi ces derniers, les « intervenautes » se situent encore plus haut sur léchelle de Richter de la bizarritude (terme attesté sur un blog du Michigan en 2001, avant correction). Ce sont ceux qui ne peuvent sempêcher décrire aussitôt après avoir lu. On appelle cela linteractivité, et encore, on est poli.
Lun de mes très proches amis, qui tient depuis cinq ans un blog littéraire à flux tendu autant quil est tenu par lui, ma récemment confié sa perplexité face à lévolution observée depuis peu sur son écran. Certains compulsifs du commentaire tous azimuts adoptent des comportements aussi étranges quinédits. Jugez-en plutôt.
Il y a dabord la montée de lintolérance. Non pas celle de la violence, consubstantielle au médium, lanonymat et linvisibilité agissant comme le plus efficace des désinhibants, mais bien celle de lintolérance. Non contents duser du forum qui leur est réservé pour régler leurs comptes personnels et sinsulter copieusement dans les limites tolérées par les modérateurs, ils écrivent de plus en plus personnellement au tenancier du site sur sa propre messagerie pour lui demander dexclure un commentaire qui leur déplaît ; et comme le ton monte et vire rapidement à la menace, ils exigent que lautre soit banni à jamais sous des motifs divers (fascisme rampant, pédophilie inavouée, négationnisme larvé, harcèlement insidieux, insinuation infernale
).
Il y a aussi la montée du remords. Certains, qui ont souvent passé un temps fou à peaufiner un texte très argumenté sur le vrai danger de la pensée heideggérienne dans la déconstruction de son fameux Discours du rectorat, se demandent vingt-quatre heures après lavoir mis en ligne sils lont bien fait. Sil ny avait pas un mot de trop. Si le fond de leur réflexion nétait pas trahi par leur maladresse même. Si un tragique malentendu ne les attend pas dans les nombreuses réactions que leur démonstration na pas manqué dentraîner. Bref, ceux-là écrivent au blogueur pour lui faire part de leur repentir. Dans un premier temps, ils lui demandent de modifier quelques mots ; le lendemain de retirer un paragraphe ; et le surlendemain de supprimer lintégralité du commentaire car ils nen ont pas dormi ; ce sont généralement les mêmes qui recommencent la semaine suivante selon la même procédure. Du pain bénit pour les psys.
Il y a également la montée de la paranoïa. De plus en plus nombreux sont en effet les internautes qui interprètent le moindre mot, la plus anodine allusion, le titre le plus banal, la photo la plus classique et même tout choix littéraire de leur hôte en ligne comme un clin dil à eux adressé personnellement ou, dans le pire des cas, comme une insinuation relative à une confidence quils lui auraient faite dans un commentaire crypté !
Il y a ceux qui se sont construit une nouvelle identité sous pseudonyme, en ligne et donc virtuelle ; ils sont si fidèles au poste quune notoriété nouvelle leur est née, bousculant ainsi une conception obsolète de lanonymat. Mais si à la faveur dune grosse colère ils font leurs adieux, comme il sagit presque toujours dadieux à répétition ponctués par de glorieux retours sur scène dignes de lOlympia, ils tombent en syncope lorsquils saperçoivent que pendant leur absence, un autre sest emparé de leur signature. Alors, cest la guerre. Enfin, il y a ceux qui se sentent tellement blogaholics blogo-dépendants quils supplient le tenancier du site de les interdire. Comme au Casino.
Mon ami ma avoué quau début, il ny croyait pas, incapable dimaginer que laddiction pût atteindre de telles proportions. Jusquà ce quune jeune femme, généralement prodigue en commentaires érudits, certes nombreux mais appréciés car pleins de finesse le supplie : « Virez-moi, par pitié ! Je ne fais plus rien dautre
»
Document 5 : Pessin, Le Monde, 22 et 23 mai 2005.
Annexe : Nina Testud, extrait de Facebook, Et moi ! Et moi ! Et moi !, Hoëbeke, 2009.
La sociologue y propose des portraits entre fiction et document de différents personnages.
Voilà, ça y est, je suis là. Cest moi dans la place. Cest mon re-birth à moi, je vais mapproprier mon identité : je vais naître sur Facebook, tout beau et pas fripé. Pas tous les jours quon a loccasion de se réinventer. Jouvre grands mes placards, je vais choisir mes habits. A ce stade, je suis indifféremment un homme ou une femme.
Là, plusieurs stratégies soffrent à moi, selon que je suis là au premier degré, là pour mamuser, là pour travailler, là pour rencontrer quelquun ; selon que je joue le jeu ou que je suis passager clandestin.
LE CHOIX DU NOM DABORD
Je donne mon nom. Mon vrai nom. Après tout je nai rien à cacher, je suis là pour contacter mes amis, pour en retrouver, de même que jaimerais bien être retrouvée moi aussi. Du coup, si je me suis mariée entre-temps je précise bien. Je suis X, épouse Y.
Je suis là pour créer des opportunités, je suis là pour travailler, cest pareil, je donne mon vrai nom, ou mon nom de scène, mais je donne mon identité professionnelle. Cest plus sérieux. Plus assumé.
Je donne mon nom dautant plus que je suis là dans une stratégie doccupation de lespace. Je nai pas forcément grand-chose à dire ni à faire ici, mais au moins quand jy suis, personne ne prétend être moi. Je ne suis pas une star, mais dans le doute
Et, Google ayant horreur du vide, je préfère me donner en pâture dans un Facebook maîtrisé plutôt que de laisser le champ libre aux photos de moi en tee-shirt mouillé qui traînent encore sur la toile. Joccupe lespace, voire je fais diversion. Facebook étant bien référencé dans les résultats dune recherche sur Google, mon profil donnant suffisamment matière à voir, je me plais à penser que les gens niront pas voir plus loin.
Facebook, jassume moyen. Je donne un bout de nom. Je suis Moi Mais Pas Trop. Suffisamment pour que ce soit un peu moi, suffisamment pas moi pour pouvoir me rétracter, pour quon me foute la paix. Parce que je ne suis pas encore sûr de lintérêt de lobjet, parce que quand même cette question de lutilisation des données privées minquiète. Du coup un bout de moi, sauf à prévenir que cest quand même moi, ben ça me fait pas beaucoup damis. Facebook jassume moyen et puis sans amis, je mamuse moyen aussi.
Je suis là en passager clandestin, je me crée une identité totale-foutraque, je me fous de Facebook. Je suis anonyme pour lire le Book en toute impunité, pour me faire une idée. Je suis Râ Tatouille, Averell Dalton ou Betty Boop. Mes amis les plus proches me reconnaissent, cest là lessentiel.
Je suis un nom de princesse japonaise, je suis un personnage imaginaire, une expérience, un happening. Je suis monté de toutes pièces, je suis La Guerre des Mondes, je suis Bye Bye Belgium, je suis un héros dont mes amis vont suivre les tribulations, je suis un docu-fiction, je suis mon faux amoureux si je veux.
PUIS LE CHOIX DE LA PHOTO
Ha, haaa, le choix de la photo !
Je mets ma photo didentité. Cest bien moi, et puis cest plus pratique. On me reconnaît bien. Je suis là pour ça. Facebook premier degré. Cest le moi « légal ».
Je mets une photo de moi en costume-cravate, en situation, cest mon moi « pro », je suis là pour rigoler, je fais du networking, moi monsieur, jexploite les recoins du réseau.
Je mets une photo de moi en vacances, au bord de leau, sous un palmier, dans les Rocheuses ; une photo de moi avec mes copines, du coup on ne sait pas qui est moi mais cest pas grave, je me fonds dans mes amies, je suis le groupe, en tout cas on a bien ri ce jour-là. Cest mon identité cool parce que Facebook cest fun. Cest mon moi « privé ».
Je choisis une photo de moi et mon amoureux, une photo de moi et mon fils, une photo de mon fils tout court, vois comme il grandit le petit ! Cest mon moi « conjugal ». Le temps a passé, il sen est passé des choses. Je ne suis pas là pour choper.
Je mets une photo de moi un peu jolie. Tant quà faire. Cest le moi « glamour ». On ne sait jamais. Une photo tellement jolie que mes amis ne me reconnaissent pas. Le choix de ma plus jolie photo, cest un peu mon droit à la retouche Photoshop. Je ne suis pas mannequin, je ne suis pas président, et alors ? Je me mets en valeur, je montre le plus avantageux. Cette photo-là de moi, je laime beaucoup.
Séance 5 : Passions et dépendances
Supports : 6 documents
Pierre Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, 2011.
Pascal Lardellier, Le pouce et la souris, Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.
Maxime Coulombe, « Je joue donc je suis », Sciences Humaines, août-septembre 2011, n°229.
Stieg Larsson, Millénium 1, Les hommes qui naimaient pas les femmes, 2005 (traduction française, 2006).
David Sipress - 2001 © Les Arènes / New Yorker.
Famillechretienne.fr, 5 Août 2010, © Ikon Images / Harry Malt Getty images.
Annexe : Enquête Technologies de linformation et de la communication, avril 2010.
Document 1 : Pierre Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, 2011.
Internet enraye-t-il ou au contraire accélère-t-il le déclin de la sociabilité ?
Robert Putnam, à qui est principalement dû la thèse du déclin de la sociabilité, est clairement à ranger dans le camp des « technophobes » (
) : dans Bowling alone, il ne considérait pas le développement des nouvelles technologies de communication comme susceptibles denrayer le déclin du capital social, mais y voyait au contraire une dégradation de la qualité des relations : « Regarder des choses (spécialement des écrans électroniques) occupe de plus en plus de notre temps, alors que faire des choses (particulièrement avec dautres personnes) en occupe de moins en moins ». La sociabilité à distance ne serait en aucun cas substituable à la sociabilité en face à face. Le problème, cest que les Cassandre se plaignaient déjà semblablement du développement du téléphone
alors que toutes les enquêtes montrent que la sociabilité téléphonique augmente en réalité la sociabilité en face à face : « plus on se voit et plus on sappelle ». En outre, la sociabilité téléphonique, même si elle augmente en moyenne de 50% le nombre de contacts, tend moins à démultiplier les liens faibles quà renforcer les liens forts et donc le lien social.
Et il semble bien quil en va de même, au moins quantitativement, avec Internet, qui simpose dabord, du point de vue des usages, comme une sorte de téléphone du XXIème siècle : toutes les études empiriques montrent, dès le début de la décennie 2000, que le recours aux nouveaux outils de communication par Internet (messagerie électronique, messagerie instantanée
) augmente le nombre de correspondants et la fréquence des contacts, aussi bien par téléphone quen face à face. Larrivée des réseaux sociaux ne bouleverse pas le paysage, et lidée que les jeunes utilisateurs de Facebook vivraient dans un isolement relationnel plus prononcé que les autres est un mythe. Encore faut-il préciser quil nest pas impossible quInternet ait accompagné plutôt que provoqué lenrayement du déclin de la sociabilité : une enquête très récente, en sappuyant sur les résultats de grandes enquêtes nationales américaines montre que les liens amicaux entre adultes de 25 à 74 ans ont augmenté entre 2002 et 2007, que ceux-ci soient des utilisateurs intensifs dInternet, des utilisateurs occasionnels ou des non-utilisateurs
Dun point de vue qualitatif, les transformations sont complexes : dun côté, effectivement, le micro-ordinateur et Internet nont pas enrayé, au contraire, un mouvement déjà ancien de privatisation et dindividualisation des contextes dusage des technologies de communication, jusquà lémergence en particulier chez les adolescent(e)s, dune véritable « culture de la chambre », potentiellement désocialisante. Cela dit, cette sociabilité à distance constituerait, dans un certain nombre de situations, un outil extrêmement puissant de remédiation contre lisolement et la déliaison, permettant de « retrouver un sentiment dappartenance à un collectif ». Lenquête sur les pratiques culturelles des Français de 2008 règle du reste très clairement son compte aux discours qui voient dans les nouvelles technologies de communication des facteurs de désintégration culturelle et sociale : « La profonde originalité dInternet tient à ce paradoxe : bien quutilisé très largement à domicile [
], ce nouveau média à tout faire est plutôt lié à la culture des sorties dont sont porteuses les fractions jeunes et diplômées de la population, celles dont le mode de loisirs est le plus tourné vers lextérieur du domicile et la participation à la vie culturelle est la plus forte ».
Document 2 : Pascal Lardellier, Le pouce et la souris, Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.
La question des « toxicomanies sans drogues » intéresse les spécialistes depuis les années 1940. La notion est complexe, tant léventail est large des pratiques et des vecteurs pouvant être rangés dans cette catégorie (comportements alimentaires ou sexuels, jeux vidéo, téléphones
).
Mais comment laddiction peut-elle être définie ? En substance (si je puis dire), il sagit dun processus selon lequel un comportement permet à la fois déprouver un plaisir et de soulager une tension interne, génératrice de troubles obsessifs-compulsifs. En conséquence, ce comportement est répété, malgré les efforts du sujet pour en réduire la fréquence. A cela sajoute corollairement le sentiment de manque, quand surgit limpossibilité de sadonner à lactivité source du plaisir.
Bien sûr, le Net ne provoque pas les manifestations physiques caractéristiques de lutilisation de substances psychoactives. Néanmoins, les perturbations sont dordre psychologique, ressenties sous forme de malaise intérieur, de stress, danxiété, de pensées obsessionnelles et de désarroi quand le sujet est retenu « loin du clavier ». Et quand il peut sadonner à sa passion, enfin, se font jour excitation, fascination et frénésie, perte des sensations de sommeil et de faim, crampes
Il est à noter que lordinateur (et sa « consommation compulsive») devient surtout le vecteur primaire daddictions secondaires : jeu pathologique, achats compulsifs, « cybersexe »
Ou jeu dun genre nouveau, avec soi et un autre indistinct et cependant omniprésent, notamment sur les forums de discussion. [
]
Des psychiatres, entre autres nord-américains (dont Ivan K. Goldberg), ont établi des grilles dappréciation de la « cyber-dépendance » et autres « web-addictions ». En général, elles sont présentées sous forme de listes de question visant déjà à aider les « cyber-dépendants » à prendre conscience de leur état, afin de pouvoir ensuite essayer de « décrocher », et de s »se déconnecter » au propre comme au figuré. Ces critères typiques de LInternet Addiction Discorders (IAD) sont calqués sur ceux de la DSM-IV. [
]
La « cyber-dépendance », épouvantail médiatique
En 1997, alors que la Toile commençait son fol essor, une équipe de chercheurs de luniversité américaine Carnegie-Mellon dévoila les résultats du projet HomeNet, consacré aux effets dInternet. Scoop, ils y affirmaient que certains usagers du réseau souffraient disolement. Je pense pour ma part quon enfonçait là une porte ouverte. Car létude ne faisait que rappeler ce que dautres avaient dit auparavant à propos du cinéma, de la télévision, de la vidéo, des jeux vidéo et tutti quanti. Et pourtant, les médias firent grand bruit de la « découverte ». Des reportages et des éditoriaux commencèrent à affirmer quInternet pouvait rendre ses utilisateurs tristes et dépressifs. Avec un peu dimagination, un « autisme social » dun genre nouveau guettait le plus épisodique des internautes. En 1997, nous nétions ni au taux déquipement de 2006, ni à lADSL
Peu de temps après la divulgation publique de leurs travaux, les chercheurs du projet HomeNet essayèrent cependant de nuancer leurs positions, en rappelant par exemple que les usagers observés en étaient à une utilisation encore expérimentale dInternet, et que beaucoup étaient des adolescents. Ce paramètre, déjà, introduisait des nuances dans la lecture de leurs conclusions. Se dessina néanmoins en creux de leurs pages le portrait de linternaute dépendant, qui sest imposé comme un archétype : de ses masculin, jeune, faisant des études, financièrement indépendant, et surtout immature dun point de vue socio-affectif. Dans limpossibilité de se construire une identité véritable, anxieux, timoré et dépressif, ce nerd évolué oublierait ses complexes et sa solitude en errant sur le Net.
Cependant, la formidable pénétration sociale dInternet amène à considérer que beaucoup des autres internautes développent des traits propres aux addictions, à des degrés divers. Presque tous les ados que jai interrogés reconnaissent avoir eu, à un moment ou à un autre, un comportement relevant des tableaux cliniques évoqués plus haut : envie irrépressible de se connecter, frustration ou manque loin du Réseau, jubilation lorsquils ont accès au jeu
Mais il y a des addictions qui ne se disent pas. Les jeunes (et leurs parents, dailleurs) pourraient-ils se passer de leur portable
? Pas sûr. Et les collégiens de 2006 passent chaque semaine trois fois plus de temps sur MSN quà faire leurs devoirs. Certains sen tireront par une pirouette en disant quils font aussi leurs devoirs sur MSN. Alors, demain, tous « cyber-dépendants »
? La migration vers la Toile, de toujours plus dactivités de la vraie vie (travailler, acheter, se documenter, sinstruire et se distraire, se rencontrer et saimer) devrait nous voir être de plus en plus présents dans les univers numériques. Alors oui, nous devrions être dépendants des nouvelles technologies, au sens littéral du terme avant même de lêtre dans lacception clinique du terme.
Document 3: Maxime Coulombe, « Je joue donc je suis », Sciences Humaines, août-septembre 2011, n°229.
Mondes merveilleux sil en est, les jeux de rôle en ligne comme World of Warcraft sont aussi des univers gratifiants qui secrètent de lestime de soi.
[
] plusieurs études le prouvent : la principale raison pour laquelle on se fascine pour ces jeux en ligne tient au sentiment daccomplissement quils offrent. Dans ce cadre, les réalisations cumulées par le joueur participent à son sentiment quotidien daccomplissement. Cette identification du joueur à son avatar permet de récompenser le second pour faire plaisir au premier. Il est possible doffrir des cadeaux virtuels aux personnages : nourriture, or, herbes, pièces de cuir, clefs et armures magiques, mais aussi des points dexpérience ou de réputation. Chaque victoire comporte sa rétribution et incite à poursuivre laventure.
Une telle reconnaissance est dailleurs prolongée, comme démultipliée par la nature communautaire du jeu. Les jeux en ligne, fréquentés par des millions de joueurs à la fois, offrent une foule de spectateurs potentiels aux actions du joueur. Certaines quêtes vaincre le nécromancien habitant un château hanté, récupérer un objet rare aux mains dun terrible pirate, affronter un dragon millénaire, etc. doivent être accomplies en groupe dans des aventures pouvant exiger des séances de jeu de plusieurs heures. Au fil des quêtes en groupe et des victoires partagées, des amitiés naissent et grandissent. On se donnera désormais rendez-vous en ligne, on se saluera, on fera des quêtes en commun, on échangera les objets trouvés. Lentement même, on en viendra à donner des objets rares, voire de largent pour aider son compagnon de jeu dans la progression. On ne fait donc pas que jouer, on socialise, on entretient des amitiés. Celles-ci pallient la distance physique entre les joueurs par une proximité symbolique : le partage dune passion. Plonger dans les univers en ligne, cest ainsi retrouver une communauté de sensibilité.
Certes, les joueurs ne proviennent pas tous du même pays, ils nont souvent pas la même langue maternelle, ni le même âge, ils ne partagent pas nécessairement les mêmes opinions politiques, mais ils se retrouvent en raison dune affection commune pour les univers merveilleux. Ils souhaitent prendre part à cette communauté virtuelle car ils ont quelque envie de fuir le monde réel. La présence des autres joueurs donne une certaine légitimité à la fréquentation du jeu ; elle permet dun simple clic de souris, dentrer dans un monde où cette passion est reconnue, où est reconnue aussi la volonté dy investir de larges pans de son temps libre. Personne, là, pour remettre en question le choix de jouer, bien au contraire. Je prendrai quelques minutes pour féliciter un partenaire de jeu venant de mettre la main sur un objet rare et recherché (
), il soulignera de même une de mes réussites. Nous contribuerons à faire du monde en ligne un lieu où il fait bon vivre. Le nouveau joueur admirera avec envie lavatar dun joueur expérimenté, son niveau et ses armes témoignant de son pouvoir mais aussi des quêtes quil a dû accomplir.
Transfuge et procuration : ces réussites virtuelles se transvasent dans le monde réel ; elles contribuent à lestime de soi. Si la reconnaissance et le sentiment de réussir sont évanescents dans la culture occidentale contemporaine, le jeu vidéo en ligne permet dy remédier. Il soffre à la fois comme un lieu de fuite et comme un lieu où reprendre pied. De nombreux joueurs, fascinés par ces gratifications virtuelles, peinent donc à quitter ces univers en ligne. La compréhension de la menace que peuvent laisser planer les jeux vidéo passe à la fois par une compréhension de la mécanique de ces jeux fascinants, et par une analyse des raisons rendant si difficile la reconnaissance dans nos sociétés contemporaines. En cela, les jeux vidéo sont un symptôme.
Document 4 : Stieg Larsson, Millénium 1, Les hommes qui naimaient pas les femmes, 2005 (traduction française, 2006)
Lisbeth Salander, surdouée de linformatique a rendez-vous avec Plague, pirate informatique, pour quil lui fournisse le matériel dont elle a besoin.
« - Salut Plague, salua-t-elle.
- Wasp. Tu ne viens que quand tu as besoin de quelque chose
Lhomme qui avait trois ans de plus que Lisbeth Salander, mesurait 1,89 mètre et pesait 152 kilos. Elle-même mesurait 1,54 mètre et pesait 42 kilos, et elle sétait toujours sentie naine à côté de Plague. Comme dhabitude son appartement était sombre ; la lueur dune seule lampe allumée filtrait par lentrée de la chambre quil utilisait comme bureau. Ça sentait le renfermé.
- Cest parce que tu ne te laves jamais et que ça pue le singe chez toi quon tappelle Plague ? Si un jour tu te décides à sortir, je te dirai où on trouve du savon noir.
Il afficha un pâle sourire mais ne répondit pas et lui fit signe de le suivre dans la cuisine. Il sinstalla à la table sans allumer. Le seul éclairage était la lumière dun réverbère dehors devant la fenêtre.
- Je veux dire, je ne suis pas particulièrement fée du logis, mais quand les vieux cartons de lait commencent à sentir les asticots, je les ramasse et je les balance.
- Je reçois une pension pour invalidité, dit-il. Je suis socialement incompétent. (
)
Lisbeth Salander ouvrit la fermeture éclair de la poche de son blouson et en sortit 5000 couronnes.
- Cest tout ce que je peux te donner. Je les sors de mes fonds perso, et jaurai du mal à te faire passer en frais professionnels.
Quest-ce que tu veux ?
Le manchon dont tu mas parlé il y deux mois, tu as pu le faire ?
Il sourit et plaça un objet sur la table devant elle.
Dis-moi comment ça fonctionne.
Durant lheure qui suivit, elle écouta attentivement. Puis elle testa le manchon. Plague était peut-être socialement incompétent. Mais il était incontestablement un génie. »
Document 5 : David Sipress - 2001 © Les Arènes / New Yorker
"Salut. Je m'appelle Barry et je consulte mes mails deux à trois cent fois par jour."
Document 6 : © Ikon Images / Harry Malt Getty images, Famillechretienne.fr, 5 Août 2010
HYPERLINK "http://www.famillechretienne.fr/data/imgs/articles/cyberdependance_128102099402168300.jpg"
Annexe : Enquête Technologies de linformation et de la communication, avril 2010.
Séance 6 : Paroles dexperts, paroles damateurs : de nouvelles modalités daccès au savoir.
1er dossier Lenseignement : Peut-on encore penser par soi-même à lheure de Wikipédia ?
4 documents
« Faut-il croire en Wikipédia ? », Envoyé Spécial, jeudi 8 novembre 2012, France 2, Elisabeth Bonnet. (de 2530 à la fin : 4)
Pascal Lardellier, « «Google» pillé-collé, l'arme fatale des étudiants », rubrique Rebonds, Libération, 12 avril 2006.
« Les écrans rendent-ils idiots ? » Rémi Sussan, Sciences Humaines, juillet 2012, n°239.
Jacques Azam, 24 avril 2012.
HYPERLINK "http://1jour1actu.com/culture/pourquoi-ne-peut-on-pas-tout-recopier-depuis-internet/"http://1jour1actu.com/culture/pourquoi-ne-peut-on-pas-tout-recopier-depuis-internet/
Document 1 : « Faut-il croire en Wikipédia ? », Envoyé Spécial, jeudi 8 novembre 2012, France 2, Elisabeth Bonnet. (De 2530 à la fin : 4)
Document 2 : Pascal Lardellier, « «Google» pillé-collé, l'arme fatale des étudiants », rubrique Rebonds, Libération, 12 avril 2006.
Pour une nouvelle génération d'étudiants, les moteurs de recherche constituent d'immenses réservoirs servant à puiser une documentation anonyme et gratuite pour travaux en tout genre... Le mégamoteur de recherche Google déchaîne décidément les passions, tant pour son impatience gloutonne à numériser les collections des sages bibliothèques, pour son esprit de conquête souvent taxée de volonté d'hégémonisme que pour la domination qu'il assoit d'une langue déjà surreprésentée dans les industries culturelles. Car l'ère des «tuyaux de la connaissance» ouverte par les moteurs de recherche entérine une nouvelle géopolitique du savoir, avec des enjeux culturels et économiques colossaux.
Mais ne boudons pas notre plaisir : la caractéristique principale des moteurs de recherche (Google, Yahoo, AltaVista...) est d'avoir rendu disponibles instantanément des millions d'informations. Et surtout d'avoir fait de cette recherche une activité quotidienne et ludique pour tous leurs utilisateurs. Alors, le rêve encyclopédique à portée de clic ? Erasme, Diderot et leur utopie de savoir intégral rassemblée dans le grand creuset numérique des moteurs de recherche ? Pas sûr... Loin de ces considérations culturelles, ces élèves et étudiants bien remuants ces temps-ci voient avant tout en Google un «super Quid numérique» (Jean-Noël Jeanneney) qui a réponse (mécanique) à tout ou presque. Et les enseignants subissent tous au quotidien un nouveau fléau pédagogique : les «exposés Google».
Car les jeunes font une utilisation incessante et très pragmatique de Google. Pour nombre d'entre eux, le géant américain, c'est la «grande loterie du savoir», représentant un imparable principe d'économie : plus besoin de se déplacer et d'aller à la bibliothèque, plus besoin d'acheter les livres, et, d'ailleurs, plus besoin de les lire. On copie-colle des résumés, des petits fragments glanés sur le Net et le tour est joué. L'arme fatale (pseudo-)culturelle, en quelque sorte ; qui pourrait bien porter un coup mortel à une certaine idée de la connaissance, ainsi qu'au livre, à terme.
Ces «exposés Google» sont tour à tour drolatiques et affligeants. Il s'agit de la récitation incertaine et publique de bribes d'informations hâtivement pêchées sur le Web, et tout aussi rapidement rassemblées en un incertain patchwork. Car information n'est pas savoir. Et si tout ce qui se trame et se dit sur la Toile était sûr et vérifié, cela se saurait. Les «exposés Google» (qui se généralisent, contrôle continu oblige) sont tressés de perles, autant que de cailloux. Les profs peuvent distribuer autant de sujets d'exposés qu'ils veulent à des petits groupes d'étudiants, ceux-ci auront sans coup férir la «matière» (comme ils disent) dans les deux heures (et parfois même dans les dix minutes). Comme dans un célèbre magasin parisien, on trouve (de) tout sur Google. Mais il ne faut pas être trop regardant sur le stock.
Sur le Net, si on n'est pas particulièrement perspicace et vigilant, commence la ronde des incohérences, des approximations, voire des contresens les plus éhontés. Ainsi, on m'apprend que le cinéma a été inventé en 1920, le téléphone en 1838 et la télévision en 1950, le DSM 4 est un livre de psychologie célèbre, la notion d'addiction «a été découverte» en 1998, et Léonard de Vinci était militant homosexuel ! Les lecteurs corrigeront d'eux-mêmes. Mais à l'avenant, plus un exposé sans ce genre d'erreurs, dont on soutient pourtant mordicus le statut de vérité, puisque «M'sieur, on l'a trouvé sur Google». Car, au prix de confondants sophismes, certains affirment que les «infos Google» ont statut de vérité, et que «ce qui n'est pas sur Google n'existe pas»...
Toute personne faisant preuve d'un minimum de discernement sait que la «pêche en ligne» a ses limites. Mais une génération arrive qui a rarement ce scrupule méthodologique. Parce qu'elle lit moins et que tout doit être fait plus vite. Tout n'est pas faux ni mauvais sur Google, bien sûr, et il ne saurait être question de faire un mauvais procès à un outil superbe, quand il est utilisé avec circonspection. Il faut reprendre conscience de cette chance qui consiste à convoquer «au doigt et à l'il» des trésors de savoir potentiel.
Mais, si les «infos Google» émanent souvent de sites sérieux et reconnus (universités, bibliothèques, laboratoires), il peut aussi s'agir de la mise en ligne partiale de données personnelles. Quand il ne s'agit pas d'informations délibérément prosélytes. Pourtant, bien des étudiants procèdent à des «copier-piller» massifs depuis Google et Wikipédia. Exactement comme ils photocopiaient l'Encyclopaedia Universalis ou les introductions des Que sais-je ? il y a encore dix ans. Autre époque, autres méthodes, autres références...
Ainsi, les entorses à la propriété intellectuelle induites par la recherche en ligne sont de plus en plus fréquentes. Ce qui circule sur le Net est-il considéré comme du domaine public ? Certes non. Mais certains s'embarrassent de moins en moins de scrupules, en glanant allégrement des infos numériques «sans domicile fixe», dont ils s'attribuent ensuite la paternité. Les cas sont de plus en plus fréquents de mémoires ajournés quand les évaluateurs découvrent (si possible avant la soutenance) que l'essentiel du travail résulte de piratage en ligne de travaux antérieurs sur le même sujet. Car les moteurs de recherche ouvrent bien l'ère de l'industrialisation de l'appropriation de la pensée d'autrui. A côté, le «photocopillage» des années 90 relève de l'amateurisme. Selon une étude récente, 60 % des étudiants des grandes écoles avouent copier tout ou partie de leurs travaux sur le Net. Cela nous prépare des «élites» au top. Un logiciel existe depuis peu, qui permet de démasquer les «braconniers du Net», en détectant le plagiat. Mais combien d'écoles et d'enseignants en sont équipés ?
Sur le Web, l'organisation apparemment anarchique de l'information ainsi que son abondance incommensurable débouchent sur un paradoxe : celui de rendre plus difficile la production d'une connaissance pertinente. Car, sur la Toile, toute bribe d'information peut être potentiellement reliée avec chacun des autres éléments du réseau. Tapotez, pianotez, il en sortira toujours quelque chose...
Ce qui incombe à la personne travaillant à partir de «sources Google», c'est de savoir identifier la légitimité du site donnant les informations ; c'est ensuite de recouper celles-ci et de les diversifier, afin de s'assurer de leur validité et de leur véracité ; c'est enfin de remettre ces informations dans une perspective originale : ce que l'on appelle la problématisation. Cela nécessite du discernement, du recul critique, ainsi que l'échange avec autrui (enseignants, collègues, bibliothécaires...). Mais, surtout, tout cela requiert du temps, de la curiosité. Car les chemins de la connaissance, tortueux, ne sont faits que de détours, de sentiers de traverse et de haltes inattendues. Et c'est là aussi qu'on apprend et que l'on se ressource.
Il faut évoquer aussi le rétrécissement généralisé du format des informations trouvées via les moteurs de recherche. N'oublions pas qu'«en faisant appel à Internet on n'interroge pas l'ensemble des connaissances, mais seulement celles que différents contributeurs universités, institutions, médias, particuliers auront choisi de proposer en libre accès (au moins pour un temps)» (Pierre Lazuly). Effectivement, de plus en plus souvent, en surfant, on ne pêche qu'une juxtaposition de résumés, de commentaires, dirigeant tous vers des liens commerciaux qui vendent, eux, l'intégralité du texte recherché, article ou livre.
Le rapport à la culture mis en place par les moteurs de recherche fonctionne en fait sous l'égide d'un paradoxe, puisqu'il mêle omniscience et amnésie. L'omniscience, ou la capacité vertigineuse de «tout savoir» ; et l'amnésie, car jamais un individu ne pourra consulter les milliards d'informations potentielles disponibles sur Google et ses concurrents. Ne passons-nous pas notre temps à juste survoler à surfer, précisément pour ne presque rien retenir de ce que nous avons lu, ou juste vu, sur le Net ? En ressort alors un flux sans saveur ni couleurs, petite mosaïque pseudo-culturelle juste bonne à faire illusion dans les exposés pour profs peu regardants ou dépassés.
C'est à ces enseignants qu'incombe pourtant une mission d'initiation à la dialectique à l'ère des réseaux, afin d'apprendre aux jeunes à utiliser à bon escient ces immenses réservoirs du savoir. Y tracer des canaux afin qu'ils ne deviennent pas des marécages, où l'on s'enlise et perd pied, en quelque sorte...
Document 3 : Rémi Sussan, « Les écrans rendent-ils idiots ? », Sciences Humaines, juillet 2012, n°239.
La mémoire ne diminue pas, elle change d'objet
Le point de vue de N. Carr a, bien entendu, soulevé de nombreux débats. Une équipe menée par Betsy Sparrow de l'université de Columbia a essayé de voir si réellement, par exemple, l'usage du Net entraînait une perte de mémoire. Pour résumer ses conclusions, les gens se souviennent moins des faits particuliers, mais se rappellent très bien où les retrouver si nécessaire. La mémoire n'aurait pas diminué, elle aurait changé d'objet.
Si certains voient dans cette expérience la confirmation des intuitions de N. Carr, d'autres au contraire l'interprètent de manière plus optimiste. Ainsi, Jonah Lehrer, le jeune auteur du brillant Proust était un neuroscientifique (Robert Laffont, 2011) et de Faire le bon choix (Robert Laffont, 2010). Après avoir noté que la mémoire humaine était par nature basée sur un processus de recréation et de reconsolidation intrinsèquement faillible, il remarque qu'« en ce sens, vouloir instinctivement "googler" des informations - et ne pas confier la gestion des "trivia" à notre cerveau faillible - m'apparaît comme une impulsion parfaitement saine (j'ai utilisé Google des milliers de fois pour corriger des souvenirs erronés). Je ne pense pas que cela signifie que la technologie soit en train de pourrir notre cortex, mais cela montre que nous sommes assez sages pour externaliser une compétence dans laquelle nous ne sommes pas très bons ».
Une autre étude, menée par Gary Small à l'université de Californie, se montre extrêmement instructive. Il a utilisé l'imagerie cérébrale pour tester des sujets en train d'effectuer des recherches sur le Net. Le premier groupe était constitué de jeunes personnes n'ayant pas une grande expérience du Web (une population difficile à trouver, a noté G. Small) tandis que le second regroupait des internautes aguerris. Lorsque l'on examine les scans de ces derniers, on découvre que les zones du cerveau impliquées dans cette tâche ne sont pas seulement celles de la vision et du langage (qui « s'allument » lors de la lecture) mais également celles du cortex frontal associées à la prise de décision et à la mémoire de travail. Les membres du premier groupe, eux, n'activaient pas autant ces régions, mais pouvaient y parvenir après quelques jours d'entraînement. Pour résumer, chercher sur Internet est une activité cérébrale très exigeante, à laquelle il faut s'éduquer et s'entraîner.
Document 4 : Jacques Azam, 24 avril 2012.
HYPERLINK "http://1jour1actu.com/culture/pourquoi-ne-peut-on-pas-tout-recopier-depuis-internet/"http://1jour1actu.com/culture/pourquoi-ne-peut-on-pas-tout-recopier-depuis-internet/
2nd dossier : Tous journalistes ?
Supports : 5 documents
Une de Libération des 20 et 21 août 2005.
Laurence Girard, « Lexplosion du « photophone » », Le Monde, 31 décembre 2005.
HYPERLINK "http://leplus.nouvelobs.com/jeanmariecharon" \o "Jean-Marie Charon" Jean-Marie Charon, « Pujadas/Ferrari : le fact-checking pourrait dépoussiérer ce journalisme vieillot », 4 mai 2012, leplus.nouvelobs.com
Loïc Hervouet, « Les journalistes saisis par Internet : usages et précautions dusage », Les Cahiers du journalisme n°7, juin 2000.
Stieg Larsson, Millénium 1, ch. 18, Babel Noir, Actes Sud, 2006
Document 1 : Une de Libération des 20 et 21 août 2005.
INCLUDEPICTURE "http://farm4.static.flickr.com/3423/3361760025_2a9b1d63b6.jpg" \* MERGEFORMATINET
Document 2 : Laurence Girard, « Lexplosion du « photophone » », Le Monde, 31 décembre 2005.
Quil endosse lhabit du paparazzi ou celui du photo-reporter, lamateur devient un acteur à part entière de la scène médiatique. La banalisation de lusage du téléphone mobile et sa sophistication accrue expliquent ce bouleversement. [
]
Les attentats de Londres, en juillet, en ont fourni un exemple saisissant. A lintérieur des rames du métro, des témoins ont enregistré les images du drame. Dans la rue, des passants ont pris le relais et photographié les victimes et larrivée des secours. Ces documents damateurs ont pris une place considérable dans les médias, certaines chaînes de télévision britanniques sollicitant même les téléspectateurs pour quils envoient leurs images. Quelques jours plus tard, cest encore un il témoin qui a déclenché son « photophone » pour fixer limage des policiers britanniques tuant par erreur un jeune Brésilien dans le métro.
Avant les attentats de Londres, dautres événements avaient été immortalisés par des documents damateurs. Lexemple le plus célèbre est celui du tailleur de Dallas (Texas), Abraham Zapruder, qui a filmé lassassinat du président Kennedy, le 22 novembre 1963. Mais ce qui était alors du domaine de lexceptionnel est devenu un phénomène de masse.
Ce mouvement a véritablement pris naissance lors des attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center à New York. Les témoignages en image de milliers de téléspectateurs de destruction des tours ont alors été reconnus à part entière, aux côtés du travail des professionnels. Depuis, chaque catastrophe augmente le flux de plus en plus fourni de documents damateurs, images ou petits films vidéo.
Ce fut le cas, il y a plus dun an, lorsque le tsunami a ravagé une partie des côtes de lAsie du Sud. Pourtant de qualité médiocre, ces clichés ont fait la une des magazines et ont été diffusés en boucle sur les chaînes de télévision. « Ces photos floues verdâtres, accentuent le côté tragique, le caractère dramatique de lévénement », estime Paola Messana, directrice de lAFP photo. Cette émotion livrée à létat brut a contribué à la mobilisation sans précédent de la population et des donateurs. Parfois, les acteurs des événements produisent eux-mêmes leurs images. On se souvient du preneur dotages dans lécole de Beslan, en Ossétie du Nord, filmant lespace de quelques secondes, la terreur des enfants. On se souvient aussi de la polémique suscitée par la publication des clichés pris par les soldats américains dans les prisons dAbou Graïb, en Irak.
Léventail de documents captés par ces millions d « égo-photographes » est donc très large. Du totalement anecdotique à linsoutenable. Dans le premier registre, la mise en scène de chaque univers personnel est livrée au regard dautrui et partagé sur Internet. Les « moblogs », mini-sites dexposition de son moi virtuel et visuel, prolifèrent. Parfois, les internautes contactent directement les agences photographiques, pour vendre leur production, car les médias sont de plus en plus attirés par ces documents à fort contenu émotionnel. Dautant que le prix payé est intéressant : 100 à 200 euros environ. De plus en plus dorganes de presse ou de chaînes de télévision sollicitent dailleurs directement leurs lecteurs ou les téléspectateurs pour quils envoient leurs images.
Quelques entrepreneurs ont décidé de profiter de laubaine en jouant les entremetteurs. Scoopt, la première agence pour photo-reporters amateurs, créée par des Ecossais, a vu le jour cet été. Elle propose aux internautes de sabonner à son site et denvoyer, dun simple clic, leurs clichés, qui sont mis en ligne et vendus aux médias. La moitié des sommes perçues est reversée aux auteurs. Dautres initiatives similaires ont vu le jour aux Etats-Unis, avec des sites comme Spy Media ou Cell Journalist.
Les agences photo traditionnelles sinterrogent sur la place à donner à cette nouvelle pratique. Selon, Mme Messana, « sur le fil AFP, où sont mis en ligne chaque jour 1000 à 1500 photographies, le nombre de documents amateurs est très faible ». Lagence sinterroge néanmoins sur lopportunité douvrir sur le site Internet de lAFP-Photo un espace dédié aux contributions extérieures. [
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Document 3 : HYPERLINK "http://leplus.nouvelobs.com/jeanmariecharon" \o "Jean-Marie Charon" Jean-Marie Charon, « Pujadas/Ferrari : le fact-checking pourrait dépoussiérer ce journalisme vieillot », 4 mai 2012, leplus.nouvelobs.com
Quels rôles ont eu les journalistes dans le débat entre Nicolas Sarkozy et François Hollande ? Pendant une bonne partie de l'émission, ils se sont cantonnés à celui d'arbitre du temps de temps de parole. Pour se renouveler, la télévision gagnerait à vérifier leurs propos en temps réel, souligne le sociologue des médias Jean-Marie Charon.
Les dispositifs de fact-checking (vérifications des faits) ont été lune des caractéristiques de la couverture médiatique de cette campagne. Face à la débauche de communication, de volonté de contrôler les images, dimposer les thèmes de campagne à un rythme effréné pour certains, on a vu émerger cette notion de vérification des faits qui sappuie en grande partie sur le net, mais qui préexistait avant cela, en particulier dans certaines rédactions anglo-saxonnes.
Une communication verrouillée
Les différents dispositifs de fact-checking mis en place lors du débat mercredi soir montrent que celui qui a le plus utilisé les chiffres est aussi celui qui sest le plus trompé. HYPERLINK "http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/" \t "_blank" Le "véritomètre" du site Owni.fr soulignait ainsi que Nicolas Sarkozy avait fait HYPERLINK "http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/" \t "_blank" 92 références chiffrées, soit un chiffre toutes les 47 secondes. Il a été le plus imprécis, et le plus dans lerreur. Ainsi, lors de ce débat et tout au long de cette campagne, les candidats se sont exposés à la rigueur de ces méthodes mises en place par les rédactions de plus en plus fréquemment.
De manière paradoxale, la stratégie de communication de Nicolas Sarkozy se présentait demblée, notamment lorsquil a utilisé lexpression "exploser", comme la volonté de démontrer que son opposant ne maîtrisait pas ses dossiers et navait pas les capacités pour diriger le pays. Il a pointé des erreurs de François Hollande. Ce décalage dans le nombre de chiffres marque sa volonté dadopter une communication très appuyée sur la technique. La technique étant une marque qui renforcerait sa compétence de chef dEtat.
Et il a été aidé en cela par les deux journalistes sur le plateau. Ils nont pratiquement pas pris la parole. Il y aurait un contrepoint à trouver à ces stratégies de communication très puissantes. Cette campagne a été symbolisée par un recentrage des débats sur les personnes et les caractères. Celui de mercredi illustre à quel point la vie politique sintéresse désormais aux identités des candidats, leur caractère, leur tempérament.
. Un débat pensé à la seconde près
Ce débat a été négocié au millimètre près par chacune des équipes des deux partis en présence et la posture des journalistes devait faire partie de la négociation. Quest-ce qu'ont fait les journalistes finalement ? Ils ont annoncé les chapitres, compté le temps de parole. Cest certainement ce qui avait dû être acté dans laccord entre les candidats et les chefs de chaînes de télévision. Une nouvelle école journalistique est née mercredi soir sur France 2 et TF1, l'école "Musée Grévin".
Tout cela renvoie limage dune télévision surannée, dun vieux média asphyxié par les dispositifs de communication. Les chiffres daudience sen ressentent apparemment, HYPERLINK "http://teleobs.nouvelobs.com/articles/debat-hollande-sarkozy-17-79-millions-de-telespectateurs" \t "_blank" un peu plus de 17 millions de téléspectateurs ont regardé ce débat, cest 3 millions de moins quen 2007. Le média télévisuel semble en cause, même sil sest renouvelé grâce aux chaînes dinformation en continu.
Le bilan du traitement médiatique reste à faire. Dans le cadre des " HYPERLINK "http://entretiens.info/" \t "_blank" Entretiens de linformation", nous avons programmé un débat sur le sujet aux HYPERLINK "http://www.journalisme.com/" \t "_blank" prochaines assises du journalisme, afin dévaluer le rôle dInternet, des réseaux sociaux au cours de cette phase importante de la vie politique.
Une partie des Français regarde désormais le débat à la télévision et suit ce quil sen dit simultanément sur Internet (live-tweets et "live" des sites d'info). La télévision en continu semble sêtre adaptée davantage à cette campagne, mais les téléspectateurs doivent avoir le sentiment que ce type de grand-messe ne change pas beaucoup les résultats finaux de lélection.
Lhistorien Christian Delporte a fait un historique de ces débats de lentre-deux tours dans un livre intitulé "Grands débats politiques" (éd. Flammarion, 2012) et montre que ceux-ci nont pas un impact si important sur les résultats de lélection. Cette perception des choses a dû gagner une partie du public.
"Véritomètre"
Les télévisions doivent donc se demander aujourdhui comment intégrer en direct ces dispositifs de fact-checking. Les internautes qui lisent ces décryptages doivent avoir beaucoup de mal à regarder les débats sans que lon oppose une contradiction aux candidats en direct.
Il est possible dimaginer la présence en plateau de "fact-checkers" qui pourraient envoyer des messages sous forme de bandeaux soulignant les imprécisions ou les erreurs des politiques et accessibles aux candidats au fur et à mesure que le débat se déroule. Il y a un travail à envisager.
Cependant, il sera relativement complexe de mettre ce dispositif en uvre dans la mesure où il y a une contradiction entre le media télévision, media de masse, et cette notion de fact-checking qui est un travail au long cours qui intéresse des lecteurs avides dinfos précises (
).
Faire un bon fact-checking en temps réel est un exercice très difficile. Le fondateur de HYPERLINK "http://desintox.blogs.liberation.fr/" \t "_blank" la rubrique "Desintox" chez "Libération", HYPERLINK "http://www.youtube.com/watch?v=czrP96QsDjw" \t "_blank" Cédric Mathiot, insiste sur le fait que, lorsquil a créé cette rubrique, il a demandé à la rédaction dêtre libre des délais. Il serait dommage quon use et quon désamorce la force du fact-checking en le pliant à limpératif du temps réel.
Cela prendra donc du temps dintégrer ce type de pratique à la télévision. Progressivement, dautres formats vont cependant se faire jour, ils passeront davantage par des télévisions qui seront moins sous contrainte que les grandes chaînes généralistes. Elles pourront sarticuler plus facilement avec des supports numériques, cest déjà ce que fait I>télé avec Owni.fr dans le cadre du "Véritomètre", une " HYPERLINK "http://www.lanetscouade.com/article/presidentielle-2012-debats-televises-twitter-tv-augmentee" \t "_blank" télé augmentée".
Car le fact-checking pourrait permettre un regain dintérêt pour le fond du discours des candidats, le contenu des idées avancées, à lheure où la personnalité, le caractère, importent toujours beaucoup.
Document 4 : Loïc Hervouet, « Les journalistes saisis par Internet : usages et précautions dusage », Les Cahiers du journalisme n°7, juin 2000.
Les principes du métier restent bien les mêmes sur tous les supports. Lessentiel pour les médias étant de se faire lire, de se faire écouter, regarder, ou de se faire appeler. Et sur le long terme, le maître mot de cette sélection, outre la technicité, sera la crédibilité. Par beaucoup daspects, lintégration de tous les usages dInternet dans le métier de journaliste relève donc dun triple défi :
défi technique et culturel dapprentissage dun savoir-faire particulier supplémentaire ;
défi professionnel de justification dun métier, et de ses qualités spécifiques par rapport à lamateurisme des nouveaux intervenants sur la toile, et à la débrouillardise individuelle des usagers ;
défi déontologique de la maîtrise renforcée des cloisons entre information et communication, information et propagande...
Un triple défi professionnel et personnel qui nest pas inférieur aux défis lancés aux entreprises du secteur médiatique, de lextérieur, par une concurrence nouvelle tous azimuts. La révolution Internet, et cest bien, nous oblige, journalistes, à revenir à lessentiel : à la posture du journaliste, celle dont on tente denseigner les éléments à lESJ. Cette posture particulière, cest ce qui fait la justification de ce métier, constamment sous tension et à la recherche dun équilibre entre démagogie et élitisme, entre le risque dêtre instrumentalisé par ses sources ou celui dêtre mal informé, entre la connivence avec les puissants et lagressivité dun tout pouvoir médiatique.
Le journaliste est un facilitateur, un médiateur, un réducteur dambiguïtés, de méprises et derreurs, un destructeur de stéréotypes et didées reçues. Son engagement est par nature un engagement citoyen, dintérêt public. Sa valeur professionnelle, celle du journaliste, est moins celle de ses propres idées que celle de sa distanciation de soi, de sa maîtrise personnelle et professionnelle, celle dune posture idéalisante, la posture du journaliste. De ce point de vue, avec ou sans Internet, avant comme après, laissez-moi exprimer la conviction que le professionnalisme a de beaux jours devant lui et que, surtout, le journaliste est lavenir du journalisme.
Document 5 : Stieg Larsson Millénium 1, ch. 18, Babel Noir, Actes Sud, 2006
[
] Mikael n'eut en main le rapport de Lisbeth Salander qu'à l8 heures. Un peu plus de quatre-vingts pages danalyse et cent pages de copies d'articles, de diplômes et dautres détails marquants de la vie de Mikael.
Ce fut pour lui une expérience étrange de se voir décrit dans ce qu'il fallait bien considérer comme une combinaison d'autobiographie et de rapport de services secrets. Mikael fut sidéré de voir à quel point le rapport était détaillé. Lisbeth Salander avait pointé des détails qu'il croyait enterrés pour toujours dans le compost de l'histoire. Elle était allée ressortir une liaison de sa jeunesse avec une femme à l'époque syndicaliste brillante et aujourd'hui politicienne à temps plein. Avec qui avait-elle pu discuter de cette histoire ? Elle avait trouvé son groupe de rock Bootstrap, dont personne aujourd'hui ne devrait en toute justice se souvenir. Elle avait examiné ses finances au plus près. Mais merde alors, comment avait-elle fait?
En tant que journaliste, Mikael avait consacré de nombreuses années à chercher des infos sur différentes personnes et il était capable de juger la qualité de ce travail en professionnel. Pour lui, aucun doute, Lisbeth Salander était un as de la recherche. Il doutait fort de pouvoir lui-même produire un rapport équivalent sur une personne totalement inconnue.
Mikael se dit aussi qu'il n'y avait jamais eu de raison pour lui et Erika d'observer une distance polie en compagnie de Henrik Vanger ; il était déjà informé en détail de leur relation durable et du triangle qu'ils formaient avec Lars Beckman. Lisbeth Salander avait aussi évalué avec une effrayante exactitude l'état de Millénium ; Henrik Vanger savait à quel point ça allait mal quand il avait pris contact avec Erika et offert de s'associer. A quel jeu joue-t-il réellement?
Laffaire Wennerström n'était traitée que superficiellement, mais Lisbeth Salander avait manifestement assisté à quelques audiences au tribunal. Elle s'interrogeait sur l'étrange comportement de Mikael quand il refusait de se prononcer au cours du procès. Une nana futée, quelle qu'elle soit.
La seconde d'après, Mikael bondit, n'en croyant pas ses yeux. Lisbeth Salander avait écrit un bref passage sur sa façon de voir la suite des événements après le procès. Elle reproduisait presque mot pour mot le communiqué de presse que lui et Erika avaient envoyé quand il quittait le poste de gérant responsable de Millénium.
Bon sang, mais c'est que Lisbeth Salander avait utilisé son brouillon original ! Il vérifia de nouveau la première page du rapport. Il était daté de trois jours avant que Mikael Blomkvisi ait reçu sa condamnation. Ce n'était pas possible.
Ce jour-là, le communiqué de presse nexistait que dans un seul endroit au monde. Dans l'ordinateur de Mikael. Dans son iBook personnel, pas dans son ordinateur de travail à la rédaction. Le texte n'avait jamais été imprimé. Erika Berger elle-même n'avait pas eu de copie, même s'ils avaient discuté le sujet de façon générale.
Mikael Blomkvist posa lentement l'enquête que Lisbeth Salander avait faite sur lui. Il décida de ne pas allumer d'autres cigarettes. A la place, il enfila son blouson et sortit dans la nuit claire, une semaine avant la Saint-Jean. Il suivit la plage le long du chenal, devant le terrain de Cécilia Vanger, puis devant le yacht tape-à-l'il amarré en contrebas de la villa de Martin Vanger. Il marcha lentement et réfléchit. Pour finir, il s'assit sur un rocher et regarda les balises qui clignotaient dans la baie de Hedestad. II n'y avait qu'une conclusion possible.
Tu es entrée dans mon ordinateur, mademoiselle Salander, se dit-il à haute voix. Espèce de hacker de mes deux.
Séance 7 : Révolution numérique, révolutions politiques ?
Supports : 6 documents
Pierre Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, 2011.
Dominique Cardon et Fabien Granjon, extrait de leur ouvrage Médiactivistes, Contester, 2010, Presses de Sciences Po. HYPERLINK "http://www.cairn.info/mediactivistes--9782724611687-page-7.htm"http://www.cairn.info/mediactivistes--9782724611687-page-7.htm
Florent Joly, « Une véritable mutation dans les formes de citoyenneté », Le Monde, 23 janvier 2012
Milhad Doueihi « La nouvelle fracture numérique », Le Monde.fr, 7 décembre 2010.
Fabien Granjon, « Le web fait-il les révolutions ? », Sciences Humaines, Dossier « Nos vies numériques », n°229, août-septembre 2011.
Dessin de Plantu.
Document 1 : Pierre Mercklé, La sociologie des réseaux sociaux, La Découverte, 2011.
Un certain nombre dauteurs ont pris très tôt argument des effets potentiels dInternet (
) pour y voir le ferment possible dune nouvelle forme de démocratie politique. Cette utopie politique technophile, à la fois, et sans contradiction, libérale et libertaire, voit en effet dans Internet un vecteur de démocratisation de laccès à lespace public, dans la mesure où lanonymat facilite la prise de parole et où loutil permet légalité formelle des participants au débat politique. Et il ny a du reste là rien de fortuit ou daccidentel : Internet naurait en réalité pas engendré cette poussée démocratique, ce serait plutôt elle qui aurait engendré Internet, puisque, historiquement, le « réseau des réseaux », comme on le nomme parfois, est clairement né de la rencontre entre la contre-culture américaine des années 1960-1970 et lélitisme méritocratique du monde de luniversité et de la recherche.
Deux décennies plus tard, il est indéniable que certains des nouveaux usages dInternet (blogs, groupes et forums de discussion, réseaux sociaux,
) se révèlent particulièrement en phase avec de nouvelles formes de citoyenneté politique caractérisées par la contestation des élites et la confiscation de lautorité au nom de la compétence, et donc par le refus de déléguer les prises de décision aux élus et aux « experts ». Internet pourrait avoir pour effet, de ce point de vue, de défaire les monopoles informationnels sur lesquels reposait jusque-là le pouvoir des experts. Internet sest de fait imposé au cours des dernières années comme une nouvelle arme importante dans larsenal militant. Les réseaux sociaux constituent un levier puissant de laction collective, engendrant de nouvelles formes de « médiactivisme » mobilisées de façon plus ou moins ordinaire par les petits groupements politiques (dont ils facilitent la coordination et améliorent la communication extérieure par le biais des pétitions en ligne), et de façon plus exceptionnelle par les formations de premier plan, en particulier pendant les grandes campagnes électorales comme en témoigne le rôle joué par Internet dans la campagne électorale de Barack Obama en 2008, ou à une échelle plus modeste dans celle de Ségolène Royal en 2007.
Ces modifications suffisent-elles à conclure quInternet « élargit formidablement lespace public et transforme la nature même de la démocratie » (D. Cardon et F. Granjon, Médiactivistes, 2010) ? Faut-il aller jusquà parler comme certains de « démocratie 2.0 » (P. Flichy, « La démocratie 2.0 », Etudes, t.412, n°5, 2010) ? Il semble, là encore, quil faille faire preuve de mesure et envisager ensemble les promesses et les limites de la « démocratie Internet » (
) Internet nest pas un média comme les autres : larticulation quil établit en effet entre échanges interpersonnels (dans le prolongement du courrier et du téléphone) et communication de masse (dans le prolongement de la radio et de la télévision) est en grande partie inédite, et engendre « une communication interpersonnelle de masse » (Baym, 1998) dont il faut analyser patiemment les effets sur la définition même de lespace public. Que se passe-t-il quand la frontière entre conversation privée et information publique sefface, le risque est réel de voir ce nouvel espace politique investi par des débats qui procèdent plus par affirmations que par argumentations, se contentent de juxtaposer des monologues, ou confrontent accidentellement (par exemple, dans les forums de commentaires des sites Internet des médias traditionnels) des positions tellement antagoniques quelles ne peuvent que tourner à léchange dinjures ; le risque contraire est tout aussi réel : Cass Sunstein montrait ainsi, il y a dix ans déjà, que le débat politique sur Internet réunit essentiellement des gens aux opinions proches et qui fréquentent les mêmes sites. De façon plus générale, le risque fondamental réside justement dans ce mélange des sphères publiques et privées des individus, de lexpression et de la conversation, qui caractérisent la communication interpersonnelle de masse, et que pointe très précisément la formule de Dominique Cardon : « Internet pousse les murs tout en enlevant le plancher ». Autrement dit, il élargit lespace public, mais en y aspirant une partie des sphères privées des individus, ce qui constitue indéniablement un risque démocratique majeur.
Document 2 : Dominique Cardon et Fabien Granjon, extrait de leur ouvrage Médiactivistes, Contester, 2010, Presses de Sciences Po.
HYPERLINK "http://www.cairn.info/mediactivistes--9782724611687-page-7.htm"http://www.cairn.info/mediactivistes--9782724611687-page-7.htm
[...] Dans lacception politiquement restrictive que nous en faisons, les mobilisations informationnelles épousent des formes très variées pouvant aller de la critique des médias, comme le font ces groupes de surveillance (watchdogs) qui scrutent le travail des journalistes, à la production par des organisations syndicales ou politiques de médias qui leur sont propres, en passant par toute une gamme de médias alternatifs autonomes, sans oublier les mouvements revendicatifs qui prennent forme au sein même du champ journalistique. Cette perspective délibérément large est nécessaire pour éclairer les trois enjeux qui seront au cur de cet ouvrage.
Le premier volet est historique. On ne peut comprendre les transformations des médias alternatifs à lheure dInternet sans retracer lhistoire récente des formes de la critique de linformation. Beaucoup de conceptions alternatives de lactivisme et de linformation sur Internet, promptes à affirmer une rupture radicale avec le passé, sont oublieuses des traditions sociales, politiques et culturelles dont elles sont héritières. Même sil est impossible de rendre compte de manière un tant soit peu exhaustive de la diversité et encore moins du détail des expériences relevant de cette forme de conflictualité sociale et culturelle, on regardera comment les enjeux et les perspectives du médiactivisme se sont transformés en fonction des conjonctures politiques et technologiques depuis laprès-guerre. Cest ce que nous proposerons en nous arrêtant sur trois moments importants : les différentes tentatives de médias révolutionnaires conçus dans les années 1960 et 1970 en étroite association avec les organisations politiques dobédience marxiste (chapitre 2), la querelle du « nouvel ordre mondial de linformation et de la communication » à lUnesco, qui a structuré le paysage des médias alternatifs des années 1970 (chapitre 3), la jointure qui sest opérée au début des années 2000 entre le mouvement altermondialiste et les nouvelles opportunités de communication offertes par Internet (chapitre 4). Les évocations que nous ferons de ces mobilisations informationnelles seront nécessairement trop brèves et impressionnistes pour rendre compte de leur pleine complexité. Nous ferons, par exemple, limpasse sur nombre dexpériences originales qui ont été menées dans des situations géopolitiques variées (Afrique, Asie, etc.) et sur certaines techniques de diffusion de linformation comme le fanzine ou la cassette vidéo. Nous prenons cependant le parti de puiser nos exemples dans des contextes très différents, afin de rendre compte a minima de cette richesse.
Cette approche historique permettra aussi de rendre compte de la transformation du rapport que le médiactivisme entretient avec la politique sur la période étudiée. Lévolution des médias alternatifs doit dabord être pensée en interaction étroite avec celles de lespace journalistique traditionnel. Celui-ci a connu depuis laprès-guerre un profond processus dautonomisation par rapport aux mouvements sociaux et politiques. Les médias « de parti » ont quasiment tous disparu au profit dune revendication de professionnalisme et dobjectivité dans le traitement de linformation, processus qui, non sans paradoxe, accompagne lemprise de plus en plus forte du monde économique sur les médias. Mais lhistoire des médias alternatifs accompagne aussi les transformations du répertoire daction du mouvement social, qui se caractérise par une individualisation et une pluralisation des formes dengagement. On observera de la même manière le passage progressif de mobilisations informationnelles fortement insérées dans un cadre politique, partisan et idéologique vers des formes de plus en plus individualisées dengagement expressif dans les médias alternatifs, sans quaucune structure partisane ou syndicale ny prenne part.
Le deuxième objectif de ce parcours historique sera de faire apparaître les tensions internes qui traversent de façon continue le médiactivisme (chapitre 1). Celles-ci se caractérisent par le rapport critique quelles entretiennent à légard des médias dinformation traditionnels. Toutefois, cette critique peut prendre deux orientations très différentes. Ces deux chemins divergents nous semblent constituer la dynamique interne de lhistoire des médias alternatifs. Dinspiration marxiste, la première orientation de la critique des médias dénonce les effets de la monopolisation de la production de linformation par des conglomérats économico-politiques de plus en plus concentrés. Cette critique, que nous appellerons « contre-hégémonique », sattache à mettre en lumière la fonction propagandiste des médias et appelle à la création dun contre-pouvoir critique. Une autre orientation de la critique des médias, que nous appellerons « expressiviste », dénonce quant à elle la réduction de la couverture des événements par les médias centraux aux seules activités des acteurs dominants. Elle revendique alors un élargissement des droits dexpression des personnes en proposant des dispositifs de prise parole ouverts qui doivent leur permettre de saffranchir des contraintes imposées par les formats médiatiques professionnels. Bien quétroitement complémentaires, ces deux orientations de la critique des médias ont donné naissance à des mobilisations informationnelles de nature très différente tout au long de lhistoire que nous allons parcourir.
Enfin, lhistoire du médiactivisme a partie liée avec celle des innovations technologiques qui donnent forme à la production et à la diffusion des informations. La miniaturisation, la simplification et la qualité des outils de production, notamment des dispositifs de capture de limage et du son, ainsi que labaissement considérable de leurs coûts, ont largement facilité leur appropriation individuelle ou collective. Les innovations dans lunivers des réseaux (radio, câble, etc.) ont aussi permis un accès renouvelé aux grands systèmes de diffusion de linformation. Les médias alternatifs ont toujours entretenu un rapport dintimité très particulier avec les technologies fait dinventivité, de fascination, de détournement dusage et de bricolage. À cet égard, larrivée dInternet constitue un contexte nouveau, dans la mesure où il ne se contente pas de faciliter la production dinformations numériques, mais rend aussi possible leur diffusion, et ce à moindre coût. Ce qui constituait le nud principal de la critique des médias, leffet de clôture exercé par des gatekeepers monopolisant le droit de choisir les informations méritant une diffusion sur les grands réseaux de communication, a perdu de son efficacité. Aussi faudra-t-il interroger le destin du médiactivisme dans le contexte créé par lidée quil est désormais possible à tous de publier sur Internet (chapitre 5). Doit-on pour autant en conclure que ce nouveau contexte technologique, qui saccompagne dune individualisation expressive de plus en plus forte de nos sociétés, signe la fin des mobilisations informationnelles ?
Document 3 : Florent Joly, « Une véritable mutation dans les formes de citoyenneté », 23 janvier 2012
Sachant que 70% des Français de plus de 13 ans utilisent au moins trois médias en semaine et ont, en moyenne, un peu plus de 32 contacts médiatiques par jour -selon Médiamétrie 2007 -, il est évident que la pénétration du quotidien par les flux RSS et autres « notifications » augmentent notre exposition à l'information, notamment politique. La surexposition médiatique encourage-t-elle l'engagement politique ou provoque-elle au contraire une plus grande défiance envers les pouvoirs établis ?
Pour les auteurs d'Actualités et citoyenneté à l'ère numérique, de la revue Réseaux du CNRS (éd. La Découverte), l'émergence d'Internet, sans révolutionner l'engagement politique, a provoqué une véritable mutation dans les formes de citoyenneté.
Blogs et réseaux sociaux constituent autant de témoignages d'une volonté propre aux internautes de s'impliquer dans la vie de la cité par le partage d'informations et de points de vue plutôt que par la contestation ou la mobilisation politique. Comment s'articule l'usage d'Internet avec celui des médias dits traditionnels relativement à la citoyenneté? Les internautes sontils plus engagés politiquement que les téléspectateurs ou les auditeurs de radio?
A cette question, les chercheurs Viviane Le Hay, Thierry Vedel et Floral Chanvril répondent en établissant une «écologie des pratiques informationnelles» qui cherche à faire apparaître la forte corrélation entre fractures sociales, civiques et informationnelles dans notre société. La distinction de quatre types de pratiques (télévision, radio, presse quotidienne et Internet) permet de montrer qu'en fonction de l'âge, du statut socio-économique et du rapport au politique, on consomme différemment l'information.
Ainsi, écouter la radio ou lire la presse quotidienne correspond à un plus grand intérêt pour la politique, tandis que l'usage exclusif de la télévision ou d'Internet est typique d'une relative dépolitisation.
Ces clivages vont-ils s'estomper avec le temps ou les nouveaux médias accentueront-ils les inégalités? Selon la revue Réseaux, bien qu'Internet permette à tous ses usagers d'être des diffuseurs, voire des producteurs d'information, les logiques dutilisation de ces nouvelles fonctionnalités reproduisent déjà un certain hiatus socio-économique. Au sein des catégories sociales supérieures, le choix des portails généralistes d'information (Lernonde.fr, Liberation.fr, Lefigaro.fr) est souvent dicté par des motivations professionnelles, une meilleure connaissance du monde constituant un apport susceptible d'être reconverti directement dans le monde du travail.
L'utilisation de blogs ou de tweets donne le sentiment de faire partie d'une avant-garde, toujours au fil de l'actualité, constituée de professionnels des médias, de la politique ou de la culture. A l'inverse, plus bas dans l'échelle sociale, la diffusion et la production d'information sont caractérisées par la volonté de « raconter », de « témoigner ».
Document 4 : Milhad Doueihi « La nouvelle fracture numérique », Le Monde.fr, 7 décembre 2010
La fuite de documents secrets de la diplomatie américaine est le marqueur de l'avènement de la culture Web, au risque de diviser politiciens et citoyens.
L'affaire WikiLeaks suscite tant de réactions contradictoires qu'elle s'est transformée en quelques jours en symptôme puissant de notre rapport avec la culture numérique. Un symptôme qui, par l'intensité, voire, dans certains cas, la violence des points de vue qu'il autorise, invite au recul. Sans vouloir en rien minimiser la pertinence des discussions engagées autour de la transparence et de la démocratie à l'ère du numérique, ni non plus ignorer les enjeux politiques du débat, il est néanmoins important de faire ressentir les enjeux culturels de cet épisode.
Soulignons d'abord un malaise, une nostalgie exprimés par la grande majorité des politiques qui sonnent la fin d'une diplomatie efficace parce que secrète et qui annoncent une nouvelle ère de soupçon portée par la libre circulation des documents classés « secret d'Etat ». Curieusement, ces mêmes politiques, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe, ont réagi passivement aux fuites et aux pertes de données confidentielles touchant des milliers et souvent même des millions de leurs concitoyens. Alors que, pour l'instant, la majorité des documents de WiliLeaks semble confirmer des choses connues, même si parfois elles n'étaient pas confirmées officiellement. On retrouve ainsi, mais d'une manière inédite, le partage entre deux morales : la morale de l'Etat et ses secrets, et celle du « nouveau citoyen » à la fois exposé aux périls de la fragilité de ses données numériques et en même temps conforté par son accès à la culture du réseau.
Si, comme on l'a souvent dit, le numérique fragilise les intermédiaires, il est curieux de noter en passant que cette crise de WikiLeaks privilégie la presse écrite la plus classique, une des grandes victimes de la conversion numérique. S'agit-il simplement de permettre une mise en contexte de ces documents permettant une meilleure appréciation de leur apport? Ou bien d'un geste provocateur, une invitation à franchir le seuil et se lancer dans l'expérience du pouvoir de cette nouvelle culture?
Car le numérique est une culture dans la mesure où il modifie notre regard sur les objets, les institutions et les pratiques. Et il le fait en transformant le citoyen en un lecteur autorisé et un auteur avisé. De gouvernants et gouvernés, séparés par leur accès aux arcanes du pouvoir et aux secrets des décisions politiques, on est passé aujourd'hui à une époque hybride, plus complexe, dans laquelle le citoyen a des moyens d'action jusqu'ici inédits.
Le numérique ne modifie pas seulement les pratiques professionnelles mais aussi celles qui relèvent de l'intime. WikiLeaks nous met devant cette nouvelle réalité qui est une scène d'un double conflit : un conflit d'autorités et un conflit de légitimités. Pourquoi? En premier lieu, parce que le numérique, dans sa dimension culturelle, n'est pas à confondre avec l'informatique. Si l'informatique désigne une technicité inévitable, le numérique consacre la compétence des usages populaires de la technique. Pour reprendre l'idée de Pascal, la différence entre les deux correspond à celle qui distingue l'esprit de géométrie de l'esprit de finesse. Et dans l'esprit de finesse, "les principes sont dans l'usage commun, et devant les yeux de tout le monde ... Il n'est question que d'avoir bonne vue, mais il faut l'avoir bonne ». Le débat aujourd'hui est bien celui de qui va décider de cette « bonne vue » dont parle Pascal. Est-ce le modèle hérité de nos pratiques anciennes ou bien faut-il imaginer et inventer des modèles inédits capables d'assumer le nouveau dispositif public mis en place par la culture numérique?
Les termes mêmes des débats révèlent les obstacles à surmonter. Car même les pratiques les plus protégées, comme celles de la diplomatie, avec leur support complexe et leurs protocoles, sont aujourd'hui confrontées aux réalités et aux contraintes de l'environnement numérique. II a suffi de l'action d'un individu, qui a su copier les données secrètes sur des CD, et leur publication, pour nous révéler la nécessité de tirer les leçons de la confrontation entre des usages normaux et « naturels», au sein de l'environnement numérique, et des coutumes liées à l'exercice d'un rôle politique.
La fragilisation de la diplomatie classique implique aussi une déstabilisation de l'espace public traditionnel et sa soumission aux pressions suscitées par le modèle de la circulation de l'information et de ses interprétations dans l'environnement numérique. La culture numérique modifie la nature même des objets de notre savoir comme celui de l'espace censé les accueillir et les faire circuler.
Bref, le numérique interroge nos objets premiers, ceux du savoir, comme du politique et du social. Il le fait par un double jeu: d'une part, il semble s'approprier ces objets culturels tout en les faisant circuler dans un nouveau contexte et surtout en modifiant leurs propriétés, et, d'autre part, en introduisant de nouveaux objets inédits. Ce double rapport explique, en partie, à la fois la familiarité rassurante du monde numérique, mais aussi sa dimension parfois aliénante. [
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Une des leçons de cette débâcle diplomatique inciterait à revisiter les théories de la public diplomacy et du soft power en grande vogue aux Etats-Unis. Dans l'un comme dans l'autre cas, Internet joue un rôle important dans les stratégies de communication publique. Les réseaux sociaux, les sites contributifs et participatifs sont tous utilisés avant de faire avancer des intérêts et des politiques spécifiques. Mais pourquoi accepter que ces outils soient réservés à un usage à sens unique puisque leur principe consiste en premier lieu à substituer des échanges horizontaux et égalitaires à des structures hiérarchiques ?
Si la diplomatie est l'art du réalisme, il faut qu'elle se modernise au-delà du simple usage des outils informatiques en prenant en compte les réalités des usages associées à ces outils. Plus encore, si l'une des idées-clés de la public diplomacy consiste à communiquer directement avec les populations des pays divers, comment légitimer les écarts entre la réputation construite dans le monde de la sociabilité numérique et les choix souvent en contradiction avec cette image qui émane des documents secrets et décisifs?
Est-ce possible d'accepter un tel écart dans l'âge d'une globalisation de l'accès sans pareil et sans précédent ? Ou bien faut-il réserver une place à part pour la politique des grands pays, à l'abri des contraintes et des tribulations de l'espace public réinventé par le numérique?
Le citoyen est aujourd'hui surtout un auteur qui est sans cesse en train de lire et de comparer des informations et des savoirs populaires, naguère marginaux, et des discours officiels et autorisés. La confrontation de ces deux sources est au cur de notre spécificité moderne, grâce en grande partie au numérique.
Dans un texte célèbre, Max Weber a distingué le savant de l'homme politique en fonction de leurs éthiques. D'une part, une éthique de la conviction et, de l'autre, une éthique de la responsabilité. Cette éthique du politique, habitée telle qu'elle est par une volonté d'améliorer la société tout en accédant au pouvoir, procède, ou devrait procéder, d'une véritable connaissance de la société qu'elle cherche à gouverner.
Il semble qu'avec la culture numérique, la politique doit imaginer une nouvelle éthique et une nouvelle manière de faire, plus appropriées à la sociabilité émergente. L'affaire WikiLeaks n'est que l'indication, certes significative, d'une possible fracture numérique en train de s'installer entre les politiques et les citoyens et que seule une véritable prise en compte des réalités et des potentiels de l'environnement numérique peut éviter.
La diplomatie est l'art de la dissimulation, des subterfuges, mais aussi de la finesse. Il faut désormais qu'elle s'adapte aux nouvelles conduites sociales induites par les pratiques numériques.
Document 5 : Fabien Granjon, « Le web fait-il les révolutions ? », Sciences Humaines, Dossier « Nos vies numériques », n°229, août-septembre 2011.
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] Sans doute est-il utile de prendre la mesure du rôle non négligeable qu'ont pu jouer les technologies de l'information et de la communication (Tic) en général. De fait, toujours plus nombreuses sont celles qui, d'une manière ou d'une autre, ont pris appui sur les potentialités offertes par Internet : en 2001, aux Philippines, lors des soulèvements contre le président Joseph Estrada ; en 2003, lorsque des manifestations contre la guerre en Irak ont été organisées simultanément dans 600 villes de par le monde; en 2009, lors des mobilisations populaires en Iran contre la République islamique de Mahmoud Ahmadinejad, etc. Dans son dernier ouvrage, Clay Shirky relate même l'improbable mobilisation de jeunes Sud-Coréen(ne)s, en avril 2008, contre la réouverture des importations de viande bovine états-unienne. Celle-ci n'aurait pas été conduite à l'initiative d'organisations associatives ou politiques, mais aurait été lancée par de jeunes fans d'un boys band coréen lesquels, fréquentant le forum du groupe auraient, à un moment donné, polarisé leurs discussions légères (gossip) sur ce thème plus politique et lancé l'idée d'une protestation publique.
Plus récemment, il a été fait grand cas du rôle qu'ont pu jouer les réseaux sociaux dans la crise sociale conduisant le président Ben Ali à quitter le pouvoir. Dans un pays frappé par la censure, Facebook est devenu, avec deux millions de comptes, à la fois le média et la plateforme d'échange les plus populaires en Tunisie. En l'espèce, les activités en ligne dénonçant les abus du régime dictatorial semblent bien avoir été l'expression d'« un contre-projet face au monde hiérarchique du pouvoir, de ses cérémonies officielles et de sa discipline quotidienne », selon les termes de Jürgen Habermas. Facebook a notamment permis que se déterritorialisent des événements locaux, notamment ceux à forte charge symbolique, comme les immolations, les arrestations ou le récit des répressions policières. Cela a indéniablement contribué à la construction de l'indignation et à la convergence du sens sur les réseaux sociaux (formation du consensus), mais aussi à la constitution d'un potentiel de mobilisation et à l'activation de la révolte (mobilisation pour l'action).
Encore faut-il préciser que cet investissement numérique n'est pas tout à fait nouveau et s'inscrit dans une histoire de la « cyberdissidence » tunisienne. Dès la fin des années 1990, des protestations furent ouvertes à l'encontre du pouvoir via des forums, des sites et des listes de diffusion (Takriz, Tunezine, Réveil tunisien, Nawaat, Tunisnews, Alternatives citoyennes, etc.) parfois très suivis, notamment lors du second volet du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) de Tunis, ou bien lors d'initiatives telles que la manifestation en ligne Yezzi fock!, assez largement reprise par des médias étrangers CNN, Al Jazeera, etc.). C'est donc progressivement que la blogosphère puis les sites de réseaux sociaux sont apparus comme des espaces majeurs de la contestation.
Il semble également que le réseau «hacktiviste » Anonymous a permis une extension de la surface des conflits à la toile, notamment via des attaques contre des sites gouvernementaux, dont celui du Premier ministre ou encore en piratant le site de la télévision nationale TV7. Il aurait aussi contribué à attirer l'attention des médias occidentaux (France 24 et Al Jazeera reprendront par exemple des vidéos tournées par des manifestants), une étape essentielle dans l'émergence d'un mouvement de solidarité international.
À l'évidence, la force du participatif n'est elle jamais si apparente que dans les nombreux pays où la liberté d'expression et de la presse n'est pas simplement menacée par les effets de la professionnalisation, de la concentration économique ou du sensationnalisme, mais par la censure et le contrôle de pouvoirs autoritaires (interdiction des rassemblements, de partis d'opposition, etc.). Les mobilisations en ligne constituent alors souvent les principales voies d'expression de la dissidence et de la contestation. En Chine, en Birmanie, en Iran, en Tunisie ou en Égypte, ce sont aussi les blogueurs et les collectifs dissidents de contre-information qui aujourd'hui parviennent à faire émerger des voix contestataires et à rendre visible et publique (à l'intérieur et à l'extérieur des frontières) une certaine conflictualité sociale. Les formes de la contestation se trouvent alors étroitement articulées à des outils comme Twitter, qui permettent, parfois à des individus isolés, d'exprimer et de faire circuler des informations en échappant aux contrôles et aux censures.
Dans les pays où sévit un contrôle étatique de l'information, que ce soit en Chine ou en Syrie, les médias alternatifs numériques offrent à l'évidence une des principales ressources pour constituer des collectifs et faire naître des mobilisations. Lorsque le manque de liberté d'expression entrave l'émergence d'une opposition conséquente (associations, partis, syndicats, etc.) susceptible de porter des contestations et des revendications sur la place publique, celles-ci se font jour dans le domaine numérique. Quand il est patent que ni l'État ni les médias de masse n'autorisent l'auto organisation politique de la société, ni même la possibilité d'opinions critiques autonomes, les potentiels de résistance tendent à s'exprimer sur Internet. Non parce que l'engagement y serait plus aisé ou plus confortable, mais plutôt parce que le réseau des réseaux permet de s'adresser à un public élargi, composé de sujets interconnectés, avec qui l'on peut échanger sur le mode de la conversation et qui sont susceptibles de s'associer à des projets politiques critiques.
En dehors des cas de censure les plus explicites, les mobilisations en ligne se construisent (tout) contre l'espace public médiatique dominant, dans une volonté de réarmer lopinion publique et daugmenter la capacité de pression des citoyens. Elles sappuient alors sur la dimension participative du Web afin de faire émerger des arènes publiques où se donnent notamment à voir des expressions alternatives aux formes narratives des médias dominants. On y constate ainsi une part plus grande de subjectivité : énonciation à la première personne, investissements daffects, détournements ironiques, etc. marquent le ton des informations et des conversations dInternet.
Document 6 : Dessin de Plantu
Séance 8 : Un nouveau rapport au temps
Supports : 4 documents
Lotte Damhuis, « Les TIC changent-elles notre rapport au temps ? », daprès un article paru dans la Lettre EMERIT n°58, juin 2009
HYPERLINK "http://www.paristechreview.com/author/stephane-roussel/"Stéphane Roussel, « HYPERLINK "http://www.paristechreview.com/2011/04/06/internet-zappeur-y-management/" \o "Internet, le zappeur "Internet, le zappeur Y et le management en temps comprimé », 6 Avril 2011, Paristech Review.com
Laure Cometti « Les gazouillis du printemps arabe », La Croix, 8 janvier 2013.
Regards sur le numérique, rslnmag.fr, août 2012
Document 1 : Lotte Damhuis, « Les TIC changent-elles notre rapport au temps ? », daprès un article paru dans la Lettre EMERIT n°58, juin 2009
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] Lorsqu'on parle du temps, on l'aborde intuitivement en termes quantitatifs, héritiers que nous sommes du "temps de l'horloge" amorcé au début de la période moderne et progressivement intériorisé tout au long de l'époque industrielle (Elias, 1996). Les innovations technologiques émergeant avec la modernité ont eu pour effet de pouvoir "faire les choses plus vite" - que ce soit dans la production industrielle, dans les tâches ménagères ou dans les déplacements. Les premières technologies de l'information et de la communication telles que l'imprimerie, le télégraphe ou le téléphone - ont ainsi accéléré la production et la dissémination de l'information.
L'accélération du temps, tant décriée aujourd'hui, est donc un processus lent qui trouve son origine dans une époque qui a mis en avant les valeurs de la raison et du progrès, diffusant une vision instrumentale du temps. Dans la continuité de ce processus, on peut entrevoir que les TIC (Internet, ordinateur, téléphone portable et autres) ne font qu'exacerber ce phénomène en réduisant drastiquement ce temps de diffusion de l'information et de la communication, tout en augmentant de manière exponentielle la quantité de connaissance produite. Selon cette perspective, la nouvelle figure temporelle du "just-in-time" ou du "temps réel" serait l'expression de la transformation des cadres temporels sous l'effet de la globalisation et des nouvelles technologies de l'information.
Si l'on peut affirmer, dans une visée quantitative du temps, que ces nouvelles technologies compriment le temps, réduisent à presque rien le temps des communications, et contribuent ainsi aux sentiments d'urgence et d'accélération du temps, des approches récentes ont été développées dans la littérature sociologique, afin d'aborder les temporalités et les technologies dans la pluralité de leurs manifestations, de leurs usages et de leurs interactions. Comprendre comment les TIC - et Internet en particulier - modifient les rapports au temps ou les temporalités sociales doit se faire en dépassant l'idée que le temps serait une catégorie statique ou univoque. Le temps est multiple, il se décline en plusieurs modalités - temps intérieur et subjectif, temps de la mémoire, temps narratif, temps physiologique - et ces différentes temporalités s'interpénètrent dans nos vies quotidiennes. [
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Les TIC ne sont pas en soi "porteuses" d'un temps unique, ou ne font pas écho à un rapport univoque au temps. Si on conçoit facilement qu'Internet nous fait gagner du temps, qu'il nous permet d'accéder à l'information à tout temps de la journée ou de la nuit, à partir de tout lieu, on peut tout aussi aisément penser aux situations où Internet nous fait perdre du temps: le trafic Internet est surchargé, l'information précise que l'on recherche nous prend beaucoup plus de temps que prévu soit parce qu'elle ne s'y trouve pas, soit parce qu'au gré des clics on se laisse emporter par la toile. Lee et Liebenau (2000, p.51) parlent ainsi d'accès pseudo-instantané: "il serait plus pertinent de reconnaître qu'il y a des temps de décalage dans l'accès et le téléchargement du matériel recherché et que ceci est souvent source de frustration et parfois de coûts."
Mais au-delà des aspects techniques, les technologies doivent être lues d'une part, dans la manière dont elles sont utilisées et appropriées, et d'autre part, dans la manière dont elles trouvent des échos différents selon les individus, selon les modes de vie, les valeurs ou le sens qu'elles prennent dans la vie quotidienne. C'est ainsi que Hërning et alii (1999) identifient trois figures d'usagers, renvoyant à des relations types aux outils technologiques:
Le surfeur - pour lequel la technologie est un moyen de contrôle sur les exigences de la vie quotidienne, associé à une pratique très économique du temps. Il cherche à tout prix à gagner du temps et le temps ainsi dégagé est directement réinvesti à ce point que les marges de manuvre se retrouvent finalement très réduites.
Le sceptique - pour lequel la place des relations en face-à-face est centrale. Les évolutions technologiques sont abordées comme étant des mangeuses de temps qualitatifs, interférant avec la possibilité d'investir le temps d'un sens, d'une symbolique plus relationnelle.
Le joueur enfin - qui entrevoit le temps comme un facteur d'orientation. Il utilisera les technologies pour dégager des marges de temps qui permettront d'être inventif, le souci principal étant de ne pas tomber dans un temps routinier ou répétitif. La discontinuité est valorisée et les technologies permettent de jongler de manière flexible avec le temps.
Hassan (2003) utilise le terme de temps réseau pour designer un nouvel engagement avec le temps qui semble se dessiner avec l'expansion des TIC et qui vient se mettre en tension avec le temps de l'horloge, plus linéaire. Ainsi l'accélération ne serait pas le résultat d'une course vers le gain de temps grâce aux technologies, ou de l'échange en temps réel au travers d'Internet, mais serait le résultat du réseau lui-même. C'est bien l'interconnectivité qui donne alors au temps réseau son pouvoir (Hassan, 2003). Ce n'est pas individuellement que l'on gagne du temps, mais c'est la manière dont un réseau va s'organiser autour d'Internet qui va avoir pour effet une accélération généralisée. [
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Les TIC sont ainsi les supports de la diffusion de cette nouvelle forme du temps - le temps réseau - tout comme l'horloge avait été le support de fa diffusion du temps linéaire et quantitatif. [
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Dans une telle perspective, le temps-réseau s'opposerait alors au temps de l'horloge, plus rigide, et plus hiérarchisant dans les rapports sociaux qu'il sous-tend. Mais on peut facilement comprendre que le temps réseau est d'autant plus dictatorial qu'il est imprévisible, plus volatile et chaotique.
Document 2: HYPERLINK "http://www.paristechreview.com/author/stephane-roussel/"Stéphane Roussel, « HYPERLINK "http://www.paristechreview.com/2011/04/06/internet-zappeur-y-management/" \o "Internet, le zappeur "Internet, le zappeur Y et le management en temps comprimé », 6 avril 2011, Paristech Review.com
En 20 ans, Internet a introduit dans le monde « corporate » au moins deux révolutions majeures. Dune part, laccès de tous les collaborateurs à linformation est devenu pratiquement sans limite. Dautre part, les modes dinteraction entre les collaborateurs sont de plus en plus divers et nombreux. Alors, comment, au sein de lunivers professionnel, organiser, convaincre et entraîner des salariés qui maîtrisent parfaitement ces technologies dans leur vie personnelle ? Comment manager à lheure de Twitter et de Facebook ?
La révolution technologique affecte directement le management car elle change le rapport au temps et à lespace. Aujourdhui, linnovation permanente délivre sans cesse des produits et des services qui ne sont pas la concrétisation dattentes manifestes. Alors quauparavant, le rêve précédait généralement de longtemps la réalisation. Il avait fallu une volonté et des moyens considérables entre la décision daller sur la Lune et le premier pas de lhomme sur son sol. Le projet a pris des années, ce qui, à lépoque, paraissait très court ! En 2011, lhistoire sest emballée. Facebook, YouTube, Twitter ou liPad sont apparus avant même quon ait eu vraiment le temps de les espérer. Le temps et lattente, lidée même de délai, ne sont plus ce quils étaient.
Pour la fameuse génération « Y », celle des hommes et des femmes nés entre 1979 et 1994, cet ordre des choses na rien détonnant. Les innovations senchaînent naturellement et sont adoptées immédiatement. Elles ne font que fluidifier un peu plus un mode de travail, de collaboration, de relation communautaire, qui leur est familier. Cest une nouvelle culture qui simpose et se répand dans toutes les tranches dâge. La révolution technologique devient alors culturelle. Dans les entreprises, on note trois attitudes possibles.
Dabord, les « résistants », allergiques ou dépassés, ne veulent pas, ou ne peuvent pas, entrer dans le jeu. Ces outils « ne sont pas pour eux ». Ils les évitent au maximum, ou ny ont pas accès dans leur environnement professionnel. Dans leur vie personnelle, réserver un billet de train en ligne nest même pas envisageable
A leur côté, cheminent les « prudents », les « curieux » ou les « adaptés », qui veulent, pour des raisons pratiques ou de «survie », garder le contact avec leur réseau. A limage de ces grands-parents qui se branchent sur une messagerie instantanée pour pouvoir communiquer avec leurs petits-enfants. Quant aux «Y», les « connectés », quils soient «initiés » ou « intoxiqués », ils sont complètement immergés dans la technologie et vivent pleinement dans le nouveau monde.
Ce monde est riche dopportunités, mais il recèle aussi des menaces.
Pour les « Y », en effet, le grand risque est de croire naïvement que lon contrôle son environnement parce quon maîtrise les technologies interactives. Cette illusion vient de livresse que procure laccès, de plus en plus rapide et ergonomique, au savoir et à la communication en réseau. Ces portes grandes ouvertes, si elles laissent limpression dagir en autorisant le « surf » dun sujet à lautre, ne souvrent en fait souvent que sur un monde fragmenté dans lequel on peut perdre facilement le sens de son action. Bref, dans le milieu professionnel, il nest pas dit que la génération « Y » soit capable de transformer sa compétence technologique en réussite professionnelle.
Car les qualités fondamentales dun dirigeant, elles, restent les mêmes : intuition de la stratégie relationnelle, capacité de prendre des risques, qualités managériales. Laptitude technologique sera sans doute considérée plus attentivement quavant, mais pas au point, loin de là, de devenir décisive. Pour accéder aux postes de responsabilité, la génération «Y» va donc devoir faire le tri entre le nécessaire et laccessoire, entre l« urgent » et limportant, entre les actions impliquant la valeur ajoutée personnelle et celles du zappeur passif qui se contente dalimenter les nouvelles modes technologiques. Avec une difficulté supplémentaire : garder la tête froide au milieu dun tourbillon incessant de «nouveautés ».
La compression du temps imposée par les nouvelles technologies est un défi majeur au sein des entreprises. Pour les « Y », il ny a pas vraiment de début ou de lieu : les informations dématérialisées arrivent de partout, dans un joyeux mélange professionnel et personnel, géré en sautant de lun à lautre. Ils savent faire, et veulent faire, plusieurs choses à la fois. Le courrier électronique nous avait déjà contraints à être plus «instantanés » dans nos rapports professionnels. Le principe : je reçois vite et facilement une information, une question ou un document de travail, je suis donc tacitement tenu de répondre instantanément. Si, pour des sujets simples, il sagit dune réelle avancée, pour des sujets plus complexes, ce temps « comprimé » peut être source derreur, dinefficacité et dinsuffisance. Même interrogation au sujet du SMS : le temps « gagné » nest il pas immédiatement perdu du fait de la nécessité ressentie de devoir traiter le flux incessant des messages ? Chez Vivendi, nous avons dailleurs instauré un vendredi sans mail, pour libérer le potentiel de réflexion.
Les non « Y » observent avec curiosité ce culte de limmédiat. Eux continuent de sorganiser «à lancienne » : je reçois constamment de nouvelles données, mais quelles sont mes priorités ? Que dois-je déléguer, différer ou abandonner ? Le système éducatif français continue à promouvoir le « une chose à la fois », avec des réponses structurées, un temps pour lanalyse et pour la synthèse. Cet univers mental est perturbé par les nouveaux outils du « tout, tout de suite ». Les vrais réfractaires technophobes auront beaucoup de mal car leur e-scepticisme deviendra vite un handicap. En revanche, les modérés, ceux qui sont capables de prendre du recul face à laccélération permanente, seront de plus en plus précieux. Il reste important de pouvoir penser lentreprise dans le temps long.
Le temps « Y » nest pas seulement différent au quotidien. Le long terme se déforme aussi. Dans cette génération, on a beaucoup de mal à se projeter à 5 ans pour soi-même, ou à 2 ans pour son projet professionnel. Par manque de vision ? Non, plutôt parce que dans un contexte de transformation permanente, la planification, lambition, changent de nature. Lessentiel, pour eux, nest plus forcément de « grimper », mais plutôt dappartenir de manière durable à des réseaux professionnels et personnels agréables et efficaces.
Les changements technologiques bouleversent aussi le rapport aux autres. Les messages instantanés écrits ou vocaux, professionnels ou personnels, se bousculent sur les terminaux, partout, tout le temps. Travailler chez soi le soir, envoyer un SMS à un ami pendant la journée, sont des choses courantes. Le temps et le lieu, ceux de la famille et des amis, et ceux du travail, fusionnent. Cela change tout. Il est dautant plus important que japprécie mes collègues car ma relation avec eux se prolongera, dune manière ou dune autre, au-delà du lieu de travail. Inversement, les «Y» ont parfois du mal à comprendre que la vie professionnelle nobéit pas à la même logique et ne fonctionne pas sur le même rythme que les réseaux sociaux. La fréquentation des Facebook ne développe pas une qualité majeure du manager : savoir monter une stratégie relationnelle et déterminer sur quels collaborateurs on peut sappuyer pour faire progresser tel ou tel intérêt de lentreprise. A ce propos, les nouvelles technologies nont pas réduit limportance des réunions. Lessentiel, dans une réunion, ce sont les apartés, les expressions non verbales, le non dit et la révolution virtuelle, sur ces points, na fait que mettre en lumière les fondamentaux incontournables du réel.
Quant au « plan de carrière », il est ébranlé par lincertitude sur lavenir et marqué par la volonté dévoluer dans le meilleur environnement technologique et culturel. Doù les efforts des entreprises pour communiquer sur un environnement de travail offrant outils « dernier cri », management ouvert et garantie dautonomie. Le salarié « Y » nest pas au service dune entreprise. Il se comporte comme un consommateur averti qui souhaite être considéré individuellement par son manager, que ce soit pour la gestion de son temps de travail, sa rémunération, sa formation ou son développement professionnel. Il attend une reconnaissance rapide. Il fait très vite ses preuves et nattendra pas des années dhypothétiques promotions.
La génération « Y », armée de ses technologies, veut travailler en commun, en réseau, elle rejette le mode séquentiel où chacun, à tour de rôle, remplit sa fonction. De ce fait, le salarié « Y » peut appartenir à plusieurs équipes et travailler en mode transverse sur différents projets simultanés. Il doit accepter les changements fréquents dorganisation et sadapter à un nouvel environnement relationnel. Face à ces mutations, les talents déterminants sont la rapidité, laudace et le sens stratégique. Léducation à la française, si habile à offrir un haut niveau de culture générale, enseigne mal et ne valorise pas ces trois qualités qui vont devenir de plus en plus essentielles. Léducation britannique ou américaine, sur ces points, est supérieure.
La rapidité, cest avant tout lesprit de synthèse et lagilité. La génération « Y » est particulièrement vive quand il sagit de saisir une nouvelle tendance et trouver des outils pour les capter. Laudace, dans un monde à la fois dur et aseptisé, est un atout. Il est risqué de ne pas prendre de risques, car les parcours professionnels régulièrement progressifs dans un même environnement, sont devenus très rares. Les nouveaux outils de communication ont un effet normatif ; ils poussent au consensus et ne favorisent pas léclosion de personnalités fortes et libres. A cet égard, la génération « Y » est paradoxale, à la fois extrêmement autonome et assez casanière. Le sens stratégique, enfin, est une boussole capitale pour se repérer et ne pas perdre son âme. Plus le monde est turbulent, plus il faut être souple au niveau tactique, mais plus il faut se tracer une ligne de conduite stratégique.
Alors, Internet est-il en train de rendre obsolète le management tel que nous le connaissons depuis la Seconde guerre mondiale ? Les nouvelles attentes du « public » à manager changent-elles radicalement lart de diriger les organisations ? Ma réponse est modeste. Les qualités « éternelles » du manager demeurent : écouter, fédérer, convaincre, décider
mais il faut aujourdhui en posséder dautres : favoriser le travail en réseaux internes et externes, accélérer linnovation, valoriser la prise de risques. Il faut surtout intégrer la singularité de chacun. Sils ne veulent pas de manager adjudant, les salariés « Y » attendent un cadre. La hiérarchie a perdu de sa valeur sacrée, les organisations sont plus planes et lHYPERLINK "http://www.marketing-professionnel.fr/tribune-libre/managers-comment-gerer-la-generation-y.html"autorité rigide ou manipulatrice nest plus acceptée, mais ils ne veulent pas dun management mou ou flou. Ils veulent un leadership moderne mais solide, attentif mais décidé.
Document 3: Laure Cometti « Les gazouillis du printemps arabe », La Croix, 8 janvier 2013.
Les révolutions tunisienne puis égyptienne ont vu l'émergence des nouveaux médias, dont Twitter, comme outils d'information et de mobilisation.
Il serait faux de résumer le printemps arabe à une « révolution Twitter », ou une «révolte 2.0 ». Les mouvements contestataires ont toujours su mettre à profit les technologies. Et les outils numériques ne se sont pas substitués à la colère des Tunisiens et des Égyptiens, de même que les réseaux sociaux n'ont pas été le berceau de la contestation populaire. Un journaliste de CNN tweetait depuis la Tunisie, le 15 janvier 2011: « Personne à Tunis ne m'a parlé aujourd'hui de Twitter, Facebook, ou Wikileaks. On ne parle que de chômage, de corruption, et d'oppression.»
Mais Twitter - qui tire son nom du verbe to tweet, littéralement « gazouiller » - a indéniablement joué un rôle « émancipateur», affirme le sociologue Jean-Marc Salmon. D'après lui, il convient de distinguer deux usages majeurs de la plateforme de micro-blogging : « réseau informatif » et « mobilisateur ». L'usage informatif a prévalu lors de la révolution tunisienne. Le pays ne comptait à l'époque que 30 000 utilisateurs de Twitter, principalement résidents de la capitale, « alors que le mouvement de contestation est venu du bled, de l'arrière-pays ».
Twitter a permis de contrebalancer le monopole de l'information par les médias officiels, en offrant aux blogueurs et aux activistes un espace de liberté. Le mot clé #sidibouzid, du nom de la ville d'origine de Mohamed Bouazizi, jeune chômeur dont l'immolation, le 17 décembre 2010, avait déclenché le début de la révolte, était parmi les plus populaires sur la toile tunisienne. « La seule fois où Twitter a été utilisé pour mobiliser les Tunisiens, c'était pour organiser une minute de silence lors de la manifestation du 14 janvier, juste après le départ de Ben Ali », ajoute Jean-Marc Salmon.
En Égypte, en plus d'être un canal informatif, Twitter a aussi servi d'outil de mobilisation et d'organisation. Les opposants à Moubarak ont ainsi pu lancer des appels à manifester immédiatement lus et partagés par des milliers d'internautes grâce au mot clé #jan25, date du début de la révolution en 2011. Les Égyptiens ont pu échanger des informations concernant, notamment, l'emplacement des barrages de police.
Grâce à la diffusion immédiate et en temps réel de l'information locale, accélérée par la concision des messages (140 caractères) et la viralité du système (avec le « retweet », pour faire suivre un message, et les mots clés), Twitter a permis au monde entier de suivre les incidents de la place Tahrir, minute après minute. Et ce, même lorsque le gouvernement a coupé Internet, du 27 janvier au 2 février 2011, grâce au système «Speak to Tweet » (parler pour tweeter) développé par Twitter et Google, qui a permis aux Égyptiens de poster sur Internet des messages vocaux envoyés depuis un téléphone.
Document 4: Regards sur le numérique, rslnmag.fr, août 2012.
Qui remplit habituellement une fonction.
Ebarbées ? débarrassées des barbes, aspérités, bavures ?
Malaise dans la civilité, ouvrage collectif.
Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches (HDR), membre du LASI (Laboratoire des Atteintes Somatiques et identitaires à lUniversité Paris Ouest Nanterre). Ses recherches portent sur trois domaines : les secrets liés aux traumatismes et leurs répercussions sur plusieurs générations ; les relations que nous établissons avec les diverses formes dimages ; et enfin la façon dont les nouvelles technologies bouleversent notre rapport aux autres, à nous même, au temps, à lespace et à la connaissance.
Professeur de sciences de linformation et de la communication à lUniversité de Bourgogne, affecté à lInstitut Universitaire de Technologie de Dijon, au département Services et Réseaux de Communication.
Le rapport Nora Minc (1978) a appelé à une révolution informatique et a mobilisé industriels et gouvernement pour le développement d'une « filière électronique » autour des Télécommunications.
Né en 1959, diplômé de lécole Polytechnique. Ecrivain. Editeur scientifique français. A soutenu une thèse dhistoire des sciences en 2011 sur Coriolis, mathématicien (1792-1843). Egalement concepteur et directeur de la publication de sites Internet gouvernementaux de culture scientifique. Editeur d'un blog de sciences []et d'un blog consacré aux bibliothèques numérique.
Heidegger : Philosophe allemand (1889-1976), auteur dHYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Atre_et_Temps" \o "Être et Temps"Être et Temps.
Sociologue et historien de lart, professeur darts actuels à lUniversité Laval (Québec). A récemment publié Le Monde sans fin des jeux vidéo, Puf, 2010.
Robert Putman, Bowling alone. The Collapse and Revival of American Community, 2000.
C. Licoppe et Z. Smoreda, « Liens sociaux et régulations domestiques dans lusage du téléphone », Réseaux, N°103, p.255-276, 2000.
P. Flichy, Une histoire de la communication moderne. Espace public et vie privée, Paris, La Découverte, 1991.
S. Hugon, Circumnavigations. Limaginaire du voyage dans lexpérience Internet, Paris, CNRS Editions, 2010..
O. Donnat, Les Pratiques culturelles des Français à lère numérique, Enquête 2008, Paris, La Découverte / Ministère de la Culture et de la Communication, 2009.
Diagnostic and Statiscal Manual of Mental Disorders, tableau de classification des troubles mentaux, dont la première version parut en 1952 aux Etats-Unis.
Sociologue et historien de lart, professeur darts actuels à lUniversité Laval (Québec). A récemment publié Le Monde sans fin des jeux vidéo, Puf, 2010.
Professeur en sciences de la communication à l'université de Bourgogne (Dijon). Dernier ouvrage paru : le Pouce et la Souris. Enquête sur la culture numérique des ados, Fayard, 2006.
Journaliste spécialisé dans les HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelles_technologies" \o "Nouvelles technologies" nouvelles technologies.
Sociologue des médias, l'auteur avec Roland Cayrol de l'ouvrage "Médias, opinions et présidentielles" chez Ina éditions.
Directeur général de lESJ Lille.
Juillet 2005.
Sociologue des médias, auteur avec Roland Cayrol de l'ouvrage "Médias, opinions et présidentielles" chez Ina éditions.
Directeur général de lESJ Lille.
Ecole Supérieure de Journalisme.
Sociologue et maître de conférences à HYPERLINK "http://www.ens-lyon.eu"l'ENS de Lyon et chercheur au Centre Max Weber (équipe "Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations"). Ses recherches portent sur la culture, les adolescents, les réseaux sociaux, les méthodes quantitatives en sciences sociales et l'histoire de la sociologie.
Chercheur au laboratoire des usages de France Telecom R&D Sous différents angles, ses recherches portent sur les transformations contemporaines de lespace public en portant attention aux infrastructures de médiation offertes par les nouvelles technologies ; au rôle de la critique dans le débat public ; et aux dynamiques dindividualisation et de participation à la production dexpression publique. Ces recherches portent sur différents terrains : les médias alternatifs, le mouvement altermondialiste et les organisations militantes internationales, larticulation entre pratiques culturelles et sociabilités, les outils dexpression individuelle (blogs, wiki, etc.) sur le web, les formes dinnovations par lusage dans le développement des nouveaux médias de lInternet.
Par opposition à « lesprit de géométrie » qui part des principes et déduit tout logiquement, « lesprit de finesse » saisit intuitivement les enjeux globaux.
La puissance douce résultant du rayonnement culturel d'une nation ; elle consiste, selon Joseph Nye dans Bound to lead, paru en 1990, à « tenter d'abord d'obtenir par la persuasion séductrice les résultats que l'on pourrait aussi atteindre par la force. »
Sociologue et HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/Sciences_%C3%A9conomiques" \o "Sciences économiques"économiste HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/Allemagne" \o "Allemagne"allemand, HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1864" \o "1864"1864- HYPERLINK "http://fr.wikipedia.org/wiki/1920" \o "1920"1920.
Sociologue, professeur en sciences de linformation et de la communication à lUniversité Paris 8 Vincennes/Saint-Denis au sein de lUFR Culture & Communication. Ses recherches portent sur les usages sociaux des médias et des technologies de linformation et de la communication. Depuis une perspective critique, ses principaux travaux abordent les thèmes de laction collective, de la production alternative dinformation, de lexposition de soi ou encore des pratiques culturelles en ligne.
Directeur des Ressources Humaines, groupe Vivendi.
Terme issu du marketing : Le marketing viral est une technique qui vise à promouvoir une entreprise ou ses produits et services à travers un message persuasif qui se diffuse dune personne à une autre. On parle de marketing viral puisque loffre se déploie comme un virus.
C. Bosc D. Delansay Page PAGE \* MERGEFORMAT 18
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